Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)
On connaît tous la milonga du jour, El Porteñito, mais est-ce vraiment une milonga ? Voyons de plus près ce coquin de Porteñito et ce qu’il nous cache.
Ángel Villoldo a composé et créé les paroles de ce tango qui est un des plus anciens dont on dispose des enregistrements. Je profite donc de ce patrimoine pour vous faire toucher du doigt le tango des origines avec le risque de relancer le débat des anciens et des modernes.
Extrait musical
La version du jour est intermédiaire sur tous les plans.
Elle a été enregistrée en 1943, soit environ 40 après l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or du tango.
Les deux anges se sont donc associés à un troisième, Villoldo pour nous offrir cette belle milonga… ou beau tango… Disons que c’est un tango milonga, un canyengue rapide. Ce titre évoluera depuis sa création entre les rythmes, nous en verrons quelques exemples en fin d’article.
Les paroles
Les paroles, il y a vraiment plusieurs paroles à ce tango. El porteñito est El criollito dans la plus ancienne version enregistrée. Je vais donc vous proposer trois versions.
Celle de D’Agostino et Vargas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite partie des paroles.
L’introduction musicale, nous présente un type qui se balade dans les rues, saluant les passants 1:22 plus tard, Vargas entame le chant et termine à la fin du titre. Cette version est généralement considérée comme une milonga, mais si vous la dansez en canyengue, personne ne vous dira rien.
D’Agostino Vargas 1943 Soy nacido en Buenos Aires, me llaman « El Porteñito », el criollo más compadrito que en esta tierra nació. Y al bailar un tango criollo no hay ninguno que me iguale porque largo todo el rollo cuando me pongo a bailar. Anda que está lindo el baile! brindase comadre, y el compadre… Soy un taura del noventa, tiempo bravo del tambito, bailarín de mucha meta por más seña “El Porteñito” y al bailar un tango bravo, lo hago con corte y quebrada para dejar bien sentada mi fama de bailarín. | Villoldo 1908 Soy hijo de Buenos Aires, por apodo « El Porteñito », el criollo más compadrito que en esta tierra nació. Cuando un tango en la vigüela rasguea algún compañero no hay nadie en el mundo entero que baile mejor que yo. No hay ninguno que me iguale para enamorar mujeres, puro hablar de pareceres, puro filo y nada más. Y al hacerle la encarada la fileo de cuerpo entero asegurando el puchero con el vento que dará. …Recitativo… Soy el terror del malevaje cuando en un baile me meto, porque a ninguno respeto de los que hay en la reunión. Y si alguno se retoba y viene haciéndose el guapo lo mando de un castañazo a buscar quien lo engrupió. Cuando el vento ya escasea le formo un cuento a mi mina (china) que es la paica más ladina que pisó el barrio del sur. Y como caído del cielo entra el níquel al bolsillo y al compás de un organillo bailo el tango a su « salú ». …Recitativo… | Los Gobbi 1906 Él: Soy hijo de Buenos Aires E me llaman el criollito, El más pierna e compadrito Per cantar e per bailar. De las chinas un querido Todas me brindan amores, Soy el que entre los mejores Siempre se hace respetar. Ella: Este tipo extravagante Que viene a largar el rollo, Echándosela de criollo Y no sabe compadrear. Es un gringo chacarero De afuera recién llegado Un criollo falsificado Que la viene aquí a contar. Él: Soy tremendo para el baile Se me voy donde hay… E agarrando la guitarra La “melunga” sé cantar. Ella: No arrugués que no hay quién planche Afeitate, volvé luego, Que te ha conocido el juego Gringo, podés espiantar. Él: No te hagás la compadrona La paciencia se me acaba, Te va´ a comé una trompada Se me llego yo a enojar. Ella: Arrimate che italiano Y haceme una atropellada. Él: Te la doy. Ella: Pura parada Si ni el agua vos cortás. Él: Fijate qué firulete, qué parada No hay ninguno que me pueda guadañar. Juntos: Porque somos para el tango Los más piernas, Y sabemos hacernos respetar. |
Les versions
Le titre est un peu différent, ainsi que les paroles. Ce sont celles de la troisième colonne. El porteñito est el criollito et il le texte comporte de nombreuses variations par rapport à la version « canonique ». Deux points sont à signaler. C’est un duo (que je trouver relativement pénible entre les époux Gobbi, Flora et Alfredo) avec des passages parlés comme c’était assez courant à l’époque.
Cet enregistrement par l’auteur pourrait servir de référence. Ce sont les paroles de la version centrale (il y a quelques petites différences, comme mina au lien de china, mais qui ne change pas le sens).
Une version chantée par une femme à la voix plutôt plus agréable que celle de Flora Gobbi, mais de peu. On notera qu’elle a adapté les paroles en chantant au féminin et en se faisant appeler la criollita et non pas la porteñita.
On arrive ici à la première version dansable. Il est dirigé par la baguette d’Adolfo Carabelli. C’est une version instrumentale, avec de beaux dialogues instrumentaux, et des violons qui plairont à beaucoup. Une fantaisie qui pourrait passer dans une milonga, mais pas comme une milonga, c’est clairement un tango et même un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la quebrada dont parlent d’ailleurs les paroles.
Une version au rythme syncopé avec un plan de violon ou bandonéon qui survole le tout. Une impression d’accélération à la fin et quelques ponctuations de Biagi au piano témoignent du style qui est en train de se mettre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une version rarement diffusée en milonga. Elle pourrait l’être, mais il y a d’autres titres plus porteurs qui prennent la place dans le temps limité donné au DJ pour faire des propositions.
Canaro enregistrera deux fois avec le quinteto Pirincho ce titre. Voici la première version, assez brillante, notamment grâce à la partie de piano interprétée par Luis Riccardi.
C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.
Je fais un petit saut dans le temps en passant diverses versions pour retrouver le Quinteto Pirincho et la flute géniale de Juvencio Física qui donne une couleur à cette version qui balance toujours entre le tango et la milonga, mais on peut en général le passer comme milonga, car son allure très enjouée le rend sympathique à danser et il est suffisamment connu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fioritures de l’orchestre puissent être mises en valeur par les danseurs.
Je vais vous demander de me pardonner, mais l’histoire n’est pas faite que de batailles gagnées. Il y a aussi des tragédies, comme cette version mixant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renouveler et transformer ses premiers essais) et l’harmoniciste, Joe Powers (qui est loin d’être mon préféré). Le résultat est à la hauteur de mes espérances, inaudible, je comprends votre colère.
L’élégance au tango dans les années 1900
On a un peu de mal à imaginer que le tango ait pu paraître sulfureux au point d’être interdit à Buenos Aires. Cependant, il y avait tout de même de bonnes raisons.
Il était dansé dans des lieux dédiés au sexe et le but n’était pas d’être extrêmement élégant, mais de prendre du plaisir avec une femme compréhensive (même si cela la rendait malheureuse, comme a pu le voir hier avec Zorro gris qui parlait d’une grisette dans un établissement de luxe). On imagine que dans d’autres lieux comme Lo de Tranqueli, la réalité était bien pire.

Je parlerai plus abondamment le 2 juin prochain d’Ovidio José Bianquet, dit el Cachafaz, au sujet de la version du tango El Cachafaz, dans la version de D’Arienzo du 2 juin 1937.
Cette façon de danser passerait difficilement pour élégante de nos jours, mais elle faisait l’admiration de nos aïeux et on peut regretter aujourd’hui une certaine stérilisation de la danse.
Je ne dis pas qu’il faut retrouver les outrances de l’époque, mais plutôt de prendre des petites idées, de relancer la machine à improviser.
Je terminerai par cette image qui est un montage que j’ai réalisé à partir de photos du début du vingtième siècle où on voit des attitudes un peu surprenantes, mais qui étaient considérées comme très chic à l’époque. Cela devait toutefois être fait avec une certaine élégance et ne doit en aucun justifier les violences qu’infligent certains danseurs contemporains à leur partenaire et aux autres danseurs du bal… Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de travail 😉

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