A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio ; Héctor Serrao ; Rodolfo Genaro Serrao)
¡Feliz año nuevo! Il est minuit à Buenos Aires, c’est l’année nouvelle qui commence. Les fusées de feu d’artifice pétaradent et illuminent le ciel de Buenos Aires. Ici, pas de majestueux feux d’artifice élaborés par des artificiers professionnels. Ce sont les Argentins qui se chargent du spectacle en fonction de leurs moyens financiers et de leurs capacités. Notre musique du jour n’est pas un tango, mais est chantée par un de ses chanteurs, Alberto Castillo, qui en est également un des auteurs.
Riobal y los Halcones
Quelques mots sur les auteurs de ce titre.
Riobal
Riobal, alias Alberto Castillo, alias…, alias…, alias…, alias…
Riobal est un des pseudonymes de Alberto Castillo, ou plutôt de Alberto Salvador De Lucca, puisque que Castillo est également un pseudonyme destiné à faire plus espagnol, ce qui était courant pour les chanteurs de tango. Les orchestres avaient besoin d’un chanteur italien et d’un chanteur espagnol pour satisfaire les deux principales communautés portègnes. Peu importe qu’ils soient réellement originaires de ces pays. D’ailleurs ses premiers pseudonymes ont été Alberto Dual et Carlos Duval… Cette foison de pseudonymes était également destinée à tromper la vigilance paternelle. Pour son père, il était étudiant en médecine et, effectivement, il devait être médecin gynécologue. Un jour, en écoutant son fils à la radio, il s’exclama, « il chante très bien, il a une voix semblable à celle de Albertito », et pour cause… Cependant, le tango a pris le dessus et Alberto a rejoint l’orchestre d’un dentiste, celui de Ricardo Tanturi, avant de terminer sa dernière année… Il n’était donc pas à proprement parler gynécologue, comme on le lit en général dans ses biographies.
Trío Los Halcones
Ce trio a chanté avec Miguel Caló, mais leur spécialité était plutôt le boléro et autres musiques traditionnelles ou folkloriques. Ils ont collaboré avec Castillo pour l’écriture de la musique et des paroles de ce titre. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement de Año nuevo par ce trio.
Trío Los Halcones.
Extrait musical
Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. Partition de saxophone ténor de Año nuevo.
Año nuevo a été enregistré le 31 janvier 1956. Je n’ai pas respecté le choix d’un thème enregistré le jour de l’anecdote, pour vous proposer un air gai et de circonstance. Nous sommes donc en 1956 et Alberto Castillo a son orchestre dirigé par un chef. Selon les sources, il y a un doute sur le chef qui tenait la baguette le jour de l’enregistrement.
Gabriel Valiente dans son Enciclopedia del Tango indique que l’orchestre de Castillo est dirigé par Ángel Condercuri de 1951 à 1954 puis de nouveau à partir de 1959 et par Jorge Dragone de 1955 à 1958. Ce travail est une somme, mais il y a de nombreuses imprécisions et un certain nombre d’erreurs. C’est une bonne source, mais qui demande à être vérifiée.
Todo Tango, qui est le site de référence incontournable propose une entrevue avec Jorge Dragone dans laquelle celui-ci indique qu’il était dans l’orchestre de Condercuri à cette époque. https://www.todotango.com/historias/cronica/238/Dragone-Un-eterno-viajero/ Par conséquent, s’il est le pianiste de l’orchestre, il n’en est pas le directeur. En 1957, donc l’année suivante, il indique avoir son propre orchestre en alternance pour lequel il recourt à la voix de Argentino Ledesma. Même s’il est envisageable que, pour une séance d’enregistrement particulière, Condercuri ait laissé la direction à son pianiste, cela mériterait d’être documenté.
La solution serait d’avoir le catalogue ou le disque d’origine, malheureusement, je n’ai pas trouvé le catalogue de Odeón correspondant et les CD ne sont pas précis sur la question (soit ils n’indiquent rien, soit ils mettent les deux noms, sans préciser à quels titres, cela se rapporte). Quant aux disques d’origine, ils indiquent juste Alberto Castillo y su Orquesta. Bernhard Gehberger, le créateur du site Tango-DJ.AT, confirme avec les mêmes arguments. Il m’a même rappelé que certains enregistrements étaient donnés avec Raúl Bianchi à la direction. Cependant, cela ne semble concerner que la période 1953–1955. En 1956, Bianchi était à Rosario. On notera toutefois, que Bianchi était pianiste, comme Dragone. Serait-ce une habitude chez Condercuri de laisser ses pianistes diriger ? En attendant d’en savoir plus, je conserve Ángel Condercuri comme Directeur de l’orchestre de Castillo pour cet enregistrement.
Paroles
Il y a différentes variantes, mais qui ne changent pas le sens. Vous aurez la version du film en fin d’article avec les paroles en sous-titrage.
Año nuevo Vida nueva Más alegres los días serán Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Entre pitos y matracas entre música y sonrisa El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más, Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos Entre todos cantaremos, llenos de felicidad Vamos todos a cantar
Año nuevo Vida nueva Nuestras penas dejemos atrás Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Año nuevo Vida nueva Mas alegre los días serán Sin problema, sin tristeza Y un feliz año nuevo vendrá…
Entre pitos y matracas entre música y sonrisa El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos Entre todos cantaremos, llenos de felicidad Vamos todos a cantar
Año nuevo Vida nueva Más alegres los días serán Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Año nuevo Vida nueva Nuestras penas dejemos atrás Sin problema, sin tristeza Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá…
A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio; Héctor Serrao; Rodolfo Genaro Serrao)
Traduction libre des paroles
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Entre sifflets et crécelles Entre musique et sourire L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur Nous allons tous chanter
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus joyeux Sans problème et sans tristesse Et un Nouvel An heureux viendra
Entre sifflets et crécelles Entre musique et sourire L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur Nous allons tous chanter
Pito y matraca (sifflet et crécelle)
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Nouvel An Nouvelle vie Nous laisserons nos peines derrière Sans problème et sans tristesse Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra…
Autres versions
Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. C’est notre thème du jour.Año Nuevo 1965 — Billo’s Caracas Boys. C’est la version qui est sans doute la plus connue, elle est jouée pour le Nouvel An dans la plupart des pays d’Amérique du Sud et pas seulement au Vénézuéla, leur pays.
Pour terminer en vidéo, je vous propose de voir et écouter Alberto Castillo dans le film “Música, alegría y amor” dirigé par Enrique Carreras. La scène a été enregistrée en 1955, cependant, le film sortira après le disque, le 9 mai 1956. J’ai indiqué les paroles pour vous permettre de suivre…
Año nuevo dans le film Música, alegría y amor. Dans cet extrait, en plus de Alberto Castillo, on remarque Beatriz Taibo, Ubaldo Martínez et Tito Gómez. Il y a aussi une courte apparition de Leonor Rinaldi et Francisco Álvarez, les personnes âgées.
Alberto Castillo, qui tient le rôle principal (Alberto Morán) est un jeune homme bohème qui rêve de devenir peintre, mais qui finalement aura du succès comme chanteur (Raúl Manrupe & María Alejandra Portela — Un Diccionario de Films Argentinos 1995, page 401). Ce film contient beaucoup de chansons par Castillo, dont notre titre du jour.
L’intrigue du film serait tirée de Loute, une comédie française (vaudeville) en quatre actes de Pierre Veber dont l’intrigue tourne autour de Dupont, un homme qui mène une vie de débauche sous l’influence de son « ami » Castillon. Dupont décide de se marier avec Renée, une jeune femme de bonne famille, mais il est rapidement rattrapé par son passé tumultueux. Loute, une ancienne maîtresse de Dupont, réapparaît et cause des complications. Les malentendus et les quiproquos s’enchaînent, notamment avec l’arrivée de Francolin, un cousin de Dupont, qui cherche à se venger de lui. Finalement, après de nombreux rebondissements, les personnages tentent de se réconcilier et de trouver un équilibre entre leurs vies passées et présentes. Le lien entre la pièce et le film réalisé par Enrique Carreras sur un scénario de Enrique Santés Morello me semble un peu distendu, d’autant plus que la pièce a eu son heure de gloire plus de 50 ans avant la réalisation du film. Cela témoigne tout de même de la francophilie qui était encore vive à l’époque. Disons que la base du synopsis a été de faire une comédie musicale pour mettre en avant Alberto Castillo…
L’affiche du film réalisée par le caricaturiste argentin Narciso González Bayón. On y reconnaît Alberto Castillo et Amelita Vargas. À la table, de gauche à droite, Francisco Álvarez, Leonor Rinaldi, Gerardo Chiarella et Ubaldo Martinez. La taille démesurée de Castillo montre bien que c’était lui la vedette du film…
Voilà de quoi bien débuter l’année, en chanson.
De camino al 2025
Je souhaite une merveilleuse année, la santé et le bonheur, à tous les humains de la Terre, tous.
Adiós 2024. Cette année se termine aujourd’hui et 2025 pointe son nez. C’est sans doute l’occasion de se faire des promesses de meilleure année. Pour passer le cap, rien de mieux qu’une valse instrumentale qui chasse tous les soucis et fait fleurir le bonheur sur les lèvres et dans le cœur des danseurs. Cette valse, enregistrée le 31 décembre 1926 par Roberto Firpo, est une des premières enregistrées avec les capacités de l’enregistrement électrique (qui fête son siècle d’existence) et on sent qu’elle commence à se libérer des contraintes de l’enregistrement acoustique. Que 2025 soit la nouvelle génération qui surpasse l’ancienne sur la route du bonheur.
Adiós 1926-12-31 — Orquesta Roberto FirpoPedro Laurens avec son bandonéon, la partition de Adiós et José De Grandis.
Le rythme est soutenu et les danseurs pourront utiliser leur réserve d’énergie pour aller jusqu’au bout de la valse. La monotonie que pourrait engendrer la reprise des parties sans réelles variations et en n’étant qu’instrumentale n’est pas vraiment présente, car on se laisse prendre par le mouvement et, lorsqu’arrive la fin, on aurait bien aimé que cela dure un peu plus.
Roberto Firpo
Cette version instrumentale, la seule enregistrée, malgré l’utilisation du mode mineur sur les 2/3 de sa durée, n’engendre pas la mélancolie. On ne se rendra pas compte de la tristesse sous-jacente à l’histoire, tristesse dévoilée par les paroles du poète (violoniste et compositeur), José Pedro De Grandis. Ce thème convient assez bien à Firpo, qui a souvent un curieux mélange de tristesse et d’énergie dans ses interprétations.
Paroles
Las blancas flores que en ti he depositado Fueron un símbolo de fe que puse en ti, Y me alejé tristón Dudando si al volver Sería dueño de tu corazón. Mas esas flores de pena han marchitado Al ver lo pronto que te olvidaste de mí, Y al ver su pena yo También dolor sentí Por ser tan cruel esta desilusión.
Fue la plácida luna Testigo de los besos, Y dulces embelesos Que a tu lado gocé; Mis labios fervorosos, Tu nombre, han bendecido Tu nombre tan querido Que no olvidaré. Olvidas que fijaste Tus ojos en mis ojos, Dijiste con sonrojos: “Me acordaré de vos”; No quise despedirme Te dije: “hasta luego”, Y ahora cuando llego Recibo tu adiós.
Si al recordarme besas esas flores que te he dado No te asombre si vuelven a revivir, Porque en ellas mi corazón he dejado Que implorante, tus besos ha de pedir.
Pedro Láurenz (Pedro Blanco) Letra: José Pedro De Grandis
Les fleurs blanches que j’ai déposées en toi étaient un symbole de la foi que j’ai placée en toi, Et je me suis éloigné, triste, doutant qu’à mon retour je sois le propriétaire de ton cœur. Mais, ces fleurs de chagrin se sont fanées quand j’ai vu comme tu m’as vite oublié, et quand j’ai vu leur chagrin, j’ai aussi ressenti de la douleur parce que cette déception était si cruelle. La lune placide a été témoin des baisers et des doux ravissements dont j’ai joui à tes côtés ; Mes lèvres ferventes ont tant béni ton prénom, ton prénom si cher que je ne l’oublierai pas. Tu oublies que tu as fixé tes yeux dans mes yeux, tu as dit en rougissant : « Je me souviendrai de toi » ; Je ne voulais pas te dire au revoir, je t’ai dit : « à plus tard », Et maintenant, quand j’arrive, je reçois ton adieu. Si, lorsque tu te souviens de moi, tu embrasses ces fleurs que je t’ai données, ne t’étonne pas si elles reviennent à la vie, car, en elles, mon cœur a déposé en implorant que tes baisers soient demandés.
Buscándote est un des thèmes les plus émouvants du tango. Par la qualité de la musique et des paroles de Eduardo “Lalo” Scalise El poeta del piano, mais aussi par la simplicité et la rondeur de l’interprétation par Fresedo et Ruiz, pour notre tango du jour. Nous allons en profiter pour regarder de plus prêt comment fonctionne une partition.
Extrait musical
Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo RuizPremière page de la partition retranscrite par Lucas Cáceres.
Cette première page présente les quatre premières mesures. On voit les différents instruments. T (ténor, Ricardo Ruiz, dans cet enregistrement), puis 4 violons, 4 bandonéons, un piano et une contrebasse. À l’armure, il y a deux dièses, nous sommes en Si mineur. Un mode nostalgique, voire triste. Dans la première mesure, on remarque qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deuxième mesure commence avec la seconde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la contrebasse commence à marquer tous les temps (4 par mesure) en commençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mouvement de bascule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suivante et ainsi de suite sur environ la moitié des mesures de la partition. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des éléments de la mélodie. On remarquera que les bandonéons et violons qui débutent aussi à la deuxième mesure commencent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez discret, mais vous n’aurez pas de peine à repérer ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des violons y met fin, pour commencer à énoncer la première partie (A).
La partition du ténor avec la photo de Ricardo Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La partition a été proposée également par Lucas Cáceres.
Ici, c’est la partition du ténor (Ricardo Ruiz dans notre cas) qui ne commence à chanter qu’à partir de la mesure 43 (en levée de la 44). On se souvient que le début de la partition était en Ré mineur, après un passage en Fa mineur, Ruiz commence à chanter en Fa majeur. La présence de dièses sur 4 des Sols et un Do, font basculer certains passages en Ré mineur).
Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les lettres à droite.
Une petite aide pour vous aider à vous repérer dans les tonalités. Le nombre de dièses ou bémols à la clef donne la tonalité dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Souvent, il y a beaucoup de changements de tonalités et des altérations (Dièses, ou Bémols) ponctuelles qui rendent difficile de décider la tonalité exacte utilisée. Mais ce n’est pas si important, ce qui l’est, c’est uniquement de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sensibilité de la musique, donc l’écoute est suffisante. Maintenant que vous êtes au point, je vous propose de suivre la partition durant l’écoute, grâce au travail remarquable de Lucas Cáceres.
Partition animée de Buscándote, une vidéo réalisée par Lucas Cáceres.
Vous remarquerez qu’il y a toutes les parties, et qu’il y a donc beaucoup de changements de pages. Dans un orchestre, chaque instrument n’a que sa partie et si cela vous intéresse, vous pouvez vous les obtenir en vous abonnant à son Patreon. Assez parlé de la musique, intéressons-nous aux paroles, maintenant.
Paroles
Vagar con el cansancio de mi eterno andar tristeza amarga de la soledad ansias enormes de llegar. sabrás que por la vida fui buscándote que mis ensueños sin querer vencí que en algún cruce los dejé mi andar apresuré con la esperanza de encontrarte a ti largos caminos hilvané leguas y leguas recorrí por ti después que entre tus brazos pueda descansar si lo prefieres volveré a marchar por mi camino de ayer sabrás que por la vida fui buscándote que mis ensueños sin querer rompí que en algún cruce los dejé mi andar apresuré con la esperanza de encontrarte a ti largos caminos hilvané leguas y leguas recorrí por ti después que entre tus brazos pueda descansar si lo prefieres volveré a marchar por mi camino de ayer. Eduardo “Lalo” Scalise (Eduardo Scalise Regard)
Traduction libre
Errer avec la fatigue de ma marche éternelle, l’amère tristesse de la solitude, l’énorme désir d’arriver. Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver. Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier. Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver. J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai parcourues pour vous. Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.
Autres versions
Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Fresedo et Ruiz. Cependant, la passion européenne pour Fresedo fait que beaucoup d’orchestre du 21e siècle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des fortunes diverses.
Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour, le mètre étalon, la référence absolue.Buscándote 2000-06-01 — Klaus Johns.
Une version instrumentale avec un parti pris de tempo particulièrement lent. C’est probablement à classer au rayon des étrangetés, mais certainement pas à proposer au bal.
Buscándote 2012 — Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.
On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notamment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciriaco, pendant une quinzaine d’années.
Cet orchestre russe a également son public. Ils proposent, ici, une version instrumentale.
Buscándote 2013 — Ariel Ardit y Orquesta Típica.
L’incroyable solo de violon qui ouvre cette version peut surprendre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien marqué par les bandonéons et toujours dominé par les cordes et ce superbe violon, fait que c’est certainement une version « chair de poule » pour beaucoup. La belle voix, puissante et chaude d’Ariel Ardit termine de faire de cette version remarquable. Pour la danse, les arrastres d’Ariel peuvent gêner certains danseurs et le rythme rapide peut faire que l’on préfère d’autres versions. Je pense qu’en Europe cette interprétation aurait des amateurs.
Buscándote 2013 — Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.
Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette version tranquille peut paraître un peu faible, mais il faut la comparer à notre étalon, la version de Fresedo et Ruiz, pour voir que c’est une belle réalisation, intime et bien accordée au thème de la chanson.
Buscándote 2014 (En vivo) — Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.
Une version avec public qui permet de se souvenir de l’ambiance que mettait cet orchestre. C’était à Rosario (Argentine) lors de l’Encuentro Tanguero del Interior (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nombreuses fois, c’est vraiment dommage qu’il n’existe plus.
Buscándote 2015 — Cuarteto SolTango.
Ce cuarteto, avec beaucoup moins d’instruments s’approche de la version de Fresedo. Une belle performance. Le solo de violon qui remplace la voix de Ricardo Ruiz, bien que bien chantant, est sans doute ce qui peut faire baisser la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la principale raison, est que certains DJ mettent des chansons tango au lieu de véritables tangos chantés de danse.
Buscándote 2015 — Orquesta La 2X4 Rosarina con Martín Piñol.
Retour à une version chantée. La voix de Martín Piñol pourrait bénéficier d’un orchestre plus accompli. La prise de son mériterait d’être meilleure également. Le résultat ne risque pas de détrôner, la version de Fresedo qui en est clairement le modèle.
Buscándote 2015-07-09 — Esquina Sur con Diego Di Martino.
Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Fresedo. Cet enregistrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Martino, s’élance légère et fluide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Fresedo et Ruiz restent en tête.
Buscándote 2016-03-01 — El Cachivache Quinteto.
El Cachivache signe une version plus personnelle, qui n’est pas qu’une simple imitation de Fresedo et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instruments comme la guitare électrique peut donner des boutons à des milongueros sclérosés. C’est une version instrumentale, mais la diversité des variations fait que ce n’est pas monotone. L’entrée avec une gamme de do majeur descendent suivie d’une gamme ascendante est très originale. Le final est également intéressant, c’est une version qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aussi à Angela C. car il y a une bonne proportion de mode majeur dans cette version, contrairement à la version de Fresedo qui est majoritairement en mode mineur 😉
Buscándote 2016-12 — Orquesta Romántica Milonguera con Roberto Minondi.
Avec la Romántica Milonguera on revient à un registre plus classique, même si cet orchestre a su créer son propre son. Ici, c’est Roberto Minondi qui nous ravit.
Buscándote 2019 — Cuarteto Mulenga. Cette version présente l’intérêt de voir les instrumentistes opérer. Mais ce titre est aussi sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réalisée au Bodegon (restaurant) El Destino, à Quilmes (Province de Buenos Aires).
Un début original, qui peut faire douter durant les 30 premières secondes qu’on écoute Buscándote. On notera la descente de piano, très originale durant ce début. Le reste de l’orchestration renouvelle également l’œuvre, qui est comme décomposée, déstructurée au profit de solos qui se superposent. C’est presque un ensemble de citations de l’œuvre originale, plus qu’une interprétation au sens habituel. La fin ne dissipera pas cette impression.
Je te cherche, pas à pas
Comme DJ, je m’intéresse à savoir comment les danseurs vont pouvoir interpréter la musique que je propose. J’ai trouvé cette petite pépite, réalisée par Juana García y Julio Robles. Elle montre les temps et contretemps.
Poser les pieds en rythme est la toute première étape du danseur de tango et, même si certains ne s’y résolvent pas, il me semble qu’il faut aller beaucoup plus loin, le tango étant une danse d’improvisation. On tirera cependant de cette vidéo un élément très intéressant, la séparation entre les différentes parties. Savoir les repérer permet d’adapter la danse en changeant le style pour chaque partie. Il faut aussi savoir distinguer la phrase musicale, afin que le couple se retrouve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine transition ou enchaînement de phrases. Certains comptent de 1 à 8, mais c’est beaucoup plus agréable de se laisser porter par la structure de la musique. Je déconseille donc le comptage, sauf pour des chorégraphies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tango social qui nous intéresse ici, car je trouve dommage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à entendre la musique. Il me semble qu’il est amplement préférable de travailler son « instinct », car, rapidement, le corps saura quand la musique va changer et, inconsciemment, il va se préparer, ce qui vous permettra de danser l’esprit totalement libre, en vous laissant porter. Ce même instinct sert au DJ pour identifier les musiques plus dansables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suivent. Il a donc la responsabilité d’ouvrir la voie et de leur proposer des chemins dont les difficultés sont adaptées.
Pourquoi une femme noire tenant un bongo sur plan de surfeurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une explication. Alors partons à la découverte de la Rumbita candombe, un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui continue de faire bouger les danseurs d’aujourd’hui.
Extrait musical
La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Comme l’indique le titre, on reconnaît rapidement un rythme de rumba. J’écris « un » rythme de rumba, car il y a en a des dizaines. Historiquement, la rumba est originaire de Cuba où elle a été mêlée avec diverses danses, notamment d’origine africaine. Cela se reconnaît par la complexité des rythmes qui sont loin des rythmes codifiés en Europe. Il n’est qu’à demander à un danseur européen moyen de faire sonner le clave de la salsa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa culture. N’étant pas moi-même un spécialiste de la rumba, j’ai essayé de déterminer le type de rumba utilisée dans cette composition. Parmi la centaine de possibilités, je trouve que la rumba yambu (une des trois principales rumbas cubaines) est un assez bon candidat.
La rumbita candombe de D’Arienzo et Mauré que j’ai mixé avec un rythme de rumba yambu.
Bien sûr, la version de D’Arienzo est un peu particulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de milonga en prenant plus de libertés par rapport au rythme original que les autres interprétations. On notera, par exemple, une cadence bien plus rapide.
Le Général Juan Manuel de Rosas assistant à une manifestation de candombe vers 1838 assistant à une manifestation de candombe vers 1838.
De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sympa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le considéraient comme un libérateur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit probablement témoigner de sa proximité. On remarquera les tambours du candombe. Le peintre, Martín Boneo s’est représenté avec son épouse, debout à l’arrière de De Rosas. La fille du couple (Manuelita) est en rouge au côté de l’homme noir assis.
Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Les différentes versions disposent de paroles légèrement différentes. Celles de l’enregistrement de D’Arienzo et Mauré sont les plus divergentes par rapport aux paroles originales. J’indiquerai, en fin d’article, les paroles originales et donnerai quelques indications pour les autres versions.
Presten todos atención Que ya empezó Y a virutear esta milonga Que el rey negro bautizo
No es su cuna el arrabal Negro y cumbe
Por eso es que Todos le dicen La milonga candombe
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
A bailar a cantar A seguir sin parar
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
Que se va y se fue La milonga candombe.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Prêtez tous attention. Ça a déjà commencé et pour virutear (référence à la viruta et l’usure du plancher) cette milonga que le roi noir a baptisée. Ce n’est pas son berceau les faubourgs Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres) C’est pourquoi tous l’appellent la milonga candombe Ae ae ae ae À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae ae ae ae Car elle s’en va et est partie La milonga candombe.
Autres versions
Je commence par les auteurs de la musique, Osvaldo Novarro et Tito Luar.
Les Hawaiian Serenaders est un groupe argentin, malgré ce que pourrait laisser penser son nom. Il fut actif durant une vingtaine d’années après sa création en 1940 par le chanteur Osvaldo Novarro (Héctor Villanueva) associé à Tito Luar (Raúl Fortunato) (Directeur d’orchestre, tromboniste et violoniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour. Les deux hommes étaient d’origine vénézuélienne, pas l’ombre d’un Hawaïen dans l’histoire.
À l’origine du groupe Hawaiian serenaders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osvaldo Novarro dans les années 30.
À ce sujet, il est amusant de noter qu’il y a eu un autre groupe nommé The Hawaiian Serenaders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (probablement un pseudonyme…). Je ne résiste pas à la tentation de vous présenter une de mes 600 cumparsitas par ces Grecs « hawaïens »…
La cumparsita 1941 — Felix-Mendelssohn & His Hawaiian Serenaders.
Les sonorités sont beaucoup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…
La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. C’est notre titre du jour. La rumbita candombe 1943-06-28 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Oscar Serpa et surtout l’interprétation magnifique de Fresedo fait que cette version peut très bien être proposée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.
La negrita candombe (La rumbita candombe) 1943-07-16 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
La version de Canaro est sans doute celle qui est la plus connue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la version de D’Arienzo, le rythme de la rumba. Comme il en a l’habitude et grâce à ses percussionnistes de son orchestre de jazz, Canaro peut proposer une introduction au tambour et une orchestration un peu différente.
Paroles de la version originale
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión El cabaré Por eso es que la llamamos La rumbita candombe.
(Estribillo) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) Ya se va, ya se fue La rumbita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que se enamorado de una milonga Un domingo se casó Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal. Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre des paroles de la version originale
Prêtez tous attention. Ça va commencer, Ce sera la nouvelle danse que nous devrons danser… Son berceau était l’illusion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’appelle, la rumbita candombe.
(Refrain) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (chœur) À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae, ae, ae, ae (chœur) Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La rumbita candombe.
L’auteur de son rythme est un bongo, qui est tombé amoureux d’une milonga. Un dimanche, il s’est marié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Paroles de la version de Canaro et Roldán
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión Que le dio fe, Por eso es que la llamamos La negrita candombe.
Así, así, así, así Así, así, así, así (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Así, así, así, así (coro) Ya se va, ya se fue La negrita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que al arribar a la Argentina De una criolla se prendó… Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella (y?)
Traduction libre de la version de Canaro et Roldán
C’est pourquoi nous l’appelons La negrita candombe. (La rumbita est passée de la musique, petite rumba à une negrita, petite femme noire). Comme ceci, comme cela, comme cela (contrairement aux autres versions, Roldán chante “así” et pas “ae”). Comme ceci, comme ça, comme ça Danser, chanter Pour continuer sans s’arrêter, Comme ceci, comme ça, comme ça Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La negrita candombe. L’auteur de son rythme est un bongo, qui à son arrivée en Argentine, d’une créole, est tombé amoureux… (la localisation en Argentine et la mention d’une créole ancrent la chanson. Canaro était Uruguayen de naissance et les esclaves étaient en grande partie originaires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant). Et c’est pourquoi, quand il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Quelques éléments sur la milonga candombe
Même si le propos de Osvaldo Novarro et Tito Luar était de créer un nouveau rythme à base de rumba en le mixant avec des rythmes de candombe, cette expérimentation qui n’a pas donné d’autres musiques est contemporaine de l’apparition de la milonga candombe. En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milonga candombe. Sa première milonga candombe est Pena mulata (écrite en 1940).
Pena mulata 1941-02-18 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).
C’est le plus ancien enregistrement de milonga candombe. Amis DJ, si vous avez une milonga candombe d’avant 1940, c’est sûrement un candombe ou un autre rythme… Ce n’est pas interdit de le passer, mais prenez vos précautions pour ne pas mettre en difficulté les danseurs qui sont souvent moins à l’aise avec les milongas candombe et qui peuvent être totalement perdus avec des candombes.
Les trois types de tambours du candombe, de gauche à droite : Tambor repique, tambor chico, tambor piano et un autre tambor chico.
Et les surfeurs ?
Ah oui, j’allais oublier. Mais vous avez sans doute deviné. La femme noire, c’est la negrita de Canaro, le tambor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le candombe et les surfeurs et l’exocet, c’est une partie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.
Une affiche publicitaire pour Hawaï de la Pan American Airways.
Le surf à Hawaï semble être une très vieille activité, comme en témoigne James Cook en 1779.
À l’époque, les îles s’appelaient Îles Sandwich, nom qu’avait donné Cook en l’honneur de John Montagu de Sandwich, l’inventeur du sandwich. Attention, il ne faut pas les confondre avec les Îles Sandwich du Sud, revendiquées, comme les Îles Malouines, par l’Argentine…
Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémisphère Nord et les Îles Sandwich du Sud, revendiquées par l’Argentine.
En Italie, il y a une dizaine d’années, il y a eu un intérêt marqué pour notre tango du jour, Fantasma (fantôme) par Roberto Firpo. Comme vous allez l’entendre, cette œuvre mérite en effet l’écoute par son originalité. Mais attention, il y a fantôme et fantôme et un fantôme peut en cacher un autre.
Extrait musical
Fantasma 1939-12-28 — Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale.
Dès les premières notes, malgré le mode mineur employé, on note l’énergie dans la musique. On peut donc s’imaginer que l’on parle d’un fantôme au sens de personne vaniteuse et présomptueuse, d’un fanfaron. Écoutez donc le début avec cette idée. La partie A est tonique, en staccato. J’imagine tout à fait un fanfaron gambader dans les rues de Buenos Aires. À 28″ commence la partie B qui dévoile régulièrement un mode majeur, le fanfaron épanoui semble se réjouir, profiter de sa suffisance. Lorsque la partie A revient, elle est jouée en legato mais toujours avec le rythme pressant et bien marqué qui pousse à danser de façon tonique. On notera la virtuosité de Juan Cambareri, le mage du bandonéon qui réalise un solo époustouflant.
Les musiciens du cuarteto “Los de Antes” de Roberto Firpo. De gauche à droite, Juan Cambareri (bandonéon), Fernando Porcelli (contrebasse), Roberto Firpo (piano) et José Fernández (violon).
Le ténor, Alberto Diale, intervient à 1:25 pour une intervention de moins de 30 secondes, ce qui n’est pas gênant, car il me semble qu’il n’apporte pas une plus-value extraordinaire à l’interprétation. Cependant, comme il énonce les paroles écrites par José Roberto De Prisco, on est bien obligé de comprendre que l’on ne parle plus d’un fanfaron, même si la dernière partie avec ses envolées venteuses peut faire penser à une baudruche qui se dégonfle. Avec le sens des paroles, on peut imaginer que ce sont les fantômes que l’on chasse avec son allégresse, allégresse exprimée par les passages en mode majeur qui s’intercalent entre les passages en mode mineur. Je suis sûr que vous imaginez les fantômes qui volètent dans tous les sens à l’écoute de la dernière partie. On se souvient que Firpo a écrit plusieurs titres avec des sons réalistes, comme El amanecer et ses oiseaux merveilleux, El rápido (le train rapide), Fuegos artificiales (feu d’artifice) ou La carcajada (l’éclat de rire). Cette composition l’a donc certainement intéressé pour la possibilité d’imiter les fantômes volants. N’oublions pas que les musiciens avant les années 30 intervenaient beaucoup pour faire la musique dans les cinémas, les films étant muets, ils étaient virtuoses pour faire les bruitages.
Paroles de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco
Y si al verme, tú lo vieras, Que te muerde la conciencia, No los temas. Los fantasmas de tu pena están en ti.
Yo soy vida, vida entera. Que cantando su alegría, Va siguiendo su camino, De venturas. Que no dejan, Que se acerquen los fantasmas terrorosos de otro ayer. Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco
Traduction libre de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco
Et si, quand tu me vois, tu le voyais qui te mord la conscience, ne les crains pas, les fantômes de ton chagrin sont en toi. Je suis une vie, une vie entière. Que chantant sa joie, il poursuit son chemin d’aventures. Qu’ils ne laissent pas s’approcher les fantômes terrifiants d’un autre hier.
Mario Maurano et José Roberto De Prisco
Quelques mots sur les auteurs, qui sont peu, voire très peu connus.
Mario Maurano (1905 à Rio de Janeiro, Brésil ‑1974)
Mario Maurano était pianiste, arrangeur, directeur d’orchestre et compositeur.
Il semble abonné aux fantômes, car il a écrit la musique du film Fantasmas en Buenos Aires dirigé par Enrique Santos Discépolo et qui est sorti le 8 juillet 1942. Peut-être qu’on lui a confié la composition de la musique du film à cause de notre tango du jour. Cependant, l’histoire n’a rien à voir avec le tango et la musique du film, non plus. La présence de Discépolo, n’implique pas forcément que ce soit un film de tango… Vous pouvez voir le film ici… https://youtu.be/xtFdlXh4Vpc
L’affiche du film Fantasmas en Buenos Aires, dirigé par Enrique Discepolo et qui est sorti en 1942. Zulli Moreno est l’héroïne et prétendue fantôme. Pepa Arias, la victime d’une arnaque.
Parmi ses compositions, en plus de la musique de ce film, on peut citer :
• Canción de navidad (Chanson) (Mario Maurano Letra: Luis César Amadori)
• Cuatro campanadas (Mario Maurano Letra: Lito Bayardo — Manuel Juan García Ferrari)
• El embrujo de tu violín (Mario Maurano Letra: Armando Tagini — Armando José María Tagini)
• Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
• Por la señal de la cruz (Mario Maurano; Pedro Vescina Letra:Antonio Pomponio)
• Riendo (Alfredo Malerba; Mario Maurano; Rodolfo Sciammarella, musique et paroles)
• Un amor (Mario Maurano; Alfredo Antonio Malerba Letra: Luis Rubistein)
• Una vez en la vida (Valse) (Ricardo Malerba; Mario Maurano Letra: Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)
José Roberto De Prisco
Je n’ai pas grand-chose à dire de l’auteur des paroles, si ce n’est qu’il a écrit les paroles ou composé la musique de quelques titres en plus de Fantasma.
• Che, no hay derecho (Arturo César Senez Letra: José de Prisco) – Enregistré par Firpo.
• Desamor (Alberto Gambino y Jose De Prisco)
• Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
• Negrito (Milonga) (Alberto Soifer Letra: José De Prisco)
• Vacilación (Antonio Molina, José Roberto De Prisco Letra: Rafael Iriarte)
Deux couvertures de partition d’œuvres de José De Prisco.
Autres versions
Notre tango du jour semble orphelin en ce qui concerne les enregistrements, mais il y a un autre fantôme qui rôde, composé par Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino — Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo (Ovidio Cátulo González Castillo).
Fantasma 1939-12-28 — Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale. C’est notre tango du jour.
Intéressons-nous maintenant au fantôme de Delfy et Cátulo Castillo.
Paroles de Fantasma de Cátulo Castillo
Regresa tu fantasma cada noche, Tus ojos son los mismos y tu voz, Tu voz que va rodando entre sus goznes La vieja cantinela del adiós. Qué pálida y qué triste resucita Vestida de recuerdos, tu canción, Se aferra a esta tristeza con que gritas Llamando, en la distancia, al corazón.
Fantasma… de mi vida ya vacía Por la gris melancolía… Fantasma… de tu ausencia, sin remedio En la copa de misterio… Fantasma… de tu voz que es una sombra Regresando sin cesar, ¡Cada noche, cada hora! Tanta sed abrasadora… A esta sed abrasadora… de olvidar.
Ya no tienes las pupilas bonitas Se apagaron como una oración, Tus manos, también ya marchitas No guardaron mi canción. Sombras que acompañan tu reproche Me nublan, para siempre, el corazón… Olvidos que se encienden en la noche Agotan en alcohol, mi desesperación. Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino — Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo – (Ovidio Cátulo González Castillo)
Traduction libre de la version de Cátulo Castillo
Ton fantôme revient chaque nuit, tes yeux sont les mêmes et ta voix, ta voix qui roule entre ses gonds (Les goznes sont les charnières, gonds… mais aussi des propositions énoncées sans justification, ce qui semble être l’acception à considérer ici), le vieux refrain d’au revoir. Que de pâleur et tristesse ton chant ressuscite, vêtu de souvenirs, s’accrochant à cette tristesse avec laquelle tu cries, appelant au loin, le cœur. Fantôme… de ma vie déjà vide par une mélancolie grise… Fantôme… de ton absence, désespéré dans la coupe du mystère… Fantôme… de ta voix, qui est une ombre qui revient sans cesse, chaque soir, chaque heure ! Tant de soif brûlante… À cette soif brûlante… d’oublier. Déjà, tu n’as plus les pupilles jolies, elles se sont éteintes comme une prière. Tes mains, également déjà desséchées, n’ont pas gardé ma chanson. Les ombres qui accompagnent ton reproche embrument pour toujours le cœur… Les oublis qui s’allument dans la nuit s’épuisent dans l’alcool, mon désespoir.
Ce thème de Delfy et Cátulo Castillo a été enregistré plusieurs fois et notamment dans les versions suivantes.
Fantasma 1944-10-24 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.
L’interprétation semble en phase avec les paroles. Si c’est cohérent d’un point de vue stylistique, le résultat me semble moins adapté au bal que notre tango du jour.
Fantasma 1944-12-28 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Oscar Serpa n’est pas un chanteur pour la danse et il le confirme dans cet enregistrement.
Fantasma 2013 — Orquesta Típica Sans Souci con Walter Chino Laborde.
L’orchestre Sans Souci s’est donné comme mission de perpétuer le style de Miguel Calo. Ce n’est donc pas un hasard si vous trouvez un air de famille entre les deux enregistrements.
Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo
Il est des circonstances dans la vie qui peuvent être tristes, voire désespérantes. Aimer de façon silencieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la situation décrite dans ce tango qui, au-delà des malheurs du narrateur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sentent pas du tout condamnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs partenaires.
Enrique Santos Discépolo a écrit ce tango en 1929 pour une pièce de théâtre. Il portait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pourrait interpréter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dollar est sous Cepo en Argentine). Un truc pas bien joyeux en fait. Voici comment Discepolo décrit son intention lorsqu’il a écrit ce titre.
Discepolo parle de son intention en écrivant ce tango.
« Comment j’ai écrit “Condena”
J’ai voulu dépeindre la situation d’un homme pauvre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambitionnant tout. J’ai voulu placer cet homme face au monde, regardant passer la vie qui passe, les plaisirs qui le troublent, et il se tord dans l’impuissance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en costume élimé, avec un visage déformé, avec une démarche craintive qui voit passer une femme enveloppée de soies bruissantes et qui se mord en pensant qu’elle appartiendra à n’importe qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’insolence et qui ne pourra jamais être pour lui. Et j’ai ressenti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Luttant contre l’impuissance, l’envie et l’échec. Et cette douleur énorme et concentrée de l’homme enchaîné dans son triste destin, face au bonheur qui passe sans le toucher, c’est ce que j’ai voulu transmettre bien et profondément ; torturé, mais sans pleurer. »
En 1931, à la tête de son orchestre, Discepolo ressort ce tango, sans nom particulier. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent donné par Canaro pour l’occasion sauva le projet de voyage de Discepolo et de sa compagne Tania et, lorsque Canaro demanda le titre du tango à Discepolo, celui-ci lui répondit qu’il pouvait mettre le titre qu’il voulait. S.O.S. a été utilisé, comme dans le disque de Lomuto, car, l’achat de Canaro a sauvé Discepolo. En revanche, en 1937, Canaro a utilisé le nom “Condena” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Maida. On associe désormais les deux titres. En 1937, toujours, Discepolo participe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Amanda Lesdesma chante deux fois le titre, comme vous pourrez le voir et l’entendre dans cet article.
Disque Victor de Condena par Francisco Lomuto On remarque que le disque porte la mention S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Condena.
Les pas lourds de la condamnation démarrent le titre, suivi de passages legato en contraste. À 32s commence la partie B avec les superbes bandonéons de Martín Darré, Américo Fígola, Luis Zinkes et Miguel Jurado qui venait de remplacer Víctor Lomuto le frère de Francisco qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils). Dans ce passage, le rythme est marqué de façon très originale avec le premier temps un peu sourd et grave (contrebasse de Hamlet Greco et percussions de Desio Cilotta) et les trois suivants plus forts, exprimés notamment par les bandonéons en staccato. Comme pour la première partie, le contraste des legatos termine cette partie A. Un pont de 55s à 1′ relance la partie A qui présente un passage piano, ce qui rompt la monotonie et qui semble annoncer quelque chose. Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui apparaît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de violon enchanteur et particulièrement grave (utilisation d’un alto ?) magnifie l’interprétation. Il est réalisé par Leopoldo Schiffrin (Leo), qui avait intégré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le premier violon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui partait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le compositeur Lalo Schiffrin (Boris Claudio Schifrin) qui a notamment fait la musique du film de Carlos Saura « Tango ». Le rythme à quatre temps avec le premier temps faible et grave est repris et donne une expression originale supplémentaire à ce passage. La variation finale, permet de mettre en valeur les instruments à vent de l’orchestre. Cette variation est annoncée par un long pont à la tonalité changeante de 2:02 à 2:10 où apparaissent le saxophone et la clarinette de Carmelo Aguila et Primo Staderi. Il est impossible de savoir qui jouait tel ou tel instrument lors de cet enregistrement, car les deux jouaient du saxo et de la clarinette. À 2:28, on remarquera, après un trait de piano (Oscar Napolitano), une courte envolée de la clarinette qui précède les deux accords terminaux.
Paroles
Yo quisiera saber qué destino brutal me condena al horror de este infierno en que estoy… Castigao como un vil, pa’ que sufra en mi error el fracaso de un ansia de amor. Condenao al dolor de saber pa’ mi mal que vos nunca serás, nunca… no para mí. Que sos de otro… y que hablar, es no verte ya más, es perderte pa’ siempre y morir.
He arrastrao llorando la esperanza de olvidar, enfangando mi alma en cien amores, sin piedad. Sueño inútil. No he podido No, olvidar… Hoy como ayer ciego y brutal me abraso en ansias por vos.
Y lo peor, lo bestial de este drama sin fin es que vos ni sabés de mi amor infernal… Que me has dao tu amistad y él me brinda su fe, y ninguno sospecha mi mal… ¿Quién me hirió de este amor que no puedo apagar? ¿Quién me empuja a matar la razón como un vil? ¿Son tus ojos quizás? ¿O es tu voz quien me ató?… ¿O en tu andar se entremece mi amor? Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra : Enrique Santos Discépolo
Traduction libre
Je voudrais savoir quel sort brutal me condamne à l’horreur de cet enfer dans lequel je suis… Punis comme un vil, pour que je souffre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour. Condamné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi. Que tu sois à un autre (sos signifie tu es. Il est utilisé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que parler, ce soit ne plus te voir, c’est te perdre à jamais et mourir. Je me suis traîné, pleurant l’espoir d’oublier, en embrouillant mon âme dans cent amours, sans pitié. Rêve inutile. Je n’ai pas été capable d’oublier… Aujourd’hui, comme hier, aveugle et brutal, je brûle de te désirer. Et le pire, le bestial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infernal… Que tu m’as donné ton amitié et lui m’a donné sa foi, et que personne ne soupçonne mon mal… Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas éteindre ? Qui me pousse à tuer la raison comme un vil ? Ce sont tes yeux, peut-être ? Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?… Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?
Autres versions
Les versions de Canaro sont sans doute les plus diffusées, mais notre tango du jour prouve qu’il y a des alternatives, certaines pour la danse, d’autre pour l’écoute et certaines, pour l’oubli…
On trouve des similitudes, comme souvent, entre la version de Lomuto et celle de Canaro. La clarinette est encore plus présente et brillante. Canaro a fait appel pour cet enregistrement à des musiciens de son ensemble de jazz. La très originale variation de Lomuto n’existe pas dans cette version de Canaro et une certaine monotonie peut donc se dégager de cette version. Cela ne dérangera pas forcément les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des éléments qui a conduit Canaro à réenregistrer le titre en 1937, avec Roberto Maida.
Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Amanda Lesdesma chante deux fois Condena
Amanda Lesdesma chante deux fois Condena dans le film “Melodías Porteñas” réalisé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scénario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique Santos Discépolo. Les rôles principaux sont tenus par Rosita Contreras, Enrique Santos Discépolo et Amanda Ledesma. Un autre intérêt du film est que Enrique Santos Discépolo, auteur de la musique et des paroles est également acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…
Condena 1937 — Amanda Lesdesma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Montage des deux interprétations dans le film.Condena (S.O.S.) 1937-11-05 — Amanda Lesdesma y su Trío Típico.
Une jolie version qui profite de son succès dans le film “Melodías Porteñas”.
Condena (S.O.S.) 1937-11-08 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
L’intervention de Maida casse la monotonie du titre. C’est à mon sens une meilleure version si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette version reste tout à fait tonique et incisive, un délice pour les danseurs qui marquent les pas ou qui aiment le canyengue.
Un des intérêts de cet enregistrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa compagne. L’introduction du violon marque que l’on entre dans un univers différent des versions de Canaro et Lomuto. C’est une version pour l’écoute et on aurait tort de se priver de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà rencontrée, cette chanteuse espagnole, car c’est elle qui a importé en Argentine « Fumando espero » avec le Conjunto The Mexicans.
Tania et DiscepoloCondena (S.O.S.) 1954 — Héctor Mauré con acomp. de Orquesta Juan Sánchez Gorio.
La voix de ténor de Héctor Mauré est un peu plus lourde dans cet enregistrement. C’est pour l’écoute et chanté avec sentiment.
Condena (S.O.S.) 1969 — Alberto Marino con orquesta.
J’ai évoqué des versions à oublier. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « surjouée »…
Hyperion et l’ami Rubén font de belles versions pour la danse. On remarquera la fin, assez originale.
Condena (S.O.S.) 2015 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.
Une des spécialités du Sexteto Cristal est de ressortir les gros succès des encuentros milongueros. Cette copie de la version de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut convenir à certains danseurs qui apprécieront la meilleure qualité de l’enregistrement. En presque un siècle, de gros progrès ont été faits de ce côté…
Pour terminer, toujours avec le Sexteto Cristal, un enregistrement vidéo de Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47.
Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47
Les fans du Sexteto Cristal pourront entendre le concert en entier… À vous de danser et à bientôt les amis.
N’ayant pas de tango enregistré un 25 décembre, je vous propose de nous intéresser à une des compositions les plus célèbres d’Argentine, la Misa criolla. On parle de Misa criolla, mais en le faisant on risque d’occulter la face B du disque qui comporte une autre composition d’Ariel Ramírez et Felix Luna, Navidad nuestra. C’est cette œuvre qui est de circonstance en ce 25 décembre 2024, 60 ans après sa création. Ce fut mon premier disque, offert par ma marraine, j’ai donc une affection particulière pour ces deux œuvres.
Misa criolla et Navidad nuestra – Extraits musicaux
Ariel Ramírez s’est inspiré de rythmes traditionnels de son pays (mais pas que) pour composer les cinq œuvres qui composent la Misa criolla (Face A) et les six qui constituent Navidad nuestra (Face B). J’ai ajouté quelques éléments sonores en illustration. Ils ne sont pas précédés de la lettre A ou B qui sont réservées aux faces A et B du disque d’origine.
À gauche, le disque sorti en Argentine en 1965. cette couverture restera la même pour les éditions argentines ultérieures. Au centre, une édition française. Elle utilise l’illustration de la première édition (1964) et qui a été éditée en Nouvelle-Zélande. Mon disque portait cette illustration et pas celle de l’édition argentine, postérieure d’un an.
Misa criolla
A1: Misa Criolla — Kyrie — Vidala-Baguala
La vidala et la baguala sont deux expressions chantées du Nord-Ouest de l’Argentine accompagnées d’une caja.
Une caja qui accompagne le chant de la Videla et de la baguala.Baguala Con mi caja cantar quiro.
On reconnaît la caja qui est frappée sur un rythme ternaire, mais seulement sur deux des trois temps, créant ainsi un temps de silence dans la percussion. Cela donne une dimension majestueuse à la musique. Ariel Ramírez utilise ce rythme de façon partielle. On l’entend par exemple dans le premier chœur, dans les silences du chant.
Pour créer un thème en contraste, Ariel Ramírez utilise deux rythmes différents, également du Nord-Ouest. Le carnavalito allègre et enjoué et le yaravi, plus calme, très calme, fait de longues phrases. Le yaravi est triste, car utilisé dans les rites funéraires. Il s’oppose donc au carnavalito, qui est une danse de groupe festive. Vous reconnaîtrez facilement les deux rythmes à l’écoute.
Vous reconnaîtrez facilement le rythme de la chacarera. Ici, une chacarera simple à 8 compases. Même si elle est trunca, vous pourriez la danser, la trunca est juste une différenciation d’accentuation des temps. Ariel Ramírez, cependant, ne respecte pas la pause intermédiaire, il préfère donner une continuité à l’œuvre.
Encore un rythme correspondant à une danse festive, même si Ariel Ramírez y intercale des passages d’inspiration plus religieuse. On notera que cette forme de carnaval n’est pas argentine, mais bolivienne.
A5: Misa Criolla — Agnus Dei — Estilo Pampeano.
Le Estilo n’est pas exactement un rythme particulier, car il mélange plusieurs genres. C’est une expression de la pampa argentine. Après le motif du départ en introduction, on remarque une inspiration du Yaravi. Le clavecin d’Ariel Ramírez apporte une légèreté dans les transitions.
Navidad nuestra
Commence ici la face B et une autre œuvre, consacrée à la naissance de Jésus, de l’annonciation à la fuite en Égypte.
B1: Navidad Nuestra — La Anunciación – Chamame.
Le chamame, cette danse joyeuse et festive, jouée à l’accordéon, est typique de la province de Corrientes. Certains danseurs européens s’évertuent à danser en milonga…
Partition de La Anunciación, premier thème de la Navidad nuestra.
Milonga para as missões — Renato Borghetti. Oui, c’est un chamamé, pas une milonga…B2: Navidad Nuestra — La Peregrinación — Huella Pampeana.
La huella est une danse associant des tours, des voltes et des zapateos, ce qui rappellera un peu la chacarera ou le gato. La Peregrinación raconte la quête par Jose et Maria (Joseph et Marie) d’un endroit pour la naissance de Jésus. Ils sont dans la pampa gelée, au milieu des chardons et orties. Je vous donne en prime la merveilleuse version de la Negra (Mercedes Sosa).
La Peregrinación — Mercedes Sosa.B3: Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena.
On retrouve le rythme calme de la vidala pour annoncer la naissance. Je vous propose les paroles ci-dessous.
B4: Navidad Nuestra — Los Pastores — Chaya Riojana.
Là, il ne s’agit pas d’une musique traditionnelle, mais d’une fête qui a lieu à la Rioja. La Chaya est une belle Indienne qui tombe amoureuse d’un jeune homme coureur de jupons. Celui-ci ignore la belle qui ira s’exiler dans les montagnes. Pris de remords, il décide de la retrouver et, finalement, il rentre à la Rioja, se saoule et brûle vif dans un poêle. Tous les ans, la fête célèbre l’extinction du jeune homme en feu avec les larmes de Chaya. Aujourd’hui, cette ancienne fête est plutôt un festival de folklore où se succèdent différents orchestres.
B5: Navidad Nuestra — Los Reyes Magos – Takirari.
Le Takirari est une danse bolivienne qui a des parentés avec le carnavalito. Les danseurs sautent, se donnent le coude et tournent en ronde. C’est donc une musique joyeuse et vive.
Encore une vidala qui imprime son rythme triste. On sent les pas lourds de l’âne qui mène Marie et Jésus en Égypte. La musique se termine par un decrescendo qui pourrait simuler l’éloignement de la fuite.
Voilà, ici se termine notre tour de la Misa criolla et de la Navida nuestra. On voit que, contrairement à ce qui est généralement affirmé, seuls quelques rythmes du folklore argentin sont présentés et que deux thèmes sont d’inspiration bolivienne.
À propos des paroles
En Argentine, qui n’est pas un pays laïque, la religion est importante. Je devrais dire les religions, car, si le catholicisme des Espagnols est important, il me semble que les évangélistes sont bien plus présents si on en juge par le nombre d’églises évangélistes. Les autres religions monothéistes sont également bien représentées dans ce pays qui a accueilli en masse les juifs chassés d’Europe et les nazis. Cette œuvre a d’ailleurs été écrite à la suite du témoignage de deux sœurs allemandes rencontrées à Würzburg et qui lui ont conté les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. On note aussi en Argentine diverses religions, ou plutôt cultes, comme celui du Gauchito Gil, de Difunta Correa ou tout simplement de footballeurs comme Maradona. Les paroles de Felix Luna ont été écrites à partir de textes liturgiques révisés par Antonio Osvaldo Catena, Alejandro Mayol et Jesús Gabriel Segade, trois prêtres, dont le dernier était aussi le directeur de la Cantoria de la Basílica del Socorro qui a enregistré la première version avec Ariel Ramírez. À ce sujet, ce chœur, le deuxième plus ancien d’Argentine, est en péril à la suite de la perte de son financement. La culture n’est plus à la mode en Argentine. Leur dernier concert a eu lieu il y a une dizaine de jours pour les 60 ans de la Misa criolla. Ils recherchent un sponsor. Si vous avez des pistes, vous pouvez écrire à panella.giovanni85@gmail.com.
La troupe de la Missa criolla a fait une tournée en Europe en 1967. L’affiche du dernier concert de la Cantoria de la Basílica del Socorro pour les 60 ans de l’œuvre.
Paroles (Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena)
Noche anunciada, noche de amor Dios ha nacido, pétalo y flor Todo es silencio y serenidad Paz a los hombres, es Navidad
En el pesebre mi Redentor Es mensajero de paz y amor Cuando sonríe se hace la luz Y en sus bracitos crece una cruz
(Ángeles canten sobre el portal) Dios ha nacido, es Navidad
Esta es la noche que prometió Dios a los hombres y ya llegó Es Nochebuena, no hay que dormir Dios ha nacido, Dios está aquí Ariel Ramírez Letra: Felix Luna
Traduction libre de Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena
Nuit annoncée, nuit d’amour. Dieu est né, pétale et fleur. Tout n’est que silence et sérénité. Paix aux hommes, c’est Noël Dans la crèche, mon Rédempteur est un messager de paix et d’amour. Quand il sourit, il y a de la lumière et une croix pousse dans ses bras. (Les anges chantent au-dessus de la porte), Dieu est né, c’est Noël C’est la nuit que Dieu a promise aux hommes et elle est déjà arrivée. C’est la veille de Noël, il ne faut pas dormir, Dieu est né, Dieu est là.
À propos de la première version de la Misa criolla et de Navidad nuestra
Il y a de très nombreuses versions de la Misa criolla et de Navidad nuestra. Je vous propose uniquement de mieux connaître la version initiale, celle qui a été enregistrée en 1964.
L’orchestre
Ariel Ramírez: Direction générale, piano et clavecin. Jaime Torres: charango. Luis Amaya, Juancito el Peregrino et José Medina: guitare criolla. Raúl Barboza: accordéon pour le chamame «La anunciación». Alfredo Remus: contrebasse Domingo Cura: percussions. Chango Farías Gómez: bombo et accessoires de percussion.
Les chanteurs
Les quatre chanteurs de Los Fronterizos (Gerardo López, Eduardo Madeo, César Isella et Juan Carlos Moreno): chanteurs solistes. Cantoría de la Basílica del Socorro: chœur Jesús Gabriel Segade: directeur de la Cantoría.
De gauche à droite. La Negra (Mercedes Sosa, qui a beaucoup travaillé avec Ariel Ramírez), Felix Luna (auteur des paroles) et Ariel Ramírez (compositeur) au piano et en portrait à droite.
À bientôt les amis. Je vous souhaite de joyeuses fêtes et un monde de paix où tous les humains pourront chanter et danser pour oublier leurs tristesses et exprimer leurs joies.
PS : Gérard Cardonnet a fait le commentaire suivant et je trouve cela très intéressant :
« Excellent, Bernardo. Mais s’agissant de messe, quand on parle de compositeurs argentins, comment ne pas citer la “Misa a Buenos Aires”, dite Misatango, de Martin Palmeri. https://www.choeurdesabbesses.fr/…/la-misatango-de…/ » Voilà, maintenant, c’est écrit.
Et comme de bien entendu, j’en rajoute une petite couche avec la réponse :
« Gérard, comme tu l’as remarqué, c’était plutôt Navidad nuestra qui était d’actualité, Noël étant lié à la naissance. J’ai d’ailleurs mis en avant El nacimiento en en mentionnant les paroles. Pour ce qui est de la Misatango, elle fait clairement référence à Piazzolla. Mon propos était de changer l’éclairage sur l’Argentine pour parler des musiques traditionnelles. C’est promis, un de ces jours je mettrais les pieds dans le Piazzolla. La Misatango est une œuvre superbe. Tu la cites avec beaucoup de raison. J’aurais aussi pu parler de tangos de saison avec quelques titres qui évoquent les fêtes de fin d’année comme : Pour Noël Nochebuena Bendita nochebuena Feliz nochebuena El vals de nochebuena Navidad Feliz Navidad Navidad de los morenos Candombe en Navidad Pour le Jour de l’an Año nuevo Pour les Rois mages (6 janvier) Noche de reyes Un regalo de reyes 6 de enero (6 janvier, jour des Rois mages). Papa Baltasar »
Je ne veux pas vous faire passer un amer Noël, mais, curieusement, les tangos enregistrés le 24 décembre ne sont pas d’une grande gaieté. J’ai choisi un des moins désespérants, Sin un adiós que Donato et Ibáñez enregistrèrent la veille de Noël 1931.
Extrait musical
Sin un adiós 1931-12-24 — Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.
Ce titre est assez original à cause du solo de piano de son frère, Osvaldo. Le jeu est un peu jazzy. Vous pouvez l’entendre à partir de 35 secondes. C’est la partie B. À 1′10″ la reprise de la partie A est presque un soulagement de retrouver une orchestration plus habituelle, pour les danseurs. La reprise de la partie B sera effectuée par Teófilo Ibáñez, qui restera accompagné par tout l’orchestre, marquant le rythme. Je reviens sur ce surprenant solo de piano. Est-ce que Edgardo a voulu faire une fleur à son frère en cette veille de Noël ? Seize ans plus tard, Osvaldo créera son propre orchestre en embarquant les musiciens de son frère, dont il avait quitté le poste de pianiste l’année précédente. Osvaldo (pianiste) et Ascanio (violoncelliste) sont plus discrets que leur frère Edgardo (violoniste). Ce solo de piano permet de mettre Osvaldo en lumière, une trentaine de secondes.
Paroles
Errante voy sin fe y sin esperanza Buscando alivio a mi dolor Con su visión se pierde en lontananza Y muerta está, en mi alma, la ilusión.
Ya no volveré a verla más, ni alcanzan Todas mis cuitas y mi pasión Se marchó y llorando su tardanza Aún está mi pobre corazón. J. Navarrete Letra: Francisco Antonio Lío
Traduction libre
Errant, je vais sans foi et sans espoir, cherchant un soulagement à ma douleur. Avec sa vision qui se perd dans le lointain et morte est dans mon âme, l’illusion (sentiment amoureux). Je ne la reverrai jamais, et tous mes désirs et ma passion n’y arriveront pas. Elle est partie et pleurant son retard, toujours est mon pauvre cœur.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de ce thème, même si le titre a été utilisé à de très nombreuses reprises, en tango et dans d’autres rythmes, mais ce sont des créations d’autres auteurs. Je vous propose donc un parcours musical autour des titres enregistrés par Donato et dans lesquels il y a le mot “adiós”.
Sur le disque, il est indiqué que c’est un Corrido. Je n’en suis pas totalement convaincu. Quoi qu’il en soit, Horacio Lagos chante le refrain composé et écrit par Rafael Hernández en l’honneur de Gardel, mort en 1935.
Les amateurs de vieux tangos apprécient l’association de Edgardo Donato et Roberto Zerrillo. Comme c’est Noël, je leur offre cet enregistrement…
El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Je n’étais pas très enthousiaste avec les autres titres proposés, mais là, on est devant un chef-d’œuvre. Alors, quoi de mieux pour vous dire à bientôt, les amis, et Joyeux Noël !
Sin un adiós. Petit délire de saison (même s’il fait trente degrés à Buenos Aires). Espérons que le Père Noël retrouvera sa Mère Noël et qu’il vous déposera plein de cadeaux mérités au pied de votre arbolito de navidad.
Depuis quelques années, les valses de l’orchestre Típica Victor ont les faveurs des danseurs, notamment en Europe. Il faut dire qu’elles sont magnifiques et que, comme tous les enregistrements de cet orchestre, elles sont destinées à la danse. Vous vous demandez peut-être ce que Frida Kahlo vient faire dans la couverture d’un article sur une valse argentine, vous aurez la réponse 😉
Extrait musical
Tehuana 1939-12-23 — Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.
La superbe introduction nous invite à découvrir un air nostalgique en do mineur. Enfin, en l’absence de la partition, il est difficile de savoir quelle est la tonalité, car si la version la plus courante est en Do# mineur et dure 3′03″, ma version qui est en Do mineur dure 3′15″. La tonalité plus grave est causée par une rotation moins rapide du disque. Ou plutôt, ce sont, à mon avis, les versions courantes qui sont plus rapides et à mon goût trop rapide. J’ai fait la demande de la partition auprès du CENEDIM (Centro Nacional de Investigación, Documentación e Información Musical Carlos Chávez), je mettrai à jour si j’ai une réponse positive. Cette tendance à accélérer la musique pour la rendre plus brillante n’est pas gênante en soi et en milonga, il m’arrive très souvent de changer la vitesse pour adapter le titre au besoin du moment en milonga. Par exemple, si je vois que les danseurs ont envie de danser sur un rythme rapide, je peux légèrement accélérer la valse et arriver à la durée de la version de 3′03″ éditée par Le Club de tango dans son CD Orquesta Típica Victor Vol. 21 (1939–1941). Cette version n’est pas d’une qualité optimale et je pense donc préférable d’utiliser un enregistrement depuis le disque original 38862 (78 tours) édité par la Victor (on s’en doute, vu que c’est son orchestre). Sur ce disque, la face B comporte un paso doble Amoríos composé par Alex Schneider, ce qui permet de rappeler la polyvalence des orchestres et la plus grande diversité des danses pratiquées dans les bals de l’époque. Après cette (très) longue digression, revenons à notre valse. La première partie, tout comme l’introduction, est en mode mineur. À 43″ on remarque le pont qui permet d’assurer la transition avec la seconde partie, qui, elle, est en majoritairement mode majeur, tout au moins à partir d’une minute. Le fait que le titre soit sans partie chantée (Alfonso Esparza Oteo avait écrit des paroles) peut donner une impression de monotonie, cependant, les jolis ornements du bandonéon, notamment dans la seconde partie (à partir de 2′11″) font qu’on se laisse porter, un peu en transe, sans avoir l’impression de danser la même chose. Le final ralentit le rythme, pour que les danseurs puissent sortir de l’hypnose, sans danger.
Que vient faire Frida Kahlo dans cette histoire ?
Frida Kahlo (peintre et modèle), à gauche et 2 femmes, à droite, en costume de Tehuana.
Comme vous le savez, Frida Kahlo est une peintre mexicaine avec une vie singulière, voire semi-tragique. Elle était d’origine Tehuana, une province du sud du Mexique. Elle s’est représentée avec ce costume traditionnel et notamment El resplandor, la coiffe que portent également les deux femmes sur la photo de droite. On remarquera sur son front le terrible Diego Rivera, dont elle venait de divorcer (1940), mais qui reste dans ses pensées.
Frida Kahlo devant son autoportrait terminé (donc après 1943) et à droite, un médaillon où elle porte le resplandor (1948).
Tehuana, le nom de notre valse du jour vient donc du Mexique. Alfonso Esparza Oteo, le compositeur et l’auteur des paroles, est également Mexicain. Cette valse aurait pu rester purement mexicaine si Freddy Scorticati et la Típica Victor ne l’avaient pas enregistrée. Il se peut aussi que d’autres orchestres argentins l’aient jouée sans l’enregistrer. La Tehuana n’étant probablement pas Frida Kahlo, j’ai essayé diverses pistes pour l’identifier. Ce n’est pas sa femme, qu’il a rencontrée en 1925 et épousée en 1926, car celle-ci était originaire de Arandas (Jalisco) et donc pas de la région de l’Isthme de Tehuantepec.
À gauche Blanca Torres Portillo à 17 ans, un an avant de rencontrer Alfonso Esparza Oteo. À droite, les jeunes époux en 1926. Blanca a 17 ans et Alfonso, 32. Ils auront 9 enfants.
Tehuana date de la décennie suivant son mariage et comme il était heureux en ménage, contrairement à Frida, il est peu probable que le titre suggère une liaison de cette époque.
Peut-être qu’ une des quatre femmes qui entourent Alfonso et Blanca, sa femme a inspiré Tehuana. Mais sans la tenue traditionnelle, c’est impossible à vérifier 😉
Si on consulte son catalogue, certaines femmes sont évoquées et il se peut donc que Tehuana soit une ancienne compagne, ou tout simplement un thème qui chante son pays, comme beaucoup de ses compositions.
Autres versions
Alfonso Esparza Oteo a composé environ 150 œuvres. Quelques-unes sont sorties du domaine de la musique mexicaine pour intégrer le répertoire argentin. C’est le cas de notre valse du jour et de quelques autres que je vous propose d’écouter.
Tehuana 1939-12-23 — Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.
C’est notre valse du jour et bien qu’elle soit magnifique, elle ne semble pas avoir inspiré d’autres orchestres.
Carta de amor (Alfonso Esparza Oteo letra: Gustavo Ruiz Hoyos)
Carta de amor 1930-06-03 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.Carta de amor 1930-06-13 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.
Cette version enregistrée seulement 10 jours après la première, par les mêmes, est une habitude chez Canaro. Il enregistre une version pour le bal et une version pour l’écoute.
Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo letra: Alfonso Espriu Herrera)
Ce titre est un des gros succès, de Alfonso Esparza Oteo comme en témoignent divers enregistrements en tango, mais aussi sous d’autres formes…
Partition de Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo, letra: Alfonso Espriu Herrera)Dime que sí 1938-11-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
Un rythme enjoué et entraînant. La voix de Jorge Omar, s’inscrit parfaitement dans le rythme. Je trouve que c’est une belle réalisation qui devrait pouvoir intéresser les danseurs, même si cette version est peu connue. Remarquez son final un peu théâtral, digne de la bande sonore d’un film…
Dime que sí 1938-11-29 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
Dime que sí 1938-11-29 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor. Canaro enregistre un autre titre de Alfonso Esparza Oteo. Contrairement à Lomuto, Canaro a choisi un tempo très lent. Je ne suis pas convaincu que ce soit parfait pour le bal et la voix de Francisco Amor, ne me semble pas au mieux. Il y a tant de valses plus efficaces, qu’il ne me semble pas utile de prendre des risques avec cette version.
Dime que sí 1938-12-30 — Juan Arvizu con orquesta.
Juan Arvizu est également d’origine mexicaine, ce qui l’a sans doute incité à enregistrer cette valse écrite par son compatriote. Il a également enregistré la Zandunga, cette valse traditionnelle originaire de Tehuantepec (tout comme Canaro). Pour parler de cette interprétation, elle ne manque pas d’enthousiasme mais est peut-être un peu trop brouillonne pour les danseurs.
Dime que sí 1939-08-14 (Avant) — Pedro Vargas con orquesta de José Sabre Marroquín.
Un enregistrement réalisé à Mexico, sans doute au début de 1939 (imprécision sur la date à cause d’une erreur dans les registres de la Victor). Le ténor Pedro Vargas est également Mexicain. Il réenregistrera le titre 39 ans plus tard, toujours à Mexico…
Dime Que Sí (en vivo) 1978 · Pedro Vargas con Orquesta Sinfónica del Estado de México. Concierto en vivo en el Palacio de Bellas Artes — 50 Aniversario 1928 ‑1978 – Arrangements de Pocho PérezDime que sí 2024 — Mariachi Imperial Azteca — Orquesta Sinfónica de Aguascalientes.
Aguascalientes est la ville de Alfonso Esparza Oteo. On s’est bien éloigné de la valse argentine. L’action de mémoire de sa ville natale n’est sans doute pas étrangère à la permanence du succès des œuvres de ce compositeur qui était en train de jouer une de ses œuvres, “Limoncito”, quand José de León Tora, un caricaturiste, s’est approché du général Álvaro Obregón, président du Mexique qu’il a abattu de nombreuses balles de pistolet. Alfonso et son orchestre ont continué de jouer l’œuvre, sans se rendre compte de ce qui s’était passé, ou, s’ils s’en sont rendu compte, ils sont restés drôlement professionnels…
La ville mexicaine de Aguascalientes (eaux chaudes) est fière de son compositeur et divers monuments le célèbrent dans la ville et une rue porte son nom.
Pour terminer cette petite série, une curiosité, une version par un orchestre symphonique avec un joli duo, soprano et ténor. En fait, ce n’est pas si rare, cette valse est souvent jouée en concert de musique classique et notamment sous forme piano plus chant.
Dime que sí 2014-11-15 — Verónica De Larrea (soprano) y Víctor Campos Leal (tenor), Orchestre symphonique de l’Université Frédéric Chopin de Varsovie.
À bientôt, les amis, en espérant que les problèmes d’attaque du site de cette semaine ne vont pas se reproduire.
De floreo de Julio Carrasco est l’élément central d’une trilogie de trois tangos. Flor de tango (1945), De floreo (1950) et Mi lamento (1954). De floreo peut avoir différentes significations allant d’un bavardage inutile ou léger, par exemple, un piropo (compliment à une femme que l’on cherche à conquérir) à une danse parfaitement maîtrisée. Pour ma part, j’ai choisi une autre acception, celle du musicien épanoui qui domine son instrument. Il n’est qu’à écouter le solo de violon de Enrique Camerano pour se conforter dans cette idée.
Extrait musical
De floreo. Partition, Disque Odeon 30610B (matrice 17601), pochette et disque vinyle 4334 de EMI. De floreo est le sixième et dernier titre de la face A, mais aussi le nom de l’album, ce qui témoigne de son succès.De floreo 1950-03-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0 h 35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese. Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs. Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie. Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs. Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur. Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese. À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments. Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.
Détail du revers de la pochette du disque 33 tours De floreo édité par EMI sous le numéro 4334.
On retrouvera bien sûr des accents de Pugliese dans cette version de Color Tango. Son créateur, Roberto Álvarez, était l’un des arrangeurs de Pugliese (même si dans son orchestre, la plupart des musiciens étaient aussi arrangeurs). J’en profite pour rappeler qu’il y a eu deux et même trois orchestres Color Tango, tous héritiers de Pugliese. L’orchestre originel “Color Tango” créé par Roberto Álvarez (bandonéoniste de Pugliese), Amílcar Tolosa (violoniste de Pugliese) et Fernando Rodríguez (contrebassiste de Pugliese). À la suite d’un désaccord, l’orchestre se scinda en deux parties égales et Roberto Álvarez et Amílcar Tolosa dirigèrent chacun un orchestre “Color Tango”. Comme les deux orchestres avaient les mêmes droits à porter ce nom, ce fut un peu compliqué, mais un accord a été trouvé et les deux orchestres ont coexisté avec le nom de leur directeur accolé. Color Tango de Roberto Álvarez et Color Tango de Amílcar Tolosa. À ce sujet, une petite remarque. Les orchestres ne restent pas tous immuables et au fil du temps, des musiciens sont remplacés. Aujourd’hui, la situation est encore plus marquée. Les orchestres voyageant à travers le monde, ils ont souvent recours à des musiciens différents suivant les lieux de la tournée ou suivant les engagements déjà pris avec un autre orchestre par un instrumentiste. La séparation de l’orchestre avec le même nom n’est donc pas si surprenante, mais c’est bien que le nom les différencie, même si la plupart des éditions restent vagues sur le sujet. Un Color Tango peut en cacher un autre.
Voici une version en vidéo par Martin Klett & Ensemble.
De floreo 2019c — Martin Klett & Ensemble
La trilogie de Julio Carrasco
Comme indiqué ci-dessus, De floreo fait partie d’une trilogie composée par Julio Carrasco. Voici les trois titres à l’écoute. Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.
Flor de tango 1945-08-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese
La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur. À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique. En résumé, je ne passerai ce titre en milonga qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible. On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.
De floreo 1950-03-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser de floreo… Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.
Mi lamento 1954-03-17 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la tonalité de Fa # mineur. Certains passages comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition.
Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout Julio Carrasco et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin. La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano. Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants, mais celui de De floreo a sans doute ma préférence et comme il est sur le titre le plus dansable des trois, je passerai De floreo en priorité.
Et s’il fallait faire une tanda avec De floreo
Je propose cet exercice qui consiste à faire une tanda de Pugliese un peu moins consensuelle. Dans une milonga courte, je ne m’y risquerai sans doute pas et je resterai avec la vingtaine de titres validés par les danseurs. Mais admettons que je sois en présence de danseurs curieux, n’ayant pas peur de se mettre en « danger ». Dans cette tanda, je ne passerai probablement pas deux des titres de la trilogie, sauf si je vois que l’accueil est très bon et seulement pour des tandas de quatre titres et pas de trois comme cela se fait de plus en plus (difficile de passer un de ces titres en premier et en dernier, il en faut donc a minima un avant et un après). Pour donner un peu de variété à la tanda en gardant un esprit un peu decaréen, je pourrais proposer.
Une composition de De Caro, assez connue et qui peut donc rassurer en premier thème.
2) De floreo en deuxième, car pas suffisamment connu pour bien faire lever les danseurs. Ce titre servira d’aiguillage. Si je vois qu’il est parfaitement adopté, je pourrai envisager de passer Mi lamento en 3e titre. Si je sens que c’est passable, sans plus, je reviendrais à un peu plus facile avec, par exemple :
3) Bien milonga 1951-07-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pas trop difficile à danser et avec un beau solo de violon pour rester dans l’esprit de De floreo.
4) La cachila 1952-11-24 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Avec des passages très “yumba”. Ce titre très connu, plus facile à danser, pourrait terminer la tanda.
Si je vois qu’il faut raccrocher les wagons, je pourrais passer à Canaro à Paris en troisième titre de la tanda, qui est plus rassurant pour les danseurs et qui comporte de magnifiques solos de bandonéon et de violoncelle.
3) alternative selon la réception de De floreo. Canaro en París 1949-11-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese
Le 4e titre pourra être un titre « phare de Pugliese », même si cela nuit un peu à l’harmonie de la tanda. Sinon, La Cachila pourra faire l’affaire.
Si je vois que Boedo ne passe pas très bien (tous les danseurs ne sont pas sur la piste), j’activerai l’aiguillage plus tôt et je basculerai vers les grands standards, en ne passant donc pas De floreo et autres. Passer une tanda de Pugliese avec des titres peu connus donne des sueurs froides au DJ. Pour cette raison, il est indispensable, lorsque l’on ne connaît pas le public, d’être prêt à tout changer à la volée et c’est un bon exemple de l’impossibilité de faire des playlists à l’avance, sauf si on est DJ résident et que l’on passe la musique toutes les semaines dans le même lieu, car, dans ce cas, on apprivoise les danseurs en formant leur goût. C’est d’ailleurs une responsabilité du DJ résident, car à routiner les danseurs sur un style de musique, on risque de les éloigner de la communauté tanguera. Par exemple, dans certaines milongas, le DJ résident met beaucoup de tango alternatif ou des titres peu typiques. Les danseurs s’y habituent et ont ensuite du mal à aller dans des milongas « normales ». Ouvrir les oreilles et les horizons, c’est bien, mais il ne faut pas oublier le cœur du tango. À bientôt les amis !
De floreo 1950-03-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese – L’écoute des tourbillons de musique qui entrent dans les oreilles.
On disait de Aníbal Troilo qu’il savait faire pleurer son bandonéon, mais ce caractère est souvent attribué à cet instrument, bien qu’il dispose d’un répertoire d’interprétation bien plus vaste qui va de la colère la plus noire à la joie la plus légère. Cette partition de Tanturi avec des paroles de Cadícamo explore le côté triste de l’instrument, ce que sait rendre avec une rare émotion, Enrique Campos au chant. Un magnifique tango, sans doute trop méconnu. La vedette de cette anecdote sera le bandonéon et ses sentiments.
Extrait musical
Sollozo de bandoneón 1943-12-16 — Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos.
Le mode de sol mineur annonce la tristesse du morceau. Il continuera durant toute l’œuvre, sans passage en mode majeur, ce qui donne mieux l’idée de l’oppression subie par le narrateur. L’orchestre de Tanturi, à l’époque de cet enregistrement, comportait quatre bandonéonistes : Francisco Ferraro, Raúl Iglesias, Héctor Gondre et Juan Saettone.
Paroles
Ven a bailar, que quiero hablarte, aparte de tus amigas. Quiero que escuches mi fracaso y que en mis brazos el tango sigas. Después de un año vuelvo a hallarte y al verte me pongo triste, porque esta noche he de contarte que por perderte sufro de amor.
Quien sufre por amor comprende este dolor, este dolor que nos embarga. Quien sufre por amor comprenderá el dolor que viene a herir como una daga. Te tuve y te perdí y yo qué soy sin ti. Quien sufre por amor comprenderá mejor por qué solloza el bandoneón.
Con su gemir de corazones los bandoneones lloran su pena, igual que yo sollozan ellos, porque en sus notas hay amores y por amores hoy sufro yo. Ricardo Tanturi Letra: Enrique Cadícamo
Viens danser, je veux te parler, à part de tes amis. Je veux que tu entendes mon échec et que, dans mes bras, tu continues le tango. Au bout d’un an, je te retrouve, et, quand je te vois, je suis triste, car ce soir, je dois te dire que de t’avoir perdue, je souffre d’amour. Celui qui souffre par amour comprend cette douleur, cette douleur qui nous submerge. Celui qui souffre par amour comprendra la douleur qui vient blesser comme un poignard. Je t’avais et je t’ai perdue et moi, que suis-je sans toi. Celui qui souffre par amour comprendra mieux pourquoi le bandonéon sanglote. Avec leurs gémissements de cœur, les bandonéons pleurent leur chagrin, comme moi, ils sanglotent, parce que, dans leurs notes il y a des amours et, pour les amours, aujourd’hui je souffre.
Bandonéons sentimentaux
Il est intéressant de voir que parmi les instruments du tango, c’est le bandonéon qui se partage la vedette en ce qui concerne les titres où il est présent. Voici quelques statistiques pour le tango (pas milonga ou valse). Le piano, cet instrument majeur, n’est cité que dans une dizaine de titres. Le violon, cet autre instrument essentiel n’atteint qu’à peine le double du piano. La guitare, instrument des premiers temps, héritier des payadores, fait à peine mieux que le violon. Le bandonéon se taille la part du tigre (hommage au Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas). J’ai recensé plus de 80 titres mentionnant son nom (bandó, bandoneón, fuelle ou fueye). J’aurais pu rajouter des milongas et des poèmes à sa gloire, mais avec les titres que j’ai oubliés, on pourrait bien atteindre les 100, soit 10 fois plus que pour le piano… Si on entre dans le détail des paroles, la suprématie du bandonéon est encore plus forte, mais contentons-nous de lister les titres où le bandonéon est mentionné.
A la sombra del fueye
A mi hermano fueyero
A seguirla bandoneón
Alegre bandoneón
Alma del bandoneón
Aníbal Bandoneón (Aníbal Troilo en symbiose avec son instrument)
Arrullos de bandoneón
Bandó (composé et interprété par Astor Piazzolla au bandonéon)
Bandoneón (au moins 4 tangos différents portent ce nom)
Bandoneón amigo
Bandoneón arrabalero
Bandoneón cadenero
Bandoneón campañero
Bandoneón de fuego
Bandoneón de mi ciudad
Bandoneón de mis amores
Bandoneón fuiste testigo
Bandoneón, guitarra y bajo (petite apparition de la contrebasse, dans un trio de Piazzolla, un autre géant du bandonéon)
Bandoneón milonguero (composé par le bandonéoniste Ernesto Baffa)
Buénas noches che bandonéon (par le bandonéoniste Juan José Mosalini)
Bandoneón…para vos
Bandoneón, por qué llorás? (une référence explicite aux pleurs du bandonéon)
Bandoneón solo (du bandonéoniste Rodolfo Nerone)
Bandoneón trasnochado (du bandonéoniste Alberto San Miguel)
Calla bandoneón (Carlos Lazzari et Oscar Rubens pour les paroles demandent au bandonéon de se taire, à cause de sa tristesse).
Candencia de Bandoneón de Astor Piazzolla (c’est un solo de bandonéon exécuté par son auteur, Mauricio Jost, un des bandonéonistes du Sexteto Milonguero)
Che bandoneón (por el bandoneón mayor de Buenos Aires, Aníbal Troilo)
Compañero bandoneón
Con letra de bandoneón
Concerto para bandoneón y orquesta (Piazzolla)
Concierto Para Bandoneón (encore Piazzolla)
Cuando llora el bandoneón
Cuando talla un bandoneón (un titre d’un fameux bandonéoniste, Armando Pontier)
La danza del fueye (du bandonéoniste Raúl Miguel Garello, un titre jeu de mot évoquant la composition de Manuel de Falla, La danza del fuego ?)
Este bandoneón (d’Ernesto Rossi, encore un bandonéoniste)
Este bandoneón sentimental
Firuletear de bandoneón
Fuelle azul (par le bandonéoniste Domingo Federico)
Fuelle querido
Fueye…! (Fuelle)
Fueye amigo (Fuelle amigo)
Fueye querido
El hombre del bandoneón
Igual que un bandoneón (interprété par les mêmes que notre tango du jour et également en mode mineur intégral, ré mineur. On pourrait être tenté d’en faire une tanda. Pour ma part j’évite de composer les tandas avec des titres un peu trop tristes à la suite).
Más allá bandoneón (composé par deux bandonéonistes Ernesto Baffa et Raúl Miguel Garello, on n’est jamais si bien servi que par soi-même)
Mientras quede un solo fuelle (Mientras quede un solo fueye)
Mi bandoneon y yo (Crecimos juntos) (de Rubén Juárez, chanteur et… bandonéoniste)
Mi fuelle rezonga
Mi loco bandoneón (par Piazzolla…)
Mi viejo bandoneón
Mientras gime el bandoneón (encore une fois, Enrique Cadícamo, l’auteur des paroles du tango d’aujourd’hui, fait résonner la tristesse du bandonéon. Dans ce tango, il est également le compositeur).
No la llores bandoneón (Deux des compositeurs sont bandonéonistes Jorge Caldara et Alberto Caracciolo. Víctor Lamanna est plutôt parolier, mais le titre est signé des trois, que ce soit pour les paroles et la musique).
Mientras rezonga un fuelle
Mistongo bandoneón (dans les paroles, El fueye revient au début des vers du couplet :
Fuelle… que viniste de tan lejos. / Fuelle… que te hiciste tan, tan nuestro. / Fuelle… santo, endiablado y siniestro, / vos que haces dormir al cielo / abrazado del infierno. / Fuelle… vos… mistongo bandoneón.
Música de bandoneón
Nocturnal bandoneón
Notas de bandoneón (avec Cadícamo aux paroles…)
Nuestro bandoneón
Pa’ que te oigan bandoneón
Pamentos del bandoneón
Perdoname fuelle querido
Perfume de bandoneón (de Luis Stazo, un autre grand du bandonéon)
Pichuco le canta a su bandoneón (En hommage, bien sûr à Pichuco, Aníbal Troilo)
Quejas de bandoneón (le gros succès de Juan De Dios Filiberto qui reprend le thème de la plainte du bandonéon)
Se lo conté al bandoneón
Sollozo de bandoneón (notre tango du jour)
Solo de bandoneón (musique et paroles de Cadícamo qui a décidément un faible pour cet instrument)
Son cosas del bandoneón (Enrique Rodríguez, l’auteur était également bandonéoniste…)
Suite Punta del Este for Bandoneón Solo, Instrumental Ensemble and String Orchestra: Coral (encore un truc de Piazzolla mettant en valeur le bandonéon, donc, lui…)
Susurro de bandoneón (Carlos Ángel Lázzari, encore un fameux bandonéoniste, associé à D’Arienzo, mais qui parle ici de murmure, chose qu’il ne devait pas souvent avoir l’occasion de faire avec El Rey del compás).
Te llamaremos bandoneón
Tocá el bandoneón, Pedrito! (encore un titre composé par le bandonéoniste Raúl Miguel Garello)
Tres movimientos concertantes para bandoneón y orquesta (Daniel Binelli, le compositeur était également… Oui, vous avez trouvé ! Bandonéoniste).
Un sueño bandoneón (une autre composition du bandonéoniste Domingo Federico)
Un fueye en París (Leopoldo Federico, cet attachant bandonéoniste et chef d’orchestre a composé ce titre).
La voz del bandoneón (La voix du bandonéon) (par José Lucchesi qui était accordéoniste. Un clin d’œil au cousin, donc).
Yo soy el bandoneón (De Piazzolla)
Yo te adoro bandoneón
Autres versions
Comme il n’était pas question de vous présenter la centaine de titres mentionnant le bandonéon, je vous propose de terminer avec le seul enregistrement de ce titre, notre tango du jour.
Sollozo de bandoneón 1943-12-16 — Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos. C’est notre tango du jour.
Bonus
Un groupe Facebook sur le bandonéon. J’ai utilisé leur photo de page pour mon illustration de couverture. Le livre de Gabriel Merlino, Una Arqueología del bandoneón La version papier est à commander à charlas.concierto@gmail.com. Les versions électroniques se trouvent ici. Merci à Gérard Cardonnet, de m’avoir fait penser à signaler ce livre. À bientôt les amis !
Adiós, Coco est un au revoir, ou plutôt un adieu à Rafael D’Agostino, le neveu de Ángel D’Agostino qui était pianiste, compositeur, auteur et journaliste spécialisé dans les spectacles (notamment au journal La Razón à l’Editorial Anahi et à Radio Colonia). Par son oncle et ses activités, il était membre de la grande famille du tango et sa mort tragique dans un accident de la route a secoué la communauté, comme en témoigne ce tango composé par Lázzari, bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre de D’Arienzo et l’enregistrement par l’orchestre de ce dernier, un mois seulement, après la mort de Coco. Maintenant, il me reste à vous expliquer pourquoi un dinosaure conduit une voiture…
Extrait musical
Adiós, Coco 1972-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Adiós, Coco s’inscrit dans la lignée des tangos tardifs enregistrés par D’Arienzo. La puissance est énorme. Les violons virtuoses et les longs breaks rendent ce style reconnaissable immédiatement. Le piano de Juan Polito est en ponctuation permanente et bien sûr, les bandonéons (instrument du compositeur, Carlos Ángel Lázzari) et la contrebasse assurent la base rythmique que reprennent les autres instruments. Dans cette version, quelques solos de violons font taire le martellement du rythme, une pointe de romantisme en l’honneur de Coco. Cet orchestre tardif de D’Arienzo, le dernier de sa carrière était composé de la façon suivante : Carlos Lázzari (bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre. C’est lui qui reprendra la direction à la mort de D’Arienzo et qui enregistrera des titres du même type de dynamisme avec las solistas de D’Arienzo (les solistes de D’Arienzo, orchestre créé en 1973 avec l’autorisation de D’Arienzo). Voyons donc ces autres solistes : Enrique Alessio, Felipe Ricciardi et Aldo Junnissi (bandonéonistes de D’Arienzo, comme Lázzari de 1950 à 1975).
Juan D’Arienzo dans une attitude typique, anime ses bandonénistes. De gauche à droite, Enrique Alessio, Carlos Lázzari, celui de droite me semble être Aldo Junnissi plus que Felipe Ricciardi, mais je ne garantis rien… Les quatre bandonéonistes de D’Arienzo sont restés les mêmes de 1950 à 1975. Cette photo semble dater de la décennie précédente, probablement les années 60.
Juan Polito (pianiste de l’orchestre de D’Arienzo en 1929, 1938–1939, 1957–1975) Cayetano Puglisi, Blas Pensato, Jaime Ferrer et Clemente Arnaiz (violonistes de D’Arienzo depuis 1940. Cette longévité explique la merveille des violons de D’Arienzo qui était lui-même violoniste). Victorio Virgilito (contre-bassiste de D’Arienzo depuis 1950).
Cette version est instrumentale, mais je pense intéressant de présenter les chanteurs de l’époque : Osvaldo Ramos (ténor). C’est le père de Pablo Ramos qui dirige l’orchestre Los Herederos del Compás que vous pourrez entendre et voir dans ce titre en fin d’article. Alberto Echagüe et Armando Laborde (barytons) Mercedes Serrano (mezzo-soprano).
Rafael D’Agostino (Coco)
Son oncle, Ángel D’Agostino, est bien plus connu et j’ai eu à diverses reprises l’honneur de présenter certaines de ses interprétations. Je vous propose un petit éclairage sur le neveu, Coco, objet de cet hommage. L’histoire commence entre Juan D’Arienzo et Ángel D’Agostino, les D’ du tango. D’Arienzo violoniste et D’Agostino pianiste sont amis depuis l’adolescence. Lorsqu’en 1928 naquit Rafael, ce dernier est entré dans le cercle d’amitié des deux hommes qui l’ont accompagné dans son entrée dans la carrière musicale. Malgré ses capacités de pianiste, Rafael s’est dirigé vers le journalisme, notamment de spectacle. Il fut utilisateur dans ses chroniques de surnoms pour les artistes. Cette mode a été initiée par Felix Laiño, le sous-directeur du journal La Razón. Coco s’est expliqué sur cette coutume, par exemple en parlant de Tita Merello :
“Nadie puede negar que Tita Merello es lastimera; todos los días se queja de su miseria, sus años y su mala suerte, Estos apodos nacen de sus propios defectos y virtudes.”
(Personne ne peut nier que Tita Merello est pitoyable ; chaque jour elle se plaint de sa misère, de son âge et de sa malchance. Ces surnoms naissent de leurs propres défauts et vertus.)
On attribue un certain nombre d’œuvres à Coco : Pasión milonguera Vida bohemia (avec Ricardo García) Paica alegre Mis flores negras (Pas le passillo colombiano arrangé en valse que chanta Gardel) Noches de Cabaret (pas celui d’Héctor Varela avec Rodolfo Lesica) Mi covacha On voit que ces œuvres sont peu connues et celles qui le sont portent le nom d’autres auteurs. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. On lui attribue également El Plesiosauro. Voyons un peu de ce côté…
El Plesiosauro
Ce sympathique animal marin, un dinosaure, aime faire des farces. En Écosse, il s’appelle Nessi et hante le Loch Ness. En Argentine, on l’appelle par son nom scientifique, El Plesiosauro, mais il porte aussi le nom de El Nahuelito, car il serait apparu au Lac Nahuel Huapi (Bariloche) ou à un autre lac bien plus au sud, el lago Epuyén. Contrairement à son cousin d’Écosse, ce dernier s’est offert le luxe d’écrire une lettre que publia le journal La Nación, en mars 1922, dont voici les termes : “El objetivo de mi carta es persuadirlos de que me dejen en paz, ya que soy un monstruo discreto y desinteresado” “L’objet de ma lettre est de vous persuader de me laisser en paix, car je suis un monstre discret et désintéressé.“ Je pense que vous commencez à penser à un canular, voici l’histoire : La première mention de cet animal date de 1910 et c’est la publication en 1922 de cette « vision » par George Garret qui donna l’idée à un Nord Américain nommé Martín Sheffield d’annoncer la présence de cet animal. Cela arriva aux oreilles du Docteur Clemente Onelli, directeur du Zoo de Buenos Aires, qui aurait bien aimé le mettre dans ses collections. Il envoya des fonds à Martín Sheffield et organisa une expédition. À son arrivée, Martín Sheffield avait disparu avec l’argent et vous vous en doutez, la quête de El Nahuelito s’est avérée vaine, malgré les descriptions qu’en ont faites les prétendus témoins. La bête aurait un long cou, la taille d’une vache et serait carnivore. Certains scientifiques y voyaient la description d’un plésiosaure, d’où le nom le plus courant à l’époque et d’autres d’un ichtyosaure. Des photos auraient été réalisées, mais où sont-elles ?
L’affaire du Plésiosaure à Bariloche. De gauche à droite.
Martin Shieffeld, l’aventurier d’Amérique du Nord. Il a quitté les lieux avec l’argent et n’a pas fait partie de l’expédition.
Docteur Clemente Onelli, le directeur du Zoo et organisateur de l’expédition.
Sur la photo centrale :
Alberto Merkle, un taxidermiste allemand qui aurait pu conserver El Nahuelito si ses collègues l’avaient abattu comme prévu.
Emilio Frey, un ingénieur, ami de Clemente Onelli qui est à droite de lui sur la photo centrale
Santiago Andueza et José Cinaghi, les chasseurs.
La photo de droite représente une reconstitution du Plésiosaure à Bariloche.
Le Plésiosaure a suscité des passions, des rires et plusieurs musiques ont exploité le filon. Parmi celles-ci, la partition attribuée à Rafael D’Agostino.
La partition attribuée à Rafael D’Agostino du Plesiosauro. Elle serait de 1922. On remarque la dédicace à Clemente Onelli, le Directeur de l’expédition, et à un Manuel Garcia que je n’ai pas identifié. Est-il de la famille de Ricardo García avec qui il a composé Vida Bohémia ?
Tous les auteurs qui parlent de ce tango mentionnent sans hésitation Coco, Rafael D’Agostino comme le compositeur du Plesiosauro. Le fait qui m’intrigue est que la partition serait datée de 1922, ce qui est logique vu que c’est l’époque des faits. Ce qui est moins logique, c’est que Rafael D’Agostino est né en 1928 (il avait 40 ans en 1968 selon une interview, et 44 à a sa mort en 1972). Un prodige comme Mozart peut écrire une œuvre à six ans, mais pas six ans avant sa naissance… Il faut donc soit considérer que la partition n’est pas de 1922, soit que c’est d’un autre Rafael D’Agostino. Le fait que Coco soit un plaisantin pourrait laisser penser qu’il aurait réalisé un faux. Dans le sens de cette hypothèse, je mettrai la réalisation assez sommaire de la couverture de la partition. Ce qui ne fait pas de doute, c’est l’expédition à Bariloche de Onelli, les documents sont suffisamment précis sur la question et ce scientifique n’aurait pas mis en jeu sa réputation pour un canular. Le fait qu’il soit cité sur la partition est un peu plus étonnant. En effet, comme il est rentré bredouille, il est peu probable qu’il ait apprécié l’attention. Avoir un tango dédicacé à son nom et qui rappelle un échec n’est sans doute pas des plus réjouissant. Cela me conforte dans l’idée du faux que j’attribuerai à Rafael D’Agostino, un drôle de coco (« drôle de coco » en français peut signifier un farceur, quelqu’un d’un peu original). Son comparse, l’auteur des paroles, serait Amílcar Morbidelli, un « poète » dont on n’a pas vraiment de traces. Est-ce aussi un élément de la blague ? Nous verrons que les paroles peuvent renforcer cette impression. L’orchestre Sciammarella tango a produit la seule version enregistrée de cette œuvre.
El Plesiosauro 2023 — Sciammarella tango.
Sciammarella aurait retrouvé la partition et exécuté l’œuvre. Est-ce une composition originale de cet orchestre ou réellement une œuvre écrite en 1922, ou un canular tardif de Coco ? Le site très sérieux et extrêmement bien documenté Todo Tango cite l’œuvre, donne Rafael D’Agostino comme compositeur et Amílcar Morbidelli comme auteur des paroles. https://www.todotango.com/musica/tema/6341/El-plesiosauro/ Cet élément peut faire pencher la balance du côté de l’œuvre authentique, dont voici les paroles.
Paroles de El Plesiosauro
Yo soy un pobre animal buscado por los ingratos y sin conciencia. Porque soy raro y también lo soy curioso (según dice la gente allí).
Dejemen solo aquí, gozando en la soledad de este lago ¿Qué es lo que haréis con sacarme si es en vano llevarme vivo de este lugar ?
¿No saben los señores que esto no es coger flores? Pretenden aquí cazarme y llevar como si nada fuera.
¡Maldito! No me nombres. Nada te debo Onelli. Deja que yo viva con igual prerrogativas como tú vives allí. Rafael D’Agostino Letra: Amílcar Morbidelli
Traduction libre et indications
Je suis un pauvre animal recherché par les ingrats et sans conscience. Parce que je suis bizarre et que je suis aussi curieux (selon ce que disent les gens de là-bas). Laissez-moi seul ici, profitant de la solitude de ce lac Que ferez-vous de me sortir, si c’est en vain que vous voulez m’enlever vivant d’ici ? (Les membres de l’expédition sont armés et deux chasseurs y participent. La présence d’une grande seringue dans l’équipement est parfois mentionnée, mais mise en doute. Ils pensaient tuer le « monstre » et l’empailler « d’où la présence d’un empailleur dans l’expédition. Ces messieurs ne savent-ils pas qu’il ne s’agit pas de cueillir des fleurs ? Ils ont l’intention de me traquer et de m’emmener comme si de rien n’était. Maudit ! Ne me nommez pas. Je ne te dois rien, Onelli. Laissez-moi, que je vive avec les mêmes prérogatives que vous là-bas.
On voit que l’auteur a pris la parole pour el Nahuelito. À moins que ce soit lui, puisqu’il avait déjà publié une lettre dans le journal La Nación. On remarquera que, si la couverture dédicace l’œuvre à Onelli, le texte n’est pas du tout à sa gloire. Cela me fait encore hésiter. Un auteur aurait-il dédicacé un tango où il traite de maudit son dédicataire ? Cela me semble bien étrange. Si on tient compte que le Plésiosaure est un dinosaure qui vit dans l’eau, on pourrait penser à un poisson d’avril, coutume qui consiste à raconter un truc incroyable que l’on retrouve dans quelques pays d’Europe et dans le Monde, mais pas en Argentine. On pourrait aussi voir dans cette histoire un rappel de la colonisation… Ces Indiens et gauchos que l’on a déplacés et massacrés sans ménagement pour conquérir leur territoire.
Autres versions de Adiós, Coco
Adiós, Coco 1972-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Du fait qu’il s’agit d’un tango tardif, il n’a pas eu le temps d’entrer dans le répertoire des orchestres. Une exception toutefois, Los Herederos del Compás, l’orchestre animé par Pablo Ramos, le fils de l’ancien chanteur de D’Arienzo, Osvaldo Ramos, et qui travaille ardemment à entretenir le souvenir de son père et de la Orquesta Del Rey del Compás. Cet orchestre joue régulièrement le thème, et je l’ai donc écouté par eux à diverses reprises avec des évolutions intéressantes.
Adiós Coco 2021 — Pablo Ramos & Los Herederos del Compás. C’est la version du disque “Que siga el encuentro de 2021”.
Mais je pense que vous serez content de voir l’une de leurs prestations. C’était l’an passé, le 8 avril 2023, à la huitième édition du festival de La Plata.
Adiós Coco 2023-04-08 — Pablo Ramos & Los Herederos del Compás, en La Plata Baila Tango (8va edición).
Avec cette vidéo, je pense que l’on peut dire Adiós Coco, au revoir, les amis. Soyez prudent sur les routes, un dinosaure pourrait traverser sans crier gare !
Ceux qui me connaissent comme DJ, savent que, quand les danseurs le peuvent, j’aime passer des milongas dynamiques et joueuses. Sentir del corazón est l’une de ces milongas qui peuvent faire naître des sourires aux lèvres. Pourtant, l’histoire qu’elle conte n’est pas si allègre.
Extrait musical
Sentir del corazón 1940-12-13 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Romeo Gavio.
Donato a aimé avoir des duos, voire des trios de chanteurs. Cette milonga exploite parfaitement le Duo Lagos et Gavioli. L’ensemble est mené avec allégresse jusqu’au final qui se termine de façon ferme, presque abrupte, ajoutant au plaisir des danseurs qui peuvent la savourer jusqu’à la dernière note.
Paroles
Milonga de mi Argentina de aquel tiempo colonial Desnuda está la divina musiquita de arrabal
Y que en las noches de farra más de un gaucho federal también volcó en su guitarra tu canción sentimental.
Si fuiste por tus compases Milonga sentimental Trenzáronse grandes ases de mi típico arrabal Burlonita y compadrona el paisano en su canción Entona con voz dulzona el sentir del corazón Benito R. Atella
Milonga de mon Argentine, de cette époque coloniale. Nue est la divine petite musique des faubourgs. Et que, dans les soirs de fête, plus d’un gaucho fédéral a également versé dans sa guitare, ta chanson sentimentale. Si tu fus par tes rythmes, milonga sentimentale, tressant les grands as de mon faubourg typique, moqueuse et compagnonne, le paysan dans sa chanson, entonne de sa voix douce, le sentiment du cœur.
Autres versions
Petite moisson pour cette belle milonga. La version de Donato qui est celle du jour et deux enregistrements par Miguel Villasboas, l’Uruguayen.
Sentir del corazón 1940-12-13 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Romeo Gavio. C’est notre milonga du jour.El sentir del corazón 1960 — Miguel Villasboas y su Quinteto Bravo del 900.
Cette version instrumentale est sympathique, mais peut-être un peu trop calme pour les amateurs de milonga, ou pas, car elle comporte des petites subtilités qui peuvent donner matière à jeu. On notera que son titre a été complété par le déterminant “El” (Le).
El sentir del corazón 1998 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Une autre version instrumentale de Villasboas (avec également le El au début du titre), un peu plus tranquille que celle de Donato et qui peut être servie aux danseurs.
Vous avez donc le choix de trois versions avec des caractères légèrement différents, mais toutes sont acceptables, au moins dans certaines milongas où il y a des danseurs de milongas.
Gauchos federales y gauchos matreros
L’indication du temps colonial et la mention du gaucho federal, évoquent l’histoire de Martin Fierro (livres de José Rafael Hernández). Ce gaucho enrôlé de force dans la guerre de conquête contre les Indiens (gaucho federal) et qui, méprisé par les militaires, finit par déserter et se transformer en gaucho matrero (hors-la-loi), lorsqu’il se rend compte que son ranch et sa famille ne sont plus. Il se rend chez les Indiens et revient en territoire colonisé (La vuelta de Martin Fierro).
Auguste Monvoisin. Un Gaucho federal, un des “soldats” de Rosas pour sa campagne de colonisation contre les Indiens 1842.
Le gaucho federal était tout le jour à cheval, même si cette peinture de Raymond Auguste Monvoisin, un peintre français, le montre plutôt à la mode orientaliste. Sans le mate, on pourrait penser que la scène se passe en Afrique du Nord… Il porte la chemise de laine rouge, habituelle chez ces soldats.
Gabriel Biessy. La mort du gaucho Matrero de Gabriel Biessy 1886.
Les gauchos rebelles sont chassés par les autorités et certains terminent mal, comme, Juan Moreira. La peinture de Gabriel Biessy, un autre peintre français, dévoile la mort d’un des autres gauchos hors-la-loi. Ces gauchos, même si leurs mœurs étaient assez rudes n’étaient pas à proprement parler des brigands, mais des cavaliers arrachés à leur ranch pour aller en guerre et qui se sont rebellé contre ce qu’on leur faisait faire. Martin Fierro, le gaucho emblématique de l’œuvre de José Hernández est devenu un symbole de la construction de l’Argentine qui s’est construite en supprimant ceux qui l’occupaient avant, les peuples premiers (Indiens) et les gauchos, qui auraient volontiers continué de vivre de la même façon sans être obligés d’aller tuer des Indiens. Pardon, les amis, d’avoir mis un peu de tristesse. La prochaine fois que vous danserez cette milonga, peut-être offrirez-vous un peu de vos pensées à tous ces êtres détruits par les guerres. À bientôt !
Ceux qui ont traversé les provinces de Entre-Rios et Corrientes ont sans doute remarqué au bord des nationales 12 et 14 les nombreuses pancartes annonçant que l’on pouvait trouver du « yacaré » à l’escabèche. Le yacaré est le nom du crocodile local et l’escabèche (esacabeche) est la sauce qui accommode ce saurien et dont sont friands les entrerianos et corientinos. Mais, notre tango du jour ne vante pas un plat typique, ni même l’animal du même nom. Il nous parle d’un jockey fameux, Elías Antúnez, surnommé El Yacaré, car il est justement originaire de Corrientes.
El Yacaré 1941-12-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Aujourd’hui, pas de partition, mais les accords pour les guitaristes sur chordify.net :
Paroles
Es domingo, Palermo resplandece de sol, cada pingo en la arena llevará una ilusión. En las cintas los puros alineados están y a la voz de “¡Largaron!” da salida un afán. En el medio del lote, conteniendo su acción, hay un jockey que aguarda con serena atención, ya se apresta a la carga… griterío infernal. Emoción que desborda en un bravo final.
¡Arriba viejo Yacaré! Explota el grito atronador. Todos castigan con rigor, pero no hay nada que hacer, en el disco ya está Antúnez. Sabés sacar un perdedor, ganar un Premio Nacional… Muñeca brava y al final el tope del marcador siempre es tu meta triunfal.
Un artista en las riendas, con coraje de león, tenés toda la clase que consagra a un campeón. Dominando la pista con certera visual el camino del disco vos sabés encontrar. Las tribunas admiran tu pericia y tesón y se rinde a tu arte con intensa emoción. Se enronquecen gargantas en un loco estallar, cuando a taco y a lonja empezás a cargar. Alfredo Attadía Letra: Mario Soto
Traduction libre des paroles
C’est dimanche, Palermo resplendit de soleil, chaque cheval (pingo) sur le sable (de la piste) portera un espoir. Sur les bandes, les cigares sont alignés et la voix de « ¡Largaron ! » (on entend dans Largaron de Carlos Cubría et Juan Navarro connue par l’enregistrement de De Angelis, la cloche et le « largaron » qui annoncent le départ des chevaux) laisse place à l’empressement. Au milieu du peloton, contenant son action, il y a un jockey qui attend avec une attention sereine, déjà, il se prépare à la charge… brouhaha infernal. Une émotion qui déborde dans un bravo final (ou un final vaillant). Courage, le vieux Yacaré ! Le cri tonitruant explose. Tous cravachent vigoureusement (punissent), mais il n’y a rien à faire, Antúnez (El Yacaré) est déjà au poste d’arrivée. Tu sais faire sortir un perdant, qu’il gagne un Prix national… Muñeca brava (poignet vaillant, mais une Muñeca brava est aussi une femme, comme dans le tango de Enrique Cadícamo) et, à la fin, le haut du tableau de résultat est toujours ton but, triomphal. Un artiste aux rênes, avec le courage d’un lion, vous avez toute la classe qui consacre un champion. Dominant la piste avec une vision précise, tu sais trouver le chemin du poste d’arrivée. Les tribunes admirent ton savoir-faire et ta ténacité et rendent à ton art avec une émotion intense. Les gorges s’enrouent dans une explosion folle, lorsque vous commencez à charger avec les talons et la cravache.
Autres versions
El Yacaré 1941-12-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.El Yacaré 1951 — Alfredo Attadía con Armando Moreno.
Dix ans après D’Agostino et Vargas, Attadía donne sa version de sa composition. On notera toutefois qu’il est difficile de détacher cet enregistrement de celui des deux anges. Cette proximité peut se comprendre. Attadía a composé un certain nombre des succès de D’Agostino et notamment, Tres esquinas composé en commun avec D’Agostino. Le résultat est agréable à écouter et même dansable.
Armando Moreno et Alfredo Attadía (El Bandoneón de Oro).El Yacaré 2009 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.
On regrette la disparition de cet orchestre qui valait surtout par la voix et les interprétations extraordinaires de Javier Di Ciriaco. Une version dans le style de cet orchestre, plutôt intéressante et dansable.
Les bals « tango » de l’âge d’or comportaient du tango, sous ses trois formes, mais aussi du « jazz » et d’autres danses, plus ou moins traditionnelles. Notre musique du jour est Argentine (voire uruguayenne si on se réfère aux origines de Canaro), mais le rythme (un corrido), les paroles et l’inspiration sont mexicains.
J’utilise parfois ce titre pour « chauffer » la salle avant la milonga. Le corrido se danse en principe en couple, c’est une forme qui rappelle la polka, mais aussi le pasodoble. Les Argentins le dansent surtout en marche, tout comme ils font avec le pasodoble, d’ailleurs…
Extrait musical
Rancho alegre 1941-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro.Partition et couvertures de Rancho alegre de Felipe Bermejo Araujo. On notera la présence de partitions brésiliennes. Le corrido est bien sorti du Mexique et pas seulement pour les pays hispanophones, comme l’Argentine.
Le rancho alegre (ranch joyeux) est vraiment joyeux et je suis sûr que cette musique vous donne envie de bouger.
Paroles
Y soy del mero Rancho Alegre (Yo soy charro mexicano) Un ranchero de verdad, compadre Jálese, pariente Pa’ la gente del rancho, pa’ la gente de pueblo
Soy del mero Rancho Alegre Un ranchero de verdad Que trabaja De labriero, mayordomo y caporal
Mi querencia es este rancho Donde vivo tan feliz Escondido entre montaña De color azul anís
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
En mi rancho Tengo todo Animales, agua y sol Y una tierra brillante y buena Que trabajo con ardor
Cuando acabo mis labores Ya que se ha metido el sol A la luz de las estrellas Canto alegre mi canción
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
Solo falta Una cosa Que muy pronto, yo tendré Como estoy recién casado Adivínenme lo que es
Ha de ser un chilpallate Grande y fuerte a no dudar Que también será labriero Mayordomo y caporal
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín Felipe Bermejo Araujo
Carlos Roldán chante seulement ce qui est en gras.
En rouge, la version originale mexicaine qui parle de charro (cowboy, gaucho).
Et je suis du simple Rancho Alegre (ranch joyeux) un vrai éleveur, compadre bien « tiré » (C’est quelque chose de positif, bon compagnon), parent pour les gens du ranch, pour les gens du village. Je suis du simple Rancho Alegre, un vrai éleveur qui travaille comme agriculteur, majordome et contremaître. Mon amour c’est ce ranch où je vis si heureux, caché dans les montagnes bleu anis
Refrain Rancho Alegre Mon petit nid Mon petit nid parfumé et de jasmin où je garde ma petite chérie qui a les yeux d’une étoile et de cerise (les capulines sont de petites cerises de couleur noir rougeâtre. On les appelle aussi, cerises mexicaines).
Sur mon ranch j’ai tout, des animaux, de l’eau et du soleil et une terre brillante et bonne que je travaille avec ardeur Quand je finis mes travaux parce que le soleil s’est couché. À la lumière des étoiles, je chante joyeusement ma chanson. Il ne manque qu’une seule chose, que très bientôt j’aurai, car, je viens de me marier. Devinez ce que c’est. Il doit être un gamin grand et fort (chilpallate est une expression mexicaine) sans aucun doute qu’il sera aussi un fermier, majordome et contremaître.
Autres versions
Le thème est tout de même assez rare en Argentine. Outre cette version de Canaro, on peut citer les chanteurs de l’aube qui ont fait un disque aux sonorités mexicaines. Je vous propose aussi une version mexicaine avec un jeu intéressant de l’accordéon (oui, le Mexique utilise de plus gros pianos à bretelles).
Rancho alegre 1941-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro. C’est notre musique du jour.Rancho alegre 1976 — Los Cantores del Alba.Rancho alegre 2020 — Octavio Norzagaray.
Cette milonga alerte, très alerte, cache cependant une nostalgie, celle du quartier de Palermo avec son tramway, ses allumeurs de réverbères et ses veilleurs de nuit. La prochaine fois que vous vous lancerez dans cette milonga endiablée, vous vous souviendrez peut-être de l’évolution de ce quartier et de sa rivière, aujourd’hui domptée.
Extrait musical
Maldonado 1943-12-09 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá.Partition de Maldonado. On peut remarquer que Di Sarli et Laurens sont cités, ainsi que le nom complet de Mastra (Mastracusa).
Paroles
Les voy a recordar el tiempo pasado cuando Palermo fue Maldonado y yo en la gran Nacional trabajé de mayoral. Y voy a recodar algunos detalles que sucedían siempre en la calle, cuando con su cadenero al tranvía algún carrero quería pasar.
Dale que dale, dale más ligero a ver quién sube el repecho primero y orgulloso el conductor lo pasaba al percherón. Dale que dale, dale más ligero y atrás dejaban al pobre carrero repitiendo al mayoral si le sobra deme un real.
Yo soy del Buenos Aires de ayer, compañero, cuando en las tardes el farolero con su escalera apurado la sección iba a alumbrar. Después con su pregón familiar el sereno marcaba hora tras hora el tiempo luego el boletín cantado dando así por terminado un día más.
Dale que dale, dale más ligero total ahora ya no está el carrero ni el bromista conductor ni el sereno y su pregón. Dale que dale, dale más ligero total tampoco existe el farolero dale y dale sin parar hasta que me hagas llorar. Alberto Mastra (Música y letra)
Traduction libre des paroles
Je vais vous l’évoquer le temps d’antan où Palermo était Maldonado (El Maldonado était l’un des cours d’eau de Buenos Aires) et où je travaillais comme mayoral (préposé de tramway vendant les billets) à la Gran Nacional (compagnie de tramways passée à l’électrique en 1905 en remplacement de la traction animale que l’on appelait motor de sangre, moteur de sang). Et je vais rappeler quelques détails qui se passaient toujours dans la rue, lorsqu’avec son cheval de tête un conducteur de charrette voulait dépasser le tramway. Envoie ce qu’il envoie (encouragement, en matière d’équitation ont dit envoyer, j’ai donc choisi cette traduction), envoie plus rapidement, voyons qui grimpe la pente le premier et fièrement le conducteur (du tramway) double le percheron. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, et ils ont laissé le pauvre conducteur de charrette derrière eux, répétant au mayoral s’il en reste, donne-moi un réal (monnaie en usage à l’époque espagnole et qui a été frappée en Argentine de 1813 à 1815 et qui n’était bien sûr plus d’usage au début du 20e siècle). Je suis du Buenos Aires d’hier, compagnon, quand, en soirée, l’allumeur de réverbères, pressé, avec son échelle, allait éclairer la section. Puis, avec sa proclamation familière, le veilleur de nuit (personne qui assurait la vigilance de nuit) marquait le temps, heure après heure, puis, avec son bulletin chanté, mettait ainsi fin à une autre journée. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, résultat, maintenant il n’y a plus le conducteur de charrette, ni le conducteur farceur, ni le veilleur et sa proclamation. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, il n’y a pas plus d’allumeurs de réverbères, envoie, envoie sans arrêt jusqu’à ce que tu me fasses pleurer.
Autres versions
Notre tango du jour est une milonga qui fut enregistrée aussi par Di Sarli avec Rufino. Mais d’autres tangos ont également été composés et enregistrés. Je vous en propose quatre, interprétés par six orchestres, mais il y en a d’autres et même des musiques sur d’autres rythmes. Mais attention, ces dernières font référence à d’autres lieux que la rivière Maldonado et le quartier de Buenos Aires.
Maldonado, milonga de Alberto Mastra
Laurenz a enregistré ce titre pour Odeón le jeudi 9 décembre. La semaine d’après, le vendredi 17, La Victor enregistre le titre avec Di Sarli. Ce sont les deux seuls enregistrements « historiques » de cette superbe milonga. On notera que Pedro Laurenz et Di Sarli mettent en avant leur instrument personnel, respectivement le bandonéon pour Laurenz et le piano pour Di Sarli.
Maldonado 1943-12-09 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre milonga du jour.Maldonado 1943-12-17 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Maldonado, tango par un auteur inconnu
El maldonado 1914 — Rondalla Gaucho Relampago dir. Carlos Nasca. Un enregistrement acoustique, plutôt sympa. On aurait presque envie de le faire découvrir en milonga. J’ai écrit presque 😉
Tango de Luis Nicolás Visca Letra: Luis Rubistein
Maldonado 1928-02-07 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto FamáMaldonado 1928-02-23 — Orquesta Roberto Firpo con Teófilo IbáñezMaldonado 1928-03-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo
Tango de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Alberto Vacarezza
Maldonado 1929-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo
Maldonado et le tranvia
Maldonado n’a rien à voir avec une chaîne de fastfoods américains, vous l’avez compris. C’était le nom d’un des cours d’eau de Buenos Aires. Celui-ci se jette dans le Rio de la Plata à Palermo, ce qui a valu ce nom au quartier du XVIIIe au début du XIXe siècle. On notera que les paroles évoquent un temps où Palermo s’appelait Maldonado. Au sens strict, c’était au début du XIXe siècle. Mais, comme elles parlent de réverbères, de Tranvia, c’est sans doute d’une époque postérieure qu’il est question. En effet, les premiers Tranvia ont été mis en place en 1863.
Premier tranvia de Buenos Aires à moteur de sang (hippomobile) en 1863.
La milonga nous compte une course entre un tranvia et une charrette tirée par un percheron. Il n’est pas sûr que deux chevaux attelés à un tranvia soient capables de distancer une charrette. Je pense donc, que le texte fait référence à une époque encore postérieure, à partir de 1905, date à laquelle la compagnie Gran Nacional (citée dans les paroles) est passée à la traction électrique.
Un tranvia de la compagnie La Capital. Ce tramway date environ d’après 1906, car il porte un numéro.
L’année 1905 a vu l’arrivée des premiers tramways électriques et 1906 a inauguré la numérotation des lignes, ce qui a simplifié la tâche des voyageurs… Sur la photo, le tranvia porte le numéro 45, c’était donc un des équipements de la ligne 45 qui était exploitée par La Capital. La compagnie Gran Nacional citée dans la milonga portait des numéros de 61 à 80. Dans la milonga, il semble logique de penser que la course s’effectue entre une charrette hippomobile et un tranvia électrique qui affirme facilement sa supériorité dans les montées.
El arroyo Maldonado
En ce qui concerne la rivière qui avait donné son nom au quartier (El arroyo Maldonado), vous aurez du mal à la trouver, car elle est désormais souterraine. La dernière fois qu’elle a fait parler d’elle, c’était en 2010 et j’en ai été témoin, elle a causé d’importantes inondations à Palermo. Depuis, des travaux ont été entrepris pour éviter ces problèmes.
En 1890, la rivière Maldonado était presque à sec. On voit au fond le pont de l’avenue Sante Fe.Aujourd’hui, au même endroit, le souvenir de la rivière est porté par des inscriptions sur les passages piétons…
S’il est courant de communiquer des informations au micro aux danseurs, dans la pratique, ils n’entendent pas toujours et il est souvent utile de répéter l’information de façon visuelle. Cet article fait le point sur mon parcours de DJ donneur d’informations et de VJ (Video Jockey).
Comme DJ, j’ai toujours souhaité donner aux danseurs des informations sur ce qu’ils dansaient. Il y a un quart de siècle, je diffusais sur Internet, la liste des morceaux que j’avais passée durant la milonga. À la fin des années 2000, je suis passé à l’iPad et j’affichais le nom de l’orchestre. Je suis aussi passé à l’annonce au micro en luttant contre ma timidité. Dans les années 2010, je suis passé au vidéoprojecteur et à la projection de films mixés en direct. J’utilise toujours cette stratégie avec le logiciel Resolume Arena. Le seul inconvénient pour moi est que, comme je crée les tandas en direct, je ne peux pas m’appuyer sur une liste de titres comme le font la plupart des DJ qui utilisent des Playlists. Cela m’interdit donc d’afficher le nom du morceau en cours de diffusion, car il me faudrait saisir en direct toutes les informations, ce qui est évidemment impossible. Comme je ne fais pas de playlist, tout mon temps de DJ est occupé par la préparation de la tanda suivante. J’avais bien essayé différents systèmes, mais tous nécessitaient de faire des playlists à l’avance et d’utiliser iTunes ou équivalent.
Un grand merci, donc aux développeurs de Beam(https://www.facebook.com/beamtheproject — https://bitbucket.org/beam-project/main/downloads/) qui permettent désormais d’afficher en direct le morceau qui passe à partir d’un véritable logiciel de DJ. Je remercie aussi le collègue et ami, Fred Alart-Tangodj qui m’a donné des informations essentielles pour me lancer dans ce projet. Parmi les logiciels DJ compatibles avec Beam, il y a MIXXX, un des trois que j’utilise… Le logiciel Beam est paramétrable de façon intelligente. On peut choisir les informations que l’on affiche. Pour ma part, j’ai rajouté les compositeurs, ce que peu de collègues peuvent faire, car, bien sûr, il faut avoir saisi ces données pour chaque musique pour qu’elles puissent s’afficher.
Les données de base
Les données que j’ai choisi d’afficher dans ma configuration de Beam.
De haut en bas :
• Titre précédent. Souvent, quand on danse, on ne pense pas toujours à regarder le titre du morceau. Afficher le morceau précédent permet d’avoir un joker. Il me semble également que c’est intéressant pour montrer la structure de la tanda. En revanche, je n’affiche pas le morceau suivant, car je place les morceaux au fur et à mesure et cela perturbe le logiciel qui n’a rien à se mettre sous la dent… • Nom de l’orchestre. J’ai choisi de le mettre en grand, car c’est l’information principale, à mon avis. Tous les danseurs doivent pouvoir savoir, s’ils le souhaitent, sur quel orchestre ils dansent. Bien sûr, les milongueros avertis n’ont pas besoin de cette information, mais d’autres informations vont venir les contenter. • Titre de la musique et date d’enregistrement. Avoir le titre est utile au plus grand nom et même à certains connaisseurs. J’espère que cela va limiter le nombre de shazameurs. Je préfère nettement que les collègues viennent me demander le titre. Avec ce dispositif, ils l’auront, mais ceux qui veulent venir me parler restent bien sûr les bienvenus. Pour ce qui est de la date, cela me semble important également. La preuve, j’ai la date d’enregistrement de la très grande majorité de mes morceaux. Cette application va me permettre de profiter de cet investissement… • Style de la musique. Je pouvais me passer de donner cette information. J’en profite cependant pour faire remarquer qu’au lieu de « Tango », il est indiqué A Tango. C’est que je classe la musique de tango avec un A avant, pour qu’ils s’affichent en premier. En effet, je ne passe pas que du tango, j’anime aussi en tropical et autres danses (DJ, pas de tango dans ce cas). • Compositeur. J’ai mis « Compositor », mais, bien sûr, c’est compositeur et parolier quand il y a les deux. Je trouve intéressant de savoir qui a écrit une musique et les paroles. Parfois, je compose des tandas de musiques écrites par le même compositeur ou des compositeurs de la même lignée. Mais il y a tellement d’autres possibilités que c’est finalement assez rare. J’associe, en priorité, des musiques dont l’interprétation est comparable, mais aussi sur des thèmes proches, et ce sont souvent ces critères qui font que l’on se retrouve avec des titres du même compositeur ou auteur. • Tanda. Si 1/4 s’affiche, c’est que c’est le premier titre d’une tanda de 4 titres. Dans mon cas, l’information ne sera pas toujours fiable quand au nombre de titres, car il faut avoir mis une cortina pour que cela soit calculé par l’application. Par moment, je mets six ou sept titres et je choisis en fonction des réactions de la salle, ou, je mets les titres un à un. Cependant, le premier chiffre indique le numéro. Donc, si vous voyez 1, c’est qu’il va y avoir après 2 (tanda de 3) ou 3 (tanda de 4) autres morceaux. • DJ BYC Bernardo. Ben, oui, c’est bien de faire savoir qui passe la musique, non ?
Des informations plus sophistiquées
Beam permet d’afficher différents fonds de page en fonction des mots clefs (tags) présents dans le morceau. Par exemple, je peux mettre un fond de page spécial D’Arienzo, pour une tanda de D’Arienzo. Il me suffit de récupérer la variable « Artist » et de déclencher l’affichage d’un fond de page avec une photo de D’Arienzo.
Lorsque Beam voit “D’Arienzo” dans le champ “Artiste”, il peut afficher un fond de page avec une photo de D’Arienzo.
Cela oblige cependant à préparer un fond de page par orchestre. Ce n’est pas très compliqué, mais je travaille actuellement sur une autre voie, qui est de récupérer ce que je fais comme VJ en mélangeant des vidéos des orchestres et des animations au rythme de la musique pour les associer avec les données affichées automatiquement par Beam.
Beam permet aussi d’associer une image à un titre. Je me suis amusé à le faire, mais c’est bien sûr impossible quand on dispose de 6000 titres utilisés en milonga. On reconnaîtra ici l’illustration de l’anecdote de tango sur Entre dos fuegos.
Système actuel
Équipement DJ
Pour la musique, j’utilise un Macbook Pro plus classique avec 16 Go de RAM et 2 To de disque dur.
On remarquera que, même si ce MacBook Pro peut fonctionner sous macOS Sequoia, je le maintiens sous Mojave, quand un système fonctionne, il est délicat de l’actualiser. Un ordinateur de DJ ne devrait pas avoir le droit de tomber en panne…
Il se pose la question du renouvellement de cet ordinateur. J’ai des Mac M en test, mais ils ne me conviennent pas. De plus, les Macs ont la mémoire et le disque SSD soudés. On est donc limité en taille. Un disque de 2 To, c’est vraiment trop petit pour de la musique et utiliser un disque externe, c’est très risqué en cas de débranchement accidentel, sans compter le risque de vol de ce disque, comme cela m’est arrivé avec un « collègue » indélicat qui a trouvé intéressant de me voler mon disque SSD de secours de 4 To rempli de musique retouchée.
Logiciels DJ utilisés :
J’utilise iTunes pour classer la musique. C’est en grande partie pour lui que je reste en Mojave, car les systèmes d’exploitation ultérieurs l’ont remplacé par « Music », qui est vraiment bien moins performant pour trouver de la musique à la volée. iTunes est en fait une base de données avec un moteur de recherche, mais il dispose surtout de fonctions de requêtes qui permettent d’avoir une musique parfaitement organisée et facile à trouver. On peut me demander n’importe quel titre et je le trouve en quelques secondes. C’est important quand des danseurs qui font un bis dans leur démo me demandent un titre à la volée, mais aussi, tout simplement pour pouvoir armer ses tandas en direct en trouvant ce qui va ensemble très facilement.
iTunes est un super logiciel de base de données musicale.
Dans iTunes, je peux choisir un genre, un artiste et trier par date pour avoir tous les titres de cet artiste pour la même période et le même rythme. On notera à gauche, les engrenages qui sont des requêtes, c’est-à-dire des recherches qui donnent une liste toujours à jour de fichiers répondants à certains critères. Par exemple, les valses chantées ayant 5 étoiles. Je peux aussi trier par les commentaires, ce qui offre des possibilités infinies. Je sélectionne les morceaux à passer dans iTunes et je les glisse dans Mixxx.
Mixxx est un des trois logiciels de DJ que j’utilise le plus. Sa compatibilité avec Beam, va me le rendre encore plus important… Ici, le dernier titre d’une tanda de Canaro.
Mixxx est un excellent logiciel de DJ qui permet de modifier la vitesse et la tonalité des morceaux, de répéter des passages
Équipement VJ
J’utilise un PC avec un processeur Intel i9 et 64 Go de RAM et 8 To de disque dur SSD.
Pour la vidéo, il faut un ordinateur très, très puissant…
Logiciels VJ utilisés :
Beam permet l’affichage automatique de différents tags des morceaux.
Toujours sur le MAC, Beam permet d’afficher les données souhaitées, comme nous l’avons vu ci-dessus. Ici, l’affichage du dernier Canaro de la tanda. Comme il y a un morceau identifié comme Cortina ensuite (voir la copie d’écran de MIXXX), le logiciel indique « Tanda 4/4 ».La tanda de Canaro est terminée, c’est la cortina. La prochaine tanda est annoncée automatiquement s’il y a déjà un titre après la cortina au moment où elle démarre. Dans mon cas, ce n’est pas toujours le cas, car la cortina sert aussi à prévoir la suite… Dans ce cas, la prochaine tanda ne sera pas affichée.
Cependant Beam est un peu limité. Pour afficher des vidéos et les mixer, il faut un logiciel plus complet. C’est le rôle de Resolume Arena, un logiciel professionnel pour VJ (Video Jockey).
Actuellement, j’utilise Resolume Arena, un logiciel magnifique permettant de mixer en direct une dizaine de vidéos, animations, textes…
Resolume Arena est un excellent logiciel pour VJ qui permet de diffuser plusieurs vidéos, de les superposer, de définir des transparences, des vitesses, des synchronisations avec la musique, des animations, du texte (qui peut être animé)… Son seul défaut est qu’il ne permet pas de récupérer le titre des morceaux joués automatiquement, ce qui limite aux choix déjà mis en place dans le logiciel, par exemple, le nom de l’orchestre et des vidéos et photos de celui-ci que l’on peut associer à des animations et on peut mixer le tout en direct. Associé à un contrôleur Midi, c’est cependant relativement simple à mettre en œuvre, mais pas du tout automatique.
L’avenir espéré, futurs développements
Faire communiquer le Mac avec le PC pour récupérer l’affichage de Beam dans Resolume Arena
La musique étant sur un ordinateur (MacBook) et la vidéo sur un autre (PC Windows), il se pose la question de la communication entre les deux. Pour l’instant, je n’utilise que la synchronisation de la musique afin que les animations, et notamment les lettres des noms d’orchestres se déplacent en rythme avec la musique. La prochaine étape est donc d’arriver à récupérer l’image produite par Beam sur le Mac pour l’afficher comme une vidéo dans un des canaux de Resolume Arena. Ce n’est pas totalement gagné, les deux systèmes n’étant pas totalement compatibles. J’envisage d’utiliser Syphon sur le Mac et SPOUT sur le PC, ou peut-être NDI, à moins que je reprenne ce que j’utilisais pendant la pandémie pour mes milongas virtuelles, OBS. Mon idée est de récupérer l’affichage ou a minima seulement le titre du morceau que je pourrai incruster dans le montage vidéo réalisé en direct. Peut-être que je structurerai cela avec des cadres pour que l’information soit plus claire.
Et la gestion de la lumière ?
Quand on est DJ, il faut parfois penser à augmenter la luminosité pendant les cortinas pour que les danseurs puissent faire la mirada plus facilement. Pour ma part, je suis plutôt partisan d’une lumière continue, comme on le fait à Buenos Aires, mais en Europe, certains organisateurs estiment que l’on doit avoir une lumière atténuée pendant les tandas. Il me faut donc leur donner satisfaction, même si je suis sûr que c’est une très mauvaise idée. Ceux qui ont suivi mes milongas virtuelles durant la pandémie ont peut-être remarqué que j’utilisais des systèmes lumineux (lyres et lasers, par exemple). Ces matériels sont commandés en DMX, un protocole spécialisé dans la gestion des effets lumineux. On peut donc imaginer que l’éclairage se règle en fonction de la musique. Beam et Resolume le permettent. Il suffit d’associer un troisième ordinateur pour gérer la partie lumière, ce que je faisais pendant la pandémie, avec même un quatrième pour la diffusion de la vidéo… Tout cela fonctionne chez moi, mais, pour le faire en milonga, il faut trouver un système portable et avec un réseau fiable, ainsi qu’un équipement DMX. En résumé, il me faudrait animer des milongas dans des boîtes de nuit qui disposent d’un équipement moins sommaire que les milongas habituelles. En résumé, je vais sans doute me contenter d’utiliser Beam lorsque j’aurai des possibilités de projection et seulement dans les très gros événements, je déploierai le système complet.
Pour écouter un peu de musique, retournez sur l’anecdote “Entre dos fuegos”.
L’excellent fileteador porteño, Gustavo Ferrari, alors que je passais ce titre dans une milonga m’a indiqué que ce titre était l’hymne des fileteadores (peintres décorateurs, spécialistes des filets décoratifs typiques de Buenos Aires). Comme j’adore ce tango, je le passe assez souvent, mais pas forcément dans la version du jour, celle d’Alberto Castillo qui était également un fan de ce tango comme nous le verrons. J’imagine que vous avez dans l’oreille l’enregistrement des deux anges, D’Agostino et Vargas. Mais, comme l’anecdote d’avant-hier était avec ces deux interprètes, il faut laisser de la place aux autres. C’est d’autant plus important que Vargas et D’Agostino semble s’être emparé du titre, laissant peu de place à d’autres enregistrements. Pourtant, plusieurs sont intéressants. À noter que, sur certains disques, on trouve Manoblanca, en un seul mot. J’ai unifié la présentation en Mano Blanca, mais les deux orthographes existent
Extrait musical
Mano Blanca 1943-12-07 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce.
Bien que ce soit un titre plutôt destiné à l’écoute, puisque le disque mentionne que Alberto Castillo est accompagné par son orchestre dirigé par Emilio Balcarce. Cependant cet enregistrement reste tout à fait présentable dans une milonga et c’est même presque étonnant que l’on ne l’entende quasiment jamais.
Partition de Mano Blanca. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi et l’angle de rue où se trouve le « musée Manoblanca ».
Paroles
Dónde vas carrerito del este castigando tu yunta de ruanos, y mostrando en la chata celeste las dos iniciales pintadas a mano.
Reluciendo la estrella de bronce claveteada en la suela de cuero, dónde vas carrerito del Once, cruzando ligero las calles del Sur.
¡Porteñito!… ¡Manoblanca!… Vamos ¡fuerza, que viene barranca! ¡Manoblanca!… ¡Porteñito! ¡Fuerza! ¡vamos, que falta un poquito!
¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!… Ahora sigan parejo otra vez, que esta noche me esperan sus ojos en la Avenida Centenera y Tabaré.
Dónde vas carrerito porteño con tu chata flamante y coqueta, con los ojos cerrados de sueño y un gajo de ruda detrás de la oreja.
El orgullo de ser bien querido se adivina en tu estrella de bronce, carrerito del barrio del Once que vuelves trotando para el corralón.
¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!… Ahora sigan parejo otra vez mientras sueño en los ojos aquellos de la Avenida Centenera y Tabaré. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi
Traduction libre des paroles
Où vas-tu petit meneur (conducteur de chariot hippomobile) de l’est en punissant ton attelage de rouans (chevaux de couleur rouanne), et en montrant sur la charrette bleue les deux initiales peintes à la main. Elle brille l’étoile de bronze clouée sur le harnais de cuir. Où vas-tu, petit meneur de Once, en traversant rapidement (légèrement, peut-être à vide), les rues du Sud. Porteñito… Manoblanca… (Ce sont les noms des deux chevaux) Allons, force, un fossé arrive ! Manoblanca… Porteñito ! Force ! Allons, il reste peu à faire ! Bien ! Bien !… Nous voilà sortis (de l’ornière, fossé)… Maintenant, continuez ensemble à nouveau, car ce soir, ses yeux m’attendent sur l’Avenida Centenera et Tabaré. (l’angle de ces deux avenues marque “La esquina del herrero, barro y pampa” que le même Homero Manzi mentionne dans son tango “Sur”. Où vas-tu, petit meneur portègne avec ta charrette flamboyante et coquette, avec les yeux fermés de sommeil (ou rêve) et un brin de rue (le gajo de ruda est une plante qui est censée éloigner le mal) derrière l’oreille. La fierté d’être bien aimé se devine dans ton étoile de bronze, petit meneur du quartier de Once, car tu reviens en trottant au corralón (hangar, garage). Bien ! Bien !… Nous voilà sortis. Maintenant, ils continuent en couple (chevaux en harmonie) de nouveau pendant que je rêve à ces yeux de l’Avenida Centenera et de Tabaré.
Les fileteados
Les fileteados son une expression artistique typique de Buenos Aires. Elle est apparue en premier sur les chariots et s’est étendue jusqu’à aujourd’hui dans tous les domaines.
Un chariot hippomobile décoré de fileteados. Cette charrette comporte des ridelles, ce que n’avait peut-être pas celle de la chanson qui est une simple chata (fond plat et qui avait sans doute quatre roues).
Un véhicule de quatre saisons richement décoré de fileteados. La chata de la chanson devait plutôt avoir 4 roues, mais l’idée est là…
Les deux premiers enregistrements, par Canaro, sont bien de a composition Arturo de Bassi, mais elles avaient été publiées à l’époque sous le titre El romántico fulero. Cette musique était une petite pièce à l’intérieur d’un tableau intitulé Románticos fuleros, lui-même inclus dans le spectacle Copamos la banca. Les paroles apportées par Homero Manzi 15 ans plus tard, à la demande de Bassi, ont donné une autre dimension à l’œuvre et lui ont permis de passer à la postérité.
El romántico fulero 1924 — Orquesta Francisco Canaro.
C’est un enregistrement acoustique, donc, d’une qualité sonore un peu compliquée, mais on reconnaît parfaitement le thème du tango du jour.
El romántico fulero 1926-09 — Azucena Maizani con acomp. de Francisco Canaro.
Le même Canaro enregistre, cette fois en enregistrement électrique le titre avec des paroles de Carlos Schaefer Gallo.
Paroles de Carlos Schaefer Gallo
Manyeme que’l bacán no la embroca, parleme que’l boton no la juna y en la noche que pinta la luna la punga de un beso le tiró en la boca. Aquí estoy en la calle desierta como un gil pa’ mirar su hermosura campaneando que me abra la puerta pa’ darle a escondidas un beso de amor.
Se lo juro que no hablo al cohete y que le pongo pa’usté cacho e cielo un cotorro que ni Marcelo lo tiene puesto con más firulete. Si usté quiere la pianto ahora si usté lo quiere digamelo, será mi piba mi nena la aurora, en esta sombra que’n el alma cayó.
Le pondré garçonnière a la gurda y tendrá vuaturé limusine, y la noche que nos cache curda veremos al chorro Tom Mix en el cine. Berretín que me das esperanza metejón que proteje la noche, piantaremos en auto o en coche como unos punguistas que fanan amor. Carlos Schaefer Gallo
Honnêtement, ces paroles en lunfardo pour un divertissement populaire d’entrée de gamme ne méritent pas vraiment de passer à la postérité. Je ne vous en donnerai donc pas la traduction. On notera toutefois que le texte fait référence au président de l’époque, Marcelo Torcuato de Alvear et à Tom Mix, un héros de western… L’auteur n’a reculé devant rien pour recueillir l’assentiment du public.
Mano Blanca 1943-12-07 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce. C’est notre tango du jour.Mano Blanca 1944-03-09 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
C’est la version de référence, une merveille absolue. Magnifique piano et voix des deux anges.
Mano Blanca 1960 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. y arr. por Osvaldo Requena.
Cette version, très différente de celle que Castillo a enregistrée en 1944, est clairement une chanson. Pas question de la passer en bal. Il me semble que Castillo surjoue un peu le titre, mais on peut apprécier.
Toujours la belle association entre la guitare de José Canet et la voix de Nelly Omar.
Mano Blanca c2010 — Miguel Ángel Báccola.
Une version en chanson que j’ai trouvée dans ma collection, sans savoir d’où j’avais acheté ce disque.
Mano Blanca 2013, Juan Carlos “Tata” Cedrón.
J’ai un petit faible pour “Tata” que j’ai connu adolescent (moi, pas lui). Cet enregistrement en studio montre qu’il a toujours le tango dans les veines. Cette vidéo vient de l’excellente chaine culturelle argentine « encuentro ». À bientôt, les amis, je monte sur mon petit chariot et je pars sur les rues du Sud, au rythme de mes petits chevaux rouans.
Les cabarets sont les premiers lieux « présentables » du tango naissant. L’Armenonville est l’un de ces cabarets, celui dont s’échappe Zorro Gris. Juan Félix Maglio crée ce tango pour ses amis, les créateurs de ce salon. Le tango du jour est son second enregistrement du titre. Allons visiter ce haut lieu du tango naissant.
Extrait musical
Armenonville1929-12–06 Orquesta Juan Maglio Pacho.
L’œuvre commence par trois accords mineurs descendants. Je suis sûr que ces trois accords plaintifs vous évoquent un autre tango, écrit par Juan Carlos Rodríguez. Je vous dirai lequel en fin d’article… Vous pourrez, en attendant, écouter les variations sur ce motif dans les différentes versions proposées où il apparaît à plusieurs reprises.
Autres versions
Armenonville 1912 — Cuarteto Juan Maglio “Pacho”.
Dans l’année suivant l’inauguration du cabaret, Maglio enregistre l’œuvre, le troisième tango qu’il a composé. Ici, c’est la petite formation, en cuarteto. La composition est jolie et élégante, mais la façon d’interpréter de l’époque rend un résultat un peu monotone, car les instruments jouent à l’unisson et chaque partie est rejouée de façon très similaire.
Armenonville1929-12–06 Orquesta Juan Maglio Pacho. C’est notre tango du jour.
Dix-sept ans plus tard, Maglio procède à un nouvel enregistrement. On mesurera entre les deux versions les progrès de l’enregistrement, qui est désormais électrique et plus acoustique. Maintenant, Maglio est à la tête d’un orchestre typique, plus complet. Ces deux avancées permettent une musique plus riche, des orchestrations plus complexes. Les instruments s’individualisent et jouent quelques traits en soliste, ce qui ne se trouvait pas à l’époque précédente.
Cet enregistrement au rythme plus soutenu est sans doute un peu confus pour le proposer en bal, mais il est joli. On sent que la tentation d’en faire une milonga n’est pas loin. Le piano de Juan Carlos Cambón est très présent et anime joliment ce titre qui se termine de façon allègre avec de jolis traits des différents instruments.
Armenonville 1958 Los Muchachos De Antes y Panchito Cao.
La clarinette de Panchito Cao est la vedette de cette version. Elle domine tout le titre. Le rythme de milonga est mieux marqué et l’on peut donc proposer cette version aux danseurs de milonga. La sonorité simple avec notamment la guitare en instrument rythmique évoque d’origine de ce tango.
D’Arienzo est le seul directeur de grand orchestre à avoir enregistré cette œuvre. On est en face d’un D’Arienzo tardif typique. L’énergie est présente, mais est-ce suffisant pour en faire un titre phare pour les bals. Assurément non. On notera que D’Arienzo a fait le choix de revenir au rythme du tango. En résumé, un résultat très intéressant, mais pas forcément adapté au bal.
Armenonville 1974-02-15 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Les orchestres uruguayens ont été friands de rythmes hésitant entre tango et milonga. On pourrait classer cette interprétation comme un canyengue rapide ou une milonga lente. En dehors de la difficulté de classer ce tango, on pourra toutefois apprécier son côté joueur et il pourrait convaincre les danseurs de se lancer sur la piste. On notera que, si Villasboas inclut les trois accords descendants, il les fait précéder par une anacrouse.
Ce cuarteto a pris le nom de ce tango, ou du cabaret, il était donc logique qu’il l’enregistre.
Les Armenonvilles
Le bandonéoniste Juan Maglio a créé son tango « Armenonville » pour évoquer le cabaret de ses amis, les anciens serveurs de l’hôtel Vignolles, Carlos Bonifacio Diego Lanzavechia et Manuel Loureiro. Ces derniers ont donc ouvert ce prestigieux établissement en 1911. Cependant, il n’existe pas un Armenonville, mais trois que je vais numéroter de 0 à 2.
Armenonville « 0 »
Armenonville « 0 », c’est le pavillon d’Armenonville qui existe toujours est situé dans le Bois de Boulogne à Paris.
Le pavillon d’Armenonville “0” est situé dans le Bois de Boulogne. Cette photo réalisée vers 1859 est attribuée à Charles-François Bossu dit Charles Marville. On remarquera l’architecture particulière du bâtiment avec ses ornementations en bois.
Il ne faut cependant pas se tromper en voyant cette architecture « champêtre », l’intérieur est luxueux, comme en témoigne cette huile sur toile d’Henri Gervex, exécutée en 1905, soit 6 ans avant l’ouverture de l’Armenonville de Buenos Aires.
Armenonville le soir du Grand ‑Prix — Henri Gervex 1905.
On notera que cette illustration qui représente l’Armenonville parisien est souvent reproduite pour témoigner de l’Armenonville de Buenos Aires… Mais ce n’est pas la seule erreur faite dans l’iconographie des Armenonvilles, comme nous allons le voir.
Arnemonville 1
Mon propos étant portègne, j’ai numéroté 0, l’Armenonville de Paris, pour ne pas changer la numérotation habituelle des édifices de Buenos Aires.
Sur la couverture de la partition, on peut voir l’ancien Armenonville, celui que Maglio a glorifié.
Comme on peut le voir sur la couverture de la partition, le pavillon Armenonville est dans un parc. On ne voit pas bien son architecture sur cette illustration, en revanche, on dispose de quelques photos.
Armenonville 1. On considère que le modèle est l’Armenonville de Paris. On remarquera toutefois que la ressemblance est assez lointaine, mais l’inspiration et le nom témoignent de la volonté de mettre en avant le côté “chic” français.
L’architecture a quelques similitudes avec le « modèle » parisien et il est donc convenu de considérer que c’est une inspiration directe. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, tout ce qui est français est « chic », le tango bénéficiera de cette étiquette peu après.
Sur cette image, on peut voir qu’il devait être sympathique de prendre un rafraîchissement dans ce cadre.Comme on le voit sur la couverture de la partition, les bâtiments sont entourés d’un parc, parc propice à diverses activités que la morale parfois réprouve. Mais, dans la journée, c’est un lieu de promenade tout à fait agréable.
Si Armenonville 0, le modèle parisien a désormais trois siècles (300 ans), l’Armenonville 1 n’a duré que 14 ans. Édifié en 1911, il a été rasé en 1925.
Emplacement de l’Armenonville 1. C’est maintenant la Plaza Republica de Chile. Image Google maps.
Cependant, on voit souvent des représentations de l’Armenonville avec une salle immense et un aspect bien plus imposant que ce pavillon de chasse. L’erreur vient de ce qu’un autre Armenonville a été construit…
Armenonville 2
Cette illustration montre la magnificence du site dont il ne reste rien…
L’illustration de couverture de l’article représente l’intérieur de la salle de l’Armenonville 2. J’ai donc un peu triché pour cette anecdote en ne montrant pas l’Armenonville qui a servi d’inspiration à Maglio. L’Armenonville 2, comme vous pouvez en juger est d’une toute autre ampleur que ses aînés. On reconnaît son architecture Arts déco et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se représenter la splendeur du lieu, même si lui aussi n’a pas survécu bien longtemps. Cet édifice a été conçu par l’architecte Valentín M. Brodsky en 1927.
Valentín M. Brodsky en 1919, médaille d’or de son école d’architecture. Sa signature sur un immeuble situé à l’angle de Scalabrini Ortiz (la rue qui s’appelait à l’époque Canning et où se trouvait l’Armenonville 2) et Córdoba.
Même s’il n’a pas grand-chose à voir avec le tango, je vous présente la photo de Valentín M. Brodsky, car il fut un élève très apprécié de son école d’architecture où il a obtenu divers prix, dont la médaille d’or, mais surtout l’appréciation de ses collègues et professeurs, comme élève brillant et aimable. Peu de temps après son diplôme, il se voit confier la réalisation de l’Armenonville 2, cet immense projet qui fera la démonstration de son talent.
Sur cette iconographie, on peut lire que le Dancing “Armenonville” a été construit en 70 jours ouvrables. Cela renforce notre estime pour son jeune architecte.
Comme on peut le lire sur ce document, l’Armenonville 2 était situé rue Canning au 3533 (en fait, les propriétaires de l’ancien Armenonville avaient acheté une demie manzana (bloc) et donc le bâtiment avait de l’espace. Il a été construit en 70 jours ouvrables.
Armenonville 2Armenonville 2Armenonville 2 (intérieur)Entrée de “Les Ambassadeurs”, le nouveau nom de l’Armenonville 2.Un prospectus de “Les Ambassadeurs”. On peut y voir qu’il est indiqué 3000 couverts…Une affiche de l’Armenonville 2
En 1960, le bâtiment fut acheté et utilisé pour la chaine de télévision Canal 9 qui l’utilisa un an, car le bâtiment brûla en 1961.
Le repère rouge de cette carte Google indique l’emplacement de l’Armenonville 2 dont il ne reste plus rien.
Voilà, les trois Armenonvilles bien différenciés et vous pourrez, comme-moi, bondir quand vous verrez ces articles ou vidéos mélangeant tout. Un dernier point à préciser, les emplacements relatifs de Armenonville 1 et Armenonville 2. En fait, les deux étaient proches, mais pas situés exactement au même endroit comme on le lit parfois (souvent). Lorsque la ville a fait fermer l’Armenonville 1, les propriétaires ont acheté le terrain d’Armenonville 2 situé un peu plus à l’Ouest et fait construire rapidement le nouveau bâtiment.
Emplacements relatifs sur une carte Google maps qui permet de voir que les deux Armenonvilles n’étaient pas sur le même terrain.
Les trois accords du début
Voici la réponse à la petite devinette du début de l’article. Les trois accords mineurs se retrouvent dans un autre titre, postérieur. La composition de Maglio a donc été « copiée », à moins qu’il s’agisse d’une inspiration commune.
Les trois premiers accords, en rouge, vert puis bleu, sont semblables dans ces deux titres.
Le tango qui reprend cet artifice, c’est Queja indiana (plainte indienne) de Juan Rodriguez. On retrouve le mode mineur, les deux accords constitués de noires (en rouge et vert dans mon illustration) et le troisième de blanches (en bleu). Queja indiana permit à Juan Rodriguez d’obtenir un prix offert par Disco Nacional del Palace Theatre (qui était au 757, rue Corrientes). Il se peut que Juan Rodriguez se soit inspiré de la composition de Juan Maglio, Maglio ayant composé ce titre cinq ans avant la première composition de Rodriguez. Pour terminer, voici la composition de Juan Rodriguez interprétée par Roberto Firpo.
La nostalgie et l’orgueil pour la pauvreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tango. « Yo soy de Parque Patricios » est de cette veine… Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les souvenirs et un passé à la fois lointain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Vargas nous évoquent de si belle façon. Nous découvrirons l’origine du nom et verrons quelques images de ce quartier qui a toujours un charme certain et que je peux voir de mon balcon.
Extrait musical
Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.Partition de Yo soy de Parque Patricios de Victor Felice et Carlos Lucero.
Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démarrent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien marqué avec des alternances de piano, des passages puissants et d’autres plus rêveurs chantés par les violons. Un peu avant la moitié du titre, Ángel Vargas commence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quartier et qu’il y est né. La séance de nostalgie démarre, ponctuée de variations marquées par l’orchestre, tantôt marchant et rythmique, tantôt glissant et suave. Comme toujours chez ce « couple » des anges, une parfaite réalisation, à la fois dansante, prenante et d’une grande simplicité dans l’expression des sentiments. En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est constitué de longs glissandos des violons, procèdent de la même construction par opposition. On remarquera dans les deux titres, comme dans de nombreux autres, de cette association qui enregistra près d’une centaine de titres (93 ?), ces petites échappées musicales qui libèrent la pression de la voix de Vargas, ces petites notes qui s’échappent au piano, violon ou bandonéon et qui montent légèrement dans un parcours sinueux et rapide.
Paroles
Yo soy de Parque Patricios he nacido en ese barrio, con sus chatas, con su barro… En la humildad de sus calles con cercos de madreselvas aprendí a enfrentar la vida… En aquellos lindos tiempos del percal y agua florida, con guitarras en sus noches y organitos en sus tardes. Yo soy de Parque Patricios vieja barriada de ayer…
Barrio mío… tiempo viejo… Farol, chata, luna llena, viejas rejas, trenzas negras y un suspiro en un balcón… Mayorales… cuarteadores… muchachadas de mis horas, hoy retornan al recuerdo que me quema el corazón.
Hoy todo, todo ha cambiado en el barrio, caras nuevas y yo estoy avejentado… (Mil nostalgias en el alma) Mis cabellos flor de nieve y en el alma mil nostalgias soy una sombra que vive… Recordando aquellos tiempos que su ausencia me revive, de mi cita en cinco esquinas… y de aquellos ojos claros. Yo soy de Parque Patricios evocación de mi ayer… Victor Felice Letra: Carlos Lucero
Vargas change ce qui est en gras. La phrase en rouge remplace la plus grande partie du dernier couplet. Elle n’est pas dans le texte original de Carlos Lucero.
Traduction libre
Je suis de Parque Patricios, je suis né dans ce quartier, avec ses chariots, avec sa boue… Dans l’humilité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affronter la vie… En ces beaux temps de percale et d’eau de Cologne (agua florida), avec des guitares dans leurs nuits et des organitos (orgues ambulants) dans leurs après-midis. Je viens de Parque Patricios, vieux quartier d’hier… Mon quartier… le bon vieux temps… Réverbère, chariots, pleine lune, vieux bars, tresses noires et un soupir sur un balcon… Les mayorales (préposé aux billets du tramway)… cuarteadores (cavaliers aidant à sortir de la boue les chariots embourbés)… Les bandes de mes heures, aujourd’hui, elles reviennent à la mémoire qui me brûle le cœur. Aujourd’hui, tout, tout a changé dans le quartier, de nouveaux visages et je suis vieux… Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nostalgies, je suis une ombre qui vit… Me souvenir de ces moments que son absence ravive, de mon rendez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs. (Ce passage n’est pas chanté par Vargas qui fait donc l’impasse sur l’histoire d’amour perdue). Je suis de Parque Patricios évocation de mon passé…
Autres versions
La version de Vargas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quartier de Parque Patricios a suscité des nostalgies et plusieurs titres en témoignent.
Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
Parque Patricios 1928-09-12 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo (Antonio Oscar Arona (Música y letra)
Paroles de la version de Oscar Arona
Cada esquina de este barrio es un recuerdo de lo mágica y risueña adolescencia; cada calle que descubre mi presencia, me está hablando de las cosas del ayer… ¡Viejo barrio! … Yo que vengo del asfalto te prefiero con tus calles empedradas y el hechizo de tus noches estrelladas que en el centro no se sabe comprender.
¡Parque Patricios!… Calles queridas hondas heridas vengo a curar…
Sonreís de mañanita por los labios de las mozas que en bandadas rumorosas van camino al taller; sos romántico en las puertas y en las ventanas con rejas en el dulce atardecer; que se adornan de parejas te ponés triste y sombrío cuando algún muchacho bueno traga en silencio el veneno que destila la traición y llorás amargamente cuando en una musiquita el alma de Milonguita cruzó el barrio en que nació.
¡Viejo Parque!… Yo no sé qué airada racha me alejó de aquella novia dulce y buena que ahuyentaba de mi lado toda pena con lo magia incomparable de su amor… Otros barrios marchitaron sus ensueños… ¡Otros ojos y otras bocas me engañaron el tesoro de ilusiones me robaron hoy mi vida, encadenado está al dolor!…
Oscar Arona
Traduction libre de la version de Oscar Arona
Chaque recoin de ce quartier est un rappel de l’adolescence magique et souriante ; Chaque rue que découvre ma présence me parle des choses d’hier… Vieux quartier… Moi, qui viens de l’asphalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au centre-ville, ils ne peuvent pas comprendre. Parque Patricios… Chères rues, blessures profondes, je viens guérir… Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en troupeaux bruyants, se rendent à l’atelier ; Tu es romantique dans les portes et dans les fenêtres avec des barreaux dans le doux coucher de soleil ; qui se parent de couples. Tu deviens triste et sombre quand un bon garçon avale en silence le poison que la trahison distille et tu pleures amèrement quand, dans une petite musique, l’âme de Milonguita a traversé le quartier où elle est née. Vieux parc (Parque Patricios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chassé tout chagrin de mon côté avec la magie incomparable de son amour… D’autres quartiers ont flétri ses rêves… D’autres yeux et d’autres bouches m’ont trompé, ils m’ont volé le trésor des illusions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…
Honnêtement, je ne suis pas certain que ce tango ait pour thème le même quartier, en l’absence de paroles. Cependant, Juan Pecci est né dans le Sud du quartier San Cristobal à deux cuadras du quartier de Parque Patricios, l’attribution est donc probable. Pecci était violoniste de Bianco avec qui il avait fait une tournée en Europe.
Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)
Barrio porteño (Parque Patricios) 1942-08-07 — Osvaldo Fresedo Y Oscar Serpa (Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Demattei).
Fresedo est plutôt de la Paternal, un quartier situé bien plus au Nord, mais il enregistre également ce tango sur Parque Patricios. Après le départ de Ricardo Ruiz, l’orchestre de Fresedo semble avoir cherché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Serpa soit le meilleur choix pour le tango de danse, mais l’assemblage n’est pas mauvais si on tient en compte que l’orchestration de Fresedo est également renouvelée et sans doute bien moins propice à la danse que ses prestations de la décennie précédente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait perdre un peu de son âme et la décennie suivante et accélèrera cet éloignement du tango de danse. Fresedo avait la réputation d’être un peu élitiste, disons qu’il s’est adapté à un public plus « raffiné », mais moins versé sur le collé-serré des milongueros.
Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei
Perdoná barrio porteño Que al correr tu vista tanto, Voy vencido por la vida Y en angustias sé soñar. Vuelvo atrás y tú en mis sienes Marcarás las asechanzas, De esta noche tormentosa De mi loco caminar.
Han pasado muchos años Y es amargura infinita, La que traigo dentro del pecho Desangrado el corazón. Apagada para siempre De su cielo, mi estrellita, El regreso es un sollozo Y una profunda emoción.
Mi acento ya no tiene Tus tauras expresiones, Con que cantaba al barrio En horas del ayer. Por eso mi guitarra Silencia su armonía, En esta noche ingrata De mi triste volver.
Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Dematte
Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei
Pardonne-moi quartier portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vaincu par la vie et dans l’angoisse je sais rêver. Je reviens et toi, dans mes tempes, tu marqueras les pièges, de cette nuit d’orage, de ma folle marche. De nombreuses années ont passé et c’est une amertume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saignant mon cœur. Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un sanglot et une émotion profonde. Mon accent n’a plus tes expressions bravaches, avec lesquelles je chantais au quartier aux heures d’hier. C’est pourquoi ma guitare fait taire son harmonie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.
Parque Patricios de Antonio Radicci et Francisco Laino (Milonga)
Cette géniale milonga est une star des bals. Deux versions se partagent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, contemporaine de l’autre Francisco, Lomuto avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux portent parfaitement l’improvisation en milonga, comportent des cuivres pour une sonorité originale et si on n’est sans doute un peu plus accoutumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.
Parque Patricios 1940-10-03 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra).Parque Patricios 1941-06-27 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra)
Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino
Mi viejo Parque Patricios querido rincón porteño, barriada de mis ensueños refugio de mi niñez. El progreso te ha cambiado con su rara arquitectura, llevándose la hermosura de tu bondad y sencillez. Cuántas noches de alegría al son de una serenata, en tus casitas de lata se vio encender el farol. Y al sonar de las vigüelas el taita de ronco acento, hilvanaba su lamento sintiéndose payador (trovador en la versión de Famá).
Antonio Radicci Letra: Francisco Laino
Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino
Mon vieux Parque Patricios, cher recoin de Buenos Aires, quartier de mes rêves, refuge de mon enfance. Le progrès t’a changé avec son architecture étrange, t’enlevant la beauté de la bonté et de ta simplicité. Combien de nuits de joie au son d’une sérénade, dans tes petites maisons de tôle se voyait allumer la lanterne. Et au son des vigüelas [sortes de guitares] le taita [caïd] avec un accent rauque, tissait sa complainte en se sentant payador.
Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
Une version plutôt jolie, mais qui ne devrait pas satisfaire les danseurs. Contentons-nous de l’écouter. On pourra s’intéresser à la jolie prestation au bandoneón de Edgardo Pedroza.
Viejo Parque Patricios 1955-04-15 — Gerónimo Bongioni y su Auténtico Cuarteto “Los Ases” (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia)
La version proposée par Bongioni est bien différente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrouvera une inspiration de Firpo et des Uruguayens comme Racciatti et Villasboas). Même si c’est très joueur, à la limite de la milonga, le résultat est sans doute assez difficile à danser par la plupart des danseurs.
Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
Bien que les deux enregistrements soient instrumentaux, il y a des paroles qui ne semblent cependant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.
Por los corrales de ayer Mis años yo pasé, Barrio florido Yo fui el primero Que te canté. En Alcorta y Labardén, Caseros y Arena, Bordé mi nido de amor. Y en una cuadrera Supe ser buen ganador, El Pibe, El Chueco y El Inglés Por una mujer, Se trenzaron en más de una vez Con este cantor.
Porteño soy De las tres esquinas, Pinta cantora Para un querer. Nací en el Parque Patricios Sobre los viejos corrales de ayer. Porteño soy De las tres esquinas, Y en mi juventud florida El lecherito del arrabal, Y como también Un bailarín sin rival. Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia
Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
À travers les corrales d’hier. Mes années j’ai passé. Quartier fleuri, j’ai été le premier qui t’a chanté. À Alcorta et Labardén, Caseros et Arena, j’ai brodé mon nid d’amour. Et dans une course de chevaux (peut-être aussi écurie), j’ai su être un bon gagnant. El Pibe, El Chueco et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte). Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chantante pour un amour. Je suis né à Parque Patricios sur les anciens corrales d’hier. Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laitier des faubourgs, et aussi bien, un danseur sans rival.
Et pour terminer avec les versions, Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián. C’est une composition de Martina Iñíguez et de Mateo Villalba. C’est une version légère, doucement valsée et chantée avec des paroles différentes.
Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián
El Parque de los Patricios
Ce quartier porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysagiste français, Charles Thays. Né à Paris en 1849, cet architecte, naturaliste, paysagiste, urbaniste, écrivain et journaliste français a déroulé l’essentiel de sa carrière en Argentine, notamment en dessinant et aménageant la plupart des espaces verts de Buenos Aires, mais aussi d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du second parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il participa également à l’amélioration de la culture industrielle de yerba mate (germination), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.
Le Parque Patricios tel qu’il a été créé à l’origine. Dessin de 1902.
Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre destination. Nous en avons parlé à diverses reprises. C’étaient les abattoirs et la décharge d’ordures. Beaucoup y voient le berceau du tango, voire de Buenos Aires. En fait, tout le territoire actuel de la « Comuna 4 » constitue le Sud (Sur), zone particulièrement propice à la nostalgie et notamment chez D’Agostino et Vargas, qui ont produit plusieurs titres évoquant les quartiers de cette commune. Le nom de Parque Patricios ou Parque de los Patricios a été donné au parc par l’Intendant Bulrich en l’honneur des Patricios, ce prestigieux bataillon de l’armée argentine.
Les Patricios continuent aujourd’hui à animer la vie argentine, même si leur dernier engagement a été pour les Malouines. À droite, l’uniforme au début du régiment (1806–1807). À l’extrême droite, un officier.La commune 4 de Buenos Aires, correspond sensiblement au Sur « mythique » avec les quartiers très populaires de Parque Patricios, Nueva Pompeya, Barracas et La Boca. On pourrait rajouter la zone inférieure de Boedo qui appartient à la commune 5, cette zone chère à Homero Manzi.
Voici à quoi ressemblait le quartier de Parque Patricios au début du 20e siècle. On comprend son surnom de barrio de las latas évoqué dans le tango dont nous avons déjà parlé.
Mais outre cet habitat particulièrement pauvre, la zone était également une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détritus de Buenos Aires. Les ordures étaient transportées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.
Un mural reproduisant le parcours du train des ordures rue Oruro 1400.El tren de la basura.
L’autre spécialité de la zone était les abattoirs, Los Corrales, qui à la suite de la construction de nouveaux abattoirs à Abasto, sont devenus Los Corrales Viejos…
Deux détails du mural du train des ordures de la rue Oruro. On remarquera que de véritables « détritus » ont été utilisés, mais avec une intention artistique évidente.
Ceux qui aiment les milongas dynamiques se ruent en général sur la piste aux premières notes de Milonga querida interprétés par D’Arienzo et Echagüe et ils ont bien raison. Malgré un rythme qui semble soutenu, cette milonga aide les danseurs à s’amuser, ce qui n’est pas autant le cas avec ces milongas que l’on met trop souvent en pensant que les danseurs ne sont pas au niveau… Au contraire, il faut ce type de milonga pour les faire progresser et danser avec joie. Le canyengue n’est pas de la milonga…
Extrait musical
Milonga querida 1938-11-09 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Le piano incisif de Juan Polito qui venait de reprendre la main (je devrais dire les deux mains, puisqu’il s’agit de piano) après l’exclusion de Rodolfo Biagi de l’orchestre. Deux accords posent le tempo et le piano lance la milonga immédiatement. Des passages traspies (staccato) alternent avec des passages lisses (legato), ce qui permet aux danseurs, à la fois de varier les improvisations et de se reposer un peu, ou pour le moins de prendre leur marque dans le flot de la milonga pour s’intégrer dans l’harmonie du bal. La vitesse semble très rapide, mais elle est suffisamment modérée pour pouvoir parfaitement jouer avec la musique. L’attention est soutenue par l’alternance des parties et quand Echagüe commence à chanter, il reste totalement dans le rythme, ce rythme cher à D’Arienzo et qu’il ne sacrifiera surtout pas pour une milonga. Les instruments, notamment les cordes et les bandonéons, semblent lancer des piques. Les accords sont brefs, nerveux. On se représente bien D’Arienzo, penché en avant avec l’avant-bras dont le poing est serré, encourageant ses musiciens à donner ces accords, un par un ou par salves nettes dans un staccato très intense, jusqu’aux délivrances des passages liés. Si vous êtes danseur et intéressé par la musicalité, vous trouverez sans doute pas mal d’inspiration dans cette milonga ponctuée par les fioritures du piano de Polito dans la lignée de Biagi. La diction de Echagüe, sans doute à son apogée dans cette interprétation, permet de capter les paroles, tout en utilisant la voix comme un instrument rythmique, favorisant la continuité stylistique avec les parties orchestrales. La fin arrive de façon abrupte, comme si D’Arienzo après avoir lancé les danseurs dans une danse effrénée, voulait les pousser à la faute en les faisant continuer de bouger alors que la musique s’est arrêtée. Bien sûr, cet enregistrement est tellement connu que les danseurs ne se laissent pas surprendre, mais on peut imaginer l’ambiance que le titre provoquait lors de ses premières exécutions.
Paroles
No la pintaron los poetas en sus versos seductores, ni conocieron su vida ni el amor de sus amores. Fue la más linda del barrio y por linda, codiciada, y más de cien entreveros su belleza provocó.
Pero ella bien conocía quién en silencio la amaba y a nadie al fin comprendía pues con ninguno se daba; por verla sola, muy sola, mil comentarios se hicieron y difamaron su nombre al no conseguir su amor.
Aquel muchacho tan triste, tan humilde y tan sencillo, se fue en silencio una noche del alegre conventillo. Y aquella piba bonita por bonita codiciada, cargó una tarde sus cosas, y a su barrio no volvió.
Juan Larenza Letra: Lito Bayardo
Traduction libre
Les poètes ne l’ont pas peinte dans leurs vers séducteurs ni ne connurent sa vie ni l’amour de ses amours. C’était la plus belle du quartier et parce qu’elle était belle, convoitée, et plus d’une centaine de bagarres, sa beauté a provoqué. Mais elle savait bien qui l’aimait en silence, et elle ne comprenait personne à la fin, car à aucun elle se donnait ; À la voir seule, très seule, mille commentaires se firent et diffamèrent son nom, car ils n’avaient pas obtenu son amour. Ce garçon, si triste, si humble et si simple, sortit en silence une nuit du joyeux conventillo (logement collectif pauvre). Et cette jolie fille, convoitée pour sa beauté, une après-midi, a emporté ses affaires, et elle n’est pas revenue dans son quartier.
Autres versions
Milonga querida 1938-11-09 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre milonga du jour.Milonga querida 1990c — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Avec l’Uruguayen Villasboas, on reste dans une dimension joueuse. On reconnaît son style et ses arrangements particuliers. Son piano est sans doute moins présent que celui de Polito, cela laisse plus de clarté pour les violons et bandonéons. On pourra peut être moins apprécier la trop grande régularité qui peuvent engendrer de la monotonie. Je pense qu’écouter cette version après celles de D’Arienzo qui lui est antérieure d’un demi-siècle montre bien la différence d’une musique parfaite pour la danse par rapport à une musique sympathique, mais qui ne porte pas aussi bien.
Et un titre identique, mais totalement différent. C’est une création de Eduardo Pereyra (El Chon) qui est encore dans l’esprit canyengue.
Milonga querida 1931-11-23 — Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.
On ne peut pas dire que ce soit vilain, mais sauf pour les amateurs d’encuentros, difficile de résister (dans le sens supporter) à une tanda de ce type… La fin un peu plus vivante ne sauve pas forcément l’ensemble…
Vous aurez compris que si on me demande « Milonga querida » je proposerai systématiquement la version de D’Arienzo et Echagüe.
Paroles du tango « Milongua querida » de Eduardo Pereyra
Milonguita querendona Mi más vieja compañera, Te llevo en el corazón Como al más fiel de mis amores.
Tu canción es el recuerdo De mi vida aventurera, Que me embriaga de dolor Al recordar aquel tiempo mejor.
Eduardo Pereyra (El Chon) (Paroles et musique)
Traduction libre du texte de Eduardo Pereyra (El Chon)
Petite milonga amoureuse (qui s’énamoure facilement) Ma plus vieille compagne, Je te porte dans mon cœur Comme le plus fidèle de mes amours. Ta chanson est le souvenir De ma vie aventureuse, Qui m’enivre de douleur Au souvenir de ces temps meilleurs. Le texte fait sans doute plus penser aux textes des milongas des payadores qu’au rythme allègre qui en reprendra le nom.
Les auteurs
La collaboration entre Juan Larenza et Lito Bayardo a donné la très célèbre zamba, Mama vieja, que De Angelis enregistrera en forme de valse, comme la magnifique valse Flores del alma (dont les paroles ont été coécrites avec Alfredo Lucero).
Juan Larenza (1911–1980), pianiste et compositeur
Juan Larenza
Les compositions de Larenza ont été enregistrées par de nombreux orchestres, dont De Angelis, D’Arienzo, Aníbal Troilo (avec le fameux Guapeando) et même Di Sarli. Sa plus célèbre biographie a été écrite ; justement par Lito Bayardo dans son ouvrage « Mis 50 años con la canción argentina »
Le livre de Lito Bayardo “50 años con la canción argentina” dans lequel il parle de son ami Juan Larenza. À droite, Larenza est le deuxième en partant de la droite et Bayardo le troisième.
Manuel Juan García Ferrari (1905–1986), plus connu comme Lito Bayardo, guitariste, chanteur, compositeur et parolier
Bayardo a écrit à la fois des textes de tangos et a composé des tangos dont il était également le parolier. Un des plus connus est sans doute Cuatro lágrimas enregistré, notamment, par Ricardo Tanturi avec Enrique Campos, Francisco Canaro avec Alberto Arenas et Rodolfo Biagi avec Alberto Amor.
Nous avons vu le 9 août un tango du même titre Una vez interprété par la Orquesta Típica Victor dirigée par Mario Maurano avec le chant de Ortega Del Cerro. La version du jour est celle composée par Osvaldo Pugliese et n’a donc rien à voir avec celle de Carlos Marcucci. Je vous propose d’en savoir un peu plus sur cette œuvre romantique et magnifique.
Extrait musical
Una vez 1946-11-08 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo). Partition de Una vez de Osvaldo Pugliese et Cátulo Castillo. Alfredo Gobbi est en photo avec son violon en haut à gauche et en bas à droite, le sourire de Mariano Mores.
Un premier appel est lancé par les bandonéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapidement, les cordes passent en pizzicati et Morán lance sa voix charmeuse et caressante. On retrouve donc un peu le principe de la version de Marcucci avec la voix en contrepoint avec les cordes. L’harmonie est cependant plus travaillée, avec un enchevêtrement des parties plus complexe. Le soliste laisse parfois la place aux instruments qui donnent le motif avec leur voix propre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tangos de danse. On pourrait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont tellement habitués à ce type de composition qu’ils seraient bien frustrés si le DJ se les interdisait.
Paroles
Una vez fue su amor que llamó y después sobre el abismo rodó, la que amé más que a mí mismo fue. Luz de su mirada, siempre, siempre helada. Sabor de sinsabor, mi amor, amor que no era nada. Pequeñez de su burla mordaz, una vez, sólo en la vida, una vez.
Pudo llamarse Renée o acaso fuera Manón, ya no me importa quien fue, Manón o Renée, si la olvidé… Muchas llegaron a mí, pero pasaron igual, un mal querer me hizo así, gané en el perder, ya no creí.
Luz lejana y mansa que ya no me alcanza. Mi voz gritó ayer, hoy, amor, sin esperanza. Una vez, fue su espina tenaz una vez, sólo en la vida, una vez. Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo
Traduction libre
Une fois, c’était son amour qui m’appelait puis vagabondait au-dessus de l’abîme, celle que j’aimais plus que moi-même. La lumière de son regard, toujours, toujours glaciale. Le goût sans goût, mon amour, amour qui n’était rien. La petitesse de sa moquerie mordante, une fois, seulement dans la vie, une fois. Elle aurait pu s’appeler Renée ou peut-être que c’était Manón, je m’en moque de qui c’était, Manón ou Renée, si je l’ai oubliée… Beaucoup sont venues à moi, mais elles sont passés également, un mauvais amour m’a fait comme ça, j’ai gagné en perdant, je n’y croyais plus. Lumière lointaine et douce qui ne m’atteint plus. Ma voix a crié hier, aujourd’hui, amour, sans espoir. Une fois, ce fut son aiguillon tenace une fois, seulement dans la vie, une fois.
Autres versions
Contrairement à la version de Carlos Marcucci, il y a divers enregistrements de ce titre composé par Pugliese avec des paroles de Castillo.
Una vez 1945 — Orquesta Edgardo Donato con Osvaldo Morel.
Un an avant Pugliese, Donato propose son enregistrement. Si on retrouve la puissance de la composition de l’antimufa, la voix de Morel a un peu de mal à convaincre, malgré son prénom d’Osvaldo. Le résultat n’est pas vilain, mais à mon avis, ce n’est pas trop pertinent pour Donato d’avoir voulu mettre à son répertoire, ce titre qui s’éloigne trop de son style, style qu’il cherchait à moderniser pour rattraper l’évolution.
Una vez 1946-10-31 — Orquesta Osmar Maderna con Pedro Dátila.
Précédant de peu la version enregistrée par Pugliese, celle de Maderna avec Pedro Dátila est intéressante. Le piano de Maderna est plus décoratif que celui de Pugliese et la voix de Pedro Dátila est expressive, sans doute autant que celle de Alberto Morán, si on peut préférer ce dernier, c’est peut-être aussi, car sa voix nous est plus familière. Même si on préfère la version de Pugliese, celle de Maderna est tout à fait dansante, voire plus que celle de l’auteur de la musique.
Una vez 1946-11-08 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. C’est notre tango du jour.Una vez 1964 — Orquesta Fulvio Salamanca con Luis Roca.
Salamanca n’a pas la réputation de faire de la musique pour la danse et cet enregistrement ne contredira pas ce fait. Cela n’interdit pas d’aimer cette version et de détester le DJ qui vous la proposerait en bal 😉
Una vez 1968-05-31 — Alberto Morán accompagné par una Orquesta dirigée par Armando Cupo.
Si Cupo a fait quelques enregistrements intéressants et que le chanteur, Morán, est le même que dans la version de Pugliese (24 ans plus tard), il est difficile de s’enthousiasmer pour cette version.
Photos
Le fait que ce soit Mores et Gobbi sur la partition m’a donné l’idée de vous proposer des photos de Pugliese et de Castillo.
Pugliese, Pugliese, Pugliese, lancé par les artistes et techniciens du spectacle pour conjurer le mauvais sort. Pugliese, antimufa…Castillo, Castillo, Castillo, mais là, cela n’a aucun effet antimufa (anti-poisse).
En Europe, il y a une étonnante coutume qui consiste à danser la milonga sur n’importe quel rythme ; Chamame, polka et même fox-trot. Il est probable que cette coutume vient d’une méconnaissance par certains DJ de la variété des orchestres de tango qui pour beaucoup ont enregistrée, outre des tangos (valses et milongas), des titres de Jazz (par exemple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont proposé ces airs, pensant qu’il s’agissait de milongas. Comme les danseurs n’étaient pas très familiers avec le rythme de la milonga, ils ont rebondi sur la proposition et, désormais, c’est devenu une habitude bien ancrée que de danser ces danses dans un simulacre de milonga. Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dommage de s’en passer. Alors, même si vous la dansez en « milonga », le principal est de se faire plaisir. Le plus connu des fox-trots utilisés comme milonga est sans doute La colegiala de Rodriguez, notamment la version du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins connu, mais assez sympathique, comme vous allez pouvoir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milonga formidable, mais assurément un excellent fox-trot…
Extrait musical
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) — Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).
Paroles
Pour une fois, je ne vais pas explorer les paroles, car chaque version est différente et je vais donc présenter seulement quelques extraits. Pour commencer, le titre d’origine.
Paroles en anglais
You’re Driving Me Crazy (What Did I Do?)
You left me sad and lonely Why did you leave me lonely For here’s a heart that’s only For nobody but you I’m burning like a flame, dear Oh, I’ll never be the same, dear I’ll always place the blame, dear On nobody but you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do? What did I do? My tears for you make everything hazy Clouding the skies of blue How true were the friends who were near me To cheer me, believe me, they knew But you were the kind who would hurt me Desert me when I needed you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do to you Walter Donaldson
Traduction libre de la version originale en anglais
Tu m’as laissé triste et seul Pourquoi m’as-tu laissé seul Car voici un cœur qui n’est Pour personne d’autre que vous Je brûle comme une flamme, ma chère Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère Je mettrai toujours le blâme, ma chère Sur personne d’autre que vous Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Mes larmes pour toi rendent tout brumeux Mettant des nuages dans le ciel bleu Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères Pour m’encourager, crois-moi, ils savaient Mais tu étais du genre à me faire du mal Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Quelques extraits des différentes versions en espagnol
Les paroles de Francisco Antonio Lío ont été, comme toujours, utilisées en partie par les orchestres. N’ayant pas trouvé de version imprimée, je vous propose des bribes extraites des différentes versions.
Me vuelves loco nena, con tus caprichos vanos. Tienes que ser más buena para mi corazón. […] Bien sabes que te quiero y en cambio tú, querida _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devoción. […] Loco de tanto adorarte nena, ya estoy por ti. […] Por ti estoy trastornado y no hay razón para sufrir Por tu desdén tantas desventuras hay dime que si mi amor el cariño que yo te profeso es dicha y pasión Mi afán es amarte con loco embeleso y devoción Loco de tanto adorarte nena ya estoy por ti.
Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices. Tu devrais être plus gentille avec mon cœur. Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine. Tout mon empressement est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévotion. Fou de t’adorer autant bébé, je le suis déjà pour toi. Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de raison de souffrir. Par ton dédain il y a tant de malheurs dis-moi que si mon amour, l’affection que je professe pour toi est joie et passion. Mon empressement est de t’aimer avec un fou ravissement et de la dévotion. Fou de tant t’adorer bébé, je le suis déjà pour toi.
°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas identifiés.
Autres versions
En 1930 Walter Donaldson compose et écrit les paroles de You’re driving me crazy qui sera dansé et interprété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musicale « Smiles ». Le titre est un succès et est repris par différents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nombreuses versions de ce fox-trot qui est connu sous différents noms, traduction plus ou moins approximative de You’re driving me crazy.
Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Photo de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musicale de Florenz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.You’re driving me crazy 1930 — The New York Twelve.You’re driving me crazy (What did I do) 1930 — Lee Morse.
What did I do qui est répété trois fois dans la version anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.
You’re driving me crazy! 1930-12-23 — Louis Armstrong and His Sebastian New Cotton Club Orchestra avec Les Hite’s Orchestra.
L’enregistrement a été réalisé à Los Angeles le 23 décembre 1930 en réunissant l’orchestre de Louis Armstrong et celui de Les Hite. Jugez de la qualité des musiciens qui composent ce grand orchestre de jazz. Banjo : Bill Perkins Basse : Joe Bailey Percussion : Lionel Hampton Guitare : Bill Perkins Piano : Jimmie Prince Direction de l’orchestre et saxophone alto et baryton : Les Hite Saxophone alto : Marvin Johnson Saxophone Tenor: Charlie Jones Trombone : Luther “Sonny” Craven Trompette : George Orendorf Trompette : Harold Scott Trompette et chant : Louis Armstrong
You’re driving me crazy de Luis Armstrong enregistré à Los Angeles, 23 Décembre 1930. Édition anglaise chez Parlophone.
En 1931, le titre qui est un succès en Argentine, est enregistré par différents orchestres, avec des paroles de Francisco Antonio Lío.
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 — Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico). C’est notre Foxtrot du jour.Me estas enloqueciendo 1931-11-17 — Osvaldo Fresedo con Carlos Viván.Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-21 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Me vuelves loco 1931-11-21 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo (qui n’est pas mentionné sur le disque…)
Me estás enloqueciendo 1932 — Sexteto Carlos Di Sarli con Mercedes Carné.
Même Di Sarli a enregistré des fox-trots…
Me vuelves loco — Francisco Canaro et Aldo Maietti.
Aldo Maietti est le représentant du tango italien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enregistrement de 1932 les réunit pour une version instrumentale.
Aldo Maietti surnommé El rey del tango italiano a composé plusieurs centaines de tangos qui ont été interprétés, par exemple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trombetta. Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Le jazz
En Argentine, le jazz a rencontré également du succès, même si l’explosion du tango l’a estompé. Dans les bals, il y avait souvent deux orchestres. Un pour le tango et un pour le jazz. Certains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Carabelli, Canaro, Fresedo, Rodriguez et bien d’autres.
El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. On voit que, pour presque tous les événements, en plus de l’orchestre de tango (entouré), il y a le nom d’un second orchestre, un orchestre de jazz.
Les années folles ont donné naissance au jazz et au tango, genres qui trouveront leur plein développement dans les années 30–40. Le fox-trot est une danse de couple. Contrairement au tango, il y a peu d’improvisation et les déplacements sont codifiés. Cela pourrait rendre la danse un peu monotone, mais la musique est si entraînante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant. Voici un exemple, un peu atypique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad. C’est un des nombreux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.
Extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto, le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.
La prochaine fois que vous entendrez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot… À bientôt, les amis.
Olga Besio, était professeure, danseuse, chorégraphe et directrice de troupe de danse. Elle nous a quitté le 30 octobre 2024, mais son enseignement laissera des traces, comme on peut en juger par cet article essentiel sur les fioritures. Je pense que mes stagiaires des cours de musicalité retrouveront des repères…
Texte original d’Olga Besio
“Para hablar de adorno –y como sustento de todo lo que pueda venir después- debemos, en primer lugar, hurgar en los orígenes de la esencia y existencia del tango y de la danza. Es necesario dejar bien claro que la palabra “danza” no tiene solamente una acepción que connota técnica. Muy por el contrario, su sentido más amplio y general refiere a toda forma de danza (en sentido particular) y de baile. Y alude a lo más natural, primitivo, remoto, visceral y hasta animal del ser humano. Y en este sentido es muy anterior, tanto histórica, cronológica, como ontológicamente, a toda concepción técnica. Si entendemos la danza como un hecho profundamente natural, que nace con el ser humano –y hablamos así de la danza popular, de la cual el tango bailado es quizás nuestro ejemplo más intrínseco‑, inmediatamente queda descartado todo lo superfluo. Entonces, ¿qué es el tango? Lo que ya todos sabemos: un baile de a dos, una profunda comunicación con el otro, y con la música, y.., y.… y “descubrimos” así la idea de diálogo. El diálogo de la pareja de baile, el diálogo con la música, el diálogo de los pies entre sí y con el piso dibujando los famosos “ochos” y mil cosas más – y, si cuadra, el diálogo de los pies y las piernas con el aire, dibujando con precisión boleos de formas claramente definidas, creadas y recreadas cada vez. Pero ¿en qué consiste el “adorno”, también llamado a veces –posteriormente- “embellecimiento”, “expresividad”…? El adorno consiste, precisamente, en expresar la esencia del tango. De nada sirve hacer adornos mediante procedimientos meramente técnicos, si no se comprende realmente “de qué se trata”. Las piernas de la bailarina (y ATENCIÓN: también las del bailarín) equivalen a una pareja de tango. Se abrazan, se juntan, dialogan, se acarician… técnicamente, esto se logra a partir de un juego de rotaciones de las articulaciones. Pero este juego de rotaciones no debe tomarse como algo fríamente técnico, sino como algo absolutamente natural y lógico, tan natural y tan lógico como cualquier lenguaje. Las piernas “expresan”, “son expresivas”, cuando tienen un lenguaje; no cuando meramente se mueven. Así, acabamos de derribar varios mitos.
Uno, es el de que los adornos son “movimientos que hay que aprender” o “copiar”. De ninguna manera. El aprendizaje técnico es importantísimo, pero no basta. Hay maravillosos bailarines y bailarinas que hacen del adorno una verdadera emoción, pero también vemos, lamentablemente, la mera repetición de movimientos o copias de tal o cual bailarín/a, sin haber entendido realmente su esencia; en estos casos, generalmente el bailarín o bailarina “original” es excelente, y las copias resultan intrascendentes, y a veces hasta desagradables e incluso grotescas.
Otro, el de que el adorno es “cuestión de mujeres”. De ninguna manera. Adorno es todo lo que hacen el hombre y/o la mujer sin interferir en la marcación, ni en el paso, figura, secuencia, etc., incluyéndolo con exactitud en la música y sin producir ningún tipo de vibración ni tironeo. Para esto, es absolutamente necesario saber llevar y seguir, y tener muy buen oído musical. (siempre les digo a mis alumnos/as que el compañero/a tiene que enterarse de que su pareja hace adornos, cuando los ve en un video. Esto le pasó a un famoso bailarín, que un día se vio filmado y descubrió lo que hacía su compañera y por qué había tan buenos comentarios acerca de ella).
Otro: el de que “para que la mujer adorne, el hombre le tiene que dar tiempo”. Esto vale cuando se trata de una coreografía, que se puede elaborar de común acuerdo o en forma unilateral, o bien por un tercero. Pero en el tango improvisado, está en la inteligencia, en la habilidad, en la “tangueridad” de la mujer, el saber decidir si corresponde, y en caso afirmativo cuándo, cómo y qué adorno o tipo de adorno es el más adecuado según las circunstancias. Por supuesto, si la bailarina tiene poca experiencia no es aconsejable que lo intente en la milonga; para eso están las clases y las prácticas.
Uno más: hablando de oído y musicalidad, algunos bailarines/as (o aprendices) consideran que es suficiente “escuchar el ritmo”. Otros, más avanzados o exquisitos, hablan de “bailar la frase”. Hay que aclarar que esto no basta; es necesario comprender también la melodía y la peculiar expresividad de cada pieza musical, de cada arreglo, de cada versión… Y en este sentido, la musicalidad que necesitan el bailarín y la bailarina va mucho más allá del reconocimiento del “ritmo”, el “compás”, el “tiempo fuerte”, el “débil”, el “contratiempo” y todas esas cosas de las que habitualmente se habla (a veces incluso mezclándolas o confundiéndolas). La musicalidad que aquí se requiere es un verdadero lenguaje que pueda traducir, sobre inventar y volver a crear una y mil veces el sentimiento, la estructura compositiva, la esencia de esta obra en particular que este hombre y esta mujer tienen la dicha de poder bailar aquí y ahora. Por último, es necesario mencionar que el adorno no se limita al movimiento, y tampoco se limita a los pies y/o a las piernas –si bien éstos son quizás lo más visible‑, sino que es de todo el cuerpo, es una actitud, una quietud, un cerrar los ojos, una pausa, una sucesión de cambios de velocidad y mil cosas más que pueden y muchas veces necesitan trabajarse técnicamente, metodológicamente, pero que en definitiva muestran el amor y la pasión de bailar el tango como cada una, cada uno y cada pareja es capaz de sentirlo.
« Pour parler d’ornement, de fioriture – et comme matière pour tout ce qui peut venir ensuite – nous devons, en premier lieu, nous plonger dans les origines de l’essence et de l’existence du tango et de la danse. Il est nécessaire de préciser que le mot « danse » n’a pas seulement un sens qui connote de la technique. Bien au contraire, son sens le plus large et le plus général se réfère à toutes les formes d’expression corporelle (dans un sens particulier) et de danse. Et il fait référence aux aspects les plus naturels, primitifs, lointains, viscéraux et même animaux de l’être humain. Et en ce sens, il est beaucoup plus ancien, à la fois historiquement, chronologiquement et ontologiquement, à toute conception technique. Si nous comprenons la danse comme un fait profondément naturel, qui naît avec l’être humain – et nous parlons de la danse populaire, dont le tango dansé est peut-être notre exemple le plus intrinsèque – tout ce qui est superflu est immédiatement écarté. Alors, qu’est-ce que le tango ? Ce que nous savons tous déjà : une danse en couple, une communication profonde l’un avec l’autre, et avec la musique, et.., et…. Et c’est ainsi que nous avons « découvert » l’idée de dialogue. Le dialogue du couple de danseurs, le dialogue avec la musique, le dialogue des pieds entre eux et avec le sol en dessinant les fameux « huit » et mille autres choses — et, si cela convient, le dialogue des pieds et des jambes avec l’air, dessinant avec précision des boléos de formes clairement définies, créées et recréées à chaque fois. Mais en quoi consiste « l’ornement » (adorno), aussi parfois appelé – plus tard – « embellissement », « expressivité »… ? L’ornement consiste, précisément, à exprimer l’essence du tango. Il ne sert à rien de faire des fioritures par des procédés purement techniques, si l’on ne comprend pas vraiment « de quoi il s’agit ». Les jambes de la danseuse (et ATTENTION : également celles du danseur) sont équivalentes à un couple de tango. Elles s’étreignent, se retrouvent, dialoguent, se caressent… Techniquement, cela est réalisé à partir d’un jeu de rotations des articulations. Mais ce jeu de rotations ne doit pas être pris comme quelque chose de froidement technique, mais comme quelque chose d’absolument naturel et logique, aussi naturel et aussi logique que n’importe quelle langue. Les jambes « expriment », « sont expressives », quand elles ont un langage ; pas quand elles se contentent de bouger. Ainsi, nous venons de déboulonner plusieurs mythes :
L’un d’entre eux est que les embellissements sont des « mouvements à apprendre » ou à « copier ». En aucune façon. L’apprentissage technique est très important, mais ce n’est pas suffisant. Il y a de merveilleux danseurs et danseuses qui font de l’ornement une véritable émotion, mais on voit aussi, malheureusement, la simple répétition de mouvements ou de copies de tel/telle ou tel/telle danseur/danseuse, sans en avoir vraiment compris l’essence ; dans ces cas-là, le danseur ou la danseuse « original(e) » est généralement excellent(e), et les copies sont inconséquentes, et parfois même désagréables, voire grotesques.
Un autre que l’embellissement est « une affaire de femmes ». En aucune façon. La fioriture est tout ce que l’homme et/ou la femme font sans interférer ni avec le guidage ni le pas, figure, séquence, etc., en l’incluant avec précision dans la musique et sans produire aucun type de vibration ou de traction. Pour cela, il faut absolument savoir proposer et suivre, et avoir une très bonne oreille musicale. (Je dis toujours à mes élèves que le danseur/danseuse doit découvrir que sa/son partenaire fait des fioritures, quand il les voit dans une vidéo. C’est ce qui est arrivé à un danseur célèbre qui, un jour, s’est vu filmé et a découvert ce que faisait sa compagne et pourquoi il y avait tant de bons commentaires à son sujet).
Un autre : que « pour que la femme s’exprime dans la fioriture, l’homme doit lui donner du temps ». C’est vrai lorsqu’il s’agit d’une chorégraphie, qui peut être élaborée d’un commun accord ou unilatéralement, ou avec un tiers. Mais dans le tango improvisé, c’est dans l’intelligence, dans l’habileté, dans la « tanguerité » (ndt : l’attitude tanguera) de la femme, de savoir décider si c’est approprié, et, si oui, quand, comment et quelle fioriture ou type de fioriture est le plus approprié selon les circonstances. Bien sûr, si la danseuse a peu d’expérience, il ne lui est pas conseillé de s’essayer dans la milonga ; pour cela, il y a les cours et les pratiques.
Encore un : en parlant d’écoute et de musicalité, certains danseurs/danseuses (ou apprentis) considèrent qu’il suffit d’« écouter le rythme ». D’autres, plus avancés ou mûrs, parlent de « danser la phrase ». Il convient de préciser que cela ne suffit pas ; Il faut aussi comprendre la mélodie et l’expressivité particulière de chaque morceau de musique, de chaque arrangement, de chaque version… Et en ce sens, la musicalité dont le danseur a besoin va bien au-delà de la reconnaissance du « rythme », du « tempo », du « temps fort », du « faible », du « contretemps » et de toutes ces choses dont on parle habituellement (parfois même en les mélangeant ou en les confondant). La musicalité qui est requise ici est un véritable langage qui peut traduire, inventer et recréer mille fois le sentiment, la structure de la composition, l’essence de cette œuvre en particulier que cet homme et cette femme ont la joie de pouvoir danser ici et maintenant. Pour terminer, il faut mentionner que la fioriture ne se limite pas au mouvement, ni aux pieds et/ou aux jambes – bien que ceux-ci soient peut-être les plus visibles – mais qu’elle concerne tout le corps, c’est une attitude, une tranquillité, une fermeture des yeux, une pause, une succession de changements de vitesse et mille autres choses qui peuvent et doivent souvent être travaillées techniquement, méthodiquement, mais qui montrent en définitive l’amour et la passion de danser le tango tel que chacune, chacun et chaque couple est capable de le ressentir.
Très peu de danseurs de tango lisent la musique, mais les compositions de tango comportent des éléments qui influent sur la danse. J’ai recensé quelques éléments courants dans les partitions et mis en face l’effet que cela pourrait produire pour la danse. Cet élément est un extrait du chapitre 4 du cours de musicalité pour danseurs de tango.
Quelques motifs musicaux à repérer
La musique n’est pas une succession de notes de valeur égale. Nous avons vu que le mode pouvait être majeur, mineur, que les rythmes pouvaient être très différents, qu’il y avait des moments de pause, de ralentissement, des moments plus intenses, plus forts et d’autres plus calmes, plus doux. Les compositeurs écrivent des indications pour les interprètes afin qu’ils respectent l’esprit de la musique en sortant d’une notation musicale qui est d’ordre mathématique plus qu’artistique.
La première indication est celle du tempo, la vitesse. Cela concerne totalement les musiciens mais pas vraiment les danseurs qui doivent suivre le tempo imposé par la musique. Cependant, comme nous l’avons vu, les danseurs peuvent évoluer en interprétant le rythme, sur les temps, deux fois plus vite, deux fois plus lentement, en faisant des pauses. C’est en général la richesse de la composition musicale des tangos qui permet la variété. Les danseurs peuvent passer d’un instrument à l’autre, par exemple. Sur la partition, on peut trouver : largo (« large »), lento (« lent »), adagio (« tranquille »), moderato (« modéré »), allegro (« allègre »), presto (« pressé »). Si la musique est lente, il serait assez mal venu quel les danseurs dansent à toute vitesse et tout autant peu compréhensible s’ils se mettaient à faire les tortues sur une milonga déchaînée. Sur la partition, on trouve parfois la mention rall pour rallentendo (« en ralentissant »), voire plus rarement ritard pour ritardando (« en retardant »). Pour ces dernières indications, le couple de danseurs ne le sait pas, mais il doit être attentif à la musique et accompagner le ralentissement en adaptant ses mouvements. Le cas extrême est le break où la musique s’arrête totalement.
Lorsque deux personnes parlent, elles adaptent différents niveaux sonores. Elles peuvent exprimer des sentiments en variant la voix, par exemple pour marquer la surprise, la colère, l’interrogation… Imaginez comme il serait ennuyeux de voir une pièce de théâtre avec les acteurs qui parleraient avec une voix monocorde sans expression. En musique, c’est pareil. Pour éviter la monotonie, les musiciens mettent des nuances. Ils augmentent ou baissent le volume sur des parties plus ou moins grandes, voire sur des notes isolées. pp pianissimo (« tout doux, presque silencieux »), p piano (« avec un volume modéré »), mp mezzo piano (« moyennement doux ») ; mf mezzo forte (« moyennement fort »), f forte (« fort »), ff voir fff fortissimo (« très fort voire très fort ». Les danseurs ne font pas beaucoup de bruit, mais si la musique est piano ou pianissimo, il serait mal venu de faire de bruyants claquement de talon. La danse sera plus souple et moins percutante. À l’inverse, une musique plus forte peut laisser libre court à des fantaisies plus bruyantes de la part des danseurs, comme des frappés de pieds. Notez qu’il existe aussi le crescendo et le decrescendo qui sont respectivement une montée du volume et une baisse de volume. Ces indications peuvent aussi donner lieu à interprétation. ATTENTION, un decrescendo, éventuellement accompagné d’un ralentissement, sert souvent pour annoncer une nouvelle partie, ou le début de la partie chantée. C’est donc une aide pour l’improvisation. Parfois, le crescendo est suivi immédiatement d’un decrescendo. On appelle cela un soufflet, mais si c’est relativement court, cela peut être facilement interprété, la partie la plus forte étant le point culminant de la figure. Ces nuances s’appliquent parfois à une seule note. On parle alors d’accent. La note en question est surmontée du signe « > ». Parfois, le fait de rajouter une altération (dièse ou bémol) à une note lui donne une couleur particulière. Les danseurs qui l’auront remarqué pourront la mettre en valeur.
Miguel Caló ; Osmar Héctor Maderna (paroles et musique)
On a déjà vu des tangos dont le thème était l’abandon. Ici, c’est la femme qui est partie, probablement pour acheter des cigarettes et qui n’est jamais revenue. Miguel Caló avec son chanteur fétiche, Raúl Berón est sans doute l’orchestre qu’il fallait pour mettre en ondes sonores cette composition de Miguel Caló et Osmar Maderna.
Extrait musical
Jamás retornarás 1942-10-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl BerónPartition de Jamás retornarás de Miguel Caló et Osmar Héctor Maderna (paroles et musique). La partition est dédicacée par Maderna et Calo à leur ami Quinteiro Assi (je n’ai pas trouvé qui c’était…).
Le violon commence en dessinant une longue phrase rejoint par le piano en contraste avec des accords plaqués. Le titre est construit de cette façon par une alternance de passages legato et d’autres staccato et piqués. La voix de Raúl Berón est accompagnée par le piano qui martèle un rythme très marqué. C’est une des particularités de l’orchestre de Miguel Caló, une base rythmique puissante et une mélodie autonome qui la survole. On comparera à ce que font D’Arienzo ou Biagi à la même époque, chez eux, la mélodie est sacrifiée au rythme et ne s’en distingue pas.
Paroles
Cuando dijo adiós, quise llorar… Luego sin su amor, quise gritar… Todos los ensueños que albergó mi corazón (toda mi ilusión), cayeron a pedazos. Pronto volveré, dijo al partir. Loco la esperé… ¡Pobre de mí! Y hoy, que tanto tiempo ha transcurrido sin volver, siento que he perdido su querer.
Jamás retornarás… lo dice el alma mía, y en esta soledad te nombro noche y día. ¿Por qué, por qué te fuiste de mi lado y tan cruel has destrozado mi corazón? Jamás retornarás… lo dice el alma mía y, aunque muriendo está, te espera sin cesar.
Cuánto le imploré: vuelve, mi amor… Cuánto la besé, ¡con qué fervor! Algo me decía que jamás iba a volver, que el anochecer en mi alma se anidaba. Pronto volveré, dijo al partir. Mucho la esperé… ¡Pobre de mí! Y hoy, que al fin comprendo la penosa y cruel verdad, siento que la vida se me va. Miguel Caló ; Osmar Héctor Maderna
Traduction libre
Quand elle m’a dit au revoir, j’avais envie de pleurer… Puis, sans son amour, j’ai eu envie de crier… Tous les rêves que mon cœur nourrissait (toutes mes illusions) tombèrent en miettes. Je serai bientôt de retour, a‑t-elle dit en partant. Fou, je l’ai attendue… Pauvre de moi ! Et aujourd’hui, alors que tant de temps s’est écoulé sans retour, je sens que j’ai perdu son amour. Tu ne reviendras jamais… Mon âme le dit, et dans cette solitude je te nomme nuit et jour. Pourquoi, pourquoi es-tu partie d’à mon côté et si cruellement, tu as brisé mon cœur ? Tu ne reviendras jamais… Mon âme le dit, et bien qu’elle soit mourante, elle t’attend sans cesse. Combien je l’ai imploré : reviens, mon amour… Combien je l’ai embrassée, avec quelle ferveur ! Quelque chose me disait qu’elle ne reviendrait jamais, que le crépuscule se nichait dans mon âme. Je serai bientôt de retour, a‑t-elle dit en partant. Je l’ai beaucoup attendue… Pauvre de moi ! Et aujourd’hui, quand je comprends enfin la douloureuse et cruelle vérité, je sens que la vie m’échappe.
Autres versions
Jamás retornarás 1942-10-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón. C’est notre tango du jour.Jamás retornarás 1943-06-28 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
On entend tout de suite la différence de style d’avec Miguel Caló. L’orchestre joue ensemble, sans l’opposition entre le rythme et la mélodie. Cela rend sans doute la musique moins agréable à danser pour les danseurs qui aiment avoir un rythme bien présent. Honnêtement, il me semble facile de comprendre pourquoi c’est la version de Miguel Caló qui est passée à la postérité.
Jamás retornarás 2013 — Orquesta Típica Sans Souci con Walter “Chino” Laborde.
La Típica Sans Souci s’est fait une spécialité de à la manière de. Ce titre est extrait d’un disque nommé Acústico y Monoaural. Même si on peut le trouver en numérique, il a été réalisé en analogique et en mono (comme les disques 78 tours de l’âge d’or). Sans Souci s’est clairement inspiré de la version de Caló, jusqu’au petit chapelet de notes final. Cette similitude de la musique rend étrange la voix d’el Chino Laborde, un immense chanteur, mais qui me semble bien moins pertinent sur cette orchestration que Raúl Berón.
Le disque de Sans Souci est une volonté de rappeler les techniques d’enregistrement de l’âge d’or.
Jamás retornarás 2013-12-05 — Orquesta Típica Andariega con Fabián Villaló.
Vous allez certainement être surpris. En effet, si le titre est le même, il s’agit d’une composition de Luigi Coviello, directeur, arrangeur et contrebassiste de l’orchestre. Vous me pardonnerez cette facétie, j’espère. Malgré cet ajout illégitime, la récolte est assez maigre. Peut-être qu’un orchestre contemporain se lancera dans l’aventure. Il y a quelques prémices, sans doute pas totalement convaincants.
Jamás Retornarás 2015-09-18 — Sergio Veloso Con Hugo Rivas y Rudi Flores (guitarras).
Une version instrumentale, pas vilaine, mais on s’est habitué à la version de Caló et Berón. C’est cependant une assez bonne direction et il me semble que l’on pourrait bien voir apparaître une nouvelle version dans les années à venir.
C’est fini, comme je dis en fin des milongas en France. À bientôt les amis.
Shusheta ou sa variante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élégant, avec une nuance qui peut aussi qualifier un mouchard. Les Dictateurs de la Décennie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce portrait de ce shusheta, peint crûment par Cadícamo sur la musique de Cobián n’est pas si flatteur.
Extrait musical
Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 — Orquesta Carlos Di SarliPartition de Shusheta « Gran tango de salón para piano ».
Paroles usuelles (1938)
Le tango a été écrit en 1920 et était donc instrumental, jusqu’à ce que Cadícamo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la version habituelle est celle déposée à la SADAIC en 1938.
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, galera y bastón…
Dicen que fue, allá por su juventud, un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer. Engalanó la puerta (las fiestas) del Jockey Club y en el ojal siempre llevaba un clavel.
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, chambergo (galera) y bastón.
Apellido distinguido, gran señor en las reuniones, por las damas suspiraba y conquistaba sus corazones. Y en las tardes de Palermo en su coche se paseaba y en procura de un encuentro iba el porteño conquistador.
Ah, tiempos del Petit Salón… Cuánta locura juvenil… Ah, tiempo de la sección Champán Tango del “Armenonville”.
Todo pasó como un fugaz instante lleno de emoción… Hoy sólo quedan recuerdos de tu corazón…
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, galera y bastón. Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo
Vargas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette partie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tango de danse. En gras les mots chantés par Vargas à la place de ceux de Cadícamo.
Traduction libre des paroles usuelles et indications
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne… (Polainas, c’est aussi contrariété, revers, déception, Galera, c’est aussi la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lectures des paroles, ce que confirme la version, originale, plus noire. Précisons toutefois que la partition déposée à la SADAIC indique chambergo, chapeau. Ce serait donc Vargas qui aurait adapté les paroles). On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’antan. Il décorait la porte (Vargas chante les fêtes) du Jockey Club et portait toujours un œillet à la boutonnière. Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne. Un nom de famille distingué, un grand seigneur dans les réunions, il soupirait pour les dames et conquérait leurs cœurs. Et les après-midi de Palermo, il se promenait dans sa voiture à la recherche d’un rendez-vous, ainsi allait le porteño conquérant. Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tangos s’appellent Petit Salón, dont un de Villodo [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demarco né en 1912 et qui n’a sans doute pas connu le Petit Salón). Combien de folie juvénile… Ah, c’est l’heure du Tango Champagne de l’Armenonville. Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’émotion… Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs de ton cœur… Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne
Premières paroles (1934)
Ces paroles n’ont semble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Russo, Cadícamo les aurait écrites en 1934. Cette version n’a été enregistrée que par Osvaldo Ribó accompagné à la guitare par Hugo Rivas. On notera qu’elles mentionnent shusheta, ce que ne fait pas la version de 1938 :
Pobre shusheta, tu triunfo de ayer hoy es la causa de tu padecer… Te has apagao como se apaga un candil y de shacao sólo te queda el perfil, hoy la vejez el armazón te ha aflojao y parecés un bandoneón desinflao. Pobre shusheta, tu triunfo de ayer hoy es la causa de tu padecer.
Yo me acuerdo cuando entonces, al influjo de tus guiyes, te mimaban las minusas, las más papusas de Armenonville. Con tu smoking reluciente y tu pinta de alto rango, eras rey bailando el tango tenías patente de gigoló.
Madam Giorget te supo dar su gran amor de gigolet, la Ñata Inés te hizo soñar… ¡y te empeñó la vuaturé ! Y te acordás cuando a Renée le regalaste un reló y al otro día la fulería se paró. Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo
Traduction libre de la première version de 1934
Pauvre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lunfardo, voire un “petit maître”), ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de tes souffrances… Tu t’es éteint comme s’éteint une chandelle et de shacao (je n’ai pas trouvé la référence) il ne te reste que le profil, aujourd’hui la vieillesse t’a relâché le squelette et tu ressembles à un bandonéon dégonflé. Pauvre shusheta, ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de ta souffrance. Je me souviens qu’alors, sous l’influence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Armenonville. Avec ton smoking brillant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tango, tu tenais un brevet de gigolo. Madame Giorget a su vous donner son grand amour de gigolette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un établissement de Santiago, au Chili, apprécié par Pablo Neruda) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabattable à deux portes. Prononciation à la française.) en gage ! Et tu te souviens quand tu as offert une montre à Renée (sans doute une Française…) et que le lendemain les choses se sont arrêtées.
Dans El misterio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le journal chilien Las Últimas Noticias du 15 juillet 2006, s’interroge sur ce qu’était réellement la Ñata Inés. Sans doute un établissement mixte pouvant aller de la scène à la prostitution, comme les établissements de ce type en Argentine.
D’Agostino et la censure
Vous l’aurez compris, le terme Shusheta qui peut qualifier un « mouchard » a fait que le tango a été censuré et qu’il a dû changer de nom. En effet, pour éviter la censure, D’Agostino a demandé à Cadícamo une version expurgée que je vous propose ci-dessous. On notera toutefois que la version chantée en 1945 par Vargas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débarrassée du titre polémique au profit du plus neutre El aristócrata. C’est la raison pour laquelle, les versions d’avant 1944 (la censure a commencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócrata. Aujourd’hui, on donne souvent les deux titres, ensemble ou indifféremment. On trouve aussi parfois El elegante.
Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Hoy quien te ve… en falsa escuadra y chacao, tomando sol con un nietito a tu lao. Vos, que una vez rompiste un cabaré, hoy, retirao… ni amor, ni guerra querés.
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Te apodaban el shusheta por lo bien que te vestías. Peleador y calavera a tu manera te divertías… Y hecho un dandy, medio en copas, en los altos del Casino la patota te aclamaba sí milongueabas un buen gotán.
Ah, tiempo del Petit Salón, cuánta locura juvenil… Ah, tiempo aquel de la Sección Champán-Tango de Armenonvil. Todo pasó como un fugaz instante lleno de emoción. Hoy solo quedan recuerdos en tu corazón.
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Traduction libre de la version de 1944
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne. Aujourd’hui, qui te voit… Avec une pochette factice et chacao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés. Toi, qui as autrefois dévasté un cabaret, tu prends aujourd’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre. Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne. On te surnommait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais. Bagarreur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé… Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hauteurs (galeries) du Casino, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tango en verlan). Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile… Ah, cette époque de la section Champagne-Tango de l’Armenonville. Tout est passé comme un instant fugace et plein d’émotion. Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs dans ton cœur. Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
Autres versions
Shusheta 1923-03-27 — Orquesta Juan Carlos Cobián.
Le premier enregistrement, par le compositeur, Juan Carlos Cobián. C’est bien sûr une version instrumentale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.
Cette version, sans doute la plus connue, utilise les paroles non censurées de 1938. Le titre a été modifié pour éviter la censure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pouvait irriter un censeur très suspicieux, le texte n’était pas si subversif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Vargas a demandé les paroles censurées, puis y a renoncé, peut-être en ayant acquis la certitude que la censure n’interdirait pas ce titre. Vargas a apporté de très légères modifications au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de censure, ces modifications étant anodines.
Shusheta 1951-05-30 — Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version étonnante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pourrait bien se venger d’un DJ qui la diffuserait en milonga. Je n’ai pas dit qu’il fallait jeter cet enregistrement, juste le réserver pour l’écoute.
El aristócrata (Shusheta) 1952 — Juan Polito y su Orquesta Típica.
L’ancien complice de D’Arienzo a ses débuts et de nouveau, quand il a remplacé Biaggi qui venait de se faire virer, propose une version nerveuse et ma foi sympathique de Shusheta. La rythmique pourrait déconcentrer des danseurs très habitués à d’autres versions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on connaît un peu le titre avec les facéties de Polito au piano. On se souvient que quand il avait remplacé Biagi, il avait continué les fioritures de son prédécesseur. Là, ces ornementations sont bien personnelles et ne doivent rien à Biagi.
Shusheta (El aristócrata) 1957-08-30 — Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro “Toto” D’Amario.
Vargas fait cavalier seul, sans D’Agostino. Je vous conseille de vous souvenir plutôt de la version de 1945.
Shusheta (El Elegante) 1970 — Osvaldo Pugliese con cuerdas arreglos de Mauricio Marcelli.
Je vous propose d’arrêter là, il existe bien d’autres versions, mais rien qui puisse faire oublier les merveilleuses versions de D’Agostino et Vargas et celle de Di Sarli.
Les danseurs reconnaissent immédiatement cette milonga qui s’annonce par un coup de clairon. Cependant, ils ne savent peut-être pas tous pourquoi cet instrument insolite s’est invité dans l’orchestre pour cette courte prestation. Je vous propose d’en découvrir la raison en nous plongeant dans l’histoire de la jeune nation argentine.
Milonga de los fortines — Disque Victor 38285 — Face A.
Paroles
Milonga de cien reyertas templada como el valor. Grito de pampa desierta diciendo su alerta con voz de cantor. Milonga de quita penas. Nostalgia de población. Canto qu’en noche serena su rezo despena detrás del fogón.
Diana de viejas victorias en la punta del tropel, con tu vanguardia de gloria serás en la historia canción y laurel. Son de querencia querida en las noches del cuartel. Pena de china querida que al fin afligida dejó de ser fiel.
Resuenan con tus acentos, milonga del batallón, gritos de viejos sargentos cargando en el viento con el escuadrón. Y vuelven en los sonidos agudos del cornetín, ecos de mil alaridos que estaban perdidos detrás del confín.
Gime el desierto rodando sus rumores de huracán… Vienen las lanzas cargando y están aguaitando la Cruz y el Puñal. Gloria de aquel comandante que jamás volvió al cantón. Besan su barba cervuna la luz de la luna y el fuego del sol. Sebastián Piana Letra: Homero Manzi
Milonga de cent batailles, tempérée comme le courage. Cri de la pampa déserte disant son alerte d’une voix de chanteur. Milonga qui ôte les chagrins. Nostalgie de la population (de l’humanité commune ?). Je chante pour que dans la nuit sereine, sa prière s’achève (despenar en lunfardo, c’est achever un animal mourant, ou couper les cheveux courts…) derrière le feu. Diane des anciennes victoires à la tête de la troupe, avec ton avant-garde de gloire tu seras dans l’histoire chanson et lauriers. Vous serez très aimés les nuits de la caserne (quartier). Chagrin d’une compagne chérie qui, à la fin, affligée, a cessé d’être fidèle. Ils résonnent avec tes accents, milonga du bataillon, les cris des vieux sergents chargeant au vent avec l’escadron. Et ils reviennent aux sons aigus du cornet, échos de mille hurlements qui se sont perdus derrière les confins. Le désert gémit en roulant ses rumeurs d’ouragan… Les lances viennent en chargeant et elles arrosent la Croix et le Poignard. Gloire à ce commandant qui n’est jamais revenu au cantonnement. Ils embrassent sa barbe rousse (couleur de cerf), la lumière de la lune et le feu du soleil.
Autres versions
Milonga de los fortines 1937-09-28 — Típica Victor con Mariano Balcarce Direction Federico Scorticati.Milonga de los fortines 1981-06-23 — Nelly Omar con el conjunto de guitarras de José Canet.
Les forts (los fortines)
Cette milonga est ancrée profondément dans l’histoire de l’Argentine.
Rencontre du gouverneur Gerónimo Matorras avec le Cacique Paykin — Tomás Cabrera 1774 (Musée d’histoire de Buenos Aires). Composition complète à gauche, présentant en haut la justification religieuse des faits militaires.
En 1774, un accord a été trouvé entre les Mocovies et les Espagnols, ce que représente l’œuvre de Tomás Cabrera. Cependant, l’expansion des Européens ne va pas laisser les choses ainsi et il fut décrété une conquête du désert (Conquista del Desierto). Le terme de désert a été choisi pour nier l’existence de peuples premiers sur les territoires. On connaît mieux l’histoire Nord-américaine, notamment par les centaines de « westerns » et Lucky Luke, mais il est facile d’imaginer que les exactions furent les mêmes en Argentine. Pour consolider leurs avancés et se protéger des populations indiennes qui souhaitaient conserver la jouissance de leurs espaces, les militaires ont monté des forts, constructions sommaires qui se sont par la suite renforcées et qui sont aujourd’hui des villes.
Évolution des forts. En haut, simples palissades et baraquements en bois. Au centre, le fort Codihue. En bas, des constructions en dur apparaissent. En bas à droite, c’est la maison des commandants du fort « Général Roca ».Campaña del Desierto 1879 — Par Antonio Pozzo. Un siècle plus tard, les problèmes avec les Indiens sont toujours au cœur des préoccupation de certains comme le Général Roca qui prônait l’extermination de tous les peuples premiers.La vuelta del malón 1892 — Angel Della Valle. Les peuples premiers sont présentés comme des sauvages qui raptent les femmes et les objets saints. Ce type de peinture que l’on trouve au musée des Beaux-Arts de Buenos Aires sert de justification aux exactions visant à exterminer les peuples premiers.
Nous arrivons au bout de ce petit parcours historique, pas forcément en faveur de la fierté de l’Argentine, mais quel peuple colonisateur n’a pas commis son lot d’horreurs ?
La prochaine fois que vous entendez le clairon, vous aurez peut-être une pensée pour ces indiens décimés et vous danserez une milonga endiablée en hommage à leurs souffrances.
Lucky Luke de Morris, ici sur le couvercle d’une boîte contenant le fort Canyon en bois (1985, Comansi, Dargaud).
Difficile de ne pas faire le lien entre l’Amérique du Nord et celle du Sud. James Huth s’est sans doute fait la même réflexion, car c’est en Argentine (Mendoza, Salta et Jujuy), qu’il a tourné le film Lucky Luke.
N’oublions pas également que René Goscinny, le scénariste de Lucky Luke (et Astérix) a également vécu en Argentine de 1928 à 1945.
À bientôt, les amis, je m’en vais sur mon blanc cheval, musicaliser une milonga où je passerai peut-être la Milonga de los fortines.
I’m a poor lonesome cowboy (Lucky Luke Theme) 1971 — Claude Bolling. Générique du dessin animé sorti en 1971.
« Comme il faut » , le titre de ce tango est en français et il signifie que l’on fait les choses bien, comme il faut qu’elles soient réalisées. Nous allons toutefois voir, que sous ce titre « anodin » se cache une tricherie, quelque chose qui n’est peut-être pas fait, « comme il faut ».
Je parle français comme il faut
Je pense que vous ne serez pas surpris de découvrir un titre en français, il y a en a plusieurs et les mots français sont couramment utilisés par les Argentins et fort fréquents dans le tango.
Deux raisons expliquent cette abondance.
La première, c’est le prestige de la France de l’époque.
La haute société argentine parlait couramment le français qui était la langue « chic » de l’époque. À ce sujet, il y a une quinzaine d’années, une amie me faisait visiter son club nautique. C’est le genre d’endroit dont on devient membre par cooptation ou héritage familial. J’ai été surpris d’y entendre parler français, sans accent, par une bonne partie et peut-être même la majorité des personnes que l’on croisait. Je m’en suis ouvert et mon amie m’a informé que les personnes de cette société avaient coutume de parler entre eux en français, cette langue étant toujours celle de l’élite.
La seconde, vous la connaissez.
Les orchestres de tango se sont donné rendez-vous en France au début du vingtième siècle. Il était donc naturel que s’expriment des nostalgies, des références pour montrer que l’on avait fait le voyage ou tout simplement que s’affichent les expressions à la mode.
Je peux vous conseiller un petit ouvrage sur la question, EL FRANCÉS EN EL TANGO: Recopilación de términos del idioma francés y de la cultura francesa utilizados en las letras de tango. Il a été écrit par Víctor A. Benítez Boned qui cite et explicite 78 mots de français qui se retrouvent dans le tango et 41 noms propres désignant des Français ou des lieux de France. On peut considérer qu’environ 200 tangos font directement référence à la France, aux Français (souvent aux Françaises) ou à la langue française. Víctor A. Benítez Boned en cite 177.
Comme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli.Comme il faut de Eduardo Arolas avec la dédicace “A mis estimados y distinguidos amigos Francisco Wright Victorica, Vladislao A. Frías, Juan Carlos Parpaglione y Manuel Miranda Naón”.
Les dédicataires sont des étudiants en droit qui ont probablement cassé leur tire-lire pour être dédicataires : Francisco Wright Victorica, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917 Vladislao A. Frías ; étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917, puis juge au civil et membre de la cour d’appel au tribunal de commerce de Buenos Aires. Juan Carlos Parpaglione, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917. Manuel Miranda Naón, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires. En 1918, il a participé au mouvement de réforme de cette université.
Paroles
Luna, farol y canción, dulce emoción del ayer fue en París, donde viví tu amor. Tango, Champagne, corazón, noche de amor que no está, en mi sueño vivirá…
Es como debe ser, con ilusión viví las alegrías y las tristezas; en esa noche fue que yo sentí por vos una esperanza en mi corazón. Es como debe ser en la pasión de ley, tus ojos negros y tu belleza. Siempre serás mi amor en bello amanecer para mi vida, dulce ilusión.
En este tango te cuento mi tristeza, dolor y llanto que dejo en esta pieza. Quiero que oigas mi canción hecha de luna y de farol y que tu amor, mujer, vuelva hacia mí.
Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi
Traduction libre et indications
Lune, réverbère et chanson, douce émotion d’hier c’était à Paris, où j’ai vécu ton amour. Tango, Champagne, cœur, nuit d’amour qui n’est pas là, dans mon rêve vivra… C’est comme il faut (comme il se doit), avec enthousiasme j’ai vécu les joies et les peines ; C’est ce soir-là que j’ai senti de l’espoir pour toi dans mon cœur. C’est comme doit être la véritable passion (les Argentins disent de ley, de la loi, par exemple un porteño de ley pour dire un véritable portègne), de tes yeux noirs et de ta beauté. Tu seras toujours mon amour dans la belle aurore pour ma vie, douce illusion (doux sentiment). Dans ce tango, je te conte ma tristesse, douleur et larmes que je laisse dans ce morceau. Je veux que tu entendes ma chanson faite de lune et de réverbère et que ton amour, femme, revienne jusqu’à moi.
Elle est où la tricherie promise ?
Comme je vois que vous semblez intéressés, voici la tricherie. Le tango « Comme il faut » a un frère jumeau « Comparsa criolla » signé Rafael Iriarte.
Couverture et partition de Comparsa Criolla de Rafael Iriarte. La mention du concours de 1930 est en haut de la couverture.
La gémellité n’est pas une tricherie me direz-vous, mais alors comment nommer deux tangos identiques attribués à des auteurs différents ? On dirait aujourd’hui un plagiat. Nous avons déjà rencontré plusieurs tangos dont les attributions étaient floues, que ce soit pour la musique ou les paroles. Firpo n’a-t-il pas cherché à mettre sous son nom La cumparsita, alors pourquoi pas une comparsa ? Mais revenons à notre paire de tangos et intéressons-nous aux auteurs. Eduardo Arolas (1892–1924), un génie, mort très jeune (32 ans). Non seulement il jouait du bandonéon de façon remarquable, ce qui lui a valu son surnom de « Tigre du bandonéon », mais en plus, il a composé de très nombreux titres. C’est assez remarquable si on tient compte de sa très courte carrière. Il s’est dit cependant qu’il s’inspirait de l’air du temps, utilisant ce que d’autres musiciens pouvaient interpréter à une époque où beaucoup n’écrivaient pas la musique. Il me semble que c’est plus complexe et qu’il est plutôt difficile de dénouer les fils des interactions entre les musiciens à cette époque où il y avait peu de partitions, peu d’enregistrements et donc surtout une connaissance par l’écoute, ce qui favorise l’appropriation d’airs que l’on peut de toute bonne foi croire originaux. Pour revenir à notre tango du jour et faire les choses Comme il faut, voyons qui est le second auteur, celui de Comparsa criolla, Rafael Iriarte. (1890–1961). Lui aussi a fait le voyage à Paris et Néstor Pinsón évoque une collaboration dans la composition qui aurait eu lieu en 1915. Si on s’intéresse aux enregistrements, les plus anciens semblent dater de 1917 et sont de Arolas lui-même et de la Orquesta Típica Pacho. Les deux disques mentionnent seulement Arolas comme seul compositeur.
Eduardo Arolas et un disque par la Tipica Pacho qui serait également de 1917 selon Enrique Binda, spécialiste de la vieille garde).
Peut-être que le fait que Arolas avait accès au disque à cette époque et pas Iriarte a été un élément. Peut-être aussi que la part d’Arolas était suffisamment prépondérante pour justifier qu’il soit le seul mentionné. Je n’ai pas trouvé de témoignage indiquant une brouille entre les deux hommes, si ce n’est une hypothèse de Néstor Pinsón. Faut-il voir dans le fait que Iriarte signe de son seul nom la version qu’il dépose en 1930 et qui obtiendra un prix, au septième concours organisé par la maison de disque « Nacional ». Ce qui est curieux est que Francisco Canaro, qui était ami de Arolas ait enregistré sa version avec la mention de Iriarte et pas celle de son ami décédé six ans plus tôt. Faut-il voir dans cela une reconnaissance de Canaro pour la part de Iriarte ? Pour vous permettre d’entendre les similitudes, je vous propose d’écouter le début de deux versions. Celui de 1951 de Comme il faut, notre tango du jour par Di Sarli et celui de Comparsa criolla de Tanturi de 1941. J’ai modifié la vitesse de la version de Tanturi pour que les tempos soient comparables.
Débuts de : Comme il faut de Eduardo Arolas par Carlos Di Sarli (1951) et Comparsa criolla de Rafael Iriarte par Ricardo Tanturi (1941).
Autres versions
Comme il s’agit du « même » tango, je vais placer par ordre chronologique plusieurs versions de Comme il faut et de Comparsa criolla.
Comme il faut 1917 — Eduardo Arolas
Les musiciens de l’orchestre de Arolas en 1916. Arolas est en bas, au centre. Juan Marini, pianiste, à gauche, puis Rafael Tuegols et Atilio Lombardo (violonistes) et Alberto Paredes (violonceliste). Ce sont eux qui ont enregistré la version de 1917 de Arolas.
Comme il faut 1917 — Orquesta Típica PachoComparsa criolla 1930-11-18 — Francisco CanaroComme il faut 1936-10-27 — Juan D’ArienzoComme il faut 1938-03-07 — Anibal TroiloComparsa criolla 1941-06-16 — Ricardo TanturiComme il faut 1947-01-14 — Carlos Di SarliComparsa criolla 1950-12-12 — Orchestre Quintin VerduComme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli.Comme il faut 1955-07-15 — Carlos Di SarliComme il faut 1966-09-30 — Hector VarelaComme il faut 1980 — Alfredo De AngelisComme il faut 1982 — Leopoldo Federico
Mon cher Correcteur, Thierry, m’a fait remarquer que je n’avais pas proposé de versions chantées. N’en ayant pas sous la main, j’ai fait un appel à des collègues qui m’ont proposé deux versions, Nelly Omar avec Bartolomé Palermo de 1997 et Sciamarella Tango con Denise Sciammarella de 2018 :
Comme il faut 1997 — Nelly Omar con Bartolomé Palermo y sus guitarras. Merci à Howard Jones qui m’a signalé cette version.Comme il faut 2013 — Gente de tangoComme il faut 2018 – Sciamarella Tango con Denise Sciammarella. Merci à Yüksel Şişe qui m’a indiqué cette version.Comme il faut 2020-08 — El Cachivache
Je vous propose d’arrêter là les exemples, il y en aurait bien sûr quelques autres et je vous dis, à bientôt les amis !
Gerardo Hernán Matos Rodríguez; (Roberto Firpo) Letra : Pascual Contursi ; Enrique Pedro Maroni ; Gerardo Hernán Matos Rodríguez
S’il est un air que vous avez forcément entendu, c’est à coup sûr La cumparsita. En effet, ce thème commence toutes les milongas traditionnelles et termine la plupart des milongas dans le monde. Il était donc important de faire une anecdote sur La cumparsita, mais c’est là que les difficultés commencent. J’ai plus de 800 cumparsitas et il me fallait choisir.
Une expression de lunfardo témoigne du succès de ce thème « más remanyado que la cumparsita » (plus connu que la cumparsita…).
Cet air a grand succès a été enregistré des centaines de fois et tous les orchestres de tango l’ont à leur répertoire. Il me fallait donc choisir une version pour l’anecdote du jour qui soit un peu emblématique, car je pouvais presque trouver un enregistrement du titre pour chaque jour de l’année. Cependant, dans cette énorme production, il faut bien sûr faire du tri. Supprimer tout ce qui n’est pas du tango traditionnel et donc éliminer les versions en cumbia, rock, tango musette, percussions, a capella, valse (même si j’ai plusieurs versions que je passe parfois) et autres rythmes. J’ai fait le choix d’un tango de danse, ce qui élimine une bonne moitié des versions restantes après la première sélection. Dans les 161 versions restantes, il convenait de choisir les meilleures. Comme je passe deux cumparsitas dans chaque milonga, une au début et une à la fin et que je n’aime pas faire de doublons trop rapprochés, j’ai un peu creusé dans ce stock. Il en restait encore trop pour une anecdote où je me suis fixé la limite de 30 titres. La semaine dernière, Thierry, mon correcteur m’a demandé quelque chose sur la cumparsita et pour lui faire plaisir, j’ai choisi la première date ayant une belle version et c’est donc tombé sur la version de 1951 de D’Arienzo, une version enregistrée le 12 septembre, il y a exactement, 73 ans. D’Arienzo a joué des milliers de fois ce titre et l’a enregistré au moins 8 fois. J’ai donc décidé de limiter cette anecdote aux versions de D’Arienzo. Ne pleurez pas et pour ceux qui me suivent durant mon passage en Europe, je promets de ne pas passer deux fois la même cumparsita. Il me reste 11 milongas à animer avant de rentrer à Buenos Aires, cela fait 22 cumparsitas différentes. Certaines sont sublimes !
Extrait musical
La cumparsita 1951-09-12 — Orquesta Juan D’Arienzo.La joyeuse troupe des amis de Gerardo Hernán Matos Rodríguez défile sur la couverture de droite. Ils sont cités en haut de la partition. À droite Gerardo Hernán Matos Rodríguez devant sa partition chez un éditeur de partitions. On notera que les joyeux fêtards sont remplacés par une femme masquée. Le masque peut évoquer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aussi évoquer une voilette de deuil, celui que décrit Gerardo Hernán Matos Rodríguez dans sa version des paroles.
Paroles
Cette version de D’Arienzo est instrumentale, mais il l’a enregistrée deux fois avec des chanteurs et dans l’immense répertoire, il en existe plusieurs dizaines de versions chantées. Il me semblait donc logique de vous donner les paroles. J’ai retenu les deux versions principales, celle de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni d’une part et celle de Gerardo Hernán Matos Rodríguez qui est l’auteur de l’idée originale et donc ici, en plus de paroles.
Paroles de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni
Si supieras, que aún dentro de mi alma, conservo aquel cariño que tuve para ti… Quién sabe si supieras que nunca te he olvidado, volviendo a tu pasado te acordarás de mí…
Los amigos ya no vienen ni siquiera a visitarme, nadie quiere consolarme en mi aflicción… Desde el día que te fuiste siento angustias en mi pecho, decí, percanta, ¿qué has hecho de mi pobre corazón?
Sin embargo, yo siempre te recuerdo con el cariño santo que tuve para ti. Y estás en todas partes, pedazo de mi vida, y aquellos ojos que fueron mi alegría los busco por todas partes y no los puedo hallar.
Al cotorro abandonado ya ni el sol de la mañana asoma por la ventana como cuando estabas vos, y aquel perrito compañero, que por tu ausencia no comía, al verme solo el otro día también me dejó… Pascual Contursi; Enrique Pedro Maroni
Traduction libre et indications de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni
Si seulement tu savais que, même dans mon âme, je garde cette affection que j’avais pour toi… Qui sait si tu savais que je ne t’ai jamais oubliée, en revenant à ton passé tu te souviendras de moi… Les amis ne viennent même plus me rendre visite, personne ne veut me consoler dans mon affliction… Depuis le jour où tu es partie, j’ai ressenti de l’angoisse dans ma poitrine, j’ai dit, ma chérie, qu’as-tu fait de mon pauvre cœur ? Cependant, je me souviens toujours de toi avec la sainte affection que j’avais pour toi. Et tu es partout, morceau de ma vie, et ces yeux qui étaient ma joie, je les cherche partout et je ne peux pas les trouver. Au perroquet abandonné, même le soleil du matin ne se penche pas à la fenêtre comme il le faisait lorsque tu étais là, et ce petit chien, compagnon, qui à cause de ton absence ne mangeait pas, à me voir seul l’autre jour, lui aussi m’a quitté…
Paroles de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez
La Cumparsa de miserias sin fin desfila, en torno de aquel ser enfermo, que pronto ha de morir de pena. Por eso es que en su lecho solloza acongojado, recordando el pasado que lo hace padecer.
Abandonó a su viejita. Que quedó desamparada. Y loco de pasión, ciego de amor, corrió tras de su amada, que era linda, era hechicera, de lujuria era una flor, que burló su querer hasta que se cansó y por otro lo dejó.
Largo tiempo después, cayó al hogar materno. Para poder curar su enfermo y herido corazón. Y supo que su viejita santa, la que él había dejado, el invierno pasado de frío se murió
Hoy ya solo abandonado, a lo triste de su suerte, ansioso espera la muerte, que bien pronto ha de llegar. Y entre la triste frialdad que lenta invade el corazón sintió la cruda sensación de su maldad.
Entre sombras se le oye respirar sufriente, al que antes de morir sonríe, porque una dulce paz le llega. Sintió que desde el cielo la madrecita buena mitigando sus penas sus culpas perdonó. Gerardo Hernán Matos Rodríguez
Traduction libre et indications de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez
La Cumparsa des misères sans fin défile, autour de cet être malade, qui va bientôt mourir de chagrin. C’est pourquoi, dans son lit, il sanglote d’angoisse, se rappelant le passé qui le fait souffrir. Il abandonna sa vieille mère. Qu’il avait laissée désemparée. Et fou de passion, aveugle d’amour, il courait après sa bien-aimée, qui était jolie, qui était sorcière, avec convoitise elle était une fleur, qui se moquait de son amour jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée et le quitte pour un autre. Longtemps plus tard, il est tombé dans la maison de sa mère pour pouvoir guérir son cœur malade et blessé. Et il sut que sa sainte vieille mère, celle qu’il avait quittée, était morte l’hiver dernier de froid Aujourd’hui seul, abandonné, à la tristesse de son sort, anxieux, il attend la mort, qui ne tardera pas à arriver. Et au sein de la triste froideur qui envahit lentement le cœur, il ressentait la cruelle sensation brute de sa mauvaiseté. Dans l’ombre, on l’entend respirer avec souffrance, à qui avant de mourir, il sourit, parce qu’une douce paix lui vient. Il sentait que depuis le ciel, la bonne petite mère, atténuait ses chagrins et lui pardonnait ses péchés. Aucune de deux versions des paroles est gaie, mais les paroles de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez vont encore plus loin dans le pathos. Peut-être un peu trop loin…
Autres versions
Je vais me limiter aux seules versions enregistrées par D’Arienzo pour les présentations d’enregistrements. Cela me donnera l’occasion d’en reparler à propos d’autres enregistrements par d’autres orchestres… Voici les 8 version par D’Arienzo :
La cumparsita 1928 — Raquel Notar con acomp. de Orquesta Juan D’Arienzo.La cumparsita (Si supieras) 1928 — Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Dante.La cumparsita 1937-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.La cumparsita 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo.La cumparsita 1951-09-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre version du jour.La cumparsita 1963-12-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.La cumparsita 1971-12-07 — Orquesta Juan D’Arienzo.
La cumparsita 1972 — Orquesta Juan D’Arienzo. Enregistrement à la télévision.
Gerardo Hernán Matos Rodríguez (“Becho”) fait sa publicité
Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Gerardo Hernán Matos Rodríguez a refusé l’offre de Roberto Firpo qui voulait que les deux noms soient sur la partition (Firpo-Matos). Firpo a fait passer la composition originale d’une marche composée pour une comparsa (défilé dans un carnaval) à un tango. Il a aussi réalisé la première représentation, au café La Giralada de Montevideo. C’est la raison pour laquelle j’ai rajouté Firpo en vert dans le sous-titre…
Le Café la Giralda en 1918. C’est là qu’a été lancée la Cumparsita, interprétée par Roberto Firpo.
Cette prestation de Firpo est signalée sur le café La Giralda par trois plaques commémoratives. Elle est associée à la composition de Matos.
Les plaques commémoratives sur le mur du café La Giralda.
La cumparsita, un film de Antonio Momplet sorti le 28 août 1947. Version intégrale !
La cumparsita est un film sorti le 28 août 1947. Il est à la gloire de Gerardo Hernán Matos Rodríguez, sur une idée de Gerardo Hernán Matos Rodríguez et avec des musiques de Gerardo Hernán Matos Rodríguez, parmi lesquelles :
Donc, quasiment la moitié de Gerardo Hernán Matos Rodríguez. Le film est dirigé par Antonio Momplet avec Nelly Darén, Aída Alberti, José Olarra et l’incontournable Hugo del Carril…
Gerardo Hernán Matos Rodríguez, étudiant en architecture et compositeur…
Vous voulez en savoir plus ?
Il existe une multitude de faits, histoires, légendes, fantasmes autour de La cumparsita. C’est un monument auquel il faut beaucoup de travail pour y mettre un peu d’ordre. Cependant, je vous conseille l’article de Wikipédia qui lui est consacré, il est excellent : Merci à Thierry qui me l’a indiqué.
La cumparsita. La joyeuse bande d’étudiants, défilant sur la musique de marche, se transforme en une marée de lourds spectres avec les paroles de La cumparsita et notamment celles de Gerardo Hernán Matos Rodríguez.
Vous avez peut-être été étonnés de l’image de couverture. Elle évoque une des partitions, dédicacée à ses amis. Mais les paroles, tristes, voire tragiques m’ont incitées à troubler la fête en donnant des allures de spectres aux fêtards.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)
Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre tango du jour, El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.
Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.
Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.
Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition. Curieusement, Ángel Villodo n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor. Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.
Extrait musical
El cuarteador 1941-09-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Le titre commence par une annonce.
Paroles
Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó. Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Tengo un pingo que en el barro cualquier carro tira y saca. Overo de anca partida, que en un trabajo de cuarta de la zanja siempre aparta ¡Chiche! la rueda que se ha quedao.
Yo que tanta cuarta di, yo que a todos los prendí a la cincha de mi percherón, hoy, que el carro de mi amor se me encajó, no hay uno que pa’ mi tenga un tirón.
En la calle del querer el amor de una mujer en un bache hundió mi corazón… ¡Hoy, ni mi overo me saca de este profundo zanjón!
Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Cuando ve mi overo un carro compadreando se le atraca.
No hay carga que me lo achique, porque mi chuzo es valiente; yo lo llamo suavemente ¡Chiche! Y el pingo pega el tirón.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)
Traduction libre et indications
C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. J’ai un pingo (cheval en lunfardo) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot. Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée. Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction. Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur… Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond ! Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le contact d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot). Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.
Autres versions
El cuarteador 1941-09-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.El cuarteador 1941-10-06 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de Tres esquinas.
Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas…
El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.
Los cuarteadores
Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre. Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes. Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.
À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…
Voici comment les voyageurs J. et G. Robertson, narrèrent leur traversée de la pampa entre Buenos Aires et Santa Fe.
« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle. Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture… À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages. Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux). Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force. À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais. De cette façon, nous avons traversé avec succès tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »
La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’illustration de l’anecdote.
On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services. Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.
J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enregistrée un 2 septembre. Il s’agit de « Pedacito de cielo ». Il existe beaucoup de versions de ce petit coin de ciel, de paradis perdu. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réalisée par Miguel Caló con Alberto Podestá, mais nous écouterons mon autre préférée, celle enregistrée 16 jours plus tard par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino.
Extrait musical
Pedacito de cielo 1942-09-02 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá.Deux versions de la couverture de la partition encadrent la partition pour piano.
Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélectionné des musiciens de tout premier plan, comme Enrique Francini violoniste et Héctor Stamponi pianiste, les deux compositeurs, même si à l’époque de l’enregistrement Stamponi avait quitté l’orchestre, remplace par Osmar Maderna. On entendra un merveilleux solo de violon par l’auteur (à 35s), Francini, et plus discret, sauf à la fin, son compère bandonéoniste Armando Pontier. Maderna, Pontier et Francini se partagent la vedette avec Podestá.
Paroles
La casa tenía una reja pintada con quejas y cantos de amor. La noche llenaba de ojeras la reja, la hiedra y el viejo balcón… Recuerdo que entonces reías si yo te leía mi verso mejor y ahora, capricho del tiempo, leyendo esos versos ¡lloramos los dos!
Los años de la infancia pasaron, pasaron… La reja está dormida de tanto silencio y en aquel pedacito de cielo se quedó tu alegría y mi amor. Los años han pasado terribles, malvados, dejando esa esperanza que no ha de llegar y recuerdo tu gesto travieso después de aquel beso robado al azar…
Tal vez se enfrió con la brisa tu cálida risa, tu límpida voz… Tal vez escapó a tus ojeras la reja, la hiedra y el viejo balcón… Tus ojos de azúcar quemada tenían distancias doradas al sol… ¡Y hoy quieres hallar como entonces la reja de bronce temblando de amor!…
La maison avait une clôture peinte de plaintes et de chansons d’amour. La nuit remplissait de cernes, la clôture, le lierre et le vieux balcon… Je me souviens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et maintenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleurons tous les deux ! Les années de l’enfance sont passées, passées… La clôture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour. Les années ont passé terribles, méchantes, laissant cet espoir qui ne viendra jamais et je me souviens de ton geste espiègle après ce baiser volé au hasard… Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpide se sont refroidis avec la brise… Peut-être que la clôture, le lierre et le vieux balcon ont échappé à tes cernes… Tes yeux de sucre brûlé avaient des distances dorées au soleil… Et aujourd’hui tu veux retrouver comme avant la grille de bronze tremblante d’amour !…
Autres versions
Il y a deux versions parfaites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tango. Les voici.
Pedacito de cielo 1942-09-02 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.Pedacito de cielo 1942-09-18 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Il y a beaucoup d’autres versions, sans doute pas autant que le nombre de bougies qui m’attend, mais je compléterai sans doute la liste un de ces jours…
Sachez juste qu’il y a aussi un tango du même titre qui a été composé par José Martínez et que l’on connaît surtout par la belle version de1927 par Agesilao Ferrazzano que voici :
Pedacito de cielo 1927-05-11 — Orquesta Agesilao Ferrazzano. Un petit cadeau pour ceux qui n’aiment pas les valses (les pauvres).
« Chapaleando barro » éclabousser de boue est un titre très évocateur. Même si en Argentine la plupart des villages ont la majorité de leurs rues en terre, pierre ou sable, à Buenos Aires, le goudron a remplacé la terre salissante, mais qui a vu des jeux d’enfants, enchantés de s’éclabousser de boue. Retroussez votre bas de pantalon et partons à la recherche de ce Buenos Aires, embourbé au fond de notre mémoire collective.
Extrait musical
Chapaleando barro 1939-08-31 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales. On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…
Chapaleando barro 1939-08-31 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.
On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…
Paroles
Barrio de casas bajas Por el lado de Pompeya Donde puso la miseria Un brochazo de dolor La patota de pibes Juega al rango en el barro Y en la esquina, hasta la masa un carro Peludeando, se quedó Barrio viejo de guapos y milongas Viejo barrio mistongo, de arrabal Si me diera la caña, la vida Qué papa sería, volverte a encontrar Yo conozco tu rante apología La tristeza infinita de un hogar La angustiosa tristeza de aquel ciego Que el pobre Carriego, lo hiciera inmortal.
Quartier de maisons basses Du côté de Pompeya (quartier du Sud de Buenos Aires) Là où la misère a mis Une touche de douleur (brochazo, coup de brosse en peinture) La bande des gamins Jouer au rango (saute-mouton) dans la boue Et dans le coin, jusqu’à la pâte un chariot Embourbé, il est resté Vieux quartier de Guapos et Milongas Vieux quartier triste, de faubourg S’il m’a donné la verge, la vie Quelle chance (la papa peut signifier génial, comme en Buenos Aires es una papa) ce serait de vous rencontrer à nouveau Je connais votre apologie vagabonde La tristesse infinie d’un foyer La tristesse angoissée de cet aveugle Que le pauvre Carriego rendrait immortelle.
(Evaristo Carriego, poète argentin 1883–1912 qui fut considéré comme le poète des faubourgs et des gens humbles et de Palermo (même si pour ces paroles, on est à l’opposé de la ville, la misère était la même, ces faubourgs n’étaient pas encore [avant 1912] le Palermo des touristes d’aujourd’hui…).
Celedonio Esteban Flores (El negro Cele)
Mort à 51 ans (1896–1947), il laisse une vaste production de plus d’une centaine de tangos.
Celodonio Flores a également publié deux recueils de poèmes : Chapaleando barro (1929) et Cuando pasa el órgano (1935). Ses tangos et ses poèmes le placent comme l’un des plus grands écrivains de poésie lunfarda (argot portègne). Je vous propose ici, la liste des poèmes de son livre de 1929, celui qui a le même nom que notre tango du jour (mais dans lequel les paroles de ce tango, ne sont pas présentes…).
Liste des poèmes de Chapaleando barro (1929)
Madre Hermanita Buena Novia Señora Musa Rea La Musa Mistonga Tango Consejos Reos
Motivos del suburbio
Bailongo Arrabalero La Muchacha fea La Muchacha linda Tardecita de Domingo Acuarelita El despertar del suburbio Cuando la tarde se inc!Jna E l café de mi barrio Canillita EJ Perro Flaco Apronte La Muerte de la Bacana El Bagallo El As de los Ases Mimosa Oro Viejo
Los de la barra
Batiendo un justo Carlitos Cantor Bacán Y ahora yo. Gaucho Envio A mi muchacho que se fué Punto Alto Tenga Mano Tallador Acosta Viejo
Intimas
Mirá Viejo Dedicatoria Cuando llegue aquel da Intima Mirá si soy bueno Y que Dios la bendiga Gorriones Si tuviera tiempo Bohemia Pobre Gallo
De la mala vida
Tengo miedo Ingenuamente Mano a Mano Sentencia Carta Brava El Talla Imitación El Alivio El Guapo Nunca es tarde Mala Entraña Mishiadura Margot La Percanta aquella Polca Sonatina
Niños jugando a pídola 1777 – 1885. Francisco De Goya.
Chapaleando barro. Pour la photo de couverture, je suis parti de cette œuvre de Francisco de Goya, Niños jugando a pídola 1777 – 1885. La pídola, c’est le saute-mouton que les Argentins appellent Rango. Comme Goya n’a pas daigné faire jouer ses petits Espagnols dans la boue, j’ai modifié l’environnement pour le rendre plus conforme aux paroles de Celedonio Flores.
Je profite de la modification sur l’anecdote sur Poema liée au cadeau par André Vagnon de deux versions très rares pour faire quelques remerciements. L’aventure des anecdotes de tango initiée il y a un peu plus de six mois a bénéficiée de l’aide de différents collègues, de sites et de livres. La petite pause technique, un peu imposée pour les raisons déjà évoquées, me donne l’occasion de donner quelques remerciements. Les collègues TDJ Camilo Gatica, Gabbo Fresedo, André Vagnon (Bible Tango) et Michael Sattler qui m’ont passé des musiques que je n’avais pas et Fred Alard qui par sa lecture attentive m’a fait améliorer certains articles. Merci à Gérard Cardonnet,Anita et Philippe Constant qui m’ont également fourni des informations fort intéressantes et qui ont également écrit d’intéressants commentaires. Je dois également citer mon infatigable correcteur, Thierry Lecoquierre qui traque mes coquilles avec une efficacité redoutable. Un grand merci pour mes partageurs, qui chaque jour ont partagé mes anecdotes sur leurs profils, Tanguy Tango est sur la première marche du podium. Merci à ceux qui mettent de gentils commentaires, comme Angela Cassan (première marche du podium dans cette catégorie) Jean-Philippe Kbcoo, Domi Laure, Merci aux 600 visiteurs quotidiens du site, même si cet afflux me pose des problèmes avec la société qui héberge le site web et qui me dit que je devrais prendre un hébergement web plus cher pour éviter les coupures. “Utilisation de l’UC et des connexions simultanées excèdent régulièrement les ressources disponibles, veuillez considérez (sic) l’évolution vers une gamme supérieure de formule d’hébergement, qui inclurait alors plus de ressources.”… Merci à tous ceux qui mettent des J’aime sur les publications et notamment leur partage dans Facebook. Merci à tous ceux qui lisent, écoutent et me font de temps à autre un petit signe. Merci aux merveilleux DJ de Buenos Aires et qui sont ma référence. Merci à ceux qui me suivent comme DJ également, ces anecdotes sont indissociables de cette activité. Mieux connaître le répertoire, c’est pouvoir offrir la bonne musique au bon moment. Merci à ceux qui m’ont laissé de gentils commentaires dans mon livre d’or.
Bref, merci à tous (moins un qui se reconnaîtra, même si comme je l’ai fait à diverses reprises, je lui tends la main pour faire la paix, ce qu’il a à chaque fois refusé, préférant continuer la guerre qu’il a initiée).
Merci à mes principaux sites de référence :
Tango-dj.at La meilleure référence pour avoir les dates d’enregistrement et les auteurs des tangos. TodoTango.com Une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent au tango. La Bible TangoUne autre référence, notamment pour le tango européen. Milongaophelia Qui propose de nombreux articles de fond, une belle iconographie et qui est très utile pour le tango à Paris au début du vingtième siècle. Tangos al bardo Le site passionnant et incontournable de José María Otero Michael Lavocah,Pour être sincère, je n’ai lu qu’un article de son site, mais il me semble être une importante ressource. Je viens de recevoir son livre Histoire de tango qui est plutôt bien fait. Je vous le recommande.
Pour les livres, cela serait un peu long
J’en ai cité quelques-uns dans mes anecdotes, mais impossible de tous les citer. Je vous donne juste quelques petites perles en attendant :
Mis memorias(1906–1956) Mis bodas de oro con el tango (Francisco Canaro). Un des plus intéressants, car autobiographique. Osvaldo Pugliese, une vida en el tango (Oscar del Priore). Un peu court, mais bien documenté. Osvaldo Pugliese, Testimonios de mi vida (Beba Pugliese). Par la fille de Pugliese. Osvaldo Pugliese al Colón (Arturo M. Lozza). Merci à Denis Torres qui m’a fait parvenir une version PDF, plus facile à trimbaler que la version papier que j’utilisais. Un très bon ouvrage. El tango en la sociedad portena 1880–1920 (Lamas Binda), qui a écrit beaucoup et dont je recommande la plupart des écrits. De plus, il est spécialiste des tangos de la vieille garde). La historia del tango en Paris (Enrique Cadicamo). Así nacieron los tangos (Francisco García Jiménez). Cien tangos fundamentales (Oscar del Priore y Irene Amuchástegui). El origen del tango (Roberto Selles). Les livres de Felipe Pigna sur l’histoire argentine (Pas directement lié au tango, mais comme ces derniers s’inscrivent dans l’histoire du pays, il faut un peu de culture historique). Et les nombreuses discographies et catalogues de maisons d’édition qui permettent de lever bien des doutes.
Un chaparrón est une averse, une pluie soudaine, de forte intensité, mais de courte durée. Cette milonga joue sur les mots, un chaparrón étant en même temps une dispute. Je vous invite donc aujourd’hui, pour la milonga du jour à découvrir ce thème magnifiquement interprété par Juan d’Arienzo et Alberto Echagüe.
La musique présente l’histoire que les paroles confirment ensuite. On entend au départ les nuages noirs de l’averse qui se prépare. L’atmosphère s’échauffe, comme les esprits. L’homme se compare à une mouche d’orage. La marche devient en pointillé à cause de la discussion (dispute) du couple. On imagine qu’ils font trois pas, s’arrêtent et reprennent à tour de rôle. Cette « activité » est particulièrement bien adaptée à une milonga. Puis vient l’averse, « con agua y explicaciones, era doble el chaparrón » (avec de l’eau et des explications, l’averse était double). C’est la partie centrale. La tension qui était montée dans la première partie est en train d’exploser. Puis, à la toute fin, la réconciliation et l’envie de reprendre ensemble. « ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo, seria vos y serio yo! » (Comme est bonne l’odeur du trèfle, et la réconciliation. Ça donne envie d’avancer de nouveau). Sérieuse toi et Sérieux moi. Cet élément rythme la milonga en étant mentionné trois fois. Quatre fois dans les paroles originales, mais Echagüe ne chante pas la totalité des paroles écrites par Francisco García Jiménez.
Pintín?
Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) est l’auteur de cette milonga. Les paroles sont de Francisco García Jiménez. Pintín Castellanos, un surnom qui me fait penser à Tintin, est né à Montevideo. C’est un compositeur majeur avec environ 200 de thèmes dont la moitié ont été enregistrés. Il a également écrit les paroles d’un bon nombre de ses compositions. Il était pianiste et fut également directeur d’orchestre.
1 Pitin à gauche et à droite, Tintin dansant le tango (illustration tirée de l’ouvrage « Nous-Tintin » publié en 1987 et présentant 36 couvertures imaginaires de Tintin
La parche del tambor uruguayo est la ceinture de cuir au sommet et qui maintient la peau, cache les fixations et protège la main du batteur qui la frappe.
Il a été décrit comme un homme élégant et d’allure virile, sportif et amoureux de la musique. Voici comment il se raconte : «Crecí consustanciado con el ambiente orillero… cuando repiqueteaban las lonjas de los negros candomberos en los parches de sus tambores. Las melodías populares nacieron conmigo y con ellas convivo hace muchos años… » « J’ai grandi dans l’ambiance des rivages (du Rio de la Plata)… quand vibraient les lonjas (paume des mains) des candomberos noirs sur les parches (bandeau de cuir masquant les goujons et le cerclage supérieur) de leurs tambours. Les mélodies populaires sont nées avec moi et j’ai vécu avec elles pendant de nombreuses années… »
Pourquoi ce surnom, de Pintín Castellanos ? Je ne sais pas. El pinto peut être l’Espagnol, Castellanos, une inspiration de la Castille ? Ce serait donc une double évocation de l’Espagne pour cet Urugayen. Pintín pourrait aussi se référer à son élégance. Bref, je ne sais pas, alors, aidez-moi si vous avez une piste.
Ses compositions
Avec une centaine de titres enregistrés, vous avez obligatoirement entendu plusieurs de ces compositions. Pour rester dans la milonga, j’évoquerai la puñalada. Un jour qu’il la jouait, il a été contraint d’accélérer, ce qui l’a transformé en milonga. C’est sous cette forme que D’Arienzo l’a enregistrée le 27 avril 1937 alors que le 12 juin de la même année, Canaro l’enregistrait encore comme un tango.
Il a écrit de nombreuses autres milongas, comme, A puño limpio, El potro, El temblor, La endiablada ou Meta fierro que l’on connait dans des versions géniales par D’Arienzo. Il faudrait rajouter aussi quelques milongas candombe, comme Bronce, Candombe oriental ou Candombe rioplatense. Je ne parle pas ici de d’Arienzo et Echagüe, j’aurais de nombreuses autres occasions de le faire…
Extrait musical
Chaparrón 1946-08-26 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe
Paroles
Las nubes eran de plomo y era el aire de fogón. Andábamos, no sé cómo… ¡seria vos y serio yo! Venía un olor caliente de la ruda y el cedrón. Y estaba como la gente de antipático un moscón.
La boca se resecaba, estaqueada en mal humor. Aquello no lo arreglaba nada más que un chaparrón. Tormenta de trote y carga jineteando un nubarrón. Tormenta de caras largas: seria vos y serio yo.
Verano de mosca y tierra; seco el río y el porrón. Verano de sol en guerra ¡filo de hacha sin perdón! Amores que se empacaban (seria vos y serio yo).
Asuntos que se empeoraban por tardar el chaparrón… Andábamos a tirones cuando el cielo se abrió en dos… Con agua y explicaciones era doble el chaparrón. ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo seria vos y serio yo!
Les nuages étaient de plomb, et c’était l’air d’un four (poêle). Nous marchions, je ne sais pas comment… Sérieuse, toi et sérieux, moi ! Il y avait une odeur chaude de rue officinale (plante à odeur forte utilisée en médecine et ayant la réputation d’éloigner les indésirables) et de verveine citronnée. Et il y avait comme les gens antipathiques une grosse mouche. La bouche se desséchait, piquée de mauvaise humeur. Rien de plus qu’une averse ne pourrait arranger cela. Tempête de trot et charge chevauchant un nuage d’orage. Tempête de visages longs : Sérieuse, toi et sérieux, moi. Été de mouche et de terre ; la rivière à sec ainsi que la bouteille (porrón, bouteille de terre cuite émaillée qui sert pour la boisson et accessoirement de bouillotte…). Été de soleil en guerre, fil de hache sans pardon ! Des amours qui s’emballèrent (Sérieuse, toi et sérieux, moi). Des problèmes qui ont été aggravés par le retard de l’averse… Nous étions en train de nous tirer à hue et à dia quand le ciel s’est ouvert en deux… Avec de l’eau et des explications, l’averse a été double. Comme est délicieuse l’odeur du trèfle et de la réconciliation… Ça donne envie de marcher à nouveau Sérieuse, toi et sérieux, moi !
Les enregistrements de chaparrón
Cet enregistrement par d’Arienzo et Echagüe est le seul… Il existe bien un tango du même nom, composé par Carlos Waiss, mais qui n’a rien à voir, si ce n’est le titre. Le voici :
Chaparrón 1957 — Nina Miranda con la Orquesta de Graciano Gomez
Autres titres enregistrés un 26 février
D’Arienzo a enregistré le même jour : Fuegos artificiales 1941-02-26. Un tango instrumental composé par Roberto Firpo et Eduardo Arolas. Comme beaucoup de compositions de fuergo, c’est une illustration sonore, ici de fuegos artificiales (feux d’artifice). J’ai hésité pour le tango du jour. Ce sera peut-être pour l’an prochain à moins que je le mentionne à l’occasion d’une autre interprétation, car contrairement à Chaparrón, Fuegos artificiales a été enregistré à diverses reprises.
Fin de l’averse, después de la lluvia el buen tiempo (après la pluie, le beau temps). Le temps de la réconciliation.
1 ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo seria vos y serio yo!…
Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Au sujet de cette valse bien sympathique, avec une introduction un peu plus longue que la moyenne, je pensais faire un petit encart sur le diapason, justifié par le changement effectué à cette époque par Biagi. À cause des réactions sur le sujet, je vais me concentrer sur le diapason pour cette anecdote. Nous voilà prêts à accorder nos violons…
Extrait musical et autre version
Je vous donne ici, les deux principaux enregistrements de cette valse. Celui de Biagi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.
D’un point de vue technique, cet enregistrement est sans doute le dernier enregistré avec le diapason à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Biagi s’accordera à 440Hz. Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le premier enregistrement en 440Hz par Biagi. D’Arienzo a‑t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est important pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écoutons plutôt les différences stylistiques entre les deux versions, c’est plus passionnant à mon goût.
Prisionero 1943-12-27 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
On remarque tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue introduction de Biagi. C’est classique chez D’Arienzo qui aime bien rentrer directement dans le feu de la danse. Le rythme est en revanche plus lent. Malgré l’absence des 21 secondes d’introduction de la version de Biagi, la version de D’Arienzo fait 6 secondes de plus. S’il avait joué au même rythme que Biagi, sa version aurait totalisé 21 secondes de moins. Ce sont donc 27 secondes de différence, c’est beaucoup et beaucoup plus que le passage de 435 à 440 Hz dans la différence de sensation 😉
Petit jeu
Je me suis « amusé » à trafiquer les deux enregistrements de la façon suivante :
J’ai accéléré la version de D’Arienzo pour la mettre au même rythme que celle de Biagi.
Prisionero 1943-12-27 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (ACCÉLÉRÉE)
Vous pouvez donc comparer les deux versions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sacrilège, car D’Arienzo a volontairement enregistré une version plus lente, mais cela me semble intéressant pour bien sentir les différences d’orchestrations sur la même partition.
Et comme je ne suis pas avare de fantaisies, je vous propose maintenant une version mixte comprenant la version de Biagi sans l’introduction dans le canal de gauche et la version de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remarquera que le mélange n’est pas si détonnant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un système stéréo, voire au casque.
Prisionero. Comparaison des deux versions à la même vitesse et synchronisées.
Prisionero. Version de Biagi sans introduction, dans le canal de gauche. Version de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.
Si vous avez apprécié le petit jeu, vous pouvez avoir un autre particulier dans le dernier chapitre de cette anecdote, sur les diapasons. Un truc qui régale certains spécialistes, ce que je ne suis pas.
Paroles
Libre es el viento Que doma la distancia, Baja a los valles Y sube a las montañas. Libre es el agua Que se despeña y canta, Y el pájaro fugaz Que surge de ver Una azul inmensidad…
Libre es el potro Que al viento la melena, Huele a las flores Que es mata en la pradera. Libre es el cóndor Señor de su cimera, Yo que no sé olvidar Esclavo de un dolor No tengo libertad…
Loco y cautivo Cargado de cadenas, Mi oscura cárcel Me mata entre sus rejas. Soy prisionero De incurable pena, Preso al recuerdo De mi perdido bien.
Nada me priva De andar por donde quiero, Pero no puedo Librarme del dolor. Y pese a todo Soy prisionero, De los recuerdos Que guarda el corazón. Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Traduction libre
Libre est le vent qui dompte la distance, descend dans les vallées et gravit les montagnes. Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immensité bleue… Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hauteur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pousser, mais il y a peut-être mieux à faire…). Libre est le condor, seigneur de son sommet, moi qui ne sais pas oublier, esclave d’une douleur, je n’ai pas de liberté… Fou et captif, chargé de chaînes, ma prison sombre me tue derrière les barreaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un discret jeu de mots). Je suis prisonnier d’un chagrin incurable, emprisonné dans la mémoire de mon bien perdu. Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’arrive pas à me libérer de la douleur. Et malgré tout, je suis prisonnier des souvenirs que le cœur garde.
Mettons-nous au diapason…
Le diapason est la fréquence de référence qui permet que tous les musiciens d’un orchestre jouent de façon harmonieuse. Vous avez en tête les séances d’accordage qui précèdent une prestation. Le principe est simple. On prend pour référence l’instrument le moins accordable rapidement, par exemple le piano qui est accordé avant le concert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps. En l’absence de piano, les orchestres classiques se calent sur le hautbois, celui du « premier hautbois ». Ensuite, ses voisins, les autres instruments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes. Je vous propose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remarquera que c’est bien le hautbois qui y donne le La3.
Installation interactive “Sous-ensemble” de Thierry Fournier — Enregistrement de l’accord pour chaque instrument.
La note de référence doit pouvoir être jouée par tous les instruments. Dans les concerts où il y a des instruments anciens, on est parfois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une tension exagérée des cordes sur des instruments fragiles. En général, cela est défini à l’avance et on accorde le piano en conséquence avant le concert. La note de référence est généralement un La, le La3 (situé entre la deuxième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturellement sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les violons et altos, c’est la seconde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regardant le violon de face. Les musiciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par comparaison avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précédente et vous savez tout cela. Dans le cas du tango, le piano est généralement la base, mais quand c’est possible, on se cale sur le bandonéon qui n’est pas accordable pour régler le piano. En effet, la note de référence, si c’est en principe toujours le La3, n’a pas la même hauteur selon les époques et les régions.
Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle
Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.
Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.
Les membres de la commission étaient : Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ; Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ; Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ; Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ; Mansuete César Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences. Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ; Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ; Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ; Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ; Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ; Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ; Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut.
Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
Les critiques contre le diapason uniforme…
On voit donc que l’histoire est un éternel recommencement et que les pinaillages actuels n’en sont que la continuité…
Vous pouvez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)
Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous permettront de constater la variété des diapasons, leur évolution et donc la nécessité de mettre de l’ordre et notamment de freiner le mouvement vers un diapason plus aigu. Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibrations ». Il faut donc diviser par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ainsi, le diapason de Paris indiqué 896 correspond à 448 Hz.
Tableau des diapasons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du diapason au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme (Arrêté du 17 juillet 1858) — Paris, le 1er février 1859.
Compléments sur le diapason
Si vous n’avez pas consulté le document de 12 pages, il est encore temps de vous y référer, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pouvez le charger en PDF pour le lire plus facilement.
Si vous voulez entendre la différence entre le diapason à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous propose cette vidéo.
Diapason 435 Hz et 440 Hz.
Sur l’histoire du diapason, cet article signalé par l’ami Jean Lebrun.
Choisir le bon diapason quand on restaure des disques anciens peut avoir son utilité. Cependant, c’est une véritable jungle et aujourd’hui encore, les DJ, éditeurs de musique et même les musiciens continuent de se quereller au sujet de ce fameux diapason. Pour vous amuser, je vous propose d’entrer dans un débat qui a eu lieu en 1859… Pour vous faciliter la lecture, vous pouvez aussi télécharger le texte intégral au format PDF (en fin de cet article).
Entrons dans le débat…
Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.
Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.
Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
Les critiques contre le diapason uniforme…
Rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme
Vous avez chargé une commission « de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore, qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation.
Votre arrêté était fondé sur ces considérations :
« Que l’élévation toujours croissante du diapason présente des inconvénients dont l’art musical, les compositeurs de musique, les artistes et les fabricants d’instruments ont également à souffrir ; et que la différence qui existe entre les diapasons des divers pays, des divers établissements musicaux et des diverses maisons de facture est une source constante d’embarras pour la musique d’ensemble, et de difficultés dans les relations commerciales. »
La commission a terminé son travail. Elle vous doit compte de ses opérations, de la marche qu’elle a suivie ; elle soumet à l’appréciation de Votre Excellence le résultat auquel elle est arrivée.
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Cette commission était composée de :
Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ; Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ; Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ; Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ; César-Mansuète Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences. Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ; Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ; Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ; Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ; Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ; Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ; Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut. ======================================
I
Il est certain que dans le cours d’un siècle, le diapason s’est élevé par une progression constante. Si l’étude des partitions de Gluck ne suffisait pas à démontrer, par la manière dont les voies sont disposées, que ces chefs-d’œuvre ont été écrits sous l’influence d’un diapason beaucoup moins élevé que le nôtre, le témoignage des orgues contemporaines en fournirait une preuve irrécusable. La commission a voulu d’abord se rendre compte de ce fait singulier, et de même qu’un médecin prudent s’efforce de remonter aux sources du mal ayant d’essayer de le guérir, elle a voulu rechercher, ou au moins examiner les causes qui avaient pu amener l’exhaussement du diapason. On possède les éléments nécessaires pour évaluer cet exhaussement. Les orgues dont nous avons parlé accusent une différence d’un ton au-dessous du diapason actuel. Mais ce diapason si modéré ne suffisait pas à la prudence de l’Opéra de cette époque : Rousseau, dans son dictionnaire de musique (article Ton), dit que le ton de l’Opéra à Paris était plus bas que le ton de chapelle. Par conséquent, le diapason, ou plutôt le ton de l’Opéra était, au temps de Rousseau, de plus d’un ton inférieur au diapason d’aujourd’hui.
Cependant les chanteurs de ce temps, au rapport de beaucoup d’écrivains, forçaient leur voix. Soit défaut d’études, soit défaut de goût, soit désir de plaire au public, ils criaient. Ces chanteurs, qui trouvaient moyen de crier si fort avec un diapason si bas, n’avaient aucun intérêt à demander un ton plus élevé, qui aurait exigé de plus grands efforts ; et, en général, à nulle époque, dans aucun pays, aujourd’hui comme alors, jamais le chanteur, qu’il chante bien ou mal, n’a d’intérêt à rencontrer un diapason élevé, qui altère sa voix, augmente sa fatigue, et abrège sa carrière théâtrale. Les chanteurs sont donc hors de cause, et l’élévation du diapason ne peut leur être attribuée.
Les compositeurs, quoi qu’aient pu dire ou penser des personnes qui n’ont pas des choses de la musique, une idée bien nette, ont un intérêt tout contraire à l’élévation du diapason. Trop élevé, il les gêne. Plus le diapason est haut, et plus tôt le chanteur arrive aux limites de sa voix dans les cordes aiguës ; le développement de la phrase mélodique est donc entravé plutôt que secondé. Le compositeur a dans sa tête, dans son imagination, on peut dire dans son cœur, le type naturel des voix. La phrase qu’il écrit lui est dictée par un chanteur que lui seul entend, et ce chanteur chante toujours bien. Sa voix, souple, pure, intelligente et juste, est fixée d’après un diapason modéré et vrai qui habite l’oreille du compositeur. Le compositeur a donc tout avantage à se mouvoir dans une gamme commode aux voix, qui le laisse plus libre, plus maître des effets qu’il veut produire, et seconde ainsi son inspiration. Et d’ailleurs, quel moyen possède-t-il d’élever le diapason ? Fabrique-t-il, fait-il fabriquer ces petits instruments perfides, ces boussoles qui égarent ? Est-ce lui qui vient donner le la aux orchestres et nous n’avons jamais appris ou entendu dire qu’un maestro, mécontent de la trop grande réserve d’un diapason, en ait fait fabriquer un à sa convenance, un diapason personnel, à l’effet d’élever le ton d’un orchestre tout entier. Il rencontrerait mille résistances, mille impossibilités. Non, le compositeur ne crée pas le diapason, il le subit. On ne peut donc non plus l’accuser d’avoir excité la marche ascensionnelle de la tonalité.
Remarquons que cette marche ascensionnelle, en même temps qu’elle a été constante, a été générale ; qu’elle ne s’est pas bornée à la France ; que les Alpes, les Pyrénées, l’Océan n’y ont pas fait obstacle. Il ne faut donc pas, comme nous l’avons entendu faire, en accuser spécialement la France, qu’on charge assez volontiers des méfaits qui se produisent de temps à autre dans le monde musical. Notre pays n’a eu que sa part dans cette grande invasion du diapason montant, et s’il était complice du mal, il en était en même temps victime. Les causes de cette invasion, qui agissaient partout avec suite, ensemble, persévérance, on pourrait dire avec préméditation, ne sauraient être ni accidentelles, ni particulières à un pays. Elles devaient tenir à un principe déterminant, à un intérêt. En vertu d’un axiome bien connu, il faut donc rechercher ceux qui avaient un intérêt évident à surélever ainsi le la qu’espéraient nous léguer nos ancêtres. Ceux qui fabriquent ou font fabriquer les diapasons, voilà les auteurs, les maîtres de la situation. Ce sont les facteurs d’instruments, et on comprend qu’ils ont à élever le diapason, un intérêt légitime et honorable. Plus le ton sera élevé, plus le son sera brillant. Le facteur ne fabriquera donc pas toujours ses instruments d’après le diapason ; il fera quelquefois son diapason d’après l’instrument qu’il aura jugé sonore et éclatant. Car il se passionne pour la sonorité, qui est la fin de son œuvre, et il cherche sans cesse à augmenter la force, la pureté, la transparence de voix qu’il sait créer. Le bois qu’il façonne, le métal qu’il forge, obéissant aux lois de la résonance, prendront des timbres intelligents, qu’un· artiste habile, et quelquefois inspiré, animera bientôt de son archet, de son souffle, de son doigté, léger, souple ou puissant. L’instrumentiste et le facteur sont donc deux alliés, leurs intérêts se combinent et se soutiennent. Introduits à l’orchestre, ils le dominent, ils y règnent, et l’entraînent facilement vers les hauteurs où ils se plaisent. En effet, l’orchestre est à eux, ou plutôt ils sont l’orchestre, et c’est l’instrumentiste qui, en donnant le ton, règle, sans le vouloir, les études, les efforts, les destinées du chanteur.
La grande sonorité acquise aux instruments à vent trouva bientôt une application directe, et en reçut un essor plus grand encore. La musique, qui se prête à tout et prend partout sa place, marche avec les régiments ; elle chante aux soldats ces airs qui les animent et leur rappellent la patrie. Il faut alors qu’elle résonne haut et ferme, et que sa voix retentisse au loin. Les corps de musique militaire, s’emparant du diapason pour l’élever encore, propagèrent dans toute l’Europe le mouvement qui l’entraînait sans cesse.
Mais aujourd’hui la musique militaire pourrait, sans rien craindre, descendre quelque peu de ce diapason qu’elle a surexcité. Sa fierté n’en souffrirait pas, ses fanfares ne seraient ni moins martiales, ni moins éclatantes. Le grand nombre d’instruments de cuivre dont elle dispose maintenant lui ont donné plus de corps, plus de fermeté, et un relief à la fois solide et brillant qui lui manquait autrefois. Espérons d’ailleurs que de nouveaux progrès dans la facture affranchiront bientôt certains instruments d’entraves regrettables, et leur ouvriront l’accès des riches tonalités qui leur sont interdites. L’honorable général qui représente dans la commission l’organisation des corps de musique seconderait de tous ses efforts cette amélioration désirable, ce progrès véritable, qui apporterait aux orchestres militaires des ressources nouvelles, et varierait l’éclat de leur sonorité.
Nous croyons avoir établi, monsieur le ministre, que l’élévation du diapason est due aux efforts de l’industrie et de l’exécution instrumentales ; que ni les compositeurs ni les chanteurs n’y ont participé en rien. La musique religieuse, la musique dramatique ont subi le mouvement sans pouvoir s’en défendre, ou sans chercher à s’y dérober. On pourrait donc, dans une certaine mesure, abaisser le diapason, avec la certitude de servir les véritables, les plus grands intérêts de l’art.
II
Nous avions l’assurance que ce fait de l’élévation toujours croissante du diapason ne s’était pas produit en France seulement, que le monde musical tout entier avait subi cet entraînement, mais il fallait en acquérir des preuves authentiques ; il fallait aussi savoir dans quelle mesure, à quels degrés différents s’était fait sentir cette influence dans les divers pays, dans les centres principaux. Nous avons donc pensé, monsieur le ministre, que, pour mener à bonne fin l’étude que votre Excellence nous avait confiée, il fallait commencer par nous renseigner au dehors et autour de nous, interroger les chefs des établissements importants en France et à l’étranger, prendre connaissance de l’état général du diapason, faire en un mot une sorte d’enquête. Cette conduite nous était d’ailleurs tracée par l’arrêté même qui nous institue, dans lequel vous signalez avec juste raison « la différence qui existe entre les diapasons des divers pays comme une source constante d’embarras. »
Nous nous sommes donc adressés sous vos auspices, et par l’organe de notre président, partout où il y a l’opéra, un grand établissement musical, dans les villes où l’art est cultivé avec amour, avec succès, pratiqué avec éclat, et qu’on peut nommer les capitales de la musique, demandant qu’on voulût bien nous renseigner sur la marche du ton, nous envoyer les diapasons en usage aujourd’hui, et d’anciens diapasons, s’il était possible, pour en mesurer exactement l’écart. En même temps, nous demandions aux hommes éclairés à qui nous nous adressions de_ nous faire connaître leur opinion, sur l’état actuel du diapason, et leurs dispositions favorables ou contraires à un abaissement. à une modération dans le ton. La musique est un art d’ensemble, une sorte de langue universelle. Toutes les nationalités disparaissent devant l’écriture musicale, puisqu’une notation unique suffit à tous les peuples, puisque des signes, partout les mêmes, représentent les sons qui dessinent la mélodie ou se groupent en accords, les rythmes qui mesurent le temps, les nuances qui colorent la pensée ; le silence même s’écrit dans cet alphabet prévoyant. N’est-il pas désirable qu’un diapason uniforme et désormais invariable vienne ajouter un lien suprême à celte communauté intelligente, et qu’un la, toujours le même, résonnant sur toute la surface du globe avec les mêmes vibrations, facilite les relations musicales et les rende plus harmonieuses encore ?
C’est dans ce sens que nous avons écrit en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Italie, jusqu’en Amérique, et nos correspondants nous ont envoyé des réponses consciencieuses, des renseignements utiles, des souvenirs intéressants. Quelques-uns nous adressaient d’anciens diapasons âgés d’un demi-siècle, aujourd’hui dépassés ; d’autres des diapasons contemporains, variés dans leur intonation. Tous, reconnaissant et repoussant l’exagération actuelle, nous envoyaient leur cordiale adhésion. Trois d’entre eux, nos compatriotes 1, tout en partageant l’opinion générale, demandent, il est vrai, qu’on fixe le diapason à l’état actuel de celui de Paris, mais c’est pour l’arrêter dans sa progression ascendante, et eu faire un obstacle à de nouveaux envahissements : obstacle impuissant, à notre avis, qui protège le mal, l’oppose à lui-même, et le consacre au lieu de le détruire. Les autres sont unanimes à désirer un diapason moins élevé, uniforme, inaltérable, véritable diapason international, autour duquel viendraient se rallier, dans un accord invariable, chanteurs, instrumentistes, facteurs de tous les pays. La plupart de nos correspondants étrangers joignent à leur approbation l’éloge de l’initiative : » Je vous dois des remerciements, nous écrit-on, pour la cause importante que vous avez entrepris de plaider : il est bien temps d’arrêter les dérèglements auxquels on se laisse emporter. »
J’adopte la somme entière de vos sages réflexions, nous dit un autre maître de chapelle des plus distingués, en espérant que toute l’Europe applaudira vivement à la commission instituée par S. Exc. Je ministre d’État, à l’effet d’établir un diapason uniforme. La grande élévation du diapason détruit et efface l’effet et le caractère de la musique ancienne, des chefs-d’œuvre de Mozart, Gluck, Beethoven.
Je ne doute pas, écrit-on encore, que la commission ne réussisse dans celle question importante. Ce sera un nouveau service rendu par votre nation à l’art et au commerce.
L’élévation progressive du diapason, dit un autre de nos honorables correspondants, est non seulement préjudiciable à la voix humaine, mais aussi à tous les instruments. Ce sont surtout les instruments à cordes qui ont beaucoup perdu pour le son, depuis que l’on est obligé, à cause de cette élévation, d’employer des cordes très-minces, les cordes fortes ne pouvant résister à cette tension exagérée de là, ce ton, qui au lieu de se rapprocher de la voix humaine, s’en éloigne de plus en plus. »
Fixer le diapason une fois pour toutes, dit un cinquième, ce serait mettre fin à bien des doutes, à une multitude d’inconvénients et même de caprices. Je vous témoigne le vif intérêt que nous portons dans toute l’Allemagne musicale à l’exécution de votre projet.
Vous avez bien dit, écrit-on encore, que l’Europe entière est intéressée aux recherches des moyens d’établir un diapason uniforme. Le monde musical a senti depuis longtemps la nécessité urgente d’une réforme, et il remercie la France d’avoir pris l’initiative. M. Drouet, maître de chapelle du grand-duc de Saxe-Cobourg-Gotha, nous a envoyé trois diapasons d’époque et d’élévation différentes, et une note intéressante : Enfin nous avons reçu de deux hommes très compétents, M. W Wieprecht, directeur de la musique militaire de Prusse, à Berlin, et M. le docteur Furke des mémoires où la matière est traitée avec une véritable connaissance de cause. Les auteurs s’associent entièrement à la pensée qui a institué la commission.
Ces nombreuses adhésions, émanées d’autorités si considérables, nous donnent l’assurance qu’une proposition d’abaissement dans le diapason sera bien accueillie dans toute l’Allemagne. Il faut d’ailleurs rappeler ici que déjà, en 1834, des musiciens allemands réunis à Stuttgart avaient exprimé le vœu d’un affaiblissement du diapason, et recommandé l’adoption d’un la plus sensiblement plus bas que notre la actuel. Certes, il y aura d’abord des difficultés qui naîtront surtout de la division de l’Allemagne en un si grand nombre d’États différents. C’est une opinion qui nous a été exprimée ; mais il y a lieu de penser qu’après quelques oscillations, un type invariable et commun s’établira dans ce pays, qui pèse d’un grand poids dans les destinées de l’art musical.
Nous n’avons encore reçu d’Italie qu’une seule lettre. Elle est de M. Coccia, directeur de l’académie philharmonique de Turin, maître de chapelle de la cathédrale de Novare. M. Coccia a bien voulu nous adresser le diapason usité à Turin, un peu plus bas que celui de Paris, et le plus doux (il più mite), dit M. Coccia, qu’il ait rencontré jusqu’à présent. Il en recommande l’adoption. M. Coccia est donc aussi de l’avis d’un adoucissement dans le ton, et c’est d’un bon augure pour l’opinion de l’Italie, dont il faut tenir grand compte.
Nous avons reçu de Londres une communication de MM. Broadwood, célèbres facteurs de pianos. Ils ont eu l’obligeance de nous adresser trois diapasons, employés tous les trois dans leur établissement, chacun d’eux affecté à un service spécial.
Le premier, plus bas d’un grand quart de ton que le diapason de Paris, était, il y a vingt-cinq ou trente ans, celui de la Société philharmonique de Londres. Il a été judicieusement conservé par MM. Broadwood comme plus convenable aux voix, et ils accordent, d’après le ton extrêmement modéré qu’il fournit, les pianos destinés à l’accompagnement des concerts vocaux. Le second, beaucoup plus haut, puisqu’il est plus élevé que le nôtre, est celui d’après lequel MM. Broadwood accordent, en général, leurs pianos, parce qu’il est à peu près conforme à l’accord des harmoniums, des flûtes, etc. : c’est le diapason des instrumentistes. Enfin le troisième, encore plus élevé, est celui dont se sert aujourd’hui la Société philharmonique. Cette extrême liberté du diapason doit avoir ses inconvénients, et peut bien faire courir quelques hasards à la justesse absolue. Aussi MM. Broadwood font-ils des vœux « pour la réussite de nos recherches, si intéressantes et si importantes pour tout le monde musical.
M. Bender, directeur de la musique du roi des Belges et du régiment des guides, voudrait deux diapasons, à la distance d’un demi-ton : le plus élevé, à l’usage des musiques militaires ; l’autre, destiné aux théâtres. M. Bender pratique son système ; le diapason de la musique des guides n’est pas applicable à la musique vocale. C’est le plus élevé de tous ceux que nous avons reçus.
M. Daussoigne-Méhul, directeur du Conservatoire royal de Liège, n’adresse pas de diapason, celui qu’il emploie étant semblable à celui de Paris. Il est un des trois correspondants qui concluent à l’adoption définitive de ce diapason, comme limite extrême, comme sauvegarde, et ne fut-ce, dit M. Daussoigne Méhul, que pour arrêter ses dispositions ascendantes.
M. Lubeck, directeur du Conservatoire royal de La Haye, en nous envoyant son diapason, un peu moins élevé que le nôtre, nous assure de son adhésion et de son concours. Vous voyez, monsieur le ministre, combien de sympathies et d’approbations rencontre voire désir de l’établissement d’un diapason uniforme.
Nous avions écrit en Amérique. New York n’a pas encore répondu. M. E. Prévost, chef d’orchestre de l’Opéra-Français de La Nouvelle-Orléans, nous a adressé une lettre d’adhésion, et un diapason qui ne nous est pas parvenu.
Nous avons reçu de quelques-unes des grandes villes de France, où la musique est en honneur, des renseignements communiqués par des artistes distingués.
Le diapason qui nous a été envoyé par M. Victor Magnien, directeur de l’Académie impériale de musique de Lille est, après celui de M. Bender et après ceux de Londres, le plus élevé des diapasons qu’on nous a adressés. Il est plus haut par conséquent que celui de Paris. Sans doute il a subi, par un procédé de bon voisinage, l’influence de la musique des guides de Bruxelles. Aussi· M. Magnien se rallie-t-il avec empressement à la demande d’un diapason plus modéré.
M. Mézerai, chef d’orchestre du grand théâtre de Bordeaux, nous a communiqué son diapason, moins élevé que celui de Paris. M. Mézerai avait d’abord adopté celui-ci, mais, nous dit-il, il fatiguait trop les chanteurs.
Le diapason de Lyon est celui de Paris, celui de Marseille est très peu plus bas. M. Georges Hainl, chef d’orchestre de Lyon, croit qu’il faut maintenir le diapason de Paris, malgré son élévation, dans la crainte d’affaiblir l’éclat de l’orchestre. M. Aug. Morel, directeur de l’École communale de Marseille, incline vers cet avis. Ces deux artistes forment, avec M. D. Méhul, le groupe que nous avons mentionné, proposant l’état actuel comme terme définitif.
Toulouse nous a adressé deux diapasons : celui du théâtre, moins élevé que le nôtre, presque semblable à celui de Bordeaux, et le diapason de l’École de musique, plus bas d’environ un quart de ton ; différence remarquable, qu’il importe d’autant plus de constater, que Toulouse· est une de ces villes à l’instinct musical, où le chant est populaire, où l’harmonie abonde, et qui, de tout temps, a fourni à nos théâtres des artistes à la voix mélodieuse et sonore.
Le diapason de l’École de Toulouse est, avec celui du théâtre grand-ducal de Carlsruhe (sic), dont il ne diffère que de quatre vibrations, le plus bas de tous les diapasons qui nous ont été communiqués. Celui de la musique des guides de Bruxelles, qui compte neuf cent onze vibrations par seconde, est, à l’aigu, le terme extrême de ces diapasons ; celui de Carlsruhe, qui ne fait que huit cent soixante-dix vibrations, en est le terme au grave. Entre cet écart, qui n’est pas beaucoup moindre d’un demi-ton, se meuvent les diapasons en usage aujourd’hui, et, par conséquent, les orchestres, les corps de musique, les ensembles de voix dont ils sont la règle et la loi, et dont ils résument pour ainsi dire l’expression.
Ainsi la France compte à ses deux extrémités un des diapasons les plus élevés, celui de Lille, un des diapasons les plus graves, celui de l’École de Toulouse. On peut suivre sur la carte la route que suit en France le diapason ; il s’élève et s’abaisse avec la latitude. De Paris à Lille, il monte ; il descend de Paris à Toulouse. Nous voyons le nord soumis évidemment au contact, à la prédominance de l’art instrumental, tandis que le midi reste fidèle aux convenances et deux bonnes traditions des études vocales.
Nous vous avons présenté, monsieur le ministre, le résumé fidèle des informations qui nous ont été transmises : nous vous avons fait connaître les impressions que nous en avons reçues. En présence des opinions presque unanimes exprimées pour une modération dans le ton, et des opinions unanimes pour l’adoption d’un diapason uniforme, c’est-à-dire pour un nivellement général du diapason, librement consenti ; en présence des différences remarquables qui existent entre les divers diapasons que nous avons pu comparer, différences mesurées avec toute la précision de la science en nombre de vibrations, el consignées dans un des tableaux annexés à ce rapport, la commission, après avoir discuté, a adopté en principe, et à l’unanimité des voix ; les deux propositions suivantes :
Il est désirable que le diapason soit abaissé.
Il est désirable que le diapason abaissé soit adopté généralement comme régulateur invariable.
III
Il restait à déterminer la quantité dont le diapason pourrait être abaissé, en lui ménageant les meilleures chances probables d’une adoption générale comme régulateur invariable.
Il était évident que le plus grand abaissement possible était d’un demi-ton, qu’un écart plus considérable n’était ni praticable ni nécessaire ; et sur ce point, la commission se montrait unanime. Mais le demi-ton rencontra des adversaires, et trois systèmes se trouvèrent en présence : abaissement d’un demi-ton, abaissement d’un quart de ton, abaissement moindre que ce dernier.
Un seul membre proposait l’abaissement moindre que le quart de ton. Craignant surtout de voir les relations commerciales troublées, il proposait un abaissement très modéré, et qui devait tout au plus, dans sa plus grande amplitude, atteindre un demi-quart de ton.
La question des relations commerciales est assez importante pour qu’on s’y arrête un instant. D’ailleurs, monsieur le ministre, en nous instituant, vous l’avez signalée à notre attention.
Parmi les documents qui nous ont été remis, figure une lettre signée de nos principaux, de nos plus célèbres facteurs d’instruments de tout genre. Dans cette lettre, adressée à Votre Excellence, sont exposés tous les embarras résultants de l’élévation toujours croissante du diapason et de la différence des diapasons. On vous demande de mettre un terme à ces embarras en établissant un système uniforme de diapason. “Il appartient à Votre Excellence, disent les signataires, de faire cesser cette sorte d’anarchie, et de rendre au monde musical un service aussi important que celui rendu autrefois au monde industriel par la création d’un système uniforme de mesures.” La commission prend en haute considération les intérêts de notre grande fabrication d’instruments, c’est une des richesses de la France, une industrie intelligente dans ses produits, heureuse dans ses résultats. Les hommes habiles qui la dirigent et l’ont élevée au premier rang ne peuvent douter de notre sollicitude ; ils savent que nous sommes amis de celte industrie qui fournit à quelques-uns des membres de la commission de précieux et charmants auxiliaires. Mais si, parmi ces maîtres facteurs qui ont si bien signalé à Votre Excellence “les embarras” résultant de la divergence et de l’élévation toujours croissante, » quelques-uns, comme il nous a été dit, craignent maintenant « les embarras » résultant des mesures qu’on veut prendre pour les contenter, que faudrait-il faire ? Puisqu’ils ont demandé, avec tout le monde musical, un diapason uniforme, comment le choix d’un diapason, destiné dans nos espérances et dans les leurs à devenir· uniforme, peut-il troubler « les relations commerciales » déjà troublées, à leur avis, par la divergence des diapasons ? L’établissement d’un diapason uniforme implique nécessairement le choix d’un diapason, d’un seul. Or, nous avons reçu, entendu, comparé, mesuré, vingt-cinq diapasons différents, tous en activité, tous usités aujourd’hui. De tant de la, lequel choisir ? Le nôtre apparemment.
Mais pourquoi ? De ces vingt-cinq diapasons, aucun ne demande à monter, beaucoup aspirent à descendre, et quinze sont plus bas que celui de Paris. De quel droit dirions-nous à ces quinze diapasons, montez jusqu’à nous ? N’est-ce pas alors que les relations commerciales courraient grand risque d’être troublées ! N’est-il pas plus logique, plus raisonnable, plus sage, dans l’intérêt de la grande conciliation, que nous voulions tenter, de descendre vers cette majorité, et n’est-ce pas ainsi que nous avons la plus grande chance d’être écoutés des artistes étrangers dont nous avons réclamé le concours, et que nous remercions ici d’avoir répondu à notre appel avec tant de cordialité et de sympathie ?
Pour donner à l’industrie instrumentale un témoignage de sa sollicitude, la commission convoqua les principaux facteurs, ceux qui avaient obtenu les premières récompenses à l’Exposition universelle de 1855, c’est-à-dire ceux mêmes qui avaient écrit à Votre Excellence, et ce n’est qu’après avoir conféré avec eux et plusieurs de nos chefs d’orchestre, que la commission délibéra sur la quantité dont pourrait être abaissé le diapason.
Dans cette discussion, l’abaissement du quart de ton a réuni la grande majorité des suffrages ; apportant une modération sensible aux études et aux travaux des chanteurs, sans jeter une trop grande perturbation dans les habitudes, il s’insinuerait pour ainsi dire incognito en présence du public ; il rendrait plus facile l’exécution des anciens chefs-d’œuvre ; il nous ramènerait au diapason employé il y a environ trente ans, époque de la production d’ouvrages restés pour la plupart au répertoire, lesquels se retrouveraient dans leurs conditions premières de composition et de représentation. Il serait plus facilement accepté à l’étranger que l’abaissement du demi-ton. Ainsi amendé, le diapason se rapprocherait beaucoup du diapason élu, en 1834 à Stuttgart. Il avait déjà pour lui l’avantage d’une pratique restreinte, il est vrai, mais dont on peut apprécier les résultats.
La commission a donc l’honneur de proposer à Votre Excellence d’instituer un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France ; et de décider que ce diapason, donnant le la, sera fixé à 870 vibrations par seconde.
Quant aux mesures à prendre pour assurer l’adoption et la conservation du nouveau diapason, la commission a pensé, monsieur le ministre, qu’il conviendrait :
Qu’un diapason type, exécutant 870 vibrations par seconde à la température de 15 degrés centigrades, fût construit sous la direction d’hommes compétents, désignés par Votre Excellence.
Que Votre Excellence déterminât, pour Paris et les départements, une époque à partir de laquelle le nouveau diapason deviendrait obligatoire.
Que l’état des diapasons et instruments dans tous les théâtres, écoles et autres établissements musicaux, fût constamment soumis à des vérifications administratives.
Nous espérons que vous voudrez bien, monsieur le ministre, dans l’intérêt de l’unité du diapason, pour compléter autant que possible l’ensemble de ces mesures, intervenir auprès de S. Exc. le ministre de la guerre, pour l’adoption du diapason ainsi amendé dans les régiments ; auprès de S. Exc. le ministre du Commerce pour qu’à l’avenir, aux expositions de l’industrie, les instruments de musique conformes à ce diapason soient seuls admis à concourir pour les récompenses ; nous sollicitons aussi l’intervention de Votre Excellence pour qu’il soit seul autorisé et employé dans toutes les écoles communales de la France où l’on enseigne la musique.
Enfin, la commission vous demande encore, monsieur le ministre, de vouloir bien intervenir auprès de S. Exc. le ministre de l’Instruction publique et des Cultes, pour qu’à l’avenir les orgues, dont il ordonnera la construction ou la réparation, soient mises au ton du nouveau diapason.
Telles sont, monsieur le ministre, les mesures qui paraissent nécessaires à la commission pour assurer et consolider le succès du changement que l’adoption d’un diapason uniforme introduirait dans nos mœurs musicales. L’ordre et la régularité s’établiraient où règnent parfois le hasard, le caprice ou l’insouciance ; l’étude du chant s’accomplirait dans des conditions plus favorables ; la voix humaine, dont l’ambition serait moins excitée, serait soumise à de moins rudes épreuves. L’industrie des instruments, en s’associant à ces mesures, trouverait peut-être le moyen de perfectionner encore ses produits déjà si recherchés. Il n’est pas indigne du Gouvernement d’une grande nation de s’occuper de ces questions qui peuvent paraître futiles, mais qui ont leur importance réelle. L’art n’est pas indifférent aux soins qu’on a de lui ; il a besoin qu’on l’aime pour fructifier, s’étendre, élever les cœurs et les esprits. Tout le monde sait avec quel amour, avec quelle inquiétude ardente et rigoureuse les Grecs, qu’animait un sentiment de l’art si vif et si profond, veillaient au maintien des lois de leur musique. En se préoccupant des dangers que peut faire courir à l’art musical l’amour excessif de la sonorité, en cherchant à établir une règle, une mesure, un principe, Votre Excellence a donné une preuve nouvelle de l’intérêt éclairé qu’elle porte aux beaux-arts. Les amis de la musique vous remercient, monsieur le ministre, ceux qui lui ont donné leur vie entière, et ceux qui lui donnent leurs loisirs ; ceux qui parlent la langue harmonieuse des sons, et ceux qui en comprennent les beautés.
Nous avons l’honneur d’être avec respect,
Monsieur le ministre,
De Votre Excellence
Les très humbles et très dévoués serviteurs.
J. PELLETIER, président ; F. HALÉVY, rapporteur ; AUBER, BERLIOZ, DESPRETZ, CAMILLE DOUCET, LISSAJOUS, GÉNÉRAL MELLINET, MEYERBEER, Ed. MONNAIS, ROSSINI, AMBROISE THOMASTABLEAUX ANNEXÉS AU RAPPORT.
Tableau des diapasons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du diapason au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme (Arrêté du 17 juillet 1858) — Paris, le 1er février 1859.
Arrêté du 16 février 1859
Vu l’arrêté en date du 17 juillet 1858 qui a institué une commission chargée de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation ;
Vu le rapport de la commission en date du 1er février 1859,
Arrête :
Art. 1er. Il est institué un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France, théâtres impériaux el autres de Paris et des départements, conservatoires, écoles, succursales et concerts publics autorisés par l’État.
Art. 2. Ce diapason, donnant le la adopté pour l’accord des instruments, est fixé à huit cent soixante-dix vibrations par seconde ; il prendra le titre de diapason normal.
Art. 3. L’étalon prototype du diapason normal sera déposé au Conservatoire impérial de musique et de déclamation.
Art. 4. Tous les établissements musicaux autorisés par l’État devront être pourvus d’un diapason vérifié et poinçonné, conforme à l’étalon prototype.
Art. 5. Le diapason normal sera mis en vigueur à Paris le 1er juillet prochain, et le 1er décembre suivant dans les départements.
À partir de ces époques, ne seront admis dans les établissements musicaux ci-dessus mentionnés que les instruments au diapason normal, vérifiés et poinçonnés.
Art. 6. L’état des diapasons et des instruments sera régulièrement soumis à des vérifications administratives.
Art. 7. Le présent arrêté sera déposé au secrétariat général, pour être notifié à qui de droit.
Paris, le 16 février 1859
ACHILLE FOULD.
Les critiques du rapport et de l’arrêté…
Le rapport et l’arrêté ministériel précédents, lui ordonne l’établissement d’un diapason modèle pour tous les théâtres et les établissements, lyriques de Paris et de la France, ont soulevé de nombreuses réclamations. Les constructeurs d’orgues, les fabricants d’instruments, les artistes qui se voient forcés de renouveler la flûte, le basson, le hautbois, etc., etc., dont ils se servent depuis longtemps ont fait aux conclusions pratiques contenues dans le rapport de la commission de telles objections, que l’arrêté ministériel n’a pas encore reçu d’exécution dans aucun théâtre de Paris. Un écrivain laborieux et très-versé dans les matières qui touchent à la fabrication des orgues et des autres instruments, M. Adrien de La Fage a publié un opuscule intéressant sous le titre de l’unité tonale, où il examine, tant au point de vue historique que sous le rapport praticable de nos jours, les idées qui ont déterminé la commission à s’arrêter au nombre de 870 vibrations par seconde pour le diapason normal de la France.
Il ne paraît pas, dit M. de La Fage, que les peuples anciens qui nous sont le mieux connus n’ont jamais songé à établir un son fixe qui servit de régulateur aux voix et aux instruments. Les plus anciennes opérations relatives au calcul des sons sont celles qu’on attribue à Pythagore qui vivait cinq cents ans avant l’ère vulgaire. Il semble résulter des recherches qu’on a faites dans l’histoire des Chinois qu’ils ont été les premiers à posséder un système musical d’une certaine régularité. C’est sous le règne de l’empereur Hoang-ti, 2600 avant Jésus-Christ, qu’aurait eu lieu la grande réforme de la musique chinoise, sous la direction d’un ministre tout-puissant, Ling-lun. Au moyen âge, les idées exactes étaient trop rares pour que l’on s’occupât d’une opération aussi délicate que la fixation d’un son régulateur. Les instruments s’accordaient à peu près au hasard et c’est à peine si l’on sait quelle était la dimension des gros tuyaux des principales orgues de l’Europe. Il faut arriver jusqu’aux premières années du dix-septième siècle, pour trouver quelques renseignements précis sur l’objet qui nous occupe.
En effet, c’est en 1615 que Salomon de Caus publia le premier ouvrage qui ait été écrit sur la construction des orgues ; mais c’est au P, Mersenne, dit M. de La Fage, que l’on doit la fixation exacte d’un son modèle et régulateur. Le P. Mersenne, qui était un très savant homme, avait parfaitement conscience de l’utilité de son opération, car il dit : « Tous les musiciens du monde feront chanter une même pièce de musique selon l’intention du compositeur, c’est-à-dire, au ton qu’il veut qu’elle se chante, pourvu qu’il connaisse la nature du son. » Le P. Mersenne, remarque M. de La Fage, ne peut s’empêcher d’admirer son idée, car il ajoute : « Celte proposition est l’une des plus belles de la musique pratique, car si l’on envoyait une pièce de musique de Paris à Constantinople, en Perse, en Chine, encore que ceux qui entendent les notes et qui savent la composition ordinaire le puissent faire chanter en gardant la mesure, néanmoins ils ne peuvent savoir à quel ton chaque partie doit commencer, etc. » Ainsi donc, comme l’observe fort judicieusement M. de La Fage, le principe de la fixation scientifique d’un son modèle aurait pu être appliqué dès la première moitié du dix-septième siècle ; mais le besoin ne s’en fit pas sentir, parce que la musique vocale était renfermée alors dans une portion assez restreinte de l’échelle sonore.
L’invention du diapason tel que nous le connaissons de nos jours, dit M. de La Fage, est due à un sergent-trompette de la maison royale d’Angleterre, nommé John Shore. Il étudia la trompette avec tant de persévérance qu’il était parvenu à en tirer des sons aussi doux que ceux du hautbois. John Shore faisait partie de la bande des trompettes royaux depuis 1711. À l’entrée de Georges 1er, en 1741, il remplissait les fonctions de sergent, montant, à la tête de sa petite troupe, un cheval richement caparaçonné. Le 8 août 1715, le personnel de la chapelle ayant été augmenté, il y fut admis en qualité de luthiste. Il avait toujours avec lui le diapason dont il était inventeur ; il s’en servait pour accorder son luth. Le diapason eut dès lors la forme qu’il a maintenant, et il se nommait en anglais tuning-fork, c’est-à-dire, fourchette d’accord. Il fut adopté par toute l’Angleterre, d’où il se propagea en Italie sous le nom de corista. (La corista vient en fait de choriste, un autre type de diapason constitué d’un sifflet avec un piston permettant de faire varier la fréquence de référence.) Il fut admis en France sous le nom grec de diapason. La différence des diapasons admis dans les divers pays de l’Europe était souvent très considérable…
M. de La Fage a pu constater qu’on rencontrait en Italie deux diapasons qui offraient l’énorme différence d’une tierce majeure. Le diapason de la Lombardie et de l’État vénitien était plus haut, et celui de Rome plus bas. À cette même époque, le diapason en usage à Paris était plus haut que celui de Rome et de la Lombardie.
D’après l’opinion de M. de La Fage, qui diffère de celle émise par la commission, ce seraient les instruments à cordes qui seraient la cause de l’ascension toujours croissante du diapason. Je pense, dit l’auteur de la brochure que nous analysons, que c’est la facilité qu’ont les instruments à cordes de modifier leur accord et de l’avantage qu’ils trouvent à le hausser, qu’est résulté l’ascension progressive du diapason. C’est dire que je ne partage pas en ceci l’opinion de M. Lissajous, qui croit que ce résultat a été produit par les instruments à vent. Chaque fois qu’un artiste nouveau en remplace un ancien dans un orchestre, dit M. Lissajous, il substitue un instrument plus récent qui influe, pour sa part, sur le mouvement ascensionnel du ton d’orchestre. Cet effet, insensible d’un jour à l’autre, se traduit, au bout d’un certain temps, par une différence notable.
Que ce soient les instruments à cordes ou les instruments à vent qui sont la cause de cette élévation où est arrivé le diapason moderne, ce qu’il fallait avant tout, c’est d’en arrêter l’ascension. II est évident, comme le dit M. de La Fage, que ce ne sont pas les chanteurs qui ont contribué à l’élévation toujours progressive du diapason dont ils sont les premières victimes. L’auteur ajoute : « Si tant de voix perdent aujourd’hui promptement leur fraîcheur primitive, ce n’est pas au diapason qu’il faut s’en prendre, mais aux compositeurs, qui sont les maîtres d’écrire dans la véritable étendue de chaque voix. »
Qui les force à placer le centre vocal dans la partie la plus élevée de l’échelle ? Non, ajoute M. de La Fage, ce n’est pas l’élévation du diapason qui empêche les voix de se produire, et qui altère celles qui se produisent ; ce sont les mauvais maîtres de chant, les mauvais compositeurs ; c’est eux qu’il faut accuser, c’est eux qu’il faut poursuivre ; et qu’on se hâte, car bientôt il faudrait accuser et poursuivre tout le monde ; toutes ces choses réunies peuvent avoir contribué au mal dont on se plaint ; l’essentiel, c’est d’y porter remède.
Dans le dix-neuvième article de sa brochure, M. de La Fage donne l’analyse d’un instrument curieux de
M. Lissajous pour faire apprécier à l’œil le nombre de vibrations que produit la tension d’une corde. Le but que se propose l’auteur, dit-il, est d’imposer une méthode optique propre à l’étude des mouvements vibratoires. Cette méthode, fondée sur la persistance des sensations usuelles et sur la composition de deux ou plusieurs mouvements vibratoires simultanés,
permet d’étudier, sans le secours de l’oreille, toute espèce de mouvements vibratoires, et, par suite, toute espèce de sons. « Quoique M. Lissajous n’ait pas encore développé expérimentalement toutes les conséquences de cette méthode, il pense qu’elle présentera une utilité réelle pour la fabrication des instruments de musique… M. de La Fage termine sa brochure par des conclusions qui semblent contraires aux principes émis dans le rapport de la commission, et il serait d’avis qu’on eût fixé un diapason, mais en laissant à chacun la liberté de s’y conformer. Nous ne saurions partager cette manière de voir, et nous pensons qu’après de vaines résistances de la part de certains fabricants d’instruments, on se soumettra au diapason légal, et que l’arrêté ministériel aura sa pleine et salutaire exécution.
Les questions d’érudition, d’investigation et d’utilité pratique sont à l’ordre du jour, et viennent, de plus en plus, solliciter l’attention de la critique. Nous avons sous les yeux une réponse de M. Vincent, membre de l’Institut, au mémoire de M. Fétis sur l’existence de l’harmonie simultanée des sons de la musique des Grecs, dont nous avons parlé dans le chapitre sixième de ce volume. Le titre de la brochure de M. Vincent qui vient de paraître tout récemment est : Réponse à M. Pétis et réfutation de son mémoire· sur cette question : Les Grecs et les Romains ont-ils connu l’harmonie simultanée des sons ? Sans entrer dans le fond du débat, nous sommes heureux de reconnaître que les conclusions, qui ressortent du travail très-serré et très-savant de M. Vincent, sont conformes à celles que nous avons émises en examinant le mémoire de M. Fétis. M. Vincent dit avec une haute raison (page 50 de sa brochure) : « Il est certain que les tierces, quoiqu’elles ne fussent pas prises théoriquement pour des consonances, étaient considérées comme telles dans la pratique des artistes. » À la bonne heure, donc, voilà de la science qui ne contredit pas le sens commun. M. Vincent ajoute un· peu après : « Or, dans les beaux-arts, les règles ne s’établissent pas a priori : c’est la pratique qui les dicte, la théorie ne fait que les enregistrer. » Page 63, nous lisons encore ce passage concluant : a Comment en définitive connaître toutes les ressources d’un système d’harmonie pratiqué suivant des règles que nous ignorons complètement, et qui étaient certainement très différentes des nôtres ? que ces règles fussent infiniment moins complexes et moins savantes que celles de nos jours, c’est un fait incontestable ; mais cela ne suffit pas pour se refuser à reconnaître ici l’existence d’une certaine harmonie, quelle qu’elle fût… Pour appuyer celle idée fort juste, M. Vincent ajoute, page 6 : Quand on a vu de rustiques montagnards, qui n’avaient certainement reçu les leçons d’aucun Conservatoire, ameuter tout Paris sur les places publiques, rien qu’avec un chalumeau et une cornemuse, on a peine à concevoir que des hommes intelligents persistent à dénier à un peuple splendidement doué pour tout le reste, jusqu’aux plus simples éléments d’un art qui possède, plus que tout autre, la puissance d’émouvoir certaines organisations privilégiées. En résumé, que réclamons-nous ? la connaissance des procédés, des finesses, des délicatesses de la science moderne ? Nullement : que l’on nous accorde un simple duo soutenu par un ou deux pédales, voilà toutes nos prétentions… Tout cela nous paraît trop raisonnable, trop fondé sur la nature des choses pour que M. Fétis n’en reconnaisse pas la vérité. La brochure de M. Vincent, écrite avec une extrême vivacité de paroles, est suivie de quelques planches qui la rendent d’autant plus curieuse à consulter.
Le siècle que nous traversons, et qui a déjà fourni plus de la moitié de sa carrière peut se diviser en deux époques dont chacune semble destinée à remplir une tâche différente. La première qui commence à la Révolution française a été une période de mouvement, de spontanéité et de création dans toutes les directions de la pensée, dans tous les faits soumis à la volonté de l’homme. La période qui va s’accomplissant sous nos yeux paraît devoir être, au contraire, une époque d’investigation, d’études et d’appréciation historique. La musique a largement participé au mouvement créateur de la première époque, car elle a produit Beethoven, Rossini, Weber et tout un monde d’idées nouvelles. Il faut nous résigner maintenant à partager le sort commun, à étudier le passé, à en pénétrer l’esprit jusqu’à ce que Dieu nous envoie un de ces révélateurs inspirés qui changent le cours des choses et viennent inaugurer, dans l’art, un nouvel idéal.
Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores
Hier, en fouillant dans les vidéos de La yumba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon attention. Il s’agit d’un concert donné en 1987 où Roberto Goyeneche a été accompagné par l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Cette rencontre au sommet entre ces deux idoles du tango a donc été filmée et j’ai pensé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enregistré il y a exactement 37 ans, jour pour jour. Je pourrai rajouter que les auteurs sont eux aussi plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Carlos Gardel et José Razzano pour la composition et Celedonio Esteban Flores pour les paroles.
Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche
Partition de Mano a mano de Carlos Gardel et José Razzano avec des paroles de Celedonio Flores.
Mano a mano — Roberto Goyeneche con Osvaldo Pugliese y su orquesta. Enregistrement public au Teatro Opera de Buenos Aires (Avenida Corrientes 860) le 22 août 1987
Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un monument d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tango.
Paroles
Rechiflado en mi tristeza, te evoco y veo que has sido en mi pobre vida paria sólo una buena mujer. Tu presencia de bacana puso calor en mi nido, fuiste buena, consecuente, y yo sé que me has querido cómo no quisiste a nadie, como no podrás querer.
Se dio el juego de remanye cuando vos, pobre percanta, gambeteabas la pobreza en la casa de pensión. Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y canta, Los morlacos del otario los jugás a la marchanta como juega el gato maula con el mísero ratón.
Hoy tenés el mate lleno de infelices ilusiones, te engrupieron los otarios, las amigas y el gavión; la milonga, entre magnates, con sus locas tentaciones, donde triunfan y claudican milongueras pretensiones, se te ha entrado muy adentro en tu pobre corazón.
Nada debo agradecerte, mano a mano hemos quedado; no me importa lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás… Los favores recibidos creo habértelos pagado y, si alguna deuda chica sin querer se me ha olvidado, en la cuenta del otario que tenés se la cargás.
Mientras tanto, que tus triunfos, pobres triunfos pasajeros, sean una larga fila de riquezas y placer; que el bacán que te acámala tenga pesos duraderos, que te abrás de las paradas con cafishos milongueros y que digan los muchachos: Es una buena mujer. Y mañana, cuando seas descolado mueble viejo y no tengas esperanzas en tu pobre corazón, sí precisás una ayuda, si te hace falta un consejo, acordate de este amigo que ha de jugarse el pellejo pa’ayudarte en lo que pueda cuando llegue la ocasión. Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores
Traduction libre et indications
Entravé (rechiflado peut signifier amoureux, enthousiaste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pauvre vie de paria seulement une femme bonne. Ta présence de femme (multitude d’acceptions allant de tenancière de bordel à concubine en passant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, conséquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé personne, comme tu ne pourras pas aimer. Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pauvre femme (amante, concubine), tu dribblais (essayer d’esquiver, comme au football) la pauvreté dans la pension. Aujourd’hui, tu as une femme établie (probablement tenancière de maison close), la vie rit et chante pour toi, les morlacos (pesos, argent) de l’otario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchanta (action de jeter des pièces à des personnes pauvres pour qu’elles se jettent dessus en se battant) comme le chat joue avec la misérable souris. Aujourd’hui, tu as le mate plein d’illusions malheureuses, tu as été gonflé par les otarios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milonga, chez les magnats, avec ses folles tentations, où les milongueras triomphent et chutent, est entrée profondément dans ton pauvre cœur. Je n’ai rien que je doive te remercier, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras… Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la chargeras sur le compte de l’otario que tu as. En attendant que tes triomphes, pauvres triomphes éphémères, soient une longue lignée de richesses et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des proxénètes milongueros et que les garçons disent : c’est une femme bonne. Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meuble et que tu n’auras plus d’espoir dans ton pauvre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de conseils, souviens-toi de cet ami qui risquera sa peau pour t’aider de toutes les manières possibles lorsque l’occasion se présentera.
Autres versions
Il y a des centaines d’autres versions, à commencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la formidable camaraderie des gens de tango. Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Roberto Goyeneche.
Roberto Goyeneche
Goyeneche, le Polonais (El Polaco), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne commence sa carrière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mouvement du tango est donc plutôt de la faute de ses parents 😉 En revanche, il compense cela par une diction ferme et un phrasé très particulier qui font que l’on tombe obligatoirement sous son charme. Arriver tard, n’est pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où à partir des années 50, le tango devient surtout une activité de concert, plus que de danse. La radio, les disques et la télévision étaient friands de ces chanteurs expressifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le public. Dans les années 40, un de ses collègues de l’orchestre de Horacio Salgán, le chanteur Ángel Díaz, lui donna son surnom de Polaco (Polonais). Son passage dans l’orchestre de Aníbal Troilo affermit sa gloire naissante, mais le fait qu’il donne une vision personnelle des grands titres du répertoire a également attiré la sympathie du public. Il a su ainsi personnaliser son répertoire, en renouvelant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs. Par exemple, notre tango du jour avait été particulièrement apprécié, notamment par Carlos Gardel (son auteur), Charlo, Jorge Omar, Héctor Palacios, Roberto Maida, Carlos Dante et même Nina Miranda (en duo avec Roberto Líster), Carlos Roldán et Julio Sosa, el Varon del tango. Il convenait donc de se démarquer et Goyeneche sut le faire, faisant souvent oublier les versions antérieures pour que le public ne retienne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, garganta con arena (gorge avec du sable). Cacho Castaña a d’ailleurs fait une chanson hommage au Polaco, Garganta con arena.
Garganta con arena
Je vous propose de terminer avec la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche. Cacho a composé cette chanson, quelques mois avant la mort de Roberto. Ce dernier en entendant la chanson fredonnée dans la loge par Cacho Castaña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adriana Varela qui était également présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enregistré la chanson, avant Cacho. Seize ans plus tard, Cacho et Adriana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous propose de voir maintenant.
Garganta con arena, la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche, ici, en 2010 chanté par Cacho Castaña et Adriana Varela.
Paroles
Ya ves, el día no amanece Polaco Goyeneche, cántame un tango más Ya ves, la noche se hace larga Tu vida tiene un karma: Cantar, siempre cantar
Tu voz, que al tango lo emociona Diciendo el punto y coma que nadie le cantó Tu voz, con duendes y fantasmas Respira con el asma de un viejo bandoneón
Canta, garganta con arena Tu voz tiene la pena que Malena no cantó Canta, que Juárez te condena Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón
Canta, la gente está aplaudiendo Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor Canta, que Troilo desde el cielo Debajo de tu almohada, un verso te dejó
Cantor de un tango algo insolente Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor Cantor de un tango equilibrista Más que cantor, artista con vicios de cantor
Ya ves, a mí y a Buenos Aires Nos falta siempre el aire cuando no está tu voz A vos, que tanto me enseñaste El día que cantaste conmigo una canción
Canta, garganta con arena Tu voz tiene la pena que Malena no cantó Canta, que Juárez te condena Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón
Canta, la gente está aplaudiendo Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor Canta, que Troilo desde el cielo Debajo de tu almohada, un verso te dejó Cacho Castaña
Traduction libre de Garganta con arena
Tu vois, le jour ne se lève pas. Polaco Goyeneche, chante-moi encore un tango. Tu vois, la nuit se fait longue. Ta vie a du karma : Chante, chante toujours Ta voix, qui émeut le tango, disant le point-virgule que personne jamais n’a chanté. Ta voix, avec des lutins (duendes, sorte de gnomes de la mythologie espagnole et argentine) et des fantômes, respirez avec l’asthme d’un vieux bandonéon.
Chante, gorge avec du sable. Ta voix a le chagrin que Malena n’a pas chanté. Chante, que Juárez te condamne en blessant ton chagrin avec son bandonéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au bandonéon, ce qui est très rare. Troilo, lui-même, chantait parfois quelques instants, mais jamais une véritable partie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on parlera beaucoup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»). Chante, les gens applaudissent. Et même si tu te meurs, ils ne connaissent pas ta douleur. Chante, que Troilo depuis le ciel, sous ton oreiller, un couplet, il t’a laissé.
Chanteur d’un tango un peu insolent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal. Chanteur d’un tango équilibriste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur. Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous manquons toujours d’air quand ta voix n’est pas là. À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chanté une chanson avec moi.
Au revoir, les amis, au revoir Monsieur Goyeneche.
Quand on pense à Osvaldo Pugliese, deux souvenirs reviennent forcément en mémoire. La yumba et le concert au Teatro Colón du 26 décembre 1985. Ces deux éléments distants de 40 ans sont intimement liés, nous allons voir comment.
Extrait musical
La yumba 1946-08-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese Partition de La yumba (Osvaldo Pugliese).
Naissance d’un mythe
Lorsque Pugliese a lancé La yumba, cela a été immédiatement un succès. Mais il est intéressant de connaître le parcours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du bandonéon quand il s’ouvre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fantaisistes. Je préfère, comme toujours, me raccrocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osvaldo Pugliese.
Je lui laisse la parole à Osvaldo Pugliese à travers une entrevue avec Arturo Marcos Lozza :
Nosotros partimos de la etapa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa etapa. No la viví escuchándola, la viví practicándola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesidad específica, también por necesidad interna, espiritual. Y fuimos impulsando poco a poco una superación, una línea que cristalizó en “La yumba”.
En esa partitura, en esa interpretación, usted apela a un ritmo que tiene un sello muy especial…
Le he dado una marcación percusiva. Por ejemplo, los norteamericanos en el jazz hacen una marcación dinámica, mecánica, regular, monocorde. Para mi concepto, la batería no corre en el tango. Ya han hecho experiencias Canaro, Fresedo y qué sé yo cuántos, pero para mí la batería es un elemento que golpea. El tango, en cambio, tiene una característica procedente de la influencia del folclore pampeano, que es el arrastre, muy aplicado por la escuela de Julio De Caro, por Di Sarli y por nosotros también. Y después viene la marcación que Julio De Caro acentuó en el primer y tercer tiempo, en algunos casos con arrastre. Y nosotros hemos hecho la combinación de las dos cosas: la marcación del primer tiempo y del tercero, y el arrastre percusivo y que sacude.
Y esa combinación de marcación percusiva y de arrastre le da al tango una fuerza que es incapaz de dársela una batería.
No, no, la batería no se la puede dar, arruina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trombones. Lo único que me llama la atención, y que en algún momento lo voy a incorporar, como se lo dije un día al finado Lipesker, es el clarinete bajo, un clarinete que Lipesker ya tocaba en la orquesta de Pedro Maffia y que le sacaba lindo color, oscuro y sedoso. Bueno, con la flauta y un clarinete bajo yo completaría una orquesta típica.
[…]
Le dimos una particularidad a nuestra interpretación y la gente reaccionaba gritándonos “¡no se mueran nunca!”, “¡viva la sinfónica!”, “¡al Colón, al Colón!”. Bueno, esas son cosas que expresan un sentimiento, pero son exageraciones: ni somos una sinfónica, ni nada por el estilo.
Eso sí, cuando tocamos, ponemos todo.
Ponen pólvora, ponen yumba, hay polenta en la interpretación. ¡Cuántos al escuchar a la típica del maestro, terminan con la piel de gallina por la emoción!
Y bueno, yo no sé. Para mí, sentir eso es una satisfacción. Pero me digo a mí mismo: “quédate ahí nomás, Osvaldo, no te fanfarronees y seguí trabajando siempre con la cabeza fría”.
Arturo Marcos Lozza ; Osvaldo Pugliese al Colón.
Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza
Nous sommes partis de l’étape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’écoutant, je l’ai vécue en le pratiquant. Il s’ensuit qu’il devait y avoir une amélioration, non pas parce que je me l’étais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spécifique, aussi d’un besoin intérieur, spirituel. Et nous avons progressivement promu une amélioration, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yumba ».
Dans cette partition, dans cette interprétation, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très particulier…
Je lui ai donné une marque percussive. Par exemple, les Nord-Américains dans le jazz font un marquage dynamique, mécanique, régulier, monotone. Pour mon concept, la batterie ne va pas dans le tango. Canaro, Fresedo et je ne sais pas combien ont déjà fait des expériences, mais pour moi la batterie est un élément qui frappe. Le tango, d’autre part, a une caractéristique issue de l’influence du folklore de la pampa, qui est l’arrastre (traîner), très utilisé par l’école de Julio De Caro, par Di Sarli et par nous également. Et puis vient le marquage que Julio De Caro a accentué au premier et troisième temps, dans certains cas avec des arrastres. Et nous avons fait la combinaison des deux choses : le marquage du premier et du troisième temps, et l’arrastre percussive et tremblante.
Et cette combinaison de marquage percussif et d’arrastre donne au tango une force qu’une batterie est incapable de lui donner.
Non, non, la batterie ne peut pas la donner, elle ruine. Je ne veux pas utiliser de batterie, ni de pistons, ni de trombones. La seule chose qui attire mon attention, et qu’à un moment donné je vais incorporer, comme je l’ai dit un jour au regretté Lipesker, c’est la clarinette basse, une clarinette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maffia et qui lui a donné une belle couleur sombre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clarinette basse, je compléterais un orchestre typique.
[…]
Nous avons donné une particularité à notre interprétation et les gens ont réagi en criant « ne meurs jamais ! », « Vive le symphonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expriment un sentiment, mais ce sont des exagérations : nous ne sommes pas un symphonique, ou quelque chose comme ça.
Bien sûr, quand nous jouons, nous y mettons tout ce qu’il faut.
Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yumba, il y a de la polenta (puissance, énergie) dans l’interprétation. Combien en écoutant la Típica du maître finissent par avoir la chair de poule à cause de l’émotion !
Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressentir cela est une satisfaction. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osvaldo, ne te vante pas et continue de travailler, toujours avec la tête froide. »
On voit dans cet extrait la modestie de Pugliese et son attachement à De Caro.
Autres versions
Il existe des dizaines d’enregistrements de La yumba, mais je vous propose de rester dans un cercle très restreint, celui d’Osvaldo Pugliese lui-même.
La yumba 1946-08-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
Elle allie l’originalité musicale, sans perdre sa dansabilité. Sans doute la meilleure des versions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qualité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.
Pugliese jouant la Yumba en 1948 !
La yumba en 1948. Le film “Mis cinco hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’occasion de voir Osvaldo Pugliese à l’époque du lancement de La yumba.
Extrait du film “Mis cinco hijos” dirigé par Orestes Caviglia et Bernardo Spoliansky sur un scénario de Nathan Pinzón et Ricardo Setaro. Il est sorti le 2 septembre 1948. Ici, Osvaldo Pugliese interprète La yumba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’extrait le succès qu’il rencontre “Al Colón!”
La version de 1952
La yumba 1952-11-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version magnifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pourra la trouver un peu moins dansante. Cependant, comme cette version est très connue, les danseurs arrivent en général à s’y retrouver.
Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).
1985-12-26, Osvaldo Pugliese Al Colón. La yumba Version courte (seulement la yumba)
Version longue avec la présentation des musiciens. C’est celle que je vous conseille si vous avez un peu plus de temps.
Osvaldo Pugliese avec Atilio Stampone en 1987.
1987, Une interprétation de La yumba à deux pianos, celui de Osvaldo Pugliese et celui de Atilio Stampone.
Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.
Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.
Dans le documentaire « San Pugliese », un des musiciens témoigne que les musiciens étaient assez réservés sur l’intervention de Astor Piazzolla. Osvaldo Pugliese, en revanche, considérait cela comme un honneur. Un grand homme, jusqu’au bout.
Pugliese au Japon
La yumba 1989-11 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
La yumba 1989-11 — Orquesta Osvaldo Pugliese. Le dernier enregistrement de La yumba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novembre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaudissements, vous pourrez entendre une petite fantaisie au piano par Osvaldo Pugliese.
Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.
La yumba — À partir d’un pochoir mural dans le quartier de Palermo. La ronde d’india, est inspirée par ma fantaisie à l’évocation de Yumba…
Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique
Carlos Viván, l’auteur et le compositeur de ce tango fut un bon vivant et ce tango touche de très près sa vie qui fut clairement parmi les plus instables possibles. Le seul point étonnant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le supposer, à la fin de sa vie tourmentée… L’abondance des versions à l’âge d’or et par la suite, prouve que ce sujet touchait la sensibilité des Argentins ; et la vôtre ?
Extrait musical
Cómo se pianta la vida 1940-08-20 ‑Orquesta Enrique Rodríguez con Armando MorenoPartitions de Cómo se pianta la vida de Carlos Viván (paroles et musique)
Paroles
Berretines locos De muchacho rana Me arrastraron ciegos En mi juventud En milongas, timbas Y en otras macanas Donde fui palmando Toda mi salud
Mi copa bohemia De rubia champagne Brindando amoríos Borracho la alze Mi vida fue un barco Cargado de hazañas Que juntó a las playas Del mar lo encalle
Cómo se pianta la vida Cómo rezongan los años Cuando fieros desengaños Nos van abriendo una herida Es triste la primavera Si se vive desteñida
Cómo se pianta la vida De muchacho calavera
Los veinte abriles cantaron un día la milonga triste de mi berretín y en la contradanza de esa algarabía al trompo de mi alma le faltó piolín. Hoy estoy pagando aquellas ranadas Final de los vivos Que siempre se da Me encuentro sin chance En esta jugada La muerte sin grupo Ya ha entrado a tallar
Cómo se pianta la vida De muchacho calavera Carlos Viván — 1929 — Paroles et musique
Traduction libre
Les folles lubies d’un gars débrouillard m’ont entraîné à l’aveuglette dans ma jeunesse, dans les milongas (Carlos Viván était un grand danseur de tango), les timbas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma santé. Mon verre bohème de champagne blond, trinquant aux amours, ivre, je l’ai levé (Carlos Viván était plutôt amateur de Whisky, sans doute à cause de ses origines irlandaises). Ma vie a été un navire plein d’exploits, qui rejoignit les plages marines et s’échoua. Comme la vie se perd (piantar, c’est en lunfardo, s’enfuir), comme les années grognent quand de féroces déceptions nous ouvrent une blessure. Le printemps est triste s’il se vit déteint. Comment se perd la vie d’un gars débauché. Les vingt avrils (même si “Avril” en Argentine tombe en automne, c’est l’équivalent de l’expression “Printemps” pour marquer les années. Dans le vers précédent, il parlait d’ailleurs de printemps) ont chanté un jour la milonga triste de ma lubie et dans la contredanse de ce brouhaha, Il me manquait au plus profond de mon âme une innocence (piolín, verlan de limpio, propre, personne sans casier judiciaire…). Aujourd’hui, je paie pour ces méfaits. Le final des canailles arrive toujours. Je me retrouve sans chance dans ce jeu dangereux. La mort sans mentir est déjà entrée pour tailler. Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.
Autres versions
Voici une petite sélection de versions illustrant le succès du thème pendant plus de 50 ans.
Cómo se pianta la vida 1930-03-18 — Azucena Maizani con conjuntoCómo se pianta la vida 1930-03-21 — Alberto Vila con guitarrasCómo se pianta la vida 1930-03-27 — Orquesta Luis Petrucelli con Roberto DíazCómo se pianta la vida 1930-04-02 — Orquesta Pedro Maffia con Carlos Viván.
Carlos Viván chante sa composition. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.
Cómo se pianta la vida 1930 — Roberto Maida acomp. de Orquesta Alberto Castellano.
Roberto Maida avant Francisco Canaro…
Cómo se pianta la vida 1930 — Tania acomp. de Orquesta Alberto Castellano.
Tania avec le même orchestre que Roberto Maida.
Cómo se pianta la vida 1932 — Orquesta Típica Auguste-Jean Pesenti du Coliseum de Paris.
En France aussi, la vie des tangueros est un peu dissolue…
Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.Cómo se pianta la vida 1942-09-15 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.Cómo se pianta la vida 1950-12-26 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada.Cómo se pianta la vida 1959c — Héctor Mauré con guitarras y bandoneonCómo se pianta la vida 1963-04-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche arr. de Julián Plaza.
On notera le début impressionnant proposé par Troilo et Plaza qui offre un tremplin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon particulièrement expressive. Une version que je trouve convaincante et touchante. Pas de danse possible, mais un régal à écouter.
Cómo se pianta la vida 1981-07-08 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba.
C’est la plus originale et travaillée, un cran au-dessus de celle de Troilo, mais il faut être vraiment fan de Córdoba pour être enchanté par cette version. Je préfère les versions de danse ou celle de Troilo avec Goyeneche, mais la beauté du tango est qu’on a le choix et chacun pourra trouver son bonheur dans la très grande variété de ces enregistrements.
Invierno est sans doute un des tangos préférés des danseurs qui aiment Canaro. Avec un nom pareil, on se doute qu’on va parler de froid, d’hiver, en somme, mais avez-vous fait attention aux émouvantes paroles de Cadícamo ? Je vous offre en prime le texte complet de Cadícamo. Prenez votre manteau et votre écharpe et entrons au cœur de l’hiver.
Extrait musical
Invierno 1937-08-19 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto MaidaDisque et partition de Invierno
Il n’est pas sûr, qu’il soit nécessaire de décrire cet enregistrement tant il est connu. On notera l’intervention des instruments à vent (cuivres) typiques de Canaro. Le rythme est appuyé, comme un celui d’un homme marchant dans une neige épaisse. La voix de Maida, survole l’orchestre qui atténue ses pas lourds pour laisser la place au chanteur. C’est du Canaro typique et efficace. D’ailleurs, les orchestres contemporains qui reprendront le titre s’inspireront assez fortement de cette version pour faire leurs propres versions. Nous en verrons quelques-unes en fin d’article.
Paroles
Desde aquel balcón Baja una canción, Que es como un jirón De una esperanza… Su intención es la desesperanza cruel Que me arrincona más En esta soledad. Desde aquel balcón Rueda una canción, Que en la noche negra Dice así:
Volvió… El invierno con su blanco ajuar, Ya la escarcha comenzó a brillar En mi vida sin amor. Profundo padecer Que me hace comprender, Que hallarse solo, es un horror.
Y al ver… Cómo soplan en mi corazón, Vientos fríos de desolación Quiero llorar. Porque mi alma lleva Brumas de un invierno, Que hoy no puedo disipar…
En aquel balcón Cesa la canción, Pero igual la escuchan mis oídos Y es que por el eco perseguido estoy. Y todo su dolor Embarga el corazón. Para qué querré Esta vida yo, Cuando no me queda juventud… Horacio Gemignani Pettorossi Letra: Enrique Domingo Cadícamo
Roberto Maida chante uniquement ce qui est en gras, c’est-à-dire le texte annoncé comme étant la chanson écoutée par le narrateur.
Traduction libre
Depuis ce balcon, une chanson descend, qui est comme un lambeau d’espoir… Son sujet est le désespoir cruel qui m’enfonce davantage dans cette solitude. Depuis ce balcon roule une chanson qui, dans la nuit noire, dit ceci : Il est revenu… L’hiver avec ses atours blancs, Déjà le givre a commencé à briller dans ma vie sans amour. Une souffrance profonde qui me fait comprendre qu’être seul, c’est une horreur. Et quand je vois… Comme ils soufflent dans mon cœur, les vents froids de la désolation, j’ai envie de pleurer. Parce que mon âme porte les brumes d’un hiver, qu’aujourd’hui je ne peux pas dissiper… Sur ce balcon, la chanson s’arrête, mais mes oreilles l’entendent encore, car l’écho me poursuit. Et toute sa douleur paralyse le cœur. Pourquoi, moi, voudrais-je cette vie, alors que je n’ai plus de jeunesse…
Autres versions
Je serai tenté de dire qu’il n’y a pas d’autre version, mais ce ne serait pas sympathique pour les orchestres contemporains qui ont remis le titre à la mode. Je signale tout de même qu’il existe au moins deux autres tangos qui s’appellent Invierno, composés par Arturo Bettoni avec des paroles de Ramón Abellá (Rafael Jorge Abellá) pour le premier et Eduardo Bianco avec Araujo (paroles et musique) pour le second. Je vous propose seulement ici, les versions issues de Horacio Gemignani Pettorossi et Enrique Domingo Cadícamo.
Invierno 1937-08-19 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.Invierno 2013-11-30 — Hyperion Ensemble con Rubén PeloniInvierno 2015 — Cuarteto Mulenga con Maximiliano AgüeroInvierno 2015 — Orquesta Típica Misteriosa con Carlos RossiInvierno 2015c — Solo Tango OrquestaInvierno 2017-10 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi.
Une orchestration originale et un duo, homme femme, comment résister à cette version ?
Invierno 2018 — Orquesta Típica Misteriosa con Eliana Sosa
De nouveau la Misteriosa dans une autre version, cette fois chantée par une femme, Eliana Sosa. Merci à Thierry, mon, talentueux correcteur qui détecte les coquille et a remarqué que j’avais mis deux fois la même version de Invierno par la Típica Misteriosa. Maintenant, vous avez bien ici Eliana Sosa qui a également enregistré avec Juan Pablo Gallardo et a réalisé deux disques, Sinergia tanguera et De donde vengo (dans lequel elle chante également ses propres compositions).
Et pour terminer en vidéo, un enregistrement de 2017 du Cuarteto Mulenga à la milonga Parakultural.
Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux hommages. C’est en effet un thème récurrent du tango. On célèbre l’ami, le maître, le grand homme ou la grande femme, la mère, souvent. Voici quelques hommages et le dernier va sans doute vous étonner.
Je n’évoquerai pas les dédicaces que l’on trouve notamment sur les partitions. Ce ne sont pas toujours à proprement parler des hommages, car souvent les personnes payaient pour être mentionnées. Je n’évoquerai pas non plus les disques d’hommage à…, puisqu’il s’agit de compilations et pas de titres créés spécialement. J’évoque donc ici, les thèmes musicaux et les paroles qui rendent hommage, évoquent, citent, des personnes, au sens large.
Hommage avec le nom dans le titre
Une première forme est de tout simplement déclarer dans le titre le nom de la personne à qui on souhaite rendre hommage. Attention toutefois à ne pas commettre d’erreurs. En effet, les noms de personnalités publiques font le plus souvent référence à un lieu, à une rue, et pas au personnage qui a donné son nom à cet endroit. Par exemple, Rodriguez Peña ou Te espero en Rodriguez Peña ne parlent pas du président argentin, mais de la rue et plus particulièrement du salon qui y était fameux. Très souvent, ces hommages commencent par A pour indiquer la dédicace, mais ce n’est pas toujours le cas. Voici une petite liste, bien sûr très incomplète, notamment, je n’évoque pas les tangos qui n’ont pas l’objet dans le titre, ou ceux dont le titre vient d’une dédicace postérieure, comme El Entrerriano.
On parle d’une personne précise, mais il est difficile d’être sûr de la personne évoquée, il s’agit parfois d’un être imaginé à partir de plusieurs personnes, comme Zorro Gris.
A lo Magdalena
A lo Megata
A mi mariucho
Griseta
La Marianella
María celosa
María la del portón
María morena
Mariposa (papillon)
Otario que andas penando
Pobre Margot
Señorita María
Tu nombre es María
Yo soy María
Zorro gris
Dédicaces génériques
Elles peuvent être utilisées pour différentes personnes, par exemple, les mères en général
Les selecciones sont des titres qui mélangent plusieurs morceaux. On les appelle aussi Popurri (Pots-pourris). Il en existe de différents auteurs et/ou compositeurs, par exemple Arolas, Canaro, De Caro, Delfino, Di Sarli, Discepolo, Gardel, Mariano Mores, Piazzolla, Troilo… C’est une forme d’hommage qui consiste à mettre en valeur des compositions ou textes d’un compositeur ou auteur particulier. Sans le titre seleccion ou popurri, on trouve également
Il s’agit d’œuvres où on imite le style de la personne à qui on souhaite rendre hommage. Je parle de compositions, pas des orchestres qui jouent à la manière de…
Engobbiao (Alfredo Gobbi)
Pichuqueando (Canaro)
Puglieseando (Pugliese)
Tango a Pugliese (Pugliese)
San Pugliese
Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi on disait « San Pugliese », ce qui veut dire Saint Pugliese. Don Osvaldo était athée, communiste de surcroît et donc, difficilement canonisable, du moins par le Vatican, même avec un Pape d’origine argentine. Mais les Argentins ont de la ressource et l’idée de créer une image « pieuse » (Estampita) à l’image de Pugliese est venue à Carlos Villaba à la vue des images pieuses qui se distribuent dans les églises. Il confia le texte à Alberto Muñoz qui souhaita garder l’anonymat et c’est pour cette raison qu’il n’est pas signé. Ce qui est amusant, c’est que plusieurs personnes ont revendiqué l’écriture, ce qui, pour Alberto était la preuve que cela fonctionnait. L’image d’origine est constituée d’une photo de Pugliese sur laquelle un œillet a été ajouté. C’est l’œillet qui était placé sur le piano quand Pugliese était absent (généralement en prison…) lors des concerts.
San Pugliese. À gauche, Recto et verso de l’image « pieuse » originale (estampita). À droite, trois versions plus récentes.
La mention « San Pugliese », reprend le principe des images pieuses, comme celle de San Expedito, le saint des causes justes et urgentes…
Une image pieuse dédiée à San Exposito.
Un documentaire est sorti il y a quelques mois sur San Pugliese. Je vous invite à le voir, si vous en avez l’occasion, il est passionnant.
Protégenos de todo aquel que no escucha. Ampáranos de la mufa de los que insisten con la patita de pollo nacional. Ayúdanos a entrar en la armonía e ilumínanos para que no sea la desgracia la única acción cooperativa. Llévanos con tu misterio hacia una pasión que no parta los huesos y no nos deje en silencio mirando un bandoneón sobre una silla
Traduction libre de la prière à Saint Pugliese
« Protège-nous tous ceux qui n’écoutent pas. Protège-nous de la mufa (mauvaise humeur) de ceux qui insistent avec la cuisse de poulet nationale. Aide-nous à entrer en harmonie et éclaire-nous afin que le malheur ne soit pas la seule action coopérative. Emmène-nous avec ton mystère vers une passion qui ne brise pas les os et ne nous laisse pas en silence regardant un bandonéon sur une chaise ».
Comment utiliser la prière à San Pugliese
Les musiciens argentins, même ceux qui n’ont rien à voir avec le tango respectent San Pugliese et l’invoquent pour que tout se passe bien. Sur les scènes, on peut voir des images de San Pugliese et quand tout ne se passe pas pour le mieux, il convient de conjurer le mauvais sort en criant Pugliese – Pugliese – Pugliese. Ne croyez pas que c’est une superstition, cela fonctionne et beaucoup d’artistes et de techniciens ont la Estampita dans leur portefeuille, placée sur la console ou sur leur instrument.
Clin d’œil final…
Le principe des images pieuses détournées continue d’être utilisée en Argentine et je vous présente pour terminer une image qui me fait mourir de rire. Le nom de l’homme politique Santoro a été découpé en faire San Toro. Jajaja.
Santoro (en un seul mot) est un homme politique argentin, enseignant de formation. La prière demande à ce que les enfants puissent avoir une plave (vancante) à l’école publique.
Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Quand les auteurs de tango se lancent dans la philosophie de la vie, cela donne cela ; des conseils pour naviguer entre les canailles et les giles. Juan D’Arienzo et son pianiste de l’époque, Fulvio Salamanca se sont associés avec Carlos Bahr pour élaborer la musique et les paroles. Pour les danseurs, la philosophie est simple, sauter sur la piste aux premières notes et s’éclater à danser ce titre énergique servi par l’orchestre de D’Arienzo et la voix prenante de Echagüe.
La bande des auteurs
Généralement, on attribue à D’Arienzo et Salamanca la musique et à Carlos Bahr les paroles, mais l’enregistrement à la SADAIC(Société des auteurs argentins) donne la paternité aux trois pour les deux éléments.
Registre de la SADAIC indiquant l’enregistrement de l’œuvre le 20 avril 1953.
On notera que pour les trois, la mention est auteur et compositeur. Les pourcentages pour chacun des trois ne sont pas déterminés. C’est qu’ils estimaient avoir collaboré de façon comparable et qu’ils devraient donc recevoir à parts égales les droits afférents. On notera au passage les pseudonymes de Salamanca et Bahr. Tony Cayena pour le premier et Alfas et Luke J Y C pour le second.
Carlos Bahr, Juan D’Arienzo et Fulvio Salamanca, les trois auteurs, compositeurs du tango du jour.
Ce travail à trois n’est pas étonnant dans la mesure où Salamanca et Bahr étaient des amis proches et que D’Arienzo aimait mettre en musique les textes de Bahr. Ce trio a d’ailleurs réalisé dans les mêmes conditions d’autres titres joués par l’orchestre de D’Arienzo, comme : Ganzúa, La sonrisa de mamá, Sin balurdo, Tomá estas monedas!, Trampa et notre tango du jour, Y suma y sigue… D’autres titres ont été composés par D’Arienzo et Salamanca avec un texte de Bahr comme : Hoy me vas a escuchar, Necesito tu cariño et Se-Pe-Ño-Po-Ri-Py-Ta-Pa et d’autres, enfin, ont été créé par Bahr (texte) et Salamanca (musique) sans l’apport de D’Arienzo, comme : Amarga sospecha, Aqui he venido a cantar, Dale dale, caballito, Desde aquella noche et Eterna.
De gauche à droite, debout : Héctor Varela, Juan D’Arienzo, Armando Laborde, Alberto Echagüe et Fulvio Salamanca au piano.
Y suma y sigue
Le titre peut interroger. Ce terme venant des livres comptables invite à tourner la page pour consulter la suite d’un compte, mais il a plusieurs autres significations.
Expression indiquant en bas de page, que le calcul va se continuer sur la page suivante.
Équivalent de etc. du latín et cetera, pour indiquer que la liste pourrait continuer (et le reste, et les autres choses).
Indique que ça va continuer à augmenter.
Indique que quelque chose se répète.
Je vous laisse choisir votre interprétation à la présentation des paroles ci-dessous.
Extrait musical
Y suma y sigue… 1952-08-13 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.Partition de Suma y sigue…
Paroles
No me gusta andar con vivos y a los giles les doy pase a los otros si es preciso los atiendo y se acabó. Si la mala se encabrita me la aguanto hasta que amanse y aunque siempre hay un amigo, curo a solas mi dolor. Me enseñó la mala racha que la suerte es mina ilusa, Que, al final, se queda siempre con aquel que está grillao. Y aprendí en los desencantos, que si afloja el de la zurda, es mejor que te amasijes porque al fin irás palmao.
Aunque seas bien derecho si andas seco te dan pifia. Trabajando sos cualquiera y afanando sos señor. Porque, al fin, hasta la grela que comparte tu cobija cuando ve mangos en fila solo piensa “¿cuántos son?”. Además, nadie pregunta de que “lao” llegó la buena, la importancia está en los mangos aunque salgan de lo peor. Y aprendes al triste precio de tu credo en esta feria que ni tiñe la vergüenza, ni la guita tiene honor.
Me enseñaron los amigos que estas firme si hay rebusque, aprendí de los extraños que hay que abrirse del favor. Y la vez, que por humano le di cuarta a un gil “cualunque”, me dejó en la puerca vía sin confianza y sin colchón. Los demás te ven sacando por la pinta, como al naipe, y al marcarte “gil en puerta”, pregonando que hay amor, te saquean hasta el alma y después te dan el raje… ¡Pero nadie mira nunca que tenés un corazón! Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Je n’aime pas aller avec les canailles et aux giles (XXXX voir anecdote sur le sujet) je donne un laissez-passer, quant aux autres si nécessaire, je m’occupe d’eux et c’est tout. Si le mauvais se déchaîne, je le supporte jusqu’à ce qu’il se lève et bien qu’il y ait toujours un ami, je guéris ma douleur seul. La mauvaise série m’a appris que la chance est une gamine illusoire, qu’à la fin, elle reste toujours avec celui qui est grillé. Et j’ai appris dans les déceptions, que si le sincère se détend, cela vaut mieux que de se pétrir (de coups), car à la fin vous finissez dans les pommes (palmao de palmado est endormir en lunfardo). Même si tu es très droit, si tu es sec, ils se moquent de toi. En travaillant, tu es quelconque et en trompant (arnaquant, volant), tu es un Monsieur. Parce qu’en fin de compte, même la gonzesse (femme) qui partage votre couverture (lit) quand elle voit des biffetons (billets de 1 peso) alignés elle pense uniquement à « combien il y en a ? ». D’ailleurs, personne ne demande de quel côté vient le bon, l’important ce sont les billets même s’ils sortent du pire. Et tu apprends au triste prix de ton credo dans cette foire qui ni la honte tache, ni le flouze (l’argent) n’a d’honneur. Les amis m’ont appris à être ferme s’il y a une petite occasion (rebusque est un petit travail supplémentaire, voire un amour passager), j’ai appris d’inconnus qu’il faut s’ouvrir à la faveur (peut aussi signifier profiter sexuellement). Et la fois, que pour être humain, j’ai porté assistance à un gil quelconque, il m’a laissé des scrofules, sans confiance et sans matelas (je ne suis pas sûr du sens). Les autres te voient venir pour l’allure, comme aux cartes, et dès qu’ils te marquent « gil à la porte », proclamant qu’il y a de l’amour, ils te pillent jusqu’à l’âme et ensuite ils te jettent dehors… Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur ! Ces conseils de vie, se terminent par Mais personne ne voit jamais que tu as un cœur ! Les conseils cachent en fait un regard critique et désabusé sur le monde contemporain, sur les relations humaines. En cela, ce tango rejoint d’autres tangos comme cambalache, tormenta et tant d’autres qui dénoncent les injustices et les abus.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais D’Arienzo et Echagüe ont enregistré plusieurs tangos faisant appel au lunfardo. En 1964, RCA a édité une sélection de 12 de ces tangos dans un disque 33 tours.
Academia del lunfardo (1964). 12 tangos avec des paroles en lunfardo par D’Arienzo et Echagüe. Notre tango du jour est le premier titre de la face 2.Joyas del Lunfardo (1996) reprend les 12 titres de 1964 et en rajoute 8.
Voici la liste des 20 titres du CD. Ceux qui sont en gras étaient dans le CD de 1964
1 Cartón junao (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela/Carlos Waiss) 2 Chichipía(Juan (D‘Arienzo / Héctor Varela / Carlos Waiss) 3 Bien pulenta (Carlos Waiss) 4 El nene del Abasto (Eladio Blanco/Raúl Hormaza) 5 Sarampión (Eladio Blanco/Raúl Hormaza) 6 Cambalache (Enrique Santos Discépolo) 7 Pituca (Enrique Cadícamo/José Ferreyra) 8 El raje (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela) 9 Amarroto (Miguel Bucino / Juan Cao) 10 Barajando (Eduardo Escaris Mendez) 11 Don Juan Mondiola (Antonio Oscar Arona) 12 Farabute (Joaquín Barreiro / Antonio Casciani) 13 Corrientes y Esmeralda (Celedonio Flores / Francisco Pracánico) 14 Y suma y sigue (Carlos Bahr / Juan D‘Arienzo / Fulvio Salamanca) 15 Che existencialista (Mario Landi / Rodolfo Martincho) 16 Pan comido (Enrique Dizeo) 17 Las cuarenta (Froilán Gorrindo) 18 Que mufa che (Jorge Sturla (Tito Pueblo) / Luis Zambaldi) 19 Mi querida Sisebuta (Armando Gatti / Carlos Lázzari / Antonio Polito) 20 Peringundín (Pintín Castellanos)
Voilà, les amis, c’est tout pour aujourd’hui.
Je ne vous dis pas à demain, car je vais faire une pause dans les anecdotes, notamment pour essayer de résoudre les problèmes avec Facebook que cela énerve, mais aussi, car le site sature et que mon hébergeur me fait aussi les gros yeux.
Un abrazo énorme, desde Buenos Aires où il fait encore bien froid…
Les frères Sureda étaient complémentaires. Antonio, bandonéoniste et compositeur et Gerónimo, poète. Notre tango du jour est un des fruits de leur collaboration. Ceux qui pensent que le tango est une histoire de cocus et de trahison ne s’y retrouveront pas, mais tous les autres adoreront ce très beau thème que les frères Sureda ont peut-être dédié à leur mère…
Parmi leurs collaborations, nous pouvons citer en plus de notre tango du jour Ilusión marina qui est le premier titre de son frère sur lequel Gerónimo a mis des paroles. Voici d’autres titres que vous connaissez sans doute, car nous en possédons des enregistrements. Ils sont par ordre alphabétique :
A oscuras (Gerónimo est aussi crédité de la composition en compagnie de son frère pour ce titre).
Adiós juventud
Barreras de amor
Cacareando
Decime adiós
Juanillo (pasodoble)
Mala suerte
Nunca es tarde
Parece que fue ayer
Ronda del querer
Si alguna vez
Te quiero mucho más
Volvió la princesita
Yo quiero que sepas
Finalement Antonio a fait appel à son frère pour la majorité de ses compositions, mais signalons tout de même qu’un petit quart est aussi issu de la collaboration avec Homero Manzi, le reste étant anecdotique.
Extrait musical
Dos amores 1932-08-12 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.
Un tango appuyé et marchant tout à fait typique de Canaro. Contrairement à ce que faisaient certains orchestres contemporains, l’orchestration de Canaro se démarque par de beaux contrepoints qui sont souvent surprenants, mais qui donnent de l’intérêt et cassent tout risque de monotonie. Le long passage en pizzicati des violons qui commence à 1:45 après l’estribillo de Famá et le recours aux instruments en cuivre donne une sonorité particulière. On notera également l’intéressante variation finale qui anime les dernières secondes.
Paroles
Escuche viejecita… yo quiero que se entere Desde hace mucho tiempo, que tengo ya otro amor, Si viera qué bonita, qué buena es la muchacha Hay en sus ojazos más fuego que el sol. Yo quiero que la quiera con su cariño santo Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón, Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla Para llamarla madre… como lo llamo yo.
Fue cerquita del barranco Donde una tarde la vi, Y en la tranquera ´e su rancho El primer beso le di, Desde entonces mi guitarra Tiene una cinta ´e color, Que la prendieron sus manos Como prueba de su amor.
¿Que pasa?…viejita venga, por qué se pone triste Acaso no se alegra al ver que soy feliz, O cree que el cariño de la mujer que amo Me hará olvidar lo mucho que usted sufrió por mí. Yo quiero que la quiera con su cariño santo Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón, Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla Para llamarla madre, como la llamo yo. Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López
Traduction libre et indications
Écoutez, ma petite mère (ma petite vieille est un terme affectueux, le texte est un mélange de familiarité et de vouvoiement respectueux). Je veux que vous sachiez que ça fait longtemps déjà que j’ai un autre amour. Si vous voyez comme elle est jolie, comme elle est bonne la fille. Il y a plus de feu dans ses grands yeux que dans le soleil. Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur. Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi. C’est près de la tranchée qu’un après-midi je l’ai vue, et à la porte de son ranch, je lui ai donné le premier baiser, depuis lors ma guitare a un ruban de couleur, que ses mains ont attaché comme preuve de son amour. Que se passe-t-il ?… Ma petite mère, venez, pourquoi êtes-vous triste ? Peut-être n’êtes-vous pas heureux de voir que je suis heureux, ou pensez-vous que l’affection de la femme que j’aime me fera oublier combien vous avez souffert pour moi. Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur. Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.
Autres versions
Dos amores. À gauche, Canaro chez Odeón, au centre, D’Arienzo chez RCA Victor et à droite, Pugliese chez Philips (Dos amores est la plage 2 de la face 1 du disque LP 33 tours).Dos amores 1932-08-12 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est notre tango du jour.Dos amores 1932-09-09 — Santiago Devin con Trio Antonio Sureda.
Santiago Devin est un chanteur relativement rare, mais il avait du succès dans les années 30. On le connaît surtout avec le Sexteto de Carlos Di Sarli, où il ne chantait que l’estribillo. Il nous propose ici accompagné par le trio Antonio Sureda pour Odeón, une version en chanson, plus à classer du côté de Gardel, Magaldi ou Corsini que du côté du tango de bal. Vu que Santiago Devin enregistre avec le compositeur, on peut penser que Antonio Sureda cautionne cette jolie version. Le trio était composé, en plus de Antonio Sureda au bandonéon, de Oscar Valpreda au violon et de Alpredi au piano.
Le tempérament fougueux de D’Arienzo pourrait paraître un contre-emploi, mais la voix travaillée de Laborde fait que cela passe, mais si cela peut se danser, c’est un peu un cran en dessous en matière de romantisme.
Dos amores 1961 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.
Dos amores 1961 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. Pugliese sait faire des versions très personnelles et empreintes de romantisme. Nous en avons là, un exemple. Les 55 premières secondes préparent la venue du chanteur, Jorge Maciel qui prendra ensuite l’essentiel de la présence. L’utilisation par Maciel du port de voix (liaison des notes en glissando), de l’arrastre (laisser traîner) fait que ce titre sera un peu moyen pour la danse, même si je sais que certains adorent. Cette version est cependant bien adaptée à l’expression des sentiments d’amour évoqués par le tango.
Sur ces beaux sentiments, je vous dis, à demain, les amis !
Nous vivons dans un monde de fous et le poids d’un baiser volé est sans doute tellement lourd aujourd’hui que l’on n’oserait plus écrire des paroles comparables à celles de notre tango du jour. Les initiales T.B.C. signifient Te bese (je t’ai embrassé). Mais nous verrons d’autres significations possibles pour les premières versions.
Ascanio
Ascanio Ernesto Donato
Ascanio Donato (14 octobre 1903 — 31 décembre 1971) est un des 8 frères de Edgardo Donato, l’interprète de notre tango du jour. Contrairement à son grand frère, Edgardo (violoniste) ou même son petit frère, Osvaldo (pianiste), Ascanio est peu connu. Le site TodoTango, qui est en général une bonne source, l’indique comme violoniste, alors qu’il était violoncelliste. Sa fiche dans le répertoire des auteurs uruguayens est plus que sommaire : https://autores.uy/autor/4231. Avec seulement la date de naissance et un seul de ses prénoms et pas de date de décès. En effet, contrairement à son aîné, Edgardo qui est né à Buenos Aires, Ascanio est né à Montevideo. L’œuvre a été déposée le 22 janvier 1929 (n° 40855) sous le nom de A.E. Donato (Ascanio Ernesto Donato). À l’époque, il était déjà violoncelliste avec ses frères, Osvaldo au piano et Edgardo à la direction et au violon. On notera que le dépôt a eu lieu en 1929, mais que le tango a été enregistré pour la première fois en 1927. Un autre dépôt a été effectué en Argentine le 19 décembre 1940 (# 2535 | ISWC T0370028060) et cette fois, le dépôt est au nom d’Edgardo. Cependant, les premiers disques mentionnent A. Donato.
Différents disques de T.B.C.
Les premiers disques indiquent bien A. Donato. Celui de Veiga réalisé à New York indique E Donato et pas les auteurs du texte, chanté. Celui de Rafael Canaro réalisé en Espagne indique juste Donato. Celui de De Angelis indique E. Donato et celui du quintette du pianiste Oscar Sabino, de nouveau, A. Donato… On notera que le premier disque, celui de Carlos Di Sarli à gauche ne mentionne pas les auteurs des paroles, l’œuvre étant instrumentale.
Je propose de conserver l’attribution à Ascanio, d’autant plus que je verse au dossier une partition qui lui attribue l’œuvre…
Extrait musical
Partition de T.B.C. indiquant A.E. Donato, donc, sans ambiguïté, Ascanio Ernesto Donato.T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló
Paroles
Les paroles semblent avoir été ajoutées postérieurement. Nous y reviendrons.
Te besé y te cabriaste de tal manera que te pusiste hecha una fiera. Y hasta quisiste, sin más motivo, darme el olivo por ser audaz.
Total no es para tanto, no ves que estaba “colo”. Pensá que fue uno sólo y al fin te va a gustar. No digas que no, que cuando sepas, besar dando la vida serás tu quien me pida y sé qué me dirás.
Bésame, que no me enojo, bésame, como en el cine. Un beso de pasión, que al no poder respirar, me detenga el corazón. Bésame, Negro querido, el alma dame en un beso que me haga estremecer la sensación de ese placer. Ascanio Donato Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño
Je t’ai embrassée et tu t’es tellement fâchée que tu es devenue une bête sauvage. Et tu voulais même, sans plus de raison, t’enfuir (Dar el olivo, c’est partir, fuir) pour avoir été audacieux. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas si mal, ne vois-tu pas que c’était « colo » (Loco, fou en verlan). J’ai pensé que ce serait un seul et qu’au final tu aimerais. Ne dis pas non, que quand tu sais, embrasser en donnant la vie, tu seras celle qui me demandera et je sais ce que tu me diras : “Embrasse-moi, que je ne me fâche pas, embrasse-moi, comme au cinéma. Un baiser de passion, que de ne plus pouvoir respirer, mon cœur s’arrête. Embrasse-moi, mon chéri (Negro est un surnom affectueux qui peut être donné à quelqu’un qui n’est pas noir), donne-moi un baiser à l’âme qui me fasse secouer la sensation de ce plaisir.”
Comme pour beaucoup de paroles de tango, il convient de faire des hypothèses quant à la signification exacte. Le fait que des femmes et des hommes l’aient chanté permet de relativiser l’affaire, ce ne sont pas d’horribles machistes qui violentent des femmes non consentantes. Certains voient dans le tango des histoires de bordels, mais dans la grande majorité, les histoires sont plutôt sentimentales, c’est-à-dire qu’elles parlent de sentiments. Que ce soit l’illusion, l’amour fou, la détresse de l’abandon, le repentir, le regret. En dehors de l’époque des prototangos et des premiers tangos qui avaient des paroles assez crues et où les mecs faisaient les bravaches, la plupart des titres est plutôt romantique. Je veux voir dans le texte de ce tango une idylle naissante, peut-être entre des adolescents, pas le cas d’un taita qui s’impose à une mina désemparée, d’autant plus que le texte peut être vu des deux points de vue, comme le prouvent les versions que je vous propose. Pour la traduction, j’ai choisi de faire parler un homme, puisque ce sont des hommes qui chantent notre tango du jour et le dernier couplet pourrait-être la réponse de la femme qui se rend aux arguments, à la sollicitation de l’homme. Mais on peut totalement inverser les rôles. Les premiers enregistrements sont instrumentaux. T.B.C. peut dans ce cas signifier Te Bese, ou TBC (sans les points) qui désigne la tuberculose… TBC est aussi un club nautique de Tigre (près de Buenos Aires) TBC pour Tigre Boat Club. De nombreux tangos font référence à un établissement, ou un club. Mais le fait qu’il soit à Tigre et pas à Montevideo limite la portée de cette hypothèse. L’excellent site bibletango.com indique que le titre serait inspiré par un club assez spécial de Montevideo, mais sans autre précision. Si on excepte l’acception TBC=Tuberculose, je ne trouve pas de club en relation avec T.B.C. à Montevideo.
Avec les paroles de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, le doute n’est plus permis, c’est bien Te bese qu’il faut comprendre. Roberto Fontaina et Víctor Soliño travaillaient à Montevideo. Ce qui confirme l’origine uruguayenne de ce titre.
Autres versions
Ce tango a été enregistré à diverses reprises et en deux vagues, à la fin des années 20 et dans les années 50. Les enregistrements de 1927 et 1928 sont instrumentaux.
T.B.C. 1927-11-28 — Orquesta Julio De Caro.
Premier enregistrement, instrumental.
T.B.C. 1928-11-26 — Sexteto Carlos Di Sarli. Une version instrumentale.
Une autre version instrumentale.
Rosita Quiroga nous propose la première version chantée.
T.B.C. 1929-01-22 — Rosita Quiroga con guitarras y silbidos.
Je trouve cette version fraîche et délicieuse. Toute simple et qui exprime bien le texte. Remarquez les sifflements.
Cette version a été enregistrée à New York, ce qui une fois de plus prouve la diffusion rapide des œuvres. On n’est pas obligé d’apprécier la voix un peu traînante de Veiga.
T.B.C. (Te bese) 1930 Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante y Rafael Canaro.
Rafael se joint à Carlos Dante pour le refrain dans un duo sympathique. Cette version a été enregistrée en Espagne, par le plus français des Canaro.
T.B.C. (Te bese) 1952-12-05 — Florindo Sassone con Roberto Chanel.
Une version typique de Sassone qui remet au goût du jour ce thème. C’est un peu trop grandiloquent à mon goût. Roberto Chanel, semble rire au début, sans doute pour dédramatiser sa demande. En revanche, l’orchestre passe au second plan et cela permet de profiter de la belle voix de Chanel.
T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló. C’est notre tango du jour.
Après l’écoute de Sassone, on trouvera l’interprétation beaucoup plus sèche et nerveuse. Pour le premier disque de ce tango de son frère (ou de lui…), c’est un peu tardif, mais c’est plutôt joli. Cela reste dansable. Comme dans la version de Rafael Canaro qui initie le premier duo, le refrain est chanté par Morel et Ángeló.
T.B.C. (Te bese) 1957-07-17 — Diana Durán con orquesta.
À comparer à la version de Rosita Quiroga de 28 années antérieure. On peut trouver que c’est un peu trop dit et pas assez chanté. Je préfère la version de Rosita.
Lalo Martel, reprend le style décontracté et un peu gouailleur de ses prédécesseurs.
T.B.C. (Te bese) 1990 C — Los Tubatango.
Et on ferme la boucle avec une version instrumentale avec un orchestre qui s’inspire des premiers orchestres de tango…
T.B.C. Inspiré de Psyché ranimée par le baiser de l’Amour — Antonio Canova.
J’ai utilisé un des baisers les plus célèbres de l’histoire de l’art, celui immortalisé dans le marbre par Antonio Canova et que vous pouvez admirer au Musée du Louvre (Paris, France) pour l’image de couverture.
Le 1er janvier 2018, à la milongaDerecho Viejo à Gricel (Buenos Aires), un danseur âgé est venu me demander de passer Gil a rayas. Cela correspondait à un souvenir. Je lui ai demandé s’il avait une version de préférence, il me répondit que non. Comme je suis un DJ qui aime faire plaisir, j’ai cherché un moment favorable. Ce n’était pas si évident pour moi, car je ne passe pas de D’Agostino instrumental. Je vous dirai la version choisie et expliquerai son intégration dans la tanda en fin d’article.
Un gil ?
Un gil est un idiot, quelqu’un facile à berner. Ici, il est à rayures. N’ayant pas le support des paroles (probablement perdues), il est difficile d’imaginer le sens de l’expression complète, l’idiot à rayures. Peut-être cela fait référence à son style vestimentaire, les rayures ajoutant, ou pas à son imbécillité. On notera qu’un Gil a cuadros, (Gil à carreaux) est encore plus bête que le Gil simple.
Gilles, Antoine Watteau 1719c.
Même si ce gil, Gilles, n’a pas de rayures, il représente assez bien l’idée du personnage un peu niais ou pour le moins naïf. En fait, ce tableau que l’on a longtemps appelé Gilles est désormais appelé Pierrot, mais cela ne change pas l’histoire, Pierrot étant le naïf de la Commedia dell’Arte. Le tableau ayant été recadré, il manque la partie gauche, la partie sombre du tableau où se trouve l’homme sur l’âne (le docteur ignare) pouvait révéler à l’origine d’autres personnages inquiétants… L’homme en rouge est le Capitaine, le militaire fanfaron. Les personnages en costume clairs sont « les amoureux ». Le buste sur la droite qui évoque le profil du docteur, en symétrie, a un regard inquiétant. Les différents éléments semblent donc vouloir se jouer du candide Pierrot, Gilles, gil. Je vous propose d’écouter notre tango du jour en regardant ce tableau. Vous y découvrirez peut-être la même histoire.
Extrait musical
Gil a rayas 1953-08-10 — Orquesta Ángel D’Agostino.
Le titre a été enregistré (inscrit dans les registres) à la SADAIC le 20 mai 1958 sous la référence #40535 | ISWC T0370436660. Les auteurs sont mentionnés pour cette seule œuvre et ils restent assez mystérieux. D’où viennent ces giles ? Pardon, ces auteurs ? Je ne vous donnerai pas la réponse, mais je suis intéressé si vous l’avez…
Autres versions
Tout d’abord, je tiens à saluer mes regrettés amis Daniel Resk et Juan Lencina pour la confiance de m’avoir confié à de nombreuses reprises la musicalisation de la milonga Derecho Viejo. Je reviens donc à ce 1er janvier 2018 dans le beau Salón Gricel (je crois qu’à cette époque c’était encore l’ancien décor). Un danseur est donc venu me demander Gil a rayas. Voici les 5 choix qui s’offraient à moi et pourquoi j’ai choisi la version que j’ai diffusée.
Gil a rayas 1922 — Enrique Delfino (solo de piano).
Je la mentionne ici, car c’est un élément historique, mais un enregistrement acoustique ne se diffuse pas en milonga et de plus, c’est une version au piano. Cet enregistrement nous permet toutefois d’entendre Delfy dans une de ses nombreuses facettes, celle du pianiste.
Je ne l’ai pas envisagé une seconde, il est très rare de passer la vieille garde à Buenos Aires. Ce n’est pas vilain, mais pas au goût des danseurs portègnes. Il restait donc trois versions, toutes par D’Agostino et toutes les trois instrumentales. S’il y a un nom d’auteur, Rafael Herraiz, il n’y a apparemment pas de version chantée enregistrée. Voici les trois versions de D’Agostino :
Gil a rayas 1942-08-11 — Orquesta Ángel D’Agostino.
Cette version est assez classique et elle a l’avantage d’être au cœur de l’activité de D’Agostino et donc de pouvoir être incorporée facilement dans une tanda.
Gil a rayas 1953-08-10 — Orquesta Ángel D’Agostino. C’est notre version du jour.
Elle présente l’intérêt d’être à peu près compatible avec Café Dominguez, le gros tube du D’Agostino tardif qui est aussi instrumental. Mais on se retrouve dans le même cas que pour Café Dominguez, difficile de constituer une tanda harmonieuse.
Gil a rayas 1962-05-06 — Orquesta Ángel D’Agostino.
l’esprit pour être diffusée. Elle est trop plan-plan et inerte pour que j’envisage de la proposer. Vous trouverez sans doute une version datée de 1963-05-06, mais c’est la même que celle de 1962 (même matrice et même numéro de disque), c’est donc une coquille de l’éditeur. Il restait donc deux titres possibles ; la version de 42 et celle de 53.
Que choisir ? Le dilemme du DJ
Le DJ est là pour faire plaisir aux danseurs. Il doit donc sans cesse estimer ce dont « ils ont besoin, envie ». Là, il y avait une commande. Comme D’Agostino est généralement plutôt calme, il peut bien convenir après une tanda de milonga. C’est l’option que j’ai choisie. J’avoue avoir beaucoup hésité entre deux possibilités.
Jouer le plus sûr avec la version de 1953, précédée ou suivie de Café Dominguez et deux tangos chantés par Vargas de la décennie antérieure. C’est un peu monstrueux d’un point de vue de l’harmonie de la tanda, mais sans trop de risque, car chaque titre individuellement sera accepté par les danseurs.
Mettre la meilleure version pour la danse à Buenos Aires, celles de 1942 et la compléter par trois titres de la même époque.
C’est l’option 2 que j’ai choisie, car j’aime bien faire des tandas harmonieuses. Ayant un doute sur l’accueil de Gil a rayas par les danseurs, j’avais prévu en cas de problème trois titres avec Vargas en continuation. Cependant, comme Gil a rayas a été bien accueilli, j’ai continué avec un autre instrumental :
Gran muñeca 1943-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino.
Gran muñeca 1943-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino.
Là, il restait un choix à faire. Continuer en instrumental, avec des titres peu connus ou basculer sur Vargas. Comme la piste était pleine, je suis resté sur de l’instrumental, non sans avoir le cœur battant à 90…
De pura cepa 1943-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino.
Au moins ce titre est en harmonie avec le précédent et a même été enregistré le même jour. Là, il n’était plus vraiment question d’aller caser un Vargas. La piste était pleine et les danseurs ne semblaient pas regarder dans ma direction avec des poignards dans les yeux. J’ai donc mis un quatrième instrumental… La musique tranquille semblait leur convenir. D’ailleurs à Buenos Aires, il me semble que la musique est plus calme qu’en Europe. Je pense qu’on y recherche plus la subtilité que l’énergie.
De corte criollo 1945-05-21 — Orquesta Ángel D’Agostino.
Pourquoi ce titre qui est un peu différent des autres. Le piano y est assez présent, rappelez-vous, il dialoguait beaucoup dans la version de Gil a rayas de 1942, le premier titre de la tanda. Certains passages sont un peu plus toniques, notamment ceux où le piano est au premier plan, d’autres sont presque joueurs. Ce titre convient donc assez bien pour des couples qui ont eu trois autres titres pour s’apprivoiser. De plus, il présente une variation finale au bandonéon qui permet de terminer la tanda d’une façon relativement tonique. La tanda étant une tanda calme après les milongas, cette proposition pouvait bien passer dans ce cadre et ce fut le cas. Peut-être qu’en Europe je ne l’aurai pas proposée, mais en Europe, personne ne m’aurait demandé Gil a rayas… Je crois que c’est la seule tanda instrumentale de D’Agostino que j’ai passée dans ma carrière alors que je passe quasi systématiquement une tanda chantée, notamment par Vargas, ou au pire une tanda mixte, notamment quand il y a Café Dominguez (qui est instrumental) en début de tanda et que je poursuis avec Vargas.
Voilà, les amis, à demain !
Gil a rayas. Rowan Atkinson (Mister Bean) pourrait jouer le rôle d’un gil, non ?
Même si le titre de notre tango du jour est Una vez (Une fois), il peut y avoir deux fois le même titre pour des tangos des années 40. La version du jour est celle de la Típica Victor beaucoup moins connue que celle composée par Pugliese un peu plus tard, mais qui est également un succès des milongas, sans doute un peu plus traditionnelles. Ne vous inquiétez-pas, je vous propose les deux à l’écoute…
Carlos Marcucci 30/10/1903 – 31/05/1957
Carlos Marcucci, le compositeur de notre tango du jour, et son bandonéon ont traversé tout l’âge d’or du tango et l’Atlantique, Canaro l’ayant enjoint de venir travailler dans son orchestre en France. On lui doit d’autres compositions comme Mi Dolor ce sublime tango enregistré par quasiment tous les orchestres, Esta noche qui aussi un succès d’enregistrement et Aquí me pongo a cantar, la milonga phare de l’orchestre de Francisco Lomuto. Il est l’oncle de Alfredo Marcucci (14/09/1929 – 12/06/2010), à qui il a passé sa passion pour l’instrument. Alfredo raconte que quand il allait voir son oncle et qu’il n’entendait pas le bandonéon, c’est qu’il était absent.
AlfredoMarcucci (à gauche) et son oncle Carlos Marcucci. Deux des fameux bandonéonistes du vingtième siècle.
Comme son oncle, Alfredo est passé par les grands orchestres de son époque, comme le dernier de Di Sarli, mais aussi par des orchestres plus contemporains comme la Orquesta Típica Silencio.
Bandonéon de Alfredo Marcucci. C’est un Doble Aa (Alfred Arnold) fabriqué vers 1929 à Carlsfeld, en Allemagne.
Una vez 1943-08-09 — Orquesta Típica Victor dir. Mario Maurano con Ortega Del Cerro.
Les orchestres Víctor sont des orchestres conçus pour enregistrer des disques de danse. Cela s’entend dès les premières notes où le rythme est bien marqué. Cependant, Marcucci propose un motif très original, à partir de 30 secondes, qui consiste en une phrase à l’accordéon à laquelle répond le piano. Cela peut ravir les danseurs en les incitant à sortir de la marche pour improviser sur les temps de réponse du piano en contraste avec le bandonéon. Si on rajoute les tutti de l’orchestre, les danseurs ont au moins trois univers différents à explorer avant le début du chant. Le chant, c’est Ortega Del Cerro, qui reprend la structure de la première partie en assumant la partie des bandonéons et les cordes reprennent les réponses du piano legato ou en pizzicati selon les moments. C’est vraiment du bel ouvrage.
Paroles
Morir en los rayos de sol La niebla de un día sin luz. Y luego en la tarde serena Congelo mi angustia y mi pena.
Soñaba aquella tarde con tus besos Sentíame feliz con tu regreso. Y al verte de nuevo ante mí Cantaba en mis sueños así: Una vez, sólo te vi una vez Y te amé, sólo bastó una vez. Hoy no sé si me faltará tu cariño ¡Ay de mí, que estoy solo sin ti!
Sólo tú me sabes comprender Siempre tú, para poder vencer. Nunca más, yo te lo juro vida mía Nunca más podré vivir sin ti. Carlos Marcucci Letra: Lito Bayardo
Traduction libre
Mourir dans les rayons du soleil Le brouillard d’une journée sans lumière. Et puis dans l’après-midi serein, mon angoisse et mon chagrin ont gelé. J’ai rêvé cet après-midi de tes baisers, je me sentais heureux avec ton retour. Et à te revoir en face de moi, je chantais dans mes rêves ainsi : Une fois, je ne t’ai vue qu’une fois, et je t’ai aimée. Une seule fois a suffi. Aujourd’hui, je ne sais pas si ton amour va me manquer, pauvre de moi, que je suis seul sans toi ! Seulement toi sais me comprendre, toujours toi, pour pouvoir vaincre. Plus jamais, je te le jure, ma vie, plus jamais, je ne pourrai vivre sans toi.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de cette composition de Carlos Marcucci, je vous propose une version quasi contemporaine d’un tango du même titre composé par Osvaldo Pugliese.
Una vez 1943-08-09 — Orquesta Típica Victor dir. Mario Maurano con Ortega Del Cerro. C’est notre tango du jour.Una vez 1946-11-08 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo).
Un premier appel est lancé par les bandonéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapidement, les cordes passent en pizzicati et Morán lance sa voix charmeuse et caressante. On retrouve donc un peu le principe de la version de Marcucci avec la voix en contrepoint avec les cordes. L’harmonie est cependant plus complexe, avec un enchevêtrement des parties plus complexe. Le soliste laisse parfois la place aux instruments qui donnent le motif avec leur voix propre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tangos de danse. On pourrait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont tellement habitués à ce type de composition qu’ils seraient bien frustrés si le DJ se les interdisait.
Il y a de nombreuses autres versions de la composition de Pugliese. Je vous propose d’en parler le 8 novembre, jour anniversaire de l’enregistrement par Pugliese. Nous avons écouté deux tangos réunis sous un même titre, exprimant un sentiment romantique puissant, et qui se révèlent tous deux de belles pièces pour la danse. Alors, vous croiserez sans doute une fois, deux fois ou bien plus, ces chefs-d’œuvre dans votre vie de danseur.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. À demain, les amis !
Luz y sombra, de lumière et d’ombre, de Angelis, Larroca et Dante peignent un tableau ravissant que je vais vous présenter. Les ombres sont uniquement présentes pour donner du relief à la lumière. Cette valse paisible, mais entraînante, nous fait découvrir un aspect du tango, bien loin de la seule tristesse qu’y voient certains. Mettons cela en lumière.
Extrait musical
Luz y sombra 1956-08-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante y Oscar Larroca.
Dès les premières notes, la gaîté du morceau apparaît, les premiers temps de la valse sont bien marqués. Après 50 secondes, Oscar Larroca commence de sa voix de baryton, suivi de peu par la voix de ténor de Carlos Dante. Les deux voix vont se mêler ainsi jusqu’à la dernière mesure. On sent bien qu’il ne se déroule pas un drame dans cette valse. Les paroles vont nous le confirmer.
Paroles
Los trinos se derraman Y emergen los arrullos Ese jardín florido Que tienen por mansión Jilgueros y gorriones Alondras y zorzales Que entonan himnos bellos Como una bendición Viajeras golondrinas Saludan a su pasó Y como gentileza Contesta el ruiseñor Elabora el hornero Su rústica morada Y un pavo rearrumbroso Critica constructor
Concierto de perfume De cantos y de alegrías De la naturaleza Ofrece al soñador Maleta de colores Enjambre delicioso Que alucinó llevado Jamás algún pintor
Y cuando cae la tarde Los pájaros palmeros Retornan a sus nidos En busca de calor Entornan las camelias Sus pétalos celosos Por miedo que el rocío Les quite su esplendor
Enmudece el ambiente La noche se aproxima Ensaya un grillo el canto Monótono y tristón Palidecen las rosas Se esfuma la alegría Y llora la cigarra Porque se ha puesto el Sol Y llora la cigarra Porque se ha puesto el Sol Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López
Traduction libre et indications
Les trilles se répandent et les roucoulements émergent. Ce jardin fleuri qui est le manoir des chardonnerets et des moineaux, des alouettes et des grives qui chantent de beaux hymnes comme une bénédiction. Les hirondelles voyageuses les saluent au passage et, par courtoisie, le rossignol répond, le hornero élabore sa demeure rustique et une dinde revêche critique le constructeur. Un concert de parfums, de chants et de joies, offre la nature au rêveur, une mallette de couleurs, un délicieux essaim qui a halluciné et que n’a jamais porté un peintre. (la mallette, on pourrait dire la palette de couleurs est si riche qu’aucun peintre n’en a jamais eu de pareille). Et quand tombe le soir, les oiseaux de palmiers retournent à leurs nids à la recherche de chaleur. Les camélias enveloppent jalousement leurs pétales de peur que la rosée ne leur enlève leur splendeur. L’ambiance est muette, la nuit approche, un grillon répète le chant monotone et triste, les roses pâlissent et la joie s’évanouit et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché. Et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché.
Les duos et trios de chanteurs de De Angelis
Si plusieurs orchestres, j’hésite à dire beaucoup, ont réalisé des duos de chanteurs, De Angelis a eu une prédilection pour le genre. Nous avons vu hier que Edgardo Donato avait enregistré de nombreux chanteurs et avait profité de la profusion pour enregistrer même des trios.
Les duos de chanteurs de De Angelis
De Angelis a fait de même en enregistrant beaucoup de duos et même un quatuor… Voici une liste des associations qu’il a utilisées pour ses enregistrements. D’autres ont existé, mais sans avoir été immortalisée par le disque :
Carlos Dante et Julio Martel (sans doute le duo le plus connu de De Angelis)
Carlos Dante et Oscar Larroca (c’est celui de notre valse du jour)
Juan Carlos Godoy et Oscar Larroca
Juan Carlos Godoy et Lalo Martel
Juan Carlos Godoy et Roberto Mancini
Isabel “Gigí” De Angelis et Carlos Boledi (Gigi est la fille de De Angelis)
Isabel “Gigí” De Angelis et Ricardo “Chiqui” Pereyra (Exercice de prononciation Gigi y Chiqui).
Rubén Linares et Marcelo Biondini
Sur la composition des duos. En général, les orchestres essayaient d’avoir deux chanteurs. Un qui jouait le rôle de l’Espagnol (Oscar Larroca pour cette valse) et un qui jouait le rôle de l’Italien (Carlos Dante pour cette valse). Il y avait aussi la nécessité d’association de voix compatibles et généralement de registres différents (ténor et baryton, par exemple). De Angelis ou Troilo ont particulièrement bien réussi leurs « mariages », d’autres chefs ont eu du mal à contracter les voix qui vont bien ensemble, comme Di Sarli ou D’Arienzo. Une autre raison qui fait que De Angelis a utilisé des duos est que c’est une caractéristique de la musique traditionnelle et De Angelis a, par exemple, enregistré pas mal de vals criollos. Pour Troilo, il me semble que c’est plus son goût pour les voix, même s’il a aussi investigué du côté du folklore.
Le quatuor de chanteur de De Angelis
Ricardo “Chiqui” Pereyra, Jorge Guillermo, Marcelo Biondini et Isabel “Gigí” De Angelis
Comme les quatuors de chanteurs sont tout de même assez rares en tango, je vais vous faire écouter celui-ci dans un titre qui va faire rire certains. La calesita (le manège).
La calesita 1981 — Orquesta Alfredo De Angelis con Ricardo “Chiqui” Pereyra, Jorge Guillermo, Marcelo Biondini y Isabel “Gigí” De Angelis (Mariano Mores Letra: Cátulo Castillo).
Avec La calesita, on est assez loin du tango auquel nous a habitué De Angelis, mais le titre vaut une explication. La calesita, c’est le manège. Celui qu’aiment les enfants. À Buenos Aires, ils étaient mus par des moteurs de sang (des chevaux) avant de passer à des motorisations moins cruelles pour les animaux. Certains qualifiaient De Angelis de orquesta de calesita, orchestre pour les manèges. Mais contrairement au dédain qu’affichent ceux qui l’affublent de ce nom, ce n’est pas à cause d’un manque de qualité, bien au contraire. Si De Angelis était si joué dans les manèges, c’était que sa musique attirait les femmes qui décidaient de placer leur progéniture sur la machine tournante afin de pouvoir savourer la musique de De Angelis. Les femmes n’étaient pas les seules à être attirées par la musique, certains danseurs profitaient de cette musique « gratuite » pour danser autour du manège. Peut-être que le manège était également propice pour se mettre en ménage (jeu de mot en français, je suis désolé pour ceux qui lisent dans une autre langue).
Autres versions
La valse enregistrée par De Angelis est unique, mais le titre avait auparavant été utilisé pour d’autres œuvres.
Luz y sombra 1930-09-11 — Orquesta Julio De Caro con Luis Díaz (Alfredo Oscar Gentile; Atilio Supparo, musique et paroles).
Bon, ce n’est pas vilain, mais cela manque tout de même d’un peu d’euphorie et d’intérêt pour la danse. Je vous propose de mettre ce titre de côté.
Luz y sombra 1955 — Astor Piazzolla y su Orquesta Típica (Astor Piazzolla).
De l’excellent Piazzolla, mais à 1000 lieues de ce qu’enregistrera l’année suivante, De Angelis. La musique de Piazzolla est relativement descriptive. On peut assez facilement identifier les alternances de lumière et d’ombre. De la musique à écouter, dans l’ombre d’un salon cossu.
Luz y sombra 1993-12 — Georges Rabol (Astor Piazzolla).
Luz y sombra 1993-12 — Georges Rabol (Astor Piazzolla). Une interprétation impressionnante, au piano, de Luz y sombra de Piazzolla. Le piano est un merveilleux instrument, capable, comme le prouve Georges Rabol, de remplacer un orchestre. Nous sommes en 1993, mais rassurez-vous, je vous propose maintenant, pour vous divertir, la version de Luz y sombra de De Angelis, notre valse du jour qui est nettement antérieure de 37 années.
Luz y sombra 1956-08-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante y Oscar Larroca.
Notre valse du jour est le seul enregistrement de cette anecdote passable dans une milonga, mais sa bonne humeur permet de compenser cela.
La nuit est en train de tomber sur ce joli jardin.
On remarquera le hornero et sa maison faîte de boue qui lui vaut le titre d’architecte. Le chardonneret élégant, cité dans la chanson, est également présent. Les camélias et les roses pâlissantes. C’est ce beau jardin que j’imagine en entendant cette valse. En passant l’arche, on trouvera un espace dégagé pour danser la valse.
Si je dis Tic-Tac, vous penserez tout de suite à l’horloge, à la montre et au-delà, au temps qui passe. Les trois minutes d’un tango peuvent passer très vite, trop vite, ou donner l’impression de s’éterniser. Le tango du jour nous parle du temps. Sa tristesse est compensée par le savoir-faire de Moreno et Rodriguez, mais il est temps de vous faire écouter ce tango. Nous remontons le temps, jusqu’en 1941, il y a exactement 727 070 heures, quand Rodriguez et Moreno enregistraient le tango Tic Tac.
Extrait musical
Tic tac 1941-08-07 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno.
Tic tac 1941-08-07 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Les 30 premières secondes sont classiques pour du Rodriguez. La musique est bien cadencée et marquée de façon un peu (beaucoup) appuyée. À 30 secondes, donc, Rodriguez nous donne la première information horlogère. Puis il reprend le cours normal de la musique. Les danseurs peuvent penser avoir rêvé ce Tic-Tac, mais 20 secondes plus tard, le Tic-Tac réapparaît. À une minute, Moreno lance deux fois Amor, mais avant d’aller plus loin, voici les paroles.
Paroles
Amor, amor… novela triste Amor, amor… tú ya no existes. Solo, sin tu cariño, Soy como un niño Que siente miedo. Solo, solo en la casa, La noche pasa Por el reloj.
Tic tac, tic tac, tic tac… Oigo en las sombras, este latido. Tic tac, tic tac, tic tac… Como un martillo suena en mi oído. Es el reloj que va pasando Y nuestras vidas va contando. Tic tac, tic tac, tic tac… Y su recuerdo, se hace dolor.
L’amour, l’amour… Roman triste L’amour, l’amour… Tu n’existes plus. (La triste nouvelle est annoncée) Seul, sans ton affection, je suis comme un enfant qui éprouve la peur. Seul, seul dans la maison, la nuit passe par l’horloge. Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (À 1:30 Moreno déclare Tic-Tac, levant toute ambiguïté et l’orchestre renforce le son d’horloge). J’entends dans l’ombre, ce battement (de cœur). Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Retour du Tic-Tac) Comme un marteau, il résonne dans mon oreille. C’est l’horloge qui tourne et nos vies vont comptant. Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Encore le Tic-Tac) Et son souvenir se fait douleur.
Abandon ou mort, quoiqu’il en soit, l’horloge marque le temps désormais inutile dans l’être aimé. C’est une façon assez originale de marquer le poids du temps sur la peine. Enrique Cadícamo, l’un des auteurs les plus prolifiques est ici le compositeur et le parolier, cette œuvre lui est donc totalement redevable et prouve la richesse de son univers. Il fallait sans doute Rodriguez et sa légèreté (dans les thèmes, pas la musique) pour passer en douceur ce message.
Tic tac 1941-08-07 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Notre tango du jour, orphelin.
Le copain que je lui propose est une musique klezmer. Cela peut sembler curieux, mais le festival de Tarbes en France avait coutume de proposer comme dernier thème ce titre. J’avoue ne pas en connaître la raison pour laquelle ils ont troqué la cumparsita pour le titre que je vous propose d’écouter maintenant. Il s’agit de Time par le trio Kroke, un trio polonais dont le nom, Kroke, est celui de la ville polonaise de Cracovie, exprimé en Yidiish (langue des juifs d’Europe centrale).
Time 1998-05 – Kroke (Tomasz Lato).
Le trio Kroke est composé de Tomasz Kukurba au violon alto, Tomasz Lato à la contrebasse et Jerzy Bawoł à l’accordéon diatonique. Ce titre a été enregistré en mai 1998 a été publié pour la première fois en 1999 sur l’album The Sounds of the Vanishing World. Pour les masochistes, il existe une version longue de plus de 8 minutes, Tomasz Kukurba ayant complété l’original de Tomasz Lato… Certains seront assez étonnés d’apprendre que des danseurs essayent de danser le tango sur ce titre, mais d’autres adorent cet exercice qui consiste à croire danser le tango sur n’importe quelle musique. C’est génial, mais ce n’est pas du tango.
Bon, j’ai perdu les lecteurs fans de NeoTango. J’espère qu’ils reviendront quand ils sauront que j’ai musicalisé des événements de NeoTango, car pour un DJ, cela permet une très grande créativité dans le choix des musiques, mais aussi dans le mixage, ce qu’on ne fait pas en tango traditionnel. Par exemple, on peut commencer avec un titre, continuer avec un autre, rajouter des samples, voire des éléments synthétisés, revenir au thème initial, varier vitesse, hauteur, sonorité, ce que l’on ne peut guère faire dans une milonga.
L’angoisse du DJ qui est en train de se demander s’il peut associer deux titres dans la même tanda. Vuelta al futuro (1985)
Il est l’heure de vous laisser, à demain, les amis.
Les Argentins sont de grands lecteurs. Il n’est qu’à voir les centaines de mètres de queue pour visiter le Salon du livre et le nombre de librairies pour s’en rendre compte. Notre tango du jour s’appelle Un libro (un livre) a été enregistré par Edgardo Donato avec Horacio Lagos il y a 83 ans.
Extrait musical
Un libro 1941-08-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Donato était un homme distrait, il pouvait oublier sa femme dans le tramway ou attendre le chanteur pour un enregistrement alors qu’il était en face de lui. Sa musique lui va bien. Le thème commence comme une promenade guillerette. Puis arrive la voix sans égale de Horacio Lagos.
Paroles
Con el alma herida, casi derrotado Ancló mi esperanza en tu dulce amor, Me diste un aliento que ya no aguardaba Mi vida lisiada por tanto dolor.
Todo mi tormento, se fue por encanto Y tu gran alivio fue mi salvación, Entonces de nuevo vi al sol de mi vida Rehaciendo el coraje de mi corazón.
Un libro como hay tantos en la vida Que (se) leía en mi errante rodar, Desahuciado por la suerte Dando tumbos sin cesar. Un libro de placer interminable De incesante sinsabor, Salpicado en tus páginas de oro Por un lodo maldito y traidor. Osvaldo Donato Letra : Ricardo Olcese
Traduction libre
Avec l’âme blessée, presque vaincue, j’ancre mon espérance dans ton doux amour. Tu m’as donné un souffle auquel je ne m’attendais plus, ma vie paralysée par tant de douleurs. Tous mes tourments ont disparu par magie et ton grand soulagement a été mon salut. Puis, j’ai de nouveau vu le soleil de ma vie, restaurant le courage de mon cœur. Un livre comme il y en a tant dans la vie que j’ai lu dans mon errant vagabondage, désespéré par la chance, trébuchant sans cesse. (J’entends Que leía, mais un lecteur, Philippe Constant entend Se leía, ce qui pourrait modifier un peu le sens. Si vous avez un avis sur la question, laissez un commentaire…). Un livre de plaisir sans fin d’insipidité incessante, éclaboussé sur tes pages dorées par une boue maudite et traîtresse.
Ricardo Olcese a écrit les paroles de quelques autres tangos comme : Mirá lo que soy, Tu engaño et, en collaboration avec Nestor Rodi, Buenos Aires de ayer et Che pebeta.
Autres versions
Il n’y a pas d’autres versions de ce tango. Je vous propose donc d’écouter un autre enregistrement du même jour de Donato…
Un libro 1941-08-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.
Pour le second enregistrement de la journée, Lita Morales se joint à Horacio Lagos pour chanter :
Mañana será la mía 1941-08-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales y coro.
Demain tu seras mienne. Le titre est parfaitement adapté à la relation entre les deux chanteurs de cette valse…
Au centre Edgardo Donato et à droite Horacio Lagos que regarde avec attention, Lita Morales.
Il se dit que Lita Morales et Horacio Lagos se seraient mariés, mais rien ne le prouve. Ce couple, si c’était un couple, était très discret et mystérieux. Le regard que Lita envoie à Horacio me fait penser qu’ils ont a minima eut une idylle. Sur le plan artistique, ils ont tous les deux commencé par enregistrer du folklore et ont arrêté rapidement la carrière (1935–1942 pour Horacio, 1937–1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955–1956). Peut-être que l’arrêt de Lita en 1941 était pour cause de naissance, il se disait que Lita était enceinte lors de son premier arrêt. Ceci pourrait expliquer son retour tardif, elle a repris, lorsque son (leur) enfant était devenu plus autonome. On avait déjà parlé de cela à propos de Sinsabor.
L’orchestre de Donato de 1932 à 1945
L’orchestre de Donato reste stable sur une grande période. Ses deux frères sont respectivement pianiste (Osvaldo) et violoncelliste (Ascanio Ernesto). On notera le nombre impressionnant de chanteurs ayant participé avec l’orchestre.
L’orchestre de Donato.
Directeur : Edgardo Donato
Les musiciens
Violonistes : (Edgardo Donato), Domingo Milillo, Armando Piovani et José Pollicita. Bandonéonistes : Juan Turturiello, Vicente Vilardi et Miguel Bonano. Pianiste : Osvaldo Donato Violoncelliste : Ascanio Donato Contrebassiste : José Campesi
Les chanteurs
Sopranos : Lita Morales Ténors : Horacio Lagos, Romeo Gavioli, Félix Gutiérrez, Alberto Gómez, Armando Piovani, Juan Alessio, Daniel Adamo et Pablo Lozano. Barytons : Antonio Maida, Hugo Del Carril, Jorge Denis, Alberto Podestá et Roberto Beltrán.
En 1936, Donato était à la tête d’un orchestre énorme.
Violonistes : Armando Julio Piovani, Domingo Mirillo et José Pollicita Bandonéonistes : José Roque Turturiello, Vicente Vilardi, Eliseo Marchesse et José Budano. Accordéoniste : Washington Bertolini (Osvaldo Bertoni) qui était également pianiste. Il jouait du piano avec et sans bretelles (en France, l’accordéon est surnommé « piano à bretelles »). Pianiste : Osvaldo Donato Violoncelliste : Ascanio Donato Contrebassiste : José Campesi
Sur la photo, on les trouve : De gauche à droite et au premier plan. Debout, Edgardo Donato et Horacio Lagos. Assis au piano, Osvaldo Donato. Deux bandonéonistes, José Budano et Vicente Vilardi. Puis Washington Bertolini avec son accordéon. Et deux autres bandonéonistes, José Roque Turturiello et Eliseo Marchesse. À l’arrière, de gauche à droite, un violoniste Domingo Mirillo. Un violoncelliste, Ascanio Donato Deux violonistes José Pollicita et Armando Julio Piovani. Un contrebassiste, José Campesi. Voilà, je vous laisse jouer au jeu des sept erreurs pour identifier les changements dans l’orchestre entre ces deux photos. Ce n’est pas si difficile.