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Mentías (vals) 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo

Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine

J’ai reçu ce matin un message d’un organisateur de milonga me demandant quelle valse proposer pour un anniversaire, avec la contrainte que ce soit une valse du mois de janvier vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai proposé cette valse, Mentías, pour deux raisons. La première est que c’est une valse qui correspond bien à l’occasion et la seconde est que sa date d’enregistrement coïncide avec la date de naissance de la danseuse à fêter. Je te dédicace donc, Martine de Saint-Pierre (La Réunion), cette valse, en te souhaitant un excellent anniversaire.

Extrait musical

Disque RCA Victor (38 138 face B) de Mentías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138-A) il y a El apronte, enregistré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548-1.
Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Cette valse commence sur un rythme rapide, avec une introduction au piano par Rodolfo Biagi, qui proposera de nombreuses ponctuations et transitions légères (comme la première à 13s).
Durant toute la première partie (jusqu’à 28s), tous les instruments sont au service du rythme.
Ensuite, les bandonéons s’individualisent pour la partie B et ensuite cèdent le pas aux magnifiques violons.
À 1:50, la variation apporte une impression de vitesse, sans toutefois changer le tempo, simplement, comme le fait presque systématiquement D’Arienzo, en subdivisant les temps en employant des double-croches au lieu de croches.
Le rythme rapide, mais sans exagération et la fin somme toute tranquille, laisse la place à des titres plus énergiques pour terminer la tanda dans une explosion.
Ce titre est un bon premier titre, ce qui renforce ma conviction qu’il peut faire l’affaire pour un anniversaire.

Paroles

Mis ojos te grabaron en mi mente
Bajaste de la mente al corazón,
La flor del corazón se abrió en latidos
¡Latidos que acunaron nuestro amor!
Amor que florecía con tus besos
Tus besos encubrían la traición,
Traición que me valió la cruz del llanto
¡Y el llanto por mis ojos te arrojó!

¡Mentías…!
Con caricias… estudiadas…
¡Cinismo…!
Del cariño desleal…
Jurabas
Por tu dios y por tu madre…
¡Mira si no es criminal!
Los seres
Que han matado y se redimen,
Merecen el olvido y el perdón…
Cien vidas
No podrán borrar tu crimen
¡Asesinar la ilusión!

Y ahora que mi vida está vacía
Anclada en un sin dolor,
Golpea el aldabón de tu
Las puertas de mi pobre corazón…
Ya es tarde para unir idilios rotos
Miremos cara a cara la verdad,
No vuelvas a rondar por mi cariño
¡Que el sueño que se fue no torna más!
Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine

libre des paroles

Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descendue de l’esprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en palpitant.
Des battements de cœur qui ont bercé notre amour !
L’amour qui s’est épanoui avec tes baisers. Tes baisers ont couvert la trahison, la trahison qui m’a valu la croix des pleurs.
Et les larmes à travers mes yeux t’ont rejetée !

Mensonges…!
Avec des caresses… Étudiées…
Cynisme…!
D’affection déloyale…
Tu as juré par ton dieu et par ta mère…
Vois si ce n’est pas criminel !
Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méritent l’oubli et le pardon…
Cent vies ne pourront pas effacer ton crime
Tuer l’illusion !

Et maintenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indolore, le heurtoir de ton souvenir frappe les portes de mon pauvre cœur…
Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regardons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour.
Car le rêve qui est parti ne revient pas !

On notera que les paroles sont très moyennement adaptées à une fête d’anniversaire. Cependant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enregistrées et la musique les dément totalement.

Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine

Le compositeur de cette valse, Juan Carlos Casaretto n’est connu que pour un seul autre titre, un tango, Chiclana y Boedo (avec , encore plus inconnu). Il en existe un enregistrement tardif par Enrique Rodriguez et , mais ce n’est pas pour la danse.
Alfredo Navarrine (Pigmeo), en revanche, est à la tête d’une riche production. Avec son frère, , il a fourni bon nombre de titres de tango.

Des frères Alfredo et Julio Navarrine :

  • Alaridos 1942
  • Juana 1958
  • Mil novecientos treinta y siete 1937 (plus José Domingo Pécora)
  • Lechuza 1928
  • Oiga amigo 1933
  • Sos de Chiclana 1947 (plus Rafael Rossa)
  • Trilla e recuerdos

De Julio Navarrine :

  • A la luz del candil 1927
  • Barcos amarrados
  • Catorce primaveras
  • El anillito de plata
  • El vinacho Milonga
  • La piba de los jazmines
  • Oiga amigo
  • Oro muerto (Jirón porteño) 1926
  • Por qué no has venido 1926
  • Qué quieren yo soy así Milonga
  • Trago amargo 1925

De Alfredo Navarrine :

  • Agüita e luna
  • Ayer y hoy 1939
  • Bandoneones en la noche
  • Barrio reo 1927
  • Brindis de olvido 1945
  • Canción del reloj
  • Canto estrellero 1943
  • Cielito del porteño 1950
  • Como una flor 1947
  • Con licencia 1955
  • Corazón en sombras 1943
  • Curiosa
  • Desvíos
  • Escarmiento 1940
  • Escúcheme, gringo amigo 1944
  • Estampa rea 1953
  • Este amor 1938
  • Falsedad 1955
  • Fea 1925
  • Gajito de cedrón 1973 Canción criolla
  • Galleguita 1925
  • He perdido un beso 1940
  • Humildad 1938
  • La condición 1946
  • La Federal
  • Latido porteño
  • Luna pampa 1951
  • Mentías 1941 (Notre valse du jour)
  • Milonga de un argentino 1972
  • No nos veremos más 1939
  • Noche de plata 1930 (Vals)
  • Nocturno inútil 1941
  • Ojos en el corazón 1945
  • Ojos tristes 1939
  • Pajarada 1945
  • Qué linda es la vida
  • Rancheriando
  • Resignación
  • Ronda de sueños 1944
  • Rosas negras 1942
  • Sangre porteña 1946
  • Sé hombre
  • Señor Juez 1941
  • Señuelo 1977
  • Serenidad 1946
  • Tamal 1975
  • Tango lindo
  • Tango para un mal amor 1948
  • Tata Dios 1931
  • Torcacita
  • Tucumana (Zamba)
  • Tucumano 1961
  • Vidalita
  • Yo era un corazón 1939
  • Yunque 1953

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres contemporains pour enregistrer des valses. Ils nous donnent des dizaines de versions de quelques tangos, mais très peu de valses ou de milongas.
Si cette valse n’a pas été enregistrée par la suite, nous avons un tango du même titre composé par Juan de Dios Filiberto avec des paroles de Milon E. Mujica.
Je vous propose deux enregistrements de celui-ci et on terminera par la valse du jour.

Mentías 1923 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Un enregistrement acoustique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.

Mentías 1927-10-20 – Orquesta Roberto Firpo.

Une jolie version. C’est assez léger et pas trop marqué en canyengue intense… Cela reste cependant un peu monotone, mais le joli violon de , délicieusement larmoyant, fait pardonner cela.

Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Mentías 1937-04-01 (vals) – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour. On termine avec énergie.

La tradition de la valse d’anniversaire

Il est des traditions dont on ne connaît pas vraiment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milongas en fait sans doute partie. Il se peut aussi que ce soit une ignorance de ma part.
Voici ce qui me semble à peu près vérifiable.

La valse des mariés

Un peu partout dans le monde, les nouveaux mariés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à certains professeurs de danse une petite rente. Ils mettent en scène une petite chorégraphie, les mariés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émerveillent les invités et la famille, soigneusement anesthésiés au préalable par la richesse du repas et des alcools servis.

La valse des 15 ans

Plus spécifiquement en Amérique latine, il y a la tradition des 15 ans des jeunes filles/femmes.
Cette cérémonie, peut-être issue des cultures précolombiennes, perdure de nos jours avec des formes, souvent très élaborées. Il existe des boutiques de robes spéciales pour les 15 ans, des maîtres de cérémonie et des vidéastes spécialisés.
Ce sont des fêtes fort coûteuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage.
Cette tradition évolue, mais en général, la jeune femme est présentée par le père (ou parrain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels prétendants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipédia pour des éléments plus concrets.
En Europe, chez les puissants, on peut trouver une cérémonie parallèle, le bal des débutantes.

La valse d’anniversaire des tangueros

Vous avez reconnu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pratique dans les milongas.
À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beaucoup d’organisateurs ne souhaitent pas qu’on « perde » du temps à cette manifestation. D’autres, comme celui qui m’a commandé la valse ce matin, marquent plus d’attention pour cette tradition.
En Argentine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milonga. Ils réservent une table et c’est une des occasions où il est autorisé d’apporter de la nourriture de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syncope un nutritionniste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « champagne » local, qui lui est celui vendu dans la milonga, participe à la fête, ainsi que souvent, des déguisements et autres fantaisies.
En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps perdu pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aussi oublier la dimension sociale du tango. Nous sommes une communauté et c’est important de la renforcer par des marques d’amitié. n’est pas un club de gym où on fait son entraînement avec des écouteurs sur les oreilles. On parle, on chante et on partage.
Comme DJ, il est important d’aider à trouver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniversaire, je me contente d’une dédicace avant la tanda de valse. Libre aux danseurs qui le souhaitent d’organiser un moment convivial.
Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs possibilités. Parfois, tous les danseurs/danseuses veulent danser avec la personne qui fête son anniversaire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réussi à partager quelques secondes de valse. Parfois, cela dure toute la tanda.
Cela peut être effectivement frustrant pour ceux qui ne danseront pas avec la personne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniversaire, ou les hommes dans le cas contraire). Cela risque de faire baisser l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très amicale, je pense que cette organisation est à éviter.
Plus intéressante est la mise en place d’un double parcours. On invite le héros de soirée à se placer au centre de la piste et les partenaires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peuvent les entourer en dansant autour. Je trouve cela assez sympathique et cela ne frustre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhaitent partager quelques secondes de danse avec la personne qui fête son anniversaire.
Il me semble qu’il est intéressant de proposer cette organisation, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son propre chef. Pour bien mettre en valeur l’anniversaire, on peut réserver une partie du premier thème au seul anniversaire et remplir progressivement la piste. S’il y a beaucoup de prétendants, cela peut impliquer de réserver tout le premier titre de la tanda à la personne qui fête son anniversaire.
Comme DJ qui aime proposer des valses, je propose, en plus de la valse d’anniversaire, une tanda complète. Cela permet aux danseurs qui ont participé au manège de danser avec un autre partenaire. La tanda fera donc au moins quatre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tandas de 4 et que le premier titre a été entièrement utilisé pour souhaiter l’anniversaire.
Les danseurs qui vont inviter la personne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spectacle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au contraire, être aux petits soins pour le partenaire), mais dans la manière de prendre son tour (ou de le donner). Cela apporte une distraction à ceux qui ne participent pas.
Dans mon ancien profil Facebook, malheureusement fermé pour d’obscures raisons, j’avais réalisé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indienne se sont mis à se balancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se balançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques secondes de bal.

Mentías. L’ n’est pas exactement fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’utilisation que j’en propose, une valse d’anniversaire.

Heureux anniversaire Martine !

À bientôt les amis !

Tehuana 1939-12-23 – Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati

Alfonso Esparza Oteo

Depuis quelques années, les valses de l’orchestre Típica Victor ont les faveurs des , notamment en Europe. Il faut dire qu’elles sont magnifiques et que, comme tous les enregistrements de cet orchestre, elles sont destinées à la danse. Vous vous demandez peut-être ce que Frida Kahlo vient faire dans la couverture d’un article sur une valse argentine, vous aurez la réponse 😉

Extrait musical

Tehuana 1939-12-23 – Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.

La superbe introduction nous invite à découvrir un air nostalgique en do mineur. Enfin, en l’absence de la partition, il est difficile de savoir quelle est la tonalité, car si la version la plus courante est en Do# mineur et dure 3’03 », ma version qui est en Do mineur dure 3’15 ».
La tonalité plus grave est causée par une rotation moins rapide du disque. Ou plutôt, ce sont, à mon avis, les versions courantes qui sont plus rapides et à mon goût trop rapide.
J’ai fait la demande de la partition auprès du CENEDIM (Centro Nacional de Investigación, , je mettrai à jour si j’ai une réponse positive.
Cette tendance à accélérer la musique pour la rendre plus brillante n’est pas gênante en soi et en milonga, il m’arrive très souvent de changer la pour adapter le titre au besoin du moment en milonga. Par exemple, si je vois que les danseurs ont envie de danser sur un rythme rapide, je peux légèrement accélérer la valse et arriver à la durée de la version de 3’03 » éditée par Le Club de tango dans son CD Orquesta Típica Victor Vol. 21 (1939-1941).
Cette version n’est pas d’une qualité optimale et je pense donc préférable d’utiliser un enregistrement depuis le disque original 38862 (78 tours) édité par la Victor (on s’en doute, vu que c’est son orchestre). Sur ce disque, la face B comporte un paso doble Amoríos composé par Alex Schneider, ce qui permet de rappeler la polyvalence des orchestres et la plus grande diversité des danses pratiquées dans les bals de l’époque.
Après cette (très) longue digression, revenons à notre valse.
La première partie, tout comme l’introduction, est en mode mineur.
À 43″ on remarque le pont qui permet d’assurer la transition avec la seconde partie, qui, elle, est en majoritairement mode majeur, tout au moins à partir d’une minute.
Le fait que le titre soit sans partie chantée (Alfonso Esparza Oteo avait écrit des paroles) peut donner une impression de monotonie, cependant, les jolis ornements du bandonéon, notamment dans la seconde partie (à partir de 2’11 ») font qu’on se laisse porter, un peu en transe, sans avoir l’impression de danser la même chose. Le final ralentit le rythme, pour que les danseurs puissent sortir de l’hypnose, sans danger.

Que vient faire Frida Kahlo dans cette histoire ?

Frida Kahlo (peintre et modèle), à gauche et 2 femmes, à droite, en costume de Tehuana.

Comme vous le savez, Frida Kahlo est une peintre mexicaine avec une vie singulière, voire semi-tragique. Elle était d’origine Tehuana, une province du sud du . Elle s’est représentée avec ce costume traditionnel et notamment El resplandor, la coiffe que portent également les deux femmes sur la photo de droite. On remarquera sur son front le terrible Diego Rivera, dont elle venait de divorcer (1940), mais qui reste dans ses pensées.

Frida Kahlo devant son autoportrait terminé (donc après 1943) et à droite, un médaillon où elle porte le resplandor (1948).

Tehuana, le nom de notre valse du jour vient donc du Mexique. Alfonso Esparza Oteo, le compositeur et l’auteur des paroles, est également Mexicain.
Cette valse aurait pu rester purement mexicaine si Freddy Scorticati et la Típica Victor ne l’avaient pas enregistrée. Il se peut aussi que d’autres orchestres argentins l’aient jouée sans l’enregistrer.
La Tehuana n’étant probablement pas Frida Kahlo, j’ai essayé diverses pistes pour l’identifier. Ce n’est pas sa femme, qu’il a rencontrée en 1925 et épousée en 1926, car celle-ci était originaire de Arandas (Jalisco) et donc pas de la région de l’Isthme de Tehuantepec.

À gauche Blanca Torres Portillo à 17 ans, un an avant de rencontrer Alfonso Esparza Oteo. À droite, les jeunes époux en 1926. Blanca a 17 ans et Alfonso, 32. Ils auront 9 enfants.

Tehuana date de la décennie suivant son mariage et comme il était heureux en ménage, contrairement à Frida, il est peu probable que le titre suggère une liaison de cette époque.

Peut-être qu’ une des quatre femmes qui entourent Alfonso et Blanca, sa femme a inspiré Tehuana. Mais sans la tenue traditionnelle, c’est impossible à vérifier 😉

Si on consulte son catalogue, certaines femmes sont évoquées et il se peut donc que Tehuana soit une ancienne compagne, ou tout simplement un thème qui chante son pays, comme beaucoup de ses compositions.

Autres versions

Alfonso Esparza Oteo a composé environ 150 œuvres. Quelques-unes sont sorties du domaine de la musique mexicaine pour intégrer le répertoire argentin. C’est le cas de notre valse du jour et de quelques autres que je vous propose d’écouter.

Tehuana 1939-12-23 – Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.

C’est notre valse du jour et bien qu’elle soit magnifique, elle ne semble pas avoir inspiré d’autres orchestres.

Carta de amor 1930-06-03 – Orquesta con Charlo.
Carta de amor 1930-06-13 – Charlo con acomp. de Francisco Canaro.

Cette version enregistrée seulement 10 jours après la première, par les mêmes, est une habitude chez Canaro. Il enregistre une version pour le bal et une version pour l’écoute.

Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo letra: Alfonso Espriu Herrera)

Ce titre est un des gros , de Alfonso Esparza Oteo comme en témoignent divers enregistrements en tango, mais aussi sous d’autres formes…

Partition de Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo, letra: Alfonso Espriu Herrera)
Dime que sí 1938-11-04 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Un rythme enjoué et entraînant. La voix de Jorge Omar, s’inscrit parfaitement dans le rythme. Je trouve que c’est une belle réalisation qui devrait pouvoir intéresser les danseurs, même si cette version est peu connue. Remarquez son final un peu théâtral, digne de la bande sonore d’un film…

Dime que sí 1938-11-29 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.

Dime que sí 1938-11-29 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor. Canaro enregistre un autre titre de Alfonso Esparza Oteo. Contrairement à Lomuto, Canaro a choisi un tempo très lent. Je ne suis pas convaincu que ce soit parfait pour le bal et la voix de Francisco Amor, ne me semble pas au mieux. Il y a tant de valses plus efficaces, qu’il ne me semble pas utile de prendre des risques avec cette version.

Dime que sí 1938-12-30 – Juan Arvizu con orquesta.

Juan Arvizu est également d’origine mexicaine, ce qui l’a sans doute incité à enregistrer cette valse écrite par son compatriote. Il a également enregistré la Zandunga, cette valse traditionnelle originaire de Tehuantepec (tout comme Canaro). Pour parler de cette interprétation, elle ne manque pas d’enthousiasme mais est peut-être un peu trop brouillonne pour les danseurs.

Dime que sí 1939-08-14 (Avant) – con orquesta de José Sabre Marroquín.

Un enregistrement réalisé à Mexico, sans doute au début de 1939 (imprécision sur la date à cause d’une erreur dans les registres de la Victor). Le ténor Pedro Vargas est également Mexicain.
Il réenregistrera le titre 39 ans plus tard, toujours à Mexico…

Dime Que Sí (en vivo) 1978 · Pedro Vargas con . Concierto en vivo en el Palacio de Bellas Artes – 50 Aniversario 1928 -1978 – Arrangements de Pocho Pérez
Dime que sí 2024 – Mariachi Imperial Azteca – Orquesta Sinfónica de Aguascalientes.

Aguascalientes est la ville de Alfonso Esparza Oteo. On s’est bien éloigné de la valse argentine. L’action de mémoire de sa ville natale n’est sans doute pas étrangère à la permanence du succès des œuvres de ce compositeur qui était en train de jouer une de ses œuvres, « Limoncito », quand José de León Tora, un caricaturiste, s’est approché du général Álvaro Obregón, président du Mexique qu’il a abattu de nombreuses balles de pistolet.
Alfonso et son orchestre ont continué de jouer l’œuvre, sans se rendre compte de ce qui s’était passé, ou, s’ils s’en sont rendu compte, ils sont restés drôlement professionnels…

La ville mexicaine de Aguascalientes (eaux chaudes) est fière de son compositeur et divers monuments le célèbrent dans la ville et une rue porte son nom.

Pour terminer cette petite série, une curiosité, une version par un orchestre symphonique avec un joli duo, soprano et ténor.
En fait, ce n’est pas si rare, cette valse est souvent jouée en concert de musique classique et notamment sous forme piano plus chant.

Dime que sí 2014-11-15 – Verónica De Larrea (soprano) y , Orchestre symphonique de l’Université Frédéric Chopin de Varsovie.

À bientôt, les amis, en espérant que les problèmes d’attaque du site de cette semaine ne vont pas se reproduire.

Sentir del corazón 1940-12-13 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Romeo Gavio

Benito R. Atella (musique et paroles)

Ceux qui me connaissent comme DJ, savent que, quand les danseurs le peuvent, j’aime passer des milongas dynamiques et joueuses. Sentir del est l’une de ces milongas qui peuvent faire naître des sourires aux lèvres. Pourtant, l’ qu’elle conte n’est pas si allègre.

Extrait musical

1940-12-13 – Orquesta Edgardo Donato con y Romeo Gavio.

Donato a aimé avoir des duos, voire des trios de chanteurs. Cette milonga exploite parfaitement le Duo Lagos et Gavioli. L’ensemble est mené avec allégresse jusqu’au final qui se termine de façon ferme, presque abrupte, ajoutant au plaisir des danseurs qui peuvent la savourer jusqu’à la dernière note.

Paroles

Milonga de mi Argentina
de aquel tiempo colonial
Desnuda está la divina
musiquita de arrabal

Y que en las noches de farra
más de un federal
también volcó en su guitarra
tu canción sentimental.

Si fuiste por tus compases
Milonga sentimental
Trenzáronse grandes ases
de mi típico arrabal
Burlonita y compadrona
el paisano en su canción
Entona con voz dulzona
el sentir del corazón
Benito R. Atella

libre des paroles

Milonga de mon Argentine, de cette époque coloniale. Nue est la divine petite musique des faubourgs.
Et que, dans les soirs de fête, plus d’un gaucho fédéral a également versé dans sa guitare, ta chanson sentimentale.
Si tu fus par tes rythmes, milonga sentimentale, tressant les grands as de mon faubourg typique, moqueuse et compagnonne, le paysan dans sa chanson, entonne de sa voix douce, le sentiment du cœur.

Autres versions

Petite moisson pour cette belle milonga. La version de Donato qui est celle du jour et deux enregistrements par , l’Uruguayen.

Sentir del corazón 1940-12-13 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Romeo Gavio. C’est notre milonga du jour.
El sentir del corazón 1960 – Miguel Villasboas y su Quinteto Bravo del 900.

Cette version instrumentale est sympathique, mais peut-être un peu trop calme pour les amateurs de milonga, ou pas, car elle comporte des petites subtilités qui peuvent donner matière à jeu. On notera que son titre a été complété par le déterminant « El » (Le).

El sentir del corazón 1998 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Une autre version instrumentale de Villasboas (avec également le El au début du titre), un peu plus tranquille que celle de Donato et qui peut être servie aux danseurs.

Vous avez donc le choix de trois versions avec des caractères légèrement différents, mais toutes sont acceptables, au moins dans certaines milongas où il y a des danseurs de milongas.

Gauchos federales y gauchos matreros

L’indication du temps colonial et la mention du gaucho federal, évoquent l’histoire de (livres de José Rafael Hernández). Ce gaucho enrôlé de force dans la guerre de conquête contre les Indiens (gaucho federal) et qui, méprisé par les militaires, finit par déserter et se transformer en gaucho matrero (hors-la-loi), lorsqu’il se rend compte que son ranch et sa famille ne sont plus.
Il se rend chez les Indiens et revient en territoire colonisé (La vuelta de Martin Fierro).

. Un Gaucho federal, un des « soldats » de Rosas pour sa campagne de colonisation contre les Indiens 1842.

Le gaucho federal était tout le jour à cheval, même si cette peinture de Raymond Auguste Monvoisin, un peintre français, le montre plutôt à la mode orientaliste. Sans le mate, on pourrait penser que la scène se passe en Afrique du Nord…
Il porte la chemise de laine rouge, habituelle chez ces soldats.

. La mort du gaucho Matrero de Gabriel Biessy 1886.

Les gauchos rebelles sont chassés par les autorités et certains terminent mal, comme, Juan Moreira. La peinture de Gabriel Biessy, un autre peintre français, dévoile la mort d’un des autres gauchos hors-la-loi.
Ces gauchos, même si leurs mœurs étaient assez rudes n’étaient pas à proprement parler des brigands, mais des cavaliers arrachés à leur ranch pour aller en guerre et qui se sont rebellé contre ce qu’on leur faisait faire. Martin Fierro, le gaucho emblématique de l’œuvre de José Hernández est devenu un symbole de la construction de l’Argentine qui s’est construite en supprimant ceux qui l’occupaient avant, les peuples premiers (Indiens) et les gauchos, qui auraient volontiers continué de vivre de la même façon sans être obligés d’aller tuer des Indiens.
Pardon, les amis, d’avoir mis un peu de tristesse. La prochaine fois que vous danserez cette milonga, peut-être offrirez-vous un peu de vos pensées à tous ces êtres détruits par les guerres.
À bientôt !

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli

José “Natalín” Felipetti ; Rosario Mazzeo Letra:

Le tango du jour est instrumental, et en écoutant la musique sensuelle de Di Sarli, je suis sûr que la plupart de ceux qui ne sont pas uruguayens ont pensé que j’étais tombé sur la tête, une fois de plus, en proposant cette image de couverture. J’ai imaginé cette illustration en me référant à Géricault, un peintre qui a donné à la fois dans le militaire et l’orientalisme. Mais qui sont ces 33 orientales que Di Sarli célébrera trois fois par le disque ?

De l’importance de l’article

Il peut échapper aux personnes qui ne parlent pas bien espagnol, la différence entre las (déterminant pluriel, féminin) et los (déterminant pluriel, masculin). Las 33 orientales, ça pourrait-être ceci,

Los ou las ?

mais los 33 orientales, c’est plutôt cela :

El juramento de los 33 orientales Juan Manuel Blanes (1878).

Je vous raconterai l’ de ces 33 mecs en fin d’article, passons tout de suite à l’écoute.

Extrait musical

Les compositeurs sont José Felipetti (bandonéoniste et éditeur musical) et Alfredo Rosario Mazzeo, violoniste, notamment dans l’orchestre de Juan D’Arienzo, puis de Polito (qui fut pianiste également de D’Arienzo). Rosario Mazzeo avait la particularité d’utiliser un archet de violon alto, plus grand pour avoir un son plus lourd.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette version que vous puissiez ne pas connaître. Je suis sûr que dans les cinq secondes vous aviez repéré que c’était Di Sarli, avec ses puissants accords sur son 88 touches (le piano) et les légatos des violons. Comme il est d’usage chez lui, les nuances sont bien exprimées. Les successions de fortissimos mourant dans des passages pianos (moins forts) et les accords finaux où dominent le piano font que c’est du 100% Di Sarli.

Il s’agit du troisième enregistrement de Los 33 orientales par Di Sarli. Comme d’habitude, vous aurez droit aux autres dans le chapitre dédié, Autres versions

Les trois disques de Los 33 orientales par Carlos Di Sarli.

On notera que la version de 1952 est un 33 tours Long Play, c’est-à-dire qu’il y a deux tangos par face, ici La Cachila et Los 33 orientales. Sur la face A, il y a Cuatro vidas et Sueño de juventud. Le passage de 78 à 33 tours permettait de plus que doubler la durée enregistrable. Mais ce n’est que la généralisation du microsillon qui permet d’atteindre des durées plus longues de plus de 20 minutes par face. Ce disque est donc un disque de « transition » entre deux technologies.

Paroles

Bien qu’il soit instrumental dans les versions connues, il y a eu des paroles écrites par Arturo Juan Rodriguez.
Au cas où elles seraient perdues, je vous propose un extrait de celles d’un autre tango appelé également los 33 orientales, à l’origine et rebaptisé par la suite .
Il a été écrit en 1933 par Eduardo Pereyra avec des paroles de Daniel López Barreto.
Je vous le propose à l’écoute, dans la version de Ricardo Tanturi avec (1945).

La uruguyaita Lucia 1945-04-12 – Ricardo Tanturi C Enrique Campos

Y mientras en el cerro; de los bravos 33 el se oía
y al mundo una patria nueva anunciaba
un tierno sollozo de mujer, a la gloria reclamaba
el amor de su gaucho, que más fiel a la patria su vida le entregó.
Cabellos negros, los ojos
azules, muy rojos
los labios tenía.
La Uruguayita Lucía,
la flor del pago ‘e Florida.
Hasta los gauchos más fieros,
eternos matreros,
más mansos se hacían.
Sus ojazos parecían
azul del cielo al mirar.

Ningún gaucho jamás
pudo alcanzar
el corazón de Lucía.
Hasta que al pago llegó un día
un gaucho que nadie conocía.
Buen payador y buen mozo
cantó con voz lastimera.
El gaucho le pidió el corazón,
ella le dio su alma entera.

Fueron felices sus amores
jamás los sinsabores
interrumpió el idilio.
Juntas soñaron sus almitas
cual tiernas palomitas
en un rincón del nido.
Cuando se quema el horizonte
se escucha tras el monte
como un suave murmullo.
Canta la tierna y fiel pareja,
de amores son sus quejas,
suspiros de pasión.

Pero la patria lo llama,
su hijo reclama
y lo ofrece a la gloria.
Junto al clarín de Victoria
también se escucha una queja.
Es que tronchó Lavalleja
a la dulce pareja
el idilio de un día.
Hoy ya no canta Lucía,
su payador no volvió.

Eduardo Pereyra Letra: Daniel López Barreto

libre et indications

Et pendant que tu étais sur la colline ; des braves du 33 le a été entendu et au monde il annonça une nouvelle patrie, un tendre sanglot d’une femme, à la gloire il a revendiqué l’amour de son gaucho, qui le plus fidèle à la patrie lui a donné sa vie.
Cheveux noirs, yeux bleus, lèvres très rouges, elle avait.
La Uruguayita Lucía, la fleur du bled (pago, coin de campagne et la population qui l’habite) Florida.
Même les gauchos les plus féroces, éternels matreros (bourrus, sauvages, qui fuient la justice), se faisaient apprivoiser.
Ses grands yeux semblaient bleus de ciel quand elle regardait.
Aucun gaucho ne put jamais atteindre le cœur de Lucia.
Jusqu’au jour où un gaucho arriva dans le coin et que personne ne connaissait.
Bon payador et bien beau, il chantait d’une voix pitoyable.
Le gaucho lui demanda le cœur, elle lui donna son âme en entier.
Leurs amours étaient heureuses, jamais les ennuis n’interrompirent l’idylle.
Ensemble, leurs petites âmes rêvaient comme de tendres colombes dans un coin du nid.
Lorsque l’horizon brûla, s’entendit derrière la montagne comme un doux murmure.
Le couple tendre et fidèle chante, leurs plaintes sont d’amour, leurs soupirs de passion.
Mais la patrie l’appelle, elle réclame son fils et lui offre la gloire.
Jointe au clairon de victoire, une plainte s’entend également.
C’est Lavalleja (voir en fin d’article) qui a coupé court à l’idylle du couple en une journée.

La version de José « Natalín » Felipetti ; Rosario Mazzeo et Arturo Juan Rodríguez n’a peut-être ou sans doute rien à voir, mais cela permet tout de même d’évoquer un autre titre faisant référence aux 33 orientales et même à Lavalleja, que je vous présenterai dans la dernière partie de l’article.

Autres versions

Je vous propose 5 versions. Trois par Di Sarli plus deux dans le style de Di Sarli

Los 33 orientales 1948-06-22 – Carlos Di Sarli.

La musique avance à petits pas fermes auxquels succèdes des envolées de violons, le tout appuyé par les accords de Di Sarli sur son piano. C’est joli dansant, du Di Sarli efficace pour le bal.

Los 33 orientales 1952-06-10 – Carlos Di Sarli.

Cette version est assez proche de celles de 1948. Le piano est un tout petit plus dissonant, dans certains accords, accentuant, le contraste en les aspects doux des violons et les sons plus martiaux du piano.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour. La musique est plus liée, les violons plus expressifs. Le contraste piano un peu dissonant par moment et les violons, plus lyriques est toujours présent. C’est peut-être ma version préférée, mais les trois conviennent parfaitement au bal.

Los 33 orientales 1960 – Los Señores Del Tango.

En septembre 1955, des chanteurs et musiciens quittèrent, l’orchestre de Di Sarli et fondèrent un nouvel orchestre, Los Señores Del Tango, en gros, le pluriel du surnom de Di Sarli, El Señor del tango… Comme on s’en doute, ils ne se sont pas détachés du style de leur ancien directeur. Vous pouvez l’entendre avec cet enregistrement de 1960 (deux ans après le dernier enregistrement de Di Sarli).

Los 33 orientales 2003 – Gente De Tango ( Di Sarli).

Gente De Tango annonce jouer ce titre dans le style de Di Sarli. Mais on notera quand même des différences, qui ne vont pas forcément toute dans le sens de l’orchestre contemporain ? L’impression de fusion et d’organisation de la musique est bien moins réussie. Le bandonéon semble parfois un intrus. Le systématisme de certains procédés fait que le résultat est un peu monotone. N’est pas Di Sarli qui veut.

Qui sont les 33 orientales ?

Rassurés-vous, je ne vais pas vous donner leur nom et numéro de téléphone, seulement vous parler des grandes lignes.

J’ai évoqué à propos du 9 juillet, jour de l’indépendance de l’Argentine, que les Espagnols avaient été mis à la porte. Ces derniers se sont rabattus sur Montevideo et ont été délogés par les Portugais, qui souhaitaient interpréter en leur faveur le traité de Tordesillas.

Un peu d’histoire

On revient au quinzième siècle, époque des grandes découvertes, Christophe Colomb avait débarqué en 1492, en… Colombie, enfin, non, pas tout à fait. Il se croyait en Asie et a plutôt atteint Saint-Domingue et Cuba pour employer les noms actuels.

Colomb était parti en mission pour le compte de la Castille (Espagne), mais selon le traité d’Alcaçovas, signé en 1479 entre la Castille et le Portugal, la découverte serait plutôt à inclure dans le domaine de domination portugais, puisqu’au sud du parallèle des îles Canaries, ce que le roi du Portugal (Jean II) s’est empressé de remarquer et de mentionner à Colomb. Le pape est intervenu et après différents échanges, le Portugal et la Castille sont arrivés à un accord, celui de Tordesillas qui donnait à la Castille les terres situées à plus de 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Une lieue espagnole de l’époque valait 4180 m, ce qui fait que tout ce qui est à plus à l’ouest du méridien passant à 1546 km du Cap Vert est Espagnol, mais cela implique également, que ce qui moins loin est Portugais. La découverte de ce qui deviendra le Brésil sera donc une aubaine pour le Portugal.

À gauche, les délimitations des traités d’Alcaçovas et de Tordessillas. À droite, la même chose avec une orientation plus moderne, avec le Nord, au nord…

Je pense que vous avez suivi cette révision de vos cours d’histoire, je passe donc à l’étape suivante…
Les Brésiliens Portugais et les Espagnols, tout autour, cherchaient à étendre leur domination sur la plus grande partie de la Terre nouvelle. Les Portugais ont défoncé la limite du traité de Tortessillas en creusant dans la partie amazonienne du continent, mais ils convoitaient également les terres plus au Sud et qui étaient sous dominance espagnole, là où est l’Uruguay actuel. Les Espagnols, qui avaient un peu négligé cette zone, établirent Montevidéo pour mettre un frein aux prétentions portugaises.
La situation est restée ainsi jusqu’à la fin du 18e siècle, à l’intérieur de ces possessions espagnoles et portugaises, de grands propriétaires commençaient à bien prendre leurs aises. Aussi voyaient-ils d’un mauvais œil les impôts espagnols et portugais et ont donc poussé vers l’indépendance de leur zone géographique.
Les Argentins ont obtenu cela en 1816 (9 juillet), mais les Espagnols se sont retranchés dans la partie est du Pays, l’actuel Uruguay qui n’a donc pas bénéficié de cette indépendance pourtant signée pour toutes les Provinces-Unies du Rio de la Plata.
Le 12 octobre 1822, le Brésil (7 septembre) proclame son indépendance vis-à-vis du Portugal par la voix du prince Pedro de Alcântara qui se serait écrié ce jour-là, l’indépendance ou la mort ! Il est finalement mort, mais en 1934 et le brésil était « libre » depuis au moins 1825.
Dans son Histoire du Brésil, , remet en cause cette déclaration du prince héritier de la couronne portugaise qui s’il déclare l’indépendance, il instaure une monarchie constitutionnelle et Pedro de Alcântara devient le premier empereur du Brésil sous le nom de Pierre Ier. Révolutionnaire, oui, mais empereur…
Donc, en Uruguay, ça ne s’est pas bien passé. Artigas qui avait fait partie des instigateurs de l’indépendance de l’Argentine a été contraint de s’exiler au Paraguay à la suite de trahisons, ainsi que des dizaines de milliers d’Uruguayens. Parmi eux, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe.

Juan Antonio Lavalleja (photos de gauche) et Manuel Oribe, les meneurs des 33 orientales. Ils seront tous les deux présidents de le la république uruguayenne.

Où on en vient, enfin, aux 33 orientales

Après de terribles péripéties, notamment de Lavalleja contre les Portugais-Brésiliens qui avaient finalement délogé les Espagnols de Montevideo en 1816, il fut fait prisonnier et exilé jusqu’en 1821. L’année suivante, le Brésil obtenait son indépendance, tout au moins son début d’indépendance. Lavalleja se rallia du côté de Pierre 1er, voyant en lui une meilleure option pour obtenir l’indépendance de son pays.
En 1824, il est déclaré déserteur pour être allé à Buenos Aires. Son but était de reprendre le projet d’Artigas et d’unifier les Provinces du Rio de la Plata.
Une équipe de 33 hommes a donc fait la traversée du Rio Uruguay. Une fois sur l’autre rive, ils ont prêté serment sur la Playa de la Agraciada (ou ailleurs, il y a deux points de débarquement potentiel, mais cela ne change rien à l’affaire).

El juramento de los 33 orientales sur la plage selon le peintre Juan Manuel Blanes et l’emplacement du débarquement (dans le cercle rouge). La pyramide commémore cet événement.

Ce débarquement et ce serment, le juramento de los 33 orientales marquent le début de la guerre d’indépendance qui se prolongera dans d’autres guerres surnommées Grande et Petite. Les Britanniques furent mis dans l’affaire, mais ils pensèrent plus aux leurs, d’affaires, que d’essayer d’aider, n’est-ce pas Monsieur Canning (qui a depuis perdu la rue qui portait son nom et qui s’appelle désormais Scalabrini Ortiz) ? Le salon Canning connu de tous les de tango est justement situé dans la rue Scalabrini Ortiz (anciennement Canning).
Les Argentins, dont le président Rivadavia espérait unifier l’ancienne province orientale à l’Argentine, ils se sont donc embarqués dans la guerre, mais le coût dépassait sensiblement les ressources disponibles. Le Brésil recevait l’aide directe des Anglais, l’affaire était donc assez mal engagée pour les indépendantistes uruguayens.
Un projet de traité en 1827 fut rejeté, jugé humiliant par les Argentins et futurs Uruguayens indépendants.
La Province de Buenos Aires, dirigée par Dorrego, le Sénat et l’empereur du Brésil se mirent finalement d’accord en 1928. Juan Manuel de Rosas était également favorable au traité rendant l’Uruguay indépendant bien que Dorrego et Rosas ne faisaient pas bon ménage. L’exécution de Dorrego coïncide avec l’ascension au pouvoir de De Rosas et ce n’est pas un hasard…
L’histoire ne se termine pas là. Nos deux héros, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe qui avaient fait la traversée des 33 sont tous les deux devenus présidents de l’Uruguay et de grande guerre à petite guerre, ce sont plusieurs décennies de pagaille qui s’en suivirent. L’indépendance et la mise en place de l’Uruguay n’ont pas été simples à mettre en œuvre. Les paroles du tango de Pereyra et Barreto nous rappellent que ces années firent des victimes.
Les 33 orientales restent dans le souvenir des deux peuples voisins du Rio de la Plata. À Buenos Aires, une rue porte ce nom, elle va de l’avenue Rivadavia à l’avenue Caseros et semble se continuer par une des rues les plus courtes de Buenos Aires, puisqu’elle mesure 50 m, la rue Trole… Au nord, de l’autre côté de Rivadavia, elle prend le nom de Rawson, mais, si c’est aussi un tango, c’est aussi une autre histoire.

Alors, à demain, les amis !

Los 33 orientales. La traversée par les 33. Ne soyez pas étonné par le drapeau bleu-blanc-rouge, c’est effectivement celui des 33. Vous pouvez le voir sur le tableau de Juan Manuel Blanes.