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De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra:

Même si Pedro Laurenz et Juan Carlos Casas ont enregistré dix tangos, la plupart du temps, dans les milongas, seuls quatre de ces titres sont diffusés par les DJ. Ces titres le méritent, mais cela occulte les autres enregistrements qui peuvent permettre de faire des tandas plus intéressantes. En effet, les titres habituels sont tellement proches qu’on a l’impression de danser plusieurs fois le même titre.

Extrait musical

Partition de Puro puapo, version Laurenz et Meaños.
De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

Deux accords au piano d’Héctor Grané, puis l’appel qui fait se souvenir que Laurenz était bandonéoniste (ici, accompagné au bandonéon par Ángel Domínguez et Rolando Gavioli). Avec le complément de la contrebasse de Alberto Celenza, le rythme très marqué des bandonéons et du piano se continue. Il faut attendre presque une minute pour que les violons s’expriment de façon plus audible et encore, pour quelques secondes. À 1:25 un très beau motif du violoniste Mauricio Mise annonce l’intervention de Juan Carlos Casas qui débute à 1:45. La voix parfaitement déliée s’intègre dans le phrasé agressif des bandonéons qui, lorsque Casas termine le seul refrain, reprennent jusqu’au final le rythme puissant.

Paroles

Entre cortes y quebradas,
suave rezongué en tu oído
todo mi verbo florido
que te dijo mi querer.
Vos mostraste en tu sonrisa
toda tu coquetería,
y yo, vencida mi hombría…
Yo que siempre supe vencer.

Pa’ conseguir tu cariño
quiero jugarme la vida
al naipe que me ha gustado…
No es la primera partida
en que mi resto he jugado…
Y si al final copo y gano,
—taura soy en la postura—
hay un facón, brava mano,
coraje y bravura
pa’ hacerme valer.

Lo que yo quiero lo tengo,
y eso por taura y por guapo…
Basta que en un brazo el trapo
tenga y en otro el facón…
Si no bastan mis hazañas
pongo mi coraje a prueba.
¡Nadie ventaja me lleva
cuando está en juego tu amor!
Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños

Juan Carlos Casas ne chante que le refrain (en gras).

Traduction libre

Entre cortes y quebradas (figures de tango archaïques),
J’ai doucement grommelé dans ton oreille
Tout mon verbe fleuri
Que t’a dit mon amour.
Tu as montré avec ton sourire
Toute ta coquetterie (séduction)
et moi, ma virilité vaincue…
Moi qui avais toujours su vaincre.
Pour obtenir ton affection
Je veux risquer ma vie
à la carte qui m’a plu…
Ce n’est pas la première partie
dans lequel j’ai joué mon repos…
Et si à la fin je bois et gagne,
—taura (Caïd), je suis dans la posture —
il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tirer le couteau),
Courage et bravoure
pour me faire valoir.
Ce que je veux, je l’ai
Et cela par taura et par beau (parce que je suis un caïd et beau)…
Il suffit que, dans un bras il y ait le chiffon (étoffe pour protéger. Les gauchos utilisaient leur poncho enroulé sur le bras comme protection)
et dans l’autre, le couteau…
Si mes exploits ne suffisent pas
Je mets mon courage à l’épreuve.
Personne n’a l’avantage sur moi
Quand est en jeu ton amour !

Autres versions

De puro guapo 1935-07-24 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On est tellement habitués à entendre la version de Laurenz et Casas, que cette version pesante de Canaro semble d’une antiquité insupportable. De fait, il semble peu intéressant de substituer cet enregistrement à notre tango du jour. Bien sûr, les amateurs de seront sans doute d’un avis contraire et c’est bien. J’aime la diversité des opinions.

De puro guapo 1935-11-26 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Enregistré seulement quatre mois plus tard, la version de Lomuto se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la version de Canaro. Quelques libertés des instruments allègent également cet enregistrement. La sonorité est plus proche de celle que produira trois ans plus tard Laurenz.

De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre tango du jour.

Les enregistrements suivants seront instrumentaux et chercheront à proposer de nouvelles directions dans l’interprétation de l’œuvre. Je vous invite à juger de la diversité.

De puro guapo 1966 – Leopoldo Federico y Roberto Grela.

Grela que nous avons entendu tant de fois en duo avec Troilo est ici avec Leopoldo Federico. Le bandonéon de ce dernier et la guitare de Grela nous livre un titre très intéressant à écouter, foisonnant de créativité.

De puro guapo 1967-11-29 – Orquesta Aníbal Troilo.

La version de Troilo est assez majestueuse. Elle n’est clairement pas destinée à la danse, même si je connais certains qui me contrediront.

De puro guapo 1968 – Pedro Laurenz con su Quinteto.

Près de 30 ans plus tard, Laurenz remet son titre en jeu. Cette version un peu sautillante ne me convainc pas, mais pas du tout. On a l’impression que les musiciens s’endorment, malgré la présence de la guitare électrique…
Le quintette était formé de Pedro Laurenz (bandonéon), Eduardo Walczak (violon), Rubén Ruiz (guitare électrique), (piano) et Luis Pereyra qui a remplacé le bandonéon par la contrebasse.

De puro guapo 1969-09-18 – Orquesta Juan D’Arienzo.

On réveille tout le monde avec cette version de D’Arienzo. Si on reconnaît des éléments de D’Arienzo, cet enregistrement tardif manque sans doute de la puissance que peuvent manifester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arienzo pour produire un son plus « moderne » dénaturent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour constituer une tanda, même si cela reste dansable.

De puro guapo 1972-11-10 – Orquesta .

Après les recherches de Troilo, cette version marque une autre étape dans la recherche d’une harmonie particulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arienzo tombaient à plat, autant le résultat de Pugliese apporte un suspens musical qui rend l’œuvre passionnante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une attention soutenue pour profiter de tous ces instants subtils.

De puro guapo 1996 – Quinteto Real.

Puisqu’on a décidé de s’éloigner, au fil du temps du tango de danse, cette version du Quinteto Real s’essaye à une synthèse entre les recherches de Pugliese et l’orchestration de Laurenz. Le résultat, au regard des deux modèles opposés a du mal à convaincre, ou pour le moins à me convaincre.

De puro guapo 2002 – La Furca.

La Furca essaye de maintenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a suscité la merveilleuse version de Laurenz Casas a eu peu de descendance à la hauteur.
Je vous propose de terminer ce tour du tango « De Puro Guapo » avec une petite surprise.

Un Puro guapo peut en cacher un autre

Il arrive souvent qu’on demande au DJ un morceau spécifique. C’est généralement le cas pour les démonstrations de danseurs, mais aussi pour les danseurs usuels de la . Souvent (lire, tout le temps), ils sont décomposés quand je leur dis, mais quelle version ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trouvent la version souhaitée.
À ce sujet, j’ai eu, en quelques occasions, des danseurs qui m’ont chanté le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trouver le titre est généralement assez facile, mais quand il y a trente versions, il faut faire preuve de perspicacité.
Parfois, la difficulté vient de ce qu’un orchestre a enregistré deux tangos du même titre, mais différents. C’est par exemple le cas avec De puro guapo qui existe aussi dans une version écrite par Rafael Iriarte (Rafael Yorio) avec des paroles de .
Ce tango a été enregistré par plusieurs orchestres qui ont aussi enregistré la version de Laurenz, par exemple, Francisco Canaro. Mais on se rendra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imaginez le désarroi du couple de danseurs en démonstration si le DJ met le mauvais tango. Le DJ doit savoir poser les bonnes questions et faire écouter le titre aux danseurs , si possible, et les danseurs devraient s’assurer de la version qu’ils souhaitent utiliser en donnant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’enregistrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pouvait enregistrer le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en version de danse et un en version d’écoute…

La couverture de la version de Iriarte et Meaños. Je vous passe les paroles du tango, comme on peut s’en douter en voyant cette illustration, l’histoire est tragique, plus que celle de Laurenz à laquelle elle peut tout de même répondre…
De puro guapo 1927-11-16 – Orquesta Francisco Canaro.

On retrouve le canyengue cher à Canaro. Cette version instrumentale nous dispense de la noirceur des paroles. On remarque que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Laurenz.

De puro guapo 1928-01-14 – con acomp. de , (guitarras).

Gardel avec ses guitaristes nous présente cette chanson tragique.

De puro guapo V2 1928-02-02 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.

Deux semaines après Gardel, Fresedo enregistre le titre dans une version destinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…

De puro guapo 1972-12-13 – con Atilio Stampone y su Orquesta Típica.

Goyeneche nous donne une très belle interprétation de ce titre. Bien sûr, une chanson, bien jolie à écouter et chargée d’émotion.

Comme la version de Laurenz, la version de Iriarte a donné lieu à des interprétations très variées, mais elle n’aura sans doute pas les honneurs du bal, comme la version que Laurenz a enregistrés avec Casas et qui nous ravit à chaque fois.

Bon, laissons les puros guapos à leurs vantardises et méfaits et je vous dis, à bientôt, les amis !

Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi

Impossible que vous ne connaissiez pas immortalisé par Aníbal Troilo et . Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par et . D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.

Extrait musical

Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.

Paroles

Un pedazo de barrio, allá en Pompeya,
durmiéndose al costado del terraplén.
Un farol balanceando en la barrera
y el misterio de adiós que siembra el tren.
Un ladrido de perros a la luna.
El amor escondido en un portón.
Y los sapos redoblando en la laguna
y a lo lejos la voz del bandoneón.

Barrio de tango, luna y misterio,
calles lejanas, ¡cómo estarán!
Viejos amigos que hoy ni recuerdo,
¡qué se habrán hecho, dónde estarán!
Barrio de tango, qué fue de aquella,
Juana, la rubia, que tanto amé.
¡Sabrá que sufro, pensando en ella,
desde la tarde que la dejé!
Barrio de tango, luna y misterio,
¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!

Un coro de silbidos allá en la esquina.
El codillo llenando el almacén.
Y el dramón de la pálida vecina
que ya nunca salió a mirar el tren.
Así evoco tus noches, barrio ‘e tango,
con las chatas entrando al corralón
y la luna chapaleando sobre el
y a lo lejos la voz del bandoneón.
Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi

Traduction libre et indications

Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article).
Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème.
Un aboiement de chiens à la lune.
L’amour caché dans une porte cochère.
Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon.
Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles !
De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils !
Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée.
Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée !
Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois !
Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue.
Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi…
Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train.
C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.

Autres versions

Barrio de tango 1942-12-14 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 – Orquesta .
Ángel D’Agostino et
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tango du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 – Orquesta Aníbal Troilo con .
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 – Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.

Barrio de tango 1971-05-06 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.

Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo

Pompeya, barrio de tango

Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le Riachuelo.

En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.
Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.
Les touristes qui restent à Recoletta ou Palermo ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de pétrole lampant), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.

Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.

Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló

Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló.
Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito.
no le hagas caso
Lejos de Buenos Aires
Tristezas de la calle
Percal
Después
Margarita Gauthier
Cada día te extraño mas
Fruta amarga
De barro
Gime el viento
La noche que te fuiste
Orquestas de mi ciudad
Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente.
On en reparlera…

À bientôt, les amis !

Sueño imaginado 1932-01-05 – Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz

Cieto Minocchio Letra:

C’est sympa de faire des rêves, mais parfois le retour à la réalité est terrible. C’est ce qui arrive au héros de cette magnifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milongas. Ciriaco Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provincianos, l’a enregistrée, il y a exactement 93 ans…

Sueño imaginado 1932-01-05 – Orquesta Típica Los Provincianos con . Dir. Ciriaco Ortiz.

Dès le début on remarque que le titre est conçu sous forme de questions-réponses. L’orchestre lance une question et un soliste donne la réponse.
Si les violons avec Elvino Vardaro sont majoritairement les solistes, les bandonéons, dont celui de Ciriaco Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troilo ont également leurs réparties. Pour les danseurs, ces dialogues sont très intéressants, car cela leur permet de varier l’improvisation. La répétitivité de la structure permet de préparer une « réponse » au cas où les premiers dialogues auraient été loupés dans l’improvisation.
Pour les danseurs moins avancés, les premiers temps de chaque mesure sont marqués par la contrebasse de . C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vraiment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles.
C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère temporel bien marqué.
À 1:58, Carlos Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu surprendre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop perturber les danseurs. On remarquera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sourdine par un discret Poum-Tchi-Tchi, ce qui permet aux danseurs de garder le rythme.
On remarquera la complexité modale de l’œuvre, avec de nombreux changements de , ce qui peut parfois donner une impression de dissonance si on reste sur l’élan de la tonalité précédente.

Il est difficile d’authentifier les instrumentistes de l’orchestre, car les orchestres de la Victor étaient à géométrie variable. Comme ces orchestres se limitaient aux enregistrements, ils se construisaient à chaque session avec des musiciens de premier plan, disponibles.
On considère généralement que les principaux musiciens de Los Provincianos dirigés par Ciriaco Ortiz étaient :
Ciriaco Ortiz, Aníbal Troilo, Horacio Gollino (bandonéonistes)
Carabelli (pianiste)
Elvino Vardaro, Manuel Núñez, Antonio Rossi (violonistes)
Manfredo Liberatore (contrebassiste)

Un des orchestres de la Victor

Cette photo généralement légendée comme étant de Los Provincianos, sans doute à cause de la présence de Ciriaco Ortiz. Cependant, Mercedes Simone n’est pas intervenue dans cet orchestre. Il me semble donc qu’il faut plutôt considérer que c’est une composition mixte, notamment avec l’orchestre Típica Victor de Carabelli dont Ciriaco Ortiz était également membre. On notera la présence du jeune Aníbal Troilo. Sur la droite, le violoniste Benjamín Holgado Barrio qui est à l’origine de la première scission de l’orchestre de D’Agostino. Il réclamait 17 pesos, pour lui et les autres membres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enregistrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Vargas compris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée.
Je propose pour cette photo, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui permet de réunir le plus de protagonistes. Mercedes Simone a enregistré ce jour Circo criollo avec la Tipica Victor (Carabelli). Sur cette photo, il manque Carabelli et, Lesende, qui n’a jamais enregistré avec la Victor est plutôt un intrus. En effet, il enregistrait à l’époque avec deux compagnies concurrentes de la Victor, la Brunswick (avec la Orquesta Típica Brunswick) et avec la Columbia (avec l’orchestre de Antonio Bonavena).
Horacio Gollino est généralement indiqué comme ayant fait partie des premiers bandonéonistes de Los Provincianos. Il était né le 5 février 1911, il aurait donc eu quasi 20 ans, ce qui semble correspondre à l’âge du troisième bandonéoniste de la photo.
José María Otero, qui est toujours très bien documenté, indique que ce serait en fait . Si on observe la photo suivante, représentant l’orchestre de Troilo en 1941, il semblerait que l’on puisse valider l’hypothèse de Toto.

De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Anibal Troilo, Eduardo Marino et . À l’arrière : Pedro Sapochnik, Orlando Goñi, , Kicho Díaz et (qui fit le forcing auprès de Troilo pour remplacer Toto qui était malade). Hugo Baralis a appuyé sa candidature…

Cependant, selon Toto Tango qui est également une source de haute qualité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma datation de la photo est bonne, ce qui semble tout de même un peu jeune et ne correspond pas à l’image. Si on regarde l’âge probable des différents musiciens de la première photo, la date de 1931 est fort plausible ; Troilo fait vraiment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la seconde, il a 27 ans, il semble difficile de considérer qu’il y a beaucoup moins de 10 ans entre les photos.
Je propose donc d’identifier Horacio Gollino sur cette photo, ce qui nous permettra d’avoir enfin un visage à mettre sur ce musicien de grande qualité, qui termina sa vie en donnant des cours de musique sans pouvoir pratiquer le bandonéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.

Paroles

Que sueño aquel tan hondo y cruel
Me vi en la gloria de tu pecho amante
Y a al instante todo se acabo
Fue mi Sueño imaginado
Nada más que un soplo de placer
Que se fumó y una ilusión hecha canción que se apagó
Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti

libre

Quel rêve si profond et cruel.
Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instantanément, tout fut terminé.
C’était mon rêve imaginé,
rien de plus qu’un souffle de plaisir
qui partit en fumée et une illusion faite chanson qui s’éteignait.

Autres versions…

Il n’y a pas d’autre version enregistrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nombreux auteurs de tous types de musique. Je vous propose donc de terminer en réécoutant cette valse.

Sueño imaginado 1932-01-05 – Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz. C’est notre valse du jour.

À bientôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réaliseront.

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos

Letra: Enrique Cadícamo

On disait de Aníbal Troilo qu’il savait faire pleurer son bandonéon, mais ce caractère est souvent attribué à cet instrument, bien qu’il dispose d’un répertoire d’interprétation bien plus vaste qui va de la colère la plus noire à la joie la plus légère. Cette partition de Tanturi avec des paroles de Cadícamo explore le côté triste de l’instrument, ce que sait rendre avec une rare émotion, au chant. Un magnifique tango, sans doute trop méconnu.
La vedette de cette anecdote sera le bandonéon et ses sentiments.

Extrait musical

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos.

Le mode de sol mineur annonce la tristesse du morceau. Il continuera durant toute l’œuvre, sans passage en mode majeur, ce qui donne mieux l’idée de l’oppression subie par le narrateur.
L’orchestre de Tanturi, à l’époque de cet enregistrement, comportait quatre bandonéonistes : Francisco Ferraro, Raúl Iglesias, Héctor Gondre et Juan Saettone.

Paroles

Ven a bailar, que quiero hablarte,
aparte de tus amigas.
Quiero que escuches mi fracaso
y que en mis brazos el tango sigas.
Después de un año vuelvo a hallarte
y al verte me pongo triste,
porque esta noche he de contarte
que por perderte sufro de amor.

Quien sufre por amor
comprende este dolor,
este dolor que nos embarga.
Quien sufre por amor
comprenderá el dolor
que viene a herir
como una daga.
Te tuve y te perdí
y yo qué soy sin ti.
Quien sufre por amor
comprenderá mejor
por qué solloza el bandoneón.

Con su gemir de corazones
los bandoneones lloran su pena,
igual que yo sollozan ellos,
porque en sus notas hay amores
y por amores hoy sufro yo.
Ricardo Tanturi Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre et indications

Viens danser, je veux te parler, à part de tes amis.
Je veux que tu entendes mon échec et que, dans mes bras, tu continues le tango.
Au bout d’un an, je te retrouve, et, quand je te vois, je suis triste, car ce soir, je dois te dire que de t’avoir perdue, je souffre d’amour.
Celui qui souffre par amour comprend cette douleur, cette douleur qui nous submerge.
Celui qui souffre par amour comprendra la douleur qui vient blesser comme un poignard.
Je t’avais et je t’ai perdue et moi, que suis-je sans toi.
Celui qui souffre par amour comprendra mieux pourquoi le bandonéon sanglote.
Avec leurs gémissements de cœur, les bandonéons pleurent leur chagrin, comme moi, ils sanglotent, parce que, dans leurs notes il y a des amours et, pour les amours, aujourd’hui je souffre.

Bandonéons sentimentaux

Il est intéressant de voir que parmi les instruments du tango, c’est le bandonéon qui se partage la vedette en ce qui concerne les titres où il est présent. Voici quelques statistiques pour le tango (pas milonga ou valse).
Le piano, cet instrument majeur, n’est cité que dans une dizaine de titres.
Le violon, cet autre instrument essentiel n’atteint qu’à peine le double du piano.
La guitare, instrument des premiers temps, héritier des payadores, fait à peine mieux que le violon.
Le bandonéon se taille la part du (hommage au Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas). J’ai recensé plus de 80 titres mentionnant son nom (bandó, bandoneón, fuelle ou fueye). J’aurais pu rajouter des milongas et des poèmes à sa gloire, mais avec les titres que j’ai oubliés, on pourrait bien atteindre les 100, soit 10 fois plus que pour le piano…
Si on entre dans le détail des paroles, la suprématie du bandonéon est encore plus forte, mais contentons-nous de lister les titres où le bandonéon est mentionné.

  • A la sombra del fueye
  • A mi hermano fueyero
  • A seguirla bandoneón
  • Alegre bandoneón
  • Alma del bandoneón
  • Aníbal Bandoneón (Aníbal Troilo en symbiose avec son instrument)
  • Arrullos de bandoneón
  • Bandó (composé et interprété par Astor Piazzolla au bandonéon)
  • Bandoneón (au moins 4 tangos différents portent ce nom)
  • Bandoneón amigo
  • Bandoneón arrabalero
  • Bandoneón cadenero
  • Bandoneón campañero
  • Bandoneón de fuego
  • Bandoneón de mi ciudad
  • Bandoneón de mis amores
  • Bandoneón fuiste testigo
  • Bandoneón, guitarra y bajo (petite apparition de la contrebasse, dans un trio de Piazzolla, un autre géant du bandonéon)
  • Bandoneón milonguero (composé par le bandonéoniste Ernesto Baffa)
  • Buénas noches che bandonéon (par le bandonéoniste Juan José Mosalini)
  • Bandoneón…para vos
  • Bandoneón, por qué llorás? (une référence explicite aux pleurs du bandonéon)
  • Bandoneón solo (du bandonéoniste Rodolfo Nerone)
  • Bandoneón trasnochado (du bandonéoniste San Miguel)
  • Calla bandoneón (Carlos Lazzari et Oscar Rubens pour les paroles demandent au bandonéon de se taire, à cause de sa tristesse).
  • Candencia de Bandoneón de Astor Piazzolla (c’est un solo de bandonéon exécuté par son auteur, Mauricio Jost, un des bandonéonistes du )
  • Che bandoneón (por el bandoneón mayor de Buenos Aires, Aníbal Troilo)
  • Compañero bandoneón
  • Con letra de bandoneón
  • Concerto para bandoneón y orquesta (Piazzolla)
  • Concierto Para Bandoneón (encore Piazzolla)
  • Cuando llora el bandoneón
  • Cuando talla un bandoneón (un titre d’un fameux bandonéoniste, Armando Pontier)
  • La danza del fueye (du bandonéoniste Raúl Miguel Garello, un titre jeu de mot évoquant la composition de Manuel de Falla, La danza del fuego ?)
  • De mi bandoneón (par le bandonéoniste Roberto Pérez Prechi)
  • Este bandoneón (d’Ernesto Rossi, encore un bandonéoniste)
  • Este bandoneón sentimental
  • Firuletear de bandoneón
  • Fuelle azul (par le bandonéoniste Domingo Federico)
  • Fuelle querido
  • Fueye…! (Fuelle)
  • Fueye amigo (Fuelle amigo)
  • Fueye querido
  • El hombre del bandoneón
  • Igual que un bandoneón (interprété par les mêmes que notre tango du jour et également en mode mineur intégral, ré mineur. On pourrait être tenté d’en faire une tanda. Pour ma part j’évite de composer les tandas avec des titres un peu trop tristes à la suite).
  • Más allá bandoneón (composé par deux bandonéonistes Ernesto Baffa et Raúl Miguel Garello, on n’est jamais si bien servi que par soi-même)
  • Mientras quede un solo fuelle (Mientras quede un solo fueye)
  • Mi bandoneon y yo (Crecimos juntos) (de , chanteur et… bandonéoniste)
  • Mi fuelle rezonga
  • Mi loco bandoneón (par Piazzolla…)
  • Mi viejo bandoneón
  • Mientras gime el bandoneón (encore une fois, Enrique Cadícamo, l’auteur des paroles du tango d’aujourd’hui, fait résonner la tristesse du bandonéon. Dans ce tango, il est également le compositeur).
  • No la llores bandoneón (Deux des compositeurs sont bandonéonistes Jorge et Alberto Caracciolo. Víctor Lamanna est plutôt parolier, mais le titre est signé des trois, que ce soit pour les paroles et la musique).
  • Mientras rezonga un fuelle
  • Mistongo bandoneón (dans les paroles, El fueye revient au début des vers du couplet :
  • Fuelle… que viniste de tan lejos. / Fuelle… que te hiciste tan, tan nuestro. / Fuelle… santo, endiablado y siniestro, / vos que haces dormir al cielo / abrazado del infierno. / Fuelle… vos… mistongo bandoneón.
  • Música de bandoneón
  • Nocturnal bandoneón
  • Notas de bandoneón (avec Cadícamo aux paroles…)
  • Nuestro bandoneón
  • Pa’ que te oigan bandoneón
  • Pamentos del bandoneón
  • Perdoname fuelle querido
  • Perfume de bandoneón (de Luis Stazo, un autre grand du bandonéon)
  • le canta a su bandoneón (En hommage, bien sûr à Pichuco, Aníbal Troilo)
  • Quejas de bandoneón (le gros succès de Juan De Dios Filiberto qui reprend le thème de la plainte du bandonéon)
  • Se lo conté al bandoneón
  • Sollozo de bandoneón (notre tango du jour)
  • Solo de bandoneón (musique et paroles de Cadícamo qui a décidément un faible pour cet instrument)
  • Son cosas del bandoneón (, l’auteur était également bandonéoniste…)
  • Suite Punta del Este for Bandoneón Solo, Instrumental Ensemble and String Orchestra: Coral (encore un truc de Piazzolla mettant en valeur le bandonéon, donc, lui…)
  • Susurro de bandoneón (Carlos Ángel Lázzari, encore un fameux bandonéoniste, associé à D’Arienzo, mais qui parle ici de murmure, chose qu’il ne devait pas souvent avoir l’occasion de faire avec El Rey del compás).
  • Te llamaremos bandoneón
  • Tocá el bandoneón, Pedrito! (encore un titre composé par le bandonéoniste Raúl Miguel Garello)
  • Tres movimientos concertantes para bandoneón y orquesta (Daniel Binelli, le compositeur était également… Oui, vous avez trouvé ! Bandonéoniste).
  • Un sueño bandoneón (une autre composition du bandonéoniste Domingo Federico)
  • Un fueye en París (Leopoldo Federico, cet attachant bandonéoniste et chef d’orchestre a composé ce titre).
  • La voz del bandoneón (La voix du bandonéon) (par José Lucchesi qui était accordéoniste. Un clin d’œil au cousin, donc).
  • Yo soy el bandoneón (De Piazzolla)
  • Yo te adoro bandoneón

Autres versions

Comme il n’était pas question de vous présenter la centaine de titres mentionnant le bandonéon, je vous propose de terminer avec le seul enregistrement de ce titre, notre tango du jour.

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos. C’est notre tango du jour.

Bonus

Un groupe Facebook sur le bandonéon. J’ai utilisé leur photo de page pour mon illustration de couverture.
Le livre de Gabriel Merlino, Una Arqueología del bandoneón
La version papier est à commander à charlas.concierto@gmail.com.
Les versions électroniques se trouvent ici.
à Gérard Cardonnet, de m’avoir fait penser à signaler ce livre.
À bientôt les amis !

Un bandoneón (fueye, fuelle).

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan Larenza Letra: Lito Bayardo

Ceux qui aiment les milongas dynamiques se ruent en général sur la piste aux premières notes de Milonga querida interprétés par D’Arienzo et Echagüe et ils ont bien raison. Malgré un rythme qui semble soutenu, cette milonga aide les danseurs à s’amuser, ce qui n’est pas autant le cas avec ces milongas que l’on met trop souvent en pensant que les danseurs ne sont pas au niveau… Au contraire, il faut ce type de milonga pour les faire progresser et danser avec joie. Le canyengue n’est pas de la milonga…

Extrait musical

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta con Alberto Echagüe.

Le piano incisif de Juan Polito qui venait de reprendre la main (je devrais dire les deux mains, puisqu’il s’agit de piano) après l’exclusion de de l’orchestre. Deux accords posent le tempo et le piano lance la milonga immédiatement. Des passages traspies (staccato) alternent avec des passages lisses (legato), ce qui permet aux danseurs, à la fois de varier les improvisations et de se reposer un peu, ou pour le moins de prendre leur marque dans le flot de la milonga pour s’intégrer dans l’harmonie du bal.
La vitesse semble très rapide, mais elle est suffisamment modérée pour pouvoir parfaitement jouer avec la musique.
L’attention est soutenue par l’alternance des parties et quand Echagüe commence à chanter, il reste totalement dans le rythme, ce rythme cher à D’Arienzo et qu’il ne sacrifiera surtout pas pour une milonga.
Les instruments, notamment les cordes et les bandonéons, semblent lancer des piques. Les accords sont brefs, nerveux. On se représente bien D’Arienzo, penché en avant avec l’avant-bras dont le poing est serré, encourageant ses musiciens à donner ces accords, un par un ou par salves nettes dans un staccato très intense, jusqu’aux délivrances des passages liés.
Si vous êtes danseur et intéressé par la musicalité, vous trouverez sans doute pas mal d’inspiration dans cette milonga ponctuée par les fioritures du piano de Polito dans la lignée de Biagi.
La diction de Echagüe, sans doute à son apogée dans cette interprétation, permet de capter les paroles, tout en utilisant la voix comme un instrument rythmique, favorisant la continuité stylistique avec les parties orchestrales.
La fin arrive de façon abrupte, comme si D’Arienzo après avoir lancé les danseurs dans une danse effrénée, voulait les pousser à la faute en les faisant continuer de bouger alors que la musique s’est arrêtée.
Bien sûr, cet est tellement connu que les danseurs ne se laissent pas surprendre, mais on peut imaginer l’ambiance que le titre provoquait lors de ses premières exécutions.

Paroles

No la pintaron los poetas
en sus versos seductores,
ni conocieron su vida
ni el amor de sus amores.
Fue la más linda del barrio
y por linda, codiciada,
y más de cien entreveros
su belleza provocó.

Pero ella bien conocía
quién en silencio la amaba
y a nadie al fin comprendía
pues con ninguno se daba;
por verla sola, muy sola,
mil comentarios se hicieron
y difamaron su nombre
al no conseguir su amor.

Aquel muchacho tan triste,
tan humilde y tan sencillo,
se fue en silencio una noche
del alegre conventillo.
Y aquella piba bonita
por bonita codiciada,
cargó una tarde sus cosas,
y a su barrio no volvió.

Juan Larenza Letra: Lito Bayardo

Traduction libre

Les poètes ne l’ont pas peinte dans leurs vers séducteurs ni ne connurent sa vie ni l’amour de ses amours.
C’était la plus belle du quartier et parce qu’elle était belle, convoitée, et plus d’une centaine de bagarres, sa beauté a provoqué.
Mais elle savait bien qui l’aimait en silence, et elle ne comprenait personne à la fin, car à aucun elle se donnait ;
À la voir seule, très seule, mille commentaires se firent et diffamèrent son nom, car ils n’avaient pas obtenu son amour.
Ce garçon, si triste, si humble et si simple, sortit en silence une nuit du joyeux conventillo (logement collectif pauvre).
Et cette jolie fille, convoitée pour sa beauté, une après-midi, a emporté ses affaires, et elle n’est pas revenue dans son quartier.

Autres versions

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre milonga du jour.
Milonga querida 1990c – y su Orquesta Típica.

Avec l’Uruguayen Villasboas, on reste dans une dimension joueuse. On reconnaît son style et ses arrangements particuliers. Son piano est sans doute moins présent que celui de Polito, cela laisse plus de clarté pour les violons et bandonéons. On pourra peut être moins apprécier la trop grande régularité qui peuvent engendrer de la monotonie. Je pense qu’écouter cette version après celles de D’Arienzo qui lui est antérieure d’un demi-siècle montre bien la différence d’une musique parfaite pour la danse par rapport à une musique sympathique, mais qui ne porte pas aussi bien.

Et un titre identique, mais totalement différent. C’est une création de Eduardo Pereyra (El Chon) qui est encore dans l’esprit canyengue.

Milonga querida 1931-11-23 – Orquesta Edgardo Donato con .


On ne peut pas dire que ce soit vilain, mais sauf pour les amateurs d’encuentros, difficile de résister (dans le sens supporter) à une tanda de ce type…
La fin un peu plus vivante ne sauve pas forcément l’ensemble…

Vous aurez compris que si on me demande « Milonga querida » je proposerai systématiquement la version de D’Arienzo et Echagüe.

Paroles du tango « Milongua querida » de Eduardo Pereyra

querendona
Mi más vieja compañera,
Te llevo en el corazón
Como al más fiel de mis amores.

Tu canción es el recuerdo
De mi vida aventurera,
Que me embriaga de dolor
Al recordar aquel tiempo mejor.

Eduardo Pereyra (El Chon) (Paroles et musique)

Traduction libre du texte de Eduardo Pereyra (El Chon)

Petite milonga amoureuse (qui s’énamoure facilement)
Ma plus vieille compagne,
Je te porte dans mon cœur
Comme le plus fidèle de mes amours.


Ta chanson est le souvenir
De ma vie aventureuse,
Qui m’enivre de douleur
Au souvenir de ces temps meilleurs.
Le texte fait sans doute plus penser aux textes des milongas des payadores qu’au rythme allègre qui en reprendra le nom.

Les auteurs

La collaboration entre Juan Larenza et Lito Bayardo a donné la très célèbre , Mama vieja, que De Angelis enregistrera en forme de , comme la magnifique valse Flores del alma (dont les paroles ont été coécrites avec Alfredo Lucero).

Juan Larenza (1911-1980), pianiste et compositeur

Juan Larenza

Les compositions de Larenza ont été enregistrées par de nombreux orchestres, dont De Angelis, D’Arienzo, Aníbal Troilo (avec le fameux Guapeando) et même Di Sarli.
Sa plus célèbre biographie a été écrite ; justement par Lito Bayardo dans son ouvrage « Mis 50 años con la canción argentina »

Le livre de Lito Bayardo50 años con la canción argentina” dans lequel il parle de son ami Juan Larenza. À droite, Larenza est le deuxième en partant de la droite et Bayardo le troisième.

Manuel Juan García Ferrari (1905-1986), plus connu comme Lito Bayardo, guitariste, chanteur, compositeur et parolier

Bayardo a écrit à la fois des textes de tangos et a composé des tangos dont il était également le parolier. Un des plus connus est sans doute Cuatro enregistré, notamment, par Ricardo Tanturi avec Enrique Campos, Francisco Canaro avec et Rodolfo Biagi avec Alberto Amor.

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna () (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre tango du jour, El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.

Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition.
Curieusement, n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor.
Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.

Extrait musical

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta con . Le titre commence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó.
Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Tengo un pingo que en el barro
cualquier carro
tira y saca.
Overo de anca partida,
que en un trabajo de cuarta
de la zanja siempre aparta
¡Chiche!
la rueda que se ha quedao.

Yo que tanta cuarta di,
yo que a todos los prendí
a la cincha de mi percherón,
hoy, que el carro de mi amor se me encajó,
no hay uno que pa’ mi
tenga un tirón.

En la calle del querer
el amor de una mujer
en un bache hundió mi corazón…
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este profundo zanjón!

Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Cuando ve mi overo un carro
compadreando
se le atraca.

No hay carga que me lo achique,
porque mi chuzo es valiente;
yo lo llamo suavemente
¡Chiche!
Y el pingo pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

Traduction libre et indications

C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.

Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
J’ai un pingo (cheval en lunfardo) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée.
Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur…
Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond !
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le contact d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El cuarteador 1941-10-06 – Orquesta con .
El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de Tres esquinas.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas

El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre.
Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes.
Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.

À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…

Voici comment les voyageurs , narrèrent leur traversée de la entre Buenos Aires et Santa Fe.

« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages.
Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force.
À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais.
De cette façon, nous avons traversé avec tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »

La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’illustration de l’anecdote.

On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services.
Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Enrique Francini; Letra:

J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enregistrée un 2 septembre. Il s’agit de «  ». Il existe beaucoup de versions de ce petit coin de ciel, de paradis perdu. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réalisée par con , mais nous écouterons mon autre préférée, celle enregistrée 16 jours plus tard par Aníbal Troilo et .

Extrait musical

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá.
Deux versions de la couverture de la partition encadrent la partition pour piano.

Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélectionné des musiciens de tout premier plan, comme Enrique Francini violoniste et Héctor Stamponi pianiste, les deux compositeurs, même si à l’époque de l’enregistrement Stamponi avait quitté l’orchestre, remplace par Osmar Maderna.
On entendra un merveilleux solo de violon par l’auteur (à 35s), Francini, et plus discret, sauf à la fin, son compère bandonéoniste Armando Pontier. Maderna, Pontier et Francini se partagent la vedette avec Podestá.

Paroles

La casa tenía una reja
pintada con quejas
y cantos de amor.
La noche llenaba de ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
que entonces reías
si yo te leía
mi verso mejor
y ahora, capricho del tiempo,
leyendo esos versos
¡lloramos los dos!

Los años de la infancia
pasaron, pasaron…
La reja está dormida de tanto silencio
y en aquel pedacito de cielo
se quedó tu alegría y mi amor.
Los años han pasado
terribles, malvados,
dejando esa esperanza que no ha de llegar
y recuerdo tu gesto travieso
después de aquel beso
robado al azar…

Tal vez se enfrió con la brisa
tu cálida risa,
tu límpida voz…
Tal vez escapó a tus ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
Tus ojos de azúcar quemada
tenían distancias
doradas al sol…
¡Y hoy quieres hallar como entonces
la reja de bronce
temblando de amor!…

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

libre

La maison avait une clôture peinte de plaintes et de chansons d’amour.
La nuit remplissait de cernes, la clôture, le lierre et le vieux balcon…
Je me souviens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et maintenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleurons tous les deux !
Les années de l’enfance sont passées, passées…
La clôture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour.
Les années ont passé terribles, méchantes, laissant cet espoir qui ne viendra jamais et je me souviens de ton geste espiègle après ce baiser volé au hasard…
Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpide se sont refroidis avec la brise…
Peut-être que la clôture, le lierre et le vieux balcon ont échappé à tes cernes…
Tes yeux de sucre brûlé avaient des distances dorées au soleil…
Et aujourd’hui tu veux retrouver comme avant la grille de bronze tremblante d’amour !…

Autres versions

Il y a deux versions parfaites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tango. Les voici.

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est notre .
Pedacito de cielo 1942-09-18 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Il y a beaucoup d’autres versions, sans doute pas autant que le nombre de bougies qui m’attend, mais je compléterai sans doute la liste un de ces jours…

Sachez juste qu’il y a aussi un tango du même titre qui a été composé par José Martínez et que l’on connaît surtout par la belle version de1927 par que voici :

Pedacito de cielo 1927-05-11 – Orquesta Agesilao Ferrazzano. Un petit cadeau pour ceux qui n’aiment pas les valses (les pauvres).

À bientôt, les amis.

Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Hier, en fouillant dans les vidéos de La yumba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon attention. Il s’agit d’un concert donné en 1987 où Roberto Goyeneche a été accompagné par l’orchestre de . Cette rencontre au sommet entre ces deux idoles du tango a donc été filmée et j’ai pensé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enregistré il y a exactement 37 ans, jour pour jour.
Je pourrai rajouter que les auteurs sont eux aussi plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Carlos Gardel et José Razzano pour la composition et Celedonio Esteban Flores pour les paroles.

Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Partition de Mano a mano de Carlos Gardel et José Razzano avec des paroles de Celedonio Flores.
Mano a mano – Roberto Goyeneche con Osvaldo Pugliese y su orquesta. public au Teatro Opera de Buenos Aires (Avenida Corrientes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un monument d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tango.

Paroles

Rechiflado en mi tristeza, te evoco y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una buena mujer.
Tu presencia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste buena, consecuente, y yo sé que me has querido
cómo no quisiste a nadie, como no podrás querer.

Se dio el juego de remanye cuando vos, pobre percanta,
gambeteabas la pobreza en la casa de pensión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y canta,
Los morlacos del otario los jugás a la marchanta
como juega el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infelices ilusiones,
te engrupieron los otarios, las amigas y el gavión;
la milonga, entre magnates, con sus locas tentaciones,
donde triunfan y claudican milongueras pretensiones,
se te ha entrado muy adentro en tu pobre .

Nada debo agradecerte, mano a mano hemos quedado;
no me importa lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habértelos pagado
y, si alguna deuda chica sin querer se me ha olvidado,
en la cuenta del otario que tenés se la cargás.

Mientras tanto, que tus triunfos, pobres triunfos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y placer;
que el bacán que te acámala tenga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los muchachos: Es una buena mujer.
Y mañana, cuando seas descolado mueble viejo
y no tengas esperanzas en tu pobre corazón,
sí precisás una ayuda, si te hace falta un consejo,
acordate de este amigo que ha de jugarse el pellejo
pa’ayudarte en lo que pueda cuando llegue la ocasión.
Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Traduction libre et indications

Entravé (rechiflado peut signifier amoureux, enthousiaste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pauvre vie de paria seulement une femme bonne.
Ta présence de femme (multitude d’acceptions allant de tenancière de bordel à concubine en passant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, conséquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé personne, comme tu ne pourras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pauvre femme (amante, concubine), tu dribblais (essayer d’esquiver, comme au football) la pauvreté dans la pension.
Aujourd’hui, tu as une femme établie (probablement tenancière de maison close), la vie rit et chante pour toi, les morlacos (pesos, argent) de l’otario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchanta (action de jeter des pièces à des personnes pauvres pour qu’elles se jettent dessus en se battant) comme le chat joue avec la misérable souris.
Aujourd’hui, tu as le mate plein d’illusions malheureuses, tu as été gonflé par les otarios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milonga, chez les magnats, avec ses folles tentations, où les milongueras triomphent et chutent, est entrée profondément dans ton pauvre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remercier, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la chargeras sur le compte de l’otario que tu as.
En attendant que tes triomphes, pauvres triomphes éphémères, soient une longue lignée de richesses et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des proxénètes milongueros et que les garçons disent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meuble et que tu n’auras plus d’espoir dans ton pauvre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de conseils, souviens-toi de cet ami qui risquera sa peau pour t’aider de toutes les manières possibles lorsque l’occasion se présentera.

Autres versions

Il y a des centaines d’autres versions, à commencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la formidable camaraderie des gens de tango.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Roberto Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polonais (El Polaco), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne commence sa carrière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mouvement du tango est donc plutôt de la faute de ses parents 😉
En revanche, il compense cela par une diction ferme et un phrasé très particulier qui font que l’on tombe obligatoirement sous son charme.
Arriver tard, n’est pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où à partir des années 50, devient surtout une activité de concert, plus que de danse. La radio, les disques et la télévision étaient friands de ces chanteurs expressifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le public.
Dans les années 40, un de ses collègues de l’orchestre de , le chanteur , lui donna son surnom de Polaco (Polonais).
Son passage dans l’orchestre de Aníbal Troilo affermit sa gloire naissante, mais le fait qu’il donne une vision personnelle des grands titres du répertoire a également attiré la sympathie du public. Il a su ainsi personnaliser son répertoire, en renouvelant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exemple, notre tango du jour avait été particulièrement apprécié, notamment par Carlos Gardel (son auteur), Charlo, , Héctor Palacios, Roberto Maida, Carlos Dante et même (en duo avec Roberto Líster), Carlos Roldán et , el Varon del tango. Il convenait donc de se démarquer et Goyeneche sut le faire, faisant souvent oublier les versions antérieures pour que le public ne retienne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, garganta con arena (gorge avec du sable). Cacho Castaña a d’ailleurs fait une chanson hommage au Polaco, Garganta con arena.

Garganta con arena

Je vous propose de terminer avec la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche. Cacho a composé cette chanson, quelques mois avant la mort de Roberto. Ce dernier en entendant la chanson fredonnée dans la loge par Cacho Castaña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adriana Varela qui était également présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enregistré la chanson, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adriana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous propose de voir maintenant.

Garganta con arena, la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche, ici, en 2010 chanté par Cacho Castaña et Adriana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Polaco Goyeneche, cántame un tango más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un karma: Cantar, siempre cantar

Tu voz, que al tango lo emociona
Diciendo el punto y coma que nadie le cantó
Tu voz, con duendes y fantasmas
Respira con el asma de un viejo bandoneón

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó

Cantor de un tango algo insolente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Cantor de un tango equilibrista
Más que cantor, artista con vicios de cantor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos falta siempre el aire cuando no está tu voz
A vos, que tanto me enseñaste
El día que cantaste conmigo una canción

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó
Cacho Castaña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Polaco Goyeneche, chante-moi encore un tango.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du karma : Chante, chante toujours
Ta voix, qui émeut le tango, disant le point-virgule que personne jamais n’a chanté.
Ta voix, avec des lutins (duendes, sorte de gnomes de la mythologie espagnole et argentine) et des fantômes, respirez avec l’asthme d’un vieux bandonéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le chagrin que Malena n’a pas chanté.
Chante, que Juárez te condamne en blessant ton chagrin avec son bandonéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au bandonéon, ce qui est très rare. Troilo, lui-même, chantait parfois quelques instants, mais jamais une véritable partie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on parlera beaucoup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaudissent.
Et même si tu te meurs, ils ne connaissent pas ta douleur. Chante, que Troilo depuis le ciel, sous ton oreiller, un couplet, il t’a laissé.

Chanteur d’un tango un peu insolent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tango équilibriste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous manquons toujours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chanté une chanson avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Monsieur Goyeneche.

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

(Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Carlos Viván, l’auteur et le compositeur de ce tango fut un bon vivant et ce tango touche de très près sa vie qui fut clairement parmi les plus instables possibles. Le seul point étonnant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le supposer, à la fin de sa vie tourmentée… L’abondance des versions à l’âge d’or et par la suite, prouve que ce sujet touchait la sensibilité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

1940-08-20 -Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno
Partitions de Cómo se pianta la vida de Carlos Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De muchacho rana
Me arrastraron ciegos
En mi juventud
En milongas, timbas
Y en otras macanas
Donde fui palmando
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia
Brindando amoríos
Borracho la alze
Mi vida fue un barco
Cargado de hazañas
Que juntó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezongan los años
Cuando fieros desengaños
Nos van abriendo una herida
Es triste la primavera
Si se vive desteñida

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera

Los veinte abriles cantaron un día
la milonga triste de mi berretín
y en la contradanza de esa algarabía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagando aquellas ranadas
Final de los vivos
Que siempre se da
Me encuentro sin chance
En esta jugada
La muerte sin grupo
Ya ha entrado a tallar

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera
Carlos Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouillard m’ont entraîné à l’aveuglette dans ma jeunesse, dans les milongas (Carlos Viván était un grand danseur de tango), les timbas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma santé.
Mon verre bohème de champagne blond, trinquant aux amours, ivre, je l’ai levé (Carlos Viván était plutôt amateur de Whisky, sans doute à cause de ses origines irlandaises).
Ma vie a été un navire plein d’exploits, qui rejoignit les plages marines et s’échoua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lunfardo, s’enfuir), comme les années grognent quand de féroces déceptions nous ouvrent une blessure.
Le printemps est triste s’il se vit déteint.
Comment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si « Avril » en Argentine tombe en automne, c’est l’équivalent de l’expression « Printemps » pour marquer les années. Dans le vers précédent, il parlait d’ailleurs de printemps) ont chanté un jour la milonga triste de ma lubie et dans la contredanse de ce brouhaha, Il me manquait au plus profond de mon âme une innocence (piolín, verlan de limpio, propre, personne sans casier judiciaire…).
Aujourd’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive toujours.
Je me retrouve sans chance dans ce jeu dangereux.
La mort sans mentir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélection de versions illustrant le succès du thème pendant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 – Azucena Maizani con conjunto
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 – Alberto Vila con guitarras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 – Orquesta Luis Petrucelli con Roberto Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 – Orquesta Pedro Maffia con Carlos Viván.

Carlos Viván chante sa composition. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.

Cómo se pianta la vida 1930 – Roberto Maida acomp. de Orquesta Alberto Castellano.

Roberto Maida avant

Cómo se pianta la vida 1930 – Tania acomp. de Orquesta Alberto Castellano.

Tania avec le même orchestre que Roberto Maida.

Cómo se pianta la vida 1932 – Orquesta Típica Auguste-Jean Pesenti du Coliseum de Paris.

En France aussi, la vie des tangueros est un peu dissolue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre .
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 – Orquesta con Alberto Castillo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 – Orquesta Edgardo Donato con .
Cómo se pianta la vida 1959c – Héctor Mauré con guitarras y bandoneon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche arr. de .

On notera le début impressionnant proposé par Troilo et Plaza qui offre un tremplin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon particulièrement expressive. Une version que je trouve convaincante et touchante. Pas de danse possible, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 – Orquesta con .

C’est la plus originale et travaillée, un cran au-dessus de celle de Troilo, mais il faut être vraiment fan de Córdoba pour être enchanté par cette version. Je préfère les versions de danse ou celle de Troilo avec Goyeneche, mais la beauté du tango est qu’on a le choix et chacun pourra trouver son bonheur dans la très grande variété de ces enregistrements.

Homenajes

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux hommages. C’est en effet un thème récurrent du tango. On célèbre l’ami, le maître, le grand homme ou la grande femme, la mère, souvent. Voici quelques hommages et le dernier va sans doute vous étonner.

Je n’évoquerai pas les dédicaces que l’on trouve notamment sur les partitions. Ce ne sont pas toujours à proprement parler des hommages, car souvent les personnes payaient pour être mentionnées. Je n’évoquerai pas non plus les disques d’hommage à…, puisqu’il s’agit de compilations et pas de titres créés spécialement.
J’évoque donc ici, les thèmes musicaux et les paroles qui rendent hommage, évoquent, citent, des personnes, au sens large.

Hommage avec le nom dans le titre

Une première forme est de tout simplement déclarer dans le titre le nom de la personne à qui on souhaite rendre hommage.
Attention toutefois à ne pas commettre d’erreurs. En effet, les noms de personnalités publiques font le plus souvent référence à un lieu, à une rue, et pas au personnage qui a donné son nom à cet endroit. Par exemple, Rodriguez Peña ou Te espero en Rodriguez Peña ne parlent pas du président argentin, mais de la rue et plus particulièrement du salon qui y était fameux.
Très souvent, ces hommages commencent par A pour indiquer la dédicace, mais ce n’est pas toujours le cas. Voici une petite liste, bien sûr très incomplète, notamment, je n’évoque pas les tangos qui n’ont pas l’objet dans le titre, ou ceux dont le titre vient d’une dédicace postérieure, comme El Entrerriano.

  • A Alfredo Belusi
  • A Ángel Amadeo Labruna
  • A Belisario Roldán
  • A Don
  • A Don Guillermo
  • A Don Javier
  • A Don Juan Manuel
  • A Don Nicanor Paredes
  • A Don Pedro Maffia
  • A Don Pedro Santillán
  • A Don Canaro
  • A Ernesto Sábato
  • A Evaristo Carriego
  • A Firpo
  • A
  • A Francisco
  • A Francisco de Caro
  • A Gabino Sosa
  • A Homero
  • A Homero Manzi
  • A Horacio Salgan
  • A Orlando Goñi
  • A Ireneo Leguisamo (« El Pulpo » o « El Maestro »)
  • A Juan Carlos Copes,
  • A Leopoldo Federico
  • A Lo Pirincho
  • A Lucina y Joe
  • A Luis Luchi
  • A Magaldi
  • A Mancuso
  • A Marta Rosa
  • A Martin Fierro
  • A Mercedes
  • A Natalio Pescia
  • A Orlando Goñi (Orlando Goñi)
  • A Pedro Maffia
  • A Quinquela Martin
  • A Raúl Berón
  • A Ricardo Catena
  • A Roberto Ari
  • A Roberto Grela
  • A Roberto Perfumo
  • A Rosalía
  • A Salvador Allende
  • Adiós Arolas (Se llamaba Eduardo Arolas)
  • (El ruiseñor)
  • Aníbal Troilo
  • Arolas
  • Callejas solo (A Alfredo Callejas)
  • Celedonio
  • Con T de Troilo
  • Cumbrera (Carlos Gardel)
  • D’Arienzo vos sos el rey
  • D’Arienzo y Palito
  • Discos de Gardel
  • Don José Maria
  • Don Juan
  • Don Orlando
  • El fueye de Arolas
  • El Tigre
  • El Yakaré (Elías Antúnez)
  • Gardel
  • Gardel que estas en los cielos
  • Gardel – Razzano (El morocho y el Oriental)
  • Gerardo Matos Rodriguez
  • Gricel
  • La negrita María
  • Luís maría
  • Margo
  • Margot
  • María
  • María Barriento
  • María Cristina
  • María de Buenos Aires
  • María Del Carmen
  • María Dolores
  • María Esther
  • María Lando
  • María Remedios
  • María Trinia
  • Mariana
  • Mariángel
  • Marianito
  • Madame Ivone
  • Mi Ana María
  • Mi maría Rosa
  • Mi Marianela
  • para Gardel
  • Negra María
  • Para Eduardo Arolas
  • Pericon por María
  • Pirincho (Canaro)
  • Que le parece Dona María
  • Retrato de Alfredo Gobbi
  • Rincón por María
    Tango a Pugliese
  • Un ADN a Gardel
  • Violín
  • Zorro plateado (Máximo Acosta)

Personnes difficiles à identifier

On parle d’une personne précise, mais il est difficile d’être sûr de la personne évoquée, il s’agit parfois d’un être imaginé à partir de plusieurs personnes, comme Zorro Gris.

  • A lo Magdalena
  • A lo Megata
  • A mi mariucho
  • Griseta
  • La Marianella
  • María celosa
  • María la del portón
  • María morena
  • Mariposa (papillon)
  • Otario que andas penando
  • Pobre Margot
  • Señorita María
  • Tu nombre es María
  • Yo soy María
  • Zorro gris

Dédicaces génériques

Elles peuvent être utilisées pour différentes personnes, par exemple, les mères en général

  • A la mujer argentina
  • A los amigos
  • A los artistas plásticos
  • A los maestros
  • A los míos
  • A los muchachos
  • A los obreros gráficos
  • A los payadores
  • A los que se fueron
  • A mi esposa
  • A mi
  • A mi madrecita
  • A mi padre
  • A mi vieja
  • A mis compañeros
  • A mis tíos
  • A mis viejos
  • A su memoria
  • A un semejante
  • El ingeniero (ingénieurs diplômés dans les universités argentines).

Les dédicaces à Canaro

  • A Don Pirincho Canaro (déjà cité)
  • A lo Pirincho
  • Canaro
  • Canaro en Córdoba
  • Canaro en Japón
  • Canaro en Paris
  • Pirincho

Les sélections

Les selecciones sont des titres qui mélangent plusieurs morceaux. On les appelle aussi Popurri (Pots-pourris).
Il en existe de différents auteurs et/ou compositeurs, par exemple Arolas, Canaro, De Caro, Delfino, Di Sarli, Discepolo, Gardel, , Piazzolla, Troilo… C’est une forme d’hommage qui consiste à mettre en valeur des compositions ou d’un compositeur ou auteur particulier.
Sans le titre seleccion ou popurri, on trouve également

  • Homenaje a Carlos Gardel
  • Recordando a Discepolo
  • Homenaje a Eduardo Rovira

Les à la manière de

Il s’agit d’œuvres où on imite le style de la personne à qui on souhaite rendre hommage. Je parle de compositions, pas des orchestres qui jouent à la manière de…

  • Engobbiao (Alfredo Gobbi)
  • Pichuqueando (Canaro)
  • Puglieseando  (Pugliese)
  • Tango a Pugliese (Pugliese)

San Pugliese

Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi on disait « San Pugliese », ce qui veut dire Saint Pugliese.
Don Osvaldo était athée, communiste de surcroît et donc, difficilement canonisable, du moins par le Vatican, même avec un Pape d’origine argentine.
Mais les Argentins ont de la ressource et l’idée de créer une image « pieuse » (Estampita) à l’image de Pugliese est venue à Carlos Villaba à la vue des images pieuses qui se distribuent dans les églises.
Il confia le texte à Alberto Muñoz qui souhaita garder l’anonymat et c’est pour cette raison qu’il n’est pas signé. Ce qui est amusant, c’est que plusieurs personnes ont revendiqué l’écriture, ce qui, pour Alberto était la preuve que cela fonctionnait.
L’image d’origine est constituée d’une photo de Pugliese sur laquelle un œillet a été ajouté. C’est l’œillet qui était placé sur le piano quand Pugliese était absent (généralement en prison…) lors des concerts.

San Pugliese. À gauche, Recto et verso de l’image « pieuse » originale (estampita). À droite, trois versions plus récentes.

La mention « San Pugliese », reprend le principe des images pieuses, comme celle de San Expedito, le saint des causes justes et urgentes…

Une image pieuse dédiée à San Exposito.

Un documentaire est sorti il y a quelques mois sur San Pugliese. Je vous invite à le voir, si vous en avez l’occasion, il est passionnant.

Bande annonce de San Pugliese

https://filmfreeway.com/SanPugliese
Le site et la bande annonce de San Pugliese.

https://www.facebook.com/sanpugliesedocumental
La page Facebook est également intéressante

Texte de la prière à Saint Pugliese

Protégenos de todo aquel que no escucha. Ampáranos de la mufa de los que insisten con la patita de pollo nacional. Ayúdanos a entrar en la armonía e ilumínanos para que no sea la desgracia la única acción cooperativa. Llévanos con tu misterio hacia una pasión que no parta los huesos y no nos deje en silencio mirando un bandoneón sobre una silla

Traduction libre de la prière à Saint Pugliese

« Protège-nous tous ceux qui n’écoutent pas. Protège-nous de la mufa (mauvaise humeur) de ceux qui insistent avec la cuisse de poulet nationale. Aide-nous à entrer en harmonie et éclaire-nous afin que le malheur ne soit pas la seule action coopérative. Emmène-nous avec ton mystère vers une passion qui ne brise pas les os et ne nous laisse pas en silence regardant un bandonéon sur une chaise ».

Comment utiliser la prière à San Pugliese

Les musiciens argentins, même ceux qui n’ont rien à voir avec le tango respectent San Pugliese et l’invoquent pour que tout se passe bien. Sur les scènes, on peut voir des images de San Pugliese et quand tout ne se passe pas pour le mieux, il convient de conjurer le mauvais sort en criant Pugliese – Pugliese – Pugliese. Ne croyez pas que c’est une superstition, cela fonctionne et beaucoup d’artistes et de techniciens ont la Estampita dans leur portefeuille, placée sur la console ou sur leur instrument.

Clin d’œil final…

Le principe des images pieuses détournées continue d’être utilisée en Argentine et je vous présente pour terminer une image qui me fait mourir de rire. Le nom de l’homme politique Santoro a été découpé en faire San Toro. Jajaja.

Santoro (en un seul mot) est un homme politique argentin, enseignant de formation. La prière demande à ce que les enfants puissent avoir une plave (vancante) à l’école publique.

Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Lucio Demare Letra : Homero Manzi

Malena chante le tango comme personne et cela se sait depuis au moins 1941, date à laquelle Lucio Demare a composé ce tango qui sera inséré dans le film de son frère, Lucas, El Viejo Hucha. Ce magnifique tango qui a bénéficié du talent de Lucio Demare pour la musique et de Homero Manzi pour les paroles a eu, a et sans doute aura longtemps un gros .

Lucio Demare, à gauche, Homero Manzi, à droite. Manzi a écrit le texte, l’a donné à Demare qui a composé hyper rapidement la musique. C’est l’effet Malena.

Extrait musical

Malena, Lucio Demare et Homero Manzi. Partition de . Au centre, une partition que j’ai créée pour expliquer dans mes cours le fonctionnement des parties au tango et comme c’est justement à propos de Malena…
Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Paroles

Malena canta el tango como ninguna
y en cada verso pone su corazón.
A yuyo del suburbio su voz perfuma,
Malena tiene pena de bandoneón.
Tal vez allá en la infancia su voz de alondra
tomó ese tono oscuro de callejón,
o acaso aquel romance que sólo nombra
cuando se pone triste con el alcohol.
Malena canta el tango con voz de sombra,
Malena tiene pena de bandoneón.

Tu canción
tiene el del último encuentro.
Tu canción
se hace amarga en la sal del recuerdo.
Yo no sé
si tu voz es la flor de una pena,
só1o sé que al rumor de tus tangos, Malena,
te siento más buena,
más buena que yo.

Tus ojos son oscuros como el olvido,
tus labios apretados como el rencor,
tus manos dos palomas que sienten frío,
tus venas tienen sangre de bandoneón.
Tus tangos son criaturas abandonadas
que cruzan sobre el barro del callejón,
cuando todas las puertas están cerradas
y ladran los fantasmas de la canción.
Malena canta el tango con voz quebrada,
Malena tiene pena de bandoneón.

Lucio Demare Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Les paroles sublimes de Manzi se suffisent à elles-mêmes. Je vous en laisse savourer la poésie à travers ma traduction (ou celle de Google, pour ceux qui lisent dans une autre langue que l’espagnol ou le français).

Malena chante le tango comme personne et dans chaque couplet, met son cœur.
À l’herbe des banlieues, sa voix parfume, Malena a une peine de bandonéon.
Peut-être que dans son enfance, sa voix d’alouette a pris ce ton obscur de ruelle, ou peut-être cette romance qu’elle ne nomme que lorsqu’elle est triste avec l’alcool.
Malena chante le tango d’une voix d’ombre, Malena a une peine de bandonéon.
Ta chanson a le froid de la dernière rencontre.
Ta chanson devient amère dans le sel de la mémoire.
Je ne sais pas si ta voix est la fleur d’un chagrin, je sais seulement qu’à la rumeur de tes tangos, Malena, je te sens meilleure, meilleure que moi.
Tes yeux sont sombres comme l’oubli, tes lèvres sont serrées comme le ressentiment, tes mains sont deux colombes qui ont froid, tes veines ont du sang de bandonéon.
Tes tangos sont des créatures abandonnées qui traversent la boue de la ruelle, lorsque toutes les portes sont fermées et que les fantômes de la chanson aboient.
Malena chante le tango d’une voix cassée, Malena a une peine de bandonéon.

Autres versions

On considère généralement que c’est Troilo qui a lancé le titre. Ce n’est pas faux, mais en fait Demare l’interprétait avec Juan Carlos Miranda, dès 1941 au Cabaret Novelty.

Le cabaret Novelty où jouait Lucio Demare et où il inaugura Malena avec Juan Carlos Miranda. Photo de 1938 (3 ans plus tôt).

D’accord, il le jouait, mais il ne l’a pas enregistré alors c’est bien Troilo le premier. Que non, mon ami. Lucio Demare l’a enregistré avec Juan Carlos Miranda à la fin de 1941, mais cette version est restée « secrète » jusqu’au 29 avril 1942.
Il s’agit de la version enregistrée pour le film El Viejo Hucha, réalisé par Lucas Demare, son frère et avec Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda.
Et voici donc la première version enregistrée qui est bien de Lucio Demare avec Juan Carlos Miranda. Juan Carlos Miranda qui chante dans l’ est remplacé dans le film par OsvaldoMiranda, mais rien à voir avec l’autre Miranda, car Juan Carlos s’appelait en fait Rafael Miguel SciorraOsvaldo a également chanté, mais pas dans ce film, à ses débuts avant de devenir acteur. Il était ami avec Manzi (que le monde est petit…).

Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda qui chante Malena dans le film El Viejo Hucha.
Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.

C’est le vrai faux premier enregistrement et le premier sorti en disque.

Malena 1942-01-23 – Orquesta Lucio Demare con Juan Carlos Miranda.

Une autre version de Demare et Miranda (le vrai), en disque, 15 jours après Troilo.

Malena 1950-12-12 – Quintin Verdu et son Orchestre con .

Cet attachant orchestre français propose sa version de Malena.

Malena 1951-09-20 – Orquesta Lucio Demare con Héctor Alvarado.

Le compositeur enregistre sa troisième version du titre. Le chanteur, Alvarado âgé alors de 25 ans, est le seul chanteur de l’orchestre à l’époque. Demare l’a engagé l’année précédente. Sa voix correspond bien au style de l’orchestre, on comprend donc le choix de Lucio.

Malena 1951 – Orquesta José Puglia – Edgardo Pedroza con Francisco Fiorentino.

L’orchestre Puglia-Pedroza est assez rare, mais ils ont recruté un bon chanteur pour cet enregistrement. La partie orchestrale de l’introduction est un peu trop appuyée, avec des nuances exagérées. Si la voix de Fiorentino crée rapidement son cocon, la transition avec l’introduction est un peu rude. Par la suite, l’orchestre sera plus raisonnable et plus en accompagnement. Une version qui aurait pu être meilleure, mais qui vaut d’être écouté tout de même.

Malena 1952 – Orquesta Aníbal Troilo con arr. de Héctor Artola.

Aníbal remet sur disque le titre, cette fois avec des arrangements de Artola, un arrangeur très réputé, qui après avoir été pianiste et bandonéoniste s’est concentré sur la direction d’orchestre et les arrangements. Il composa aussi quelques titres.

Malena 1955-08-02 – Orquesta Francisco Canaro con .

Cela faisait un petit moment que Canaro n’avait pas pointé son nez. Le voici, avec une version assez différente, avec un rythme bien marqué. Disons que c’est une tentative de replacer le titre du côté de la danse. L’interprétation de Rolón, s’accommode toutefois de la rigueur de l’orchestre, mais je trouve qu’il reste quelques aspérités qui font que l’œuvre ne coule pas de façon parfaitement fluide.

Malena 1961 – Edmundo Rivero con orquesta.

Une version puissante par Rivero.

Malena 1963c – Astor Piazzolla con Héctor de Rosas.

Un Piazzolla, à écouter, mais il vous réserve une autre version 4 ans plus tard qui décoiffe plus.

Malena 1965 – Orquesta Miguel Caló con Roberto Luque.

J’ai un peu de mal à accrocher avec cette version. Je ne la proposerai pas en milonga.

Malena 1965 – Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Le fait que Gagliardi parle assez longtemps rend le titre peu propice à la danse. Mais de toute façon, Caló ne sera vraiment pas mon choix pour faire danser avec Malena.

Malena 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta con voz de mujer.

Une autre interprétation, plus innovante. Avec Astor, on est à peu près sûr de ne pas être dans le champ de la danse, alors, on écoute, tranquillement ou anxieusement cette version foisonnante ou de temps à autre le thème de Malena vient distiller sa sérénité relative. La voix de femme « céleste » qui termine comme une sirène mourante et les claquements terminent le titre de façon inquiétante.

Malena 1974-12-11 – Orquesta .

Pour beaucoup, c’est la Malena de l’île déserte, la version qu’il faut emporter. Il faut dire que Pugliese nous livre ici un exceptionnel. Malgré sa grande puissance expressive, il pourra être considéré comme dansable par les les moins farouches. Si on a entendu ci-dessus, des versions décousues, manquant d’harmonie ou de cohérence, ici, c’est une surprise, chaque mesure suscite l’étonnement, tout en laissant suffisamment de repères pour que ce soit relativement dansable. Ceux qui trouvent que c’est difficile, vu que c’est le tango de l’île déserte, ils auront tout le temps de s’approprier la musique pour la danser parfaitement.

Qui est Malena ?

Il y a six prétendantes sérieuses au titre et sans doute bien d’autres.

6 des Malena potentielles. Si vous lisez les articles ci-dessous, vous pourrez savoir qui elles sont et élire celle qui vous parait la plus vraisemblable…

Ceux qui veulent savoir qui était Malena peuvent jeter un œil sur l’article de TodoTango
https://www.todotango.com/historias/cronica/89/Malena-Quien-es-Malena
Ou sur celui de la Nacion avec des photos de prétendantes
https://www.lanacion.com.ar/lifestyle/quien-fue-malena-mitos-y-verdades-sobre-la-leyenda-del-tango-que-inspiro-a-homero-manzi-y-cantaba-nid26042022
Ou encore : https://rauldeloshoyos.com/el-dia-de-malena-manzi-demare/
mais j’ai plein d’autres propositions et je trouve qu’au fond, ce n’est pas si important. C’est à chacun de mettre l’image de sa Malena sur ce tango.

À demain, les amis !

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tango qui ne laisse pas les tangueros se reposer, notamment dans cette version. Les deux Pedro, Laurenz puis Maffia ont créé un monstre qui aspire toute l’énergie vitale des de la première à la dernière note. Le charme semble aussi avoir opéré également sur les directeurs d’orchestre, car de très nombreuses versions en ont été enregistrées. La version du jour est par l’un des deux compositeurs, Laurenz avec Juan Carlos Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tango a été donné par De Grandis qui avait écrit un texte, sur la misère de l’abandon. En 1925-1926, il était violoniste dans le sexteto du bandonéoniste Enrique Pollet, celui qu’on retrouvera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe variation finale de Recuerdo.

Un jour que ce sexteto jouait dans son lieu habituel, Le Café El Parque (près de Tribunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Laurenz qui était ami de Pollet prit connaissance du texte et sur l’instant sur son bandonéon, imagina un air pour la première partie, puis il alla le montrer à Pedro Maffia qui était alors au cinéma Select Lavalle, à proximité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maffia fut tellement enthousiasmé qu’il demanda à Laurenz de pouvoir le terminer.
Et ainsi, le tango intégra le répertoire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beaucoup d’autres.
Après cette première vague, le tango fut moins enregistré, juste ressuscité à diverses reprises par Laurenz. La seconde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nouvelle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beaucoup d’orchestres ont ce tango à leur répertoire.
Pedro Laurenz l’a enregistré au moins cinq fois, vous pourrez comparer les versions dans la partie « autres versions ».

Extrait musical

. Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis La dédicace est au Docteur Prospero Deco, qui deviendra le Directeur del Hospital General de Agudos José María Penna de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

Tout commence par un puissant appel du bandonéon qui résonne comme un clairon, puis la machine se met en marche. Le rythme est puissamment martelé, par les bandonéons, la contrebasse, le piano, en contrepoint, des plages de douceur sont données par les violons et en son temps par Juan Carlos Casas, mais à aucun moment le rythme et la tension ne baissent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aussi un magnifique solo de bandonéon, indispensable pour un titre composé par deux bandonéonistes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peuvent prendre du plaisir sans remord. Cette incroyable composition emporte les danseurs et hérisse les poils de bonheur de bout en bout. Cette version est une merveille absolue qui fait regretter que Laurenz et Casas n’ait pas plus enregistré.

Paroles

Campaneo a mi catrera y la encuentro desolada.
Sólo tengo de recuerdo el cuadrito que está ahí,
pilchas viejas, unas flores y mi alma atormentada…
Eso es todo lo que queda desde que se fue de aquí.

Una tarde más tristona que la pena que me aqueja
arregló su bagayito y amurado me dejó.
No le dije una palabra, ni un reproche, ni una queja…
La miré que se alejaba y pensé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Tengo blanca la cabeza!
¿Será acaso la tristeza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a buscar felicidad.

Bulincito que conoces mis amargas desventuras,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me faltan sus caricias, sus consuelos, sus ternuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuántas noches voy vagando angustiado, silencioso
recordando mi pasado, con mi amiga la ilusión !…
Voy en curda… No lo niego que será muy vergonzoso,
¡pero llevo más en curda a mi pobre corazón!

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis

Juan Carlos Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je contemple mon lit et le trouve désolé.
Je n’ai comme souvenir que le petit tableau qui est ici, de vieilles couvertures, quelques fleurs et mon âme tourmentée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est partie d’ici.
Un après-midi plus triste que le chagrin qui m’afflige, elle a préparé son petit bagage et m’a laissé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloigner et j’ai pensé :
Tout à une fin !
Si elle me voyait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire solitude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bonheur.
Petit logis, qui connaît mes mésaventures amères, ne t’étonne pas que je parle tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me manquent ses caresses, ses consolations, sa tendresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Combien de nuits je vais vagabondant, angoissé, silencieux, me souvenant de mon passé, avec mon ami l’illusion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit honteux, mais je supporte mieux mon pauvre cœur quand je suis bourré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les versions par les auteurs (Maffia, 1 version et Laurens, 5 versions).

Amurado 1927-02-11 – Orquesta Roberto Firpo.

Une version calme, sans doute trop calme si on la compare à notre tango du jour…

Amurado 1927-04-08 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une autre version tranquille, exécutée avec conscience, mais sans doute pas de quoi susciter la folie.

Amurado 1927-06-08 – Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie interprétation de Corsini, à écouter, bien sûr.

Amurado 1927-07-20 – Pedro Maffia y Alfredo De Franco (Duo de bandoneones).

Pedro Maffia l’auteur de la seconde partie nous propose ici sa version en duo avec Alfredo De Franco. Une version simple, mais plus rapide que les autres de l’époque. Il nous manque certains instruments auxquels nous sommes désormais habitués pour totalement apprécier cette version qui peut paraître un peu monotone et répétitive.

Amurado 1927-07-22 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Avec seulement deux guitares, Gardel donne la réponse à Corsini qui le mois précédent avait enregistré le titre avec trois guitares. C’est également joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amurado 1927-08-16 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Canaro enregistre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses caractéristiques de l’époque. De jolis traits de violon et bandonéon allègent un peu le marquage puissant du rythme. La voix de Irusta, un peu nasale, apporte une petite variation dans cette interprétation qui ne sera sans doute pas à la hauteur des danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1927-09-07 – Agustín Magaldi con guitarras.

Il ne manquait que lui, après Corsini et Gardel, voici Magaldi. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les versions des deux concurrents, mais ça se laisse écouter.

Amurado 1927-09-12 – Orquesta Julio De Caro.

Je pense que dès les premières mesures vous aurez remarqué la différence d’ambiance par rapport à toutes les versions précédentes. Le rubato marqué, parfois exagéré et la variation du solo de bandonéon sont déjà très proches de ce que proposera Laurenz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui apparaissent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instruments atypiques.

Amurado 1927-12-06 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la modernité, mais la partie d’orchestre est assez sympathique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus difficile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1928 – Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Roberto Fugazot.

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fugazot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pourra que placer un magnifique accord final.

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

C’est notre tango du Jour. Si on note la filiation avec l’interprétation de De Caro, la version donnée par Laurenz est éblouissante en tous points. Il a fait le ménage dans les propositions parfois un peu confuses de De Caro et le résultat est parfait pour la danse.

Amurado 1944-11-24 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Tout en restant fidèle à l’écriture de Laurenz, Pugliese propose sa version avec une pointe de Yumba et son alternance de moments tendus et d’autres, relâchés, et des nuances très marquées. Le résultat est comme toujours superbe, mais beaucoup plus difficile à danser pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version. En , c’est donc à réserver à des danseurs expérimentés ou motivés. L’accélération de la variation en solo du bandonéon qui nous mène au final est tout aussi belle que celle de Laurenz, les danseurs pourront s’y donner rendez-vous pour oublier les petits pièges des parties précédentes.

Amurado 1946 (transmisión radial) – Orquesta Pedro Laurenz.

Six ans plus tard, Laurenz propose une version instrumentale. Il s’agit d’un radiophonique, d’une qualité impossible pour la danse, mais nous avons une version enregistrée l’année suivante.

Amurado 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.

Cette version est très proche et je ne la proposerai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estribillo chanté par Casas va manquer aux danseurs.

Amurado 1952-09-25 – Orquesta Pedro Laurenz.

Après un peu de temps de réflexion, Laurenz propose une nouvelle version, très différente. On sent qu’il a voulu dans la première partie tirer parti des idées de Pugliese, mais la réalisation est un peu plus sèche, moins coulée et la seconde partie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta première version, même si on garde de cette version le final qui est tout aussi beau que dans l’autre.

Amurado 1955-09-16 – Orquesta .

Basso reprend l’appel initial du bandonéon, en l’accentuant encore plus que Laurenz dans sa version de 1940. Un violon virtuose nous transporte, puis le bandonéon tout aussi agile reprend le flambeau. Par moment on retrouve l’esprit de la version de la version de Laurenz en 1940, mais entrecoupée de passages totalement différents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rappels proches de Laurenz peuvent leur faire regretter l’original, mais les idées différentes peuvent aussi éveiller leur curiosité et les intéresser. Peut-être à tenter dans un lieu rempli de danseurs un peu curieux.

Amurado 1956 – con acomp. de y su Orquesta.

Une version à écouter, avec la puissance d’un grand orchestre.

Amurado 1956c – Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, harmoniciste que l’on retrouvera 12 ans plus tard avec une version encore plus intéressante.

Amurado 1959-01-08 – Orquesta José Basso.

Encore Basso, qui s’essaye à l’amélioration de son interprétation et je trouve que c’est une réussite qui devrait intéresser encore plus de danseurs que la version de 1955.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo. Vidal avec ce conjunto de cordes nous propose une version très originale. Sa superbe voix est parfaitement mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dommage que ce ne soit pas pour la danse.

Amurado 1962-04-19 Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa.

Dans la première époque du titre, on avait entendu Corsini, Gardel et Magaldi. Dans cette nouvelle période, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tango. Une version qui fait se dresser les poils de plaisir. Quelle version !

Amurado 1962-12-19 – Aníbal Troilo y en vivo.

Un enregistrement avec un public enthousiaste, qui masque parfois la merveille du bandonéon exprimé par Troilo, extraordinaire.

Amurado 1968 Pedro Laurenz con su Quinteto.

La dernière version enregistrée par Pedro Laurenz, avec la guitare électrique en prime. Une version à écouter, mais pas inintéressante.

Amurado 1972 – .

Le meilleur harmoniciste nous propose une version plus aboutie.

Amurado 1975 – .
Amurado 1981 – Orquesta Leopoldo Federico.

Bien au-delà de la version avec Sosa, l’orchestre s’exprime magnifiquement. On est bien sûr totalement hors du domaine de la danse, mais c’est une merveille.

Amurado 1990 Roberto Goyeneche con arreglos y dirección de Raúl Garello.

Goyeneche manquait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son répertoire. Cet enregistrement comble cette lacune.

Amurado 1995-08-23 – Sexteto Tango.

Une version par les anciens musiciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de versions, vous avez encore une fois un échantillon de la richesse du tango. En général, seules une ou deux versions passent en milonga, mais quelquefois les modes changent et des titres oubliés redeviennent à la mode. Ainsi, le tango reste vivant et quand des orchestres contemporains se chargent de rénover la chose, c’est parfois une seconde chance pour les titres.

Sur ces entrefaites, je vous dis, à demain, les amis.

Samaritana 1932-07-27 – Orquesta Típica Los Provincianos Dir. Ciriaco Ortiz con Alberto Gómez

Luis Rubistein (Musique et paroles)

À Buenos Aires, la majorité des milongas continuent de faire des tandas de 4 titres pour les tangos, et pour quelques-unes, y compris pour les valses, mais uniquement si tous les danseurs dansent, ce qui est généralement le cas. Notre tango du jour est donc, vous l’avez deviné, une valse, sans doute trop peu connue, Samaritana. Elle a été enregistrée il y a 92 ans.

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas avare de valses et que je n’hésite jamais à faire des propositions un peu plus rares, l’avantage des valses est que la majorité reste dansante grâce à la structure particulière à trois temps avec le premier temps accentué (POUM – tchi – tchi). Il est donc plus facile de prendre des risques avec les valses que les tangos et encore plus que les milongas, qui ont le rythme le plus difficile à proposer en .

Los Provincianos

Direction et bandonéon, Aníbal Troilo et (bandonéons), (piano), Elvino Vardaro et Manuel Núñez (violons), (contrebasse) et Alberto Gómez (dit Nico) au chant sont les artistes qui ont mis en musique et enregistré cette valse.

Orquesta Los Provincianos. Vous aurez reconnu le jeune Aníbal Troilo et son bandonéon qui l’accompagnera durant toute sa carrière…

On trouve parfois cet enregistrement sous le nom d’orchestre OTV – Orchestra Típica Víctor. Ce n’est pas vraiment faux, car il s’agit effectivement d’un orchestre créé par la maison de disque Víctor et qui était destiné à enregistrer des disques.
Le premier orchestre, celui qui était dirigé par Carabelli avec le nom de OTV, mais par la suite, la compagnie Víctor décida de multiplier les orchestres et pour s’y retrouver, elle leur donna des nos différents…

  • La Orquesta Típica Los Provincianos, dirigée par Ciriaco Ortiz et qui a enregistré notre valse du jour et qui est en fait la continuation de l’orchestre de Carabelli, d’où le fait qu’on le nomme parfois tout simplement Típica Víctor, comme le premier orchestre et comme on le fera pour les suivants…
  • La Orquesta Víctor Popular,
  • La Orquesta Radio Víctor Argentina, dirigée par Mario Maurano
  • La Orquesta Argentina Víctor
  • La Orquesta Víctor Internacional
  • El Cuarteto Víctor composé de Cayetano Puglisi et Antonio Rossi (violons), Ciriaco Ortiz et (bandonéons)
  • El Trío Víctor composé de Elvino Vardaro (violon) et de Oscar Alemán et Gastón Bueno Lobo (guitares).

Même si cet orchestre n’était pas destiné à jouer en public, les habitués du Cabaret Casanova qui était situé en la rue Maipu, juste en face du Salón Marabú (où a débuté Troilo avec son orchestre, juste en traversant la rue…) et qui existe, lui, toujours, ont pu entendre l’orchestre sur scène.

Extrait musical

Samaritana 1932-07-27 – Orquesta Típica Los Provincianos con Alberto Gómez.

Les violons dessinent les premières notes sur une base staccato du reste de l’orchestre et notamment des bandonéons et de la contrebasse qui marque fermement les premiers temps. Puis s’exprime le sublime violon soliste. Les bandonéons reprennent la voix avec à 35 secondes un curieux (mais génial) glissando. À 1:12, Alberto Gómez lance le chant, toujours en mode mineur, mais ce n’est pas étonnant vu les paroles. Sa voix décontractée enlève la tragédie des paroles, il termine en voix de tête. Il reste ensuite une minute à l’orchestre pour faire oublier le triste des paroles, ce qu’il fait parfaitement, notamment avec la variation finale exécutée principalement par les bandonéons en double croche.

Les orchestres Víctor sont destinés aux disques, mais aux disques pour danseurs et ce n’est donc pas un hasard si les valses de ces orchestres comportent une telle proportion de merveilles.

Paroles

N’ayant pas trouvé la partition, ni les paroles, il s’agit ici uniquement de ce que chante Alberto Gómez.

El dolor, cruzó mi corazón
Golpeando fuerte,
Dejando en su rutina
Frío de muerte,
Que me asesina
Sin compasión.

se ahoga con mi voz
Que es una pena,
Y nada me consuela
De haber perdido,
Lo que he querido
Con tanto amor.

Luis Rubistein (Musique et paroles)

libre des paroles

La douleur a transpercé mon cœur, frappant fort, laissant dans sa routine, le froid de la mort qui me tue sans compassion.
Mon chant s’est noyé avec ma voix, qui est un chagrin, et rien ne me console d’avoir perdu ce que j’ai aimé avec tant d’amour.

Qui est la samaritana ?

Je pose la question, mais je n’ai pas de réponse.
Le sens le plus commun fait référence à la femme de la Bible, la femme au puits.
Par extension, le terme désigne une personne qui se dévoue pour les autres.
Mais ce n’est pas tout, la samaritaine est une pécheresse, car elle a eu cinq « maris » sans être mariée. Cette direction nous rappelle que les prostituées héritent parfois de cette appellation, comme le rappelle la très belle chanson du chanteur espagnol José Luis Perales, .

Samaritanas del amor – José Luis Perales avec sous-titre et traduction possible…

Comme cette valse est orpheline et les paroles incomplètes, on ne peut rester qu’à des suppositions. Mais est-ce si grave si on peut se plonger dans l’ivresse de cette valse ?
On notera que quelques années après l’écriture de cette valse (1938), un « Nostradamus argentin » a qualifié l’Argentine de Samaritana del Mundo, l’Argentine accueillant les peuples meurtris.

Solari Parravicini – Dibujos profeticos

Je ne me prononcerai pas sur la validité des prophéties de Solari Parravicini, mais le fait que Luis Rubistein était sensible au projet sioniste peut l’avoir influencé. Je me garderai de faire tout rapprochement avec l’actualité argentine, en laissant les coïncidences non analysées.

Tristesse et joie du tango

Pour moi, le tango est une pensée joyeuse qui se danse. Si vous écoutez la valse du jour sans faire attention aux paroles, vous ne découvrirez pas la tragédie sous-jacente, vous vous laisserez envelopper par le rythme implacable de la valse en ne pensant à rien d’autre.
Discépolo qui a écrit le contraire de ce que je pense est mort à 50 ans dans une profonde dépression. Un homme malheureux au point de se laisser mourir de faim est-il un bon témoin pour parler du plaisir du tango qui a animé, pendant plusieurs décennies, des milliers de danseurs ? Je n’en suis pas sûr. L’auteur de Vachaché, Yira yira ou Cambalache avait un regard plutôt noir et désabusé sur le monde. Nicolás Olivari assura que Discépolo était la cheville ouvrière de l’humour de Buenos Aires, graissée par l’angoisse. (Olivari écrivait El perno, c’est le boulon, mais aussi la partie qui maintient la tige dans une charnière. J’ai choisi de traduire par la cheville ouvrière qui est la pièce la plus importante des charrettes avec roues avant orientables. Notons qu’en lunfardo, el perno est aussi le membre viril).
Les paroles de Luis Rubistein pourraient paraître de la même veine, mais elles parlent d’une douleur intime, presque théâtralisée, celle que ressent l’amoureux qui a perdu son objet d’amour, elles ne manifestent pas nécessairement un rejet de la société. Par ailleurs, Luis Rubistein est à la fois l’auteur de la musique et des paroles, aussi, il pouvait parfaitement établir l’équilibre entre l’émotion et la tristesse des paroles et l’enthousiasme de la musique.
En Europe, on s’interdit certains tangos, car les paroles parlent de sujets tristes (Juan Porteño, La novena), ici, à Buenos Aires, ils sont passés et bien que tout monde puisse en comprendre les paroles, personne n’y fait attention et tout le monde est sur la piste. C’est peut-être étonnant quand on entend les danseurs chanter les paroles d’autres titres qu’ils connaissent par cœur. En revanche, je ne passerai pas des titres vulgaires comme Si soy así (interprété par Rodríguez avec Herrera).
Ceci pour dire que le tango de danse se fait à partir de la musique et que si la musique donne envie de danser, c’est un tango pour la milonga, sauf à de très rares exceptions. On aura remarqué que même lorsque les paroles faisaient référence à une triste, les tangos de danse n’en reprennent que l’estribillo (refrain), voire un ou deux couplets en plus, mais que généralement, les parties les plus sinistres ne sont pas chantées.
Le tango triste est le tango à écouter, car il diffuse la totalité de l’histoire et que cette histoire peut effectivement être très triste. La voix du chanteur étant mise en avant, l’auditeur ne dispose pas de l’amortissement de la musique et est confronté à la dureté du texte.
On peut se demander pourquoi le tango exprime souvent des pensées tristes. Quand on sait que c’est le pays du Monde où il y a le plus de psys par habitant et que Buenos Aires est la ville qui a le plus de théâtres, il me semble facile d’y voir un début d’explication.
La nostalgie de l’émigré, immigré, souvent issu de populations défavorisées d’Europe, voire d’Afrique, tout cela peut donner une certaine propension à la tristesse, mais ce sont des gens qui ont su dominer leurs difficultés. Ils pensaient arriver dans un espace vierge à conquérir pour se lancer dans une nouvelle vie, mais contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, l’Argentine était déjà entièrement privatisée, aux mains de quelques grandes familles et les conquérants espérant s’établir en vivant de leurs terres ont été réduits à devoir travailler pour les propriétaires ou à s’entasser dans les villes, ou plutôt La ville, pour servir de main-d’œuvre à l’industrie.
Ils ont quitté une misère pour en trouver une autre, loin de leurs racines. Il y avait sans doute de quoi avoir des tendances mélancoliques. Alors, la danse ne pouvait pas être autre chose qu’un exutoire, un sas de décompression, ce qui explique les excès des premiers temps et la circonscription à des lieux interlopes et populaires du tango. C’est quand la bonne société a jugé bon de s’acoquiner, que l’intellectualisation a façonné une autre culture.

El tango tiene los pies en el fango y la cabeza en las nubes

Le tango a les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, c’est ce qui fait sa grandeur et sa richesse.
Tout bon DJ connaît les différents degrés de la musique qui s’adresse aux sentiments, au cerveau, au corps et c’est en jouant sur les différents caractères qu’il anime la milonga.
Le ludique de D’Arienzo, l’urbain de Troilo, l’intellectuel de Pugliese et le sentimental de Di Sarli forment les quatre piliers qui servent à construire une milonga qui donnera à toutes les sensibilités de danseurs, de quoi être heureux. Évidemment, cette répartition que l’on donne comme indication aux DJ débutants est très sommaire et demande à être nuancée.
Il n’est pas question d’équilibrer ces 4 piliers. Selon l’événement, les danseurs et le moment, on favorisera plutôt l’un des piliers. On passera généralement plus de D’Arienzo que de Pugliese, les piliers n’ont pas tous la même taille.
Par ailleurs, mettre dans une de ces quatre cases ces quatre orchestres, c’est oublier qu’ils ont évolué et ont navigué d’une case à l’autre selon les périodes. Il faut donc nuancer la définition des piliers et le dernier point est que d’autres orchestres ont exprimé ces quatre sensibilités et qu’ils peuvent très bien se substituer aux orchestres canoniques.
Malerba et Caló, peuvent aller dans la case romantique, tout comme De Caro et certains Troilo qui peuvent se classer dans la case intellectuelle. Rodriguez ira sans doute dans la case ludique et ainsi de suite.
C’est la raison pour laquelle on alterne les genres. On ne passera généralement pas deux tandas romantiques/ludiques/intellectuelles/urbaines à la suite. On passera d’un des quatre piliers à l’autre dans le but de ne pas laisser sur sa chaise un danseur avec deux tandas qui sont de types qui ne lui parlent pas. Combien de fois avez-vous ressenti de l’ennui en ayant l’impression que c’était « tout le temps pareil », notamment dans ces milongas où le DJ respecte un ordre chronologique, commençant par la vieille garde et terminant par le tango « nuevo » …
Je me souviens d’un danseur, dans une ville française qui fut autrefois pionnière dans le tango (et qui n’est pas Paris), qui après une tanda de Pugliese est venu me dire, ça va être le néotango maintenant ? Ne comprenant pas le sens de sa question, je lui ai demandé des précisions et il m’a dit qu’ici, les DJ commençaient par Canaro et terminaient par du néotango et comme il était relativement tôt dans la soirée, il s’inquiétait de devoir partir, car il ne s’intéressait pas à ce type de musique. Je l’ai rassuré et il est resté, jusqu’à la fin.

Sur ce, je vous dis à demain, les amis…

Danzarín 1963-04-25 – Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza

Julián Plaza

On me demande parfois ce tango en disant, ce tango de Piazzolla, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Angelis qui l’a interprété pour la première fois et c’est Troilo qui l’a rendu célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tournant important dans le microcosme tango à la fin des années 50.

On date souvent l’apparition du tango nuevo de Piazzolla et des années 60. Mais comme toujours, c’est bien plus compliqué que cela.
Dans les années 30, Francisco Canaro était déjà à la recherche de nouveaux styles de tango, mais en fait, les principaux orchestres ont cherché à innover en ajoutant des instruments et en en enlevant d’autres. La flûte a été remplacée par le bandonéon, le piano a fait son apparition, la a été remplacée par la guitare, puis est revenue et repartie, puis des instruments plus ou moins étranges comme la scie musicale (serrucho) parfois remplacée par le theremine qui donne un son très proche bien que purement électronique. Parmi les joueurs de scie musicale, on pourrait citer ou Juan Caldarella.

On entend la scie musicale dans de en 1916 et dans de nombreuses compositions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui…
 Pour le theremine, voici un exemple de jeu sur une pièce classique, le cygne de Saint-Saëns.

Dans les années 40, Canaro, toujours lui, fut un des premiers à utiliser l’Orgue Hammond. Un instrument électromécanique, produisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est simple. Une roue portant des aimants tourne. Elle déclenche un microphone électromagnétique lors de sa rotation (du même type que ceux des guitares électriques). Si un aimant passe devant le microphone 100 fois par seconde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nombre d’aimants est différent. Avec le double d’aiment, à vitesse de rotation égale, le son est deux fois plus aigu.
En faisant varier la vitesse de rotation, on change la hauteur du son de façon continue.
On peut entendre l’orgue Hammond dans Cristal (1944-06-03) de Francisco Canaro (à partir de 1 minute, ou dans Garras (1945-03-15) à partir de 32 secondes. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour profiter de la jolie interprétation du chanteur, Carlos Roldán.

Garras 1945-03-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. Finalement, je vous propose garras, peut-être moins connu que Cristal que je vous invite à écouter de votre côté pour repérer les cloches, autre instrument original…

Piazzolla introduit la guitare électrique qui utilise donc les mêmes microphones que l’orgue Hammond, une décennie plus tard. C’est un nouvel instrument, mais il est loin d’être le premier à l’avoir fait.
J’arrête là la liste des innovations, il y en a trop. C’était juste pour vous démontrer que les nouveautés en tango, c’est vieux. Sinon, on serait toujours au tango des Gobbi et autres joyeusetés.

Extrait musical

Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est également une innovation, dans l’orchestration et le rendu de la musique. C’est également un tango nouveau, une marche dans l’évolution du tango.
Plaza l’a écrit pour la danse, disons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa composition des motifs permettant de pratiquer toutes les figures possibles pour un danzarín, un excellent danseur.

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza.

Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrangement de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retravaillé pour Troilo. Nous verrons cependant la limite de cette intervention un peu plus loin dans cette anecdote…
N’oublions pas que c’est De Angelis qui l’a joué en premier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sembler étonnant. Il est certain que le résultat devait être très différent de celui du premier enregistrement par Troilo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troilo a demandé à Plaza de revoir sa partition pour l’adapter encore plus à son orchestre.

Autres versions

Il y a des centaines d’enregistrements de Danzarin. Faute de pouvoir produire la version de De Angelis, je vais me contenter des deux enregistrements de Troilo. En effet, la très grande majorité des enregistrements postérieurs ont pris la version de Troilo comme modèle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’histoire. La grande époque du tango est terminée, les orchestres cherchent à perdurer, en proposant de nouvelles pistes pour l’écoute et les nouveaux orchestres restent dans les pas des aînés.

Danzarín 1958-12-15 — Orquesta Aníbal Troilo.
Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza. C’est notre tango du jour.

La sonorité est très différente entre les deux enregistrements.
Pour comprendre ce qui se passe, regardons l’analyse du spectre :

La de la version de 1963 donne une impression d’espace. Les instruments sont aussi séparés spatialement. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une on est obligé de limiter la stéréo pour que la répartition soit correcte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable.
La première utilisation de la stéréophonie date de 1881 et c’est une invention du papa de l’avion, Clément Ader qui a eu l’idée de diffuser le son de l’opéra Garnier de à l’aide d’un réseau de câbles électriques reliés d’un côté à deux microphones et de l’autre à deux écouteurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtrophone.
En 1931, , va plus loin en proposant un procédé d’enregistrement et de relecture sur piste unique qui sera quasiment identique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50.
Pour la musique, Disney en 1940 a fait du multipiste pour son film musical Fantasia. Malheureusement, les salles ne se sont pas équipées et le son du cinéma est resté globalement monophonique jusque dans les années 60.
Pour revenir au disque, c’est à partir de 1958 que la stéréophonie est apparue.
Cela implique que tout de l’âge d’or est purement monophonique.
Troilo qui a un peu souffert d’éditeurs médiocres au début de sa carrière cherche à refaire son enregistrement avec le nouveau procédé et c’est le résultat que l’on peut entendre dans la version de 1963. Malheureusement, pour des questions de taille de fichier, il m’est impossible de vous le faire écouter ici en entier [mon fichier original fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que certains DJ considèrent comme un format acceptable en milonga…).

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo

Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien marqué :
0 s : les violons débutent à gauche,
3 s : le piano attaque plutôt au centre et les bandonéons se rajoutent à droite comme un écho du piano.
15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enregistré avec deux microphones en stéréo.
19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplissant tout l’espace sonore de gauche à droite.
34 s : les bandonéons et les violons sont des deux côtés. Le piano est plus au centre.
49 s : les instruments retrouvent leur latéralité, les violons plus à gauche et les bandonéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes conditions, la qualité sonore en vaut la peine.

Différences entre les deux versions

L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres éléments que l’on peut déduire des audiogrammes.

Globalement le spectre est bien rempli dans les deux cas (partie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à environ 20 kHz, on est en présence de deux enregistrements de qualité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absolument identiques. À droite, on remarque que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a entendu dans le court extrait en stéréo, les violons commencent à gauche (donc en haut), puis le piano au centre et enfin les bandonéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus marqué.

On constate que si la version de 1963 est globalement plus lente, ce n’est pas vrai partout. La version de 1958, allongée devrait coïncider avec celles de 1963 pour la « pause » centrale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard.
Le début est plus rapide dans la version de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort semblable jusqu’à 40 secondes, puis la version de 63 est plus rapide. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la version de 1958 3 secondes de retard.
La « pause » centrale arrive à 1 : 42 dans la version de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nouveau synchronisés pour le solo de violoncelle. La version de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beaucoup ralenti, ce qui a permis à la fin de la pause de resynchroniser le violoncelle. Je rappelle que c’est en temps relatif, car j’ai augmenté le temps de la version de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963.
À 2 : 28, la version de 1963 accélère de nouveau, devançant celle de 1958, exactement comme elle l’avait fait lors de la première fois. Ainsi, le solo de violoncelle est de nouveau synchronisé à 1 : 54 et ainsi de suite.

Attention, expérience sensorielle perturbante

Quand je musicalise, j’écoute toujours la musique qui passe sur la piste, mais je prépare aussi la tanda suivante et je cherche une cortina convenable. Ceci fait que j’ai souvent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct.
Je vais vous proposer une version simplifiée de cela en vous présentant un morceau constitué à gauche de la version de 1958 et à droite, de la version de 1963. Ce sera plus simple si vous pouvez l’écouter au casque, ou a minima avec un équipement stéréo bien équilibré.
Cela va vous permettre de constater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…

Danzarin Gauche 1958 Droite 1963 Troilo.

Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pourriez être DJ ; -)

Vous aurez remarqué, sans doute, qu’il n’y a pas de différence notable dans l’orchestration. Je ne comprends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a bénéficié des arrangements de Plaza. Peut-être que c’était le cas aussi de la version de 1958. Comme on n’a pas d’enregistrement de De Angelis, il est impossible de faire la différence.

NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tango nuevo…

Percal 1943-02-25 (Tango) – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Ne me dites pas que la voix chaude d’ quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.

Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe.
Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.

Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 — Orquesta con

Les paroles

Percal…
¿Te acuerdas del percal?
Tenías quince abriles,
Anhelos de sufrir y amar,
De ir al centro, triunfar
Y olvidar el percal.
Percal…
Camino del percal,
Te fuiste de tu casa…
Tal vez nos enteramos mal.
Solo sé que al final
Te olvidaste el percal.

La juventud se fue…
Tu casa ya no está…
Y en el ayer tirados
Se han quedado
Acobardados
Tu percal y mi pasado.
La juventud se fue…
Yo ya no espero más…
Mejor dejar perdidos
Los anhelos que no han sido
Y el vestido de percal.

Llorar…
¿Por qué vas a llorar?…
¿Acaso no has vivido,
Acaso no aprendiste a amar,
A sufrir, a esperar,
Y también a callar?
Percal…
Son cosas del percal…
Saber que estás sufriendo
Saber que sufrirás aún más
Y saber que al final
No olvidaste el percal.
Percal…
Tristezas del percal.

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Parlons chiffons

Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’Homero Expósito. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot.
Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ».
Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le , l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre.
En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère.
En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité.
Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :

Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?

Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo

Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris.
Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.

Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté.
Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années.
Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.

El vals de los quince años pour l’anniversaire de Quique Camargo par Los Reyes del Tango.
Camargo Tango – El Beso – Buenos Aires – 2024-02-17. .
Parole et musique Agustín Carlos Minotti.
Grabación DJ BYC Bernardo

Les enregistrements de Percal

Percal 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est du jour.
Percal 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.

Percal 1943-05-13 Hugo Del Carril accompagné par Tito Ribero.

Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.

Percal 1947 ou 1948 — et son Orchestre typique argentin con Roberto Rodríguez.

Je n’ai pas cette musique dans ma collection. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (Notice FRBNF38023941) l’indique de 1948 sous la bonne référence du disque : Selmer ST3003. La bible Tango l’indique de 1947 et avec le numéro de matrice 3728.

Percal 1952-08-25 — Orquesta Domingo Federico con et récitatif por Julia de Alba.

Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.

Percal 1969 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.
Percal 1969-09-24 — Domingo Federico (bandonéon) (guitare) con Rubén Maciel.

La particularité de cet enregistrement est qu‘il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.

Percal 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. dir Domingo Federico con Héctor Gatáneo.

Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).

Autre titre enregistré un 25 février

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con . Musique et paroles de Luis Rubistein.

Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.