Même si Pichuco considérait que sa véritable maison était celle de la rue Soler au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Antonio Cabrera qu’il est né, le 11 juillet 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Soler qu’à la mort du père de Troilo, en 1922. Cette maison a connu divers usages au cours du temps, comme en témoignent quelques photos historiques. Si j’ai décidé d’en parler aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’être détruite pour un projet immobilier.
La maison natale de Pichuco, rue José Antonio Cabrera 2937
Aníbal Carmelo Troilo, le père, et Felisa Bagnolo, la mère, louèrent cette maison, par suite du drame de la mort de Concepción, celle qui aurait dû être la grande sœur du bandoneón mayor de Buenos Aires.
Les parents et Marcos, l’aîné, déménagèrent donc dans la maison de la rue Cabrera où naquit le petit Pichuco.
Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retourna alors dans la maison familiale de la rue Soler, celle qu’a donc le mieux connue Aníbal et qui en disait :
« Yo nací en una casa de Cabrera 2937, pero mi casa fue la de Soler 3280 ».
Je suis né dans une maison de Cabrera 2937, mais ma maison fut celle de Soler 3280.
Maison natale de Troilo à différentes époques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une milonga), 2024, une des dernières photos avec le bâtiment debout. Celui à sa gauche a déjà été remplacé. 2025, pendant la destruction de la semaine du 21 au 25 avril.La plaque posée en 2008 déclarant la maison comme site d’intérêt culturel. Cela n’a pas empêché sa destruction…
La maison de Soler 3280
C’est la maison familiale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichuco considère comme la sienne.
La maison de la rue Soler au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juillet 1976 pour l’anniversaire de la naissance, l’année suivant la mort de Pichuco.
La fausse maison de Aníbal Troilo
Au 2540 rue Carlos Calvo, il y a eu « La Casa de Aníbal Troilo”. Cet établissement de spectacle n’a pas de rapport direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâtiment a été réutilisé par Cacho Castaña, l’auteur de Café la Humedad, chanson qui a donné le nom à son établissement.
Attention, le Café de la Humedad de la rue Carlos Calvo n’est pas le café original. En effet, celui-ci était, comme le dit la chanson, à l’angle de Gaona y Boyaca.
L’emplacement original du Café la Humedad, à l’angle de Gaona y Boyaca.
Les paroles de la chanson de Cacho Castaña
Humedad, llovizna y frío Mi aliento empaña el vidrio azul del viejo bar No me pregunten si hace mucho que la espero Un café que ya está frío y hace varios ceniceros
Aunque sé que nunca llega Siempre que llueve voy corriendo hasta el café Y solo cuento con la compañía de un gato Que al cordón de mi zapato lo destroza con placer
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
Soledad, soledad de soltería Son treinta abriles ya cansados de soñar Por eso vuelvo hasta la esquina del boliche A buscar la barra eterna de Gaona y Boyaca
Ya son pocos los amigos que me quedan Vamos, muchachos, esta noche a recordar Una por una las hazañas de otros tiempos Y el recuerdo del boliche que llamamos La Humedad
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
L’humidité, la bruine et le froid Mon haleine embue les vitres bleues du vieux bar Ne me demandez pas si je l’attends depuis longtemps Un café déjà froid et ça fait plusieurs cendriers. Bien que je sache qu’elle ne vient jamais. Quand il pleut, je cours au café. Et je n’ai que la compagnie d’un chat. Qui détruit le lacet de ma chaussure avec plaisir Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours Solitude, solitude du célibataire C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver C’est pourquoi je retourne à l’angle du dancing Pour chercher l’éternelle bande de Gaona et Boyaca Il ne me reste que peu d’amis Allons-y, les gars, ce soir, pour nous remémorer Un à un les exploits d’autrefois Et le souvenir du dancing que nous appelons La Humedad. Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours. Cacho Castaña
Je vous propose de terminer sur la chanson nostalgique de Cacho Castaña, chanté par lui-même dans son établissement, Café la Humedad.
Café la Humedad, chanté dans le théâtre Café la Humedad par son propriétaire et auteur, Cacho Castaña.
Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)
Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas. En France, certains danseurs de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ». Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…
Écoutes
Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo… https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.
Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».
Deux mots de l’opéra de Bizet
Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste. L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla. Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla. Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village. L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :
Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramier ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve ! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir, Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve !
Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film « Gayarre » de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844-1890). La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts). Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette histoire était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, « Gayarre » où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.
Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.
Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, « El Canto del Ruiseñor » de 1932 et « Gayarre » de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros succès derrière Carmen.
C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent. Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/WP/felicia-1966-03-11-orquesta-florindo-sassone/ La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.
Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).
C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.
La canción de los pescadores de perlas 1971 – Orquesta Florindo Sassone.
Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs… Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.
Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à Buenos Aires, dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango « traditionnel », mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.
Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.
Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?
Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine. Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre. Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons. Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures. Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas. Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux. Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes. Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions. Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie. C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante. Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires. Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs. Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier. C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation. Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués. Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès. Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté. Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles. Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…
Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…
Tango ou pas tango ?
Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.
« Les pêcheurs de perles » classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, merci de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂
Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango. J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/WP/les-styles-du-tango/ Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser. Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques… Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention : “Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple. Les tangos de danse étaient indiqués : “Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá” Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés : “Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”. Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur. Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France. Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels. Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango. On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories : « Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».
Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.
Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique. Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.
Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…
Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt
Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.
Les pêcheurs de perles 1936 – Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975-1.
Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de « Petit Papa Noël« … N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le plus beau tango du monde, mais aussi :
C’est à Capri
C’était un musicien
Écris-Moi
Le tango bleu
Le tango des jours heureux
Tango de Marilou
Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :
Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 – Tino Rossi Accomp. Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad.
Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?
8 mars, journée internationale (des droits) des femmes
Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une histoire de femmes.
« We can do it » (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.
Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…
Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à New York.
On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués. Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.
Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…
Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).
Les origines du tango et les femmes
Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse. Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre. Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango canyengue évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de contact. Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour Lo de Laura. Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme. Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.
Les femmes comme source d’inspiration
Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.
Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro (Agustín Bardi Letra : José de la Vega).
Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.
Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.
Les femmes danseuses
Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…
Carmencita Calderón et Benito Bianquet (El Cachafaz) dansent El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal, dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.
Les femmes et la musique
La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison. Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.
Les femmes musiciennes
Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango. Francisca Bernardo, plus connue sous son pseudonyme de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.
Paquita Bernardo (1900-1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.
Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par Juan Carlos Cobián.
Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.
L’enregistrement acoustique ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…
Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.
La enmascarada 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Francisco García Jiménez.Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Eugenio Cárdenas.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.
Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).
Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.
Les femmes auteures
María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.
María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.
Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre… Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.
Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître. Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.
La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.
Ada Falcón 1905-2002
Amanda Ledesma 1911-2000 à la fois actrice et chanteuse
Anita Palmero 1902-1987
Azucena Maizani 1902-1970
Dorita Davis 1906-1980
Eladia Blázquez 1931-2005
Elba Berón 1930-1994 (à gauche) et Rosita Berón 1933-2001 (Las Hermanas Berón en 1954)
Flora Gobbi Flora Hortensia Rodríguez de Gobbi 1883-1952 Ici avec son mari
Imperio Argentina 19102003
Libertad Lamarque 1908-2000 Chanteuse et actrice dans une vingtaine de films
Linda Thelma Ermelinda Spinelli 1879-1939
Lita Morales enregistrements entre 1937 et 1956
Maruja Pacheco Huergo 1916-1983
Mercedes Simone 1904-1990
Nelly Omar 19011-2013 une belle longévité avec plus de 100 années de vie
Nina Miranda 1925-2012
Olga Delgrossi 1932-
Rosita Quiroga Rosa Rodríguez Quiroga de Capiello née entre 1896 et 1901-1984
Sabina Olmos 1913-1999
Sofía Bozán 1904-1958
Susana Rinaldi 1935-
Tania 1908-1999 Chanteurse et actrice
Tita Merello 1904-2002
Virginia Luque 1927-2014
Dédicace
Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes. À bientôt, les amis !
J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. « El día que me quieras » (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…
Extrait musical
El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même. On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano. J’aime bien et dans une milonga où les danseurs seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.
Paroles de Ramón C. Acevedo
Yo quisiera tenerte entre mis brazos Y besarte en tu boca sin igual, Yo quisiera prodigarte mil abrazos Mujer esquiva de rostro angelical.
Tu sonrisa altanera y orgullosa Tu mirada quisiera doblegar, Y que aun, negándome besara Con un beso, sublime y sin final. Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo
J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille, Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.
Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre. Tout d’abord, réécoutons le tango du jour, qui est le plus ancien titre…
El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.
Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con Luis Díaz.
Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très marqué.
Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El boliche del Turco no tendrá ni un cohete, el piberío del hueco los hará estallar, la cantina del “Beppo” abrirá los espiches y todo el “Grevanaje” en curda dormirá. La farra, el capuchino tomará el chocolate, ese día yo banco con mi felicidad y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga hará un tango canyengue con la marcha nupcial.
A tu hermano el tarasca compraremos botines, al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar, y al menor, al checato, dos docenas de anteojos y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar, a tu vieja diez cajas de pastillas de menta, a tu viejo toscanos para reventar, y el globo luminoso que tiene la botica a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.
El bañao de la esquina será un lago encantado y las ranas cantantes en la noche un jazz-band, el buzón de la esquina el Pasaje Barolo, la cancel‘e tu casa, la escala celestial. El día que me quieras, pebeta de mi barrio, toditas mis ternuras pa’vos sólo serán, aunque llore a escondidas mi viejecita santa que al extrañar mis besos tendrá unas canas más. Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser, la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront. La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.
Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.
Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste. Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.
Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
El día que me quieras 1935-03-19 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.
Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Acaricia mi ensueño el suave murmullo de tu suspirar, ¡como ríe la vida si tus ojos negros me quieren mirar! Y si es mío el amparo de tu risa leve que es como un cantar, ella aquieta mi herida, ¡todo, todo se olvida!
El día que me quieras la rosa que engalana se vestirá de fiesta con su mejor color. Al viento las campanas dirán que ya eres mía y locas las fontanas me contarán tu amor. La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá…¡que eres mi consuelo!
Recitado: El día que me quieras no habrá más que armonías, será clara la aurora y alegre el manantial. Traerá quieta la brisa rumor de melodías y nos darán las fuentes su canto de cristal. El día que me quieras endulzará sus cuerdas el pájaro cantor, florecerá la vida, no existirá el dolor…
La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá… ¡que eres mi consuelo!
Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera
Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir, Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder ! Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson, Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !
Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur. Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour. La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Récité : Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies, L’aube sera claire et la source joyeuse. La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal. Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes, La vie fleurira, la douleur n’existera pas…
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)
« El día que me quieras », dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.
Autres versions du thème composé par Gardel
Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.
El día que me quieras 1948-05-11 – Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.
Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.
El día que me quieras 1955-06-30 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…
El día que me quieras 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.
El día que me quieras 1972 – Trio Hugo Díaz.
Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…
El día que me quieras 1977-06-14 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.
El día que me quieras 1978 – María Amelia Baltar.
Une version expressive par la compagne de Piazzolla.
El día que me quieras 1979 – Alberto Di Paulo y su Orquesta Especial para Baile.
Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).
El día que me quieras 1997 – Enrique Chia con Libertad Lamarque.
Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?
Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !
Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.
Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…
Patoteros, apaches, youth gangs…
Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes. Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes. Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.
Un bal en 1900. Peut-être du tango.
Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.
Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.
Extrait musical
Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons. Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes. Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).
Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.
Paroles
Patotero, rey del bailongo Patotero sentimental Escondés bajo tu risa Muchas ganas de llorar Ya los años se van pasando Y en mi pecho, no entra un querer En mi vida tuve muchas, muchas minas Pero nunca una mujer Cuando tengo dos copas de más En mi pecho comienza a surgir El recuerdo de aquella fiel mujer Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné De su amor, me burlé sin mirar Que pudiera sentirlo después Sin pensar que los años al correr Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret Pobrecita, cómo lloraba Cuando ciego la eche a rodar La patota me miraba, y No es de hombre el aflojar Patotero, rey del bailongo Siempre de ella te acordarás Hoy reís, pero en tu risa Solo hay ganas de llorar Manuel Jovés Letra: Manuel Romero
Traduction libre des paroles
Patotero, roi du bal Patotero sentimental Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer. Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme. Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement. De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret. Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer. La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir). Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle. Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.
Autres versions
El patotero sentimental 1922-03-29 – Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.
C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.
Ignacio Corsini en 1922
La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.
El patotero sentimental 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.Patotero sentimental 1949-11-25 – Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.
La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.
Patotero sentimental 1950-12-28 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.
Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.
Patotero sentimental 1952-10-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.
Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.
Patotero sentimental 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.
Patotero sentimental 1974 – Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉
L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.
Patotero sentimental 1974c – Leopoldo Federico con Carlos Gari.
Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.
Patotero sentimental 1991-03 – Carlos García solo de piano.
Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…
Patotero sentimental 2005 – Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.Patotero sentimental 2006 – Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.
Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.
Patotero sentimental 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
On termine ici, avec une version plus traditionnelle.
Origine de ce tango
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce « El bailarín del cabaret » (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour. Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans « Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925 » qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.
Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.
Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.
El bailarín del cabaret – Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.
Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième. La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers. Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.
Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental
TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita? CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá. D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non « bala ». TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar? D. GAETANO.-Ma nun. diga. TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros. CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.) D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que « bale » pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.) CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna. D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna! Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe? TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas? D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho! TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta? MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy. TRONCOSO.-¿ Qué te pasa? MARTA.-Nada. Dejame. TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche? MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo. PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo. MARTA.-No, nada de eso, les juro. MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga . M-ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo. MARGOT.-Deci … . MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.) LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos. TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.) LORENA.-¿Por qué se ríen de ella? TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental. LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible. LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida … TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! . . . LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …
Traduction des dialogues
TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ? CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père. D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas. (Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret). TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ? D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit. TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu. CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.) D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.) CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe. D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone ! Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ? TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ? D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon! TRONCOSO : Sors d’ici, otario ! (Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ? MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui. TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ? MARTA.-Rien, laisse-moi. TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ? MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis. PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette. MARTA : Non, rien de tel, je vous jure. MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie. MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule. MARGOT.-Parle… . MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.) LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité. TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.) LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ? TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental. LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible. LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie… TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !… LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…
Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs. Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis. Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.
“No te cases” (ne te marie pas), c’est le conseil donné par ce tango composé par Donato avec des paroles de Carlos Pesce. Ceux qui nous connaissent savent que nous n’allons pas suivre cette directive. Cependant, les complexités de l’administration argentine font que nous avons failli baisser les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était confirmé après deux mois de bagarre et deux reports de date.
Extrait musical
Disque Victor 38092. No te cases est sur la face A.
No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Le motif sympathique des bandonéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comptine enfantine. Se succèdent ensuite des successions de passages ordonnés et d’autres plus troublés, comme s’il y avait un débat contradictoire pesant le pour et le contre. À 59 secondes commence la chanson. Lagos chante le refrain avec quelques répliques parlées par un intervenant non identifié qui joue le rôle du futur marié. Est-ce Donato ? Ce n’est pas impossible. Canaro effectue souvent, ce type d’interventions.
Paroles
¡No te cases! ¿A qué valor ? Seguí nomás así, que sos un gran señor. ¡No te cases! ¿Que vas hacer? ¡que peligrá! Ya vas a entrar ¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá! Gordo y feliz como un sultán Pobre de vos ¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí… Sin complicarme con la existencia Si es un placer llegar a fin de mes. Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce
En rouge, les répliques de l’intéressé.
Traduction libre
Ne te marie pas ! À quelle valeur ? Continue comme ça, tu es un grand seigneur. Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel danger ! Tu vas comprendre. Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira ! Gros et heureux comme un sultan, Pauvre de toi Me marier, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ainsi. Et si… Sans me compliquer l’existence Si c’est un plaisir de joindre les deux bouts. (arriver à la fin du mois) Le futur marié qui intervient en réponse, pense que son copain va finalement se marier, même s’il donne le conseil contraire.
Liborio no te cases 1931-04-10 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Un foxtrot adressé à un certain Liborio qui lui donne les mêmes conseils. Rappelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aussi un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Le Liborio en question pourrait être Argentino Liborio Galván (18 ans au moment de cet enregistrement, ou le compositeur moins connu, Augusto Liborio Fistolera Mallié (32 ans au moment de cet enregistrement). Il peut s’agir également d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduardo Armani et René Cóspito (musique), Alfredo Enrique Bertonasco et Domingo L. Martignone (paroles). Le L. de Martignone est pour « Luis », pas Liborio…
No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor y coro.
Encore Canaro, qui ne voulait pas vraiment se marier avec Ada Falcón, ou plutôt, qui craignait de divorcer de la Française, sa terrible épouse… On peut donc imaginer qu’il se lance le conseil, avec un peu de retard à travers cette jolie valse composée par son frère Rafael Canaro et Oscar Sabino avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.
17 février 2025
Ce n’est pas un événement dans l’histoire du tango, mais, ce jour, Victoria et moi nous marierons à Buenos Aires (Boedo). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comunal 5 ou en visio… Ce bâtiment est le premier de ce type à Buenos Aires. Il marque une volonté de redonner une empreinte verte à la ville.
Le Sede comunal 5 (boedo) avec son mur végétalisé. À droite, la structure des anciens entrepôts Tata a été conservée et utilisée pour fournir de l’ombre dans le parc.La terrasse végétalisée et le système de collecte de l’eau pour l’arrosage du parc adjacent.L’entrée du Sede comunal 5 et le parc.
Notre lieu de mariage est un petit coin de verdure dans la grande ville, à deux pas de notre maison (deux pas ou plutôt 200 mètres). Et pour les curieux d’histoire, ce lieu charmant est le fruit de la lutte des habitants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entrepôts de la compagnie Tata.
Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vraiment plus sympa maintenant.Les habitants manifestant pour obtenir la place et faire obstacle aux projets industriels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boedo, à l’angle de Independencia.
Nous ne suivrons donc pas les conseils de nos précieux aînés…
À bientôt les amis !
Lors de notre dernier passage en France pour le festival Niort Tango (10/2024). Ici, à La Rochelle.
Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino. Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par Miguel Caló et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.
Extrait musical
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.
Paroles
Un pedazo de barrio, allá en Pompeya, durmiéndose al costado del terraplén. Un farol balanceando en la barrera y el misterio de adiós que siembra el tren. Un ladrido de perros a la luna. El amor escondido en un portón. Y los sapos redoblando en la laguna y a lo lejos la voz del bandoneón.
Barrio de tango, luna y misterio, calles lejanas, ¡cómo estarán! Viejos amigos que hoy ni recuerdo, ¡qué se habrán hecho, dónde estarán! Barrio de tango, qué fue de aquella, Juana, la rubia, que tanto amé. ¡Sabrá que sufro, pensando en ella, desde la tarde que la dejé! Barrio de tango, luna y misterio, ¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!
Un coro de silbidos allá en la esquina. El codillo llenando el almacén. Y el dramón de la pálida vecina que ya nunca salió a mirar el tren. Así evoco tus noches, barrio ‘e tango, con las chatas entrando al corralón y la luna chapaleando sobre el fango y a lo lejos la voz del bandoneón. Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi
Traduction libre et indications
Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article). Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème. Un aboiement de chiens à la lune. L’amour caché dans une porte cochère. Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon. Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles ! De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils ! Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée. Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée ! Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois ! Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue. Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi… Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train. C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.
Autres versions
Barrio de tango 1942-12-14 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Ángel D’Agostino et Ángel Vargas
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tango du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 – Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.
Barrio de tango 1971-05-06 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.
Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo
Pompeya, barrio de tango
Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le Riachuelo.
En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.Les touristes qui restent à Recoletta ou Palermo ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de pétrole lampant), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.
Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.
Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló
Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló. Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito. Corazón no le hagas caso Lejos de Buenos Aires Tristezas de la calle Corrientes Percal Después Margarita Gauthier Cada día te extraño mas Fruta amarga De barro Gime el viento La noche que te fuiste Orquestas de mi ciudad Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente. On en reparlera…
La superbe valse Corazón de artista, écrite par Pascual de Gullo va nous permettre de découvrir un peu l’univers de Malerba, mais aussi de faire un peu de technique de DJ, sur la construction des tandas et sur d’autres aspects, comme la balance.
Extrait musical
Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta Ricardo Malerba.
Les bandonéons incisifs lancent le titre. Le piano assure les transitions, puis les violons se joignent pour lancer leurs phrases en legato. Le piano a ensuite de beaux passages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (marquage des trois temps en accentuant le premier). Cette description pourrait tout à fait s’appliquer à l’orchestre de D’Arienzo. Nous sommes assez loin du Malerba, qui peut parfois être un peu mièvre. C’est donc une très belle version que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’article.
Cette version est assez différente des deux autres versions que je vous présente dans cette anecdote. Elle est beaucoup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rougir le DJ qui la passera en milonga.
Corazón de artista 1936-11-27 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Que D’Arienzo nous offre une version dynamique n’étonnera personne. Les violons et bandonéons à l’unisson cisaillent la musique, puis les violons lissent le tout dans de longues phrases suaves. Le piano de Biagi réalise les enchaînements avec une confiance qui commence à se voir. L’accélération finale, une fois de plus, réalisée par la subdivision des temps en doubles-croches, permet de terminer dans une valse enthousiaste, sans avoir à modifier le tempo.
Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta Ricardo Malerba. C’est notre valse du jour.
Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?
Est-ce à cause de l’auteur ?
De Gullo est l’auteur principalement de valses. Certaines sont très connues, comme Lágrimas y sonrisas, et notre valse du jour.
Quelques couvertures de partitions de valses de Pascual De Gullo.
Je vous propose ici de vous présenter des versions plus rares.
Amorosa 1930-09-17 – Orquesta Juan Guido.
Cet admirable orchestre est curieusement négligé. On peut le comprendre pour les tangos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exemple, mais Guido a enregistré des perles que je propose parfois en milonga. J’ai même failli le faire à Buenos Aires, cette semaine, j’étais en train de préparer la tanda et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’ambiance de la piste.
Lágrimas y sonrisas 1934-10-20 – Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.
Dommage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tanda que Corazón de artista 1935 du même Pocholo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la vingtaine de valses enregistrées par Pocholo.
Sueño de virgen 1943-12-30 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’auteur qui nous a proposé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros succè, elles ont été assez peu enregistrées. Peut-être qu’un orchestre contemporain serait bien inspiré de fouiller dans ce répertoire au lieu de ressortir toujours les dix mêmes titres.
Est-ce à cause de Malerba ?
Pour pouvoir créer une tanda cohérente, il faut trois ou quatre titres. Pour les valses, on limite assez souvent le nombre à trois titres. Donc, il nous faut trouver deux ou trois valses de Malerba qui puissent aller avec notre valse du jour. Comme il a enregistré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tanda.
Il a enregistré deux valses avec Alberto Sánchez :
Aristocracia 1956-06-01 – Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.Quejas de Montmartre 1956-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.
Cette valse magnifique a été composée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a utilisé ce titre pour son film French Cancan de 1954. Le titre original de la valse est « La Complainte de la Butte ». On le connait par de nombreux chanteurs, dont bien sûr, Cora Vaucaire, qui l’a lancé, puis toujours en 1955, par André Claveau, Patachou et Marcel Mouloudji.
La complainte de la butte dans le film French Cancan de Jean Renoir (1954). Musique de Georges Van Parys et paroles de Jean-Renoir. En deuxième partie, la doublure-voix de Anna Amendola, Cora Vaucaire (La Dame blanche) sur scène en 1956.
Ce sont donc deux valses intéressantes, mais qui ne vont pas ensemble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tanda de ce côté. Continuons de chercher…
La dernière valse en stock a été enregistrée avec le chanteur vedette de Malerba, Orlando Medina. Est-ce enfin une piste intéressante ? Écoutons.
Cuando florezcan las rosas 1943-06-10 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina (Ricardo Malerba – Dante Smurra Julio Jorge Nelson).
Je pense que nous sommes d’accord, encore une fois, cette valse est à part, et absolument pas compatible avec notre valse du jour.
En résumé, il est impossible de faire une tanda à partir de la valse Corazón de artista dans la version de Malerba.
Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs
Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres contemporains enregistrent un nombre suffisant de valses ou de milongas pour pouvoir faire des tandas et quand ils le font, ce n’est pas toujours génial à rassembler dans une tanda. Bien souvent, si un DJ faisait la même programmation que certains orchestres, il se recevrait des tomates. Le problème est que les orchestres sont souvent composés de pièces rapportées et qu’ils répètent peu ensemble. Il n’est qu’à voir sur les festivals comment se passe la balance. Cette opération est censée permettre à l’ingénieur du son d’équilibrer les instruments et les retours des musiciens. Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instrument le ou les microphones convenables (généralement indiqués dans la fiche technique de l’orchestre). Une fois raccordés à la console de mixage, on prépare la place des différents instruments. Il ne suffit pas de régler leurs volumes respectifs, il faut également « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mixage soit harmonieux. Sinon, on fait une course à la puissance, sur les mêmes fréquences et la musique est totalement déséquilibrée. Quand un chanteur intervient, par exemple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le compositeur a bien géré les choses, il évitera de mettre un second instrument dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas toujours le cas et vous avez certainement en tête des enregistrements où l’ingénieur du son a baissé exagérément le volume pour dégager la voix, mais cela est fait en enlevant la base musicale dont se servent les danseurs. Dans les prestations en direct, les musiciens vont demander au sonorisateur d’augmenter leur volume, car ils ne s’entendent pas alors que cela vient souvent d’un mauvais réglage des fréquences et d’un mauvais équilibre des retours. Dans un orchestre sans amplification, les musiciens ont leur place si le compositeur et/ou l’arrangeur ont bien effectué leur travail. Le chef gère juste le volume des instruments pour faire ressortir une voix plus que les autres, ou pas. Vous êtes très familiers de ce phénomène et c’est facile à constater en écoutant le même titre par différents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrangements, dans certaines versions, un instrument est au premier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instrument qui est mis en valeur. Un mauvais réglage des retours ou de la balance fait que de nombreuses prestations sont désastreuses pour le public. Les instrumentistes ne s’entendant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frottées jouent faux, ce qui est parfois recherché, mais pas toujours. Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 secondes pour faire la balance, alors que ce serait utile de pouvoir étudier correctement la salle auparavant et d’équilibrer l’égalisation en conséquence. Combien de fois, la balance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répétition et qu’au final, le véritable travail de balance n’a pas été correctement effectué. Parfois, la balance continue alors que le public est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure. A minima, ce serait sympa de la part des organisateurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 minutes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impossible de les avoir. Parois, il n’est même pas possible de tester mes tranches sur la console, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus possible de balancer du bruit rose au volume correct quand il y a déjà le public dans la salle. Contrairement à ce que certains pensent, le travail de DJ est assez complexe, car il faut équilibrer des musiques de sources variées. Pouvoir faire une balance de qualité, c’est l’assurance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’autant plus important quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son correct à son emplacement, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé permet de limiter ce problème, à condition qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 minutes de préparation…
Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?
Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui consiste à pouvoir composer une tanda mixte, c’est-à-dire à partir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tangos, mais, beaucoup plus courant pour les milongas et les valses. Pour les milongas, cela reste assez compliqué, car il y a différents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milongas qui ne vont pas bien ensemble. Cela demande donc un peu de réflexion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beaucoup plus facile. Il suffit d’associer des titres au rythme comparable, de même caractère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Malerba avait des accents qui rappelaient D’Arienzo. Il semble donc évident que chercher à compléter une tanda de valse de D’Arienzo avec ce titre peut être une excellente idée. En tout cas, c’est la direction que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres possibilités. Vous pouvez donner votre avis dans les commentaires.
Le dix-neuvième siècle a vu le développement du ferroviaire et du cinéma. On se souvent que l’un des premier films, L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat(film n° 653 de Louis Lumière), a été tourné durant l’été 1895 et présenté au public le 25 janvier 1896. Mon grand-père, né quatre ans après les faits, me contait que les spectateurs furent pris de panique. L’œuvre d’aujourd’hui est à sa manière, une glorification des deux nouveautés. Le chemin de fer argentin, le plus développé d’Amérique du Sud, et le cinéma où les orchestres proposaient la musique manquant aux films de l’époque…
L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière) – Musique el Espiante 1932-01-17 Osvaldo Fresedo.
L’espiante peut désigner en lunfardo une arnaque ou le départ, par exemple, pour mettre fin à une relation me tomo el espiante. Dans le cas présent, vous allez le comprendre à l’écoute, il s’agit d’un train, que nous allons prendre ensemble. En voiture !
Extrait musical
Partitions de El espiante. On notera que l’on ne voit pas de train. Peut-être que le couple se fait l’espiante en sortant d’une milonga ennuyeuse…El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto.
Tout commence par la cloche suivie par le sifflet du chef de gare. Le souffle bruyant des pistons aide au démarrage du train. Le voyage se déroule ensuite les sons d’imitation et ceux de l’orchestre se mélangeant. Le bruit de la vapeur suit le train sur une bonne partie du trajet. À 1:00 et 2:00, en entend l’annonce de la voiture-restaurant. Le trajet se fait par des successions de montées et descentes, et la musique poursuit son parcours, jusqu’au final où les passagers s’interpellent et où le train s’arrête dans l’annonce de la gare, Rosario… Ce titre est sans doute à classer dans la rubrique des tangos ludiques et à réserver aux amateurs de canyengue, mais d’autres passagers, pardon, danseurs peuvent le danser avec entrain.
Autres versions
Même si c’est une composition de Fresedo, le plus ancien enregistrement disponible est par Roberto Firpo. Ce n’est pas très étonnant, c’est le grand orchestre du moment et Firpo aime bien les titres aux sons réalistes. On pensera par exemple à El amanecer où il introduit des chants d’oiseaux joués au violon. Mais il a sans doute un attachement au train, également, puisqu’il écrira le tango El rápido qui évoque également le même train, celui de Rosario…
El rápido 1931-08-27 – Orquesta Roberto Firpo con estribillo coreado.
Ce titre est signalé comme tango humoristique et est donc de la même veine que celui de Fresedo. Il est ponctué de voix de « passagers ». Comme la version de Fresedo de 1932 (notre tango du jour, l’annonce finale est également « Rosario ».
On peut imaginer que Firpo répond à son compère. L’espiante et El rápido désignent également les trains. On notera qu’à l’époque, il fallait seulement trois heures pour rallier Retiro (gare de Buenos Aires) à Rosario, soit presque trois fois moins que maintenant… Firpo avait déjà enregistré ce titre en 1927 et je rappelle que Biagi a aussi enregistré, El rápido ainsi que Rodriguez, Piazzolla, Villasboas et Varella. Revenons maintenant aux espiantes, on prendra le rapide une autre fois…
El espiante 1916 – Sexteto Roberto Firpo. Il s’agit d’un enregistrement acoustique.
Pas de bruitage de train, ce que les musiciens de l’époque auraient pu produire sans problème, car ils le faisaient pour le cinéma qui était muet à l’époque. J’imagine que cet ajout de bruitages s’est fait au fur et à mesure des concerts. Firpo n’est pas hostile à cela, bien au contraire si on écoute ce qu’il a fait dans El rápido de 1931.
El espiante 1927-12-01 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Si le caractère du train qui alterne les montées poussives et les descentes de pente précipitées est bien présent, les bruitages ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il faudra peut-être attendre le délire de Firpo en 1931 avec El rápido, pour que cela devienne une habitude chez Fresedo également. Même si on n’est pas fan du canyengue, il faut reconnaître à cette œuvre, de belles trouvailles musicales, que Fresedo exploitera tout au long de sa carrière comme ses fameuses descentes et chutes.
El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto (Rosario). C’est notre tango du jour.El espiante 1933-03-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
On pourrait confondre cette version avec la précédente, mais elle se distingue principalement de son aînée par l’absence des paroles finales et une fin différente. On notera aussi une accentuation moindre du caractère ferroviaire de cet enregistrement. Il y a tout de même le sifflet et la cloche au début, des sons de pistons (souffles à la voix) et le sifflet à environ 1:00, 2:10 et 2:30. Et un dernier souffle des pistons termine l’œuvre.
Julio De Caro n’allait pas laisser ses copains s’amuser avec la musique du train sans participer. Lui aussi aime proposer des musiques descriptives. On notera que son train est plus un rapide qu’un espiante. Cette version très joueuse est sans doute dansable par les danseurs allergiques au canyengue, car elle est vraiment très sympa et le train qui n’a rien de poussif devrait les entraîner jusqu’à Rosario (ou ailleurs) sans problème.
El espiante 1954-11-25 – Orquesta Héctor Varela.
À part un semblant de cloche, au début, les bruitages ferroviaires sont absents de cette version. L’arrivée en gare se fait avec un bandonéon nerveux, peut-être celui de Varela. En effet, en 1954, Varela est venu grossir les rangs de son orchestre comme bandonéoniste en plus de Antonio Marchese et Alberto San Miguel. Trois autres bandonéonistes s’adjoindront à l’orchestre à cette époque : Luis Pinotti, Salvador Alonso et Eduardo Otero. Le freinage final se fait au violon.
El espiante 1955-12-29 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
En 1955, Fresedo remet sur les rails son espiante. On retrouve dans cette version la cloche, le sifflet et la trompe du train. Cependant la musique va vers plus de joliesse. Le train semble traverser de beaux paysages, même si par moment, le rythme retrouve la respiration des pistons.
El espiante 1974 – Orquesta Héctor Varela.
Comme dans la version de 1954, le caractère ferroviaire sous forme de bruitages est absent, mais on reste tout de même dans l’ambiance avec la musique qui évoque irrésistiblement le déplacement d’un train. L’arrivée est ici, entièrement réalisée par le bandonéon nerveux qui ne laisse pas la place au violon, comme en 1954. Varela privilégie son instrument…
El espiante 1979-11-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
En 1979, Fresedo fait partir son train avec un sifflet initial et lui fera émettre ses célèbres coups de trompes, mais on sent qu’il file comme le vent, au moins dans certains passages qui alternent avec des passages plus poussifs, rappelant le train des débuts. Comme en 1955 et sans doute encore plus, le train semble traverser d’élégants paysages. Le résultat décevra sans doute les amateurs du « vieux » Fresedo, mais ravira ceux qui aiment Sassone ou Varela. Le titre se termine par un jingle au vibraphone.
Et pour terminer notre voyage, prenons deux trains tirés par des locomotives à vapeur « Pacific 231 ». 231 pour 2 roues à l’avant (directrices), Trois grandes roues motrices et 1 dernière roue à l’arrière pour l’équilibre. 2-3-1 (4-6-2) si on envisage les deux côtés de la locomotive. La musique est celle d’Arthur Honegger, qui, comme Firpo et Fresedo, était fan des trains.
Pacific 231 1931- Mijaíl Tsekhanovsky – Arthur Honegger (film russe).
Ce court métrage magnifique fait le parallèle entre les mécanismes de la locomotive et le jeu des instruments, l’utilisation des surimpressions et des fondus enchaînés fait que la bête humaine (nom d’un film de Jean Renoir en 1938 ayant pour thème le chemin de fer à vapeur) et l’orchestre se mélangent.
Pacific 231 1949 – Jean Mitry – Arthur Honegger (film français).
L’esthétique du film de Jean Mitry est bien différente. De belles images de trains accompagnent la musique. C’est certainement beaucoup moins créatif que le film de Tsekhanovsky, mais intéressant tout de même, ne serait-ce que par l’aspect documentaire qui fait revivre ses monstres se nourrissant de charbon.
Terminus, tout le monde descend ! À bientôt, les amis !
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité. Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…
Extrait musical
Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées « Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia ». Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.
Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie. On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques. Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités. Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.
Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.
Don Luis Gondra
Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.
La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana. Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.
Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.
Paroles, deux versions
Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ». Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».
Paroles chantées par Magaldi
Por tu mala junta te perdieron, Nena, Y causaste a tus pobres viejos, pena, Que a pesar de todos los consejos, Un mal día te engrupieron Y el gotán te encadenó…
¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora? Tan plena de poesía, cual diosa del amor… Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora Con sus mimos disipaba mi dolor.
Recitado: Guardo de ti recuerdo sin igual Pues fuiste para mí toda la vida. Mi corazón sufrió la desilusión Del desprecio a su querer que era su ideal.
Y con la herida Que tú me has hecho, Mi fe has desecho Y serás mi perdición.
Todo está sombrío y muy triste, alma, Y nos falta, desde que te has ido, calma, El vivir la dicha ya ha perdido Porque con tu mal viniste A enlutar mi corazón.
¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera que, obrando con falsía, buscó tu perdición? Mientras que aquí está la madrecita que te espera Para darte su amorosa bendición.
Recitado: Dulce deidad, que fue para mi bien Un sueño de placer nunca sentido, Yo no pensé que ése, mi gran querer, Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.
¿Dónde te has ido mi noviecita? Tu madrecita Siempre cree que has de volver. Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version de Magaldi
À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé, Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine, Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t-on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…). Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ? Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour… Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur. Récitatif: Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie. Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal. Et avec la blessure que tu m’as faite, Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte. Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur. Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ? Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante. Récitatif: Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti, Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden. Où es-tu allée, ma petite fiancée? Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.
Paroles de la version standard
Por tu mala junta te perdiste, nena y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!… De un vivir risueño te han hablado y al final… ¡te has olvidado de tu vieja y de mi amor!… En la fiebre loca de mentidas galas se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!… En tu afán de lujos y de orgías recubriste de agonías ¡a mi vida y a tu hogar!…
Fuiste el ángel de mis horas de bohemia, el bien de mi esperanza, tierno sueño encantador; y no puedo sofocar mis neurastenias cuando pienso en la mudanza ¡de tu cruel amor!…
(recitado) ¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz rodando he de marchar por mi oscura senda; ¡sin el calor de aquella fulgente luz que tu mirar dispersó en mi corazón!
(canto) Sueños de gloria que truncos quedaron y herido me dejaron entre brumas de dolor…
Por tu mala junta te perdiste, nena, y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!… Por seguir tus necias ambiciones mis doradas ilusiones ¡para siempre las perdí!… Una santa madre delirante clama y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!… El perdón te espera con un beso sí nos traes con tu regreso ¡la alegría de vivir!…
Tus recuerdos se amontonan en mi mente, tu imagen me obsesiona, te contemplo en mi ansiedad; y te nombro suspirando tristemente, pero en vano… ¡no reacciona tu alma sin piedad!…
Y como el cisne que muere cantando así se irá esfumando ¡mi doliente juventud!… Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version standard
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour… Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses… Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison… Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ; et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel… (récitatif) Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ; Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur ! (chant) Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur… À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues… Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle… Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre… Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ; Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas… Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…
On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.
Autres versions
Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De Caro.
Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli. On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro. Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 – Agustín Magaldi con orquesta.
Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.
Mala junta 1928-12 – Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349-1 Matrice D 19172.
Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.
À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.
Quelqu’un a-t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ? La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.
Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 – Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque. On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.
Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.
Mala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De Caro.
De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.
Mala junta 1943-08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.
Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.
Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.Mala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro.
De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…
Mala junta 1952-11-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.
La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Mala junta 1957-09-02 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.
Mala junta 1968 – Pedro Laurenz con su Quinteto.
Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat. On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.
Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…
Mala junta – Osvaldo Pugliese – Teatro Colón 1985.
Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.
Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.
Qui a écrit El choclo ?
Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent… L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique… En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez. Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.
Extrait musical
Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre. El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque. Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.
Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)
Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…
Con este tango que es burlón y compadrito se ató dos alas la ambición de mi suburbio; con este tango nació el tango, y como un grito salió del sórdido barrial buscando el cielo; conjuro extraño de un amor hecho cadencia que abrió caminos sin más ley que la esperanza, mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.
Por tu milagro de notas agoreras nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas, luna de charcos, canyengue en las caderas y un ansia fiera en la manera de querer…
Al evocarte, tango querido, siento que tiemblan las baldosas de un bailongo y oigo el rezongo de mi pasado… Hoy, que no tengo más a mi madre, siento que llega en punta ‘e pie para besarme cuando tu canto nace al son de un bandoneón.
Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina. Triste compadre del gavión y de la mina y hasta comadre del bacán y la pebeta. Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura se hicieron voces al nacer con tu destino… ¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo, que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón. Enrique Santos Discépolo
Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo
Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ; Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel. Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur. Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer… Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé… Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon. Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca). Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine). Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin… Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.
Un épi peut en cacher un autre…
On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango. Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles… Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version. Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo. Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre… Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé. Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette. Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable. Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.
Autres versions
Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères : • Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème. • Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées. Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.
Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.
Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.
À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.
Paroles de Cariño puro des Gobbi
Ay mi china que tengo mucho que hablarte, de una cosa que a vos no te va a gustar Largá el rollo que escucho y explicate Lo que pases no es tontera, pues te juro que te digo la verdad. dame un beso no me vengas con chanela (2) dejate de tonteras, no me hagas esperar. Decí ya sé que la otra noche vos con un gavilán son cuentos que te han hecho án. No me faltes mirá que no hay macanas yo no vengo con ganas mi china de farrear Pues entonces no me vengas con cuento y escuchame un momento que te voy a explicar. No te enojes que yo te diré lo cierto y verás que me vas a perdonar Pues entonces Te diré la purísima verdad Vamos china ya que voy a hacer las paces a tomar un carrindango pa pasear Y mirar de Palermo Yo te quiero mi chinita no hagas caso Que muy lejos querer el esquinazo ni golpe ni porrazo… Ángel Villoldo
Traduction de Cariño puro des Gobbi
Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler, D’une chose qui ne va pas te plaire Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
– Eh bien, je te jure que je te dis la vérité. Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
– Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre. J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
– Ce sont des histoires qui t’ont été faites un. Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
– Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler. Aussi, ne me raconte pas d’histoires
– et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer. Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr Et tu verras que tu vas me pardonner Puis, ensuite Je vais te dire la pure vérité
– Allez, ma chérie, car je vais faire la paix En prenant une voiture pour une promenade Et regarder Palermo Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention Car je veux arrondir les angles ni coup ni bagarre…
On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.
El choclo 1910 – Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.
Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.
Paroles de Villoldo
De un grano nace la planta que más tarde nos da el choclo por eso de la garganta dijo que estaba humilloso. Y yo como no soy otro más que un tanguero de fama murmuro con alborozo está muy de la banana.
Hay choclos que tienen las espigas de oro que son las que adoro con tierna pasión, cuando trabajando llenito de abrojos estoy con rastrojos como humilde peón.
De lavada enrubia en largas guedejas contemplo parejas sí es como crecer, con esos bigotes que la tierra virgen al noble paisano le suele ofrecer.
A veces el choclo asa en los fogones calma las pasiones y dichas de amor, cuando algún paisano lo está cocinando y otro está cebando un buen cimarrón.
Luego que la humita está preparada, bajo la enramada se oye un pericón, y junto al alero, de un rancho deshecho surge de algún pecho la alegre canción. Ángel Villoldo
Traduction des paroles de Ángel Villoldo
D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié). Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme). Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier. De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge). Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas). Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…
Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.
El choclo 1913 – Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.
Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.
El choclo 1929-08-27 – Orquesta Típica Victor.
Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.
El choclo 1937-07-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.
Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.
El choclo 1940-09-29 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.
El choclo 1941-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante. Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…
Paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieja milonga que en mis horas de tristeza traes a mi mente tu recuerdo cariñoso, encadenándome a tus notas dulcemente siento que el alma se me encoje poco a poco. Recuerdo triste de un pasado que en mi vida, dejó una página de sangre escrita a mano, y que he llevado como cruz en mi martirio aunque su carga infame me llene de dolor.
Fue aquella noche que todavía me aterra. Cuando ella era mía jugó con mi pasión. Y en duelo a muerte con quien robó mi vida, mi daga gaucha partió su corazón. Y me llamaban el choclo compañero; tallé en los entreveros seguro y fajador. Pero una china envenenó mi vida y hoy lloro a solas con mi trágico dolor.
Si alguna vuelta le toca por la vida, en una mina poner su corazón; recuerde siempre que una ilusión perdida no vuelve nunca a dar su flor.
Besos mentidos, engaños y amarguras rodando siempre la pena y el dolor, y cuando un hombre entrega su ternura cerca del lecho lo acecha la traición.
Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes y que en mi pecho sólo anida la tristeza, como una luz que me ilumina en el sendero llegan tus notas de melódica belleza. Tango querido, viejo choclo que me embarga con las caricias de tus notas tan sentidas; quiero morir abajo del arrullo de tus quejas cantando mis querellas, llorando mi dolor. Juan Carlos Marambio Catán
Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux, En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu. Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur. C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie. Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion. Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur. Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo); J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant. Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique. S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur. Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque. Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique. Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ; Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame… Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.
El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.
Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…
Kiss of Fire 1955 – Louis Armstrong.
En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.
Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango. À bientôt, les amis.
En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?
PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.