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Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo

Je pense que vous ne devinerez pas pourquoi il y a un pour présen­ter le tan­go du jour, Loren­zo enreg­istré par Frese­do. Loren­zo était-il un tigre du zoo de Buenos Aires ? Par­le-t-on d’un Loren­zo orig­i­naire de Tigre ? Rien de tout cela, vous ne pour­rez jamais devin­er sans lire ce qui suit…

Le tan­go « Loren­zo » a été com­posé par Agustín Bar­di et les paroles écrites par Mario Alber­to Par­do en l’hon­neur du ban­donéon­iste Juan Loren­zo Labissier.
Il a été joué pour la pre­mière fois dans le café Dominguez (celui qui est célébré par D’Agosti­no avec la célèbre phrase intro­duc­tive dite par  :

« Café Domínguez de la vie­ja calle Cor­ri­entes que ya no que­da. Café del cuar­te­to bra­vo de Gra­ciano de Leone. »

Café de la vieille rue Cor­ri­entes [rue de Buenos Aires, célèbre pour ses théâtres et son his­toire intime avec le tan­go] qui n’ex­iste plus. Café du cuar­te­to Bra­vo de Gra­ciano de Leone.
Nous n’avons aucun de cette époque [avant 1919] de ce cuar­te­to con­sti­tué de lui-même à la direc­tion et au ban­donéon, de Roc­catagli­a­ta au vio­lon de Car­los Her­nani Mac­chi à la flûte et d’A­gustín Bar­di, l’au­teur de ce tan­go, au piano.
On peut se deman­der pourquoi Bar­di a dédi­cacé ce tan­go à Labissier alors qu’il tra­vail­lait pour un autre ban­donéon­iste. Je n’ai pas la réponse ;-)
Sou­vent, les hom­mages sont faits en mémoire d’un ami récem­ment défunt comme la mag­nifique Valse « A Mag­a­l­di », mais dans le cas présent, le dédi­cataire a survécu près de 40 ans à cette dédi­cace. Bar­di le con­nais­sait pour avoir tra­vail­lé avec lui au café Café Roy­al, café plus con­nu sous son surnom de Café del Griego (du Grec). Ce café était situé à prox­im­ité de l’an­gle des rues Necochea et Suar­rez (La Boca). À l’époque Bar­di était vio­loniste et se trans­for­ma en pianiste… Sig­nalons en pas­sant que Canaro qui a enreg­istré le titre le 23 mai 1927, la veille de Frese­do qui signe le tan­go du jour avait fait ses débuts offi­ciels dans les mêmes par­ages.
N’ou­blions pas que sur quelques dizaines de mètres se col­li­sion­nent de nom­breux de tan­go, Lo de Tan­cre­di, le lieu de nais­sance de Juan de Dios Fil­ib­er­to, La de Zani, et la ren­con­tre entre Canaro et Eduar­do Aro­las qui était surnom­mé le Tigre du ban­donéon. Cela pour­rait être une des raisons pour laque­lle j’ai mis le tigre dans l’im­age de cou­ver­ture, mais il y en a une autre. Soyez patients.

Là où on revient à Lorenzo

Pour revenir au dédi­cataire du tan­go, Loren­zo n’é­tait pas comme Aro­las un Tigre, mais il a joué durant une ving­taine d’an­nées de son instru­ment dans dif­férents orchestres et notam­ment avec Vicente Gre­co (trio, quin­te­to et típi­ca). La com­mu­nauté des musi­ciens de tan­go sem­ble avoir été très soudée à cette époque et Loren­zo était donc un proche des Gre­co (Vicente, mais aus­si ses frères, Ángel et Domin­go).
On peut voir cela aux dédi­caces des par­ti­tions.

Il a com­posé quelques titres par­mi lesquels : Aquí se vac­u­na, dédi­cacé aux doc­teurs Gre­go­rio Hunt et Fer­nan­do Álvarez, La biyuya (l’ar­gent en lun­far­do), El charabón (nan­dou) dédi­cacé à son ami José Martínez, Blan­ca Nieve (Blanche Neige) dédi­cacé à sa sœur Blan­ca Nieve Labissier, Pochi­ta, Ensueño, Óscu­los de fuego, Romuli­to, Recuer­do inolvid­able

Orchestre de Vicente Gre­co. Loren­zo est le ban­donéon de droite. Dans la plu­part des illus­tra­tions, la pho­to est inver­sée. Là, vous l’avez en couleur et à l’en­droit…

Extrait musical

Loren­zo 1927-05-24 — Orques­ta Osval­do Frese­do (C’est le tan­go du jour).

Les paroles

Tous les enreg­istrements sont instru­men­taux, mais il y a des paroles, écrites par Mario Alber­to Par­do. Les voici…

Noches de loco plac­er,
de orgias, de mujeres, de cham­pán
que ya no volveré a beber
porque mi corazón,
san­gran­do en sus recuer­dos,
llo­ra una emo­ción.

Cuan­do el primer
en mi pecho cla­vo su pon­zoña fatal
y la traición de mujer
en mi pecho el veneno empezó a des­ti­lar,
vicio tras vicio adquirien­do,
fui necio bebi­en­do
mi pro­pio pesar;
loco, hice de mi vida
milon­ga cor­ri­da
bus­can­do olvi­dar.

Así da gus­to la vida
quien lo pudiera gozar
sin un dolor, sin un pesar
con un amor a dis­fru­tar,
bus­can­do siem­pre la ale­gría
que reinara
en la músi­ca del fueye,
de las copas y el cham­pan.

Agustín Bar­di Letra : Mario Alber­to Par­do

Traduction libre et indications

Nuits de plaisir fou, d’or­gies, de femmes, de que je ne reviendrai plus boire, parce que mon cœur, saig­nant dans ses sou­venirs, pleure son émo­tion.
Quand, la pre­mière pas­sion amoureuse cloua dans mon cœur son poi­son fatal et la trahi­son de la femme s’est mise à dis­tiller son venin, ajoutant vice sur vice, j’ai été stu­pide de boire mon pro­pre cha­grin ;
Fou, j’ai fait de ma vie une milon­ga débridée pour chercher à oubli­er.
Ain­si, la vie rend heureux celui qui pour­rait en prof­iter sans douleur, sans regret, avec un amour à prof­iter, cher­chant tou­jours la joie qui régn­era dans la musique du ban­donéon, des coupes et le cham­pagne.

Heureuse­ment qu’il par­le de ban­donéon à la fin, pour rester dans le thème de l’hom­mage à l’a­mi du com­pos­i­teur. Je n’ai pas d’in­for­ma­tion sur la vie amoureuse de Loren­zo. Il dédi­cace un tan­go à sa sœur, Blanche Neige, pas à ma con­nais­sance à une femme. Peut-être a‑t-il été empoi­son­né comme le sug­gère ce tan­go et Bar­di, en bon ami, a essayé de le con­sol­er avec ce titre.

Les versions

Loren­zo 1926-12-28 — Orques­ta Julio De Caro.

Par­mi les élé­ments amu­sants de cette ver­sion, le cou­plet sif­flé à 0:15 et à 1:15) et le cri à 2:21. Le ban­donéon est assez dis­cret, les vio­lons dans les pizzi­cati et les legati, voire le piano, ont plus de présence. Cela n’en­lève rien au charme du résul­tat et les quelques notes finales de ban­donéon per­me­t­tent de rap­pel­er que ce thème est en l’hon­neur d’un ban­donéon­iste. Un des rares thèmes de De Caro qui peut se prêter à la danse, en tous as pour ceux qui sont attirés par la vieille garde.

Loren­zo 1927-05-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On reste dans la vieille garde. Cette ver­sion est plus sim­ple, directe­ment , le vio­lon reste présent, mais le ban­donéon a un peu plus de temps d’ex­pres­sion que dans la ver­sion de De Caro.

Loren­zo 1927-05-24 — Orques­ta Osval­do Frese­do (C’est le tan­go du jour).

Enreg­istré le lende­main de la ver­sion de Canaro, la ver­sion de Frese­do est plus dynamique et expres­sive, tout en con­ser­vant les appuyés rap­pelant le canyengue. Là encore un joli vio­lon. Bar­di a décidé­ment été fidèle à son pre­mier instru­ment. À par­tir de 1:20, joli solo de ban­donéon. Là encore le ban­donéon a le dernier mot en lâchant les dernières notes.

Loren­zo 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Un tem­po soutenu, les ban­donéons sont plus présents, par exem­ple à 1:00 et ils accom­pa­g­nent les vio­lons qui gar­dent leurs superbes chants en lega­to. Un bon d’Arien­zo, des débuts de Bia­gi dans l’orchestre, même si son piano ne se remar­que que par quelques gammes vir­tu­os­es et par le final qui est donc au piano au lieu du ban­donéon.

Loren­zo 1938-03-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On redescend en rythme par rap­port à Frese­do et D’Arien­zo. Le ban­donéon a pris à sa charge des élé­ments qui étaient plus à la charge des vio­lons dans d’autres ver­sions. Le piano a aus­si plus de voix. C’est une ver­sion com­plétée par quelques notes de flûte et c’est cette fois-ci le vio­lon qui a le mot de la fin.

Loren­zo 1950-05-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Un tem­po rapi­de, dans un style encore un peu canyengue par moment et à d’autres don­nant dans le spec­tac­u­laire, notam­ment avec les explo­sions de piano. Comme dans la ver­sion de 1938, la flûte et le ban­donéon ont de la présence. C’est au finale une ver­sion bien ludique qui donne encore une fois le dernier mot au vio­lon. Sans doute une ten­dresse per­son­nelle pour son instru­ment.

Loren­zo 1965 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Je ne sais pas ce qu’au­rait pen­sé Loren­zo s’il avait vécu quinze ans de plus pour pou­voir enten­dre cette ver­sion. En tous cas, pas ques­tion de l’ex­ploiter pour danser en milon­ga.

Loren­zo 1987 — Miguel Vil­las­boas y su Orques­ta Típi­ca.

Pour ter­min­er par une ver­sion qui peut aller au bal, un petit tour en Uruguay. Comme tou­jours l’orches­tra­tion de Vil­las­boas est claire et sem­ble sim­ple. Le piano, son piano est très présent et mar­que le rythme et le ban­donéon alterne avec le vio­lon. Cette ver­sion enjouée devrait ravir les danseurs qui sont prêts à sor­tir de l’âge d’or. Une sec­onde écoute pour­ra être utile pour les danseurs qui ne con­nais­sent pas cette ver­sion afin d’en tir­er toutes les sub­til­ités sug­gérées pour l’im­pro­vi­sa­tion.

Roulons des mécaniques…

Un peu hors con­cours, une curiosité, une ver­sion au pianola :

Le est un qui peut être joué comme un piano nor­mal, à con­di­tion de ne pas avoir de trop grandes jambes, car le mécan­isme sous le clavier prend de l’e­space. Sa par­tic­u­lar­ité, vous la ver­rez dans la vidéo, est qu’il joue tout seul, comme un organ­i­to à par­tir d’un pro­gramme sur car­ton per­foré.

La fortune du thème

En juil­let 1947, Hen­ri Bet­ti qui est de pas­sage à Nice s’ar­rête devant la vit­rine d’une bou­tique de lin­gerie fémi­nine Scan­dale et il pré­tend que c’est là que les neuf pre­mières notes musi­cales de la chan­son lui vien­nent en tête : fa, mi, mib, fa, sol, la, sol, fa, ré. Il pré­tend ensuite avoir écrit le reste en moins de dix min­utes.
Lorsqu’il retourne à Paris, il s’en­tend avec le paroli­er André Hornez qui lui fait dif­férentes propo­si­tions et finale­ment, c’est si bon, qui est le titre élu pour cette chan­son qui com­mence donc par le fa, mi, mi bémol sur cha­cune de ces syl­labes.
Vos com­mencez à me con­naître et je trou­ve que cette his­toire est très sus­pecte. En effet, pourquoi citer un mag­a­sin de lin­gerie fémi­nine ? Je com­prends que cela peut don­ner des idées, mais la musique n’évoque pas par­ti­c­ulière­ment ce type de vête­ments.
En fait, la réponse est assez sim­ple à trou­ver. Regardez quel est l’orchestre qui joue dans cette vidéo :

Et main­tenant, écoutez la pre­mière ver­sion enreg­istrée de c’est si bon.

Eh, oui ! C’est l’orchestre de Jacques Hélian, le même qui avait fait la pub­lic­ité Scan­dale. De deux choses l’une, Hélian et/ou Bet­ti ont trou­vé une façon de mon­nay­er l’his­toire auprès de Scan­dale, afin de mon­tr­er que la mar­que inspi­rait égale­ment les hommes.
Hen­ri Bet­ti tir­era beau­coup de sat­is­fac­tion de ce titre. On le voit ici le jouer en 1959 dans l’émis­sion « Les Joies de la Vie » du 6 avril 1959 réal­isée par Claude Bar­ma.

Hen­ri Bet­ti jouant Loren­zo. Par­don, jouant C’est si bon !

Bet­ti a écrit de nom­breuses chan­sons, mais aucun n’a atteint ce suc­cès. Peut-être aurait-il été inspiré de pom­per un peu plus sur les auteurs argentins.
N’al­lons pas en faire un scan­dale, mais con­tin­uons à voguer avec « C’est si bon », qui rapi­de­ment tra­versera l’At­lan­tique

C’est si bon 1950 — John­ny Desmond Orchestre dirigé par Tony Mot­to­la et les voix en chœur par The Quin­tones

Le titre sera égale­ment repris par Louis Amstrong, Yves Mon­tand et…

Pourquoi un tigre ?

Quand j’é­tais net­te­ment plus jeune, il y avait une pub­lic­ité pour une mar­que d’essence qui promet­tait de met­tre un tigre dans son moteur (ou dans son réser­voir selon les pays).
L’air de la pub­lic­ité était celui de « C’est si bon », mais je l’ai tou­jours asso­cié à Loren­zo, ne con­nais­sant pas le titre en français.
Je n’ai pas réus­si à retrou­ver cette chan­son pub­lic­i­taire de la fin des années 60, mais je suis sûr que vous me croyez sur parole. La chan­son dis­ait « c’est si bon, d’avoir les meilleurs pneus, pou­voir compter sur eux »… et se ter­mi­nait par « Esso c’est ma sta­tion ! ».
« Voilà juste­ment ce qui fait que votre fille est muette », par­don, voilà que je me prends pour Sganarelle. Voilà juste­ment ce qui explique la présence du tigre. Les gamins dont j’é­tais tan­naient leurs par­ents pour obtenir la queue de tigre à laiss­er pen­dre au rétro­viseur. Donc, à défaut du Tigre du Ban­donéon (Aro­las), c’est le tigre d’Es­so qui vous salue et moi qui vous remer­cie d’avoir lu cela, jusqu’au bout, ce petit texte en l’hon­neur de Loren­zo Juan Labissier.