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Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Hier, en fouillant dans les vidéos de La yumba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon attention. Il s’agit d’un concert donné en 1987 où Roberto Goyeneche a été accompagné par l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Cette rencontre au sommet entre ces deux idoles du tango a donc été filmée et j’ai pensé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enregistré il y a exactement 37 ans, jour pour jour.
Je pourrai rajouter que les auteurs sont eux aussi plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Carlos Gardel et José Razzano pour la composition et Celedonio Esteban Flores pour les paroles.

Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Partition de Mano a mano de Carlos Gardel et José Razzano avec des paroles de Celedonio Flores.
Mano a mano – Roberto Goyeneche con Osvaldo Pugliese y su orquesta. public au Teatro Opera de (Avenida Corrientes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un monument d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tango.

Paroles

Rechiflado en mi tristeza, te evoco y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una buena mujer.
Tu presencia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste buena, consecuente, y yo sé que me has querido
cómo no quisiste a nadie, como no podrás querer.

Se dio el juego de remanye cuando vos, pobre percanta,
gambeteabas la pobreza en la casa de pensión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y canta,
Los morlacos del otario los jugás a la marchanta
como juega el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infelices ilusiones,
te engrupieron los otarios, las amigas y el gavión;
la milonga, entre magnates, con sus locas tentaciones,
donde triunfan y claudican milongueras pretensiones,
se te ha entrado muy adentro en tu pobre corazón.

Nada debo agradecerte, mano a mano hemos quedado;
no me importa lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habértelos pagado
y, si alguna deuda chica sin querer se me ha olvidado,
en la cuenta del otario que tenés se la cargás.

Mientras tanto, que tus triunfos, pobres triunfos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y placer;
que el bacán que te acámala tenga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los muchachos: Es una buena mujer.
Y mañana, cuando seas descolado mueble viejo
y no tengas esperanzas en tu pobre corazón,
sí precisás una ayuda, si te hace falta un consejo,
acordate de este amigo que ha de jugarse el pellejo
pa’ayudarte en lo que pueda cuando llegue la ocasión.
Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Traduction libre et indications

Entravé (rechiflado peut signifier amoureux, enthousiaste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pauvre vie de paria seulement une femme bonne.
Ta présence de femme (multitude d’acceptions allant de tenancière de bordel à concubine en passant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, conséquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé personne, comme tu ne pourras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pauvre femme (amante, concubine), tu dribblais (essayer d’esquiver, comme au football) la pauvreté dans la pension.
Aujourd’hui, tu as une femme établie (probablement tenancière de ), la vie rit et chante pour toi, les morlacos (pesos, argent) de l’otario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchanta (action de jeter des pièces à des personnes pauvres pour qu’elles se jettent dessus en se battant) comme le chat joue avec la misérable souris.
Aujourd’hui, tu as le mate plein d’illusions malheureuses, tu as été gonflé par les otarios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milonga, chez les magnats, avec ses folles tentations, où les milongueras triomphent et chutent, est entrée profondément dans ton pauvre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remercier, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la chargeras sur le compte de l’otario que tu as.
En attendant que tes triomphes, pauvres triomphes éphémères, soient une longue lignée de richesses et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des proxénètes milongueros et que les garçons disent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meuble et que tu n’auras plus d’espoir dans ton pauvre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de conseils, souviens-toi de cet ami qui risquera sa peau pour t’aider de toutes les manières possibles lorsque l’occasion se présentera.

Autres versions

Il y a des centaines d’autres versions, à commencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la formidable camaraderie des gens de tango.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Roberto Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polonais (El Polaco), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne commence sa carrière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mouvement du tango est donc plutôt de la faute de ses parents 😉
En revanche, il compense cela par une diction ferme et un phrasé très particulier qui font que l’on tombe obligatoirement sous son charme.
Arriver tard, n’est pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où à partir des années 50, le tango devient surtout une activité de concert, plus que de danse. La radio, les disques et la télévision étaient friands de ces chanteurs expressifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le public.
Dans les années 40, un de ses collègues de l’orchestre de Horacio Salgán, le chanteur Ángel Díaz, lui donna son surnom de Polaco (Polonais).
Son passage dans l’orchestre de Aníbal Troilo affermit sa gloire naissante, mais le fait qu’il donne une vision personnelle des grands titres du répertoire a également attiré la sympathie du public. Il a su ainsi personnaliser son répertoire, en renouvelant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exemple, notre tango du jour avait été particulièrement apprécié, notamment par Carlos Gardel (son auteur), Charlo, , Héctor Palacios, , Carlos Dante et même Nina Miranda (en duo avec Roberto Líster), Carlos Roldán et Julio Sosa, el Varon del tango. Il convenait donc de se démarquer et Goyeneche sut le faire, faisant souvent oublier les versions antérieures pour que le public ne retienne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, (gorge avec du sable). a d’ailleurs fait une chanson hommage au Polaco, Garganta con arena.

Garganta con arena

Je vous propose de terminer avec la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche. Cacho a composé cette chanson, quelques mois avant la mort de Roberto. Ce dernier en entendant la chanson fredonnée dans la loge par Cacho Castaña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à qui était également présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enregistré la chanson, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adriana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous propose de voir maintenant.

Garganta con arena, la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche, ici, en 2010 chanté par Cacho Castaña et Adriana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Polaco Goyeneche, cántame un tango más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un karma: Cantar, siempre cantar

Tu voz, que al tango lo emociona
Diciendo el punto y coma que nadie le cantó
Tu voz, con duendes y fantasmas
Respira con el asma de un viejo bandoneón

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó

Cantor de un tango algo insolente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Cantor de un tango equilibrista
Más que cantor, artista con vicios de cantor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos falta siempre el aire cuando no está tu voz
A vos, que tanto me enseñaste
El día que cantaste conmigo una canción

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó
Cacho Castaña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Polaco Goyeneche, chante-moi encore un tango.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du karma : Chante, chante toujours
Ta voix, qui émeut le tango, disant le point-virgule que personne jamais n’a chanté.
Ta voix, avec des lutins (duendes, sorte de gnomes de la mythologie espagnole et argentine) et des fantômes, respirez avec l’asthme d’un vieux bandonéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le chagrin que Malena n’a pas chanté.
Chante, que Juárez te condamne en blessant ton chagrin avec son bandonéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au bandonéon, ce qui est très rare. Troilo, lui-même, chantait parfois quelques instants, mais jamais une véritable partie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on parlera beaucoup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaudissent.
Et même si tu te meurs, ils ne connaissent pas ta douleur. Chante, que Troilo depuis le ciel, sous ton oreiller, un couplet, il t’a laissé.

Chanteur d’un tango un peu insolent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tango équilibriste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous manquons toujours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chanté une chanson avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Monsieur Goyeneche.

Homenajes

Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux hommages. C’est en effet un thème récurrent du tango. On célèbre l’ami, le maître, le grand homme ou la grande femme, la mère, souvent. Voici quelques hommages et le dernier va sans doute vous étonner.

Je n’évoquerai pas les dédicaces que l’on trouve notamment sur les partitions. Ce ne sont pas toujours à proprement parler des hommages, car souvent les personnes payaient pour être mentionnées. Je n’évoquerai pas non plus les disques d’hommage à…, puisqu’il s’agit de compilations et pas de titres créés spécialement.
J’évoque donc ici, les thèmes musicaux et les paroles qui rendent hommage, évoquent, citent, des personnes, au sens large.

Hommage avec le nom dans le titre

Une première forme est de tout simplement déclarer dans le titre le nom de la personne à qui on souhaite rendre hommage.
Attention toutefois à ne pas commettre d’erreurs. En effet, les noms de personnalités publiques font le plus souvent référence à un lieu, à une rue, et pas au personnage qui a donné son nom à cet endroit. Par exemple, Rodriguez Peña ou Te espero en Rodriguez Peña ne parlent pas du président argentin, mais de la rue et plus particulièrement du salon qui y était fameux.
Très souvent, ces hommages commencent par A pour indiquer la dédicace, mais ce n’est pas toujours le cas. Voici une petite liste, bien sûr très incomplète, notamment, je n’évoque pas les tangos qui n’ont pas l’objet dans le titre, ou ceux dont le titre vient d’une dédicace postérieure, comme El Entrerriano.

  • A Alfredo Belusi
  • A Ángel Amadeo Labruna
  • A Belisario Roldán
  • A Don
  • A Don Guillermo
  • A Don Javier
  • A Don Juan Manuel
  • A Don Nicanor Paredes
  • A Don Pedro Maffia
  • A Don Pedro Santillán
  • A Don Pirincho Canaro
  • A Ernesto Sábato
  • A Evaristo Carriego
  • A Firpo
  • A Francini-Pontier
  • A Francisco
  • A Francisco de Caro
  • A Gabino Sosa
  • A Homero
  • A Homero Manzi
  • A Horacio Salgan
  • A Orlando Goñi
  • A Ireneo Leguisamo
  • A Juan Carlos Copes,
  • A Leopoldo Federico
  • A Lo Pirincho
  • A Lucina y Joe
  • A Luis Luchi
  • A Magaldi
  • A Mancuso
  • A Marta Rosa
  • A Martin Fierro
  • A Mercedes
  • A Natalio Pescia
  • A Orlando Goñi (Orlando Goñi)
  • A Pedro Maffia
  • A Quinquela Martin
  • A
  • A Ricardo Catena
  • A Roberto Ari
  • A Roberto Grela
  • A Roberto Peppe
  • A Roberto Perfumo
  • A Rosalía
  • A Salvador Allende
  • Adiós Arolas (Se llamaba Eduardo Arolas)
  • Ángel Vargas (El ruiseñor)
  • Aníbal Troilo
  • Arolas
  • Callejas solo (A Alfredo Callejas)
  • Celedonio
  • Con T de Troilo
  • Cumbrera (Carlos Gardel)
  • D’Arienzo vos sos el rey
  • D’Arienzo y Palito
  • Discos de Gardel
  • Don José Maria
  • Don Juan
  • Don Orlando
  • El fueye de Arolas
  • El pollo Ricardo
  • El
  • Gardel
  • Gardel que estas en los cielos
  • Gardel – Razzano (El morocho y el Oriental)
  • Gerardo Matos Rodriguez
  • Gricel
  • La negrita María
  • Luís maría
  • Margo
  • Margot
  • María
  • María Barriento
  • María Cristina
  • María de
  • María Del Carmen
  • María Dolores
  • María Esther
  • María Lando
  • María Remedios
  • María Trinia
  • Mariana
  • Mariángel
  • Marianito
  • Madame Ivone
  • Mi
  • Mi maría Rosa
  • Mi Marianela
  • Milonga para Gardel
  • Negra María
  • Para Eduardo Arolas
  • Pericon por María
  • Pirincho (Canaro)
  • Que le parece Dona María
  • Retrato de Alfredo Gobbi
  • Rincón por María
    Tango a Pugliese
  • Un ADN a Gardel
  • Violín
  • Zorro plateado (Máximo Acosta)

Personnes difficiles à identifier

On parle d’une personne précise, mais il est difficile d’être sûr de la personne évoquée, il s’agit parfois d’un être imaginé à partir de plusieurs personnes, comme Zorro Gris.

  • A lo Magdalena
  • A lo Megata
  • A mi mariucho
  • Griseta
  • La Marianella
  • María celosa
  • María la del portón
  • María morena
  • Mariposa (papillon)
  • Otario que andas penando
  • Pobre Margot
  • Señorita María
  • Tu nombre es María
  • Yo soy María
  • Zorro gris

Dédicaces génériques

Elles peuvent être utilisées pour différentes personnes, par exemple, les mères en général

  • A la mujer argentina
  • A los artistas plásticos
  • A los maestros
  • A los míos
  • A los muchachos
  • A los obreros gráficos
  • A los payadores
  • A los que se fueron
  • A mi esposa
  • A mi madre
  • A mi madrecita
  • A mi padre
  • A mi vieja
  • A mis compañeros
  • A mis tíos
  • A mis viejos
  • A su memoria
  • A un semejante
  • El ingeniero (ingénieurs diplômés dans les universités argentines).

Les dédicaces à Canaro

  • A Don Pirincho Canaro (déjà cité)
  • A lo Pirincho
  • Canaro
  • Canaro en Córdoba
  • Canaro en Japón
  • Canaro en
  • Pirincho

Les sélections

Les selecciones sont des titres qui mélangent plusieurs morceaux. On les appelle aussi Popurri (Pots-pourris).
Il en existe de différents auteurs et/ou compositeurs, par exemple Arolas, Canaro, De Caro, Delfino, Di Sarli, Discepolo, Gardel, , Piazzolla, Troilo… C’est une forme d’hommage qui consiste à mettre en valeur des compositions ou textes d’un compositeur ou auteur particulier.
Sans le titre seleccion ou popurri, on trouve également

  • Homenaje a Carlos Gardel
  • Recordando a Discepolo
  • Homenaje a

Les à la manière de

Il s’agit d’œuvres où on imite le style de la personne à qui on souhaite rendre hommage. Je parle de compositions, pas des orchestres qui jouent à la manière de…

  • Engobbiao (Alfredo Gobbi)
  • Pichuqueando (Canaro)
  • Puglieseando  (Pugliese)
  • Tango a Pugliese (Pugliese)

San Pugliese

Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi on disait « San Pugliese », ce qui veut dire Saint Pugliese.
Don Osvaldo était athée, communiste de surcroît et donc, difficilement canonisable, du moins par le Vatican, même avec un Pape d’origine argentine.
Mais les Argentins ont de la ressource et l’idée de créer une image « pieuse » (Estampita) à l’image de Pugliese est venue à Carlos Villaba à la vue des images pieuses qui se distribuent dans les églises.
Il confia le texte à Alberto Muñoz qui souhaita garder l’anonymat et c’est pour cette raison qu’il n’est pas signé. Ce qui est amusant, c’est que plusieurs personnes ont revendiqué l’écriture, ce qui, pour Alberto était la preuve que cela fonctionnait.
L’image d’origine est constituée d’une photo de Pugliese sur laquelle un œillet a été ajouté. C’est l’œillet qui était placé sur le piano quand Pugliese était absent (généralement en prison…) lors des concerts.

San Pugliese. À gauche, Recto et verso de l’image « pieuse » originale (estampita). À droite, trois versions plus récentes.

La mention « San Pugliese », reprend le principe des images pieuses, comme celle de San Expedito, le saint des causes justes et urgentes…

Une image pieuse dédiée à San Exposito.

Un documentaire est sorti il y a quelques mois sur San Pugliese. Je vous invite à le voir, si vous en avez l’occasion, il est passionnant.

Bande annonce de San Pugliese

https://filmfreeway.com/SanPugliese
Le site et la bande annonce de San Pugliese.

https://www.facebook.com/sanpugliesedocumental
La page Facebook est également intéressante

Texte de la prière à Saint Pugliese

Protégenos de todo aquel que no escucha. Ampáranos de la mufa de los que insisten con la patita de pollo nacional. Ayúdanos a entrar en la armonía e ilumínanos para que no sea la desgracia la única acción cooperativa. Llévanos con tu misterio hacia una pasión que no parta los huesos y no nos deje en silencio mirando un bandoneón sobre una silla

libre de la prière à Saint Pugliese

« Protège-nous tous ceux qui n’écoutent pas. Protège-nous de la mufa (mauvaise humeur) de ceux qui insistent avec la cuisse de poulet nationale. Aide-nous à entrer en harmonie et éclaire-nous afin que le malheur ne soit pas la seule action coopérative. Emmène-nous avec ton mystère vers une passion qui ne brise pas les os et ne nous laisse pas en silence regardant un bandonéon sur une chaise ».

Comment utiliser la prière à San Pugliese

Les musiciens argentins, même ceux qui n’ont rien à voir avec le tango respectent San Pugliese et l’invoquent pour que tout se passe bien. Sur les scènes, on peut voir des images de San Pugliese et quand tout ne se passe pas pour le mieux, il convient de conjurer le mauvais sort en criant Pugliese – Pugliese – Pugliese. Ne croyez pas que c’est une superstition, cela fonctionne et beaucoup d’artistes et de techniciens ont la Estampita dans leur portefeuille, placée sur la console ou sur leur instrument.

Clin d’œil final…

Le principe des images pieuses détournées continue d’être utilisée en Argentine et je vous présente pour terminer une image qui me fait mourir de rire. Le nom de l’homme politique Santoro a été découpé en faire San Toro. Jajaja.

Santoro (en un seul mot) est un homme politique argentin, enseignant de formation. La prière demande à ce que les enfants puissent avoir une plave (vancante) à l’école publique.

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico

Notre est très original, par son titre, par sonorité et par sa rareté. Un marajá (maharajá) est bien sûr un maharadjah qui pour l’époque qui nous intéresse est un des princes feudataires de l’Inde. La sonorité de la musique le confirme rapidement si on avait un doute.

Un Federico peut en cacher un autre

Quatre âges de Domingo Federico.

Domingo Federico (1916-2000) avait une petite sœur, Nélida Cristina Federico (1920-2007). Bandonéoniste, pianiste et peintre (1920-2007). Cette dernière indique que son père, Federico était violoniste et même professeur de violon selon son frère, Domingo et c’est là que les problèmes commencent.
Un Francisco Federico, on en a un en stock, mais il était contrebassiste, notamment dans l’orchestre de Miguel Caló. Il était également compositeur, par exemple de El marajá dont on parle aujourd’hui.
Selon Nélida, c’est son père et Domingo qui l’ont initié à la musique. Il est donc fort probable que le Francisco auteur de ce tango soit le père de Nélida et Domingo, sinon, pourquoi ne pas parler de son autre frère qui comme compositeur et contrebassiste aurait pu aussi contribuer à la formation musicale de la jeune femme ?
Une autre indication est le fait que Saludos est cosigné Domingo et Francisco Federico et qu’à cette époque, Francisco Federico était contrebassiste dans l’orchestre de Miguel Caló.
Sur le fait de jouer plusieurs instruments, c’était une particularité de la famille et de nombreux autres musiciens de tango. Nélida aurait commencé à étudier le violon, puis serait passé au piano et au bandonéon.
En effet, le premier janvier 1931, avec son frère Domingo, elle jouait au Café Tokyo de Junín en compagnie de son frère âgé de 14 ans (elle devait donc avoir environ 11 ans). Lui au bandonéon et elle au piano. Le clou du spectacle est qu’ils échangèrent les rôles, lui au piano et elle au bandonéon, le père étant le conseiller musical du duo qui fut appelé, le Duo Federico.
J’avais donc monté l’hypothèse que le Francisco de Saludos et de El marajá était le père ou sinon le frère de Nélida et Domingo. Pour lever cette ambiguïté, j’ai é des collègues et l’excellent Camilo Gatica m’a orienté vers une source que j’avais consultée, mais dans une version inaccessible pour moi.
Cette source complète confirme toutes mes hypothèses, je cite donc la conclusion de Camilo (avec des ajouts entre parenthèses) : « Ainsi, Francisco était pianiste, bandonéoniste, violoniste (et même professeur de violon selon son fils), contrebassiste (dans l’orchestre de Miguel Calo) et avait des connaissances en musique. Il était le père de Domingo et Nélida ».

Domingo et Nélida Federico avant…
Domingo et Nélida après une vie d’artiste (Nélida avait abandonné le bandonéon pour la peinture, mais est revenue ensuite au bandonéon).

Extrait musical

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.
El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.

Un motif très léger de flûte ethnique commence l’œuvre. La mélodie principale a des caractéristiques qui la rapprochent de la musique orientale. On ne peut donc à aucun moment écarter la volonté de référence à un orient.
On notera la grande richesse des contrepoints, les instruments se lançant à tour de rôle de dans de belles phrases qui s’enlacent et s’enchevêtre, tout en gardant une grande clarté.
Les motifs, plus typiquement orientaux, reviennent régulièrement pour rappeler le thème.
Étant ignorant en musique indienne, je ne peux pas vous proposer d’œuvres de comparaison qui permettraient de définir la source d’inspiration de Francisco Federico. Cependant, ceux qui connaissent Ravi Shankar ou George Harrison (le guitariste des Beatles)verront toute de suite des analogies, même si Francisco et Domingo Federico ne font pas appel au sitar. Que ce soit un orient de fantaisie ou savant, cela évoque l’Inde et l’un de ses princes, un maharajá.

Mais qui est ce mahârâjah – maharajá – marajá ?

Le fait que le père de Domingo soit l’auteur de ce tango est important, car en 1925, un mahârâjah est venu en Argentine et a été reçu en grande pompe, au point que le Président Alvear a dû sortir de sa poche une partie du financement, car l’enveloppe de dépense avait explosé.
Le voyageur était le mahârâjah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce prince indien était fortement européanisé et parlait français, ce qui était courant dans la haute société argentine de l’époque. Il effectua son voyage en habits européens, sans son turban.

Le maharajah (au centre de face) en compagnie du président argentin Alvear (au centre, de profil avec la canne) et du (le deuxième à partir de la gauche).

Le maharajah relate son périple dans son journal :
My Tour in South, Central, and North America (1926). On y apprend qu’il faisait froid à son arrivée à en provenance d’Uruguay et que Buenos Aires est le lieu qui lui a le plus plu de son voyage. On peut le croire quand on constate qu’un quart de son livre est consacré à son passage dans la province. Parmi ses visites, en plus du théâtre Colon et les réceptions habituelles, il est allé à Tigre et dans un site insolite que j’ai choisi de mettre en fond de la photo de couverture.
Il s’agit du château situé à 200 km de Buenos Aires, dans la Pampa. Il passa deux jours dans ce château imitant le style français Louis XIII appartenant à doña Concepción Unzué de Casares.

Quelques vues du château estancia Huetel construit par l’architecte franco-suisse Jacques Dunant. Né à Genève, Jacques Dunant fit ses études d’architecte aux Beaux-Arts de . Pour l’exposition universelle de 1889 (celle où a été construite la Tour Eiffel), il travailla au pavillon de l’Argentine. En 1995, il fut appelé à Buenos Aires pour juger du concours pour l’attribution de la construction du Congresso. Il se fixa en Argentine et y réalisa de nombreux édifices (ainsi qu’en Uruguay). La construction de l’estancia Huetel a commencé en 1906.

Au programme, un concert de Carlos Gardel. Un chanteur d’origine française, dans un château de style français par un architecte français, il n’en fallait pas plus pour ravir le mahârâjah francophile.
Pour être précis, Gardel n’était pas seul. Il était accompagné de Razzano et de leurs guitaristes Ricardo et Barbieri et d’un instrumentiste impromptu…
Gardel et Razzano commencèrent à interpréter Linda provincianita, , , La pastora et La canción del ukelele. Alors, Le Prince de Galles qui était également invité est parti dans sa suite chercher un ukulélé et il se mit à en jouer y compris sur les chansons de Gardel et Razzano.
Jagatjit Singh Sahib Bahadur (le maharajah) raconte dans son journal que l’accueil de la population argentine a été enthousiaste dans tous les points de son voyage dans le pays et qu’on l’accueillait aux cris de « Viva el Maharajá », y compris aux haltes du train qui le mena par la suite vers le Chili.

My Tour in South, Central, and North America (1926). Sur la photo du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur, en costume traditionnel, on peut voir un fauteuil qui lui avait été offert à La Plata par le gouverneur Cantillo en août 1925.

La visite d’un prince venu de si loin semble avoir impressionné la population et j’imagine que c’est bien cette visite qui a donné l’idée à Francisco Federico d’écrire ce titre.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version de ce tango, je vous propose de le réécouter.

El marajá 1951-08-03 – Orquesta Domingo Federico.

Domingo Federico est sans doute un musicien un peu oublié. Sa retraite à Rosario l’éloignant de Buenos Aires a peut-être limité sa visibilité. Je suis donc content, une fois de plus, de lui redonner un peu de présence.

À propos de l’image de couverture

J’ai assemblé deux images. Une vue de l’estancia Huetel et au premier plan, un portrait du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce portrait n’est pas d’époque, mais je tenais à présenter un maharajah avec son turban.

El marajá (mahârâjah) de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur.

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tango qui ne laisse pas les tangueros se reposer, notamment dans cette version. Les deux Pedro, Laurenz puis Maffia ont créé un monstre qui aspire toute l’énergie vitale des danseurs de la première à la dernière note. Le charme semble aussi avoir opéré également sur les directeurs d’orchestre, car de très nombreuses versions en ont été enregistrées. La version du jour est par l’un des deux compositeurs, Laurenz avec Juan Carlos Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tango a été donné par De Grandis qui avait écrit un texte, sur la misère de l’abandon. En 1925-1926, il était violoniste dans le sexteto du bandonéoniste Enrique Pollet, celui qu’on retrouvera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe variation finale de Recuerdo.

Un jour que ce sexteto jouait dans son lieu habituel, Le Café El Parque (près de Tribunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Laurenz qui était ami de Pollet prit connaissance du texte et sur l’instant sur son bandonéon, imagina un air pour la première partie, puis il alla le montrer à Pedro Maffia qui était alors au cinéma Select Lavalle, à proximité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maffia fut tellement enthousiasmé qu’il demanda à Laurenz de pouvoir le terminer.
Et ainsi, le tango intégra le répertoire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beaucoup d’autres.
Après cette première vague, le tango fut moins enregistré, juste ressuscité à diverses reprises par Laurenz. La seconde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nouvelle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beaucoup d’orchestres ont ce tango à leur répertoire.
Pedro Laurenz l’a enregistré au moins cinq fois, vous pourrez comparer les versions dans la partie « autres versions ».

Extrait musical

Amurado. Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis La dédicace est au Docteur Prospero Deco, qui deviendra le Directeur del Hospital General de Agudos José María Penna de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

Tout commence par un puissant appel du bandonéon qui résonne comme un , puis la machine se met en marche. Le rythme est puissamment martelé, par les bandonéons, la contrebasse, le piano, en contrepoint, des plages de douceur sont données par les violons et en son temps par Juan Carlos Casas, mais à aucun moment le rythme et la tension ne baissent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aussi un magnifique solo de bandonéon, indispensable pour un titre composé par deux bandonéonistes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peuvent prendre du plaisir sans remord. Cette incroyable composition emporte les danseurs et hérisse les poils de bonheur de bout en bout. Cette version est une merveille absolue qui fait regretter que Laurenz et Casas n’ait pas plus enregistré.

Paroles

Campaneo a mi catrera y la encuentro desolada.
Sólo tengo de recuerdo el cuadrito que está ahí,
pilchas viejas, unas flores y mi alma atormentada…
Eso es todo lo que queda desde que se fue de aquí.

Una tarde más tristona que la pena que me aqueja
arregló su bagayito y amurado me dejó.
No le dije una palabra, ni un reproche, ni una queja…
La miré que se alejaba y pensé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Tengo blanca la cabeza!
¿Será acaso la tristeza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a buscar felicidad.

Bulincito que conoces mis amargas desventuras,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me faltan sus caricias, sus consuelos, sus ternuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuántas noches voy vagando angustiado, silencioso
recordando mi pasado, con mi amiga la ilusión !…
Voy en curda… No lo niego que será muy vergonzoso,
¡pero llevo más en curda a mi pobre corazón!

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis

Juan Carlos Casas ne chante que ce qui est en gras.

libre et indications

Je contemple mon lit et le trouve désolé.
Je n’ai comme souvenir que le petit tableau qui est ici, de vieilles couvertures, quelques fleurs et mon âme tourmentée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est partie d’ici.
Un après-midi plus triste que le chagrin qui m’afflige, elle a préparé son petit bagage et m’a laissé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloigner et j’ai pensé :
Tout à une fin !
Si elle me voyait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire solitude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bonheur.
Petit logis, qui connaît mes mésaventures amères, ne t’étonne pas que je parle tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me manquent ses caresses, ses consolations, sa tendresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Combien de nuits je vais vagabondant, angoissé, silencieux, me souvenant de mon passé, avec mon ami l’illusion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit honteux, mais je supporte mieux mon pauvre cœur quand je suis bourré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les versions par les auteurs (Maffia, 1 version et Laurens, 5 versions).

Amurado 1927-02-11 – Orquesta Roberto Firpo.

Une version calme, sans doute trop calme si on la compare à notre

Amurado 1927-04-08 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une autre version tranquille, exécutée avec conscience, mais sans doute pas de quoi susciter la folie.

Amurado 1927-06-08 – Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie interprétation de Corsini, à écouter, bien sûr.

Amurado 1927-07-20 – Pedro Maffia y (Duo de bandoneones).

Pedro Maffia l’auteur de la seconde partie nous propose ici sa version en duo avec Alfredo De Franco. Une version simple, mais plus rapide que les autres de l’époque. Il nous manque certains instruments auxquels nous sommes désormais habitués pour totalement apprécier cette version qui peut paraître un peu monotone et répétitive.

Amurado 1927-07-22 – Carlos Gardel con acomp. de , José Ricardo (guitarras).

Avec seulement deux guitares, Gardel donne la réponse à Corsini qui le mois précédent avait enregistré le titre avec trois guitares. C’est également joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amurado 1927-08-16 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Canaro enregistre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses caractéristiques de l’époque. De jolis traits de violon et bandonéon allègent un peu le marquage puissant du rythme. La voix de Irusta, un peu nasale, apporte une petite variation dans cette interprétation qui ne sera sans doute pas à la hauteur des danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1927-09-07 – Agustín Magaldi con guitarras.

Il ne manquait que lui, après Corsini et Gardel, voici Magaldi. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les versions des deux concurrents, mais ça se laisse écouter.

Amurado 1927-09-12 – Orquesta Julio De Caro.

Je pense que dès les premières mesures vous aurez remarqué la différence d’ambiance par rapport à toutes les versions précédentes. Le rubato marqué, parfois exagéré et la variation du solo de bandonéon sont déjà très proches de ce que proposera Laurenz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui apparaissent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instruments atypiques.

Amurado 1927-12-06 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con .

On revient sans doute un cran en arrière dans la modernité, mais la partie d’orchestre est assez sympathique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus difficile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1928 – Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con .

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fugazot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pourra que placer un magnifique accord final.

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

C’est notre tango du Jour. Si on note la filiation avec l’interprétation de De Caro, la version donnée par Laurenz est éblouissante en tous points. Il a fait le ménage dans les propositions parfois un peu confuses de De Caro et le résultat est parfait pour la danse.

Amurado 1944-11-24 – Orquesta .

Tout en restant fidèle à l’écriture de Laurenz, Pugliese propose sa version avec une pointe de Yumba et son alternance de moments tendus et d’autres, relâchés, et des nuances très marquées. Le résultat est comme toujours superbe, mais beaucoup plus difficile à danser pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version. En milonga, c’est donc à réserver à des danseurs expérimentés ou motivés. L’accélération de la variation en solo du bandonéon qui nous mène au final est tout aussi belle que celle de Laurenz, les danseurs pourront s’y donner rendez-vous pour oublier les petits pièges des parties précédentes.

Amurado 1946 (transmisión radial) – Orquesta Pedro Laurenz.

Six ans plus tard, Laurenz propose une version instrumentale. Il s’agit d’un enregistrement radiophonique, d’une qualité impossible pour la danse, mais nous avons une version enregistrée l’année suivante.

Amurado 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.

Cette version est très proche et je ne la proposerai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estribillo chanté par Casas va manquer aux danseurs.

Amurado 1952-09-25 – Orquesta Pedro Laurenz.

Après un peu de temps de réflexion, Laurenz propose une nouvelle version, très différente. On sent qu’il a voulu dans la première partie tirer parti des idées de Pugliese, mais la réalisation est un peu plus sèche, moins coulée et la seconde partie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta première version, même si on garde de cette version le final qui est tout aussi beau que dans l’autre.

Amurado 1955-09-16 – Orquesta .

Basso reprend l’appel initial du bandonéon, en l’accentuant encore plus que Laurenz dans sa version de 1940. Un violon virtuose nous transporte, puis le bandonéon tout aussi agile reprend le flambeau. Par moment on retrouve l’esprit de la version de la version de Laurenz en 1940, mais entrecoupée de passages totalement différents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rappels proches de Laurenz peuvent leur faire regretter l’original, mais les idées différentes peuvent aussi éveiller leur curiosité et les intéresser. Peut-être à tenter dans un lieu rempli de danseurs un peu curieux.

Amurado 1956 – Edmundo Rivero con acomp. de Carlos Figari y su Orquesta.

Une version à écouter, avec la puissance d’un grand orchestre.

Amurado 1956c – Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, harmoniciste que l’on retrouvera 12 ans plus tard avec une version encore plus intéressante.

Amurado 1959-01-08 – Orquesta José Basso.

Encore Basso, qui s’essaye à l’amélioration de son interprétation et je trouve que c’est une réussite qui devrait intéresser encore plus de danseurs que la version de 1955.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo. Vidal avec ce conjunto de cordes nous propose une version très originale. Sa superbe voix est parfaitement mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dommage que ce ne soit pas pour la danse.

Amurado 1962-04-19 Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa.

Dans la première époque du titre, on avait entendu Corsini, Gardel et Magaldi. Dans cette nouvelle période, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tango. Une version qui fait se dresser les poils de plaisir. Quelle version !

Amurado 1962-12-19 – Aníbal Troilo y Roberto Grela en vivo.

Un enregistrement avec un public enthousiaste, qui masque parfois la merveille du bandonéon exprimé par Troilo, extraordinaire.

Amurado 1968 Pedro Laurenz con su Quinteto.

La dernière version enregistrée par Pedro Laurenz, avec la guitare électrique en prime. Une version à écouter, mais pas inintéressante.

Amurado 1972 – Hugo Díaz.

Le meilleur harmoniciste nous propose une version plus aboutie.

Amurado 1975 – Sexteto Mayor.
Amurado 1981 – Orquesta Leopoldo Federico.

Bien au-delà de la version avec Sosa, l’orchestre s’exprime magnifiquement. On est bien sûr totalement hors du domaine de la danse, mais c’est une merveille.

Amurado 1990 Roberto Goyeneche con arreglos y dirección de Raúl Garello.

Goyeneche manquait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son répertoire. Cet enregistrement comble cette lacune.

Amurado 1995-08-23 – .

Une version par les anciens musiciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de versions, vous avez encore une fois un échantillon de la richesse du tango. En général, seules une ou deux versions passent en milonga, mais quelquefois les modes changent et des titres oubliés redeviennent à la mode. Ainsi, le tango reste vivant et quand des orchestres contemporains se chargent de rénover la chose, c’est parfois une seconde chance pour les titres.

Sur ces entrefaites, je vous dis, à demain, les amis.

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

, est comme un cri lancé. Nunca más exprime la rage, le désespoir, l’espoir. Nunca más, c’est un des plus beaux thèmes enregistrés par D’Arienzo avec Mauré. Nunca más est une œuvre de deux des frères Lomuto, Francisco qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tango qui exprime la rage, le désespoir, l’espoir. C’est notre tango du jour.

Extrait musical

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con .
Nunca más. Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto.

Paroles

En una noche de falsa alegría
tus ojos claros volví a recordar
y entre los tangos, el vino y la orgía,
busqué tu matar.
Recordaba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida consagré,
pero ingrata te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi alegría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por buena
en tus dulces labios, nena,
me he quemado el corazón.
Linda,
muñequita mimosa,
siempre,
en mi corazón estás,
Nena,
acordate de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuando dijo: ¡Nunca más!

Entre milongas y timbas, mi vida
pasando va estas horas inquietas,
de penas lleno, el alma oprimida,
pálido el rostro como una careta.
Arrepentida, nunca vuelvas, jamás
a pedir desolada mi perdón.
¡No olvides que al decirme nunca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Traduction libre

Par une nuit de joie factice, je me suis rappelé tes yeux clairs et entre les tangos, le vin et l’orgie, j’ai cherché fébrilement à tuer ton souvenir.
Je me suis souvenu de mon bonheur sans pareil d’avoir consacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et solitaire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illusion ») de ma vie, toute ma joie et ma passion.
Mauvaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es toujours, dans mon cœur, Petite, souviens-toi du chagrin que ta bouche folle m’a donné, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milongas et timbas (tripot, boîtes de jeu clandestines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de chagrins, l’âme oppressée, le visage pâle comme un masque.
Repentante, jamais tu ne reviens, jamais à demander, désolée, mon pardon.
N’oublie pas qu’en disant plus jamais, tu m’as laissé, femme, sans cœur !… (la virgule change le sens de la phrase. Là, c’est probablement lui qui est sans cœur, même s’il est sous-entendu qu’elle a également été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon subtile de la mettre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nunca más 1924 – Carlos Gardel con acomp. de , José Ricardo (guitarras).

Gardel est le premier à avoir enregistré le titre, environ deux ans après son écriture.

Nunca más 1927-07-19 – Orquesta Francisco Lomuto.

Trois ans après Gardel, Lomuto enregistre le titre conçu avec son frère. Une version bien canyengue. Pas vilain, mais à réserver aux amateurs du genre. Le bandonéon de Minotto Di Cicco est bien virtuose pour l’époque.

Nunca más 1931-08-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Acuña y Fernando Díaz.

Une version plus tonique, qui montre mieux la colère de l’homme abandonné. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs commencent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas convaincu par ce duo. Ce ne sera pas ma version préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un problème… Le plus étonnant est que c’est la plus diffusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraînante, c’était juste un « mauvais moment » à passer. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napolitano qui a remplacé un autre frère de Lomuto (Enrique) intervient de façon sympathique.

Nunca más 1931-11-10 – Alberto Gómez con acomp. de guitarras.

Gómez propose une version chantée, sans doute plus sympathique que celle de Gardel.

Nunca más 1932-01-12 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

On reste dans les versions à écouter avec Ada Falcón. Elle met au service du titre sa diction et son phrasé particulier. C’est un autre titre sympathique à écouter.

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

C’est notre tango du jour. Il reprend le début tonique de la version de 1931 de Lomuto, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puissance. Une énergie fantastique se dégage de ce titre et donnera un élan irrépressible aux danseurs. Ce qui est merveilleux est que Mauré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pendant son intervention. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tango du jour…

Nunca más 1948-09-23 – Orquesta Miguel Caló con Roberto Arrieta.

On change d’univers avec Miguel Caló. On est surpris par de nombreux changements de tonalité. Même si la voix de Arrieta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette version.

Nunca más 1950-04-25 – Orquesta Francisco Lomuto con Miguel Montero.

De fin à 1949 à fin 1950, Montero a enregistré de quoi faire une tanda calme et avec Lomuto, mais je pense que ceux qui adorent Montero sont plus des auditeurs que des danseurs.

Nunca más 1956-08-31 – y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Sans son partenaire ange, (D’Agostino), Vargas poursuit sa carrière. L’orchestre de Toto propose un accompagnement de qualité. La voix de Vargas est toujours merveilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nunca más 1974-12-11 – Orquesta Juan D’Arienzo con .

Avec son second chanteur fétiche, D’Arienzo renouvèlera-t-il le de la version de 1941 ? Pour moi, non. Cette version clinquante comme beaucoup d’enregistrement de cette époque a laissé de côté la qualité de la danse au profit du spectacle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sensiblerie dans son interprétation. Je vous conseille de revenir au titre chanté par Mauré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule version pour une milonga de qualité, celle de 1941, même si certaines autres feront plaisir à l’écoute.

du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le corbeau (The raven).En voici la version en anglais et à la suite, la version traduite en français par Charles Baudelaire.

Nevermore (Nunca más).

Paroles

‘Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore—
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
“’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door—
Only this and nothing more.”

Ah, distinctly I remember it was in the bleak December;
And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow
From my books surcease of sorrow – sorrow for the lost Lenore—
For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore—
Nameless here for evermore.

And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain
Thrilled me – filled me with fantastic terrors never felt before;
So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating
“’Tis some visitor entreating entrance at my chamber door—
Some late visitor entreating entrance at my chamber door; —
This it is and nothing more.”

Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore;
But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,
And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Darkness there and nothing more.

Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,
Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before;
But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,
And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore?”
This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”–
Merely this and nothing more.

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.
“Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice;
Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore—
Let my heart be still a moment and this mystery explore; —
‘Tis the wind and nothing more!”

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,
In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore;
Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door—
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door—
Perched, and sat, and nothing more.

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore—
Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,
Though its answer little meaning – little relevancy bore;
For we cannot help agreeing that no living human being
Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door—
Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,
With such name as “Nevermore.”

But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did outpour.
Nothing farther then he uttered – not a feather then he fluttered—
Till I scarcely more than muttered “Other friends have flown before—
On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nevermore.”

Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken,
“Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster till his songs one burden bore—
Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore
Of ‘Never – nevermore’.”

But the Raven still beguiling all my fancy into smiling,
Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking
Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore—
What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore
Meant in croaking “Nevermore.”

This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divining, with my head at ease reclining
On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er,
But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er,
She shall press, ah, nevermore!

Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy memories of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted—
On this home by Horror haunted – tell me truly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil!
By that Heaven that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Be that word our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting–
“Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken!
Leave my loneliness unbroken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming,
And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted – nevermore!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus.
Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus !
Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. “Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour terminer, une version cinématographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simpson (The Simpsons) de Matt GroeningThe Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pouvez afficher les sous-titres dans la langue souhaitée…

La gayola 1941-06-23 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini

La gayola, je suis sûr que certains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de contradiction et la date du jour fait que je vous propose une version moins connue, mais tout à fait intéressante. Elle a été enregistrée deux semaines plus tard par et .

Extrait musical

La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

Le staccato initial de l’orchestre donne le ton. C’est une version énergique. Cependant, elle alterne avec des passages plus doux. C’est une interprétation en contraste, sans monotonie et qui reste dansable de bout en bout.

Éditée par Julio Korn, dont nous avons parlé à diverses reprises, La gayola, partition pour piano avec Rodriguez en couverture.

Paroles

¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ vengarme
si mañana, justamente, yo me voy pa’ no volver…
He venido a despedirme y el gustazo quiero darme
de mirarte frente a frente y en tus ojos contemplarme,
silenciosa, largamente, como me miraba ayer…

He venido pa’que juntos recordemos el pasado
como dos buenos amigos que hace rato no se ven;
a acordarme de aquel tiempo en que yo era un hombre honrado
y el cariño de mi madre era un poncho que había echado
sobre mi alma noble y buena contra el frío del desdén.

Una noche fue la muerte quien vistió mi alma de duelo
a mi buena
(tierna) madrecita la llamó a su lado Dios…
Y en mis sueños parecía que la pobre, desde el cielo,
me decía que eras buena, que confiara siempre en vos.

Pero me jugaste sucio y, sediento de venganza…
mi cuchillo en un mal rato envainé en un
y, más tarde, ya sereno, muerta mi única esperanza,
unas rebeldes
(amargas) las sequé en un bodegón.

Me encerraron muchos años en la sórdida gayola
y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal…
Fui sin rumbo por las calles y rodé como una bola;
Por la gracia de un mendrugo, ¡cuántas veces hice cola!
las auroras me encontraron largo a largo en un umbral.

Hoy ya no me queda nada; ni un refugio… ¡Estoy tan pobre!
Solamente vine a verte pa’ dejarte mi perdón…
Te lo juro; estoy contento que la dicha a vos te sobre…
Voy a trabajar muy lejos…a juntar algunos cobres
pa’ que no me falten flores cuando esté dentro ‘el cajón.

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José MaríaTagini

Fernando Díaz chante tout ce qui est en gras.
chante ce qui est en bleu.
(Entre parenthèses, des variantes des paroles).
Gardel chante encore d’autres variantes que je ne reproduis pas ici.

Traduction libre et indications

N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, justement, je pars pour ne plus revenir…
Je suis venu te dire au revoir et je veux me donner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me contempler, en silence, pendant un long moment, comme tu me regardais autrefois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)
Je suis venu pour qu’ensemble nous puissions nous souvenir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me souvenir de cette époque où j’étais un homme honnête et où l’affection de ma mère était un poncho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme contre le froid du dédain.
Une nuit, c’est la mort qui a revêtu mon âme de deuil, ma tendre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu…
Et dans mes rêves, il me semblait que la pauvre créature, du ciel, me disait que tu étais bonne, que je devais toujours te faire confiance.
Mais tu m’as joué salement et, assoiffé de vengeance…
mon couteau dans un mauvais moment, je l’ai fourré dans un cœur…
Et, plus tard, déjà serein, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restaurant populaire).
Ils m’ont enfermé pendant de nombreuses années dans la sordide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal…
J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, combien de fois j’ai fait la queue !
Les aurores me trouvèrent bien souvent sur un pas de porte.
Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pauvre !
Je suis seulement venu te voir que pour te laisser mon pardon…
Je te jure ; je suis heureux que le bonheur te sourie…
Je vais travailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue monnaie en cuivre) afin de ne pas manquer de fleurs quand je serai dans le cercueil.

Autres versions

La gayola 1927-05-19 – Orquesta Francisco Canaro. Cette première version est instrumentale.
La gayola 1927-08-20 – con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
La gayola 1941-06-09 – Enrique Rodriguez con Armando Moreno.
La gayola 1941-06-23 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz. C’est notre .

Et on termine par quatre versions à écouter.

La gayola 1957-07-22 — con Julio Sosa.

Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pontier pour faire carrière solo et il se rapprochera de l’orchestre de Federico qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.

La gayola — Edmudo Rivero accomp. Guitare.
La gayola — Edmundo Rivero accomp. Horacio Salgan.

Il est intéressant d’écouter deux versions, une à la guitare et l’autre avec un orchestre.

On termine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trouvait la mort dans un accident de la route, juste après avoir chanté ce titre avec l’orchestre de . En effet, c’était sa « cumparsita ». Il terminait toujours ses prestations par La gayola.
Esto es mi homenaje al Varón del tango.

Julio Sosa chante la gayola avec l’orchestre de Leopoldo Federico.
La gayola.

La gayola, la geôle, la . Remarquez le numéro sur la porte… Cela vous rappelle un autre tango ?

El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

José Servidio ; Luis Servidio Letra: Celedonio Esteban Flores

El bulín de la calle Ayacucho a été écrit en 1923 par deux amis d’enfance pour décrire leur vie de bohème, un style de vie courant chez les artistes et musiciens. En France, on a eu Chien-Caillou, sobriquet donné à Rodolphe Bresdin par ses amis et dont Champfleury s’inspira pour sa nouvelle, « Chien-caillou ». Nous avons vu hier le triste destin de Alfredo Gobbi, les histoires de bulines, sont légion dans l’imaginaire tanguero. Intéressons-nous donc à celui de la rue Ayacucho…

Extrait musical

Partition de El bulín de la calle Ayacucho.
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Même si on ne comprend rien aux paroles, ce qui ne sera pas votre cas après avoir lu cette anecdote, on ne peut qu’admirer ce chef-d’œuvre dont la qualité tient avant tout à la simplicité, la fluidité, l’harmonie entre la voix et la musique.
Le rythme est soutenu, la musique avance avec décision, aucun danseur ne peut résister à envahir la piste. Quand après une minute, Fiorentino commence à chanter, la magie augmente encore, les cordes et bandonéons continuent de marquer la cadence, sans flancher et la voix de Fiore lie le tout avant de laisser la parole au piano et on se surprend à être surpris par l’arrivée de la fin, tant on aimerait que cela dure un peu plus longtemps.

Paroles

El bulín de la calle ayacucho,
Que en mis tiempos de rana alquilaba,
El bulín que la barra buscaba
Pa caer por la noche a timbear,
El bulín donde tantos muchachos,
En su racha de vida fulera,
Encontraron marroco y catrera
Rechiflado, parece llorar.

El primus no me fallaba
Con su carga de aguardiente
Y habiendo agua caliente
El mate era allí señor.
No faltaba la guitarra
Bien encordada y lustrosa
Ni el bacán de voz gangosa
Con berretín de cantor.

El bulín de la calle Ayacucho
Ha quedado mistongo y fulero:
Ya no se oye el cantor milonguero,
Engrupido, su musa entonar.
Y en el primus no bulle la pava
Que a la barra contenta reunía
Y el bacán de la rante alegría
Está seco de tanto llorar.

Cada cosa era un recuerdo
Que la vida me amargaba :
Por eso me la pasaba
Fulero, rante y tristón.

Los muchachos se cortaron
Al verme tan afligido
Y yo me quedé en el nido
Empollando mi aflicción.

Cotorrito mistongo, tirado
En el fondo de aquel conventillo,
Sin alfombras, sin lujo y sin brillo,
¡Cuántos días felices pasé,
Al calor del querer de una piba
Que fue mía, mimosa y sinceral…
¡Y una noche de invierno, fulera,
Hasta el cielo de un vuelo se fue!

José Servidio ; Luis Servidio Letra : Celedonio Esteban Flores

Fiorentino avec Troilo chante ce qui est en gras.
Fiorentino avec Basso chante ce qui est en bleu.
chante ce qui est en gras, plus le dernier couplet sur lequel il termine.

Traduction libre et indications

Huile sur toile non signée. Une pava (sorte de bouilloire) sur un réchauffeur à alcool, Primus. Sur le plateau un mate (en calebasse) et une bombilla (paille servant à aspirer la boisson). Dans l’assiette, la yerba (les feuilles broyées servant à préparer le mate). Tout le nécessaire pour le mate, en somme. En Argentine et pays voisins, le mate est aussi une cérémonie amicale. Le mate passe de main en main, un seul pour toute l’assemblée.

La piaule (dans un conventillo, habitat populaire, c’est une pièce où vivait, s’entassait, une famille. Cette pièce donnait directement sur un couloir qui lui donnait du jour, le bulín n’ayant en général pas d’autre ouverture que la porte donnant sur le couloir) de la rue Ayacucho, que je louais à l’époque (pour être précis, son logement était prêté par l’éditeur , pas loué…) où j’étais dans la dèche (rana, a plusieurs sens, astucieux, je pense que là il faut comprendre les temps heureux de la démerde, pauvre mais heureux), le bulín dans lequel la bande cherchait à se réfugier (tomber, au sens de point de chute, abri) la nuit pour jouer (timbear, c’est jouer de l’argent en principe), le bulín où tant de mecs, dans leur ligne de vie (racha = successions de faits, bons ou mauvais) quelconque, trouvaient marroco (pain) et litière. (chiflado = cinglé, rechiflado, plus que cinglé. Il faut comprendre que le bulín était un lieu de folie), semble pleurer.
Le primus (réchauffeur à alcool, voir ci-dessus) ne me faisait pas défaut avec sa provision d’alcool (aguardiente est plutôt une eau-de-vie, mais je pense qu’ici on parle du combustible du petit réchaud) faisait de l’eau chaude, le mate était roi là-bas (on dirait plutôt, ici, mais là-bas souligne que c’est loin dans le passé. J’ai traduit señor par roi, pour les Argentins pauvres, le maté est parfois la seule nourriture d’un repas. D’ailleurs, aujourd’hui avec la crise, beaucoup d’Argentins reviennent à ce régime, encouragé par le gouvernement qui dit qu’un seul repars par jour suffit. Les plus pauvres se fond du mate cocido, le mate des enfants, car en infusion, cela demande moins de yerba, d’herbe à mate).
La guitare ne faisait pas défaut, bien accordée et lustrée, ni l’important (bacán, il s’agit de l’auteur des paroles, Cele qui se tourne en dérision) à la voix à la voix nasillarde avec la vocation de chanteur. (Berretín, nous l’avons vu est le loisir).
Le bulín de la rue Ayacucho est resté misérable et quelconque :
Le chanteur milonguero prétentieux ne s’entend plus taquiner sa muse en chantant.
Et sur le primus, la pava ne chauffe plus, elle qui réunissait la bande joyeuse et le bacán à la bohème (rante de atorrante, clochard) allègre est sec de tant pleurer.
Chaque chose était un souvenir que la vie me rendait amer :
C’est pourquoi j’ai passé un bon moment, errant (quelconque, clochard…) et triste.
Les copains se tirèrent quand ils me virent si affligé et je suis resté dans le nid à ruminer mon affliction.
Petite piaule misérable (cotorrito est un synonyme de bulín), retirée au fond de ce conventillo, sans tapis, sans luxe et sans éclat.
Combien de jours heureux j’ai passés, dans la chaleur de l’amour d’une fille qui était mienne, câline et sincère…
Et une nuit d’hiver, quelconque, jusqu’au ciel d’un vol, s’en fut !

La censure

Cette histoire de jeunes fauchés qui faisaient de la musique dans une chambre en buvant du mate n’eut pas l’heur de plaire aux militaires qui avaient pris le pouvoir en 1943. De nombreux tangos, comme nous l’avons déjà vu (plegaria) ont été interdits, ou modifiés pour avoir des paroles plus respectables. Ce fut le cas de celui-ci. Voici les paroles modifiées :

La version des paroles après censure

Mi cuartito feliz y coqueto
Que en la calle Ayacucho alquilaba
mi cuartito feliz que albergaba
un romance sincero de amor
Mi cuartito feliz donde siempre
una mano cordial me tendía
y una linda carita ponía
con bondad su sonrisa mejor…

Version acceptée par la censure de la dictature militaire de 1943

Traduction de la version après censure

Ma petite chambre joyeuse et coquette que je louais dans la rue Ayacucho.
Ma petite chambre heureuse qui hébergeait une romance amoureuse sincère.
Ma petite chambre heureuse où toujours une main cordiale se tendait.
Et un joli petit visage posait avec gentillesse son meilleur sourire…
Il doit être difficile de faire plus cucu. Les militaires sont de grands romantiques…

Les administrateurs de la SADAIC ont demandé une entrevue au général Perón, nouveau président pour faire tomber cette ridicule censure sur les paroles de tango. Le 25 mars 1949, ce dernier qui disait ne pas être au courant de cette censure a donné droit à leur requête. Les tangos pouvaient désormais retrouver les paroles qu’ils souhaitaient.

El bulín de la calle Ayacucho 1925-12-27 — con acomp. de José Ricardo. Cette première version a été enregistrée à Barcelone (Espagne).
El bulín de la calle Ayacucho 1926 — Carlos Gardel con acomp. de , José Ricardo. Cette version a été enregistrée à Buenos Aires.
El bulín de la calle Ayacucho 1941-06-17 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El bulín de la calle Ayacucho 1949-04-07 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino.

La prestation de l’orchestre est très différente de celle de Troilo, sans doute un peu grandiloquente. On sent que Basso a voulu se mesurer à Troilo, mais je trouve que ce qu’il a ajouté n’apporte rien au thème. Fiorentino chante toujours superbement, cependant l’orchestre se marie moins bien avec le chant. Il se met en retrait, ce qui met en avant la voix, il n’y a pas la même harmonie. FIorentino chante plus dans cette version.

El bulín de la calle Ayacucho 1951-07-17 — Orquesta con Rodolfo Lesica.

Un grand chanteur, peut-être un peu trop romantique et lisse pour ce titre. Je pense qu’on a du mal à accrocher.

El bulín de la calle Ayacucho 1956 — Armando Pontier con Julio Sosa.

Une superbe version en vivo. Dommage que ce soit un enregistrement de piètre qualité, réalisé lors des Carnavales de Huracán de 1956. Julio Sosa chante toutes les paroles (un peu en désordre).

El bulín de la calle Ayacucho 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Le violoncelle qui débute et accompagne Vidal tout au long est l’autre vedette de ce titre. On souhaiterait presque avoir une version purement instrumentale pour mieux l’écouter. On retrouve la tradition de Gardel, pour un tango à écouter, mais pas à danser.

Edmundo Rivero l’a également interprété. En voici une version avec vidéo. La version disque est de 1967.

Edmundo Rivero chante El bulín de la calle Ayacucho
El bulín de la calle Ayacucho 2018-02 — Tango Bardo con Osvaldo Peredo.

Cette version a sans doute peu de chance de convaincre les danseurs. Il convient toutefois d’encourager les orchestres contemporains à faire revivre les grands titres.

El bulín de la calle Ayacucho

Ce conventillo et la chambre étaient situés au 1443 de la rue Ayacucho.

Calle Ayacucho 1443. L’immeuble n’existe plus. On notera tout de même sur l’immeuble de droite, le beau bas-relief et à gauche, une autre maison ancienne.

Comment José Servidio décrit la chambre de Cele, celle qui lui a inspiré, ce titre

En 1923 compuse « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel lo grabó en ese mismo año. Yo vivía entonces en Aguirre 1061, donde aún vive mi familia. Celedonio me trajo al café A.B.C. la letra ya hecha. Era para la primavera de 1923.
Nosotros éramos amigos desde la infancia, él vivía en la calle Velazco entre Malabia y Canning. Compuse el tango en un par de días, en el bandoneón. La primera frase me salió enseguida. El bulín de la calle Ayacucho existió realmente. Quedaba en Ayacucho 1443. El dueño del bulín era Julio Korn, que se lo prestó a Celedonio Flores. 
Era una piecita en la que ni los ratones faltaban. Concurrentes infaltables a las reuniones de todos los viernes, eran Juan Fulginiti, el cantor Martino, el cantor Paganini (del dúo Paganini-Ciacia); , también cantor, del dúo Cicarelli-Nunziatta; el , cantor, guitarrista y garganta privilegiada para la caña; yo, en fin…
Ciacia, que formaba dúo con Paganini, era el que cocinaba siempre un buen puchero. En el bulín, del barrio de Recoleta, había una sartén y una morochita.
Se tomaba mate, se charlaba. Como le decía, hasta algún ratón merodeaba por allí. Las reuniones en el bulín de la calle Ayacucho duraron más o menos hasta fines de 1921. Cuando Cele se puso de novio terminaron. Ya han muerto casi todos los que nos reuníamos allí.
El tango lo editó un maestro de escuela, de apellido Lami, que puso editorial en Paraguay al 4200. se falsificó la edición. El bulín de la calle Ayacucho lo estrenó el dúo Torelli-Mandarino, en el teatro Soleil. acompañaba con su guitarra al dúo.

José Gobello et Jorge Alberto Bossio. Tangos, letras y letristas tomo 1. Pages 82 à 89.

Traduction libre du témoignage de José Servidio et indications.

En 1923, j’ai composé « El bulín de la calle Ayacucho ». Gardel l’a enregistré la même année. Je vivais à l’époque au 1061 de la rue Aguirre, où ma famille vit toujours. Celedonio m’a apporté les paroles déjà écrites au café ABC. C’était pour le printemps 1923.
Nous nous étions amis depuis l’enfance. Lui vivait rue Velazco entre Malabia et Canning (aujourd’hui Scalibrini Ortiz).
J’ai composé la musique en une paire de jours. Le bulín existait réellement dans la rue Ayacucho au 1443. Le propriétaire en était Julio Korn (éditeur de musique dont nous avons déjà parlé au sujet des succès de la radio en 1937), qui le prêtait à Celedonio Flores.
C’était une petite pièce dans laquelle même les souris ne manquaient pas.
Les participants inévitables aux réunions tous les vendredis étaient Juan Fulginiti, le chanteur Martino, le chanteur Paganini (du duo Paganini-Ciacia) ; Nunziatta, également chanteur (du duo Cicarelli-Nunziatta) ; le Flaco Sola (flaco = maigre), chanteur, guitariste et gosier privilégié pour la cuite (caña, ivresse) ; Moi, enfin…
Ciacia préparait toujours un ragoût. Dans le bulín, il y avait une poêle et une morochita (marmite patinée).
On prenait le mate et on bavardait.
Comme je le disais, même une souris rôdait dans les parages.
Les réunions dans le bulín de la rue Ayacucho ont duré plus ou moins jusqu’à la fin de 1921. Quand Cele (Celedonio Esteban Flores) s’est fiancé, ça s’est arrêté.
Presque tous ceux d’entre nous qui se sont rencontrés là-bas sont déjà morts.
Le tango a été édité par un maître d’école, nommé Lami, qui a créé une maison d’édition rue Paraguay au 4200. Plus tard, l’édition a été falsifiée. Le bulín de la calle Ayacucho a été créé par le duo Torelli-Mandarino, au Teatro Soleil. Canataro a accompagné le duo avec sa guitare.
On notera que le narrateur est le compositeur. Son frère, Luis, semble avoir eu un rôle mineur dans cette composition. Ils avaient l’habitude de cosigner, mais les participations étaient variables selon les œuvres.

El bulín de la calle Ayacucho. J’avoue m’être inspiré de Van Gogh, mais il y a plusieurs différences. Il n’y a pas de fenêtre, c’est un bulín, pas une chambre à Arles. Il y a une guitare et un pava sur le primus, prête pour le mate. Un petit changement dans les cadres pour personnaliser l’intérieur de la chambrette de Cele dont on peut voir le portrait dans le cadre en haut à droite.
Les calques utilisés pour créer cette image.

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra: Mario Fernando Rada

Voici un des gros des encuentros milongueros. Mais les danseurs qui se jettent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troilo est le premier à l’avoir enregistré, oui, monsieur, oui, madame, avant Fresedo… De plus, je peux même vous montrer le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la tentation de voir le jeune Pichuco à l’œuvre avec son bandonéon en fin d’article.

L’expression peut sembler mystérieuse. Je vous donnerai sa signification dans la traduction des paroles.
Je vous propose d’écouter maintenant notre tango du jour.

Extrait musical

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Paroles

¡Araca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engayolao.
Ojazos profundos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con brillos de acero que van a matar.
De miedo al mirarlos el cuor me ha fayao.
¡Araca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he guapeao
yo que al bardo me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil vengo a ensartarme
en esta daga que va a matarme
si es pa’ creer que es cosa’e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfino Letra : Mario Fernando Rada

Traduction libre et indications

Araca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme signalant un danger). Je suis déjà derrière les barreaux (en prison)
Une paire d’yeux noirs m’a emprisonné. Des yeux profonds, sombres et féroces, vifs et féroces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer.
De peur, en les regardant, le cœur m’a manqué.
Araca la cana ! Je suis déjà engrillagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occasions et dans toutes, j’ai affronté, moi, qui naturellement ai misé tout mon cœur sans répugnance ni précaution.
Comme un cave (type quelconque, ne connaissant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capable, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous verrons les deux premières versions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est notre tango du jour.
Araca la cana 1933-06-12 – con acomp. de , Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi (guitarras).

Un tout petit peu après Fresedo, Gardel enregistre sa version.

Araca la cana 1933-06-16 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un succès. Voici donc sa version. Avec des passages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette période de son orchestre. Peut-être l’influence de Fresedo dont la version dans le film était sortie le mois précédent.

Araca la cana 1951 – Edmundo Rivero con orquesta dir. por .

Une version qui n’est probablement pas pour les cardiaques. En effet, le démarrage de Edmundo Rivero après une introduction longue surprend. Bien sûr, ce n’est pas une version de danse.

Bébé Troilo

Le film annoncé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à passion… Dans le cas du film, ce sont les trois passions des Portègnes, à savoir, le ciné, le football et… le tango. Pour être précis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tango, le football et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de mettre le cinéma au cœur de l’action.
C’est le deuxième film sonore argentin, sorti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tango que nous avons déjà évoqué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’ de notre tango du jour par Fresedo et Ray.
Il a été dirigé par à partir d’un scénario de et . L’extrait que je vais vous présenter présente le tango du jour, interprété par un orchestre imaginaire, . Vous reconnaîtrez sans mal le jeune bandonéoniste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troilo. Il s’agit du second plus ancien enregistrement de lui dont nous disposons, le plus ancien étant avec Carlos Gardel (La que nunca tuvo novio de 1931).
Osvaldo Fresedo faisait aussi partie de l’équipe du film, il était donc parfaitement légitime pour enregistrer ce titre.
L’intrigue du film est autour des passions des enfants d’un quincaillier. Les affaires de la quincaillerie ne sont pas brillantes et le père se désespère de voir ses enfants délaisser l’entreprise familiale pour leurs passions. Nous nous intéressons à la partie tango du film avec un des fils, joué par Luis Sandrini qui veut devenir compositeur de tango.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le premier film parlant, mais c’est en fait le second, tango étant sorti la semaine d’avant.

Troilo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le second film sonore argentin apparaît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous propose plusieurs extraits permettant de voir comment était composé et lancé un tango au début de l’âge d’or.
Dans le premier extrait, Aníbal Troilo joue avec le violoniste Vicente Tagliacozzo. José María Rizutti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas.
Pour corriger cette injustice, je vous propose un autre extrait où on le voit jouer Araca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dictée sifflée de Luis Sandrini. (qui ressemble à Enrique Delfino, l’auteur du tango du jour).
La naissance d’un tango, c’est aussi l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fernando Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La transcription de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizutti qui avait joué sous la dictée sifflée par Luis Sandrini dans la scène du piano.
Dès les paroles terminées, les musiciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au balcon réservé aux orchestres. On peut ainsi entendre la première version de Araca la Cana avec Aníbal Troilo (bandonéon) Vicente Tagliacozzo (violon) José María Rizutti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osvaldo Fresedo jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tango » aura ainsi aidé à sauver l’entreprise familiale.

Extraits choisis par DJ BYC Bernardo du film Los tres berretines.

Del barrio de las latas, Tita Merello y la cuna del tango

Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Je n’étais pas totalement inspiré par les tangos enregistré un premier juin, alors j’ai décidé de vous parler d’un tango qui a été étrenné un premier juin. Il s’agit de Del barrio de la latas (du quartier des barils) que Tita Merello interpréta sur scène pour la première fois le premier juin de 1926 au théâtre Maipo. Le quartier décrit ne dura que trente ans et est, du moins pour certains, le berceau du tango.

Le quartier des bidons

Le pétrole lampant, avant de servir aux avions d’aujourd’hui sous le nom de kérosène, était utilisé pour l’éclairage, d’où son nom. Les plus jeunes n’ont sans doute pas connu cela, mais je me souviens de la magie, quand j’étais gamin de la lampe à pétrole dont on faisait sortir la mèche en tournant une vis. J’ai encore la sensation de cette vis moletée sur mes doigts et la vision de la mèche de coton qui sortait miraculeusement et permettait de régler la luminosité. La réserve de la mèche qui trempait dans le pétrole paraissait un serpent et sa présence me gênait, car elle assombrissait la transparence du verre.

Je n’ai plus les lampes à pétrole de mon enfance, mais je me souviens qu’elles avaient une corolle en verre. Impossible d’en trouver en illustration, toutes ont le tube blanc seul. J’imagine que les corolles ont été réutilisées pour faire des lustres électriques. Je me suis donc fabriqué une lampe à pétrole, telle que je m’en souviens, celle de gauche. En fait, le verre était multicolore. J’ai fait au plus simple, mais sans le génie des artisans du XIXe siècle qui avaient créé ces merveilles. J’ai finalement trouvé une lampe complète (à droite). Je l’ai rajoutée à mon illustration. Le verre est plus transparent, ceux de mon enfance étaient plus proches de celui de gauche et les couleurs étaient bien plus jolies, mais cela prouve que l’on peut encore trouver des lampes complètes.

Vous aurez compris que ces lampes étaient destinées aux familles aisées, pas aux pauvres émigrés qui traînaient aux alentours du port. Ces derniers cependant « bénéficiaient » de l’industrie du pétrole lampant en récupérant les bidons vides.
La ville qui s’est ainsi montée de façon anarchique est exactement ce qu’on appelle un bidonville. Mais ici, il s’agit d’un quartier, barrio de latas boîtes de conserve, bidons…

Une masure constituée de bidons d’huile et de pétrole lampant du quartier de las latas

Arrêtons-nous un instant sur cette photographie. On reconnaît bien la forme des bidons parallélépipédiques qui servaient à contenir l’huile et le pétrole lampant. On sait qu’ils étaient remplis de terre par l’auteur de l’ouvrage William Jacob Holland (1848-1932) relatant l’expédition scientifique envoyée par le Carnegie Museum. L’ouvrage a été publié en 1913, preuve qu’il restait des éléments de ce type de construction à l’époque. En fait, il y en a toujours de nos jours.
Voici un extrait du livre parlant de ce logement.

La page 164 et un intercalaire (situé entre les pages 164 et 165) avec des photographies. On notera le contraste entre le Teatro Colón et la masure faite de bidons d’huile et de pétrole lampant.

(page 162)

The Argentines are a pleasure-loving people, as is attested by the number of places of amusement which are to be found. The Colon Theater is the largest opera-house in South America and in fact in the world, surpassing in size and in the splendor of its interior decoration the great Opera-house in Paris. To it come most of the great operatic artists of the day, and to succeed upon the stage in Buenos Aires is a passport to success in Madrid, London, and New York.

In contrast with the Colon Theatre may be put a hut which was found in the suburbs made out of old oil-cans, rescued from a dumping-place close at hand. The cans had been filled with earth and then piled up one upon the other to form four low walls. The edifice was then covered over with old roofing-tin, which likewise had been picked up upon the dump. The structure formed the sleeping apartment of an immigrant laborer, whose resourcefulness exceeded his resources. His kitchen had the sky for a roof; his pantry consisted of a couple of pails covered with pieces of board. Who can predict the future of this new citizen?

William Jacob Holland; To the River Plate and back. The narrative of a scientific mission to South America, with observations upon things seen and suggested. Page 162.

Traduction de l’extrait du livre de William Jacob Holland

Les Argentins sont un peuple qui aime les plaisirs, comme l’atteste le nombre de lieux de divertissement qu’on y trouve. Le théâtre Colon est le plus grand opéra d’Amérique du Sud et même du monde, surpassant par la taille et la splendeur de sa décoration intérieure le grand opéra de Paris. C’est là que viennent la plupart des grands artistes lyriques de l’époque, et réussir sur la scène de Buenos Aires est un passeport pour le succès à Madrid, à Londres et à New York.

En contraste avec le théâtre de Colon, on peut mettre une cabane qui a été trouvée dans les faubourgs, faite de vieux bidons d’huile, sauvés d’une décharge à proximité. Les boîtes avaient été remplies de terre puis empilées les unes sur les autres pour former quatre murets. L’édifice fut alors recouvert de vieilles plaques de tôle de toiture, qui avaient également été ramassées sur la décharge. La structure formait l’appartement de sommeil d’un travailleur immigré, dont l’ingéniosité dépassait les ressources. Sa cuisine avait le ciel pour toi ; son garde-manger se composait de deux seaux recouverts de morceaux de planche. Qui peut prédire l‘avenir de ce nouveau citoyen ?

William Jacob Holland ; Vers le Rio de la Plata et retour. Le récit d’une mission scientifique en Amérique du Sud, avec des observations sur les choses vues et suggérées.

Et un autre paragraphe sur les femmes à Buenos Aires, toujours dans le même ouvrage

La demi-réclusion du beau sexe, qui est valable en Espagne, prévaut dans tous les pays d’Amérique du Sud, qui ont hérité de l’Espagne leurs coutumes et leurs traditions. Les dames apparaissent dans les rues plus ou moins étroitement voilées, très rarement sans escorte, et jamais sans escorte après le coucher du soleil. Pour une femme, paraître seule dans les rues, ou voyager sans escorte, c’est tôt ou tard s’exposer à l’embarras. Le mélange libre mais respectueux des sexes qui se produit dans les terres nordiques est inconnu ici. Les vêtements de deuil semblent être très affectés par les femmes des pays d’Amérique latine. Je dis à l’une de mes connaissances, alors que nous étions assis et regardions la foule des passants sur l’une des artères bondées : «Il doit y avoir une mortalité effroyable dans cette ville, à en juger par le nombre de personnes en grand deuil. Il sourit et répondit : « Les femmes regardent les vêtements noirs avec faveur comme déclenchant leurs charmes, et se précipitent dans le deuil au moindre prétexte. La ville est raisonnablement saine. Ne vous y trompez pas. »

On est vraiment loin de l’atmosphère que respirent les tangos du début du vingtième siècle. L’auteur, d’ailleurs, ne s’intéresse pas du tout à cette pratique et ne mentionne pas dans les 387 pages de l’ouvrage…

Extrait musical

Bon, il est temps de parler musique. Bien sûr, on n’a pas l’enregistrement de la prestation de Tita Merello le premier juin 1929. En revanche, on a un enregistrement bien pus tardif puisqu’il est de 1964. C’est donc lui qui servira de tango du jour.
L’autre avantage de choisir cette version est que l’on a les paroles complètes.

1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto.

Bon, c’est un tango à écouter, je passe tout de suite aux paroles qui sont plus au cœur de notre anecdote du jour.

Paroles

Del barrio de las latas
se vino pa’ Corrientes
con un par de alpargatas
y pilchas indecentes.
La suerte tan mistonga
un tiempo lo trató,
hasta que al fin, un día,
se acomodó.

Y hoy lo vemos por las calles
de Corrientes y Esmeralda,
estribando unas polainas
que dan mucho dique al pantalón.
No se acuerda que en Boedo
arreglaba cancha’e bochas,
ni de aquella vieja chocha,
por él, que mil veces lo ayudó.

Y allá, de tarde en tarde,
haciendo comentarios,
las viejas, con los chismes
revuelven todo el barrio.
Y dicen en voz baja,
al verlo un gran señor:
“¿Tal vez algún descuido
que el mozo aprovechó?”

Pero yo que sé la historia
de la vida del muchacho,
que del barrio de los tachos
llegó por su pinta hasta el salón,
aseguro que fue un lance
que quebró su mala racha,
una vieja muy ricacha
con quien el muchacho se casó.

Raúl Joaquín de los Hoyos Metra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Traduction libre et indications

Depuis le bidonville, il s’en vint par Corrientes avec une paire d’espadrilles et des vêtements indécents.
La chance si pingre un certain temps l’a ballotté, jusqu’à ce qu’un jour, Beltran s’installe.
Et aujourd’hui, nous le voyons dans Corrientes et Esmeralda, portant des guêtres qui donnent beaucoup d’allure au pantalon.
Il ne se souvient pas qu’à Boedo, il réparait le terrain de boules ni de cette vieille radoteuse, selon lui, qui mille fois l’a aidé.
Et là, de temps à autre, faisant des commentaires, les vieilles femmes, avec leurs commérages, remuent tout le quartier.
Et elles disent à voix basse en le voyant en grand monsieur :
« Peut-être quelque négligence dont le beau gosse a profité ? »
Mais moi qui connais l’histoire de la vie du garçon qui est venu du quartier des poubelles et qui par son allure parvint jusqu’au salon, je vous assure que c’est un coup de chance qui a brisé sa mauvaise série, une vieille femme très riche avec qui le garçon s’est marié.

Autres versions

Del barrio de las latas 1926 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, (guitarras).

Le plus ancien enregistrement, du tout début de l’enregistrement électrique.

Del barrio de las latas 1926-11-16 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Une version bien piétinante pour les amateurs du genre. Pas vilain, mais un peu monotone et peu propice à l’improvisation. Son frère n’a pas encore écrit les paroles.

Del barrio de las latas 1926-11-21 – Orquesta Juan Maglio Pacho.

Pour les mêmes. Cela fait du bien quand ça s’arrête 😉

Del barrio de las latas 1927-01-19 – Orquesta Francisco Canaro.

Les piétineurs, je vous gâte. Cette version a en plus un contrepoint très sympa. On pourrait se laisser tenter, disons que c’est la première version que l’on pourrait envisager en milonga.

Del barrio de las latas 1954-04-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

On fait un bond dans le temps, 27 ans plus tard, Di Sarli enregistre avec Pomar la première version géniale à danser, pour une tanda romantique, mais pas soporifique.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto. C’est notre tango du jour.

Pas pour la danse, mais comme déjà évoqué, il nous rappelle que c’est Tita qui a inauguré le titre, 35 ans plus tôt.

Del barrio de las latas 1968-06-05 – Cuarteto .

Pour terminer notre parcours musical dans le bidonville. Je vous propose cette superbe version par le cuarteto de Aníbal Troilo.
La relative discrétion des trois autres musiciens permet d’apprécier toute la science de Troilo avec son bandonéon. Il s’agit d’un cuarteto nouveau pour l’occasion et qui dans cette composition ne sera actif qu’en 1968. Il était composé de :
Aníbal Troilo (bandonéon), Osvaldo Berlingieri (piano), Ubaldo De Lío (guitare) et Rafael Del Bagno (contrebasse).

La cuna del tango – Le berceau du tango

Le titre de l’article du jour parle de berceau du tango, mais on n’a rien vu de tel pour l’instant. Je ne vais pas vous bercer d’illusions et voici donc pourquoi ce quartier de bidons serait le berceau du tango.

Où se trouvait ce quartier

Nous avons déjà évoqué l’importance du Sud de Buenos Aires pour le tango. Avec Sur, bien sûr, mais aussi avec En lo de Laura (en fin d’article).

À cause de la peste de 1871, les plus riches qui vivaient dans cette zone se sont expatriés dans le Nord et les pauvres ont continué de s’amasser dans le sud de Buenos Aires, autour des points d’arrivée des bateaux.
La même année, Sarmiento confirma que la zone était la décharge d’ordures de Buenos Aires. Le volume des immondices accumulées à cet endroit était de l’ordre de 600 000m3. Une épaisseur de 2 mètres sur une surface de 3km². On comprend que les pauvres se fabriquent des abris avec les matériaux récupérés dans cette décharge.

El tren de la basura (le train des ordures)

Le train des ordures. El tren de la basura qui apportait les ordures à proximité du barrio de las latas.

Pour alimenter cette immense décharge, un train a été mis en place pour y transporter les ordures. Il partait de Once de septiembre (la gare) et allait jusqu’à la Quema lieu où on brûlait les ordures (Quemar en espagnol est brûler).
L’année dernière, les habitants du quartier où passait ce train ont réalisé la  fresque qui retrace l’histoire de ce train.

Peinture murale du train des ordures, calle Oruro (elle est représentée à gauche avec le petit train qui va passer sur le pont rouge).
Histoire du train de la basura qui a commencé à fonctionner le 30 mai 1873.
La montagne d’ordures. Dans la peinture murale, des éléments réels ont été insérés. Il y a le nom des deux peintres et de ceux qui ont donné des « ordures » pour l’œuvre.

ET le berceau du tango ?

Ah oui, je m’égare. Dans la zone de la décharge, il y avait donc de l’espace qui n’était pas convoité par les riches, à cause bien sûr des odeurs et des fumées. Même le passage du train était une nuisance. S’est rassemblée dans ces lieux la foule interlope qui sera le terreau présumé du tango.
Il faut rajouter dans le coin les abattoirs, des abattoirs qui feraient frémir aujourd’hui, tant l’hygiène y était ignorée.

Los (situé à Parque Patricios),  les abattoirs et le lieu de la dernière bataille, le 22 juin 1880, des guerres civiles argentines. Elle a vu la victoire des forces nationales et donc la défaite des rebelles de la province de Buenos Aires.

Extrait de La Pishuca (anonyme)

Anoche en
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Anonyme

Traduction de la La Pishuca

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu, elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais retourné.

Il y a donc une perméabilité entre les deux mondes.

Sur l’origine du tango, nous avons d’autres sources qui se rapportent à cette zone. Par exemple ce poème de (qui a par ailleurs donné les paroles de nombreux tangos) :

Poème de Francisco García Jiménez (en lunfardo)

La cosa jué por el sur,
y aconteció n’el ochenta
ayá en los Corrales Viejos,
por la caye de la Arena.

Salga el sol, salga la luna,
salga la estreya mayor.
La cita es en La Blanquiada;
naide falte a la riunión…

Los hombres dentraron serios
y cayao el mujerío:
siempre se yega a un bailongo
como al cruce del destino.

Tocaron tres musicantes
haciendo punt’al festejo:
con flauta, guitarra y arpa,
un rubio, un pardo y un negro.

Salieron los bailarines
por valse, mazurca y polca;
y entre medio, una pareja
salió bailando otra cosa.

El era un güen cuchiyero,
pero de genio prudente.
Eya una china pintona,
mejorando lo presente.

Eya se llamaba Flora
y él se apellidaba Trejo:
con cortes y con quebradas
lo firmaban en el suelo.

No lo hacían de compadres
¡y compadreaban sin güelta!
Al final bailaban solos
pa’contener a la rueda.

Bailaron una mestura
que no era pa’maturrangos,
de habanera con candombe,
de milonga con fandango.

Jué un domingo, en los Corrales
cuando inventaron el tango.

Francisco García Jiménez

Traduction libre du poème de Francisco García Jiménez

Cela s’est passé vers le sud, et cela s’est passé dans les années quatre-vingt dans les Corrales viejos, le long de la Calle de la Arena (la rue de sable, en Argentine, beaucoup de villes ont encore de nos jours des rues en sable ou en terre. En 1880, la zone, l’actuel Parque Patricios, était rurale).
Que le soleil se lève, que la lune se lève, que l’étoile majeure se lève.
Le rendez-vous est à La Blanquiada ; personne ne manque la réunion…

La Blanquiada (Blanqueada, était une pulpería (magasin d’alimentation, café, lieu de divertissements). On y jouais aux boules (comme évoqué dans notre tango du jour), mais on y dansait aussi, comme le conte cette histoire.

Les hommes entrèrent gravement et le coureur de jupons se tut.
On arrive toujours à une danse comme si on était à la croisée des chemins du destin.
Trois musiciens ont joué au point culminant de la fête avec flûte, guitare et harpe, un blond, un brun et un noir. (On pourrait penser à Pagés-Pesoa-Maciel, Enrique Maciel étant noir (et était un grand ami du parolier Blomberg, grand et blond).
Les danseurs sont sortis pour la valse, la mazurka et la polka ; et entre les deux, un couple est sorti en dansant autre chose.
C’était un bon couteau (adroit avec le couteau), mais d’un tempérament prudent.
Elle était une femme fardée, améliorant le présent.
Elle s’appelait Flora, (probablement la Flora Parda dont nous avons parlé dans En Lo de Laura) et lui s’appelait Trejo (est-ce Nemesio Trejo qui aurait été âgé de 20 ans ? Je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible, même s’il est plus connu comme parolier et que comme danseur) : avec des cortes et des fentes, ils le signaient dans le sol.
Ils ne l’ont pas fait en tant que camarades, et ils l’ont fait sans bonté !
À la fin, ils dansèrent seuls pour contenir la ronde.
Ils dansaient une mesure qui n’était pas pour de maturrangos (mauvais cavaliers), d’habanera avec candombe, de milonga avec fandango.
C’était un dimanche, dans les Corrales quand ils ont inventé le tango.
Francisco García Jiménez étant né en 1899, soit 17 ans après les faits, il ne peut pas en être un témoin direct.

Un autre texte sur la naissance du tango de Miguel Andrés Camino

Je cite donc à la barre, un autre auteur, plus âgé. Miguel Andrés Camino, né à Buenos Aires en 1877. Il aurait donc eu cinq ans, ce qui est un peu jeune, mais il peut avoir eu des informations par des parents témoins de la scène.

El tango par Miguel Andrés Camino

Nació en los Corrales Viejos,
allá por el año ochenta.
Hijo fue de una milonga
y un pesao del arrabal.
Lo apadrinó la corneta
del mayoral del tranvía,
y los duelos a cuchillo
le ensañaron a bailar.
Así en el ocho
y en la sentada,
la media luna,
y el paso atrás
puso el reflejo
de la embestida
y las cuerpeadas
del que la juega
con su puñal.
Después requintó el chambergo
usó melena enrulada, pantalones con trencilla
y botines de charol.
Fondeó en los peringundines,
bodegones y… posadas
y en el cuerpo de las chinas
sus virtudes enroscó.
En la corrida
y el abanico.
el medio corto
y el paso atrás,
puso las curvas
de sus deseos
de mozo guapo
que por la hembra
se hace matar.
También vagó por las calles
con un clavel en la oreja;
Lució botín a lo militar.
Se adueñó del conventillo,
engatusó a las sirvientas
y por él no quedó jeta
que no aprendiera a chiflar.
Y desde entonces
se vio al malevo
preso de honda
sensualidad
robar las curvas
de las caderas,
pechos y piernas
de las chiruzas
de la ciudad.
Y así que los vigilantes
lo espiantaron de la esquina,
se largó pa’ las Uropas,
de donde volvió señor.
Volvió lleno de gomina,
usando traje de cola
y en las murgas y pianolas
hasta los rulos perdió.
Y hoy que es un jaife
tristón y flaco,
que al ir bailando
durmiendo va;
y su tranquito
ya se asemeja
al del matungo
de algún Mateo
que va a largar.

Miguel Andrés Camino

Traduction libre et indications sur le poème de Miguel Andrés Camino

Il est né dans les Corrales Viejos, dans les années quatre-vingt.
Il était le fils d’une milonga et d’un bagarreur des faubourgs.
Il était parrainé par le cor du conducteur du tramway, et les duels au couteau lui apprirent à danser. Ainsi, dans le huit (ocho) et dans la sentada (figure où la femme est assise sur les cuisses de l’homme, voir, par exemple Taquito millitar), la demi-lune et le pas en arrière, le reflet de l’assaut et les attitudes de celui qui la joue avec son poignard.
Il portait des cheveux bouclés, des pantalons tressés et des bottines en cuir verni.
Il a jeté l’ancre dans les bordels, bars et… et dans le corps des femmes faciles, ses vertus s’enroulaient.
Dans la corrida et l’éventail, le demi-corte et le pas en arrière, il a mis les courbes de ses désirs de beau jeune homme qui se fait tuer pour la femelle.
Il traînait aussi dans les rues avec un œillet à l’oreille ; les bottines brillantes comme celles des militaires.
Il s’empara du conventillo (habitation collective pour les pauvres), lutina les servantes, et il n’y avait pas une tasse qu’il n’apprendrait pas à siffler (boire, jeu de mots lourdingue et graveleux).
Et depuis lors, se vit prisonnier le mauvais d’une profonde sensualité a été vu en train de voler les courbes des hanches, des seins et des jambes des chiruzas (femmes vulgaires) de la ville.
Et dès que les gardes l’aperçurent du coin, il se rendit chez les Européens, d’où il revint, monsieur.
Il est revenu plein de gomina, vêtu d’un queue-de-pie et dans les murgas et les pianolas, il a même perdu ses boucles.
Et aujourd’hui, c’est un présomptueux, triste et maigre, qui va danser en dormant ; et son calme ressemble déjà à celui du matungo  (cheval faible ou inutile) d’un Mateo (coche, taxi, à chevaux) qui va partir.

On comprend dans ce poème dont on ne cite généralement que le début qu’il parle du tango qui, né dans les faubourgs bagarreurs, s’est abâtardi en allant en Europe. Cela date donc le poème des années 1910-1920 et si le texte reflète une tradition, voire une légende, il ne peut être utilisé pour avoir une certitude.

Nous sommes bien avancés. Nous avons donc plusieurs textes qui relatent des idées semblables, mais qui ne nous donnent pas l’assurance que le berceau du tango est bien à Parque Patricios, Corrales Viejos.

Faut-il en douter comme Borges qui avait des idées pourtant très semblables à celles de Miguel Andrés Camino ? Peu importe. Cette légende, même si elle est fausse a ensemencé le tango, par exemple El ciruja de De Angelis. On dirait plutôt aujourd’hui El cartoniero. Les cartonieros sont des personnages indissociables des grandes villes argentines. Avec leur charrette à bras chargée de tout ce qu’ils ont trouvé dans les poubelles, ils risquent leur vie au milieu de la circulation trépidante pour déplacer leurs dérisoires trésors vers les lieux de recyclage. Cette communauté souffre beaucoup en ce moment, les restaurants solidaires (soupes populaires) ne reçoivent plus d’aide de l’état et pire, ce dernier laisse se périmer des tonnes de nourritures achetées pour cet usage par le gouvernement précédent.

Espérons que ces personnages miséreux qu’on appelle parfois les grenouilles (ranas), car dans le quartier des bidons, il y avait souvent des inondations et que les habitants faisaient preuve d’imagination et de débrouillardise pour survivre. Grenouille n’est donc pas péjoratif, c’est plutôt l’équivalent de rusé, astucieux. Le Beltrán de notre tango du jour est une décès grenouilles qui s’est transformée en prince charmant, au moins pour une vieille femme, très riche 😉

Je vous présente Beltrán et sa femme. C’est beau l’amour.

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)

Vous savez tous que « El once », en espagnol, signifie le 11. Mais peut-être ne connaissez-vous pas la raison de ce nom. Ceux qui connaissent Buenos Aires, pourront penser à la place Once de Septiembre 1852 que l’on appelle simplement Once. On lit parfois que c’est le numéro 11 dans une course de chevaux, voire le 11 au football. Je pense que vous avez compris que j’allais vous proposer une autre explication…

El once

S’il existe des tangos sur le quartier de Once (Barrio Once), ses habitants (Muñeca del Once), le train de onze heures (El tren de las once), la messe de onze heures (Misa de once), une adresse (Callao 11), ou une équipe de football (El once glorioso) qui célèbre l’équipe d’Uruguay qui a gagné la première coupe du Monde en 1930.

À gauche, les capitaines d’Argentine et Uruguay se saluent avant la finale. À droite, après la victoire de l’Uruguay, les journaux argentins se déchaînent, accusant les Uruguayens d’avoir été brutaux…

Carlos Enrique (musique) et Luis César Amadori (paroles), écrivent El once glorioso en l’honneur de l’équipe gagnante. Les paroles sont dignes des chants des inchas (supporters) d’aujourd’hui :

Ra ! Ra ! Ra !
Le football uruguayen !
Ra ! Ra ! Ra !
Le Championnat du monde !

Une autre piste peut se trouver dans les courses. Leguisamo avait un cheval nommé Once, je vous invite à consulter l’excellent blog de José María Otero pour en savoir plus
Mais, ce n’est toujours pas la bonne explication.
Une première indication est le sous-titre « a divertirse » (pour s’amuser). Cela correspond peu aux différents thèmes évoqués ci-dessus. Cela incite à creuser dans une autre direction.
Nous allons donc interroger la musique du jour, puis les paroles pour voir si nous pouvons en savoir plus.

Extrait musical

1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

On a l’impression d’une balade. Tout est tranquille. Difficile d’avoir une indication utile pour résoudre notre énigme. Heureusement, si notre version est instrumentale, Emilio Fresedo, le frère de Osvaldo a écrit des paroles.

Paroles

No deje que sus penas
se vayan al viento
porque serán ajenas
al que oye lo cierto.
No espere que una mano
le afloje el dolor,
sólo le dirán pobre
y después se acabó.
Por eso me divierto,
no quiero sentirlas,
no quiero oír lamentos
que amarguen la vida;
prefiero que se pierdan
y llegue el olvido
que todo remedia,
que es lo mejor.

Si busca consuelo no vaya a llorar,
aprenda a ser fuerte y mate el pesar.
Sonría llevando a su boca el licor,
que baile su almita esperando un amor.
El humo de un puro, la luz del lugar,
las notas que vagan le harán olvidar.
Quién sabe a su lado los que irán así
con los corazones para divertir.

A divertirse todos
rompiendo el
para cantar en coro
siquiera un momento.
Recuerden que en la vida
si algo hay de valor
es de aquel que lleva
pasándola mejor.
Alegre su mirada
no piense en lo malo,
no deje que su cara
se arrugue temprano.
Deje que todo corra,
no apure sus años
que a nadie le importa
lo que sintió.

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)

En gras le refrain que chantent Teófilo Ibáñez et .

libre

Ne laisse pas tes chagrins s’envoler au vent, car ils seront étrangers à celui qui entend la vérité.
N’attends pas qu’une main soulage la douleur ; ils te diront seulement, le pauvre, et puis c’est tout.
C’est pour cela que je m’amuse, je ne veux pas les sentir, je ne veux pas entendre des lamentations qui aigrissent la vie ; je préfère qu’ils se perdent
et qu’arrive l’oubli qui remédie à tout, c’est le mieux.
Si tu cherches du réconfort, ne pleures pas, apprends à être fort et tuer le chagrin.
Sourire en portant la liqueur à ta bouche, laisse ton âme danser en attendant l’amour.
La fumée d’un joint (puro est sans doute mis pour porro, cigarette de marijuana, à moins que ce soit un cigare), la lumière du lieu, les notes vagabondes te feront oublier.
Qui sait, à ton côté, ceux qui iront ainsi avec à cœur de s’amuser.
Amusons-nous tous, en rompant le silence pour chanter en chœur, ne serait-ce qu’un instant.
N’oublie pas que dans la vie, si quelque chose a de la valeur, c’est d’avoir passé le meilleur moment.
Rends joyeux ton regard, ne pense pas au mal, ne laisse pas ton visage se froisser prématurément.
Laisse tout couler, ne précipite pas tes années parce que personne ne se soucie de ce que tu ressens.

C’est donc une invitation à oublier ses problèmes en faisant la fête. C’est assez proche du Amusez-vous immortalisé par Henri Garat (1933) et Albert Préjean (1934)
Je vous le proposerai en fin d’article. Ça n’a rien à voir avec notre propos, mais c’est euphorisant 😉

Autres versions par Fresedo

Bien sûr, pour un titre aussi célèbre, il y a forcément énormément d’autres versions.
Je vous propose dans un premier temps d’écouter les versions de l’auteur, Fresedo. Ce dernier devait être fier de lui, car il a enregistré à de nombreuses reprises.

El once 1924 – Sexteto Osvaldo Fresedo

Merci à mes collègues Camilo Gatica et Gabbo Fresedo (quand Gabbo vient au secours d’Osvaldo et Emilio…) qui m’ont fourni cet qui me manquait).
Remarquez les superbes solos de violon notamment à 1:05,1:52, 2:24 et 2:56. Cette version est assez allègre. Notez bien ce point, il nous servira à déterminer l’usage de ce titre et donc son nom.

El once (A divertirse) 1927 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Je trouve intéressant de comparer cette version avec celle de 1924. Pour moi représente un recul. Le rythme est beaucoup plus lent, pesant. C’est un exemple du « retour à l’ordre » des années 20, dont Canaro est un des moteurs. Vous pourrez le constater dans sa version de 1925 ci-dessous.

El once (A divertirse) 1931-11-14 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez.

Osvaldo a fini par enregistrer les paroles de son frère, Emilio (Gardel l’avait fait en 1925). On reste dans le tempo anémique de 1927. On a du mal à voir comment cette version, comme la précédente, d’ailleurs peut appeler à se divertir… Il est vrai qu’il ne chante que le refrain qui n’est pas la partie la plus allègre du titre.

El once (A divertirse) 1935-04-05 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.

Cette fois, Fresedo retrouve une version un peu plus dynamique qui peut mieux correspondre à l’idée du divertissement. On pourrait presque voir des personnes gambader.
C’est un des premiers enregistrements où l’on remarque la propension de Fresedo à rajouter des bruits bizarres qui deviendront sa marque de fabrique dans ses dernières années, même si Sassone fait la même chose.

El once 1945-11-13 – Osvaldo Fresedo.

Fresedo va encore plus loin que dans la version de 1935 dans l’ajout de bruits. C’est dansable, mais pas totalement satisfaisant à mon goût.

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est notre . Comme déjà évoqué, on pense à une promenade. Les bruits sont un peu plus fondus dans la musique. Mais on ne peut pas dire que c’est un tango de danse fabuleux. Je trouve que ça manque un peu de fête. On retrouve quelques grosses chutes qui ont fait la notoriété de Fresedo dans les années 1930. Fresedo se souvient peut-être un peu trop de ses origines de la haute société pour une musique de danse qui se veut souvent plus populaire.

El Once (A divertirse) 1979-10-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

En 1979, Fresedo enregistre pour la septième fois son titre fétiche. On y retrouve presque tous ses éléments, comme les bruits bizarres, de jolis passages de violon, une élégance aristocratique, manquent seulement les grosses chutes. Cela reste tranquille, dansable une après-midi chaude juste avant de prendre le thé, avec la pointe d’ennui « chic » qui convient.

Pourquoi « El once »

Il est impossible de deviner la raison du titre à partir des versions de Fresedo, sauf peut-être avec celle de 1924. Je vais donc vous donner l’explication.
Les internes en médecine de Buenos Aires ont décidé en 1914 de faire un bal destiné à se divertir. Musique, alcool, femmes compréhensives, le cocktail parfait pour ces jeunes gens qui devaient beaucoup étudier et devaient donc avoir besoin de relâcher la pression.
Si on regarde les paroles sous ce jour, on comprend mieux.
Reste à expliquer pourquoi El once (le 11). L’explication est simple. Le premier événement a eu lieu en 1914 et ensuite, chaque année, un autre a été mis en place. Celui de 1924 est donc le… onzième (je vois que vous êtes forts en calcul). Les frères Fresedo ont donc nommé ce tango, le 11 ; El once.
De 1914 à 1923 inclus, c’était Canaro qui officiait à cette occasion. Les frères Fresedo fêtaient donc aussi leur entrée dans cette manifestation dont la première a eu lieu au « Palais de glace » un lieu qu’un tango de ce nom des années 40 évoque avec des paroles et une musique d’Enrique Domingo Cadícamo.
Vous trouverez quelques précisions sur cette histoire dans un article d’Isaac Otero.

Autres versions

El Once (A divertirse) 1925 – Orquesta Francisco Canaro.

L’année précédente, Fresedo a grillé la place à Canaro qui animait ce bal depuis 10 ans. Canaro enregistre tout ce qu’il peut, alors, malgré sans doute une petite déception, il enregistre aussi El once, lui qui a fait de uno a diez (1 à 10)

El once (A divertirse) 1925 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitares).

Le petit Français 😉 donne sa version avec toutes les paroles de Emilio, contrairement à Ibáñez et Ray qui ne chantaient que le refrain.

El once (A divertirse) 1943-01-13 – José García y su Orquesta .

Et les Zorros sont arrivés ! C’est une version entraînante, avec plusieurs passages originaux. Un petit florilège des « trucs » qu’on peut faire pour jouer un tango. Le résultat n’a rien de monotone et est suffisamment festif pour convaincre des internes décidés à faire la fête. C’est sans doute une version qui mériterait de passer plus souvent en milonga, même si quelques ronchons pourraient trouver que ce n’est pas un tango convenable. J’ai envie de leur dire d’écouter les conseils de ce tango et de se divertir. Le tango est après tout une pensée allègre qui peut se danser.

El once (A divertirse) 1946-10-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Cette version particulièrement gaie est sans doute une de celles qui conviendraient le mieux à une fête d’internes. On retrouve les sautillements chers à Firpo. Elle trouvera sans doute encore plus de ronchons que la précédente, mais je réagirai de la même façon.

El once (A divertirse) 1946-12-05 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Avec cette version, on retrouve la maîtrise de Di Sarli qui nous propose une version élégante, parfaite pour la danse. C’est sûr que là, il n’y aura pas de ronchons. Alors, pourquoi s’en priver ?

El once (A divertirse) 1951-10-23 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Je préfère la version de 1946, mais cette interprétation est également parfaite pour la danse. Elle aura toute sa place dans une tanda de cette époque.

El once (A divertirse) 1951 – Oswaldo Bercas et son orchestre.

De son vrai nom, Boris Saarbecoof a travaillé en France et a produit quelques titres intéressants. On a des enregistrements de sa part de 1938 à 1956. C’est un des 200 orchestres de l’âge d’or dont on ne parle plus beaucoup aujourd’hui. Il a également produit de la musique classique.

El once (A divertirse) 1952-11-14 – .

C’est sans doute une des versions que l’on entend le plus. Son entrain et sa fin tonique permettent de bien terminer une tanda instrumentale de De Angelis.

El once (A divertirse) 1954-11-16 – Orquesta Carlos Di Sarli.

On retrouve Di Sarli avec des violons sublimes, notamment à 1:42. Je préfère cette version à celle de 1951. Je la passerai donc assez volontiers, comme celle de 1946 qui est ma chouchoute.

El once (A divertirse) 1955-10-25 –  dir. Francisco Canaro.

Francisco Canaro qui n’est pas rancunier (???) enregistre de nouveau le titre des Fresedo avec son quinteto Pirincho. C’est une version bien rythmée avec de beaux passages, comme le solo de bandonéon à 1:02. Une version guillerette qui pourra servir dans une milonga un peu informelle où les danseurs ont envie de se divertir (celles où il n’y a pas de ronchons).

El once (A divertirse) 1956-10-30 – Orquesta Enrique Rodríguez.

Un Rodríguez tardif qui reste léger et qui sera apprécié par les fans de cet orchestre.

El once (A divertirse) 1958 – Argentino Galván.

Je cite cette version ultracourte, car je l’ai évoquée dans Historia de la orquesta típica — Face 1. Pas question de la placer dans une tanda, bien sûr à cause de sa durée réduite à 33 secondes…

El once (A divertirse) 1960c – Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.

Juan Cambareri, le mage du bandonéon (El Mago del Bandoneón) fournit la plupart des temps des versions virtuoses, souvent trop rapides pour être géniales à danser, mais dans le cas présent, je trouve le résultat très réussi. On notera également que d’autres instrumentistes sont virtuoses dans son orchestre. C’est une version à faire péter de rage les ronchons…
Un grand merci à Michael Sattler qui m’a fourni une meilleure version que celle que j’avais (disque 33 tours en mauvais état).

El once (A divertirse) 1965-07-28 – Orquesta Enrique Mora.

Une version intéressante, mais qui ne bouleverse pas le paysage de tout ce que nous avons déjà évoqué.

El once (A divertirse) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Finalement D’Arienzo se décide à enregistrer ce titre qui manquait à son répertoire. J’adore le jeu de la contrebasse de Victorio Virgilito.

Amusez-vous ! 1934 — W. Heymans — Sacha Guitry —

Ce titre faisait partie de l’opérette de Sacha Guitry, Florestan Ier prince de Monaco.
Le titre a été créé par Henri Garat.

Amusez-vous 1933 — Henri Garat

L’année suivante, Albert Préjean l’enregistre à son tour. C’est la version la plus connue.

Amusez-vous 1934 — Albert Préjean.

Et c’est sur cette musique entraînante que se termine l’anecdote du jour. À mes amis ronchons qui ont envie de dire que ce n’est pas du tango, je répondrai que c’est une cortina et qu’il faut prendre la vie par le bon bout.

Les paroles de Amusez-vous

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Pour que la vie soit toujours belle
Ha, que j’aimerais un quotidien
Qui n’annoncerait qu’de bonnes nouvelles
Et vous dirait que tout va bien
Pour ne montrer qu’les avantages
Au lieu d’apprendre les décès
On apprendrait les héritages
C’est la même chose et c’est plus gai
Pour remplacer les journaux tristes
Que ça serait consolateur
De lancer un journal optimiste
Qui dirait à tous ses lecteurs :

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tracas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

W. Heymans — Sacha Guitry — Albert Willemetz
Amusez-vous, comme des fous.

Les succès de la radio en 1937

Ediciones musicales Julio Korn

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Sur cette publicité, les 12 succès des éditions Julio Korn. Évidemment, ils ne parlent pas des succès édités par d’autres maisons d’édition…

Les éditions Julio Korn

Julio Korn (1906​-07-19 – 1983-04-18) était à la tête d’un empire de la presse. Il publiait en 1937, six hebdomadaires, Radiolandia, Antena, Goles, Vosotras, TV Guía et Anteojito. Son seul concurrent sérieux était qui publiait Así. Il était donc en situation de quasi-monopole.

« Mi intención fue siempre llegar a la gran masa del pueblo, sin pretender instruirla sino entretenerla »

«Mon intention a toujours été d’atteindre la grande masse du peuple, sans prétendre l’instruire, mais pour la divertir». Devise que les Citizen Kane d’aujourd’hui perpétuent.

Julio Korn est le prototype du self-made man. Orphelin à 9 ans, il travaille dans une imprimerie ce qui lui permet de sauver de l’asile son jeune frère. À 15 ans (1921), il se rend à Montevideo pour proposer à Edgardo Donato de devenir son éditeur musical. Il devait être du genre convaincant, car il remporta l’affaire et obtint un prêt pour s’acheter la presse destinée à imprimer les partitions. Huit ans plus tard, il avait imprimé 35 000 partitions.
En 1924, il avait créé une revue musicale, La Canción Moderna, dont il était également le rédacteur en chef.

À gauche, le numéro du 30 juin 1936 de Radiolanda (La Canción Moderna) où est annoncée la saga Gardel. La couverture du 6 juin 1936 avec Gardel et le premier des articles sur les confidences de Berta sur la vie de son fils.

En juin 1936, La Canción Moderna qui est devenu Radiolandia publie la vie de Carlos Gardel qui était mort l’année précédente en exploitant le côté sentimental du témoignage de Berta Gardes, la mère de Gardel qui a d’ailleurs cédé gratuitement les droits de reproduction. Et pan dans les dents de la thèse uruguayenne de l’origine de Carlos Gardel qui prétend que Berta se serait déclaré sa mère pour toucher l’héritage en établissant de faux papiers… Gardel enfant de France.
Cet article est un bon exemple de la littérature populaire des revues de Julio Korn.
Mais revenons à la partition de No quiero verte llorar et à sa quatrième de couverture.

Partition de No Quiero Verte Llorar des Éditions Julio Korn.

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Les succès de la radio en 1937

Les succès de la radio 01

Milonga triste (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi)

Milonga triste 1937-02-19 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milonga triste 1937-08-10 — Orquesta Francisco Canaro

Amor (Carlos Gardel Letra Luis Rubistein)

Amor 1936-07-14 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Avec des airs de , du même Gardel.

Milagro (Luis Rubistein, paroles et musique)

Milagro 1936-11-27 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milagro 1937-02-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Arrepentido (Rodolfo Sciammarella, paroles et musique)

Arrepentido 1937-05-26 — Libertad Lamarque con orquesta. Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio.

Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio. Cependant, l’année précédente, il y a eu deux enregistrements qui peuvent très bien passer à la radio et participer au succès de la composition de Sciammarella :

Arrepentido 1936-09- 18 – Orquesta con Carlos Varela.

Carlos Varela que nous avions entendu avec Firpo dans No quiero verte llorar.

Arrepentido 1936-09-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les succès de la radio 02
Las perlas de tu boca 1935-10-08 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Il est indiqué Boléro sur la partition, mais il s’agit ici d’un enregistrement en rumba. Ce titre a été beaucoup enregistré, bien sûr en boléro, mais aussi en Danzón (par Rey Cabrera). Difficile de savoir quel enregistrement était la référence. Il peut aussi tout simplement s’agir d’une erreur, en effet le terme boléro comme le terme Jazz est générique et peut éventuellement ne pas différencier deux types de danse.
Je vous propose tout de même un exemple, par le chanteur d’opéra, mexicain, Alfonso Ortiz Tirado.

Las perlas de tu boca 1934 — Alfonso Ortiz Tirado. C’est un enregistrement RCA Victor réalisé à Buenos Aires.

Por el camino adelante (Lucio Demare ; Roberto Fugazot ; Agustín Irusta Letra:

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare.

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare. Avec cette chanson on est plutôt dans le domaine du , mais après tout, le tango n’est pas la seule musique qui passe à la radio. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de 1936 ou 1937. Il se peut donc que ce soit une autre version qui avait du succès en 1937.

Rosa de otoño [Guillermo Desiderio Barbieri Letra: , hijo]

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro. Encore un enregistrement un peu ancien, mais la mort de Gardel deux ans plus tôt a sans doute relancé ses interprétations. On est là encore à la limite du tant avec un . C’est Di Sarli en 1942 qui fera sortir cette valse du domaine folklorique, mais c’est une autre histoire…

Les succès de la radio 03

En blanco y negro [ Letra: Fernán Silva Valdéz]

En blanco y negro 1936-05-06 — Alberto Gómez con acomp. de su Cuarteto de Guitarras

Une milonga, mais une milonga criolla. Décidément le folklore avait la côte…

Falsedad [Héctor María Artola Letra: Alfredo Navarrine]

Falsedad 1936-10-25 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On revient dans le domaine du tango avec ce très beau titre, sans doute un peu oublié dans les milongas d’aujourd’hui, même dans celles qui abusent de la vieille garde ; -)

Monotonía (Hugo Gutiérrez Letra : Andrés Carlos Bahr)

Monotonía 1936-12-03 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Encore Lomuto et Omar en vedette avec ce tango de Hugo Gutiérrez et Andrés Carlos Bahr. Le titre ne donne pas très envie de danser, la musique non plus. Cela devait être plus agréable de vaquer dans son appartement avec cette musique de fond à la radio.

Pienso en ti (Julio De Caro Letra : Jesús Fernández Blanco)

Pienso en ti 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro con .

Las hermanas Desmond (les sœurs Desmond) nous offrent une fin enjouée. Une valse pas trop tango. Elle est indiquée comme valse chanson et son auteur pourrait vous surprendre, car il s’agit de Julio de Caro, comme quoi il ne faut pas trop vite mettre les compositeurs et musiciens dans des tiroirs.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, les éditions de Julio Korn ne sont pas le seul éditeur de musique. On peut légitimement penser qu’ils mettent en avant leurs poulains et passent sous silence les artistes qui font éditer leurs partitions chez des concurrents.
Un autre biais est que les orchestres ne jouent pas forcément des tangos qui viennent d’être écrits. S’ils jouent un titre qui a dix ou vingt ans, voire plus, il ne sera pas nécessairement réédité.
Le dernier biais et qu’il s’agit des titres qui passent à la radio. La qualité sonore de la radio à l’époque était assez médiocre, la FM n’était pas encore de mise et les danseurs pouvaient rencontrer leurs orchestres favoris toutes les semaines. Les programmes étaient donc plutôt destinés à la vie de famille et une diffusion régulière et sans trop de relief était sans doute mieux adaptée à cet usage.
En résumé, il ne faut pas tirer la conclusion que les succès mentionnés ici sont des succès absolus, notamment du point de vue des danseurs. On peut juste affirmer qu’à côté d’autres styles, le tango avait sa place dans le quotidien des Argentins, comme c’est toujours le cas où des airs de tango ayant près d’un siècle continuent de s’élever dans le bon air de Buenos Aires. On n’imagine pas dans tous les pays la population écouter des disques aussi anciens, sauf peut-être dans le domaine de la musique classique.
Pour estimer le succès des titres du point de vue des danseurs, je pense que la présence de nombreux enregistrements du même titre à quelques semaines d’intervalle est un bon indice. Certains tangos ont 20, 30 ou beaucoup plus d’enregistrements pour des monstres comme la Cumparsita, et d’autres sont fils uniques. Ces fils uniques qui ont raté leur lancement à l’époque sont parfois rattrapés, comme c’est le cas de la milonga Mi vieja linda (Ernesto Céspedes Polanco, musique et paroles), qui avant qu’elle soit reprise par le Sexteto Cristal était inconnue de la majorité des danseurs, bien qu’il en existe une belle version par la Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María
Mi vieja linda 2018-05-01 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler

Mon travail de DJ est aussi de réveiller, révéler, des merveilles qui dorment dans quelque pochette de disque de pâte.

À propos de l’illustration de couverture

Voici la photo originale qui m’a servi pour réaliser l’illustration de couverture. Vous pouvez vous livrer au jeu des sept erreurs, mais il y a bien plus que sept différences entre les deux images 😉

Une radio portable (on voit la poignée près de la main droite de Gardel). Il s’agit d’un modèle « Mendez », copie du Mc Michael anglais.

Dans la partie droite, les deux boutons rotatifs permettant la syntonisation (choix de la station de radio). Le haut-parleur (dans la partie gauche est protégé pendant le transport, par la partie de droite qui se replie dessus. On voit les verrous qui maintiennent la mallette fermée de part et d’autre de l’appareil.
Vous aurez reconnu les personnages dès la photo de couverture, qui est un montage de ma part avec une fausse radio, je trouvais celle d’origine manquant un peu de classe.
Au cas où vous auriez un doute, je vous présente la fine équipe qui entoure le poste de radio, de gauche à droite :
José Maria Aguilar, , José Ricardo, les trois guitaristes de Gardel, et Carlos Gardel. La photo date de 1928, soit 8 ans avant la mort de Gardel et 9 ans avant la partition de No quiero verte llorar faisant la publicité pour les succès de l’année 1937. Cette image et la couverture ne sont donc pas tout à fait d’actualité, mais comme 1937 est l’année où l’éditeur Julio Korn fait son gros coup sur Gardel, je pense que cela peut se justifier.
De plus, on notera que dans les succès de 1937, il y a un tango écrit par Gardel, Amor et un vals criollo, Rosa de otoño, chanté par lui.

À demain les amis !

Voici la couverture pour ceux qui veulent jouer au jeu des sept erreurs…

Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta Francini-Pontier con Julio Sosa

Enrique Mario Francini Letra :

Nous avons découvert, à l’occasion de Porteña linda Rosita, l’amour malheureux d’Horacio Sanguinetti. Dans ce tango interprété par Julio Sosa, Sanguinetti nous parle d’elle et de son amour. Sortez vos mouchoirs.

Rosita

Rosita, telle que la décrit Beba Pugliese était grande, blonde. Elle avait les cheveux coiffés en arrière et elle fumait. C’était le grand amour de Sanguineti. Malheureusement, celle-ci est partie avec un autre, mais on peut trouver son portrait en filigrane dans différentes compositions de Sanguinetti et notamment dans Princesa del fango.
En effet, Rosita était une travailleuse de la nuit et elle était donc de la fange, la fange morale qui ternit les âmes.

Rosita, alias : Princesa del fango. Rosita, que j’imagine un peu à la Evita était une femme de la nuit, une princesse de la fange, une femme « moderne ».

Extrait musical

Partition pour piano de Princesa del fango avec en couverture, Francini et Pontier.
Princesa del fango 1951-05-11 – Orquesta con Julio Sosa

L’orchestre et Julio Sosa sont au service de la nostalgie triste de Sanguinetti. Cette version qui est la seule enregistrée ne sera pas destinée à la danse, mais c’est une belle chanson, émotionnante.

Paroles

(recitado)
Se alargan las graves cadencias de un tango,
un místico soplo recorre el salón…
Y rezan las tristes princesas del fango
plegarias que se alzan desde un bandoneón.


Mi copa es tu copa, bebamos, amiga,
el bello topacio del mágico alcohol.
La sed que yo tengo me quema la vida,
bebiendo descansa mi enorme dolor.
Tu rubio cabello, tu piel de azucena,
tu largo vestido de seda y de tul,
me alegran los ojos, me borran las penas,
me envuelven el alma en un .

Princesa del fango,
bailemos un tango…
¿No ves que estoy triste,
que llora mi voz?
Princesa del fango,
hermosa y coqueta…
yo soy un poeta
que muere de amor.

Me siento esta noche más triste que nunca
me ronda un oscuro fantasma de amor
por eso es que quiero matar su recuerdo
ahogando mi angustia, con tangos y alcohol.
Yo sé que si miente tu boca pintada,
esconde un amargo cansancio fatal.
Tu alma y mi alma están amarradas
lloramos el mismo dolor de arrabal.

Enrique Mario Francini Letra: Horacio Sanguinetti (Horacio Basterra)

Princesa del fango (traduction libre)

(Récitatif)
Les cadences graves d’un tango s’allongent, un souffle mystique parcourt la pièce…
Et les tristes princesses de la boue récitent des prières qui s’élèvent d’un bandonéon.
Mon verre est ton verre, buvons, mon amie, la belle topaze de l’alcool magique.

La soif que j’ai brûle ma vie, boire repose mon énorme douleur.
Tes cheveux blonds, ta peau de lys, ta longue robe de soie et de tulle réjouissent mes yeux, effacent mes peines, enveloppent mon âme dans un rêve bleu.
Princesse de la boue, dansons un tango…

Ne vois-tu pas que je suis triste, que ma voix pleure ? Princesse de la boue, belle et coquette… Je suis un poète qui se meurt d’amour.
Je me sens plus triste que jamais ce soir, un sombre fantôme d’amour me hante, c’est pourquoi je veux tuer son souvenir en noyant mon angoisse avec des tangos et de l’alcool.

Je sais que si ta bouche peinte ment, elle cache une fatigue amère et fatale.
Ton âme et la mienne sont liées. Nous pleurons la même douleur des faubourgs.

Autres versions

Ce titre n’a pas de frères, mais des cousins. La fange, el fango a inspiré plusieurs compositeurs, paroliers et orchestre. Voici donc un petit bain de boue…

(Francisco Canaro Musique et paroles)

Cuna de fango 1952-08-11 – Orquesta Francisco Canaro con y Coro.

Un titre contemporain de notre tango du jour. Le thème de la fange était à la mode. Ici, c’est le berceau qui fait l’objet de cette chanson à caractère de .
Au début, Alberto Arenas, dans son récitatif initial, dit :

A este tango, flor de tango
Quieren cambiarlo de rango,
Pobre tango, flor de tango
Mecido en cuna de fango.

De ce tango, fleur du tango
Ils veulent changer le rang,
Pauvre tango, fleur du tango
Bercé dans le berceau de la fange.

Rango, Fango et Tango sont des rimes riches. Canaro, l’auteur, joue donc avec les mots. Avec cette déclaration liminaire, il affirme une position semblable à celle de Borges qui considère que le tango est affaire de bordel et qu’il aurait dû se cantonner à cet univers « viril »

Flor de tango (Augusto A. Gentile Letra: )

Peut-être le Flor de tango évoqué par Cuna de tango…

Flor de fango 1918 — Carlos Gardel con acomp. de José Ricardo (guitare).

On est à l’opposé de la milonga précédente. Carlos Gardel est dans le charme, ce qui avait l’effet d’énerver Borges. Ce sont deux visions opposées du tango qui s’affirment. Gardel et Borges, ennemis à vie. Rien de tango brutal et rugueux dans cette chanson du charmeur Gardel.

Flor de fango 1926-10-25 — Orquesta Típica Victor dir. Carabelli.

Une version vieille garde. Suffisamment marchante et énergique pour ne pas déplaire à Canaro (dont Carabelli n’est pas si loin dans cette version) et à Borges.

Flor de fango 1940-04-25 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo dans son style sautillant. Sûr que ça va éclabousser. Je ne sais pas comment a réagit Borges à cette version sympathique mais manquant tout de même un peu de charpente.

Flor de fango 1960-02-12 — y su Quinteto Bravo del 900.

Et on continue à éclabousser avec Villasboas qui reprend le style sautillant de Firpo.

Hijo de fango (Francisco Pracánico ; Letra : Carlos Pesce)

Dans la famille Fango, après la fleur, je voudrais le fils.

Hijo del fango 1931-07-08 — Orquesta Típica Los Provincianos con .

Le fils de la fange que chante Lafuente est empreint de tristesse et nostalgie. On est loin de la fleur sautillante de Firpo et Villasboas.

Flor de fango y flor de tango

Revenons pour terminer avec notre orchestre du jour. Francini-Pontier. Voici un titre qui a une lettre près aurait été de la même famille… Fango Tango, Triste flor de tango. La musique est du même Enrique Francini, mais cette fois les paroles sont de Carlos Bahr.
Le chanteur n’est plus le Varon del Tango, Julio Sosa, mais le moins connu Pablo Moreno. Ce chanteur né en Italie et établi à Montevideo (Uruguay) était ami de Julio Sosa, ce qui est une autre raison pour que j’associe cet enregistrement à notre tango du jour.

Pablo Moreno, le baryton italo-uruguayen
Triste flor de tango 1953-09-22 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno.

Lorsque Francini et Pontier quittèrent l’orchestre de Miguel Caló, ils formèrent cet orchestre pour exploiter leur style et leurs talents de violoniste (Francini) et bandonéoniste (Pontier). Leur style, comme on peut l’entendre ici, est nettement moins dansant que celui de Caló… Reste que la voix de baryton de Moreno est chaude et pleine et qu’il aurait peut-être fait des merveilles s’il avait eu une carrière plus soutenue et plus portègne. Pour moi sa version de Manos adoradas surpasse les versions de Roberto Rufino et celles de Caló et si la version de Pugliese avec Alberto Morán est peut-être supérieure, elle le doit aussi au génie de San Pugliese et à son rythme plus soutenu et enivrant pour la valse.
Nous restons avec Francini, Montier et Moreno pour la valse Manos adoradas, histoire d’utiliser la force centrifuge pour éjecter toute la boue accumulée…

Manos adoradas 1952-12-10 — Orquesta Francini-Pontier con Pablo Moreno
Princesa del fango.

Ríe, payaso 1952-05-05 – Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava

Virgilio Carmona Letra: Emilio Luis Ramón Falero

Certains aiment les clowns, d’autres en ont peur. On appelle cela la coulrophobie (rien que le nom donne des angoisses). Ángel Vargas dans cette superbe version de Ríe, payaso (Ris, clown) transmets l’émotion. Cette version est sans doute moins connue que celle de Casares et D’Arienzo, mais c’est le et je pense que vous allez l’aimer.

Extrait musical

Ríe, payaso. Un essai d’ du visage.
Ríe, payaso 1952-05-05 — Ángel Vargas con su orquesta dirigida por .

J’aime beaucoup cette version, car la voix de Vargas donne sans doute la plus belle interprétation de ce thème. Pour la danse, on est sans doute en retrait par rapport à celle de 1940 de D’Arienzo. Vous pourrez en juger avec les nombreuses versions que je vous propose.

Paroles

El payaso con sus muecas
y su risa exagerada,
nos invita, camaradas,
a gozar del carnaval;
no notáis en esa risa
una pena disfrazada,
que su cara almidonada,
nos oculta una verdad.

Ven payaso, yo te invito,
compañero de tristezas,
ven y siéntate a mi mesa
si te quieres embriagar ;
que si tú tienes tus penas
yo también tengo las mías
y el champagne hace olvidar.

Ríe, tu risa me contagia
con la divina magia
de tu gracia sin par.
Bebamos mucho, bebamos porque quiero,
con todo este dinero
hacer mi carnaval.

Lloras, payaso .
No llores que hay testigos
que ignoran tu pesar;
seca tu llanto y ríe con alborozo,
a ver, pronto, ¡che mozo,
tráigame más champagne !

Yo, también, como el payaso
de la triste carcajada,
tengo el alma destrozada
y también quiero olvidar;
embriagarme de placeres
en orgías desenfrenadas
con mujeres alquiladas
entre música y champagne.

Hace uno año, justamente,
era muy de madrugada,
regresaba a mi morada
con deseos de descansar;
al llegar vi luz prendida
en el cuarto de mi amada…
es mejor no recordar.

Virgilio Carmona Letra: Emilio Luis Ramón Falero

Traduction libre

Le clown avec ses grimaces et ses rires exagérés nous invite, camarades, à profiter du carnaval.
Tu ne remarqueras pas dans ce rire, une tristesse déguisée que sa face amidonnée, nous cache une vérité.

Viens, clown, je t’invite, compagnon de tristesse.
Viens à ma table si tu veux te saouler.
Que si tu as tes peines, j’ai aussi les miennes et le champagne fait oublier.

Ris, ton rire est contagieux avec la magie divine de ta grâce hors pair, buvons beaucoup, buvons parce que je veux faire de tout cet argent, mon carnaval.

Pleure, bon ami clown.
Ne pleure pas, car il y a des témoins qui ignorent ta peine.
Sèche tes larmes et ris avec joie.
Que rapidement, ce serveur m’apporte plus de champagne.

Moi aussi comme le clown au rire triste, j’ai l’âme brisée et je veux aussi oublier.
M’enivrer de plaisirs dans des orgies effrénées entre musique et champagne

Il y a tout juste un an, je rentrais dans chez moi avec l’idée de me reposer.
Quand je suis arrivé, j’ai vu une lumière allumée dans la chambre de ma bien-aimée, il vaut mieux ne pas se souvenir.

Pleure, bon ami clown.
Ne pleure pas, car il y a des témoins qui ignorent ta peine.
Sèche tes larmes et ris avec joie.
Que rapidement, ce serveur m’apporte plus de champagne.

Ríe, payaso. Marcelino Orbés, essai d’animation.

Autres versions

Ríe, payaso 1929-02-06 — Orquesta Roberto Firpo.

Une version instrumentale tout à fait dansable pour ceux qui aiment la vieille garde.

Ríe, payaso 1929-08-26 — con acomp. de , José María Aguilar (guitarras).

On ne parle pas de danse, mais c’est Gardel et c’est une référence à toujours avoir en tête.

Ríe, payaso 1940-08-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Casares.

Une version tonique. Il ne reste rien de la tristesse du clown, mais quel bonheur de danser cette version explosive. Ma voix de Casares s’intègre bien sans gêner la danse. Une version pour les DJ qui aiment faire plaisir à leurs .

Ríe, payaso 1945 — Roberto Quiroga con guitarras.

Une chanson accompagnée à la guitare, à comparer avec celle de Gardel.

Ríe, payaso 1949-12-21 — Orquesta Florindo Sassone con .

Une version emphatique et sans doute un peu trop appuyée pour être agréable à écouter. Trop de pathos nuit au pathos.

Ríe, payaso 1950-05-17 — Orquesta Enrique Alessio con Hugo Soler.

Une autre version un peu trop appuyée. Alessio et Soler n’ont pas fait beaucoup d’enregistrements, c’était l’occasion de vous en faire écouter un…

Ríe, payaso 1952-05-05 — Ángel Vargas con su orquesta dirigida por Armando Lacava.C’est notre tango du jour.
Ríe, payaso 1957 — Héctor Mauré y su Conjunto dir. Carlos Demaría.

Une version à écouter, mais une très jolie version, et émouvante à souhait.

Ríe, payaso 1959-11-12 — Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos.

Toujours de l’énergie. On est chez D’Arienzo. Le rendu est pourtant très différent de la version de 1940. Pour moi, c’est moins intéressant à danser, mais ça reste proposable à des danseurs tolérants.

Ríe, payaso 1964 — Tipica Tokyo con Ikuo Abo.

Une curiosité destinée à l’écoute. La diction de Ikuo Abo a un peu de mal à suivre la métrique de la musique.

Ríe, payaso 1976 — Orquesta Típica Florida con Mauricio Pitich.

Pour mémoire, car la prise de son est vraiment très mauvaise.

Ríe, payaso 2009 — Tango Madame.

Une version toute légère par cet orchestre français.

Ríe, payaso 2010 — Orquesta Típica El Afronte.

Une version originale, mais trop décousue pour la danse.

Ríe, payaso 2017-11 — Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.

Une version assez tonique et légère.

Ríe, payaso 2018 — Orquesta Silbando Con Sebastian Rossi.

Des bruits étonnants au début. Sans doute trop de réverbération, mauvaise prise de son ou choix artistique discutable. Cela nuit à la clarté et donc à la dansabilité, d’autant que le tempo est très rapide.

Ríe, payaso 2019 — Sexteto Cristal Con Guillermo Rozenthuler.

Une des plus récentes versions qui prouve qu’un siècle après, les clowns sont toujours sujets de tango.

Sortez les clowns !

Attention, tous les payasos ne sont pas de ce titre. Il y a une dizaine de thèmes qui parlent de payaso. Il en est un dont le titre est très proche comme « , ríe », mais qui est une valse de Ted Fiorito et Mercedes Simone avec des paroles de Mercedes Simone et Jacinto Font.
En voici deux exemples, dont le premier avec l’auteure, Mercedes Simone et l’autre par l’incontournable Canaro…

Ríe payaso, ríe 1929-09-27 (Vals) — Mercedes Simone
Ríe payaso, ríe 1929-11-13 (Vals) — Orquesta Francisco Canaro con Charlo

Marcelino

Un DJ est parfois un clown qui doit faire s’amuser les danseurs, même s’il est triste, déprimé ou tout simplement fatigué.
C’est un métier de spectacle, mais les plus méritants, ce sont bien sûr les clowns, qui, quand ils ne sont pas de dangereux psychopathes, doivent faire rire à tout prix leur public.
Même si, une fois de plus, je sors complètement du sujet, je vous présente ce livre de Víctor Casanova Abós qui traite de la mort et de la vie du clown Marcelino, Marcelino Orbés. Ce gamin vendu par ses parents à un cirque, qui trouva la gloire comme payaso (clown) à Londres et New York et la mort dans son suicide.

Couverture du livre de Víctor Casanova Abós qui traite de la mort et de la vie du clown Marcelino, Marcelino Orbés

Décidément, ces clowns me donnent des pensées tristes qui peuvent se danser…

Ríe, payaso.

Primero de mayo (premier mai)

En Argentine, le premier mai est férié. Tous les magasins sont fermés et seuls quelques services jugés essentiels fonctionnent. Tout au plus quelques bars ouvrent dans la soirée. Les maisons de disques fermant aussi, il ne semble pas y avoir de tangos enregistrés pour le jour des travailleurs et travailleuses (Día Internacional del trabajador y la trabajadora comme on dit en Argentine). Mais il y a des choses à dire sur le sujet…

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Extrait musical

Haragán, partition pour piano. Superbe de couverture par Sandro

Il y a de très nombreuses versions de Haragán et bien sûr, aucune n’est du premier mai. J’en ai donc choisi une, mais vous avez beacoup d’autres à écouter après la présentation des paroles. J’ai choisi celle de car elle est sympa et qu’on l’entend moins que son frangin, Francisco qui a aussi donné sa version du thème, une version que j’aime bien car elle est amusante. Mais le thème de Haragán est amusant, comme en témoigne l’illustration de la partition…

Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante

Paroles de Haragán

Sofia Bozán a été la première à chanter Haragán. C’était en 1928, au théâtre Sarmiento. Malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrements de cette prestation.

¡La pucha que sos reo y enemigo de yugarla!
La esquena se te frunce si tenés que laburarla…
Del orre batallón vos sos el capitán;
vos creés que naciste pa’ ser un sultán.
Te gusta meditarla panza arriba, en la catrera
y oír las campanadas del reló de Balvanera.
¡Salí de tu letargo! ¡Ganate tu pan!
Si no, yo te largo… ¡Sos muy haragán!

Haragán,
sí encontrás al inventor
del laburo, lo fajás…
Haragán, si seguís en ese tren
yo te amuro, Cachafaz
Grandulón,
prototipo de atorrante
robusto, gran bacán;
despertá, si dormido estás,
pedazo de haragán.

El día del casorio dijo el tipo ‘e la sotana:
«El coso debe siempre mantener a su fulana».
Y vos interpretás las cosas al revés:
¡que yo te mantenga es lo que querés!
Al campo a cachar giles que el amor no da pa’ tanto.
A ver si te entreveras porque yo ya no te aguanto…
Si en tren de cara rota pensás continuar,
« Primero de Mayo » te van a llamar.

Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera

Traduction libre de Haragán

Putain ! (c’est en fait une exclamation de surprise, de dégoût, pas la désignation d’une pute au sens strict) tu es condamné et ennemi du travail ! (yugar ou yugarla – travail)
Ton dos se tord s’il te faut travailler…
Du bataillon des condamnés (orre est reo en verlan), tu es le capitaine ;
Tu crois être né pour être un sultan.
Tu aimes méditer le ventre à l’air, sur le lit (catrera = lit en )
et entendre les cloches de l’horloge de Balvanera.
Sors de ta léthargie ! Gagne ton pain !
Sinon, je te jette dehors… Tu es trop paresseux !

Paresseux,
Si tu croises l’inventeur du travail, tu le roue de coups…
Paresseux, si tu continues ainsi (dans ce train), je t’abandonne (amuro en lunfardo a différentes significations, dont celle de quitter pour un autre), Cachafaz (il ne s’agit pas bien sûr de El Cachafaz, mais du terme lunfardo qui signifie paresseux, coquin, voyou, sans vergogne et autres choses peu aimables).
Grand gaillard,
Prototype de l’oisif (attorante) robuste, grand profiteur (un bacan, est un individu qui jouit de la vie. En général un bacan a de l’argent, il entretient une courtisane, mais là, il n’en a que les façons, pas le portefeuille) ;
Réveille-toi, si tu es endormi gros tas (pedazo est un amoncellement) fainéant.

Le jour du mariage, le type en soutane a dit :
« Le mec doit toujours entretenir sa moitié. »
Et tu interprètes les choses à l’envers :
Que je t’entretienne, c’est ce que tu veux !
À la campagne pour attraper des idiots pour l’amour ne donne pas pour si cher.
Voyons si tu vas t’emmêler les pinceaux (là, ce serait plutôt se remuer qu’emmêler) parce que là, je ne te supporte plus…
Si tu prévois de continuer sur un train en panne
« Primero de Mayo », ils vont te nommer (en lunfardo, un primero de mayo est un fainéant qui fait de chaque jour un 1er mai, jour férié).

Autres versions

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Cette version fait un peu musique de dessin animé. Charlo chante un paresseux qui semble content de l’être.

Haragán 1928-08-31 — Orquesta Francisco Lomuto.

Le même jour que Canaro, Lomuto produit une version instrumentale. Comme souvent, cette version peut faire penser à Canaro, mais elle est un peu moins imaginative. La concordance de date fait qu’il est amusant de comparer les deux versions.

Haragán 1928 – Enrique Delfino (piano y canto) y Manuel Parada (guitarra).

Une version par l’auteur de la musique au piano, je vous en présenterai deux autres…

Haragán 1928-09-11 — Azucena Maizani con acomp. de Dúo Enrique Delfino (piano) y Manuel Parada (guitare).

Les mêmes musiciens, avec le renfort d’Azucena…

Haragán 1928-09-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

C’est une version instrumentale, mais on entend bien la « fatigue » du paresseux.

1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho (version instrumentale).
Haragán 1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho – Disco-Nacional-Odeon-No.7591-A-Matriz-e-3264
Haragán 1929-06-21 – Carlos Gardel con acomp. de , José María Aguilar (guitarras)
Haragán 1929 – Ignacio Corsini acomp. de guitares. L’autre Gardel…
Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante
Haragán 1929 — Enrique Delfino (piano) y Antonio Rodio (violin).

Une version instrumentale très sympa. Dommage que le son ne soit pas de bonne qualité…

Haragán 1929 — (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé)
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé).

Pas d’enregistrement notable du titre dans les années 30, il faut attendre 1947 et… Astor Piazzolla, pour le retrouver sur un disque.

Haragán 1947-04-15 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica con Aldo Campoamor
Haragán 1955-12-14 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con .

Une version tonique, une chanson mais quasiment dansable. Un résultat dans la lignée de cambalache ou des enregistrements de Tita Merello (qui a d’ailleurs enregistré aussi cambalache…).

Haragán 1958-07-29 — Diana Durán con acomp. de Oscar Savino.

Une version chantée par une femme énergique. Notre Haragán n’a qu’à bien se tenir.

Haragán 2013 — Stella Milano.

Une des plus récentes versions de ce thème qui est toujours d’actualité…

Autres musiques

D’autres musiques pourraient convenir pour un premier mai, par exemple :

1933-09-18 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, , Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi.

Ce tango a été interdit, car il parle de grève…

Trabajar, nunca 1930-06-11 — Tita Merello con orquesta (Juan Carlos Bazán Letra : Enrique Carrera Sotelo).

Un tango humoristique qui pourrait être la réponse du Haragán a sa femme, sous forme de bonnes résolutions pour l’année nouvelle et qui se termine par, « j’accepte tout en ton nom, mais le travail, ça, non ! » L’argot utilisé dans ce tango est similaire à celui de Haragán.

Seguí mi consejo 1929-06-21 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar ( Letra: Eduardo Salvador Trongé).

Encore un tango qui donne de bons conseils pour ne rien faire… Un véritable manuel du haragán.

Seguí mi consejo 1947-01-29 — Orquesta Enrique Rodríguez con Ricardo Herrera.

Une version dansable de ce titre. Sans doute à passer un premier mai, ou pour se moquer d’un danseur un peu paresseux…

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).

Oui, oui, j’ai bien trouvé un tango qui portait la date du jour. Osvaldo Jiménez à la guitare et au chant a mis en musique le poème 1° de mayo de Luis García Montero… Bon, ce n’est pas le tango du siècle, mais ça montre que le tango est toujours en phase de création et que l’association entre les poètes et les musiciens fonctionne toujours.

1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).
La photo de couverture est un mural intérieur, peint à l’huile, de 4,5x6m de Ricardo Carpani appelé 1ero de Mayo. Il se trouve au Sindicato de Obreros del Vestido, rue Tucumán au 737. Il a été réalisé en 1963 et pas en 1964 comme le disent presque toutes les sources. J’ai rajouté la signature (Carpani).

Si vous souhaitez en savoir plus sur cet artiste : http://www.relats.org/documentos/TAC.Muralismo.Soneira.60y70.pdf

La última copa 1943-04-29 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Francisco Canaro Letra : Juan Andrés Caruso

Ceux qui fréquentent les milongas portègnes ont sans doute été étonnés de voir la quantité de bouteilles de qui peuplent les tables. Ce breuvage a même des tangos à son nom. Toutes les boissons ne peuvent pas en dire autant. La última copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous conte ce tango.

Il y a champagne et champagne

L’Argentine est un grand pays de viticulture et de vin. Elle propose des vins somptueux, curieusement presque tous nommés du nom du raisin qui les composent. On va prendre un Merlot, un Cabernet, une Syrah, un Chardonnay…
Le champagne que l’on trouve sur les tables des milongas n’a de champagne que le nom, tout comme le Roquefort. Il est produit sur place, notamment à Mendoza et en Patagonie.
Progressivement, sous la pression des viticulteurs français, le nom change pour laisser apparaître « méthode champenoise » ou autre indication laissant penser que c’est du Champagne, sans le dire vraiment. J’imagine que les viticulteurs français de Champagne ne tiennent pas en grande estime ces vins, bien que certains se vendent en Argentine bien plus cher que les « vrais » champagnes de supermarché français. Cependant, dans les milongas, c’est bien un mousseux standard qui vous sera servi comme champagne.
Revenons à notre última copa. Je vous propose de l’écouter… dans une vingtaine de versions…

Extrait musical

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Castillo.

C’est une version bien rythmée, avec une accentuation forte des temps. Tanturi est considéré comme un orchestre facile à danser. Pour cette raison, on le rencontre souvent dans les encuentros. Ici, c’est la voix de Castillo qui déclame les paroles, tout au moins les deux premiers couplets et deux fois le refrain. Le chant commence à 1 minute, après la présentation par les bandonéons et les violons du thème, le violon travaillant surtout en ponctuation. À 2 : 05 Castillo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour terminer, juste avant les deux traditionnels accords de Tanturi (accord sur dominante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que esta noche de farra y de alegría
El dolor que hay en mi alma quiero ahogar

Es la última farra de mi vida
De mi vida, muchachos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la última copa
Que, tal vez, también ella ahora estará
Ofreciendo en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que mi vida se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Francisco Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Castillo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car en cette nuit de réjouissances et de joie, je veux noyer la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est partie avec celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pourrai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de champagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trinquons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aussi, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Pour ceux qui disent que le tango raconte des histoires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, parle plutôt d’un repentir, repentir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En parallèle de la détresse « théâtrale » du conteur, il y a eu auparavant la tristesse de la femme négligée.
Le champagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aussi de la tristesse. C’est un compagnon supplémentaire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siècle, depuis, pour le moins, que le tango s’est énivré du breuvage français dans les établissements parisiens au début du vingtième siècle.
Canaro est le compositeur de la musique. Caruso et Canaro furent amis, lorsque Caruso fut de retour d’exil, vers 1910. Caruso a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beaucoup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le premier à avoir enregistré le titre et il l’a fait à de nombreuses reprises. C’est lui qui commence la liste des versions.

La última copa 1926 — Orquesta Francisco Canaro.

La plus ancienne version enregistrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caruso. Le son est médiocre, aussi vous n’entendrez pas ce titre en milonga. Mais rassurez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres versions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La última copa 1927-03-23 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta, l’année suivante chante les paroles de Caruso. C’est la première version chantée et l’enregistrement électrique rend le titre plus agréable à écouter.

La última copa 1927-06-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Une version en chanson. On la comparera avec celle d’Héctor Mauré de 1954.

La última copa 1931-04-22 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une version chanson du thème.

La última copa 1931-05-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Une version de danse, chantée par Charlo, chanteur de .

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est le tango du jour.
La última copa 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con .

Une très belle version, mais pas forcément parfaite pour la danse. Les pourraient toutefois pardonner cela au DJ, car elle est superbe.

La última copa 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con . .

Une version originale en valse. Sosa avait gagné un prix en Uruguay qui consistait à enregistrer des disques. Le son n’est pas parfait, mais cette version originale mérite l’écoute, voire la danse.

La última copa 1953-10-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese con .

Comme souvent, la rencontre Pugliese et Morán, donne un tango un peu délicat à danser. Certains apprécient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La última copa 1954 — Héctor Mauré con acomp. de guitarras.

Mauré reprend la tradition gardélienne. Le résultat est à comparer avec celui de son modèle.

La última copa 1956-09-25 — Orquesta Francisco Canaro con .

Une version dansable avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milongas.

La última copa 1957-05-20 — Dalva de Oliveira con acomp. de Francisco Canaro.

Avec ce septième enregistrement, Canaro a fait le tour. Ici une version à écouter par Dalva de Oliveira, à comparer avec celle d’Ada Falcón enregistrée 26 ans plus tôt.

La última copa 1958-04-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Un De Angelis et Godoy classique. Bien dansable, enregistré par l’orchestre des calesitas.

La última copa 1965 — Orquesta con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Une version sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéressante

La última copa 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone con Mario Bustos.

L’orchestre sert bien la voix de Bustos. Je ne proposerai pas pour la danse, mais c’est intéressant.

La última copa 1968-10-18 — Sexteto Tango con Jorge Maciel.

Le Sexteto Tango héritier de Pugliese donne sa version sans renier son modèle. Voir N… N…. Une version pour l’écoute avec une belle intro, une caractéristique de cet orchestre.

La última copa 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien différente de celle de Mario Bustos. Je pense cette version moins intéressante que la précédente de Sassone.

La última copa 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. par Carlos Lazzari con Walter Gutiérrez.

Souvent présenté comme étant un enregistrement de D’Arienzo, c’est en fait un enregistrement réalisé par ses solistes dirigés par Lazzari, qui était un de ses bandonéonistes et arrangeur, 11 après la mort du chef historique. Une version tonique, mais plus dans le style chanson que tango chanté. Cependant, elle est dansable, même si ce titre ne porte vraiment l’improvisation.

La última copa 2003 — Orquesta Mancifesta con Miguel Ángel Herrera.

Cet orchestre a commencé sa carrière à la fin de la vague Tango (1953). On lui doit cependant des enregistrements intéressants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milonga, mériterait d’être plus entendu, même s’il n’est pas à la hauteur des plus grands orchestres. N’oublions pas que certains danseurs aiment être surpris par des versions inconnues.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, Vicente Planells del Campo y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tango qui ne dispose pas d’enregistrement de version chantée intéressante dispose de tant de paroles. Pas moins de cinq versions… Quoi qu’il en soit, ce tango écrit en 1897 par Rosendo Mendizábal est fameux, et il fut le premier à avoir une partition…

Un tango célèbre

Ce tango est fameux. C’est pour cela, probablement qu’il dispose de plusieurs paroles, ces dernières étant utilisées pour flatter un commanditaire potentiel.
J’ai raconté dans comment Rosendo l’a dédicacé à Ricardo Segovia et a gagné ainsi 100 pesos… Il venait de le jouer à de multiples reprises à la demande du public en , dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, outre l’abondance de paroliers, je pourrais mentionner qu’il est chanté par Gardel dans Tango argentino 1929-12-11.

«De tus buenos tiempos aún hay palpitan
El choclo, Pelele’, El taita, El cabure
La morocha, El catre y La cumparsita
Aquel Entrerriano y el Sabado ingles»

La dernière preuve est le nombre incroyable de versions de ce titre. Les 100 pesos de Ricardo Segovia furent un bon investissement.

Extrait musical

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

On comprend l’enthousiasme des premiers auditeurs de El entrerriano qui ne s’appelait pas ainsi quand il fut joué pour la première fois en Lo de María la Vasca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne réception par les participants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spontané que les versions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Fresedo a su sortir de sa zone de confort pour nous éblouir avec cette version joyeuse.

Les paroles

J’ai mentionné cinq versions. Je n’en ai retrouvé que quatre, celle de Ángel Villoldo semble perdue.
Les quatre restantes sont du même type, elle raconte la gloire, la gloriole d’un type. Rien de bien intéressant et original. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Homero Expósito.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Villoldo a dédié une version à Pepita Avellaneda. Pour cela il a écrit des paroles qui semblent perdues pour le moment.
Attention à ne pas confondre la chanteuse Pepita Avellaneda et Pepito Avellaneda, pseudonyme du danseur . Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avellaneda. Pepito, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de prendre un pseudonyme pour atténuer son origine italienne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de pizzaiolos de province (Avellaneda).
D’ailleurs Pepita Avellaneda était également un pseudonyme, la chanteuse, qui était aussi danseuse s’appelait en fait Josefa Calatti… C’est elle qui avait étrenné El esquinazo de Villoldo, avec des paroles également disparues…
Villoldo a cependant écrit les paroles d’un autre tango qu’il a également composé : Desafío de un entrerriano (défi d’un entrerriano).
Il se peut qu’une partie des paroles soit proche de celles de la version perdue, à la différence qu’il s’agissait d’une femme, probablement uruguayenne dans le premier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la frontière de la Province de l’Est perméable.
On remarquera qu’elles sont de la même eau que celles destinées à El enterriano, ce qui confirme la destination de ces paroles, la flatterie, voire la flagornerie…
On ne connaît pas la datation précise de l’écriture de ce tango, mais comme il a été publié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la version perdue. Il ne semble pas exister d’enregistrement de ce tango. Voici donc les paroles de Desafío de un entrerriano :

Ángel VilloldoDesafío de un entrerriano 
Aquí viene el entrerriano
El criollo más respetado,
Por una milonga, un estilo,
O un tanguito requebrado.
En cuanto yo me presento
No hay quién se atreva a roncar,
Al cohete son los candiales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pierna
que la echaba de compadre?
Vayan saliendo al momento
Ya que llega la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gusta
Pa´ darles un revolcón.

¿Quién le ronca al entrerriano?
¿No hay quién cope la parada?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bolada.
Miren que ocasión como esta
No se les va a presentar…
¿De ande ?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la herida,
Y me gano la carrera
Mucho antes de la partida.
Aquí concluyo y saludo
Con cariño fraternal,
A todos los concurrentes
Y al pabellón nacional…


Letra de A. Semino y S. Retondaro
Tú el entrerriano un criollazo
De nobleza e hidalguía
Que captó la simpatía
De todo el que lo trató.
Porque siempre demostró
Ser hombre sincero y fiel
Y como macho de Ley
La muchachada lo apreció.

Como varón se comportó
Su pecho noble supo exponer
Para el débil defender
Y así librarlo del mal
Pero una noche sombría.
Que fue, ¡ay !, su desventura
En su alma la amargura
Echó su manto fatal
Por haber sido tan leal
Halló su cruel perdición …!
El entrerriano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un callejón
Al amigo más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hirió cruel
Y vibrando de indignación
El criollazo atropelló
Y en la faz del matón
Un barbijo marcó.

Y al correr de los años
Libertao ‘e las cadenas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo barrio volvió
Y amargado lagrimeó
Al hallarse sin abrigo
Y hasta aquél… el más amigo,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Campo y Oscar Amor
Mi apodo es
El Entrerriano y soy
de aquellos tiempos heroicos de ayer,
el de los patios del farol y el parral,
con perfume a madreselva y clavel.
Soy aquel tango que no tuvo rival
en las broncas y entreveros.
Pero fui sentimental
junto al calor
del vestido de percal.

Soy aquel que no aflojó jamás,
el que luchó con su valor
por mantener este compás
y con él
me sentí muy feliz
al poder triunfar con mi valor
lejos de aquí, allá en París.
Y
de recorrer triunfal,
la vuelta pegué para volver
junto al calor de mi arrabal
y hoy al ver
que soy retruco y flor
quiero agradecer este favor
al bailarín como al cantor.

Entrerriano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el compás de meta y ponga y fui
de la quebrada y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tambito.
Y en las trenzadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el barrio de San Telmo
yo soy
picaflor afortunao en amor
un punto bravo pa’l chamuyo floreao
buen amigo en cualquier ocasión
caudillo firme de jugado valor
pa’ copar una parada
y afirmar mi bien probada
lealtad con el doctor.

Calá este varón
cuando con un gesto
mando en el resto
pa’ ganar una elección.
Calá este varón
en bailongos bien mistongos
conquistando un fiel corazón.
Calá este varón
en salones distinguidos
todo presumido
de “doctor”.
Calá este varón
mozo atrevido
siempre canto flor, envido
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi única pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mella a mi condición
de varón,
soy entrerriano, señor
y tengo firme el corazón.


Letra de Homero Expósito
Sabrán que soy el Entrerriano,
que soy
milonguero y provinciano,
que soy también
un poquito compadrito
y aguanto el tren
de los guapos con tajitos.
Y en el vaivén
de algún tango de fandango,
como el querer
voy metiéndome hasta el mango,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siempre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
llevándola juntito a mí
como apretando el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es llevarse bien
en las cortadas del querer
y en la milonga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y alguna herida
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
haciendo cortes
y al Sur y al Norte
sulen gritar
que el Entrerriano es el gotán.

libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provincial, que je suis aussi un peu compadrito et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cicatrices (tajito, petites entailles).
Et dans le balancement d’un tango fandango, (Un siècle avant le tango, le fandango a fait scandale, car jugé lascif. Avec le tango, l’histoire se répète… N’oublions pas que ce tango s’est inauguré dans une maison de plaisir…)

avec volonté je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis toujours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écraser le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cortadas du désir et dans la milonga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a donné la vie et une blessure de temps en temps, pour connaître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (figure de tango) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tango en verlan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad
El entrerriano 1913 — Eduardo Arolas y su Orquesta Típica.

Une version par le tigre du bandonéon. Il existe peu d’enregistrements de Arolas, sans doute, moins de 20 et tous de la période de l’enregistrement acoustique. Ils ne rendent sans doute pas justice aux prestations réelles de cet artiste du bandonéon et de son orchestre.

El entrerriano 1914 — Quinteto Criollo Tano Genaro.
El entrerriano 1917 Orquesta . Avec les moyens et le style de l’époque.
El entrerriano 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro.

Une version calme et tranquille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux passages guidés par le piano comme après 50 s.

El entrerriano 1927-03-20 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Une version avec des bruits étranges, on entend les animaux de la ferme (notamment à partir de 30 s). Le dédicataire est en effet un riche propriétaire terrien et j’imagine que Fresedo s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entrerriano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Roberto Firpo y su .

Une version à toute vitesse. Avec mandoline. Je ne sais pas si elle était destinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démonstration de virtuosité.

El entrerriano 1940-11-06 — Orquesta Radio Victor Argentina.

On dirait que Firpo a passé le virus à Scorticati qui dirigeait la Victor à cette époque. On peut imaginer sa joie de faire raisonner le « Pin-Pon-Pin » du bandonéon comme une ponctuation tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y compris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo. C’est notre .

On dirait que Firpo et Scorticati ont passé le virus à Fresedo qui produit à son tour une version très rapide. Il fallait sans doute ces deux contaminations pour l’inciter à produire cette version tonique et rapide. Le bandonéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus convaincant. Cependant, adieu veaux, vaches, couvées par rapport à la version précédente de 1927. Chaque instrument a son tour de gloire et le résultat est prenant, jusqu’au classique double accord final de Fresedo. C’est notre tango du jour.

J’ai passé sous silence les versions de 1941 de Troilo (c’était l’époque où il avait des enregistrements pourris, car les maisons de disques ne voulaient pas concurrencer leurs poulains) et celle de Biagi, qui est du Biagi comme il y en a tant. Du bon Biagi, mais que du Biagi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entrerriano 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo.

Pas la version de 1941 qui était une version plutôt rapide, mais celle de 1944, bien mieux enregistrée. On voit que l’ambiance est bien différente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musicale, moins dans la surprise. On remarquera les pleurs du bandonéon à 2 : 46, le merveilleux jeu de Troilo. Une version pour une danse bien différente, Troilo commence à montrer le bout de son nez novateur.

El entrerriano 1954-04-29 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milonga qui somnole (il paraît que ça existe), mais certains des titres précédents sont également efficaces pour cet usage…

El entrerriano 1979-10-31 — Orquesta Osvaldo Fresedo.

Fresedo a encore enregistré le titre en 1979. Honnêtement, cet enregistrement n’a rien d’exceptionnel et je vous propose de bouleverser la chronologie pour terminer cette anecdote avec une version étonnante, par Varela…

El entrerriano 1957-03-29 — Orquesta Héctor Varela.

C’est le dernier titre que je vous propose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solennel, suivi d’une citation des paroles de Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra: ) « ¿Te acordás, hermano, qué tiempos aquellos? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Castriota Letra: Pascual Contursi) « me dan ganas de llorar ».

Voilà, je termine avec cela. Quel parcours effectué depuis 1897 par ce tango exceptionnel !

À demain les amis !

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Letra : Antonio Martínez Viérgol

On est tous fous de loca, les locos locaux et les locaux d’ailleurs. D’Arienzo l’a enregistré 3 ou 4 fois pour le disque et au moins une fois pour la télévision. La version du jour est celle de 1942, son premier enregistrement de ce titre et qui a aujourd’hui exactement 82 ans.

Extrait musical

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Les paroles

du jour est instrumental, mais il y a des paroles que voici :

Loca me llaman mis amigos
que solo son testigos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que siento
ni que remordimiento
se oculta en mi interior?

Yo tengo con alegrías
que disfrazar mi tristeza
y que hacer de mi cabeza
las pesadillas huir.
Yo tengo que ahogar en vino
la pena que me devora…
Cuando mi corazón llora
mis labios deben reír.

Yo, si a un hombre lo desprecio,
tengo que fingirle amores,
y admiración, cuando es necio
y si es cobarde, temores…
Yo, que no he pertenecido
al ambiente en que ahora estoy
he de olvidar lo que he sido
y he de olvidar lo que soy.

Loca me llaman mis amigos
que solo son testigos
de mi liviano amor.
Loca…
Que saben lo que siento
ni que remordimiento
se oculta en mi interior?

Alla, muy lejos, muy lejos,
donde el sol cae cada día,
un tranquilo hogar tenía
y en el hogar unos viejos.
La vida y su encanto era
una muchacha que huyo
sin decirle donde fuera…
y esa muchacha era yo.

Hoy no existe ya la casa,
hoy no existen ya los viejos,
hoy la muchacha, muy lejos,
sufriendo la vida pasa.
Y al caer todos los días
en aquella tierra el sol,
cae con el mi alegría
y muere mi corazón.

Manuel Jovés Letra: Antonio Martínez Viérgol

Traduction libre

Folle, m’appellent mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour léger.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Je dois avec des joies déguiser ma tristesse et faire fuir mes cauchemars de ma tête.
Il faut que je noie dans le vin le chagrin qui me dévore…
Quand mon cœur pleure, mes lèvres doivent rire.
Moi, si je méprise un homme, je dois feindre l’amour et l’admiration pour lui, alors qu’il est un imbécile et que s’il est lâche, qu’il a peur…
Moi qui n’ai pas appartenu au milieu dans lequel je suis maintenant, je dois oublier ce que j’ai été et je dois oublier ce que je suis.
Mes amis qui ne sont que les témoins de mon amour de lumière me traitent de folle.
Folle…
Qui sait ce que je ressens ou quels remords sont cachés en moi ?
Là-bas, très loin, là où le soleil tombe chaque jour, il y avait un foyer tranquille, et dans ce foyer quelques vieux.
La vie et son charme, c’était une fille qui s’enfuyait sans lui dire où elle allait…
Et cette fille, c’était moi.
Aujourd’hui, la maison n’existe plus, aujourd’hui il n’y a plus de vieux, aujourd’hui la fille, très loin, la vie passe en souffrant.
Et quand tombe chaque jour sur cette terre le soleil, ma joie tombe avec lui, et mon cœur meurt.

Autres versions par D’Arienzo

Loca 1942-04-22 – Orquesta Juan . Notre est le plus ancien enregistrement par D’Arienzo.
Loca 1946-10-18 – Orquesta Juan D’Arienzo
Loca 1955-12-22 – Orquesta Juan D’Arienzo

Loca 1971

Vous avez tous déjà vu cette vidéo et la façon particulièrement animée de diriger de D’Arienzo. Plusieurs orchestres contemporains imitent cette mise en scène, pour le plus grand plaisir des danseurs.

Loca 1975 – Los Solistas de D’Arienzo. Quelques mois avant la mort de D’Arienzo. Je ne suis pas sûr qu’il ait dirigé cet enregistrement. C’était peut-être Carlos Lazarri, bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre.

Autres versions par d’autres orchestres

Loca est un titre à très grand succès et il existe des centaines de versions. Je vous en propose donc une sélection très réduite, mais représentative.

Loca 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, (guitarras)
Loca 1923 – Orchestre Mondain Jose Sentis. Attention, enregistrement perturbé (disque endommagé). Cependant, cela permet de voir que la France était en pointe, ce titre ayant été écrit l’année d’avant.
Loca 1938-06-20 – Quinteto dir.
Loca 1941-07-08 – Orquesta Típica Victor Dir. Freddy Scorticati
Loca 1950-11-06 – Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Amanda Vidal
Loca 1951 , .
Loca 1954-10-04 – Orquesta Juan Canaro con María de la Fuente (en vivo en Japón). La même chanteuse que Piazzola.
Loca 1959-01-30 – Orquesta con Olga Delgrossi
Loca 1964-04 – Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy
Loca 2006 – Orquesta Típica Fervor de Buenos Aires.

Peut-être la version la plus originale. Fervor de Buenos Aires, est un orchestre créé en 2003 et qui a eu sa personnalité en donnant de nouvelles sonorités à des interprétations inspirées de Di Sarli. À partir de 2008, il a continué son chemin avec un style proche sous le nom Típica . Ce dernier orchestre s’annonce comme un orchestre de danse, mais cela reste tout de même à prouver…

Alors, avez-vous vu ? C’est fou, vraiment fou, tout cela.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo Bianco

Certains tangos sont « interdits » dans les milongas. On ne passe pas Gardel et surtout pas Volver, mais il y a une liste plus longue, du jour en ferait partie même s’il n’a jamais fait partie des tangos interdits par la loi argentine. Attention, cet article aura du mal à suivre ma devise selon laquelle le tango est une pensée heureuse qui se danse.

Extrait musical

Avant de rentrer sur les causes de l’interdiction, je vous le propose à écouter. Il est interdit dans les milongas, pas à l’écoute. Si vous jugez en lisant l’article que l’interdiction est justifiée, ou pas, vous pourrez voter à la fin de l’article.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta con Ricardo Ruiz

On ne peut pas dire que ce soit vilain, non ?

Interdiction officielle du tango

Plusieurs causes ont provoqué des interdictions du ou des tangos.

Interdiction du tango pour des raisons de bienséance

Les débuts interlopes du tango ont provoqué sont interdiction, surtout à cause des paroles, des lieux et des débordements qu’il pouvait susciter.
La bonne société voyait d’un mauvais œil cette danse de voyous qui naissait dans les faubourgs, mais ses fils s’y acoquinèrent. Le pouvoir religieux poussait des cris d’orfraie, jusqu’à ce que le danseur Casimiro Ain fasse une démonstration au pape. 
Le pape ayant donné sa bénédiction et le tango s’étant acheté une conduite en Europe, les interdictions sont levées et la bonne société se lance à son tour sans réserve dans la pratique de cette danse.

Tangos interdits par les dictatures militaires

Cependant, la dictature militaire a repris la question en main et publié une liste de tangos interdits, non pas à cause de la musique, bien sûr, mais à cause des paroles. Les extrêmes droites, sont rarement favorables à la culture et n’aiment pas trop les critiques.
A mi país de Roberto Diaz et Reynaldo Martín
Acquaforte de C. Marambio Catán et H. Alfredo Perroti
Al mundo le falta un tornillo de Enrique Cadicamo
Al pie de la Santa Cruz de M. Battistella et E. Delfino
Bronca de et Edmundo Rivero
Caballo Criollo de J. Dalevuelta et F. Ramirez de Aguilar
Cambalache de Enrique Santos Discépolo
Ciruja de T.A. Marino et E.N. de la Cruz
Gorriones de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Jornalero de Atilio Carbone
Matufias de Ángel G. Villoldo
Mentiras criollas de Oscar Arona
Pajarito de Dante A. Linyera
Pan de Celedonio Flores et Eduardo Pereyra
Quevachaché de Enrique Santos Discépolo
Sol a sol de Daniel L. Barreto
Solo de
Bien sûr, cette liste n’est plus d’actualité, du moins tant qu’un gouvernement ne juge pas de nouveau que ces paroles peuvent nuire à son prestige. Ceux qui suivent la situation en Argentine voient certainement ce qui avive mes craintes.

Tangos « interdits » sans « interdit ».

Les tangos de Gardel sont réputés comme ne devant pas se danser. L’interdit est le plus fort sur Volver et sur Adios amigos, à cause de la fin tragique du chanteur. Le DJ n’ira pas en prison, mais certains danseurs seront surpris.
D’un autre côté, Gardel n’a pas performé pour la piste de danse, c’est donc un moindre mal. Cependant, on trouve plusieurs tangos réalisés par la suite avec la voix de Gardel sur des instrumentations modernes. Ces « prouesses » ont été rendu possibles par les progrès techniques qui permettaient de couper des bandes de fréquences. Le système est assez simple, ce sont des ensembles de résistances et condensateurs qui filtrent certaines fréquences. Des potentiomètres permettent d’ajuster les paramètres. Ainsi on peut renforcer la voix et baisser les fréquences où jouent les instruments. L’orchestre joue ensuite le morceau en appuyant suffisamment pour masquer les restes de guitare des enregistrements originaux…

Par exemple par Canaro, dans les années 50 (1955 à 1959),

Bandoneón arrabalero, Chora, Madame Ivonne, Madre hay una sola, Mi noche triste, Siga el corso, .

Yira… Yira… 1955-11-13 1930-10-16 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Par exemple De Angelis en 1973 et 1974

Alma en pena, Almagro, , Cualquier cosa, Duelo criollo, Esta noche me emborracho, Giusepe el zapatero, Íntimas, La cumparsita (Si supieras), Malevaje, Me enamoré una vez (ranchera), Melodía de arrabal, adiós muchachos, Muñeca brava, Nelly (valse), Palermo, Rosas de abril (valse), Si soy así, Tomo y obligo, Viejo jardín (valse), Viejo smoking, Yira Yira.

Yira… Yira… 1973-10-25 1930-10-16 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Gardel. La version de Angelis à partir de Yira Yira…

Par exemple Otros Aires en 2004

Aquel muchacho bueno (extraits de Aquel Muchacho Triste par Carlos Gardel en 1929), En dirección a mi casa (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), La Pampa Seca (extraits de El Carretero par Carlos Gardel en 1922), Milonga Sentimental (extraits de Milonga Sentimental par Carlos Gardel en 1929), Percanta (extraits de Mi Noche Triste par Carlos Gardel).
Les résultats sont plutôt moyens et si on peut considérer que certains sont dansables, ce n’est pas une urgence de les passer.
Pour ma part je n’ai passé des titres de cette liste qu’à une seule reprise en plus de 20 ans de carrière et c’était pour une milonga « spéciale Gardel » dans le cadre du festival Tango postal (Toulouse, France). Heureusement, le thème autorisait de passer des titres composés par Gardel, mais joués par d’autres orchestres…

Interdits par devoir de mémoire

Le fait partie de cette catégorie. Il a été composé par Eduardo Bianco qui a également écrit les paroles.
Ce tango, dans sa version de 1927 que vous pourrez entendre ci-dessous est triste et ne donne pas du tout envie de danser. On imagine facilement sa diffusion lors d’un enterrement.
En 1939, l’auteur qui était associé à Bachicha pour la version de 1927, récidive. Cette version d’une grande émotion et tristesse ne se prête pas non plus à la danse.
Il en est autrement de la version de Fresedo qui pourrait s’intégrer dans une tanda.
Donc, les versions avec Bianco ne sont pas passables car elles ne se prêtent pas à la milonga, mais celle de Fresedo le pourrait. Alors pourquoi l’interdire ?
Eduardo Bianco a dédicacé ce tango au Roi Alfonso XIII d’Espagne (et auparavant dédié Evocación à Benito Mussolini), mais le plus grave est à venir…
Ce musicien etait considéré comme ayant des idées antisémites et comme étant sensible aux thèses fascistes. Il fréquentait les milieux pronazis.
Pour les nazis allemand, le tango constituait une réponse aux Jazz des Noirs américains qui avait le vent en poupe. Ils ont donc encouragé le tango en Allemagne, comme en témoignent les nombreux tangos allemands de l’époque.
Lors d’un concert à l’ambassade d’Argentine à Berlin, Adolf Hitler aurait entendu la musique jouée par Bianco et aurait demandé que cette musique soit jouée par les déportés juifs aux portes des chambres à gaz (Jens-Ingo a attiré mon attention sur le fait que ce point serait de la propagande russe, je mets donc en question ce point, d’autant plus que l’ambassadeur d’Argentine qui est cité dans ces sources, Eduardo Labougle Carranza, a quitté ses fonctions à Berlin an 1939 et donc avant la liste en place de la « solution finale ».

Toutefois, le poète roumain Paul Celan détenu en camp de concentration a évoqué cette horreur dans son poème Todesfuge. Selon Enzo Traverso, ce ne serait pas un témoignage direct, cette pratique n’étant pas forcément généralisée dans tous les camps et Celan n’aurait pas été dans le camp de Lublin – Majdanek, où selon l’Armée rouge ce « rituel » aurait été pratiqué.
Si dans les camps la version n’était pas chantée, Aleksander Kulisiewicz a ajouté des paroles et a même enregistré un disque (Songs from the Depths of Hell). Je ne vous le propose pas ici, mais vous pouvez l’écouter sur le site de la Smithsonian et même l’acheter.
S’il existe des « tangos de la muerte » (tango de la mort) qui portent réellement ce titre, on a également baptisé ainsi, pour son usage macabre, plegaria. Les SS l’avaient surnommé, « Muerte en fuga » « Todesfuge » (mort en fugue)…
Pour cette raison, même s’il y a des doutes sur certains éléments de cette histoire, on ne passe généralement pas plegaria en milonga, même la belle version de Fresedo. Cependant, si un DJ la passe, soyez indulgents, pas comme cet individu qui attrapé une pauvre DJ débutante en la traitant de nazi tout en la secouant, car elle avait passé ce titre.

Addendum : Jens-Ingo a attiré mon attention sur un livre qui remettrait en question ces éléments.
https://www.tangodanza.de/Books_Dirk-E-Dietz-Der-Todestango–1726.html?language=en « It still circles over the dancers, the ghost of the ‘death tango’ that the nefarious Eduardo Bianco once brought into the world to give the Nazis a fitting soundtrack for their atrocities.
One of the dancers, historian and journalist Dirk E. Dietz, has now studied the phenomenon extensively. In his investigation, he concludes that the fairy tale of the ‘death tango’ is based on an act of deliberate communist propaganda toward the end of World War II.

As interest in the tango grew, so did the spread of this legend. It is therefore far from being true, as Dietz proves in detail in his book.
A strong book – and an important book for the tango. ».

Pour nous, DJ, même si cette histoire est fausse, il nous faut savoir que l’on peut heurter la sensibilité de certaines personnes et donc prendre les mesures nécessaires avant de passer un titre de ce type. (Fin de l’addendum).

Extrait musical (bis)

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

. Le rythme est tonique et la voix de Ricardo Ruiz est comme toujours magnifique. Si on ne prête pas attention aux paroles, on peut passer à côté de la tristesse du thème. Ce titre sans l’histoire fumeuse de Bianco pourrait passer en milonga, dans un moment d’émotion, par exemple en souvenir d’un disparu, lors d’un hommage.

Les paroles

Plegaria que llega a mi alma
al son de lentas campanadas,
plegaria que es consuelo y calma
para las almas desamparadas.
El órgano de la capilla
embarga a todos de emoción
mientras que un alma de rodillas
¡pide consuelo, pide perdón!

¡Ay de mí!… ¡Ay señor!…
¡Cuánta amargura y dolor!
Cuando el sol se va ocultando
una plegaria
y se muere lentamente
brota de mi alma
cruza un alma doliente
y elevo un rezo
en el atardecer.

Murió la bella penitente,
murió, y su alma arrepentida
voló muy lejos de esta vida, 
se fue sin quejas, tímidamente,
y di en que noche callada
se oye un canto de dolor
y su alma triste, perdónala,
toda de blanco canta al amor!

Eduardo Bianco

Les paroles sont tristes et peuvent plomber l’ambiance de la milonga, mais rien de répréhensible dans leur contenu.

Prière qui vient à mon âme au son de lentes sonneries de cloches, prière qui est consolation et calme pour les âmes désemparées.
L’orgue de la chapelle embarque tout le monde dans l’émotion tandis qu’une âme à genoux demande du réconfort, demande pardon !

Pauvre de moi ! … Oh Seigneur ! …
Combien d’amertume et de douleur !
Lorsque le soleil va s’occulter
Une prière
et se meurt lentement
Jaillit de mon âme
croise une âme souffrante
Et adresse une prière
dans le soir.

Elle est morte la belle pénitente, elle est morte, et son âme repentante a volé très loin de cette vie. Elle est partie sans se plaindre, timidement, et fit que dans cette nuit silencieuse s’entend un chant de douleur. Et son âme triste, pardonnez-la, toute de blanc chante l’Amour !

Les parties en gras et italique sont chantées par le choeur.
Le couplet en bleu n’est pas chanté par Ricardo Ruiz.

Autres versions

Plegaria 1927-04-22 — Orquesta Bianco-Bachicha con Juan Raggi y coro.

Pas question de passer cette version en milonga, à cause du personnage, mais aussi, car il est loin d’être agréable à écouter et à danser. Le bannir n’est pas du tout un problème. Je vous épargne leurs autres versions de 1928 et 1929.

Plegaria 1939-03-15 — Orquesta Eduardo Bianco con Mario Visconti.

Cette version commence par une cloche lugubre et un chœur chantant comme pour un requiem. Puis Mario Visconti, chante avec beaucoup d’émotion sa prière, en réponse avec le chœur et les instruments. Pour moi, c’est assez joli, mais suffisamment triste pour bannir cette version de toute milonga.

Plegaria 1940-04-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est le tango du jour.

Les prières (plegarias)

D’autres tangos portent ce titre. En voici quelques-uns. Il y en a d’autres, comme quoi l’initiative de Bianco n’est pas étonnante. C’est un thème qui se retrouve au moins jusqu’aux années 50.

La plegaria 1926-09-07 — Orquesta Julio De Caro. Ce tango (instrumental) a été composé par Emilio De Caro.
Plegaria 1931-08-21 — Orquesta Juan Maglio « Pacho » (Eduardo Antonio De Maio avec des paroles d’).

Il y a même une prière en valse par Antonio Sureda avec des paroles de son frère Gerónimo Sureda. Je vous en propose deux versions. Les paroles sont une prière à la Vierge de Luján,

Plegaria 1933-07-19 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

L’introduction est vraiment sinistre. On peut la passer si on n’est pas sous Prozac.

Plegaria 1933-07-22 — Orquesta con Fernando Díaz.

Cette version assez proche (et enregistrée seulement trois jours plus tard) de celle de Canaro, sans l’introduction déprimante.

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Pensez-vous que cette version par Fresedo (pas celles de Bianco ou Bianco et Bachicha) pourrait être diffusée en milonga ?

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Pedro Mario Maffia Letra :

Il est des courriers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Francisco Fiorentino qui a reçu un courrier définitif, mais qui réagit en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le merveilleux orchestre d’Aníbal Troilo est tellement prodigieuse, que ce titre est désormais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorentino lui-même et j’en apporte la preuve.

Extrait musical

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Dès le début, la montée piquée au bandonéon donne le rythme. Puis les violons annoncent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorentino. Sa diction est parfaite, un léger rubato anime sa partition. Il exploite complètement, le contraste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond merveilleusement. La montée piquée revient régulièrement pour relancer le mouvement. Aucun risque de monotonie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorentino termine et l’orchestre ponctue par un accord de dominante suivi par un accord de tonique, atténué.

Les paroles

Recibí tu última carta,
en la cual tú me decías:
« Te aconsejo que me olvides,
todo ha muerto entre los dos.
Sólo pido mi retrato
y todas las cartas mías,
ya lo sabes que no es justo
que aún eso conserves vos ».
Hoy reconoces la falta,
tienes miedo que yo diga…
que le cuente
al que tú sabes (a tu marido)
nuestra íntima amistad;
¡Soy muy hombre, no te vendo,
no soy capaz de una intriga!
Lo comprendo que, si hablara,
quiebro tu felicidad.

Pero no vas a negar
que cuando vos fuiste mía,
dijiste que me querías,
que no me ibas a olvidar;
y que ciega de cariño
me besabas en la boca,
como si estuvieras loca…
Sedienta, nena, de amar.

Yo no tengo inconveniente
en enviarte todo eso,
sin embargo, aunque no quieras,
algo tuyo ha de quedar.
El vacío que dejaste
y el calor de aquellos besos
bien lo sabes que no puedo
devolvértelos jamás.
Yo lo hago en bien tuyo
evitando un compromiso,
sacrifico mi cariño
por tu apellido y tu honor ;
me conformo con mi suerte,
ya que así el destino quiso
pero acuérdate bien mío,
¡que esto lo hago por tu amor!

Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi

On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu marido » au lieu de « al que tú sabes».

Traduction libre

J’ai reçu ta dernière lettre, dans laquelle tu me disais : « Je te conseille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon portrait et toutes mes lettres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu reconnais la faute, tu as peur que je dise… que je raconte à qui tu sais, notre amitié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capable d’intriguer ! Je comprends que, si je parlais, je briserais ton bonheur.
Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de tendresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoiffée, petite, d’aimer.
Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cependant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as laissé et la chaleur de ces baisers, tu sais que je ne pourrai jamais te les rendre. Je le fais pour ton bien, en évitant un engagement, je sacrifie mon affection à ton nom et à ton honneur ; je me contente de mon sort, car c’est ce que le destin a voulu, mais souviens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !

Autres versions

Pour moi, il n’y a pas d’autre version que celle de Troilo et Fiorentino…
On peut essayer Fiorentino sans Troilo, par exemple avec , ça ne va pas.
On peut essayer des noms prestigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomuto. Rien n’arrive à la cheville de la version époustouflante de Troilo et Fiorentino.
Voici tout de même une petite sélection. Vous avez le droit d’y trouver des perles qui m’auraient échappé, mais je serai étonné que vous y trouviez mieux que Troilo et Fiorentino…

Te aconsejo que me olvides 1928-09-17 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.

Une chanson, rien pour la danse, mais l’histoire, c’est l’histoire. On peut regretter le début différent de notre version de référence par Troilo et Fiorentino.

Te aconsejo que me olvides 1928-09-25 — Orquesta Francisco Canaro.

Une semaine plus tard, Canaro remet le couvert, mais sans Charlo. Cette fois, il n’omet pas le début si spectaculaire dans la version de Troilo.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-11 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar, (guitarras).

Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa version avec ses guitaristes. Comme pour la version avec Charlo, on regrette aussi le début. Mais on n’est pas là pour danser.

Te aconsejo que me olvides 1928-10-15 — Orquesta .

Si vous trouviez la version de Canaro un peu planplan et soporifique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Francisco a réussi à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

C’est notre . Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque version différente…

Te aconsejo que me olvides 1950-12-29 — Orquesta Alberto Mancione con Francisco Fiorentino.

Neuf ans plus tard, Francisco Fiorentino enregistre de nouveau le thème, mais cette fois avec Alberto Mancione. Je ne sais pas s’il faut pleurer, crier ou tout simplement se tasser dans un coin avec des bouchons dans les oreilles, mais cette version ne me semble pas du tout une réussite. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.

Te aconsejo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cambareri y su con Alberto Casares.

Toujours très original, Cambareri. Le bandonéon énervé n’arrive pas à faire changer le rythme de Casares, on échappe ainsi à une des versions express de Cambareri. Le résultat est mignon, sans plus.

Te aconsejo que me olvides 1954-05-13 — Orquesta con Juan Carlos Cobos.

El Negro Cobos qui a remplacé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dispose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résultat est très Pugliese. Dès les premières mesures San Pugliese a marqué son empreinte. Pas un tango de danse, même si je sais que certains le passeront tout de même. C’est un très bel enregistrement que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la merveille de Troilo et Fiorentino. En tous cas, c’est mon avis.

Te aconsejo que no le olvidas

(Je te conseille de ne pas l’oublier)

Un petit mot sur l’ de couverture. des années 20, on parle de lettre, l’homme qui pleure au centre me paraissait logique. Seulement, le sujet de ce tango est de tous les temps. J’ai pensé aux signaux de fumée, mais c’était compliqué à dessiner et à faire comprendre. Je suis donc resté à un moyen de communication moins ancien, le télégraphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de Montmartre. Les postrévolutionnaires ne s’embarrassaient pas de considération de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sacrilège. À droite, un téléphone portable, pas de la toute dernière génération, mais qui annonce le même fatidique message. Je connais une église qui a une antenne de téléphonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télégraphe Chappe à la fin de la Révolution française.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Hilarion Acuña Letra :

Qui ne s’est jamais laissé emporter dans le tourbillon de cette valse chantée par et le bandonéon d’Anibal Troilo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait attention au tendre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en tremblant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troilo et Fiorentino ont enregistré 73 titres, dont 4 en duo avec .
Ce sont quasiment tous des au point que certains DJ ne passent pour les Troilo chantés, que des versions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anecdotes de tango de ces derniers jours, vous avez pu lire les articles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Anibal Troilo C Edmundo Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enregistré par Troilo et Fiorentino, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alberto Hilarion Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamora, ou plus précisément à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du village à l’époque de la naissance d’Alberto. Maintenant, c’est englobé au sud-ouest du grand . Un milieu plutôt rural à l’époque et cela a sans doute influencé ses choix musicaux, souvent orientés vers ce que l’on appelle maintenant le folklore, la valse du jour est en effet un vals criollo (vals est masculin en espagnol). Il a écrit en plus des tangos, des gatos, des chacareras, comme La choyana que Gardel a chanté avec Razzano, mais aussi des candombés comme Serafín enregistré par exemple en 1998 et 2003 par Juan Carlos Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le comparait à celui de Gardel et Razzano. Ainsi la revue El Canta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indiquait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insurpassable Gardel-Razzano, le meilleur qui reste pour interpréter notre muse sentimentale et populaire est indiscutablement l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’auteur des paroles, Charrúa (Gualberto Gregorio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Charrúa, vient du peuple Charrúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontalière avec l’Uruguay) et au Brésil.
Ses penchants pour la ruralité peuvent sans doute trouver leur origine dans son territoire de naissance, mais aussi dans son activité dans le « civil », il était administrateur d’établissements agricoles du côté de General Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses origines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendiquer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cependant, ma mère étant originaire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authentique, ce qui est traditionnel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleinement à être le meilleur Argentin. »
Son engagement pour ce qui est traditionnel s’est montré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des Estilo (chansons folkloriques typiques de la , ce qui explique le poncho dont il sera question dans la valse du jour) et bien sûr les paroles champêtres de la valse du jour.

Extrait musical

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.

Le bandonéon lance le début de l’introduction comme un démarrage difficile. Puis à 0 : 15 commence le thème par les violons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ainsi de suite, s’alternent les instruments jusqu’à ce que le violon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorentino reprend le thème. Il accentue de nombreux premiers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée normale). Cela donne l’impression de ralentissement que contredit ½ temps plus tard la reprise du rythme normal de la valse. Un peu comme un homme qui tournerait la manivelle d’une voiture ancienne pour démarrer le moteur. C’est le même principe que le démarrage initial du bandonéon en introduction. Cet élément stylistique s’apparente dans une certaine mesure à la valse viennoise, mais aussi au vals criolo où le ralentissement est encore plus marqué et le rythme sort complètement de la régularité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exemple chez Corsini (voir ci-dessous dans les autres versions).

Les paroles

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando
y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Estaba como nunca la había visto,
vestido livianito de zaraza,
con el pelo volcado sobre los hombros
era una virgen que encontré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus ojazos me siguió quemando,
dejó la escoba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó temblando.

Era el recuerdo del amor primero,
amor nacido en una edad temprana,
como esas flores rústicas del campo
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está oculto en los adobes
de su rancho paterno tan sencillo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la punta del cuchillo.

Me di vuelta pisando despacito,
como quien desconfía de una trampa,
envolviendo recuerdos y emociones
entre las listas de mi poncho pampa.

No sé qué me pasó, monté a caballo
y me fui (sali) galopeando a rienda suelta,
con todos los recuerdos y emociones
que en las listas del poncho saqué envueltas.

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando.
Y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Alberto Hilarion Acuña Letra: Charrúa (Gualberto Márquez)

Fiorentino et Bermúdez chantent ce qui est en gras et terminent en reprenant le couplet qui est en rouge. En bleu, la variante de Carmen Idal qui chante, comme Corsini, l’intégralité des paroles.

Traduction libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue auparavant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais rencontrée dans la maison. (Zaraza est une sorte de Percal. Un tango de Benjamin et Alfonso Tagle Lara porte ce nom. Et Biagi avec Ortiz en a donné une des meilleures versions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a également chanté en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons parlé, avec ses yeux immenses qui me suivaient en me brûlant, elle a délaissé le balai qu’elle tenait à la main, elle voulait me parler et elle est restée tremblante.
C’était le souvenir du premier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rustiques des champs qui naissent du jour au lendemain (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout simple et grâce à la courtoisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belombra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retournai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, enveloppant souvenirs et émotions entre les plis de mon poncho de la pampa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chanfrein des chevaux. Il enveloppe donc ses émotions dans les bandes blanches donc, les rayures de son poncho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis monté à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les souvenirs et les émotions que j’avais enveloppés dans les listes de ponchos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Un documentaire intéressant pour connaître le poncho.

Autres versions

Temblando 1933-09-28 — con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criollo). Une belle interprétation pour ce type de valses folkloriques.
Temblando 1944 Orquesta Gabriel Chula Clausi con Carmen Idal.

Une jolie version, chantée et presque dansable. Il est à noter qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites variations, comme cela arrive souvent, les chanteurs prennent de petites libertés pour mieux coller à leur diction, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actualiser un texte.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.
Temblando 1944-04-26 — Orquesta Pedro Laurenz con Carlos Bermúdez.

Comme la version de Troilo, celle de commence par un bandonéon qui « démarre ». Les arrangements sont assez proches de ceux de Troilo. À 1 : 19 commence Bermúdez, sa voix est magnifique, plus chaude que celle de Fiorentino, c’est une superbe version, injustement estompée, à mon avis par celle de Troilo qui ne lui est pas sensiblement supérieure. À 2 : 25, vous noterez le changement de tonalité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à propos de Lágrimas y sonrisas).

Par la suite, le thème a été repris à différentes reprises, par des chanteurs plutôt versés du côté folklore, ou par d’autres du côté chanson, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des versions équivalentes à celles de Troilo ou de Laurenz. J’en cite cependant quelques-unes, intéressantes par différents aspects.

Temblando 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rappel de vals criollo, au milieu d’une interprétation sous forme de chanson. Comme beaucoup de chansons en valse, cette version reste dansable, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Temblando 1976 — Rubén Juárez (a Capela).

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exercice du chant a capela. Là, pas du tout question de danser…

Temblando 1995 — Canta .

Pour terminer en douceur, une version d’inspiration criolla. Malgré sa très courte carrière (6 ans, Luis Cardei a produit trois disques et chanté dans le film La Nube (1998) de Fernando Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos globos rojos d’Eduardo Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les piétons, sauf un, reculent, la suite est peut-être moins intéressante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

Carlos Gardel; Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi

Le tango du jour est Silencio, enregistré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expiatoire » dévoile une des failles de Carlos Gardel, Enfant de France. Je vous invite à découvrir ou redécouvrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.

Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire voir et écouter une version différente du tango du jour, avant la version du jour.
Nous sommes en 1932, Carlos Gardel est en France (comme beaucoup de musiciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne quatre films et dans le dernier de la série, il chante une chanson dont on ne peut comprendre la totalité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta típica Argentina de . Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier.

Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Studios de Joinville-le-Pont en octobre et novembre 1932. Le scénario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, également).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre représenté dans le film et qui joue la bande-son est la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tango de l’âge d’or. On en connaît guère aujourd’hui qu’une cinquantaine ayant suffisamment d’enregistrement pour être significatifs et sans doute pas beaucoup plus d’une cinquantaine ayant suffisamment de titres pour faire une tanda et cela à la condition de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs pour certains titres que j’appelle « orphelins », je mélange les orchestres pour constituer une tanda complète et cohérente. Par exemple la Típica Victor dirigée par Carabelli et l’orchestre de Carabelli. Cela, c’est plus fréquemment pour les milongas qui sont plutôt déficitaires en nombre (moins de 600 milongas ont été enregistrées entre 1935 et 1955), contre presque le double de valses et quatre fois plus de tangos. En effet, l’âge d’or du tango, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un patrimoine ridiculement petit par rapport à ce qui a été joué et pas enregistré.

Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’image. À sa droite, au premier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au premier plan… Carlos Gardel. Les autres sont des personnes de la Paramount qui a produit le film. La photo du centre montre Mateo et Gardel en répétition. À droite, autoportrait de Mateo devenu peintre…

Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa carrière principalement en France et qu’il s’est recyclé comme peintre futuriste à la fin des années 30.
On lui doit notamment l’accompagnement orchestral de trois films interprétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arrabal dont est tiré cet extrait. C’est également le pianiste qui a le plus accompagné Carlos Gardel. Donc, si vous entendez chanter Gardel avec un accompagnement de piano, c’est certainement lui…

Extrait musical

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de y coro de mujeres.

Cette version est particulièrement émouvante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y reviendrons après avoir étudié les paroles.

Les paroles

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme.
La ambición descansa.

Meciendo una cuna,
una madre canta
un canto querido
que llega hasta el alma,
porque en esa cuna,
está su esperanza.

Eran cinco hermanos.
Ella era una santa.
Eran cinco besos
que cada mañana
rozaban muy tiernos
las hebras de plata
de esa viejecita
de canas muy blancas.
Eran cinco hijos
que al taller marchaban.

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme,
la ambición trabaja.

Un se oye.
Peligra la Patria.

Y al grito de guerra
los hombres se matan
cubriendo de sangre
los campos de Francia.

Hoy todo ha pasado.
Renacen las plantas.
Un himno a la vida
los arados cantan.
Y la viejecita
de canas muy blancas
se quedó muy sola,
con cinco medallas
que por cinco héroes
la premió la Patria.

Silencio en la noche.
Ya todo está en calma.
El músculo duerme,
la ambición descansa…

Un coro lejano
de madres que cantan
mecen en sus cunas,
nuevas esperanzas.
Silencio en la noche.
Silencio en las almas…

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi.

Carlos Gardel et Imperio Argentina chantent la totalité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Le titre commence par un son de clairon. Le clairon jouant sur trois notes, cet air fait immédiatement penser à une musique militaire (le clairon ne permet de jouer facilement que 4 notes et trois autres notes ne sont accessibles qu’aux virtuoses de cet instrument, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lentement, comme dans les sonneries aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début…
Gardel reprend à la suite de la sonnerie sur le même Mi. Cela permet de faire la liaison entre le clairon et sa voix, ce qui n’était pas si évident à concevoir. Dans la version de 1932 c’est une trompette et pas un clairon qui lance Sol Sol Do et Gardel commence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tessiture. La version de Canaro est donc à mon sens mieux construite de ce point de vue et l’usage du clairon est plus pertinent.

Silencio militar – Día de los muertos por la patria. Interprété par le régiment de Grenadiers à cheval « General San Martín », escorte présidentielle de la République argentine.

On remarquera que la sonnerie « officielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La sonnerie aux morts française est assez proche, mais pas identique non plus à celle proposée par Canaro. Disons que c’est une sonnerie factice destinée à donner le La. Pardon, le clairon ne peut pas jouer de La. Disons qu’il donne le Mi à Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment. L’ambition se repose.
Balançant un berceau, une mère chante une chanson bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trouve son espoir. (Le chœur de femmes intervient sur ce couplet).
Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq baisers qui, chaque matin, effleuraient très tendrement les mèches argentées de cette déjà vieille aux cheveux blanchis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition travaille. (L’ambition passe du repos au travail. Elle prépare le combat).
Un clairon résonne. La patrie est en danger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, couvrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le clairon qui résonne).
Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renaissent. Les charrues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant.
Les muscles dorment, l’ambition se repose…
Un chœur lointain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nouveaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les âmes…

Les versions

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo.

Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la sonnerie de trompette au début est différente de la sonnerie de clairon de la version de Canaro de 1933.

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.

C’est le tango du jour. Dans la version du film, il y a deux petites réponses de Imperio Argentina, sa partenaire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín (trompette).

La partenaire de Carlos Gardel dans le film Melodía de arrabal, reprend à son compte le titre. C’est également une superbe version à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tango du film melodía de Arrabal. En fait, elle n’y chante que deux phrases en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enregistré en même temps que la bande son du film (octobre-novembre 1932) et qu’il soit sorti en 1933, à l’occasion de la sortie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les versions de Canaro, qui était toujours à l’affut d’un bon coup financier.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédition du même enregistrement à droite, preuve du succès.

Une autre « erreur du disque est la mention d’un clairon. Contrairement à la version Canaro Gardel, c’est de nouveau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle débute par Si Si Si Do Ré Ré – Ré Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inaccessibles à un clairon. Cela ne peut donc pas être un clairon, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne.
Le piano apparait pour sa part tardivement, à une minute par une petite fioriture sur la respiration de la chanteuse (de esa viejecita DING – DONG de canas muy blancas). Après 1 :11, la guitarre, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit entendre une mandoline. Le piano termine par élégamment en faisant descendre la tension par un motif léger ascendant puis descendant.
J’aime beaucoup le résultat, Imperio a pris sa revanche sur Gardel en nous fournissant une version complémentaire et tout aussi belle.

Silencio 1933-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Trois jours après la version à écouter chantée par Gardel, Canaro enregistre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite partie des paroles. Cela en fait un tango de danse. La tragédie des paroles est compensée par des fioritures, notamment avant la reprise du début du refrain.

Je ne vous propose pas d’autres versions, même s’il y en a environ deux douzaines, car avec cet échantillon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une version de danse. La totale, quoi ?
Parmi les versions que je laisse de côté, des interprétations de Gardel avec des guitares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rouvrir le dossier et me fâcher avec mes amis uruguayens, mais je signale tout de même cette page où je présente les arguments en faveur d’une origine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas être remis en question, c’est que Gardel est venu en France à diverses reprises, qu’il a visité sa famille française, notamment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobilisation pour la « Grande Guerre », celle de 1914-1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échapper à l’accusation de désertion. Cependant, lors d’un séjour en France, il a visité les cimetières de la Grande Guerre.
On sent que cela le chatouillait. Le tango Silencio est un peu son expiation pour avoir échappé à la de 1914-1918. Tuerie et silence, cela ouvre m’a évoqué le grand sculpteur romantique, , justement auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de partir d’une œuvre du sculpteur français Auguste Préault qui a réalisé en 1842 cette œuvre pour le monument funéraire d’un certain Jacob Roblès qui est désormais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évoquer la guerre de 1914-1918, même cette œuvre ne relate pas précisément des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provocatrice. D’ailleurs cette œuvre n’a été acceptée au salon officiel de 1839 que pour montrer ce qu’il ne fallait pas faire pour être un grand sculpteur. Préault réalisera la commande de Roblès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de purgatoire et d’interdiction d’exposition).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été donné plus tardivement, vers 1867.

Silencio. Montage et interprétation d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste Préault, avec toute mon admiration. Ces œuvres portent le même message que Silencio.

Voici les deux œuvres et en prime un portrait de Préault par le photographe .

Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Monument funéraire de Jacob Roblès au Père-Lachaise (Paris). Sur le monument funéraire, l’inscription en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’origine de ce tango créé par un « déserteur ».

La vidéo de fin…

Pour une fois, je vais faire plusieurs entorses au format des anecdotes du jour en terminant par une vidéo au lieu d’une illustration que j’aurais réalisée.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une initiative de l’ami qui voulait rendre un hommage à la France en chantant ce tango qui n’est pas dans son répertoire habituel de folklore argentin.

  1. Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie de Paris qui l’a réalisée à l’arrache (c’était totalement impromptu). Merci à toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extraordinaire, c’est Stella Maris, mais vous l’aurez reconnue. Muchísimas Stella.
  3. Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous comprenez maintenant pourquoi je préfère être DJ.
  4. La tour Eiffel s’est mise à scintiller pour saluer notre performance. C’était imprévu, mais on a apprécié cet hommage de la Vieille Dame au tango qu’elle a vu naître.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez

Letra Francisco García Jiménez

Cette version de Zorro gris a été enregistrée le 22 mars 1946 par Enrique Rodriguez, il y a exactement 78 ans. Sa musique attrayante cache une histoire qui comporte deux tragédies. Menons l’enquête.

Zorro en espagnol, c’est le renard.

Zorro gris, c’est donc le renard gris. Le tango enregistré par Rodriguez est une version instrumentale. La musique est plutôt allègre, il est donc facile d’imaginer un petit renard qui gambade. La musique explore des directions opposées. Les instruments qui se répondent permettent d’imaginer un renard furetant, d’un côté à l’autre.

En lunfardo, un renard…

En lunfardo, le renard peut désigner les manières de certains, mais ce sont aussi les agents de la circulation, dénommés ainsi à cause de la couleur grise de leur tenue.

Extrait musical

Voyons si l’écoute du tango du jour nous aide à en savoir plus.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez. C’est notre tango du jour.

Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.

Les paroles

Avec les paroles, tout s’éclaire et probablement que vos hypothèses vont être contredites.
Cependant, la musique a été écrite avant 1920 et les paroles en 1921, il se peut donc qu’une fois de plus, elles aient été plaquées sans véritable cohérence. Francisco García Jiménez n’a écrit les paroles que de trois des compositions de Rafael Tuegols, Zorro gris (1920-21), Lo que fuiste (1923) et Príncipe (1924). Ce n’est donc pas une association régulière, Rafael Tuegols ayant composé au moins 55 tangos dont on dispose d’un enregistrement (sans doute beaucoup plus).

Cuantas noches fatídicas de vicio
tus ilusiones dulces de mujer,
como las rosas de una loca orgía
les deshojaste en el cabaret.
Y tras la farsa del amor mentido
al alejarte del Armenonville,
era el intenso frío de tu alma
lo que abrigabas con tu zorro gris.

Al fingir carcajadas de gozo
ante el oro fugaz del champán,
reprimías adentro del pecho
un deseo tenaz de llorar.
Y al pensar, entre un beso y un tango,
en tu humilde pasado feliz,
ocultabas las lágrimas santas
en los pliegues de tu zorro gris.

Por eso toda tu angustiosa historia
en esa prenda gravitando está.
Ella guardó tus lágrimas sagradas,
ella abrigó tu frío espiritual.
Y cuando llegue en un cercano día
a tus dolores el ansiado fin,
todo el secreto de tu vida triste
se quedará dentro del zorro gris.

Rafael Tuegols Letra : Francisco García Jiménez

Gardel change deux fois, au début et à la fin, le couplet en gras.

libre et explications

Combien de nuits fatidiques de vices, tes douces illusions de femme, comme les roses d’une folle orgie, les as-tu effeuillées au cabaret.

Et après la farce de l’amour menteur en t’éloignant de l’Armenonville, c’était le froid intense de ton âme que tu abritais avec ton renard gris.

En feignant des éclats de rire de joie devant l’or fugitif du , tu as réprimé dans ta poitrine un désir tenace de pleurer. Et quand tu pensais, entre un baiser et un tango, à ton humble passé heureux, tu cachais les saintes larmes dans les replis de ton renard gris.

C’est pourquoi toute ton histoire angoissante gravite autour de ce vêtement. Il a gardé tes larmes sacrées, il a abrité ton froid spirituel. Et quand viendra, un jour prochain, la fin désirée de tes douleurs, tout le secret de ta triste vie restera au cœur du renard gris.

Le Renard gris d’Argentine (Lycalopex griseus) est un petit canidé d’Amérique du Sud. Le voici en manteau et quand ce n’est pas un manteau.

Je vous avais annoncé deux tragédies dans ce tango, la première est pour les renards gris qui terminent en manteaux, mais il en reste une seconde, que je vais préciser au sujet de l’Armenonville qui est cité dans les paroles.

L’Armenonville

Si on regarde Wikipédia et la plupart des sites de tango, l’Armenonville est décrit comme un restaurant chic. La réalité était un peu différente, d’autant plus que beaucoup d’auteurs confondent les deux Armenonville qui se sont succédés. J’en parlerai sans doute plus en détail le 6 décembre, à l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement du tango Armenonville par son auteur, Juan Félix Maglio « Pacho » avec des paroles de José Fernández.

L’Armenonville 1, celui qui fut détruit en 1925 et qui était donc celui évoqué dans Zorro gris et dans le tango du même nom dont la couverture de la partition représente l’entrée de l’établissement qui avait un parc

À l’époque sévissaient la traite des blanches, de façon un peu artisanale comme le racontent certains tangos comme Madame Ivonne, mais aussi de façon plus organisée, notamment avec deux grandes filières, la Varsovia (qui fut nommée par la suite Zwi Migdal) et le réseau marseillais. La population de Buenos Aires et de ses environs était alors relativement équilibrée pour les autochtones, mais déséquilibrée pour les étrangers fraîchement immigrés. Jusqu’à la fin des années 1930 où l’équilibre s’est à peu près fait, il y a eu jusqu’à quatre fois plus d’hommes que de femmes. Je reviendrai sans doute plus en détail sur cette question, car ce déséquilibre est une des sources du tango.
Pour revenir à l’Armenonville, son nom et sa structure sont inspirés du bâtiment du même nom situé dans le Bois de Boulogne à Paris, bien qu’on le décrive parfois comme un chalet de style anglais. Il sera détruit en 1925 et un autre établissement du même nom (qui changera de nom pour Les Ambassadeurs, autre référence à la France) s’ouvrira avec des proportions bien plus grandes, nous en reparlerons au sujet du tango qui l’a pris pour titre.
Pour ceux qui pourraient s’étonner qu’un établissement de Buenos Aires prenne un nom français, je rappellerai que la France à la fin du XIXe siècle était le troisième pays en nombre d’immigrés, un peu derrière l’Espagne et l’Italie. Ce n’est que vers 1914 que l’immigration française a cessé d’être importante, même si son influence est restée notable jusqu’en 1939 et bien au-delà dans le domaine du tango.

Le zorro gris, la seconde tragédie promise

L’Armenonville était un établissement de luxe, mais il avait des activités secondaires pour cette clientèle huppée. La possesseuse du manteau en Renard gris masquait sa tristesse dans les plis de son vêtement. Sa détresse s’exprimait lorsqu’elle quittait l’établissement. Si elle avait été une cliente fortunée allant danser et boire du champagne, on n’en aurait sans doute pas fait un tango. Elle était donc honteuse de ce qu’elle devait faire, c’est la seconde tragédie que partage avec elle son manteau de renard.

Autres versions

Zorro gris a donné lieu à d’innombrables versions. Je vous en propose ici quelques-unes.

Zorro gris 1920 — Orquesta Roberto Firpo.

Un enregistrement acoustique et de faible qualité sonore, mais le témoignage le plus ancien de ce tango.

Zorro gris 1921 — accompagné à la guitare par Guillermo Barbieri et José Ricardo.

Là encore la prestation souffre de la piètre qualité de l’enregistrement acoustique, mais c’est le plus ancien enregistrement avec les paroles de Jiménez. Gardel chante deux fois le premier couplet (en gras dans les paroles ci-dessus).

Zorro gris 1927-07-16 — Orquesta .

Un enregistrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orchestration plus douce et des fioritures. Il y a également des nuances et les réponses entre instruments sont contrastées.

Zorro gris 1938-04-21 — Quinteto Don Pancho dirigé par Francisco Canaro.

Version tonique, sans doute un peu répétitive, mais rien d’excessif pour un titre de la Vieja Guardia. Son esprit est très différent de la version de 1927. À mon avis, ce n’est pas la version la plus agréable à danser, trop anecdotique, même si elle reste passable elle ne sera pas mon premier choix si je dois passer ce titre.

Zorro gris 1941-07-28 — Orquesta Francisco Lomuto.

Une version enjouée avec un tempo très rapide, sans doute un peu trop rapide, car cela brouille le dialogue entre les instruments qui est un des éléments intéressants de la structure de ce tango, mieux mis en valeur dans la version de 1927. Certains passages sont même franchement précipités.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez.

C’est notre tango du jour. Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.

Zorro gris 1952-07-01 — con ..

J’adore la voix de Larroca, mais le rythme un peu rapide me semble moins agréable que d’autres interprétations de ce chanteur.

Zorro gris 1954-04-28 — Orquesta con .

Ce titre a eu aussi son succès en Uruguay (Canaro est origine d’Uruguay), mais avec Racciatti, on est encore plus au cœur de l’Uruguay. Roldán propose ici une des rares versions chantées et elle est relativement intéressante et rarement jouée.

Zorro gris 1957-01-31 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Une version bien dans l’esprit de ce quintette avec (à moins que ce soit Mariano Mores), le pianiste en forme et un solo de flûte de Juvencio Física très sympathique.

Zorro gris 1973-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un des derniers enregistrements de D’Arienzo, comme la plupart de ceux de cette époque, très flatteur pour le concert, mais sans doute un peu trop grandiloquent et anarchique pour la danse de qualité. Cependant, cet enregistrement pourra avoir son succès dans certaines milongas.

Zorro gris 1985 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Encore un enregistrement uruguayen dans le style bien reconnaissable de Villasboas, mais sans l’accentuation du style canyengue qui est souvent sa marque. Cet enregistrement nous propose un tango assez joueur, même si on peut le trouver un peu répétitif.

Zorro gris 2009 — La Tuba Tango.

On revient canyengue du début, mais de façon légère et en retrouvant les fantaisies qui avaient fait le charme de la version de 1927 par Lomuto. Cette version fait complètement les tragédies de ce tango et peut donc être la source de pensées joyeuses qui se dansent.

Zorro gris.

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argentine pour l’Europe. La coïncidence de date fait que je me devais le choisir comme tango du jour. Il y a un siècle, les musiciens, et chanteurs argentins s’ouvrirent, notamment à Paris, les portes du succès. Un détail amusant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Gerardo Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Comparsita et Fernando Silva Valdès…

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nombreux sujets. Pas question de les traiter tous. Je liquide rapidement celui de l’ contée dans ce tango, d’autant plus que cette version est instrumentale. C’est un gars de la campagne qui s’est fait voler sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quittant l’Argentine. «  ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on connaît la nostalgie des originaires de la Province de l’Est (voir par exemple, Felicia écrit par Carlos Mauricio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imaginer qu’il va en Europe. Il dit dans la chanson qu’il cherche d’autres terres, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est commun, quoique d’aspect différent sur les deux drapeaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siècle jusqu’en 1939 a vu de nombreux musiciens et chanteurs argentins venir tenter leur chance en Europe.
Parmi eux, en vrac :
Alfredo Eusebio Gobbi et sa femme Flora Rodriguez, Angel Vidollo, Eduardo Arolas, Enrique Saborido, Eduardo Bianco, , les frères Canaro, Carlos Gardel, , Manuel Pizarro, José Ricardo, José Razzano, , Víctor Lomuto, Genaro Espósito, Celestino Ferrer, Eduardo Monelos, Horacio Pettorossi…
La liste est interminable, je vous en fais grâce, mais nous en parlerons tout au long des anecdotes de tango. Sachez seulement que selon l’excellent site « La Bible tango », 345 orchestres ont été répertoriés, chaque orchestre comptant plusieurs musiciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de naissance, ils ont donné dans la mode « Tango ». Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’excellent site de Dominique Lescarret (dit el Ingeniero « Une histoire du tango »)

Vous remarquerez que l’orchestre de Bianco et Bachita est vêtu en costume de Gaucho et qu’ils portent la fameuse bombacha, bombacha offerte par la France à l’Argentine… En effet, le syndicat des musiciens français obligeait les artistes étrangers porter un costume traditionnel de leur pays pour se distinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On connaît tous la tenue traditionnelle des gauchos, avec la culotte ample, nommée bombacha.  Ce vêtement est particulièrement pratique pour travailler, car il laisse de la liberté de mouvement, même s’il est réalisé avec une étoffe qui n’est pas élastique.
Cependant, ce qui est peut-être moins connu c’est que l’origine de ce vêtement est probablement française, du moins indirectement.
En France métropolitaine, se portaient, dans certaines régions comme la Bretagne, des braies très larges (bragou-braz en breton).Dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, ce pantalon était aussi très utilisé. Par exemple par les janissaires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désastreuse Guerre de Crimée en provoquant la mort de 800 000 soldats a également libéré des stocks importants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont quatre régiments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrouvé à la tête d’un stock de près de 100 000 uniformes comportant des « babuchas », ce pantalon ample. Il décida de les offrir à Urquiza, alors président de la fédération argentine. Les Argentins ont alors adopté les babuchas qu’ils réformeront en bombachas.
En guise de conclusion et pour être complet, signalons que certaines personnes disent que le pantalon albicéleste d’Obélix, ce fameux personnage René Goscinny et Albert Uderzo est en fait une bombacha et que c’est donc une influence argentine. Goscinny a effectivement vécu dans son enfance et son adolescence en Argentine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc certainement croisé des bombachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus certain, c’est qu’il a connu les bandes alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur drapeau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscinny ait influencé Uderzo sur le choix des couleurs du pantalon d’Obélix. En revanche pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volonté de lui faire porter un costume traditionnel, qu’il soit argentin ou breton… Et si vraiment on devait retenir le fait que son pantalon est une bombacha, alors, il serait plus logique de considérer que c’est un bragou-braz, par Toutatis, d’autant plus que les Gaulois portaient des pantalons amples (braies) serrés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.

Les paroles

Tierra generosa,
en mi despedida
te dejo la vida
temblando en mi adiós.
Me voy para siempre
como un emigrante
buscando otras tierras,
buscando otro sol.
Es hondo y es triste
y es cosa que mata
dejar en la planta
marchita la flor.
Pamperos sucios
ajaron mi china,
adiós, Argentina,
te dejo mi amor.

Mi alma
prendida estaba a la de ella
por lazos
que mi cariño puro trenzó,
y el gaucho,
que es varón y es altanero,
de un tirón los reventó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hombre
su perfume ya dejó?

Llevo la guitarra
hembra como ella;
como ella tiene
cintas de color,
y al pasar mis manos
rozando sus curvas
cerraré los ojos
pensando en mi amor.
Adiós, viejo rancho,
que nos cobijaste
cuando por las tardes
a verla iba yo.
Ya nada queda
de tanta alegría.
Adiós Argentina,
vencido me voy.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux je te laisse la vie tremblante dans mes adieux. Je pars pour toujours comme un émigré à la recherche d’autres terres, à la recherche d’un autre soleil. C’est profond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laisser la fleur sur la plante fanée. Les sales pamperos ont sali ma chérie, au revoir, Argentine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affection tressait, et le gaucho, qui est homme et hautain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà laissé son parfum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma guitare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans colorés, et quand mes mains frôleront ses courbes, je fermerai les yeux en pensant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abritais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argentine, vaincu, je pars.

J’ai laissé le terme « Pamperos » dans sa forme originale, car il peut y avoir différents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la , vu ce qu’ils ont fait à sa china (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pampero est aussi un vent violent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pourrait faire du mal à une fleur. Dans un autre tango, Pampero de 1935 composé par Osvaldo Fresedo avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pampero (le vent) donne des gifles aux gauchos.

¡Pampero!
¡Viento macho y altanero
que le enseñaste al gaucho
golpeándole en la cara
a levantarse el ala del sombrero!

Pampero 1935-02-15 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Osvaldo Fresedo Letra: Edmundo Bianchi)

Pampero, vent macho et hautain qui a appris au gaucho en le giflant à la face à lever les ailes de son chapeau (à saluer).

Le terme de Pampero était donc dans l’air du temps et je trouve que l’hypothèse d’un quelconque malotru de la Pampa fait un bon candidat, en tout cas meilleur que le compagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quinterno (1928), puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son compagnon qu’en 1936, 8 ans après la création de la BD et donc trop tard pour ce tango. Mais de toute façon, je n’y croyais pas.

Autres versions

D’autre versions, notamment chantées, pour vous permettre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enregistré ce titre dans les années 1930 étaient tous familiers de la France. C’est dans ce pays que s’est acheté une « conduite » et qu’il s’est ainsi ouvert les portes de la meilleure société argentine, puis d’une importante partie de sa communauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siècle.

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.
Adiós Argentina 1930 – Alina De Silva accompagnée par l’Orchestre argentin El Morito. Voir ci-dessous un texte très élogieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argentina 1930-07-18 – Alberto Vila con conjunto
Adiós Argentina 1930-12-03 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Falcón, Francisco Canaro enregistre une version instrumentale.
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Il s’agit du même disque que le précédent, mais lu sur un gramophone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les utilisateurs de l’époque… La comparaison est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont environ réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la différence.
Adiós Argentina 2001-06 – Orquesta Matos Rodríguez (Orquesta La Cumparsita). Une sympathique versión par cet orchestre à la gloire du compositeur uruguyane, autour de la musique du tango du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons connue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immédiatement et justement remarqué, réunit les éloges unanimes de la critique.
Elle s’est imposée maintenant dans la pléiade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incomparable, elle est habitée d’une passion frémissante, qu’elle sait courber à sa fantaisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre confrère Louis-Léon Martin a écrit, ce nous semble, des phrases définitives :
“Alina de Silva chante et avec quel art. Elle demeure immobile et l’émotion naît des seules indexions de son visage et des modulations de sa voix. Elle possède cette vertu extraordinaire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volontaire, soumise et impérieuse, capiteuse, passionnée, mais jamais je ne I’avais entendue s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoisons. Alina de Silva joue de sa voix comme les danseuses, ses compatriotes, de leurs reins émouvants et flexibles. Elle subjugue…”
Deux ans ont suffi à Mlle Alina de Silva pour conquérir ce Paris qu’elle adore el qui le lui rend bien, depuis le jour où elle pénétra dans la capitale.
La petite chanteuse argentine est devenue maintenant une » étoile » digne de figurer à côté des plus éclatantes.
Il est des émotions qui ne trompent pas. Celles que continue à nous donner Alina de Silva accroissent notre certitude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

A. B. ? La Rampe du premier décembre 1929

Et ce n’est qu’un des nombreux articles dithyrambiques qui saluent la folie du tango en France à la belle époque des années folles.

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bientôt atterrir à Madrid, c’est merveilleux de faire en si peu d’heures le long trajet qu’ont effectué en bateau tant de musiciens argentins pour venir semer le tango en Europe. Je vais essayer, lors de cette tournée européenne, de faire sentir l’âme de notre tango à tous les danseurs qui auront la gentillesse de danser sur mes propositions musicales.
À très bientôt les amis !

Madame Ivonne (Madame Yvonne) 1942-03-18 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivonne, est l’histoire d’une vie résumée en trois minutes. Comme Mademoiselle Yvonne, des milliers de jeunes femmes ont vécu l’illusion de l’amour et ont rêvé de la , Croix sur laquelle, nombre d’entre elles ont été clouées par la tristesse. Je vous invite à découvrir la version de Tanturi et Castillo, mais aussi d’autres versions pleines d’émotion. Préparez votre mouchoir.

Le phénomène de la traite des blanches est aujourd’hui bien documenté. Des Argentins peu scrupuleux séduisaient de belles Françaises et leur faisaient miroiter les charmes de l’Argentine, qui à l’époque n’était un paradis que pour les plus riches.
Sur les ailes de l’amour, ou plus prosaïquement sur des bateaux, comme le vapeur Don Pedro qui conduisit Charles Gardes et sa mère à Buenos Aires, les belles énamourées effectuaient la traversée et on connaît la suite de l’histoire, très peu vécurent le rêve, la majorité se retrouve dans les maisons comme Lo de Laura ou sont lavandières ou femmes de peine. Les paroles nous en apprendront plus sur la destinée de Mademoiselle Yvonne, devenue Madame Ivonne.

Extrait musical

Madame Ivonne 1942-03-18 — Orquesta con

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
que en el barrio posta del viejo
con su pinta brava de alegre griseta,
animo las fiestas de Les Quatre Arts.

Era la papusa del ,
que supo a los puntos del verso inspirar,
pero fue que un día llego un argentino
y a la francesita la hizo suspirar.

Madame Ivonne…
la Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne…
fue como el sino de tu suerte.

Alondra gris,
tu dolor me conmueve ;
tu pena es de nieve,
Madame Ivonne…

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivone, version de Julio Sosa

La version chantée par Julio Sosa est légèrement différente, mais surtout plus complète, il me semble donc intéressant d’avoir les compléments de l’histoire.
Julio Sosa commence par un récitatif qui place l’histoire, puis chante la totalité des couplets.
Ce qui est en gras est chanté, le début est seulement parlé sur la musique. C’est une version qui donne la chair de poule. Je ne la proposerais pas à la danse, mais quelle émotion !

Madame Ivonne 1962-11-08 — Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa

Ivonne
Yo te conocí allá en el viejo Montmartre
Cuando el cascabel de plata de tu risa
Era un refugio para nuestra bohemia
Y tu cansancio y tu anemia
No se dibujaban aún detrás de tus ojeras violetas

Yo te conocí cuando el amor te iluminaba por dentro
Y te adore de lejos sin que lo supieras
Y sin pensar que confesándote este amor podía haberte salvado
Te conocí cuando era yo un estudiante de bolsillos flacos
Y el nocturno de entonces
Lanzaba al espacio en una cascada de luces
El efímero reinado de tu nombre
Mademoiselle Ivonne

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
Que en el barrio posta del viejo Montmartre
Con su pinta brava de alegre griseta
Alegró la fiestas de aquel Boulevard
Era la papusa del barrio latino
Que supo a los puntos del verso inspirar
Hasta que un buen día cayó un argentino
Y a la francesita la hizo suspirar

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Han pasado diez años que zarpó de Francia
Mademoiselle Ivonne hoy es solo Madame
La que al ver que todo quedó en la distancia
Con ojos muy tristes bebe su champán
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzó de París

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzó de París

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Maintenant que vous connaissez parfaitement le thème, je vous propose de voir Julio Sosa chanter le thème. Les gloses initiales sont réduites et différentes. Comme elles n’apportent rien de plus à ce que nous avons déjà entendu, je vous propose de démarrer la vidéo au début de la chanson, mais si vous êtes curieux, vous pouvez voir la vidéo depuis le début.

Julio Sosa chante Madame Ivonne à la télévision.

Traduction libre et explication de texte…

Comme d’habitude, je fais une traduction destinée principalement à déceler les clefs secrètes, sans soucis de livrer une œuvre poétique de la qualité de l’original.
Pour faciliter la lecture, j’indique en bleu les commentaires au milieu du texte.
Le début est récité sur la musique, mais pas chanté.

Yvonne (Yvonne en français, Ivonne en argentin. Le titre est connu sous les deux formes du prénom, mais il s’agit bien sûr du même). Je réserve Yvonne à la partie française, quand elle est jeune et Ivonne à la partie argentine.
Je t’ai rencontrée dans le vieux Montmartre, quand la cloche d’argent de ton rire était un refuge pour notre bohème. Ta fatigue et ton anémie n’étaient pas encore apparues derrière tes cernes violets. (Premiers signes que tout ne va pas pour le mieux pour Ivonne).
Je t’ai connue quand l’amour t’illuminait de l’intérieur, et je t’adorais de loin, sans que tu le saches et sans penser qu’en te confessant cet amour, j’aurais pu te sauver. C’est la même histoire que celle de Susu contée dans Bajo el cono azul.
Je t’ai rencontrée quand j’étais étudiant aux poches plates (fauché, sans le sou) et le Paris de la nuit de l’époque envoyait dans l’espace en une cascade de lumières le règne éphémère de ton prénom, Mademoiselle Ivonne

Commence ici la partie chantée.

Mademoiselle Yvonne était une poupée (pépète, jeune femme) qui, dans le quartier dit du vieux Montmartre (quartier populaire de Paris, accueillant de nombreux artistes), de son air courageux de grisette (couturière, lavandière, femme modeste, habillée de gris. Elle se différencie de la Lorette qui elle fait plutôt profession de ses charmes) joyeuse égayait les festivités de ce boulevard (le boulevard Montmartre).
Elle était la Papusa du (Papusa, une jolie fille. Quartier étudiant de Paris, elle devait faire tourner les cœurs des jeunes gens) qui savait susciter des poèmes, jusqu’à ce qu’un beau jour un Argentin tombât et fit soupirer la petite Française.
Madame Ivonne
La Croix du Sud fut comme un signe.
Madame Ivonne. C’était comme le signe de ta chance.
Alouette grise (La alondra est un oiseau matinal. On donnait ce surnom à ceux qui se levaient tôt et se couchaient tôt, Yvonne était donc une travailleuse honnête).
Ta douleur m’émeut, ton chagrin est de neige (il peut s’agir d’une vision poétique, mais plus sûrement de la cocaïne qui se désigne par « nieve » en . Ces deux indications la référence à l’alouette du passé et à la cocaïne d’aujourd’hui, content en deux phrases toute l’histoire).
Madame Ivonne
Cela fait dix ans que Mademoiselle a quitté la France. Aujourd’hui c’est seulement Madame. Comme beaucoup de Françaises dans son cas, elle a dû devenir gérante d’un bordel et acquérir le « titre » de Madame. celle à qui tout paraît lointain (elle se désintéresse de ce qui se passe autour d’elle), avec ses yeux très tristes, elle boit son (cela confirme qu’elle doit être la chef de la . Il ne s’agit pas de véritable Champagne, encore aujourd’hui, les Argentins nomment ainsi les vins mousseux, ce qui énerve les viticulteurs français. Ils font de même avec le Roquefort…).
Elle n’est plus la Papusa du Quartier latin, elle n’est plus la fleur de lys fauchée (Mistonga en lunfardo est pauvre. Je trouve que faucher la fleur de lys, c’est une belle image. Le lys est un symbole royal, mais aussi de pureté, de virginité, ce qui confirme discrètement que l’activité actuelle de Madame Ivonne n’est pas des plus pures). Il ne reste plus rien d’elle, pas même cet Argentin qui, entre tango et maté, l’a enlevée de Paris. Déjà les ravages du tango qui était une folie à Paris dans les années 20. Le maté est bien sûr el mate, la boisson indispensable aux Argentins.
Madame Ivonne
La Croix du Sud était comme un signe. La Croix du Sud est la constellation qui marque dans le ciel nocturne de l’hémisphère austral, le Sud.

Au rythme d’un tango

Le même jour, Tanturi et Castillo ont enregistrée Al compás de un tango.
Les deux tangos pourraient être associés. En effet, le thème est un copain qui essaye de réconforter son ami qui est désespéré à cause d’une femme. Son conseil, aller danser…

Al compás de un tango 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Alberto Suárez Villanueva Letra Oscar Rubens)
Mademoiselle Yvonne et Madame Yvonne. « Dix années » séparent ces images. Je n’ai pas forcé sur les cernes d’Ivonne fatiguée par la drogue, le champagne et le chagrin

Quelle image choisir ?

L’illustrateur d’un texte est toujours confronté à des choix. Doit-il faire une belle image ou rester fidèle au texte. C’est effectivement un dilemme.
Pour l’image de couverture, j’ai réalisé une image « entre deux ». Elle n’est plus la jeune femme insouciante de Paris, mais pas encore la tenancière droguée du bordel portègne. Cela me semblait plus convenable pour présenter l’article.
Pour la dernière image, je souhaitais faire apparaître la décennie et ses ravages. J’ai donc testé différentes options pour choisir celle ci-dessus qui ne fait pas apparaître que la différence d’âge que j’ai amplifiée, disons à 20 ans au lieu des 10 du tango.
Mais dans cette image, il est difficile de voir les ravages causés par le chagrin et la vie nocturne et sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Il me fallait donc aller plus loin.
Si vous avez l’âme sensible, arrêtez de lire le texte ici et ne regardez pas les images qui suivent.

Yvonne est la même. Par contre, j’ai beaucoup vieilli Ivonne et je lui ai donné sans doute un peu trop d’âge. Pardon, Ivonne.
Là, j’ai un peu plus fait tomber les traits d’Ivonne, tout en lui enlevant un peu d’âge pour être plus proche des paroles. Je lui ai rajouté les cernes violets et pendant que j’y étais, je lui ai rougi les yeux et agrandi les pupilles. Je crois que c’est une caractéristique provoquée par la drogue. La seule que je prends, c’est la musique de tango, celle qui a des effets euphorisants, même à forte dose.

Vous aurez peut-être remarqué le fond qui est le même pour toutes les images. Je l’ai conçu pour un article traitant du rôle de la France dans le tango.
Pour vous remercier d’avoir lu jusqu’au bout, voici le fond, tout seul…

Je vous jure que ma seule drogue, c’est la musique. C’est ainsi que je vois les mélanges culturels entre la France et l’Argentine, les deux pays rois du cambalache

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra

Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora
Milonga provocadora
que me dio cartel de taura…
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Amigos de antes, cuando chiquilín,
fui bailarín compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalón a cuadritos…
¡Que baile solo el Morocho
! — me solía gritar
la barra «
e los Balmaceda…
Viejos tangos que empezó a cantar
la Pepita Avellaneda
¡Eso ya no vuelve más!

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).

Une brève et caricaturale histoire du tango

On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée…
Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. Enregistrement.

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’était les Champs-Élysées étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.
Prendre un exemple en France n’est pas une erreur, c’est ce pays qui servait essentiellement de modèle pour les mœurs de la haute société à cette époque.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocotes

La cocote n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier.
Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes…
Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies.
Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.

Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna.
Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :

« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la « haute ». Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succès à tout rompre

C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait.
C’est là que Rosendo Mendizábal a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.
Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta.
Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : )

Lo de Laura et Lo de María la Vasca

 « Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et .

¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos!
Eran otros hombres más hombres los nuestros.
No se conocían cocó ni morfina,
no usaban gomina.

¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos!
¡Veinticinco abriles que no volverán!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

¿Dónde están los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde están las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
¿Te acordás, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [ Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.

La Pishuca — El baile en

Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…

Selon le poète , le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes classes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre…

Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.

Pimienta 1939-03-10 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (compositeur)

Fresedo est un vieux de la vieille, mais dont le style a beaucoup évolué au de sa longue carrière de chef d’orchestre. Pimienta, est un des fleurons de la partie la plus intéressante de ses 70 ans de tango. Il en est le compositeur et ici l’interprète.

Fresedo a commencé à jouer en public à 16 ans, en 1913. À partir de 1920, il a commencé à enregistrer, jusque dans les années 1980, environ 1200 titres.

À plus de 90 %, ce sont des tangos. Moins de deux pour cent sont des valses ou des milongas. Le reste sont différents rythmes, pasodobles, scottishs, congas, fox-trots, chansons, rancheras, rumbas, shimmys et autres. En effet, comme beaucoup d’orchestres de tango, il jouait d’autres styles, car dans les bals de l’époque se dansaient de nombreux styles et pas seulement ceux issus du tango. Dans les programmes des événements un peu plus conséquents, il y avait en général deux orchestres annoncés. Un de tango et un de « Jazz » (le reste). N’oublions pas qu’il a joué avec Dizzy Gillepsie.

S’il a enregistré avec différents chanteurs, dont Carlos Gardel et réalisé de merveilleux enregistrements avec et Ricardo Ruiz, la majorité de sa production de tango sont instrumentaux.

C’est le cas de notre tango du jour, Pimienta, enregistrée le 10 mars 1939 auprès de la RCA Victor. Le numéro de matrice est 12706-1 et le disque est la référence 38682B.

Le même jour, il a enregistré avec Ricardo Ruiz, un tango magnifique, mais que peu de DJ passent en milonga, bien qu’il soit parfaitement dansable. Je vous le propose aussi à l’écoute

Extrait musical

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. L’impressionnant glissando qui est une caractéristique de plusieurs titres de Fresedo donne l’impression que quelque chose chute. Comme danseur, il est difficile de résister à l’envie de faire quelque chose pour marquer « l’atterrissage ».
Mi gitana 1939-03-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz – Letra : Enrique Cadícamo.

Autre versions de Pimienta par Osvaldo Fresedo

De 1939 à 1962, Fresedo a enregistré quatre fois Pimienta. Cela nous donne une idée de la progression de son style sur cette période.
Voici les quatre enregistrements par ordre chronologique :

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. C’est l’enregistrement du jour. Un des grands titres pour les danseurs.
Pimienta 1945 Osvaldo Fresedo.

C’est un enregistrement public, à la radio, dans le cadre de la Ronda Musical de las Américas. Osvaldo Fresedo dirige son Gran Orquesta Argentina avec le merveilleux comme premier violon et Emilio Barbato au piano. J’ai coupé le blabla au début pour ne garder que la musique. La musique est relativement courte, seulement 1,45 minute, sans doute à cause du format imposé par la radio et du bavardage initial (50 secondes). La qualité sonore est médiocre comme la plupart des « grabaciones radiales » (enregistrement à la radio), mais on peut remarquer un certain nombre de différences dans l’orchestration par rapport à la version originale de 1939.

Pimienta 1959-01-23 — Osvaldo Fresedo.

Vingt ans après la première version, celle-ci est d’un style très différent. Plus « symphonique », plus enrichi, avec une orchestration complètement renouvelée. On retrouve tout de même les chutes, mais il me semble que la danse n’y trouve pas son compte. C’est joli, mais je ne le propose pas en milonga, malgré quelques trouvailles intéressantes d’une meilleure superposition des plans et des chutes assez impressionnantes.

Pimienta 1962-10-04 — Osvaldo Fresedo.

Encore différent de la version de 1959, on trouve ici le « Fresedo-Sassone ». En effet, on trouve dans cette version les « glings » chers à Sassone qui fait que l’on ne retrouve pas du tout l’esprit de Fresedo tel que le conçoivent les danseurs habitués à ces titres des années 30-40. Malgré des impacts intéressants, cette version est sans doute un peu monotone pour la danse.
En résumé, hormis pour l’, je reste avec la merveilleuse version de 1939.

Qui est pimienta ?

La pimienta est le poivre. Je ne pense pas que Fresedo pensa à faire l’apologie de cette épice quand il a écrit le titre. N’ayant pas trouvé d’information sur le sujet, j’ai cherché d’autres tangos parlant de pimienta. Il n’y en a pas dans ma discothèque, pourtant assez vaste. Il y a bien une milonga Azúcar, pimienta y sal d’Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) et avec des paroles d’ (Abel Mariano Aznar).

Azúcar, pimienta y sal 1973 – Orquesta Héctor Varela con y Jorge Falcón

Le sujet est une femme, au caractère variable. Voici ce qu’en dit un des couplets, le dernier :

La quiero difícil como es,
con su mundo diferente.
Qué importa su mundo al revés,
sin que cambie fácilmente.
Tampoco lo que hablen de mi,
porque yo la quiero así.
Así, como es
y angelical.
¡Así, como es,
azúcar, pimienta y sal!

Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar)

Traduction :

Je l’aime difficile comme elle est, avec son monde différent.
Qu’importe son monde à l’envers, sans qu’il change facilement.
Ni ce qu’ils disent de moi, parce que je l’aime ainsi. Rebelle et angélique. Ainsi, comme elle est le sucre, le poivre et le sel
!

J’ai donc imaginé que Pimienta parlait d’une femme au caractère bien marqué. C’est ainsi que j’ai proposé l’image de couverture, avec une femme, disons, presque en colère…

Pour terminer, je propose cette beauté « angélique », mais avec une pointe de rébellion dans les yeux.

¿Pimienta?

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

et (paroles et musique)

Con los amigos (a mi ) est un thème écrit par Carlos Gardel et José Razzano. Mais la version que j’ai choisie pour le tango du jour a été enregistrée le 2 mars de 1943 par Tanturi et Castillo. La particularité est que la chanson originale s’est commuée en valse, mais ce n’est pas la seule surprise…

On connaît, un peu l’histoire de Carlos Gardel, je devrais dire les histoires pour ne pas fâcher mes amis Uruguayens et Argentins. Que Gardel soit enfant de France, ou de quelque qu’autre endroit, il a eu une relation particulière avec sa mère.
Pas forcément celle qu’elle espérait, dans la mesure où il a fait les 400 coups et même des coups plutôt pendables.
On sait cependant que Gardel avait un bon cœur et qu’il chérissait sa mère, même s’il ne l’a pas toujours entouré de toute l’affection qu’elle aurait pu attendre.
Cette chanson doit sans doute être prise pour un regret, un remords, un hommage à sa mère qui a élevé seule ce chenapan de Gardel.

Extrait musical

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 — Orquesta Ricardo Tanturi con (Valse)

Les paroles

Con los amigos que el oro me produjo
Pasaba con afán las horas yo
Y de mi bolsa el poderoso influjo
Todos gozaban de esplendente lujo
Pero mi madre, no

¡Pobre madre!, yo de ella me olvidaba
Cuando en los brasosdel vicio me dormí
Un inmenso cortejo me rodeaba
Yo a nadie mi afecto le faltaba
Pero a mi madre, sí

¡Hoy moribundo en deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
Pero mi madre, no

Y cerca ya del último suspiro
Nadie se acuerda por mi mal, de mí
La vista en torno de mi lecho giro
Y en mi triste en derredor a nadie miro
Pero a mi madre, sí

¡Hoy moribundo en lágrimas deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
¡Pero mi madre, no!

Carlos Gardel et José Razzano (musique et paroles)

Je propose ici les deux premiers couplets et le dernier, pour vous donner une idée du thème de ce tango.
Avec les amis que l’or me procurait, moi, je trompais les heures, et de ma poche, le pouvoir influait. Tous jouissaient d’un luxe splendide, mais ma mère, non !
Pauvre mère ! Moi, je l’oubliais quand dans les bras (emprise, mais j’aime mieux le changement de parole de la version de Canaro) du vice je m’endormis.
Une immense cour m’entourait. Personne ne manquait de mon affection. Mais ma mère, si.

[…]
Aujourd’hui, moribond, en larmes, défait, je crie de douleur, tout est fini et à voir ma poitrine oppressée gémir, tous quittent mon pauvre lit, mais ma mère, non.
La morale de ce tango pourrait être que les amis faits par l’argent ne valent pas l’amour d’une mère.

Autres versions

Tout d’abord, un exemple de la chanson originale par Carlos Gardel, celle qu’il chantait pour exprimer ses regrets à sa mère.
Il existe plusieurs enregistrements, 1919,192 0, 1930, 1933. J’ai choisi celui-ci où l’on ressent bien l’émotion dans la voix de Gardel.

A mi madre (Con los amigos) 1930-05-22 Carlos Gardel accompagné par , , (guitares).

Version en chanson, avec de jolies guitares. Bien sûr, pas pour la danse. D’ailleurs Gardel ne se danse pas, même si on danse sur plusieurs de ses titres quand ils sont joués par d’autres orchestres, comme celui de Tanturi ou celui de Canaro dans ce cas (voir ci-dessous).

Con los amigos (A mi madre) 1943-05-12 — Orquesta con .
Gardel à Nice en 1931. Il est au centre avec Charlie Chaplin. Pensait-il à ce moment à sa mère ?
Charlie Chaplin, c’est Charlot, à ne pas confondre avec le chanteur Charlo 😉

Carlos Gardel, enfant de France

à Albi en 1934

Même si la polémique semble éteinte, il reste quelques foyers de résistance refusant encore d’attribuer la naissance de Carlos Gardel à Toulouse.

Article publié le 14 NOVEMBRE 2016 sur l’ancien site
Depuis, un excellent site a vu le jour sur le sujet (Musée virtuel Gardel). Vous y trouverez des compléments.

Dans cette mise à jour, j’y fais quelques liens et références. 

La dispute sur la nationalité de Gardel

Plusieurs documents irréfutables existent pour prouver la nationalité d’origine de Carlos Gardel. Ils sont plus solides que les documents Uruguayens qui sont des déclarations très largement postérieures à la naissance de Gardel et qui avaient probablement des buts du genre, se faire oublier pendant la première guerre mondiale où il aurait été considéré comme déserteur, car né français et pour éviter (en 1920) certaines poursuites en se rendant blanc comme… plâtre (escayola) en s’inventant une filiation comme  » Carlos Escayola » fils de Carlos Escayola et María Gardel, ce Carlos Escayola étant rapproché d’un fils d’un second mariage d’un Colonel Carlos Escayola né en 1876 (soir 14 ans plus vieux que l’âge français de Gardel). À noter que les deux « parents » sont morts à la date de l’établissement de ces documents, ce qui semble pratique et peut convaincre qu’ils n’avaient pas connaissance de ce rejeton encombrant…

Consultez les documents du Musée virtuel Gardel sur la position militaire de Garde.

« En 1920 la compañía de Rosas lo convocó para viajar a España por una temporada teatral. Él estaba indocumentado, porque el hecho de no concurrir a la embajada para registrarse como ciudadano francés le impidió recibir la cartilla militar y el registro en gendarmería. Entonces, él decidió en 1920 inscribirse en el consulado uruguayo amparándose en una legislación muy particular para súbditos uruguayos residentes en otros países. Se registró como uruguayo nacido en Tacuarembó tres años antes de su verdadero nacimiento: se anotó como nacido el 11 de diciembre pero de 1887. En vez de poner Gardes, se inscribió como Gardel, su nombre artístico.«  En 1920, la compagnie de Rosas l’invite à voyager en Espagne pour une tournée théâtrale. Il était sans papier car il n’était pas allé se faire enregistrer à l’ambassade comme citoyen français et n’a donc pas reçu ses papiers (sinon, il aurait du partir faire la guerre en 1918 et aurait été arrêté comme déserteur s’il l’avait fait par la suite). Ainsi, décida-t-il de s’inscrire au consulat uruguayen en vertu d’une législation spéciale pour les sujets uruguayens résidant dans d’autres pays. Il a été inscrit comme étant né à Tacuarembó, trois ans avant sa date de naissance réelle, le 11 décembre de 1887. Au lieu de choisir Gardes, il pris son nom d’artiste, Gardel.

On attribue souvent à ce manquement à ses obligations militaires en France, la composition de 
« Dice la « leyenda », que Carlos Gardel y visitaron en Francia la tumba de 5 hermanos y su , que habrían muerto durante la Gran Guerra de 1914-18. Y que quedaron tan impresionados por lo visto, que esa misma noche compusieron la canción.«  La légende prétend que Carlos Gardel et Alfredo La Pera visitèrent en France la tombe de cinq frères et leur mère, tués pendant la grande et qu’ils ont été tellement impressionnés par cette visite qu’ils écrivirent la chanson la nuit même.

Vous trouverez en bas de page, des liens vers divers documents, comme des cartes postales écrites à sa famille française, cartes difficiles à expliquer s’il était effectivement uruguayen…

Revenons donc aux documents originaux, établis au noms de Charles Gardes :

Les preuves de la naissance à Toulouse d’un Charles Gardes

Acte de naissance de Charles Romuald Gardes à l’hôpital de la Grave à Toulouse

Acte de naissance de Charles Romuald Gardes à l’hôpital de la Grave à Toulouse Cet acte indique que le 11 décembre 1890, Charles Romuald est né à deux heures du matin à l’hôpital de la Grave.
Copie littérale de l’acte de naissance de Charles Romuald Gardes à l’hôpital de la Grave à Toulouse Cet acte indique que le 11 décembre 1890, Charles Romuald est né à deux heures du matin à l’hôpital de la Grave.
Registre de l’hospice de la Grave avec le nom de la mère de Charles Gardes.

Acte de Baptême de Carlos Gardel

Acte de baptême de Carlos Gardel, le 11 décembre, lendemain de sa naissance.

Ces quatre documents incontestables prouvent qu’un enfant de sexe male est né à Toulouse et qu’il s’appelait Charles Romuald Gardes. Reste à prouver que ce bambin est bien allé en Argentine.

Le document témoignant de son entrée en Argentine

Ce titre est émis par la Direction Générale de l’immigration de la République Argentine sous le numéro 122 (sa mère est sous le numéro 121).

Récipissé d’inscription dans les registres de l’immigration argentine en date du 11 mars 1893 établi au nom de Charles Gardes, âgé de 2 ans, en provenance de Bordeaux sur le vapeur Don Pedro.

Récipissé d’inscription dans les registres de l’immigration argentine en date du 11 mars 1893 établi au nom de Charles Gardes, âgé de 2 ans, en provenance de Bordeaux sur le vapeur Don Pedro.

Dans ce document Gardel, s’appelle encore Gardes et son prénom est Charles.
Le 11 mars 1893, Gardel est mentionné dans ce document comme ayant 2 ans, ce qui correspond, à trois mois près à son âge exact.
La bateau est le Don Pedro, un vapeur qui devait partir du Havre le 8 février 1893 (à destination de La Plata).
On trouve trace de ce voyage, le 10 février, départ effectif du Havre avec comme capitaine Vincent Marie Crecquer.
Le 14, ce bateau partait de Pauillac (où auraient embarqué Berthe et Charles) à destination de Santa Cruz de Tenerife où il arrive et repart le 20 février pour se lancer dans la traversée de l’Atlantique jusqu’en Uruguay.
Il arrive le 9 mars à Montevideo et en repart le 10 pour où il arrive probablement le 11 mars si on tient compte de la durée de la traversée du Rio de la Plata et des dates des certificats d’immigration de Berthe et Charles.
Il y a un petit doute sur la date d’arrivée, les documents maritimes évoquant le 12 mars pour le débarquement. On peut très bien imaginer que les autorités d’immigration sont montés à bord le 11, à l’arrivée, mais que le désembarquement ne s’est effectué que le lendemain pour tenir compte des délais de quarantaine de 48 heures.
Le bateau est ensuite reparti pour le Havre, chargé de viande congelée…
Reste que certains documents manquent, comme les registres de l’immigration confiés au CEMLA et évaporés pour les années 1882-1925… Pour cette raison, on ne peut pas retrouver l’écriture correspondant au certificat 122 de l’immigration. Certains en profitent pour diminuer la force de l’origine française, s’appuyant aussi sur l’absence du registre de création des passeports français pour les années entourant le départ supposés des Gardes.

Courriers et interactions avec sa famille française

Carte postale envoyé à ses grands parents, en France

Carte postale de Carlos Gardel à ses grands-parents en France

Mes chers grands parents / Bonne et heureuse Année
Je vous envoie cette petite carte postale pour vous dire que toujours je pense à vous avec affection, ainsi qu’ à ma bonne tante Charlotte et à mon bon oncle Jean.
Ici, nous sommes trés contents que vous soyez en bonne santé. Nous allons bien, et bientôt, Si Dieu le veut, je reviendrai passer quelques moments avec vous.
Sans autre chose à ajouter, votre petit fils qui vous aime et n’oublie pas.

Carlos

Cité par Christiane Bricheteau dans son livre : Traduction Monique Ruffié pour le Musée Virtuel Gardel.

La famille française de Carlos Gardel

Carlos rendra également visite à sa famille en France, notamment à Toulouse et Albi. Là encore, ces documents sont précieux pour prouver ses origines. Quel serait l’intérêt d’un artiste célèbre comme Carlos Gardel de s’inventer une famille « bidon » en France.

Une des photos prises à Albi en 1934 avec à la gauche de Gardel (à droite sur la photo), son oncle Jean Marie Gardes et sa tante Charlotte Laurence, seconde femme de Jean et belle-sœur de Berthe.

Sur le Musée virutel Gardel, vous trouverez de nombreux autres éléments au sujet de sa famille albigeoise et toulousaine.

Arbre généalogique de Carlos Gardel réalisé par Georges Galopa en 2013 d’après celui d’Henri Brune. Ici dans sa version actualisée en 2020. Vous pouvez le consulter sur le site du musée virtuel Gardel.

Arbre généalogique de Carlos Gardel réalisé par Georges Galopa en 2013 d’après celui d’Henri Brune.

Pourquoi Gardel changea d’identités à plusieurs reprises…

Raúl Torre et Juan José Fenoglio  réalisèrent une enquête judiciaire, relevant notamment les empreintes de Carlos Gardel dans les documents judiciaires de l’époque, ce qui permet de confirmer que le Carlos Gardel chanteur du tango et le Carlos Gardez(s) né en France en 1890, sont bien le même.

Différentes empreintes de Carlos Gardel permettant de confirmer que l’on parle toujours du même.

Dans un article paru dans Pagina 12 en 2012, on retrouve les principales raisons qui ont fait que Gardel, escroc, se devait de changer régulièrement d’identité, y compris avec l’aide d’un président argentin (Marcelo T. de Alvear)…

L’article paru dans Pagina 12 se trouve ici : 
https://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1-207654-2012-11-12.html 
Copie de cet article au cas où ce lien se verrait à disparaître…
Un article de 2010 de la Dépêche évoque aussi cette étude.
Copie de cet article au cas où le lien se verrait à disparaître.

Empreintes de Carlos Gardel âgé de 13 ans et 6 mois, lors de sa fugue.

Le père naturel de Carlos Gardel

Si on retient l’origine française, le père le plus probable est Paul Lasserre. Ce jeune homme, alors âgé de 24 ans est parti pour deux mois avant la naissance de Carlos Gardel.

Paul Lasserre, la véritable photo selon Todo Tango. En effet, la photo habituelle, serait celle de l’oncle et pas du père.

À Paris, il a intégré la bande des Ternes et finalement a écopé de trois ans de . De retour à Toulouse, il fonde une famille et meurt jeune. Sa fille, âgée de 2 ans à sa mort, dit qu’il est parti en Argentine pour aider à élever le jeune Gardel. Cependant, il n’était pas sur le bateau et ses exploits parisiens sont contemporains de cette aventure argentine.
Il me semble donc plus probable que devant deux faits gênants, la famille Lasserre a choisi le moins dérangeant. Partir trois ans en Argentine pour aider à élever son fils, même obtenu hors mariage (il était célibataire à l’époque), c’est moins déshonorant que de passer trois ans en prison.

Documents et références

Les éléments précédents sont en principe suffisants pour prouver que Carlos Gardel est le Charles Romuald Gardes né à Toulouse le 11 décembre 1890. Cependant, ce serait sans compter sur l’ingéniosité des Urugayens qui n’a d’égale que leur gentillesse.

La thèse urugayenne

En prenant les documents qui ont servi à établir une fausse identité à Carlos Gardel, comme nous l’avons évoqué ci-dessus, ils avaient monté une origine plausible.

Cependant, il devenait beaucoup plus difficile de remettre en doute les documents comme le certificat de naissance, le voyage en bateau et les visites à la famille.

D’autres documents que nous n’avons pas présentés sont d’autres de l’origine française, comme les certificats du consulat de France, son testament et autre. Ces documents sont remis en cause par certains Urugayens. Admettons, comme eux, que le testament est un faux établi pour s’accaparer la fortune de Gardel. Cela n’enlève rien à la force des premeirs documents. Voici donc en résumé la nouvelle thèse :

Il y a bien un Charles Gardes né en France, mais le Carlos Gardel, chanteur fameux est en fait une autre personne, le fameux Urugayen né à Valle Edén, Tacuarembó, aux alentours de 1882-1884, et qui serait le fils du Coronel Carlos Escayola y de María Lelia Oliva, sa belle soeur… Deux personnes qui rappellons-le étaient mortes au moment où Gardel avait fait établir cette identité pour pouvoir voyager en Europe.

Je vous passe d’autres versions selon laquelle Berte Gardes serait en fait sa maîtresse et pas sa mère et qu’avec le factotum, de Gardel, Armando Defino, elle aurait monté une entourloupe pour bénéficier de l’héritage.

En appui de la thèse française :

Documents divers

En guise de conclusion

Je laisse la conclusion au Docteur Marti, cet Urugayen pein de sagesse :

Hoy ya el mito está bien consolidado en sus lineamientos y no cambia por el detalle de que Gardel haya nacido en Toulouse y no haya sido el padre de Leguisamo ni el abuelo de Julio Sosa. Este hijo natural de una lavandera y de un padre desconocido no fue uruguayo ni argentino, pero pertenece de un modo más profundo y raigal que el accidente de un parto a las dos orillas del Plata, donde todo el mundo -sin distinción de clases sociales- lo escucha con una asiduidad y una devoción que ningún pueblo puede haber tenido nunca en mayor grado por ningún cantante que haya nacido en su suelo. Lo escucha y comprueba que, émulo lírico del Cid, cada día canta mejor.

Dr. Carlos Martínez Moreno

:
Aujourd’hui, le mythe est bien consolidé dans ses contours et ne change pas car Gardel est né à Toulouse et n’était pas le père de Leguisamo ni le grand-père de Julio Sosa.
Ce fils naturel d’une lavandière et d’un père inconnu n’était ni uruguayen ni argentin, mais il appartient d’une manière plus profonde et plus fondamentale que l’accident de l’accouchement sur les deux rives de la Plata, où tout le monde – sans distinction de classe sociale – l’écoute avec une assiduité et un dévouement qu’aucun peuple n’a jamais pu avoir à un plus haut degré pour un chanteur né sur son sol.
Il l’écoute et constate qu’en émule lyrique du Cid, il chante chaque jour un peu mieux.

Dr. Carlos Martínez Moreno

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  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) 27 de junio hasta el 11 de agosto 2024
Bernardo en Camargo tango – Salon – Buenos Aires.

https://www.facebook.com/DJ.BYC.Bernardo.page/posts/pfbid021b9mbSs5KBbPLTc72M1U9ZVvwX84xBDEEbBXaRMEFD1r7dyqnp2qk1Da44rnH8ztl


DJ Sainte-Énimie (France) 13-15/09/2024

  • DJVJ Nancy (France) 21/09/2024.
J’animerai la milonga du 21 septembre avec Tango Sonos.
  • DJ La milonga de L’Aura. Noirétable (France) 12/10/2024
Milonga de L’Aura, 2024-11-12

2023

  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) Octubre 2023
  • DJ Festival des Gorges du Tarn en Tango (Sainte-Énimie, France) Deux milongas, dont 12 h de despedida sans coupure 15-17/09/2023
  • DJ Les Jeudis de Nîmes (Nîmes, France) 24/08/2023
  • DJ Tarbes en tango (Tarbes, France) 17-18-19/08/2023
    Tarbes
  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) junio hasta agosto de 2023
  • DJ 4e Estivales de Tango (Bagnères-de-Bigorre, France) 9/06/2023
    Bagnères
  • DJ et Photographe, Encuentrito (Roquebrune-Sur-Argens, France) 26-28/05/2023
    Encuentrito
  • DJ et VJ, Milonga Tangomania (Montcuq, France) 22/04/2023
    Montcuq
  • DJ Festival de Pâques, Tangoemoi (Rouen, France) 08/04/2023
    Pâques
  • DJ Buenos Aires (las milongas usuales) Enero hasta marzo de 2023

2022

2021

  • DJ La milonga Mema (Aubais, Nîmes) 07/11/2021
  • DJ La Dominguera (Montpellier) 30/10/2021
  • DJVJ Limouzi Tango Mix (France) 28/10/2021
  • DJ Festival Ty Tango (Vannes)
  • DJVJ Luna milonguera (Vichy) 9/10/2021
  • DJ Festivalito C. (sur invitation et complet)
  • DJ Lo de Carmen (Nevers) 25/09/2021
  • DJ La Mirada (Alès) 12/09/2021
  • DJ Le Victoria (Montpellier) 24 & 26/08/2021
  • DJ Week-end Tango L. (sur invitation et complet) 18/07/2021
  • DJ Milonga consulaire Valros (France) 30/06/2021
  • DJ La Grande Bouffe 2 (France) 11-12-13/06/2021

2020

  • COVID (Milongas en vivo, virtuales)
    • DJVJ Milonga Porteña (virtual, cada sábado de la COVID) 20 dates sur l’année)
    • DJ Milonga Internacional (virtual Desde argentina))
    • DJ Earth Virtual Milonga (Estados Unidos)
    • DJ Milonga virtual San Petersburgo (Russia)
    • DJ Mundial de los musicalizadores de tango (Mexico)
    • DJVJ Milonga Neotango (Italia)
  • DJVJ Buenos Aires (las milongas usuales en enero y febrero)

2019

2018

2017

2016

  • DJ La Malenita Nevers Commande photos
  • DJ Encuentro Milonguero Milonguero (Calp Spain) 
  • DJ Festival de la côte basque 
  • DJ Festival de Béziers 
  • DJ Grande Nuit du Tango Argentin / Marathon des DJ  (Sommières) 
  • DJ Maquina tanguera (Toulouse) 09/2016 
  • DJ Festival des Gorges du Tarn (Sainte-Énimie) 
  • DJ Festival du Lac du Paty (Caromb) 
  • DJ Festival Tangopostale (Toulouse) 
  • DJ Festival Thautango (Mèze)
  • DJ Milonga Danzarin (Toulouse)
  • DJ Festival Corazon en fiesta (Nevers)
  • DJ Tangoloft (Vichy)
  • DJ Mas milonguero que nunca (Toulouse)
  • DJ Labo Tango (Nîmes)
  • DJ ParisTangoDjPart’3 (Capodanno Milonguero) Pomeridiana di Bernardo BYC ()
  • DJ Milonga Porteña (ma milonga)

2015

  • DJ Encuentro Milonguero Milonguero (Calp Spain)
  • DJ Encuentro milonguero des 3 M (Roanne)
  • DJ Festival Artetango (Albi)
  • DJ Festival Tangopostale (Toulouse)
  • DJ Festival Thautango (Mèze) 
  • DJ Festival Corazon en fiesta (Nevers)
  • DJ Festival Destination Tango (Roanne)
  • DJ Festival Les Milonguettes (Cahuzac)
  • DJ Festival de Prayssac
  • DJ Festival des Gorges du Tarn (Sainte-Énimie)
  • DJ Festival de Moulins (Yzeure)
  • DJ Festival du Lac du Paty (Caromb)
  • DJ Encuentro des Fumades
  • DJ Milonga del Angel (Nîmes)
  • DJ Grande Nuit du Tango Argentin / Marathon des DJ  (Sommières)
  • DJ Lo de Carmen (Nevers)
  • DJ Los marineros (Marseille)
  • DJ La Pluma (Montpellier)
  • DJ Tempo di tango (Carcassonne)
  • DJ Tanguedia de ParisDJ Milonga XXL la Belleviloise (Paris)
  • DJ Pavadita Milonga (Béziers)
  • DJ La Victoria – Chalet du Lac (Paris)
  • DJ L’Oka (Toulouse)
  • DJ Las Morochas (Toulouse)
  • DJ Milonga Porteña (ma milonga)

2014 et avant… 2014 and before… 2014 y antes…

  • DJ Encuentro Milonguero Milonguero (Calp Spain) 2014
  • DJ Encuentro milonguero des 3 M (Roanne) 201
  • 4DJ Festival Tangopostale (Toulouse) 2011-2012-2013-2014
  • DJ Festival Artetango (Albi) 2014
  • DJ Festival Les Milonguettes (Cahuzac) 2014
  • DJ Grande Nuit du Tango Argentin / Marathon des DJ  (Sommières) 2014
  • DJ Lo de Carmen (Nevers) 2014
  • DJ Tanguedia de Paris (2013-2014)
  • DJ Esprit Tango (Paris) 2010-2011-2012
  • DJ La Pluma (Montpellier) 2014
  • DJ Tangueando (Toulouse) 2012-2013-2014
  • DJ La Platière (Lyon) 2010DJ Milonga du viaduc (Millau) 2008
  • DJ Recoules-Prévinquières (Aveyron France) de 2005 à 2010
  • DJ Milonga Porteña (ma milonga) de 2001 à aujourd’hui (hasta hoy)