Le prénom Pantaleón est bien connu dans le domaine du tango à cause de Piazzolla qui l’avait en second prénom. Chino ,me fait penser au génial Chino Laborde, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tango jeudi à Nuevo Chique. En combinant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Francisco Canaro. Cette « milonga » fait partie de ces titres à la limite du lunfardo qui jouent sur les mots, mélangeant tango et castagne.
Extrait musical
El chino Pantaleón 1942-01-13 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.Disque Odeón 55157. El Chino Pantaleón est sur la face A et Y… No la puedo olvidar, sur la face B.
Le rythme de cette composition est un peu atypique et il rend difficile de la classer, milongua tangueanda, milonga candombe. Ce n’est peut-être pas de tout premier choix pour le bal… La voix de Carlos Roldán est sympa. On notera la fin abrupte, très originale, comme si la musique avait été mise KO.
Paroles
Caballeros milongueros, la milonga está formada y el que cope la parada que se juegue todo entero, si es que tiene compañero, la guitarra bien templada pa’ aguantar cualquier trenzada con razón o sin razón, cara a cara, frente a frente, corazón a corazón.
Era el Chino Pantaleón milonguero y cachafaz, que al sonar de un bandoneón viboreaba en su compás. Era un taura pa’ copar y de ley como el mejor; si lo entraban a apurar era capaz de cantar « La violeta » o « Trovador ».
Caballeros milongueros, vayan saliendo a la cancha porque el que hace la « patancha » es señal que le da el cuero; siempre el que pega primero lleva la mayor ventaja; no le ponen la mortaja al que tira sin errar; no es de vivo, compañero, el dejarse madrugar. Francisco Canaro (paroles et musique)
Messieurs les milongueros (dans le sens de bagarreurs), l’affaire est formée (milonga a ici le sens d’affaire douteuse, désordre) et celui qui prend position doit tout jouer, s’il a un partenaire (un partenaire. Cela confirme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse). La guitare (peut aussi faire allusion à l’argent) bien accordée pour résister à toute bagarre avec raison ou sans raison, Face à face, front à front, cœur à cœur. C’était le Chino Pantaleón milonguero et insolent (cachafaz comme était surnommé Ovidio José Bianquet, qui travailla avec Canaro pour ses revues musicales), qui, lorsque sonnait un bandonéon (Bandonéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gêner l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme. Il était un taura (généreux) à boire et de ley (loyal, véritable comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ; s’ils le cherchaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pouvait chanter « La violeta » (tango de Cátulo Castillo avec des paroles de Nicolás Olivari, chanté par Maida et Gardel, puis, par Troilo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Carlos Alcaraz avec des paroles de Carlos Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt donnés pour indiquer que le type a du répondant dans la bagarre. Messieurs les milongueros, sortez sur le terrain, car celui qui fait le « patancha » (pata ancha, la grosse patte, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ; Celui qui frappe le premier a toujours le meilleur avantage ; Ils ne mettent pas le linceul à celui qui tire sans se perdre (perdre de temps, sans errer) ; Il n’est pas vivant, camarade, de se laisser devancer (madrugar peut signifier, devancer, gagner du temps, attaquer le premier). On voit que les paroles riches de lunfardo, jouent sur les mots. Avec le vocabulaire de la milonga, on parle bel et bien de bagarre.
Autres versions
Notre premier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point commun, le prénom Pantaleón…
Pantaleón 1930-05-28 (Fox-trot) – Orquesta Francisco Canaro con Charlo. (Eleuterio Iribarren Letra: Francisco Antonio Bastardi).El chino Pantaleón 1942-01-13 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre milonga du jour.El chino Pantaleón 1942-06-17 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.
Parfois, Lomuto fait des choses plus intéressantes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enregistrement que je trouve plus sympa à danser. On remarquera, dès le début, une utilisation différente des instruments, ce ne sont pas les mêmes éléments qui sont mis en valeur. En ce qui concerne la voix, on peut préférer Roldán à Díaz, mais je trouve que cette milonga est relativement joueuse et qu’elle pourrait trouver sa place dans une milonga. Sa fin est en revanche plus classique avec les deux accords finaux, habituels.
El chino Pantaleón 1953-03-25 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Mario Alonso.
Canaro reprend sa composition pour l’enregistrer en duo. On pourrait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est toujours Mariano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940. La version ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la version de 1942, notamment à cause de ses dialogues et des pauses dans la musique.
Qui est Pantaleón ?
Je n’ai pas d’autre version de cette milonga en stock. Cependant, il reste un autre titre parlant d’un Pantaleón et ce prénom est accompagné d’un nom de famille, Lucero. Écoutons ce titre.
Yo Soy Pantaleón Lucero 1979 – Ricardo Daniel Pereyra (« Chiqui »). (Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores)
Ce titre composé au début du vingtième siècle par Fausto Frontera avec des paroles de Celedonio Flores a été enregistré par Chiqui en 1979. Il ne semble pas y avoir d’autres versions enregistrées.
Ricardo Daniel Pereyra (« Chiqui »). Avec Roberto Goyeneche sur la photo de gauche.
Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Yo soy Pantaleón Lucero de profesión mayoral, cumplo cuarenta en enero aunque algunos me dan más. Nací por el Barrio Norte y me crié por el sur, tal vez no tenga dinero, pero me sobra salud.
Si me quieren, también quiero si no me quieren, también, soy querendón y sincero porque soy hombre de fe. Amigo que sale malo yo lo olvido y terminó, pero no puedo olvidarla a la que a mí me olvidó.
Yo soy Pantaleón Lucero no sé si recordarán, decidor y refranero y criollo a carta cabal. Matear amargo es mi vicio mi desdicha, enamorar, qué alegría, cantar siempre así las penas se van.
(Coda) Yo soy Pantaleón Lucero, pa’ lo que guste mandar. Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores
Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Je suis Pantaleón Lucero, mayoral (préposé aux billets du Tramway) de profession, J’aurai quarante ans en janvier, bien que certains m’en donnent plus. Je suis né dans le Barrio Norte et j’ai grandi dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’argent, mais j’ai beaucoup de santé. S’ils m’aiment, j’aime aussi. S’ils ne m’aiment pas, également. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi. L’ami qui devient mauvais, je l’oublie et c’est fini, mais je ne peux pas oublier celle qui m’a oublié. Je suis Pantaleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en souvenez, un décideur et un diseur et un créole absolument (l’expression a carta cabal signifie, pleinement). Boire le mate amer est mon vice, ma misère, tomber amoureux, quelle joie, toujours chanter, ainsi les chagrins s’en vont. (Coda) Je suis Pantaleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez demander.
En savons-nous plus sur Pantaleón ?
Nous avons maintenant trois portraits d’un Pantaleón.
• Celui du Fox-trot, dont les paroles ne nous révèlent guère que son prénom.
S’il est difficile de savoir si les deux Pantaleón de Canaro correspondent au même personnage. En revanche, il est peu probable que le mayoral, qui semble un être paisible soit le même que celui de la milonga de Canaro. Je propose donc de laisser la question en suspens et en compensation, une petite remarque. Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mariano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un distributeur de billets dans un tramway… De nos jours, le terme chino est plutôt réservé aux Chinois. Cependant, en lunfardo, la china est la chérie, et, dans une moindre mesure chino est également utilisable pour chéri. Le terme « chino » définit également des métisses d’Indiens et de Noirs. Cela expliquerait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre. Je fais donc l’hypothèse que El chino Pantaleón est un personnage sombre de peau, bagarreur, un des nombreux compadritos qui hantaient les faubourgs de Buenos Aires.
La nostalgie et l’orgueil pour la pauvreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tango. « Yo soy de Parque Patricios » est de cette veine… Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les souvenirs et un passé à la fois lointain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Vargas nous évoquent de si belle façon. Nous découvrirons l’origine du nom et verrons quelques images de ce quartier qui a toujours un charme certain et que je peux voir de mon balcon.
Extrait musical
Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.Partition de Yo soy de Parque Patricios de Victor Felice et Carlos Lucero.
Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démarrent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien marqué avec des alternances de piano, des passages puissants et d’autres plus rêveurs chantés par les violons. Un peu avant la moitié du titre, Ángel Vargas commence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quartier et qu’il y est né. La séance de nostalgie démarre, ponctuée de variations marquées par l’orchestre, tantôt marchant et rythmique, tantôt glissant et suave. Comme toujours chez ce « couple » des anges, une parfaite réalisation, à la fois dansante, prenante et d’une grande simplicité dans l’expression des sentiments. En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est constitué de longs glissandos des violons, procèdent de la même construction par opposition. On remarquera dans les deux titres, comme dans de nombreux autres, de cette association qui enregistra près d’une centaine de titres (93 ?), ces petites échappées musicales qui libèrent la pression de la voix de Vargas, ces petites notes qui s’échappent au piano, violon ou bandonéon et qui montent légèrement dans un parcours sinueux et rapide.
Paroles
Yo soy de Parque Patricios he nacido en ese barrio, con sus chatas, con su barro… En la humildad de sus calles con cercos de madreselvas aprendí a enfrentar la vida… En aquellos lindos tiempos del percal y agua florida, con guitarras en sus noches y organitos en sus tardes. Yo soy de Parque Patricios vieja barriada de ayer…
Barrio mío… tiempo viejo… Farol, chata, luna llena, viejas rejas, trenzas negras y un suspiro en un balcón… Mayorales… cuarteadores… muchachadas de mis horas, hoy retornan al recuerdo que me quema el corazón.
Hoy todo, todo ha cambiado en el barrio, caras nuevas y yo estoy avejentado… (Mil nostalgias en el alma) Mis cabellos flor de nieve y en el alma mil nostalgias soy una sombra que vive… Recordando aquellos tiempos que su ausencia me revive, de mi cita en cinco esquinas… y de aquellos ojos claros. Yo soy de Parque Patricios evocación de mi ayer… Victor Felice Letra: Carlos Lucero
Vargas change ce qui est en gras. La phrase en rouge remplace la plus grande partie du dernier couplet. Elle n’est pas dans le texte original de Carlos Lucero.
Traduction libre
Je suis de Parque Patricios, je suis né dans ce quartier, avec ses chariots, avec sa boue… Dans l’humilité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affronter la vie… En ces beaux temps de percale et d’eau de Cologne (agua florida), avec des guitares dans leurs nuits et des organitos (orgues ambulants) dans leurs après-midis. Je viens de Parque Patricios, vieux quartier d’hier… Mon quartier… le bon vieux temps… Réverbère, chariots, pleine lune, vieux bars, tresses noires et un soupir sur un balcon… Les mayorales (préposé aux billets du tramway)… cuarteadores (cavaliers aidant à sortir de la boue les chariots embourbés)… Les bandes de mes heures, aujourd’hui, elles reviennent à la mémoire qui me brûle le cœur. Aujourd’hui, tout, tout a changé dans le quartier, de nouveaux visages et je suis vieux… Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nostalgies, je suis une ombre qui vit… Me souvenir de ces moments que son absence ravive, de mon rendez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs. (Ce passage n’est pas chanté par Vargas qui fait donc l’impasse sur l’histoire d’amour perdue). Je suis de Parque Patricios évocation de mon passé…
Autres versions
La version de Vargas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quartier de Parque Patricios a suscité des nostalgies et plusieurs titres en témoignent.
Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
Voici quelques titres qui parlent du quartier :
Parque Patricios de Antonio Oscar Arona
Parque Patricios 1928-09-12 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (Antonio Oscar Arona (Música y letra)
Paroles de la version de Oscar Arona
Cada esquina de este barrio es un recuerdo de lo mágica y risueña adolescencia; cada calle que descubre mi presencia, me está hablando de las cosas del ayer… ¡Viejo barrio! … Yo que vengo del asfalto te prefiero con tus calles empedradas y el hechizo de tus noches estrelladas que en el centro no se sabe comprender.
¡Parque Patricios!… Calles queridas hondas heridas vengo a curar…
Sonreís de mañanita por los labios de las mozas que en bandadas rumorosas van camino al taller; sos romántico en las puertas y en las ventanas con rejas en el dulce atardecer; que se adornan de parejas te ponés triste y sombrío cuando algún muchacho bueno traga en silencio el veneno que destila la traición y llorás amargamente cuando en una musiquita el alma de Milonguita cruzó el barrio en que nació.
¡Viejo Parque!… Yo no sé qué airada racha me alejó de aquella novia dulce y buena que ahuyentaba de mi lado toda pena con lo magia incomparable de su amor… Otros barrios marchitaron sus ensueños… ¡Otros ojos y otras bocas me engañaron el tesoro de ilusiones me robaron hoy mi vida, encadenado está al dolor!…
Oscar Arona
Traduction libre de la version de Oscar Arona
Chaque recoin de ce quartier est un rappel de l’adolescence magique et souriante ; Chaque rue que découvre ma présence me parle des choses d’hier… Vieux quartier… Moi, qui viens de l’asphalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au centre-ville, ils ne peuvent pas comprendre. Parque Patricios… Chères rues, blessures profondes, je viens guérir… Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en troupeaux bruyants, se rendent à l’atelier ; Tu es romantique dans les portes et dans les fenêtres avec des barreaux dans le doux coucher de soleil ; qui se parent de couples. Tu deviens triste et sombre quand un bon garçon avale en silence le poison que la trahison distille et tu pleures amèrement quand, dans une petite musique, l’âme de Milonguita a traversé le quartier où elle est née. Vieux parc (Parque Patricios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chassé tout chagrin de mon côté avec la magie incomparable de son amour… D’autres quartiers ont flétri ses rêves… D’autres yeux et d’autres bouches m’ont trompé, ils m’ont volé le trésor des illusions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…
Honnêtement, je ne suis pas certain que ce tango ait pour thème le même quartier, en l’absence de paroles. Cependant, Juan Pecci est né dans le Sud du quartier San Cristobal à deux cuadras du quartier de Parque Patricios, l’attribution est donc probable. Pecci était violoniste de Bianco avec qui il avait fait une tournée en Europe.
Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)
Barrio porteño (Parque Patricios) 1942-08-07 – Osvaldo Fresedo Y Oscar Serpa (Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Demattei).
Fresedo est plutôt de la Paternal, un quartier situé bien plus au Nord, mais il enregistre également ce tango sur Parque Patricios. Après le départ de Ricardo Ruiz, l’orchestre de Fresedo semble avoir cherché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Serpa soit le meilleur choix pour le tango de danse, mais l’assemblage n’est pas mauvais si on tient en compte que l’orchestration de Fresedo est également renouvelée et sans doute bien moins propice à la danse que ses prestations de la décennie précédente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait perdre un peu de son âme et la décennie suivante et accélèrera cet éloignement du tango de danse. Fresedo avait la réputation d’être un peu élitiste, disons qu’il s’est adapté à un public plus « raffiné », mais moins versé sur le collé-serré des milongueros.
Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei
Perdoná barrio porteño Que al correr tu vista tanto, Voy vencido por la vida Y en angustias sé soñar. Vuelvo atrás y tú en mis sienes Marcarás las asechanzas, De esta noche tormentosa De mi loco caminar.
Han pasado muchos años Y es amargura infinita, La que traigo dentro del pecho Desangrado el corazón. Apagada para siempre De su cielo, mi estrellita, El regreso es un sollozo Y una profunda emoción.
Mi acento ya no tiene Tus tauras expresiones, Con que cantaba al barrio En horas del ayer. Por eso mi guitarra Silencia su armonía, En esta noche ingrata De mi triste volver.
Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Dematte
Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei
Pardonne-moi quartier portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vaincu par la vie et dans l’angoisse je sais rêver. Je reviens et toi, dans mes tempes, tu marqueras les pièges, de cette nuit d’orage, de ma folle marche. De nombreuses années ont passé et c’est une amertume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saignant mon cœur. Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un sanglot et une émotion profonde. Mon accent n’a plus tes expressions bravaches, avec lesquelles je chantais au quartier aux heures d’hier. C’est pourquoi ma guitare fait taire son harmonie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.
Parque Patricios de Antonio Radicci et Francisco Laino (Milonga)
Cette géniale milonga est une star des bals. Deux versions se partagent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, contemporaine de l’autre Francisco, Lomuto avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux portent parfaitement l’improvisation en milonga, comportent des cuivres pour une sonorité originale et si on n’est sans doute un peu plus accoutumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.
Parque Patricios 1940-10-03 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra).Parque Patricios 1941-06-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra)
Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino
Mi viejo Parque Patricios querido rincón porteño, barriada de mis ensueños refugio de mi niñez. El progreso te ha cambiado con su rara arquitectura, llevándose la hermosura de tu bondad y sencillez. Cuántas noches de alegría al son de una serenata, en tus casitas de lata se vio encender el farol. Y al sonar de las vigüelas el taita de ronco acento, hilvanaba su lamento sintiéndose payador (trovador en la versión de Famá).
Antonio Radicci Letra: Francisco Laino
Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino
Mon vieux Parque Patricios, cher recoin de Buenos Aires, quartier de mes rêves, refuge de mon enfance. Le progrès t’a changé avec son architecture étrange, t’enlevant la beauté de la bonté et de ta simplicité. Combien de nuits de joie au son d’une sérénade, dans tes petites maisons de tôle se voyait allumer la lanterne. Et au son des vigüelas [sortes de guitares] le taita [caïd] avec un accent rauque, tissait sa complainte en se sentant payador.
Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
Une version plutôt jolie, mais qui ne devrait pas satisfaire les danseurs. Contentons-nous de l’écouter. On pourra s’intéresser à la jolie prestation au bandoneón de Edgardo Pedroza.
La version proposée par Bongioni est bien différente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrouvera une inspiration de Firpo et des Uruguayens comme Racciatti et Villasboas). Même si c’est très joueur, à la limite de la milonga, le résultat est sans doute assez difficile à danser par la plupart des danseurs.
Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
Bien que les deux enregistrements soient instrumentaux, il y a des paroles qui ne semblent cependant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.
Por los corrales de ayer Mis años yo pasé, Barrio florido Yo fui el primero Que te canté. En Alcorta y Labardén, Caseros y Arena, Bordé mi nido de amor. Y en una cuadrera Supe ser buen ganador, El Pibe, El Chueco y El Inglés Por una mujer, Se trenzaron en más de una vez Con este cantor.
Porteño soy De las tres esquinas, Pinta cantora Para un querer. Nací en el Parque Patricios Sobre los viejos corrales de ayer. Porteño soy De las tres esquinas, Y en mi juventud florida El lecherito del arrabal, Y como también Un bailarín sin rival. Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia
Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
À travers les corrales d’hier. Mes années j’ai passé. Quartier fleuri, j’ai été le premier qui t’a chanté. À Alcorta et Labardén, Caseros et Arena, j’ai brodé mon nid d’amour. Et dans une course de chevaux (peut-être aussi écurie), j’ai su être un bon gagnant. El Pibe, El Chueco et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte). Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chantante pour un amour. Je suis né à Parque Patricios sur les anciens corrales d’hier. Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laitier des faubourgs, et aussi bien, un danseur sans rival.
Parque Patricios de Mateo Villalba et Maura Sebastián
Et pour terminer avec les versions, Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián. C’est une composition de Martina Iñíguez et de Mateo Villalba. C’est une version légère, doucement valsée et chantée avec des paroles différentes.
Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián
El Parque de los Patricios
Ce quartier porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysagiste français, Charles Thays. Né à Paris en 1849, cet architecte, naturaliste, paysagiste, urbaniste, écrivain et journaliste français a déroulé l’essentiel de sa carrière en Argentine, notamment en dessinant et aménageant la plupart des espaces verts de Buenos Aires, mais aussi d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du second parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il participa également à l’amélioration de la culture industrielle de yerba mate (germination), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.
Le Parque Patricios tel qu’il a été créé à l’origine. Dessin de 1902.
Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre destination. Nous en avons parlé à diverses reprises. C’étaient les abattoirs et la décharge d’ordures. Beaucoup y voient le berceau du tango, voire de Buenos Aires. En fait, tout le territoire actuel de la « Comuna 4 » constitue le Sud (Sur), zone particulièrement propice à la nostalgie et notamment chez D’Agostino et Vargas, qui ont produit plusieurs titres évoquant les quartiers de cette commune. Le nom de Parque Patricios ou Parque de los Patricios a été donné au parc par l’Intendant Bulrich en l’honneur des Patricios, ce prestigieux bataillon de l’armée argentine.
Les Patricios continuent aujourd’hui à animer la vie argentine, même si leur dernier engagement a été pour les Malouines. À droite, l’uniforme au début du régiment (1806-1807). À l’extrême droite, un officier.La commune 4 de Buenos Aires, correspond sensiblement au Sur « mythique » avec les quartiers très populaires de Parque Patricios, Nueva Pompeya, Barracas et La Boca. On pourrait rajouter la zone inférieure de Boedo qui appartient à la commune 5, cette zone chère à Homero Manzi.
Voici à quoi ressemblait le quartier de Parque Patricios au début du 20e siècle. On comprend son surnom de barrio de las latas évoqué dans le tango dont nous avons déjà parlé.
Mais outre cet habitat particulièrement pauvre, la zone était également une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détritus de Buenos Aires. Les ordures étaient transportées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.
Un mural reproduisant le parcours du train des ordures rue Oruro 1400.El tren de la basura.
L’autre spécialité de la zone était les abattoirs, Los Corrales, qui à la suite de la construction de nouveaux abattoirs à Abasto, sont devenus Los Corrales Viejos…
Deux détails du mural du train des ordures de la rue Oruro. On remarquera que de véritables « détritus » ont été utilisés, mais avec une intention artistique évidente.
En Europe, il y a une étonnante coutume qui consiste à danser la milonga sur n’importe quel rythme ; Chamame, polka et même fox-trot. Il est probable que cette coutume vient d’une méconnaissance par certains DJ de la variété des orchestres de tango qui pour beaucoup ont enregistrée, outre des tangos (valses et milongas), des titres de Jazz (par exemple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont proposé ces airs, pensant qu’il s’agissait de milongas. Comme les danseurs n’étaient pas très familiers avec le rythme de la milonga, ils ont rebondi sur la proposition et, désormais, c’est devenu une habitude bien ancrée que de danser ces danses dans un simulacre de milonga. Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dommage de s’en passer. Alors, même si vous la dansez en « milonga », le principal est de se faire plaisir. Le plus connu des fox-trots utilisés comme milonga est sans doute La colegiala de Rodriguez, notamment la version du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins connu, mais assez sympathique, comme vous allez pouvoir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milonga formidable, mais assurément un excellent fox-trot…
Extrait musical
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).
Paroles
Pour une fois, je ne vais pas explorer les paroles, car chaque version est différente et je vais donc présenter seulement quelques extraits. Pour commencer, le titre d’origine.
Paroles en anglais
You’re Driving Me Crazy (What Did I Do?)
You left me sad and lonely Why did you leave me lonely For here’s a heart that’s only For nobody but you I’m burning like a flame, dear Oh, I’ll never be the same, dear I’ll always place the blame, dear On nobody but you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do? What did I do? My tears for you make everything hazy Clouding the skies of blue How true were the friends who were near me To cheer me, believe me, they knew But you were the kind who would hurt me Desert me when I needed you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do to you Walter Donaldson
Traduction libre de la version originale en anglais
Tu m’as laissé triste et seul Pourquoi m’as-tu laissé seul Car voici un cœur qui n’est Pour personne d’autre que vous Je brûle comme une flamme, ma chère Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère Je mettrai toujours le blâme, ma chère Sur personne d’autre que vous Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Mes larmes pour toi rendent tout brumeux Mettant des nuages dans le ciel bleu Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères Pour m’encourager, crois-moi, ils savaient Mais tu étais du genre à me faire du mal Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Quelques extraits des différentes versions en espagnol
Les paroles de Francisco Antonio Lío ont été, comme toujours, utilisées en partie par les orchestres. N’ayant pas trouvé de version imprimée, je vous propose des bribes extraites des différentes versions.
Me vuelves loco nena, con tus caprichos vanos. Tienes que ser más buena para mi corazón. […] Bien sabes que te quiero y en cambio tú, querida _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devoción. […] Loco de tanto adorarte nena, ya estoy por ti. […] Por ti estoy trastornado y no hay razón para sufrir Por tu desdén tantas desventuras hay dime que si mi amor el cariño que yo te profeso es dicha y pasión Mi afán es amarte con loco embeleso y devoción Loco de tanto adorarte nena ya estoy por ti.
Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío
Traduction libre des extraits en espagnol
Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices. Tu devrais être plus gentille avec mon cœur. Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine. Tout mon empressement est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévotion. Fou de t’adorer autant bébé, je le suis déjà pour toi. Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de raison de souffrir. Par ton dédain il y a tant de malheurs dis-moi que si mon amour, l’affection que je professe pour toi est joie et passion. Mon empressement est de t’aimer avec un fou ravissement et de la dévotion. Fou de tant t’adorer bébé, je le suis déjà pour toi.
°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas identifiés.
Autres versions
En 1930 Walter Donaldson compose et écrit les paroles de You’re driving me crazy qui sera dansé et interprété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musicale « Smiles ». Le titre est un succès et est repris par différents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nombreuses versions de ce fox-trot qui est connu sous différents noms, traduction plus ou moins approximative de You’re driving me crazy.
Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Photo de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musicale de Florenz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.You’re driving me crazy 1930 – The New York Twelve.You’re driving me crazy (What did I do) 1930 – Lee Morse.
What did I do qui est répété trois fois dans la version anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.
You’re driving me crazy! 1930-12-23 – Louis Armstrong and His Sebastian New Cotton Club Orchestra avec Les Hite‘s Orchestra.
L’enregistrement a été réalisé à Los Angeles le 23 décembre 1930 en réunissant l’orchestre de Louis Armstrong et celui de Les Hite. Jugez de la qualité des musiciens qui composent ce grand orchestre de jazz. Banjo : Bill Perkins Basse : Joe Bailey Percussion : Lionel Hampton Guitare : Bill Perkins Piano : Jimmie Prince Direction de l’orchestre et saxophone alto et baryton : Les Hite Saxophone alto : Marvin Johnson Saxophone Tenor: Charlie Jones Trombone : Luther « Sonny » Craven Trompette : George Orendorf Trompette : Harold Scott Trompette et chant : Louis Armstrong
You’re driving me crazy de Luis Armstrong enregistré à Los Angeles, 23 Décembre 1930. Édition anglaise chez Parlophone.
En 1931, le titre qui est un succès en Argentine, est enregistré par différents orchestres, avec des paroles de Francisco Antonio Lío.
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico). C’est notre Foxtrot du jour.Me estas enloqueciendo 1931-11-17 – Osvaldo Fresedo con Carlos Viván.Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-21 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Me vuelves loco 1931-11-21 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (qui n’est pas mentionné sur le disque…)
Me estás enloqueciendo 1932 – Sexteto Carlos Di Sarli con Mercedes Carné.
Même Di Sarli a enregistré des fox-trots…
Me vuelves loco – Francisco Canaro et Aldo Maietti.
Aldo Maietti est le représentant du tango italien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enregistrement de 1932 les réunit pour une version instrumentale.
Aldo Maietti surnommé El rey del tango italiano a composé plusieurs centaines de tangos qui ont été interprétés, par exemple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trombetta. Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Le jazz
En Argentine, le jazz a rencontré également du succès, même si l’explosion du tango l’a estompé. Dans les bals, il y avait souvent deux orchestres. Un pour le tango et un pour le jazz. Certains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Carabelli, Canaro, Fresedo, Rodriguez et bien d’autres.
El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. On voit que, pour presque tous les événements, en plus de l’orchestre de tango (entouré), il y a le nom d’un second orchestre, un orchestre de jazz.
Les années folles ont donné naissance au jazz et au tango, genres qui trouveront leur plein développement dans les années 30-40. Le fox-trot est une danse de couple. Contrairement au tango, il y a peu d’improvisation et les déplacements sont codifiés. Cela pourrait rendre la danse un peu monotone, mais la musique est si entraînante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant. Voici un exemple, un peu atypique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad. C’est un des nombreux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.
Extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto, le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.
La prochaine fois que vous entendrez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot… À bientôt, les amis.
Voilà que le tango et plus précisément la valse (mais on verra que ce n’est pas si simple) vous prodigue des conseils de vie. Chers amis, je vous enjoins de les suivre et de chanter avec Roberto Flores le refrain de cette valse entraînante composée et mise en paroles par Rodolfo Aníbal Sciammarella et interprété par l’orchestre chéri de mon ami Christian, Enrique Rodriguez.
Selon Mariano Mores, Rodolfo Sciammarella aurait composé une zamba (voir l’anecdote du 7 avril sur la zamba). Comme il n’était pas très doué pour écrire la musique, il a demandé à Mariano de la transcrire pour lui. Celui-ci a trouvé que c’était plus joli en valse et aurait donc adapté la musique à ce rythme…
Une édition de Julio Korn de Salud… dinero y amor en zamba
Extrait musical
Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.
Pas de doute, notre version du jour est parfaitement une valse, sans trace de zamba. Je me demande toutefois si la version en zamba n’a pas été utilisée dans d’autres occasions. Nous y reviendrons avec la liste des versions.
Avis de recherche
Le 7 mars 1939, un film est sorti. Son titre était Mandiga en la sierra. Ce film a été réalisé par Isidoro Navarro sur un scénario de Arturo Lorusso et Rafael J. de Rosas. Ce film était basé sur la pièce de théâtre homonyme. Parmi les acteurs, Luisa Vehil, Eduardo Sandrini, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci, mais celui qui m’intéresse est Francisco Amor qui y interprète Salud…dinero y amor.
Luisa Vehil, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci dans Mandinga en la sierra (1939)
Dans ce film, en plus de Francisco Amor, il y a Myrna Mores et sa sœur Margot. Depuis 1938, Mariano Mores, celui qui a couché sur la partition l’idée musicale de Rodolfo Sciammarella faisait un trio avec les deux sœurs Mores. En 1943, il épousera Myrna. On voit comme ce film est assez central autour des Mores et de cette valse. Si vous savez où trouver ce film, je suis preneur… Vous pouvez trouver sa fiche technique ici : https://www.imdb.com/title/tt0316217/?ref_=nm_knf_t_1
La pièce de théâtre était jouée en 1938. Est-ce que la version chantée ou jouée dans la pièce était sous forme de zamba, je ne le sais pas. En ce qui concerne le film, même si je ne l’ai pas encore trouvé, j’imagine que c’est en valse, car le succès du thème qui a été enregistré majoritairement sous cette forme. Je vous réserve deux surprises dans les « autres versions » qui pourraient faire mentir ou confirmer cette histoire.
Paroles
Tres cosas hay en la vida: salud, dinero y amor. El que tenga esas tres cosas que le dé gracias a Dios. Pues, con ellas uno vive libre de preocupación, por eso quiero que aprendan el refrán de esta canción.
El que tenga un amor, que lo cuide, que lo cuide. La salud y la platita, que no la tire, que no la tire. Hay que guardar, eso conviene que aquel que guarda, siempre tiene. El que tenga un amor, que lo cuide, que lo cuide. La salud y la platita, que no la tire, que no la tire.
Un gran amor he tenido y tanto en él me confié. Nunca pensé que un descuido pudo hacérmelo perder. Con la salud y el dinero lo mismo me sucedió, por eso pido que canten el refrán de esta canción.
Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musiques)
Traduction libre des paroles
Il y a trois choses dans la vie : la santé, l’argent et l’amour. Quiconque possède ces trois choses devrait remercier Dieu. Eh bien, avec eux, on vit sans souci, c’est pourquoi je veux que vous appreniez le dicton de cette chanson.
Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin. La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas. Il faut garder, il convient que celui qui garde, toujours a. Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin. La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.
J’ai eu un grand amour et j’ai tellement cru en lui. Je n’ai jamais pensé qu’un manque d’attention pouvait me le faire perdre. La même chose m’est arrivée avec la santé et l’argent, alors je vous demande de chanter le dicton de cette chanson.
Autres versions
Salud, dinero y amor 1930 – Duo Irusta-Fugazot accomp. de Orquesta Argentina (Barcelona).
Je pensé que vous avez remarqué plusieurs points étranges avec cette version. Le son a beaucoup d’écho, ce qui ne faisait pas à l’époque. Je pense donc que c’est une édition « trafiquée ». Mon exemplaire vient de l’éditeur El Bandoneón qui a édité entre 1987 et 2005 différents titres dont certains assez rares. Cet enregistrement est sur leur CD El Tango en Barcelona CD 2 – (EBCD-046) de 1997. Je n’en connais pas d’autre. Sur la date d’enregistrement de 1930, en revanche, c’est très probable, car cela correspond à l’époque où le trio était actif en France et Barcelone. L’autre point étrange est qu’il s’agit d’une valse et pas d’une zamba. Si Sciammarella a « écrit » une zamba et que Mariano Mores l’a transformé en valse seulement en 1938, il y a un problème. Cet enregistrement devrait être une zamba. Je pense donc que Sciammarella a fait vivre conjointement les deux versions et que c’est la version valse qu’a adaptée le tout jeune Mariano Mores. Mais on va revenir sur ce point plus loin…
Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.
C’est notre valse du jour. Vos chaussures, si vous êtes danseur, doivent être désormais capables de la danser seules. Le rythme est assez rapide et le style haché de Rodríguez fait merveille pour inciter à donner de l’énergie dans la danse. La voix de Flores, plus élégante de celle de Moreno, l’autre chanteur vedette de Rodríguez est agréable. L’orchestration de la fin de la valse est superbe, même si Rodríguez décide, une fois de plus, d’y placer un chœur, habitude qui peut susciter quelques réticences.
Salud, dinero y amor 1939-08-08 – Francisco Lomuto C Jorge Omar.
Une version assez piquée et pesante. Elle est moins connue que la version de Rodriguez. On comprend pourquoi, sans toutefois qu’elle soit à mettre au rebut. Comme chez Canaro, Lomuto fait intervenir une clarinette, scorie de la vieille garde. La fin est cependant assez intéressante, donc si un DJ la passe, cette valse ne devrait pas laisser une mauvaise impression.
Salud, dinero y amor 1939-09-11 – Francisco Canaro y Francisco Amor.
Sur le même rythme que Lomuto, Canaro propose une version plus légère. Les vents (instruments à vent) auxquels Canaro reste fidèle donnent la couleur particulière de l’orchestre. Francisco Amor chante de façon décontractée avec un peu de gouaille.
Salud, dinero y amor 1939-09-27 – Juan Arvizu con orquesta.
L’accent mexicain d’Arvizu, surprend, on est plus accoutumé à l’entendre dans des boléros. L’orchestre où les guitares ont une présence marquée est un peu léger après l’écoute des versions précédentes. Buenos Aires lui aurait donné le surnom de ténor à la voix de soie (El Tenor de la Voz de Seda). Je vous laisse en juger…
Salud… dinero y amor 1939-11-03 – Charlo con guitarras (zamba cueca).
Ce titre n’est pas une valse, on reconnaît le rythme de la cueca à la guitare dans la première partie, puis le rythme s’apaise et passe en zamba avec des roucoulements étranges. Finalement, ce n’est pas une zamba, pas une cueca. C’est un ovni. Le nom de zamba cueca existe et couvre différentes variétés de danses, notamment du Chili. La distinction de la vingtaine de variétés de cuecas, le fait que la zamba cueca serait aussi dénommée zambacueca, zamacueca ou zambaclueca, ce dernier terme évoquerait encore plus clairement la poule pondeuse, la cueca se référant à la parade d’oiseaux, font que pour moi, cela reste assez mystérieux. Le témoignage de Mario Mores, appuyé par la partition qui mentionne zamba et cette interprétation de Charlo prouve que Salud… dinero y amor n’est pas seulement une valse.
Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de Terig Tucci.
Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de Terig Tucci. On retrouve Irusta qui a enregistré pour Decca à New York, accompagné de l’orchestre de Terig Tucci. Ce n’est pas vilain et si ce n’est pas le top de la danse, c’est plus dansable que la version du duo de 1930.
Après la « folie » accompagnant la sortie du fameux film que je n’ai pas trouvé, l’intérêt pour cette valse s’atténue. On la retrouve cependant un peu plus tard dans quelques versions que voici.
Salud… dinero y amor 1955 c — Inesita Pena — La Orquesta Martín De La Rosa y coro.
Pour un enregistrement des années 1950, ça fait plutôt vieillot. Ne comptez pas sur moi pour vous la proposer en milonga.
Salud… dinero y amor 1966 – Típica Sakamoto con Ikuo Abo.
On connaît l’engouement incroyable du Japon pour le tango, la Típica Sakamoto nous en donne un exemple. Vous aurez facilement reconnu la voix très typée de Ikuo Abo. Les chœurs sont assez élégants. Il me semble entendre une partie de soprano dans le chœur tenue par une femme.
Salud… dinero y amor 1969 – Alberto Podestá con Orquesta Lucho Ibarra.
Bon, il faut bien du tango à écouter, aussi. Et la voix de Podestá est tout de même une merveille, non ?
À demain, les amis, je vous souhaite santé, argent et amour.
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés
Nous avons vu dans beaucoup de tangos que le lunfardo, l’argot de Buenos Aires était très apprécié des paroliers qui ne prenaient pas tous les précautions de Juan Bautista Abad Reyes qui a écrit que « Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo ». Notre tango du jour est à destination des néophytes et plus particulièrement des Français qui bénéficient d’un dictionnaire chanté par une Française qui s’est installée à Buenos Aires et qui trouve cela épatant !
Extrait musical
Buenos Aires es una papa (Buenos Aires c’est épatant) 1928-07-18 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.Buenos Aires es una papa (Buenos Aires, c’est épatant) – Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés.
L’illustration de couverture est de Roger de Valério. Le disque Odeon porte le numéro 4474. Ce tango est la face A. La face B est Talismán (1928-04-25), tango instrumental. On notera le nom de Marthe Berthy qui inaugurera cette œuvre à Paris, puis à Buenos Aires.
Ce tango de Delfy (Enrique Pedro Delfino) a des paroles étonnantes, car elles ont été écrites en français par un Argentin, Juan Fernando Camillo Darthés. Notre version du jour, chantée par Charlo ne vous proposera pas l’intégralité des paroles et même ne vous en donnera que des bribes. Nous verrons après les paroles « officielles », mais voici la retranscription des paroles de notre tango du jour.
Desde el pasado no encontró Ici l’amour c’est l’metejón Desde el pasar “et bien voila” À la canción de cantar
Versión de Charlo…
Oui, vous avez bien lu/entendu. C’est un texte mélangeant le français et l’espagnol.
Paroles originales (en français)
Quand je me suis embarquée pour l’Argentine, j’étais pour mes parents la p’tite Titine. Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas ! Tout le monde ici m’appelle « La Porotá ». Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ; au lieu de dire un franc, je dis « un grullo ». À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ». Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
C’est épatant comme nous changeons. Ici l’amour c’est l’metejón. C’est épatant et bien, voilà, en Argentine on dit comme ça.
J’ai appris cette langue à peine dans une semaine et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même. Pour dire le lit je dis « la catrera », pour dire sortir il faut dire « espiantá ». Le pain a table je l’appelle « marroco » ; quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ». Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent… Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés
Paroles en espagnol
Cuando me embarqué hacia la Argentina Yo era, para mis padres, la pequeña Titine. Ahora vea usted, es gracioso, no entiendo nada: Todo el mundo aquí me llama: “la Porotá”. Para decir hablar, ahora digo “chamuyo”, En lugar de decir un franco, digo “un grullo”, A mi novio lo llamo “un gran bacán” … ¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!
Es asombroso Cómo cambiamos, Aquí el amor Es el metejón. Es asombroso Y sin embargo, En Argentina Se dice así.
Aprendí esta lengua en apenas una semana Y ellos sin embargo, me cambiaron, es triste, Para decir la cama, digo “la catrerá”, Para decir salir, hay que decir “espiantá”, Al pan sobre la mesa lo llaman “marroco”, Cuando tengo dolor de cabeza, “me duele el coco”. Digo “la guita” en lugar de decir el dinero… ¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!
Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés
Traduction libre et indications
Bon, ceux qui lisent cette anecdote et français ou en espagnol ne vont pas comprendre, puisque j’ai donné ci-dessus les versions en français (original) et en espagnol. Ce texte est donc destiné à ceux qui lisent dans une autre de ces langues. La difficulté est que le texte en français donne à la fois les paroles en français et en espagnol. Vous risquez de voir donc deux fois le même mot ou des trucs étranges, je vous en demande pardon par avance.
Voyons tout d’abord le titre qui est à la fois en espagnol et en français. « Buenos Aires es una papa / Buenos Aires, c’est épatant”. Le terme “épatant”, très “français”, même si un peu vieilli n’est pas la traduction littérale. En effet, la papa, c’est la pomme de terre, à ne pas confondre avec papá qui est le père en langage enfantin. Cependant, même si pour l’illustration de couverture j’ai choisi de vous présenter une pomme de terre, il faut prendre papa dans un autre sens. En effet, papa veut aussi dire que c’est facile. C’est donc facile pour elle de s’adapter à l’Argentine, ce qui n’est pas forcément l’avis de toutes les grisettes qui ont vécu de terribles histoires lors de leur arrivée en Argentine.
Quand je me suis embarquée pour l’Argentine, j’étais pour mes parents la p’tite Titine (Titine peut être le gentilé du prénom Christine, mais aussi un surnom sans relation directe avec le prénom d’origine). Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas ! Tout le monde ici m’appelle « La Porotá » (un surnom). Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ; au lieu de dire un franc, je dis « un grullo » (de Mangrullo, un billet d’un peso). À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ». Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
C’est épatant comme nous changeons. Ici l’amour c’est l’metejón. C’est épatant et bien, voilà, en Argentine on dit comme ça.
J’ai appris cette langue à peine dans une semaine et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même. Pour dire le lit je dis « la catrera », pour dire sortir il faut dire « espiantá ». Le pain à table je l’appelle « marroco » ; quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ». Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent… Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !
Fin du cours de lunfardo…
On voit donc les emprunts faits par Charlo dans sa version qui est une amputation très sévère du texte d’origine…
Autres versions
Je n’ai pas d’autres versions à proposer. Dans le catalogue Odéon de 1929, on trouve un enregistrement par Delfy (l’auteur de la musique), mais je n’ai pas réussi à trouver ce disque.
Sous la référence de disque 7000 B, Delfy a enregistré un disque avec Odeón de « Buenos Aires c’est epatant » (sic).
Quand le tango va de Paris à Buenos Aires
Notre tango du jour a été inauguré à Paris par Marthe Berthy dans le spectacle « Paris aux nues », une des revues du Moulin Rouge qui fit une tournée en Amérique du Sud en 1928. Durant cette tournée, avant d’être présentée à Buenos Aires, le 15 juillet 1928 au Teatro Ópera, la revue a été présentée à Rio de Janeiro. Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 nous présente l’équipe du Moulin Rouge. On y apprend que la troupe composée de 90 personnes arrivées à bord du Lutecia. Un repas a été offert aux artistes, parmi lesquels on trouve : Jacques Charles, créateur de plus de 110 revues, dont « Ça c’est Paris ! » (immortalisé par Mistinguett), « Ça c’est Montmartre », « Paris aux nues » dont est tiré notre tango du jour « Oh ! Paris ! Mon Paris ! »…
Le Moulin Rouge – Simon Girard (Aimé Simon-Girard), Marthe Berthy, Marta Albaicín (Pepita García Escudero), membres principaux de la troupe du Moulin rouge durant la tournée en Amérique du Sud.
Simon Girard, acteur de cinéma (Aimé Simon-Girard a joué dans Le vert galant 1924, Fanfan-la-Tulipe 1925 et Les trois mousquetaires 1932), Marta Albaicín (Pepita García Escudero), danseuse de flamenco d’origine espagnole, Marthe Berthy, chanteuse (et danseuse, même si ce n’est pas précisé dans l’article) ayant remplacé Mistinguett au Moulin Rouge, Baldrini, chanteur déjà intervenu à Buenos Aires et beaucoup d’autres.
L’intransigeant 1927-04-03 – La revue Ça c’est Paris avec Mistinguett et Marthe Berthy.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 annonçant que le spectacle va être joué à Rio de Janeiro et à Buenos Aires.
Dans le même journal, dans l’édition du 15 juin 1928, on trouve la publicité pour le spectacle qui aura lieu le 10 juillet 1928 (cinq jours avant la représentation de Buenos Aires) au Palacio Theatro de Rio de Janeiro.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 15 juin 1928 avec la publicité pour le spectacle du Moulin Rouge au Palacio Theatro. À gauche, l’annonce complète, à droite, l’annonce découpée pour la rendre plus lisible.
On notera le titre des différentes revues présentées, Paris à la diable, Paris aux étoiles, Paris au feu, Paris aux nues (celle qui nous intéresse aujourd’hui) et Adieu Paris. Dans ce spectacle, il y avait donc diverses pièces musicales qui étaient également un prétexte pour présenter ce qui a fait le succès du Moulin Rouge. Dans « Montmartre aux nues » une des 110 revues crées par Jacques-Charles, on trouvera par exemple un tango-fox-trot Lola de Valence, Fleur du mal avec des paroles de Jacques-Charles et Ch. L. Pothier et une musique de René Mercier. Les revues parisiennes qui faisaient fureur dans le monde entier et notamment en Amérique du Nord et du Sud s’alimentaient donc également des musiques et danses des pays d’exportation. Même si on a du mal à l’imaginer aujourd’hui, le Monde du tango et du spectacle était pour le moins triangulaire, entre les Amériques et l’Europe et notamment Paris dans le cas du tango et des revues du type Moulin Rouge. En cortina, je vous propose un French Cancan, une musique qui date de la période précédant celle que nous venons d’évoquer (1890 au lieu de 1928) mais qui a toujours du succès dans les milongas en cortina…
Bande-annonce de French Cancan (29/04/1955) réalisé par Jean Renoir en 1954-55.
1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.
Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916. Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.
Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.
Extrait musical
Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles. Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.
Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.
Paroles
Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée. Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.
Autres versions
9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.
On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.
Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).
Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.
Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.
Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.
Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.
Famá chante le premier couplet de Bayardo.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).
Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra. On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.
Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.
D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.
Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta Héctor Varela.
Varela nous propose une introduction originale.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version sans doute pas évidente à danser.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.
Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.
Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas
9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.
Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – Luis Machaco.
Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.
Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?
9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.
Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).
9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.
Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.
Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.
Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.
Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.
Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…
9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).
L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.
Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :
9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.
Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.
C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).
Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango. En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ. Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.
Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…
Paroles de Lito Bayardo (1931)
Sin un solo adiós dejé mi hogar cuando partí porque jamás quise sentir un sollozar por mí. Triste amanecer que nunca más he de olvidar hoy para qué rememorar todo lo que sufrí.
Lejano Nueve de Julio de una mañana divina mi corazón siempre fiel quiso cantar y por el mundo poder peregrinar, infatigable vagar de soñador marchando en pos del ideal con todo amor hasta que al fin dejé mi madre y el querer de la mujer que adoré.
Yo me prometi lleno de gloria regresar para podérsela brindar a quien yo más amé y al retornar triste, vencido y sin fe no hallé mi amor ni hallé mi hogar y con dolor lloré.
Cual vagabundo cargado de pena yo llevo en el alma la desilusión y desde entonces así me condena la angustia infinita de mi corazón ¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría también se fueron desde aquel día que con las glorias de mis triunfos yo soñara, sueños lejanos de mi loca juventud!
José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo… Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.
Traduction libre des paroles de Lito Bayardo
Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi. Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert. Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage, infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais. Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré. Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne. Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?
Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)
De un conventillo mugriento y fulero, con un canflinfero te espiantaste vos ; abandonaste a tus pobres viejos que siempre te daban consejos de Dios; abandonaste a tus pobres hermanos, ¡tus hermanitos, que te querían! Abandonastes el negro laburo donde ganabas el pan con honor.
Y te espiantaste una noche escabullida en el coche donde esperaba el bacán; todo, todo el conventillo por tu espiante ha sollozado, mientras que vos te has mezclado a las farras del gotán; ¡a dónde has ido a parar! pobrecita milonguera que soñaste con la gloria de tener un buen bulín; pobre pebeta inocente que engrupida por la farra, te metiste con la barra que vive en el cafetín.
Tal vez mañana, piadoso, un hospital te dé cama, cuando no brille tu fama en el salón; cuando en el « yiro » no hagas más « sport »; cuando se canse el cafisio de tu amor ; y te espiante rechiflado del bulín; cuando te den el « olivo » los que hoy tanto te aplauden en el gran cafetín.
Entonces, triste con tu decadencia, perdida tu esencia, tu amor, tu champagne ; sólo el recuerdo quedará en tu vida de aquella perdida gloria del gotán; y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras, tus amarguras derramarás; y sentirás en tu noche enfermiza, la ingrata risa del primer bacán.
José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes
Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes
D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ; tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ; Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient ! Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur. Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ; Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ; Mais où vas-tu t’arrêter ? Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ; Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café. Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ; quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ; quand le voyou de ton amour se fatigue ; et tu t’évades folle du logis ; Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín. Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ; Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie Gloire du Gotan ; et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ; Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Mientras los clarines tocan diana y el vibrar de las campanas repercute en los confines, mil recuerdos a los pechos los inflama la alegría por la gloria de este día que nunca se ha de olvidar. Deja, con su música, el pampero sobre los patrios aleros una belleza que encanta. Y al conjuro de sus notas las campiñas se levantan saludando, reverentes, al sol de la Libertad.
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins, mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié. Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante. Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté. L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Hoy siento en mí el despertar de algo feliz. Quiero evocar aquel ayer que me brindó placer, pues no he de olvidar cuando tembló mi corazón al escuchar, con emoción, esta feliz canción:
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
En los ranchos hay un revivir de mocedad; los criollos ven en su pasión todo el amor llegar. Por las huellas van llenos de fe y de ilusión, los gauchos que oí cantar al resplandor lunar.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux. Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse : L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ; Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver. Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.
La valse d’aujourd’hui, Corazón de oro, créée par Francisco Canaro est un immense succès, mais la version du jour va sans doute vous étonner. Si elle ne vous plait pas, je me rattraperai avec les nombreuses versions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me pardonnerez de vous infliger une version de Alfredo De Angelis, bien étrange.
Extrait musical
Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis.
L’introduction est réduite en étant jouée plus rapidement (les descentes chromatiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapidement. Ce qui vous surprendra rapidement, ce sont les sonorités, au piano de De Angelis, aux superbes violons, aux bandonéons virtuoses, s’ajoute un orgue électronique, à partir de 45 secondes. Celui chante la mélodie, puis les autres se mélangent de nouveau. Le résultat manque un peu de clarté et je ne suis pas convaincu qu’il soit totalement apprécié par les danseurs qui risquent de regretter les versions de Canaro que vous allez pouvoir apprécier à la suite de cet article.
Corazón de oro — Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco.
La partition demande trois pages, contre deux généralement à cause de la très longue introduction, vraiment très longue dans certaines versions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Angelis qui ne fait « que » 15 secondes.
Paroles
Con su amor mi madre me enseñó a reír y soñar, y con besos me alentó a sufrir sin llorar… En mi pecho nunca tengo hiel, en el alma, canta la ilusión, y es mi vida alegre cascabel. ¡Con oro se forjó mi corazón!… Siempre he sido noble en el amor, el placer, la amistad; mi cariño no causó dolor, mi querer fue verdad… Cuando siento el filo de un puñal que me clava a veces la traición, no enmudece el pájaro ideal, ¡porque yo tengo de oro el corazón!…
Entre amor florecí y el dolor huyó de mí. Sé curar mi aflicción sin llorar, ¡tengo de oro el corazón!…
¡Los ruiseñores de mi alegría van por mi vida cantando a coro y en las campanas del alma mía resuena el oro del corazón!…
Yo pagué la negra ingratitud con gentil compasión, y jamás dejó mi juventud de entonar su canción… Al sentir el alma enardecer y apurar con ansia mi pasión, no me da dolores el placer, ¡pues tengo de oro puro el corazón!… Entre risas pasa mi vivir, siempre amé, no sé odiar, y convierto en trinos mi sufrir porque sé perdonar… Mi existencia quiero embellecer, pues al ver que muere una ilusión, otras bellas siento renacer, ¡mi madre me hizo de oro el corazón!…
Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des baisers, elle m’a encouragé à souffrir sans pleurer… Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux carillon (cascabel = grelot, j’ai un peu interprété et surtout, il ne faut pas prendre cascabel pour une de ses significations en lunfardo). Mon cœur s’est forgé avec de l’or… J’ai toujours été noble en amour, en plaisir, en amitié ; mon affection ne causait pas de douleur, mon amour était vrai… Quand je sens le tranchant d’un poignard qui me transperce parfois de trahison, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or… entouré d’amour, je fleurissais et la douleur me fuyait. Je sais guérir mon affliction sans pleurer, j’ai un cœur en or… Les rossignols de ma joie traversent ma vie en chantant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur… J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce compassion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chanson… Quand je sens mon âme enflammer et animer avec ardeur ma passion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur… Entre les rires ma vie passe, j’ai toujours aimé, je ne sais pas haïr, et je transforme ma souffrance en trilles parce que je sais pardonner… Je veux embellir mon existence, car quand je vois qu’une illusion (un sentiment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…
Autres versions
Corazón de Oro par Canaro
La composition est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enregistrements. Je vous propose de commencer par lui et de revenir ensuite avec des enregistrements intermédiaires d’autres orchestres.
Corazón de oro 1928-05-19 — Orquesta Francisco Canaro.
Une introduction qui prend son temps, très lente. La valse ne commence qu’après 50 secondes, ce qui est beaucoup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuellement la placer en début de tanda, ou couper l’introduction. Les violons émettent des miaulements étonnants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 minutes), cette valse n’est pas monotone et pourra satisfaire les danseurs. Elle est très rarement passée en milonga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéressantes. Jetons-y un œil.
Corazón de oro 1928-08-07 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
L’introduction est relativement longue, mais plus rapide que pour la version de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suivre. Elle est plus rapide et Charlo, intervient pour chanter le refrain à près de deux minutes. C’est une version qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milonga.
Corazón de oro 1929-12-17 – Orquesta Francisco Canaro.
C’est déjà le troisième enregistrement de cette valse par Canaro. L’introduction est du type long, mais moins lente que dans la première version de 1928. Le ralentissement de la fin est sympathique.
Corazón de oro 1930-06-11 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
L’introduction avec ses 25 secondes peut être laissée. Elle laisse immédiatement la place à la voix magnifique de Ada Falcón. Ce n’est pas une version de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne partie des danseurs pardonneront aux DJ qui la passera en milonga. Pour ma part, j’adore.
Corazón de oro 1938-03-24 – Orquesta Francisco Canaro.
Décidément Canaro enchaîne les enregistrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la version qui passe le plus souvent en milonga. Elle démarre sans longue introduction et le rythme est bien marqué. L’équilibre entre les bandonéons avec les violons en contrepoint est magnifique. C’est donc logiquement que les danseurs l’apprécient d’autant que certains passages plus énergiques réveillent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rappellent que Canaro donne aussi dans le jazz donne une sonorité originale à cette version qui n’est pas monotone malgré sa durée respectable de 3:13 minutes. Sa fin dynamique permet de l’envisager en fin de tanda.
Corazón de oro 1951-11-26 – Orquesta Francisco Canaro.
Canaro a laissé quelques années de côté sa valse pour la ressortir dans une version remaniée. C’est la version qui servira de modèle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tango de Carlos Saura. La présence de chœur chantant la mélodie sans paroles est aussi une originalité, également reprise par Lalo Schifrin. Cette version bénéficie aussi de la fin tonique qui en fait une bonne candidate de fin de tanda.
Corazón de oro 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro con coro.
La dernière version enregistrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enregistrement a été effectué au Japon. Les Japonais sont passionnés de tango et le succès des tournées des artistes argentins en témoigne. Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la première version qui atteint 50 secondes. Le résultat est encore une valse qui dépasse les 4 minutes, ce qui peut pousser les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la version la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la version de la décennie précédente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remarquable, après un passage extrêmement lent, une fin, explosive. En milonga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son public avant de passer cette version.
On continue avec le Quinteto Pirincho qui a prolongé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enregistrements.
Corazón de oro 1978 — Quinteto Pirincho dir. Oscar Bassil.
Cette version, souvent étiquetée Canaro, car il s’agit du Quinteto Pirincho a été enregistré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (bandonéoniste) qui dirigeait le Quinteto à cette époque.
Corazón de oro 1996 — Quinteto Pirincho Dir. Antonio D’Alessandro.
Autre version du Pirincho, dans la version lente. Cette fois dirigée par Antonio D’Alessandro.
Contrairement à Bassil, D’Alessandro reprend la tradition de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 secondes. Les premiers temps de la valse sont très accentués par moments ce qui peut paraître manquer de subtilité. Cette version me semble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trouve horrible, voire presque lugubre. Certainement pas ma version préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objectif premier…
Corazón de oro par d’autres orchestres
Passons à d’autres orchestres maintenant.
Corazón de oro 1950-04-11 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico.
Encore une version de Cambareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour donner des interprétations à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses versions.
Une version calme, bien dansante, sans doute entendue trop rarement en milonga. Il faut dire qu’avec le choix que propose Canaro, on peut hésiter à sortir des sentiers battus. Les contrepoints du piano sont particulièrement originaux. J’aime beaucoup et en général, les danseurs aussi (c’est la moindre des choses pour un DJ que de passer des choses qui donnent envie de danser…).
Corazón de oro 1955-06-13 — Orquesta Francini-Pontier.
Une version intéressante, destructurée et avec des artistes virtuoses, que ce soit le violon de Francini ou le piano de Angel Scichetti. J’avoue que je n’irai pas la proposer en milonga, mais cette version vaut tout de même une écoute attentive.
Corazón de oro 1959 — Juan Cambareri y su Cuarteto de Ayer.
Non, Cambareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette version est quasiment aussi rapide que celle de 1950.
Une version plutôt orientée musique classique, mais pas inintéressante.
Corazón de oro 1979 — Nelly Omar con el conjunto de guitarras de José Canet.
La voix chaleureuse de Nelly Omar donne une version originale de cette valse. Il y a peu de versions chantées, il est donc intéressant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon personnelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.
Corazón de oro 1980-07-01 — Orquesta De Angelis. C’est notre valse du jour.
Je vous propose de terminer avec cette version, on pourrait sinon continuer à se perdre dans les versions pendant des heures, tant ce titre a été enregistré.
Canaro et De Angelis
Un des derniers disques de De Angelis s’appelle Bodas de Oro con el Tango. Le livre de mémoires de Canaro est également sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tango. J’ai trouvé amusante cette coïncidence.
Las bodas de oro de Canaro y De Angelis. Le disque et la cassette édités en 1982 et le livre de Canaro édité en 1956. On notera la présence de Gigi De Angelis, la fille de De Angelis, chanteuse.
Alfredo De Angelis a enregistré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque intitulé Al colorado de Banfield (1985), le colorado (le rouquin), c’est De Angelis, qui était fan du club de football de Banfield. Il a d’ailleurs écrit un tango « El Taladro », El Taladro étant le surnom du club de Banfield.
L’album s’appelle Al Colorado de Banfield à cause du tango composé par Ernesto Baffa et Roberto Pérez Prechi en l’honneur de De Angelis. Il a été publié en 1985, mais il comporte des enregistrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.
Canaro et De Angelis ont leurs partisans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entrer dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troilo, D’Arienzo et Di Sarli, mais ils ont créé tous les deux suffisamment de titres intéressants pour avoir une bonne place dans le panthéon du tango et tant pis pour les ronchonchons qui n’aiment pas.
Juan José Visciglio Letra : Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias
Pensalo bien, pense-le bien, ce titre est quasi indissociable de la version du jour par Juan D’Arienzo et Alberto Echagüe. Nous nous ferons donc un plaisir d’écouter ce titre qui fête aujourd’hui ses 86 ans, sans une ride. Il faut dire qu’il est bien né avec le trio D’Arienzo, Biagi et Echagüe.
Pour ce qui est de la participation de Rodolfo Biagi à la réalisation de ce chef-d’œuvre, c’était juste, car c’est le tout dernier enregistrement de Biagi avec D’Arienzo. Pour être précis, c’est l’avant-dernier, car le même jour, D’Arienzo enregistre Champagne tango qui porte le numéro de matrice suivant (12 364 contre 12 363 pour Pensalo bien). Les enregistrements suivants se feront avec Juan Polito, D’Arienzo ayant mis à la porte Biagi, car il ne voulait pas deux vedettes dans son orchestre.
Extrait musical
Penbsalo bien. Juan José Visciglio Letra: Nolo López; Julio Alberto Cantuarias. Arrangement de Charles Gorczynski. Il est indiqué Calvera sur la partition au lieu de Visciglio, mais c’est bien la partition de la version de Visciglio… À droite, une application intéressante, Chordify, qui permet d’avoir les accords qui s’affichent en même temps que la lecture de la musique.Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Le début staccato des bandonéons, suivi de tous les instruments en appui, lance le titre. Pas d’introduction, nous sommes directement dans le dur de la danse. C’est du D’Arienzo efficace. Des phrases des violons adoucissent et contrastent ce marquage appuyé du rythme. Le thème principal apparaît à 30 secondes. L’ensemble de l’orchestre le joue avec des contrepoints du piano. À 1:25, Echagüe reprend le thème avec sa voix ferme. Il ne chante que 25 secondes… Heureusement qu’il y a eu deux prises de ce titre le même jour, cela lui a permis de chanter 50 secondes…. À partir de 1:51, les bandonéons explosent la cadence en passant à des staccatos en doubles croches. La vitesse n’a pas changé, mais l’impression de vitesse, si. C’est simple, efficace, dansant. Du bon tango de danse, le fait que son succès ne se démente pas 86 ans plus tard le prouve. Tant qu’il y aura des danseurs pour sauter sur la piste aux premières notes de ce thème, le tango vivra.
Paroles
No te pido explicaciones No me gustan las escenas, ¿Decís que vas a dejarme? Andá, qué le voy a hacer. Si es cierto que has de marcharte Me causará mucha pena, Mas prefiero esa franqueza A un innoble proceder. No me explico por qué causa Decidiste dar tal paso, Si ayer mismo me juraste: “Sos el dueño de mi amor.” ¿Te ha cansado la pobreza ? ¿Ya no me quieres, acaso? O encontraste quien te quiera Con más cariño y fervor.
Pensalo bien Antes de dar ese paso, Que tal vez mañana acaso No puedas retroceder. Pensalo bien, Ya que tanto te he querido, Y lo has echado al olvido Tal vez por otro querer.
Te agradezco los momentos Más felices de mi vida, Yo sé que vos me trajiste La luz en mi soledad. Ya ciego corrí a tu encuentro A descansar en tus brazos, Y mis noches angustiosas Con tu paz, las borré. Es por eso que te imploro De rodillas : « No te vayas. » Más que nunca yo preciso Las caricias de tu amor. Escuchame… te suplico Por mi viejita querida, ¡No te vayas!, Acordate Que vos juraste por Dios.
Juan José Visciglio Letra: Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias
Echagüe ne chante que ce qui est gras. 25 secondes qui restent dans l’oreille, une merveille.
Les paroles du refrain dites par Fernando Serrano.
Traduction libre
Je ne te demande pas d’explications, je n’aime pas les scènes. Tu dis que tu vas me quitter ? Va. Qu’est-ce que je vais faire ? S’il est vrai que tu dois partir, cela me causera beaucoup de chagrin. Mais je préfère cette franchise à un ignoble procédé. Je ne comprends pas pourquoi vous avez décidé de franchir un tel pas, si hier tu me jurais : « Tu es le propriétaire de mon amour. » La pauvreté t’a fatiguée ? Tu ne m’aimes plus, peut-être ? Ou tu as rencontré quelqu’un qui t’aime avec plus d’affection et de ferveur.
Réfléchi bien avant de franchir ce pas, que peut-être demain tu ne pourras pas revenir en arrière. Pense-le bien. Puisque je t’ai tant aimée et que tu l’as jeté à l’oubli, peut-être pour un autre amour.
Je te remercie pour les moments les plus heureux de ma vie. Je sais que tu m’as apporté de la lumière dans ma solitude. Alors aveugle, j’ai couru à ta rencontre pour me reposer dans tes bras. Et mes nuits angoissées, avec ta paix, je les avais effacées. C’est pourquoi je t’implore à genoux : « Ne t’en va pas. » Plus que jamais j’ai besoin des caresses de ton amour. Écoute-moi… Je t’en supplie pour ma chère mère. Ne pars pas ! Rappelle-toi que tu as juré par Dieu.
Autres versions
Il existe trois tangos portant le titre Pensalo Bien, mais un seul enregistrement nous restitue la création de Juan José Visciglio, Nolo López et Julio Alberto Cantuarias à l’époque de l’âge d’or du tango de danse. On ne s’en plaint pas, c’est notre tango du jour. Bien sûr, des orchestres contemporains se sont depuis lancés sur ce titre, je vous en propose deux.
Mais auparavant, je vais vous présenter les « faux » Pensalo bien.
Les « faux » Pensalo bien
Évidemment, ils ne sont pas faux. Ils ont juste le même titre et n’ont pas connu le même succès que notre tango du jour.
Cette version instrumentale a été composée par Edgardo Donato. Dès les premières secondes, on se rend compte que ce titre n’a rien à voir et comme il est instrumental, personne ne pourra penser qu’il a le même titre que notre tango du jour.
Pensalo bien composé par Alberto Calvera avec des paroles de Enrique López
C’est la version étiquetée par erreur dans la partition publiée par Charles Gorczynski. On remarquera tout de suite que cette version n’a rien à voir avec la partition présentée qui est bien celle de la version de Juan José Visciglio (notre tango du jour).
Pensalo bien 1929-10-10 — Orquesta Roberto Firpo con Teófilo Ibáñez. Pensalo bien 1929-10-23 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.Pensalo bien 1929-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
Comme bien souvent, Canaro enregistre une version de danse et une version chanson. Cette dernière avec Ada Falcón.
Pensalo bien 1959-09-21 — Orquesta Fulvio Salamanca con Luis Correa.
30 ans plus tard, Salamanca propose cette version qui, je le reconnais, aurait pu ne pas faire partie de ma sélection…
Le « vrai » Pensalo bien
Pensalo bien 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco.
Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco. Ce sexteto, aujourd’hui disparu, avait proposé des versions personnelles des grands succès du tango. Ici, Pensalo Bien, chanté par son leader, Javier Di Ciriaco. L’orchestre est un peu léger, ce n’est qu’un sexteto et de la part de cet orchestre, on pourrait attendre une version un peu plus énergique, mais c’est sympathique tout de même.
Pour terminer, une version un peu « cabotine » de Fernando Serrano…
Pensalo bien 2020, Fernando Serrano
C’est dansable et si tout comme la version du Sexteto Milonguero, ça ne peut pas faire oublier l’interprétation de D’Arienzo et Echagüe, c’est tout à fait recevable danse une milonga. L’avantage de cette vidéo, c’est qu’elle montre les deux instrumentistes (pianiste et bandonéoniste) à l’œuvre.
Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi, Ricardo Podestá et anonyme.
Pas besoin d’être un grand détective pour savoir qui est le Don Juan dont parle ce tango. Dans un des trois versions connues des paroles, il y a le nom et presque l’adresse de ce Don Juan. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que l’auteur en est un gamin de 13 (ou 15 ans).
Extrait musical
Partition pour piano de Don Juan de Ernesto Ponzio.Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo
Paroles de Alfredo Eusebio Gobbi (Mozos guapos)
Al compás de una marchita muy marcada y compadrona, a casa de ‘ña Ramona me fui un ratito a bailar. Por distraer las muchachas empecé a soltar tiritos y al ver esto los mocitos ya empezaron, ya empezaron a roncar.
Si en los presentes hay mozos guapos, que peguen naco, que vengan a mí. Que aunque sean muchos yo les daré palos porque soy más malo que el cumbarí.
Yo que no soy nada lerdo ni nada hay que yo no vea, comprendiendo que pelea se me trataba de armar, salí al patio y envolviendo al brazo el poncho de guerra hice una raya en la tierra y me le puse, me puse a cantar.
Salió el dueño de la casa, ‘ña Ramona y los parientes, “Perdonate por decente, mucho respeto y admiro”. Cuando uno haciendo rollo rascándose la cadera sacó un revólver de afuera dijo si me le pegó, le pegó un tiro.
Yo que estaba con el ojo bien clavado en el mocito, me largué sobre el maldito y el revólver le quité. Y después mirando a todos, y haciéndoles la pat’ ancha, les grité ¡ábranme cancha!, y enseguida, enseguida les canté.
Ernesto Ponzio Letra: Alfredo Eusebio Gobbi
Traduction libre des paroles de Alfredo Eusebio Gobbi
Au rythme d’une petite marche bien rythmée et compadrona, je suis allé un petit moment à la casa de la Ramona pour danser un petit moment. Pour distraire les filles, j’ai commencé à libérer des frissons et quand ils ont vu cela, les morveux ont commencé, à grogner.
S’il y a de beaux gosses ici, qui frappent dur, qu’ils viennent à moi. Que même s’il y en a beaucoup, je les battrai parce que je suis pire que le cumbarí. (Sorte de piment appelé en argot putaparió, fils de pute).
Moi, qui ne suis en rien terne et qu’il n’y a rien que je ne voie pas, comprenant qu’ils essayaient de m’entraîner, je suis sorti dans la cour et enroulant le poncho de guerre autour de mon bras, j’ai fait une ligne sur le sol et je me mis, je me mis à chanter.
La patrone de la maison, La Ramona et les parents, sont sortis : « Excusez-moi d’être décent, beaucoup de respect et d’admiration. » Quand l’un d’eux s’est raclé la hanche et a sorti un revolver, j’ai dit de dehors que s’il me touchait, je lui enverrai un tir. (Les paroles semblent évoquer l’histoire personnelle de Ponzio qui un peu plus tard tuera par accident le voisin de la personne qu’il voulait intimider et fut condamné à 20 ans de prison. Il était peut-être attiré par la personnalité des tauras et des compadritos au point d’en devenir un lui-même). Moi, qui avais l’œil fermement fixé sur le morveux, je me jetai sur ce maudit homme et lui ai pris le revolver. Et puis en regardant tout le monde, et en faisant toute une histoire, je leur ai crié : « Ouvrez-moi le champ ! », et immédiatement, immédiatement je leur ai chanté.
Paroles de Ricardo Podestá (El taita del barrio)
En el tango soy tan taura que cuando hago un doble corte corre la voz por el Norte, si es que me encuentro en el Sud. Y pa bailar la Yuyeta si es que me visto a la moda la gente me dice toda Dios le dé, Dios le dé, vida y salud.
Calá, che, calá. Siga el piano, che, dése cuenta usted y después dirá si con este taita podrán por el Norte calá che, qué corte, calá, che, calá.
No hay teatro que no conozca pues hasta soy medio artista y luego tengo una vista que hasta dicen que soy luz. Y la forma de mi cuerpo arreglada a mi vestido me hacen mozo muy querido, lo juro, lo juro por esta cruz.
Yo soy el taita del barrio, pregúnteselo a cualquiera. No es esta la vez primera en que me han de conocer. Yo vivo por San Cristóbal, me llaman Don Juan Cabello, anóteselo en el cuello y ahí va, y ahí va, así me quieren ver.
Ernesto Ponzio Letra: Ricardo Podestá
Traduction libre des paroles de Ricardo Podestá
Au tango, je suis tellement taura (caïd, baron du lieu) que quand je fais un double corte (figure de tango) la nouvelle se répand dans le Nord, si je me trouve dans le Sud. Et pour danser la Yuyeta (probablement une orthographe populaire de shusheta qui signifie élégant, déloyal ou qui ne peut pas garder un secret. On connait le tango EL aristócrata dont le sous-titre est shusheta, mais quel est le lien avec la danse ?), si je m’habille à la mode, les gens me disent que Dieu lui donne tout, Dieu lui donne, la vie et la santé.
Calá, che, calá. (???) Suivez le piano, che, vous vous en rendez compte et puis vous direz si avec ce taita ils pourront aller vers le nord Calá che, quelle coupe, Calá, che, calá.
Il n’y a pas de théâtre que je ne connaisse, car je suis à moitié un artiste et que j’ai une vue qui dit témoigne que je suis rapide, brillant. Et la forme de mon corps arrangée avec mes vêtements (aujourd’hui, un vestido est une robe…) fait de moi un bel homme apprécié, je le jure, je jure par cette croix.
Je suis le caïd du quartier, demandez à n’importe qui. Ce n’est pas la première fois que vous devez me rencontrer. J’habite à San Cristóbal (quartier de Buenos Aires), ils m’appellent Don Juan Cabello (Cabello, cheveux. On a son adresse, enfin, son quartier, mais si on le croit, il ne doit pas être difficile à trouver), écrivez-le sur ton col (on prenait parfois des notes sur le col amovible de la chemise, faute de papier sous la main) et voilà, et voilà, c’est comme ça qu’ils veulent me voir.
Histoire du thème
Ernesto Ponzio, se serait inspiré d’un air joué plus ou moins traditionnel, joué par un pianiste, qu’il a délogé pour continuer la composition avec sa création.
De fait, le thème de Don Juan s’écoute dans différents tangos, plus ou moins métamorphosés. Pour que cela soit pertinent, il ne faudrait prendre que des thèmes composés avant la création de Ernesto Ponzio, c’est-à-dire 1898 ou 1900.
On n’a pas d’enregistrement de l’époque de Qué polvo con tanto viento, mais deux reconstitutions modernes. Dans les deux cas on reconnaît le thème de Don Juan au début (ou pour le moins, quelque chose de semblable).
Qué polvo con tanto viento 1980 – Cuarteto de tango antiguo.
Une reconstitución par un quartette composé de Oscar Bozzarelli (bandonéon), Rafael Lavecchia (flute), Jose Romano Yalour (violon) et Maximo Hernandez (guitare). Ce quatuor tentait de reproduire les musiques perdues des premières années du tango.
Que polvo con tanto viento – Lecture midi du thème réécrit dans un logiciel de composition musicale par Tío Lavandina (Oncle la Javel, sûr que c’est un pseudo).
Soy tremendo 1909-10 – Orquesta Heyberger con Angel Villoldo.
Angel Villoldo “chante” et est aussi l’auteur de ce tango. On reconnaît le thème de Don Juan dans la première partie. Il se peut que ce thème soit antérieur à la composition de Ponzio, mais ce n’est pas sûr. Disons que c’est que l’air était dans… l’air du temps.
El rana
El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón.
El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Composé par Arturo Mathón. Joué et chanté par lui-même à la guitare, avec un accompagnement de bandonéon, par F. Raias. Au début et à 0:54, on entend le thème de Don Juan, mais c’est tellement moche que ça ne donne pas envie de l’écouter… Heureusement qu’il a écrit El apache argentino et que c’est Canaro avec son Pirincho qui l’a fait passer à la postérité… Vu que c’est probablement plus récent que Don Juan de Ponzio, cela peut aussi être une inspiration basée sur le thème de Ponzio. On notera que le titre devrait être « La rana », rana étant féminin. D’ailleurs plus loin, il chante sapo (crapaud) et le tango parle d’un gars, alors, c’est finalement logique.
El rana 1909c – Arturo A Mathón y F Raias. Le bandonéon n’était pas encore très fréquent. La Colubia n’a donc pas relevé l’erreur Mandoneon au lieu de bandoneón sur le disque…
On trouve un petit bout de cet air dans différents tangos, mais rien de bien pertinent et qui permettent de garantir que la source d’inspiration est le thème anonyme ou celui de Ponzio. Quoi qu’il en soit, le gamin Ponzio a commencé très jeune a fréquenté les lieux de « perdition ».
Autres versions
Don Juan Tango 1927-11 – Orquesta Argentina Victor.
On ne regrette pas de ne pas avoir de versions plus anciennes à l’écoute des vieilleries que je viens de vous présenter.
Don Juan 1928-03-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Don Juan 1929-08-02 – Orquesta Francisco Canaro.Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez.
Autre version par un orchestre Victor, cette fois, chanté par Alberto Gómez avec une partie des paroles de Ricardo Podestá (avec variantes).
Don Juan 1936-09-29 – Orquesta Juan D’Arienzo.
Pour moi, c’est la première version qui donne envie de danser. On y trouve les premières facéties de Biagi au piano, de beaux violons des bandonéons énergiques, le tout avec un tempo tout aussi bien marqué que pour les versions précédentes, mais plus rapide.
Don Juan 1940-11-08 – Charlo solo de acordeón con guitarras.
Une version très originale. Dommage que le son laisse à désirer. Il me faudra trouver un disque en meilleur état. Une guitare vraiment virtuose, non ?
Don Juan 1941-10-03 – Orquesta Di Sarli.Don Juan 1947-10-22 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.Don Juan 1948-06-15 – Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.
Très proche de l’enregistrement suivant du 1950-12-28.
Don Juan 1948-08-14 – Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy ».
Toujours le train d’enfer et virtuose de Cambareri. Une curiosité, mais pas trop pour la danse. Il l’enregistrera encore en 1956, dans un rythme comparable…
Don Juan 1950-12-28 – Juan D’Arienzo.Don Juan 1951-12-06 – Orquesta Carlos Di Sarli.Don Juan 1951-05-09 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Comme la version de Canaro de 1947, cette version donne le sourire, tout au moins à celui qui l’écoute, pour le danseur, c’est moins sûr.
Don Juan 1955-01-31 – Orquesta Carlos Di Sarli.Don Juan 1961 – Astor Piazzolla y su Quinteto. Comme d’habitude avec Piazzolla, on est dans un autre univers, très loin des danseurs… de tango.
Il y a bien sûr beaucoup d’autres enregistrements de ce thème qui bien qu’un de plus anciens continue de passer les siècles, du dix-neuvième à nos jours, mais après la version de Piazzolla, il me semble sage de réécouter une des versions de danse, par exemple notre tango du jour, une autre version de D’Arienzo ou une de Di Sarli…
Ou peut-être ce tout dernier exemple avec des paroles anonymes, qui n’ont d’ailleurs aucun intérêt, un petit couplet sur le tango ; du remplissage, en somme.
Don Juan 1965-09-07 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Aguirre.
Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)
Nous avons déjà parlé de Zorro gris (Renard gris), ici, nous évoquerons el Zorro plateado (Renard argenté). Les biologistes ne verront pas la différence, car ce sont deux dénominations pour le même animal de couleur gris-argenté. Mais ici, les deux content deux histoires totalement différentes et pour ainsi dire, complémentaires.
Extrait musical
Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino
Paroles
Zorro plateao te defendés y ya tenés cuarenta y cinco y un quemao. Zorro plateao todavía tallás y trabajás de enamorao… Zorro plateao si hay que correr en el campito del amor de punta a punta… vos ganás. Parecés el negro Acosta por lo bien que te apilás.
Si vas siguiendo un tango rezongón con una piba taura pa’bailar, porque te sobra fibra y corazón, rendida en tus brazos la llevás… Y así bebiendo el último compás del tango que se acaba en el salón.
Zorro plateado, vos mintiento otra ilusión… Zorro plateado, conozco bien la causa porque llegaste a solterón. Zorro plateado, por un querer hoy ha cerrado tu corazón… Pero pa’ vos la vida está brindándote siempre la última ilusión… ¡Zorro plateado! ¡Aunque también por dentro vos llevés tu precesión!
Charlo (Carlos José Pérez de la Riestra) Letra: Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)
Renard argenté, tu te défends et tu as déjà quarante-cinq ans bien sonnés (quemado, brûlé, pour dire que c’est plus que 45…). Renard argenté tu te lances et tu t’actives toujours en amour… Renard argenté, si tu devais courir dans le petit champ de l’amour de bout en bout… tu gagnerais. Tu ressembles au negro Acosta à cause de la façon dont tu te comportes. (Le negro Acosta (ou le singe [El mono] était Máximo Acosta, un jockey fameux qui en 1940 fut le jockey ayant gagné le plus de courses en une année avec 149 victoires. En 1942, il gagna six courses sur six à l’Hipódromo Argentino [Buenos Aires, quartier de Palermo]. Je vous laisse mesurer la comparaison… Héctor Wilde a écrit un tango nommé Máximo Acosta).
Si tu suis un tango plaintif avec une fille de première pour danser, parce que tu as beaucoup de fibres et de cœur, abandonnée dans tes bras, tu la porteras… et ainsi, buvant la dernière mesure du tango qui se termine dans le salon.
Renard argenté, tu feins une autre illusion… Renard argenté, je connais bien la raison pour laquelle tu es devenu célibataire. Renard argenté, pour un amour, aujourd’hui tu as fermé ton cœur… Mais pour toi, la vie est de toujours célébrer la dernière illusion… Renard argenté ! Même si tu portes aussi en toi tes non-dits ! Si dans Zorro gris, la femme était une prostituée ou assimilée, dont la seule richesse et consolation était son manteau en renard gris. Ici, on parle d’un homme, qui se donne les moyens de partir à la conquête des femmes qu’il convoite. Ce personnage pourrait paraître odieux, mais Enrique Cadícamo décrit avec pudeur les causes de son « instabilité ». Ce n’est certes pas une excuse, mais un début d’explication.
Máximo Acosta, le jockey cité dans les paroles.
Autres versions
Contrairement à Zorro gris, ce tango n’a pas suscité beaucoup d’enregistrements. Je vous en propose deux.
Zorro plateado 1943-01-13 — José García y su Orquesta « Los Zorros Grises » con Alfredo Rojas.
Évidemment, quand son orchestre s’appelle les renards gris (Los zorros grises), on ne peut pas passer à côté du titre… Cela dit, il n’a pas enregistré Zorro gris, comme quoi, nul n’est parfait.
Zorro plateado 1943-06-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour
Et comme vous savez que je suis farceur, je vous propose un dernier renard avec un autre Garcia.
Zorro y el Sargento García – Zorro et le sergent Garcia.
Sueño florido est une jolie valse, principalement connue par un enregistrement de Juan D’Arienzo. Elle a été écrite par Roberto Firpo et enregistrée en premier par Cayetano Puglisi. Il ne faut pas confondre avec le tango du même titre, écrit par Cayetano Puglisi et joué par Roberto Firpo… Je vous amène faire quelques tours avec cette valse.
Extrait musical
1Partition pour piano de Sueño florido tirée du Jornal das Moças (Journal des jeunes femmes) qui était un magazine illustré, hebdomadaire ou bimensuel selon les époques, édité au Brésil. On peut consulter les numéros de 1914 à 1961 en ligne, ce qui est une source précieuse sur les mœurs et points d’intérêt de l’époque, du moins ceux des jeunes femmes brésiliennes de l’époque.Sueño florido 1929-06-13 — Sexteto Cayetano Puglisi.
Comme pour beaucoup de valses de l’époque, une longue introduction (28 secondes) débute le morceau. Comme DJ, on peut la laisser ou débuter après l’introduction, directement dans le feu de l’action. En général, on laisse l’introduction pour le premier thème d’une tanda, cela laisse le temps aux danseurs d’inviter. En revanche, il faut annoncer que ce sont des valses, sinon, les danseurs peuvent se regarder avec des airs inquiets si c’est un air qui ne leur est pas familier, comme celui-ci. Pour revenir à l’écoute de cette valse, on notera la présence somptueuse du violon de Cayetano Puglisi, les bandonéons, la contrebasse et le piano étant utilisé pour le marquer le rythme. Vous remarquerez également la sensation d’accélération finale, qui sera également la marque de fabrique des valses de Juan D’Arienzo. Rappelons que c’est un artifice, pas une réalité. On s’en rendra compte en remarquant que les violons continuent au même rythme. Ce sont, dans le cas présent, les bandonéons qui provoquent l’illusion en jouent trois croches (triolets) sur chaque temps, au lieu de deux croches ou d’une noire. La partition est en mesure 6/8, 6 croches dans une mesure. Puisque j’ai parlé des instruments, je vous propose de citer la composition de l’orchestre : Cayetano Puglisi et Mauricio Mise (violons), Federico Scorticati et Pascual Storti (ou Domingo Triguero) (bandonéons), Armando Federico (piano) et José Puglisi (contrebasse).
Le Sexteto de Cayetano Puglisi au centre (direction et violon), Federico Scorticati (bandonéon), Armando Federico (piano), Domingo Triguero (bandonéon) en échange de Pascual Storti, José Puglisi (contrebasse), Mauricio Miserizky (Mise) (violon).
Les trois frères Puglisi
Comme Pugliese, les Puglisi sont originaires du sud de L’Italie. Leur nom de famille évoque les Pouilles et parfois, certains confondent Puglisi et Pugliese… Non, je ne donnerai pas de nom, mais c’est assez courant 😉 Les trois frères Puglisi sont nés en Italie et sont venus avec leurs parents en Argentine, en 1909.
Cayetano, Emilio et José Puglisi
Le grand frère, Cayetano, est né en 1902 à Messine (Sicile). Il était violoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il avait donc environ sept ans à son arrivée en Argentine.
Cayetano était un violoniste très doué, comme vous avez pu l’entendre. Tout jeune, il s’est orienté vers la musique classique sous l’impulsion de son professeur, Osvaldo Pessina, qui avait détecté ses talents. À la suite d’un concert, il s’est vu offert par le journal La Prensa, une bourse pour approfondir ses études musicales en Europe. La chance, pour le tango, est que la Guerre de 1914-1918 l’empêcha de se rendre en Europe. Il monta un trio avec deux autres gamins (12 à 13 ans), Carlos Marcucci (bandonéon) et Pedro Almirón puis Julián ou LuisRobledo (piano). Roberto Firpo le remarqua et le fit entrer comme second violon dans son orchestre. Mais le plus important est que Firpo guida Cayetano vers le tango pour l’aider à être le musicien qu’il fut dans ce domaine. Un coup de pouce de Firpo quand on a à peine 14 ans, c’est une chance.
Deux portraits de Cayetano Puglisi.
Le cadet des trois frères, Emilio, est né en 1905 et était violoniste et compositeur. Il avait environ 4 ans à son arrivée. Il était en 1928, dans le Sexteto de Juan Bautista Guido, notamment pour jouer dans les cinémas. Peu après, il remplaça son frère, probablement jusqu’en 1933 dans l’orchestre de Pedro Maffia, au côté d’Elvino Vardaro. Dans les années 40, il était violoniste dans l’orchestre de Francisco Canaro. Le benjamin, José, né en 1908, était donc bébé lors de son arrivée en Argentine en 1909. Contrairement à ses frères, il a choisi des instruments à cordes plus imposants puisqu’il jouait du violoncelle et de la contrebasse. Hormis une collaboration avec son frère, notamment en 1923 où ils jouaient dans les cinémas, José travaillera dans la musique classique, notamment au théâtre Colón où il fit carrière.
Autres versions
La première version est notre valse du jour.
Sueño florido 1929-06-13 — Sexteto Cayetano Puglisi. C’est notre valse du jour.Sueño florido 1936-01-31 — Orquesta Juan D’Arienzo.
C’est la version la plus connue, régulièrement passée en milonga.
Sueño florido 1939-04-05 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Finalement, Firpo se décide à enregistrer sa composition…
L’autre Sueño florido
Ce titre qui est un tango a été composé par Cayetano Puglisi et Luis Elías Cosenza. Il existe des paroles par Dante A. Linyera (Francisco Bautista Rímoli). Ce n’est pas vraiment un retour à l’envoyeur, car Firpo a enregistré le sueno florido de Cayetano Puglisi avant que ce dernier enregistre le sien… N’oublions pas que Firpo avait pris sous son aile le très jeune Cayetano et cet échange est donc très logique. C’est un témoignage de leur amitié.
Sueño florido (Tristeza de barrio) 1928-08-03 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Charlo chante les paroles de Dante A. Linyera.
Sueño florido (Tristeza de barrio) 1928-10-11 – Orquesta Roberto Firpo.
Nous restons avec Mariano Mores qui nous avait donné Uno hier pour une autre merveille, Una lágrima tuya. Les paroles sont d’Homero Manzi, on reste dans le très haut du registre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Corrientes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très surpris par ce tango, mais est-ce vraiment un tango?
Fiorentino — Ruiz?
Pour cette œuvre un peu hors norme, José Basso s’est adjoint deux chanteurs de premier plan, Francisco Fiorentino et Ricardo Ruiz. On est habitué à associer Francisco Fiorentino à Troilo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son propre orchestre dont il confia la direction à Astor Piazzolla. Ce dernier partant à son tour, Fiorentino ira en 1948 chanter pour deux ans avec Basso. De son côté Ricardo Ruiz est associé à Fresedo. Cependant, il avait quitté cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il travaille avec Basso. En 1949, il est donc logique de trouver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Basso.
Extrait musical
Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. Avec la photo de Mariano Mores, la partition de Una lagrima tuya.
Je pense que dès les premières mesures, vous avez été surpris par le rythme de cette œuvre. Les connaisseurs auront reconnu le rythme du malambo. Vous connaissez sans doute le malambo sans le savoir, car son élément essentiel est le zapateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacarera. C’est une démonstration d’agilité, un défi que se lançaient les gauchos au XIXe siècle. C’est devenu aujourd’hui un élément de folklore et les groupes de danses traditionnelles présentent cette danse si enthousiasmante à pratiquer. Comme il s’agit d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’agit pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milongas, ou de petits battements de pieds, légers qui semblent caresser le sol. Il n’y a pas à proprement parler de chorégraphie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’agit plutôt d’un duelliste) fait preuve d’imagination et de créativité pour effectuer les figures les plus audacieuses. Le gagnant du duel est celui qui reste, le perdant part, épuisé ou dégoûté par les capacités de son adversaire. La chacarera offre une forme « civilisée » du malambo. Pas question de se livrer à des exubérances, il s’agit de conquérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacarera est une danse de groupe et un peu d’harmonie dans l’ensemble est de rigueur.
Cette vidéo présente un duel de malambo effectué par deux adolescents. Vous reconnaîtrez la musique initiale qui est celle de notre « tango » du jour. C’est une création de Canal Encuentro, une merveilleuse chaîne culturelle argentine, malheureusement menacée, car la culture n’entre pas dans les priorités du nouveau président argentin, Javier Milei.
Dans la seconde partie de la musique, on retrouve une autre musique traditionnelle, la huella (à partir de 1 h 30). Vous connaissez certainement cette musique popularisée par Ariel Ramírez dans sa Misa criolla.
Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pouvez entendre ici une interprétation de La Peregrinación (huella pampeana) faisant partie de la Misa Criolla. Il s’agit ici d’une danse chorégraphiée par un groupe de danse traditionnelle, mais on peut se rendre compte qu’il y a des similitudes avec la chacarera (vueltas et zapateos, par exemple).
Avec une référence au malambo norteño et à la huella pampeana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Argentine.
Paroles
Una lágrima tuya me moja el alma, mientras rueda la luna por la montaña.
Yo no sé si has llorado sobre un pañuelo nombrándome, nombrándome, con desconsuelo.
La voz triste y sentida de tu canción, desde otra vida me dice adiós.
La voz de tu canción que en el temblor de las campanas me hace evocar el cielo azul de tus mañanas llenas de sol.
Una lágrima tuya me moja el alma mientras gimen las cuerdas de mi guitarra.
Ya no cantan mis labios junto a tu pelo, diciéndote, diciéndote, lo que te quiero.
Tal vez con este canto puedas saber que de tu llanto no me olvidé, no me olvidé.
Mariano Mores Letra: Homero Manzi
Traduction libre
Une de tes larmes mouille mon âme, tandis que la lune roule sur la montagne. Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mouchoir en me nommant, inconsolable. La voix triste et sincère de ta chanson, d’une autre vie, me dit adieu. La voix de ta chanson qui dans le tremblement des cloches me fait évoquer le ciel bleu de tes matinées pleines de soleil. Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma guitare gémissent. Mes lèvres ne chantent plus, collées à tes cheveux, te disant, te disant, combien je t’aime. Peut-être qu’avec cette chanson, tu pourras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.
Mariano Mores et le folklore
Ce n’est pas la seule fois où Mariano Mores fait référence au folklore dans ses compositions., par exemple : Adiós, pampa mía qui incorpore des rythmes de pericón nacional et de estilo. El estrellero (cheval qui lève la tête continuellement, ce qui gêne le cavalier) avec rythme de estillo. Lors de ses tournées internationales, il était toujours accompagné de ballets de folklore, car, il ne laissait jamais de côté les danses folkloriques.
Autres versions
Una lagrima tuya 1948 — Orquesta Juan Deambroggio Bachicha con José Duarte.
Ce titre a été enregistré en France et édité par Luis Garzon qui a par ailleurs publié sa propre version dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 semble bien précoce. J’ai contacté les éditions Luis Garzon, si j’obtiens des informations j’adapterai la date, si nécessaire.
Una lágrima tuya 1949-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero y Aldo Calderón.
Cette version a connu le succès dès son lancement sur disque et à la radio. C’est la première version avec les paroles définitives de Manzi.
Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz. C’est notre version du jour.Una lágrima tuya 1949-10-13 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.
Canaro sort sa version, sans duo, un mois après la sortie du film dans lequel il est intervenu. Pour une fois, il n’est pas dans les premiers à avoir enregistré (sauf si on tient compte de la version du film enregistrée en août 1948).
Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril.
Una lágrima tuya 1949 — Orquesta Atilio Bruni con Hugo Del Carril. Une version bien adaptée au zapateo dans sa première partie (malambo), avec la belle voix chaude de Del Carril. Mariano Mores aurait aimé que De Carril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chanta.
Una lágrima tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón.
La qualité de cet enregistrement est très mauvaise, car c’est un enregistrement acétate, un support peu durable. Il a été réalisé en public lors d’un concert à San Pablo au Brasil et a été retransmis par Radio Bandeirantes. On peste contre ce son effroyable, mais quelle prestation ! On notera l’accent brésilien du présentateur qui annonce le titre, évoquant le malambo.
Una lágrima tuya charlo 1951-12-18 – Charlo y su orquesta.
Une belle version avec la voix qui domine un orchestre dont l’orchestration est originale.
Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli.
Una lágrima tuya 1953 — Cristóbal Herrero y su orquesta típica Buenos Aires con Rodolfo Díaz y Beatriz Maselli. Pas étonnant que Herrero enregistre ce titre, car il avait été catalogué par Odeon du côté du folklore et ils lui faisaient enregistrer cela plutôt que du tango. Il était donc un spécialiste des deux genres, mais aurait préféré enregistrer du tango. Cet enregistrement est donc une revanche, car il a coupé l’introduction en malambo. Il n’a gardé que les accords finaux, typiques du malambo. On retrouve la marche, marquée par le bandonéon, mais guère plus que les autres versions, celle-ci est adaptée aux danseurs exigeants. L’autre originalité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.
Una lágrima tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con Héctor Insúa.
Le Japon s’est toqué du tango et les tournées des orchestres argentins ont été des succès formidables.
Una lágrima tuya 1954 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin.
Oui, comme je l’ai mentionné à diverses reprises, l’histoire du tango n’est pas qu’en Argentine et Uruguay. Luis Tuebols a continué à promouvoir le tango en France, notamment en enregistrant avec Riviera, puis Barclay. Cet enregistrement fait partie des enregistrements avec Riviera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Barclay.
Una lágrima tuya 1957-04-30 – Orquesta Mariano Mores con Enrique Lucero.
Voici comment Mariano Mores interprète sa création. On remarquera la voix profonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enregistrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mariano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pourrez voir cette vidéo à la fin de cet article.
Una lagrima tuya 1959 c — Primo Corchia y su Orquesta.
Primo Corchia, encore un exemple français du tango (même s’il est né en Italie, il a fait toute sa carrière en France).
Una lágrima tuya 1961-05-05 — Orquesta José Basso.
Un autre enregistrement de José Basso, instrumental celui-ci. Il assume parfaitement son affiliation au folklore. Le rythme est plus rapide que dans la version de 1949. J’espère que ce petit coup de projecteur sur ce musicien trop souvent négligé, José Basso vous donnera envie d’en écouter, voire danser, plus.
Et pour terminer cette liste bien incomplète, je vous propose deux curiosités :
Una lagrima tuya 1961 c— Orchestre Luis Garzon.
C’est celui qui aurait publié dès 1948 l’enregistrement de Bachicha. Cette version est purement musette. Le beau rythme de marche du malambo du départ, se commue en rythmique de tango musette, mais pas tout le temps. J’imagine que c’est une des raisons du succès de ce tango en France, la marche très marquée écrite par Mores s’adapte parfaitement au style musette. Le terme musette, vient de l’instrument à vent, de la famille des cornemuses, utilisé dans les bals populaires en France. Contrairement aux instruments des Écossais, la musette appelée cabrette dans le Massif-Central se remplit à l’aide d’un soufflet et non pas en soufflant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.
Una lagrima tuya y Adiós Pampa mía 1994 – Roberto Gallardo y su gran orquesta con Beatriz Suarez Paz y Oscar Larroca (hijo).
Deux titres de Mariano Mores ayant trait au folklore, enchaînés, Una lágrima tuya et Adiós Pampa mía. Le nom du chanteur vous dit certainement quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chanta si bien, par exemple avec De Angelis. Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.
Corrientes, calle de ensueños, le film
Corrientes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Barreto sur un scénario de Luis Saslavsky sorti le 29 septembre 1949.
Une publicité pour le film Corrientes, calle de ensueños. Cette rue a une histoire et je dois la conter.
Homero Manzi, peu de temps avant sa mort, regrettait de ne pas avoir travaillé en collaboration avec Mariano Mores. Oscar Del Priore et Irene Amuchástegui racontent dans Cien tangos fundamentales (Mariano Mores a d’ailleurs écrit le prologue de ce livre…) que Mores de visite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui proposer pour sa musique. En réalité, les paroles définitives évolueront, jusqu’à la version que donnera Canaro avec Alonso en 1949, quelque temps avant le lancement du film. Canaro était bien placé pour connaître cette œuvre, puisqu’il l’interprète, justement à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présenter. Parmi les acteurs, Mariano Mores, lui-même, dans son premier rôle au cinéma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien terminer cette chronique.
Mariano Mores joue Una lágrima tuya au piano au début du film Corrientes, calle de ensueños
Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…
Extrait musical
Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán
Paroles
Uno busca lleno de esperanzas El camino que los sueños prometieron a sus ansias Sabe que la lucha es cruel y es mucha Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina Uno va arrastrándose entre espinas Y en su afán de dar su amor Sufre y se destroza hasta entender Que uno se quedó sin corazón Precio de castigo que uno entrega Por un beso que no llega O un amor que lo engañó Vacío ya de amar y de llorar Tanta traición Si yo tuviera el corazón El corazón que dí Si yo pudiera, como ayer Querer sin presentir Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño Los cerrara con mil besos Sin pensar que eran como esos Otros ojos, los perversos Los que hundieron mi vivir Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor
Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède. Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé. Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons. Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné. Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie. Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu. Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.
Autres versions
Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.
Uno 1943-05-26 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre tango du jour.Uno 1943-05-28 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.
Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque. C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…
Affiche du film El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía avec Libertad Lamarque.
En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance. Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale. Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.
Libertad Lamarque canta el tango UNO, en la película “El fin de la noche”, dirigida por Alberto de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Florence Marly… Pilar, Jorge Villoldo… Caissier du bar et Libertad Lamarque… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.
Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.
Uno 1943-06-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino arr. de Astor Piazzolla.
C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.
Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orquesta.
Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec Donato Racciatti en 1959.
Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours. Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur. Le résultat peut être différent de ce qui a été jouée. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu. Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque. En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :
L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.
Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.
Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. Version tirée du 78 tours de la Víctor.
Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…
Uno 1943-11-23 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.
Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…
Uno 1944 Alberto Gómez con Adolfo Guzmán y su conjunto.
Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.
Uno 1944-04-11 — Orquesta Rodolfo Biagi con Carlos Acuña.
On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.
Uno 1946 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Agustín Irusta.
Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposée de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.
Uno 1951-12-18 — Charlo y su orquesta.
Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.
Uno 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal.
Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.
Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…
Uno 1961-05-18 — Orquesta José Basso.
José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.
Uno 1963 — Argentino Ledesma y su orquesta.
De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.
Uno 1965 – Orquesta Jorge Caldara con Rodolfo Lesica.
On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie. Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.
N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.
En Argentine, le premier mai est férié. Tous les magasins sont fermés et seuls quelques services jugés essentiels fonctionnent. Tout au plus quelques bars ouvrent dans la soirée. Les maisons de disques fermant aussi, il ne semble pas y avoir de tangos enregistrés pour le jour des travailleurs et travailleuses (Día Internacional del trabajador y la trabajadora comme on dit en Argentine). Mais il y a des choses à dire sur le sujet…
Haragán
Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera
Extrait musical
Haragán, partition pour piano. Superbe illustration de couverture par Sandro
Il y a de très nombreuses versions de Haragán et bien sûr, aucune n’est du premier mai. J’en ai donc choisi une, mais vous avez beacoup d’autres à écouter après la présentation des paroles. J’ai choisi celle de Rafael Canaro car elle est sympa et qu’on l’entend moins que son frangin, Francisco qui a aussi donné sa version du thème, une version que j’aime bien car elle est amusante. Mais le thème de Haragán est amusant, comme en témoigne l’illustration de la partition…
Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos Dante
Paroles de Haragán
Sofia Bozán a été la première à chanter Haragán. C’était en 1928, au théâtre Sarmiento. Malheureusement, il ne semble pas y avoir d’enregistrements de cette prestation.
¡La pucha que sos reo y enemigo de yugarla! La esquena se te frunce si tenés que laburarla… Del orre batallón vos sos el capitán; vos creés que naciste pa’ ser un sultán. Te gusta meditarla panza arriba, en la catrera y oír las campanadas del reló de Balvanera. ¡Salí de tu letargo! ¡Ganate tu pan! Si no, yo te largo… ¡Sos muy haragán!
Haragán, sí encontrás al inventor del laburo, lo fajás… Haragán, si seguís en ese tren yo te amuro, Cachafaz Grandulón, prototipo de atorrante robusto, gran bacán; despertá, si dormido estás, pedazo de haragán.
El día del casorio dijo el tipo ‘e la sotana: «El coso debe siempre mantener a su fulana». Y vos interpretás las cosas al revés: ¡que yo te mantenga es lo que querés! Al campo a cachar giles que el amor no da pa’ tanto. A ver si te entreveras porque yo ya no te aguanto… Si en tren de cara rota pensás continuar, « Primero de Mayo » te van a llamar.
Enrique Pedro Delfino Letra: Manuel Romero, Luis Bayón Herrera
Traduction libre de Haragán
Putain ! (c’est en fait une exclamation de surprise, de dégoût, pas la désignation d’une pute au sens strict) tu es condamné et ennemi du travail ! (yugar ou yugarla – travail) Ton dos se tord s’il te faut travailler… Du bataillon des condamnés (orre est reo en verlan), tu es le capitaine ; Tu crois être né pour être un sultan. Tu aimes méditer le ventre à l’air, sur le lit (catrera = lit en lunfardo) et entendre les cloches de l’horloge de Balvanera. Sors de ta léthargie ! Gagne ton pain ! Sinon, je te jette dehors… Tu es trop paresseux !
Paresseux, Si tu croises l’inventeur du travail, tu le roue de coups… Paresseux, si tu continues ainsi (dans ce train), je t’abandonne (amuro en lunfardo a différentes significations, dont celle de quitter pour un autre), Cachafaz (il ne s’agit pas bien sûr de El Cachafaz, mais du terme lunfardo qui signifie paresseux, coquin, voyou, sans vergogne et autres choses peu aimables). Grand gaillard, Prototype de l’oisif (attorante) robuste, grand profiteur (un bacan, est un individu qui jouit de la vie. En général un bacan a de l’argent, il entretient une courtisane, mais là, il n’en a que les façons, pas le portefeuille) ; Réveille-toi, si tu es endormi gros tas (pedazo est un amoncellement) fainéant.
Le jour du mariage, le type en soutane a dit : « Le mec doit toujours entretenir sa moitié. » Et tu interprètes les choses à l’envers : Que je t’entretienne, c’est ce que tu veux ! À la campagne pour attraper des idiots pour l’amour ne donne pas pour si cher. Voyons si tu vas t’emmêler les pinceaux (là, ce serait plutôt se remuer qu’emmêler) parce que là, je ne te supporte plus… Si tu prévois de continuer sur un train en panne « Primero de Mayo », ils vont te nommer (en lunfardo, un primero de mayo est un fainéant qui fait de chaque jour un 1er mai, jour férié).
Le même jour que Canaro, Lomuto produit une version instrumentale. Comme souvent, cette version peut faire penser à Canaro, mais elle est un peu moins imaginative. La concordance de date fait qu’il est amusant de comparer les deux versions.
Haragán 1928 – Enrique Delfino (piano y canto) y Manuel Parada (guitarra).
Une version par l’auteur de la musique au piano, je vous en présenterai deux autres…
Haragán 1928-09-11 — Azucena Maizani con acomp. de Dúo Enrique Delfino (piano) y Manuel Parada (guitare).
Les mêmes musiciens, avec le renfort d’Azucena…
Haragán 1928-09-25 — Orquesta Osvaldo Fresedo.
C’est une version instrumentale, mais on entend bien la « fatigue » du paresseux.
1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho (version instrumentale).
Haragán 1928-09-28 – Orquesta Juan Maglio Pacho – Disco-Nacional-Odeon-No.7591-A-Matriz-e-3264
Haragán 1929-06-21 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (guitarras) Haragán 1929 – Ignacio Corsini acomp. de guitares. L’autre Gardel…Haragán 1929 – Orquesta Rafael Canaro con Carlos DanteHaragán 1929 — Enrique Delfino (piano) y Antonio Rodio (violin).
Une version instrumentale très sympa. Dommage que le son ne soit pas de bonne qualité…
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé)
Haragán 1929 — Alina de Silva (acomp. accordéon et piano). Un enregistrement français de chez Pathé).
Pas d’enregistrement notable du titre dans les années 30, il faut attendre 1947 et… Astor Piazzolla, pour le retrouver sur un disque.
Haragán 1947-04-15 – Astor Piazzolla y su Orquesta Típica con Aldo CampoamorHaragán 1955-12-14 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno.
Une version tonique, une chanson mais quasiment dansable. Un résultat dans la lignée de cambalache ou des enregistrements de Tita Merello (qui a d’ailleurs enregistré aussi cambalache…).
Haragán 1958-07-29 — Diana Durán con acomp. de Oscar Savino.
Une version chantée par une femme énergique. Notre Haragán n’a qu’à bien se tenir.
Haragán 2013 — Stella Milano.
Une des plus récentes versions de ce thème qui est toujours d’actualité…
Autres musiques
D’autres musiques pourraient convenir pour un premier mai, par exemple :
Al pie de la Santa Cruz 1933-09-18 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas, Horacio Pettorossi.
Ce tango a été interdit, car il parle de grève…
Trabajar, nunca 1930-06-11 — Tita Merello con orquesta (Juan Carlos Bazán Letra : Enrique Carrera Sotelo).
Un tango humoristique qui pourrait être la réponse du Haragán a sa femme, sous forme de bonnes résolutions pour l’année nouvelle et qui se termine par, « j’accepte tout en ton nom, mais le travail, ça, non ! » L’argot utilisé dans ce tango est similaire à celui de Haragán.
Seguí mi consejo 1929-06-21 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José María Aguilar (Salvador Merico Letra: Eduardo Salvador Trongé).
Encore un tango qui donne de bons conseils pour ne rien faire… Un véritable manuel du haragán.
Seguí mi consejo 1947-01-29 — Orquesta Enrique Rodríguez con Ricardo Herrera.
Une version dansable de ce titre. Sans doute à passer un premier mai, ou pour se moquer d’un danseur un peu paresseux…
Oui, oui, j’ai bien trouvé un tango qui portait la date du jour. Osvaldo Jiménez à la guitare et au chant a mis en musique le poème 1° de mayo de Luis García Montero… Bon, ce n’est pas le tango du siècle, mais ça montre que le tango est toujours en phase de création et que l’association entre les poètes et les musiciens fonctionne toujours.
1° de mayo — Osvaldo Jiménez y Luis García Montero (Tango).La photo de couverture est un mural intérieur, peint à l’huile, de 4,5x6m de Ricardo Carpani appelé 1ero de Mayo. Il se trouve au Sindicato de Obreros del Vestido, rue Tucumán au 737. Il a été réalisé en 1963 et pas en 1964 comme le disent presque toutes les sources. J’ai rajouté la signature (Carpani).
Ceux qui fréquentent les milongas portègnes ont sans doute été étonnés de voir la quantité de bouteilles de champagne qui peuplent les tables. Ce breuvage a même des tangos à son nom. Toutes les boissons ne peuvent pas en dire autant. La última copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous conte ce tango.
Il y a champagne et champagne
L’Argentine est un grand pays de viticulture et de vin. Elle propose des vins somptueux, curieusement presque tous nommés du nom du raisin qui les composent. On va prendre un Merlot, un Cabernet, une Syrah, un Chardonnay… Le champagne que l’on trouve sur les tables des milongas n’a de champagne que le nom, tout comme le Roquefort. Il est produit sur place, notamment à Mendoza et en Patagonie. Progressivement, sous la pression des viticulteurs français, le nom change pour laisser apparaître « méthode champenoise » ou autre indication laissant penser que c’est du Champagne, sans le dire vraiment. J’imagine que les viticulteurs français de Champagne ne tiennent pas en grande estime ces vins, bien que certains se vendent en Argentine bien plus cher que les « vrais » champagnes de supermarché français. Cependant, dans les milongas, c’est bien un mousseux standard qui vous sera servi comme champagne. Revenons à notre última copa. Je vous propose de l’écouter… dans une vingtaine de versions…
Extrait musical
La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.
C’est une version bien rythmée, avec une accentuation forte des temps. Tanturi est considéré comme un orchestre facile à danser. Pour cette raison, on le rencontre souvent dans les encuentros. Ici, c’est la voix de Castillo qui déclame les paroles, tout au moins les deux premiers couplets et deux fois le refrain. Le chant commence à 1 minute, après la présentation par les bandonéons et les violons du thème, le violon travaillant surtout en ponctuation. À 2 : 05 Castillo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour terminer, juste avant les deux traditionnels accords de Tanturi (accord sur dominante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).
Les paroles
Eche, amigo, nomás, écheme y llene Hasta el borde la copa de champagne Que esta noche de farra y de alegría El dolor que hay en mi alma quiero ahogar
Es la última farra de mi vida De mi vida, muchachos, que se va Mejor dicho, se ha ido tras de aquella Que no supo mi amor nunca apreciar
Yo la quise, muchachos y la quiero Y jamás yo la podré olvidar Yo me emborracho por ella ¿Y ella, quién sabe qué hará?
Eche, mozo, más champagne Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar Y si la ven, amigos, díganle Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue
Y brindemos, nomás, la última copa Que, tal vez, también ella ahora estará Ofreciendo en algún brindis su boca Y otra boca, feliz, la besará
Eche amigo, nomás, écheme y llene Hasta el borde la copa de champagne Que mi vida se ha ido tras de aquella Que no supo mi amor nunca apreciar
Yo la quise, muchachos, y la quiero Y jamás yo la podré olvidar Yo me emborracho por ella ¿Y ella, quién sabe qué hará?
Eche, mozo, más champagne Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar Y si la ven, amigos, díganle Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue
Francisco Canaro Letra: Juan Andrés Caruso
Castillo chante ce qui est en gras.
Juan Andrés Caruso. 20 septembre 1890, 1er mars 1931.
Traduction libre
Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car en cette nuit de réjouissances et de joie, je veux noyer la douleur qui est dans mon âme. C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est partie avec celle que mon amour n’a jamais su apprécier.
Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pourrai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera. Verse, mozo (garçon, serveur) plus de champagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.
Et trinquons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aussi, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera. Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su apprécier.
Pour ceux qui disent que le tango raconte des histoires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, parle plutôt d’un repentir, repentir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En parallèle de la détresse « théâtrale » du conteur, il y a eu auparavant la tristesse de la femme négligée. Le champagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aussi de la tristesse. C’est un compagnon supplémentaire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siècle, depuis, pour le moins, que le tango s’est énivré du breuvage français dans les établissements parisiens au début du vingtième siècle. Canaro est le compositeur de la musique. Caruso et Canaro furent amis, lorsque Caruso fut de retour d’exil, vers 1910. Caruso a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beaucoup ont été joués par Canaro.
Les versions
Canaro a été le premier à avoir enregistré le titre et il l’a fait à de nombreuses reprises. C’est lui qui commence la liste des versions.
La última copa 1926 — Orquesta Francisco Canaro.
La plus ancienne version enregistrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caruso. Le son est médiocre, aussi vous n’entendrez pas ce titre en milonga. Mais rassurez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres versions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.
La última copa 1927-03-23 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.
Irusta, l’année suivante chante les paroles de Caruso. C’est la première version chantée et l’enregistrement électrique rend le titre plus agréable à écouter.
La última copa 1927-06-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Une version en chanson. On la comparera avec celle d’Héctor Mauré de 1954.
La última copa 1931-04-22 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
Canaro nous offre avec sa chérie, une version chanson du thème.
La última copa 1931-05-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Une version de danse, chantée par Charlo, chanteur de estribillo.
La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est le tango du jour.La última copa 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
Une très belle version, mais pas forcément parfaite pour la danse. Les danseurs pourraient toutefois pardonner cela au DJ, car elle est superbe.
La última copa 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. Valse.
Une version originale en valse. Sosa avait gagné un prix en Uruguay qui consistait à enregistrer des disques. Le son n’est pas parfait, mais cette version originale mérite l’écoute, voire la danse.
Une version dansable avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milongas.
La última copa 1957-05-20 — Dalva de Oliveira con acomp. de Francisco Canaro.
Avec ce septième enregistrement, Canaro a fait le tour. Ici une version à écouter par Dalva de Oliveira, à comparer avec celle d’Ada Falcón enregistrée 26 ans plus tôt.
La última copa 1958-04-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.
Un De Angelis et Godoy classique. Bien dansable, enregistré par l’orchestre des calesitas.
La última copa 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.
Une version sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéressante
La última copa 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone con Mario Bustos.
L’orchestre sert bien la voix de Bustos. Je ne proposerai pas pour la danse, mais c’est intéressant.
La última copa 1968-10-18 — Sexteto Tango con Jorge Maciel.
Le Sexteto Tango héritier de Pugliese donne sa version sans renier son modèle. Voir N… N…. Une version pour l’écoute avec une belle intro, une caractéristique de cet orchestre.
La última copa 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
Une voix de ténor bien différente de celle de Mario Bustos. Je pense cette version moins intéressante que la précédente de Sassone.
La última copa 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. par Carlos Lazzari con Walter Gutiérrez.
Souvent présenté comme étant un enregistrement de D’Arienzo, c’est en fait un enregistrement réalisé par ses solistes dirigés par Lazzari, qui était un de ses bandonéonistes et arrangeur, 11 après la mort du chef historique. Une version tonique, mais plus dans le style chanson que tango chanté. Cependant, elle est dansable, même si ce titre ne porte vraiment l’improvisation.
La última copa 2003 — Orquesta Mancifesta con Miguel Ángel Herrera.
Cet orchestre a commencé sa carrière à la fin de la vague Tango (1953). On lui doit cependant des enregistrements intéressants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milonga, mériterait d’être plus entendu, même s’il n’est pas à la hauteur des plus grands orchestres. N’oublions pas que certains danseurs aiment être surpris par des versions inconnues.
Il est des courriers qu’on n’aime pas recevoir. C’est ce qui est arrivé à Francisco Fiorentino qui a reçu un courrier définitif, mais qui réagit en homme. L’interprétation qu’il en fait avec le merveilleux orchestre d’Aníbal Troilo est tellement prodigieuse, que ce titre est désormais hors de portée de tous les autres orchestres et chanteurs, même de Fiorentino lui-même et j’en apporte la preuve.
Extrait musical
Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi.Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Dès le début, la montée piquée au bandonéon donne le rythme. Puis les violons annoncent le thème, puis on inverse et enfin explose la voix de Fiorentino. Sa diction est parfaite, un léger rubato anime sa partition. Il exploite complètement, le contraste des nuances. L’orchestre l’accompagne, le relaye. Tout se fond merveilleusement. La montée piquée revient régulièrement pour relancer le mouvement. Aucun risque de monotonie. Du très grand art, jusqu’à la dernière note. Fiorentino termine et l’orchestre ponctue par un accord de dominante suivi par un accord de tonique, atténué.
Les paroles
Recibí tu última carta, en la cual tú me decías: « Te aconsejo que me olvides, todo ha muerto entre los dos. Sólo pido mi retrato y todas las cartas mías, ya lo sabes que no es justo que aún eso conserves vos ». Hoy reconoces la falta, tienes miedo que yo diga… que le cuente al que tú sabes (a tu marido) nuestra íntima amistad; ¡Soy muy hombre, no te vendo, no soy capaz de una intriga! Lo comprendo que, si hablara, quiebro tu felicidad.
Pero no vas a negar que cuando vos fuiste mía, dijiste que me querías, que no me ibas a olvidar; y que ciega de cariño me besabas en la boca, como si estuvieras loca… Sedienta, nena, de amar.
Yo no tengo inconveniente en enviarte todo eso, sin embargo, aunque no quieras, algo tuyo ha de quedar. El vacío que dejaste y el calor de aquellos besos bien lo sabes que no puedo devolvértelos jamás. Yo lo hago en bien tuyo evitando un compromiso, sacrifico mi cariño por tu apellido y tu honor ; me conformo con mi suerte, ya que así el destino quiso pero acuérdate bien mío, ¡que esto lo hago por tu amor!
Pedro Mario Maffia Letra : Jorge Curi
On notera que tous, sauf Gardel chantent « a tu marido » au lieu de « al que tú sabes».
J’ai reçu ta dernière lettre, dans laquelle tu me disais : « Je te conseille de m’oublier, tout est mort entre nous deux. Je ne demande que mon portrait et toutes mes lettres, tu sais qu’il n’est pas juste que tu gardes même cela. Aujourd’hui tu reconnais la faute,tu as peur que je dise… que je raconte à qui tu sais, notre amitié intime ; je suis bien un homme, je ne te vends pas, je ne suis pas capable d’intriguer ! Je comprends que, si je parlais, je briserais ton bonheur. Mais tu ne vas pas nier que quand tu étais à moi, tu m’as dit que tu m’aimais, que tu n’allais pas m’oublier ; et qu’aveugle de tendresse, tu m’as embrassée sur la bouche, comme si tu étais folle… assoiffée, petite, d’aimer. Je n’ai pas d’objection à t’envoyer tout ça, cependant, même si tu ne le veux pas, quelque chose de toi doit rester. Le vide que tu as laissé et la chaleur de ces baisers, tu sais que je ne pourrai jamais te les rendre. Je le fais pour ton bien, en évitant un engagement, je sacrifie mon affection à ton nom et à ton honneur ; je me contente de mon sort, car c’est ce que le destin a voulu, mais souviens-toi bien du mien, que je fais cela pour ton amour !
Autres versions
Pour moi, il n’y a pas d’autre version que celle de Troilo et Fiorentino… On peut essayer Fiorentino sans Troilo, par exemple avec Alberto Mancione, ça ne va pas. On peut essayer des noms prestigieux, comme Gardel, Pugliese, voire Canaro et Lomuto. Rien n’arrive à la cheville de la version époustouflante de Troilo et Fiorentino. Voici tout de même une petite sélection. Vous avez le droit d’y trouver des perles qui m’auraient échappé, mais je serai étonné que vous y trouviez mieux que Troilo et Fiorentino…
Te aconsejo que me olvides 1928-09-17 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.
Une chanson, rien pour la danse, mais l’histoire, c’est l’histoire. On peut regretter le début différent de notre version de référence par Troilo et Fiorentino.
Te aconsejo que me olvides 1928-09-25 — Orquesta Francisco Canaro.
Une semaine plus tard, Canaro remet le couvert, mais sans Charlo. Cette fois, il n’omet pas le début si spectaculaire dans la version de Troilo.
Quelques jours après Canaro, Gardel donne sa version avec ses guitaristes. Comme pour la version avec Charlo, on regrette aussi le début. Mais on n’est pas là pour danser.
Te aconsejo que me olvides 1928-10-15 — Orquesta Francisco Lomuto.
Si vous trouviez la version de Canaro un peu planplan et soporifique, n’écoutez pas celle-ci. L’autre Francisco a réussi à faire… pire. Après tout, vous avez le droit d’aimer.
Te aconsejo que me olvides 1941-04-16 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
C’est notre tango du jour. Pour ma part, j’ai envie de l’écouter après chaque version différente…
Te aconsejo que me olvides 1950-12-29 — Orquesta Alberto Mancione con Francisco Fiorentino.
Neuf ans plus tard, Francisco Fiorentino enregistre de nouveau le thème, mais cette fois avec Alberto Mancione. Je ne sais pas s’il faut pleurer, crier ou tout simplement se tasser dans un coin avec des bouchons dans les oreilles, mais cette version ne me semble pas du tout une réussite. Mais là encore, vous avez le droit d’aimer.
Te aconsejo que me olvides 1951-10-30 — Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.
Toujours très original, Cambareri. Le bandonéon énervé n’arrive pas à faire changer le rythme de Casares, on échappe ainsi à une des versions express de Cambareri. Le résultat est mignon, sans plus.
Te aconsejo que me olvides 1954-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Juan Carlos Cobos.
El Negro Cobos qui a remplacé Vidal dans l’orchestre de Pugliese dispose d’un imposant organe vocal. Il met bien en valeur le thème. Le résultat est très Pugliese. Dès les premières mesures San Pugliese a marqué son empreinte. Pas un tango de danse, même si je sais que certains le passeront tout de même. C’est un très bel enregistrement que l’on écoutera avec grand plaisir, mais comme je l’annonçais au début, rien n’égale pour la danse la merveille de Troilo et Fiorentino. En tous cas, c’est mon avis.
Te aconsejo que no le olvidas
(Je te conseille de ne pas l’oublier)
Un petit mot sur l’illustration de couverture. Le tango des années 20, on parle de lettre, l’homme qui pleure au centre me paraissait logique. Seulement, le sujet de ce tango est de tous les temps. J’ai pensé aux signaux de fumée, mais c’était compliqué à dessiner et à faire comprendre. Je suis donc resté à un moyen de communication moins ancien, le télégraphe Chappe. Celui-ci était dans une tour placée sur une église de Montmartre. Les postrévolutionnaires ne s’embarrassaient pas de considération de ce qui en d’autres temps aurait pu paraître un sacrilège. À droite, un téléphone portable, pas de la toute dernière génération, mais qui annonce le même fatidique message. Je connais une église qui a une antenne de téléphonie accolée à son clocher. Ce n’est moins respectueux que le coup du télégraphe Chappe à la fin de la Révolution française.
Te aconsejo que me olvides. Quelle que soit l’époque, il y a des courriers que l’on n’aime pas recevoir… À gauche, télégraphe Chappe sur une église de Montmartre (Paris). Au centre, la forme probable de réception de la lettre et à droite, une forme plus moderne… J’espère qu’avec tout cela, vous n’oublierez pas ce tango.