Nous avons vu le 9 août un tango du même titre Una vez interprété par la Orquesta Típica Victor dirigée par Mario Maurano avec le chant de Ortega Del Cerro. La version du jour est celle composée par Osvaldo Pugliese et n’a donc rien à voir avec celle de Carlos Marcucci. Je vous propose d’en savoir un peu plus sur cette œuvre romantique et magnifique.
Extrait musical
Un premier appel est lancé par les bandonéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapidement, les cordes passent en pizzicati et Morán lance sa voix charmeuse et caressante. On retrouve donc un peu le principe de la version de Marcucci avec la voix en contrepoint avec les cordes. L’harmonie est cependant plus travaillée, avec un enchevêtrement des parties plus complexe. Le soliste laisse parfois la place aux instruments qui donnent le motif avec leur voix propre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tangos de danse. On pourrait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont tellement habitués à ce type de composition qu’ils seraient bien frustrés si le DJ se les interdisait.
Paroles
Una vez fue su amor que llamó y después sobre el abismo rodó, la que amé más que a mí mismo fue. Luz de su mirada, siempre, siempre helada. Sabor de sinsabor, mi amor, amor que no era nada. Pequeñez de su burla mordaz, una vez, sólo en la vida, una vez.
Pudo llamarse Renée o acaso fuera Manón, ya no me importa quien fue, Manón o Renée, si la olvidé… Muchas llegaron a mí, pero pasaron igual, un mal querer me hizo así, gané en el perder, ya no creí.
Luz lejana y mansa que ya no me alcanza. Mi voz gritó ayer, hoy, amor, sin esperanza. Una vez, fue su espina tenaz una vez, sólo en la vida, una vez. Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo
Traduction libre
Une fois, c’était son amour qui m’appelait puis vagabondait au-dessus de l’abîme, celle que j’aimais plus que moi-même. La lumière de son regard, toujours, toujours glaciale. Le goût sans goût, mon amour, amour qui n’était rien. La petitesse de sa moquerie mordante, une fois, seulement dans la vie, une fois. Elle aurait pu s’appeler Renée ou peut-être que c’était Manón, je m’en moque de qui c’était, Manón ou Renée, si je l’ai oubliée… Beaucoup sont venues à moi, mais elles sont passés également, un mauvais amour m’a fait comme ça, j’ai gagné en perdant, je n’y croyais plus. Lumière lointaine et douce qui ne m’atteint plus. Ma voix a crié hier, aujourd’hui, amour, sans espoir. Une fois, ce fut son aiguillon tenace une fois, seulement dans la vie, une fois.
Autres versions
Contrairement à la version de Carlos Marcucci, il y a divers enregistrements de ce titre composé par Pugliese avec des paroles de Castillo.
Un an avant Pugliese, Donato propose son enregistrement. Si on retrouve la puissance de la composition de l’antimufa, la voix de Morel a un peu de mal à convaincre, malgré son prénom d’Osvaldo. Le résultat n’est pas vilain, mais à mon avis, ce n’est pas trop pertinent pour Donato d’avoir voulu mettre à son répertoire, ce titre qui s’éloigne trop de son style, style qu’il cherchait à moderniser pour rattraper l’évolution.
Précédant de peu la version enregistrée par Pugliese, celle de Maderna avec Pedro Dátila est intéressante. Le piano de Maderna est plus décoratif que celui de Pugliese et la voix de Pedro Dátila est expressive, sans doute autant que celle de Alberto Morán, si on peut préférer ce dernier, c’est peut-être aussi, car sa voix nous est plus familière. Même si on préfère la version de Pugliese, celle de Maderna est tout à fait dansante, voire plus que celle de l’auteur de la musique.
Salamanca n’a pas la réputation de faire de la musique pour la danse et cet enregistrement ne contredira pas ce fait. Cela n’interdit pas d’aimer cette version et de détester le DJ qui vous la proposerait en bal 😉
Si Cupo a fait quelques enregistrements intéressants et que le chanteur, Morán, est le même que dans la version de Pugliese (24 ans plus tard), il est difficile de s’enthousiasmer pour cette version.
Photos
Le fait que ce soit Mores et Gobbi sur la partition m’a donné l’idée de vous proposer des photos de Pugliese et de Castillo.
En Europe, il y a une étonnante coutume qui consiste à danser la milonga sur n’importe quel rythme ; Chamame, polka et même fox-trot. Il est probable que cette coutume vient d’une méconnaissance par certains DJ de la variété des orchestres de tango qui pour beaucoup ont enregistrée, outre des tangos (valses et milongas), des titres de Jazz (par exemple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont proposé ces airs, pensant qu’il s’agissait de milongas. Comme les danseurs n’étaient pas très familiers avec le rythme de la milonga, ils ont rebondi sur la proposition et, désormais, c’est devenu une habitude bien ancrée que de danser ces danses dans un simulacre de milonga. Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dommage de s’en passer. Alors, même si vous la dansez en « milonga », le principal est de se faire plaisir. Le plus connu des fox-trots utilisés comme milonga est sans doute La colegiala de Rodriguez, notamment la version du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins connu, mais assez sympathique, comme vous allez pouvoir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milonga formidable, mais assurément un excellent fox-trot…
Extrait musical
Paroles
Pour une fois, je ne vais pas explorer les paroles, car chaque version est différente et je vais donc présenter seulement quelques extraits. Pour commencer, le titre d’origine.
Paroles en anglais
You’re Driving Me Crazy (What Did I Do?)
You left me sad and lonely Why did you leave me lonely For here’s a heart that’s only For nobody but you I’m burning like a flame, dear Oh, I’ll never be the same, dear I’ll always place the blame, dear On nobody but you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do? What did I do? My tears for you make everything hazy Clouding the skies of blue How true were the friends who were near me To cheer me, believe me, they knew But you were the kind who would hurt me Desert me when I needed you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do to you Walter Donaldson
Traduction libre de la version originale en anglais
Tu m’as laissé triste et seul Pourquoi m’as-tu laissé seul Car voici un cœur qui n’est Pour personne d’autre que vous Je brûle comme une flamme, ma chère Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère Je mettrai toujours le blâme, ma chère Sur personne d’autre que vous Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Mes larmes pour toi rendent tout brumeux Mettant des nuages dans le ciel bleu Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères Pour m’encourager, crois-moi, ils savaient Mais tu étais du genre à me faire du mal Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Quelques extraits des différentes versions en espagnol
Les paroles de Francisco Antonio Lío ont été, comme toujours, utilisées en partie par les orchestres. N’ayant pas trouvé de version imprimée, je vous propose des bribes extraites des différentes versions.
Me vuelves loco nena, con tus caprichos vanos. Tienes que ser más buena para mi corazón. […] Bien sabes que te quiero y en cambio tú, querida _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devoción. […] Loco de tanto adorarte nena, ya estoy por ti. […] Por ti estoy trastornado y no hay razón para sufrir Por tu desdén tantas desventuras hay dime que si mi amor el cariño que yo te profeso es dicha y pasión Mi afán es amarte con loco embeleso y devoción Loco de tanto adorarte nena ya estoy por ti.
Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío
Traduction libre des extraits en espagnol
Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices. Tu devrais être plus gentille avec mon cœur. Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine. Tout mon empressement est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévotion. Fou de t’adorer autant bébé, je le suis déjà pour toi. Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de raison de souffrir. Par ton dédain il y a tant de malheurs dis-moi que si mon amour, l’affection que je professe pour toi est joie et passion. Mon empressement est de t’aimer avec un fou ravissement et de la dévotion. Fou de tant t’adorer bébé, je le suis déjà pour toi.
°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas identifiés.
Autres versions
En 1930 Walter Donaldson compose et écrit les paroles de You’re driving me crazy qui sera dansé et interprété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musicale « Smiles ». Le titre est un succès et est repris par différents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nombreuses versions de ce fox-trot qui est connu sous différents noms, traduction plus ou moins approximative de You’re driving me crazy.
What did I do qui est répété trois fois dans la version anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.
L’enregistrement a été réalisé à Los Angeles le 23 décembre 1930 en réunissant l’orchestre de Louis Armstrong et celui de Les Hite. Jugez de la qualité des musiciens qui composent ce grand orchestre de jazz. Banjo : Bill Perkins Basse : Joe Bailey Percussion : Lionel Hampton Guitare : Bill Perkins Piano : Jimmie Prince Direction de l’orchestre et saxophone alto et baryton : Les Hite Saxophone alto : Marvin Johnson Saxophone Tenor: Charlie Jones Trombone : Luther « Sonny » Craven Trompette : George Orendorf Trompette : Harold Scott Trompette et chant : Louis Armstrong
En 1931, le titre qui est un succès en Argentine, est enregistré par différents orchestres, avec des paroles de Francisco Antonio Lío.
Même Di Sarli a enregistré des fox-trots…
Aldo Maietti est le représentant du tango italien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enregistrement de 1932 les réunit pour une version instrumentale.
Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Le jazz
En Argentine, le jazz a rencontré également du succès, même si l’explosion du tango l’a estompé. Dans les bals, il y avait souvent deux orchestres. Un pour le tango et un pour le jazz. Certains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Carabelli, Canaro, Fresedo, Rodriguez et bien d’autres.
Les années folles ont donné naissance au jazz et au tango, genres qui trouveront leur plein développement dans les années 30-40. Le fox-trot est une danse de couple. Contrairement au tango, il y a peu d’improvisation et les déplacements sont codifiés. Cela pourrait rendre la danse un peu monotone, mais la musique est si entraînante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant. Voici un exemple, un peu atypique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad. C’est un des nombreux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.
La prochaine fois que vous entendrez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot… À bientôt, les amis.
Shusheta ou sa variante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élégant, avec une nuance qui peut aussi qualifier un mouchard. Les Dictateurs de la Décennie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce portrait de ce shusheta, peint crûment par Cadícamo sur la musique de Cobián n’est pas si flatteur.
Extrait musical
Paroles usuelles (1938)
Le tango a été écrit en 1920 et était donc instrumental, jusqu’à ce que Cadícamo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la version habituelle est celle déposée à la SADAIC en 1938.
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, galera y bastón…
Dicen que fue, allá por su juventud, un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer. Engalanó la puerta (las fiestas) del Jockey Club y en el ojal siempre llevaba un clavel.
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, chambergo (galera) y bastón.
Apellido distinguido, gran señor en las reuniones, por las damas suspiraba y conquistaba sus corazones. Y en las tardes de Palermo en su coche se paseaba y en procura de un encuentro iba el porteño conquistador.
Ah, tiempos del Petit Salón… Cuánta locura juvenil… Ah, tiempo de la sección Champán Tango del « Armenonville ».
Todo pasó como un fugaz instante lleno de emoción… Hoy sólo quedan recuerdos de tu corazón…
Toda la calle Florida lo vio con sus polainas, galera y bastón. Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo
Vargas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette partie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tango de danse. En gras les mots chantés par Vargas à la place de ceux de Cadícamo.
Traduction libre des paroles usuelles et indications
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne… (Polainas, c’est aussi contrariété, revers, déception, Galera, c’est aussi la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lectures des paroles, ce que confirme la version, originale, plus noire. Précisons toutefois que la partition déposée à la SADAIC indique chambergo, chapeau. Ce serait donc Vargas qui aurait adapté les paroles). On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’antan. Il décorait la porte (Vargas chante les fêtes) du Jockey Club et portait toujours un œillet à la boutonnière. Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne. Un nom de famille distingué, un grand seigneur dans les réunions, il soupirait pour les dames et conquérait leurs cœurs. Et les après-midi de Palermo, il se promenait dans sa voiture à la recherche d’un rendez-vous, ainsi allait le porteño conquérant. Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tangos s’appellent Petit Salón, dont un de Villodo [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demarco né en 1912 et qui n’a sans doute pas connu le Petit Salón). Combien de folie juvénile… Ah, c’est l’heure du Tango Champagne de l’Armenonville. Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’émotion… Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs de ton cœur… Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne
Premières paroles (1934)
Ces paroles n’ont semble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Russo, Cadícamo les aurait écrites en 1934. Cette version n’a été enregistrée que par Osvaldo Ribó accompagné à la guitare par Hugo Rivas. On notera qu’elles mentionnent shusheta, ce que ne fait pas la version de 1938 :
Pobre shusheta, tu triunfo de ayer hoy es la causa de tu padecer… Te has apagao como se apaga un candil y de shacao sólo te queda el perfil, hoy la vejez el armazón te ha aflojao y parecés un bandoneón desinflao. Pobre shusheta, tu triunfo de ayer hoy es la causa de tu padecer.
Yo me acuerdo cuando entonces, al influjo de tus guiyes, te mimaban las minusas, las más papusas de Armenonville. Con tu smoking reluciente y tu pinta de alto rango, eras rey bailando el tango tenías patente de gigoló.
Madam Giorget te supo dar su gran amor de gigolet, la Ñata Inés te hizo soñar… ¡y te empeñó la vuaturé ! Y te acordás cuando a Renée le regalaste un reló y al otro día la fulería se paró. Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo
Traduction libre de la première version de 1934
Pauvre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lunfardo, voire un « petit maître »), ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de tes souffrances… Tu t’es éteint comme s’éteint une chandelle et de shacao (je n’ai pas trouvé la référence) il ne te reste que le profil, aujourd’hui la vieillesse t’a relâché le squelette et tu ressembles à un bandonéon dégonflé. Pauvre shusheta, ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de ta souffrance. Je me souviens qu’alors, sous l’influence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Armenonville. Avec ton smoking brillant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tango, tu tenais un brevet de gigolo. Madame Giorget a su vous donner son grand amour de gigolette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un établissement de Santiago, au Chili, apprécié par Pablo Neruda) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabattable à deux portes. Prononciation à la française.) en gage ! Et tu te souviens quand tu as offert une montre à Renée (sans doute une Française…) et que le lendemain les choses se sont arrêtées.
D’Agostino et la censure
Vous l’aurez compris, le terme Shusheta qui peut qualifier un « mouchard » a fait que le tango a été censuré et qu’il a dû changer de nom. En effet, pour éviter la censure, D’Agostino a demandé à Cadícamo une version expurgée que je vous propose ci-dessous. On notera toutefois que la version chantée en 1945 par Vargas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débarrassée du titre polémique au profit du plus neutre El aristócrata. C’est la raison pour laquelle, les versions d’avant 1944 (la censure a commencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócrata. Aujourd’hui, on donne souvent les deux titres, ensemble ou indifféremment. On trouve aussi parfois El elegante.
Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Hoy quien te ve… en falsa escuadra y chacao, tomando sol con un nietito a tu lao. Vos, que una vez rompiste un cabaré, hoy, retirao… ni amor, ni guerra querés.
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Te apodaban el shusheta por lo bien que te vestías. Peleador y calavera a tu manera te divertías… Y hecho un dandy, medio en copas, en los altos del Casino la patota te aclamaba sí milongueabas un buen gotán.
Ah, tiempo del Petit Salón, cuánta locura juvenil… Ah, tiempo aquel de la Sección Champán-Tango de Armenonvil. Todo pasó como un fugaz instante lleno de emoción. Hoy solo quedan recuerdos en tu corazón.
Toda la calle Florida te vio con tus polainas, galera y bastón.
Traduction libre de la version de 1944
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne. Aujourd’hui, qui te voit… Avec une pochette factice et chacao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés. Toi, qui as autrefois dévasté un cabaret, tu prends aujourd’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre. Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne. On te surnommait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais. Bagarreur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé… Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hauteurs (galeries) du Casino, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tango en verlan). Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile… Ah, cette époque de la section Champagne-Tango de l’Armenonville. Tout est passé comme un instant fugace et plein d’émotion. Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs dans ton cœur. Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
Autres versions
Le premier enregistrement, par le compositeur, Juan Carlos Cobián. C’est bien sûr une version instrumentale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.
Cette version, sans doute la plus connue, utilise les paroles non censurées de 1938. Le titre a été modifié pour éviter la censure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pouvait irriter un censeur très suspicieux, le texte n’était pas si subversif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Vargas a demandé les paroles censurées, puis y a renoncé, peut-être en ayant acquis la certitude que la censure n’interdirait pas ce titre. Vargas a apporté de très légères modifications au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de censure, ces modifications étant anodines.
Une version étonnante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pourrait bien se venger d’un DJ qui la diffuserait en milonga. Je n’ai pas dit qu’il fallait jeter cet enregistrement, juste le réserver pour l’écoute.
L’ancien complice de D’Arienzo a ses débuts et de nouveau, quand il a remplacé Biaggi qui venait de se faire virer, propose une version nerveuse et ma foi sympathique de Shusheta. La rythmique pourrait déconcentrer des danseurs très habitués à d’autres versions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on connaît un peu le titre avec les facéties de Polito au piano. On se souvient que quand il avait remplacé Biagi, il avait continué les fioritures de son prédécesseur. Là, ces ornementations sont bien personnelles et ne doivent rien à Biagi.
Vargas fait cavalier seul, sans D’Agostino. Je vous conseille de vous souvenir plutôt de la version de 1945.
Une version destinée à l’écoute, au concert.
Je vous propose d’arrêter là, il existe bien d’autres versions, mais rien qui puisse faire oublier les merveilleuses versions de D’Agostino et Vargas et celle de Di Sarli.
Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre tango du jour, El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.
Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.
Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition. Curieusement, Ángel Villodo n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor. Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.
Extrait musical
Paroles
Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó. Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Tengo un pingo que en el barro cualquier carro tira y saca. Overo de anca partida, que en un trabajo de cuarta de la zanja siempre aparta ¡Chiche! la rueda que se ha quedao.
Yo que tanta cuarta di, yo que a todos los prendí a la cincha de mi percherón, hoy, que el carro de mi amor se me encajó, no hay uno que pa’ mi tenga un tirón.
En la calle del querer el amor de una mujer en un bache hundió mi corazón… ¡Hoy, ni mi overo me saca de este profundo zanjón!
Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Cuando ve mi overo un carro compadreando se le atraca.
No hay carga que me lo achique, porque mi chuzo es valiente; yo lo llamo suavemente ¡Chiche! Y el pingo pega el tirón.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)
Traduction libre et indications
C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. J’ai un pingo (cheval en lunfardo) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot. Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée. Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction. Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur… Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond ! Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le contact d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot). Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.
Autres versions
Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de Tres esquinas.
Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas…
Los cuarteadores
Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre. Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes. Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.
Voici comment les voyageurs J. et G. Robertson, narrèrent leur traversée de la pampa entre Buenos Aires et Santa Fe.
« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle. Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture… À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages. Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux). Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force. À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais. De cette façon, nous avons traversé avec succès tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »
On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services. Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.
Je profite de la modification sur l’anecdote sur Poema liée au cadeau par André Vagnon de deux versions très rares pour faire quelques remerciements. L’aventure des anecdotes de tango initiée il y a un peu plus de six mois a bénéficiée de l’aide de différents collègues, de sites et de livres. La petite pause technique, un peu imposée pour les raisons déjà évoquées, me donne l’occasion de donner quelques remerciements. Les collègues TDJ Camilo Gatica, Gabbo Fresedo, André Vagnon (Bible Tango) et Michael Sattler qui m’ont passé des musiques que je n’avais pas et Fred Alard qui par sa lecture attentive m’a fait améliorer certains articles. Merci à Gérard Cardonnet,Anita et Philippe Constant qui m’ont également fourni des informations fort intéressantes et qui ont également écrit d’intéressants commentaires. Je dois également citer mon infatigable correcteur, Thierry Lecoquierre qui traque mes coquilles avec une efficacité redoutable. Un grand merci pour mes partageurs, qui chaque jour ont partagé mes anecdotes sur leurs profils, Tanguy Tango est sur la première marche du podium. Merci à ceux qui mettent de gentils commentaires, comme Angela Cassan (première marche du podium dans cette catégorie) Jean-Philippe Kbcoo, Domi Laure, Merci aux 600 visiteurs quotidiens du site, même si cet afflux me pose des problèmes avec la société qui héberge le site web et qui me dit que je devrais prendre un hébergement web plus cher pour éviter les coupures. “Utilisation de l’UC et des connexions simultanées excèdent régulièrement les ressources disponibles, veuillez considérez (sic) l’évolution vers une gamme supérieure de formule d’hébergement, qui inclurait alors plus de ressources.”… Merci à tous ceux qui mettent des J’aime sur les publications et notamment leur partage dans Facebook. Merci à tous ceux qui lisent, écoutent et me font de temps à autre un petit signe. Merci aux merveilleux DJ de Buenos Aires et qui sont ma référence. Merci à ceux qui me suivent comme DJ également, ces anecdotes sont indissociables de cette activité. Mieux connaître le répertoire, c’est pouvoir offrir la bonne musique au bon moment. Merci à ceux qui m’ont laissé de gentils commentaires dans mon livre d’or.
Bref, merci à tous (moins un qui se reconnaîtra, même si comme je l’ai fait à diverses reprises, je lui tends la main pour faire la paix, ce qu’il a à chaque fois refusé, préférant continuer la guerre qu’il a initiée).
Merci à mes principaux sites de référence :
Tango-dj.at La meilleure référence pour avoir les dates d’enregistrement et les auteurs des tangos. TodoTango.com Une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent au tango. La Bible TangoUne autre référence, notamment pour le tango européen. Milongaophelia Qui propose de nombreux articles de fond, une belle iconographie et qui est très utile pour le tango à Paris au début du vingtième siècle. Tangos al bardo Le site passionnant et incontournable de José María Otero Michael Lavocah,Pour être sincère, je n’ai lu qu’un article de son site, mais il me semble être une importante ressource. Je viens de recevoir son livre Histoire de tango qui est plutôt bien fait. Je vous le recommande.
Pour les livres, cela serait un peu long
J’en ai cité quelques-uns dans mes anecdotes, mais impossible de tous les citer. Je vous donne juste quelques petites perles en attendant :
Mis memorias(1906-1956) Mis bodas de oro con el tango (Francisco Canaro). Un des plus intéressants, car autobiographique. Osvaldo Pugliese, une vida en el tango (Oscar del Priore). Un peu court, mais bien documenté. Osvaldo Pugliese, Testimonios de mi vida (Beba Pugliese). Par la fille de Pugliese. Osvaldo Pugliese al Colón (Arturo M. Lozza). Merci à Denis Torres qui m’a fait parvenir une version PDF, plus facile à trimbaler que la version papier que j’utilisais. Un très bon ouvrage. El tango en la sociedad portena 1880-1920 (Lamas Binda), qui a écrit beaucoup et dont je recommande la plupart des écrits. De plus, il est spécialiste des tangos de la vieille garde). La historia del tango en Paris (Enrique Cadicamo). Así nacieron los tangos (Francisco García Jiménez). Cien tangos fundamentales (Oscar del Priore y Irene Amuchástegui). El origen del tango (Roberto Selles). Les livres de Felipe Pigna sur l’histoire argentine (Pas directement lié au tango, mais comme ces derniers s’inscrivent dans l’histoire du pays, il faut un peu de culture historique). Et les nombreuses discographies et catalogues de maisons d’édition qui permettent de lever bien des doutes.
Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Au sujet de cette valse bien sympathique, avec une introduction un peu plus longue que la moyenne, je pensais faire un petit encart sur le diapason, justifié par le changement effectué à cette époque par Biagi. À cause des réactions sur le sujet, je vais me concentrer sur le diapason pour cette anecdote. Nous voilà prêts à accorder nos violons…
Extrait musical et autre version
Je vous donne ici, les deux principaux enregistrements de cette valse. Celui de Biagi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.
D’un point de vue technique, cet enregistrement est sans doute le dernier enregistré avec le diapason à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Biagi s’accordera à 440Hz. Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le premier enregistrement en 440Hz par Biagi. D’Arienzo a-t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est important pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écoutons plutôt les différences stylistiques entre les deux versions, c’est plus passionnant à mon goût.
On remarque tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue introduction de Biagi. C’est classique chez D’Arienzo qui aime bien rentrer directement dans le feu de la danse. Le rythme est en revanche plus lent. Malgré l’absence des 21 secondes d’introduction de la version de Biagi, la version de D’Arienzo fait 6 secondes de plus. S’il avait joué au même rythme que Biagi, sa version aurait totalisé 21 secondes de moins. Ce sont donc 27 secondes de différence, c’est beaucoup et beaucoup plus que le passage de 435 à 440 Hz dans la différence de sensation 😉
Petit jeu
Je me suis « amusé » à trafiquer les deux enregistrements de la façon suivante :
J’ai enlevé l’introduction de Biagi.
J’ai accéléré la version de D’Arienzo pour la mettre au même rythme que celle de Biagi.
Vous pouvez donc comparer les deux versions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sacrilège, car D’Arienzo a volontairement enregistré une version plus lente, mais cela me semble intéressant pour bien sentir les différences d’orchestrations sur la même partition.
Et comme je ne suis pas avare de fantaisies, je vous propose maintenant une version mixte comprenant la version de Biagi sans l’introduction dans le canal de gauche et la version de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remarquera que le mélange n’est pas si détonnant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un système stéréo, voire au casque.
Prisionero. Version de Biagi sans introduction, dans le canal de gauche. Version de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.
Si vous avez apprécié le petit jeu, vous pouvez avoir un autre particulier dans le dernier chapitre de cette anecdote, sur les diapasons. Un truc qui régale certains spécialistes, ce que je ne suis pas.
Paroles
Libre es el viento Que doma la distancia, Baja a los valles Y sube a las montañas. Libre es el agua Que se despeña y canta, Y el pájaro fugaz Que surge de ver Una azul inmensidad…
Libre es el potro Que al viento la melena, Huele a las flores Que es mata en la pradera. Libre es el cóndor Señor de su cimera, Yo que no sé olvidar Esclavo de un dolor No tengo libertad…
Loco y cautivo Cargado de cadenas, Mi oscura cárcel Me mata entre sus rejas. Soy prisionero De incurable pena, Preso al recuerdo De mi perdido bien.
Nada me priva De andar por donde quiero, Pero no puedo Librarme del dolor. Y pese a todo Soy prisionero, De los recuerdos Que guarda el corazón. Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
Libre est le vent qui dompte la distance, descend dans les vallées et gravit les montagnes. Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immensité bleue… Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hauteur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pousser, mais il y a peut-être mieux à faire…). Libre est le condor, seigneur de son sommet, moi qui ne sais pas oublier, esclave d’une douleur, je n’ai pas de liberté… Fou et captif, chargé de chaînes, ma prison sombre me tue derrière les barreaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un discret jeu de mots). Je suis prisonnier d’un chagrin incurable, emprisonné dans la mémoire de mon bien perdu. Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’arrive pas à me libérer de la douleur. Et malgré tout, je suis prisonnier des souvenirs que le cœur garde.
Mettons-nous au diapason…
Le diapason est la fréquence de référence qui permet que tous les musiciens d’un orchestre jouent de façon harmonieuse. Vous avez en tête les séances d’accordage qui précèdent une prestation. Le principe est simple. On prend pour référence l’instrument le moins accordable rapidement, par exemple le piano qui est accordé avant le concert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps. En l’absence de piano, les orchestres classiques se calent sur le hautbois, celui du « premier hautbois ». Ensuite, ses voisins, les autres instruments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes. Je vous propose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remarquera que c’est bien le hautbois qui y donne le La3.
Installation interactive « Sous-ensemble » de Thierry Fournier – Enregistrement de l’accord pour chaque instrument.
La note de référence doit pouvoir être jouée par tous les instruments. Dans les concerts où il y a des instruments anciens, on est parfois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une tension exagérée des cordes sur des instruments fragiles. En général, cela est défini à l’avance et on accorde le piano en conséquence avant le concert. La note de référence est généralement un La, le La3 (situé entre la deuxième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturellement sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les violons et altos, c’est la seconde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regardant le violon de face. Les musiciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par comparaison avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précédente et vous savez tout cela. Dans le cas du tango, le piano est généralement la base, mais quand c’est possible, on se cale sur le bandonéon qui n’est pas accordable pour régler le piano. En effet, la note de référence, si c’est en principe toujours le La3, n’a pas la même hauteur selon les époques et les régions.
Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle
Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.
Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.
Les membres de la commission étaient : Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ; Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ; Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ; Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ; Mansuete César Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences. Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ; Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ; Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ; Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ; Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ; Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ; Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut.
Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
Les critiques contre le diapason uniforme…
On voit donc que l’histoire est un éternel recommencement et que les pinaillages actuels n’en sont que la continuité…
Vous pouvez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)
Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous permettront de constater la variété des diapasons, leur évolution et donc la nécessité de mettre de l’ordre et notamment de freiner le mouvement vers un diapason plus aigu. Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibrations ». Il faut donc diviser par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ainsi, le diapason de Paris indiqué 896 correspond à 448 Hz.
Compléments sur le diapason
Si vous n’avez pas consulté le document de 12 pages, il est encore temps de vous y référer, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pouvez le charger en PDF pour le lire plus facilement.
Si vous voulez entendre la différence entre le diapason à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous propose cette vidéo.
Diapason 435 Hz et 440 Hz.
Sur l’histoire du diapason, cet article signalé par l’ami Jean Lebrun.
Choisir le bon diapason quand on restaure des disques anciens peut avoir son utilité. Cependant, c’est une véritable jungle et aujourd’hui encore, les DJ, éditeurs de musique et même les musiciens continuent de se quereller au sujet de ce fameux diapason. Pour vous amuser, je vous propose d’entrer dans un débat qui a eu lieu en 1859… Pour vous faciliter la lecture, vous pouvez aussi télécharger le texte intégral au format PDF (en fin de cet article).
Entrons dans le débat…
Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.
Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.
Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
Les critiques contre le diapason uniforme…
Rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme
Vous avez chargé une commission « de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore, qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation.
Votre arrêté était fondé sur ces considérations :
« Que l’élévation toujours croissante du diapason présente des inconvénients dont l’art musical, les compositeurs de musique, les artistes et les fabricants d’instruments ont également à souffrir ; et que la différence qui existe entre les diapasons des divers pays, des divers établissements musicaux et des diverses maisons de facture est une source constante d’embarras pour la musique d’ensemble, et de difficultés dans les relations commerciales. »
La commission a terminé son travail. Elle vous doit compte de ses opérations, de la marche qu’elle a suivie ; elle soumet à l’appréciation de Votre Excellence le résultat auquel elle est arrivée.
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Cette commission était composée de :
Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ; Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ; Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ; Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ; César-Mansuète Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences. Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ; Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ; Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ; Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ; Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ; Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ; Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut. ======================================
I
Il est certain que dans le cours d’un siècle, le diapason s’est élevé par une progression constante. Si l’étude des partitions de Gluck ne suffisait pas à démontrer, par la manière dont les voies sont disposées, que ces chefs-d’œuvre ont été écrits sous l’influence d’un diapason beaucoup moins élevé que le nôtre, le témoignage des orgues contemporaines en fournirait une preuve irrécusable. La commission a voulu d’abord se rendre compte de ce fait singulier, et de même qu’un médecin prudent s’efforce de remonter aux sources du mal ayant d’essayer de le guérir, elle a voulu rechercher, ou au moins examiner les causes qui avaient pu amener l’exhaussement du diapason. On possède les éléments nécessaires pour évaluer cet exhaussement. Les orgues dont nous avons parlé accusent une différence d’un ton au-dessous du diapason actuel. Mais ce diapason si modéré ne suffisait pas à la prudence de l’Opéra de cette époque : Rousseau, dans son dictionnaire de musique (article Ton), dit que le ton de l’Opéra à Paris était plus bas que le ton de chapelle. Par conséquent, le diapason, ou plutôt le ton de l’Opéra était, au temps de Rousseau, de plus d’un ton inférieur au diapason d’aujourd’hui.
Cependant les chanteurs de ce temps, au rapport de beaucoup d’écrivains, forçaient leur voix. Soit défaut d’études, soit défaut de goût, soit désir de plaire au public, ils criaient. Ces chanteurs, qui trouvaient moyen de crier si fort avec un diapason si bas, n’avaient aucun intérêt à demander un ton plus élevé, qui aurait exigé de plus grands efforts ; et, en général, à nulle époque, dans aucun pays, aujourd’hui comme alors, jamais le chanteur, qu’il chante bien ou mal, n’a d’intérêt à rencontrer un diapason élevé, qui altère sa voix, augmente sa fatigue, et abrège sa carrière théâtrale. Les chanteurs sont donc hors de cause, et l’élévation du diapason ne peut leur être attribuée.
Les compositeurs, quoi qu’aient pu dire ou penser des personnes qui n’ont pas des choses de la musique, une idée bien nette, ont un intérêt tout contraire à l’élévation du diapason. Trop élevé, il les gêne. Plus le diapason est haut, et plus tôt le chanteur arrive aux limites de sa voix dans les cordes aiguës ; le développement de la phrase mélodique est donc entravé plutôt que secondé. Le compositeur a dans sa tête, dans son imagination, on peut dire dans son cœur, le type naturel des voix. La phrase qu’il écrit lui est dictée par un chanteur que lui seul entend, et ce chanteur chante toujours bien. Sa voix, souple, pure, intelligente et juste, est fixée d’après un diapason modéré et vrai qui habite l’oreille du compositeur. Le compositeur a donc tout avantage à se mouvoir dans une gamme commode aux voix, qui le laisse plus libre, plus maître des effets qu’il veut produire, et seconde ainsi son inspiration. Et d’ailleurs, quel moyen possède-t-il d’élever le diapason ? Fabrique-t-il, fait-il fabriquer ces petits instruments perfides, ces boussoles qui égarent ? Est-ce lui qui vient donner le la aux orchestres et nous n’avons jamais appris ou entendu dire qu’un maestro, mécontent de la trop grande réserve d’un diapason, en ait fait fabriquer un à sa convenance, un diapason personnel, à l’effet d’élever le ton d’un orchestre tout entier. Il rencontrerait mille résistances, mille impossibilités. Non, le compositeur ne crée pas le diapason, il le subit. On ne peut donc non plus l’accuser d’avoir excité la marche ascensionnelle de la tonalité.
Remarquons que cette marche ascensionnelle, en même temps qu’elle a été constante, a été générale ; qu’elle ne s’est pas bornée à la France ; que les Alpes, les Pyrénées, l’Océan n’y ont pas fait obstacle. Il ne faut donc pas, comme nous l’avons entendu faire, en accuser spécialement la France, qu’on charge assez volontiers des méfaits qui se produisent de temps à autre dans le monde musical. Notre pays n’a eu que sa part dans cette grande invasion du diapason montant, et s’il était complice du mal, il en était en même temps victime. Les causes de cette invasion, qui agissaient partout avec suite, ensemble, persévérance, on pourrait dire avec préméditation, ne sauraient être ni accidentelles, ni particulières à un pays. Elles devaient tenir à un principe déterminant, à un intérêt. En vertu d’un axiome bien connu, il faut donc rechercher ceux qui avaient un intérêt évident à surélever ainsi le la qu’espéraient nous léguer nos ancêtres. Ceux qui fabriquent ou font fabriquer les diapasons, voilà les auteurs, les maîtres de la situation. Ce sont les facteurs d’instruments, et on comprend qu’ils ont à élever le diapason, un intérêt légitime et honorable. Plus le ton sera élevé, plus le son sera brillant. Le facteur ne fabriquera donc pas toujours ses instruments d’après le diapason ; il fera quelquefois son diapason d’après l’instrument qu’il aura jugé sonore et éclatant. Car il se passionne pour la sonorité, qui est la fin de son œuvre, et il cherche sans cesse à augmenter la force, la pureté, la transparence de voix qu’il sait créer. Le bois qu’il façonne, le métal qu’il forge, obéissant aux lois de la résonance, prendront des timbres intelligents, qu’un· artiste habile, et quelquefois inspiré, animera bientôt de son archet, de son souffle, de son doigté, léger, souple ou puissant. L’instrumentiste et le facteur sont donc deux alliés, leurs intérêts se combinent et se soutiennent. Introduits à l’orchestre, ils le dominent, ils y règnent, et l’entraînent facilement vers les hauteurs où ils se plaisent. En effet, l’orchestre est à eux, ou plutôt ils sont l’orchestre, et c’est l’instrumentiste qui, en donnant le ton, règle, sans le vouloir, les études, les efforts, les destinées du chanteur.
La grande sonorité acquise aux instruments à vent trouva bientôt une application directe, et en reçut un essor plus grand encore. La musique, qui se prête à tout et prend partout sa place, marche avec les régiments ; elle chante aux soldats ces airs qui les animent et leur rappellent la patrie. Il faut alors qu’elle résonne haut et ferme, et que sa voix retentisse au loin. Les corps de musique militaire, s’emparant du diapason pour l’élever encore, propagèrent dans toute l’Europe le mouvement qui l’entraînait sans cesse.
Mais aujourd’hui la musique militaire pourrait, sans rien craindre, descendre quelque peu de ce diapason qu’elle a surexcité. Sa fierté n’en souffrirait pas, ses fanfares ne seraient ni moins martiales, ni moins éclatantes. Le grand nombre d’instruments de cuivre dont elle dispose maintenant lui ont donné plus de corps, plus de fermeté, et un relief à la fois solide et brillant qui lui manquait autrefois. Espérons d’ailleurs que de nouveaux progrès dans la facture affranchiront bientôt certains instruments d’entraves regrettables, et leur ouvriront l’accès des riches tonalités qui leur sont interdites. L’honorable général qui représente dans la commission l’organisation des corps de musique seconderait de tous ses efforts cette amélioration désirable, ce progrès véritable, qui apporterait aux orchestres militaires des ressources nouvelles, et varierait l’éclat de leur sonorité.
Nous croyons avoir établi, monsieur le ministre, que l’élévation du diapason est due aux efforts de l’industrie et de l’exécution instrumentales ; que ni les compositeurs ni les chanteurs n’y ont participé en rien. La musique religieuse, la musique dramatique ont subi le mouvement sans pouvoir s’en défendre, ou sans chercher à s’y dérober. On pourrait donc, dans une certaine mesure, abaisser le diapason, avec la certitude de servir les véritables, les plus grands intérêts de l’art.
II
Nous avions l’assurance que ce fait de l’élévation toujours croissante du diapason ne s’était pas produit en France seulement, que le monde musical tout entier avait subi cet entraînement, mais il fallait en acquérir des preuves authentiques ; il fallait aussi savoir dans quelle mesure, à quels degrés différents s’était fait sentir cette influence dans les divers pays, dans les centres principaux. Nous avons donc pensé, monsieur le ministre, que, pour mener à bonne fin l’étude que votre Excellence nous avait confiée, il fallait commencer par nous renseigner au dehors et autour de nous, interroger les chefs des établissements importants en France et à l’étranger, prendre connaissance de l’état général du diapason, faire en un mot une sorte d’enquête. Cette conduite nous était d’ailleurs tracée par l’arrêté même qui nous institue, dans lequel vous signalez avec juste raison « la différence qui existe entre les diapasons des divers pays comme une source constante d’embarras. »
Nous nous sommes donc adressés sous vos auspices, et par l’organe de notre président, partout où il y a l’opéra, un grand établissement musical, dans les villes où l’art est cultivé avec amour, avec succès, pratiqué avec éclat, et qu’on peut nommer les capitales de la musique, demandant qu’on voulût bien nous renseigner sur la marche du ton, nous envoyer les diapasons en usage aujourd’hui, et d’anciens diapasons, s’il était possible, pour en mesurer exactement l’écart. En même temps, nous demandions aux hommes éclairés à qui nous nous adressions de_ nous faire connaître leur opinion, sur l’état actuel du diapason, et leurs dispositions favorables ou contraires à un abaissement. à une modération dans le ton. La musique est un art d’ensemble, une sorte de langue universelle. Toutes les nationalités disparaissent devant l’écriture musicale, puisqu’une notation unique suffit à tous les peuples, puisque des signes, partout les mêmes, représentent les sons qui dessinent la mélodie ou se groupent en accords, les rythmes qui mesurent le temps, les nuances qui colorent la pensée ; le silence même s’écrit dans cet alphabet prévoyant. N’est-il pas désirable qu’un diapason uniforme et désormais invariable vienne ajouter un lien suprême à celte communauté intelligente, et qu’un la, toujours le même, résonnant sur toute la surface du globe avec les mêmes vibrations, facilite les relations musicales et les rende plus harmonieuses encore ?
C’est dans ce sens que nous avons écrit en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en Hollande, en Italie, jusqu’en Amérique, et nos correspondants nous ont envoyé des réponses consciencieuses, des renseignements utiles, des souvenirs intéressants. Quelques-uns nous adressaient d’anciens diapasons âgés d’un demi-siècle, aujourd’hui dépassés ; d’autres des diapasons contemporains, variés dans leur intonation. Tous, reconnaissant et repoussant l’exagération actuelle, nous envoyaient leur cordiale adhésion. Trois d’entre eux, nos compatriotes 1, tout en partageant l’opinion générale, demandent, il est vrai, qu’on fixe le diapason à l’état actuel de celui de Paris, mais c’est pour l’arrêter dans sa progression ascendante, et eu faire un obstacle à de nouveaux envahissements : obstacle impuissant, à notre avis, qui protège le mal, l’oppose à lui-même, et le consacre au lieu de le détruire. Les autres sont unanimes à désirer un diapason moins élevé, uniforme, inaltérable, véritable diapason international, autour duquel viendraient se rallier, dans un accord invariable, chanteurs, instrumentistes, facteurs de tous les pays. La plupart de nos correspondants étrangers joignent à leur approbation l’éloge de l’initiative : » Je vous dois des remerciements, nous écrit-on, pour la cause importante que vous avez entrepris de plaider : il est bien temps d’arrêter les dérèglements auxquels on se laisse emporter. »
J’adopte la somme entière de vos sages réflexions, nous dit un autre maître de chapelle des plus distingués, en espérant que toute l’Europe applaudira vivement à la commission instituée par S. Exc. Je ministre d’État, à l’effet d’établir un diapason uniforme. La grande élévation du diapason détruit et efface l’effet et le caractère de la musique ancienne, des chefs-d’œuvre de Mozart, Gluck, Beethoven.
Je ne doute pas, écrit-on encore, que la commission ne réussisse dans celle question importante. Ce sera un nouveau service rendu par votre nation à l’art et au commerce.
L’élévation progressive du diapason, dit un autre de nos honorables correspondants, est non seulement préjudiciable à la voix humaine, mais aussi à tous les instruments. Ce sont surtout les instruments à cordes qui ont beaucoup perdu pour le son, depuis que l’on est obligé, à cause de cette élévation, d’employer des cordes très-minces, les cordes fortes ne pouvant résister à cette tension exagérée de là, ce ton, qui au lieu de se rapprocher de la voix humaine, s’en éloigne de plus en plus. »
Fixer le diapason une fois pour toutes, dit un cinquième, ce serait mettre fin à bien des doutes, à une multitude d’inconvénients et même de caprices. Je vous témoigne le vif intérêt que nous portons dans toute l’Allemagne musicale à l’exécution de votre projet.
Vous avez bien dit, écrit-on encore, que l’Europe entière est intéressée aux recherches des moyens d’établir un diapason uniforme. Le monde musical a senti depuis longtemps la nécessité urgente d’une réforme, et il remercie la France d’avoir pris l’initiative. M. Drouet, maître de chapelle du grand-duc de Saxe-Cobourg-Gotha, nous a envoyé trois diapasons d’époque et d’élévation différentes, et une note intéressante : Enfin nous avons reçu de deux hommes très compétents, M. W Wieprecht, directeur de la musique militaire de Prusse, à Berlin, et M. le docteur Furke des mémoires où la matière est traitée avec une véritable connaissance de cause. Les auteurs s’associent entièrement à la pensée qui a institué la commission.
Ces nombreuses adhésions, émanées d’autorités si considérables, nous donnent l’assurance qu’une proposition d’abaissement dans le diapason sera bien accueillie dans toute l’Allemagne. Il faut d’ailleurs rappeler ici que déjà, en 1834, des musiciens allemands réunis à Stuttgart avaient exprimé le vœu d’un affaiblissement du diapason, et recommandé l’adoption d’un la plus sensiblement plus bas que notre la actuel. Certes, il y aura d’abord des difficultés qui naîtront surtout de la division de l’Allemagne en un si grand nombre d’États différents. C’est une opinion qui nous a été exprimée ; mais il y a lieu de penser qu’après quelques oscillations, un type invariable et commun s’établira dans ce pays, qui pèse d’un grand poids dans les destinées de l’art musical.
Nous n’avons encore reçu d’Italie qu’une seule lettre. Elle est de M. Coccia, directeur de l’académie philharmonique de Turin, maître de chapelle de la cathédrale de Novare. M. Coccia a bien voulu nous adresser le diapason usité à Turin, un peu plus bas que celui de Paris, et le plus doux (il più mite), dit M. Coccia, qu’il ait rencontré jusqu’à présent. Il en recommande l’adoption. M. Coccia est donc aussi de l’avis d’un adoucissement dans le ton, et c’est d’un bon augure pour l’opinion de l’Italie, dont il faut tenir grand compte.
Nous avons reçu de Londres une communication de MM. Broadwood, célèbres facteurs de pianos. Ils ont eu l’obligeance de nous adresser trois diapasons, employés tous les trois dans leur établissement, chacun d’eux affecté à un service spécial.
Le premier, plus bas d’un grand quart de ton que le diapason de Paris, était, il y a vingt-cinq ou trente ans, celui de la Société philharmonique de Londres. Il a été judicieusement conservé par MM. Broadwood comme plus convenable aux voix, et ils accordent, d’après le ton extrêmement modéré qu’il fournit, les pianos destinés à l’accompagnement des concerts vocaux. Le second, beaucoup plus haut, puisqu’il est plus élevé que le nôtre, est celui d’après lequel MM. Broadwood accordent, en général, leurs pianos, parce qu’il est à peu près conforme à l’accord des harmoniums, des flûtes, etc. : c’est le diapason des instrumentistes. Enfin le troisième, encore plus élevé, est celui dont se sert aujourd’hui la Société philharmonique. Cette extrême liberté du diapason doit avoir ses inconvénients, et peut bien faire courir quelques hasards à la justesse absolue. Aussi MM. Broadwood font-ils des vœux « pour la réussite de nos recherches, si intéressantes et si importantes pour tout le monde musical.
M. Bender, directeur de la musique du roi des Belges et du régiment des guides, voudrait deux diapasons, à la distance d’un demi-ton : le plus élevé, à l’usage des musiques militaires ; l’autre, destiné aux théâtres. M. Bender pratique son système ; le diapason de la musique des guides n’est pas applicable à la musique vocale. C’est le plus élevé de tous ceux que nous avons reçus.
M. Daussoigne-Méhul, directeur du Conservatoire royal de Liège, n’adresse pas de diapason, celui qu’il emploie étant semblable à celui de Paris. Il est un des trois correspondants qui concluent à l’adoption définitive de ce diapason, comme limite extrême, comme sauvegarde, et ne fut-ce, dit M. Daussoigne Méhul, que pour arrêter ses dispositions ascendantes.
M. Lubeck, directeur du Conservatoire royal de La Haye, en nous envoyant son diapason, un peu moins élevé que le nôtre, nous assure de son adhésion et de son concours. Vous voyez, monsieur le ministre, combien de sympathies et d’approbations rencontre voire désir de l’établissement d’un diapason uniforme.
Nous avions écrit en Amérique. New York n’a pas encore répondu. M. E. Prévost, chef d’orchestre de l’Opéra-Français de La Nouvelle-Orléans, nous a adressé une lettre d’adhésion, et un diapason qui ne nous est pas parvenu.
Nous avons reçu de quelques-unes des grandes villes de France, où la musique est en honneur, des renseignements communiqués par des artistes distingués.
Le diapason qui nous a été envoyé par M. Victor Magnien, directeur de l’Académie impériale de musique de Lille est, après celui de M. Bender et après ceux de Londres, le plus élevé des diapasons qu’on nous a adressés. Il est plus haut par conséquent que celui de Paris. Sans doute il a subi, par un procédé de bon voisinage, l’influence de la musique des guides de Bruxelles. Aussi· M. Magnien se rallie-t-il avec empressement à la demande d’un diapason plus modéré.
M. Mézerai, chef d’orchestre du grand théâtre de Bordeaux, nous a communiqué son diapason, moins élevé que celui de Paris. M. Mézerai avait d’abord adopté celui-ci, mais, nous dit-il, il fatiguait trop les chanteurs.
Le diapason de Lyon est celui de Paris, celui de Marseille est très peu plus bas. M. Georges Hainl, chef d’orchestre de Lyon, croit qu’il faut maintenir le diapason de Paris, malgré son élévation, dans la crainte d’affaiblir l’éclat de l’orchestre. M. Aug. Morel, directeur de l’École communale de Marseille, incline vers cet avis. Ces deux artistes forment, avec M. D. Méhul, le groupe que nous avons mentionné, proposant l’état actuel comme terme définitif.
Toulouse nous a adressé deux diapasons : celui du théâtre, moins élevé que le nôtre, presque semblable à celui de Bordeaux, et le diapason de l’École de musique, plus bas d’environ un quart de ton ; différence remarquable, qu’il importe d’autant plus de constater, que Toulouse· est une de ces villes à l’instinct musical, où le chant est populaire, où l’harmonie abonde, et qui, de tout temps, a fourni à nos théâtres des artistes à la voix mélodieuse et sonore.
Le diapason de l’École de Toulouse est, avec celui du théâtre grand-ducal de Carlsruhe (sic), dont il ne diffère que de quatre vibrations, le plus bas de tous les diapasons qui nous ont été communiqués. Celui de la musique des guides de Bruxelles, qui compte neuf cent onze vibrations par seconde, est, à l’aigu, le terme extrême de ces diapasons ; celui de Carlsruhe, qui ne fait que huit cent soixante-dix vibrations, en est le terme au grave. Entre cet écart, qui n’est pas beaucoup moindre d’un demi-ton, se meuvent les diapasons en usage aujourd’hui, et, par conséquent, les orchestres, les corps de musique, les ensembles de voix dont ils sont la règle et la loi, et dont ils résument pour ainsi dire l’expression.
Ainsi la France compte à ses deux extrémités un des diapasons les plus élevés, celui de Lille, un des diapasons les plus graves, celui de l’École de Toulouse. On peut suivre sur la carte la route que suit en France le diapason ; il s’élève et s’abaisse avec la latitude. De Paris à Lille, il monte ; il descend de Paris à Toulouse. Nous voyons le nord soumis évidemment au contact, à la prédominance de l’art instrumental, tandis que le midi reste fidèle aux convenances et deux bonnes traditions des études vocales.
Nous vous avons présenté, monsieur le ministre, le résumé fidèle des informations qui nous ont été transmises : nous vous avons fait connaître les impressions que nous en avons reçues. En présence des opinions presque unanimes exprimées pour une modération dans le ton, et des opinions unanimes pour l’adoption d’un diapason uniforme, c’est-à-dire pour un nivellement général du diapason, librement consenti ; en présence des différences remarquables qui existent entre les divers diapasons que nous avons pu comparer, différences mesurées avec toute la précision de la science en nombre de vibrations, el consignées dans un des tableaux annexés à ce rapport, la commission, après avoir discuté, a adopté en principe, et à l’unanimité des voix ; les deux propositions suivantes :
Il est désirable que le diapason soit abaissé.
Il est désirable que le diapason abaissé soit adopté généralement comme régulateur invariable.
III
Il restait à déterminer la quantité dont le diapason pourrait être abaissé, en lui ménageant les meilleures chances probables d’une adoption générale comme régulateur invariable.
Il était évident que le plus grand abaissement possible était d’un demi-ton, qu’un écart plus considérable n’était ni praticable ni nécessaire ; et sur ce point, la commission se montrait unanime. Mais le demi-ton rencontra des adversaires, et trois systèmes se trouvèrent en présence : abaissement d’un demi-ton, abaissement d’un quart de ton, abaissement moindre que ce dernier.
Un seul membre proposait l’abaissement moindre que le quart de ton. Craignant surtout de voir les relations commerciales troublées, il proposait un abaissement très modéré, et qui devait tout au plus, dans sa plus grande amplitude, atteindre un demi-quart de ton.
La question des relations commerciales est assez importante pour qu’on s’y arrête un instant. D’ailleurs, monsieur le ministre, en nous instituant, vous l’avez signalée à notre attention.
Parmi les documents qui nous ont été remis, figure une lettre signée de nos principaux, de nos plus célèbres facteurs d’instruments de tout genre. Dans cette lettre, adressée à Votre Excellence, sont exposés tous les embarras résultants de l’élévation toujours croissante du diapason et de la différence des diapasons. On vous demande de mettre un terme à ces embarras en établissant un système uniforme de diapason. “Il appartient à Votre Excellence, disent les signataires, de faire cesser cette sorte d’anarchie, et de rendre au monde musical un service aussi important que celui rendu autrefois au monde industriel par la création d’un système uniforme de mesures.” La commission prend en haute considération les intérêts de notre grande fabrication d’instruments, c’est une des richesses de la France, une industrie intelligente dans ses produits, heureuse dans ses résultats. Les hommes habiles qui la dirigent et l’ont élevée au premier rang ne peuvent douter de notre sollicitude ; ils savent que nous sommes amis de celte industrie qui fournit à quelques-uns des membres de la commission de précieux et charmants auxiliaires. Mais si, parmi ces maîtres facteurs qui ont si bien signalé à Votre Excellence “les embarras” résultant de la divergence et de l’élévation toujours croissante, » quelques-uns, comme il nous a été dit, craignent maintenant « les embarras » résultant des mesures qu’on veut prendre pour les contenter, que faudrait-il faire ? Puisqu’ils ont demandé, avec tout le monde musical, un diapason uniforme, comment le choix d’un diapason, destiné dans nos espérances et dans les leurs à devenir· uniforme, peut-il troubler « les relations commerciales » déjà troublées, à leur avis, par la divergence des diapasons ? L’établissement d’un diapason uniforme implique nécessairement le choix d’un diapason, d’un seul. Or, nous avons reçu, entendu, comparé, mesuré, vingt-cinq diapasons différents, tous en activité, tous usités aujourd’hui. De tant de la, lequel choisir ? Le nôtre apparemment.
Mais pourquoi ? De ces vingt-cinq diapasons, aucun ne demande à monter, beaucoup aspirent à descendre, et quinze sont plus bas que celui de Paris. De quel droit dirions-nous à ces quinze diapasons, montez jusqu’à nous ? N’est-ce pas alors que les relations commerciales courraient grand risque d’être troublées ! N’est-il pas plus logique, plus raisonnable, plus sage, dans l’intérêt de la grande conciliation, que nous voulions tenter, de descendre vers cette majorité, et n’est-ce pas ainsi que nous avons la plus grande chance d’être écoutés des artistes étrangers dont nous avons réclamé le concours, et que nous remercions ici d’avoir répondu à notre appel avec tant de cordialité et de sympathie ?
Pour donner à l’industrie instrumentale un témoignage de sa sollicitude, la commission convoqua les principaux facteurs, ceux qui avaient obtenu les premières récompenses à l’Exposition universelle de 1855, c’est-à-dire ceux mêmes qui avaient écrit à Votre Excellence, et ce n’est qu’après avoir conféré avec eux et plusieurs de nos chefs d’orchestre, que la commission délibéra sur la quantité dont pourrait être abaissé le diapason.
Dans cette discussion, l’abaissement du quart de ton a réuni la grande majorité des suffrages ; apportant une modération sensible aux études et aux travaux des chanteurs, sans jeter une trop grande perturbation dans les habitudes, il s’insinuerait pour ainsi dire incognito en présence du public ; il rendrait plus facile l’exécution des anciens chefs-d’œuvre ; il nous ramènerait au diapason employé il y a environ trente ans, époque de la production d’ouvrages restés pour la plupart au répertoire, lesquels se retrouveraient dans leurs conditions premières de composition et de représentation. Il serait plus facilement accepté à l’étranger que l’abaissement du demi-ton. Ainsi amendé, le diapason se rapprocherait beaucoup du diapason élu, en 1834 à Stuttgart. Il avait déjà pour lui l’avantage d’une pratique restreinte, il est vrai, mais dont on peut apprécier les résultats.
La commission a donc l’honneur de proposer à Votre Excellence d’instituer un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France ; et de décider que ce diapason, donnant le la, sera fixé à 870 vibrations par seconde.
Quant aux mesures à prendre pour assurer l’adoption et la conservation du nouveau diapason, la commission a pensé, monsieur le ministre, qu’il conviendrait :
Qu’un diapason type, exécutant 870 vibrations par seconde à la température de 15 degrés centigrades, fût construit sous la direction d’hommes compétents, désignés par Votre Excellence.
Que Votre Excellence déterminât, pour Paris et les départements, une époque à partir de laquelle le nouveau diapason deviendrait obligatoire.
Que l’état des diapasons et instruments dans tous les théâtres, écoles et autres établissements musicaux, fût constamment soumis à des vérifications administratives.
Nous espérons que vous voudrez bien, monsieur le ministre, dans l’intérêt de l’unité du diapason, pour compléter autant que possible l’ensemble de ces mesures, intervenir auprès de S. Exc. le ministre de la guerre, pour l’adoption du diapason ainsi amendé dans les régiments ; auprès de S. Exc. le ministre du Commerce pour qu’à l’avenir, aux expositions de l’industrie, les instruments de musique conformes à ce diapason soient seuls admis à concourir pour les récompenses ; nous sollicitons aussi l’intervention de Votre Excellence pour qu’il soit seul autorisé et employé dans toutes les écoles communales de la France où l’on enseigne la musique.
Enfin, la commission vous demande encore, monsieur le ministre, de vouloir bien intervenir auprès de S. Exc. le ministre de l’Instruction publique et des Cultes, pour qu’à l’avenir les orgues, dont il ordonnera la construction ou la réparation, soient mises au ton du nouveau diapason.
Telles sont, monsieur le ministre, les mesures qui paraissent nécessaires à la commission pour assurer et consolider le succès du changement que l’adoption d’un diapason uniforme introduirait dans nos mœurs musicales. L’ordre et la régularité s’établiraient où règnent parfois le hasard, le caprice ou l’insouciance ; l’étude du chant s’accomplirait dans des conditions plus favorables ; la voix humaine, dont l’ambition serait moins excitée, serait soumise à de moins rudes épreuves. L’industrie des instruments, en s’associant à ces mesures, trouverait peut-être le moyen de perfectionner encore ses produits déjà si recherchés. Il n’est pas indigne du Gouvernement d’une grande nation de s’occuper de ces questions qui peuvent paraître futiles, mais qui ont leur importance réelle. L’art n’est pas indifférent aux soins qu’on a de lui ; il a besoin qu’on l’aime pour fructifier, s’étendre, élever les cœurs et les esprits. Tout le monde sait avec quel amour, avec quelle inquiétude ardente et rigoureuse les Grecs, qu’animait un sentiment de l’art si vif et si profond, veillaient au maintien des lois de leur musique. En se préoccupant des dangers que peut faire courir à l’art musical l’amour excessif de la sonorité, en cherchant à établir une règle, une mesure, un principe, Votre Excellence a donné une preuve nouvelle de l’intérêt éclairé qu’elle porte aux beaux-arts. Les amis de la musique vous remercient, monsieur le ministre, ceux qui lui ont donné leur vie entière, et ceux qui lui donnent leurs loisirs ; ceux qui parlent la langue harmonieuse des sons, et ceux qui en comprennent les beautés.
Nous avons l’honneur d’être avec respect,
Monsieur le ministre,
De Votre Excellence
Les très humbles et très dévoués serviteurs.
J. PELLETIER, président ; F. HALÉVY, rapporteur ; AUBER, BERLIOZ, DESPRETZ, CAMILLE DOUCET, LISSAJOUS, GÉNÉRAL MELLINET, MEYERBEER, Ed. MONNAIS, ROSSINI, AMBROISE THOMASTABLEAUX ANNEXÉS AU RAPPORT.
Arrêté du 16 février 1859
Vu l’arrêté en date du 17 juillet 1858 qui a institué une commission chargée de rechercher les moyens d’établir en France un diapason musical uniforme, de déterminer un étalon sonore qui puisse servir de type invariable, et d’indiquer les mesures à prendre pour en assurer l’adoption et la conservation ;
Vu le rapport de la commission en date du 1er février 1859,
Arrête :
Art. 1er. Il est institué un diapason uniforme pour tous les établissements musicaux de France, théâtres impériaux el autres de Paris et des départements, conservatoires, écoles, succursales et concerts publics autorisés par l’État.
Art. 2. Ce diapason, donnant le la adopté pour l’accord des instruments, est fixé à huit cent soixante-dix vibrations par seconde ; il prendra le titre de diapason normal.
Art. 3. L’étalon prototype du diapason normal sera déposé au Conservatoire impérial de musique et de déclamation.
Art. 4. Tous les établissements musicaux autorisés par l’État devront être pourvus d’un diapason vérifié et poinçonné, conforme à l’étalon prototype.
Art. 5. Le diapason normal sera mis en vigueur à Paris le 1er juillet prochain, et le 1er décembre suivant dans les départements.
À partir de ces époques, ne seront admis dans les établissements musicaux ci-dessus mentionnés que les instruments au diapason normal, vérifiés et poinçonnés.
Art. 6. L’état des diapasons et des instruments sera régulièrement soumis à des vérifications administratives.
Art. 7. Le présent arrêté sera déposé au secrétariat général, pour être notifié à qui de droit.
Paris, le 16 février 1859
ACHILLE FOULD.
Les critiques du rapport et de l’arrêté…
Le rapport et l’arrêté ministériel précédents, lui ordonne l’établissement d’un diapason modèle pour tous les théâtres et les établissements, lyriques de Paris et de la France, ont soulevé de nombreuses réclamations. Les constructeurs d’orgues, les fabricants d’instruments, les artistes qui se voient forcés de renouveler la flûte, le basson, le hautbois, etc., etc., dont ils se servent depuis longtemps ont fait aux conclusions pratiques contenues dans le rapport de la commission de telles objections, que l’arrêté ministériel n’a pas encore reçu d’exécution dans aucun théâtre de Paris. Un écrivain laborieux et très-versé dans les matières qui touchent à la fabrication des orgues et des autres instruments, M. Adrien de La Fage a publié un opuscule intéressant sous le titre de l’unité tonale, où il examine, tant au point de vue historique que sous le rapport praticable de nos jours, les idées qui ont déterminé la commission à s’arrêter au nombre de 870 vibrations par seconde pour le diapason normal de la France.
Il ne paraît pas, dit M. de La Fage, que les peuples anciens qui nous sont le mieux connus n’ont jamais songé à établir un son fixe qui servit de régulateur aux voix et aux instruments. Les plus anciennes opérations relatives au calcul des sons sont celles qu’on attribue à Pythagore qui vivait cinq cents ans avant l’ère vulgaire. Il semble résulter des recherches qu’on a faites dans l’histoire des Chinois qu’ils ont été les premiers à posséder un système musical d’une certaine régularité. C’est sous le règne de l’empereur Hoang-ti, 2600 avant Jésus-Christ, qu’aurait eu lieu la grande réforme de la musique chinoise, sous la direction d’un ministre tout-puissant, Ling-lun. Au moyen âge, les idées exactes étaient trop rares pour que l’on s’occupât d’une opération aussi délicate que la fixation d’un son régulateur. Les instruments s’accordaient à peu près au hasard et c’est à peine si l’on sait quelle était la dimension des gros tuyaux des principales orgues de l’Europe. Il faut arriver jusqu’aux premières années du dix-septième siècle, pour trouver quelques renseignements précis sur l’objet qui nous occupe.
En effet, c’est en 1615 que Salomon de Caus publia le premier ouvrage qui ait été écrit sur la construction des orgues ; mais c’est au P, Mersenne, dit M. de La Fage, que l’on doit la fixation exacte d’un son modèle et régulateur. Le P. Mersenne, qui était un très savant homme, avait parfaitement conscience de l’utilité de son opération, car il dit : « Tous les musiciens du monde feront chanter une même pièce de musique selon l’intention du compositeur, c’est-à-dire, au ton qu’il veut qu’elle se chante, pourvu qu’il connaisse la nature du son. » Le P. Mersenne, remarque M. de La Fage, ne peut s’empêcher d’admirer son idée, car il ajoute : « Celte proposition est l’une des plus belles de la musique pratique, car si l’on envoyait une pièce de musique de Paris à Constantinople, en Perse, en Chine, encore que ceux qui entendent les notes et qui savent la composition ordinaire le puissent faire chanter en gardant la mesure, néanmoins ils ne peuvent savoir à quel ton chaque partie doit commencer, etc. » Ainsi donc, comme l’observe fort judicieusement M. de La Fage, le principe de la fixation scientifique d’un son modèle aurait pu être appliqué dès la première moitié du dix-septième siècle ; mais le besoin ne s’en fit pas sentir, parce que la musique vocale était renfermée alors dans une portion assez restreinte de l’échelle sonore.
L’invention du diapason tel que nous le connaissons de nos jours, dit M. de La Fage, est due à un sergent-trompette de la maison royale d’Angleterre, nommé John Shore. Il étudia la trompette avec tant de persévérance qu’il était parvenu à en tirer des sons aussi doux que ceux du hautbois. John Shore faisait partie de la bande des trompettes royaux depuis 1711. À l’entrée de Georges 1er, en 1741, il remplissait les fonctions de sergent, montant, à la tête de sa petite troupe, un cheval richement caparaçonné. Le 8 août 1715, le personnel de la chapelle ayant été augmenté, il y fut admis en qualité de luthiste. Il avait toujours avec lui le diapason dont il était inventeur ; il s’en servait pour accorder son luth. Le diapason eut dès lors la forme qu’il a maintenant, et il se nommait en anglais tuning-fork, c’est-à-dire, fourchette d’accord. Il fut adopté par toute l’Angleterre, d’où il se propagea en Italie sous le nom de corista. (La corista vient en fait de choriste, un autre type de diapason constitué d’un sifflet avec un piston permettant de faire varier la fréquence de référence.) Il fut admis en France sous le nom grec de diapason. La différence des diapasons admis dans les divers pays de l’Europe était souvent très considérable…
M. de La Fage a pu constater qu’on rencontrait en Italie deux diapasons qui offraient l’énorme différence d’une tierce majeure. Le diapason de la Lombardie et de l’État vénitien était plus haut, et celui de Rome plus bas. À cette même époque, le diapason en usage à Paris était plus haut que celui de Rome et de la Lombardie.
D’après l’opinion de M. de La Fage, qui diffère de celle émise par la commission, ce seraient les instruments à cordes qui seraient la cause de l’ascension toujours croissante du diapason. Je pense, dit l’auteur de la brochure que nous analysons, que c’est la facilité qu’ont les instruments à cordes de modifier leur accord et de l’avantage qu’ils trouvent à le hausser, qu’est résulté l’ascension progressive du diapason. C’est dire que je ne partage pas en ceci l’opinion de M. Lissajous, qui croit que ce résultat a été produit par les instruments à vent. Chaque fois qu’un artiste nouveau en remplace un ancien dans un orchestre, dit M. Lissajous, il substitue un instrument plus récent qui influe, pour sa part, sur le mouvement ascensionnel du ton d’orchestre. Cet effet, insensible d’un jour à l’autre, se traduit, au bout d’un certain temps, par une différence notable.
Que ce soient les instruments à cordes ou les instruments à vent qui sont la cause de cette élévation où est arrivé le diapason moderne, ce qu’il fallait avant tout, c’est d’en arrêter l’ascension. II est évident, comme le dit M. de La Fage, que ce ne sont pas les chanteurs qui ont contribué à l’élévation toujours progressive du diapason dont ils sont les premières victimes. L’auteur ajoute : « Si tant de voix perdent aujourd’hui promptement leur fraîcheur primitive, ce n’est pas au diapason qu’il faut s’en prendre, mais aux compositeurs, qui sont les maîtres d’écrire dans la véritable étendue de chaque voix. »
Qui les force à placer le centre vocal dans la partie la plus élevée de l’échelle ? Non, ajoute M. de La Fage, ce n’est pas l’élévation du diapason qui empêche les voix de se produire, et qui altère celles qui se produisent ; ce sont les mauvais maîtres de chant, les mauvais compositeurs ; c’est eux qu’il faut accuser, c’est eux qu’il faut poursuivre ; et qu’on se hâte, car bientôt il faudrait accuser et poursuivre tout le monde ; toutes ces choses réunies peuvent avoir contribué au mal dont on se plaint ; l’essentiel, c’est d’y porter remède.
Dans le dix-neuvième article de sa brochure, M. de La Fage donne l’analyse d’un instrument curieux de
M. Lissajous pour faire apprécier à l’œil le nombre de vibrations que produit la tension d’une corde. Le but que se propose l’auteur, dit-il, est d’imposer une méthode optique propre à l’étude des mouvements vibratoires. Cette méthode, fondée sur la persistance des sensations usuelles et sur la composition de deux ou plusieurs mouvements vibratoires simultanés,
permet d’étudier, sans le secours de l’oreille, toute espèce de mouvements vibratoires, et, par suite, toute espèce de sons. « Quoique M. Lissajous n’ait pas encore développé expérimentalement toutes les conséquences de cette méthode, il pense qu’elle présentera une utilité réelle pour la fabrication des instruments de musique… M. de La Fage termine sa brochure par des conclusions qui semblent contraires aux principes émis dans le rapport de la commission, et il serait d’avis qu’on eût fixé un diapason, mais en laissant à chacun la liberté de s’y conformer. Nous ne saurions partager cette manière de voir, et nous pensons qu’après de vaines résistances de la part de certains fabricants d’instruments, on se soumettra au diapason légal, et que l’arrêté ministériel aura sa pleine et salutaire exécution.
Les questions d’érudition, d’investigation et d’utilité pratique sont à l’ordre du jour, et viennent, de plus en plus, solliciter l’attention de la critique. Nous avons sous les yeux une réponse de M. Vincent, membre de l’Institut, au mémoire de M. Fétis sur l’existence de l’harmonie simultanée des sons de la musique des Grecs, dont nous avons parlé dans le chapitre sixième de ce volume. Le titre de la brochure de M. Vincent qui vient de paraître tout récemment est : Réponse à M. Pétis et réfutation de son mémoire· sur cette question : Les Grecs et les Romains ont-ils connu l’harmonie simultanée des sons ? Sans entrer dans le fond du débat, nous sommes heureux de reconnaître que les conclusions, qui ressortent du travail très-serré et très-savant de M. Vincent, sont conformes à celles que nous avons émises en examinant le mémoire de M. Fétis. M. Vincent dit avec une haute raison (page 50 de sa brochure) : « Il est certain que les tierces, quoiqu’elles ne fussent pas prises théoriquement pour des consonances, étaient considérées comme telles dans la pratique des artistes. » À la bonne heure, donc, voilà de la science qui ne contredit pas le sens commun. M. Vincent ajoute un· peu après : « Or, dans les beaux-arts, les règles ne s’établissent pas a priori : c’est la pratique qui les dicte, la théorie ne fait que les enregistrer. » Page 63, nous lisons encore ce passage concluant : a Comment en définitive connaître toutes les ressources d’un système d’harmonie pratiqué suivant des règles que nous ignorons complètement, et qui étaient certainement très différentes des nôtres ? que ces règles fussent infiniment moins complexes et moins savantes que celles de nos jours, c’est un fait incontestable ; mais cela ne suffit pas pour se refuser à reconnaître ici l’existence d’une certaine harmonie, quelle qu’elle fût… Pour appuyer celle idée fort juste, M. Vincent ajoute, page 6 : Quand on a vu de rustiques montagnards, qui n’avaient certainement reçu les leçons d’aucun Conservatoire, ameuter tout Paris sur les places publiques, rien qu’avec un chalumeau et une cornemuse, on a peine à concevoir que des hommes intelligents persistent à dénier à un peuple splendidement doué pour tout le reste, jusqu’aux plus simples éléments d’un art qui possède, plus que tout autre, la puissance d’émouvoir certaines organisations privilégiées. En résumé, que réclamons-nous ? la connaissance des procédés, des finesses, des délicatesses de la science moderne ? Nullement : que l’on nous accorde un simple duo soutenu par un ou deux pédales, voilà toutes nos prétentions… Tout cela nous paraît trop raisonnable, trop fondé sur la nature des choses pour que M. Fétis n’en reconnaisse pas la vérité. La brochure de M. Vincent, écrite avec une extrême vivacité de paroles, est suivie de quelques planches qui la rendent d’autant plus curieuse à consulter.
Le siècle que nous traversons, et qui a déjà fourni plus de la moitié de sa carrière peut se diviser en deux époques dont chacune semble destinée à remplir une tâche différente. La première qui commence à la Révolution française a été une période de mouvement, de spontanéité et de création dans toutes les directions de la pensée, dans tous les faits soumis à la volonté de l’homme. La période qui va s’accomplissant sous nos yeux paraît devoir être, au contraire, une époque d’investigation, d’études et d’appréciation historique. La musique a largement participé au mouvement créateur de la première époque, car elle a produit Beethoven, Rossini, Weber et tout un monde d’idées nouvelles. Il faut nous résigner maintenant à partager le sort commun, à étudier le passé, à en pénétrer l’esprit jusqu’à ce que Dieu nous envoie un de ces révélateurs inspirés qui changent le cours des choses et viennent inaugurer, dans l’art, un nouvel idéal.
Le 1er janvier 2018, à la milonga Derecho Viejo à Gricel (Buenos Aires), un danseur âgé est venu me demander de passer Gil a rayas. Cela correspondait à un souvenir. Je lui ai demandé s’il avait une version de préférence, il me répondit que non. Comme je suis un DJ qui aime faire plaisir, j’ai cherché un moment favorable. Ce n’était pas si évident pour moi, car je ne passe pas de D’Agostino instrumental. Je vous dirai la version choisie et expliquerai son intégration dans la tanda en fin d’article.
Un gil ?
Un gil est un idiot, quelqu’un facile à berner. Ici, il est à rayures. N’ayant pas le support des paroles (probablement perdues), il est difficile d’imaginer le sens de l’expression complète, l’idiot à rayures. Peut-être cela fait référence à son style vestimentaire, les rayures ajoutant, ou pas à son imbécillité. On notera qu’un Gil a cuadros, (Gil à carreaux) est encore plus bête que le Gil simple.
Même si ce gil, Gilles, n’a pas de rayures, il représente assez bien l’idée du personnage un peu niais ou pour le moins naïf. En fait, ce tableau que l’on a longtemps appelé Gilles est désormais appelé Pierrot, mais cela ne change pas l’histoire, Pierrot étant le naïf de la Commedia dell’Arte. Le tableau ayant été recadré, il manque la partie gauche, la partie sombre du tableau où se trouve l’homme sur l’âne (le docteur ignare) pouvait révéler à l’origine d’autres personnages inquiétants… L’homme en rouge est le Capitaine, le militaire fanfaron. Les personnages en costume clairs sont « les amoureux ». Le buste sur la droite qui évoque le profil du docteur, en symétrie, a un regard inquiétant. Les différents éléments semblent donc vouloir se jouer du candide Pierrot, Gilles, gil. Je vous propose d’écouter notre tango du jour en regardant ce tableau. Vous y découvrirez peut-être la même histoire.
Extrait musical
Le titre a été enregistré (inscrit dans les registres) à la SADAIC le 20 mai 1958 sous la référence #40535 | ISWC T0370436660. Les auteurs sont mentionnés pour cette seule œuvre et ils restent assez mystérieux. D’où viennent ces giles ? Pardon, ces auteurs ? Je ne vous donnerai pas la réponse, mais je suis intéressé si vous l’avez…
Autres versions
Tout d’abord, je tiens à saluer mes regrettés amis Daniel Resk et Juan Lencina pour la confiance de m’avoir confié à de nombreuses reprises la musicalisation de la milonga Derecho Viejo. Je reviens donc à ce 1er janvier 2018 dans le beau Salón Gricel (je crois qu’à cette époque c’était encore l’ancien décor). Un danseur est donc venu me demander Gil a rayas. Voici les 5 choix qui s’offraient à moi et pourquoi j’ai choisi la version que j’ai diffusée.
Je la mentionne ici, car c’est un élément historique, mais un enregistrement acoustique ne se diffuse pas en milonga et de plus, c’est une version au piano. Cet enregistrement nous permet toutefois d’entendre Delfy dans une de ses nombreuses facettes, celle du pianiste.
Je ne l’ai pas envisagé une seconde, il est très rare de passer la vieille garde à Buenos Aires. Ce n’est pas vilain, mais pas au goût des danseurs portègnes. Il restait donc trois versions, toutes par D’Agostino et toutes les trois instrumentales. S’il y a un nom d’auteur, Rafael Herraiz, il n’y a apparemment pas de version chantée enregistrée. Voici les trois versions de D’Agostino :
Cette version est assez classique et elle a l’avantage d’être au cœur de l’activité de D’Agostino et donc de pouvoir être incorporée facilement dans une tanda.
Elle présente l’intérêt d’être à peu près compatible avec Café Dominguez, le gros tube du D’Agostino tardif qui est aussi instrumental. Mais on se retrouve dans le même cas que pour Café Dominguez, difficile de constituer une tanda harmonieuse.
l’esprit pour être diffusée. Elle est trop plan-plan et inerte pour que j’envisage de la proposer. Vous trouverez sans doute une version datée de 1963-05-06, mais c’est la même que celle de 1962 (même matrice et même numéro de disque), c’est donc une coquille de l’éditeur. Il restait donc deux titres possibles ; la version de 42 et celle de 53.
Que choisir ? Le dilemme du DJ
Le DJ est là pour faire plaisir aux danseurs. Il doit donc sans cesse estimer ce dont « ils ont besoin, envie ». Là, il y avait une commande. Comme D’Agostino est généralement plutôt calme, il peut bien convenir après une tanda de milonga. C’est l’option que j’ai choisie. J’avoue avoir beaucoup hésité entre deux possibilités.
Jouer le plus sûr avec la version de 1953, précédée ou suivie de Café Dominguez et deux tangos chantés par Vargas de la décennie antérieure. C’est un peu monstrueux d’un point de vue de l’harmonie de la tanda, mais sans trop de risque, car chaque titre individuellement sera accepté par les danseurs.
Mettre la meilleure version pour la danse à Buenos Aires, celles de 1942 et la compléter par trois titres de la même époque.
C’est l’option 2 que j’ai choisie, car j’aime bien faire des tandas harmonieuses. Ayant un doute sur l’accueil de Gil a rayas par les danseurs, j’avais prévu en cas de problème trois titres avec Vargas en continuation. Cependant, comme Gil a rayas a été bien accueilli, j’ai continué avec un autre instrumental :
Gran muñeca 1943-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino.
Là, il restait un choix à faire. Continuer en instrumental, avec des titres peu connus ou basculer sur Vargas. Comme la piste était pleine, je suis resté sur de l’instrumental, non sans avoir le cœur battant à 90…
Au moins ce titre est en harmonie avec le précédent et a même été enregistré le même jour. Là, il n’était plus vraiment question d’aller caser un Vargas. La piste était pleine et les danseurs ne semblaient pas regarder dans ma direction avec des poignards dans les yeux. J’ai donc mis un quatrième instrumental… La musique tranquille semblait leur convenir. D’ailleurs à Buenos Aires, il me semble que la musique est plus calme qu’en Europe. Je pense qu’on y recherche plus la subtilité que l’énergie.
Pourquoi ce titre qui est un peu différent des autres. Le piano y est assez présent, rappelez-vous, il dialoguait beaucoup dans la version de Gil a rayas de 1942, le premier titre de la tanda. Certains passages sont un peu plus toniques, notamment ceux où le piano est au premier plan, d’autres sont presque joueurs. Ce titre convient donc assez bien pour des couples qui ont eu trois autres titres pour s’apprivoiser. De plus, il présente une variation finale au bandonéon qui permet de terminer la tanda d’une façon relativement tonique. La tanda étant une tanda calme après les milongas, cette proposition pouvait bien passer dans ce cadre et ce fut le cas. Peut-être qu’en Europe je ne l’aurai pas proposée, mais en Europe, personne ne m’aurait demandé Gil a rayas… Je crois que c’est la seule tanda instrumentale de D’Agostino que j’ai passée dans ma carrière alors que je passe quasi systématiquement une tanda chantée, notamment par Vargas, ou au pire une tanda mixte, notamment quand il y a Café Dominguez (qui est instrumental) en début de tanda et que je poursuis avec Vargas.
Même si le titre de notre tango du jour est Una vez (Une fois), il peut y avoir deux fois le même titre pour des tangos des années 40. La version du jour est celle de la Típica Victor beaucoup moins connue que celle composée par Pugliese un peu plus tard, mais qui est également un succès des milongas, sans doute un peu plus traditionnelles. Ne vous inquiétez-pas, je vous propose les deux à l’écoute…
Carlos Marcucci 30/10/1903 – 31/05/1957
Carlos Marcucci, le compositeur de notre tango du jour, et son bandonéon ont traversé tout l’âge d’or du tango et l’Atlantique, Canaro l’ayant enjoint de venir travailler dans son orchestre en France. On lui doit d’autres compositions comme Mi Dolor ce sublime tango enregistré par quasiment tous les orchestres, Esta noche qui aussi un succès d’enregistrement et Aquí me pongo a cantar, la milonga phare de l’orchestre de Francisco Lomuto. Il est l’oncle de Alfredo Marcucci (14/09/1929 – 12/06/2010), à qui il a passé sa passion pour l’instrument. Alfredo raconte que quand il allait voir son oncle et qu’il n’entendait pas le bandonéon, c’est qu’il était absent.
Comme son oncle, Alfredo est passé par les grands orchestres de son époque, comme le dernier de Di Sarli, mais aussi par des orchestres plus contemporains comme la Orquesta Típica Silencio.
Les orchestres Víctor sont des orchestres conçus pour enregistrer des disques de danse. Cela s’entend dès les premières notes où le rythme est bien marqué. Cependant, Marcucci propose un motif très original, à partir de 30 secondes, qui consiste en une phrase à l’accordéon à laquelle répond le piano. Cela peut ravir les danseurs en les incitant à sortir de la marche pour improviser sur les temps de réponse du piano en contraste avec le bandonéon. Si on rajoute les tutti de l’orchestre, les danseurs ont au moins trois univers différents à explorer avant le début du chant. Le chant, c’est Ortega Del Cerro, qui reprend la structure de la première partie en assumant la partie des bandonéons et les cordes reprennent les réponses du piano legato ou en pizzicati selon les moments. C’est vraiment du bel ouvrage.
Paroles
Morir en los rayos de sol La niebla de un día sin luz. Y luego en la tarde serena Congelo mi angustia y mi pena.
Soñaba aquella tarde con tus besos Sentíame feliz con tu regreso. Y al verte de nuevo ante mí Cantaba en mis sueños así: Una vez, sólo te vi una vez Y te amé, sólo bastó una vez. Hoy no sé si me faltará tu cariño ¡Ay de mí, que estoy solo sin ti!
Sólo tú me sabes comprender Siempre tú, para poder vencer. Nunca más, yo te lo juro vida mía Nunca más podré vivir sin ti. Carlos Marcucci Letra: Lito Bayardo
Traduction libre
Mourir dans les rayons du soleil Le brouillard d’une journée sans lumière. Et puis dans l’après-midi serein, mon angoisse et mon chagrin ont gelé. J’ai rêvé cet après-midi de tes baisers, je me sentais heureux avec ton retour. Et à te revoir en face de moi, je chantais dans mes rêves ainsi : Une fois, je ne t’ai vue qu’une fois, et je t’ai aimée. Une seule fois a suffi. Aujourd’hui, je ne sais pas si ton amour va me manquer, pauvre de moi, que je suis seul sans toi ! Seulement toi sais me comprendre, toujours toi, pour pouvoir vaincre. Plus jamais, je te le jure, ma vie, plus jamais, je ne pourrai vivre sans toi.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de cette composition de Carlos Marcucci, je vous propose une version quasi contemporaine d’un tango du même titre composé par Osvaldo Pugliese.
Un premier appel est lancé par les bandonéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapidement, les cordes passent en pizzicati et Morán lance sa voix charmeuse et caressante. On retrouve donc un peu le principe de la version de Marcucci avec la voix en contrepoint avec les cordes. L’harmonie est cependant plus complexe, avec un enchevêtrement des parties plus complexe. Le soliste laisse parfois la place aux instruments qui donnent le motif avec leur voix propre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tangos de danse. On pourrait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont tellement habitués à ce type de composition qu’ils seraient bien frustrés si le DJ se les interdisait.
Il y a de nombreuses autres versions de la composition de Pugliese. Je vous propose d’en parler le 8 novembre, jour anniversaire de l’enregistrement par Pugliese. Nous avons écouté deux tangos réunis sous un même titre, exprimant un sentiment romantique puissant, et qui se révèlent tous deux de belles pièces pour la danse. Alors, vous croiserez sans doute une fois, deux fois ou bien plus, ces chefs-d’œuvre dans votre vie de danseur.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. À demain, les amis !
Si je dis Tic-Tac, vous penserez tout de suite à l’horloge, à la montre et au-delà, au temps qui passe. Les trois minutes d’un tango peuvent passer très vite, trop vite, ou donner l’impression de s’éterniser. Le tango du jour nous parle du temps. Sa tristesse est compensée par le savoir-faire de Moreno et Rodriguez, mais il est temps de vous faire écouter ce tango. Nous remontons le temps, jusqu’en 1941, il y a exactement 727 070 heures, quand Rodriguez et Moreno enregistraient le tangoTic Tac.
Extrait musical
Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Les 30 premières secondes sont classiques pour du Rodriguez. La musique est bien cadencée et marquée de façon un peu (beaucoup) appuyée. À 30 secondes, donc, Rodriguez nous donne la première information horlogère. Puis il reprend le cours normal de la musique. Les danseurs peuvent penser avoir rêvé ce Tic-Tac, mais 20 secondes plus tard, le Tic-Tac réapparaît. À une minute, Moreno lance deux fois Amor, mais avant d’aller plus loin, voici les paroles.
Paroles
Amor, amor… novela triste Amor, amor… tú ya no existes. Solo, sin tu cariño, Soy como un niño Que siente miedo. Solo, solo en la casa, La noche pasa Por el reloj.
Tic tac, tic tac, tic tac… Oigo en las sombras, este latido. Tic tac, tic tac, tic tac… Como un martillo suena en mi oído. Es el reloj que va pasando Y nuestras vidas va contando. Tic tac, tic tac, tic tac… Y su recuerdo, se hace dolor.
L’amour, l’amour… Roman triste L’amour, l’amour… Tu n’existes plus. (La triste nouvelle est annoncée) Seul, sans ton affection, je suis comme un enfant qui éprouve la peur. Seul, seul dans la maison, la nuit passe par l’horloge. Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (À 1:30 Moreno déclare Tic-Tac, levant toute ambiguïté et l’orchestre renforce le son d’horloge). J’entends dans l’ombre, ce battement (de cœur). Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Retour du Tic-Tac) Comme un marteau, il résonne dans mon oreille. C’est l’horloge qui tourne et nos vies vont comptant. Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Encore le Tic-Tac) Et son souvenir se fait douleur.
Abandon ou mort, quoiqu’il en soit, l’horloge marque le temps désormais inutile dans l’être aimé. C’est une façon assez originale de marquer le poids du temps sur la peine. Enrique Cadícamo, l’un des auteurs les plus prolifiques est ici le compositeur et le parolier, cette œuvre lui est donc totalement redevable et prouve la richesse de son univers. Il fallait sans doute Rodriguez et sa légèreté (dans les thèmes, pas la musique) pour passer en douceur ce message.
Le copain que je lui propose est une musique klezmer. Cela peut sembler curieux, mais le festival de Tarbes en France avait coutume de proposer comme dernier thème ce titre. J’avoue ne pas en connaître la raison pour laquelle ils ont troqué la cumparsita pour le titre que je vous propose d’écouter maintenant. Il s’agit de Time par le trio Kroke, un trio polonais dont le nom, Kroke, est celui de la ville polonaise de Cracovie, exprimé en Yidiish (langue des juifs d’Europe centrale).
Le trio Kroke est composé de Tomasz Kukurba au violon alto, Tomasz Lato à la contrebasse et Jerzy Bawoł à l’accordéon diatonique. Ce titre a été enregistré en mai 1998 a été publié pour la première fois en 1999 sur l’album The Sounds of the Vanishing World. Pour les masochistes, il existe une version longue de plus de 8 minutes, Tomasz Kukurba ayant complété l’original de Tomasz Lato… Certains seront assez étonnés d’apprendre que des danseurs essayent de danser le tango sur ce titre, mais d’autres adorent cet exercice qui consiste à croire danser le tango sur n’importe quelle musique. C’est génial, mais ce n’est pas du tango.
Bon, j’ai perdu les lecteurs fans de NeoTango. J’espère qu’ils reviendront quand ils sauront que j’ai musicalisé des événements de NeoTango, car pour un DJ, cela permet une très grande créativité dans le choix des musiques, mais aussi dans le mixage, ce qu’on ne fait pas en tango traditionnel. Par exemple, on peut commencer avec un titre, continuer avec un autre, rajouter des samples, voire des éléments synthétisés, revenir au thème initial, varier vitesse, hauteur, sonorité, ce que l’on ne peut guère faire dans une milonga.
Il est l’heure de vous laisser, à demain, les amis.
Notre tango du jour est une chanson sur un rythme de valse. Ce n’est donc pas un enregistrement pour la danse, mais l’histoire qui la sous-tend vaut d’être contée. C’est une histoire d’amour et ici, c’est la réponse de la bergère au berger. Mais rassurez-vous, il y a aussi de belles versions de danse au programme…
Extrait musical
Paroles
Recordaré de tu pasión la inmensidad. Recordaré la imagen fiel que me adoró. Evocaré de tu mirar la suavidad y soñaré que aquel ayer no se alejó.
Recordaré la noche azul en que te vi en el jardín primaveral de la ilusión. Recordaré que hoy, al partir, me estremecí cuando miré las rosas de mi amor temblando en tu balcón.
El recuerdo de tus ojos, tus sonrisas y tus besos, han de ser en mi camino brillantísimo fulgor. Si me alejan de tu lado viviré con tu recuerdo. Viviré acariciando tu nombre entre vagos rumores y ensueños. Viviré de las horas pasadas mi sublime novela de amor.
Recordaré de tu querer la inmensidad, recordaré de tu besar la ensoñación, y al evocar de tu reír la claridad me cubrirá un velo gris de desazón.
Recordaré que suave luz te iluminó cuando besé, ebrio de amor, tu boca en flor. Recordaré el madrigal que te brindó mi inspiración, al ver tu hermosa faz teñida de rubor. Francisco Canaro Letra: Ivo Pelay
Traduction libre
Je me souviendrai de l’immensité de ta passion. Je me souviendrai de l’image fidèle qui m’adorait. J’évoquerai de ton regard la douceur et je rêverai que cet hier n’a pas disparu. Je me souviendrai de la nuit bleue quand je t’ai vu dans le jardin printanier de l’illusion. Je me souviendrai qu’aujourd’hui, en partant, j’ai frissonné en regardant les roses de mon amour trembler sur ton balcon. Le souvenir de tes yeux, tes sourires et tes baisers doivent être un éclat des plus brillants sur mon chemin. S’ils m’emportent loin de toi, je vivrai avec ton souvenir. Je vivrai en caressant ton nom au milieu de vagues rumeurs et de rêves. Je vivrai des heures passées, mon sublime roman d’amour. Je me souviendrai de l’immensité de ton amour, je me souviendrai du rêve de ton baiser, et quand j’évoquerai la clarté de ton rire, il me couvrira d’un voile gris de malaise. Je me souviendrai de la douce lumière qui t’illuminait quand j’embrassais, ivre d’amour, ta bouche en fleurs. Je me souviendrai du madrigal que t’a donné mon inspiration, quand j’ai vu ton beau visage teinté de rougissement.
Une histoire
Maintenant que vous avez pris connaissance des paroles, vous comprendrez pourquoi cette valse n’est pas aussi entraînante que d’autres. On peut se demander ce qui se passe, si l’être aimé est mourant ou mort, si la séparation est définitive par la volonté de l’un des deux. Pour répondre à cela, il convient d’entrer dans la vie de Francisco Canaro et Ada Falcón. Aída Elsa Ada Falcone avait deux demi-sœurs, elles aussi chanteuses, Amanda, et Adhelma.
Amanda qui n’a pas enregistré a eu un début de carrière intéressant, faisant notamment partie de la Compañía Argentina de Grandes Espectáculos de Ivo Pelay (l’auteur des paroles de notre valse du jour). Elle a joué également avec Gardel, même si l’accueil de la critique ne fut pas à la hauteur de ses espérances. Sa carrière semble s’être arrêtée en 1934 et on la retrouve à Hollywood, mais apparemment sans événement majeur dans sa vie artistique.
Adhelma Falcón (1902-1987),
Je vous propose de découvrir Adhelma avec l’un de ses enregistrements :
Adhelma prouve par cet enregistrement qu’elle avait une voix qui pouvait rivaliser avec celle de sa demi-sœur. Elle était en plus compositrice et auteure, de quoi lui assurer la gloire, mais cela a été pour la petite Ada, la plus jeune des trois. Elle a arrêté sa carrière en 1946, peu après Ada. En 1989 Ada a accusé son aînée de s’être fait passer pour elle dans des tournées et de signer des autographes en son nom. Cinquante ans après les faits supposés, on peut s’étonner de cette révélation. Cela confirme toutefois la qualité de chanteuse d’Adhelma et sa beauté. En 1934, elle a devancé Ada dans un concours organisé par la revue Sintonía. Le but de ce concours était d’élire la plus belle Miss Radio (ce qui peut sembler étonnant vu qu’à la radio on ne voit pas les visages… La gagnante fut Libertad Lamarque, mais Adhelma a obtenu beaucoup plus de voix (votes) que Ada. Peut-être que ces points expliquent la brouille entre les deux femmes, mais une autre histoire court selon laquelle Canaro aurait été infidèle à Ada avec Adhelma…
Ada Falcón
Ada est née elle-même d’une infidélité de sa mère avec un estanciero de Junín… Elle est donc la demi-sœur de Amanda et Adhelma. Elle a suivi le chemin des deux aînées, mais semble-t-il avec plus de succès. Cela tient peut-être dans le fait que Ada a rencontré Canaro. Et c’est cette rencontre qui marquera la vie des deux.
Ada y Francisco
La romance entre Canaro et Ada est bien connue. Ada qui a commencé à travailler très jeune et après un passage dans l’orchestre de Fresedo et le trio de Delfino avec qui elle a enregistré jusqu’au 20 juillet 1929 et 4 jours plus tard, elle enregistrait avec Canaro. La majorité des titres sont mentionnés comme étant de Ada Falcón accompagnée par Francisco Canaro. Elle était la vedette. Par ailleurs, beaucoup des titres qu’elle a chantés ont été composés par Canaro avec des thèmes pouvant coïncider avec leur histoire d’amour. Le plus célèbre et le premier est Yo no sé qué me han hecho tus ojos.
Paroles et musiques de Francisco Canaro. Une déclaration d’amour à Ada. Cette histoire eu comme fin le refus de Canaro de divorcer de La Francesa, son épouse. Dans ses mémoires, Canaro le conte de façon un peu différente, Ada aurait répondu à un appel de Dieu, pas tout à fait sincère le Francisco. La réalité semble plus prosaïque. Les avocats de Canaro auraient affirmé qu’il aurait dû donner la moitié de ses biens à sa femme en cas de divorce, ce à quoi, étant né pauvre, il s’est refusé. Le refus fut sans doute très mal pris par Ada qui avait son caractère, mais le point final fut soit l’histoire avec sa demi-sœur Adhelma contée ci-dessus, soit le fait que La Francesa soit venue dans la loge et surprenant Ada sur les genoux de Francisco aurait menacé de les tuer avec le pistolet qu’elle avait apporté. Quoi qu’il en soit, cela a mis fin à leur relation professionnelle, mais leur amour est resté en filigrane. Ainsi, leur dernière séance d’enregistrement a eu lieu le 28 septembre 1938 et les deux derniers thèmes ont été Nada más et No mientas, (Plus jamais et Ne mens pas). Quatre ans plus tard, Francisco Canaro enregistre la valse Viviré con tu recuerdo avec Eduardo Adrián. Au bout de quatre mois, Ada donnera sa réponse en enregistrant pour la dernière fois de sa vie, la même valse, Viviré con tu recuerdo (Je vivrai avec ton souvenir) et Corazón encadenado (cœur enchaîné), un autre thème composé par Canaro et qui peut être considéré comme une autre preuve de l’amour d’Ada pour Francisco. Ce dernier enregistrement est un adieu, un adieu à Canaro, mais aussi à la vie séculaire, puisqu’elle se retira dans un couvent. Pour clore cette histoire, je vous propose la fin du documentaire sur Ada Falcón, de Lorena Muñoz et Sergio Wolf « Yo no sé qué me han hecho tus ojos » (Argentina – 2003).
20 secondes d’émotion quand le journaliste demande à Ada Falcónqui fut son grand amour et qu’elle répondit en pleurant, je ne me souviens pas. “Allí se le preguntó quién había sido su gran amor”, « No recuerdo« .
Autres versions
Il n’y a que trois enregistrements valables de ce thème et les trois impliquent au moins un des protagonistes de la chanson. J’ai d’autres versions, mais elles sont suffisamment moches pour que je ne vous les propose pas. Je ne voulais pas gâcher cette histoire d’amour avec des versions moyennes.
C’est le premier enregistrement du thème de Canaro par Canaro. C’est clairement un message adressé à Ada avec l’aide de son complice, Ivo Pelay, qui était également un proche des sœurs Falcón.
Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza. La réponse de la bergère, Ada, au berger Francisco. Roberto Garza (José García López), le bandonéoniste qui accompagne avec ses musiciens AdaFalcón n’est pas un chef habituel. Il a réalisé entre 1941, quelques enregistrements en accompagnement de Mercedes Simone et enregistré deux titres avec Ignacio Corsini. Le double enregistrement du 4 août 1942 est donc motivé par le besoin d’Ada de répondre à Francisco. Ce sont ses adieux à Canaro et au monde.
Viviré con tu recuerdo 1954-11-17 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro. Douze ans plus tard, Canaro, à la tête de son Quinteto Pirincho enregistre une version instrumentale, comme un écho, comme pour dire à Ada, je pense toujours à toi.
À propos des « éditeurs » de disques
J’ai une collection musicale plutôt riche (plus de 100 000 titres, pas seulement de tango), mais je fais de la veille, notamment pour découvrir des versions par de nouveaux orchestres. J’ai donc jeté un œil à Spotify, un service de musique grand public, d’une grande médiocrité, car il ne vérifie pas les éléments qu’ils publient. Curieusement beaucoup de DJ de tango l’utilisent, parfois même en direct… Je ne parle pas de la qualité sonore proposée par la plateforme, elle est techniquement suffisante pour passer de la musique de tango ancienne, mais de la qualité des versions qu’ils diffusent, s’approvisionnant auprès d’éditeurs peu scrupuleux, voire crapuleux. Ces derniers proposent des versions très mal numérisées et souvent horriblement retouchées, voire tronquées.
Voici une copie d’écran de Spotify. Le seul enregistrement correctement indiqué est notre tango du jour. Les autres sont soit incomplets (mention de l’orchestre sans le chanteur, mention du chanteur sans l’orchestre), soit carrément faux, comme une version de Mercedes Simone qui est en fait celle de AdaFalcón passée un peu plus vite. 90 % d’erreur, ce n’est pas très honorable. Non seulement c’est une preuve de médiocrité, mais en plus, c’est ne rien comprendre à l’histoire. Indiquer que Ada Falcón a enregistré avec Canaro en 1942, c’est méconnaître l’histoire et ne pas regarder les étiquettes des disques. Les éditeurs se contentent de piquer des musiques dans leur fonds, sans se soucier de la qualité, de l’exactitude de ce qu’ils publient. Ils prennent n’importe quel CD, réalisé d’après n’importe quel disque vinyle ayant massacré le disque 78 tours d’origine, en rajoutant une couche de destruction avec le Remasterizado ». C’est tout simplement scandaleux. Quand je pense que les éditeurs de musique se goinfrent sur le dos des organisateurs d’événements en ayant détourné la raison d’être de la SACEM, ce qui est un comble quand on pense que Canaro était un des précurseurs des droits d’auteurs en Argentine avec la création de la SADAIC.
Voilà, on se quitte avec la photo de nos deux amoureux tragiques.
Notre tango du Jour est très original, par son titre, par sonorité et par sa rareté. Un marajá (maharajá) est bien sûr un maharadjah qui pour l’époque qui nous intéresse est un des princes feudataires de l’Inde. La sonorité de la musique le confirme rapidement si on avait un doute.
Un Federico peut en cacher un autre
Domingo Federico (1916-2000) avait une petite sœur, Nélida Cristina Federico (1920-2007). Bandonéoniste, pianiste et peintre (1920-2007). Cette dernière indique que son père, Federico était violoniste et même professeur de violon selon son frère, Domingo et c’est là que les problèmes commencent. Un Francisco Federico, on en a un en stock, mais il était contrebassiste, notamment dans l’orchestre de Miguel Caló. Il était également compositeur, par exemple de El marajá dont on parle aujourd’hui. Selon Nélida, c’est son père et Domingo qui l’ont initié à la musique. Il est donc fort probable que le Francisco auteur de ce tango soit le père de Nélida et Domingo, sinon, pourquoi ne pas parler de son autre frère qui comme compositeur et contrebassiste aurait pu aussi contribuer à la formation musicale de la jeune femme ? Une autre indication est le fait que le tango Saludos est cosigné Domingo et Francisco Federico et qu’à cette époque, Francisco Federico était contrebassiste dans l’orchestre de Miguel Caló. Sur le fait de jouer plusieurs instruments, c’était une particularité de la famille et de nombreux autres musiciens de tango. Nélida aurait commencé à étudier le violon, puis serait passé au piano et au bandonéon. En effet, le premier janvier 1931, avec son frère Domingo, elle jouait au Café Tokyo de Junín en compagnie de son frère âgé de 14 ans (elle devait donc avoir environ 11 ans). Lui au bandonéon et elle au piano. Le clou du spectacle est qu’ils échangèrent les rôles, lui au piano et elle au bandonéon, le père étant le conseiller musical du duo qui fut appelé, le Duo Federico. J’avais donc monté l’hypothèse que le Francisco de Saludos et de El marajá était le père ou sinon le frère de Nélida et Domingo. Pour lever cette ambiguïté, j’ai contacté des collègues et l’excellent Camilo Gatica m’a orienté vers une source que j’avais consultée, mais dans une version inaccessible pour moi. Cette source complète confirme toutes mes hypothèses, je cite donc la conclusion de Camilo (avec des ajouts entre parenthèses) : « Ainsi, Francisco était pianiste, bandonéoniste, violoniste (et même professeur de violon selon son fils), contrebassiste (dans l’orchestre de Miguel Calo) et avait des connaissances en musique. Il était le père de Domingo et Nélida ».
Extrait musical
Un motif très léger de flûte ethnique commence l’œuvre. La mélodie principale a des caractéristiques qui la rapprochent de la musique orientale. On ne peut donc à aucun moment écarter la volonté de référence à un orient. On notera la grande richesse des contrepoints, les instruments se lançant à tour de rôle de dans de belles phrases qui s’enlacent et s’enchevêtre, tout en gardant une grande clarté. Les motifs, plus typiquement orientaux, reviennent régulièrement pour rappeler le thème. Étant ignorant en musique indienne, je ne peux pas vous proposer d’œuvres de comparaison qui permettraient de définir la source d’inspiration de Francisco Federico. Cependant, ceux qui connaissent Ravi ShankarouGeorge Harrison (le guitariste des Beatles)verront toute de suite des analogies, même si Francisco et Domingo Federico ne font pas appel au sitar. Que ce soit un orient de fantaisie ou savant, cela évoque l’Inde et l’un de ses princes, un maharajá.
Mais qui est ce mahârâjah – maharajá – marajá ?
Le fait que le père de Domingo soit l’auteur de ce tango est important, car en 1925, un mahârâjah est venu en Argentine et a été reçu en grande pompe, au point que le Président Alvear a dû sortir de sa poche une partie du financement, car l’enveloppe de dépense avait explosé. Le voyageur était le mahârâjah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce prince indien était fortement européanisé et parlait français, ce qui était courant dans la haute société argentine de l’époque. Il effectua son voyage en habits européens, sans son turban.
Le maharajah relate son périple dans son journal : My Tour in South, Central, and North America (1926). On y apprend qu’il faisait froid à son arrivée à Buenos Aires en provenance d’Uruguay et que Buenos Aires est le lieu qui lui a le plus plu de son voyage. On peut le croire quand on constate qu’un quart de son livre est consacré à son passage dans la province. Parmi ses visites, en plus du théâtre Colon et les réceptions habituelles, il est allé à Tigre et dans un site insolite que j’ai choisi de mettre en fond de la photo de couverture. Il s’agit du château estancia Huetel situé à 200 km de Buenos Aires, dans la Pampa. Il passa deux jours dans ce château imitant le style français Louis XIII appartenant à doña Concepción Unzué de Casares.
Au programme, un concert de Carlos Gardel. Un chanteur d’origine française, dans un château de style français par un architecte français, il n’en fallait pas plus pour ravir le mahârâjah francophile. Pour être précis, Gardel n’était pas seul. Il était accompagné de Razzano et de leurs guitaristes Ricardo et Barbieri et d’un instrumentiste impromptu… Gardel et Razzano commencèrent à interpréter Linda provincianita, Galleguita, Claveles mendocinos, La pastora et La canción del ukelele. Alors, Le Prince de Galles qui était également invité est parti dans sa suite chercher un ukulélé et il se mit à en jouer y compris sur les chansons de Gardel et Razzano. Jagatjit Singh Sahib Bahadur (le maharajah) raconte dans son journal que l’accueil de la population argentine a été enthousiaste dans tous les points de son voyage dans le pays et qu’on l’accueillait aux cris de « Viva el Maharajá », y compris aux haltes du train qui le mena par la suite vers le Chili.
La visite d’un prince venu de si loin semble avoir impressionné la population et j’imagine que c’est bien cette visite qui a donné l’idée à Francisco Federico d’écrire ce titre.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de ce tango, je vous propose de le réécouter.
Domingo Federico est sans doute un musicien un peu oublié. Sa retraite à Rosario l’éloignant de Buenos Aires a peut-être limité sa visibilité. Je suis donc content, une fois de plus, de lui redonner un peu de présence.
À propos de l’image de couverture
J’ai assemblé deux images. Une vue de l’estancia Huetel et au premier plan, un portrait du maharajah de Kapurthala, Jagatjit Singh Sahib Bahadur. Ce portrait n’est pas d’époque, mais je tenais à présenter un maharajah avec son turban.
Tous les danseurs n’apprécient pas ce type de musique de Pugliese et d’autres adorent. Ce qui est sûr est que Jorge Caldara a une fois de plus montré ses talents de compositeur et que les paroles de Mario Soto sont d’une puissance extrême. Il fallait bien ça pour le titre ambitieux de ce tango, Pasional (passionné). Je vous présenterai en fin d’anecdote qui a inspiré ce merveilleux texte d’amour.
De gauche à droite, Emilio Balcarcé (violoniste), Alberto Morán (le chanteur de notre tango du jour), Mario Soto (locuteur et l’auteur des paroles du tango du jour), Osvaldo Pugliese (pianiste et « chef »), Osvaldo Ruggiero (bandonéoniste), Oscar Herrero (violoniste) et enfin Jorge Caldara (bandonéoniste et compositeur du tango du jour).
Extrait musical
À gauche, le disque de notre tango du jour. Au centre la partition éditée par Julio Korn, avec la dédicace au Docteur O. Nusdeo qui était chirurgien à l’hôpital Rawson de Buenos Aires. À droite, la couverture de la partition avec Osvaldo Pugliese, puis celle avec Ranko Fujisawa, la chanteuse japonaise qui avait incité Jorge Caldara à aller au Japon.
Paroles
No sabrás… nunca sabrás lo que es morir mil veces de ansiedad. No podrás… nunca entender lo que es amar y enloquecer. Tus labios que queman… tus besos que embriagan y que torturan mi razón. Sed… que me hace arder y que me enciende el pecho de pasión.
Estás clavada en mí… te siento en el latir abrasador de mis sienes. Te adoro cuando estás… y te amo mucho más cuando estás lejos de mí.
Así te quiero dulce vida de mi vida. Así te siento… solo mía… siempre mía.
Tengo miedo de perderte… de pensar que no he de verte. ¿Por qué esa duda brutal? ¿Por qué me habré de sangrar sí en cada beso te siento desmayar? Sin embargo me atormento porque en la sangre te llevo. Y en cada instante… febril y amante quiero tus labios besar.
¿Qué tendrás en tu mirar que cuando a mí tus ojos levantás siento arder en mi interior una voraz llama de amor? Tus manos desatan… caricias que me atan a tus encantos de mujer. Sé que nunca más podré arrancar del pecho este querer.
Te quiero siempre así… estás clavada en mí como una daga en la carne. Y ardiente y pasional… temblando de ansiedad quiero en tus brazos morir.
Jorge Caldara Letra: Mario Soto
Traduction libre
Tu ne sauras pas… Tu ne sauras jamais ce que c’est que de mourir mille fois d’anxiété. Tu ne pourras pas… jamais, comprendre ce que c’est que d’aimer et de devenir fou. Tes lèvres qui brûlent… tes baisers qui enivrent et qui torturent ma raison. Soif… qui me brûle et qui enflamme ma poitrine de passion. Tu es cloué en moi… Je te sens dans le battement brûlant de mes tempes. Je t’adore quand tu es là… Et je t’aime tellement plus quand tu es loin de moi. Alors je t’aime, douce vie de ma vie. Ainsi je te sens… seulement mienne… toujours mienne. J’ai peur de te perdre… de penser que je ne te verrai pas. Pourquoi ce doute brutal ? Pourquoi devrais-je saigner si dans chaque baiser je te sens défaillir ? Cependant, je me tourmente parce que je te porte dans mon sang. Et à chaque instant… fiévreux et aimant, je veux embrasser tes lèvres. Qu’as-tu dans ton regard pour que, lorsque tu lèves les yeux sur moi, je sente brûler en moi une flamme vorace d’amour ? Tes mains délient… caresses qui me lient à tes charmes de femme. Je sais que jamais plus je pourrai arracher cet amour de ma poitrine. Je t’aime toujours ainsi… Tu es fichée en moi comme un poignard dans la chair. Et ardent et passionné… tremblant d’angoisse, je veux dans tes bras, mourir.
Autres versions
Ce titre a eu un immense succès et dès sa création en 1951, de nombreux orchestres l’ont mis à leur répertoire. En voici quelques exemples.
Le plus ancien enregistrement. Il nous fait découvrir un Caló moins courant, tout d’abord par le chanteur, Juan Carlos Fabri, mais aussi par l’interprétation, une concession marquée de Caló aux nouvelles orientations du tango. Il fut sans doute subjugué par la composition de Caldara au point de sortir de sa zone de confort. Je me demande pourquoi il a enregistré avant Pugliese qui avait sous la main, l’auteur des paroles, le compositeur et les musiciens. J’imagine qu’il devait encore être en prison. Le problème de vivre entre deux continents est que j’ai une partie de ma bibliothèque des deux côtés et pas la partie qui concerne les déboires politiques de Pugliese de ce côté…
Les deux auteurs, Jorge Caldara et Mario Soto sont de l’équipe de Pugliese. Caldara est bandonéoniste, compositeur et arrangeur et Mario Soto est présentateur. En effet, les orchestres de l’époque se faisaient présenter au public. On entend cela dans quelques enregistrements où cette présentation a été conservée. Je ne fais pas partie des DJ qui mettent volontiers ce type de tango, mais si je sais qu’il y a des fans dans le salon de danse, je peux le proposer.
Une version pour écouter au salon, de la maison, pas de bal. Mario Demarco fut l’un des bandonéonistes de Pugliese au départ de Jorge Caldara. Il faut noter qu’il a enregistré ce titre quatre ans avant d’intégrer l’orchestre de Pugliese. Il était proche de son collègue, Caldara.
Oscar Larroca est sans doute un excellent choix pour des paroles aussi romantiques. Si De Angelis évite la guimauve qui pourrait produire ce titre, on peut penser qu’il est tombé dans l’excès inverse en étant un peu trop tonique pour le thème. Cela facilitera le travail des danseurs, on ne va bouder.
On retrouve Pugliese et Morán, je vous laisse mesurer l’évolution entre les deux interprétations. Jorge Caldara est toujours dans l’orchestre, mais Mario Soto était parti Il n’est pas étonnant de trouver ce titre au répertoire de Ranko Fujisawa et de l’orchestre dirigé par son mari. En effet, Ranko est celle qui a insisté très fortement et avec constance pour que Jorge Caldara aille au Japon. Elle appréciait beaucoup ce jeune bandonéoniste et compositeur.
Avec ce titre, il est difficile de dire ce qui est de danse et pour l’écoute, là, c’est clair, ce n’est pas pour la danse. Enfin, je crois (humour ; -)
Ce second enregistrement par Ranko prouve qu’elle était vraiment intéressée par les qualités musicales de Caldara.
Troisième enregistrement du thème par Morán.
Aida Denis donne du sentiment. C’est intéressant à écouter.
Rodolfo Lesica nous propose une version expressive, mais qui se combine bien avec l’orchestre du compositeur, Jorge Caldara. Pas pour la danse, mais il est intéressant de voir comment Caldara met en œuvre sa création.
Une proposition plus légère, après celle de Caldara, on vire presque à la variété.
Cette version simple, accompagnée à la guitare proposée par l’Uruguayenne Francis Andreu, est une belle réalisation.
Les musiciens du Hamburg Tango Quintet se mettent au service de la voix de Caio Rodriguez. Une production atypique, tirant vers la musique classique, mais c’est également une évolution du tango à prendre en compte.
Une version assez poétique, pas prévue pour la danse, mais qui s’écoute avec plaisir.
Un enregistrement tout récent qui montre que l’œuvre continue de susciter de l’intérêt.
Naissance d’un chef-d’œuvre
Jorge Caldara et Mario Soto travaillaient pour l’orchestre de Pugliese. Jorge Caldara comme bandonéoniste, arrangeur et compositeur (voir mon anecdote sur Patético où je dévoile un peu son rôle de moteur d’innovation dans l’orchestre de Pugliese) et Mario Soto comme présentateur et même un peu plus si on le croit quand il dit qu’il faisait également le programme de l’orchestre. Dans l’édition du 9 janvier 1994 du journal HOY (aujourd’hui) de La Plata (Capitale de la Province de Buenos Aires, située au sud-est de la capitale fédérale) Mario Soto raconte dans une interview au journaliste Acquaforte comment est né Pasional. « J’ai été inspiré pour composer (c’est en fait une co-création avec Caldara) ce tango par deux sœurs petites et laides qui assistaient à tous les bals de Pugliese dans la zone sud, dans les clubs de Quilmes, Sarandí et Domínico. Elles étaient timides, insignifiantes et “repassaient” (planchar, c’est repasser, mais pour les danseuses, c’est faire banquette, ne pas être invitées) toute la nuit. J’ai ressenti quelque chose comme de la compassion et j’ai recréé silencieusement la chanson, basée sur ces deux petites souris transformées en une terrible « wamp ».
Dans cette illustration, on reconnaît Mario Soto, appuyé au lampadaire, le bandonéoniste lunaire, c’est bien sûr Jorge Caldara et les deux sœurs timides sont seules sur leur chaise. On notera l’emprunt que j’ai fait à Oscar Blotta pour l’illustration de couverture de cette anecdote.
Chers amis, je vous souhaite de ne pas plancher (faire banquette), lors de votre prochaine milonga et je vous dis, à demain !
À Buenos Aires, la majorité des milongas continuent de faire des tandas de 4 titres pour les tangos, et pour quelques-unes, y compris pour les valses, mais uniquement si tous les danseurs dansent, ce qui est généralement le cas. Notre tango du jour est donc, vous l’avez deviné, une valse, sans doute trop peu connue, Samaritana. Elle a été enregistrée il y a 92 ans.
Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas avare de valses et que je n’hésite jamais à faire des propositions un peu plus rares, l’avantage des valses est que la majorité reste dansante grâce à la structure particulière à trois temps avec le premier temps accentué (POUM – tchi – tchi). Il est donc plus facile de prendre des risques avec les valses que les tangos et encore plus que les milongas, qui ont le rythme le plus difficile à proposer en milonga.
Los Provincianos
Ciriaco Ortiz Direction et bandonéon, Aníbal Troilo et Horacio Gollino (bandonéons), Orlando Carabelli (piano), Elvino Vardaro et Manuel Núñez (violons), Manfredo Liberatore (contrebasse) et Alberto Gómez (dit Nico) au chant sont les artistes qui ont mis en musique et enregistré cette valse.
On trouve parfois cet enregistrement sous le nom d’orchestre OTV – Orchestra Típica Víctor. Ce n’est pas vraiment faux, car il s’agit effectivement d’un orchestre créé par la maison de disque Víctor et qui était destiné à enregistrer des disques. Le premier orchestre, celui qui était dirigé par Carabelli avec le nom de OTV, mais par la suite, la compagnie Víctor décida de multiplier les orchestres et pour s’y retrouver, elle leur donna des nos différents…
La Orquesta Típica Los Provincianos, dirigée par Ciriaco Ortiz et qui a enregistré notre valse du jour et qui est en fait la continuation de l’orchestre de Carabelli, d’où le fait qu’on le nomme parfois tout simplement Típica Víctor, comme le premier orchestre et comme on le fera pour les suivants…
La Orquesta Víctor Popular,
La Orquesta Radio Víctor Argentina, dirigée par Mario Maurano
La Orquesta Argentina Víctor
La Orquesta Víctor Internacional
El Cuarteto Víctor composé de Cayetano Puglisi et Antonio Rossi (violons), Ciriaco Ortiz et Francisco Pracánico (bandonéons)
El Trío Víctor composé de Elvino Vardaro (violon) et de Oscar Alemán et Gastón Bueno Lobo (guitares).
Même si cet orchestre n’était pas destiné à jouer en public, les habitués du Cabaret Casanova qui était situé en la rue Maipu, juste en face du Salón Marabú (où a débuté Troilo avec son orchestre, juste en traversant la rue…) et qui existe, lui, toujours, ont pu entendre l’orchestre sur scène.
Extrait musical
Les violons dessinent les premières notes sur une base staccato du reste de l’orchestre et notamment des bandonéons et de la contrebasse qui marque fermement les premiers temps. Puis s’exprime le sublime violon soliste. Les bandonéons reprennent la voix avec à 35 secondes un curieux (mais génial) glissando. À 1:12, Alberto Gómez lance le chant, toujours en mode mineur, mais ce n’est pas étonnant vu les paroles. Sa voix décontractée enlève la tragédie des paroles, il termine en voix de tête. Il reste ensuite une minute à l’orchestre pour faire oublier le triste des paroles, ce qu’il fait parfaitement, notamment avec la variation finale exécutée principalement par les bandonéons en double croche.
Les orchestres Víctor sont destinés aux disques, mais aux disques pour danseurs et ce n’est donc pas un hasard si les valses de ces orchestres comportent une telle proportion de merveilles.
Paroles
N’ayant pas trouvé la partition, ni les paroles, il s’agit ici uniquement de ce que chante Alberto Gómez.
El dolor, cruzó mi corazón Golpeando fuerte, Dejando en su rutina Frío de muerte, Que me asesina Sin compasión.
Mi cantar se ahoga con mi voz Que es una pena, Y nada me consuela De haber perdido, Lo que he querido Con tanto amor.
La douleur a transpercé mon cœur, frappant fort, laissant dans sa routine, le froid de la mort qui me tue sans compassion. Mon chant s’est noyé avec ma voix, qui est un chagrin, et rien ne me console d’avoir perdu ce que j’ai aimé avec tant d’amour.
Qui est la samaritana ?
Je pose la question, mais je n’ai pas de réponse. Le sens le plus commun fait référence à la femme de la Bible, la femme au puits. Par extension, le terme désigne une personne qui se dévoue pour les autres. Mais ce n’est pas tout, la samaritaine est une pécheresse, car elle a eu cinq « maris » sans être mariée. Cette direction nous rappelle que les prostituées héritent parfois de cette appellation, comme le rappelle la très belle chanson du chanteur espagnol José Luis Perales, Samaritanas del amor.
Comme cette valse est orpheline et les paroles incomplètes, on ne peut rester qu’à des suppositions. Mais est-ce si grave si on peut se plonger dans l’ivresse de cette valse ? On notera que quelques années après l’écriture de cette valse (1938), un « Nostradamus argentin » a qualifié l’Argentine de Samaritana del Mundo, l’Argentine accueillant les peuples meurtris.
Je ne me prononcerai pas sur la validité des prophéties de Solari Parravicini, mais le fait que Luis Rubistein était sensible au projet sioniste peut l’avoir influencé. Je me garderai de faire tout rapprochement avec l’actualité argentine, en laissant les coïncidences non analysées.
Tristesse et joie du tango
Pour moi, le tango est une pensée joyeuse qui se danse. Si vous écoutez la valse du jour sans faire attention aux paroles, vous ne découvrirez pas la tragédie sous-jacente, vous vous laisserez envelopper par le rythme implacable de la valse en ne pensant à rien d’autre. Discépolo qui a écrit le contraire de ce que je pense est mort à 50 ans dans une profonde dépression. Un homme malheureux au point de se laisser mourir de faim est-il un bon témoin pour parler du plaisir du tango qui a animé, pendant plusieurs décennies, des milliers de danseurs ? Je n’en suis pas sûr. L’auteur de Vachaché, Yira yira ou Cambalache avait un regard plutôt noir et désabusé sur le monde. Nicolás Olivari assura que Discépolo était la cheville ouvrière de l’humour de Buenos Aires, graissée par l’angoisse. (Olivari écrivait El perno, c’est le boulon, mais aussi la partie qui maintient la tige dans une charnière. J’ai choisi de traduire par la cheville ouvrière qui est la pièce la plus importante des charrettes avec roues avant orientables. Notons qu’en lunfardo, el perno est aussi le membre viril). Les paroles de Luis Rubistein pourraient paraître de la même veine, mais elles parlent d’une douleur intime, presque théâtralisée, celle que ressent l’amoureux qui a perdu son objet d’amour, elles ne manifestent pas nécessairement un rejet de la société. Par ailleurs, Luis Rubistein est à la fois l’auteur de la musique et des paroles, aussi, il pouvait parfaitement établir l’équilibre entre l’émotion et la tristesse des paroles et l’enthousiasme de la musique. En Europe, on s’interdit certains tangos, car les paroles parlent de sujets tristes (Juan Porteño, La novena), ici, à Buenos Aires, ils sont passés et bien que tout monde puisse en comprendre les paroles, personne n’y fait attention et tout le monde est sur la piste. C’est peut-être étonnant quand on entend les danseurs chanter les paroles d’autres titres qu’ils connaissent par cœur. En revanche, je ne passerai pas des titres vulgaires comme Si soy así (interprété par Rodríguez avec Herrera). Ceci pour dire que le tango de danse se fait à partir de la musique et que si la musique donne envie de danser, c’est un tango pour la milonga, sauf à de très rares exceptions. On aura remarqué que même lorsque les paroles faisaient référence à une histoire triste, les tangos de danse n’en reprennent que l’estribillo (refrain), voire un ou deux couplets en plus, mais que généralement, les parties les plus sinistres ne sont pas chantées. Le tango triste est le tango à écouter, car il diffuse la totalité de l’histoire et que cette histoire peut effectivement être très triste. La voix du chanteur étant mise en avant, l’auditeur ne dispose pas de l’amortissement de la musique et est confronté à la dureté du texte. On peut se demander pourquoi le tango exprime souvent des pensées tristes. Quand on sait que c’est le pays du Monde où il y a le plus de psys par habitant et que Buenos Aires est la ville qui a le plus de théâtres, il me semble facile d’y voir un début d’explication. La nostalgie de l’émigré, immigré, souvent issu de populations défavorisées d’Europe, voire d’Afrique, tout cela peut donner une certaine propension à la tristesse, mais ce sont des gens qui ont su dominer leurs difficultés. Ils pensaient arriver dans un espace vierge à conquérir pour se lancer dans une nouvelle vie, mais contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, l’Argentine était déjà entièrement privatisée, aux mains de quelques grandes familles et les conquérants espérant s’établir en vivant de leurs terres ont été réduits à devoir travailler pour les propriétaires ou à s’entasser dans les villes, ou plutôt La ville, pour servir de main-d’œuvre à l’industrie. Ils ont quitté une misère pour en trouver une autre, loin de leurs racines. Il y avait sans doute de quoi avoir des tendances mélancoliques. Alors, la danse ne pouvait pas être autre chose qu’un exutoire, un sas de décompression, ce qui explique les excès des premiers temps et la circonscription à des lieux interlopes et populaires du tango. C’est quand la bonne société a jugé bon de s’acoquiner, que l’intellectualisation a façonné une autre culture.
El tango tiene los pies en el fango y la cabeza en las nubes
Le tango a les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, c’est ce qui fait sa grandeur et sa richesse. Tout bon DJ connaît les différents degrés de la musique qui s’adresse aux sentiments, au cerveau, au corps et c’est en jouant sur les différents caractères qu’il anime la milonga. Le ludique de D’Arienzo, l’urbain de Troilo, l’intellectuel de Pugliese et le sentimental de Di Sarli forment les quatre piliers qui servent à construire une milonga qui donnera à toutes les sensibilités de danseurs, de quoi être heureux. Évidemment, cette répartition que l’on donne comme indication aux DJ débutants est très sommaire et demande à être nuancée. Il n’est pas question d’équilibrer ces 4 piliers. Selon l’événement, les danseurs et le moment, on favorisera plutôt l’un des piliers. On passera généralement plus de D’Arienzo que de Pugliese, les piliers n’ont pas tous la même taille. Par ailleurs, mettre dans une de ces quatre cases ces quatre orchestres, c’est oublier qu’ils ont évolué et ont navigué d’une case à l’autre selon les périodes. Il faut donc nuancer la définition des piliers et le dernier point est que d’autres orchestres ont exprimé ces quatre sensibilités et qu’ils peuvent très bien se substituer aux orchestres canoniques. Malerba et Caló, peuvent aller dans la case romantique, tout comme De Caro et certains Troilo qui peuvent se classer dans la case intellectuelle. Rodriguez ira sans doute dans la case ludique et ainsi de suite. C’est la raison pour laquelle on alterne les genres. On ne passera généralement pas deux tandas romantiques/ludiques/intellectuelles/urbaines à la suite. On passera d’un des quatre piliers à l’autre dans le but de ne pas laisser sur sa chaise un danseur avec deux tandas qui sont de types qui ne lui parlent pas. Combien de fois avez-vous ressenti de l’ennui en ayant l’impression que c’était « tout le temps pareil », notamment dans ces milongas où le DJ respecte un ordre chronologique, commençant par la vieille garde et terminant par le tango « nuevo » … Je me souviens d’un danseur, dans une ville française qui fut autrefois pionnière dans le tango (et qui n’est pas Paris), qui après une tanda de Pugliese est venu me dire, ça va être le néotango maintenant ? Ne comprenant pas le sens de sa question, je lui ai demandé des précisions et il m’a dit qu’ici, les DJ commençaient par Canaro et terminaient par du néotango et comme il était relativement tôt dans la soirée, il s’inquiétait de devoir partir, car il ne s’intéressait pas à ce type de musique. Je l’ai rassuré et il est resté, jusqu’à la fin.
Je me suis rendu compte aujourd’hui que certains ne voyaient que le chapô et la photo sur Facebook, négligeant de cliquer sur le lien où se trouve l’anecdote du jour… Si vous vous intéressez au tango, pensez à cliquer sur le lien pour obtenir les histoires, les musiques et les vidéos des anecdotes de tango.
Voilà que le tango et plus précisément la valse (mais on verra que ce n’est pas si simple) vous prodigue des conseils de vie. Chers amis, je vous enjoins de les suivre et de chanter avec Roberto Flores le refrain de cette valse entraînante composée et mise en paroles par Rodolfo Aníbal Sciammarella et interprété par l’orchestre chéri de mon ami Christian, Enrique Rodriguez.
Selon Mariano Mores, Rodolfo Sciammarella aurait composé une zamba (voir l’anecdote du 7 avril sur la zamba). Comme il n’était pas très doué pour écrire la musique, il a demandé à Mariano de la transcrire pour lui. Celui-ci a trouvé que c’était plus joli en valse et aurait donc adapté la musique à ce rythme…
Extrait musical
Pas de doute, notre version du jour est parfaitement une valse, sans trace de zamba. Je me demande toutefois si la version en zamba n’a pas été utilisée dans d’autres occasions. Nous y reviendrons avec la liste des versions.
Avis de recherche
Le 7 mars 1939, un film est sorti. Son titre était Mandiga en la sierra. Ce film a été réalisé par Isidoro Navarro sur un scénario de Arturo Lorusso et Rafael J. de Rosas. Ce film était basé sur la pièce de théâtre homonyme. Parmi les acteurs, Luisa Vehil, Eduardo Sandrini, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci, mais celui qui m’intéresse est Francisco Amor qui y interprète Salud…dinero y amor.
Dans ce film, en plus de Francisco Amor, il y a Myrna Mores et sa sœur Margot. Depuis 1938, Mariano Mores, celui qui a couché sur la partition l’idée musicale de Rodolfo Sciammarella faisait un trio avec les deux sœurs Mores. En 1943, il épousera Myrna. On voit comme ce film est assez central autour des Mores et de cette valse. Si vous savez où trouver ce film, je suis preneur… Vous pouvez trouver sa fiche technique ici : https://www.imdb.com/title/tt0316217/?ref_=nm_knf_t_1
La pièce de théâtre était jouée en 1938. Est-ce que la version chantée ou jouée dans la pièce était sous forme de zamba, je ne le sais pas. En ce qui concerne le film, même si je ne l’ai pas encore trouvé, j’imagine que c’est en valse, car le succès du thème qui a été enregistré majoritairement sous cette forme. Je vous réserve deux surprises dans les « autres versions » qui pourraient faire mentir ou confirmer cette histoire.
Paroles
Tres cosas hay en la vida: salud, dinero y amor. El que tenga esas tres cosas que le dé gracias a Dios. Pues, con ellas uno vive libre de preocupación, por eso quiero que aprendan el refrán de esta canción.
El que tenga un amor, que lo cuide, que lo cuide. La salud y la platita, que no la tire, que no la tire. Hay que guardar, eso conviene que aquel que guarda, siempre tiene. El que tenga un amor, que lo cuide, que lo cuide. La salud y la platita, que no la tire, que no la tire.
Un gran amor he tenido y tanto en él me confié. Nunca pensé que un descuido pudo hacérmelo perder. Con la salud y el dinero lo mismo me sucedió, por eso pido que canten el refrán de esta canción.
Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musiques)
Traduction libre des paroles
Il y a trois choses dans la vie : la santé, l’argent et l’amour. Quiconque possède ces trois choses devrait remercier Dieu. Eh bien, avec eux, on vit sans souci, c’est pourquoi je veux que vous appreniez le dicton de cette chanson.
Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin. La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas. Il faut garder, il convient que celui qui garde, toujours a. Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin. La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.
J’ai eu un grand amour et j’ai tellement cru en lui. Je n’ai jamais pensé qu’un manque d’attention pouvait me le faire perdre. La même chose m’est arrivée avec la santé et l’argent, alors je vous demande de chanter le dicton de cette chanson.
Autres versions
Je pensé que vous avez remarqué plusieurs points étranges avec cette version. Le son a beaucoup d’écho, ce qui ne faisait pas à l’époque. Je pense donc que c’est une édition « trafiquée ». Mon exemplaire vient de l’éditeur El Bandoneón qui a édité entre 1987 et 2005 différents titres dont certains assez rares. Cet enregistrement est sur leur CD El Tango en Barcelona CD 2 – (EBCD-046) de 1997. Je n’en connais pas d’autre. Sur la date d’enregistrement de 1930, en revanche, c’est très probable, car cela correspond à l’époque où le trio était actif en France et Barcelone. L’autre point étrange est qu’il s’agit d’une valse et pas d’une zamba. Si Sciammarella a « écrit » une zamba et que Mariano Mores l’a transformé en valse seulement en 1938, il y a un problème. Cet enregistrement devrait être une zamba. Je pense donc que Sciammarella a fait vivre conjointement les deux versions et que c’est la version valse qu’a adaptée le tout jeune Mariano Mores. Mais on va revenir sur ce point plus loin…
C’est notre valse du jour. Vos chaussures, si vous êtes danseur, doivent être désormais capables de la danser seules. Le rythme est assez rapide et le style haché de Rodríguez fait merveille pour inciter à donner de l’énergie dans la danse. La voix de Flores, plus élégante de celle de Moreno, l’autre chanteur vedette de Rodríguez est agréable. L’orchestration de la fin de la valse est superbe, même si Rodríguez décide, une fois de plus, d’y placer un chœur, habitude qui peut susciter quelques réticences.
Une version assez piquée et pesante. Elle est moins connue que la version de Rodriguez. On comprend pourquoi, sans toutefois qu’elle soit à mettre au rebut. Comme chez Canaro, Lomuto fait intervenir une clarinette, scorie de la vieille garde. La fin est cependant assez intéressante, donc si un DJ la passe, cette valse ne devrait pas laisser une mauvaise impression.
Sur le même rythme que Lomuto, Canaro propose une version plus légère. Les vents (instruments à vent) auxquels Canaro reste fidèle donnent la couleur particulière de l’orchestre. Francisco Amor chante de façon décontractée avec un peu de gouaille.
L’accent mexicain d’Arvizu, surprend, on est plus accoutumé à l’entendre dans des boléros. L’orchestre où les guitares ont une présence marquée est un peu léger après l’écoute des versions précédentes. Buenos Aires lui aurait donné le surnom de ténor à la voix de soie (El Tenor de la Voz de Seda). Je vous laisse en juger…
Ce titre n’est pas une valse, on reconnaît le rythme de la cueca à la guitare dans la première partie, puis le rythme s’apaise et passe en zamba avec des roucoulements étranges. Finalement, ce n’est pas une zamba, pas une cueca. C’est un ovni. Le nom de zamba cueca existe et couvre différentes variétés de danses, notamment du Chili. La distinction de la vingtaine de variétés de cuecas, le fait que la zamba cueca serait aussi dénommée zambacueca, zamacueca ou zambaclueca, ce dernier terme évoquerait encore plus clairement la poule pondeuse, la cueca se référant à la parade d’oiseaux, font que pour moi, cela reste assez mystérieux. Le témoignage de Mario Mores, appuyé par la partition qui mentionne zamba et cette interprétation de Charlo prouve que Salud… dinero y amor n’est pas seulement une valse.
Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de Terig Tucci. On retrouve Irusta qui a enregistré pour Decca à New York, accompagné de l’orchestre de Terig Tucci. Ce n’est pas vilain et si ce n’est pas le top de la danse, c’est plus dansable que la version du duo de 1930.
Après la « folie » accompagnant la sortie du fameux film que je n’ai pas trouvé, l’intérêt pour cette valse s’atténue. On la retrouve cependant un peu plus tard dans quelques versions que voici.
Pour un enregistrement des années 1950, ça fait plutôt vieillot. Ne comptez pas sur moi pour vous la proposer en milonga.
On connaît l’engouement incroyable du Japon pour le tango, la Típica Sakamoto nous en donne un exemple. Vous aurez facilement reconnu la voix très typée de Ikuo Abo. Les chœurs sont assez élégants. Il me semble entendre une partie de soprano dans le chœur tenue par une femme.
Bon, il faut bien du tango à écouter, aussi. Et la voix de Podestá est tout de même une merveille, non ?
À demain, les amis, je vous souhaite santé, argent et amour.
Quand on pense à l’Argentine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans raison. Les Argentins sont de très grands amateurs et consommateurs de viande. Chaque maison a sa parilla (barbecue) et en ville, certains vont jusqu’à improviser leurs parillas dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a également des parillas aménagées et si vous préférez aller au restaurant, vous n’aurez pas beaucoup à marcher pour obtenir un bon asado. Le tango du jour, la tablada a à voir avec cette tradition. En effet, la tablada est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero…
Extrait musical
Autres versions
Une version presque gaie. Les vaches « gambadent », du pas lourd du canyengue.
Une version pesante comme les coups coups donnés par les mataderos pour sacrifier les animaux.
Cette version est assez originale, on dirait par moment, une musique de dessin animé. Cette version s’est dégagée de la lourdeur des versions précédentes et c’est suffisamment joueur pour amuser les danseurs les plus créatifs.
Une des versions le plus connues de cette œuvre.
Cette version française fait preuve d’une belle imagination musicale. Alemany est probablement Argentin de naissance avec des parents Polonais. Son nom était-il vraiment Alemany, ou est-ce un pseudonyme, car il a travaillé en Allemagne avant la seconde guerre mondiale avant d’aller en France où il a fait quelques enregistrements comme cette belle version de la tablada avant d’émigrer aux USA. Ses musiciens étaient majoritairement argentins, car il avait fait le voyage en Argentine en 1936 pour les recruter. Cette version est donc franco-argentine pour être précis…
L’introduction en appels sifflés se répondant est particulièrement longue dans cette version. Il s’agit de la référence au train qui transportait la viande depuis La Tablada jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient siffler pour signaler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de campagne.
Encore une version bien guillerette et plutôt sympathique, non ?
C’est le frère qui était aussi chanteur, mais aussi pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enregistrement), de Miguel Caló.
Une version qui se veut résolument moderne, et qui explore plein de directions. À écouter attentivement.
Dans cette version, très intéressante et étonnante, Basso s’éclate au piano, mais les autres instruments ne sont pas en reste et si les danseurs peuvent être étonnés, je suis sûr que certains apprécieront et que d’autres me maudiront.
L’humour de Mariano Mores explose tout au long de cette version. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigoler, c’est à préconiser.
On revient à des choses plus classiques avec Rodolfo Biagi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses ornements au piano. À noter le jeu des bandonéons avec le piano et les violons qui dominent le tout, insensibles au staccato des collègues.
Le duo Grela, Troilo est un plaisir raffiné pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laisser emporter par le dialogue savoureux entre ces deux génies.
La spatialisation stéréophonique est sans doute un peu exagérée, avec le bandonéon à droite et les violons à gauche. Beaucoup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cependant, pour les cortinas et les enregistrements plus récents, le passage en mono peut être une limitation. Vous ne pourrez pas vous en rendre compte ici, car pour pouvoir mettre en ligne les extraits sonores, je dois les passer en mono (deux fois moins gros) en plus de les compresser au maximum afin qu’ils rentrent dans la limite autorisée de taille. Mes morceaux originaux font autour de 50 Mo chacun. Pour revenir à la diffusion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tournent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur donnera à entendre le bandonéon dans une zone de la salle et les violons dans une autre. Dans ce cas, il faudra limiter le panoramique en rapprochant du centre les deux canaux. Encore un truc que ne peuvent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peuvent donc pas être placés spatialement de façon individuelle (sans parler du fait que l’entrée ligne comporte généralement moins de réglage de tonalité que les entrées principales).
Une meilleure utilisation de la spatialisation stéréophonique, mais ça reste du Sassone qui n’est donc pas très passionnant à écouter et encore moins à danser.
Stampone a explosé la frontière entre la musique classique et le tango avec cette version très, très originale. J’adore et je la passe parfois avant la milonga en musique d’ambiance, ça intrigue les premiers danseurs en attente du début de la milonga.
On termine, car il faut bien une fin, avec Pichuco et son cuarteto afin d’avoir une autre version de notre musicien du jour qui nous propose la tablada.
Après ce menu musical assez riche, je vous propose un petit asado…
L’asado
Je suis resté discret sur le thème matadero évoqué dans l’introduction. Matar en espagnol est tuer (à ne pas confondre avec mate) qui est la boisson nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas mettre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourner autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.
À la fin du 16e siècle, Jean de Garay apporta 500 vaches d’Europe (et bien sûr quelques taureaux). Ces animaux se plurent, l’herbe de la pampa était abondante et nourrissante aussi les bovins prospérèrent au point que deux siècles plus tard, Félix de Azara, un naturaliste espagnol constatait que les criollos ne consommaient que de la viande, sans pain. Plus étonnant, ils pouvaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la partie qui les intéressait. Puis, la colonisation s’intensifiant, la viande est devenue la nourriture de tous, y compris des nouveaux arrivants. Certaines parties délaissées par la « cuisine » traditionnelle furent l’aubaine des plus pauvres, mais certaines parties qui étaient très appréciées par les personnes raffinées et négligées par les consommateurs traditionnels continuent à faire le bonheur des commerçants avisés qui répartissent les parties de l’animal selon les quartiers. Le travail du cuir est aussi une ressource importante de l’Argentine, mais dans certaines provinces, l’asado (la grillade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est perdu. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la portion nécessaire à un moment donné. Les Argentins consomment un kilo de viande et par personne chaque semaine. Je devrais écrire qui consommaient, car depuis l’arrivée du nouveau gouvernement en Argentine, le prix de la viande a triplé et la consommation a fortement baissée en quantité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qualité, les viandes les moins nobles étant désormais plus recherchées, car moins chères).
Tira de asado La viande est attachée à l’os. C’est assez spectaculaire et plein d’os que certains enlèvent avec leur couteau ou en croquant entre les restes de côtes.
Vacio (Vide) Un morceau de choix, sans os, tendre et à odeur forte. IL se cuit lentement à feu indirect.
Matambre Entre la peau et les os, le matambre est recherché. Il est également utilisé roulé, avec un remplissage entre chaque couche. Une fois découpé en rondelle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le remplissage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.
Colita de cuadril Partie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.
Entraña Partie intérieure des côtes de veaux.
Bife de chorizo Bifteck de chorizo, un steack à ne pas confondre avec la saucisse espagnole de ce nom.
Bife Ancho Un steack large, épais avec graisse.
Bife angosto Le contraire du précédent, plus fin.
Lomo La longe, une pièce de viande peu grasse.
Palomita Une coupe parmi tant d’autres. J’imagine que certains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.
Picaña Arrière de la longe de bœuf de forme triangulaire.
Achuras Ce sont les abats. Ils sont présentés en tripes, chorizos, boudins, ris de veau, rognons et autres. Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asado sans achuras, ce n’est pas un asado pour beaucoup.
Bondiola Le porc passe aussi un sale moment sur la parilla. Beaucoup la mangent en sandwich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauffé sur la parilla.
Pechito de cerdo La poitrine de porc fait aussi partie des morceaux de choix de l’asado. Elle est considérée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).
Des légumes, poivrons, aubergines peuvent rejoindre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas manquer de protéines…
Le travail de l’asador
C’est la personne qui prépare l’asado. Son travail peut paraître simple, mais ce n’est pas le cas. Il faut préparer les morceaux, parfois les condimenter (modérément) et la cuisson est tout un art. Une fois que le bois ou le charbon de bois sont prêts, il faut régler la hauteur de la grille afin que la viande cuise doucement et longuement et de façon adaptée selon les pièces qui se trouvent aux différents endroits de la grille. Beaucoup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuillère, voire avec le manche de la cuillère. Hors de l’Argentine, il est assez difficile de convaincre un boucher de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expliquer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous faudra donc aller en Argentine ou dans un restaurant argentin qui s’approvisionne bien souvent en bœuf de l’Aubrac (France). La coutume veut qu’on applaudisse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureusement les animaux. L’Argentine n’est pas le paradis des végétariens, d’autant plus que les légumes sont souvent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de grosses quantités, si vous payez en liquide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine fourmille d’astuces pour payer un peu moins cher. Ne sortez pas l’American Express ici son slogan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas payer plus cher. En ce qui concerne les autres produits d’origine animale, le lait et les produits laitiers ne sont pas les grands favoris et le poisson coûte le même prix qu’en Europe et par conséquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le merlu que l’on peut trouver à moins de 10 $ contre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, congelé et à la chair très pâle et grasse). Bon, je me suis un peu échappé du domaine du tango, mais n’étant pas amateur de viande, il me fallait faire une forme de catharsis…
Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)
On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.
Extrait musical
Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.
Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.
On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents… Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925. Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises. Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo. Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans…
Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique. Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos. Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne. Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20-30)
La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.
Paroles
Fumar es un placer genial, sensual. Fumando espero al hombre a quien yo quiero, tras los cristales de alegres ventanales. Mientras fumo, mi vida no consumo porque flotando el humo me suelo adormecer… Tendida en la chaise longue soñar y amar… Ver a mi amante solícito y galante, sentir sus labios besar con besos sabios, y el devaneo sentir con más deseos cuando sus ojos veo, sedientos de pasión. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Dame el humo de tu boca. Anda, que así me vuelvo loca. Corre que quiero enloquecer de placer, sintiendo ese calor del humo embriagador que acaba por prender la llama ardiente del amor.
Mi egipcio es especial, qué olor, señor. Tras la batalla en que el amor estalla, un cigarrillo es siempre un descansillo y aunque parece que el cuerpo languidece, tras el cigarro crece su fuerza, su vigor. La hora de inquietud con él, no es cruel, sus espirales son sueños celestiales, y forman nubes que así a la gloria suben y envuelta en ella, su chispa es una estrella que luce, clara y bella con rápido fulgor. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Fumer est un plaisir génial, sensuel. En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies. Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente… Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte). Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails). Donne-moi la fumée de ta bouche. Allez, qu’ainsi je devienne folle. Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour. Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur. Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent. L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.
La cigarette et le tango
Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas. La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages. Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.
Avec Edén, allez plus vite au paradis
Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée… Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.
Les tangos faisant la propagande du tabac
On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien. Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.
La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.
J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière… D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.
Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous… Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…
En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :
América (qui est une marque de cigarettes) Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).
Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo… Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée… Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…
Sello azul (qui est une marque de cigarettes).
Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef-d’œuvre de marketing de bas étage :
Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos
Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez. Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto. Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución. Refrán: Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón. Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación. Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar. Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor. Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá. Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará. Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.
Francisco Bohigas
Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)
Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance. Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent. Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution. Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon. Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos. Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser. Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour. Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche. Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner. Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon. On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.
Le tango contre le tabac
Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :
Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)
Tanto daño, tanto daño provocaste a toda la humanidad. Tantas vidas, tantas vidas de muchacho te fumaste… yo no sé. Apagando mi amargura en la borra del café hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…
Cigarrillo… compañero de esas noches, de mujeres y champagne. Muerte lenta… cada faso de tabaco es un año que se va… Che, purrete, escuchá lo que te digo, no hagas caso a los demás. El tabaco es traicionero te destruye el cuerpo entero y te agrega más edad… El tabaco es traicionero, te destruye el cuerpo entero… ¡y qué! y esa tos te va a matar…
¡Ay, que lindo !… Ay, que lindo que la gente comprendiera de una vez lo difícil, lo difícil que se hace, hoy en día, el respirar. Es el humo del cilindro maquiavélico y rufián que destruye tu tejido pulmonar
Pipo Cipolatti
Traduction libre des paroles de Cigarrillo
Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité. Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas. Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité… Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne. Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va… Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres. Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge… Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis ! Et cette toux va te tuer… Oh, comme ce serait bien !… Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui. C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire
Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.
Autres versions
Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage. Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin… Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone). Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona. La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.
Ce disque Columbia No.2461-X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.
On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.
Fumando Espero 1926-10-18 – Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional – Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…
Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional – Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.
On quitte New York pour Buenos Aires…
Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.
C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.
Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.
Une version un peu frustre à mon goût.
Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.
Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).
Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.
C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.
La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.
Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.
L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.
Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.
Une version tranquille, à la guitare.
Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs. Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.
J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…
Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).
On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga… Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…
Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta – Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.
Si ImperioArgentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.
C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.
Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…
À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).
Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)
Au début des années 2000, dans une milonga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fallait pas frapper du pied, que ça ne se faisait pas en tango. Il ne savait sans doute pas qu’il reproduisait l’interdiction de Anselmo Tarana, un siècle plus tôt. Je vais donc vous raconter l’histoire frappante de El esquinazo.
Extrait musical
Vous aurez remarqué, dès le début, l’incitation à frapper du pied. On retrouve cette invitation sur les partitions par la mention golpes (coups).
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime
La zone en rouge, ici au début de la partition, est la montée chromatique en triolets de double-croche et en double-croche. C’est donc un passage vif, d’autant plus que l’on remarque des appoggiatures brèves.Ce sont ces petites notes barrées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note supplémentaire, une fraction de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle complète. Ces appoggiatures augmentent donc le nombre de notes et par conséquent l’impression de vitesse. Après cette montée rapide, on s’attend à une suite, mais Villoldo nous offre une surprise, un silence (la zone verte), marqué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement. La zone bleue comporte des signes de percussion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens commun, mais de la transition entre deux parties d’une musique. Ici, il est donc constitué seulement de coups, coups que faisaient les musiciens avec les talons et que bientôt le public imita de diverses manières.
Mariano Mores copiera cette structure pour son célèbre « Taquito militar ». Voici la version enregistrée en 1997 par Mariano Mores de Taquito militar. Cette version commence par le fameux motif suivi de coups.
Cette version à l’orgue Hammond est un peu particulière, mais vous pourrez entendre toutes les versions classiques dans l’article dédié à Taquito militar.
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles
Ángel Villoldo a composé ce tango avec des paroles. Même si Villoldo était lui-même chanteur, c’est à Pepita Avellaneda (Josefa Calatti) que revint l’honneur de les inaugurer. Malheureusement, ces paroles originales semblent perdues, tout comme celles de El entrerriano qu’il avait « écrites » pour la même Pepita. J’émets l’hypothèse que les célèbres coups donnés au plancher au départ par les musiciens devaient avoir une explication dans les paroles. El esquinazo, c’est prendre la tangente dans une relation amoureuse, s’enfuir, ne plus répondre aux tendresses, prendre ses distances, poser un lapin (ne pas venir à un rendez-vous). On peut donc supposer que les premières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressentie par le partenaire. J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas toujours écrites. Elles sont donc probablement restées orales et retrouver un témoin de l’époque est désormais impossible. Cependant, notre tango du jour nous apporte un éclairage intéressant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa version, il est plutôt question de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie… Je serai assez tenté d’y voir un reflet des paroles originales qui justifieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquinazo) pourrait expliquer qu’une porte reste fermée, l’occupant restant sourd aux supplications de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepita Avellaneda).
Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951
Canaro intervient quatre fois durant le thème pour donner des phrases, un peu énigmatiques, mais que j’aime à imaginer, tirées ou inspirées des paroles originales de Villoldo.
Frappe, qu’ils viennent t’ouvrir.
Suis là, puisque tu l’as
Ils fêtent l’esquinazo
Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors
Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directement de celles de Villoldo ? En l’absence des paroles originales, on ne le saura pas, alors, passons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la première version.
Paroles
Nada me importa de tu amor, golpeá nomás… el corazón me dijo, que tu amor (cariño) fue una falsía, aunque juraste y juraste que eras mía. No llames más, no insistas más, yo te daré… el libro del recuerdo, para que guardes las flores del olvido porque vos lo has querido el esquinazo yo te doy.
Fue por tu culpa que he tomado otro camino sin tino… Vida mía. Jamás pensé que llegaría este momento que siento, la más terrible realidad… Tu ingratitud me ha hecho sufrir un desencanto si tanto… te quería. Mas no te creas que por esto guardo encono Perdono tu más injusta falsedad.
Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce; A. Timarni (Antonio Polito)
Traduction libre et indications
Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (golpear, c’est donner un coup, mais aussi droguer, intoxiquer. Certains y voient la justification des coups frappés par les musiciens, mais il me semble que c’est un peu léger et que les paroles initiales devaient être plus convaincantes et certainement moins acceptables par un public de plus en plus raffiné. C’est peut-être aussi une simple évocation des coups frappés à la porte de la version chantée par Canaro, ce qui pourrait renforcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)… Mon cœur me disait que ton amour était un mensonge, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi. N’appelle plus, (le tango s’est modernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frapper à la porte, maintenant, il utilise le téléphone…) n’insiste plus, je te donnerai… le livre de souvenirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (difficile de trouver un équivalent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sentiments, la fuite, le lapin dans le cas d’un rendez-vous…) que je te donne. C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut signifier l’habileté à toucher la cible) Ma vie. Je n’ai jamais pensé que ce moment, dont je ressens la terrible réalité, arriverait… Ton ingratitude m’a fait subir un désamour si toutefois… Je t’aimais. Mais, ne crois pas que, pour cette raison, je conserve de l’amertume. Je pardonne ton mensonge le plus injuste.
El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.
Nous avons vu dans la première partie comment était préparé le frappement du talon. Dans la seconde et avec les paroles, nous avons essayé de trouver un sens à ces frappés, à ces taquitos qui à défaut d’être militaires, sont bien tentants à imiter, comme nous l’allons voir. Le premier témoignage sur la reproduction des coups par le public est celui de Pintin Castellanos qui raconte dansEntre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948 la fureur autour de El esquinazo. La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il grandissait et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables. Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître. Les clients du Café Tarana(voir l’article sur En Lo de Laura où je donne des précisions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc. Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé la cadence de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R. Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes. Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »
Ce tango fut donc interdit dans cet établissement, mais bien sûr, il a continué sa carrière, comme le prouve le témoignage suivant.
Témoignage de Francisco García Jiménez, vers 1921
La orquesta arrancó con el tango El esquinazo, de Villoldo, que tiene en su desarrollo esos golpes regulados que los bailarines de antes marcaban a tacón limpio. En este caso, el conjunto de La Paloma hacía lo mismo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las viejas tablas dejaban caer una nube de tierra sobre la máquina del café express, la caja registradora y el patrón. Este echaba denuestos; los de arriba seguían muy serios su tango ; y los parroquianos del cafetín se regocijaban.
Témoignage de Francisco García Jiménez
Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez
L’orchestre a commencé avec le tango El esquinazo, de Villoldo, qui a dans son développement ces rythmes réglés que les danseurs d’antan marquaient d’un talon clair. Dans ce cas, le conjuntoLa Paloma a fait de même sur le sol de la tribune des musiciens, avec une telle force que les vieilles planches ont laissé tomber un nuage de saleté sur la machine à expresso, la caisse enregistreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suivaient leur tango très sérieusement, et les clients du café se réjouissaient. On constate qu’en 1921, l’usage de frapper du pied chez les danseurs était moindre, voire absent. Cet argument peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été efficace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation originelle étaient plus propices à ces débordements. L’idée des coups frappés à une porte, comme les coups du destin dans la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven, ou ceux de la statue du commandeur dans Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, me plaît bien…
Autres versions
Cette version ancienne est plutôt un tango qu’une milonga, comme il le deviendra par la suite. On entend les coups frappés et la mandoline. On note un petit ralentissement avant les frappés, ralentissement que l’on retrouvera amplifié dans la version de 1961 de Canaro.
Encore une version ancienne, enregistrée à Berlin (Allemagne) en 1913, preuve que le tango était dès cette époque totalement international. Les frappés sont remplacés par de frêles percussions, mais on notera le gong au début…
Est-il nécessaire de présenter la version de D’Arienzo, probablement pas, car vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laisser entendre les frappés. Même Biagi renonce à ses habituelles fioritures au moment des coups. En résumé, c’est une exécution parfaite et une des milongas les plus réjouissantes du répertoire. On notera les courts passages de violons en legato qui contrastent avec le staccato général de tous les instruments.
Roberto Firpo au piano démarre la montée chromatique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave commune. Cela crée une petite impression de surprise chez les danseurs qui connaissent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pourra décontenancer les danseurs débutants, mais de toute façon, cette version est assez difficile à danser, mais elle ravira les bons danseurs, car elle est probablement la plus joueuse.
C’est notre tango du jour. Francisco Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette version est de vitesse modérée, entre canyengue et milonga. Elle sera plus adaptée aux danseurs modestes.
Avec clarinette et guitare en vedette, cette version est très dynamique et sympathique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres versions pour cela…
Une version en chanson qui perd le caractère joueur de la milonga, même si quelques coups de claves rappellent les frappés fameux. En revanche, cette chanson nous présente les paroles de Carlos Pesce et A. Timarni. J’aime beaucoup, même si ce n’est pas à proposer aux danseurs.
El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette version très joueuse commence par la célèbre invite à frapper du pied, répétée trois fois. Les deux premières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beaucoup plus longue, ce qui provoque un effet irrésistible. C’est un exemple, bien que tardif de comment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons perdus à cause des versions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un concert, mais un DJ taquin pourrait proposer cette version à danser, notamment à cause des pauses et de l’accélération finale qui peuvent surprendre (aussi dans le bon sens du terme), les danseurs.
Une version à la limite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trouve cela très sympa, mais j’y réfléchirai à deux fois avant de diffuser en milonga…
Je pense que vous avez repéré Juan Cambareri, ce bandonéoniste virtuose qui après une carrière dans différents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuarteto composé de :
Juan Rizzo au piano, Juan Gandolfo et Felipe Escomabache aux violons et Juan Cambareri au bandonéon. Cet enregistrement date de cette période. Comme à son habitude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts virtuoses des quatre musiciens peuvent jouer, mais qui posera des problèmes à un grand nombre de danseurs.
Le début semble s’inspirer de la version de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est clairement une version de concert qui a bien sa place dans un fauteuil d’orchestre, mais qui vous donnera des sueurs froides sur la piste de danse.
La version proposée par le trio Di Matteo ne rassurera pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserver donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis Buenos Aires et ici, c’est l’hiver et cette année, il est particulièrement froid…).
Une assez belle version, orchestrale. Pour la milonga, on peut éventuellement lui reprocher un peu de mordant en comparaison de la version de D’Arienzo. On notera également que quelques frappés sont joués au piano et non en percussion.
Comme toujours, cet orchestre sympathique se propose de retrouver les sensations du début du vingtième siècle. Outre le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux contrepoints de la flûte et du bandonéon qui discutent ensemble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…
Une introduction presque comme une musique de la renaissance, puis la contrebasse lance la montée chromatique, des coups donnés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sympathique, mais pas assez structurée pour la danse. Une accélération, puis un ralentissement et l’estribillo est chanté en guise de conclusion.
Une version légère et rapide pour terminer tranquillement cette anecdote du jour.
Meneca – E. Mercado ¿Por qué ? – Osvaldo Fresedo Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo
Les dates d’enregistrement qui me servent de base pour les anecdotes de tango ne sont pas des données immuables. J’avais prévu d’associer deux titres de Fresedo enregistrés le même jour, un 19 juillet, mais à 28 ans d’intervalle. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis rendu compte qu’à la suite des travaux de Enrique Binda, la date de Meneca avait changé pour le 20 juillet. J’ai toutefois décidé de conserver mon idée initiale, car la comparaison des deux titres me semble intéressante, vous le comprendrez que mieux en prenant connaissance des paroles de Por qué..
Una meneca est une belle jeune femme. Pour être appelé ainsi, elle doit avoir les deux attributs. Le tango est instrumental, mais d’autres employant ce terme sont avec des paroles et il convient donc de rester avec cette signification. J’imagine que le terme étant proche de muñeca (poupée) explique qu’on l’utilise uniquement pour des jeunes femmes. Meneca désigne également une langue quasi disparue qui existe (existait) entre le Pérou et la Colombie.
Le choix dans la date de la Meneca
Enrique Binda est une ressource importante pour qui s’intéresse au tango. https://www.todotango.com/comunidad/colaboradores/colaborador.aspx?id=73 Il a étudié de nombreux catalogues et notamment pour la période acoustique (avant l’enregistrement électrique). Par conséquent, son avis fait autorité. Dans le cas présent, Fresedo a enregistré le 19 et le 20 juillet 1927, ou seulement le 19 ou seulement le 20 les quatre tangos instrumentaux suivants :
Flores (Ángel Massini) – Matrice 1037-1 (face A du disque 5159)
Mucha cancha – (Alberto Richieri) Matrice 1038 (face B du disque 5159)
Coqueta (A. Milito) – Matrice 1039 (Face A du disque 5160)
Meneca (E. Mercado) – Matrice 1040 (Face B du disque 5160)
À l’époque, les orchestres enregistrent en moyenne deux tangos à quatre tangos par jour. Tous ne vont pas au disque. On notera que l’enregistrement de Flores semble avoir été compliqué dans la mesure où il y a plusieurs prises. Meneca a le numéro de matrice le plus élevé (1040) ce qui confirme que Meneca a été enregistré en dernier et donc probablement le 20 et pas le 19 s’il y a eu deux jours, comme c’est indiqué dans le livret du disque édité par CTA, mais aussi dans la Enciclopedia del Tango de Gabriel Valiente et dans le Fresedo Project qui placent les quatre tangos à la même date, le 19 juillet 1927. Pour l’année 1927, on trouve plusieurs jours avec quatre enregistrements, on ne peut donc pas être affirmatif sur l’existence d’un second jour d’enregistrement nécessaire. Que tout soit du 19, tout du 20 ou panaché, ce n’est peut-être pas si important. Je conserve donc mon idée de mettre en relation les deux tangos, d’autant plus que je vous réserve une surprise en fin d’article sur le sujet…
Extrait musical
Meneca 1927-07-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Osvaldo Fresedo intervient comme bandonéoniste et on remarquera la très jolie partie de violon. Je vous présente les musiciens qui ont fait cette petite merveille. Osvaldo Fresedo et Alberto Rodríguez (bandonéonistes), José María Rizzutti (piano), Manlio Francia, Adolfo Muzzi et Juan Koller (violonistes), Humberto Constanzo (contrebassiste).
Ce qui frappe dans ce titre est l’ostinato qui revient régulièrement et notamment sur les parties chantées.
LR9 Radio Fénix est une radio de Buenos Aires qui a démarré le 11 février 1927 et qui se nommera ensuite Antártida puis AM1190 América. La partition pour les chanteurs est en ré. Elle commence en ré mineur, puis continue en ré majeur pour revenir à la dernière ligne en ré mineur. C’est donc une alternance de sonorités plus tristes et plus gaies.
Paroles
¿Por qué si yo soy el mismo querés cambiar mi pilcha ‘e varón? ¿Por qué si mi pobre ajuar dio a cantar mi honda tristeza? ¿Por qué si no está en mi sangre vos me adornás p’ hacerme amargar?
Yo soy milonga sentimental. Mi nombre es macho soy el gotán. Vestí de negro con funyi claro… Y me quisieron. Me respetaron. Y fue muy pura mi vida entera y hay quien venera mi cuna de ayer.
¿Por qué quieren que me vista tan ataviao con tanto trenzao? ¿Por qué quieren verme así hecho un gil de fantasía? ¿ Por qué si he nacido tango y así latió mi gran corazón?
Osvaldo Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo
Pourquoi, si je suis le même, veux tu changer mes fringues, hein, mec ? Pourquoi, si mon pauvre trousseau donnait à chanter ma profonde tristesse ? Pourquoi, si ce n’est pas dans mon sang, me fais-tu des ornements pour me rendre amer ? Je suis milonga sentimentale. Je m’appelle macho, je suis le gotan (tango). Je suis habillé de noir avec un chapeau clair (funyi, chapeau en forme de champignon). Et ils m’aimaient. Ils me respectaient. Et toute ma vie était très pure et il y a ceux qui vénèrent mon berceau d’hier. Pourquoi veulent-ils que je revête tant de parures avec tant de galons ? Pourquoi, veulent-ils me voir comme ça, faisant un idiot de fantaisie ? Pourquoi, si je suis né tango et ainsi battait mon grand cœur.
Autres versions
Il ne semble pas y avoir d’autres enregistrements de Meneca, cependant, il est intéressant de voir ce que devient Por Qué….
Un de nos deux tangos du jour, pour mémoire et comparaison…
Ce premier enregistrement qui est une chanson est superbement interprétée par Alberto Vila (dont la voix est remplie de trémolos) accompagné par l’orchestre Típica Victor dirigé par Carabelli.
L’ostinato de la contrebasse est assez étonnant et il s’achève en ralentissant sur la toute fin de la musique.
¿Por qué ? 1943-01-25 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa. Le rythme est plus rapide et quelques sonorités de vibraphone se superposent aux instruments habituels. L’ostinato la vedette de ce thème démarre désormais le titre et est accompagné du vibraphone. L’expressivité est plus marquée. On pourrait qualifier cette version de plus romantique. Petit interlude pour vous présenter Fresedo jouant ce titre dans un film qui reste à identifier (ce n’est pas Tango comme tous l’écrivent).
L’ostinato que vous connaissez bien démarre le titre, come dans la version de 1943 de Fresedo, puis progressivement Pugliese déstructure le titre pour le rendre compatible avec son style. L’ostino revient de temps à autre et notamment sous la voix des chanteurs. L’effet est superbe les voix se mêlent pendant que l’ostinato s’atténue et que les violons ondulent dans un contrepoint splendide. C’est assurément un chef d’œuvre. Peut-être plus difficile à danser que les guimauves trop souvent passées dans certaines milongas, mais à tester à mon avis…
Le vibraphone prend un peu plus ses aises, libéré par l’absence du chanteur qui est représenté par le piano. Le résultat est plutôt joli, mais pas convainquant pour la danse.
Le titre démarre en trombe, mais avec l’introduction que Fresedo avait abandonné depuis 1943. Les violons couvrent un peu trop l’ostinato, enlevant une partie de l’originalité de ce titre. La batterie s’est rajoutée, mais sans pour autant renforcer la dansabilité du morceau, sauf à le danser en tango musette…
C’est une version très originale que signe Mariano Mores. L’ostinato est assez discret et principalement donné par le piano. Les percussions sont à l’honneur. Différents motifs éclosent et donnent une impression de variété. Bien sûr, pas question de proposer cela à des danseurs, mais l’écouter de temps à autre est une activité sympa. Elle clôture la liste des versions et il est temps d’ouvrir le débat.
Faites ce que je dis et pas ce que je fais
Comme vous l’avez remarqué, les paroles du tango ¿Por qué? Des frères Fresedo semblent regretter un tango plus épuré. Ils font parler le tango qui regrette le temps où il n’était pas ridiculisé par des fioritures. Dans les interprétations de 1931 et 1943, Osvaldo Fresedo respecte ces (ses) directives. Tout comme bien sûr, dans Meneca de 1927. Par contre, dans notre tango du jour, la version de 1955 de ¿Por qué? On peut se demander s’il n’a pas un peu perdu cela de vue. D’ailleurs, cette version est instrumentale, peut-être pour éviter que les paroles mettent en valeur cette dichotomie. Pugliese, en 1945, avait peut-être commencé cette bifurcation, mais il ne me semble pas que l’on puisse l’accuser de faire de l’ornementation gratuite. D’ailleurs, il a conservé les paroles. Je l’enlèverai donc des pièces du procès… Fresedo aggrave très sensiblement son cas en 1979, avec une version constituée majoritairement de fioritures. Là, je dois le déclarer coupable. Il a déguisé le tango et renoncé à ses principes énoncés dans les années 30. Avec son goût pour les instruments originaux, il courrait certainement ce risque et il est tombé dans son propre piège. Je pense que vous avez sans doute fait le rapprochement avec le débat plus contemporain sur le tango, le néotango et autres variations. Le tango, comme les autres œuvres de l’humanité, ne résiste pas aux querelles des Anciens et des Modernes, tel que l’a vécu l’Académie française à la fin du 17e siècle. Tous les goûts sont dans la nature et le travail du DJ est à la fois de développer les goûts et de satisfaire ceux qui sont existants. C’est passionnant.
La connexion du monde du tango avec le théâtre, puis le cinéma a toujours été naturelle. Le tango du jour, Alma de bohemio est un parfait exemple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux reprises par le cinéma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il résonnera ensuite sur les grandes scènes où Alberto Podestá l’offrait à son public. Je suis sûr que certains versions vont vous étonner, et pas qu’un peu…
Extrait musical
À gauche, la partition dédicacée à l’acteur Florencio Parravicini qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étrennée en 1914 au Teatro Argentino de Buenos Aires. On notera que la couverture de la partition porte la mention Tango de concierto. Les auteurs ont donc conçu ce tango comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tango a été réutilisé au cinéma à au moins deux reprises, en 1933 et en 1944, nous en parlerons plus bas. À droite, la réédition en disque microsillon de 1966 de notre tango du jour. Alma de bohemio est le premier titre de la face A et a donné son nom à l’album.
Paroles
Peregrino y soñador, cantar quiero mi fantasía y la loca poesía que hay en mi corazón, y lleno de amor y de alegría, volcaré mi canción.
Siempre sentí la dulce ilusión, de estar viviendo mi pasión.
Si es que vivo lo que sueño, yo sueño todo lo que canto, por eso mi encanto es el amor. Mi pobre alma de bohemio quiere acariciar y como una flor perfumar.
Y en mis noches de dolor, a hablar me voy con las estrellas y las cosas más bellas, despierto he de soñar, porque le confío a ellas toda mi sed de amar.
Siempre sentí la dulce ilusión, de estar viviendo mi pasión.
Yo busco en los ojos celestes y renegridas cabelleras, pasiones sinceras, dulce emoción. Y en mi triste vida errante llena de ilusión, quiero dar todo mi corazón.
Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso
Traduction libre
Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fantaisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chanson. J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion. Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour. Ma pauvre âme de bohème veut caresser et parfumer comme une fleur. Et dans mes nuits de douleur, je vais parler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveillé, car je leur confie toute ma soif d’amour. J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion. Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du drapeau argentin) et les chevelures noir obscur des passions sincères, une douce émotion. Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux donner tout mon cœur.
Autres versions
Le tango, tel qu’il était joué dans la pièce originale, par Firpo, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caruso qu’une dizaine d’années plus tard.
Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.
La plus ancienne version chantée avec les paroles de Caruso. Il est assez logique que Corsini soit le premier à l’avoir chanté, car il était à la fois proche de Firpo avec qui il a enregistré Patotero sentimental en 1922 et de Caruso dont il a enregistré de nombreux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enregistrer le premier.
Une belle version instrumentale, relativement étonnante pour l’époque.
Une version typique de Canaro. On verra qu’il l’enregistrera à d’autres reprises.
Treize ans plus tard, Roberto Firpo redonne vie à son titre, toujours de façon instrumentale.
Deux ans plus tard, la Típica Victor, dirigée par Adolfo Carabelli donne sa propre version également instrumentale.
Ada Falcón avec sa voix d’une grande pureté en donne une version magnifique accompagnée par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impressionnant, plus que ce qu’en avait donné Corsini. Disons que Falcón lancera la course à la note tenue le plus longtemps possible.
Le succès de Corsini avec les paroles de Caruso va permettre au titre de retourner dans le spectacle avec le premier film parlant argentin, Tango réalisé par Luis MogliaBarth et sorti en 1933.
Alberto Gómez suivra donc également les traces de Falcón avec de belles notes tenues.
Francisco Canaro reste sur la voie du tango de concierto avec une version très étonnante et qui fait l’impasse sur les notes très longuement tenues. Je pense qu’il faut associer cette interprétation aux recherches de Canaro en direction du tango fantasia ou symphonique. Pour moi, il n’est pas question de proposer cela à des danseurs, mais je trouve cette œuvre captivante et je suis content de vous la faire découvrir (enfin, à ceux qui ne connaissaient pas).
Le Trío Ciriaco Ortiz offre lui aussi une version très sophistiquée et surprenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.
On peut au moins apporter au crédit de Biagi qu’il a essayé de faire la première version de danse. Cette version est à l’opposé de tout ce qu’on a entendu. Le rythme soutenu et martelé est presque caricatural. J’ai du mal à considérer cela comme joli et même si c’est éventuellement dansable, ce n’est pas la version que je passerais en milonga.
Avec cette version mise au point par Pedro Laurenz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enregistré à mon goût, on a une bonne synthèse d’une version pour la danse et à écouter. Alberto Podestá gagne clairement le concours de la note tenue la plus longue. Il surpasse Falcón, Gómez et en 1949, Castillo ne fera pas mieux…
Alberto Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a battu avec cette version. Cela constitue une alternative avec la version de Laurenz.
Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó. Avec cet enregistrement, Osvaldo Ribó prouve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…
Tiens, une version instrumentale. Firpo tenterait-il de tempérer les ardeurs des chanteurs gonflés ?
La tentative de Firpo ne semble pas avoir réussi, Tino García explose les compteurs avec cette version servie par le tempo modéré de D’Agostino.
Voici Alberto Castillo, pour la seconde version cinématographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tango.
Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait) dans le film réalisé par Julio Saraceni à partir d’un scénario de Rodolfo Sciammarella et Carlos A. Petit. Le film est sorti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par Eduardo Rovira ou Ángel Condercuri… L’enregistrement a été réalisé le 6 mai 1949. Castillo ne dépasse pas Podestá dans le concours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exercice.
Alberto Casares fait durer de façon modérée les notes, l’originalité principale de cette version est l’orchestration délirante de Cambareri, avec ses traits virtuoses et d’autres éléments qui donnent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prouver… Signalons qu’une version avec le chanteur Hector Berardi circule. Berardi a en effet remplacé Casares à partir de 1955, mais cette version est un faux. C’est celle de Casares dont on a supprimé les premières notes de l’introduction. Les éditeurs ne reculent devant aucune manœuvre pour vendre deux fois la même chose…
Une version bien différente et qui marque la maîtrise créative de Pugliese. Souvenons-nous tout de même que d’autres orchestres, y compris Canaro s’étaient orientés vers des versions sophistiquées.
La version la plus courte (37 secondes), extraite du disque de Argentino Galván que je vous ai déjà présenté Historia de la orquesta tipica.
À la tête de son Quinteto Pirincho, Francisco Canaro, donne une nouvelle version de l’œuvre. Rien qu’avec ses versions on croise une grande diversité d’interprétations. De la version de 1927, canyengue, l’émouvante version avec Ada Falcón, celle de 1930, étonnamment moderne et finalement celle-ci, légère et relativement dansante. Il y a du choix chez Monsieur Canaro.
Nelly Vázquez prouve que les femmes ont aussi du coffre. L’orchestre d’Aníbal Troilo est ici au service de la chanteuse, il ne propose pas une version révolutionnaire qui aurait nuit à l’écoute de Nelly Vázquez. Cette intégration fait que c’est une version superbe, à écouter les yeux fermés.
Piazzolla propose sans doute la version la plus étonnante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une surprise pour beaucoup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tranchants, moins, car ils font partie du vocabulaire usuel d’Astor. Le thème original est transfiguré, la plupart du temps difficile à retrouver, mais ce n’est pas un problème, car il n’a servi que de prétexte à Piazzolla pour illuminer les nouvelles voies qu’il ouvrait dans le tango.
Il y a bien d’autres enregistrements, mais aucun ne me semblait pourvoir lutter contre cette version de Piazzolla, aucun, peut-être pas, et je vous propose de revenir à notre concours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siècle, Plácido Domingo qui nous l’offre. Écoutez comme, tranquillement, il explose tous les compteurs avec une facilité apparente incroyable.
Impressionnant, non ?
Vous en redemandez, alors, je vous propose une version un peu plus tardive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il définitivement meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.
Nunca más, est comme un cri lancé. Nunca más exprime la rage, le désespoir, l’espoir. Nunca más, c’est un des plus beaux thèmes enregistrés par D’Arienzo avec Mauré. Nunca más est une œuvre de deux des frères Lomuto, Francisco qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tango qui exprime la rage, le désespoir, l’espoir. C’est notre tango du jour.
Extrait musical
Paroles
En una noche de falsa alegría tus ojos claros volví a recordar y entre los tangos, el vino y la orgía, busqué febril tu recuerdo matar. Recordaba mi dicha sin igual que a vos sola mi vida consagré, pero ingrata te fuiste y en mi mal triste y solo, cobarde, te lloré.
Eras la ilusión de mi vida toda mi alegría y mi pasión. Mala, yo que te quise por buena en tus dulces labios, nena, me he quemado el corazón. Linda, muñequita mimosa, siempre, en mi corazón estás, Nena, acordate de la pena que me dio tu boca, loca, cuando dijo: ¡Nunca más!
Entre milongas y timbas, mi vida pasando va estas horas inquietas, de penas lleno, el alma oprimida, pálido el rostro como una careta. Arrepentida, nunca vuelvas, jamás a pedir desolada mi perdón. ¡No olvides que al decirme nunca más, me dejaste, mujer, sin corazón!…
Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto
Traduction libre
Par une nuit de joie factice, je me suis rappelé tes yeux clairs et entre les tangos, le vin et l’orgie, j’ai cherché fébrilement à tuer ton souvenir. Je me suis souvenu de mon bonheur sans pareil d’avoir consacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et solitaire, lâche, je t’ai pleurée. Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illusion ») de ma vie, toute ma joie et ma passion. Mauvaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur. Belle, poupée câline, tu es toujours, dans mon cœur, Petite, souviens-toi du chagrin que ta bouche folle m’a donné, quand elle a dit : Plus jamais ! Entre milongas et timbas (tripot, boîtes de jeu clandestines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de chagrins, l’âme oppressée, le visage pâle comme un masque. Repentante, jamais tu ne reviens, jamais à demander, désolée, mon pardon. N’oublie pas qu’en disant plus jamais, tu m’as laissé, femme, sans cœur !… (la virgule change le sens de la phrase. Là, c’est probablement lui qui est sans cœur, même s’il est sous-entendu qu’elle a également été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon subtile de la mettre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).
Autres versions
Gardel est le premier à avoir enregistré le titre, environ deux ans après son écriture.
Trois ans après Gardel, Lomuto enregistre le titre conçu avec son frère. Une version bien canyengue. Pas vilain, mais à réserver aux amateurs du genre. Le bandonéon de Minotto Di Cicco est bien virtuose pour l’époque.
Une version plus tonique, qui montre mieux la colère de l’homme abandonné. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs commencent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas convaincu par ce duo. Ce ne sera pas ma version préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un problème… Le plus étonnant est que c’est la plus diffusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraînante, c’était juste un « mauvais moment » à passer. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napolitano qui a remplacé un autre frère de Lomuto (Enrique) intervient de façon sympathique.
Gómez propose une version chantée, sans doute plus sympathique que celle de Gardel.
On reste dans les versions à écouter avec Ada Falcón. Elle met au service du titre sa diction et son phrasé particulier. C’est un autre titre sympathique à écouter.
C’est notre tango du jour. Il reprend le début tonique de la version de 1931 de Lomuto, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puissance. Une énergie fantastique se dégage de ce titre et donnera un élan irrépressible aux danseurs. Ce qui est merveilleux est que Mauré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pendant son intervention. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tango du jour…
On change d’univers avec Miguel Caló. On est surpris par de nombreux changements de tonalité. Même si la voix de Arrieta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette version.
De fin à 1949 à fin 1950, Montero a enregistré de quoi faire une tanda calme et nostalgique avec Lomuto, mais je pense que ceux qui adorent Montero sont plus des auditeurs que des danseurs.
Sans son partenaire ange, (D’Agostino), Vargas poursuit sa carrière. L’orchestre de Toto propose un accompagnement de qualité. La voix de Vargas est toujours merveilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.
Avec son second chanteur fétiche, D’Arienzo renouvèlera-t-il le succès de la version de 1941 ? Pour moi, non. Cette version clinquante comme beaucoup d’enregistrement de cette époque a laissé de côté la qualité de la danse au profit du spectacle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sensiblerie dans son interprétation. Je vous conseille de revenir au titre chanté par Mauré.
En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule version pour une milonga de qualité, celle de 1941, même si certaines autres feront plaisir à l’écoute.
Histoire du corbeau qui dit Nunca más
Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le corbeau (The raven).En voici la version en anglais et à la suite, la version traduite en français par Charles Baudelaire.
Paroles
‘Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary, Over many a quaint and curious volume of forgotten lore— While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping, As of some one gently rapping, rapping at my chamber door. “’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door— Only this and nothing more.”
Ah, distinctly I remember it was in the bleak December; And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor. Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow From my books surcease of sorrow – sorrow for the lost Lenore— For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore— Nameless here for evermore.
And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain Thrilled me – filled me with fantastic terrors never felt before; So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating “’Tis some visitor entreating entrance at my chamber door— Some late visitor entreating entrance at my chamber door; — This it is and nothing more.”
Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer, “Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore; But the fact is I was napping, and so gently you came rapping, And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door, That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; — Darkness there and nothing more.
Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing, Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before; But the silence was unbroken, and the stillness gave no token, And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore?” This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”– Merely this and nothing more.
Back into the chamber turning, all my soul within me burning, Soon again I heard a tapping somewhat louder than before. “Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice; Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore— Let my heart be still a moment and this mystery explore; — ‘Tis the wind and nothing more!”
Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter, In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore; Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he; But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door— Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door— Perched, and sat, and nothing more.
Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling, By the grave and stern decorum of the countenance it wore, “Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven, Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore— Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!” Quoth the Raven “Nevermore.”
Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly, Though its answer little meaning – little relevancy bore; For we cannot help agreeing that no living human being Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door— Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door, With such name as “Nevermore.”
But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only That one word, as if his soul in that one word he did outpour. Nothing farther then he uttered – not a feather then he fluttered— Till I scarcely more than muttered “Other friends have flown before— On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before.” Then the bird said “Nevermore.”
Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken, “Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster Followed fast and followed faster till his songs one burden bore— Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore Of ‘Never – nevermore’.”
But the Raven still beguiling all my fancy into smiling, Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door; Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore— What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore Meant in croaking “Nevermore.”
This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core; This and more I sat divining, with my head at ease reclining On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er, But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er, She shall press, ah, nevermore!
Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor. “Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee Respite – respite and nepenthe from thy memories of Lenore; Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!” Quoth the Raven “Nevermore.”
“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! — Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore, Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted— On this home by Horror haunted – tell me truly, I implore— Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!” Quoth the Raven “Nevermore.”
“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! By that Heaven that bends above us – by that God we both adore— Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn, It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore— Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.” Quoth the Raven “Nevermore.”
“Be that word our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting– “Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore! Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken! Leave my loneliness unbroken! – quit the bust above my door! Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!” Quoth the Raven “Nevermore.”
And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting On the pallid bust of Pallas just above my chamber door; And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming, And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor; And my soul from out that shadow that lies floating on the floor Shall be lifted – nevermore!’
Edgar Allan Poe, The raven.
Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)
« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. » Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus. Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. » Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus ! Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais le silence ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus. Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. » Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus. Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! » Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus ! Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! » Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus ! Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus ! Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus ! Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. “Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue !” Le corbeau dit : “Jamais plus !” “Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie !” Le corbeau dit : “Jamais plus !” “Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.” Le corbeau dit : “Jamais plus !” “Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte !” Le corbeau dit : “Jamais plus !” Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus ! »
Et voici, pour terminer, une version cinématographique de haute volée. À demain, les amis !
Edgardo Donato a fait une double réussite en enregistrant cette valse composée par son frère. La première est d’avoir exécuté une valse magnifique, la seconde est d’avoir écarté les paroles de cet enregistrement. En effet, si les paroles nous permettent de comprendre le titre, elles sont plutôt médiocres et il est vraiment préférable que les auditeurs et danseurs imaginent leur propre histoire sur la musique.
Extrait musical
L’attention est attirée par les coups de « klaxon ». Cela attire aussi l’attention des danseurs qui peuvent se demander ce qui se passe et ce qui va passer. Après 25 secondes, la valse démarre, elle tourne imperturbablement, ce titre est entraînant et plait en général aux danseurs qui aiment les valses. Certains n’aiment pas les valses, tant pis pour eux…
Paroles (extrait)
Amada mía, pido en mis ruegos Al de los cielos con gran devoción Que te conserve fresca y lozana rosa Temprana de mi honda pasión Tu eres alivio de mis pesares que en otros lares Yo conquisté pues en tus labios Que son dos corales hallé la dulce calma que ambicioné. Mujer amada diosa divina, con tu cariño yo soy feliz. Si el me faltara mi vida muere Por qué tú eres mi único amor pues con tus besos y tus caricias Calmas las penas de mi existir Porque en mis noches de cruel insomnio Sabes calmarme con tu elixir
Adolfo A. Vedani
Traduction libre
On comprend pourquoi on ne trouve pas de version avec les paroles. L’intention est touchante, mais le résultat est assez pauvre et plat.Mon aimée, je demande dans mes prières vers les cieux, avec une grande dévotion, qu’il te garde fraîche et luxuriante rose. Dès le début de ma passion profonde, tu es le soulagement de mes chagrins, plus que toute autre personne généreuse (lare signifie en lunfardo personne généreuse, ou corps…). J’ai conquis ensuite sur tes lèvres qui sont deux coraux, j’ai trouvé le doux calme que je convoitais. Femme aimée, déesse divine, avec ton affection, je suis heureux. Si elle me faisait défaut, ma vie mourrait. Parce que tu es mon seul amour et que de tes baisers et de tes caresses tu apaises les chagrins de mon existence. Parce que dans mes nuits d’insomnie cruelle, tu sais comment me calmer avec ton élixir. Cet extrait des paroles permet de comprendre le thème de la valse. Comme la seule version enregistrée est celle de Donato et qu’elle est instrumentale, je pense que vous pouvez oublier les paroles et ne garder que les images que vous souhaitez pour vous inspirer dans la danse…
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version… Vous pouvez donc réécouter cette jolie valse 😉
Mais avant de nous quitter, je vous pose la question de si vous préférez cette valse avec son assez longue introduction de 25 secondes ou en entrée directe. Comme DJ, j’ai tendance à supprimer l’introduction en milieu de tanda, mais beaucoup moins en début de tanda, l’introduction étant un appel. Les danseurs peuvent terminer tranquillement les miradas/cabeceos et être sur la piste au moment où la musique démarre. J’annonce juste au micro que ce sont des valses et que ça démarre après l’introduction.
En 2012, le thème du festival Tangopostale de Toulouse était les deux rives. À cette occasion, j’ai eu l’idée d’alterner les tandas argentines et uruguayennes. Entre les deux, une cortina réalisée pour l’occasion permettait de matérialiser le passage d’une rive à l’autre. Je me souviens de l’accueil enthousiaste pour Mi vieja linda qui était peu connue à l’époque, tout comme les versions de nombreux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représentés que par Racciatti et Villasboas… Dix ans plus tard, le Sexteto Cristal a eu l’excellente idée de reprendre à l’identique Mi vieja linda, ce qui a permis à de nouvelles générations de danseurs de redécouvrir cette milonga festive, comme beaucoup de musiques uruguayennes.
Extrait musical
Paroles
Mi vieja linda Pensando en vos Se me refresca El corazón Desde el día que te vi Tras de la reja En mi pecho abrió una flor Como una luz Y la pasión Alumbró mi corazón Mi vieja linda Pensando en vos Me siento bueno Como el mejor Y cuando un beso te doy Boca con boca Yo paladeo el sabor De estar en vos Que estar así Corazón a corazón
Ernesto Céspedes Polanco
Traduction libre
Ma jolie chérie (vieja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la seconde option la bonne…), en pensant à toi, mon cœur est rafraîchi. Depuis le jour où je t’ai vu, à travers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la passion a illuminé mon cœur. Ma jolie chérie, je pense à toi. Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un baiser, bouche contre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ainsi, cœur à cœur.
Autres versions
Comparaison des deux versions
Vous l’aurez remarqué, les deux versions sont très semblables. Le Sexteto Cristal a reproduit exactement l’interprétation de Emilio Pellejero. Pour vous permettre de vérifier que le travail est excellent, je vous propose d’écouter les deux musiques en même temps. Vous pourrez constater que la plupart du temps, la musique est synchronisée. Cela veut dire que les danseurs pourront danser indifféremment sur une version ou l’autre, sans différence notable.
Le Sexteto Crital a eu l’excellente idée d’interpréter « Mi vieja linda » de Ernesto Céspedes Polanco et qui était connu principalement pour la version enregistrée en 1941 par Emilio Pellejero avec la voix d’Enalmar De María. Sa reproduction de la version originale est presque parfaite comme vous le verrez dans cette vidéo. Les deux versions jouent en même temps et sont presque toujours synchronisées.
Les deux rives
L’année dernière au festival de Tarbes, il y avait le Sexteto Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lendemain dans la Halle Marcadieu et j’ai pu passer la version originale de Pellejero afin de rendre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pellejero et je pourrais également rajouter Ernesto, Ernesto Céspedes Polanco, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réalisé quelques titres principalement interprétés par Emilio Pellejero comme Paloma que vuelas et Quemando recuerdos, les deux avec des paroles de Fernando Silva Valdés. Il est d’usage de dire que le tango est un enfant des deux rives du Rio de la Plata, Buenos Aires et sa Jumelle orientale, Montevideo. Le passage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire constant pour les orchestres. La perméabilité entre les deux rives était donc extrême. Cependant, la plupart des artistes qui ont cherché à développer leur carrière se sont centrés sur Buenos Aires, comme Francisco Canaro, né Uruguayen et naturalisé Argentin.
À Donato Racciatti et Miguel Villasboas, on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins connus : Nelson Alberti, Julio Arregui, Juan Cao, Antonio Cerviño, Roberto Cuenca, Romeo Gavioli, Álvaro Hagopián, Juan Manuel Mouro, Ángel Sica, Julio Sosa.
Durant la pandémie COVID, je diffusais une milonga hebdomadaire et le fait de passer aussi des orchestres uruguayens m’avait attiré la sympathie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nombreuses informations via Messenger. Malheureusement, la fermeture par Facebook de mon compte de l’époque m’a fait perdre toutes ces informations. Je me souviens de contacts d’enfants de musiciens et de témoignages sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au propre, par manque de temps de traiter ces informations très riches. Je comptais également enrichir ma discothèque à partir de ces sources. Si mes contacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à reprendre contact…
Pour réaliser cette image, j’ai utilisé une peinture d’Antoine Bourdelle, un sculpteur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa maison musée est une merveille.
1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.
Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916. Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.
Extrait musical
Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.
Paroles
Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée. Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.
Autres versions
On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.
Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.
Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.
Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…
Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.
Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.
Famá chante le premier couplet de Bayardo.
C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.
Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra. On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…
Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.
D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.
Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.
Varela nous propose une introduction originale.
Une version sans doute pas évidente à danser.
Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.
Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas
Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.
Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.
Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.
Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?
Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).
Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.
Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.
Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.
Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.
Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…
L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.
Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :
Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.
C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).
Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango. En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ. Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.
Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…
Paroles de Lito Bayardo (1931)
Sin un solo adiós dejé mi hogar cuando partí porque jamás quise sentir un sollozar por mí. Triste amanecer que nunca más he de olvidar hoy para qué rememorar todo lo que sufrí.
Lejano Nueve de Julio de una mañana divina mi corazón siempre fiel quiso cantar y por el mundo poder peregrinar, infatigable vagar de soñador marchando en pos del ideal con todo amor hasta que al fin dejé mi madre y el querer de la mujer que adoré.
Yo me prometi lleno de gloria regresar para podérsela brindar a quien yo más amé y al retornar triste, vencido y sin fe no hallé mi amor ni hallé mi hogar y con dolor lloré.
Cual vagabundo cargado de pena yo llevo en el alma la desilusión y desde entonces así me condena la angustia infinita de mi corazón ¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría también se fueron desde aquel día que con las glorias de mis triunfos yo soñara, sueños lejanos de mi loca juventud!
José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo… Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.
Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi. Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert. Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage, infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais. Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré. Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne. Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?
Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)
De un conventillo mugriento y fulero, con un canflinfero te espiantaste vos ; abandonaste a tus pobres viejos que siempre te daban consejos de Dios; abandonaste a tus pobres hermanos, ¡tus hermanitos, que te querían! Abandonastes el negro laburo donde ganabas el pan con honor.
Y te espiantaste una noche escabullida en el coche donde esperaba el bacán; todo, todo el conventillo por tu espiante ha sollozado, mientras que vos te has mezclado a las farras del gotán; ¡a dónde has ido a parar! pobrecita milonguera que soñaste con la gloria de tener un buen bulín; pobre pebeta inocente que engrupida por la farra, te metiste con la barra que vive en el cafetín.
Tal vez mañana, piadoso, un hospital te dé cama, cuando no brille tu fama en el salón; cuando en el « yiro » no hagas más « sport »; cuando se canse el cafisio de tu amor ; y te espiante rechiflado del bulín; cuando te den el « olivo » los que hoy tanto te aplauden en el gran cafetín.
Entonces, triste con tu decadencia, perdida tu esencia, tu amor, tu champagne ; sólo el recuerdo quedará en tu vida de aquella perdida gloria del gotán; y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras, tus amarguras derramarás; y sentirás en tu noche enfermiza, la ingrata risa del primer bacán.
José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes
Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes
D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ; tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ; Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient ! Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur. Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ; Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ; Mais où vas-tu t’arrêter ? Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ; Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café. Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ; quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ; quand le voyou de ton amour se fatigue ; et tu t’évades folle du logis ; Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín. Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ; Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie Gloire du Gotan ; et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ; Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Mientras los clarines tocan diana y el vibrar de las campanas repercute en los confines, mil recuerdos a los pechos los inflama la alegría por la gloria de este día que nunca se ha de olvidar. Deja, con su música, el pampero sobre los patrios aleros una belleza que encanta. Y al conjuro de sus notas las campiñas se levantan saludando, reverentes, al sol de la Libertad.
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins, mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié. Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante. Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté. L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Hoy siento en mí el despertar de algo feliz. Quiero evocar aquel ayer que me brindó placer, pues no he de olvidar cuando tembló mi corazón al escuchar, con emoción, esta feliz canción:
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
En los ranchos hay un revivir de mocedad; los criollos ven en su pasión todo el amor llegar. Por las huellas van llenos de fe y de ilusión, los gauchos que oí cantar al resplandor lunar.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux. Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse : L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ; Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver. Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.
Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco
Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.
Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉
Paroles
Fue un ensueño de dulce amor, horas de dicha y de querer. Fue el poema de ayer, que yo soñé de dorado color. Vanas quimeras que el corazón no logrará descifrar jamás. ¡Nido tan fugaz, fue un sueño de amor, de adoración!…
Cuando las flores de tu rosal vuelvan más bellas a florecer, recordarás mi querer y has de saber todo mi intenso mal…
De aquel poema embriagador ya nada queda entre los dos. ¡Con mi triste adiós sentirás la emoción de mi dolor !…
Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco
Traduction libre
Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour. Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée. Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer. Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…
Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…
De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux. Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…
Qui est le compositeur de Poema ?
Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.
La version traditionnelle
Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.
Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…
Une variante :
Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.
En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema. Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco. En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.
On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.
Une version iconoclaste
Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire : « Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. » 50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines. L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel. Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus. Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas. Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.
Des musiques composées par Sarbek
Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema. Compositions : Ce soir mon cœur est lourd 1947 Concerto de minuit, classé comme musique légère Czardas Divertimento 1959 Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble. El Fanfarrón 1963 El queño Furtiva lagrima 1962 Gaucho negro Intermezzo de tango 1952 Je n’ai plus personne Le tango que l’on danse Linda brunita Manuska Mon cœur attendra 1948 Oro de la sierra Où es-tu mon Espagne ? Pourquoi je t’aime 1943 Près de toi ma Youka 1948 Rêvons ensemble 1947 Souffrir pour toi 1947 Tango d’amour Tango maudit Tendrement 1948
Des musiques arrangées par Sarbek
Bacanal 1961 C’est la samba d’amour 1950 Dis-moi je t’aime Elia 1942 En forêt 1942 Gipsy fire 1958 Je suis près de vous 1943 Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire. Meditación 1963 Nuages One kiss Pampa linda 1956 Puentecito 1959 Rose avril 1947 Tango marcato 1963 Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film. Valse minuit Vivre avec toi 1950
Sarbek pianiste
Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.
Melfi récupérateur ?
Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération. Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin. Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango. Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.
Sarbek interprète de Poema
S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas. Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres. Je vous propose de l’écouter.
Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ? Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, Angustia.
Voici les photos des deux faces du disque.
Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans. C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.
Un argument musical
N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question. Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ? Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer. Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux… J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.
Autres versions
La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.
Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?
Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.
Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.
Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.
Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.
Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.
Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.
On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.
Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?
Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.
(Ajouté le 29 août 2024)
(Ajouté le 29 août 2024)
Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.
Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…
Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique. Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.
La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.
Le tango du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addition de « uns ». Attention, les huns, pardon, les uns débarquent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tangos du répertoire, écrit par Mariano Mores avec des paroles de Enrique Santos Discépolo. Préparez-vous à l’écoute, mais aussi à voir, j’ai une surprise pour vous…
Extrait musical
Paroles
Uno busca lleno de esperanzas El camino que los sueños prometieron a sus ansias Sabe que la lucha es cruel y es mucha Pero lucha y se desangra por la fe que lo empecina Uno va arrastrándose entre espinas Y en su afán de dar su amor Sufre y se destroza hasta entender Que uno se quedó sin corazón Precio de castigo que uno entrega Por un beso que no llega O un amor que lo engañó Vacío ya de amar y de llorar Tanta traición Si yo tuviera el corazón El corazón que dí Si yo pudiera, como ayer Querer sin presentir Es posible que a tus ojos que me gritan su cariño Los cerrara con mil besos Sin pensar que eran como esos Otros ojos, los perversos Los que hundieron mi vivir Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor Si yo tuviera el corazón El mismo que perdí Si olvidara a la que ayer lo destrozó Y pudiera amarte Me abrazaría a tu ilusión Para llorar tu amor
Chacun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cruelle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède. Chacun rampe parmi les épines et dans son empressement à donner son amour, il souffre et se détruit jusqu’à ce qu’il comprenne que chacun se retrouve sans cœur, le prix de la punition que chacun donne pour un baiser qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé. Vide d’aimer et de pleurer tant de trahisons. Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai donné. Si je pouvais, comme hier, aimer sans crainte, il est possible que tes yeux qui me crient leur affection, je les refermerais de mille baisers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les pervers, ceux qui ont coulé ma vie. Si j’avais le cœur, le même que j’ai perdu. Si j’oubliais celle qui l’a détruit hier et que je pouvais t’aimer, j’embrasserais ton illusion pour pleurer ton amour.
Autres versions
Comme annoncé, ce titre a été enregistré de très nombreuses fois. Impossible de tout vous proposer, alors, voici une sélection pour vous faire découvrir la variété et les points communs de ces versions en commençant par notre tango du jour, qui est le premier à avoir été enregistré.
Deux jours après Canaro, Libertad Lamarque enregistre le disque. C’est là qu’on remarque, une fois de plus, que Canaro est toujours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est destiné à un film, El fin de la noche, réalisé par Alberto de Zavalía. Le tournage ne commencera qu’en août 1943 et le film ne sortira en Argentine que le premier novembre 1944, car le gouvernement argentin a tardé à donner l’autorisation de diffusion, notamment à cause du sujet qui mettait en cause le gouvernement allemand…
En effet, l’intrigue est totalement liée à l’actualité de l’époque, ce qui prouve que l’information circulait. Lola Morel (Libertad Lamarque), une chanteuse Sud-Américaine qui vit à Paris a été bloquée à Paris par la guerre (La plupart des Argentins avaient quitté la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notamment Rafael qui fut le dernier à quitter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passeports, elle se voit proposé d’espionner la résistance. Ce film confirme que les Argentins ne se désintéressaient pas de la situation en Europe durant la seconde guerre mondiale. Mais la merveille, c’est de voir Libertad Lamarque chantant. C’est une des plus émouvantes prises disponibles, jugez-en.
Difficile de revenir sur terre après cette version, alors autant rester dans les nuages avec Troilo et Marino.
C’est peut-être la version la plus connue. Il faut dire qu’elle est parfaite, à chaque écoute, elle provoque la même émotion.
Quelques mois après Libertad, Tania donne sa version. À qui va votre préférence ? Tania enregistrera une autre version avec Donato Racciatti en 1959.
Avant de passer à D’Arienzo, un petit point « technique ». Les disques de l’époque étaient prévus pour être utilisé à 78 tours par minute. C’est une vitesse précise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours. Donc, ces disques joués à 78 tours par minute donnent la bonne restitution, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur. Le résultat peut être différent de ce qui a été jouée. Par exemple, pour paraître plus virtuose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ainsi, lorsque le disque qui sera pressé à partir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapide et plus aigu. Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on disserte longuement de la valeur du diapason, notamment du bandonéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une horreur, on ne remarquera pas d’une milonga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son éditeur a modifié la vitesse, c’est la décision de l’époque. En revanche, je suis moins indulgent sur les rééditions des 78 tours en 33 tours. Ces transcriptions ont donné lieu à différents abus (pas forcément tous sur tous les disques) :
L’ajout de réverbération pour donner un « effet stéréo », mais qui perturbe grandement la lisibilité de la musique, ce qui est dommageable pour la danse également.
La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beaucoup d’éditeurs ont supprimé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont produit des 33 tours à partir de 78 tours usagés. Biagi est une des principales victimes de ce phénomène et Tanturi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de terminer les morceaux…
Le filtrage de fréquences pour diminuer le bruit du disque original. Les moyens de l’époque font que cette suppression filtre le bruit du disque, mais aussi la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
Le changement de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musiciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut varier la vitesse sans toucher à la tonalité, à l’époque, c’était impossible. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résultat est convaincant et seuls les possesseurs de la fameuse oreille absolue s’en rendront compte si cela est fait dans des proportions raisonnables.
Après ce long propos liminaire, voici enfin la version de D’Arienzo et Maure. En premier, un enregistrement à partir du 78 tours original. La vitesse est donc celle proposée par D’Arienzo et la société Víctor.
Et maintenant la version accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par différents éditeurs, y compris contemporains, ce qui prouve qu’ils sont partis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice originale…
Édition accélérée, sans écouter la première version, vous seriez-vous rendu compte de la différence ? Probablement, car cela fait précipité, notamment en comparaison des versions déjà écoutées qui durent parfois près de 3:30 minutes, ce qui est exceptionnel en tango.
Une version sans doute moins connue, mais que je trouve très jolie également. Dommage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milonga. Cependant, les événements de plusieurs jours, ou les très longues milongas (10 h ou plus), permettent ces fantaisies…
Alberto Gómez commence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Progressivement, ce soutien est proposé par d’autres instruments, mais ce n’est qu’à 58 secondes que l’orchestre prend progressivement une place plus importante, sans toutefois perdre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette version à écouter suscite de la mention, malgré la voix un peu forcée de Gómez que l’on sans doute mieux appréciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans certains passages de ce thème.
On change complètement de style avec Biagi. Une version rythmée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pression qui empêche d’entrer complètement dans le thème. Ce n’est pas une critique de la qualité musicale, mais je trouve que cette fois Biagi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui interprètent la musique. Pour les autres, ils retrouveront le tempo bien marqué qui leur convient pour poser leurs patounes en rythme.
Les subtilités de la chronologie nous offrent ici, une interprétation à l’opposée de la précédente, par Biagi. Elle est à classer dans la lignée Lamarque, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette version à celle de l’autre homme de la sélection de tango à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un merveilleux pianiste pour la musique intime. Vous pourrez vous en convaincre en écoutant ses formidables enregistrements de tango au piano, sur trois époques (1930, 1952-1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exercice.
Encore une version à rajouter à la lignée des chansons. La qualité d’enregistrement des années 50 rend mieux justice à la voix de Charlo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chantait avec Canaro ou Lomuto. Essayez d’écouter ses enregistrements avec orchestre ou guitare des années 50 pour vous en rendre compte. Cette métamorphose, en grande partie causée par la technique, nous faire prendre conscience de ce que nous avons perdu en n’étant pas dans la salle dans les années 20.
Avec Troilo et Casal, on revient vers le tango de danse. Bien sûr, vous comparerez cette version avec celle de 1943 avec Marino. Les deux sont formidables. L’orchestre est éventuellement moins facile à suivre pour les danseurs, les DJ réserveront certainement cette version aux meilleurs pratiquants.
Avec Julio Sosa et l’orchestre Armando Pontier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tango de danse est perdue. Cela n’enlève pas de la beauté à cette version, mais ça nous fait regretter que le rock et autres rythmes aient supplanté le tango à cette époque en Argentine…
José Basso nous donne une des rares versions qui se prive des paroles de Discépolo. Pour ma part, je trouve que la voix manque, même si à tour de rôle et les violons chantent plutôt bien et que le piano de José Basso ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illusions.
De la part de Ledesma, on attend une belle version et on n’est pas déçu.
On retrouve Caldara, cet ancien bandonéoniste de Pugliese avec Lesica. Une belle association. L’introduction avec le superbe violoncelle de José Federighi prouve s’il en était besoin les qualités de ce musicien et arrangeur d’une grande modestie. Je vous propose de terminer cette longue liste avec l’auteur Mariano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.
N’oubliez pas de cliquer sur ce dernier lien pour consulter l’album de Mariano Mores en écoutant une toute dernière version d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y découvrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.
On me demande parfois ce tango en disant, ce tango de Piazzolla, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Angelis qui l’a interprété pour la première fois et c’est Troilo qui l’a rendu célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tournant important dans le microcosme tango à la fin des années 50.
On date souvent l’apparition du tango nuevo de Piazzolla et des années 60. Mais comme toujours, c’est bien plus compliqué que cela. Dans les années 30, Francisco Canaro était déjà à la recherche de nouveaux styles de tango, mais en fait, les principaux orchestres ont cherché à innover en ajoutant des instruments et en en enlevant d’autres. La flûte a été remplacée par le bandonéon, le piano a fait son apparition, la harpe a été remplacée par la guitare, puis est revenue et repartie, puis des instruments plus ou moins étranges comme la scie musicale (serrucho) parfois remplacée par le theremine qui donne un son très proche bien que purement électronique. Parmi les joueurs de scie musicale, on pourrait citer Rafael Canaro ou Juan Caldarella.
On entend la scie musicale dans la Cumparsita de Roberto Firpo en 1916 et dans de nombreuses compositions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui… Pour le theremine, voici un exemple de jeu sur une pièce classique, le cygne de Saint-Saëns.
Dans les années 40, Canaro, toujours lui, fut un des premiers à utiliser l’Orgue Hammond. Un instrument électromécanique, produisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est simple. Une roue portant des aimants tourne. Elle déclenche un microphone électromagnétique lors de sa rotation (du même type que ceux des guitares électriques). Si un aimant passe devant le microphone 100 fois par seconde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nombre d’aimants est différent. Avec le double d’aiment, à vitesse de rotation égale, le son est deux fois plus aigu. En faisant varier la vitesse de rotation, on change la hauteur du son de façon continue. On peut entendre l’orgue Hammond dans Cristal (1944-06-03) de Francisco Canaro (à partir de 1 minute, ou dans Garras (1945-03-15) à partir de 32 secondes. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour profiter de la jolie interprétation du chanteur, Carlos Roldán.
Piazzolla introduit la guitare électrique qui utilise donc les mêmes microphones que l’orgue Hammond, une décennie plus tard. C’est un nouvel instrument, mais il est loin d’être le premier à l’avoir fait. J’arrête là la liste des innovations, il y en a trop. C’était juste pour vous démontrer que les nouveautés en tango, c’est vieux. Sinon, on serait toujours au tango des Gobbi et autres joyeusetés.
Extrait musical
Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est également une innovation, dans l’orchestration et le rendu de la musique. C’est également un tango nouveau, une marche dans l’évolution du tango. Plaza l’a écrit pour la danse, disons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa composition des motifs permettant de pratiquer toutes les figures possibles pour un danzarín, un excellent danseur.
Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrangement de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retravaillé pour Troilo. Nous verrons cependant la limite de cette intervention un peu plus loin dans cette anecdote… N’oublions pas que c’est De Angelis qui l’a joué en premier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sembler étonnant. Il est certain que le résultat devait être très différent de celui du premier enregistrement par Troilo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troilo a demandé à Plaza de revoir sa partition pour l’adapter encore plus à son orchestre.
Autres versions
Il y a des centaines d’enregistrements de Danzarin. Faute de pouvoir produire la version de De Angelis, je vais me contenter des deux enregistrements de Troilo. En effet, la très grande majorité des enregistrements postérieurs ont pris la version de Troilo comme modèle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’histoire. La grande époque du tango est terminée, les orchestres cherchent à perdurer, en proposant de nouvelles pistes pour l’écoute et les nouveaux orchestres restent dans les pas des aînés.
La sonorité est très différente entre les deux enregistrements. Pour comprendre ce qui se passe, regardons l’analyse du spectre :
La stéréo de la version de 1963 donne une impression d’espace. Les instruments sont aussi séparés spatialement. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une milonga on est obligé de limiter la stéréo pour que la répartition soit correcte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable. La première utilisation de la stéréophonie date de 1881 et c’est une invention du papa de l’avion, Clément Ader qui a eu l’idée de diffuser le son de l’opéra Garnier de Paris à l’aide d’un réseau de câbles électriques reliés d’un côté à deux microphones et de l’autre à deux écouteurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtrophone. En 1931, Alan Blumlein, va plus loin en proposant un procédé d’enregistrement et de relecture sur piste unique qui sera quasiment identique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50. Pour la musique, Disney en 1940 a fait du multipiste pour son film musical Fantasia. Malheureusement, les salles ne se sont pas équipées et le son du cinéma est resté globalement monophonique jusque dans les années 60. Pour revenir au disque, c’est à partir de 1958 que la stéréophonie est apparue. Cela implique que tout le tango de l’âge d’or est purement monophonique. Troilo qui a un peu souffert d’éditeurs médiocres au début de sa carrière cherche à refaire son enregistrement avec le nouveau procédé et c’est le résultat que l’on peut entendre dans la version de 1963. Malheureusement, pour des questions de taille de fichier, il m’est impossible de vous le faire écouter ici en entier [mon fichier original fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que certains DJ considèrent comme un format acceptable en milonga…).
Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien marqué : 0 s : les violons débutent à gauche, 3 s : le piano attaque plutôt au centre et les bandonéons se rajoutent à droite comme un écho du piano. 15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enregistré avec deux microphones en stéréo. 19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplissant tout l’espace sonore de gauche à droite. 34 s : les bandonéons et les violons sont des deux côtés. Le piano est plus au centre. 49 s : les instruments retrouvent leur latéralité, les violons plus à gauche et les bandonéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes conditions, la qualité sonore en vaut la peine.
Différences entre les deux versions
L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres éléments que l’on peut déduire des audiogrammes.
Globalement le spectre est bien rempli dans les deux cas (partie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à environ 20 kHz, on est en présence de deux enregistrements de qualité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absolument identiques. À droite, on remarque que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a entendu dans le court extrait en stéréo, les violons commencent à gauche (donc en haut), puis le piano au centre et enfin les bandonéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus marqué.
On constate que si la version de 1963 est globalement plus lente, ce n’est pas vrai partout. La version de 1958, allongée devrait coïncider avec celles de 1963 pour la « pause » centrale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard. Le début est plus rapide dans la version de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort semblable jusqu’à 40 secondes, puis la version de 63 est plus rapide. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la version de 1958 3 secondes de retard. La « pause » centrale arrive à 1 : 42 dans la version de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nouveau synchronisés pour le solo de violoncelle. La version de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beaucoup ralenti, ce qui a permis à la fin de la pause de resynchroniser le violoncelle. Je rappelle que c’est en temps relatif, car j’ai augmenté le temps de la version de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963. À 2 : 28, la version de 1963 accélère de nouveau, devançant celle de 1958, exactement comme elle l’avait fait lors de la première fois. Ainsi, le solo de violoncelle est de nouveau synchronisé à 1 : 54 et ainsi de suite.
Attention, expérience sensorielle perturbante
Quand je musicalise, j’écoute toujours la musique qui passe sur la piste, mais je prépare aussi la tanda suivante et je cherche une cortina convenable. Ceci fait que j’ai souvent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct. Je vais vous proposer une version simplifiée de cela en vous présentant un morceau constitué à gauche de la version de 1958 et à droite, de la version de 1963. Ce sera plus simple si vous pouvez l’écouter au casque, ou a minima avec un équipement stéréo bien équilibré. Cela va vous permettre de constater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…
Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pourriez être DJ ; -)
Vous aurez remarqué, sans doute, qu’il n’y a pas de différence notable dans l’orchestration. Je ne comprends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a bénéficié des arrangements de Plaza. Peut-être que c’était le cas aussi de la version de 1958. Comme on n’a pas d’enregistrement de De Angelis, il est impossible de faire la différence.
NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tango nuevo…
Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi
Le tango du jour est Silencio, enregistré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expiatoire » dévoile une des failles de Carlos Gardel, Enfant de France. Je vous invite à découvrir ou redécouvrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.
Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire voir et écouter une version différente du tango du jour, avant la version du jour. Nous sommes en 1932, Carlos Gardel est en France (comme beaucoup de musiciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne quatre films et dans le dernier de la série, il chante une chanson dont on ne peut comprendre la totalité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.
Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Studios de Joinville-le-Pont en octobre et novembre 1932. Le scénario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, également).
Juan Cruz Mateo
L’orchestre représenté dans le film et qui joue la bande-son est la Orquesta típica Argentina de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tango de l’âge d’or. On n’en connaît guère aujourd’hui qu’une cinquantaine ayant suffisamment d’enregistrements pour être significatifs et sans doute pas beaucoup plus d’une cinquantaine ayant suffisamment de titres pour faire une tanda, et cela à la condition de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs, pour certains titres que j’appelle « orphelins », je mélange les orchestres pour constituer une tanda complète et cohérente. Par exemple, la Típica Victor dirigée par Carabelli et l’orchestre de Carabelli. Cela, c’est plus fréquemment pour les milongas qui sont plutôt déficitaires en nombre (moins de 600 milongas ont été enregistrées entre 1935 et 1955), contre presque le double de valses et quatre fois plus de tangos. En effet, l’âge d’or du tango, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un patrimoine ridiculement petit par rapport à ce qui a été joué et pas enregistré.
Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa carrière principalement en France et qu’il s’est recyclé comme peintre futuriste à la fin des années 30. On lui doit notamment l’accompagnement orchestral de trois films interprétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arrabal dont est tiré cet extrait. C’est également le pianiste qui a le plus accompagné Carlos Gardel. Donc, si vous entendez chanter Gardel avec un accompagnement de piano, c’est certainement lui…
Extrait musical
Cette version est particulièrement émouvante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y reviendrons après avoir étudié les paroles.
Les paroles
Silencio en la noche. Ya todo está en calma. El músculo duerme. La ambición descansa.
Meciendo una cuna, una madre canta un canto querido que llega hasta el alma, porque en esa cuna, está su esperanza.
Eran cinco hermanos. Ella era una santa. Eran cinco besos que cada mañana rozaban muy tiernos las hebras de plata de esa viejecita de canas muy blancas. Eran cinco hijos que al taller marchaban.
Silencio en la noche. Ya todo está en calma. El músculo duerme, la ambición trabaja.
Un clarín se oye. Peligra la Patria. Y al grito de guerra los hombres se matan cubriendo de sangre los campos de Francia.
Hoy todo ha pasado. Renacen las plantas. Un himno a la vida los arados cantan. Y la viejecita de canas muy blancas se quedó muy sola, con cinco medallas que por cinco héroes la premió la Patria.
Silencio en la noche. Ya todo está en calma. El músculo duerme, la ambición descansa…
Un coro lejano de madres que cantan mecen en sus cunas, nuevas esperanzas. Silencio en la noche. Silencio en las almas…
Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi.
Carlos Gardel et Imperio Argentina chantent la totalité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en graset deux fois ce qui est en bleu.
Le titre commence par un son de clairon. Le clairon jouant sur trois notes, cet air fait immédiatement penser à une musique militaire (le clairon ne permet de jouer facilement que 4 notes et trois autres notes ne sont accessibles qu’aux virtuoses de cet instrument, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées. Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lentement, comme dans les sonneries aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début… Gardel reprend à la suite de la sonnerie sur le même Mi. Cela permet de faire la liaison entre le clairon et sa voix, ce qui n’était pas si évident à concevoir. Dans la version de 1932 c’est une trompette et pas un clairon qui lance Sol Sol Do et Gardel commence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tessiture. La version de Canaro est donc à mon sens mieux construite de ce point de vue et l’usage du clairon est plus pertinent.
On remarquera que la sonnerie « officielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La sonnerie aux morts française est assez proche, mais pas identique non plus à celle proposée par Canaro. Disons que c’est une sonnerie factice destinée à donner le La. Pardon, le clairon ne peut pas jouer de La. Disons qu’il donne le Mi à Gardel.
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment. L’ambition se repose. Balançant un berceau, une mère chante une chanson bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trouve son espoir. (Le chœur de femmes intervient sur ce couplet). Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq baisers qui, chaque matin, effleuraient très tendrement les mèches argentées de cette déjà vieille aux cheveux blanchis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre) Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition travaille. (L’ambition passe du repos au travail. Elle prépare le combat). Un clairon résonne. La patrie est en danger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, couvrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le clairon qui résonne). Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renaissent. Les charrues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie. Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition se repose… Un chœur lointain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nouveaux espoirs. Silence dans la nuit. Silence dans les âmes…
Les versions
Une version émouvante tirée du film « Melodía de arrabal » de Louis Gasnier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la sonnerie de trompette au début est différente de la sonnerie de clairon de la version de Canaro de 1933.
C’est le tango du jour. Dans la version du film, il y a deux petites réponses de Imperio Argentina, sa partenaire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.
La partenaire de Carlos Gardel dans le film Melodía de arrabal, reprend à son compte le titre. C’est également une superbe version à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tango du film melodía de Arrabal. En fait, elle n’y chante que deux phrases en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enregistré en même temps que la bande son du film (octobre-novembre 1932) et qu’il soit sorti en 1933, à l’occasion de la sortie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les versions de Canaro, qui était toujours à l’affut d’un bon coup financier.
Une autre « erreur du disque est la mention d’un clairon. Contrairement à la version Canaro Gardel, c’est de nouveau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo. Elle débute par Si Si Si Do Ré Ré – Ré Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inaccessibles à un clairon. Cela ne peut donc pas être un clairon, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne. Le piano apparait pour sa part tardivement, à une minute par une petite fioriture sur la respiration de la chanteuse (de esa viejecita DING – DONG de canas muy blancas). Après 1 :11, la guitare, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit entendre une mandoline. Le piano termine élégamment en faisant descendre la tension par un motif léger ascendant puis descendant. J’aime beaucoup le résultat, Imperio a pris sa revanche sur Gardel en nous fournissant une version complémentaire et tout aussi belle.
Trois jours après la version à écouter chantée par Gardel, Canaro enregistre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite partie des paroles. Cela en fait un tango de danse. La tragédie des paroles est compensée par des fioritures, notamment avant la reprise du début du refrain.
Je ne vous propose pas d’autres versions, même s’il y en a environ deux douzaines, car avec cet échantillon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une version de danse. La totale, quoi ? Parmi les versions que je laisse de côté, des interprétations de Gardel avec des guitares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.
Pourquoi Silencio ?
Carlos Gardel Enfant de France
Je ne vais pas rouvrir le dossier et me fâcher avec mes amis uruguayens, mais je signale tout de même cette page où je présente les arguments en faveur d’une origine française de Gardel. Ce qui ne peut pas être remis en question, c’est que Gardel est venu en France à diverses reprises, qu’il a visité sa famille française, notamment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobilisation pour la « Grande Guerre », celle de 1914-1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échapper à l’accusation de désertion. Cependant, lors d’un séjour en France, il a visité les cimetières de la Grande Guerre. On sent que cela le chatouillait. Le tango Silencio est un peu son expiation pour avoir échappé à la tuerie de 1914-1918. Tuerie et silence, cela ouvre m’a évoqué le grand sculpteur romantique, Auguste Préault, justement auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.
Auguste Préault, sculpteur romantique
J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de partir d’une œuvre du sculpteur français Auguste Préault qui a réalisé en 1842 cette œuvre pour le monument funéraire d’un certain Jacob Roblès qui est désormais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évoquer la guerre de 1914-1918, même cette œuvre ne relate pas précisément des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provocatrice. D’ailleurs cette œuvre n’a été acceptée au salon officiel de 1839 que pour montrer ce qu’il ne fallait pas faire pour être un grand sculpteur. Préault réalisera la commande de Roblès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de purgatoire et d’interdiction d’exposition). Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été donné plus tardivement, vers 1867.
Voici les deux œuvres et en prime un portrait de Préault par le photographe Nadar.
La vidéo de fin…
Pour une fois, je vais faire plusieurs entorses au format des anecdotes du jour en terminant par une vidéo au lieu d’une illustration que j’aurais réalisée. Je n’ai pas choisi la musique, c’est une initiative de l’ami Memo Vilte qui voulait rendre un hommage à la France en chantant ce tango qui n’est pas dans son répertoire habituel de folklore argentin.
Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a réalisée à l’arrache (c’était totalement impromptu). Merci à toi Anne-Marie.
La danseuse extraordinaire, c’est Stella Maris, mais vous l’aurez reconnue. Muchísimas Gracias Stella.
Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous comprenez maintenant pourquoi je préfère être DJ.
La tour Eiffel s’est mise à scintiller pour saluer notre performance. C’était imprévu, mais on a apprécié cet hommage de la Vieille Dame au tango qu’elle a vu naître.
Ne me dites pas que la voix chaude d’Alberto Podestá quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.
Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe. Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.
Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…
Extrait musical
Les paroles
Percal… ¿Te acuerdas del percal? Tenías quince abriles, Anhelos de sufrir y amar, De ir al centro, triunfar Y olvidar el percal. Percal… Camino del percal, Te fuiste de tu casa… Tal vez nos enteramos mal. Solo sé que al final Te olvidaste el percal.
La juventud se fue… Tu casa ya no está… Y en el ayer tirados Se han quedado Acobardados Tu percal y mi pasado. La juventud se fue… Yo ya no espero más… Mejor dejar perdidos Los anhelos que no han sido Y el vestido de percal.
Llorar… ¿Por qué vas a llorar?… ¿Acaso no has vivido, Acaso no aprendiste a amar, A sufrir, a esperar, Y también a callar? Percal… Son cosas del percal… Saber que estás sufriendo Saber que sufrirás aún más Y saber que al final No olvidaste el percal. Percal… Tristezas del percal.
Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’Homero Expósito. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot. Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ». Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le lunfardo, l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre. En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère. En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité. Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :
Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?
Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo
Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris. Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.
Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté. Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années. Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.
Les enregistrements de Percal
Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.
Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.
Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.
La particularité de cet enregistrement est qu‘il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.
Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).
Autre titre enregistré un 25 février
Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.
Lorsque l’on est DJ de tango, on a en général à cœur d’utiliser la meilleure qualité de musique possible. Cependant, cela ne suffit pas à la réussite d’une prestation de DJ. Il vaut mieux une excellente animation avec de la musique de qualité moyenne, qu’une diffusion maladroite de morceaux « parfaits ».
Ces conseils sont donc pour ceux qui veulent, comme moi, essayer d’avoir la meilleure musique au meilleur moment dans les milongas.
Utiliser un original de la meilleure qualité possible
Les supports à utiliser sont dans cet ordre de la meilleure qualité à la pire. En rouge, ce qui est déjà numérisé.
Matrice originale (il en reste très peu). C’est ce qui sert à presser les disques, c’est une forme d’original.
Bande magnétique originale d’époque (si elle est de bonne qualité).
Disque d’époque (78 tours en shellac). Malheureusement, beaucoup sont en mauvais état et les DJ qui passent ces disques en milonga détruisent un patrimoine.
CD ou FLAC d’après un disque d’époque (shellac) — ATTENTION, toutes les éditions ne se valent pas. Ces dernières années, plusieurs éditeurs se sont lancés dans ce marché avec des fortunes variées. C’est une façon économique de se constituer une base musicale.
Disque vinyle, 33 ou 45 tours (si l’enregistrement n’a pas de réverbération ajoutée, car c’est presque impossible à supprimer de façon correcte).
CD ou FLAC d’après une copie d’un vinyle (33 tours)
Cassette ou cartouche audio depuis un disque d’époque
Service de musique en ligne, type Spotify. C’est en général une très mauvaise source, car les musiques sont mal étiquetées. En revanche, ça peut servir pour trouver le meilleur disque à acheter.
Musique numérique en MP3
Tomas radiales (enregistré depuis la radio ou la télévision). Elles sont rarement exploitables en milonga, car de qualité généralement médiocre, mais ce sont souvent des documents intéressants d’un point de vue historique. Ces documents sont en général sur bandes, mais on en trouve des copies numériques.
Précaution pour utiliser la copie avant traitement
Utiliser un diamant adapté et une pression de bras adaptée au disque utilisé. Pour ne pas endommager le disque, le diamant doit être en excellent état.
Réglez la vitesse de la platine avec son stroboscope. Cependant, certaines marques n’étaient pas tout à fait à la bonne vitesse, notamment pour les disques les plus anciens. Si la tonalité exacte du morceau vous intéresse, il vous faudra la chercher en variant la vitesse, ou procéder à un traitement ultérieur après numérisation. Pour un DJ, cela a peu d’importance, il est possible de modifier ces paramètres à la volée lors de la diffusion et aucun danseur ne va remarquer même un demi-ton d’écart.
Réglez de façon optimale la courbe d’égalisation. Pour la plupart des disques Odeon et les vinyles après 1955, c’est la courbe RIAA. Pour des disques plus anciens, il vous faudra creuser en fonction de la marque et de la date.
Numériser dans un format non destructif (Lossless), en 44 kHz ou 48 kHz. Il est inutile d’utiliser un taux d’échantillonnage supérieur, car les disques ne transmettent pas de fréquences supérieures à 20 000 Hz. Pour ma part, j’enregistre en stéréo, même si le disque est mono. Cela permet d’avoir le choix entre deux versions très légèrement différentes. C’est utile pour le traitement des scratchs ou de certains défauts du signal.
Enregistrer le bruit du disque ou du support magnétique avant la musique et après la musique).
Ranger précieusement le disque et ne plus y toucher (le stocker verticalement et légèrement pressé à l’abri de l’humidité excessive et de la forte chaleur).
Jusqu’en 1955, chaque compagnie utilisait ses propres réglages. Cela conduit, si on ne respecte pas le rétablissement de la pré-égalisation à des sons infidèles. Une bonne restitution d’un disque ancien commence par la recherche des paramètres utilisés par le fabricant pour rétablir le son d’origine.
Copie de support analogique (cassette ou bande)
Les bandes magnétiques ont plusieurs défauts. Il peut y avoir une duplication de la spire antérieure, qui fait que l’on a une musique « fantôme », car la magnétisation d’une spire a « bavé » sur une autre. C’est surtout audible avant un fortissimo, on l’entend quelques instants avant, de façon réduite.
Si les bandes ou cassettes ont été mal conservées, le support et/ou le liant qui maintient les oxydes métalliques se délitent, ce qui provoque des défauts dans le magnétisme de la bande aux endroits considérés et donc un son défectueux.
Si la bande est en bon état, il faut aussi veiller à ce que le magnétophone le soit également.
Préparation du magnétophone
Pour les cassettes, en général un bon magnétophone est suffisant et ne demande pas de réglage particulier.
Il est cependant recommandé d’utiliser un démagnétiseur de têtes de lecture pour enlever une magnétisation résiduelle qui pourrait donner du souffle et/ou endommager le signal magnétique de la bande magnétique.
Pour utiliser un démagnétiseur, c’est assez simple, mais il faut bien suivre la procédure.
Débrancher le magnétophone (s’il est à pile, enlever les piles).
Brancher le magnétiseur, mais laisser le bouton en position OFF.
Approcher le démagnétiseur aussi près que possible de la tête de lecture.
Glisser le bouton en position ON.
Effectuer des petits cercles autour de la tête de lecture, aussi près que possible, mais sans toucher la tête de lecture. Pour un magnétophone à bande, il y a plusieurs têtes…
Éloigner lentement le démagnétiseur, le plus loin possible, SANS l’ÉTEINDRE.
Une fois qu’il est le plus loin possible (le câble d’alimentation est un peu court, prévoir de l’organiser de façon à pouvoir éloigner le démagnétiseur des têtes facilement), mettre le bouton curseur sur OFF.
C’est tout pour la démagnétisation. Il reste une autre étape pour nettoyer le magnétophone, nettoyer les têtes. Pour cela, utilisez un Coton-Tige imbibé d’alcool (isopropylique ou à défaut 90°). Si cela fait un moment que vous ne l’avez pas fait, vous retirerez un dépôt brun ou noirâtre. Ce sont des particules arrachées aux bandes et/ou de la saleté 😉
Attention à ne pas faire couler d’alcool dans le magnétophone ou ailleurs que sur le coton tige humide.
Pour les lecteurs de cassettes, il existe des cassettes de nettoyage.
Humidifier la bande à travers de la fenêtre (elle ne comporte pas de vitre, contrairement aux cassettes normales). Faire défiler la bande. Certaines cassettes contiennent une zone plus abrasive pour nettoyer. Ne pas en abuser.
Ces cassettes sont désormais assez chères (il faut les changer tous les quatre ou cinq utilisations). Si les têtes de lecture sont accessibles, il est plus économique d’utiliser des Cotons-Tiges et la procédure pour les magnétophones à bande. Lorsque les têtes sont sèches, vous pouvez utiliser le magnétophone (c’est instantané si vous avez utilisé de l’alcool isopropylique).
La vitesse et l’enroulement des bandes magnétiques
Contrairement aux cassettes qui sont relativement standardisées, les magnétophones à bande utilisent des vitesses différentes et même des types d’enroulement différent.
Il faut donc un magnétophone disposant des mêmes vitesses que l’appareil d’origine. Tous les magnétophones actuels n’ont pas ces vitesses. On pourra copier ces bandes, mais il faudra restituer la vitesse originale sur le signal numérisé.
Sur les matériels anciens, la bande était parfois enroulée avec l’oxyde magnétique à l’extérieur de la bande. Sur d’autres matériels et sur les plus récents, l’oxyde est sur la partie intérieure de l’enroulement. Il peut donc être compliqué de lire une bande ancienne sur un appareil plus moderne.
Une autre difficulté est l’utilisation d’alignements différents des têtes de lecture. Les bandes anciennes étaient normalement mono. Elles étaient enregistrées dans la partie inférieure de la bande, puis retournées pour lire l’autre côté. Il y a donc deux pistes, une dans chaque sens. Sur un matériel stéréo, il y a deux pistes. La lecture avec une tête mono fait qu’on lit également l’espace entre deux pistes, c’est-à-dire que l’on a un signal moins bon.
Avec un magnétophone stéréo, on peut lire une piste mono à condition que les têtes soient en face de la piste. Au pire, on utilise qu’une seule des pistes.
Si le magnétophone disposait de plus que deux pistes dans chaque sens, il faut un magnétophone multipiste, ce qui est un matériel professionnel. Dans ce cas, les pistes sont toutes dans le même sens. La bande ne se retourne pas quand on arrive au bout.
Un autre piège, ce sont les réglages du magnétophone en fonction du type de bande. Si on dispose des boîtes originales des bandes, on trouve les indications. Sinon, il faut y aller par tâtonnement.
Un tout dernier point, certains magnétophones utilisaient un système de réduction de bruit, type Dolby. Il faut donc en tenir compte et utiliser le décodeur adéquat. Avec les cassettes, c’est assez simple, avec les magnétophones à bande, il faudra peut-être acquérir un décodeur séparé.
Il a existé aussi des cartouches, sortes de grosses cassettes. Pour ces bandes, la difficulté sera de trouver un lecteur en bon état de marche.
En gros, récupéré des bandes anciennes, c’est compliqué, sauf pour les cassettes.
Utilisation d’une copie déjà numérique
Vous avez acheté une copie numérique, ou vous avez procédé vous-même à l’enregistrement. Si la musique est parfaite, n’y touchés pas. Mais c’est rarement le cas.
Il ne faut pas oublier que vous allez créer des tandas et que ces dernières doivent être homogènes. Pas question d’avoir un titre criard, suivi d’un titre sourd, puis un titre très fort et à la limite de la distorsion et terminer sur un titre presque inaudible.
Un autre point consiste à normaliser les débuts et les fins de morceaux. Pour ma part, j’ai 0,7 seconde au début de tous mes morceaux et 3 secondes à la fin de tous mes morceaux. Cela évite que deux morceaux se choquent, ou qu’il faille attendre 10 secondes entre deux titres.
Ordre des opérations pour le traitement des musiques numériques
Faire une sauvegarde du support numérique pour revenir à l’état initial en cas d’erreur.
Sélectionner une partie sans musique et avec le bruit de fond du disque. S’il y a des scratchs, les nettoyer auparavant, un par un, ou mieux, sélectionner une zone entre deux scratchs.
Faire une empreinte du bruit de fond, de préférence à la fin du disque et la soustraire de l’enregistrement. ATTENTION à ne pas soustraire uniformément, mais seulement dans les fréquences du bruit afin de ne pas toucher la musique (on peut activer 100 % pour les fréquences très basses ou très hautes et doser les autres fréquences en fonction de la musique). Cela demande un logiciel évolué, pas du type Audacity qui applique l’empreinte de façon égale sur toutes les fréquences). Il y a d’autres options à prendre en compte, ce tutoriel est simplifié…
Faire la même chose avec une empreinte au début du disque. Cependant, attention à bien choisir le lieu, car souvent le début du disque est abîmé par l’impact de la pointe de lecture lors des écoutes. L’empreinte ne sera pas représentative de l’état du disque sur son intégralité. Si le début du disque n’est pas abîmé (ou si l’original était une matrice). Si la copie numérique ne comporte pas des bouts d’amorce au début ou à la fin, essayer d’utiliser un moment de silence. Attention à ne pas prendre une partie avec un peu de son. Si c’est impossible, mettre à zéro la déduction d’empreinte sur les fréquences de la musique présente dans cette sélection.
Nettoyer les scratchs sur la musique. C’est un travail de patience. Sélectionner le scratch et appliquer l’outil de correction sur les quelques millisecondes nécessaires. Il existe des plugins de suppression automatique de scratchs, mais ils sont souvent néfastes au message sonore. Il convient donc de ne pas en abuser. Ne pas utiliser la suppression de fréquence pour limiter le bruit (méthode la plus courante), car cela se fait également au détriment de la musique). C’est en revanche la seule méthode possible lors de la diffusion en direct, par exemple si le morceau « original » fourni pour une démo est vraiment trop bruité.
Revoir l’équilibre sonore du morceau. Cela consiste à restituer la vitesse initiale (au cas où l’original serait un disque 33 tours ou une copie numérique d’origine douteuse). On peut aussi jouer sur les fréquences pour réharmoniser le morceau. Ce travail se fait de préférence au casque. On vérifie que les instruments se distinguent bien. Je conseille de vérifier le résultat également sur une sono… Plus le morceau sera propre et bien équilibré et le moins il y aura besoin d’intervenir en milonga pour adapter le volume et les fréquences.
Enregistrer le résultat dans un format numérique sans perte (Lossless).
Éventuellement, faire une copie pour l’utilisation en milonga, au minimum MP3 à 320 kb/s si on n’a pas la place de conserver l’original en HD. Pour ma part, je diffuse de l’ALAC, Lossless, mais chaque fichier fait au moins 30 Mo…
Exemple de morceau avec restauration :
Ce qu’il ne faudrait pas faire
Acheter de la musique dite « Remasterized ».
C’est dans presque tous les cas très, très médiocre, y compris dans les CD du commerce. Ces morceaux donnent l’impression que la musique est jouée dans une salle de bain. Les sons sont étouffés. En un mot, c’est moche à écouter.
Mais c’est aussi moche à voir…
Espérer qu’un morceau en MP3 va donner un excellent FLAC.
Si je conseille d’enregistrer tout ce qu’on modifie dans un format Lossless, c’est juste pour ne pas perdre en qualité à chaque enregistrement. Le morceau passé de MP3 à FLAC ne sera pas meilleur… C’est juste qu’il ne se dégradera pas si on l’enregistre plusieurs fois.
Conclusion
Avoir la meilleure musique est un respect pour les danseurs et contrairement à ce que certains disent, ils s’en rendent compte, même de façon inconsciente.
Les sonorisateurs s’en rendent également compte et cela permet d’instaurer une relation de confiance avec eux et ainsi, ils donnent un peu plus de liberté au DJ pour intervenir sur la sonorisation. Ils apprécient d’avoir une prestation de niveau sonore toujours adapté et de ne pas avoir à revoir sans cesse le volume, voire l’égalisation quand le DJ a des musiques d’origines différentes et incompatibles.
Les disques Shellac (gomme-laque), sont les disques 78 tours. Ceux qui ont accueilli la musique de l’âge d’or du tango. Ce sont des témoins précieux qu’il convient de préserver.
Sur la diffusion de disques historiques en milonga
Certains DJ ont choisi de passer des disques 78 tours en milonga, ce qui est une pratique que je ne cautionne pas, car elle est dangereuse pour les disques et n’apporte absolument rien à la qualité sonore de la prestation. Elle est dangereuse, car les disques se cassent facilement et le passage répété de la pointe de lecture abîme le sillon et donc dégrade le signal sonore. De plus, l’usage de disques hétérogènes et avec un choix réduit (on ne peut pas transporter 600 disques à une milonga) limite les possibilités d’animation de la milonga. Sans une pointe de snobisme de la part des danseurs, cette pratique n’existerait pas.
Je ne parle pas des DJ qui passent des vinyles, ces supports ont peu d’intérêt en ce qui concerne la musique de l’âge d’or, car ce sont des copies de copies et qu’il existe des enregistrements de bien meilleure qualité réalisés à partir des originaux. Là, au snobisme, se rajoute la diffusion d’une musique de qualité médiocre, souvent noyée dans de la réverbération outrée.
Prendre soin de ses disques
Le premier soin est de ne pas utiliser inutilement le disque. Il convient d’en faire une copie de sauvegarde, celle qui gardera l’état optimal de la copie à disposition. On gardera le disque pour un usage ultérieur, par exemple si la technique de numérisation a progressé, mais en dehors de cela, on le laissera tranquille. Je partage ici quelques conseils pour vous permettre de tirer le meilleur parti de ces disques, si vous avez la chance d’en trouver en bon état. Cependant, cela devient de plus en plus difficile.
Rien n’est éternel, les disques 78 tours non plus
Les disques 78 tous en gomme laque sont fragiles. Ils se cassent facilement en tombant. Il convient donc de les manipuler avec soin. La matière, elle-même peut se dégrader au contact de l’air, de l’humidité, de solvants, par usure, abrasion ou en se couvrant de poussière ou autres matières. Un autre ennemi pernicieux est le scotch que l’on utilise parfois pour réparer les pochettes. Il y a aussi les éventuels débris alimentaires et autres déchets organiques, les moisissures.
Bien conserver les disques
L’idéal serait de placer les disques dans des pochettes non acides en polypropylène sans acide ou en papier Perma/Dur, sans acide, sans lignine et avec réserve alcaline (pour lutter contre l’acidité présente). En effet, l’acidité du papier original fait que les pochettes peuvent endommager la surface du disque et donc le son qu’il porte. Des pochettes sans acides sont donc essentielles. Les pochettes originales sont par ailleurs souvent dégradées, cassantes et les conserver n’est pas aussi indispensable dans la mesure où la majorité est sans aucune indication, les informations étant sur l’étiquette du disque, visible par le trou central de la pochette. Celles qui sont décorées ont un intérêt, mais elles sont les mêmes pour tous les disques d’une même époque et du même éditeur. On peut donc conserver celles dans le meilleur état, séparément ou les conserver pour si on souhaite revendre un jour sa collection. Il existe également des albums ou des boîtes permettant de ranger quelques dizaines de disques. C’est une bonne solution pour l’archivage.
Les disques se rangent de toute façon de façon verticale. Légèrement serrés, mais pas compressés. L’humidité doit être modérée (inférieure à 50 %), la lumière doit être atténuée et le lieu suffisamment ventilé. En fait, ce sont les conditions de conservation idéale de beaucoup de choses… Faites attention au mobilier qui contient les disques. Ce serait dommage de leur offrir des pochettes spéciales et de les mettre dans une armoire dégageant du formaldéhyde à grosses doses.
Procédure de numérisation des disques Shellac
Avant de ranger les disques dans les nouvelles pochettes, il convient de les nettoyer. Je conseille donc d’opérer de la façon suivante :
Identification et saisie du disque dans la base de données
Photographie recto verso de l’étiquette
Nettoyage du disque (voir ci-dessous)
Numérisation du disque Format sans perte (WAV, AIFF, FLAC ou ALAC) 44 ou 48kHz 32 bits. Des valeurs supérieures n’ont aucun intérêt car il n’y a pas de signal supérieur à 20 kHz (voire 15kHz) sur les disques de pâte.
Rangement du disque dans les pochettes et boîtes
Complément de la base de données (référence de la boîte).
L’étape 3 du processus annoncé ci-dessus consiste à mettre le disque en condition pour sa numérisation et son archivage ultérieur.
Examen du disque à nettoyer
La première chose à faire est de vérifier que le disque n’est pas fendu et qu’il n’y a pas des endroits où la gomme-laque s’est dégradée. Si c’est le cas, il va falloir être très précautionneux. Pour ma part, il m’est arrivé de sacrifier une des faces du disque pour sauver l’autre face. Par exemple, si le disque est cassé et que les sillons d’un des côtés sont trop endommagés. J’utilise la face sacrifiée pour renforcer le disque, afin que le sillon de la face choisie soit parfaitement continu et que le disque soit aussi plat que possible. L’armature créée pour renforcer le disque est idéalement démontable, mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai ainsi pu numériser des disques qui étaient en plusieurs morceaux.
Mais revenons au processus le plus courant.
Identifier la matière du disque. Si on a déjà restauré des disques de la même époque et du même éditeur, les procédés précédemment utilisés devraient être efficaces.
Dépoussiérer le disque avec un aspirateur muni d’une brosse adaptée (poils antistatiques, idéalement en fibre de carbone). Évidemment, ne pas utiliser cette brosse pour d’autres usages. Attention, ne surtout pas frotter. Si vous touchez la surface, faites-le dans le sens des sillons.
Vérifier que la surface du disque est en bon état.
Si après aspiration et nettoyage, le disque semble propre, essayer de l’écouter.
Réglez l’égalisation dans votre système si vous avez d’autres courbes disponibles que la RIAA sur votre préampli phono. Si ce n’est pas le cas, vous gérerez cela sur le fichier numérisé.
Vérifier la propreté du diamant (utiliser une brosse adaptée).
Placer le disque sur la platine
Donner un coup de brosse antistatique en faisant tourner le disque
Essayez de faire une première copie du disque.
Si la copie est bonne et ne semble pas devoir être améliorée, c’est terminé.
Si vous pensez qu’il va falloir pousser le nettoyage, gardez la copie en sécurité et passez aux étapes de nettoyage, suivantes.
Placez le disque sur une vieille platine qui ne sert pas à la reproduction des disques et qui ne craint pas des accidents éventuels avec les liquides.
Procédez au nettoyage humide du disque Shellac. Le nettoyage humide est très efficace, mais il y a deux points très importants à prendre en compte :
Il ne faut surtout pas utiliser d’alcool qui dégrade la laque et donc choisir un liquide adapté.
Il ne faut pas mouiller l’étiquette.
Il existe dans le commerce des liquides pour le nettoyage des disques. Le plus inoffensif est l’eau distillée. Bien sûr, on ne plonge pas le disque directement dans le liquide, mais on dépose un film uniforme sur la surface du disque en évitant de mouiller l’étiquette. À l’aide d’une brosse ou tampon en microfibre, on répartit le liquide sur le disque en faisant tourner la platine à la main en prenant garde de ne pas sortir de la direction du sillon avec la brosse. Lorsque toute la surface est recouverte d’un fin film de liquide, mettez la platine en rotation (16 ou 33 tours/minute) en appliquant légèrement la brosse en microfibre. La brosse crée un petit bourrelet en amont de son passage, ce qui aide à déloger la saleté. Si l’eau distillée ne vient pas à bout des résidus sur le disque, utilisez un produit adapté. Par exemple : Clearaudio Pure Groove Shellac.
Vérifiez que le produit porte bien la mention Shellac, car la plupart des magasins vendent du produit pour vinyle qui contient de l’alcool et qui détruirait votre disque 78 tours. En revanche, le produit spécial pour Shellac peut être utilisé sans inconvénient pour les disques vinyle.
Le produit s’applique comme décrit pour l’eau distillée.
Le séchage du disque est une étape importante. Pas question de le laisser humide plus longtemps que nécessaire. Utilisez un chiffon non pelucheux et, là encore, toujours agir dans le sens du sillon. Le but est d’enlever le plus possible de produit de nettoyage.
Rincez le disque à l’eau distillée propre. Il faut donc la changer très souvent (ne pas traiter 50 disques avec la même eau). Si vous disposez d’une cuve à ultrason assez profonde, vous pouvez positionner le disque de façon qu’il trempe dans la cuve en mettant un axe en travers de la cuve. Mettez les ultrasons en fonctionnement et faites tourner très lentement le disque. Attention à ce que l’eau distillée ne coule pas sur l’étiquette (essuyez le disque au fur et à mesure) qu’il sort de l’eau distillée).
Essuyez le disque à l’aide de chiffons non pelucheux (différents de celui utilisé pour éponger le liquide de nettoyage…). Veillez à ne pas mouiller l’étiquette dans la manipulation.
Laisser le disque terminer de sécher en le positionnant verticalement. (veiller à ce que les supports ne touchent que les bords du disque et l’étiquette).
Si vous avez un aspirateur avec une brosse en fibre de carbone dédiée à cet usage, vous pouvez accélérer le séchage en passant la brosse dans le sens du sillon.
Lorsque le disque est parfaitement sec, vous pouvez reprendre la numérisation du disque après avoir vérifié que la pointe de lecture était propre. Vous devez bien sûr utiliser une autre platine que celle utilisée pour le nettoyage…
Voilà, votre précieux disque est désormais sauvegardé. Il peut attendre sagement dans sa pochette et son boitier sécurisés que vous en ayez besoin. Mais en attendant, utilisez la merveilleuse copie numérique que vous avez réalisée.
Il semble que tout a été dit sur les styles de tango. Je vous propose cependant un petit point, vu essentiellement sur l’aspect du tango de danse.
Ce qu’il convient de prendre en compte, c’est que les périodes généralement admises sont en fait toutes relatives.
Les orchestres ont, selon les cas, continué un style qui leur réussissait au-delà d’autres orchestres et a contrario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remettant en avant des éléments disparus depuis plusieurs décennies.
On peut donc avoir deux enregistrements contemporains appartenant à des courants forts différents. C’est particulièrement sensible à partir des années 50, où la baisse de la pratique de danse a incité les orchestres à développer de nouveaux horizons, souvent en réchauffant des plats plus anciens.
Il ne s’agit pas ici de trancher dans un des nombreux débats entre spécialistes des origines. Du strict point de vue de la danse, les premiers tangos sont proche du style habanero et par conséquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il convient de trouver la forme de danse.
La habanera
Vous connaissez ce rythme. DaaaTadaTaDaaa
La habanera porte ce nom, car c’est une restitution d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a composé El arreglito (le petit arrangement) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rappeler quelque chose.
Avez-vous trouvé ?
Oui, vous avez trouvé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.
Ce rythme, très présent dans les premiers tangos, est devenu plus discret, sauf pour les milongas qui l’ont largement exploité.
Lorsque le tango de danse a perdu de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes traditionnelles, au point que les compositeurs l’on réintroduit très largement.
Autres apports
En parallèle, des formes chantées, notamment par les payadors et des danses, traditionnelles, voire tribales, ont influencé ces prémices, donnant une grande richesse à ce qui deviendra le tango, notamment à travers ses trois formes dansées, le tango, la milonga et la valse.
Les payadors
On lit parfois que Gardel était un payador. Cependant, même s’il était ami de José Bettinotti, il n’a pas été directement l’un de ces chanteurs qui s’accompagnaient à la guitare en improvisant. Cependant, l’influence des payadors est indéniable pour le tango, comme vous pouvez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’habanera pourrait s’approcher d’une milonga lente ou d’un canyengue.
Exemple d’influence africaine
Parmi les sources, on met en avant des origines africaines. Même si l’Argentine n’a pas été une terre d’esclavage très marquée, contrairement à beaucoup d’autres payés du continent américain, il y a eu une communauté d’origine africaine relativement importante au XIXe siècle. Celle-ci s’est atténuée par l’émigration, les mariages avec des populations d’autre origines et quelques faits guerriers où ils ont servi de chair à canon.
Même si l’Argentine a absorbé des éléments, c’est plutôt la province de l’Est, l’Uruguay qui a le plus été influencé par ces musiques, notamment les percussions.
Le candombe et la milonga candombe se retrouvent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Carlos Cacéres relance la mode.
La dénomination « tango » est souvent associée à la déformation de « tambo » et désignait des lieux ou la communauté noire dansait. Il faut voir un jugement négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu synonyme de bamboche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’était pas issue des Africains a hérité de ce vocable péjoratif, lorsque le tango s’est développé dans les bordels et autres lieux choquants pour la bonne société.
Les origines européennes
L’immigration européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criollo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adopté des valses viennoises.
Pour la milonga, c »est un peu moins évident de retrouver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde latinoaméricain ont favorisé sa diffusion. La habanera symbolisait le marin pour l’Europe. La milonga, on devrait même écrire les milongas sont une salsa, un mélange d’influences.
Les débuts du tango dans les faubourgs et les milieux interlopes ont conduit celui-ci à des formes assez populaires, voire outrées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en totalité.
La naissance européenne
Disons-le, tout bonnement, ce tango d’avant le tango n’est pas au sens strict du tango. À cela se rajoute que les rares enregistrements de l’époque ont été réalisés par voie acoustique et qu’ils ne sont donc pas du tout adaptés à nos oreilles contemporaines.
Vus les lieux où le tango était joué et malgré la fréquentation par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tango ne s’est pas fait une place importante en Argentine avant d’acquérir ses lettres de noblesses en Europe et notamment en France.
Le style du tango, avant le tango… (Prototango)
Avant 1926, date des premiers enregistrements électriques, pas d’enregistrements utilisables en danse.
Comme vous pouvez vous en rendre compte, le style sommaire et monotone de la musique est renforcé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavillon puisse graver le support d’enregistrement. On retrouve cependant certains éléments « Canyengue » que l’on connaît par les enregistrements électriques.
Je vous propose à titre d’exemple, Zorro gris un enregistrement électrique de 1927 par Francisco Canaro.
La vieille garde (Guardia vieja)
Gobbi et Canaro, dans la première partie de leur carrière, sont des représentants de ce que l’on a nommé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes différents avaient vu le jour. Se détachant progressivement du style claudicant du canyengue, les orchestres abandonnent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue deviennent des milongas, comme par exemple : Milonga de mis amores, ici dans la version de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :
contrairement à la version de la même année par Pedro Laurenz :
Ou celle du même de 1944 :
Des orchestres anciens évoluent, comme Di Sarli ou d’Arienzo, notamment à l’arrivée de Biagi dans l’orchestre et on arrive à la grande période du tango, l’âge d’or.
L’âge d’or (Edad de oro)
C’est la période considérée comme la plus adaptée au tango de danse. C’est logique, car à l’époque, le tango était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se produisaient.
On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musiciens jouaient ensemble plusieurs fois par semaine et il y avait un climat d’émulation pour ne pas dire de compétition entre les orchestres.
On remarquera qu’en face de chacun des orchestres de tango, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des genres variés et les orchestres se spécialisaient.
Certains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui permettait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuivres dans son orchestre de tango, il jouait donc de la limite entre les deux formations. Vous avez pu écouter cela dans l’extrait de Milonga de mis amores, ci-dessus.
Chaque orchestre se distinguait par un style propre. Certains étaient plus intellectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus romantiques, comme Di Sarli ou Fresedo et d’autres plus urbains, comme Troilo.
Aujourd’hui, dans les milongas, le DJ s’arrange pour proposer ces quatre orientations pour éviter la monotonie et contenter les différentes sensibilités des danseurs.
Même si la production de l’époque est essentiellement tournée vers la danse, il y a également une production pour l’écoute.
Sur les disques de l’époque, il est facile de faire la différence, notamment pour les tangos avec chanteur. En effet, un tango à danser est indiqué : Nom de l’orchestrecanta ou estribillo cantado porNom du chanteur. Un tango à écouter est indiqué Nom du chanteury su orquesta dirigido por ou con (avec) Nom de l’orchestre.
Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui concerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il convient seulement de savoir reconnaître le tango de danse et de savoir apprécier les différences de style entre les orchestres.
Pour les DJ, il est important de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est souvent moins grave de mélanger deux orchestres enregistrés à la même époque que de mélanger deux enregistrements d’époques stylistiquement différentes du même orchestre.
Tango Nuevo
C’est celui initié par De Caro, repris ensuite par Troilo, Pugliese et Piazzolla, par exemple. Il est encore très vivant, notamment chez les orchestres de concert.
À noter que Pugliese et Troilo sont bien sûr des piliers du tango de bal et que leurs incursions nuevos, pas toujours pour la danse, ne doivent pas masquer leur importance dans le bal traditionnel.
N’oublions pas que Pugliese a aussi bien enregistré du canyengue, que du tango classique avant de faire du Nuevo… Curieusement, le tango dit nuevo reprend souvent des motifs les plus anciens, notamment la habanera des tout premiers titres du XIXe siècle.
Tango Electronico
Style Gotan Project. Il se caractérise principalement par une batterie et l’utilisation d’instruments électroniques. Curieusement, il est parfois assez proche, d’un point de vue rythmique, du tango musette qui est l’évolution européenne et notamment franco-italienne, du tango du début du XXe siècle.
Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas car cette musique est très répétitive et ne covient pas aux danseurs avancés. Cependant, il faut reconnaître que cette musique a fait venir de nouveaux adeptes au tango.
Le tango alternatif consiste à danser avec des repères « tango » sur des musiques qui ne sont absolument pas conçues comme telles.
Par exemple, la Colegiala de Ramirez est un tango alternatif, puisqu’on le danse en « milonga » alors que c’est un fox-trot.
Certains DJ européens placent des zambas que les danseurs dansent en tango. Quel dommage quand on sait la beauté de la danse.
N’oublions pas la dynamique « néotango » qui consiste à danser sur toute musique, chanson, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des horizons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et permet donc de marcher sur les temps.
Ce qui manque souvent à cette musique, c’est le support à l’improvisation. On peut lui reconnaître une forme de créativité dans la mesure où elle permet / oblige de sortir des repères et donc d’innover. Mais est-t-il vraiment possible d’innover en tango ? C’est un autre débat.
Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse
Si on étudie un tango de l’âge d’or, on y découvrira plusieurs qualités favorisant la danse :
La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instrument (dont le chanteur), puis passer à un autre. On peut aussi choisir de danser uniquement la marcation (tempo). Les instruments se répondent. On peut ainsi se répartir les rôles avec les partenaires en reconstituant le dialogue en le dansant.
La musique se répète plusieurs fois, mais avec des variations. Cela permet de découvrir le tango au cas où il ne serait pas connu et la seconde fois, l’oreille est plus familière et l’improvisation est plus confortable. Cette reprise est en général différente de la première exposition, mais reste tout à fait comparable. Par exemple, la première fois le thème est joué au violon ou au bandonéon et la seconde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instrument. Si c’est le même instrument, il y aura de légères différences dans l’orchestration qui rendra l’écoute moins monotone.
Les changements de rythme, phrases, parties, sont annoncés. Un danseur musicien ou exercé sait reconnaître les parties et peut « deviner » ce qui va suivre, ce qui lui permet d’improviser plus facilement sans dérouter sa partenaire. Je devrais plutôt mettre cela au pluriel, car les deux membres du couple participent à l’improvisation. Si la personne guidée a envie d’appuyer, de marquer un élément qui va arriver, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alternatives ou des musiques d’inspiration pus classiques, comme certaines compositions de Piazzolla » proposent souvent des surprises qui font qu’elles ne permettent pas de deviner la suite, ou au contraire, sont tellement répétitives, que quand revient le même thème de façon identique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nouvelles idées et finissent par tomber dans une routine. Évidemment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se contentent de dérouler des chorégraphies ne verront pas de différences entre les différents types de tango. Ceci explique le succès des pratiques neotango auprès des débutants, même si ces bals ont aussi du succès auprès de danseurs plus affirmés. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la menace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tango…
Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?
Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde comportent des titres sublimes et très amusants ou intéressants à danser. Certains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’affilé sur ces rythmes. Cependant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharper…
Quelques musiques modernes donnent des idées agréables à danser. Pour ma part, je propose souvent une tanda de valses « originales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tangos traditionnels et le besoin d’improvisation est moins important, car il s’agit surtout de… tourner.
Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechignent pas toujours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nombreux danseurs. C’est donc un domaine à proposer aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont particulièrement nombreux. C’est bien le signe que c’est toujours dans l’air du temps.
Pour terminer, je précise que je suis DJ et que par conséquent, mon travail est de rendre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sensibilité.
Pour un DJ résident, en revanche, il est important d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans certains endroits, le DJ met toujours le même type de musique, pas forcément de la meilleure qualité pour la danse. Le problème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.
L’innovation, c’est bien, mais il me semble qu’il faut toujours garder un fond de culture « authentique » pour que le tango reste du tango.
Dans les milongas, on ne diffuse que des enregistrements postérieurs à 1926. Savez-vous pourquoi ?
La vieja guardia n’est pas toujours intéressante à danser.
Les orchestres ne jouaient pas vraiment du tango avant 1926.
La qualité des enregistrements antérieurs n’est pas assez bonne.
La première raison n’est pas exacte. Si à Buenos Aires la Vieja guardia est très peu diffusée, c’est loin d’être le cas en Europe. Disons que ces enregistrements sont souvent un peu pauvres et moyens à danser, mais ils sont diffusables quand ils ont été enregistrés après 1926…
La seconde n’est pas exacte non plus. La combinaison entre les différents rythmes originaux, candombe, chansons de payador, habanera, canyengue et autres avait déjà donné naissance à de véritables tango (2X4 notamment). Certains morceaux assez lents ont été ensuite accélérés et sont devenus des milongas, d’autres ont gardé le caractère du tango. Donc, ce n’est pas la seconde raison.