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Misa criolla y Navidad nuestra — Ariel Ramírez, Los Fronterizos y la Cantoría de la Basílica del Socorro

Letra: Felix Luna

N’ayant pas de tan­go enreg­istré un 25 décem­bre, je vous pro­pose de nous intéress­er à une des com­po­si­tions les plus célèbres d’Ar­gen­tine, la .
On par­le de Misa criol­la, mais en le faisant on risque d’oc­cul­ter la face B du disque qui com­porte une autre com­po­si­tion d’Ariel Ramírez et Felix Luna, Navi­dad nues­tra. C’est cette œuvre qui est de cir­con­stance en ce 25 décem­bre 2024, 60 ans après sa créa­tion.
Ce fut mon pre­mier disque, offert par ma mar­raine, j’ai donc une affec­tion par­ti­c­ulière pour ces deux œuvres.

Misa criolla et Navidad nuestra – Extraits musicaux

Ariel Ramírez s’est inspiré de rythmes tra­di­tion­nels de son pays (mais pas que) pour com­pos­er les cinq œuvres qui com­posent la Misa criol­la (Face A) et les six qui con­stituent Navi­dad nues­tra (Face B).
J’ai ajouté quelques élé­ments sonores en . Ils ne sont pas précédés de la let­tre A ou B qui sont réservées aux faces A et B du disque d’o­rig­ine.

À gauche, le disque sor­ti en Argen­tine en 1965. cette cou­ver­ture restera la même pour les édi­tions argen­tines ultérieures. Au cen­tre, une édi­tion française. Elle utilise l’il­lus­tra­tion de la pre­mière édi­tion (1964) et qui a été éditée en Nou­velle-Zélande. Mon disque por­tait cette illus­tra­tion et pas celle de l’édi­tion argen­tine, postérieure d’un an.

Misa criolla

A1: Misa Criol­la — Kyrie — Vidala-Baguala La vidala et la baguala sont deux expres­sions chan­tées du Nord-Ouest de l’Ar­gen­tine accom­pa­g­nées d’une caja.
Une caja qui accom­pa­gne le chant de la Videla et de la baguala.
Baguala Con mi caja can­tar quiro.

On recon­naît la caja qui est frap­pée sur un rythme ter­naire, mais seule­ment sur deux des trois temps, créant ain­si un temps de silence dans la per­cus­sion.
Cela donne une dimen­sion majestueuse à la musique. Ariel Ramírez utilise ce rythme de façon par­tielle. On l’en­tend par exem­ple dans le pre­mier chœur, dans les silences du chant.

A2: Misa Criol­la — Glo­ria — -Yar­avi.

Pour créer un thème en con­traste, Ariel Ramírez utilise deux rythmes dif­férents, égale­ment du Nord-Ouest. Le car­naval­i­to allè­gre et enjoué et le yar­avi, plus calme, très calme, fait de longues phras­es. Le yar­avi est triste, car util­isé dans les rites funéraires. Il s’op­pose donc au car­naval­i­to, qui est une danse de groupe fes­tive. Vous recon­naîtrez facile­ment les deux rythmes à l’é­coute.

A3: Misa Criol­la — Cre­do — Chacar­era Trun­ca.

Vous recon­naîtrez facile­ment le rythme de la chacar­era. Ici, une chacar­era sim­ple à 8 com­pas­es. Même si elle est trun­ca, vous pour­riez la danser, la trun­ca est juste une dif­féren­ci­a­tion d’ac­cen­tu­a­tion des temps. Ariel Ramírez, cepen­dant, ne respecte pas la pause inter­mé­di­aire, il préfère don­ner une con­ti­nu­ité à l’œu­vre.

A4: Misa Criol­la — Sanc­tus — Car­naval Cochabam­bi­no.

Encore un rythme cor­re­spon­dant à une danse fes­tive, même si Ariel Ramírez y inter­cale des pas­sages d’in­spi­ra­tion plus religieuse. On notera que cette forme de car­naval n’est pas argen­tine, mais bolivi­enne.

A5: Misa Criol­la — Agnus Dei — Esti­lo Pam­peano.

Le Esti­lo n’est pas exacte­ment un rythme par­ti­c­uli­er, car il mélange plusieurs gen­res. C’est une expres­sion de la pam­pa argen­tine. Après le motif du départ en intro­duc­tion, on remar­que une inspi­ra­tion du Yar­avi. Le clavecin d’Ariel Ramírez apporte une légèreté dans les tran­si­tions.

Navidad nuestra

Com­mence ici la face B et une autre œuvre, con­sacrée à la nais­sance de Jésus, de l’an­non­ci­a­tion à la fuite en Égypte.

B1: Navi­dad Nues­tra — La Anun­ciación – .

Le chamame, cette danse joyeuse et fes­tive, jouée à l’, est typ­ique de la province de Cor­ri­entes. Cer­tains danseurs européens s’évertuent à danser en

Par­ti­tion de La Anun­ciación, pre­mier thème de la Navi­dad nues­tra.
Milon­ga para as mis­sões — Rena­to Borghet­ti. Oui, c’est un chamamé, pas une milon­ga…
B2: Navi­dad Nues­tra — La Pere­gri­nación — .

La huel­la est une danse asso­ciant des tours, des voltes et des zap­ateos, ce qui rap­pellera un peu la chacar­era ou le gato.
La Pere­gri­nación racon­te la quête par Jose et Maria (Joseph et Marie) d’un endroit pour la nais­sance de Jésus. Ils sont dans la pam­pa gelée, au milieu des chardons et orties. Je vous donne en prime la mer­veilleuse ver­sion de la Negra (Mer­cedes Sosa).

La Pere­gri­nación — Mer­cedes Sosa.
B3: Navi­dad Nues­tra — El Nacimien­to — Vidala Cata­mar­que­na.

On retrou­ve le rythme calme de la vidala pour annon­cer la nais­sance.
Je vous pro­pose les paroles ci-dessous.

B4: Navi­dad Nues­tra — Los Pas­tores — Chaya Rio­jana.

Là, il ne s’ag­it pas d’une musique tra­di­tion­nelle, mais d’une fête qui a lieu à la Rio­ja. La Chaya est une belle Indi­enne qui tombe amoureuse d’un jeune homme coureur de jupons. Celui-ci ignore la belle qui ira s’ex­il­er dans les mon­tagnes. Pris de remords, il décide de la retrou­ver et, finale­ment, il ren­tre à la Rio­ja, se saoule et brûle vif dans un poêle. Tous les ans, la fête célèbre l’ex­tinc­tion du jeune homme en feu avec les larmes de Chaya.
Aujour­d’hui, cette anci­enne fête est plutôt un fes­ti­val de où se suc­cè­dent dif­férents orchestres.

B5: Navi­dad Nues­tra — Los Reyes Magos – Taki­rari.

Le Taki­rari est une danse bolivi­enne qui a des par­en­tés avec le car­naval­i­to. Les danseurs saut­ent, se don­nent le coude et tour­nent en ronde. C’est donc une musique joyeuse et vive.

B6: Navi­dad Nues­tra — La Hui­da — Vidala Tucumana.

Encore une vidala qui imprime son rythme triste. On sent les pas lourds de l’âne qui mène Marie et Jésus en Égypte. La musique se ter­mine par un decrescen­do qui pour­rait simuler l’éloigne­ment de la fuite.

Voilà, ici se ter­mine notre tour de la Misa criol­la et de la Navi­da nues­tra. On voit que, con­traire­ment à ce qui est générale­ment affir­mé, seuls quelques rythmes du folk­lore argentin sont présen­tés et que deux thèmes sont d’in­spi­ra­tion bolivi­enne.

À propos des paroles

En Argen­tine, qui n’est pas un pays laïque, la reli­gion est impor­tante. Je devrais dire les reli­gions, car, si le catholi­cisme des Espag­nols est impor­tant, il me sem­ble que les évangélistes sont bien plus présents si on en juge par le nom­bre d’églis­es évangélistes. Les autres reli­gions monothéistes sont égale­ment bien représen­tées dans ce pays qui a accueil­li en masse les juifs chas­sés d’Eu­rope et les nazis. Cette œuvre a d’ailleurs été écrite à la suite du témoignage de deux sœurs alle­man­des ren­con­trées à Würzburg et qui lui ont con­té les hor­reurs de la Sec­onde Guerre mon­di­ale.
On note aus­si en Argen­tine divers­es reli­gions, ou plutôt cultes, comme celui du Gau­chi­to Gil, de Difun­ta Cor­rea ou tout sim­ple­ment de foot­balleurs comme Maradona.
Les paroles de Felix Luna ont été écrites à par­tir de textes liturgiques révisés par Anto­nio Osval­do Cate­na, Ale­jan­dro May­ol et Jesús Gabriel Segade, trois prêtres, dont le dernier était aus­si le directeur de la Can­to­ria de la Basíli­ca del Socor­ro qui a enreg­istré la pre­mière ver­sion avec Ariel Ramírez.
À ce sujet, ce chœur, le deux­ième plus ancien d’Ar­gen­tine, est en péril à la suite de la perte de son finance­ment. La cul­ture n’est plus à la mode en Argen­tine. Leur dernier con­cert a eu lieu il y a une dizaine de jours pour les 60 ans de la Misa criol­la. Ils recherchent un spon­sor. Si vous avez des pistes, vous pou­vez écrire à panella.giovanni85@gmail.com.

La troupe de la Mis­sa criol­la a fait une tournée en Europe en 1967. L’af­fiche du dernier con­cert de la Can­to­ria de la Basíli­ca del Socor­ro pour les 60 ans de l’œu­vre.

Paroles (Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena)

Noche anun­ci­a­da, noche de amor
Dios ha naci­do, péta­lo y flor
Todo es silen­cio y serenidad
Paz a los hom­bres, es Navi­dad

En el pese­bre mi Reden­tor
Es men­sajero de paz y amor
Cuan­do son­ríe se hace la luz
Y en sus brac­i­tos crece una cruz

(Ánge­les can­ten sobre el por­tal)
Dios ha naci­do, es Navi­dad

Esta es la noche que prometió
Dios a los hom­bres y ya llegó
Es Nochebue­na, no hay que dormir
Dios ha naci­do, Dios está aquí
Ariel Ramírez Letra: Felix Luna

Traduction libre de Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena

Nuit annon­cée, nuit d’amour.
Dieu est né, pétale et fleur.
Tout n’est que silence et sérénité.
Paix aux hommes, c’est Noël
Dans la crèche, mon Rédemp­teur est un mes­sager de paix et d’amour.
Quand il sourit, il y a de la lumière et une croix pousse dans ses bras.
(Les anges chantent au-dessus de la porte), Dieu est né, c’est Noël
C’est la nuit que Dieu a promise aux hommes et elle est déjà arrivée.
C’est la veille de Noël, il ne faut pas dormir, Dieu est né, Dieu est là.

À propos de la première version de la Misa criolla et de Navidad nuestra

Il y a de très nom­breuses ver­sions de la Misa criol­la et de Navi­dad nues­tra. Je vous pro­pose unique­ment de mieux con­naître la ver­sion ini­tiale, celle qui a été enreg­istrée en 1964.

L’orchestre

Ariel Ramírez: Direc­tion générale, piano et clavecin.
Jaime Tor­res: cha­rango.
Luis Amaya, Juanci­to el Pere­gri­no et José Med­i­na: gui­tare criol­la.
Raúl Bar­boza: accordéon pour le chamame «La anun­ciación».
Alfre­do Remus: con­tre­basse
Domin­go Cura: per­cus­sions.
Chango Farías Gómez: bom­bo et acces­soires de per­cus­sion.

Les chanteurs

Les qua­tre chanteurs de Los Fron­ter­i­zos (Ger­ar­do López, Eduar­do Madeo, César Isel­la et Juan Car­los Moreno): chanteurs solistes.
Can­toría de la Basíli­ca del Socor­ro: chœur
Jesús Gabriel Segade: directeur de la Can­toría.

De gauche à droite. La Negra (Mer­cedes Sosa, qui a beau­coup tra­vail­lé avec Ariel Ramírez), Felix Luna (auteur des paroles) et Ariel Ramírez (com­pos­i­teur) au piano et en por­trait à droite.

À bien­tôt les amis. Je vous souhaite de joyeuses fêtes et un monde de paix où tous les humains pour­ront chanter et danser pour oubli­er leurs trist­esses et exprimer leurs joies.

PS : Gérard Cardonnet a fait le commentaire suivant et je trouve cela très intéressant :

« Excel­lent, Bernar­do. Mais s’agis­sant de messe, quand on par­le de com­pos­i­teurs argentins, com­ment ne pas citer la “Misa a Buenos Aires”, dite Mis­a­tan­go, de Mar­tin Palmeri. https://www.choeurdesabbesses.fr/…/la-misatango-de…/ »
Voilà, main­tenant, c’est écrit.

Et comme de bien entendu, j’en rajoute une petite couche avec la réponse :

« Gérard, comme tu l’as remar­qué, c’é­tait plutôt Navi­dad nues­tra qui était d’ac­tu­al­ité, Noël étant lié à la nais­sance. J’ai d’ailleurs mis en avant El nacimien­to en en men­tion­nant les paroles.
Pour ce qui est de la Mis­a­tan­go, elle fait claire­ment référence à Piaz­zol­la. Mon pro­pos était de chang­er l’é­clairage sur l’Ar­gen­tine pour par­ler des musiques tra­di­tion­nelles. C’est promis, un de ces jours je met­trais les pieds dans le Piaz­zol­la.
La Mis­a­tan­go est une œuvre superbe. Tu la cites avec beau­coup de rai­son.
J’au­rais aus­si pu par­ler de tan­gos de sai­son avec quelques titres qui évo­quent les fêtes de fin d’an­née comme :
Pour Noël
Nochebue­na
Ben­di­ta nochebue­na
Feliz nochebue­na
El vals de nochebue­na
Navi­dad
Feliz Navi­dad
Navi­dad de los morenos
en Navi­dad
Pour le Jour de l’an
Año nue­vo
Pour les Rois mages (6 jan­vi­er)
Noche de reyes
Un rega­lo de reyes
6 de enero (6 jan­vi­er, jour des Rois mages).
Papa Bal­tasar »

La yumba 1946-08-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Pugliese

Quand on pense à Osval­do Pugliese, deux sou­venirs revi­en­nent for­cé­ment en mémoire. et le con­cert au Teatro Colón du 26 décem­bre 1985. Ces deux élé­ments dis­tants de 40 ans sont intime­ment liés, nous allons voir com­ment.

Extrait musical

La yum­ba 1946-08-21 — Orques­ta Osval­do Pugliese
Par­ti­tion de La yum­ba (Osval­do Pugliese).

Naissance d’un mythe

Lorsque Pugliese a lancé La yum­ba, cela a été immé­di­ate­ment un suc­cès. Mais il est intéres­sant de con­naître le par­cours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du ban­donéon quand il s’ou­vre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fan­tai­sistes. Je préfère, comme tou­jours, me rac­crocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osval­do Pugliese.

Je lui laisse la parole à Osval­do Pugliese à tra­vers une entre­vue avec Arturo Mar­cos Loz­za :

Osval­do Puglise — Al Colón — (1985)

Nosotros par­ti­mos de la eta­pa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa eta­pa. No la viví escuchán­dola, la viví prac­ticán­dola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesi­dad especí­fi­ca, tam­bién por necesi­dad inter­na, espir­i­tu­al. Y fuimos impul­san­do poco a poco una superación, una línea que cristal­izó en “La yum­ba”.

  • En esa par­ti­tu­ra, en esa inter­pretación, ust­ed apela a un rit­mo que tiene un sel­lo muy espe­cial…

Le he dado una mar­cación per­cu­si­va. Por ejem­p­lo, los norteam­er­i­canos en el jazz hacen una mar­cación dinámi­ca, mecáni­ca, reg­u­lar, mono­corde. Para mi con­cep­to, la batería no corre en el tan­go. Ya han hecho expe­ri­en­cias Canaro, Frese­do y qué sé yo cuán­tos, pero para mí la batería es un ele­men­to que gol­pea. El tan­go, en cam­bio, tiene una car­ac­terís­ti­ca proce­dente de la influ­en­cia del fol­clore pam­peano, que es el arras­tre, muy apli­ca­do por la escuela de , por Di Sar­li y por nosotros tam­bién. Y viene la mar­cación que Julio De Caro acen­tuó en el primer y ter­cer tiem­po, en algunos casos con arras­tre. Y nosotros hemos hecho la com­bi­nación de las dos cosas: la mar­cación del primer tiem­po y del ter­cero, y el arras­tre per­cu­si­vo y que sacude.

  • Y esa com­bi­nación de mar­cación per­cu­si­va y de arras­tre le da al tan­go una fuerza que es inca­paz de dársela una batería.

No, no, la batería no se la puede dar, arru­ina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trom­bones. Lo úni­co que me lla­ma la aten­ción, y que en algún momen­to lo voy a incor­po­rar, como se lo dije un día al fina­do Lipesker, es el clar­inete bajo, un clar­inete que Lipesker ya toca­ba en la orques­ta de Pedro Maf­fia y que le saca­ba lin­do col­or, oscuro y sedoso. Bueno, con la flau­ta y un clar­inete bajo yo com­ple­taría una orques­ta típi­ca.

[…]

Le dimos una par­tic­u­lar­i­dad a nues­tra inter­pretación y la gente reac­ciona­ba gritán­donos “¡no se muer­an nun­ca!”, “¡viva la sin­fóni­ca!”, “¡al Colón, ”. Bueno, esas son cosas que expre­san un sen­timien­to, pero son exagera­ciones: ni somos una sin­fóni­ca, ni nada por el .

Eso sí, cuan­do tocamos, ponemos todo.

  • Ponen pólvo­ra, ponen yum­ba, hay polen­ta en la inter­pretación. ¡Cuán­tos al escuchar a la típi­ca del mae­stro, ter­mi­nan con la piel de gal­li­na por la emo­ción!

Y bueno, yo no sé. Para mí, sen­tir eso es una sat­is­fac­ción. Pero me digo a mí mis­mo: “qué­date ahí nomás, Osval­do, no te fan­far­ronees y seguí tra­ba­jan­do siem­pre con la cabeza fría”.

Arturo Mar­cos Loz­za ; Osval­do Pugliese al Colón.

Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza

Nous sommes par­tis de l’é­tape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’é­coutant, je l’ai vécue en le pra­ti­quant. Il s’en­suit qu’il devait y avoir une amélio­ra­tion, non pas parce que je me l’é­tais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spé­ci­fique, aus­si d’un besoin intérieur, spir­ituel. Et nous avons pro­gres­sive­ment pro­mu une amélio­ra­tion, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yum­ba ».

  • Dans cette par­ti­tion, dans cette inter­pré­ta­tion, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très par­ti­c­uli­er…

Je lui ai don­né une mar­que per­cus­sive. Par exem­ple, les Nord-Améri­cains dans le jazz font un mar­quage dynamique, mécanique, réguli­er, monot­o­ne. Pour mon con­cept, la bat­terie ne va pas dans le tan­go. Canaro, Frese­do et je ne sais pas com­bi­en ont déjà fait des expéri­ences, mais pour moi la bat­terie est un élé­ment qui frappe. Le tan­go, d’autre part, a une car­ac­téris­tique issue de l’in­flu­ence du folk­lore de la pam­pa, qui est l’), très util­isé par l’é­cole de Julio De Caro, par Di Sar­li et par nous égale­ment. Et puis vient le mar­quage que Julio De Caro a accen­tué au pre­mier et troisième temps, dans cer­tains cas avec des arras­tres. Et nous avons fait la com­bi­nai­son des deux choses : le mar­quage du pre­mier et du troisième temps, et l’ar­ras­tre per­cus­sive et trem­blante.

  • Et cette com­bi­nai­son de mar­quage per­cus­sif et d’ar­ras­tre donne au tan­go une force qu’une bat­terie est inca­pable de lui don­ner.

Non, non, la bat­terie ne peut pas la don­ner, elle ruine. Je ne veux pas utilis­er de bat­terie, ni de pis­tons, ni de trom­bones. La seule chose qui attire mon atten­tion, et qu’à un moment don­né je vais incor­por­er, comme je l’ai dit un jour au regret­té Lipesker, c’est la clar­inette basse, une clar­inette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maf­fia et qui lui a don­né une belle couleur som­bre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clar­inette basse, je com­pléterais un orchestre typ­ique.

[…]

Nous avons don­né une par­tic­u­lar­ité à notre inter­pré­ta­tion et les gens ont réa­gi en cri­ant « ne meurs jamais ! », « Vive le sym­phonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expri­ment un sen­ti­ment, mais ce sont des exagéra­tions : nous ne sommes pas un sym­phonique, ou quelque chose comme ça.

Bien sûr, quand nous jouons, nous y met­tons tout ce qu’il faut.

  • Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yum­ba, il y a de la polen­ta (puis­sance, énergie) dans l’in­ter­pré­ta­tion. Com­bi­en en écoutant la Típi­ca du maître finis­sent par avoir la chair de poule à cause de l’é­mo­tion !

Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressen­tir cela est une sat­is­fac­tion. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osval­do, ne te vante pas et con­tin­ue de tra­vailler, tou­jours avec la tête froide. »

On voit dans cet extrait la mod­estie de Pugliese et son attache­ment à De Caro.

Autres versions

Il existe des dizaines d’en­reg­istrements de La yum­ba, mais je vous pro­pose de rester dans un cer­cle très restreint, celui d’Osval­do Pugliese lui-même.

La yum­ba 1946-08-21 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

Elle allie l’o­rig­i­nal­ité musi­cale, sans per­dre sa dans­abil­ité. Sans doute la meilleure des ver­sions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qual­ité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.

Pugliese jouant la Yumba en 1948 !

La yum­ba en 1948. Le film “Mis cin­co hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’oc­ca­sion de voir Osval­do Pugliese à l’époque du lance­ment de La yum­ba.

Extrait du film “Mis cin­co hijos” dirigé par Orestes Cav­iglia et Bernar­do Spo­lian­sky sur un scé­nario de Nathan Pinzón et Ricar­do Setaro. Il est sor­ti le 2 sep­tem­bre 1948. Ici, Osval­do Pugliese inter­prète La yum­ba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’ex­trait le suc­cès qu’il ren­con­tre “Al Colón!

La version de 1952

La yum­ba 1952-11-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion mag­nifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pour­ra la trou­ver un peu moins dansante. Cepen­dant, comme cette ver­sion est très con­nue, les danseurs arrivent en général à s’y retrou­ver.

Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).

1985-12-26, Osval­do Pugliese Al Colón. La yum­ba
Ver­sion courte (seule­ment la yum­ba)
Ver­sion longue avec la présen­ta­tion des musi­ciens. C’est celle que je vous con­seille si vous avez un peu plus de temps.

Osvaldo Pugliese avec en 1987.

1987, Une inter­pré­ta­tion de La yum­ba à deux pianos, celui de Osval­do Pugliese et celui de Atilio Stam­pone.

Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.

Le 26 juin 1989, Astor Piaz­zol­la se joint à l’orchestre de Osval­do Pugliese. Ils inter­prè­tent au Théâtre Carre d’Am­s­ter­dam (Pays-Bas), La yum­ba et Adiós non­i­no.

Dans le doc­u­men­taire « San Pugliese », un des musi­ciens témoigne que les musi­ciens étaient assez réservés sur l’in­ter­ven­tion de Astor Piaz­zol­la. Osval­do Pugliese, en revanche, con­sid­érait cela comme un hon­neur. Un grand homme, jusqu’au bout.

Pugliese au

La yum­ba 1989-11 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

La yum­ba 1989-11 — Orques­ta Osval­do Pugliese. Le dernier enreg­istrement de La yum­ba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novem­bre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaud­isse­ments, vous pour­rez enten­dre une petite fan­taisie au piano par Osval­do Pugliese.

Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.

La yum­ba — À par­tir d’un pochoir mur­al dans le quarti­er de . La ronde d’in­dia, est inspirée par ma fan­taisie à l’évo­ca­tion de Yum­ba…

Luz y sombra 1956-08-08 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante y Oscar Larroca

Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López

, de lumière et d’om­bre, de Ange­lis, Lar­ro­ca et Dante peignent un tableau ravis­sant que je vais vous présen­ter. Les ombres sont unique­ment présentes pour don­ner du relief à la lumière. Cette valse pais­i­ble, mais entraî­nante, nous fait décou­vrir un aspect du tan­go, bien loin de la seule tristesse qu’y voient cer­tains. Met­tons cela en lumière.

Extrait musical

Luz y som­bra 1956-08-08 — Orques­ta con Car­los Dante y .

Dès les pre­mières notes, la gaîté du morceau appa­raît, les pre­miers temps de la valse sont bien mar­qués. Après 50 sec­on­des, Oscar Lar­ro­ca com­mence de sa voix de bary­ton, suivi de peu par la voix de ténor de Car­los Dante. Les deux voix vont se mêler ain­si jusqu’à la dernière mesure. On sent bien qu’il ne se déroule pas un drame dans cette valse. Les paroles vont nous le con­firmer.

Paroles

Los tri­nos se der­ra­man
Y emer­gen los arrul­los
Ese jardín flori­do
Que tienen por man­sión
Jilgueros y gor­riones
Alon­dras y zorza­les
Que ento­nan him­nos bel­los
Como una ben­di­ción
Via­jeras golon­dri­nas
Salu­dan a su pasó
Y como gen­tileza
Con­tes­ta el ruiseñor
Elab­o­ra el hornero
Su rús­ti­ca mora­da
Y un pavo rear­rum­broso
Crit­i­ca con­struc­tor

Concier­to de per­fume
De can­tos y de ale­grías
De la nat­u­raleza
Ofrece al soñador
Male­ta de col­ores
Enjam­bre deli­cioso
Que alu­cinó lle­va­do
Jamás algún pin­tor

Y cuan­do cae la tarde
Los pájaros palmeros
Retor­nan a sus nidos
En bus­ca de calor
Entor­nan las camelias
Sus péta­los celosos
Por miedo que el rocío
Les quite su esplen­dor

Enmudece el ambi­ente
La noche se aprox­i­ma
Ensaya un gril­lo el can­to
Monótono y tristón
Palide­cen las rosas
Se esfu­ma la ale­gría
Y llo­ra la cig­a­r­ra
Porque se ha puesto el Sol
Y llo­ra la cig­a­r­ra
Porque se ha puesto el Sol
Alfre­do De Ange­lis Letra: Ger­va­sio López

Traduction libre et indications

Les trilles se répan­dent et les roucoule­ments émer­gent.
Ce jardin fleuri qui est le manoir des chardon­nerets et des moineaux, des alou­ettes et des grives qui chantent de beaux hymnes comme une béné­dic­tion.
Les hiron­delles voyageuses les salu­ent au pas­sage et, par cour­toisie, le rossig­nol répond, le hornero éla­bore sa demeure rus­tique et une dinde revêche cri­tique le con­struc­teur.
Un con­cert de par­fums, de chants et de joies, offre la nature au rêveur, une mal­lette de couleurs, un déli­cieux essaim qui a hal­lu­ciné et que n’a jamais porté un pein­tre. (la mal­lette, on pour­rait dire la palette de couleurs est si riche qu’au­cun pein­tre n’en a jamais eu de pareille).
Et quand tombe le soir, les oiseaux de palmiers retour­nent à leurs nids à la recherche de chaleur.
Les camélias envelop­pent jalouse­ment leurs pétales de peur que la rosée ne leur enlève leur splen­deur.
L’am­biance est muette, la nuit approche, un gril­lon répète le chant monot­o­ne et triste, les ros­es pâlis­sent et la joie s’é­vanouit et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché.
Et la cigale pleure parce que le soleil s’est couché.

Les duos et trios de chanteurs de De Angelis

Si plusieurs orchestres, j’hésite à dire beau­coup, ont réal­isé des duos de chanteurs, De Ange­lis a eu une prédilec­tion pour le genre. Nous avons vu hier que Edgar­do Dona­to avait enreg­istré de nom­breux chanteurs et avait prof­ité de la pro­fu­sion pour enreg­istr­er même des trios.

Les duos de chanteurs de De Angelis

De Ange­lis a fait de même en enreg­is­trant beau­coup de duos et même un quatuor… Voici une liste des asso­ci­a­tions qu’il a util­isées pour ses enreg­istrements. D’autres ont existé, mais sans avoir été immor­tal­isée par le disque :

  • Car­los Aguirre et Cuel­lo
  • Car­los Aguirre et
  • Car­los Dante et Julio Mar­tel (sans doute le duo le plus con­nu de De Ange­lis)
  • Car­los Dante et Oscar Lar­ro­ca (c’est celui de notre valse du jour)
  • et Oscar Lar­ro­ca
  • Juan Car­los Godoy et Lalo Mar­tel
  • Juan Car­los Godoy et
  • Isabel “Gigí” De Ange­lis et Car­los Bole­di (Gigi est la fille de De Ange­lis)
  • Isabel “Gigí” De Ange­lis et Ricar­do “Chiqui” Pereyra (Exer­ci­ce de pronon­ci­a­tion Gigi y Chiqui).
  • Rubén Linares et Marce­lo Bion­di­ni

Sur la com­po­si­tion des duos. En général, les orchestres essayaient d’avoir deux chanteurs. Un qui jouait le rôle de l’Es­pag­nol (Oscar Lar­ro­ca pour cette valse) et un qui jouait le rôle de l’I­tal­ien (Car­los Dante pour cette valse). Il y avait aus­si la néces­sité d’as­so­ci­a­tion de voix com­pat­i­bles et générale­ment de reg­istres dif­férents (ténor et bary­ton, par exem­ple). De Ange­lis ou Troi­lo ont par­ti­c­ulière­ment bien réus­si leurs « mariages », d’autres chefs ont eu du mal à con­tracter les voix qui vont bien ensem­ble, comme Di Sar­li ou D’Arien­zo.
Une autre rai­son qui fait que De Ange­lis a util­isé des duos est que c’est une car­ac­téris­tique de la musique tra­di­tion­nelle et De Ange­lis a, par exem­ple, enreg­istré pas mal de vals criol­los. Pour Troi­lo, il me sem­ble que c’est plus son goût pour les voix, même s’il a aus­si inves­tigué du côté du folk­lore.

Le quatuor de chanteur de De Angelis

  • Ricar­do “Chiqui” Pereyra, Jorge Guiller­mo, Marce­lo Bion­di­ni et Isabel “Gigí” De Ange­lis

Comme les quatuors de chanteurs sont tout de même assez rares en tan­go, je vais vous faire écouter celui-ci dans un titre qui va faire rire cer­tains. La cale­si­ta (le manège).

La cale­si­ta 1981 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Ricar­do “Chiqui” Pereyra, Jorge Guiller­mo, Marce­lo Bion­di­ni y Isabel “Gigí” De Ange­lis (Mar­i­ano Mores Letra: Cátu­lo Castil­lo).

Avec La cale­si­ta, on est assez loin du tan­go auquel nous a habitué De Ange­lis, mais le titre vaut une expli­ca­tion.
La cale­si­ta, c’est le manège. Celui qu’ai­ment les enfants. À Buenos Aires, ils étaient mus par des moteurs de sang (des chevaux) avant de pass­er à des motori­sa­tions moins cru­elles pour les ani­maux.
Cer­tains qual­i­fi­aient De Ange­lis de orques­ta de cale­si­ta, orchestre pour les manèges. Mais con­traire­ment au dédain qu’af­fichent ceux qui l’af­fublent de ce nom, ce n’est pas à cause d’un manque de qual­ité, bien au con­traire. Si De Ange­lis était si joué dans les manèges, c’é­tait que sa musique atti­rait les femmes qui décidaient de plac­er leur progéni­ture sur la machine tour­nante afin de pou­voir savour­er la musique de De Ange­lis. Les femmes n’é­taient pas les seules à être attirées par la musique, cer­tains prof­i­taient de cette musique « gra­tu­ite » pour danser autour du manège. Peut-être que le manège était égale­ment prop­ice pour se met­tre en ménage (jeu de mot en français, je suis désolé pour ceux qui lisent dans une autre langue).

Autres versions

La valse enreg­istrée par De Ange­lis est unique, mais le titre avait aupar­a­vant été util­isé pour d’autres œuvres.

Luz y som­bra 1930-09-11 — Orques­ta Julio De Caro con Luis Díaz (Alfre­do Oscar Gen­tile; , musique et paroles).

Bon, ce n’est pas vilain, mais cela manque tout de même d’un peu d’e­uphorie et d’in­térêt pour la danse. Je vous pro­pose de met­tre ce titre de côté.

Luz y som­bra 1955 — Astor Piaz­zol­la y su Orques­ta Típi­ca (Astor Piaz­zol­la).

De l’ex­cel­lent Piaz­zol­la, mais à 1000 lieues de ce qu’en­reg­istr­era l’an­née suiv­ante, De Ange­lis. La musique de Piaz­zol­la est rel­a­tive­ment descrip­tive. On peut assez facile­ment iden­ti­fi­er les alter­nances de lumière et d’om­bre. De la musique à écouter, dans l’om­bre d’un salon cos­su.

Luz y som­bra 1993-12 — Georges Rabol (Astor Piaz­zol­la).

Luz y som­bra 1993-12 — Georges Rabol (Astor Piaz­zol­la). Une inter­pré­ta­tion impres­sion­nante, au piano, de Luz y som­bra de Piaz­zol­la. Le piano est un mer­veilleux instru­ment, capa­ble, comme le prou­ve Georges Rabol, de rem­plac­er un orchestre.
Nous sommes en 1993, mais ras­surez-vous, je vous pro­pose main­tenant, pour vous diver­tir, la ver­sion de Luz y som­bra de De Ange­lis, notre valse du jour qui est net­te­ment antérieure de 37 années.

Luz y som­bra 1956-08-08 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante y Oscar Lar­ro­ca.

Notre valse du jour est le seul enreg­istrement de cette anec­dote pass­able dans une , mais sa bonne humeur per­met de com­penser cela.

La nuit est en train de tomber sur ce joli jardin.

On remar­quera le hornero et sa mai­son faîte de boue qui lui vaut le titre d’ar­chi­tecte. Le chardon­neret élé­gant, cité dans la chan­son, est égale­ment présent. Les camélias et les ros­es pâlis­santes. C’est ce beau jardin que j’imag­ine en enten­dant cette valse. En pas­sant l’arche, on trou­vera un espace dégagé pour danser la valse.

Alors, val­sons jusqu’à demain, les amis !

Un libro 1941-08-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Letra: Ricardo Olcese

Les Argentins sont de grands lecteurs. Il n’est qu’à voir les cen­taines de mètres de queue pour vis­iter le Salon du livre et le nom­bre de librairies pour s’en ren­dre compte.
Notre s’ap­pelle Un libro (un livre) a été enreg­istré par Edgar­do Dona­to avec Hora­cio Lagos il y a 83 ans.

Extrait musical

Un libro 1941-08-06 Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos.

Dona­to était un homme dis­trait, il pou­vait oubli­er sa femme dans le tramway ou atten­dre le chanteur pour un enreg­istrement alors qu’il était en face de lui. Sa musique lui va bien. Le thème com­mence comme une prom­e­nade guillerette. Puis arrive la voix sans égale de Hora­cio Lagos.

Paroles

Con el alma heri­da, casi der­ro­ta­do
Ancló mi esper­an­za en tu dulce amor,
Me diste un alien­to que ya no aguard­a­ba
Mi vida lisi­a­da por tan­to dolor.

Todo mi tor­men­to, se fue por encan­to
Y tu gran aliv­io fue mi sal­vación,
Entonces de nue­vo vi al sol de mi vida
Reha­cien­do el cora­je de mi corazón.

Un libro como hay tan­tos en la vida
Que (se) leía en mi errante rodar,
Desahu­ci­a­do por la suerte
Dan­do tum­bos sin cesar.
Un libro de plac­er inter­minable
De ince­sante ,
Salpic­a­do en tus pági­nas de oro
Por un lodo maldito y traidor.
Osval­do Dona­to Letra : Ricar­do Olcese

libre

Avec l’âme blessée, presque vain­cue, j’an­cre mon espérance dans ton doux amour.
Tu m’as don­né un souf­fle auquel je ne m’at­tendais plus, ma vie paralysée par tant de douleurs.
Tous mes tour­ments ont dis­paru par magie et ton grand soulage­ment a été mon salut.
Puis, j’ai de nou­veau vu le soleil de ma vie, restau­rant le courage de mon cœur.
Un livre comme il y en a tant dans la vie que j’ai lu dans mon errant vagabondage, dés­espéré par la chance, trébuchant sans cesse.
(J’en­tends Que leía, mais un lecteur, Philippe Con­stant entend Se leía, ce qui pour­rait mod­i­fi­er un peu le sens. Si vous avez un avis sur la ques­tion, lais­sez un com­men­taire…).
Un livre de plaisir sans fin d’in­si­pid­ité inces­sante, éclaboussé sur tes pages dorées par une boue mau­dite et traîtresse.

Ricar­do Olcese a écrit les paroles de quelques
autres tan­gos comme :
Mirá lo que soy, Tu engaño et, en col­lab­o­ra­tion avec Nestor Rodi, Buenos Aires de ayer et Che pebe­ta.

Autres versions

Il n’y a pas d’autres ver­sions de ce tan­go. Je vous pro­pose donc d’é­couter un autre enreg­istrement du même jour de Dona­to…

Un libro 1941-08-06 Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos. C’est notre tan­go du jour.

Pour le sec­ond enreg­istrement de la journée, se joint à Hora­cio Lagos pour chanter :

Mañana será la mía 1941-08-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales y coro.

Demain tu seras mienne. Le titre est par­faite­ment adap­té à la rela­tion entre les deux chanteurs de cette

Au cen­tre Edgar­do Dona­to et à droite Hora­cio Lagos que regarde avec atten­tion, Lita Morales.

Il se dit que Lita Morales et Hora­cio Lagos se seraient mar­iés, mais rien ne le prou­ve. Ce cou­ple, si c’é­tait un cou­ple, était très dis­cret et mys­térieux. Le regard que Lita envoie à Hora­cio me fait penser qu’ils ont a min­i­ma eut une idylle.
Sur le plan artis­tique, ils ont tous les deux com­mencé par enreg­istr­er du folk­lore et ont arrêté rapi­de­ment la car­rière (1935–1942 pour Hora­cio, 1937–1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955–1956). Peut-être que l’ar­rêt de Lita en 1941 était pour cause de nais­sance, il se dis­ait que Lita était enceinte lors de son pre­mier arrêt. Ceci pour­rait expli­quer son retour tardif, elle a repris, lorsque son (leur) enfant était devenu plus autonome.
On avait déjà par­lé de cela à pro­pos de Sins­a­bor.

L’orchestre de Donato de 1932 à 1945

L’orchestre de Dona­to reste sta­ble sur une grande péri­ode. Ses deux frères sont respec­tive­ment pianiste (Osval­do) et vio­lon­cel­liste (Ascanio Ernesto). On notera le nom­bre impres­sion­nant de chanteurs ayant par­ticipé avec l’orchestre.

L’orchestre de Dona­to.

Directeur : Edgar­do Dona­to

Les musiciens

Vio­lonistes : (Edgar­do Dona­to), Domin­go Milil­lo, Arman­do Pio­vani et José Pol­lici­ta.
Ban­donéon­istes : Juan Tur­turiel­lo, Vicente Vilar­di et Miguel Bonano.
Pianiste : Osval­do Dona­to
Vio­lon­cel­liste : Ascanio Dona­to
Con­tre­bassiste : José Campe­si

Les chanteurs

Sopra­nos : Lita Morales
Ténors : Hora­cio Lagos, Romeo Gavi­o­li, , , Arman­do Pio­vani, Juan Alessio, Daniel Adamo et Pablo Lozano.
Bary­tons : , Hugo Del Car­ril, Jorge Denis, et Rober­to Bel­trán.

En 1936, Dona­to était à la tête d’un orchestre énorme.

Vio­lonistes : Arman­do Julio Pio­vani, Domin­go Mir­il­lo et José Pol­lici­ta
Ban­donéon­istes : José Roque Tur­turiel­lo, Vicente Vilar­di, Eliseo Marchesse et José Budano.
Accordéon­iste : Wash­ing­ton Bertoli­ni (Osval­do Bertoni) qui était égale­ment pianiste. Il jouait du piano avec et sans bretelles (en France, l’ac­cordéon est surnom­mé « piano à bretelles »).
Pianiste : Osval­do Dona­to
Vio­lon­cel­liste : Ascanio Dona­to
Con­tre­bassiste : José Campe­si

Sur la pho­to, on les trou­ve :
De gauche à droite et au pre­mier plan.
Debout, Edgar­do Dona­to et Hora­cio Lagos.
Assis au piano, Osval­do Dona­to.
Deux ban­donéon­istes, José Budano et Vicente Vilar­di.
Puis Wash­ing­ton Bertoli­ni avec son accordéon.
Et deux autres ban­donéon­istes, José Roque Tur­turiel­lo et Eliseo Marchesse.
À l’ar­rière, de gauche à droite, un vio­loniste Domin­go Mir­il­lo.
Un vio­lon­cel­liste, Ascanio Dona­to
Deux vio­lonistes José Pol­lici­ta et Arman­do Julio Pio­vani.
Un con­tre­bassiste, José Campe­si.
Voilà, je vous laisse jouer au jeu des sept erreurs pour iden­ti­fi­er les change­ments dans l’orchestre entre ces deux pho­tos. Ce n’est pas si dif­fi­cile.

À demain, les amis !

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous par­ler aujour­d’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce mer­veilleux tan­go immor­tal­isé par les deux angeli­tos (D’Agosti­no et Var­gas) par­le à tous les danseurs. C’est une com­po­si­tion de Ángel D’Agosti­no et Alfre­do Attadía, Enrique Cadí­camo lui a don­né ses paroles et son nom. Par­tons en train jusqu’à Tres Esquinas à la décou­verte du berceau de ce tan­go.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agosti­no a com­posé ce titre dans une ver­sion som­maire pour une saynète nom­mée « Armenonville » mon­tée par Luis Ara­ta, Leopol­do Simari et José Fran­co. Comme on peut s’en douter, cette pièce par­lait de la vie des pau­vres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agosti­no jouait cette com­po­si­tion au piano sous le titre, (Pau­vre gamine).

Ara­ta-Simari-Fran­co

Une ving­taine d’an­nées plus tard selon la légende () D’Agosti­no fre­donnait le titre que reprit Var­gas à la sor­tie de la salle où ils venaient d’in­ter­venir. Cadí­camo imag­i­na le pre­mier vers « Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas ». Alfre­do Attadía qui était le pre­mier ban­donéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agosti­no s’oc­cu­pa des arrange­ments. Il doit cepen­dant d’avoir son nom à la par­ti­tion par son apport sur le phrasé des ban­donéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Var­gas qui devrait donc à ce dou­ble titre avoir aus­si son nom sur la par­ti­tion 😉

Extrait musical

Com­mençons par écouter cette mer­veille pour se met­tre dans l’humeur prop­ice à notre décou­verte.

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta .
Tres Esquinas. Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo. À gauche, deux cou­ver­tures, puis par­ti­tion et accords gui­tare et disque.

Je pense que vous avez remar­qué ce fameux phrasé dès le début. On y telle­ment habitué main­tenant que l’on pense que cela a tou­jours existé… Lorsque Var­gas chante, le ban­donéon se fait dis­cret, se con­tentant au même titre que les autres instru­ments de mar­quer le rythme et de pro­pos­er quelques orne­ments pour les ponts. On notera le superbe solo de vio­lon de après la voix de Var­gas et la reprise du ban­donéon (vers 2:20). Var­gas a le dernier mot et ter­mine le titre.

Je n’ai pas trou­vé d’en­reg­istrement de Pobre piba pour juger de l’ap­port de Atta­dia, mais il y a fort à pari­er que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intem­porelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas,
viejo balu­arte de un arra­bal
donde flo­re­cen como glic­i­nas
las lin­das pibas de delan­tal.
Donde en la noche tib­ia y ser­e­na
su antiguo aro­ma vuel­ca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duer­men las chatas del cor­ralón.

Soy de ese bar­rio de humilde ran­go,
yo soy el tan­go sen­ti­men­tal.
Soy de ese bar­rio que toma mate
bajo la som­bra que da el par­rral.
En sus ochavas com­padrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una mal­e­va
la ardi­ente ceba de mi pasión.

Nada hay más lin­do ni más com­padre
que mi sub­ur­bio mur­mu­rador,
con los chi­men­tos de las comadres
y los piro­pos del Picaflor.
Vie­ja bar­ri­a­da que fue estandarte
de mis arro­jos de juven­tud…
Yo soy del bar­rio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo

libre des paroles

Je suis du quarti­er de Tres Esquinas (plus un vil­lage qu’un quarti­er au sens actuel), un ancien bas­tion d’une ban­lieue où les jolies filles en tabli­er fleuris­sent comme des glycines (Il s’ag­it des tra­vailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sere­ine le géra­ni­um déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dor­ment les logis du cor­ralón (le cor­ralón est un habi­tat col­lec­tif, le pen­dant du con­ven­til­lo, mais à la cam­pagne. Au lieu de don­ner sur un couloir, les pièces qui accueil­lent les familles don­nent sur un bal­con. Au pluriel, cela peut aus­si désign­er le lieu où on par­que le bétail et tout l’at­ti­rail de la trac­tion ani­male. Je pense plutôt au loge­ment dans ce cas à cause des géra­ni­ums qui me font plus penser à un habi­tat, même si les cor­ralones étaient proches. Les géra­ni­ums éloignent les mouch­es qui devaient pul­luler à cause de la prox­im­ité du bétail).
Je viens de ce quarti­er de rang mod­este, je suis le tan­go sen­ti­men­tal.
Je suis de ce quarti­er qui boit du maté à l’om­bre de la vigne.
Dans ses ochavas (la est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présen­tent un petit pan de façade oblique) j’é­tais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mau­vaise l’ap­pât brûlant de ma pas­sion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus com­padre que mon faubourg mur­mu­rant, avec les com­mérages des com­mères et les com­pli­ments du Picaflor (les piro­pos sont des com­pli­ments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quarti­er qui fut l’é­ten­dard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quarti­er qui vit à part en ce siè­cle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme sou­vent, les ver­sions immenses sem­blent intimider les suiveurs et il n’ex­iste pas d’en­reg­istrement remar­quable de l’époque, si on exclut Hugo Del Car­ril à la gui­tare et notre sur­prise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 — Hugo Del Car­ril con gui­tar­ras.

Il me sem­ble dif­fi­cile de s’at­tach­er à cette ver­sion une fois que l’on a décou­vert celle des deux anges. On retrou­ve l’am­biance de Gardel, mais cet enreg­istrement ne sera nor­male­ment jamais pro­posé dans une milon­ga.

Tres Esquinas 2010 — con Javier Di Ciri­a­co.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co. J’ai eu le bon­heur de décou­vrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il met­tait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tan­go­postale (Toulouse France) où il a sus­cité un ent­hou­si­asme déli­rant. Il nous reste le disque pour nous sou­venir de ces moments intens­es mag­nifiés par la voix de Javier Di Ciri­a­co.

Le jeune Ariel Ardit relève toute­fois le défi et pro­pose plusieurs ver­sions élec­trisantes de ce titre. Voici un enreg­istrement pub­lic en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit inter­prète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme tra­di­tion­nelle), mais c’est une mag­nifique ver­sion avec une grande richesse des con­tre­points. Ariel Ardit donne beau­coup d’ex­pres­sion et l’orchestre n’est pas en reste. On com­prend l’ap­pro­ba­tion du pub­lic.

SURPRISE : il reste une ver­sion en réserve à décou­vrir à la fin de cette anec­dote, vous ne pou­vez pas vous la per­dre ! Avis pour Thier­ry, mon tal­entueux cor­recteur, ce n’est pas une coquille, mais une for­mu­la­tion calquée sur l’es­pag­nol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imag­in­er un lieu rel­a­tive­ment rur­al qui com­por­tait des espaces de ter­rains vagues, des usines, des maisons pour les pau­vres (cor­ralones) et des cafés, dont un qui se nom­mait Tres Esquinas du nom de ce quarti­er qui dis­po­sait toute­fois d’une sta­tion fer­rovi­aire du même nom… Voici de quoi vous repér­er. Atten­tion, cette zone n’est pas trop à recom­man­der aux touristes, mais on y organ­ise des peñas mag­nifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars rem­plis de cen­taines de danseurs qui s’é­cla­tent sur des orchestres fab­uleux en dansant, chacar­eras, gatos, zam­bas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus sur­prenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automa­tique­ment le style de la nou­velle danse en moins de deux sec­on­des. Si vous avez lu mes con­seils pour la chacar­era, vous savez déjà recon­naître celles à 6 et 8 com­pas­es et les dobles, c’est la par­tie fon­due de l’ice­berg du folk­lore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cer­clé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachue­lo) qui mar­que la lim­ite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quarti­er est d’usines, de ter­rains vagues et est main­tenant bor­dé par l’au­toroute qui va à La Pla­ta (la cap­i­tale de la Province de Buenos Aires). Le café pro­pre­ment dit n’est plus que l’om­bre de lui-même. Notez toute­fois la ocha­va  qui coupe l’an­gle de l’im­meu­ble et qui mar­que l’en­trée de ce qui était ce café his­torique.
La sta­tion de train por­tait aus­si logique­ment le nom du quarti­er.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aéri­enne de Google.

Le cer­cle rouge est le café Tres Esquinas. Le cer­cle jaune mar­que la zone où était située la gare de Tres Esquinas détru­ite en 1955. L’au­toroute qui a été créée en 1994–1996 a coupé en deux le quarti­er et prob­a­ble­ment mis un peu de désor­dre dans les baraque­ments de latas (voir Del bar­rio de las latas, le berceau du tan­go pour en savoir plus sur ce type de con­struc­tion)

Et pour ter­min­er, un court-métrage recon­sti­tu­ant l’am­biance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réal­isée par Enrique Cadí­camo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agosti­no et Var­gas enta­ment Tres Esquinas, mais je vous recom­mande de voir les 9 min­utes du court-métrage en entier, c’est intéres­sant dès le début et après Tres Esquinas, il y a de Bar­ra­cas

Court-métrage sur un scé­nario et sous la direc­tion de Enrique Cadí­camo où l’on voit des scènes de café, pit­toresques et l’in­ter­pré­ta­tion de Tres esquinas et de El cuar­teador de Bar­ra­cas par et Ángel Var­gas.

À demain, les amis !

Sinsabor 1939-06-05 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Ascanio Ernesto Donato Letra : Adolfo Antonio Vedani

Il y a quelques semaines, je suis tombé sur un arti­cle qui dis­ait que avec «Yo soy así», avait don­né une place aux femmes dans le tan­go. Il me sem­ble que c’est aller un peu vite en besogne, car les femmes en sont des inter­prètes de la pre­mière heure, , Rosi­ta Quirogan, , Ani­ta Palmero, Azu­ce­na Maizani, Nel­ly Omar, , Lita Morales, Lib­er­tad Lamar­que, Tania, , , Vir­ginia Luque, Ela­dia Blázquez, Nina Miran­da, Impreio Argenti­na, Olga Del­grossi et bien sûr et pas des moin­dres, Tita Merel­lo. Aujour­d’hui, c’est Lita qui nous par­le de tan­go.

Pourquoi cette impression que les femmes ne sont pas dans l’univers du tango ?

Je pense que cette vision a trois caus­es. La pre­mière est que les femmes ont eu une place impor­tante comme chanteuses, mais pas réelle­ment comme chefs d’orchestre ou musi­ci­ennes. Aujour­d’hui, beau­coup de danseurs con­nais­sent et recon­nais­sent les orchestres, mais très peu, les chanteurs et quand ils le font, c’est sou­vent, car ce sont des « cou­ples » que l’on est habitué à associ­er à un orchestre, comme D’Agosti­no-Var­gas, Troi­lo-Fiorenti­no ou Rodriguez-Moreno. S’ils enten­dent Fiorenti­no avec un autre orchestre, pas sûr qu’ils le recon­nais­sent.

Les femmes ont plus sou­vent chan­té des ver­sions à écouter que des ver­sions à danser. Je n’ai pas d’ex­pli­ca­tion sur cette rai­son, d’au­tant plus que la voix de femme dans un reg­istre plus aiguë laisse de la place aux instru­ments plus graves qui mar­quent générale­ment la pul­sa­tion, Main gauche au piano, con­tre­basse, ban­donéon… La preuve est que des ver­sions chan­tées de bout en bout par des femmes sont par­faite­ment dans­ables alors que par le même orchestre et à la même époque, une ver­sion chan­tée par un homme n’est qu’à écouter. Voir par exem­ple les enreg­istrements de Canaro qui a de nom­breux exem­ples de titres enreg­istrées deux ou trois fois, pour l’é­coute et pour la danse, par un homme ou une femme.

Une autre cause vient sans doute d’un excès de machisme dans le domaine. Les hommes ont occupé la place, lais­sant peu de places aux femmes en dehors des thèmes des tan­gos. Là, elles n’ont pas tou­jours le beau rôle, comme en témoigne notre tan­go du jour.

Dans l’idée de lever un coin du voile et vous mon­tr­er qu’il y a de nom­breuses femmes dans l’u­nivers de tan­go, je vous pro­pose aujour­d’hui quelques chanteuses, mais pour l’in­stant, con­cen­trons-nous sur le phénomène Lita Morales.
Avant d’é­couter notre tan­go du jour, sachez qu’il existe un autre tan­go du même titre, Sin sabor joué par Tito Fran­cia qui en est le com­pos­i­teur avec des paroles de Pedro Tusoli. Je ne pour­rai pas vous le faire écouter, n’ayant pas le disque…

Extrait musical

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con y Lita Morales.

Je pense que nous sommes nom­breux à aimer ce duo mag­nifique, cette musique entraî­nante. La tristesse des paroles passe très bien et n’en­tame pas la bonne humeur des danseurs. Une valeur sûre pour les milon­gas. La musique est en mode majeur. L’orchestre expose le thème, puis Hora­cio Lagos prend la parole. Lita Morales le rejoint ensuite pour for­mer un duo et finale­ment, l’orchestre ter­mine le tan­go. La struc­ture est très sim­ple, comme l’orches­tra­tion. C’est une belle ver­sion qui brille par sa sim­plic­ité et sa légèreté.

Paroles

Lle­van­do mi pesar
Como una maldición
Sin rum­bo fui
Bus­can­do de olvi­dar
El fuego de ese amor
Que te imploré
Y allá en la soledad
Del desam­paro cru­el
Tratan­do de olvi­darte recordé
Con la ansiedad
Del día que te di
Todo mi ser
Y al ver la real­i­dad
De toda tu cru­el­dad
Yo maldecí
La luz de tu mirar
En que me encan­dilé
Lle­va­do en mi ansiedad de amar
Besos impreg­na­dos de amar­gu­ra
Tuve de tu boca en su fri­al­dad
Tu alma no sin­tió mi fiel ter­nu­ra
Y me brindó con su rig­or, mal­dad
Quiero disi­par toda mi pena
Bus­co de cal­mar mi sins­a­bor
Sien­to inaguantable esta cade­na
Que me ceñí al implo­rar tu amor

Ascanio Ernesto Dona­to Letra : Adol­fo Anto­nio Vedani

Hora­cio Lagos chante le début, seul, puis Lita Morales se rajoute pour chanter en duo ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Por­tant mon cha­grin comme une malé­dic­tion, sans but, j’ai cher­ché à oubli­er.
Le feu de cet amour que j’im­plo­rais de toi et là, dans la soli­tude d’un cru­el aban­don.
Essayant de t’ou­bli­er, je me suis sou­venu de l’anx­iété fébrile du jour où je t’ai don­né tout mon être et voy­ant la réal­ité de toute ta cru­auté, j’ai mau­dit.
La lumière de ton regard, qui m’a aveuglé (dans laque­lle j’é­tais ébloui), emporté par mon anx­iété d’aimer.
Des bais­ers imprégnés d’amer­tume, je les ai obtenus de ta bouche dans sa froideur.
Ton âme n’a pas sen­ti ma ten­dresse fidèle, et m’a offert, avec sa rigueur, la méchanceté.
Je veux dis­siper toute ma douleur, je cherche à apais­er ma détresse (sins­a­bor, de sin sabor [sans saveur] sig­ni­fie regret, malaise moral, tristesse).
Je sens insup­port­able cette chaîne, que je me suis attachée quand j’ai imploré ton amour.

De gauche à droite, Lita Morales, Edgar­do Dona­to et Hora­cio Lagos, l’équipe qui nous offre le tan­go du jour.

Sur cette pho­to, Lita Morales et Hora­cio Lagos ne sem­blent pas être le cou­ple ayant don­né le sujet de ce tan­go… Il se dit qu’ils se seraient mar­iés, mais rien ne le prou­ve. Ce cou­ple, si c’é­tait un cou­ple, était très dis­cret et mys­térieux. Un indice, les deux ont com­mencé par enreg­istr­er du folk­lore, lui un peu avant et ils ont tous les deux arrêté rapi­de­ment la car­rière (1935–1942 pour Hora­cio, 1937–1941 pour Lita, avec un petit retour en 1955–1956). Peut-être l’ar­rêt en 1941 était pour cause de nais­sance, Lita aurait été enceinte. Ceci pour­rait expli­quer son retour tardif, lorsque son enfant est devenu plus autonome.

Autres versions

Le tan­go du jour est a pri­ori, la plus anci­enne ver­sion enreg­istrée et la seule avant une date assez récente.

Sins­a­bor 1939-06-05 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Lita Morales. C’est notre tan­go du jour.

Le Cuar­te­to Mulen­ga l’a enreg­istré vers 2008, avec le chanteur Max­imil­liano Agüero.

Sins­a­bor 2008c — Con Max­imil­liano Agüero.

Je vous laisse penser ce que vous voulez de cette ver­sion, mais elle a du mal à faire oubli­er celle de Dona­to, à mon avis.
C’est toute­fois un bel effort pour faire revivre ce titre, mais l’es­sai n’est pas totale­ment trans­for­mé. En revanche, la Roman­ti­ca Milonguera nous en a don­né plusieurs ver­sions intéres­santes.

Sins­a­bor 2017-10 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (Sur l’al­bum Roman­ti­ca Milonguera de 2017).
Sins­a­bor 2018 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur l’al­bum Duo de 2018). Cette, nou­velle ver­sion est plus tonique.
Sins­a­bor 2019 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di (sur le sin­gle Sin sabor — Quizas, quizas, quizás, Nuevas ver­siones de 2019).

Rober­to Minon­di est un mag­nifique chanteur, mais Marisol Martínez, sur scène, lui vole la vedette par son jeu d’ac­trice remar­quable.

Elle me per­met d’in­tro­duire la dernière par­tie de l’anec­dote du jour, une petite liste de chanteuses de tan­go. Com­bi­en en con­nais­sez-vous ?

Quelques chanteuses de tango

Je vous pro­pose une petite galerie de por­traits. Elle est très incom­plète, mais j’au­rai l’oc­ca­sion de revenir sur le sujet.

Com­bi­en de chanteuses recon­nais­sez-vous ? Passez la souris sur l’im­age pour faire appa­raitre le nom de la chanteuse.

On notera que beau­coup de ces chanteuses ont aus­si fait du ciné­ma. Le lien entre ciné­ma et tan­go est très fort, beau­coup de tan­gos fameux ont été com­posés pour les films et même à l’époque des films muets, les musi­ciens jouaient dans la salle en direct.

En prime, je vous pro­pose la pre­mière joueuse de ban­donéon pro­fes­sion­nelle, je vous par­lerai une autre fois des musi­ci­ennes, des auteurs et com­positri­ces, il y a énor­mé­ment à dire sur ce sujet égale­ment. Alors, les femmes et le tan­go, c’est une his­toire anci­enne et tou­jours vivante. Voir par exem­ple cet arti­cle…

Paqui­ta Bernar­do, Ban­donéon­iste (1900–1925).

Elle fut la pre­mière ban­donéon­iste, mais sa vie fut trop brève. Elle n’a pas lais­sé d’en­reg­istrement, cepen­dant, Gardel et ont enreg­istré ses com­po­si­tions.

Paqui­ta Bernar­do (1900–1925) Ban­donéon­iste

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán

Letra:

La valse du jour a été écrite par deux auteurs dont vous con­nais­sez au moins une autre valse, par De Ange­lis et Godoy. Maestri­ta de mis pagos est une autre valse, sans doute très rare, mais joli­ment inter­prétée par Gorio et Bazán. Elle mérite donc qu’on s’y arrête, d’au­tant plus que le texte s’adresse à un per­son­nage peu évo­qué dans , la maîtresse… d’é­cole.
En effet, maestri­ta de mis pagos sig­ni­fie, la petite maîtresse (petite mar­que l’af­fec­tion) de mon vil­lage (l’ex­pres­sion “mis pagos” est surtout util­isé à la cam­pagne).

Extrait musical

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-31 — Orques­ta con .

La valse démarre tout de suite, l’al­ter­nance entre le piano et l’orchestre est ravis­sante. À 1 :30 Osval­do Bazán com­mence à chanter et à dire le réc­i­tatif. On notera qu’il ne dit pas le pre­mier réc­i­tatif.

Paroles

Recita­do:
Ya ves… no te olvi­do, maestri­ta lejana
Estás en mis ver­sos y estás en mi voz…
Como cuan­do el lirio de tus blan­cas canas
Per­fumó mi beso, que te dijo adiós…

Tus manos queri­das, cer­cadas aho­ra
Por ese tan tibio y fugaz,
Mi pelo acari­cia, ven­cien­do las horas
Maestri­ta sufri­da que no he de ver más.

Qué lejos que­dose tu beso más tier­no
Y esa lagrim­i­ta qué lejos tam­bién,
Esa que llorabas, nerviosa en
Porque mis ropi­tas no abri­ga­ban bien.

Hoy te evo­co, maestri­ta de mis pagos
Madrecita encaneci­da, estás en mí,
Quién pudiera revivir viejos hala­gos
Bal­buce­an­do una lec­ción muy jun­to a ti.
O sigu­ien­do con su tra­zo un lápiz rojo
Con un sol de un “vis­to bueno” jun­to a él,
Encon­trar tu mano blan­ca ante mis ojos
En un sueño de alb­o­radas y de miel.

Recita­do:
Qué dis­tin­to el mun­do que soñé a tu lado
Sobre el fon­do blan­co de tu delan­tal,
Ron­di­ta del patio, pizarrón ama­do
Cuán­ta nieve el tiem­po, der­ramó en mi mal.

Volver un instante a los días risueños
Sería sin duda, volverte a escuchar,
Cer­ran­do los ojos, maestri­ta, entre sueños
Quizá has­ta te oyera, feliz, dele­trear.

Vería a la humilde y cor­dial cam­pani­ta
Lla­man­do a recreo, que­bra­da su voz,
Los cam­pos lin­deros, sus mil mar­gar­i­tas
Y todo un paisaje, miran­do hacia Dios.

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.
Osval­do Bazán chante ou dit tout ce qui est en gras.
Dante Ressia chante ou dit, tout et ter­mine en reprenant ce qui est en rouge.

Traduction libre et indications

Euge­nio Majul est avant tout un poète. Cela se remar­que déjà par la con­struc­tion de son texte, en dodéca­syl­labes avec coupe à l’hémistiche pour cer­tains vers, ce qui en fait qua­si­ment des alexan­drins. Les rimes sont en bonne par­tie rich­es. C’est donc un texte très tra­vail­lé, mais aus­si très long. Ce qui fait que la par­tie chan­tée de ces deux ver­sions est très impor­tante en pro­por­tion. Même si on sort de la péri­ode de l’âge d’or de la danse de tan­go, cette valse, notam­ment dans la ver­sion de Gorio, reste dans­able. Intéres­sons-nous main­tenant au texte que mal­heureuse­ment, je ne saurais pas trans­met­tre dans son essence poé­tique.

Petite maîtresse d’é­cole de mon vil­lage

Réc­i­tatif
Là, tu vois… Je ne t’ou­blie pas, loin­taine maîtresse, tu es dans mes vers et tu es dans ma voix…
Comme quand le lys de tes cheveux blancs a par­fumé mon bais­er, qui t’a dit au revoir…
Vos chères mains, fer­mées main­tenant, de ce sou­venir si chaud et fugace, cares­saient mes cheveux, gag­nant les heures, maîtresse souf­frante que je ne ver­rai plus.
Comme est loin ton bais­er le plus ten­dre et cette petite larme si loin­taine aus­si, celle que tu as pleurée, nerveuse en hiv­er parce que mes vête­ments ne m’abri­taient pas bien.
Aujour­d’hui je t’évoque, maîtresse de mon vil­lage, petite mère aux cheveux gris, tu es en moi, qui pour­rais raviv­er de vieux encour­age­ments, moi, bal­bu­tiant une leçon tout con­tre toi.
Ou suiv­ant avec son tracé, un cray­on rouge, avec un soleil d’ap­pro­ba­tion à côté, décou­vrir ta main blanche devant mes yeux dans un rêve d’aube et de miel.
Réc­i­tatif
Comme le monde est dif­férent de ce que je rêvais à ton côté, sur le fond blanc de ton tabli­er, une ronde dans la cour, un tableau noir bien-aimé, com­bi­en de neige le temps a déver­sé sur mon mal.
Revenir un instant aux jours souri­ants serait sans doute, t’é­couter de nou­veau, en fer­mant les yeux, petite maîtresse, dans mes rêves peut-être même irais-je jusqu’à t’en­ten­dre, heureux, épel­er.
Je ver­rais la petite cloche hum­ble et cor­diale appel­er à la récréa­tion, sa voix brisée, les champs voisins, leurs mille mar­guerites et tout un paysage, regar­dant vers Dieu.
Ce texte est donc une ode funèbre à son enseignante de pri­maire. Le rythme de la valse fait pass­er le mes­sage sans tristesse par­ti­c­ulière.

Autres versions

Cela va aller vite, il n’y a que deux enreg­istrements Notre valse du jour et une ver­sion par un chanteur plus rare, Dante Ressia. Les deux enreg­istrements se sont faits à 12 jours d’é­cart.

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-19 — Dante Ressia.

Cette valse en chan­son renoue avec la tra­di­tion des payadores, ces chanteurs impro­visa­teurs qui s’ac­com­pa­g­naient à la gui­tare. Pas d’im­pro­vi­sa­tion dans ce cas, puisque le texte est écrit par le poète Euge­nio Majul.

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-31 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán. C’est notre valse du jour.

Osval­do Bazán, chante beau­coup, mais cela va bien dans la musique et cette valse est tout à fait dansante. Peut-être à pass­er le 11 sep­tem­bre, jour des Mae­stros et des Maes­tras en Argen­tine. À ce sujet, le terme de mae­stro indique un enseignant d’é­cole pri­maire…

Un petit cadeau pour mieux connaître les auteurs

Je vous pro­pose deux valses écrites par la même équipe, Miguel Rober­to Abro­dos et Euge­nio Majul ; Feliz cumpleaños mamá et Her­mana.

Feliz cumpleaños mamá 1954-11-05 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán.

Même com­pos­i­teur, même paroli­er, même orchestre et même chanteur. Cela ne suf­fit pas pour faire une tan­da, mais pour com­pléter, on pour­ra piocher dans une des dix autres valses de Gorio avec Bazán, avec Luis Men­doza, avec le duo Men­doza- Bazán ou dans les valses instru­men­tales. Par exem­ple, avec A mi madre (à ma mère) pour com­pléter la valse d’an­niver­saire…

Pour con­tin­uer avec la famille, voici l’autre valse écrite par l’équipe et que vous con­nais­sez for­cé­ment. Il s’ag­it d’Her­mana (sœur) :

Her­mana 1958-09-26 — con Juan Car­los Godoy.

Et pour ter­min­er une petite infor­ma­tion. Rober­to Abro­tos avait 8 frères et avec deux d’en­tre eux (Manuel et José), il a enreg­istré 600 titres de , vous les trou­vez sur leurs nom­breux dis­ques (78 tours) sous le nom de Los her­manos Abro­dos.

Si vous voulez en savoir plus sur ces pio­nniers du folk­lore, je vous con­seille cet arti­cle réal­isé à par­tir de repro­duc­tion d’ar­ti­cles tirés de la revue Revista folk­lore.

Et pour les écouter, leur canal YouTube ou une bonne par­tie de leur discogra­phie est pro­posée…

Moli­na Cam­pos, escueli­ta criol­la (petite école de cham­pagne en Argen­tine). Prob­a­ble­ment le type de celle dont par­le la valse, mais avec une maîtresse plus avenante…
Intér­pré­ta­tion de Moli­na Cam­pos, escueli­ta criol­la. J’ai essayé de don­ner une tête plus humaine à la maîtresse…

Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mar­i­ano Mores qui nous avait don­né Uno hier pour une autre mer­veille, Una lágri­ma tuya. Les paroles sont d’Home­ro Manzi, on reste dans le très haut du reg­istre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Cor­ri­entes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très sur­pris par ce tan­go, mais est-ce vrai­ment un tan­go?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, José Bas­so s’est adjoint deux chanteurs de pre­mier plan, Fran­cis­co Fiorenti­no et Ricar­do Ruiz.
On est habitué à associ­er Fran­cis­co Fiorenti­no à Troi­lo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son pro­pre orchestre dont il con­fia la direc­tion à Astor Piaz­zol­la. Ce dernier par­tant à son tour, Fiorenti­no ira en 1948 chanter pour deux ans avec Bas­so.
De son côté Ricar­do Ruiz est asso­cié à Frese­do. Cepen­dant, il avait quit­té cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il tra­vaille avec Bas­so. En 1949, il est donc logique de trou­ver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Bas­so.

Extrait musical

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz.
Avec la pho­to de Mar­i­ano Mores, la par­ti­tion de Una lagri­ma tuya.

Je pense que dès les pre­mières mesures, vous avez été sur­pris par le rythme de cette œuvre. Les con­nais­seurs auront recon­nu le rythme du malam­bo.
Vous con­nais­sez sans doute le malam­bo sans le savoir, car son élé­ment essen­tiel est le zap­ateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacar­era.
C’est une démon­stra­tion d’agilité, un défi que se lançaient les gau­chos au XIXe siè­cle. C’est devenu aujour­d’hui un élé­ment de folk­lore et les groupes de dans­es tra­di­tion­nelles présen­tent cette danse si ent­hou­si­as­mante à pra­ti­quer.
Comme il s’ag­it d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’ag­it pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milon­gas, ou de petits bat­te­ments de pieds, légers qui sem­blent caress­er le sol.
Il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler de choré­gra­phie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’ag­it plutôt d’un duel­liste) fait preuve d’imag­i­na­tion et de créa­tiv­ité pour effectuer les fig­ures les plus auda­cieuses. Le gag­nant du duel est celui qui reste, le per­dant part, épuisé ou dégoûté par les capac­ités de son adver­saire.
La chacar­era offre une forme « civil­isée » du malam­bo. Pas ques­tion de se livr­er à des exubérances, il s’ag­it de con­quérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacar­era est une danse de groupe et un peu d’har­monie dans l’ensem­ble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malam­bo effec­tué par deux ado­les­cents. Vous recon­naîtrez la musique ini­tiale qui est celle de notre « tan­go » du jour. C’est une créa­tion de Canal Encuen­tro, une mer­veilleuse chaîne cul­turelle argen­tine, mal­heureuse­ment men­acée, car la cul­ture n’en­tre pas dans les pri­or­ités du nou­veau prési­dent argentin, Javier Milei.

Dans la sec­onde par­tie de la musique, on retrou­ve une autre musique tra­di­tion­nelle, la huel­la (à par­tir de 1 h 30). Vous con­nais­sez cer­taine­ment cette musique pop­u­lar­isée par Ariel Ramírez dans sa Misa criol­la.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pou­vez enten­dre ici une inter­pré­ta­tion de La Pere­gri­nación (huel­la pam­peana) faisant par­tie de la Misa Criol­la. Il s’ag­it ici d’une danse choré­graphiée par un groupe de danse tra­di­tion­nelle, mais on peut se ren­dre compte qu’il y a des simil­i­tudes avec la chacar­era (vueltas et zap­ateos, par exem­ple).

Avec une référence au malam­bo norteño et à la huel­la pam­peana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Ar­gen­tine.

Paroles

Una lágri­ma tuya
me moja el alma,
mien­tras rue­da la luna
por la mon­taña.

Yo no sé si has llo­rado
sobre un pañue­lo
nom­brán­dome,
nom­brán­dome,
con descon­sue­lo.

La voz triste y sen­ti­da
de tu can­ción,
des­de otra vida
me dice adiós.

La voz de tu can­ción
que en el tem­blor de las cam­panas
me hace evo­car el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágri­ma tuya
me moja el alma
mien­tras gimen
las cuer­das de mi gui­tar­ra.

Ya no can­tan mis labios
jun­to a tu pelo,
dicién­dote,
dicién­dote,
lo que te quiero.

Tal vez con este can­to
puedas saber
que de tu llan­to
no me olvidé,
no me olvidé.

Mar­i­ano Mores Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tan­dis que la lune roule sur la mon­tagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mou­choir en me nom­mant, incon­solable.
La voix triste et sincère de ta chan­son, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chan­son qui dans le trem­ble­ment des cloches me fait évo­quer le ciel bleu de tes mat­inées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma gui­tare gémis­sent.
Mes lèvres ne chantent plus, col­lées à tes cheveux, te dis­ant, te dis­ant, com­bi­en je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chan­son, tu pour­ras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mar­i­ano Mores fait référence au folk­lore dans ses com­po­si­tions., par exem­ple :
Adiós, pam­pa mía qui incor­pore des rythmes de per­icón nacional et de .
El estrellero (cheval qui lève la tête con­tin­uelle­ment, ce qui gêne le cav­a­lier) avec rythme de estil­lo.
Lors de ses tournées inter­na­tionales, il était tou­jours accom­pa­g­né de bal­lets de folk­lore, car, il ne lais­sait jamais de côté les dans­es folk­loriques.

Autres versions

Una lagri­ma tuya 1948 — Orques­ta Juan Deam­brog­gio Bachicha con .

Ce titre a été enreg­istré en France et édité par Luis Gar­zon qui a par ailleurs pub­lié sa pro­pre ver­sion dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 sem­ble bien pré­coce. J’ai con­tac­té les édi­tions Luis Gar­zon, si j’ob­tiens des infor­ma­tions j’adapterai la date, si néces­saire.

Una lágri­ma tuya 1949-03-30 — Orques­ta con Edmun­do Rivero y Aldo Calderón.

Cette ver­sion a con­nu le suc­cès dès son lance­ment sur disque et à la radio. C’est la pre­mière ver­sion avec les paroles défini­tives de Manzi.

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz. C’est notre ver­sion du jour.
Una lágri­ma tuya 1949-10-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con .

Canaro sort sa ver­sion, sans duo, un mois après la sor­tie du film dans lequel il est inter­venu. Pour une fois, il n’est pas dans les pre­miers à avoir enreg­istré (sauf si on tient compte de la ver­sion du film enreg­istrée en août 1948).

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con .

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con Hugo Del Car­ril. Une ver­sion bien adap­tée au zap­ateo dans sa pre­mière par­tie (malam­bo), avec la belle voix chaude de Del Car­ril. Mar­i­ano Mores aurait aimé que De Car­ril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chan­ta.

Una lágri­ma tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal y Raúl Berón.

La qual­ité de cet enreg­istrement est très mau­vaise, car c’est un enreg­istrement acé­tate, un sup­port peu durable. Il a été réal­isé en pub­lic lors d’un con­cert à San Pablo au Brasil et a été retrans­mis par Radio Ban­deirantes. On peste con­tre ce son effroy­able, mais quelle presta­tion ! On notera l’ac­cent brésilien du présen­ta­teur qui annonce le titre, évo­quant le malam­bo.

Una lágri­ma tuya char­lo 1951-12-18 – Char­lo y su orques­ta.

Une belle ver­sion avec la voix qui domine un orchestre dont l’orches­tra­tion est orig­i­nale.

Una lágri­ma tuya 1953 — Cristóbal Her­rero y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y .

Una lágri­ma tuya 1953 — Cristóbal Her­rero y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y Beat­riz Masel­li. Pas éton­nant que Her­rero enreg­istre ce titre, car il avait été cat­a­logué par Odeon du côté du folk­lore et ils lui fai­saient enreg­istr­er cela plutôt que du tan­go. Il était donc un spé­cial­iste des deux gen­res, mais aurait préféré enreg­istr­er du tan­go. Cet enreg­istrement est donc une revanche, car il a coupé l’in­tro­duc­tion en malam­bo. Il n’a gardé que les accords fin­aux, typ­iques du malam­bo. On retrou­ve la marche, mar­quée par le ban­donéon, mais guère plus que les autres ver­sions, celle-ci est adap­tée aux danseurs exigeants. L’autre orig­i­nal­ité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágri­ma tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orques­ta con Héc­tor Insúa.

Le Japon s’est toqué du tan­go et les tournées des orchestres argentins ont été des suc­cès for­mi­da­bles.

Una lágri­ma tuya 1954 — Luis Tue­bols et son Orchestre typ­ique argentin.

Oui, comme je l’ai men­tion­né à divers­es repris­es, l’his­toire du tan­go n’est pas qu’en Argen­tine et Uruguay. Luis Tue­bols a con­tin­ué à pro­mou­voir le tan­go en France, notam­ment en enreg­is­trant avec Riv­iera, puis Bar­clay. Cet enreg­istrement fait par­tie des enreg­istrements avec Riv­iera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Bar­clay.

Una lágri­ma tuya 1957-04-30 – Orques­ta Mar­i­ano Mores con Enrique Lucero.

Voici com­ment Mar­i­ano Mores inter­prète sa créa­tion. On remar­quera la voix pro­fonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enreg­istrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mar­i­ano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pour­rez voir cette vidéo à la fin de cet arti­cle.

Una lagri­ma tuya 1959 c — Pri­mo Corchia y su Orques­ta.

Pri­mo Corchia, encore un exem­ple français du tan­go (même s’il est né en Ital­ie, il a fait toute sa car­rière en France).

Una lágri­ma tuya 1961-05-05 — Orques­ta José Bas­so.

Un autre enreg­istrement de José Bas­so, instru­men­tal celui-ci. Il assume par­faite­ment son affil­i­a­tion au folk­lore. Le rythme est plus rapi­de que dans la ver­sion de 1949. J’e­spère que ce petit coup de pro­jecteur sur ce musi­cien trop sou­vent nég­ligé, José Bas­so vous don­nera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour ter­min­er cette liste bien incom­plète, je vous pro­pose deux curiosités :

Una lagri­ma tuya 1961 c— Orchestre Luis Gar­zon.

C’est celui qui aurait pub­lié dès 1948 l’en­reg­istrement de Bachicha. Cette ver­sion est pure­ment musette. Le beau rythme de marche du malam­bo du départ, se com­mue en ryth­mique de tan­go musette, mais pas tout le temps. J’imag­ine que c’est une des raisons du suc­cès de ce tan­go en France, la marche très mar­quée écrite par Mores s’adapte par­faite­ment au style musette. Le terme musette, vient de l’in­stru­ment à vent, de la famille des corne­mus­es, util­isé dans les bals pop­u­laires en France. Con­traire­ment aux instru­ments des Écos­sais, la musette appelée cabrette dans le Mas­sif-Cen­tral se rem­plit à l’aide d’un souf­flet et non pas en souf­flant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagri­ma tuya y Adiós Pam­pa mía 1994 –  y su gran orques­ta con Beat­riz Suarez Paz y .

Deux titres de Mar­i­ano Mores ayant trait au folk­lore, enchaînés, Una lágri­ma tuya et Adiós Pam­pa mía. Le nom du chanteur vous dit cer­taine­ment quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chan­ta si bien, par exem­ple avec De Ange­lis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Cor­ri­entes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Bar­reto sur un scé­nario de sor­ti le 29 sep­tem­bre 1949.

Une pub­lic­ité pour le film Cor­ri­entes, calle de ensueños. Cette rue a une his­toire et je dois la con­ter.

Home­ro Manzi, peu de temps avant sa mort, regret­tait de ne pas avoir tra­vail­lé en col­lab­o­ra­tion avec Mar­i­ano Mores. Oscar Del Pri­ore et Irene Amuchástegui racon­tent dans Cien tan­gos fun­da­men­tales (Mar­i­ano Mores a d’ailleurs écrit le pro­logue de ce livre…) que Mores de vis­ite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui pro­pos­er pour sa musique. En réal­ité, les paroles défini­tives évolueront, jusqu’à la ver­sion que don­nera Canaro avec Alon­so en 1949, quelque temps avant le lance­ment du film.
Canaro était bien placé pour con­naître cette œuvre, puisqu’il l’in­ter­prète, juste­ment à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présen­ter. Par­mi les acteurs, Mar­i­ano Mores, lui-même, dans son pre­mier rôle au ciné­ma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien ter­min­er cette chronique.

Mar­i­ano Mores joue Una lágri­ma tuya au piano au début du film Cor­ri­entes, calle de ensueños

La siete de abril (zamba)

Andrés Avelino Chazarreta et Pedro Evaristo Díaz, ou Ñato Carrillo, ou Agenor Reynoso ou ou El Ciego Chazaou…

Les Argentins adorent avoir des règles pour pou­voir les trans­gress­er. Comme le jour de la est le 29 sep­tem­bre (anniver­saire de Gus­ta­vo «Cuchi» Leguiza­món) et le jour nation­al du folk­loriste argentin le 29 mai (anniver­saire de Andrés Aveli­no Chaz­arreta, auteur [pos­si­ble] de cette zam­ba), ils fêtent la zam­ba le 7 avril, jour men­tion­né dans le titre de cette zam­ba qui est la «Cumpar­si­ta» (selon l’ex­pres­sion de Daniel Borel­li) des danseurs de zam­ba. ¡A bailar la zam­ba chicos!

Pour vous per­me­t­tre d’avoir une idée de cette danse, je vous pro­pose cette inter­pré­ta­tion de zam­ba par Car­ol Reta­moso et .

Zam­ba dan­sée par Car­ol Reta­moso et Juan Manuel Sote­lo. Musi­ciens : Cris­t­ian Bautista (vio­lon) ; Alef Car­do­zo Madaf (gui­tare) Eduar­do Lobos, (Bom­bo).

Qui est l’auteur de cette zamba ?

L’au­teur de cette zam­ba n’est pas vrai­ment con­nu. J’ai listé les créa­teurs poten­tiels, mais le nom générale­ment retenu est le pre­mier qui l’a déposé à la SADAIC (société des auteurs argentins), Andrés Aveli­no Chaz­arreta.
Manuel Gomez Car­il­lo l’a col­lec­tée et déposée à son tour en 1923. Il n’en est donc pas l’au­teur, il l’a seule­ment col­lec­tée et sur sa ver­sion, Manuel Val­ladares Leda a rajouté des paroles postérieure­ment. Plusieurs autres ver­sions exis­tent.
L’au­teur orig­i­nal, s’il n’est pas Chaz­arreta peut-être Pedro Evaris­to Díaz, ou Ñato Car­ril­lo, ou Agenor Reynoso ou Gómez Car­ril­lo ou El Ciego Chaza­ou ou un autre qui reste anonyme. Cela n’a pas beau­coup d’in­térêt en fait.

Extrait musical

Il y a des dizaines de ver­sions de cette zam­ba. En voici quelques-unes, rel­a­tive­ment dif­férentes, mais c’est une toute petite par­tie de celles qui exis­tent. Si vous êtes en Argen­tine le 7 avril, vous allez l’en­ten­dre de tout côté…

La 7 de abril — . Sans doute la plus con­nue.
La 7 de abril — Pitin Salazar. Avec annonce des fig­ures de la choré­gra­phie. Comme DJ, cette ver­sion peut aider les danseurs un peu frag­iles dans la pra­tique de la zam­ba, mais le DJ peut aus­si faire les annonces.
La 7 de abril — .
La 7 de abril —
La 7 de abril — Andrés Chaz­arreta à la gui­tare. Je ne pro­poserai pas cette ver­sion à la danse, mais elle est intéres­sante, car inter­prétée par « l’au­teur ».

ZZZ’avez dit zamba ou samba ?

Zamba, comme vous l’avez con­staté avec la vidéo, cette danse n’a absol­u­ment rien à voir avec la danse brésili­enne qui enflamme les rues de Rio durant le , pas plus que la zem­ba, sem­ba ou la zum­ba.
Cette danse, orig­i­naire de… Bon, on se retrou­ve devant une autre dif­fi­culté. Les reven­di­ca­tions sont nom­breuses. Des orig­ines africaines (j’imag­ine que les auteurs con­fondent avec la sam­ba ou la zem­ba, sem­ba) ou des orig­ines péru­vi­ennes. En effet, on attribue sou­vent à l’évo­lu­tion de la zamacue­ca en une ver­sion plus rapi­de, l’o­rig­ine de la zam­ba. J’écris la zam­ba, mais il y a en fait des zam­bas. Pour éviter de me met­tre à dos la moitié des danseurs de folk­lore argentins, je vais rester vague et juste dire que cette danse se pra­tique avec des foulards (pañue­los) dans toutes les provinces argen­tines et même à Buenos Aires.
Il y a d’ailleurs beau­coup plus de danseurs de folk­lore en Argen­tine que de danseurs de tan­go.

Comment ça se danse ?

C’est un peu la suite de la ques­tion précé­dente. Il n’y a pas une, mais, des zam­bas. Pour sim­pli­fi­er, on dit que les rythmes sont un peu dif­férents d’une province à l’autre, mais les choré­gra­phies sont égale­ment var­iées.
En fait, il s’ag­it d’une danse tra­di­tion­nelle et chaque groupe eth­nique l’a mise à sa sauce, l’a conçue, l’a con­stru­ite et décon­stru­ite. Les eth­no­logues et musi­co­logues ont figé ces dans­es dans des choré­gra­phies, ce qui a appau­vri la diver­sité, car c’est de ces col­lectes que sont par­tis les groupes folk­loriques pour mon­ter leurs spec­ta­cles. Je con­nais bien le phénomène, étant maître de dans­es tra­di­tion­nelles et ayant fait mon mémoire, juste­ment sur ce sujet…
La base de la danse est une danse de cou­ple, sans . C’est une danse de séduc­tion. L’homme et la femme se dépla­cent en agi­tant leur mou­choir (foulard). Dans la pre­mière par­tie, la femme rejette les avances de l’homme, mais, dans la sec­onde, elle se fait plus tolérante et finale­ment se laisse con­quérir.
Les deux par­ties sont donc dis­tinctes. Dans la pre­mière, l’homme est entre­prenant, il mobilise son foulard et essaye d’at­tir­er l’at­ten­tion de la dame. La femme est pudique, se masque le vis­age, n’ac­cepte pas l’in­vi­ta­tion. Elle donne même sou­vent le dos à la fin de la pre­mière par­tie. Dans la sec­onde par­tie, en revanche, elle devient plus entre­prenante et accepte les avances. Sou­vent, les danseurs jouent les deux par­ties de la même façon, ou toute la durée est en séduc­tion réciproque, ce qui est à mon avis une petite trahi­son de l’e­sprit de cette danse.
D’autres la dansent comme si c’é­tait une choré­gra­phie de coun­try, mais c’est une autre his­toire…

Je pen­sais vous faire un petit cours de zam­ba et me suis plongé dans ma bib­lio­thèque à la recherche de quelque manuel d’où je pour­rais tir­er des élé­ments utiles. Las, ces petits dessins sem­blent telle­ment com­pliqués à com­pren­dre que j’ai aban­don­né l’idée.
Je vais juste vous men­tion­ner les fig­ures de la forme la plus courante à Buenos Aires, qui est très loin d’être l’en­droit où elle se danse le plus, mais dans les milon­gas, il y a sou­vent un inter­mède de folk­lore com­por­tant chacar­era et zam­ba et comme vous me suiv­ez pour le tan­go, vous avez cer­taine­ment une atti­rance pour cette ville.
Les phras­es musi­cales sont de 8 temps. Elles don­nent la durée des « fig­ures ».
L’in­tro­duc­tion. On peut frap­per dans les mains.
La pre­mière vuelta. Elle com­mence avec le chant (quand c’est une zam­ba chan­tée, bien sûr). À la fin de la pre­mière phrase, on a un échange de place avec sa parte­naire. À la fin de la sec­onde, on est ren­tré dans une sorte de spi­rale et on s’ar­rête, on change de direc­tion (arresto) au début de la troisième phrase et on revient au point de départ en faisant l’escar­got à l’en­vers.
On revient au cen­tre et ont fait trois arrestos (ce qui donne l’im­pres­sion que les parte­naires se tour­nent autour), puis ont revient au point de départ.
La musique change de tonal­ité, de car­ac­tère. Cela annonce le dernier escar­got.
Et sur la dernière phrase, le cou­ple se réu­nit au cen­tre (la femme dos à l’homme dans la pre­mière par­tie et de face et com­plice dans la sec­onde).
Je pense que vous n’au­rez rien com­pris, ce n’est pas grave car en admet­tant que vous ayez com­pris la choré­gra­phie, il vous resterait à acquérir la manip­u­la­tion du foulard et c’est tout un autre univers. Toute­fois, pour le foulard, on peut amélior­er son jeu en jouant l’his­toire de la danse. Dans la pre­mière par­tie, l’homme cherche à capter l’at­ten­tion et la femme se cache et rejette, dans la sec­onde, ils s’ac­cor­dent et peu­vent enlac­er les foulard, se caress­er avec…

La siete de abril

Le titre peut sem­bler est une date (7 avril). On se demande alors immé­di­ate­ment qu’à cette date par­ti­c­ulière pour qu’on en fasse une zam­ba (ou même une chan­son).
Une date prob­a­ble est le 7 avril 1840, où Mar­cos Avel­lane­da qui dirigeait une insur­rec­tion (la Ligue du Nord) a per­du la tête qui a été exposée par l’ar­mée de Rosas sur la place cen­trale de San Miguel de Tucumán.
La défaite de l’in­sur­rec­tion a eu lieu à Famail­lá, mais Avel­lane­da s’est enfuit vers le Nord et il se peut que ce soit sur l’emplacement de 7 de Abril qu’il a été rat­trapé et décapité.

Cette local­ité qui compte aujour­d’hui un mil­li­er de per­son­nes s’é­tait dévelop­pée à prox­im­ité d’une sta­tion de chemin de fer des­tinée à trans­porter vers des lieux plus peu­plés, la canne à sucre pro­duite ici et le bois récolté dans les bois avoisi­nants.

Quoi qu’il en soit, il est dif­fi­cile de faire le lien entre cet événe­ment sanglant et la zam­ba. Il reste deux hypothès­es. La belle est de 7 de Abril, où il s’ag­it d’un 7 de Abril, date d’une ren­con­tre et donc, une date plutôt d’or­dre privé.
Tournons-nous du côté des paroles pour voir si on a d’autres pistes.

Les paroles

Il y a en fait divers­es paroles. La ver­sion la plus courante aujour­d’hui est celle de Pedro Evaris­to Díaz sur la musique déposée par Andrés Aveli­no Chaz­arreta.

Triste y con penas me voy
Voy can­tan­do mi can­ción
{Bus­can­do con­sue­lo en una zam­ba
Porque me ha pedi­do el } bis
Lejos se escucha una (mi) voz
Y ella dice en su can­tar
{En aque­l­las noches silen­ciosas
Can­to porque aliv­io mi pesar} bis
Estri­bil­lo
Otros andarán por ahí
Igual­i­tos como yo
{Can­tan­do triste sus penas
Zam­ba sos mi can­ción} bis

Como el per­fume de flor
Suave, acom­pasa­da sos
{Has hecho bailar a muchos criol­los
Hacien­do vivir la tradi­ción} bis
Tus melodías quizás
Siem­pre han sido para mí
{La que muchas noches he soña­do
Y así la nom­bré siete de abril} bis

Andrés Aveli­no Chaz­arreta Letra : Pedro Evaris­to Díaz

Si vous voulez con­naître d’autres ver­sions, mais qui ne don­nent pas plus d’indi­ca­tion sur l’o­rig­ine, vous pou­vez con­sul­ter cet excel­lent arti­cle :

https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Ver­sion archivée au cas où la page deviendrait indisponible : https://web.archive.org/web/20220909213526/https://raicesmusical.blogspot.com/p/zambas-y-sus-versiones.html

Traduction libre

Triste et chargé de peine je m’en vais
Je m’en vais en chan­tant ma chan­son
Cher­chant du récon­fort dans une zam­ba
{Parce que mon cœur me l’a demandé} bis
Au loin s’en­tend une voix
Et elle dit dans sa chan­son
{Dans ces nuits silen­cieuses
Je chante pour alléger mon cha­grin} bis
Refrain
D’autres vien­dront par là
Tous égaux, comme moi
{Chan­tant tris­te­ment leurs peines
Zam­ba tu es ma chan­son} bis

Comme le par­fum de la fleur
Tu es douce et ryth­mée
{Tu as fait danser beau­coup de criol­los
Faisant revivre la tra­di­tion} bis
Tes mélodies peut-être
Ont tou­jours été pour moi
{Celle dont j’ai rêvé de nom­breuses nuits
C’est ain­si que je l’ai nom­mée 7 avril} bis

Alors, allez-vous danser la zamba ?

Comme DJ, j’adore voir les danseurs danser une belle zam­ba. Ce plaisir est rare en Europe, alors j’e­spère que vous vous y met­trez, pour me faire plaisir, mais surtout pour vous faire plaisir.
J’es­saye tou­jours de plac­er un inter­mède de folk­lore dans les milon­gas que j’anime. En Europe, ça a rarement du et ça se ter­mine en , mais désor­mais, la chacar­era est bien ren­trée dans les mœurs. La zam­ba, c’est un peu plus dif­fi­cile, mais j’ai eu quelques occa­sions, donc celle qui m’a servi pour la pho­to de cou­ver­ture où deux danseurs français ont réal­isé une très belle zam­ba. Ils se sont retrou­vés seuls sur la piste, mais ils ont pro­duit une vive émo­tion et je suis sûr que cela a don­né une petite envie à cer­tains.
L’an dernier à Tarbes, j’ai aus­si pu faire danser quelques cou­ples sur une zam­ba.

Une autre zamba pour vous décider à la danser, par Argentino Luna

Il existe des cen­taines de Zam­bas, cha­cune dans de nom­breuses ver­sions. C’est un champ immense.

Gal­li­tos del aire par Argenti­no Luna. Les Gal­li­tos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.

Les Gal­li­tos del Aire (petits coqs de l’air) sont les foulards.

À Buenos Aires, cette ver­sion plaît beau­coup.

Je vous en donne les paroles et leur tra­duc­tion, car ce titre décrit exacte­ment la danse et son sen­ti­ment.

Paroles de Gallitos del aire

Comen­zó la zam­ba y con el pañue­lo
Te invité a bailar­la y fue como un ruego
Cuan­do te acer­caste, casi sin alien­to
Con mucha vergüen­za, dijiste baile­mos
Y así comen­zamos a bailar la zam­ba
Ponien­do en el baile, el cuer­po y el alma

La Luna traviesa bril­l­a­ba en tu pelo
Yo te pre­sen­tía palo­ma en ace­cho
En la media vuelta me puse a tu lado
Bus­can­do tus ojos, mis ojos jugaron
Giraste y te fuiste, tími­da y calla­da
Tem­blorosa­mente bai­lan­do la zam­ba

Una vuelta entera, nos puso de frente
Mis labios desea­ban tus labios ardi­entes
Gal­li­tos del aire fueron los pañue­los
Que en blan­co y celeste pin­taron el cielo
Ya la media zam­ba mar­ca­ba el final
Y yo pre­sen­tía tus ganas de amar

Se va la segun­da, dijo el musi­quero
Y yo enam­ora­do seguía tu vue­lo
Pre­sen­tí tus miedos casi con asom­bro
Mien­tras me mirabas por arri­ba del hom­bro
Con la mano izquier­da me toque el som­brero
Como pa’ decirte aquí voy de nue­vo

Lo demás fue un juego de amagues y esquives
Un tan­tear de cer­ca, tu cuer­po de mim­bre
For­man­do un arresto, mi pañue­lo blan­co
Lo entre­lazó al tuyo que and­a­ba volan­do
Y fue con el baile, vio­lín y gui­tar­ra
La noche más noche, la zam­ba más zam­ba

Una vuelta entera nos puso de frente
Mis labios desea­ban tus labios ardi­entes
Gal­li­tos del aire, fueron los pañue­los
Que en blan­co y celeste pin­taron el cielo
Mi pañue­lo blan­co te tra­jo hacia mí
Y tú enam­ora­da dijiste que sí

Argenti­no Luna

Traduction libre de Gallitos del aire et indications

La zam­ba a com­mencé et avec le foulard
Je t’ai invitée à la danser et c’é­tait comme une prière
Quand tu t’es approchée, presque essouf­flée
Avec beau­coup de honte, tu as dit, dan­sons
C’est ain­si que nous avons com­mencé à danser la zam­ba
Met­tant dans la danse corps et âme

La lune coquine bril­lait dans tes cheveux
J’ai sen­ti que tu étais une colombe traquée
Dans la media vuelta (fig­ure de la zam­ba), je me tenais à ton côté
Mes yeux jouant à chercher tes yeux
Tu t’es retourné et tu es par­tie, timide et silen­cieuse
Dansant la zam­ba en trem­blant

Un vuelta entera (fig­ure de zam­ba, tour entier), nous a mis face à face
Mes lèvres désir­aient tes lèvres brûlantes
Les coqs de l’air étaient les foulards
Qui en blanc et bleu céleste ont peint le ciel. (Ce sont les couleurs de la ban­dera argen­tine. Les femmes ont tra­di­tion­nelle­ment le foulard céleste et les hommes le blanc. Les foulard sont agités en l’air et don­nent l’im­pres­sion de pein­dre le ciel)
Déjà la demi-zam­ba mar­quait la fin
Et j’ai pressen­ti ton désir d’aimer. (C’est la fin de la pre­mière par­tie. Le danseur rac­com­pa­gne la femme et la sec­onde par­tie com­mence).

La sec­onde démarre, dit le musi­cien (il annonce la sec­onde par­tie)
Et moi, amoureux, j’ai suivi ton vol
J’ai sen­ti tes craintes presque avec éton­nement
Alors que tu me regar­dais par-dessus ton épaule
De ma main gauche, j’ai touché mon cha­peau
Comme pour te dire que je reviens.

Le reste n’é­tait qu’un jeu de feintes et d’esquives
Une sen­sa­tion de prox­im­ité, ton corps en osier
For­mant une arresto (fig­ure de la zam­ba con­sis­tant à chang­er de sens, comme une sim­u­la­tion de court après-moi que je t’at­trape), mon foulard blanc
Je l’ai entrelacé avec le tien qui allait, volant
Et ce fut avec la danse, le vio­lon et la gui­tare
La nuit la plus nuit, la zam­ba la plus zam­ba

Un tour entier nous a mis face à face
Mes lèvres désir­aient tes lèvres brûlantes
Coqs de l’air, c’é­taient les foulards
Qui en blanc et bleu clair ont peint le ciel
Mon foulard blanc t’a amené jusqu’à moi
Et toi, énamourée, tu as dit oui.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Alberto Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)

Qui ne s’est jamais lais­sé emporter dans le tour­bil­lon de cette valse chan­tée par Fran­cis­co Fiorenti­no et le ban­donéon d’Ani­bal Troi­lo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait atten­tion au ten­dre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en trem­blant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troi­lo et Fiorenti­no ont enreg­istré 73 titres, dont 4 en duo avec Alber­to Mari­no.
Ce sont qua­si­ment tous des suc­cès au point que cer­tains DJ ne passent pour les Troi­lo chan­tés, que des ver­sions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anec­dotes de tan­go de ces derniers jours, vous avez pu lire les arti­cles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Ani­bal Troi­lo C Edmun­do Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orques­ta Aníbal Troi­lo con Flo­re­al Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enreg­istré par Troi­lo et Fiorenti­no, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito ami­go 1943-03-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alber­to Hilar­i­on Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamo­ra, ou plus pré­cisé­ment à Pueblo de la Paz puisque c’é­tait le nom du vil­lage à l’époque de la nais­sance d’Al­ber­to. Main­tenant, c’est englobé au sud-ouest du grand . Un milieu plutôt rur­al à l’époque et cela a sans doute influ­encé ses choix musi­caux, sou­vent ori­en­tés vers ce que l’on appelle main­tenant le folk­lore, la valse du jour est en effet un (vals est mas­culin en espag­nol). Il a écrit en plus des tan­gos, des gatos, des chacar­eras, comme La choy­ana que Gardel a chan­té avec Raz­zano, mais aus­si des can­dom­bés comme Ser­afín enreg­istré par exem­ple en 1998 et 2003 par Juan Car­los Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le com­para­it à celui de Gardel et Raz­zano. Ain­si la revue El Can­ta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indi­quait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insur­pass­able Gardel-Raz­zano, le meilleur qui reste pour inter­préter notre muse sen­ti­men­tale et pop­u­laire est indis­cutable­ment l’ex­quis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’au­teur des paroles, Char­rúa (Gual­ber­to Gre­go­rio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Char­rúa, vient du peu­ple Char­rúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’En­tre-Rios (frontal­ière avec l’U­ruguay) et au Brésil.
Ses pen­chants pour la rural­ité peu­vent sans doute trou­ver leur orig­ine dans son ter­ri­toire de nais­sance, mais aus­si dans son activ­ité dans le « civ­il », il était admin­is­tra­teur d’étab­lisse­ments agri­coles du côté de Gen­er­al Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses orig­ines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendi­quer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’o­rig­ine uruguayenne, cepen­dant, ma mère étant orig­i­naire de Buenos Aires, mon mot d’or­dre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authen­tique, ce qui est tra­di­tion­nel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’en­gage pleine­ment à être le meilleur Argentin. »
Son engage­ment pour ce qui est tra­di­tion­nel s’est mon­tré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des Esti­lo (chan­sons folk­loriques typ­iques de la , ce qui explique le pon­cho dont il sera ques­tion dans la valse du jour) et bien sûr les paroles cham­pêtres de la valse du jour.

Extrait musical

Tem­b­lan­do 1944-03-30 — Orques­ta con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est la valse du jour.

Le ban­donéon lance le début de l’in­tro­duc­tion comme un démar­rage dif­fi­cile. Puis à 0 : 15 com­mence le thème par les vio­lons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ain­si de suite, s’al­ter­nent les instru­ments jusqu’à ce que le vio­lon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorenti­no reprend le thème. Il accentue de nom­breux pre­miers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée nor­male). Cela donne l’im­pres­sion de ralen­tisse­ment que con­tred­it ½ temps plus tard la reprise du rythme nor­mal de la valse. Un peu comme un homme qui tourn­erait la maniv­elle d’une voiture anci­enne pour démar­rer le moteur. C’est le même principe que le démar­rage ini­tial du ban­donéon en intro­duc­tion. Cet élé­ment styl­is­tique s’ap­par­ente dans une cer­taine mesure à la valse vien­noise, mais aus­si au vals crio­lo où le ralen­tisse­ment est encore plus mar­qué et le rythme sort com­plète­ment de la régu­lar­ité des trois temps de la valse, comme on peut l’en­ten­dre par exem­ple chez Corsi­ni (voir ci-dessous dans les autres ver­sions).

Les paroles

Lin­da esta­ba la tarde en que la vide,
el patio de su ran­cho aco­modan­do
y aunque (muy) guapo pa’to­do me sen­tía, (y aunque guapo muy guapo me sen­tía)
no pude hablar­la y me quedé tem­b­lan­do.

Esta­ba como nun­ca la había vis­to,
vesti­do livian­i­to de zaraza,
con el pelo vol­ca­do sobre los hom­bros
era una vir­gen que encon­tré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus oja­zos me sigu­ió que­man­do,
dejó la esco­ba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó tem­b­lan­do.

Era el recuer­do del amor primero,
amor naci­do en una edad tem­prana,
como esas flo­res rús­ti­cas del cam­po
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está ocul­to en los adobes
de su ran­cho pater­no tan sen­cil­lo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la pun­ta del cuchil­lo.

Me di vuelta pisan­do despaci­to,
como quien descon­fía de una tram­pa,
envolvien­do recuer­dos y emo­ciones
entre las lis­tas de mi pon­cho pam­pa.

No sé qué me pasó, mon­té a cabal­lo
y me fui (sali) galo­pe­an­do a rien­da suelta,
con todos los recuer­dos y emo­ciones
que en las lis­tas del pon­cho saqué envueltas.

Lin­da esta­ba la tarde en que la vide,
el patio de su ran­cho aco­modan­do.
Y aunque (muy) guapo pa’to­do me sen­tía, (y aunque guapo muy guapo me sen­tía)
no pude hablar­la y me quedé tem­b­lan­do.

Alber­to Hilar­i­on Acuña Letra: Char­rúa (Gual­ber­to Márquez)

Fiorenti­no et Bermúdez chantent ce qui est en gras et ter­mi­nent en reprenant le cou­plet qui est en rouge. En bleu, la vari­ante de Car­men Idal qui chante, comme Corsi­ni, l’in­té­gral­ité des paroles.

libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordon­née et même si je me sen­tais beau en tous points, je ne parvins pas à lui par­ler et je restais trem­blant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue aupar­a­vant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’é­tait une vierge que j’avais ren­con­trée dans la mai­son. (Zaraza est une sorte de Per­cal. Un tan­go de Ben­jamin et Alfon­so Tagle Lara porte ce nom. Et Bia­gi avec Ortiz en a don­né une des meilleures ver­sions en 1941. Acuña l’au­teur de la valse du jour l’a égale­ment chan­té en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons par­lé, avec ses yeux immenses qui me suiv­aient en me brûlant, elle a délais­sé le bal­ai qu’elle tenait à la main, elle voulait me par­ler et elle est restée trem­blante.
C’é­tait le sou­venir du pre­mier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rus­tiques des champs qui nais­sent du jour au lende­main (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout sim­ple et grâce à la cour­toisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’om­bú, c’est le belom­bra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retour­nai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, envelop­pant et émo­tions entre les plis de mon pon­cho de la pam­pa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chan­frein des chevaux. Il enveloppe donc ses émo­tions dans les ban­des blanch­es donc, les rayures de son pon­cho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis mon­té à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les sou­venirs et les émo­tions que j’avais envelop­pés dans les listes de pon­chos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordon­née et même si je me sen­tais beau en tous points, je ne parvins pas à lui par­ler et je restais trem­blant.
Un doc­u­men­taire intéres­sant pour con­naître le pon­cho.

Autres versions

Tem­b­lan­do 1933-09-28 — con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criol­lo). Une belle inter­pré­ta­tion pour ce type de valses folk­loriques.
Tem­b­lan­do 1944 Orques­ta Gabriel Chu­la Clausi con Car­men Idal.

Une jolie ver­sion, chan­tée et presque dans­able. Il est à not­er qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites vari­a­tions, comme cela arrive sou­vent, les chanteurs pren­nent de petites lib­ertés pour mieux coller à leur dic­tion, à l’arrange­ment de la musique, à leur style ou pour actu­alis­er un texte.

Tem­b­lan­do 1944-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est la valse du jour.
Tem­b­lan­do 1944-04-26 — Orques­ta con .

Comme la ver­sion de Troi­lo, celle de com­mence par un ban­donéon qui « démarre ». Les arrange­ments sont assez proches de ceux de Troi­lo. À 1 : 19 com­mence Bermúdez, sa voix est mag­nifique, plus chaude que celle de Fiorenti­no, c’est une superbe ver­sion, injuste­ment estom­pée, à mon avis par celle de Troi­lo qui ne lui est pas sen­si­ble­ment supérieure. À 2 : 25, vous noterez le change­ment de tonal­ité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à pro­pos de Lágri­mas y son­risas).

Par la suite, le thème a été repris à dif­férentes repris­es, par des chanteurs plutôt ver­sés du côté folk­lore, ou par d’autres du côté chan­son, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des ver­sions équiv­a­lentes à celles de Troi­lo ou de Lau­renz. J’en cite cepen­dant quelques-unes, intéres­santes par dif­férents aspects.

Tem­b­lan­do 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rap­pel de vals criol­lo, au milieu d’une inter­pré­ta­tion sous forme de chan­son. Comme beau­coup de chan­sons en valse, cette ver­sion reste dans­able, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Tem­b­lan­do 1976 — Rubén Juárez (a Capela).

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exer­ci­ce du chant a capela. Là, pas du tout ques­tion de danser…

Tem­b­lan­do 1995 — Can­ta Luis Cardei.

Pour ter­min­er en douceur, une ver­sion d’in­spi­ra­tion criol­la. Mal­gré sa très courte car­rière (6 ans, Luis Cardei a pro­duit trois dis­ques et chan­té dans le film La Nube (1998) de Fer­nan­do Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos glo­bos rojos d’Eduar­do Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’en­vers (les voitures et les pié­tons, sauf un, recu­lent, la suite est peut-être moins intéres­sante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

Silencio 1933 ‑03–27 — Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi

Le est , enreg­istré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expi­a­toire » dévoile une des failles de Car­los Gardel, Enfant de France. Je vous invite à décou­vrir ou redé­cou­vrir ce titre chargé d’é­mo­tion et d’.

Une fois n’est pas cou­tume, je vais vous faire voir et écouter une ver­sion dif­férente du tan­go du jour, avant la ver­sion du jour.
Nous sommes en 1932, Car­los Gardel est en France (comme beau­coup de musi­ciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne qua­tre films et dans le dernier de la série, il chante une chan­son dont on ne peut com­pren­dre la total­ité de l’é­mo­tion qu’avec un peu d’his­toire.

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier.

Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Stu­dios de Joinville-le-Pont en octo­bre et novem­bre 1932. Le scé­nario est d’Al­fre­do Le Pera (auteur des paroles de ce titre, égale­ment).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre représen­té dans le film et qui joue la bande-son est la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tan­go de l’âge d’or. On n’en con­naît guère aujour­d’hui qu’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment d’en­reg­istrements pour être sig­ni­fi­cat­ifs et sans doute pas beau­coup plus d’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment de titres pour faire une tan­da, et cela à la con­di­tion de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs, pour cer­tains titres que j’ap­pelle « orphe­lins », je mélange les orchestres pour con­stituer une tan­da com­plète et cohérente. Par exem­ple, la Típi­ca Vic­tor dirigée par Cara­bel­li et l’orchestre de Cara­bel­li. Cela, c’est plus fréquem­ment pour les milon­gas qui sont plutôt défici­taires en nom­bre (moins de 600 milon­gas ont été enreg­istrées entre 1935 et 1955), con­tre presque le dou­ble de valses et qua­tre fois plus de tan­gos. En effet, l’âge d’or du tan­go, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un pat­ri­moine ridicule­ment petit par rap­port à ce qui a été joué et pas enreg­istré.

Sur l’im­age de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’im­age. À sa droite, au pre­mier plan, Le Pera et sur la gauche de l’im­age au pre­mier plan… Car­los Gardel. Les autres sont des per­son­nes de la Para­mount qui a pro­duit le film. La pho­to du cen­tre mon­tre Mateo et Gardel en répéti­tion. À droite, auto­por­trait de Mateo devenu pein­tre…

Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa car­rière prin­ci­pale­ment en France et qu’il s’est recy­clé comme pein­tre futur­iste à la fin des années 30.
On lui doit notam­ment l’ac­com­pa­g­ne­ment orches­tral de trois films inter­prétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arra­bal dont est tiré cet extrait. C’est égale­ment le pianiste qui a le plus accom­pa­g­né Car­los Gardel. Donc, si vous enten­dez chanter Gardel avec un accom­pa­g­ne­ment de piano, c’est cer­taine­ment lui…

Extrait musical

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

Cette ver­sion est par­ti­c­ulière­ment émou­vante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y revien­drons après avoir étudié les paroles.

Les paroles

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme.
La ambi­ción des­cansa.

Mecien­do una cuna,
una madre can­ta
un can­to queri­do
que lle­ga has­ta el alma,
porque en esa cuna,
está su esper­an­za.

Eran cin­co her­manos.
Ella era una san­ta.
Eran cin­co besos
que cada mañana
roz­a­ban muy tier­nos
las hebras de pla­ta
de esa viejecita
de canas muy blan­cas.
Eran cin­co hijos
que al taller march­a­ban.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción tra­ba­ja.

Un se oye.
Peligra la Patria.

Y al gri­to de guer­ra
los hom­bres se matan
cubrien­do de san­gre
los cam­pos de Fran­cia.

Hoy todo ha pasa­do.
Rena­cen las plan­tas.
Un him­no a la vida
los ara­dos can­tan.
Y la viejecita
de canas muy blan­cas
se quedó muy sola,
con cin­co medal­las
que por cin­co héroes
la pre­mió la Patria.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción des­cansa…

Un coro lejano
de madres que can­tan
mecen en sus cunas,
nuevas esper­an­zas.
Silen­cio en la noche.
Silen­cio en las almas…

Car­los Gardel; Hora­cio G. Pet­torossi Letra: Alfre­do Le Pera ; Hora­cio G. Pet­torossi.

Car­los Gardel et Impe­rio Argenti­na chantent la total­ité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Le titre com­mence par un son de cla­iron. Le cla­iron jouant sur trois notes, cet air fait immé­di­ate­ment penser à une musique mil­i­taire (le cla­iron ne per­met de jouer facile­ment que 4 notes et trois autres notes ne sont acces­si­bles qu’aux vir­tu­os­es de cet instru­ment, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lente­ment, comme dans les son­ner­ies aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début…
Gardel reprend à la suite de la son­ner­ie sur le même Mi. Cela per­met de faire la liai­son entre le cla­iron et sa voix, ce qui n’é­tait pas si évi­dent à con­cevoir. Dans la ver­sion de 1932 c’est une trompette et pas un cla­iron qui lance Sol Sol Do et Gardel com­mence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tes­si­ture. La ver­sion de Canaro est donc à mon sens mieux con­stru­ite de ce point de vue et l’usage du cla­iron est plus per­ti­nent.

Silen­cio mil­i­tar – Día de los muer­tos por la patria. Inter­prété par le rég­i­ment de Grenadiers à cheval « Gen­er­al San Martín », escorte prési­den­tielle de la République argen­tine.

On remar­quera que la son­ner­ie « offi­cielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La son­ner­ie aux morts française est assez proche, mais pas iden­tique non plus à celle pro­posée par Canaro. Dis­ons que c’est une son­ner­ie fac­tice des­tinée à don­ner le La. Par­don, le cla­iron ne peut pas jouer de La. Dis­ons qu’il donne le Mi à Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment. L’am­bi­tion se repose.
Bal­ançant un berceau, une mère chante une chan­son bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trou­ve son espoir. (Le chœur de femmes inter­vient sur ce cou­plet).
Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq bais­ers qui, chaque matin, effleu­raient très ten­drement les mèch­es argen­tées de cette déjà vieille aux cheveux blan­chis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’ate­lier en marchant. (L’ate­lier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment, l’am­bi­tion tra­vaille. (L’am­bi­tion passe du repos au tra­vail. Elle pré­pare le com­bat).
Un cla­iron résonne. La patrie est en dan­ger. Et au cri de guerre, les hommes s’en­tretuent, cou­vrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le cla­iron qui résonne).
Aujour­d’hui, tout est fini. Les plantes renais­sent. Les char­rues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant.
Les mus­cles dor­ment, l’am­bi­tion se repose…
Un chœur loin­tain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nou­veaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les âmes…

Les versions

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo.

Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier. C’est le même extrait, qu’en début d’ar­ti­cle, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la son­ner­ie de trompette au début est dif­férente de la son­ner­ie de cla­iron de la ver­sion de Canaro de 1933.

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

C’est le tan­go du jour. Dans la ver­sion du film, il y a deux petites répons­es de Impe­rio Argenti­na, sa parte­naire dans le film, mais qui n’ap­pa­raît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín (trompette).

La parte­naire de Car­los Gardel dans le film Melodía de arra­bal, reprend à son compte le titre. C’est égale­ment une superbe ver­sion à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tan­go du film melodía de Arra­bal. En fait, elle n’y chante que deux phras­es en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enreg­istré en même temps que la bande son du film (octo­bre-novem­bre 1932) et qu’il soit sor­ti en 1933, à l’oc­ca­sion de la sor­tie du film (5 avril 1933 à ), comme les ver­sions de Canaro, qui était tou­jours à l’af­fut d’un bon coup financier.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédi­tion du même enreg­istrement à droite, preuve du suc­cès.

Une autre « erreur du disque est la men­tion d’un cla­iron. Con­traire­ment à la ver­sion Canaro Gardel, c’est de nou­veau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle débute par Si Si Si Do Ré RéRé Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inac­ces­si­bles à un cla­iron. Cela ne peut donc pas être un cla­iron, d’au­tant plus que la sonorité n’est pas la bonne.
Le piano appa­rait pour sa part tar­di­ve­ment, à une minute par une petite fior­i­t­ure sur la res­pi­ra­tion de la chanteuse (de esa viejecita DING — DONG de canas muy blan­cas). Après 1 :11, la gui­tare, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit enten­dre une man­do­line. Le piano ter­mine élégam­ment en faisant descen­dre la ten­sion par un motif léger ascen­dant puis descen­dant.
J’aime beau­coup le résul­tat, Impe­rio a pris sa revanche sur Gardel en nous four­nissant une ver­sion com­plé­men­taire et tout aus­si belle.

Silen­cio 1933-03-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Trois jours après la ver­sion à écouter chan­tée par Gardel, Canaro enreg­istre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite par­tie des paroles. Cela en fait un tan­go de danse. La tragédie des paroles est com­pen­sée par des fior­i­t­ures, notam­ment avant la reprise du début du refrain.

Je ne vous pro­pose pas d’autres ver­sions, même s’il y en a env­i­ron deux douzaines, car avec cet échan­til­lon réduit, on a l’é­mo­tion, l’im­age, l’homme qui chante, la femme qui chante et une ver­sion de danse. La totale, quoi ?
Par­mi les ver­sions que je laisse de côté, des inter­pré­ta­tions de Gardel avec des gui­tares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rou­vrir le dossier et me fâch­er avec mes amis uruguayens, mais je sig­nale tout de même cette page où je présente les argu­ments en faveur d’une orig­ine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas être remis en ques­tion, c’est que Gardel est venu en France à divers­es repris­es, qu’il a vis­ité sa famille française, notam­ment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’é­tant né français, il était soumis à mobil­i­sa­tion pour la « Grande Guerre », celle de 1914–1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échap­per à l’ac­cu­sa­tion de déser­tion. Cepen­dant, lors d’un séjour en France, il a vis­ité les cimetières de la Grande Guerre.
On sent que cela le cha­touil­lait. Le tan­go Silen­cio est un peu son expi­a­tion pour avoir échap­pé à la tuerie de 1914–1918. Tuerie et silence, cela ouvre m’a évo­qué le grand sculp­teur roman­tique, Auguste Préault, juste­ment auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et .

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’il­lus­tra­tion du jour, de par­tir d’une œuvre du sculp­teur français Auguste Préault qui a réal­isé en 1842 cette œuvre pour le mon­u­ment funéraire d’un cer­tain qui est désor­mais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Il m’a paru logique de l’as­soci­er à « Tuerie » du même artiste pour évo­quer la guerre de 1914–1918, même cette œuvre ne relate pas pré­cisé­ment des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provo­ca­trice. D’ailleurs cette œuvre n’a été accep­tée au salon offi­ciel de 1839 que pour mon­tr­er ce qu’il ne fal­lait pas faire pour être un grand sculp­teur. Préault réalis­era la com­mande de Rob­lès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de pur­ga­toire et d’in­ter­dic­tion d’ex­po­si­tion).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été don­né plus tar­di­ve­ment, vers 1867.

Silen­cio. Mon­tage et inter­pré­ta­tion d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Au­guste Préault, avec toute mon admi­ra­tion. Ces œuvres por­tent le même mes­sage que Silen­cio.

Voici les deux œuvres et en prime un por­trait de Préault par le pho­tographe Nadar.

Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Mon­u­ment funéraire de Jacob Rob­lès au Père-Lachaise (Paris). Sur le mon­u­ment funéraire, l’in­scrip­tion en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’o­rig­ine de ce tan­go créé par un « déser­teur ».

La vidéo de fin…

Pour une fois, je vais faire plusieurs entors­es au for­mat des anec­dotes du jour en ter­mi­nant par une vidéo au lieu d’une illus­tra­tion que j’au­rais réal­isée.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une ini­tia­tive de l’a­mi Memo Vilte qui voulait ren­dre un hom­mage à la France en chan­tant ce tan­go qui n’est pas dans son réper­toire habituel de folk­lore argentin.

  1. Je ne suis pas l’au­teur de cette vidéo. C’est notre amie de Paris qui l’a réal­isée à l’ar­rache (c’é­tait totale­ment impromp­tu). Mer­ci à toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extra­or­di­naire, c’est Stel­la Maris, mais vous l’au­rez recon­nue. Muchísi­mas Stel­la.
  3. Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous com­prenez main­tenant pourquoi je préfère être DJ.
  4. La tour Eif­fel s’est mise à scin­tiller pour saluer notre per­for­mance. C’é­tait imprévu, mais on a appré­cié cet hom­mage de la Vieille Dame au tan­go qu’elle a vu naître.

Chacarera pour/for/para tango DJS (Conseils/Tips/Consejos)

Choisir une / Elegir una chacarera / To choose a chacarera

Dans la plu­part des milon­gas portègnes, on pra­tique des dans­es folk­loriques. Depuis une quin­zaine d’an­nées, j’es­saye de pro­pos­er une tan­da de dans les milon­gas que j’anime. La chacar­era com­mence à bien pren­dre et j’ai même eu le bon­heur de voir des zam­bas dan­sées en France.
Pour aider au développe­ment du phénomène, je vous pro­pose quelques con­seils pour choisir des chacar­eras qui ne vont pas dérouter les novices.

In most milon­gas of , folk dances are per­formed.
For the past fif­teen years, I have been try­ing to offer a tan­da of folk­lore in the milon­gas that I do. The chacar­era is start­ing to take well and I even had the plea­sure to see zam­bas danced in France.
To help devel­op the phe­nom­e­non, I offer some tips for choos­ing chacar­eras that will not con­fuse novice dancers.

En la may­oría de las milon­gas porteñas hay bailes tradi­cionales.
Durante los últi­mos , he trata­do ofre­cer una tan­da del fol­clore en las milon­gas que asumo. La chacar­era está empezan­do a tomar bien y tuve el plac­er ver zam­bas baila­do en Fran­cia tam­bién.
Para ayu­dar a desar­rol­lar el fenó­meno, doy acá algunos con­se­jos para ele­gir chacar­eras que no con­fundirán a los prin­cipi­antes.

Animer une chacarera / Guiar a una chacarera / How to help for a chacarera

Animer une chacarera

Lorsque les danseurs sont peu fam­i­liers avec la chacar­era, il est utile de les aider pour que le résul­tat ne vire pas à la pagaille. Voici quelques con­seils.

Annoncer l’intermède de folklore

Il faut laiss­er le temps aux danseurs de se plac­er. Le mieux est de lancer une intro­duc­tion bien mar­quée qui sig­ni­fiera aux danseurs que l’on va danser une chacar­era. Cette intro­duc­tion peut être une intro­duc­tion spé­ci­fique ou le début d’une chacar­era, pas for­cé­ment celle que l’on dansera.
Atten­tion à ne pas laiss­er se dérouler plus que les intro­duc­tions pour éviter que les danseurs plus avancés com­men­cent. On peut met­tre une intro en boucle pour quand les danseurs sont longs à s’or­gan­is­er.

Penser à annon­cer de se munir d’un pañue­lo si on a prévu une dans l’in­ter­mède de folk­lore.

Positionner les danseurs

En général, on place les hommes sur une ligne en face d’une ligne de femmes. Il est sou­vent utile de pro­pos­er que les danseurs se posi­tion­nent à un endroit pré­cis. Par exem­ple : « Les hommes du côté des fenêtres ». Les femmes se posi­tion­neront en face de leur parte­naire.

Si les danseurs sont nom­breux, on peut pro­pos­er de faire deux ou plusieurs lignes. Mais en général, quand ils sont nom­breux, ils savent à peu près s’or­gan­is­er.

Les danseurs sont dans leurs lignes, face à leurs parte­naires. Le DJ peut lancer la musique de la chacar­era qui sera dan­sée.

Annoncer le début « adentro »

Même à Buenos Aires, il est courant d’an­non­cer le début de la danse par « aden­tro ». Si vos danseurs ont lu le guide pour choisir les chacar­eras, ils n’au­ront pas besoin de cette aide, car ils auront écouté l’in­tro­duc­tion. Cepen­dant, beau­coup de musiques de folk­lore con­ti­en­nent l’aden­tro annon­cé par l’orchestre.

Cela me sem­ble donc indis­pens­able de l’an­non­cer, même si l’orchestre le dit, car les danseurs européens ne sont pas tous bien fam­i­liers avec cela.

Cela per­met un départ plutôt franc et le résul­tat d’ensem­ble aura plus de chance d’être har­monieux.

Pour mémoire, voici la choré­gra­phie. On peut annon­cer les dif­férentes phas­es si les danseurs se déca­lent et plus par­ti­c­ulière­ment ce qui est en gras, car c’est le début et l’an­nonce du final. Cela évite que cer­tains com­men­cent trop tard ou ter­mine trop tard…

Voz pre­ven­ti­va: Aden­tro
1º Figu­ra : Avance y retro­ce­so   4 com­pas­es
2º Figu­ra : Giro — 4  Com­pas­es
3º Figu­ra : Vuelta entera — 6 u 8 com­pas­es
4º Figu­ra : Zap­ateo y zaran­deo — 8 com­pas­es
5º Figu­ra : Vuelta entera — 6 u 8 com­pas­es
6º Figu­ra : Zap­ateo y Zaran­deo — 8 com­pas­es
Voz pre­ven­ti­va: Aura
7º Figu­ra : Media vuelta – 4 com­pas­es
8º Figu­ra : Giro y coro­nación   4 com­pas­es

Pour la sec­onde par­tie, on peut en général se con­tenter de aden­tro et aura.

Et après la première chacarera

Si tout s’est bien passé et qu’il y a une bonne par­tie des danseurs sur la piste, on fait en général une sec­onde chacar­era.

Pas de con­signe par­ti­c­ulière. On peut encour­ager le frap­pé des mains en annonçant pal­mas. Pour ma part, je mar­que le rythme avec des claque­ments de langue au micro­phone.

Il me sem­ble moins utile de le faire pour la pre­mière chacar­era, car les danseurs se met­tent en place et on peut avoir des con­signes à don­ner. Cela peut aus­si gên­er pour l’é­coute du nom­bre de com­pas­es (6 ou 8).

Pour la sec­onde, cela me sem­ble utile, car ça per­met d’en­tretenir l’am­biance et d’éviter que les danseurs retour­nent à leur place. On peut aus­si en prof­iter pour encour­ager les timides qui n’ont pas dan­sé la pre­mière chacar­era à rejoin­dre la piste.

En général, on pro­pose tou­jours une chacar­era à 8 com­pas­es pour la pre­mière et si on décide de pro­pos­er une chacar­era à 6 com­pas­es pour la sec­onde, c’est que le niveau est sat­is­faisant, mais il fau­dra veiller à ce que les danseurs ne se lais­sent pas sur­pren­dre en ter­mi­nant trop tard leurs vueltas.

Si on a la chance d’être dans un lieu où les danseurs pra­tiquent aus­si la zam­ba, on ter­min­era l’in­ter­mède de folk­lore par une zam­ba. Le fait d’avoir annon­cé de pren­dre le pañue­lo à l’a­vance per­met de savoir si la propo­si­tion d’une zam­ba est per­ti­nente.

Si per­son­ne ne danse la zam­ba, cela fera une belle

En général, je laisse la zam­ba même s’il n’y a qu’un ou deux cou­ples. Cela fait un peu démo, mais c’est une façon d’en­cour­ager le développe­ment de cette danse mag­nifique.

Michèle et Christophe, deux danseurs ayant dan­sé mag­nifique­ment une zam­ba dans une que j’an­i­mais. Sûr qu’ils ont créé des voca­tions car depuis, je passe un peu plus de zam­bas…