Ce titre sympathique, connu par les frères Canaro, a quelques particularités qui peuvent faire hésiter un DJ de le passer en milonga. Voyons si ces scrupules sont justifiés. Nous allons traiter en parallèle les deux enregistrements, celui de Juan et celui de Francisco, tous les deux de 1935.
Tout d’abord, la version de Juan. C’est lui l’auteur de la musique et il l’a enregistré un 3 mai, date anniversaire de cet article.
Version de Juan Canaro
Sueño de muñeca 1935-05-03 — Orquesta Juan Canaro con Alejandro Fernández (Rafael Vicente Cisca).
On est frappé par la très longue introduction, comme si l’on se préparait au sommeil et presque à une minute, le rêve démarre, s’exprimant sur un mode mineur. On remarque quelques petits sursauts qui évoquent la ranchera (ou la mazurka). L’orchestration est assez simple et la voix de Alejandro Fernández ressort bien au-dessus des instruments.
Francisco a donc enregistré sa version une semaine avant son frère.
À l’époque, les deux frères n’étaient plus aussi proches, Juan avait quitté l’orchestre de Francisco depuis cinq ans. L’introduction est encore longue avec 40 secondes. Un faux départ à 30 secondes prépare les danseurs à la « valse ». C’est une petite fantaisie proposée par Francisco. On remarque tout de suite que l’orchestration est beaucoup plus poussée chez Francisco. Les instruments, plus nombreux, sont diversifiés et différenciés. Même si on n’échappe pas au marquage pesant des temps évoquant la mazurka ou la ranchera, les dialogues entre les instruments apportent une note de variété qui enlève la monotonie. En général, cette version sera préférée à celle de Juan, même si elle accentue encore plus le caractère de la ranchera.
Paroles
En el jardín de la ilusión Dormida vi bajo el rosal, A la mujer de tentación Que presintió mi madrigal.
Tenía los cabellos de oro y sol Un cuerpo de muñeca escultural, Mejillas con colores de arrebol Diosa y flor virginal.
Por verla y admirarla me acerqué Y el hombre más dichoso me sentí, Pues viendo que soñaba la escuché Y al soñar, decía así:
Tú serás mi dulce amor El príncipe que soñé, Te brindo mi candor Y sólo para ti seré. Ven mis ansias a calmar Y en pago de tu amor, En mí, mis besos lograrás Con pasión, Te adora hasta morir Mi amante corazón. Juan Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco
Dans le jardin de l’illusion, j’ai vu, endormi au pied du rosier, la femme de la tentation qu’avait imaginée mon madrigal.
Elle avait des cheveux d’or et de soleil, un corps de poupée sculpturale, des joues avec des couleurs de coucher de soleil (arrebol est un mot poétique désignant la couleur des nuages éclairés par le soleil couchant), déesse et fleur virginale. Pour la voir et l’admirer, je me suis approché et je me suis senti l’homme le plus heureux. Puis, voyant qu’elle rêvait, je l’ai écoutée et, dans son rêve, elle parlait ainsi : Tu seras mon doux amour, le prince dont j’ai rêvé, je t’offre ma candeur et je serai seulement à toi. Viens calmer mes désirs et, en retour de ton amour, en moi, tu obtiendras mes baisers, avec passion. Je t’adore à mourir, mon cœur aimant.
Les angoisses du DJ
Les deux versions provoquent les angoisses du DJ pour deux raisons.
Première angoisse des DJ, une introduction très longue
La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes.
La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes. C’est long, très long, surtout quand on fait des tandas de trois titres…
De si longues introductions sont donc assez difficiles à utiliser. Le DJ devrait prévenir les danseurs et leur indiquer la durée de l’introduction. C’est d’autant plus important que ces introductions ne permettent pas de deviner le style des musiques. En annonçant à l’avance une valse, pour un premier titre de tanda, cela laisse le temps aux danseurs de bien inviter.
Cependant, dans beaucoup de cas et toujours quand ce type de titre est placé au milieu d’une tanda, on coupera l’introduction. Pour la version de Francisco, on pourra garder le faux départ, comme un élément de jeu avec les danseurs.
Les DJ bavards peuvent profiter de ces introductions généreuses pour donner des indications. Les autres pourront assister au désarroi des danseurs qui ne savent sur quel pied ils vont devoir danser…
Seconde angoisse des DJ, un style hésitant
Vous l’aurez remarqué, les deux versions, même si elles ont bien un rythme à trois temps, présentent des petits bonds suivis de courtes pauses, typiques de la ranchera ou de la mazurka.
Cet élément n’est pas très propice à la valse, car il casse la dynamique.
Le DJ devra donc juger, en fonction des compétences des danseurs, si cela va être apprécié ou honni par les danseurs.
La quasi-totalité des bons danseurs est incapable de réaliser une valse agréable sur une ranchera très marquée. En revanche, les danseurs plus moyens pourront s’en accommoder plus facilement, car ils sont moins concernés par le respect de la musique.
Dans le cas de ces « valses », les accents de ranchera ne sont pas trop marqués et on pourra tenter de les passer. Cependant, il y a tant de valses parfaites pour cela que ce n’est pas forcément pertinent de prendre des risques.
Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)
Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas. En France, certains danseurs de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ». Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…
Écoutes
Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo… https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.
Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».
Deux mots de l’opéra de Bizet
Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste. L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla. Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla. Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village. L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :
Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramier ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve ! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir, Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve !
Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film “Gayarre” de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844–1890). La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts). Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette histoire était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, “Gayarre” où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.
Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.
Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, “El Canto del Ruiseñor” de 1932 et “Gayarre” de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros succès derrière Carmen.
J’en viens enfin aux versions de Sassone
La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 — Orquesta Florindo Sassone.
C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent. Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/WP/felicia-1966–03-11-orquesta-florindo-sassone/ La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.
Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).
C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.
La canción de los pescadores de perlas 1971 — Orquesta Florindo Sassone.
Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs… Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.
Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à Buenos Aires, dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango “traditionnel”, mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.
Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.
Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?
Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine. Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre. Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons. Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures. Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas. Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux. Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes. Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions. Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie. C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante. Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires. Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs. Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier. C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation. Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués. Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès. Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté. Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles. Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…
Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…
Tango ou pas tango ?
Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.
“Les pêcheurs de perles” classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, merci de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂
Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango. J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/WP/les-styles-du-tango/ Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser. Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques… Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention : “Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple. Les tangos de danse étaient indiqués : “Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá” Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés : “Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”. Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur. Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France. Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels. Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango. On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories : « Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».
Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.
Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique. Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.
Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…
Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt
Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.
Les pêcheurs de perles 1936 — Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975‑1.
Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de “Petit Papa Noël”… N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le plus beau tango du monde, mais aussi :
C’est à Capri
C’était un musicien
Écris-Moi
Le tango bleu
Le tango des jours heureux
Tango de Marilou
Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :
Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 — Tino Rossi Accomp. Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad.
Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?
8 mars, journée internationale (des droits) des femmes
Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une histoire de femmes.
“We can do it” (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.
Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…
Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à New York.
On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués. Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.
Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…
Las mujeres y el amor (Ranchera) 1934-08-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.
Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).
Les origines du tango et les femmes
Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse. Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre. Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango canyengue évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de contact. Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour Lo de Laura. Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme. Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.
Les femmes comme source d’inspiration
Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.
Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro (Agustín Bardi Letra : José de la Vega).
Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.
Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.
Les femmes danseuses
Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…
Carmencita Calderón et Benito Bianquet (El Cachafaz) dansent El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal, dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.
Les femmes et la musique
La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison. Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.
Les femmes musiciennes
Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango. Francisca Bernardo, plus connue sous son pseudonyme de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.
Paquita Bernardo (1900–1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.
Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par Juan Carlos Cobián.
Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.
L’enregistrement acoustique ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…
Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.
La enmascarada 1924 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Francisco García Jiménez.Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Eugenio Cárdenas.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.
Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).
Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.
Les femmes auteures
María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.
María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.
Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre… Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.
El malevo 1928 — Rosita Quiroga con guitarras.
Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître. Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.
La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.
Ada Falcón 1905–2002
Amanda Ledesma 1911–2000 à la fois actrice et chanteuse
Anita Palmero 1902–1987
Azucena Maizani 1902–1970
Dorita Davis 1906–1980
Eladia Blázquez 1931–2005
Elba Berón 1930–1994 (à gauche) et Rosita Berón 1933–2001 (Las Hermanas Berón en 1954)
Flora Gobbi Flora Hortensia Rodríguez de Gobbi 1883–1952 Ici avec son mari
Imperio Argentina 19102003
Libertad Lamarque 1908–2000 Chanteuse et actrice dans une vingtaine de films
Linda Thelma Ermelinda Spinelli 1879–1939
Lita Morales enregistrements entre 1937 et 1956
Maruja Pacheco Huergo 1916–1983
Mercedes Simone 1904–1990
Nelly Omar 19011–2013 une belle longévité avec plus de 100 années de vie
Nina Miranda 1925–2012
Olga Delgrossi 1932-
Rosita Quiroga Rosa Rodríguez Quiroga de Capiello née entre 1896 et 1901–1984
Sabina Olmos 1913–1999
Sofía Bozán 1904–1958
Susana Rinaldi 1935-
Tania 1908–1999 Chanteurse et actrice
Tita Merello 1904–2002
Virginia Luque 1927–2014
Dédicace
Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes. À bientôt, les amis !
La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro.La joyeuse troupe des amis de Gerardo Hernán Matos Rodríguez défile sur la couverture de droite. Ils sont cités en haut de la partition. À droite Gerardo Hernán Matos Rodríguez devant sa partition chez un éditeur de partitions. On notera que les joyeux fêtards sont remplacés par une femme masquée. Le masque peut évoquer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aussi évoquer une voilette de deuil, celui qu’évoque Gerardo Hernán Matos Rodríguez dans sa version des paroles.
Les cumparsitas de Canaro
La cumparsita 1927-02-17 — Orquesta Francisco Canaro.
Comme on peut s’y attendre avec Canaro, surtout en cette année, il s’agit d’une version bien canyengue avec de très beaux passages. À partir de 27 s des petits motifs de flûte rendent cet enregistrement plus léger. Puis, le violoncelle enchaîne un très beau solo, accompagné par les violons en pizzicati. Le chant du violon pour terminer les 30 dernières secondes est également sublime.
La cumparsita 1929-04-17 — Orquesta Francisco Canaro.
On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fioritures de la flûte sont désormais effectuées par le bandonéon qui, à un joli solo à partir d’une minute. Même durant le solo de violon, le bandonéon virtuose continue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’arrivée de Federico Scorticati et Ciriaco Ortiz dans l’orchestre.
La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
On retrouve le bandonéon virtuose de la version de 1929, avec les mêmes bandonéonistes et un résultat très, très proche.
La cumparsita (Si supieras) 1951-11-29 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.
Cette version est assez tonique et brillante avec un tempo bien marqué. On notera que les fioritures sont aussi exécutées partiellement au piano et pas seulement au bandonéon et le retour de la flûte. La jolie voix, profonde de Mario Alonso apporte un final original, presque à la Caló…
La cumparsita (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con María de la Fuente.
C’est une version du frère de Canaro, Juan mais je la trouve intéressante à connaître, même si ce n’est pas une version de danse. Elle a été enregistrée au Japon, pays passionné par cette musique, comme nous le verrons avec les enregistrements de Francisco. C’est une des versions intégralement chantées (et parlée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Contursi et Maroni que vous pouvez retrouver dans cette autre anecdote.
La cumparsita 1955-01-31 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Là, les musiciens semblent pressés d’arriver à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de précipitation. Je ne proposerais sans doute pas cela en bal.
La cumparsita 1959-04-29 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Avec cette version, Canaro, corrige le tir et l’impression de précipitation a disparu. Il y a tellement de versions de la cumparsita que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en première tanda, elle peut faire l’affaire, car elle permet de rester avec le Pirincho et de mettre des tangos sympathiques pour terminer la tanda. Cependant, ces versions me semblent moins surprenantes et riches que les premières.
La cumparsita (en vivo) 1961-12-01 — Orquesta Francisco Canaro.
Encore un enregistrement au Japon, avec les applaudissements à la fin. Là, Canaro s’approche du style martelé de D’Arienzo. Là encore le bandonéon vibrant chatouille les oreilles. Comme c’est un enregistrement public au théâtre Koma de Tokio, il y a une émotion que n’ont pas toujours les enregistrements de studio.
La cumparsita 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro.
On termine avec un dernier enregistrement au Japon, cette fois, au studio Kojimachi de Tokio. Il est intéressant de comparer avec la version également enregistrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me semble moins « habitée ». Le violon est plus discret et le bandonéon un peu moins lumineux. Le rythme est marqué de façon un peu plus discrète, avec un piano plus présent. J’aurais donc tendance à privilégier la version live…
Canaro mourra trois ans plus tard sans enregistrer d’autre comparsita, mais il est intéressant de voir son évolution sur 34 années. À bientôt, les amis !
J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. “El día que me quieras” (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…
Extrait musical
El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même. On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano. J’aime bien et dans une milonga où les danseurs seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.
Paroles de Ramón C. Acevedo
Yo quisiera tenerte entre mis brazos Y besarte en tu boca sin igual, Yo quisiera prodigarte mil abrazos Mujer esquiva de rostro angelical.
Tu sonrisa altanera y orgullosa Tu mirada quisiera doblegar, Y que aun, negándome besara Con un beso, sublime y sin final. Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo
Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo
J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille, Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.
Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre. Tout d’abord, réécoutons le tango du jour, qui est le plus ancien titre…
El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.
Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con Luis Díaz.
Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très marqué.
Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El boliche del Turco no tendrá ni un cohete, el piberío del hueco los hará estallar, la cantina del “Beppo” abrirá los espiches y todo el “Grevanaje” en curda dormirá. La farra, el capuchino tomará el chocolate, ese día yo banco con mi felicidad y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga hará un tango canyengue con la marcha nupcial.
A tu hermano el tarasca compraremos botines, al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar, y al menor, al checato, dos docenas de anteojos y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar, a tu vieja diez cajas de pastillas de menta, a tu viejo toscanos para reventar, y el globo luminoso que tiene la botica a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.
El bañao de la esquina será un lago encantado y las ranas cantantes en la noche un jazz-band, el buzón de la esquina el Pasaje Barolo, la cancel‘e tu casa, la escala celestial. El día que me quieras, pebeta de mi barrio, toditas mis ternuras pa’vos sólo serán, aunque llore a escondidas mi viejecita santa que al extrañar mis besos tendrá unas canas más. Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser, la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront. La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.
Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.
Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste. Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.
Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
El día que me quieras 1935-03-19 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.
Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Acaricia mi ensueño el suave murmullo de tu suspirar, ¡como ríe la vida si tus ojos negros me quieren mirar! Y si es mío el amparo de tu risa leve que es como un cantar, ella aquieta mi herida, ¡todo, todo se olvida!
El día que me quieras la rosa que engalana se vestirá de fiesta con su mejor color. Al viento las campanas dirán que ya eres mía y locas las fontanas me contarán tu amor. La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá…¡que eres mi consuelo!
Recitado: El día que me quieras no habrá más que armonías, será clara la aurora y alegre el manantial. Traerá quieta la brisa rumor de melodías y nos darán las fuentes su canto de cristal. El día que me quieras endulzará sus cuerdas el pájaro cantor, florecerá la vida, no existirá el dolor…
La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá… ¡que eres mi consuelo!
Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera
Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir, Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder ! Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson, Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !
Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur. Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour. La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Récité : Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies, L’aube sera claire et la source joyeuse. La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal. Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes, La vie fleurira, la douleur n’existera pas…
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)
“El día que me quieras”, dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.
Autres versions du thème composé par Gardel
Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.
El día que me quieras 1948-05-11 — Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.
Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.
El día que me quieras 1955-06-30 — Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…
El día que me quieras 1968 — Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.
El día que me quieras 1972 – Trio Hugo Díaz.
Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…
El día que me quieras 1977-06-14 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.
El día que me quieras 1978 — María Amelia Baltar.
Une version expressive par la compagne de Piazzolla.
El día que me quieras 1979 — Alberto Di Paulo y su Orquesta Especial para Baile.
Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).
El día que me quieras 1997 — Enrique Chia con Libertad Lamarque.
Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?
Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !
Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Même si Pedro Laurenz et Juan Carlos Casas ont enregistré dix tangos, la plupart du temps, dans les milongas, seuls quatre de ces titres sont diffusés par les DJ. Ces titres le méritent, mais cela occulte les autres enregistrements qui peuvent permettre de faire des tandas plus intéressantes. En effet, les titres habituels sont tellement proches qu’on a l’impression de danser plusieurs fois le même titre.
Extrait musical
Partition de Puro puapo, version Laurenz et Meaños.De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.
Deux accords au piano d’Héctor Grané, puis l’appel qui fait se souvenir que Laurenz était bandonéoniste (ici, accompagné au bandonéon par Ángel Domínguez et Rolando Gavioli). Avec le complément de la contrebasse de Alberto Celenza, le rythme très marqué des bandonéons et du piano se continue. Il faut attendre presque une minute pour que les violons s’expriment de façon plus audible et encore, pour quelques secondes. À 1:25 un très beau motif du violoniste Mauricio Mise annonce l’intervention de Juan Carlos Casas qui débute à 1:45. La voix parfaitement déliée s’intègre dans le phrasé agressif des bandonéons qui, lorsque Casas termine le seul refrain, reprennent jusqu’au final le rythme puissant.
Paroles
Entre cortes y quebradas, suave rezongué en tu oído todo mi verbo florido que te dijo mi querer. Vos mostraste en tu sonrisa toda tu coquetería, y yo, vencida mi hombría… Yo que siempre supe vencer.
Pa’ conseguir tu cariño quiero jugarme la vida al naipe que me ha gustado… No es la primera partida en que mi resto he jugado… Y si al final copo y gano, —taura soy en la postura— hay un facón, brava mano, coraje y bravura pa’ hacerme valer.
Lo que yo quiero lo tengo, y eso por taura y por guapo… Basta que en un brazo el trapo tenga y en otro el facón… Si no bastan mis hazañas pongo mi coraje a prueba. ¡Nadie ventaja me lleva cuando está en juego tu amor! Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Juan Carlos Casas ne chante que le refrain (en gras).
Traduction libre
Entre cortes y quebradas (figures de tango archaïques), J’ai doucement grommelé dans ton oreille Tout mon verbe fleuri Que t’a dit mon amour. Tu as montré avec ton sourire Toute ta coquetterie (séduction) et moi, ma virilité vaincue… Moi qui avais toujours su vaincre. Pour obtenir ton affection Je veux risquer ma vie à la carte qui m’a plu… Ce n’est pas la première partie dans lequel j’ai joué mon repos… Et si à la fin je bois et gagne, —taura (Caïd), je suis dans la posture — il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tirer le couteau), Courage et bravoure pour me faire valoir. Ce que je veux, je l’ai Et cela par taura et par beau (parce que je suis un caïd et beau)… Il suffit que, dans un bras il y ait le chiffon (étoffe pour protéger. Les gauchos utilisaient leur poncho enroulé sur le bras comme protection) et dans l’autre, le couteau… Si mes exploits ne suffisent pas Je mets mon courage à l’épreuve. Personne n’a l’avantage sur moi Quand est en jeu ton amour !
Autres versions
De puro guapo 1935-07-24 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
On est tellement habitués à entendre la version de Laurenz et Casas, que cette version pesante de Canaro semble d’une antiquité insupportable. De fait, il semble peu intéressant de substituer cet enregistrement à notre tango du jour. Bien sûr, les amateurs de canyengue seront sans doute d’un avis contraire et c’est bien. J’aime la diversité des opinions.
De puro guapo 1935-11-26 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
Enregistré seulement quatre mois plus tard, la version de Lomuto se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la version de Canaro. Quelques libertés des instruments allègent également cet enregistrement. La sonorité est plus proche de celle que produira trois ans plus tard Laurenz.
De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre tango du jour.
Les enregistrements suivants seront instrumentaux et chercheront à proposer de nouvelles directions dans l’interprétation de l’œuvre. Je vous invite à juger de la diversité.
De puro guapo 1966 — Leopoldo Federico y Roberto Grela.
Grela que nous avons entendu tant de fois en duo avec Troilo est ici avec Leopoldo Federico. Le bandonéon de ce dernier et la guitare de Grela nous livrent un titre très intéressant à écouter, foisonnant de créativité.
De puro guapo 1967-11-29 — Orquesta Aníbal Troilo.
La version de Troilo est assez majestueuse. Elle n’est clairement pas destinée à la danse, même si je connais certains qui me contrediront.
De puro guapo 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
Près de 30 ans plus tard, Laurenz remet son titre en jeu. Cette version un peu sautillante ne me convainc pas, mais pas du tout. On a l’impression que les musiciens s’endorment, malgré la présence de la guitare électrique… Le quintette était formé de Pedro Laurenz (bandonéon), Eduardo Walczak (violon), Rubén Ruiz (guitare électrique), José Colángelo (piano) et Luis Pereyra qui a remplacé le bandonéon par la contrebasse.
De puro guapo 1969-09-18 — Orquesta Juan D’Arienzo.
On réveille tout le monde avec cette version de D’Arienzo. Si on reconnaît des éléments de D’Arienzo, cet enregistrement tardif manque sans doute de la puissance que peuvent manifester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arienzo pour produire un son plus « moderne » dénaturent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour constituer une tanda, même si cela reste dansable.
De puro guapo 1972-11-10 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Après les recherches de Troilo, cette version marque une autre étape dans la recherche d’une harmonie particulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arienzo tombaient à plat, autant le résultat de Pugliese apporte un suspens musical qui rend l’œuvre passionnante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une attention soutenue pour profiter de tous ces instants subtils.
De puro guapo 1996 — Quinteto Real.
Puisqu’on a décidé de s’éloigner, au fil du temps du tango de danse, cette version du Quinteto Real s’essaye à une synthèse entre les recherches de Pugliese et l’orchestration de Laurenz. Le résultat, au regard des deux modèles opposés a du mal à convaincre, ou pour le moins à me convaincre.
De puro guapo 2002 — La Furca.
La Furca essaye de maintenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a suscité la merveilleuse version de Laurenz Casas a eu peu de descendance à la hauteur. Je vous propose de terminer ce tour du tango « De Puro Guapo » avec une petite surprise.
Un Puro guapo peut en cacher un autre
Il arrive souvent qu’on demande au DJ un morceau spécifique. C’est généralement le cas pour les démonstrations de danseurs, mais aussi pour les danseurs usuels de la milonga. Souvent (lire, tout le temps), ils sont décomposés quand je leur dis, mais quelle version ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trouvent la version souhaitée. À ce sujet, j’ai eu, en quelques occasions, des danseurs qui m’ont chanté le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trouver le titre est généralement assez facile, mais quand il y a trente versions, il faut faire preuve de perspicacité. Parfois, la difficulté vient de ce qu’un orchestre a enregistré deux tangos du même titre, mais différents. C’est par exemple le cas avec De puro guapo qui existe aussi dans une version écrite par Rafael Iriarte (Rafael Yorio) avec des paroles de Juan Carlos Fernández Díaz. Ce tango a été enregistré par plusieurs orchestres qui ont aussi enregistré la version de Laurenz, par exemple, Francisco Canaro. Mais on se rendra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imaginez le désarroi du couple de danseurs en démonstration si le DJ met le mauvais tango. Le DJ doit savoir poser les bonnes questions et faire écouter le titre aux danseurs , si possible, et les danseurs devraient s’assurer de la version qu’ils souhaitent utiliser en donnant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’enregistrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pouvait enregistrer le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en version de danse et un en version d’écoute…
La couverture de la version de Iriarte et Meaños. Je vous passe les paroles du tango, comme on peut s’en douter en voyant cette illustration, l’histoire est tragique, plus que celle de Laurenz à laquelle elle peut tout de même répondre…
De puro guapo 1927-11-16 — Orquesta Francisco Canaro.
On retrouve le canyengue cher à Canaro. Cette version instrumentale nous dispense de la noirceur des paroles. On remarque que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Laurenz.
De puro guapo 1928-01-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Gardel avec ses guitaristes nous présente cette chanson tragique.
De puro guapo V2 1928-02-02 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.
Deux semaines après Gardel, Fresedo enregistre le titre dans une version destinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…
De puro guapo 1972-12-13 — Roberto Goyeneche con Atilio Stampone y su Orquesta Típica.
Goyeneche nous donne une très belle interprétation de ce titre. Bien sûr, une chanson, bien jolie à écouter et chargée d’émotion.
Comme la version de Laurenz, la version de Iriarte a donné lieu à des interprétations très variées, mais elle n’aura sans doute pas les honneurs du bal, comme la version que Laurenz a enregistrés avec Casas et qui nous ravit à chaque fois.
Bon, laissons les puros guapos à leurs vantardises et méfaits et je vous dis, à bientôt, les amis !
“No te cases” (ne te marie pas), c’est le conseil donné par ce tango composé par Donato avec des paroles de Carlos Pesce. Ceux qui nous connaissent savent que nous n’allons pas suivre cette directive. Cependant, les complexités de l’administration argentine font que nous avons failli baisser les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était confirmé après deux mois de bagarre et deux reports de date.
Extrait musical
Disque Victor 38092. No te cases est sur la face A.
No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Le motif sympathique des bandonéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comptine enfantine. Se succèdent ensuite des successions de passages ordonnés et d’autres plus troublés, comme s’il y avait un débat contradictoire pesant le pour et le contre. À 59 secondes commence la chanson. Lagos chante le refrain avec quelques répliques parlées par un intervenant non identifié qui joue le rôle du futur marié. Est-ce Donato ? Ce n’est pas impossible. Canaro effectue souvent, ce type d’interventions.
Paroles
¡No te cases! ¿A qué valor ? Seguí nomás así, que sos un gran señor. ¡No te cases! ¿Que vas hacer? ¡que peligrá! Ya vas a entrar ¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá! Gordo y feliz como un sultán Pobre de vos ¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí… Sin complicarme con la existencia Si es un placer llegar a fin de mes. Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce
En rouge, les répliques de l’intéressé.
Traduction libre
Ne te marie pas ! À quelle valeur ? Continue comme ça, tu es un grand seigneur. Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel danger ! Tu vas comprendre. Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira ! Gros et heureux comme un sultan, Pauvre de toi Me marier, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ainsi. Et si… Sans me compliquer l’existence Si c’est un plaisir de joindre les deux bouts. (arriver à la fin du mois) Le futur marié qui intervient en réponse, pense que son copain va finalement se marier, même s’il donne le conseil contraire.
Liborio no te cases 1931-04-10 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Un foxtrot adressé à un certain Liborio qui lui donne les mêmes conseils. Rappelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aussi un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Le Liborio en question pourrait être Argentino Liborio Galván (18 ans au moment de cet enregistrement, ou le compositeur moins connu, Augusto Liborio Fistolera Mallié (32 ans au moment de cet enregistrement). Il peut s’agir également d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduardo Armani et René Cóspito (musique), Alfredo Enrique Bertonasco et Domingo L. Martignone (paroles). Le L. de Martignone est pour “Luis”, pas Liborio…
No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor y coro.
Encore Canaro, qui ne voulait pas vraiment se marier avec Ada Falcón, ou plutôt, qui craignait de divorcer de la Française, sa terrible épouse… On peut donc imaginer qu’il se lance le conseil, avec un peu de retard à travers cette jolie valse composée par son frère Rafael Canaro et Oscar Sabino avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.
17 février 2025
Ce n’est pas un événement dans l’histoire du tango, mais, ce jour, Victoria et moi nous marierons à Buenos Aires (Boedo). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comunal 5 ou en visio… Ce bâtiment est le premier de ce type à Buenos Aires. Il marque une volonté de redonner une empreinte verte à la ville.
Le Sede comunal 5 (boedo) avec son mur végétalisé. À droite, la structure des anciens entrepôts Tata a été conservée et utilisée pour fournir de l’ombre dans le parc.La terrasse végétalisée et le système de collecte de l’eau pour l’arrosage du parc adjacent.L’entrée du Sede comunal 5 et le parc.
Notre lieu de mariage est un petit coin de verdure dans la grande ville, à deux pas de notre maison (deux pas ou plutôt 200 mètres). Et pour les curieux d’histoire, ce lieu charmant est le fruit de la lutte des habitants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entrepôts de la compagnie Tata.
Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vraiment plus sympa maintenant.Les habitants manifestant pour obtenir la place et faire obstacle aux projets industriels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boedo, à l’angle de Independencia.
Nous ne suivrons donc pas les conseils de nos précieux aînés…
À bientôt les amis !
Lors de notre dernier passage en France pour le festival Niort Tango (10/2024). Ici, à La Rochelle.
La Shunca est la cadette d’une famille. C’est également une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse planer un petit sous-entendu. Entrons dans la valse et laissons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous mener assez loin des rives de l’Argentine.
Qui est la Shunca ?
Comme nous l’avons vu, la Shunca est la cadette de la famille. Ce terme est d’origine zapotèque, c’est-à-dire d’un peuple d’Amérique centrale et plus précisément du Mexique (région de Mexico), bien loin de l’Argentine. Cela pourrait paraître étonnant, mais vous vous souviendrez que nous avons souvent mis en valeur les liens entre le Mexique et l’Argentine dans d’autres anecdotes et que les musiciens voyageaient beaucoup, pour enregistrer dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur carrière. Les deux auteurs, Lorenzo Barcelata et Ernesto Cortázar, sont mexicains. Par ailleurs, on connaît l’engouement des Mexicains pour la valse jouée par les mariachis et que même Luis Mariano chanta avec son titre, « La valse mexicaine ». Vous avez donc l’origine de l’arrivée de la Shunca dans le répertoire du tango argentin. Nous avons d’autres exemples, comme la Zandunga. Nous verrons que ce n’est pas un hasard…
Extrait musical
La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio.
La valse est instaurée dès le début avec un rythme soutenu, alternant des passages légatos et staccatos. À 42s arrivent l’air principal. À 1:05 Romeo Gavioli commence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Horacio Lagos se lance à son tour pour former un trio avec les deux autres chanteurs. Comme souvent, la fin tonique est constituée de doubles-croches qui donnent une impression de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.
Des duos et trios à gogo
Donato a aimé utiliser des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs identifiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio. Trios Horacio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavioli : Estrellita mía, La Shunca, Luna, Volverás….pero cuándo (valses) Sinfonía de arrabal (tango). Trios+ Horacio Lagos, Lita Morales avec chœur : Mañana será la mía (valse). No se haga mala sangre (polka). Trio+ Félix Gutiérrez, Luis Díaz avec chœur : La Novena (tango) Duos Horacio Lagos, Lita Morales : Carnaval de mi barrio, Chapaleando barro, Sinsabor, Sombra gaucha (tangos) Duos Romeo Gavioli, Lita Morales : Mi serenata, Yo te amo (tangos). Duos Gavioli, Horacio Lagos : Amando en silencio, Lonjazos (tangos) Noches correntinas (valse) Repique del corazón, Sentir del corazón (milongas). Duos Antonio Maida, Randona (Armando Julio Piovani) : Amores viejos, Quien más… quien menos…, Riachuelo, Ruego, Una luz en tus ojos (tangos). Duos Horacio Lagos, Randona (Armando Julio Piovani) : Si tú supieras, Te gané de mano (tangos). Cara negra, Sacale punta (milongas) Duos Hugo del Carril et Randona (Armando Julio Piovani) : Rosa, poneme una ventosa (tango) Mi morena (paso doble) Duo Daniel Adamo et Jorge Denis : El lecherito (milonga) Duo avec Teófilo Ibáñez : Madre Patria (paso doble) Duo Roberto Morel y Raúl Ángeló : T.B.C. (tango) Duo+ Antonio Maida avec chœur : Sandía calada (ranchera) Duo+ Carlos Viván avec chœur : Mamá (tango) Duos+ Félix Gutiérrez avec chœur : La novena, Que Haces! Que Haces! (tango) Duos+ Horacio Lagos avec chœur : Hacete cartel, Hay que acomodarse (tangos) Virgencita (valse) Pierrot apasionado (marche brésilienne) Duo+ Juan Alessio avec chœur : Hola!… Qué tal?… (tango) Duo+ Lita Morales avec chœur : Triqui-trá (tango) Duos Luis Díaz avec chœur : Chau chau, Severino, El once glorioso, Felicitame hermano (tangos) Candombiando (maxixe) Ma qui fu (tarentelle) Ño Agenor (ranchera)
C’est un beau record.
Paroles
La luna se ve de noche, El sol al amanecer, Hay quienes por ver la luna Otra cosita no quieren ver.
Me dicen que soy bonita, Quién sabe porque será, Si alguno tiene la culpa Que le pregunten a mi papá.
Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, las olas que vienen y van, Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, cariño me vas a matar. Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar
Traduction libre et indications
La lune se voit la nuit, Le soleil à l’aube, Il y a certains qui voient la lune Une autre petite chose, ils ne veulent pas la voir.
Ils me disent que je suis jolie Qui sait pourquoi c’est le cas, Si quelqu’un en a la faute Demandez-le à mon papa. (J’imagine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shunca)
Shunca par ci, Shunca par-là, Oh, les vagues qui vont et viennent, Shunca par ici, Shunca par-là, Oh, chéri, tu vas me tuer.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement argentin de ce titre, je vous propose donc de compléter avec des versions mexicaines…
La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.La Shunca 1938 – Las Hermanas Padilla con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shunca par Las Hermanas Padilla avec Los Costeños. On notera la mention “Canción Tehuana” et le nom de Lorenzo Barcelata.
La Shunca 1998 — Marimba Hermanos Moreno García. C’est une version récente, mexicaine.
En 1937, le réalisateur Fernando de Fuentes réalisa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante La Shunca. La Zandunga a été arrangée par divers auteurs comme Lorenzo Barcelata et Max Urban (pour le film), Andres Gutierrez, A. Del Valle, Guillermo Posadas ou Máximo Ramó Ortiz. La Shunca attribuée à Lorenzo Barcelata et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.
La zandunga 1939-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
Dans ces extraits du film La Zandunga, vous pourrez entendre premièrement, La Shunca, puis voir danser la Zandunga. J’ai ajouté le générique du début où vous pourrez de nouveau entendre la Zandunga.
3 extraits de la Zandunga 1937 du réalisateur Fernando de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante la Shunca.
Je pense que vous avez découvert le chemin emprunté par ce titre. Lorenzo Barcelata a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la diffusion du film et des disques, l’air est arrivé en Argentine où Donato a décidé de l’enregistrer. Voici donc, un autre exemple de pont, ici entre le Mexique et l’Argentine.
La superbe valse Corazón de artista, écrite par Pascual de Gullo va nous permettre de découvrir un peu l’univers de Malerba, mais aussi de faire un peu de technique de DJ, sur la construction des tandas et sur d’autres aspects, comme la balance.
Extrait musical
Corazón de artista 1943-01-18 — Orquesta Ricardo Malerba.
Les bandonéons incisifs lancent le titre. Le piano assure les transitions, puis les violons se joignent pour lancer leurs phrases en legato. Le piano a ensuite de beaux passages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (marquage des trois temps en accentuant le premier). Cette description pourrait tout à fait s’appliquer à l’orchestre de D’Arienzo. Nous sommes assez loin du Malerba, qui peut parfois être un peu mièvre. C’est donc une très belle version que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’article.
Cette version est assez différente des deux autres versions que je vous présente dans cette anecdote. Elle est beaucoup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rougir le DJ qui la passera en milonga.
Corazón de artista 1936-11-27 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Que D’Arienzo nous offre une version dynamique n’étonnera personne. Les violons et bandonéons à l’unisson cisaillent la musique, puis les violons lissent le tout dans de longues phrases suaves. Le piano de Biagi réalise les enchaînements avec une confiance qui commence à se voir. L’accélération finale, une fois de plus, réalisée par la subdivision des temps en doubles-croches, permet de terminer dans une valse enthousiaste, sans avoir à modifier le tempo.
Corazón de artista 1943-01-18 — Orquesta Ricardo Malerba. C’est notre valse du jour.
Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?
Est-ce à cause de l’auteur ?
De Gullo est l’auteur principalement de valses. Certaines sont très connues, comme Lágrimas y sonrisas, et notre valse du jour.
Quelques couvertures de partitions de valses de Pascual De Gullo.
Je vous propose ici de vous présenter des versions plus rares.
Amorosa 1930-09-17 — Orquesta Juan Guido.
Cet admirable orchestre est curieusement négligé. On peut le comprendre pour les tangos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exemple, mais Guido a enregistré des perles que je propose parfois en milonga. J’ai même failli le faire à Buenos Aires, cette semaine, j’étais en train de préparer la tanda et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’ambiance de la piste.
Lágrimas y sonrisas 1934-10-20 — Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.
Dommage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tanda que Corazón de artista 1935 du même Pocholo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la vingtaine de valses enregistrées par Pocholo.
Sueño de virgen 1943-12-30 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’auteur qui nous a proposé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros succè, elles ont été assez peu enregistrées. Peut-être qu’un orchestre contemporain serait bien inspiré de fouiller dans ce répertoire au lieu de ressortir toujours les dix mêmes titres.
Est-ce à cause de Malerba ?
Pour pouvoir créer une tanda cohérente, il faut trois ou quatre titres. Pour les valses, on limite assez souvent le nombre à trois titres. Donc, il nous faut trouver deux ou trois valses de Malerba qui puissent aller avec notre valse du jour. Comme il a enregistré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tanda.
Aristocracia 1956-06-01 — Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.Quejas de Montmartre 1956-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.
Cette valse magnifique a été composée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a utilisé ce titre pour son film French Cancan de 1954. Le titre original de la valse est « La Complainte de la Butte ». On le connait par de nombreux chanteurs, dont bien sûr, Cora Vaucaire, qui l’a lancé, puis toujours en 1955, par André Claveau, Patachou et Marcel Mouloudji.
La complainte de la butte dans le film French Cancan de Jean Renoir (1954). Musique de Georges Van Parys et paroles de Jean-Renoir. En deuxième partie, la doublure-voix de Anna Amendola, Cora Vaucaire (La Dame blanche) sur scène en 1956.
Ce sont donc deux valses intéressantes, mais qui ne vont pas ensemble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tanda de ce côté. Continuons de chercher…
La dernière valse en stock a été enregistrée avec le chanteur vedette de Malerba, Orlando Medina. Est-ce enfin une piste intéressante ? Écoutons.
Cuando florezcan las rosas 1943-06-10 — Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina (Ricardo Malerba — Dante Smurra Julio Jorge Nelson).
Je pense que nous sommes d’accord, encore une fois, cette valse est à part, et absolument pas compatible avec notre valse du jour.
En résumé, il est impossible de faire une tanda à partir de la valse Corazón de artista dans la version de Malerba.
Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs
Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres contemporains enregistrent un nombre suffisant de valses ou de milongas pour pouvoir faire des tandas et quand ils le font, ce n’est pas toujours génial à rassembler dans une tanda. Bien souvent, si un DJ faisait la même programmation que certains orchestres, il se recevrait des tomates. Le problème est que les orchestres sont souvent composés de pièces rapportées et qu’ils répètent peu ensemble. Il n’est qu’à voir sur les festivals comment se passe la balance. Cette opération est censée permettre à l’ingénieur du son d’équilibrer les instruments et les retours des musiciens. Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instrument le ou les microphones convenables (généralement indiqués dans la fiche technique de l’orchestre). Une fois raccordés à la console de mixage, on prépare la place des différents instruments. Il ne suffit pas de régler leurs volumes respectifs, il faut également « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mixage soit harmonieux. Sinon, on fait une course à la puissance, sur les mêmes fréquences et la musique est totalement déséquilibrée. Quand un chanteur intervient, par exemple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le compositeur a bien géré les choses, il évitera de mettre un second instrument dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas toujours le cas et vous avez certainement en tête des enregistrements où l’ingénieur du son a baissé exagérément le volume pour dégager la voix, mais cela est fait en enlevant la base musicale dont se servent les danseurs. Dans les prestations en direct, les musiciens vont demander au sonorisateur d’augmenter leur volume, car ils ne s’entendent pas alors que cela vient souvent d’un mauvais réglage des fréquences et d’un mauvais équilibre des retours. Dans un orchestre sans amplification, les musiciens ont leur place si le compositeur et/ou l’arrangeur ont bien effectué leur travail. Le chef gère juste le volume des instruments pour faire ressortir une voix plus que les autres, ou pas. Vous êtes très familiers de ce phénomène et c’est facile à constater en écoutant le même titre par différents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrangements, dans certaines versions, un instrument est au premier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instrument qui est mis en valeur. Un mauvais réglage des retours ou de la balance fait que de nombreuses prestations sont désastreuses pour le public. Les instrumentistes ne s’entendant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frottées jouent faux, ce qui est parfois recherché, mais pas toujours. Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 secondes pour faire la balance, alors que ce serait utile de pouvoir étudier correctement la salle auparavant et d’équilibrer l’égalisation en conséquence. Combien de fois, la balance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répétition et qu’au final, le véritable travail de balance n’a pas été correctement effectué. Parfois, la balance continue alors que le public est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure. A minima, ce serait sympa de la part des organisateurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 minutes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impossible de les avoir. Parois, il n’est même pas possible de tester mes tranches sur la console, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus possible de balancer du bruit rose au volume correct quand il y a déjà le public dans la salle. Contrairement à ce que certains pensent, le travail de DJ est assez complexe, car il faut équilibrer des musiques de sources variées. Pouvoir faire une balance de qualité, c’est l’assurance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’autant plus important quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son correct à son emplacement, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé permet de limiter ce problème, à condition qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 minutes de préparation…
Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?
Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui consiste à pouvoir composer une tanda mixte, c’est-à-dire à partir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tangos, mais, beaucoup plus courant pour les milongas et les valses. Pour les milongas, cela reste assez compliqué, car il y a différents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milongas qui ne vont pas bien ensemble. Cela demande donc un peu de réflexion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beaucoup plus facile. Il suffit d’associer des titres au rythme comparable, de même caractère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Malerba avait des accents qui rappelaient D’Arienzo. Il semble donc évident que chercher à compléter une tanda de valse de D’Arienzo avec ce titre peut être une excellente idée. En tout cas, c’est la direction que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres possibilités. Vous pouvez donner votre avis dans les commentaires.
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité. Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…
Extrait musical
Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées “Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia”. Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz.
Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie. On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques. Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités. Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.
Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.
Don Luis Gondra
Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.
La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana. Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.
Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.
Paroles, deux versions
Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ». Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».
Paroles chantées par Magaldi
Por tu mala junta te perdieron, Nena, Y causaste a tus pobres viejos, pena, Que a pesar de todos los consejos, Un mal día te engrupieron Y el gotán te encadenó…
¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora? Tan plena de poesía, cual diosa del amor… Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora Con sus mimos disipaba mi dolor.
Recitado: Guardo de ti recuerdo sin igual Pues fuiste para mí toda la vida. Mi corazón sufrió la desilusión Del desprecio a su querer que era su ideal.
Y con la herida Que tú me has hecho, Mi fe has desecho Y serás mi perdición.
Todo está sombrío y muy triste, alma, Y nos falta, desde que te has ido, calma, El vivir la dicha ya ha perdido Porque con tu mal viniste A enlutar mi corazón.
¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera que, obrando con falsía, buscó tu perdición? Mientras que aquí está la madrecita que te espera Para darte su amorosa bendición.
Recitado: Dulce deidad, que fue para mi bien Un sueño de placer nunca sentido, Yo no pensé que ése, mi gran querer, Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.
¿Dónde te has ido mi noviecita? Tu madrecita Siempre cree que has de volver. Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version de Magaldi
À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé, Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine, Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t‑on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…). Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ? Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour… Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur. Récitatif: Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie. Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal. Et avec la blessure que tu m’as faite, Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte. Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur. Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ? Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante. Récitatif: Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti, Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden. Où es-tu allée, ma petite fiancée? Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.
Paroles de la version standard
Por tu mala junta te perdiste, nena y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!… De un vivir risueño te han hablado y al final… ¡te has olvidado de tu vieja y de mi amor!… En la fiebre loca de mentidas galas se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!… En tu afán de lujos y de orgías recubriste de agonías ¡a mi vida y a tu hogar!…
Fuiste el ángel de mis horas de bohemia, el bien de mi esperanza, tierno sueño encantador; y no puedo sofocar mis neurastenias cuando pienso en la mudanza ¡de tu cruel amor!…
(recitado) ¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz rodando he de marchar por mi oscura senda; ¡sin el calor de aquella fulgente luz que tu mirar dispersó en mi corazón!
(canto) Sueños de gloria que truncos quedaron y herido me dejaron entre brumas de dolor…
Por tu mala junta te perdiste, nena, y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!… Por seguir tus necias ambiciones mis doradas ilusiones ¡para siempre las perdí!… Una santa madre delirante clama y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!… El perdón te espera con un beso sí nos traes con tu regreso ¡la alegría de vivir!…
Tus recuerdos se amontonan en mi mente, tu imagen me obsesiona, te contemplo en mi ansiedad; y te nombro suspirando tristemente, pero en vano… ¡no reacciona tu alma sin piedad!…
Y como el cisne que muere cantando así se irá esfumando ¡mi doliente juventud!… Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version standard
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour… Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses… Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison… Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ; et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel… (récitatif) Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ; Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur ! (chant) Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur… À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues… Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle… Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre… Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ; Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas… Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…
On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.
Autres versions
Mala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.
Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli. On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro. Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 — Agustín Magaldi con orquesta.
Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.
Mala junta 1928-12 — Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349–1 Matrice D 19172.
Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.
À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.
Quelqu’un a‑t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ? La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.
Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque. On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.
Mala junta 1938-07-11 — Orquesta Típica Bernardo Alemany.
Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.
Mala junta 1938-11-16 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.
Mala junta 1943–08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.
Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.
Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.Mala junta 1949-10-10 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…
Mala junta 1952-11-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.
La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Mala junta 1957-09-02 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.
Mala junta 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat. On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.
Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…
Mala junta — Osvaldo Pugliese — Teatro Colón 1985.
Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.
Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.
Qui a écrit El choclo ?
Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent… L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique… En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez. Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.
Extrait musical
Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre. El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque. Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.
Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)
Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…
Con este tango que es burlón y compadrito se ató dos alas la ambición de mi suburbio; con este tango nació el tango, y como un grito salió del sórdido barrial buscando el cielo; conjuro extraño de un amor hecho cadencia que abrió caminos sin más ley que la esperanza, mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.
Por tu milagro de notas agoreras nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas, luna de charcos, canyengue en las caderas y un ansia fiera en la manera de querer…
Al evocarte, tango querido, siento que tiemblan las baldosas de un bailongo y oigo el rezongo de mi pasado… Hoy, que no tengo más a mi madre, siento que llega en punta ‘e pie para besarme cuando tu canto nace al son de un bandoneón.
Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina. Triste compadre del gavión y de la mina y hasta comadre del bacán y la pebeta. Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura se hicieron voces al nacer con tu destino… ¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo, que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón. Enrique Santos Discépolo
Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo
Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ; Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel. Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur. Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer… Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé… Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon. Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca). Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine). Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin… Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.
Un épi peut en cacher un autre…
On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango. Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles… Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version. Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo. Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre… Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé. Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette. Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable. Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.
Autres versions
Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères : • Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème. • Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées. Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.
Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.
Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.
À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.
Paroles de Cariño puro des Gobbi
Ay mi china que tengo mucho que hablarte, de una cosa que a vos no te va a gustar Largá el rollo que escucho y explicate Lo que pases no es tontera, pues te juro que te digo la verdad. dame un beso no me vengas con chanela (2) dejate de tonteras, no me hagas esperar. Decí ya sé que la otra noche vos con un gavilán son cuentos que te han hecho án. No me faltes mirá que no hay macanas yo no vengo con ganas mi china de farrear Pues entonces no me vengas con cuento y escuchame un momento que te voy a explicar. No te enojes que yo te diré lo cierto y verás que me vas a perdonar Pues entonces Te diré la purísima verdad Vamos china ya que voy a hacer las paces a tomar un carrindango pa pasear Y mirar de Palermo Yo te quiero mi chinita no hagas caso Que muy lejos querer el esquinazo ni golpe ni porrazo… Ángel Villoldo
Traduction de Cariño puro des Gobbi
Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler, D’une chose qui ne va pas te plaire Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
- Eh bien, je te jure que je te dis la vérité. Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
- Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre. J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
- Ce sont des histoires qui t’ont été faites un. Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
- Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler. Aussi, ne me raconte pas d’histoires
- et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer. Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr Et tu verras que tu vas me pardonner Puis, ensuite Je vais te dire la pure vérité
- Allez, ma chérie, car je vais faire la paix En prenant une voiture pour une promenade Et regarder Palermo Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention Car je veux arrondir les angles ni coup ni bagarre…
On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.
El choclo 1910 — Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.
Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.
Paroles de Villoldo
De un grano nace la planta que más tarde nos da el choclo por eso de la garganta dijo que estaba humilloso. Y yo como no soy otro más que un tanguero de fama murmuro con alborozo está muy de la banana.
Hay choclos que tienen las espigas de oro que son las que adoro con tierna pasión, cuando trabajando llenito de abrojos estoy con rastrojos como humilde peón.
De lavada enrubia en largas guedejas contemplo parejas sí es como crecer, con esos bigotes que la tierra virgen al noble paisano le suele ofrecer.
A veces el choclo asa en los fogones calma las pasiones y dichas de amor, cuando algún paisano lo está cocinando y otro está cebando un buen cimarrón.
Luego que la humita está preparada, bajo la enramada se oye un pericón, y junto al alero, de un rancho deshecho surge de algún pecho la alegre canción. Ángel Villoldo
Traduction des paroles de Ángel Villoldo
D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié). Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme). Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier. De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge). Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas). Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…
Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.
El choclo 1913 — Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.
Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.
El choclo 1929-08-27 — Orquesta Típica Victor.
Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.
El choclo 1937-07-26 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.
El choclo 1937-11-15 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.
Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.
El choclo 1940-09-29 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.
On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante. Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…
Paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieja milonga que en mis horas de tristeza traes a mi mente tu recuerdo cariñoso, encadenándome a tus notas dulcemente siento que el alma se me encoje poco a poco. Recuerdo triste de un pasado que en mi vida, dejó una página de sangre escrita a mano, y que he llevado como cruz en mi martirio aunque su carga infame me llene de dolor.
Fue aquella noche que todavía me aterra. Cuando ella era mía jugó con mi pasión. Y en duelo a muerte con quien robó mi vida, mi daga gaucha partió su corazón. Y me llamaban el choclo compañero; tallé en los entreveros seguro y fajador. Pero una china envenenó mi vida y hoy lloro a solas con mi trágico dolor.
Si alguna vuelta le toca por la vida, en una mina poner su corazón; recuerde siempre que una ilusión perdida no vuelve nunca a dar su flor.
Besos mentidos, engaños y amarguras rodando siempre la pena y el dolor, y cuando un hombre entrega su ternura cerca del lecho lo acecha la traición.
Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes y que en mi pecho sólo anida la tristeza, como una luz que me ilumina en el sendero llegan tus notas de melódica belleza. Tango querido, viejo choclo que me embarga con las caricias de tus notas tan sentidas; quiero morir abajo del arrullo de tus quejas cantando mis querellas, llorando mi dolor. Juan Carlos Marambio Catán
Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux, En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu. Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur. C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie. Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion. Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur. Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo); J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant. Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique. S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur. Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque. Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique. Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ; Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame… Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.
El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.
Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…
Kiss of Fire 1955 — Louis Armstrong.
En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.
Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango. À bientôt, les amis.
En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?
PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.
Le prénom Pantaleón est bien connu dans le domaine du tango à cause de Piazzolla qui l’avait en second prénom. Chino ‚me fait penser au génial Chino Laborde, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tango jeudi à Nuevo Chique. En combinant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Francisco Canaro. Cette « milonga » fait partie de ces titres à la limite du lunfardo qui jouent sur les mots, mélangeant tango et castagne.
Extrait musical
El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.Disque Odeón 55157. El Chino Pantaleón est sur la face A et Y… No la puedo olvidar, sur la face B.
Le rythme de cette composition est un peu atypique et il rend difficile de la classer, milongua tangueanda, milonga candombe. Ce n’est peut-être pas de tout premier choix pour le bal… La voix de Carlos Roldán est sympa. On notera la fin abrupte, très originale, comme si la musique avait été mise KO.
Paroles
Caballeros milongueros, la milonga está formada y el que cope la parada que se juegue todo entero, si es que tiene compañero, la guitarra bien templada pa’ aguantar cualquier trenzada con razón o sin razón, cara a cara, frente a frente, corazón a corazón.
Era el Chino Pantaleón milonguero y cachafaz, que al sonar de un bandoneón viboreaba en su compás. Era un taura pa’ copar y de ley como el mejor; si lo entraban a apurar era capaz de cantar “La violeta” o “Trovador”.
Caballeros milongueros, vayan saliendo a la cancha porque el que hace la “patancha“ es señal que le da el cuero; siempre el que pega primero lleva la mayor ventaja; no le ponen la mortaja al que tira sin errar; no es de vivo, compañero, el dejarse madrugar. Francisco Canaro (paroles et musique)
Traduction libre et indications
Messieurs les milongueros (dans le sens de bagarreurs), l’affaire est formée (milonga a ici le sens d’affaire douteuse, désordre) et celui qui prend position doit tout jouer, s’il a un partenaire (un partenaire. Cela confirme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse). La guitare (peut aussi faire allusion à l’argent) bien accordée pour résister à toute bagarre avec raison ou sans raison, Face à face, front à front, cœur à cœur. C’était le Chino Pantaleón milonguero et insolent (cachafaz comme était surnommé Ovidio José Bianquet, qui travailla avec Canaro pour ses revues musicales), qui, lorsque sonnait un bandonéon (Bandonéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gêner l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme. Il était un taura (généreux) à boire et de ley (loyal, véritable comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ; s’ils le cherchaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pouvait chanter « La violeta » (tango de Cátulo Castillo avec des paroles de Nicolás Olivari, chanté par Maida et Gardel, puis, par Troilo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Carlos Alcaraz avec des paroles de Carlos Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt donnés pour indiquer que le type a du répondant dans la bagarre. Messieurs les milongueros, sortez sur le terrain, car celui qui fait le « patancha » (pata ancha, la grosse patte, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ; Celui qui frappe le premier a toujours le meilleur avantage ; Ils ne mettent pas le linceul à celui qui tire sans se perdre (perdre de temps, sans errer) ; Il n’est pas vivant, camarade, de se laisser devancer (madrugar peut signifier, devancer, gagner du temps, attaquer le premier). On voit que les paroles riches de lunfardo, jouent sur les mots. Avec le vocabulaire de la milonga, on parle bel et bien de bagarre.
Autres versions
Notre premier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point commun, le prénom Pantaleón…
Pantaleón 1930-05-28 (Fox-trot) — Orquesta Francisco Canaro con Charlo. (Eleuterio Iribarren Letra: Francisco Antonio Bastardi).El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre milonga du jour.El chino Pantaleón 1942-06-17 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.
Parfois, Lomuto fait des choses plus intéressantes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enregistrement que je trouve plus sympa à danser. On remarquera, dès le début, une utilisation différente des instruments, ce ne sont pas les mêmes éléments qui sont mis en valeur. En ce qui concerne la voix, on peut préférer Roldán à Díaz, mais je trouve que cette milonga est relativement joueuse et qu’elle pourrait trouver sa place dans une milonga. Sa fin est en revanche plus classique avec les deux accords finaux, habituels.
El chino Pantaleón 1953-03-25 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Mario Alonso.
Canaro reprend sa composition pour l’enregistrer en duo. On pourrait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est toujours Mariano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940. La version ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la version de 1942, notamment à cause de ses dialogues et des pauses dans la musique.
Qui est Pantaleón ?
Je n’ai pas d’autre version de cette milonga en stock. Cependant, il reste un autre titre parlant d’un Pantaleón et ce prénom est accompagné d’un nom de famille, Lucero. Écoutons ce titre.
Yo Soy Pantaleón Lucero 1979 — Ricardo Daniel Pereyra (“Chiqui”). (Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores)
Ce titre composé au début du vingtième siècle par Fausto Frontera avec des paroles de Celedonio Flores a été enregistré par Chiqui en 1979. Il ne semble pas y avoir d’autres versions enregistrées.
Ricardo Daniel Pereyra (“Chiqui”). Avec Roberto Goyeneche sur la photo de gauche.
Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Yo soy Pantaleón Lucero de profesión mayoral, cumplo cuarenta en enero aunque algunos me dan más. Nací por el Barrio Norte y me crié por el sur, tal vez no tenga dinero, pero me sobra salud.
Si me quieren, también quiero si no me quieren, también, soy querendón y sincero porque soy hombre de fe. Amigo que sale malo yo lo olvido y terminó, pero no puedo olvidarla a la que a mí me olvidó.
Yo soy Pantaleón Lucero no sé si recordarán, decidor y refranero y criollo a carta cabal. Matear amargo es mi vicio mi desdicha, enamorar, qué alegría, cantar siempre así las penas se van.
(Coda) Yo soy Pantaleón Lucero, pa’ lo que guste mandar. Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores
Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Je suis Pantaleón Lucero, mayoral (préposé aux billets du Tramway) de profession, J’aurai quarante ans en janvier, bien que certains m’en donnent plus. Je suis né dans le Barrio Norte et j’ai grandi dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’argent, mais j’ai beaucoup de santé. S’ils m’aiment, j’aime aussi. S’ils ne m’aiment pas, également. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi. L’ami qui devient mauvais, je l’oublie et c’est fini, mais je ne peux pas oublier celle qui m’a oublié. Je suis Pantaleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en souvenez, un décideur et un diseur et un créole absolument (l’expression a carta cabal signifie, pleinement). Boire le mate amer est mon vice, ma misère, tomber amoureux, quelle joie, toujours chanter, ainsi les chagrins s’en vont. (Coda) Je suis Pantaleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez demander.
En savons-nous plus sur Pantaleón ?
Nous avons maintenant trois portraits d’un Pantaleón.
• Celui du Fox-trot, dont les paroles ne nous révèlent guère que son prénom.
S’il est difficile de savoir si les deux Pantaleón de Canaro correspondent au même personnage. En revanche, il est peu probable que le mayoral, qui semble un être paisible soit le même que celui de la milonga de Canaro. Je propose donc de laisser la question en suspens et en compensation, une petite remarque. Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mariano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un distributeur de billets dans un tramway… De nos jours, le terme chino est plutôt réservé aux Chinois. Cependant, en lunfardo, la china est la chérie, et, dans une moindre mesure chino est également utilisable pour chéri. Le terme « chino » définit également des métisses d’Indiens et de Noirs. Cela expliquerait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre. Je fais donc l’hypothèse que El chino Pantaleón est un personnage sombre de peau, bagarreur, un des nombreux compadritos qui hantaient les faubourgs de Buenos Aires.
Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Cette jolie valse est une des premières que je mettais régulièrement à mes débuts de DJ de tango. Je m’en souviens, car la correspondance des prénoms, du nom et du titre m’avait frappé. Deux Francisco, Amor et Canaro et L’Amor de Francisco Amor et le double amor du titre, répété 6 fois dans les paroles et auquel il faut rajouter un amo. L’autre point, plus objectif, qui fait que j’aimais bien ce titre, est qu’il est essentiellement en mode majeur, d’un rythme soutenu et qu’il évite la monotonie en variant les instruments et que Francisco Amor a une belle voix.
On note dès le début le rythme bien accentué, typique de Canaro. Certains diront un peu lourd, mais cela plait aux Européens qui se sont habitués à ce fait, comme en témoigne l’évolution du tango en Europe, où la batterie rythme les bals de village même pour les tangos. On notera que le piano marque tous les temps à l’aide d’accords. On le remarque moins sur les premiers temps, justement à cause de l’utilisation appuyée de la contrebasse d’Abraham Krauss sur les premiers temps, mais aussi des autres instruments et notamment des violons, du violoncelle et des bandonéons, qui évolueront durant toute la durée entre des parties rythmiques et des passages mélodiques, en alternance afin que le rythme ne se perde pas et que ce soit confortable pour les danseurs. Le piano se libère progressivement de cet ostinato en lâchant quelques fioritures en fin de phrase. Le piano est tenu par Mariano Mores qui remplaça Luis Riccardi qui était dans l’orchestre de Canaro depuis 1928 et dont la maladie l’a obligé à abandonner la carrière. À 21 s se remarque la clarinette qui rappelle qu’avant les bandonéons, les flûtes faisaient partie des instruments du tango et que Canaro a également un orchestre de jazz. On retrouvera également la clarinette en contrepoint du chanteur un peu plus tard. À 28 s, commence la partie B qui se distingue par des allers-retours entre l’orchestre et le piano. À 56 s, Francisco Amor commence à chanter avec les violons en contre-chant et les ponctuations du piano, la contrebasse continuant d’aider les danseurs en marquant les premiers temps. Les bandonéons s’occupant de marquer tous les temps, comme le faisait le piano au début. Je pense qu’en l’ayant écoutée attentivement, vous comprendrez pourquoi je trouve que c’est une merveille, simple et élégante.
Paroles
Amor, amor vení No me hagas más penar, Que mi vida está en peligro Siempre que no tardes más.
Amor, amor vení Ya no puedo repetir, Porque me falta el aliento Y fuerzas para vivir.
Caminito del colegio Que de ahí te conocí, Me mirabas como a un hombre Y mi amor fue para ti.
Tengo veinte y tú también Y mi amor también creció, No sé si me comprendiste Y por eso te amo yo. Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Amour, amour vient (amour = chérie) Ne m’inflige pas plus de chagrin, car ma vie est toujours en danger, aussi, ne tarde pas davantage. Amour, amour vient Je ne peux plus le répéter, parce que me font défaut le souffle et les forces pour vivre. Sur le chemin de l’école où je t’ai rencontrée, tu m’as regardé comme un homme et mon amour fut pour toi. J’ai vingt ans, et toi aussi, et mon amour a également grandi, je ne sais pas si tu m’as compris, et c’est pourquoi, moi, je t’aime.
Bredouille
Difficile de trouver des éléments sur cette valse. Son auteur est inconnu. On ne lui doit aucun autre titre et la SADAIC ne dispose d’aucune donnée dans son enregistrement correspondant, #195 009, pas même le nom du compositeur et parolier, Mariano Ramiro Ochoa Induráin. Du côté des deux Francisco, l’horizon s’éclaircit. Je ne vais pas vous parler de Canaro, mais vous dire quelques mots de Amor. S’il a commencé dans l’orchestre de Florindo Sassone, ce natif de Bahia Bianca, comme Di Sarli, n’a enregistré qu’avec Canaro. Son image a toutefois été enregistré dans divers films comme : Viento norte 1937 de Mario Soffici où il tient le rôle du soldat chanteur… Musique et chansons de Andres R. Domenech et P. Rubbione.
Francisco Amor en Viento norte 1937. Un film de Mario Soffici. Dans cet extrait, Francisco Amor chante deux chansons et on peut voir à la fin un Gato et un Malambo interprété par les soldats.
Pampa y cielo 1938 de Raúl Gurruchaga dans lequel il chante notamment « No te cases » (ne te marie pas).
No te cases 1937 (Vals) — Francisco Amor con la Orquesta de Francisco Canaro
Mandinga en la sierra 1939 de Isidoro Navarro. Napoleón 1941 deLuis César Amadori. Buenos Aires canta 1947 de Antonio Solano. Comme le titre peut le suggérer, plusieurs chanteurs sont à l’affiche et en plus de Francisco Amor, citons, Azucena Maizani, Ernesto Famá. On peut aussi y écouter Oscar Aleman, l’orchestre le plus en vogue lors de la décadence du tango au profit du jazz.
Autres versions
Les Francisco ont enregistré ensemble une vingtaine de valses. Cependant, il n’y a pas de version enregistrée de cette valse par un autre orchestre. Je vous propose donc de terminer en la réécoutant.
Je vous laisse avec les 76 mots chantés par Amor, qui dira son nom de famille (il s’appelait réellement Amor et même Iglesias Amor, c’est-à-dire « Église Amour »…) six fois.
Sur ces bonnes… paroles, je vous dis à bientôt, les amis !
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Pourquoi une femme noire tenant un bongo sur plan de surfeurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une explication. Alors partons à la découverte de la Rumbita candombe, un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui continue de faire bouger les danseurs d’aujourd’hui.
Extrait musical
La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Comme l’indique le titre, on reconnaît rapidement un rythme de rumba. J’écris « un » rythme de rumba, car il y a en a des dizaines. Historiquement, la rumba est originaire de Cuba où elle a été mêlée avec diverses danses, notamment d’origine africaine. Cela se reconnaît par la complexité des rythmes qui sont loin des rythmes codifiés en Europe. Il n’est qu’à demander à un danseur européen moyen de faire sonner le clave de la salsa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa culture. N’étant pas moi-même un spécialiste de la rumba, j’ai essayé de déterminer le type de rumba utilisée dans cette composition. Parmi la centaine de possibilités, je trouve que la rumba yambu (une des trois principales rumbas cubaines) est un assez bon candidat.
La rumbita candombe de D’Arienzo et Mauré que j’ai mixé avec un rythme de rumba yambu.
Bien sûr, la version de D’Arienzo est un peu particulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de milonga en prenant plus de libertés par rapport au rythme original que les autres interprétations. On notera, par exemple, une cadence bien plus rapide.
Le Général Juan Manuel de Rosas assistant à une manifestation de candombe vers 1838 assistant à une manifestation de candombe vers 1838.
De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sympa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le considéraient comme un libérateur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit probablement témoigner de sa proximité. On remarquera les tambours du candombe. Le peintre, Martín Boneo s’est représenté avec son épouse, debout à l’arrière de De Rosas. La fille du couple (Manuelita) est en rouge au côté de l’homme noir assis.
Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Les différentes versions disposent de paroles légèrement différentes. Celles de l’enregistrement de D’Arienzo et Mauré sont les plus divergentes par rapport aux paroles originales. J’indiquerai, en fin d’article, les paroles originales et donnerai quelques indications pour les autres versions.
Presten todos atención Que ya empezó Y a virutear esta milonga Que el rey negro bautizo
No es su cuna el arrabal Negro y cumbe
Por eso es que Todos le dicen La milonga candombe
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
A bailar a cantar A seguir sin parar
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
Que se va y se fue La milonga candombe.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Prêtez tous attention. Ça a déjà commencé et pour virutear (référence à la viruta et l’usure du plancher) cette milonga que le roi noir a baptisée. Ce n’est pas son berceau les faubourgs Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres) C’est pourquoi tous l’appellent la milonga candombe Ae ae ae ae À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae ae ae ae Car elle s’en va et est partie La milonga candombe.
Autres versions
Je commence par les auteurs de la musique, Osvaldo Novarro et Tito Luar.
La rumbita candombe 1942-06-02 — Hawaiian Serenaders con Osvaldo Novarro.
Les Hawaiian Serenaders est un groupe argentin, malgré ce que pourrait laisser penser son nom. Il fut actif durant une vingtaine d’années après sa création en 1940 par le chanteur Osvaldo Novarro (Héctor Villanueva) associé à Tito Luar (Raúl Fortunato) (Directeur d’orchestre, tromboniste et violoniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour. Les deux hommes étaient d’origine vénézuélienne, pas l’ombre d’un Hawaïen dans l’histoire.
À l’origine du groupe Hawaiian serenaders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osvaldo Novarro dans les années 30.
À ce sujet, il est amusant de noter qu’il y a eu un autre groupe nommé The Hawaiian Serenaders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (probablement un pseudonyme…). Je ne résiste pas à la tentation de vous présenter une de mes 600 cumparsitas par ces Grecs « hawaïens »…
La cumparsita 1941 — Felix-Mendelssohn & His Hawaiian Serenaders.
Les sonorités sont beaucoup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…
La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. C’est notre titre du jour. La rumbita candombe 1943-06-28 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Oscar Serpa et surtout l’interprétation magnifique de Fresedo fait que cette version peut très bien être proposée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.
La negrita candombe (La rumbita candombe) 1943-07-16 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
La version de Canaro est sans doute celle qui est la plus connue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la version de D’Arienzo, le rythme de la rumba. Comme il en a l’habitude et grâce à ses percussionnistes de son orchestre de jazz, Canaro peut proposer une introduction au tambour et une orchestration un peu différente.
Paroles de la version originale
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión El cabaré Por eso es que la llamamos La rumbita candombe.
(Estribillo) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) Ya se va, ya se fue La rumbita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que se enamorado de una milonga Un domingo se casó Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal. Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre des paroles de la version originale
Prêtez tous attention. Ça va commencer, Ce sera la nouvelle danse que nous devrons danser… Son berceau était l’illusion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’appelle, la rumbita candombe.
(Refrain) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (chœur) À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae, ae, ae, ae (chœur) Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La rumbita candombe.
L’auteur de son rythme est un bongo, qui est tombé amoureux d’une milonga. Un dimanche, il s’est marié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Paroles de la version de Canaro et Roldán
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión Que le dio fe, Por eso es que la llamamos La negrita candombe.
Así, así, así, así Así, así, así, así (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Así, así, así, así (coro) Ya se va, ya se fue La negrita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que al arribar a la Argentina De una criolla se prendó… Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella (y?)
Traduction libre de la version de Canaro et Roldán
C’est pourquoi nous l’appelons La negrita candombe. (La rumbita est passée de la musique, petite rumba à une negrita, petite femme noire). Comme ceci, comme cela, comme cela (contrairement aux autres versions, Roldán chante “así” et pas “ae”). Comme ceci, comme ça, comme ça Danser, chanter Pour continuer sans s’arrêter, Comme ceci, comme ça, comme ça Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La negrita candombe. L’auteur de son rythme est un bongo, qui à son arrivée en Argentine, d’une créole, est tombé amoureux… (la localisation en Argentine et la mention d’une créole ancrent la chanson. Canaro était Uruguayen de naissance et les esclaves étaient en grande partie originaires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant). Et c’est pourquoi, quand il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Quelques éléments sur la milonga candombe
Même si le propos de Osvaldo Novarro et Tito Luar était de créer un nouveau rythme à base de rumba en le mixant avec des rythmes de candombe, cette expérimentation qui n’a pas donné d’autres musiques est contemporaine de l’apparition de la milonga candombe. En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milonga candombe. Sa première milonga candombe est Pena mulata (écrite en 1940).
C’est le plus ancien enregistrement de milonga candombe. Amis DJ, si vous avez une milonga candombe d’avant 1940, c’est sûrement un candombe ou un autre rythme… Ce n’est pas interdit de le passer, mais prenez vos précautions pour ne pas mettre en difficulté les danseurs qui sont souvent moins à l’aise avec les milongas candombe et qui peuvent être totalement perdus avec des candombes.
Pour terminer, un peu de théorie musicale du candombe avec les jeux des tambours. Pour la partie candombe, c’est un peu plus facile, car nous sommes plus accoutumés à ces rythmes. Le candombe utilise trois types de tambours : Tambor chico https://youtu.be/p2CL5-Ok4SI Tambor repique https://www.youtube.com/watch?v=VwxzY1fgrUw&t=96s Tambor piano https://youtu.be/K77E_k0S_q8 Les trois tambours jouant ensemble :
Les trois types de tambours du candombe, de gauche à droite : Tambor repique, tambor chico, tambor piano et un autre tambor chico.
Et les surfeurs ?
Ah oui, j’allais oublier. Mais vous avez sans doute deviné. La femme noire, c’est la negrita de Canaro, le tambor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le candombe et les surfeurs et l’exocet, c’est une partie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.
Une affiche publicitaire pour Hawaï de la Pan American Airways.
Le surf à Hawaï semble être une très vieille activité, comme en témoigne James Cook en 1779.
À l’époque, les îles s’appelaient Îles Sandwich, nom qu’avait donné Cook en l’honneur de John Montagu de Sandwich, l’inventeur du sandwich. Attention, il ne faut pas les confondre avec les Îles Sandwich du Sud, revendiquées, comme les Îles Malouines, par l’Argentine…
Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémisphère Nord et les Îles Sandwich du Sud, revendiquées par l’Argentine.
Il est des circonstances dans la vie qui peuvent être tristes, voire désespérantes. Aimer de façon silencieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la situation décrite dans ce tango qui, au-delà des malheurs du narrateur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sentent pas du tout condamnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs partenaires.
Histoire de S.O.S.
Enrique Santos Discépolo a écrit ce tango en 1929 pour une pièce de théâtre. Il portait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pourrait interpréter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dollar est sous Cepo en Argentine). Un truc pas bien joyeux en fait. Voici comment Discepolo décrit son intention lorsqu’il a écrit ce titre.
Discepolo parle de son intention en écrivant ce tango.
« Comment j’ai écrit “Condena”
J’ai voulu dépeindre la situation d’un homme pauvre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambitionnant tout. J’ai voulu placer cet homme face au monde, regardant passer la vie qui passe, les plaisirs qui le troublent, et il se tord dans l’impuissance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en costume élimé, avec un visage déformé, avec une démarche craintive qui voit passer une femme enveloppée de soies bruissantes et qui se mord en pensant qu’elle appartiendra à n’importe qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’insolence et qui ne pourra jamais être pour lui. Et j’ai ressenti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Luttant contre l’impuissance, l’envie et l’échec. Et cette douleur énorme et concentrée de l’homme enchaîné dans son triste destin, face au bonheur qui passe sans le toucher, c’est ce que j’ai voulu transmettre bien et profondément ; torturé, mais sans pleurer. »
En 1931, à la tête de son orchestre, Discepolo ressort ce tango, sans nom particulier. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent donné par Canaro pour l’occasion sauva le projet de voyage de Discepolo et de sa compagne Tania et, lorsque Canaro demanda le titre du tango à Discepolo, celui-ci lui répondit qu’il pouvait mettre le titre qu’il voulait. S.O.S. a été utilisé, comme dans le disque de Lomuto, car, l’achat de Canaro a sauvé Discepolo. En revanche, en 1937, Canaro a utilisé le nom “Condena” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Maida. On associe désormais les deux titres. En 1937, toujours, Discepolo participe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Amanda Lesdesma chante deux fois le titre, comme vous pourrez le voir et l’entendre dans cet article.
Disque Victor de Condena par Francisco Lomuto On remarque que le disque porte la mention S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Condena.
Les pas lourds de la condamnation démarrent le titre, suivi de passages legato en contraste. À 32s commence la partie B avec les superbes bandonéons de Martín Darré, Américo Fígola, Luis Zinkes et Miguel Jurado qui venait de remplacer Víctor Lomuto le frère de Francisco qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils). Dans ce passage, le rythme est marqué de façon très originale avec le premier temps un peu sourd et grave (contrebasse de Hamlet Greco et percussions de Desio Cilotta) et les trois suivants plus forts, exprimés notamment par les bandonéons en staccato. Comme pour la première partie, le contraste des legatos termine cette partie A. Un pont de 55s à 1′ relance la partie A qui présente un passage piano, ce qui rompt la monotonie et qui semble annoncer quelque chose. Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui apparaît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de violon enchanteur et particulièrement grave (utilisation d’un alto ?) magnifie l’interprétation. Il est réalisé par Leopoldo Schiffrin (Leo), qui avait intégré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le premier violon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui partait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le compositeur Lalo Schiffrin (Boris Claudio Schifrin) qui a notamment fait la musique du film de Carlos Saura « Tango ». Le rythme à quatre temps avec le premier temps faible et grave est repris et donne une expression originale supplémentaire à ce passage. La variation finale, permet de mettre en valeur les instruments à vent de l’orchestre. Cette variation est annoncée par un long pont à la tonalité changeante de 2:02 à 2:10 où apparaissent le saxophone et la clarinette de Carmelo Aguila et Primo Staderi. Il est impossible de savoir qui jouait tel ou tel instrument lors de cet enregistrement, car les deux jouaient du saxo et de la clarinette. À 2:28, on remarquera, après un trait de piano (Oscar Napolitano), une courte envolée de la clarinette qui précède les deux accords terminaux.
Paroles
Yo quisiera saber qué destino brutal me condena al horror de este infierno en que estoy… Castigao como un vil, pa’ que sufra en mi error el fracaso de un ansia de amor. Condenao al dolor de saber pa’ mi mal que vos nunca serás, nunca… no para mí. Que sos de otro… y que hablar, es no verte ya más, es perderte pa’ siempre y morir.
He arrastrao llorando la esperanza de olvidar, enfangando mi alma en cien amores, sin piedad. Sueño inútil. No he podido No, olvidar… Hoy como ayer ciego y brutal me abraso en ansias por vos.
Y lo peor, lo bestial de este drama sin fin es que vos ni sabés de mi amor infernal… Que me has dao tu amistad y él me brinda su fe, y ninguno sospecha mi mal… ¿Quién me hirió de este amor que no puedo apagar? ¿Quién me empuja a matar la razón como un vil? ¿Son tus ojos quizás? ¿O es tu voz quien me ató?… ¿O en tu andar se entremece mi amor? Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra : Enrique Santos Discépolo
Traduction libre
Je voudrais savoir quel sort brutal me condamne à l’horreur de cet enfer dans lequel je suis… Punis comme un vil, pour que je souffre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour. Condamné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi. Que tu sois à un autre (sos signifie tu es. Il est utilisé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que parler, ce soit ne plus te voir, c’est te perdre à jamais et mourir. Je me suis traîné, pleurant l’espoir d’oublier, en embrouillant mon âme dans cent amours, sans pitié. Rêve inutile. Je n’ai pas été capable d’oublier… Aujourd’hui, comme hier, aveugle et brutal, je brûle de te désirer. Et le pire, le bestial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infernal… Que tu m’as donné ton amitié et lui m’a donné sa foi, et que personne ne soupçonne mon mal… Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas éteindre ? Qui me pousse à tuer la raison comme un vil ? Ce sont tes yeux, peut-être ? Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?… Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?
Autres versions
Les versions de Canaro sont sans doute les plus diffusées, mais notre tango du jour prouve qu’il y a des alternatives, certaines pour la danse, d’autre pour l’écoute et certaines, pour l’oubli…
On trouve des similitudes, comme souvent, entre la version de Lomuto et celle de Canaro. La clarinette est encore plus présente et brillante. Canaro a fait appel pour cet enregistrement à des musiciens de son ensemble de jazz. La très originale variation de Lomuto n’existe pas dans cette version de Canaro et une certaine monotonie peut donc se dégager de cette version. Cela ne dérangera pas forcément les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des éléments qui a conduit Canaro à réenregistrer le titre en 1937, avec Roberto Maida.
Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Amanda Lesdesma chante deux fois Condena
Amanda Lesdesma chante deux fois Condena dans le film “Melodías Porteñas” réalisé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scénario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique Santos Discépolo. Les rôles principaux sont tenus par Rosita Contreras, Enrique Santos Discépolo et Amanda Ledesma. Un autre intérêt du film est que Enrique Santos Discépolo, auteur de la musique et des paroles est également acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…
Condena 1937 — Amanda Lesdesma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Montage des deux interprétations dans le film.Condena (S.O.S.) 1937-11-05 — Amanda Lesdesma y su Trío Típico.
Une jolie version qui profite de son succès dans le film “Melodías Porteñas”.
Condena (S.O.S.) 1937-11-08 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
L’intervention de Maida casse la monotonie du titre. C’est à mon sens une meilleure version si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette version reste tout à fait tonique et incisive, un délice pour les danseurs qui marquent les pas ou qui aiment le canyengue.
Un des intérêts de cet enregistrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa compagne. L’introduction du violon marque que l’on entre dans un univers différent des versions de Canaro et Lomuto. C’est une version pour l’écoute et on aurait tort de se priver de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà rencontrée, cette chanteuse espagnole, car c’est elle qui a importé en Argentine « Fumando espero » avec le Conjunto The Mexicans.
Tania et DiscepoloCondena (S.O.S.) 1954 — Héctor Mauré con acomp. de Orquesta Juan Sánchez Gorio.
La voix de ténor de Héctor Mauré est un peu plus lourde dans cet enregistrement. C’est pour l’écoute et chanté avec sentiment.
J’ai évoqué des versions à oublier. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « surjouée »…
Condena (S.O.S.) 2013-11-30 — Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.
Hyperion et l’ami Rubén font de belles versions pour la danse. On remarquera la fin, assez originale.
Condena (S.O.S.) 2015 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.
Une des spécialités du Sexteto Cristal est de ressortir les gros succès des encuentros milongueros. Cette copie de la version de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut convenir à certains danseurs qui apprécieront la meilleure qualité de l’enregistrement. En presque un siècle, de gros progrès ont été faits de ce côté…
Pour terminer, toujours avec le Sexteto Cristal, un enregistrement vidéo de Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47.
Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47
Les fans du Sexteto Cristal pourront entendre le concert en entier… À vous de danser et à bientôt les amis.
Depuis quelques années, les valses de l’orchestre Típica Victor ont les faveurs des danseurs, notamment en Europe. Il faut dire qu’elles sont magnifiques et que, comme tous les enregistrements de cet orchestre, elles sont destinées à la danse. Vous vous demandez peut-être ce que Frida Kahlo vient faire dans la couverture d’un article sur une valse argentine, vous aurez la réponse 😉
Extrait musical
Tehuana 1939-12-23 — Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.
La superbe introduction nous invite à découvrir un air nostalgique en do mineur. Enfin, en l’absence de la partition, il est difficile de savoir quelle est la tonalité, car si la version la plus courante est en Do# mineur et dure 3′03″, ma version qui est en Do mineur dure 3′15″. La tonalité plus grave est causée par une rotation moins rapide du disque. Ou plutôt, ce sont, à mon avis, les versions courantes qui sont plus rapides et à mon goût trop rapide. J’ai fait la demande de la partition auprès du CENEDIM (Centro Nacional de Investigación, Documentación e Información Musical Carlos Chávez), je mettrai à jour si j’ai une réponse positive. Cette tendance à accélérer la musique pour la rendre plus brillante n’est pas gênante en soi et en milonga, il m’arrive très souvent de changer la vitesse pour adapter le titre au besoin du moment en milonga. Par exemple, si je vois que les danseurs ont envie de danser sur un rythme rapide, je peux légèrement accélérer la valse et arriver à la durée de la version de 3′03″ éditée par Le Club de tango dans son CD Orquesta Típica Victor Vol. 21 (1939–1941). Cette version n’est pas d’une qualité optimale et je pense donc préférable d’utiliser un enregistrement depuis le disque original 38862 (78 tours) édité par la Victor (on s’en doute, vu que c’est son orchestre). Sur ce disque, la face B comporte un paso doble Amoríos composé par Alex Schneider, ce qui permet de rappeler la polyvalence des orchestres et la plus grande diversité des danses pratiquées dans les bals de l’époque. Après cette (très) longue digression, revenons à notre valse. La première partie, tout comme l’introduction, est en mode mineur. À 43″ on remarque le pont qui permet d’assurer la transition avec la seconde partie, qui, elle, est en majoritairement mode majeur, tout au moins à partir d’une minute. Le fait que le titre soit sans partie chantée (Alfonso Esparza Oteo avait écrit des paroles) peut donner une impression de monotonie, cependant, les jolis ornements du bandonéon, notamment dans la seconde partie (à partir de 2′11″) font qu’on se laisse porter, un peu en transe, sans avoir l’impression de danser la même chose. Le final ralentit le rythme, pour que les danseurs puissent sortir de l’hypnose, sans danger.
Que vient faire Frida Kahlo dans cette histoire ?
Frida Kahlo (peintre et modèle), à gauche et 2 femmes, à droite, en costume de Tehuana.
Comme vous le savez, Frida Kahlo est une peintre mexicaine avec une vie singulière, voire semi-tragique. Elle était d’origine Tehuana, une province du sud du Mexique. Elle s’est représentée avec ce costume traditionnel et notamment El resplandor, la coiffe que portent également les deux femmes sur la photo de droite. On remarquera sur son front le terrible Diego Rivera, dont elle venait de divorcer (1940), mais qui reste dans ses pensées.
Frida Kahlo devant son autoportrait terminé (donc après 1943) et à droite, un médaillon où elle porte le resplandor (1948).
Tehuana, le nom de notre valse du jour vient donc du Mexique. Alfonso Esparza Oteo, le compositeur et l’auteur des paroles, est également Mexicain. Cette valse aurait pu rester purement mexicaine si Freddy Scorticati et la Típica Victor ne l’avaient pas enregistrée. Il se peut aussi que d’autres orchestres argentins l’aient jouée sans l’enregistrer. La Tehuana n’étant probablement pas Frida Kahlo, j’ai essayé diverses pistes pour l’identifier. Ce n’est pas sa femme, qu’il a rencontrée en 1925 et épousée en 1926, car celle-ci était originaire de Arandas (Jalisco) et donc pas de la région de l’Isthme de Tehuantepec.
À gauche Blanca Torres Portillo à 17 ans, un an avant de rencontrer Alfonso Esparza Oteo. À droite, les jeunes époux en 1926. Blanca a 17 ans et Alfonso, 32. Ils auront 9 enfants.
Tehuana date de la décennie suivant son mariage et comme il était heureux en ménage, contrairement à Frida, il est peu probable que le titre suggère une liaison de cette époque.
Peut-être qu’ une des quatre femmes qui entourent Alfonso et Blanca, sa femme a inspiré Tehuana. Mais sans la tenue traditionnelle, c’est impossible à vérifier 😉
Si on consulte son catalogue, certaines femmes sont évoquées et il se peut donc que Tehuana soit une ancienne compagne, ou tout simplement un thème qui chante son pays, comme beaucoup de ses compositions.
Autres versions
Alfonso Esparza Oteo a composé environ 150 œuvres. Quelques-unes sont sorties du domaine de la musique mexicaine pour intégrer le répertoire argentin. C’est le cas de notre valse du jour et de quelques autres que je vous propose d’écouter.
Tehuana 1939-12-23 — Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.
C’est notre valse du jour et bien qu’elle soit magnifique, elle ne semble pas avoir inspiré d’autres orchestres.
Carta de amor 1930-06-03 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.Carta de amor 1930-06-13 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.
Cette version enregistrée seulement 10 jours après la première, par les mêmes, est une habitude chez Canaro. Il enregistre une version pour le bal et une version pour l’écoute.
Ce titre est un des gros succès, de Alfonso Esparza Oteo comme en témoignent divers enregistrements en tango, mais aussi sous d’autres formes…
Partition de Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo, letra: Alfonso Espriu Herrera)Dime que sí 1938-11-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
Un rythme enjoué et entraînant. La voix de Jorge Omar, s’inscrit parfaitement dans le rythme. Je trouve que c’est une belle réalisation qui devrait pouvoir intéresser les danseurs, même si cette version est peu connue. Remarquez son final un peu théâtral, digne de la bande sonore d’un film…
Dime que sí 1938-11-29 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
Dime que sí 1938-11-29 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor. Canaro enregistre un autre titre de Alfonso Esparza Oteo. Contrairement à Lomuto, Canaro a choisi un tempo très lent. Je ne suis pas convaincu que ce soit parfait pour le bal et la voix de Francisco Amor, ne me semble pas au mieux. Il y a tant de valses plus efficaces, qu’il ne me semble pas utile de prendre des risques avec cette version.
Dime que sí 1938-12-30 — Juan Arvizu con orquesta.
Juan Arvizu est également d’origine mexicaine, ce qui l’a sans doute incité à enregistrer cette valse écrite par son compatriote. Il a également enregistré la Zandunga, cette valse traditionnelle originaire de Tehuantepec (tout comme Canaro). Pour parler de cette interprétation, elle ne manque pas d’enthousiasme mais est peut-être un peu trop brouillonne pour les danseurs.
Un enregistrement réalisé à Mexico, sans doute au début de 1939 (imprécision sur la date à cause d’une erreur dans les registres de la Victor). Le ténor Pedro Vargas est également Mexicain. Il réenregistrera le titre 39 ans plus tard, toujours à Mexico…
Dime Que Sí (en vivo) 1978 · Pedro Vargas con Orquesta Sinfónica del Estado de México. Concierto en vivo en el Palacio de Bellas Artes — 50 Aniversario 1928 ‑1978 – Arrangements de Pocho PérezDime que sí 2024 — Mariachi Imperial Azteca — Orquesta Sinfónica de Aguascalientes.
Aguascalientes est la ville de Alfonso Esparza Oteo. On s’est bien éloigné de la valse argentine. L’action de mémoire de sa ville natale n’est sans doute pas étrangère à la permanence du succès des œuvres de ce compositeur qui était en train de jouer une de ses œuvres, “Limoncito”, quand José de León Tora, un caricaturiste, s’est approché du général Álvaro Obregón, président du Mexique qu’il a abattu de nombreuses balles de pistolet. Alfonso et son orchestre ont continué de jouer l’œuvre, sans se rendre compte de ce qui s’était passé, ou, s’ils s’en sont rendu compte, ils sont restés drôlement professionnels…
La ville mexicaine de Aguascalientes (eaux chaudes) est fière de son compositeur et divers monuments le célèbrent dans la ville et une rue porte son nom.
Pour terminer cette petite série, une curiosité, une version par un orchestre symphonique avec un joli duo, soprano et ténor. En fait, ce n’est pas si rare, cette valse est souvent jouée en concert de musique classique et notamment sous forme piano plus chant.
Les bals « tango » de l’âge d’or comportaient du tango, sous ses trois formes, mais aussi du « jazz » et d’autres danses, plus ou moins traditionnelles. Notre musique du jour est Argentine (voire uruguayenne si on se réfère aux origines de Canaro), mais le rythme (un corrido), les paroles et l’inspiration sont mexicains.
J’utilise parfois ce titre pour « chauffer » la salle avant la milonga. Le corrido se danse en principe en couple, c’est une forme qui rappelle la polka, mais aussi le pasodoble. Les Argentins le dansent surtout en marche, tout comme ils font avec le pasodoble, d’ailleurs…
Extrait musical
Rancho alegre 1941-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro.Partition et couvertures de Rancho alegre de Felipe Bermejo Araujo. On notera la présence de partitions brésiliennes. Le corrido est bien sorti du Mexique et pas seulement pour les pays hispanophones, comme l’Argentine.
Le rancho alegre (ranch joyeux) est vraiment joyeux et je suis sûr que cette musique vous donne envie de bouger.
Paroles
Y soy del mero Rancho Alegre (Yo soy charro mexicano) Un ranchero de verdad, compadre Jálese, pariente Pa’ la gente del rancho, pa’ la gente de pueblo
Soy del mero Rancho Alegre Un ranchero de verdad Que trabaja De labriero, mayordomo y caporal
Mi querencia es este rancho Donde vivo tan feliz Escondido entre montaña De color azul anís
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
En mi rancho Tengo todo Animales, agua y sol Y una tierra brillante y buena Que trabajo con ardor
Cuando acabo mis labores Ya que se ha metido el sol A la luz de las estrellas Canto alegre mi canción
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín
Solo falta Una cosa Que muy pronto, yo tendré Como estoy recién casado Adivínenme lo que es
Ha de ser un chilpallate Grande y fuerte a no dudar Que también será labriero Mayordomo y caporal
Rancho Alegre Mi nidito Mi nidito perfumado y de jasmín Donde guardo Mi amorcito Que tiene ojos de lucero y capulín Felipe Bermejo Araujo
Carlos Roldán chante seulement ce qui est en gras.
En rouge, la version originale mexicaine qui parle de charro (cowboy, gaucho).
Et je suis du simple Rancho Alegre (ranch joyeux) un vrai éleveur, compadre bien « tiré » (C’est quelque chose de positif, bon compagnon), parent pour les gens du ranch, pour les gens du village. Je suis du simple Rancho Alegre, un vrai éleveur qui travaille comme agriculteur, majordome et contremaître. Mon amour c’est ce ranch où je vis si heureux, caché dans les montagnes bleu anis
Refrain Rancho Alegre Mon petit nid Mon petit nid parfumé et de jasmin où je garde ma petite chérie qui a les yeux d’une étoile et de cerise (les capulines sont de petites cerises de couleur noir rougeâtre. On les appelle aussi, cerises mexicaines).
Sur mon ranch j’ai tout, des animaux, de l’eau et du soleil et une terre brillante et bonne que je travaille avec ardeur Quand je finis mes travaux parce que le soleil s’est couché. À la lumière des étoiles, je chante joyeusement ma chanson. Il ne manque qu’une seule chose, que très bientôt j’aurai, car, je viens de me marier. Devinez ce que c’est. Il doit être un gamin grand et fort (chilpallate est une expression mexicaine) sans aucun doute qu’il sera aussi un fermier, majordome et contremaître.
Autres versions
Le thème est tout de même assez rare en Argentine. Outre cette version de Canaro, on peut citer les chanteurs de l’aube qui ont fait un disque aux sonorités mexicaines. Je vous propose aussi une version mexicaine avec un jeu intéressant de l’accordéon (oui, le Mexique utilise de plus gros pianos à bretelles).
Rancho alegre 1941-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro. C’est notre musique du jour.Rancho alegre 1976 — Los Cantores del Alba.Rancho alegre 2020 — Octavio Norzagaray.
Cette milonga alerte, très alerte, cache cependant une nostalgie, celle du quartier de Palermo avec son tramway, ses allumeurs de réverbères et ses veilleurs de nuit. La prochaine fois que vous vous lancerez dans cette milonga endiablée, vous vous souviendrez peut-être de l’évolution de ce quartier et de sa rivière, aujourd’hui domptée.
Extrait musical
Maldonado 1943-12-09 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá.Partition de Maldonado. On peut remarquer que Di Sarli et Laurens sont cités, ainsi que le nom complet de Mastra (Mastracusa).
Paroles
Les voy a recordar el tiempo pasado cuando Palermo fue Maldonado y yo en la gran Nacional trabajé de mayoral. Y voy a recodar algunos detalles que sucedían siempre en la calle, cuando con su cadenero al tranvía algún carrero quería pasar.
Dale que dale, dale más ligero a ver quién sube el repecho primero y orgulloso el conductor lo pasaba al percherón. Dale que dale, dale más ligero y atrás dejaban al pobre carrero repitiendo al mayoral si le sobra deme un real.
Yo soy del Buenos Aires de ayer, compañero, cuando en las tardes el farolero con su escalera apurado la sección iba a alumbrar. Después con su pregón familiar el sereno marcaba hora tras hora el tiempo luego el boletín cantado dando así por terminado un día más.
Dale que dale, dale más ligero total ahora ya no está el carrero ni el bromista conductor ni el sereno y su pregón. Dale que dale, dale más ligero total tampoco existe el farolero dale y dale sin parar hasta que me hagas llorar. Alberto Mastra (Música y letra)
Je vais vous l’évoquer le temps d’antan où Palermo était Maldonado (El Maldonado était l’un des cours d’eau de Buenos Aires) et où je travaillais comme mayoral (préposé de tramway vendant les billets) à la Gran Nacional (compagnie de tramways passée à l’électrique en 1905 en remplacement de la traction animale que l’on appelait motor de sangre, moteur de sang). Et je vais rappeler quelques détails qui se passaient toujours dans la rue, lorsqu’avec son cheval de tête un conducteur de charrette voulait dépasser le tramway. Envoie ce qu’il envoie (encouragement, en matière d’équitation ont dit envoyer, j’ai donc choisi cette traduction), envoie plus rapidement, voyons qui grimpe la pente le premier et fièrement le conducteur (du tramway) double le percheron. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, et ils ont laissé le pauvre conducteur de charrette derrière eux, répétant au mayoral s’il en reste, donne-moi un réal (monnaie en usage à l’époque espagnole et qui a été frappée en Argentine de 1813 à 1815 et qui n’était bien sûr plus d’usage au début du 20e siècle). Je suis du Buenos Aires d’hier, compagnon, quand, en soirée, l’allumeur de réverbères, pressé, avec son échelle, allait éclairer la section. Puis, avec sa proclamation familière, le veilleur de nuit (personne qui assurait la vigilance de nuit) marquait le temps, heure après heure, puis, avec son bulletin chanté, mettait ainsi fin à une autre journée. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, résultat, maintenant il n’y a plus le conducteur de charrette, ni le conducteur farceur, ni le veilleur et sa proclamation. Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, il n’y a pas plus d’allumeurs de réverbères, envoie, envoie sans arrêt jusqu’à ce que tu me fasses pleurer.
Autres versions
Notre tango du jour est une milonga qui fut enregistrée aussi par Di Sarli avec Rufino. Mais d’autres tangos ont également été composés et enregistrés. Je vous en propose quatre, interprétés par six orchestres, mais il y en a d’autres et même des musiques sur d’autres rythmes. Mais attention, ces dernières font référence à d’autres lieux que la rivière Maldonado et le quartier de Buenos Aires.
Maldonado, milonga de Alberto Mastra
Laurenz a enregistré ce titre pour Odeón le jeudi 9 décembre. La semaine d’après, le vendredi 17, La Victor enregistre le titre avec Di Sarli. Ce sont les deux seuls enregistrements « historiques » de cette superbe milonga. On notera que Pedro Laurenz et Di Sarli mettent en avant leur instrument personnel, respectivement le bandonéon pour Laurenz et le piano pour Di Sarli.
Maldonado 1943-12-09 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre milonga du jour.Maldonado 1943-12-17 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Maldonado 1928-02-07 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto FamáMaldonado 1928-02-23 — Orquesta Roberto Firpo con Teófilo IbáñezMaldonado 1928-03-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo
Tango de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Alberto Vacarezza
Maldonado 1929-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo
Maldonado et le tranvia
Maldonado n’a rien à voir avec une chaîne de fastfoods américains, vous l’avez compris. C’était le nom d’un des cours d’eau de Buenos Aires. Celui-ci se jette dans le Rio de la Plata à Palermo, ce qui a valu ce nom au quartier du XVIIIe au début du XIXe siècle. On notera que les paroles évoquent un temps où Palermo s’appelait Maldonado. Au sens strict, c’était au début du XIXe siècle. Mais, comme elles parlent de réverbères, de Tranvia, c’est sans doute d’une époque postérieure qu’il est question. En effet, les premiers Tranvia ont été mis en place en 1863.
Premier tranvia de Buenos Aires à moteur de sang (hippomobile) en 1863.
La milonga nous compte une course entre un tranvia et une charrette tirée par un percheron. Il n’est pas sûr que deux chevaux attelés à un tranvia soient capables de distancer une charrette. Je pense donc, que le texte fait référence à une époque encore postérieure, à partir de 1905, date à laquelle la compagnie Gran Nacional (citée dans les paroles) est passée à la traction électrique.
Un tranvia de la compagnie La Capital. Ce tramway date environ d’après 1906, car il porte un numéro.
L’année 1905 a vu l’arrivée des premiers tramways électriques et 1906 a inauguré la numérotation des lignes, ce qui a simplifié la tâche des voyageurs… Sur la photo, le tranvia porte le numéro 45, c’était donc un des équipements de la ligne 45 qui était exploitée par La Capital. La compagnie Gran Nacional citée dans la milonga portait des numéros de 61 à 80. Dans la milonga, il semble logique de penser que la course s’effectue entre une charrette hippomobile et un tranvia électrique qui affirme facilement sa supériorité dans les montées.
El arroyo Maldonado
En ce qui concerne la rivière qui avait donné son nom au quartier (El arroyo Maldonado), vous aurez du mal à la trouver, car elle est désormais souterraine. La dernière fois qu’elle a fait parler d’elle, c’était en 2010 et j’en ai été témoin, elle a causé d’importantes inondations à Palermo. Depuis, des travaux ont été entrepris pour éviter ces problèmes.
En 1890, la rivière Maldonado était presque à sec. On voit au fond le pont de l’avenue Sante Fe.Aujourd’hui, au même endroit, le souvenir de la rivière est porté par des inscriptions sur les passages piétons…
L’excellent fileteador porteño, Gustavo Ferrari, alors que je passais ce titre dans une milonga m’a indiqué que ce titre était l’hymne des fileteadores (peintres décorateurs, spécialistes des filets décoratifs typiques de Buenos Aires). Comme j’adore ce tango, je le passe assez souvent, mais pas forcément dans la version du jour, celle d’Alberto Castillo qui était également un fan de ce tango comme nous le verrons. J’imagine que vous avez dans l’oreille l’enregistrement des deux anges, D’Agostino et Vargas. Mais, comme l’anecdote d’avant-hier était avec ces deux interprètes, il faut laisser de la place aux autres. C’est d’autant plus important que Vargas et D’Agostino semble s’être emparé du titre, laissant peu de place à d’autres enregistrements. Pourtant, plusieurs sont intéressants. À noter que, sur certains disques, on trouve Manoblanca, en un seul mot. J’ai unifié la présentation en Mano Blanca, mais les deux orthographes existent
Extrait musical
Mano Blanca 1943-12-07 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce.
Bien que ce soit un titre plutôt destiné à l’écoute, puisque le disque mentionne que Alberto Castillo est accompagné par son orchestre dirigé par Emilio Balcarce. Cependant cet enregistrement reste tout à fait présentable dans une milonga et c’est même presque étonnant que l’on ne l’entende quasiment jamais.
Partition de Mano Blanca. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi et l’angle de rue où se trouve le « musée Manoblanca ».
Paroles
Dónde vas carrerito del este castigando tu yunta de ruanos, y mostrando en la chata celeste las dos iniciales pintadas a mano.
Reluciendo la estrella de bronce claveteada en la suela de cuero, dónde vas carrerito del Once, cruzando ligero las calles del Sur.
¡Porteñito!… ¡Manoblanca!… Vamos ¡fuerza, que viene barranca! ¡Manoblanca!… ¡Porteñito! ¡Fuerza! ¡vamos, que falta un poquito!
¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!… Ahora sigan parejo otra vez, que esta noche me esperan sus ojos en la Avenida Centenera y Tabaré.
Dónde vas carrerito porteño con tu chata flamante y coqueta, con los ojos cerrados de sueño y un gajo de ruda detrás de la oreja.
El orgullo de ser bien querido se adivina en tu estrella de bronce, carrerito del barrio del Once que vuelves trotando para el corralón.
¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!… Ahora sigan parejo otra vez mientras sueño en los ojos aquellos de la Avenida Centenera y Tabaré. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi
Traduction libre des paroles
Où vas-tu petit meneur (conducteur de chariot hippomobile) de l’est en punissant ton attelage de rouans (chevaux de couleur rouanne), et en montrant sur la charrette bleue les deux initiales peintes à la main. Elle brille l’étoile de bronze clouée sur le harnais de cuir. Où vas-tu, petit meneur de Once, en traversant rapidement (légèrement, peut-être à vide), les rues du Sud. Porteñito… Manoblanca… (Ce sont les noms des deux chevaux) Allons, force, un fossé arrive ! Manoblanca… Porteñito ! Force ! Allons, il reste peu à faire ! Bien ! Bien !… Nous voilà sortis (de l’ornière, fossé)… Maintenant, continuez ensemble à nouveau, car ce soir, ses yeux m’attendent sur l’Avenida Centenera et Tabaré. (l’angle de ces deux avenues marque “La esquina del herrero, barro y pampa” que le même Homero Manzi mentionne dans son tango “Sur”. Où vas-tu, petit meneur portègne avec ta charrette flamboyante et coquette, avec les yeux fermés de sommeil (ou rêve) et un brin de rue (le gajo de ruda est une plante qui est censée éloigner le mal) derrière l’oreille. La fierté d’être bien aimé se devine dans ton étoile de bronze, petit meneur du quartier de Once, car tu reviens en trottant au corralón (hangar, garage). Bien ! Bien !… Nous voilà sortis. Maintenant, ils continuent en couple (chevaux en harmonie) de nouveau pendant que je rêve à ces yeux de l’Avenida Centenera et de Tabaré.
Les fileteados
Les fileteados son une expression artistique typique de Buenos Aires. Elle est apparue en premier sur les chariots et s’est étendue jusqu’à aujourd’hui dans tous les domaines.
Un chariot hippomobile décoré de fileteados. Cette charrette comporte des ridelles, ce que n’avait peut-être pas celle de la chanson qui est une simple chata (fond plat et qui avait sans doute quatre roues).
Un véhicule de quatre saisons richement décoré de fileteados. La chata de la chanson devait plutôt avoir 4 roues, mais l’idée est là…
Les deux premiers enregistrements, par Canaro, sont bien de a composition Arturo de Bassi, mais elles avaient été publiées à l’époque sous le titre El romántico fulero. Cette musique était une petite pièce à l’intérieur d’un tableau intitulé Románticos fuleros, lui-même inclus dans le spectacle Copamos la banca. Les paroles apportées par Homero Manzi 15 ans plus tard, à la demande de Bassi, ont donné une autre dimension à l’œuvre et lui ont permis de passer à la postérité.
El romántico fulero 1924 — Orquesta Francisco Canaro.
C’est un enregistrement acoustique, donc, d’une qualité sonore un peu compliquée, mais on reconnaît parfaitement le thème du tango du jour.
El romántico fulero 1926-09 — Azucena Maizani con acomp. de Francisco Canaro.
Le même Canaro enregistre, cette fois en enregistrement électrique le titre avec des paroles de Carlos Schaefer Gallo.
Paroles de Carlos Schaefer Gallo
Manyeme que’l bacán no la embroca, parleme que’l boton no la juna y en la noche que pinta la luna la punga de un beso le tiró en la boca. Aquí estoy en la calle desierta como un gil pa’ mirar su hermosura campaneando que me abra la puerta pa’ darle a escondidas un beso de amor.
Se lo juro que no hablo al cohete y que le pongo pa’usté cacho e cielo un cotorro que ni Marcelo lo tiene puesto con más firulete. Si usté quiere la pianto ahora si usté lo quiere digamelo, será mi piba mi nena la aurora, en esta sombra que’n el alma cayó.
Le pondré garçonnière a la gurda y tendrá vuaturé limusine, y la noche que nos cache curda veremos al chorro Tom Mix en el cine. Berretín que me das esperanza metejón que proteje la noche, piantaremos en auto o en coche como unos punguistas que fanan amor. Carlos Schaefer Gallo
Honnêtement, ces paroles en lunfardo pour un divertissement populaire d’entrée de gamme ne méritent pas vraiment de passer à la postérité. Je ne vous en donnerai donc pas la traduction. On notera toutefois que le texte fait référence au président de l’époque, Marcelo Torcuato de Alvear et à Tom Mix, un héros de western… L’auteur n’a reculé devant rien pour recueillir l’assentiment du public.
Mano Blanca 1943-12-07 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce. C’est notre tango du jour.Mano Blanca 1944-03-09 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
C’est la version de référence, une merveille absolue. Magnifique piano et voix des deux anges.
Mano Blanca 1960 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. y arr. por Osvaldo Requena.
Cette version, très différente de celle que Castillo a enregistrée en 1944, est clairement une chanson. Pas question de la passer en bal. Il me semble que Castillo surjoue un peu le titre, mais on peut apprécier.
Mano Blanca 1976 — José Canet con Nelly Omar.
Toujours la belle association entre la guitare de José Canet et la voix de Nelly Omar.
Mano Blanca c2010 — Miguel Ángel Báccola.
Une version en chanson que j’ai trouvée dans ma collection, sans savoir d’où j’avais acheté ce disque.
Mano Blanca 2013, Juan Carlos “Tata” Cedrón.
J’ai un petit faible pour “Tata” que j’ai connu adolescent (moi, pas lui). Cet enregistrement en studio montre qu’il a toujours le tango dans les veines. Cette vidéo vient de l’excellente chaine culturelle argentine « encuentro ». À bientôt, les amis, je monte sur mon petit chariot et je pars sur les rues du Sud, au rythme de mes petits chevaux rouans.
La nostalgie et l’orgueil pour la pauvreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tango. « Yo soy de Parque Patricios » est de cette veine… Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les souvenirs et un passé à la fois lointain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Vargas nous évoquent de si belle façon. Nous découvrirons l’origine du nom et verrons quelques images de ce quartier qui a toujours un charme certain et que je peux voir de mon balcon.
Extrait musical
Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.Partition de Yo soy de Parque Patricios de Victor Felice et Carlos Lucero.
Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démarrent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien marqué avec des alternances de piano, des passages puissants et d’autres plus rêveurs chantés par les violons. Un peu avant la moitié du titre, Ángel Vargas commence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quartier et qu’il y est né. La séance de nostalgie démarre, ponctuée de variations marquées par l’orchestre, tantôt marchant et rythmique, tantôt glissant et suave. Comme toujours chez ce « couple » des anges, une parfaite réalisation, à la fois dansante, prenante et d’une grande simplicité dans l’expression des sentiments. En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est constitué de longs glissandos des violons, procèdent de la même construction par opposition. On remarquera dans les deux titres, comme dans de nombreux autres, de cette association qui enregistra près d’une centaine de titres (93 ?), ces petites échappées musicales qui libèrent la pression de la voix de Vargas, ces petites notes qui s’échappent au piano, violon ou bandonéon et qui montent légèrement dans un parcours sinueux et rapide.
Paroles
Yo soy de Parque Patricios he nacido en ese barrio, con sus chatas, con su barro… En la humildad de sus calles con cercos de madreselvas aprendí a enfrentar la vida… En aquellos lindos tiempos del percal y agua florida, con guitarras en sus noches y organitos en sus tardes. Yo soy de Parque Patricios vieja barriada de ayer…
Barrio mío… tiempo viejo… Farol, chata, luna llena, viejas rejas, trenzas negras y un suspiro en un balcón… Mayorales… cuarteadores… muchachadas de mis horas, hoy retornan al recuerdo que me quema el corazón.
Hoy todo, todo ha cambiado en el barrio, caras nuevas y yo estoy avejentado… (Mil nostalgias en el alma) Mis cabellos flor de nieve y en el alma mil nostalgias soy una sombra que vive… Recordando aquellos tiempos que su ausencia me revive, de mi cita en cinco esquinas… y de aquellos ojos claros. Yo soy de Parque Patricios evocación de mi ayer… Victor Felice Letra: Carlos Lucero
Vargas change ce qui est en gras. La phrase en rouge remplace la plus grande partie du dernier couplet. Elle n’est pas dans le texte original de Carlos Lucero.
Traduction libre
Je suis de Parque Patricios, je suis né dans ce quartier, avec ses chariots, avec sa boue… Dans l’humilité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affronter la vie… En ces beaux temps de percale et d’eau de Cologne (agua florida), avec des guitares dans leurs nuits et des organitos (orgues ambulants) dans leurs après-midis. Je viens de Parque Patricios, vieux quartier d’hier… Mon quartier… le bon vieux temps… Réverbère, chariots, pleine lune, vieux bars, tresses noires et un soupir sur un balcon… Les mayorales (préposé aux billets du tramway)… cuarteadores (cavaliers aidant à sortir de la boue les chariots embourbés)… Les bandes de mes heures, aujourd’hui, elles reviennent à la mémoire qui me brûle le cœur. Aujourd’hui, tout, tout a changé dans le quartier, de nouveaux visages et je suis vieux… Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nostalgies, je suis une ombre qui vit… Me souvenir de ces moments que son absence ravive, de mon rendez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs. (Ce passage n’est pas chanté par Vargas qui fait donc l’impasse sur l’histoire d’amour perdue). Je suis de Parque Patricios évocation de mon passé…
Autres versions
La version de Vargas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quartier de Parque Patricios a suscité des nostalgies et plusieurs titres en témoignent.
Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
Voici quelques titres qui parlent du quartier :
Parque Patricios de Antonio Oscar Arona
Parque Patricios 1928-09-12 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo (Antonio Oscar Arona (Música y letra)
Paroles de la version de Oscar Arona
Cada esquina de este barrio es un recuerdo de lo mágica y risueña adolescencia; cada calle que descubre mi presencia, me está hablando de las cosas del ayer… ¡Viejo barrio! … Yo que vengo del asfalto te prefiero con tus calles empedradas y el hechizo de tus noches estrelladas que en el centro no se sabe comprender.
¡Parque Patricios!… Calles queridas hondas heridas vengo a curar…
Sonreís de mañanita por los labios de las mozas que en bandadas rumorosas van camino al taller; sos romántico en las puertas y en las ventanas con rejas en el dulce atardecer; que se adornan de parejas te ponés triste y sombrío cuando algún muchacho bueno traga en silencio el veneno que destila la traición y llorás amargamente cuando en una musiquita el alma de Milonguita cruzó el barrio en que nació.
¡Viejo Parque!… Yo no sé qué airada racha me alejó de aquella novia dulce y buena que ahuyentaba de mi lado toda pena con lo magia incomparable de su amor… Otros barrios marchitaron sus ensueños… ¡Otros ojos y otras bocas me engañaron el tesoro de ilusiones me robaron hoy mi vida, encadenado está al dolor!…
Oscar Arona
Traduction libre de la version de Oscar Arona
Chaque recoin de ce quartier est un rappel de l’adolescence magique et souriante ; Chaque rue que découvre ma présence me parle des choses d’hier… Vieux quartier… Moi, qui viens de l’asphalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au centre-ville, ils ne peuvent pas comprendre. Parque Patricios… Chères rues, blessures profondes, je viens guérir… Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en troupeaux bruyants, se rendent à l’atelier ; Tu es romantique dans les portes et dans les fenêtres avec des barreaux dans le doux coucher de soleil ; qui se parent de couples. Tu deviens triste et sombre quand un bon garçon avale en silence le poison que la trahison distille et tu pleures amèrement quand, dans une petite musique, l’âme de Milonguita a traversé le quartier où elle est née. Vieux parc (Parque Patricios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chassé tout chagrin de mon côté avec la magie incomparable de son amour… D’autres quartiers ont flétri ses rêves… D’autres yeux et d’autres bouches m’ont trompé, ils m’ont volé le trésor des illusions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…
Honnêtement, je ne suis pas certain que ce tango ait pour thème le même quartier, en l’absence de paroles. Cependant, Juan Pecci est né dans le Sud du quartier San Cristobal à deux cuadras du quartier de Parque Patricios, l’attribution est donc probable. Pecci était violoniste de Bianco avec qui il avait fait une tournée en Europe.
Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)
Barrio porteño (Parque Patricios) 1942-08-07 — Osvaldo Fresedo Y Oscar Serpa (Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Demattei).
Fresedo est plutôt de la Paternal, un quartier situé bien plus au Nord, mais il enregistre également ce tango sur Parque Patricios. Après le départ de Ricardo Ruiz, l’orchestre de Fresedo semble avoir cherché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Serpa soit le meilleur choix pour le tango de danse, mais l’assemblage n’est pas mauvais si on tient en compte que l’orchestration de Fresedo est également renouvelée et sans doute bien moins propice à la danse que ses prestations de la décennie précédente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait perdre un peu de son âme et la décennie suivante et accélèrera cet éloignement du tango de danse. Fresedo avait la réputation d’être un peu élitiste, disons qu’il s’est adapté à un public plus « raffiné », mais moins versé sur le collé-serré des milongueros.
Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei
Perdoná barrio porteño Que al correr tu vista tanto, Voy vencido por la vida Y en angustias sé soñar. Vuelvo atrás y tú en mis sienes Marcarás las asechanzas, De esta noche tormentosa De mi loco caminar.
Han pasado muchos años Y es amargura infinita, La que traigo dentro del pecho Desangrado el corazón. Apagada para siempre De su cielo, mi estrellita, El regreso es un sollozo Y una profunda emoción.
Mi acento ya no tiene Tus tauras expresiones, Con que cantaba al barrio En horas del ayer. Por eso mi guitarra Silencia su armonía, En esta noche ingrata De mi triste volver.
Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Dematte
Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei
Pardonne-moi quartier portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vaincu par la vie et dans l’angoisse je sais rêver. Je reviens et toi, dans mes tempes, tu marqueras les pièges, de cette nuit d’orage, de ma folle marche. De nombreuses années ont passé et c’est une amertume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saignant mon cœur. Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un sanglot et une émotion profonde. Mon accent n’a plus tes expressions bravaches, avec lesquelles je chantais au quartier aux heures d’hier. C’est pourquoi ma guitare fait taire son harmonie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.
Cette géniale milonga est une star des bals. Deux versions se partagent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, contemporaine de l’autre Francisco, Lomuto avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux portent parfaitement l’improvisation en milonga, comportent des cuivres pour une sonorité originale et si on n’est sans doute un peu plus accoutumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.
Parque Patricios 1940-10-03 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra).Parque Patricios 1941-06-27 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra)
Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino
Mi viejo Parque Patricios querido rincón porteño, barriada de mis ensueños refugio de mi niñez. El progreso te ha cambiado con su rara arquitectura, llevándose la hermosura de tu bondad y sencillez. Cuántas noches de alegría al son de una serenata, en tus casitas de lata se vio encender el farol. Y al sonar de las vigüelas el taita de ronco acento, hilvanaba su lamento sintiéndose payador (trovador en la versión de Famá).
Antonio Radicci Letra: Francisco Laino
Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino
Mon vieux Parque Patricios, cher recoin de Buenos Aires, quartier de mes rêves, refuge de mon enfance. Le progrès t’a changé avec son architecture étrange, t’enlevant la beauté de la bonté et de ta simplicité. Combien de nuits de joie au son d’une sérénade, dans tes petites maisons de tôle se voyait allumer la lanterne. Et au son des vigüelas [sortes de guitares] le taita [caïd] avec un accent rauque, tissait sa complainte en se sentant payador.
Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
Une version plutôt jolie, mais qui ne devrait pas satisfaire les danseurs. Contentons-nous de l’écouter. On pourra s’intéresser à la jolie prestation au bandoneón de Edgardo Pedroza.
Viejo Parque Patricios 1955-04-15 — Gerónimo Bongioni y su Auténtico Cuarteto “Los Ases” (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia)
La version proposée par Bongioni est bien différente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrouvera une inspiration de Firpo et des Uruguayens comme Racciatti et Villasboas). Même si c’est très joueur, à la limite de la milonga, le résultat est sans doute assez difficile à danser par la plupart des danseurs.
Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
Bien que les deux enregistrements soient instrumentaux, il y a des paroles qui ne semblent cependant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.
Por los corrales de ayer Mis años yo pasé, Barrio florido Yo fui el primero Que te canté. En Alcorta y Labardén, Caseros y Arena, Bordé mi nido de amor. Y en una cuadrera Supe ser buen ganador, El Pibe, El Chueco y El Inglés Por una mujer, Se trenzaron en más de una vez Con este cantor.
Porteño soy De las tres esquinas, Pinta cantora Para un querer. Nací en el Parque Patricios Sobre los viejos corrales de ayer. Porteño soy De las tres esquinas, Y en mi juventud florida El lecherito del arrabal, Y como también Un bailarín sin rival. Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia
Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia
À travers les corrales d’hier. Mes années j’ai passé. Quartier fleuri, j’ai été le premier qui t’a chanté. À Alcorta et Labardén, Caseros et Arena, j’ai brodé mon nid d’amour. Et dans une course de chevaux (peut-être aussi écurie), j’ai su être un bon gagnant. El Pibe, El Chueco et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte). Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chantante pour un amour. Je suis né à Parque Patricios sur les anciens corrales d’hier. Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laitier des faubourgs, et aussi bien, un danseur sans rival.
Parque Patricios de Mateo Villalba et Maura Sebastián
Et pour terminer avec les versions, Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián. C’est une composition de Martina Iñíguez et de Mateo Villalba. C’est une version légère, doucement valsée et chantée avec des paroles différentes.
Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián
El Parque de los Patricios
Ce quartier porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysagiste français, Charles Thays. Né à Paris en 1849, cet architecte, naturaliste, paysagiste, urbaniste, écrivain et journaliste français a déroulé l’essentiel de sa carrière en Argentine, notamment en dessinant et aménageant la plupart des espaces verts de Buenos Aires, mais aussi d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du second parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il participa également à l’amélioration de la culture industrielle de yerba mate (germination), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.
Le Parque Patricios tel qu’il a été créé à l’origine. Dessin de 1902.
Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre destination. Nous en avons parlé à diverses reprises. C’étaient les abattoirs et la décharge d’ordures. Beaucoup y voient le berceau du tango, voire de Buenos Aires. En fait, tout le territoire actuel de la « Comuna 4 » constitue le Sud (Sur), zone particulièrement propice à la nostalgie et notamment chez D’Agostino et Vargas, qui ont produit plusieurs titres évoquant les quartiers de cette commune. Le nom de Parque Patricios ou Parque de los Patricios a été donné au parc par l’Intendant Bulrich en l’honneur des Patricios, ce prestigieux bataillon de l’armée argentine.
Les Patricios continuent aujourd’hui à animer la vie argentine, même si leur dernier engagement a été pour les Malouines. À droite, l’uniforme au début du régiment (1806–1807). À l’extrême droite, un officier.La commune 4 de Buenos Aires, correspond sensiblement au Sur « mythique » avec les quartiers très populaires de Parque Patricios, Nueva Pompeya, Barracas et La Boca. On pourrait rajouter la zone inférieure de Boedo qui appartient à la commune 5, cette zone chère à Homero Manzi.
Voici à quoi ressemblait le quartier de Parque Patricios au début du 20e siècle. On comprend son surnom de barrio de las latas évoqué dans le tango dont nous avons déjà parlé.
Mais outre cet habitat particulièrement pauvre, la zone était également une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détritus de Buenos Aires. Les ordures étaient transportées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.
Un mural reproduisant le parcours du train des ordures rue Oruro 1400.El tren de la basura.
L’autre spécialité de la zone était les abattoirs, Los Corrales, qui à la suite de la construction de nouveaux abattoirs à Abasto, sont devenus Los Corrales Viejos…
Deux détails du mural du train des ordures de la rue Oruro. On remarquera que de véritables « détritus » ont été utilisés, mais avec une intention artistique évidente.
Ceux qui aiment les milongas dynamiques se ruent en général sur la piste aux premières notes de Milonga querida interprétés par D’Arienzo et Echagüe et ils ont bien raison. Malgré un rythme qui semble soutenu, cette milonga aide les danseurs à s’amuser, ce qui n’est pas autant le cas avec ces milongas que l’on met trop souvent en pensant que les danseurs ne sont pas au niveau… Au contraire, il faut ce type de milonga pour les faire progresser et danser avec joie. Le canyengue n’est pas de la milonga…
Extrait musical
Milonga querida 1938-11-09 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.
Le piano incisif de Juan Polito qui venait de reprendre la main (je devrais dire les deux mains, puisqu’il s’agit de piano) après l’exclusion de Rodolfo Biagi de l’orchestre. Deux accords posent le tempo et le piano lance la milonga immédiatement. Des passages traspies (staccato) alternent avec des passages lisses (legato), ce qui permet aux danseurs, à la fois de varier les improvisations et de se reposer un peu, ou pour le moins de prendre leur marque dans le flot de la milonga pour s’intégrer dans l’harmonie du bal. La vitesse semble très rapide, mais elle est suffisamment modérée pour pouvoir parfaitement jouer avec la musique. L’attention est soutenue par l’alternance des parties et quand Echagüe commence à chanter, il reste totalement dans le rythme, ce rythme cher à D’Arienzo et qu’il ne sacrifiera surtout pas pour une milonga. Les instruments, notamment les cordes et les bandonéons, semblent lancer des piques. Les accords sont brefs, nerveux. On se représente bien D’Arienzo, penché en avant avec l’avant-bras dont le poing est serré, encourageant ses musiciens à donner ces accords, un par un ou par salves nettes dans un staccato très intense, jusqu’aux délivrances des passages liés. Si vous êtes danseur et intéressé par la musicalité, vous trouverez sans doute pas mal d’inspiration dans cette milonga ponctuée par les fioritures du piano de Polito dans la lignée de Biagi. La diction de Echagüe, sans doute à son apogée dans cette interprétation, permet de capter les paroles, tout en utilisant la voix comme un instrument rythmique, favorisant la continuité stylistique avec les parties orchestrales. La fin arrive de façon abrupte, comme si D’Arienzo après avoir lancé les danseurs dans une danse effrénée, voulait les pousser à la faute en les faisant continuer de bouger alors que la musique s’est arrêtée. Bien sûr, cet enregistrement est tellement connu que les danseurs ne se laissent pas surprendre, mais on peut imaginer l’ambiance que le titre provoquait lors de ses premières exécutions.
Paroles
No la pintaron los poetas en sus versos seductores, ni conocieron su vida ni el amor de sus amores. Fue la más linda del barrio y por linda, codiciada, y más de cien entreveros su belleza provocó.
Pero ella bien conocía quién en silencio la amaba y a nadie al fin comprendía pues con ninguno se daba; por verla sola, muy sola, mil comentarios se hicieron y difamaron su nombre al no conseguir su amor.
Aquel muchacho tan triste, tan humilde y tan sencillo, se fue en silencio una noche del alegre conventillo. Y aquella piba bonita por bonita codiciada, cargó una tarde sus cosas, y a su barrio no volvió.
Juan Larenza Letra: Lito Bayardo
Traduction libre
Les poètes ne l’ont pas peinte dans leurs vers séducteurs ni ne connurent sa vie ni l’amour de ses amours. C’était la plus belle du quartier et parce qu’elle était belle, convoitée, et plus d’une centaine de bagarres, sa beauté a provoqué. Mais elle savait bien qui l’aimait en silence, et elle ne comprenait personne à la fin, car à aucun elle se donnait ; À la voir seule, très seule, mille commentaires se firent et diffamèrent son nom, car ils n’avaient pas obtenu son amour. Ce garçon, si triste, si humble et si simple, sortit en silence une nuit du joyeux conventillo (logement collectif pauvre). Et cette jolie fille, convoitée pour sa beauté, une après-midi, a emporté ses affaires, et elle n’est pas revenue dans son quartier.
Autres versions
Milonga querida 1938-11-09 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre milonga du jour.Milonga querida 1990c — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.
Avec l’Uruguayen Villasboas, on reste dans une dimension joueuse. On reconnaît son style et ses arrangements particuliers. Son piano est sans doute moins présent que celui de Polito, cela laisse plus de clarté pour les violons et bandonéons. On pourra peut être moins apprécier la trop grande régularité qui peuvent engendrer de la monotonie. Je pense qu’écouter cette version après celles de D’Arienzo qui lui est antérieure d’un demi-siècle montre bien la différence d’une musique parfaite pour la danse par rapport à une musique sympathique, mais qui ne porte pas aussi bien.
Et un titre identique, mais totalement différent. C’est une création de Eduardo Pereyra (El Chon) qui est encore dans l’esprit canyengue.
Milonga querida 1931-11-23 — Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.
On ne peut pas dire que ce soit vilain, mais sauf pour les amateurs d’encuentros, difficile de résister (dans le sens supporter) à une tanda de ce type… La fin un peu plus vivante ne sauve pas forcément l’ensemble…
Vous aurez compris que si on me demande « Milonga querida » je proposerai systématiquement la version de D’Arienzo et Echagüe.
Paroles du tango « Milongua querida » de Eduardo Pereyra
Milonguita querendona Mi más vieja compañera, Te llevo en el corazón Como al más fiel de mis amores.
Tu canción es el recuerdo De mi vida aventurera, Que me embriaga de dolor Al recordar aquel tiempo mejor.
Eduardo Pereyra (El Chon) (Paroles et musique)
Traduction libre du texte de Eduardo Pereyra (El Chon)
Petite milonga amoureuse (qui s’énamoure facilement) Ma plus vieille compagne, Je te porte dans mon cœur Comme le plus fidèle de mes amours. Ta chanson est le souvenir De ma vie aventureuse, Qui m’enivre de douleur Au souvenir de ces temps meilleurs. Le texte fait sans doute plus penser aux textes des milongas des payadores qu’au rythme allègre qui en reprendra le nom.
Les auteurs
La collaboration entre Juan Larenza et Lito Bayardo a donné la très célèbre zamba, Mama vieja, que De Angelis enregistrera en forme de valse, comme la magnifique valse Flores del alma (dont les paroles ont été coécrites avec Alfredo Lucero).
Juan Larenza (1911–1980), pianiste et compositeur
Juan Larenza
Les compositions de Larenza ont été enregistrées par de nombreux orchestres, dont De Angelis, D’Arienzo, Aníbal Troilo (avec le fameux Guapeando) et même Di Sarli. Sa plus célèbre biographie a été écrite ; justement par Lito Bayardo dans son ouvrage « Mis 50 años con la canción argentina »
Le livre de Lito Bayardo “50 años con la canción argentina” dans lequel il parle de son ami Juan Larenza. À droite, Larenza est le deuxième en partant de la droite et Bayardo le troisième.
Manuel Juan García Ferrari (1905–1986), plus connu comme Lito Bayardo, guitariste, chanteur, compositeur et parolier
Bayardo a écrit à la fois des textes de tangos et a composé des tangos dont il était également le parolier. Un des plus connus est sans doute Cuatro lágrimas enregistré, notamment, par Ricardo Tanturi avec Enrique Campos, Francisco Canaro avec Alberto Arenas et Rodolfo Biagi avec Alberto Amor.
En Europe, il y a une étonnante coutume qui consiste à danser la milonga sur n’importe quel rythme ; Chamame, polka et même fox-trot. Il est probable que cette coutume vient d’une méconnaissance par certains DJ de la variété des orchestres de tango qui pour beaucoup ont enregistrée, outre des tangos (valses et milongas), des titres de Jazz (par exemple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont proposé ces airs, pensant qu’il s’agissait de milongas. Comme les danseurs n’étaient pas très familiers avec le rythme de la milonga, ils ont rebondi sur la proposition et, désormais, c’est devenu une habitude bien ancrée que de danser ces danses dans un simulacre de milonga. Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dommage de s’en passer. Alors, même si vous la dansez en « milonga », le principal est de se faire plaisir. Le plus connu des fox-trots utilisés comme milonga est sans doute La colegiala de Rodriguez, notamment la version du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins connu, mais assez sympathique, comme vous allez pouvoir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milonga formidable, mais assurément un excellent fox-trot…
Extrait musical
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) — Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico).
Paroles
Pour une fois, je ne vais pas explorer les paroles, car chaque version est différente et je vais donc présenter seulement quelques extraits. Pour commencer, le titre d’origine.
Paroles en anglais
You’re Driving Me Crazy (What Did I Do?)
You left me sad and lonely Why did you leave me lonely For here’s a heart that’s only For nobody but you I’m burning like a flame, dear Oh, I’ll never be the same, dear I’ll always place the blame, dear On nobody but you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do? What did I do? My tears for you make everything hazy Clouding the skies of blue How true were the friends who were near me To cheer me, believe me, they knew But you were the kind who would hurt me Desert me when I needed you Yes, you, you’re driving me crazy What did I do to you Walter Donaldson
Traduction libre de la version originale en anglais
Tu m’as laissé triste et seul Pourquoi m’as-tu laissé seul Car voici un cœur qui n’est Pour personne d’autre que vous Je brûle comme une flamme, ma chère Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère Je mettrai toujours le blâme, ma chère Sur personne d’autre que vous Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Mes larmes pour toi rendent tout brumeux Mettant des nuages dans le ciel bleu Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères Pour m’encourager, crois-moi, ils savaient Mais tu étais du genre à me faire du mal Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi Oui, toi, tu me rends fou Qu’est-ce que je t’ai fait ?
Quelques extraits des différentes versions en espagnol
Les paroles de Francisco Antonio Lío ont été, comme toujours, utilisées en partie par les orchestres. N’ayant pas trouvé de version imprimée, je vous propose des bribes extraites des différentes versions.
Me vuelves loco nena, con tus caprichos vanos. Tienes que ser más buena para mi corazón. […] Bien sabes que te quiero y en cambio tú, querida _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devoción. […] Loco de tanto adorarte nena, ya estoy por ti. […] Por ti estoy trastornado y no hay razón para sufrir Por tu desdén tantas desventuras hay dime que si mi amor el cariño que yo te profeso es dicha y pasión Mi afán es amarte con loco embeleso y devoción Loco de tanto adorarte nena ya estoy por ti.
Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices. Tu devrais être plus gentille avec mon cœur. Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine. Tout mon empressement est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévotion. Fou de t’adorer autant bébé, je le suis déjà pour toi. Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de raison de souffrir. Par ton dédain il y a tant de malheurs dis-moi que si mon amour, l’affection que je professe pour toi est joie et passion. Mon empressement est de t’aimer avec un fou ravissement et de la dévotion. Fou de tant t’adorer bébé, je le suis déjà pour toi.
°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas identifiés.
Autres versions
En 1930 Walter Donaldson compose et écrit les paroles de You’re driving me crazy qui sera dansé et interprété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musicale « Smiles ». Le titre est un succès et est repris par différents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nombreuses versions de ce fox-trot qui est connu sous différents noms, traduction plus ou moins approximative de You’re driving me crazy.
Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Photo de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musicale de Florenz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.You’re driving me crazy 1930 — The New York Twelve.You’re driving me crazy (What did I do) 1930 — Lee Morse.
What did I do qui est répété trois fois dans la version anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.
You’re driving me crazy! 1930-12-23 — Louis Armstrong and His Sebastian New Cotton Club Orchestra avec Les Hite’s Orchestra.
L’enregistrement a été réalisé à Los Angeles le 23 décembre 1930 en réunissant l’orchestre de Louis Armstrong et celui de Les Hite. Jugez de la qualité des musiciens qui composent ce grand orchestre de jazz. Banjo : Bill Perkins Basse : Joe Bailey Percussion : Lionel Hampton Guitare : Bill Perkins Piano : Jimmie Prince Direction de l’orchestre et saxophone alto et baryton : Les Hite Saxophone alto : Marvin Johnson Saxophone Tenor: Charlie Jones Trombone : Luther “Sonny” Craven Trompette : George Orendorf Trompette : Harold Scott Trompette et chant : Louis Armstrong
You’re driving me crazy de Luis Armstrong enregistré à Los Angeles, 23 Décembre 1930. Édition anglaise chez Parlophone.
En 1931, le titre qui est un succès en Argentine, est enregistré par différents orchestres, avec des paroles de Francisco Antonio Lío.
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 — Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico). C’est notre Foxtrot du jour.Me estas enloqueciendo 1931-11-17 — Osvaldo Fresedo con Carlos Viván.Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-21 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Me vuelves loco 1931-11-21 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo (qui n’est pas mentionné sur le disque…)
Me estás enloqueciendo 1932 — Sexteto Carlos Di Sarli con Mercedes Carné.
Même Di Sarli a enregistré des fox-trots…
Me vuelves loco — Francisco Canaro et Aldo Maietti.
Aldo Maietti est le représentant du tango italien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enregistrement de 1932 les réunit pour une version instrumentale.
Aldo Maietti surnommé El rey del tango italiano a composé plusieurs centaines de tangos qui ont été interprétés, par exemple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trombetta. Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.
Le jazz
En Argentine, le jazz a rencontré également du succès, même si l’explosion du tango l’a estompé. Dans les bals, il y avait souvent deux orchestres. Un pour le tango et un pour le jazz. Certains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Carabelli, Canaro, Fresedo, Rodriguez et bien d’autres.
El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. On voit que, pour presque tous les événements, en plus de l’orchestre de tango (entouré), il y a le nom d’un second orchestre, un orchestre de jazz.
Les années folles ont donné naissance au jazz et au tango, genres qui trouveront leur plein développement dans les années 30–40. Le fox-trot est une danse de couple. Contrairement au tango, il y a peu d’improvisation et les déplacements sont codifiés. Cela pourrait rendre la danse un peu monotone, mais la musique est si entraînante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant. Voici un exemple, un peu atypique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad. C’est un des nombreux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.
Extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto, le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.
La prochaine fois que vous entendrez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot… À bientôt, les amis.
« Comme il faut » , le titre de ce tango est en français et il signifie que l’on fait les choses bien, comme il faut qu’elles soient réalisées. Nous allons toutefois voir, que sous ce titre « anodin » se cache une tricherie, quelque chose qui n’est peut-être pas fait, « comme il faut ».
Je parle français comme il faut
Je pense que vous ne serez pas surpris de découvrir un titre en français, il y a en a plusieurs et les mots français sont couramment utilisés par les Argentins et fort fréquents dans le tango.
Deux raisons expliquent cette abondance.
La première, c’est le prestige de la France de l’époque.
La haute société argentine parlait couramment le français qui était la langue « chic » de l’époque. À ce sujet, il y a une quinzaine d’années, une amie me faisait visiter son club nautique. C’est le genre d’endroit dont on devient membre par cooptation ou héritage familial. J’ai été surpris d’y entendre parler français, sans accent, par une bonne partie et peut-être même la majorité des personnes que l’on croisait. Je m’en suis ouvert et mon amie m’a informé que les personnes de cette société avaient coutume de parler entre eux en français, cette langue étant toujours celle de l’élite.
La seconde, vous la connaissez.
Les orchestres de tango se sont donné rendez-vous en France au début du vingtième siècle. Il était donc naturel que s’expriment des nostalgies, des références pour montrer que l’on avait fait le voyage ou tout simplement que s’affichent les expressions à la mode.
Je peux vous conseiller un petit ouvrage sur la question, EL FRANCÉS EN EL TANGO: Recopilación de términos del idioma francés y de la cultura francesa utilizados en las letras de tango. Il a été écrit par Víctor A. Benítez Boned qui cite et explicite 78 mots de français qui se retrouvent dans le tango et 41 noms propres désignant des Français ou des lieux de France. On peut considérer qu’environ 200 tangos font directement référence à la France, aux Français (souvent aux Françaises) ou à la langue française. Víctor A. Benítez Boned en cite 177.
Comme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli.Comme il faut de Eduardo Arolas avec la dédicace “A mis estimados y distinguidos amigos Francisco Wright Victorica, Vladislao A. Frías, Juan Carlos Parpaglione y Manuel Miranda Naón”.
Les dédicataires sont des étudiants en droit qui ont probablement cassé leur tire-lire pour être dédicataires : Francisco Wright Victorica, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917 Vladislao A. Frías ; étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917, puis juge au civil et membre de la cour d’appel au tribunal de commerce de Buenos Aires. Juan Carlos Parpaglione, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires en 1917. Manuel Miranda Naón, étudiant de la Faculté de droit et de sciences sociales de Buenos Aires. En 1918, il a participé au mouvement de réforme de cette université.
Paroles
Luna, farol y canción, dulce emoción del ayer fue en París, donde viví tu amor. Tango, Champagne, corazón, noche de amor que no está, en mi sueño vivirá…
Es como debe ser, con ilusión viví las alegrías y las tristezas; en esa noche fue que yo sentí por vos una esperanza en mi corazón. Es como debe ser en la pasión de ley, tus ojos negros y tu belleza. Siempre serás mi amor en bello amanecer para mi vida, dulce ilusión.
En este tango te cuento mi tristeza, dolor y llanto que dejo en esta pieza. Quiero que oigas mi canción hecha de luna y de farol y que tu amor, mujer, vuelva hacia mí.
Eduardo Arolas Letra: Gabriel Clausi
Traduction libre et indications
Lune, réverbère et chanson, douce émotion d’hier c’était à Paris, où j’ai vécu ton amour. Tango, Champagne, cœur, nuit d’amour qui n’est pas là, dans mon rêve vivra… C’est comme il faut (comme il se doit), avec enthousiasme j’ai vécu les joies et les peines ; C’est ce soir-là que j’ai senti de l’espoir pour toi dans mon cœur. C’est comme doit être la véritable passion (les Argentins disent de ley, de la loi, par exemple un porteño de ley pour dire un véritable portègne), de tes yeux noirs et de ta beauté. Tu seras toujours mon amour dans la belle aurore pour ma vie, douce illusion (doux sentiment). Dans ce tango, je te conte ma tristesse, douleur et larmes que je laisse dans ce morceau. Je veux que tu entendes ma chanson faite de lune et de réverbère et que ton amour, femme, revienne jusqu’à moi.
Elle est où la tricherie promise ?
Comme je vois que vous semblez intéressés, voici la tricherie. Le tango « Comme il faut » a un frère jumeau « Comparsa criolla » signé Rafael Iriarte.
Couverture et partition de Comparsa Criolla de Rafael Iriarte. La mention du concours de 1930 est en haut de la couverture.
La gémellité n’est pas une tricherie me direz-vous, mais alors comment nommer deux tangos identiques attribués à des auteurs différents ? On dirait aujourd’hui un plagiat. Nous avons déjà rencontré plusieurs tangos dont les attributions étaient floues, que ce soit pour la musique ou les paroles. Firpo n’a-t-il pas cherché à mettre sous son nom La cumparsita, alors pourquoi pas une comparsa ? Mais revenons à notre paire de tangos et intéressons-nous aux auteurs. Eduardo Arolas (1892–1924), un génie, mort très jeune (32 ans). Non seulement il jouait du bandonéon de façon remarquable, ce qui lui a valu son surnom de « Tigre du bandonéon », mais en plus, il a composé de très nombreux titres. C’est assez remarquable si on tient compte de sa très courte carrière. Il s’est dit cependant qu’il s’inspirait de l’air du temps, utilisant ce que d’autres musiciens pouvaient interpréter à une époque où beaucoup n’écrivaient pas la musique. Il me semble que c’est plus complexe et qu’il est plutôt difficile de dénouer les fils des interactions entre les musiciens à cette époque où il y avait peu de partitions, peu d’enregistrements et donc surtout une connaissance par l’écoute, ce qui favorise l’appropriation d’airs que l’on peut de toute bonne foi croire originaux. Pour revenir à notre tango du jour et faire les choses Comme il faut, voyons qui est le second auteur, celui de Comparsa criolla, Rafael Iriarte. (1890–1961). Lui aussi a fait le voyage à Paris et Néstor Pinsón évoque une collaboration dans la composition qui aurait eu lieu en 1915. Si on s’intéresse aux enregistrements, les plus anciens semblent dater de 1917 et sont de Arolas lui-même et de la Orquesta Típica Pacho. Les deux disques mentionnent seulement Arolas comme seul compositeur.
Eduardo Arolas et un disque par la Tipica Pacho qui serait également de 1917 selon Enrique Binda, spécialiste de la vieille garde).
Peut-être que le fait que Arolas avait accès au disque à cette époque et pas Iriarte a été un élément. Peut-être aussi que la part d’Arolas était suffisamment prépondérante pour justifier qu’il soit le seul mentionné. Je n’ai pas trouvé de témoignage indiquant une brouille entre les deux hommes, si ce n’est une hypothèse de Néstor Pinsón. Faut-il voir dans le fait que Iriarte signe de son seul nom la version qu’il dépose en 1930 et qui obtiendra un prix, au septième concours organisé par la maison de disque « Nacional ». Ce qui est curieux est que Francisco Canaro, qui était ami de Arolas ait enregistré sa version avec la mention de Iriarte et pas celle de son ami décédé six ans plus tôt. Faut-il voir dans cela une reconnaissance de Canaro pour la part de Iriarte ? Pour vous permettre d’entendre les similitudes, je vous propose d’écouter le début de deux versions. Celui de 1951 de Comme il faut, notre tango du jour par Di Sarli et celui de Comparsa criolla de Tanturi de 1941. J’ai modifié la vitesse de la version de Tanturi pour que les tempos soient comparables.
Débuts de : Comme il faut de Eduardo Arolas par Carlos Di Sarli (1951) et Comparsa criolla de Rafael Iriarte par Ricardo Tanturi (1941).
Autres versions
Comme il s’agit du « même » tango, je vais placer par ordre chronologique plusieurs versions de Comme il faut et de Comparsa criolla.
Comme il faut 1917 — Eduardo Arolas
Les musiciens de l’orchestre de Arolas en 1916. Arolas est en bas, au centre. Juan Marini, pianiste, à gauche, puis Rafael Tuegols et Atilio Lombardo (violonistes) et Alberto Paredes (violonceliste). Ce sont eux qui ont enregistré la version de 1917 de Arolas.
Comme il faut 1917 — Orquesta Típica PachoComparsa criolla 1930-11-18 — Francisco CanaroComme il faut 1936-10-27 — Juan D’ArienzoComme il faut 1938-03-07 — Anibal TroiloComparsa criolla 1941-06-16 — Ricardo TanturiComme il faut 1947-01-14 — Carlos Di SarliComparsa criolla 1950-12-12 — Orchestre Quintin VerduComme il faut 1951-09-26 — Orquesta Carlos Di Sarli.Comme il faut 1955-07-15 — Carlos Di SarliComme il faut 1966-09-30 — Hector VarelaComme il faut 1980 — Alfredo De AngelisComme il faut 1982 — Leopoldo Federico
Mon cher Correcteur, Thierry, m’a fait remarquer que je n’avais pas proposé de versions chantées. N’en ayant pas sous la main, j’ai fait un appel à des collègues qui m’ont proposé deux versions, Nelly Omar avec Bartolomé Palermo de 1997 et Sciamarella Tango con Denise Sciammarella de 2018 :
Comme il faut 1997 — Nelly Omar con Bartolomé Palermo y sus guitarras. Merci à Howard Jones qui m’a signalé cette version.Comme il faut 2013 — Gente de tangoComme il faut 2018 – Sciamarella Tango con Denise Sciammarella. Merci à Yüksel Şişe qui m’a indiqué cette version.Comme il faut 2020-08 — El Cachivache
Je vous propose d’arrêter là les exemples, il y en aurait bien sûr quelques autres et je vous dis, à bientôt les amis !
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)
Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre tango du jour, El cuarteador. C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.
Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.
Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.
Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition. Curieusement, Ángel Villodo n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor. Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.
Extrait musical
El cuarteador 1941-09-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Le titre commence par une annonce.
Paroles
Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó. Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Tengo un pingo que en el barro cualquier carro tira y saca. Overo de anca partida, que en un trabajo de cuarta de la zanja siempre aparta ¡Chiche! la rueda que se ha quedao.
Yo que tanta cuarta di, yo que a todos los prendí a la cincha de mi percherón, hoy, que el carro de mi amor se me encajó, no hay uno que pa’ mi tenga un tirón.
En la calle del querer el amor de una mujer en un bache hundió mi corazón… ¡Hoy, ni mi overo me saca de este profundo zanjón!
Yo soy Prudencio Navarro, el cuarteador de Barracas. Cuando ve mi overo un carro compadreando se le atraca.
No hay carga que me lo achique, porque mi chuzo es valiente; yo lo llamo suavemente ¡Chiche! Y el pingo pega el tirón.
Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)
C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. J’ai un pingo (cheval en lunfardo) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot. Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée. Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction. Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur… Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond ! Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas. Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le contact d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot). Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.
Autres versions
El cuarteador 1941-09-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.El cuarteador 1941-10-06 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de Tres esquinas.
Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas…
El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.
Los cuarteadores
Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre. Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes. Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.
À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…
Voici comment les voyageurs J. et G. Robertson, narrèrent leur traversée de la pampa entre Buenos Aires et Santa Fe.
« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle. Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture… À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages. Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux). Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force. À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais. De cette façon, nous avons traversé avec succès tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »
La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’illustration de l’anecdote.
On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services. Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.
Je profite de la modification sur l’anecdote sur Poema liée au cadeau par André Vagnon de deux versions très rares pour faire quelques remerciements. L’aventure des anecdotes de tango initiée il y a un peu plus de six mois a bénéficiée de l’aide de différents collègues, de sites et de livres. La petite pause technique, un peu imposée pour les raisons déjà évoquées, me donne l’occasion de donner quelques remerciements. Les collègues TDJ Camilo Gatica, Gabbo Fresedo, André Vagnon (Bible Tango) et Michael Sattler qui m’ont passé des musiques que je n’avais pas et Fred Alard qui par sa lecture attentive m’a fait améliorer certains articles. Merci à Gérard Cardonnet,Anita et Philippe Constant qui m’ont également fourni des informations fort intéressantes et qui ont également écrit d’intéressants commentaires. Je dois également citer mon infatigable correcteur, Thierry Lecoquierre qui traque mes coquilles avec une efficacité redoutable. Un grand merci pour mes partageurs, qui chaque jour ont partagé mes anecdotes sur leurs profils, Tanguy Tango est sur la première marche du podium. Merci à ceux qui mettent de gentils commentaires, comme Angela Cassan (première marche du podium dans cette catégorie) Jean-Philippe Kbcoo, Domi Laure, Merci aux 600 visiteurs quotidiens du site, même si cet afflux me pose des problèmes avec la société qui héberge le site web et qui me dit que je devrais prendre un hébergement web plus cher pour éviter les coupures. “Utilisation de l’UC et des connexions simultanées excèdent régulièrement les ressources disponibles, veuillez considérez (sic) l’évolution vers une gamme supérieure de formule d’hébergement, qui inclurait alors plus de ressources.”… Merci à tous ceux qui mettent des J’aime sur les publications et notamment leur partage dans Facebook. Merci à tous ceux qui lisent, écoutent et me font de temps à autre un petit signe. Merci aux merveilleux DJ de Buenos Aires et qui sont ma référence. Merci à ceux qui me suivent comme DJ également, ces anecdotes sont indissociables de cette activité. Mieux connaître le répertoire, c’est pouvoir offrir la bonne musique au bon moment. Merci à ceux qui m’ont laissé de gentils commentaires dans mon livre d’or.
Bref, merci à tous (moins un qui se reconnaîtra, même si comme je l’ai fait à diverses reprises, je lui tends la main pour faire la paix, ce qu’il a à chaque fois refusé, préférant continuer la guerre qu’il a initiée).
Merci à mes principaux sites de référence :
Tango-dj.at La meilleure référence pour avoir les dates d’enregistrement et les auteurs des tangos. TodoTango.com Une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent au tango. La Bible TangoUne autre référence, notamment pour le tango européen. Milongaophelia Qui propose de nombreux articles de fond, une belle iconographie et qui est très utile pour le tango à Paris au début du vingtième siècle. Tangos al bardo Le site passionnant et incontournable de José María Otero Michael Lavocah,Pour être sincère, je n’ai lu qu’un article de son site, mais il me semble être une importante ressource. Je viens de recevoir son livre Histoire de tango qui est plutôt bien fait. Je vous le recommande.
Pour les livres, cela serait un peu long
J’en ai cité quelques-uns dans mes anecdotes, mais impossible de tous les citer. Je vous donne juste quelques petites perles en attendant :
Mis memorias(1906–1956) Mis bodas de oro con el tango (Francisco Canaro). Un des plus intéressants, car autobiographique. Osvaldo Pugliese, une vida en el tango (Oscar del Priore). Un peu court, mais bien documenté. Osvaldo Pugliese, Testimonios de mi vida (Beba Pugliese). Par la fille de Pugliese. Osvaldo Pugliese al Colón (Arturo M. Lozza). Merci à Denis Torres qui m’a fait parvenir une version PDF, plus facile à trimbaler que la version papier que j’utilisais. Un très bon ouvrage. El tango en la sociedad portena 1880–1920 (Lamas Binda), qui a écrit beaucoup et dont je recommande la plupart des écrits. De plus, il est spécialiste des tangos de la vieille garde). La historia del tango en Paris (Enrique Cadicamo). Así nacieron los tangos (Francisco García Jiménez). Cien tangos fundamentales (Oscar del Priore y Irene Amuchástegui). El origen del tango (Roberto Selles). Les livres de Felipe Pigna sur l’histoire argentine (Pas directement lié au tango, mais comme ces derniers s’inscrivent dans l’histoire du pays, il faut un peu de culture historique). Et les nombreuses discographies et catalogues de maisons d’édition qui permettent de lever bien des doutes.
Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique
Carlos Viván, l’auteur et le compositeur de ce tango fut un bon vivant et ce tango touche de très près sa vie qui fut clairement parmi les plus instables possibles. Le seul point étonnant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le supposer, à la fin de sa vie tourmentée… L’abondance des versions à l’âge d’or et par la suite, prouve que ce sujet touchait la sensibilité des Argentins ; et la vôtre ?
Extrait musical
Cómo se pianta la vida 1940-08-20 ‑Orquesta Enrique Rodríguez con Armando MorenoPartitions de Cómo se pianta la vida de Carlos Viván (paroles et musique)
Paroles
Berretines locos De muchacho rana Me arrastraron ciegos En mi juventud En milongas, timbas Y en otras macanas Donde fui palmando Toda mi salud
Mi copa bohemia De rubia champagne Brindando amoríos Borracho la alze Mi vida fue un barco Cargado de hazañas Que juntó a las playas Del mar lo encalle
Cómo se pianta la vida Cómo rezongan los años Cuando fieros desengaños Nos van abriendo una herida Es triste la primavera Si se vive desteñida
Cómo se pianta la vida De muchacho calavera
Los veinte abriles cantaron un día la milonga triste de mi berretín y en la contradanza de esa algarabía al trompo de mi alma le faltó piolín. Hoy estoy pagando aquellas ranadas Final de los vivos Que siempre se da Me encuentro sin chance En esta jugada La muerte sin grupo Ya ha entrado a tallar
Cómo se pianta la vida De muchacho calavera Carlos Viván — 1929 — Paroles et musique
Traduction libre
Les folles lubies d’un gars débrouillard m’ont entraîné à l’aveuglette dans ma jeunesse, dans les milongas (Carlos Viván était un grand danseur de tango), les timbas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma santé. Mon verre bohème de champagne blond, trinquant aux amours, ivre, je l’ai levé (Carlos Viván était plutôt amateur de Whisky, sans doute à cause de ses origines irlandaises). Ma vie a été un navire plein d’exploits, qui rejoignit les plages marines et s’échoua. Comme la vie se perd (piantar, c’est en lunfardo, s’enfuir), comme les années grognent quand de féroces déceptions nous ouvrent une blessure. Le printemps est triste s’il se vit déteint. Comment se perd la vie d’un gars débauché. Les vingt avrils (même si “Avril” en Argentine tombe en automne, c’est l’équivalent de l’expression “Printemps” pour marquer les années. Dans le vers précédent, il parlait d’ailleurs de printemps) ont chanté un jour la milonga triste de ma lubie et dans la contredanse de ce brouhaha, Il me manquait au plus profond de mon âme une innocence (piolín, verlan de limpio, propre, personne sans casier judiciaire…). Aujourd’hui, je paie pour ces méfaits. Le final des canailles arrive toujours. Je me retrouve sans chance dans ce jeu dangereux. La mort sans mentir est déjà entrée pour tailler. Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.
Autres versions
Voici une petite sélection de versions illustrant le succès du thème pendant plus de 50 ans.
Cómo se pianta la vida 1930-03-18 — Azucena Maizani con conjuntoCómo se pianta la vida 1930-03-21 — Alberto Vila con guitarrasCómo se pianta la vida 1930-03-27 — Orquesta Luis Petrucelli con Roberto DíazCómo se pianta la vida 1930-04-02 — Orquesta Pedro Maffia con Carlos Viván.
Carlos Viván chante sa composition. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.
Cómo se pianta la vida 1930 — Roberto Maida acomp. de Orquesta Alberto Castellano.
Roberto Maida avant Francisco Canaro…
Cómo se pianta la vida 1930 — Tania acomp. de Orquesta Alberto Castellano.
Tania avec le même orchestre que Roberto Maida.
Cómo se pianta la vida 1932 — Orquesta Típica Auguste-Jean Pesenti du Coliseum de Paris.
En France aussi, la vie des tangueros est un peu dissolue…
Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.Cómo se pianta la vida 1942-09-15 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.Cómo se pianta la vida 1950-12-26 — Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada.Cómo se pianta la vida 1959c — Héctor Mauré con guitarras y bandoneonCómo se pianta la vida 1963-04-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche arr. de Julián Plaza.
On notera le début impressionnant proposé par Troilo et Plaza qui offre un tremplin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon particulièrement expressive. Une version que je trouve convaincante et touchante. Pas de danse possible, mais un régal à écouter.
C’est la plus originale et travaillée, un cran au-dessus de celle de Troilo, mais il faut être vraiment fan de Córdoba pour être enchanté par cette version. Je préfère les versions de danse ou celle de Troilo avec Goyeneche, mais la beauté du tango est qu’on a le choix et chacun pourra trouver son bonheur dans la très grande variété de ces enregistrements.
Invierno est sans doute un des tangos préférés des danseurs qui aiment Canaro. Avec un nom pareil, on se doute qu’on va parler de froid, d’hiver, en somme, mais avez-vous fait attention aux émouvantes paroles de Cadícamo ? Je vous offre en prime le texte complet de Cadícamo. Prenez votre manteau et votre écharpe et entrons au cœur de l’hiver.
Extrait musical
Invierno 1937-08-19 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto MaidaDisque et partition de Invierno
Il n’est pas sûr, qu’il soit nécessaire de décrire cet enregistrement tant il est connu. On notera l’intervention des instruments à vent (cuivres) typiques de Canaro. Le rythme est appuyé, comme un celui d’un homme marchant dans une neige épaisse. La voix de Maida, survole l’orchestre qui atténue ses pas lourds pour laisser la place au chanteur. C’est du Canaro typique et efficace. D’ailleurs, les orchestres contemporains qui reprendront le titre s’inspireront assez fortement de cette version pour faire leurs propres versions. Nous en verrons quelques-unes en fin d’article.
Paroles
Desde aquel balcón Baja una canción, Que es como un jirón De una esperanza… Su intención es la desesperanza cruel Que me arrincona más En esta soledad. Desde aquel balcón Rueda una canción, Que en la noche negra Dice así:
Volvió… El invierno con su blanco ajuar, Ya la escarcha comenzó a brillar En mi vida sin amor. Profundo padecer Que me hace comprender, Que hallarse solo, es un horror.
Y al ver… Cómo soplan en mi corazón, Vientos fríos de desolación Quiero llorar. Porque mi alma lleva Brumas de un invierno, Que hoy no puedo disipar…
En aquel balcón Cesa la canción, Pero igual la escuchan mis oídos Y es que por el eco perseguido estoy. Y todo su dolor Embarga el corazón. Para qué querré Esta vida yo, Cuando no me queda juventud… Horacio Gemignani Pettorossi Letra: Enrique Domingo Cadícamo
Roberto Maida chante uniquement ce qui est en gras, c’est-à-dire le texte annoncé comme étant la chanson écoutée par le narrateur.
Traduction libre
Depuis ce balcon, une chanson descend, qui est comme un lambeau d’espoir… Son sujet est le désespoir cruel qui m’enfonce davantage dans cette solitude. Depuis ce balcon roule une chanson qui, dans la nuit noire, dit ceci : Il est revenu… L’hiver avec ses atours blancs, Déjà le givre a commencé à briller dans ma vie sans amour. Une souffrance profonde qui me fait comprendre qu’être seul, c’est une horreur. Et quand je vois… Comme ils soufflent dans mon cœur, les vents froids de la désolation, j’ai envie de pleurer. Parce que mon âme porte les brumes d’un hiver, qu’aujourd’hui je ne peux pas dissiper… Sur ce balcon, la chanson s’arrête, mais mes oreilles l’entendent encore, car l’écho me poursuit. Et toute sa douleur paralyse le cœur. Pourquoi, moi, voudrais-je cette vie, alors que je n’ai plus de jeunesse…
Autres versions
Je serai tenté de dire qu’il n’y a pas d’autre version, mais ce ne serait pas sympathique pour les orchestres contemporains qui ont remis le titre à la mode. Je signale tout de même qu’il existe au moins deux autres tangos qui s’appellent Invierno, composés par Arturo Bettoni avec des paroles de Ramón Abellá (Rafael Jorge Abellá) pour le premier et Eduardo Bianco avec Araujo (paroles et musique) pour le second. Je vous propose seulement ici, les versions issues de Horacio Gemignani Pettorossi et Enrique Domingo Cadícamo.
Invierno 1937-08-19 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.Invierno 2013-11-30 — Hyperion Ensemble con Rubén PeloniInvierno 2015 — Cuarteto Mulenga con Maximiliano AgüeroInvierno 2015 — Orquesta Típica Misteriosa con Carlos RossiInvierno 2015c — Solo Tango OrquestaInvierno 2017-10 — Orquesta Romántica Milonguera con Marisol Martínez y Roberto Minondi.
Une orchestration originale et un duo, homme femme, comment résister à cette version ?
Invierno 2018 — Orquesta Típica Misteriosa con Eliana Sosa
De nouveau la Misteriosa dans une autre version, cette fois chantée par une femme, Eliana Sosa. Merci à Thierry, mon, talentueux correcteur qui détecte les coquille et a remarqué que j’avais mis deux fois la même version de Invierno par la Típica Misteriosa. Maintenant, vous avez bien ici Eliana Sosa qui a également enregistré avec Juan Pablo Gallardo et a réalisé deux disques, Sinergia tanguera et De donde vengo (dans lequel elle chante également ses propres compositions).
Et pour terminer en vidéo, un enregistrement de 2017 du Cuarteto Mulenga à la milonga Parakultural.
Les frères Sureda étaient complémentaires. Antonio, bandonéoniste et compositeur et Gerónimo, poète. Notre tango du jour est un des fruits de leur collaboration. Ceux qui pensent que le tango est une histoire de cocus et de trahison ne s’y retrouveront pas, mais tous les autres adoreront ce très beau thème que les frères Sureda ont peut-être dédié à leur mère…
Parmi leurs collaborations, nous pouvons citer en plus de notre tango du jour Ilusión marina qui est le premier titre de son frère sur lequel Gerónimo a mis des paroles. Voici d’autres titres que vous connaissez sans doute, car nous en possédons des enregistrements. Ils sont par ordre alphabétique :
A oscuras (Gerónimo est aussi crédité de la composition en compagnie de son frère pour ce titre).
Adiós juventud
Barreras de amor
Cacareando
Decime adiós
Juanillo (pasodoble)
Mala suerte
Nunca es tarde
Parece que fue ayer
Ronda del querer
Si alguna vez
Te quiero mucho más
Volvió la princesita
Yo quiero que sepas
Finalement Antonio a fait appel à son frère pour la majorité de ses compositions, mais signalons tout de même qu’un petit quart est aussi issu de la collaboration avec Homero Manzi, le reste étant anecdotique.
Extrait musical
Dos amores 1932-08-12 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.
Un tango appuyé et marchant tout à fait typique de Canaro. Contrairement à ce que faisaient certains orchestres contemporains, l’orchestration de Canaro se démarque par de beaux contrepoints qui sont souvent surprenants, mais qui donnent de l’intérêt et cassent tout risque de monotonie. Le long passage en pizzicati des violons qui commence à 1:45 après l’estribillo de Famá et le recours aux instruments en cuivre donne une sonorité particulière. On notera également l’intéressante variation finale qui anime les dernières secondes.
Paroles
Escuche viejecita… yo quiero que se entere Desde hace mucho tiempo, que tengo ya otro amor, Si viera qué bonita, qué buena es la muchacha Hay en sus ojazos más fuego que el sol. Yo quiero que la quiera con su cariño santo Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón, Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla Para llamarla madre… como lo llamo yo.
Fue cerquita del barranco Donde una tarde la vi, Y en la tranquera ´e su rancho El primer beso le di, Desde entonces mi guitarra Tiene una cinta ´e color, Que la prendieron sus manos Como prueba de su amor.
¿Que pasa?…viejita venga, por qué se pone triste Acaso no se alegra al ver que soy feliz, O cree que el cariño de la mujer que amo Me hará olvidar lo mucho que usted sufrió por mí. Yo quiero que la quiera con su cariño santo Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón, Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla Para llamarla madre, como la llamo yo. Alfredo De Angelis Letra: Gervasio López
Écoutez, ma petite mère (ma petite vieille est un terme affectueux, le texte est un mélange de familiarité et de vouvoiement respectueux). Je veux que vous sachiez que ça fait longtemps déjà que j’ai un autre amour. Si vous voyez comme elle est jolie, comme elle est bonne la fille. Il y a plus de feu dans ses grands yeux que dans le soleil. Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur. Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi. C’est près de la tranchée qu’un après-midi je l’ai vue, et à la porte de son ranch, je lui ai donné le premier baiser, depuis lors ma guitare a un ruban de couleur, que ses mains ont attaché comme preuve de son amour. Que se passe-t-il ?… Ma petite mère, venez, pourquoi êtes-vous triste ? Peut-être n’êtes-vous pas heureux de voir que je suis heureux, ou pensez-vous que l’affection de la femme que j’aime me fera oublier combien vous avez souffert pour moi. Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur. Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.
Autres versions
Dos amores. À gauche, Canaro chez Odeón, au centre, D’Arienzo chez RCA Victor et à droite, Pugliese chez Philips (Dos amores est la plage 2 de la face 1 du disque LP 33 tours).Dos amores 1932-08-12 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est notre tango du jour.Dos amores 1932-09-09 — Santiago Devin con Trio Antonio Sureda.
Santiago Devin est un chanteur relativement rare, mais il avait du succès dans les années 30. On le connaît surtout avec le Sexteto de Carlos Di Sarli, où il ne chantait que l’estribillo. Il nous propose ici accompagné par le trio Antonio Sureda pour Odeón, une version en chanson, plus à classer du côté de Gardel, Magaldi ou Corsini que du côté du tango de bal. Vu que Santiago Devin enregistre avec le compositeur, on peut penser que Antonio Sureda cautionne cette jolie version. Le trio était composé, en plus de Antonio Sureda au bandonéon, de Oscar Valpreda au violon et de Alpredi au piano.
Dos amores 1947-05-13 — Orquesta Juan D’Arienzo con Armando Laborde.
Le tempérament fougueux de D’Arienzo pourrait paraître un contre-emploi, mais la voix travaillée de Laborde fait que cela passe, mais si cela peut se danser, c’est un peu un cran en dessous en matière de romantisme.
Dos amores 1961 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.
Dos amores 1961 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. Pugliese sait faire des versions très personnelles et empreintes de romantisme. Nous en avons là, un exemple. Les 55 premières secondes préparent la venue du chanteur, Jorge Maciel qui prendra ensuite l’essentiel de la présence. L’utilisation par Maciel du port de voix (liaison des notes en glissando), de l’arrastre (laisser traîner) fait que ce titre sera un peu moyen pour la danse, même si je sais que certains adorent. Cette version est cependant bien adaptée à l’expression des sentiments d’amour évoqués par le tango.
Sur ces beaux sentiments, je vous dis, à demain, les amis !
Fruta, Fruto, qui se frotte à ces deux mots, peut être étonné. En fait, les deux termes sont interchangeables en Argentine, sauf peut-être pour les botanistes. Dans la vie courante, on peut aller dans un mercado de frutos pour acheter des frutas ou l’inverse. Quoiqu’il en soit, vous vous demandez peut-être en quoi une scie peut avoir un rapport avec un fruit défendu. Je vais vous le faire entendre, avec ce vieux tango, bien canyengue.
Pas besoin de l’écouter en entier pour identifier qu’il correspond à ce que l’on appelle maintenant le style canyengue. Un style que certains continuent de pratiquer, même à Buenos Aires, où on ne passe en général pas ce type de musique. Les aficionados le font sur un Canaro ou un Lomuto un peu plan-plan, par exemple, mais qui n’est pas du canyengue pur et dur comme on peut en entendre en Europe. Vous remarquez les sonorités un peu étranges de la scie musicale (serrucho) de 1:05 à 1:37. Je vous en dirai plus sur cet instrument en fin d’article. Je ne sais pas qui en joue. Peut-être le frère de Juan Polito, Salvador. Il est violoniste (et parolier). Il est envisageable de réduire le pupitre des violons pour y placer la scie musicale qui joue 30 secondes.
Un peu plus d’incertitudes sur ce tango
Ce tango composé par B. Nortoni est probablement le seul de ce compositeur qui nous soit parvenu sous forme de disque. En revanche, j’ai trouvé un tango du même titre, publié à Madrid en 1927, mais attribué à d’autres auteurs.
La mention du tango Fruta probibida dans le journal espagnol “El Debate” du 13 novembre 1927. En bas à gauche, la couverture de la partition.
Dans le journal El Debate daté du 13 novembre 1927, on trouve la mention d’un tango de Enrique Bregel (1893–1981) et Samuel Herrera (?-1985) appelé Fruta prohibida. J’ai trouvé la couverture de la partition sur laquelle il y a une femme, peut être le fruit défendu ? Les paroles de Manuel Feijoó (1904–1938) et Vincente Moro (?-1947) pourraient nous aider à en savoir plus. Pour savoir si la musique est la même que celle du tango attribué à B. Nortoni, il faudrait pouvoir trouver un enregistrement ou la partition. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement et malheureusement, la partition n’est pas consultable depuis Buenos Aires, seulement sur les ordinateurs de la Bibliothèque Nationale Espagnole à Madrid. “Esta obra es de acceso restringido. Puede acceder a ella en ordenadores específicos de las instalaciones de la BNE / Restricted access to this document. It is only available on specific computers at BNE facilities.” Ce ne serait pas la première fois qu’une œuvre espagnole se retrouve sous la bannière argentine. B. Nortoni a‑t-il signé trois ans plus tard, un tango écrit en Espagne ? Est-ce simplement une coïncidence. Difficile de le confirmer sans accès à la partition. Si quelqu’un de Madrid peut aller à la BNE pour obtenir cette partition…
Une scie musicale
En français, une scie désigne également une œuvre un peu répétitive et peu enthousiasmante. Mais la scie musicale est un instrument de musique.
À gauche, Marlene Dietrich jouant da la scie musicale pour les soldats américains. Dominique Pinon, à droite, joue de la scie musicale dans le film de Caro et Jeunet « Delicatessen » (1991). Au centre, une scie musicale française de 1930.
La scie musicale est un instrument idiophone, c’est-à-dire que le son est produit par le matériau de l’instrument. L’instrument ressemble à une scie égoïne, sans les dents et avec une poignée plus grande, car elle est destinée à être maintenue entre les cuisses. L’autre extrémité est maintenue entre le pouce et l’index ou mieux maintenue par une manette de flexion qui permet de maintenir la torsion de la lame avec moins d’effort. On utilise un archet (de violon, alto ou autre) pour mettre en résonance la lame métallique. Francisco Canaro a découvert cet instrument en France et a payé des cours à son petit frère, Rafael, pour qu’il complète la liste de ses instruments (contrebasse et guitare) par la scie musicale que les Argentins appellent serrucho (scie). D’autres orchestres que ceux des Canaro l’ont utilisée, comme José Maria Lucchesi, Eduardo Bianco et Bachicha(Juan Bautista Deambrogio) et bien sûr, la Típica Brunswick.
Autres versions
Il n’y a pas d’autres versions, alors je vous propose d’autres titres avec serrucho, par ordre chronologique…
El serrucho 1924 – Orquesta Francisco Canaro.
Malgré le nom de l’œuvre, la scie musicale n’est pas mise en valeur. Elle est présente, mais n’a pas de partie en solo.
La sulamita 1924 (Shimmy) — Jazz Band Francisco Canaro.
Dans son Jazz Band, Canaro a aussi intégré la scie musicale. Comme pour El serrucho, la présence est tout de même discrète.
On note l’arrivée de la scie musicale dès le début (6 secondes).
Quasimodo 1928-01 — Orchestre Sud-Américain José Maria Lucchesi.
Un titre très original, La scie musicale entre en scène avec puissance à 1:06.
La cumparsita 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha.
La scie musicale entre en scène à 2:09.
Fruta prohibida 1930-08-05 — Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito. C’est notre tango du jour.La cumparsita 1930-08-05 — Orquesta Típica Brunswick dir. Juan Polito.
Une cumparsita enregistrée le même jour que Fruta prohibida par Juan Polito et la Típica Brunswick. Il faut passer l’impressionnante et très longue introduction (1:15) pour entrer dans l’œuvre. La scie musicale n’entre en fonction qu’à 2:14 pour un bref solo.
Voilà, vous saurez maintenant repérer cet instrument original. Vous pouvez aussi vous reporter à l’anecdote du 24 avril 2024 sur Danzarín 1963–04-25pour d’autres informations sur des instruments plus rares. À demain, les amis !
Notre tango du jour est une chanson sur un rythme de valse. Ce n’est donc pas un enregistrement pour la danse, mais l’histoire qui la sous-tend vaut d’être contée. C’est une histoire d’amour et ici, c’est la réponse de la bergère au berger. Mais rassurez-vous, il y a aussi de belles versions de danse au programme…
Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 — Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza.
Paroles
Recordaré de tu pasión la inmensidad. Recordaré la imagen fiel que me adoró. Evocaré de tu mirar la suavidad y soñaré que aquel ayer no se alejó.
Recordaré la noche azul en que te vi en el jardín primaveral de la ilusión. Recordaré que hoy, al partir, me estremecí cuando miré las rosas de mi amor temblando en tu balcón.
El recuerdo de tus ojos, tus sonrisas y tus besos, han de ser en mi camino brillantísimo fulgor. Si me alejan de tu lado viviré con tu recuerdo. Viviré acariciando tu nombre entre vagos rumores y ensueños. Viviré de las horas pasadas mi sublime novela de amor.
Recordaré de tu querer la inmensidad, recordaré de tu besar la ensoñación, y al evocar de tu reír la claridad me cubrirá un velo gris de desazón.
Recordaré que suave luz te iluminó cuando besé, ebrio de amor, tu boca en flor. Recordaré el madrigal que te brindó mi inspiración, al ver tu hermosa faz teñida de rubor. Francisco Canaro Letra: Ivo Pelay
Je me souviendrai de l’immensité de ta passion. Je me souviendrai de l’image fidèle qui m’adorait. J’évoquerai de ton regard la douceur et je rêverai que cet hier n’a pas disparu. Je me souviendrai de la nuit bleue quand je t’ai vu dans le jardin printanier de l’illusion. Je me souviendrai qu’aujourd’hui, en partant, j’ai frissonné en regardant les roses de mon amour trembler sur ton balcon. Le souvenir de tes yeux, tes sourires et tes baisers doivent être un éclat des plus brillants sur mon chemin. S’ils m’emportent loin de toi, je vivrai avec ton souvenir. Je vivrai en caressant ton nom au milieu de vagues rumeurs et de rêves. Je vivrai des heures passées, mon sublime roman d’amour. Je me souviendrai de l’immensité de ton amour, je me souviendrai du rêve de ton baiser, et quand j’évoquerai la clarté de ton rire, il me couvrira d’un voile gris de malaise. Je me souviendrai de la douce lumière qui t’illuminait quand j’embrassais, ivre d’amour, ta bouche en fleurs. Je me souviendrai du madrigal que t’a donné mon inspiration, quand j’ai vu ton beau visage teinté de rougissement.
Une histoire
Maintenant que vous avez pris connaissance des paroles, vous comprendrez pourquoi cette valse n’est pas aussi entraînante que d’autres. On peut se demander ce qui se passe, si l’être aimé est mourant ou mort, si la séparation est définitive par la volonté de l’un des deux. Pour répondre à cela, il convient d’entrer dans la vie de Francisco Canaro et Ada Falcón. Aída Elsa Ada Falcone avait deux demi-sœurs, elles aussi chanteuses, Amanda, et Adhelma.
Amanda, Adhelma et Ada Falcón. Elles ont au moins en commun de lever le regard…
Amanda qui n’a pas enregistré a eu un début de carrière intéressant, faisant notamment partie de la Compañía Argentina de Grandes Espectáculos de Ivo Pelay (l’auteur des paroles de notre valse du jour). Elle a joué également avec Gardel, même si l’accueil de la critique ne fut pas à la hauteur de ses espérances. Sa carrière semble s’être arrêtée en 1934 et on la retrouve à Hollywood, mais apparemment sans événement majeur dans sa vie artistique.
Je vous propose de découvrir Adhelma avec l’un de ses enregistrements :
Cortando camino 1930 — Adhelma Falcón con guitarras
Adhelma prouve par cet enregistrement qu’elle avait une voix qui pouvait rivaliser avec celle de sa demi-sœur. Elle était en plus compositrice et auteure, de quoi lui assurer la gloire, mais cela a été pour la petite Ada, la plus jeune des trois. Elle a arrêté sa carrière en 1946, peu après Ada. En 1989 Ada a accusé son aînée de s’être fait passer pour elle dans des tournées et de signer des autographes en son nom. Cinquante ans après les faits supposés, on peut s’étonner de cette révélation. Cela confirme toutefois la qualité de chanteuse d’Adhelma et sa beauté. En 1934, elle a devancé Ada dans un concours organisé par la revue Sintonía. Le but de ce concours était d’élire la plus belle Miss Radio (ce qui peut sembler étonnant vu qu’à la radio on ne voit pas les visages… La gagnante fut Libertad Lamarque, mais Adhelma a obtenu beaucoup plus de voix (votes) que Ada. Peut-être que ces points expliquent la brouille entre les deux femmes, mais une autre histoire court selon laquelle Canaro aurait été infidèle à Ada avec Adhelma…
Ada Falcón
Ada est née elle-même d’une infidélité de sa mère avec un estanciero de Junín… Elle est donc la demi-sœur de Amanda et Adhelma. Elle a suivi le chemin des deux aînées, mais semble-t-il avec plus de succès. Cela tient peut-être dans le fait que Ada a rencontré Canaro. Et c’est cette rencontre qui marquera la vie des deux.
Ada y Francisco
La romance entre Canaro et Ada est bien connue. Ada qui a commencé à travailler très jeune et après un passage dans l’orchestre de Fresedo et le trio de Delfino avec qui elle a enregistré jusqu’au 20 juillet 1929 et 4 jours plus tard, elle enregistrait avec Canaro. La majorité des titres sont mentionnés comme étant de Ada Falcón accompagnée par Francisco Canaro. Elle était la vedette. Par ailleurs, beaucoup des titres qu’elle a chantés ont été composés par Canaro avec des thèmes pouvant coïncider avec leur histoire d’amour. Le plus célèbre et le premier est Yo no sé qué me han hecho tus ojos.
Yo no sé qué me han hecho tus ojos 1930-09-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
Paroles et musiques de Francisco Canaro. Une déclaration d’amour à Ada. Cette histoire eu comme fin le refus de Canaro de divorcer de La Francesa, son épouse. Dans ses mémoires, Canaro le conte de façon un peu différente, Ada aurait répondu à un appel de Dieu, pas tout à fait sincère le Francisco. La réalité semble plus prosaïque. Les avocats de Canaro auraient affirmé qu’il aurait dû donner la moitié de ses biens à sa femme en cas de divorce, ce à quoi, étant né pauvre, il s’est refusé. Le refus fut sans doute très mal pris par Ada qui avait son caractère, mais le point final fut soit l’histoire avec sa demi-sœur Adhelma contée ci-dessus, soit le fait que La Francesa soit venue dans la loge et surprenant Ada sur les genoux de Francisco aurait menacé de les tuer avec le pistolet qu’elle avait apporté. Quoi qu’il en soit, cela a mis fin à leur relation professionnelle, mais leur amour est resté en filigrane. Ainsi, leur dernière séance d’enregistrement a eu lieu le 28 septembre 1938 et les deux derniers thèmes ont été Nada más et No mientas, (Plus jamais et Ne mens pas). Quatre ans plus tard, Francisco Canaro enregistre la valse Viviré con tu recuerdo avec Eduardo Adrián. Au bout de quatre mois, Ada donnera sa réponse en enregistrant pour la dernière fois de sa vie, la même valse, Viviré con tu recuerdo (Je vivrai avec ton souvenir) et Corazón encadenado (cœur enchaîné), un autre thème composé par Canaro et qui peut être considéré comme une autre preuve de l’amour d’Ada pour Francisco. Ce dernier enregistrement est un adieu, un adieu à Canaro, mais aussi à la vie séculaire, puisqu’elle se retira dans un couvent. Pour clore cette histoire, je vous propose la fin du documentaire sur Ada Falcón, de Lorena Muñoz et Sergio Wolf “Yo no sé qué me han hecho tus ojos” (Argentina — 2003).
20 secondes d’émotion quand le journaliste demande à Ada Falcónqui fut son grand amour et qu’elle répondit en pleurant, je ne me souviens pas. “Allí se le preguntó quién había sido su gran amor”, “No recuerdo”.
Autres versions
Il n’y a que trois enregistrements valables de ce thème et les trois impliquent au moins un des protagonistes de la chanson. J’ai d’autres versions, mais elles sont suffisamment moches pour que je ne vous les propose pas. Je ne voulais pas gâcher cette histoire d’amour avec des versions moyennes.
Viviré con tu recuerdo 1942-04-24 — Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.
C’est le premier enregistrement du thème de Canaro par Canaro. C’est clairement un message adressé à Ada avec l’aide de son complice, Ivo Pelay, qui était également un proche des sœurs Falcón.
Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 — Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza.
Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 — Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza. La réponse de la bergère, Ada, au berger Francisco. Roberto Garza (José García López), le bandonéoniste qui accompagne avec ses musiciens AdaFalcón n’est pas un chef habituel. Il a réalisé entre 1941, quelques enregistrements en accompagnement de Mercedes Simone et enregistré deux titres avec Ignacio Corsini. Le double enregistrement du 4 août 1942 est donc motivé par le besoin d’Ada de répondre à Francisco. Ce sont ses adieux à Canaro et au monde.
Viviré con tu recuerdo 1954-11-17 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Viviré con tu recuerdo 1954-11-17 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro. Douze ans plus tard, Canaro, à la tête de son Quinteto Pirincho enregistre une version instrumentale, comme un écho, comme pour dire à Ada, je pense toujours à toi.
À propos des « éditeurs » de disques
J’ai une collection musicale plutôt riche (plus de 100 000 titres, pas seulement de tango), mais je fais de la veille, notamment pour découvrir des versions par de nouveaux orchestres. J’ai donc jeté un œil à Spotify, un service de musique grand public, d’une grande médiocrité, car il ne vérifie pas les éléments qu’ils publient. Curieusement beaucoup de DJ de tango l’utilisent, parfois même en direct… Je ne parle pas de la qualité sonore proposée par la plateforme, elle est techniquement suffisante pour passer de la musique de tango ancienne, mais de la qualité des versions qu’ils diffusent, s’approvisionnant auprès d’éditeurs peu scrupuleux, voire crapuleux. Ces derniers proposent des versions très mal numérisées et souvent horriblement retouchées, voire tronquées.
Presque toutes les mentions sont fausses. Une seule est complète et juste.
Voici une copie d’écran de Spotify. Le seul enregistrement correctement indiqué est notre tango du jour. Les autres sont soit incomplets (mention de l’orchestre sans le chanteur, mention du chanteur sans l’orchestre), soit carrément faux, comme une version de Mercedes Simone qui est en fait celle de AdaFalcón passée un peu plus vite. 90 % d’erreur, ce n’est pas très honorable. Non seulement c’est une preuve de médiocrité, mais en plus, c’est ne rien comprendre à l’histoire. Indiquer que Ada Falcón a enregistré avec Canaro en 1942, c’est méconnaître l’histoire et ne pas regarder les étiquettes des disques. Les éditeurs se contentent de piquer des musiques dans leur fonds, sans se soucier de la qualité, de l’exactitude de ce qu’ils publient. Ils prennent n’importe quel CD, réalisé d’après n’importe quel disque vinyle ayant massacré le disque 78 tours d’origine, en rajoutant une couche de destruction avec le Remasterizado”. C’est tout simplement scandaleux. Quand je pense que les éditeurs de musique se goinfrent sur le dos des organisateurs d’événements en ayant détourné la raison d’être de la SACEM, ce qui est un comble quand on pense que Canaro était un des précurseurs des droits d’auteurs en Argentine avec la création de la SADAIC.
Francisco Canaro et Ada Falcón
Voilà, on se quitte avec la photo de nos deux amoureux tragiques.
Malena chante le tango comme personne et cela se sait depuis au moins 1941, date à laquelle Lucio Demare a composé ce tango qui sera inséré dans le film de son frère, Lucas, El Viejo Hucha. Ce magnifique tango qui a bénéficié du talent de Lucio Demare pour la musique et de Homero Manzi pour les paroles a eu, a et sans doute aura longtemps un gros succès.
Lucio Demare, à gauche, Homero Manzi, à droite. Manzi a écrit le texte, l’a donné à Demare qui a composé hyper rapidement la musique. C’est l’effet Malena.
Extrait musical
Malena, Lucio Demare et Homero Manzi. Partition de Jules Korn. Au centre, une partition que j’ai créée pour expliquer dans mes cours le fonctionnement des parties au tango et comme c’est justement à propos de Malena…Malena 1942-01-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino
Paroles
Malena canta el tango como ninguna y en cada verso pone su corazón. A yuyo del suburbio su voz perfuma, Malena tiene pena de bandoneón. Tal vez allá en la infancia su voz de alondra tomó ese tono oscuro de callejón, o acaso aquel romance que sólo nombra cuando se pone triste con el alcohol. Malena canta el tango con voz de sombra, Malena tiene pena de bandoneón.
Tu canción tiene el frío del último encuentro. Tu canción se hace amarga en la sal del recuerdo. Yo no sé si tu voz es la flor de una pena, só1o sé que al rumor de tus tangos, Malena, te siento más buena, más buena que yo.
Tus ojos son oscuros como el olvido, tus labios apretados como el rencor, tus manos dos palomas que sienten frío, tus venas tienen sangre de bandoneón. Tus tangos son criaturas abandonadas que cruzan sobre el barro del callejón, cuando todas las puertas están cerradas y ladran los fantasmas de la canción. Malena canta el tango con voz quebrada, Malena tiene pena de bandoneón.
Lucio Demare Letra: Homero Manzi
Traduction libre
Les paroles sublimes de Manzi se suffisent à elles-mêmes. Je vous en laisse savourer la poésie à travers ma traduction (ou celle de Google, pour ceux qui lisent dans une autre langue que l’espagnol ou le français).
Malena chante le tango comme personne et dans chaque couplet, met son cœur. À l’herbe des banlieues, sa voix parfume, Malena a une peine de bandonéon. Peut-être que dans son enfance, sa voix d’alouette a pris ce ton obscur de ruelle, ou peut-être cette romance qu’elle ne nomme que lorsqu’elle est triste avec l’alcool. Malena chante le tango d’une voix d’ombre, Malena a une peine de bandonéon. Ta chanson a le froid de la dernière rencontre. Ta chanson devient amère dans le sel de la mémoire. Je ne sais pas si ta voix est la fleur d’un chagrin, je sais seulement qu’à la rumeur de tes tangos, Malena, je te sens meilleure, meilleure que moi. Tes yeux sont sombres comme l’oubli, tes lèvres sont serrées comme le ressentiment, tes mains sont deux colombes qui ont froid, tes veines ont du sang de bandonéon. Tes tangos sont des créatures abandonnées qui traversent la boue de la ruelle, lorsque toutes les portes sont fermées et que les fantômes de la chanson aboient. Malena chante le tango d’une voix cassée, Malena a une peine de bandonéon.
Autres versions
On considère généralement que c’est Troilo qui a lancé le titre. Ce n’est pas faux, mais en fait Demare l’interprétait avec Juan Carlos Miranda, dès 1941 au Cabaret Novelty.
Le cabaret Novelty où jouait Lucio Demare et où il inaugura Malena avec Juan Carlos Miranda. Photo de 1938 (3 ans plus tôt).
D’accord, il le jouait, mais il ne l’a pas enregistré alors c’est bien Troilo le premier. Que non, mon ami. Lucio Demare l’a enregistré avec Juan Carlos Miranda à la fin de 1941, mais cette version est restée « secrète » jusqu’au 29 avril 1942. Il s’agit de la version enregistrée pour le film El Viejo Hucha, réalisé par Lucas Demare, son frère et avec Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda. Et voici donc la première version enregistrée qui est bien de Lucio Demare avec Juan Carlos Miranda. Juan Carlos Miranda qui chante dans l’enregistrement est remplacé dans le film par Osvaldo… Miranda, mais rien à voir avec l’autre Miranda, car Juan Carlos s’appelait en fait Rafael Miguel Sciorra… Osvaldo a également chanté, mais pas dans ce film, à ses débuts avant de devenir acteur. Il était ami avec Manzi (que le monde est petit…).
Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda qui chante Malena dans le film El Viejo Hucha.Malena 1942-01-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
C’est le vrai faux premier enregistrement et le premier sorti en disque.
Malena 1942-01-23 — Orquesta Lucio Demare con Juan Carlos Miranda.
Une autre version de Demare et Miranda (le vrai), en disque, 15 jours après Troilo.
Malena 1950-12-12 — Quintin Verdu et son Orchestre con Lucio Lamberto.
Cet attachant orchestre français propose sa version de Malena.
Malena 1951-09-20 — Orquesta Lucio Demare con Héctor Alvarado.
Le compositeur enregistre sa troisième version du titre. Le chanteur, Alvarado âgé alors de 25 ans, est le seul chanteur de l’orchestre à l’époque. Demare l’a engagé l’année précédente. Sa voix correspond bien au style de l’orchestre, on comprend donc le choix de Lucio.
Malena 1951 – Orquesta José Puglia – Edgardo Pedroza con Francisco Fiorentino.
L’orchestre Puglia-Pedroza est assez rare, mais ils ont recruté un bon chanteur pour cet enregistrement. La partie orchestrale de l’introduction est un peu trop appuyée, avec des nuances exagérées. Si la voix de Fiorentino crée rapidement son cocon, la transition avec l’introduction est un peu rude. Par la suite, l’orchestre sera plus raisonnable et plus en accompagnement. Une version qui aurait pu être meilleure, mais qui vaut d’être écouté tout de même.
Malena 1952 — Orquesta Aníbal Troilo con Raúl Berón arr. de Héctor Artola.
Aníbal remet sur disque le titre, cette fois avec des arrangements de Artola, un arrangeur très réputé, qui après avoir été pianiste et bandonéoniste s’est concentré sur la direction d’orchestre et les arrangements. Il composa aussi quelques titres.
Malena 1955-08-02 — Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Cela faisait un petit moment que Canaro n’avait pas pointé son nez. Le voici, avec une version assez différente, avec un rythme bien marqué. Disons que c’est une tentative de replacer le titre du côté de la danse. L’interprétation de Rolón, s’accommode toutefois de la rigueur de l’orchestre, mais je trouve qu’il reste quelques aspérités qui font que l’œuvre ne coule pas de façon parfaitement fluide.
Malena 1963c — Astor Piazzolla con Héctor de Rosas.
Un Piazzolla, à écouter, mais il vous réserve une autre version 4 ans plus tard qui décoiffe plus.
Malena 1965 — Orquesta Miguel Caló con Roberto Luque.
J’ai un peu de mal à accrocher avec cette version. Je ne la proposerai pas en milonga.
Malena 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.
Le fait que Gagliardi parle assez longtemps rend le titre peu propice à la danse. Mais de toute façon, Caló ne sera vraiment pas mon choix pour faire danser avec Malena.
Malena 1967 — Astor Piazzolla y su Orquesta con voz de mujer.
Une autre interprétation, plus innovante. Avec Astor, on est à peu près sûr de ne pas être dans le champ de la danse, alors, on écoute, tranquillement ou anxieusement cette version foisonnante ou de temps à autre le thème de Malena vient distiller sa sérénité relative. La voix de femme « céleste » qui termine comme une sirène mourante et les claquements terminent le titre de façon inquiétante.
Pour beaucoup, c’est la Malena de l’île déserte, la version qu’il faut emporter. Il faut dire que Pugliese nous livre ici un tangazo exceptionnel. Malgré sa grande puissance expressive, il pourra être considéré comme dansable par les danseurs les moins farouches. Si on a entendu ci-dessus, des versions décousues, manquant d’harmonie ou de cohérence, ici, c’est une surprise, chaque mesure suscite l’étonnement, tout en laissant suffisamment de repères pour que ce soit relativement dansable. Ceux qui trouvent que c’est difficile, vu que c’est le tango de l’île déserte, ils auront tout le temps de s’approprier la musique pour la danser parfaitement.
Qui est Malena ?
Il y a six prétendantes sérieuses au titre et sans doute bien d’autres.
6 des Malena potentielles. Si vous lisez les articles ci-dessous, vous pourrez savoir qui elles sont et élire celle qui vous parait la plus vraisemblable…
Nous avons vu les liens entre le tango et le théâtre, le cinéma, la radio. Notre tango du jour, Sentimiento gaucho a tous ces liens et en plus, il a gagné un concours… Il n’est donc pas étonnant qu’il dispose de dizaines de versions, voyons donc ce Sentimiento gaucho à partir de la version orientale, de Donato Racciatti et Nina Miranda.
Les concours Max Glücksmann
La firme Max Glücksmann est celle qui a créé la maison de disques Odeón, que vous connaissez bien maintenant. Cette société a organisé à partir de 1924 différents concours annuels qui se déroulaient dans différents lieux à Buenos Aires et Montevideo. Trois fois par semaine, durant le concours, l’orchestre « officiel » qui était différent chaque année, jouait les tangos qui avaient été sélectionnés par l’entreprise pour concourir. Les jours concernés, l’orchestre jouait deux fois la sélection, une fois pour la séance de cinéma de 18 heures et une fois pour la séquence de cinéma de 22h30. Le public votait grâce à un coupon placé sur le ticket d’entrée au théâtre/cinéma. En 1924, la première année du concours, c’est Sentimiento Gaucho qui gagna. L’orchestre qui a joué les œuvres électionnées était celui de Roberto Firpo, un orchestre gonflé pour atteindre 15 musiciens, dans le Théâtre Grand Splendid et la radio LOW, Radio Grand Splendid retransmettait également la prestation de l’orchestre. On voit que le dispositif était particulièrement élaboré et que Max Glücksmann avait mis les moyens. La version présentée était instrumentale, car les trois premières années du concours, il n’y avait pas de chanteur, « seulement » 15 musiciens. Le palmarès de cette année a été le suivant :
Premier prix : Sentimiento Gaucho (Francisco et Rafael Canaro)
Sentimiento gaucho. Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso.
À gauche, la partition Ricordi qui correspond au texte des paroles habituelles. À droite de la partition, le premier prix gagné par Canaro (il n’y avait pas de paroles et c’était donc cohérent de représenter un gaucho). À l’extrême droite, la couverture de la partition avec les paroles censurées.
Sentimiento gaucho 1954-07-30 — Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda
Paroles
En un viejo almacén del Paseo Colón Donde van los que tienen perdida la fe Todo sucio, harapiento, una tarde encontré A un borracho sentado en oscuro rincón Al mirarle sentí una profunda emoción Porque en su alma un dolor secreto adiviné Y, sentándome cerca, a su lado, le hablé Y él, entonces, me hizo esta cruel confesión Ponga, amigo, atención
Sabe que es condición de varón el sufrir La mujer que yo quería con todo mi corazón Se me ha ido con un hombre que la supo seducir Y, aunque al irse mi alegría tras de ella se llevó No quisiera verla nunca… Que en la vida sea feliz Con el hombre que la tiene pa’ su bien… O qué sé yo Porque todo aquel amor que por ella yo sentí Lo cortó de un solo tajo con el filo’e su traición
Pero inútil… No puedo, aunque quiera, olvidar El recuerdo de la que fue mi único amor Para ella ha de ser como el trébol de olor Que perfuma al que la vida le va a arrancar Y, si acaso algún día quisiera volver A mi lado otra vez, yo la he de perdonar Si por celos a un hombre se puede matar Se perdona cuando habla muy fuerte el querer A cualquiera mujer
Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso
Traduction libre et indications
Dans un vieux magasin (El almacén, est à a la fois un magasin, un bar, un lieu de vie, de musique et danse, etc.) du Paseo Colón (rue du sud de Buenos Aires) où vont ceux qui ont perdu la foi. Tout sale, en haillons, un après-midi, j’ai trouvé un ivrogne assis dans un coin sombre. En le regardant, j’éprouvai une profonde émotion parce que dans son âme je devinais une douleur secrète. Et assis près de lui, je lui ai parlé, et il m’a fait cette cruelle confession. Fais attention, mon ami. Sache que c’est la condition de l’homme que de souffrir. La femme que j’ai aimée de tout mon cœur s’en est allée avec un homme qui a su la séduire et, avec son départ, elle a emporté ma joie avec elle. Je ne voudrais jamais la revoir… Puisse-t-elle être heureuse dans la vie avec l’homme qui l’a pour la sienne… Ou qu’est-ce que j’en sais pourquoi tout cet amour que je ressentais pour elle, elle l’a coupé d’un seul coup avec la lame de sa trahison. Mais inutile… Je ne peux pas, même si je le voulais, oublier le souvenir de celle qui était mon seul amour. Pour elle, il faut être comme le trèfle d’odeur (mélilot) qui parfume celui que la vie va arracher. Et si un jour elle veut revenir vers moi, je lui pardonnerai. Si un homme peut être tué par jalousie, cela se pardonne quand parle très fort l’amour à quelque femme que ce soit.
Il existe deux autres versions des paroles, mais le problème sur le site ne m’a pas laissé le temps de les retranscrire. Une version censurée, ou l’ivrogne dans le bar devient un paysan dans un champ et l’autre une version humoristique de Trio Gedeón. J’y reviendrai un jour, mais pour l’instant, ma priorité est de rétablir le site.
Autres versions
Pour les mêmes raisons que le gros raccourcissement de l’anecdote du jour, le problème sur le site, je ne propose pas les autres versions de Sentimiento Gaucho. Là encore, j’essayerai de rattraper, dès que possible, lorsque le site sera remis en état. Je vous présente tout de même cette version sympa où on voit chanter Ada Falcon. C’est dans le film : Idolos de la radio de Eduardo Morera
Ada Falcondans Idolos de la radio de Eduardo Morera chante Sentimiento Gaucho.
j’espère à demain, les amis, avec une version plus complète…
Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis
Encore un tango qui ne laisse pas les tangueros se reposer, notamment dans cette version. Les deux Pedro, Laurenz puis Maffia ont créé un monstre qui aspire toute l’énergie vitale des danseurs de la première à la dernière note. Le charme semble aussi avoir opéré également sur les directeurs d’orchestre, car de très nombreuses versions en ont été enregistrées. La version du jour est par l’un des deux compositeurs, Laurenz avec Juan Carlos Casas.
Un démarrage sur les chapeaux de roues
Le point de départ de ce tango a été donné par De Grandis qui avait écrit un texte, sur la misère de l’abandon. En 1925–1926, il était violoniste dans le sexteto du bandonéoniste Enrique Pollet, celui qu’on retrouvera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe variation finale de Recuerdo.
Un jour que ce sexteto jouait dans son lieu habituel, Le Café El Parque (près de Tribunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Laurenz qui était ami de Pollet prit connaissance du texte et sur l’instant sur son bandonéon, imagina un air pour la première partie, puis il alla le montrer à Pedro Maffia qui était alors au cinéma Select Lavalle, à proximité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maffia fut tellement enthousiasmé qu’il demanda à Laurenz de pouvoir le terminer. Et ainsi, le tango intégra le répertoire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beaucoup d’autres. Après cette première vague, le tango fut moins enregistré, juste ressuscité à diverses reprises par Laurenz. La seconde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nouvelle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beaucoup d’orchestres ont ce tango à leur répertoire. Pedro Laurenz l’a enregistré au moins cinq fois, vous pourrez comparer les versions dans la partie « autres versions ».
Extrait musical
Amurado. Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis La dédicace est au Docteur Prospero Deco, qui deviendra le Directeur del Hospital General de Agudos José María Penna de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.Amurado 1940-07-29 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.
Tout commence par un puissant appel du bandonéon qui résonne comme un clairon, puis la machine se met en marche. Le rythme est puissamment martelé, par les bandonéons, la contrebasse, le piano, en contrepoint, des plages de douceur sont données par les violons et en son temps par Juan Carlos Casas, mais à aucun moment le rythme et la tension ne baissent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aussi un magnifique solo de bandonéon, indispensable pour un titre composé par deux bandonéonistes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peuvent prendre du plaisir sans remord. Cette incroyable composition emporte les danseurs et hérisse les poils de bonheur de bout en bout. Cette version est une merveille absolue qui fait regretter que Laurenz et Casas n’ait pas plus enregistré.
Paroles
Campaneo a mi catrera y la encuentro desolada. Sólo tengo de recuerdo el cuadrito que está ahí, pilchas viejas, unas flores y mi alma atormentada… Eso es todo lo que queda desde que se fue de aquí.
Una tarde más tristona que la pena que me aqueja arregló su bagayito y amurado me dejó. No le dije una palabra, ni un reproche, ni una queja… La miré que se alejaba y pensé : ¡Todo acabó!
¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo! ¡Tengo blanca la cabeza! ¿Será acaso la tristeza de mi negra soledad ? Debe ser, porque me cruzan tan fuleros berretines que voy por los cafetines a buscar felicidad.
Bulincito que conoces mis amargas desventuras, no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor ! Si me faltan sus caricias, sus consuelos, sus ternuras, ¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?
¡Cuántas noches voy vagando angustiado, silencioso recordando mi pasado, con mi amiga la ilusión !… Voy en curda… No lo niego que será muy vergonzoso, ¡pero llevo más en curda a mi pobre corazón!
Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis
Juan Carlos Casas ne chante que ce qui est en gras.
Traduction libre et indications
Je contemple mon lit et le trouve désolé. Je n’ai comme souvenir que le petit tableau qui est ici, de vieilles couvertures, quelques fleurs et mon âme tourmentée… C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est partie d’ici. Un après-midi plus triste que le chagrin qui m’afflige, elle a préparé son petit bagage et m’a laissé emmuré. Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte… Je l’ai regardée s’éloigner et j’ai pensé : Tout à une fin ! Si elle me voyait ! Je suis si vieux ! J’ai la tête blanche ! Est-ce peut-être la tristesse de ma noire solitude ? Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bonheur. Petit logis, qui connaît mes mésaventures amères, ne t’étonne pas que je parle tout seul. Que ma douleur est grande ! Si me manquent ses caresses, ses consolations, sa tendresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ? Combien de nuits je vais vagabondant, angoissé, silencieux, me souvenant de mon passé, avec mon ami l’illusion… Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit honteux, mais je supporte mieux mon pauvre cœur quand je suis bourré (saoul) !
Autres versions
J’ai mis en rouge les versions par les auteurs (Maffia, 1 version et Laurens, 5 versions).
Amurado 1927-02-11 — Orquesta Roberto Firpo.
Une version calme, sans doute trop calme si on la compare à notre tango du jour…
Une autre version tranquille, exécutée avec conscience, mais sans doute pas de quoi susciter la folie.
Amurado 1927-06-08 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.
Une jolie interprétation de Corsini, à écouter, bien sûr.
Amurado 1927-07-20 — Pedro Maffia y Alfredo De Franco (Duo de bandoneones).
Pedro Maffia l’auteur de la seconde partie nous propose ici sa version en duo avec Alfredo De Franco. Une version simple, mais plus rapide que les autres de l’époque. Il nous manque certains instruments auxquels nous sommes désormais habitués pour totalement apprécier cette version qui peut paraître un peu monotone et répétitive.
Amurado 1927-07-22 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Avec seulement deux guitares, Gardel donne la réponse à Corsini qui le mois précédent avait enregistré le titre avec trois guitares. C’est également joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.
Amurado 1927-08-16 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.
Canaro enregistre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses caractéristiques de l’époque. De jolis traits de violon et bandonéon allègent un peu le marquage puissant du rythme. La voix de Irusta, un peu nasale, apporte une petite variation dans cette interprétation qui ne sera sans doute pas à la hauteur des danseurs d’aujourd’hui.
Amurado 1927-09-07 — Agustín Magaldi con guitarras.
Il ne manquait que lui, après Corsini et Gardel, voici Magaldi. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les versions des deux concurrents, mais ça se laisse écouter.
Amurado 1927-09-12 — Orquesta Julio De Caro.
Je pense que dès les premières mesures vous aurez remarqué la différence d’ambiance par rapport à toutes les versions précédentes. Le rubato marqué, parfois exagéré et la variation du solo de bandonéon sont déjà très proches de ce que proposera Laurenz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui apparaissent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instruments atypiques.
Amurado 1927-12-06 — Orquesta Juan Maglio “Pacho” con José Galarza.
On revient sans doute un cran en arrière dans la modernité, mais la partie d’orchestre est assez sympathique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus difficile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.
Amurado 1928 — Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con Roberto Fugazot.
Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fugazot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pourra que placer un magnifique accord final.
Amurado 1940-07-29 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.
C’est notre tango du Jour. Si on note la filiation avec l’interprétation de De Caro, la version donnée par Laurenz est éblouissante en tous points. Il a fait le ménage dans les propositions parfois un peu confuses de De Caro et le résultat est parfait pour la danse.
Tout en restant fidèle à l’écriture de Laurenz, Pugliese propose sa version avec une pointe de Yumba et son alternance de moments tendus et d’autres, relâchés, et des nuances très marquées. Le résultat est comme toujours superbe, mais beaucoup plus difficile à danser pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version. En milonga, c’est donc à réserver à des danseurs expérimentés ou motivés. L’accélération de la variation en solo du bandonéon qui nous mène au final est tout aussi belle que celle de Laurenz, les danseurs pourront s’y donner rendez-vous pour oublier les petits pièges des parties précédentes.
Amurado 1946 (transmisión radial) — Orquesta Pedro Laurenz.
Six ans plus tard, Laurenz propose une version instrumentale. Il s’agit d’un enregistrement radiophonique, d’une qualité impossible pour la danse, mais nous avons une version enregistrée l’année suivante.
Amurado 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz.
Cette version est très proche et je ne la proposerai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estribillo chanté par Casas va manquer aux danseurs.
Amurado 1952-09-25 — Orquesta Pedro Laurenz.
Après un peu de temps de réflexion, Laurenz propose une nouvelle version, très différente. On sent qu’il a voulu dans la première partie tirer parti des idées de Pugliese, mais la réalisation est un peu plus sèche, moins coulée et la seconde partie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta première version, même si on garde de cette version le final qui est tout aussi beau que dans l’autre.
Basso reprend l’appel initial du bandonéon, en l’accentuant encore plus que Laurenz dans sa version de 1940. Un violon virtuose nous transporte, puis le bandonéon tout aussi agile reprend le flambeau. Par moment on retrouve l’esprit de la version de la version de Laurenz en 1940, mais entrecoupée de passages totalement différents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rappels proches de Laurenz peuvent leur faire regretter l’original, mais les idées différentes peuvent aussi éveiller leur curiosité et les intéresser. Peut-être à tenter dans un lieu rempli de danseurs un peu curieux.
Amurado 1956 — Edmundo Rivero con acomp. de Carlos Figari y su Orquesta.
Une version à écouter, avec la puissance d’un grand orchestre.
Amurado 1956c — Trio Hugo Diaz.
Le trio d’Hugo Diaz, harmoniciste que l’on retrouvera 12 ans plus tard avec une version encore plus intéressante.
Amurado 1959-01-08 — Orquesta José Basso.
Encore Basso, qui s’essaye à l’amélioration de son interprétation et je trouve que c’est une réussite qui devrait intéresser encore plus de danseurs que la version de 1955.
Amurado 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.
Amurado 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo. Vidal avec ce conjunto de cordes nous propose une version très originale. Sa superbe voix est parfaitement mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dommage que ce ne soit pas pour la danse.
Amurado 1962-04-19 Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa.
Dans la première époque du titre, on avait entendu Corsini, Gardel et Magaldi. Dans cette nouvelle période, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tango. Une version qui fait se dresser les poils de plaisir. Quelle version !
Amurado 1962-12-19 — Aníbal Troilo y Roberto Grela en vivo.
Un enregistrement avec un public enthousiaste, qui masque parfois la merveille du bandonéon exprimé par Troilo, extraordinaire.
Amurado 1968 Pedro Laurenz con su Quinteto.
La dernière version enregistrée par Pedro Laurenz, avec la guitare électrique en prime. Une version à écouter, mais pas inintéressante.
Amurado 1972 — Hugo Díaz.
Le meilleur harmoniciste nous propose une version plus aboutie.
Bien au-delà de la version avec Sosa, l’orchestre s’exprime magnifiquement. On est bien sûr totalement hors du domaine de la danse, mais c’est une merveille.
Amurado 1990 Roberto Goyeneche con arreglos y dirección de Raúl Garello.
Goyeneche manquait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son répertoire. Cet enregistrement comble cette lacune.
Amurado 1995-08-23 — Sexteto Tango.
Une version par les anciens musiciens de Pugliese.
Voilà, avec une trentaine de versions, vous avez encore une fois un échantillon de la richesse du tango. En général, seules une ou deux versions passent en milonga, mais quelquefois les modes changent et des titres oubliés redeviennent à la mode. Ainsi, le tango reste vivant et quand des orchestres contemporains se chargent de rénover la chose, c’est parfois une seconde chance pour les titres.
Sur ces entrefaites, je vous dis, à demain, les amis.
À Buenos Aires, la majorité des milongas continuent de faire des tandas de 4 titres pour les tangos, et pour quelques-unes, y compris pour les valses, mais uniquement si tous les danseurs dansent, ce qui est généralement le cas. Notre tango du jour est donc, vous l’avez deviné, une valse, sans doute trop peu connue, Samaritana. Elle a été enregistrée il y a 92 ans.
Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas avare de valses et que je n’hésite jamais à faire des propositions un peu plus rares, l’avantage des valses est que la majorité reste dansante grâce à la structure particulière à trois temps avec le premier temps accentué (POUM – tchi — tchi). Il est donc plus facile de prendre des risques avec les valses que les tangos et encore plus que les milongas, qui ont le rythme le plus difficile à proposer en milonga.
Los Provincianos
Ciriaco Ortiz Direction et bandonéon, Aníbal Troilo et Horacio Gollino (bandonéons), Orlando Carabelli (piano), Elvino Vardaro et Manuel Núñez (violons), Manfredo Liberatore (contrebasse) et Alberto Gómez (dit Nico) au chant sont les artistes qui ont mis en musique et enregistré cette valse.
Orquesta Los Provincianos. Vous aurez reconnu le jeune Aníbal Troilo et son bandonéon qui l’accompagnera durant toute sa carrière…
On trouve parfois cet enregistrement sous le nom d’orchestre OTV – Orchestra Típica Víctor. Ce n’est pas vraiment faux, car il s’agit effectivement d’un orchestre créé par la maison de disque Víctor et qui était destiné à enregistrer des disques. Le premier orchestre, celui qui était dirigé par Carabelli avec le nom de OTV, mais par la suite, la compagnie Víctor décida de multiplier les orchestres et pour s’y retrouver, elle leur donna des nos différents…
La Orquesta Típica Los Provincianos, dirigée par Ciriaco Ortiz et qui a enregistré notre valse du jour et qui est en fait la continuation de l’orchestre de Carabelli, d’où le fait qu’on le nomme parfois tout simplement Típica Víctor, comme le premier orchestre et comme on le fera pour les suivants…
La Orquesta Víctor Popular,
La Orquesta Radio Víctor Argentina, dirigée par Mario Maurano
El Cuarteto Víctor composé de Cayetano Puglisi et Antonio Rossi (violons), Ciriaco Ortiz et Francisco Pracánico (bandonéons)
El Trío Víctor composé de Elvino Vardaro (violon) et de Oscar Alemán et Gastón Bueno Lobo (guitares).
Même si cet orchestre n’était pas destiné à jouer en public, les habitués du Cabaret Casanova qui était situé en la rue Maipu, juste en face du Salón Marabú (où a débuté Troilo avec son orchestre, juste en traversant la rue…) et qui existe, lui, toujours, ont pu entendre l’orchestre sur scène.
Extrait musical
Samaritana 1932-07-27 – Orquesta Típica Los Provincianos con Alberto Gómez.
Les violons dessinent les premières notes sur une base staccato du reste de l’orchestre et notamment des bandonéons et de la contrebasse qui marque fermement les premiers temps. Puis s’exprime le sublime violon soliste. Les bandonéons reprennent la voix avec à 35 secondes un curieux (mais génial) glissando. À 1:12, Alberto Gómez lance le chant, toujours en mode mineur, mais ce n’est pas étonnant vu les paroles. Sa voix décontractée enlève la tragédie des paroles, il termine en voix de tête. Il reste ensuite une minute à l’orchestre pour faire oublier le triste des paroles, ce qu’il fait parfaitement, notamment avec la variation finale exécutée principalement par les bandonéons en double croche.
Les orchestres Víctor sont destinés aux disques, mais aux disques pour danseurs et ce n’est donc pas un hasard si les valses de ces orchestres comportent une telle proportion de merveilles.
Paroles
N’ayant pas trouvé la partition, ni les paroles, il s’agit ici uniquement de ce que chante Alberto Gómez.
El dolor, cruzó mi corazón Golpeando fuerte, Dejando en su rutina Frío de muerte, Que me asesina Sin compasión.
Mi cantar se ahoga con mi voz Que es una pena, Y nada me consuela De haber perdido, Lo que he querido Con tanto amor.
Luis Rubistein (Musique et paroles)
Traduction libre des paroles
La douleur a transpercé mon cœur, frappant fort, laissant dans sa routine, le froid de la mort qui me tue sans compassion. Mon chant s’est noyé avec ma voix, qui est un chagrin, et rien ne me console d’avoir perdu ce que j’ai aimé avec tant d’amour.
Qui est la samaritana ?
Je pose la question, mais je n’ai pas de réponse. Le sens le plus commun fait référence à la femme de la Bible, la femme au puits. Par extension, le terme désigne une personne qui se dévoue pour les autres. Mais ce n’est pas tout, la samaritaine est une pécheresse, car elle a eu cinq « maris » sans être mariée. Cette direction nous rappelle que les prostituées héritent parfois de cette appellation, comme le rappelle la très belle chanson du chanteur espagnol José Luis Perales, Samaritanas del amor.
Samaritanas del amor — José Luis Perales avec sous-titre et traduction possible…
Comme cette valse est orpheline et les paroles incomplètes, on ne peut rester qu’à des suppositions. Mais est-ce si grave si on peut se plonger dans l’ivresse de cette valse ? On notera que quelques années après l’écriture de cette valse (1938), un « Nostradamus argentin » a qualifié l’Argentine de Samaritana del Mundo, l’Argentine accueillant les peuples meurtris.
Je ne me prononcerai pas sur la validité des prophéties de Solari Parravicini, mais le fait que Luis Rubistein était sensible au projet sioniste peut l’avoir influencé. Je me garderai de faire tout rapprochement avec l’actualité argentine, en laissant les coïncidences non analysées.
Tristesse et joie du tango
Pour moi, le tango est une pensée joyeuse qui se danse. Si vous écoutez la valse du jour sans faire attention aux paroles, vous ne découvrirez pas la tragédie sous-jacente, vous vous laisserez envelopper par le rythme implacable de la valse en ne pensant à rien d’autre. Discépolo qui a écrit le contraire de ce que je pense est mort à 50 ans dans une profonde dépression. Un homme malheureux au point de se laisser mourir de faim est-il un bon témoin pour parler du plaisir du tango qui a animé, pendant plusieurs décennies, des milliers de danseurs ? Je n’en suis pas sûr. L’auteur de Vachaché, Yira yira ou Cambalache avait un regard plutôt noir et désabusé sur le monde. Nicolás Olivari assura que Discépolo était la cheville ouvrière de l’humour de Buenos Aires, graissée par l’angoisse. (Olivari écrivait El perno, c’est le boulon, mais aussi la partie qui maintient la tige dans une charnière. J’ai choisi de traduire par la cheville ouvrière qui est la pièce la plus importante des charrettes avec roues avant orientables. Notons qu’en lunfardo, el perno est aussi le membre viril). Les paroles de Luis Rubistein pourraient paraître de la même veine, mais elles parlent d’une douleur intime, presque théâtralisée, celle que ressent l’amoureux qui a perdu son objet d’amour, elles ne manifestent pas nécessairement un rejet de la société. Par ailleurs, Luis Rubistein est à la fois l’auteur de la musique et des paroles, aussi, il pouvait parfaitement établir l’équilibre entre l’émotion et la tristesse des paroles et l’enthousiasme de la musique. En Europe, on s’interdit certains tangos, car les paroles parlent de sujets tristes (Juan Porteño, La novena), ici, à Buenos Aires, ils sont passés et bien que tout monde puisse en comprendre les paroles, personne n’y fait attention et tout le monde est sur la piste. C’est peut-être étonnant quand on entend les danseurs chanter les paroles d’autres titres qu’ils connaissent par cœur. En revanche, je ne passerai pas des titres vulgaires comme Si soy así (interprété par Rodríguez avec Herrera). Ceci pour dire que le tango de danse se fait à partir de la musique et que si la musique donne envie de danser, c’est un tango pour la milonga, sauf à de très rares exceptions. On aura remarqué que même lorsque les paroles faisaient référence à une histoire triste, les tangos de danse n’en reprennent que l’estribillo (refrain), voire un ou deux couplets en plus, mais que généralement, les parties les plus sinistres ne sont pas chantées. Le tango triste est le tango à écouter, car il diffuse la totalité de l’histoire et que cette histoire peut effectivement être très triste. La voix du chanteur étant mise en avant, l’auditeur ne dispose pas de l’amortissement de la musique et est confronté à la dureté du texte. On peut se demander pourquoi le tango exprime souvent des pensées tristes. Quand on sait que c’est le pays du Monde où il y a le plus de psys par habitant et que Buenos Aires est la ville qui a le plus de théâtres, il me semble facile d’y voir un début d’explication. La nostalgie de l’émigré, immigré, souvent issu de populations défavorisées d’Europe, voire d’Afrique, tout cela peut donner une certaine propension à la tristesse, mais ce sont des gens qui ont su dominer leurs difficultés. Ils pensaient arriver dans un espace vierge à conquérir pour se lancer dans une nouvelle vie, mais contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, l’Argentine était déjà entièrement privatisée, aux mains de quelques grandes familles et les conquérants espérant s’établir en vivant de leurs terres ont été réduits à devoir travailler pour les propriétaires ou à s’entasser dans les villes, ou plutôt La ville, pour servir de main-d’œuvre à l’industrie. Ils ont quitté une misère pour en trouver une autre, loin de leurs racines. Il y avait sans doute de quoi avoir des tendances mélancoliques. Alors, la danse ne pouvait pas être autre chose qu’un exutoire, un sas de décompression, ce qui explique les excès des premiers temps et la circonscription à des lieux interlopes et populaires du tango. C’est quand la bonne société a jugé bon de s’acoquiner, que l’intellectualisation a façonné une autre culture.
El tango tiene los pies en el fango y la cabeza en las nubes
Le tango a les pieds dans la boue et la tête dans les nuages, c’est ce qui fait sa grandeur et sa richesse. Tout bon DJ connaît les différents degrés de la musique qui s’adresse aux sentiments, au cerveau, au corps et c’est en jouant sur les différents caractères qu’il anime la milonga. Le ludique de D’Arienzo, l’urbain de Troilo, l’intellectuel de Pugliese et le sentimental de Di Sarli forment les quatre piliers qui servent à construire une milonga qui donnera à toutes les sensibilités de danseurs, de quoi être heureux. Évidemment, cette répartition que l’on donne comme indication aux DJ débutants est très sommaire et demande à être nuancée. Il n’est pas question d’équilibrer ces 4 piliers. Selon l’événement, les danseurs et le moment, on favorisera plutôt l’un des piliers. On passera généralement plus de D’Arienzo que de Pugliese, les piliers n’ont pas tous la même taille. Par ailleurs, mettre dans une de ces quatre cases ces quatre orchestres, c’est oublier qu’ils ont évolué et ont navigué d’une case à l’autre selon les périodes. Il faut donc nuancer la définition des piliers et le dernier point est que d’autres orchestres ont exprimé ces quatre sensibilités et qu’ils peuvent très bien se substituer aux orchestres canoniques. Malerba et Caló, peuvent aller dans la case romantique, tout comme De Caro et certains Troilo qui peuvent se classer dans la case intellectuelle. Rodriguez ira sans doute dans la case ludique et ainsi de suite. C’est la raison pour laquelle on alterne les genres. On ne passera généralement pas deux tandas romantiques/ludiques/intellectuelles/urbaines à la suite. On passera d’un des quatre piliers à l’autre dans le but de ne pas laisser sur sa chaise un danseur avec deux tandas qui sont de types qui ne lui parlent pas. Combien de fois avez-vous ressenti de l’ennui en ayant l’impression que c’était « tout le temps pareil », notamment dans ces milongas où le DJ respecte un ordre chronologique, commençant par la vieille garde et terminant par le tango « nuevo » … Je me souviens d’un danseur, dans une ville française qui fut autrefois pionnière dans le tango (et qui n’est pas Paris), qui après une tanda de Pugliese est venu me dire, ça va être le néotango maintenant ? Ne comprenant pas le sens de sa question, je lui ai demandé des précisions et il m’a dit qu’ici, les DJ commençaient par Canaro et terminaient par du néotango et comme il était relativement tôt dans la soirée, il s’inquiétait de devoir partir, car il ne s’intéressait pas à ce type de musique. Je l’ai rassuré et il est resté, jusqu’à la fin.
Sans doute influencé par la température polaire de ces derniers jours à Buenos Aires, j’ai choisi Frío (Froid) pour l’anecdote du jour. Cette version magnifique et presque orpheline a été enregistrée par Canaro et Maida il y a exactement 83 ans… Cet enregistrement parle d’un froid interne, mais il a été enregistré en hiver, comme l’a été l’année précédente Invierno (l’hiver) par les mêmes… Je vous invite à grelotter.
Un petit mot sur Joaquín Mauricio Mora (1905–1979)
Certains talents passent un peu dans l’oubli, tout comme ce magnifique tango du jour et je suis content de les rappeler à notre souvenir. Joaquín Mora est né en 1905 en Uruguay, d’une mère de ce pays et d’un père argentin. Il fit de sérieuses études musicales au point de devenir professeur de piano et il se toqua pour le bandonéon qui bien qu’aussi un instrument à touches exige une dextérité différente. Avec cet instrument qu’il apprit de façon autodidacte, il jouera dans de nombreux orchestres, par exemple avec Azucena Maizani et le Trio Irusta-Fugazot-Demare en Europe et il fut l’un des bandonéonistes de Miguel Caló.
Portraits de Joaquin Mora. En haut dans l’orchestre de Miguel Calo en 1935, en bas avec les musiciens de son orchestre en 1936. À droite, avec son orchestre en Uruguay
Il tourna également en Amérique du Sud, et joua même avec la Sonora Matancera (en 1949).
Cartes de musicien de Mora : Colombie — Managua au Nicaragua — Medellín (Colombie).
Un jour il perdit son bandonéon et il continua comme pianiste… Mais il fut aussi un compositeur intéressant. Parmi ses compositions, citons celles dont nous avons des enregistrements. Une bonne partie étant avec des paroles de Contursi : Al verla pasar / Como aquella princesa / Esclavo / Frío / Más allá / Sin esperanza (Vals) Tangos sans paroles de Contursi (instrumentaux ou avec d’autres paroliers) : Divina (marche puis en tango) / En las sombras / Margarita Gauthier / Si volviera Jesús / Ushuaia / Volver a vernos / Yo soy aquel muchacho
Extrait musical
Frío 1938-07-26 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
Le mode mineur prédominant dans cette musique donne un air de tristesse. Maida chante délicatement, mais en suivant le rythme soutenu de l’orchestre qui ne se calmera que dans les dernières secondes par un ralentissement (calendo ou même morendo).
Paroles
De vraiment très belles paroles, mais José María Contursi nous a habitué à ces textes splendides et simples.
Por qué seguir penando así Si el sol no brilla para mí, En esta noche inacabable, mi querer Se desangra lentamente por ti.
No sé si el viento llevará Mi voz, cansada de llamar, Giro la vista, angustiado De ver a mi lado Sombras, nada más.
Me agobia el peso de las penas mías Anduve tanto y tanto, sin llegar, Mi espíritu cansado, necesita Quebrar sus alas mustias y olvidar. Si encontrara un reparo en el camino Donde el alma pudiera cobijar, Garúa de recuerdos y este frío Este frío mortal, mi soledad.
Busqué la paz en la oración Mi voz, un rezo musitó, Y en las palabras, Las primeras que aprendí Y el recuerdo de mi madre, me ahogó.
Joaquín Mauricio Mora Letra: José María Contursi
Roberto Maida ne change que ce qui est en gras. Podestá, chante tout et fait même des reprises…
Pourquoi continuer à pleurer ainsi si le soleil ne brille pas pour moi, en cette nuit sans fin, mon amour saigne lentement pour toi. Je ne sais pas si le vent portera ma voix, fatiguée d’appeler, je détourne le regard, angoissé de voir des ombres à mon côté, rien de plus. Le poids de mes peines me submerge, j’ai tant et tant marché, sans arriver, mon esprit fatigué, a besoin de briser ses ailes desséchées et d’oublier. Si je trouvais une retraite sur le chemin où l’âme pouvait s’abriter, un crachin (pluie fine) de souvenirs et ce froid, ce froid mortel, ma solitude. Je cherchais la paix dans la prière, ma voix murmurait une obsécration, et dans les mots, les premiers que j’appris et le souvenir de ma mère, je me noyais.
Ce joli texte et cette exquise musique n’ont pas fait beaucoup d’adeptes. On notera tout de même une version par Alberto Podestá avec l’auteur, Joaquín Mora.
Frío 1938-07-26 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.Frío 1960 — Alberto Podestá Acc. Joaquín Mora y su orquesta.
On se rend compte avec cette version de l’écriture novatrice de Mora que le classicisme de Canaro avait estompée. En fait, c’est presque l’inverse, car la musique de Mora donne des références à la musique classique française de l’époque. Pfffff. Pas facile à expliquer, tout cela. C’est à écouter, mais c’est une belle réalisation.
À demain, les amis et merci à ceux qui ont lu jusqu’au bout. Je me suis rendu compte aujourd’hui que certains ne voyaient que le chapô et la photo sur Facebook, négligeant de cliquer sur le lien où se trouve l’anecdote du jour…
Faîtes passer l’info si vous pensez que les anecdotes peuvent les intéresser.
Les anecdotes de tango, c’est un site, pas une photo avec trois lignes sur Facebook. Pensez à cliquer sur le lien…
Voilà que le tango et plus précisément la valse (mais on verra que ce n’est pas si simple) vous prodigue des conseils de vie. Chers amis, je vous enjoins de les suivre et de chanter avec Roberto Flores le refrain de cette valse entraînante composée et mise en paroles par Rodolfo Aníbal Sciammarella et interprété par l’orchestre chéri de mon ami Christian, Enrique Rodriguez.
Selon Mariano Mores, Rodolfo Sciammarella aurait composé une zamba (voir l’anecdote du 7 avril sur la zamba). Comme il n’était pas très doué pour écrire la musique, il a demandé à Mariano de la transcrire pour lui. Celui-ci a trouvé que c’était plus joli en valse et aurait donc adapté la musique à ce rythme…
Une édition de Julio Korn de Salud… dinero y amor en zamba
Extrait musical
Salud… dinero y amor 1939-07-25 — Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.
Pas de doute, notre version du jour est parfaitement une valse, sans trace de zamba. Je me demande toutefois si la version en zamba n’a pas été utilisée dans d’autres occasions. Nous y reviendrons avec la liste des versions.
Avis de recherche
Le 7 mars 1939, un film est sorti. Son titre était Mandiga en la sierra. Ce film a été réalisé par Isidoro Navarro sur un scénario de Arturo Lorusso et Rafael J. de Rosas. Ce film était basé sur la pièce de théâtre homonyme. Parmi les acteurs, Luisa Vehil, Eduardo Sandrini, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci, mais celui qui m’intéresse est Francisco Amor qui y interprète Salud…dinero y amor.
Luisa Vehil, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci dans Mandinga en la sierra (1939)
Dans ce film, en plus de Francisco Amor, il y a Myrna Mores et sa sœur Margot. Depuis 1938, Mariano Mores, celui qui a couché sur la partition l’idée musicale de Rodolfo Sciammarella faisait un trio avec les deux sœurs Mores. En 1943, il épousera Myrna. On voit comme ce film est assez central autour des Mores et de cette valse. Si vous savez où trouver ce film, je suis preneur… Vous pouvez trouver sa fiche technique ici : https://www.imdb.com/title/tt0316217/?ref_=nm_knf_t_1
La pièce de théâtre était jouée en 1938. Est-ce que la version chantée ou jouée dans la pièce était sous forme de zamba, je ne le sais pas. En ce qui concerne le film, même si je ne l’ai pas encore trouvé, j’imagine que c’est en valse, car le succès du thème qui a été enregistré majoritairement sous cette forme. Je vous réserve deux surprises dans les « autres versions » qui pourraient faire mentir ou confirmer cette histoire.
Paroles
Tres cosas hay en la vida: salud, dinero y amor. El que tenga esas tres cosas que le dé gracias a Dios. Pues, con ellas uno vive libre de preocupación, por eso quiero que aprendan el refrán de esta canción.
El que tenga un amor, que lo cuide, que lo cuide. La salud y la platita, que no la tire, que no la tire. Hay que guardar, eso conviene que aquel que guarda, siempre tiene. El que tenga un amor, que lo cuide, que lo cuide. La salud y la platita, que no la tire, que no la tire.
Un gran amor he tenido y tanto en él me confié. Nunca pensé que un descuido pudo hacérmelo perder. Con la salud y el dinero lo mismo me sucedió, por eso pido que canten el refrán de esta canción.
Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musiques)
Traduction libre des paroles
Il y a trois choses dans la vie : la santé, l’argent et l’amour. Quiconque possède ces trois choses devrait remercier Dieu. Eh bien, avec eux, on vit sans souci, c’est pourquoi je veux que vous appreniez le dicton de cette chanson.
Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin. La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas. Il faut garder, il convient que celui qui garde, toujours a. Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin. La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.
J’ai eu un grand amour et j’ai tellement cru en lui. Je n’ai jamais pensé qu’un manque d’attention pouvait me le faire perdre. La même chose m’est arrivée avec la santé et l’argent, alors je vous demande de chanter le dicton de cette chanson.
Autres versions
Salud, dinero y amor 1930 — Duo Irusta-Fugazot accomp. de Orquesta Argentina (Barcelona).
Je pensé que vous avez remarqué plusieurs points étranges avec cette version. Le son a beaucoup d’écho, ce qui ne faisait pas à l’époque. Je pense donc que c’est une édition « trafiquée ». Mon exemplaire vient de l’éditeur El Bandoneón qui a édité entre 1987 et 2005 différents titres dont certains assez rares. Cet enregistrement est sur leur CD El Tango en Barcelona CD 2 — (EBCD-046) de 1997. Je n’en connais pas d’autre. Sur la date d’enregistrement de 1930, en revanche, c’est très probable, car cela correspond à l’époque où le trio était actif en France et Barcelone. L’autre point étrange est qu’il s’agit d’une valse et pas d’une zamba. Si Sciammarella a « écrit » une zamba et que Mariano Mores l’a transformé en valse seulement en 1938, il y a un problème. Cet enregistrement devrait être une zamba. Je pense donc que Sciammarella a fait vivre conjointement les deux versions et que c’est la version valse qu’a adaptée le tout jeune Mariano Mores. Mais on va revenir sur ce point plus loin…
Salud… dinero y amor 1939-07-25 — Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.
C’est notre valse du jour. Vos chaussures, si vous êtes danseur, doivent être désormais capables de la danser seules. Le rythme est assez rapide et le style haché de Rodríguez fait merveille pour inciter à donner de l’énergie dans la danse. La voix de Flores, plus élégante de celle de Moreno, l’autre chanteur vedette de Rodríguez est agréable. L’orchestration de la fin de la valse est superbe, même si Rodríguez décide, une fois de plus, d’y placer un chœur, habitude qui peut susciter quelques réticences.
Salud, dinero y amor 1939-08-08 — Francisco Lomuto C Jorge Omar.
Une version assez piquée et pesante. Elle est moins connue que la version de Rodriguez. On comprend pourquoi, sans toutefois qu’elle soit à mettre au rebut. Comme chez Canaro, Lomuto fait intervenir une clarinette, scorie de la vieille garde. La fin est cependant assez intéressante, donc si un DJ la passe, cette valse ne devrait pas laisser une mauvaise impression.
Salud, dinero y amor 1939-09-11 — Francisco Canaro y Francisco Amor.
Sur le même rythme que Lomuto, Canaro propose une version plus légère. Les vents (instruments à vent) auxquels Canaro reste fidèle donnent la couleur particulière de l’orchestre. Francisco Amor chante de façon décontractée avec un peu de gouaille.
Salud, dinero y amor 1939-09-27 — Juan Arvizu con orquesta.
L’accent mexicain d’Arvizu, surprend, on est plus accoutumé à l’entendre dans des boléros. L’orchestre où les guitares ont une présence marquée est un peu léger après l’écoute des versions précédentes. Buenos Aires lui aurait donné le surnom de ténor à la voix de soie (El Tenor de la Voz de Seda). Je vous laisse en juger…
Salud… dinero y amor 1939-11-03 — Charlo con guitarras (zamba cueca).
Ce titre n’est pas une valse, on reconnaît le rythme de la cueca à la guitare dans la première partie, puis le rythme s’apaise et passe en zamba avec des roucoulements étranges. Finalement, ce n’est pas une zamba, pas une cueca. C’est un ovni. Le nom de zamba cueca existe et couvre différentes variétés de danses, notamment du Chili. La distinction de la vingtaine de variétés de cuecas, le fait que la zamba cueca serait aussi dénommée zambacueca, zamacueca ou zambaclueca, ce dernier terme évoquerait encore plus clairement la poule pondeuse, la cueca se référant à la parade d’oiseaux, font que pour moi, cela reste assez mystérieux. Le témoignage de Mario Mores, appuyé par la partition qui mentionne zamba et cette interprétation de Charlo prouve que Salud… dinero y amor n’est pas seulement une valse.
Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de Terig Tucci. On retrouve Irusta qui a enregistré pour Decca à New York, accompagné de l’orchestre de Terig Tucci. Ce n’est pas vilain et si ce n’est pas le top de la danse, c’est plus dansable que la version du duo de 1930.
Après la « folie » accompagnant la sortie du fameux film que je n’ai pas trouvé, l’intérêt pour cette valse s’atténue. On la retrouve cependant un peu plus tard dans quelques versions que voici.
Salud… dinero y amor 1955 c — Inesita Pena — La Orquesta Martín De La Rosa y coro.
Pour un enregistrement des années 1950, ça fait plutôt vieillot. Ne comptez pas sur moi pour vous la proposer en milonga.
Salud… dinero y amor 1966 — Típica Sakamoto con Ikuo Abo.
On connaît l’engouement incroyable du Japon pour le tango, la Típica Sakamoto nous en donne un exemple. Vous aurez facilement reconnu la voix très typée de Ikuo Abo. Les chœurs sont assez élégants. Il me semble entendre une partie de soprano dans le chœur tenue par une femme.
Salud… dinero y amor 1969 — Alberto Podestá con Orquesta Lucho Ibarra.
Bon, il faut bien du tango à écouter, aussi. Et la voix de Podestá est tout de même une merveille, non ?
À demain, les amis, je vous souhaite santé, argent et amour.
Quand on pense à l’Argentine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans raison. Les Argentins sont de très grands amateurs et consommateurs de viande. Chaque maison a sa parilla (barbecue) et en ville, certains vont jusqu’à improviser leurs parillas dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a également des parillas aménagées et si vous préférez aller au restaurant, vous n’aurez pas beaucoup à marcher pour obtenir un bon asado. Le tango du jour, la tablada a à voir avec cette tradition. En effet, la tablada est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero…
La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal TroiloLa tablada. La couverture de gauche est plus proche du sujet de ce tango que celle de droite…La partition est dédicacée par Canaro à des amis d’Uruguay (auteurs, musiciens…).
Autres versions
La tablada 1927-06-09 — Orquesta Francisco Canaro.
Une version presque gaie. Les vaches « gambadent », du pas lourd du canyengue.
La tablada 1929-08-02 — Orquesta Cayetano Puglisi.
Une version pesante comme les coups coups donnés par les mataderos pour sacrifier les animaux.
La tablada 1929-12-23 — Orquesta Francisco Canaro.
Cette version est assez originale, on dirait par moment, une musique de dessin animé. Cette version s’est dégagée de la lourdeur des versions précédentes et c’est suffisamment joueur pour amuser les danseurs les plus créatifs.
La tablada 1936-08-06 — Orquesta Edgardo Donato.
Une des versions le plus connues de cette œuvre.
La tablada 1938-07-11 — Orquesta Típica Bernardo Alemany.
Cette version française fait preuve d’une belle imagination musicale. Alemany est probablement Argentin de naissance avec des parents Polonais. Son nom était-il vraiment Alemany, ou est-ce un pseudonyme, car il a travaillé en Allemagne avant la seconde guerre mondiale avant d’aller en France où il a fait quelques enregistrements comme cette belle version de la tablada avant d’émigrer aux USA. Ses musiciens étaient majoritairement argentins, car il avait fait le voyage en Argentine en 1936 pour les recruter. Cette version est donc franco-argentine pour être précis…
La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est notre tango du jour.La tablada 1946-09-10 — Orquesta Francisco Canaro.
L’introduction en appels sifflés se répondant est particulièrement longue dans cette version. Il s’agit de la référence au train qui transportait la viande depuis La Tablada jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient siffler pour signaler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de campagne.
La tablada 1950-11-03 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.
Encore une version bien guillerette et plutôt sympathique, non ?
La tablada 1951 — Orquesta Roberto Caló.
C’est le frère qui était aussi chanteur, mais aussi pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enregistrement), de Miguel Caló.
La tablada 1951-12-07 — Horacio Salgán y su Orquesta Típica.
Une version qui se veut résolument moderne, et qui explore plein de directions. À écouter attentivement.
La tablada 1955-04-19 — Orquesta José Basso.
Dans cette version, très intéressante et étonnante, Basso s’éclate au piano, mais les autres instruments ne sont pas en reste et si les danseurs peuvent être étonnés, je suis sûr que certains apprécieront et que d’autres me maudiront.
La tablada 1957 — Mariano Mores y su Gran Orquesta Popular.
L’humour de Mariano Mores explose tout au long de cette version. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigoler, c’est à préconiser.
La tablada 1957-03-29 — Orquesta Héctor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa version est également assez foisonnante. Décidément, la tablada a donné lieu à beaucoup de créativité.La tablada 1962 — Orquesta Rodolfo Biagi.
On revient à des choses plus classiques avec Rodolfo Biagi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses ornements au piano. À noter le jeu des bandonéons avec le piano et les violons qui dominent le tout, insensibles au staccato des collègues.
La tablada 1962-08-21 — Cuarteto Troilo-Grela.
Le duo Grela, Troilo est un plaisir raffiné pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laisser emporter par le dialogue savoureux entre ces deux génies.
La tablada 1965-08-11 — Orquesta Juan D’Arienzo.
La spatialisation stéréophonique est sans doute un peu exagérée, avec le bandonéon à droite et les violons à gauche. Beaucoup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cependant, pour les cortinas et les enregistrements plus récents, le passage en mono peut être une limitation. Vous ne pourrez pas vous en rendre compte ici, car pour pouvoir mettre en ligne les extraits sonores, je dois les passer en mono (deux fois moins gros) en plus de les compresser au maximum afin qu’ils rentrent dans la limite autorisée de taille. Mes morceaux originaux font autour de 50 Mo chacun. Pour revenir à la diffusion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tournent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur donnera à entendre le bandonéon dans une zone de la salle et les violons dans une autre. Dans ce cas, il faudra limiter le panoramique en rapprochant du centre les deux canaux. Encore un truc que ne peuvent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peuvent donc pas être placés spatialement de façon individuelle (sans parler du fait que l’entrée ligne comporte généralement moins de réglage de tonalité que les entrées principales).
Une meilleure utilisation de la spatialisation stéréophonique, mais ça reste du Sassone qui n’est donc pas très passionnant à écouter et encore moins à danser.
La tablada 1968 — Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone a explosé la frontière entre la musique classique et le tango avec cette version très, très originale. J’adore et je la passe parfois avant la milonga en musique d’ambiance, ça intrigue les premiers danseurs en attente du début de la milonga.
La tablada 1968-06-05 — Cuarteto Aníbal Troilo.
On termine, car il faut bien une fin, avec Pichuco et son cuarteto afin d’avoir une autre version de notre musicien du jour qui nous propose la tablada.
Après ce menu musical assez riche, je vous propose un petit asado…
L’asado
Je suis resté discret sur le thème matadero évoqué dans l’introduction. Matar en espagnol est tuer (à ne pas confondre avec mate) qui est la boisson nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas mettre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourner autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.
À la fin du 16e siècle, Jean de Garay apporta 500 vaches d’Europe (et bien sûr quelques taureaux). Ces animaux se plurent, l’herbe de la pampa était abondante et nourrissante aussi les bovins prospérèrent au point que deux siècles plus tard, Félix de Azara, un naturaliste espagnol constatait que les criollos ne consommaient que de la viande, sans pain. Plus étonnant, ils pouvaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la partie qui les intéressait. Puis, la colonisation s’intensifiant, la viande est devenue la nourriture de tous, y compris des nouveaux arrivants. Certaines parties délaissées par la « cuisine » traditionnelle furent l’aubaine des plus pauvres, mais certaines parties qui étaient très appréciées par les personnes raffinées et négligées par les consommateurs traditionnels continuent à faire le bonheur des commerçants avisés qui répartissent les parties de l’animal selon les quartiers. Le travail du cuir est aussi une ressource importante de l’Argentine, mais dans certaines provinces, l’asado (la grillade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est perdu. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la portion nécessaire à un moment donné. Les Argentins consomment un kilo de viande et par personne chaque semaine. Je devrais écrire qui consommaient, car depuis l’arrivée du nouveau gouvernement en Argentine, le prix de la viande a triplé et la consommation a fortement baissée en quantité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qualité, les viandes les moins nobles étant désormais plus recherchées, car moins chères).
Asado a la estaca (sur des pieux) — Asado con cuero (avec la peau de l’animal)
Asado dans un restaurant, les chaînes permettent de régler la hauteur des différentes grilles — asado familiar.
Tira de asado La viande est attachée à l’os. C’est assez spectaculaire et plein d’os que certains enlèvent avec leur couteau ou en croquant entre les restes de côtes.
Vacio (Vide) Un morceau de choix, sans os, tendre et à odeur forte. IL se cuit lentement à feu indirect.
Matambre Entre la peau et les os, le matambre est recherché. Il est également utilisé roulé, avec un remplissage entre chaque couche. Une fois découpé en rondelle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le remplissage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.
Colita de cuadril Partie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.
Entraña Partie intérieure des côtes de veaux.
Bife de chorizo Bifteck de chorizo, un steack à ne pas confondre avec la saucisse espagnole de ce nom.
Bife Ancho Un steack large, épais avec graisse.
Bife angosto Le contraire du précédent, plus fin.
Lomo La longe, une pièce de viande peu grasse.
Palomita Une coupe parmi tant d’autres. J’imagine que certains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.
Picaña Arrière de la longe de bœuf de forme triangulaire.
Achuras Ce sont les abats. Ils sont présentés en tripes, chorizos, boudins, ris de veau, rognons et autres. Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asado sans achuras, ce n’est pas un asado pour beaucoup.
Bondiola Le porc passe aussi un sale moment sur la parilla. Beaucoup la mangent en sandwich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauffé sur la parilla.
Pechito de cerdo La poitrine de porc fait aussi partie des morceaux de choix de l’asado. Elle est considérée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).
Des légumes, poivrons, aubergines peuvent rejoindre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas manquer de protéines…
Le travail de l’asador
C’est la personne qui prépare l’asado. Son travail peut paraître simple, mais ce n’est pas le cas. Il faut préparer les morceaux, parfois les condimenter (modérément) et la cuisson est tout un art. Une fois que le bois ou le charbon de bois sont prêts, il faut régler la hauteur de la grille afin que la viande cuise doucement et longuement et de façon adaptée selon les pièces qui se trouvent aux différents endroits de la grille. Beaucoup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuillère, voire avec le manche de la cuillère. Hors de l’Argentine, il est assez difficile de convaincre un boucher de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expliquer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous faudra donc aller en Argentine ou dans un restaurant argentin qui s’approvisionne bien souvent en bœuf de l’Aubrac (France). La coutume veut qu’on applaudisse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureusement les animaux. L’Argentine n’est pas le paradis des végétariens, d’autant plus que les légumes sont souvent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de grosses quantités, si vous payez en liquide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine fourmille d’astuces pour payer un peu moins cher. Ne sortez pas l’American Express ici son slogan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas payer plus cher. En ce qui concerne les autres produits d’origine animale, le lait et les produits laitiers ne sont pas les grands favoris et le poisson coûte le même prix qu’en Europe et par conséquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le merlu que l’on peut trouver à moins de 10 $ contre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, congelé et à la chair très pâle et grasse). Bon, je me suis un peu échappé du domaine du tango, mais n’étant pas amateur de viande, il me fallait faire une forme de catharsis…
On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.
Extrait musical
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.
Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.
Fumando espero. Diverses partitions.
On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents… Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par Ildefonso Alier) à Madrid en 1925. Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises. Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo. Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans…
Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique. Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos. Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne. Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20–30)
La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.
Paroles
Fumar es un placer genial, sensual. Fumando espero al hombre a quien yo quiero, tras los cristales de alegres ventanales. Mientras fumo, mi vida no consumo porque flotando el humo me suelo adormecer… Tendida en la chaise longue soñar y amar… Ver a mi amante solícito y galante, sentir sus labios besar con besos sabios, y el devaneo sentir con más deseos cuando sus ojos veo, sedientos de pasión. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Dame el humo de tu boca. Anda, que así me vuelvo loca. Corre que quiero enloquecer de placer, sintiendo ese calor del humo embriagador que acaba por prender la llama ardiente del amor.
Mi egipcio es especial, qué olor, señor. Tras la batalla en que el amor estalla, un cigarrillo es siempre un descansillo y aunque parece que el cuerpo languidece, tras el cigarro crece su fuerza, su vigor. La hora de inquietud con él, no es cruel, sus espirales son sueños celestiales, y forman nubes que así a la gloria suben y envuelta en ella, su chispa es una estrella que luce, clara y bella con rápido fulgor. Por eso estando mi bien es mi fumar un edén.
Fumer est un plaisir génial, sensuel. En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies. Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente… Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte). Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails). Donne-moi la fumée de ta bouche. Allez, qu’ainsi je devienne folle. Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour. Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur. Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent. L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide. C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.
La cigarette et le tango
Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas. La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages. Le tango du jour peut être considéré comme une publicité pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.
Avec Edén, allez plus vite au paradis
Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée… Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.
À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque
Les tangos faisant la propagande du tabac
On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien. Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.
Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira.
La cocaína 1926 — Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du Guignol lyrique en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.
J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière… D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.
Cigarrillo 1930-07-17 — Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).
Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous… Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…
En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :
América (qui est une marque de cigarettes) Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).
Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo… Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée… Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…
Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.
Sello azul (qui est une marque de cigarettes).
Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…
Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef-d’œuvre de marketing de bas étage :
Couverture de la partition de Aprovechá la bolada — Fumá Caranchos de Francisco Bohigas
Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos
Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez. Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto. Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución. Refrán: Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón. Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación. Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar. Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor. Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá. Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará. Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.
Francisco Bohigas
Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)
Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance. Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent. Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution. Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon. Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos. Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser. Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour. Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche. Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner. Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon. On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.
Le tango contre le tabac
Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :
Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)
Tanto daño, tanto daño provocaste a toda la humanidad. Tantas vidas, tantas vidas de muchacho te fumaste… yo no sé. Apagando mi amargura en la borra del café hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…
Cigarrillo… compañero de esas noches, de mujeres y champagne. Muerte lenta… cada faso de tabaco es un año que se va… Che, purrete, escuchá lo que te digo, no hagas caso a los demás. El tabaco es traicionero te destruye el cuerpo entero y te agrega más edad… El tabaco es traicionero, te destruye el cuerpo entero… ¡y qué! y esa tos te va a matar…
¡Ay, que lindo !… Ay, que lindo que la gente comprendiera de una vez lo difícil, lo difícil que se hace, hoy en día, el respirar. Es el humo del cilindro maquiavélico y rufián que destruye tu tejido pulmonar
Pipo Cipolatti
Traduction libre des paroles de Cigarrillo
Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité. Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas. Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité… Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne. Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va… Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres. Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge… Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis ! Et cette toux va te tuer… Oh, comme ce serait bien !… Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui. C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire
Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.
Autres versions
Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage. Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin… Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone). Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue La nueva España, lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona. La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.
Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.
Ce disque Columbia No.2461‑X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.
Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.
On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.
Fumando Espero 1926-10-18 — Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional — Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…
Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional — Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.
On quitte New York pour Buenos Aires…
Fumando espero 1927-07-11 — Rosita Quiroga con orquesta.
Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.
Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.
C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.
Fumando espero 1927 — Sexteto Francisco Pracánico.
Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.
Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.
Une version un peu frustre à mon goût.
Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.
Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.
Fumando espero 1927-09-30 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.
Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).
Fumando espero 1927-11-08 — Orquesta Osvaldo Fresedo.Fumando espero 1927-11-17 — Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.
Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.
Fumando espero 1927 — Pilar Arcos Acc. The Castilians.Fumando Sudan espero 1928-06-15 — Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.
C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.
La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.
Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.Fumando espero 1955-06-01 — Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.
Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.
Fumando espero 1955-12-01 — Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.
L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.
Fumando espero 1956 — Orquesta Graciano Gómez con Nina Miranda.
Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.
Fumando espero 1956 — Jorge Vidal con guitarras.
Une version tranquille, à la guitare.
Fumando espero 1956-02-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.
Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs. Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.
J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…
Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos — José Basso C Floreal Ruiz.
Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).
Fumando espero 1956-04-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.
On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga… Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…
Fumando espero 1956 — Los Señores Del Tango C Mario Pomar.
Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino.
Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta — Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.
Fumando espero 1957 — Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.Fumando espero 1957 — Imperio Argentina.
Si ImperioArgentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.
C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.
Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña
Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…
À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).