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Les femmes et le tango

8 mars, journée internationale (des droits) des femmes

Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une histoire de femmes.

« We can do it » (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.

Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…

Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à New York.

On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués.
Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.

Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…

Las mujeres y el amor () 1934-08-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.

Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).

Les origines du tango et les femmes

Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse.
Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de , mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre.
Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de contact. Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour Lo de Laura. Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme.
Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.

Les femmes comme source d’inspiration

Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.

hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro ( Letra : José de la Vega).

Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.

Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.

Les femmes danseuses

Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…

Carmencita Calderón et Benito Bianquet (El Cachafaz) dansent El Entrerriano de , dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.

Les femmes et la musique

La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison.
Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.

Les femmes musiciennes

Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango.
Francisca Bernardo, plus connue sous son de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.

Paquita Bernardo (1900-1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.

Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par .

Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.

L’ ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…

Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.

La enmascarada 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de .
Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Eugenio Cárdenas.

Mais d’autres femmes furent compositrices.

Les femmes compositrices

L’exemple de musique composée par une femme le plus célèbre est sans doute la merveilleuse valse, « Desde el alma » composée par Rosa Clotilde Mele Luciano, connue comme Rosita Melo. Cette pianiste uruguayenne a une page officielle où vous pourrez trouver de nombreux éléments.

Rosita Melo, compositrice de Desde el Alma.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.

Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).

Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.

Les femmes auteures

María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.

María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.

Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre…
Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.

El malevo 1928 — Rosita Quiroga con guitarras.

Si vous souhaitez en connaître plus sur sa trajectoire particulière, vous pouvez consulter une biographie écrite par Nélida Beatriz Cirigliano dans Buenos Aires Historia.

Les femmes chanteuses

Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître.
Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.

La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.

Dédicace

Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes.
À bientôt, les amis !

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Letra: Francisco García Jiménez

Le était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tango. À cette occasion, des orchestres se regroupaient pour proposer des orchestres immenses et des milliers de danseurs « tanguaient » sur les pistes plus ou moins improvisées, dans les rues, , comme le . Mais Carnaval, , , comme celle que nous narre ce tango de Di Sarli.

Extrait musical

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Partition de piano de Otra vez carnaval de Di Sarli et Jiménez.

Paroles

En los ojos llevaba la noche
y el amor en la boca…
Carnaval en su coche
la paseaba triunfal.
Serpentina de mágico vuelo
fue su amor de una noche;
serpentina que luego arrastró mi dolor
enredada en las ruedas de un coche
cuando el corso en la sombra quedó…

Otra vez, Carnaval,
en tu noche me cita
la misma bonita
y audaz mascarita…
Otra vez, Carnaval,
otra vez, como ayer,
sus locos amores
le vuelvo a creer.
Y acaso la llore
mañana otra vez…

Fugitivas se irán en la aurora
la ventura y la risa…
¡Tendrán todas mis horas
una gris soledad!
En mis labios habrá la ceniza
de su nuevo desaire;
y despojos del sueño tan sólo serán,
un perfume rondando en el aire
y en el suelo un pequeño antifaz…
Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez

Traduction libre

Dans ses yeux, elle portait la nuit et l’amour à la bouche…
Carnaval dans son char la faisait défiler triomphalement.
Un serpentin de vol magique fut son amour d’une nuit ;
serpentin qui ensuite traîna ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’ombre s’immobilisa…

Encore une fois, Carnaval, dans ta nuit, me donna rendez-vous, la même belle et audacieuse, masquée…
Encore une fois, Carnaval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire.
Et peut-être que je la pleurerai demain, encore une fois…

Les fugitives s’en iront dans l’aurore, la fortune et les rires…
Toutes mes heures auront une solitude grise !
Sur mes lèvres resteront les cendres de son nouveau camouflet ;
et les restes du rêve ne seront plus qu’un parfum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…

Autres versions

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour.
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1947-01-14 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nouveau chanteur. Di Sarli réenregistre sa composition.
Otra vez carnaval 1981-08-12 – con . Une version à écouter.

Carnaval

Les festivités de Carnaval se sont vues à plusieurs reprises interdites en Argentine. Il faut dire qu’au XIXe siècle, cela donnait souvent lieu à des débordements.
Il s’agissait de manifestations plutôt spontanées jusqu’au dix-neuvième siècle, elles furent interdites ou limitées à certains lieux, notamment dans le cadre de la limitation des populations d’origine africaines.

1869, l’état autorise le carnaval et l’organise

C’est Sarmiento, de retour d’un voyage en Italie où il avait assisté aux festivités de Carnaval, qui les a rétablies officiellement en 1869 sous la forme du défilé.

Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguaychú, province de Entre Ríos).

Tango et carnaval

Les orchestres étaient mis à contribution et, durant les décennies tango, les orchestres de tango faisaient danser plusieurs milliers de couples. Pas seulement à Buenos Aires, mais aussi à Montevideo et , notamment.

Affiches de carnavals. 1917 Firpo et Canaro – 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Fresedo et D’Arienzo (voir le petit jeu en fin d’article). Ensuite, Di Sarli et enfin une affiche de 1950 avec Troilo et De Angelis.

Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)

La plus récente prohibition fut partielle. C’était pendant la dernière dictature du vingtième siècle. Le Carnaval n’avait pas été aboli, mais deux conditions avaient été posées :
“Se prohíbe el uso de disfraces que atenten contra la moral y la decencia públicas: uniformes militares, policiales, vestiduras sacerdotales y los que ridiculicen a las autoridades del Estado u otras naciones.
-Está permitido de 9 a 19, jugar con agua en buenas condiciones de higiene, globitos y pomos.”
« L’utilisation de costumes qui violent la moralité publique et la décence est interdite : uniformes militaires, uniformes de police, vêtements sacerdotaux et ceux qui ridiculisent les autorités de l’État ou d’autres nations. (On notera que la lecture peut être à double niveau et que l’on pourrait y considérer les vêtements militaires et sacerdotaux comme indécents…)
-Il est permis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes conditions d’hygiène, les ballons et les pommeaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du carnaval correspond au plein été en Argentine).

Les jeux avec l’eau sont restés permis pendant la dictature.

Cependant, durant la Dictature, il n’y a pas eu de Carnaval proprement dit, pas de défilés et de grandes fêtes populaires.

La fin de la dictature et le retour du Carnaval

Lorsque Alfonsin fut élu en 1983, il mit en œuvre son programme « Avec la démocratie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suivante, le carnaval de nouveau libéré a pris une saveur particulière et, peu à peu, les tentatives de coup d’État se sont espacées et la démocratie s’est implantée pour une quarantaine d’années.

Le carnaval de 1984 est important, car il fête le retour de la démocratie et, par la même, le retour du Carnaval sous sa forme habituelle.

En 2023, le congrès portait des banderoles 40 ans de démocratie, en souvenir de cette époque.

Le gouvernement précédent avait fait placer deux banderoles, de part et d’autre de l’entrée des députés au Congrès (Congreso). J’ai pris cette photo, peu de temps après le changement de gouvernement. Une des banderoles avait disparu. On remarquera une scène étonnante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplacement réservé aux voitures officielles). Il ne reste bien sûr plus de banderole aujourd’hui et les indigents sont priés de dormir hors de la ville. Les matelas de fortune et les maigres possessions de ces personnes sont brûlés. Cela semble fonctionner, on rencontre beaucoup moins de personnes dormant dehors maintenant. Mais il suffit de franchir les limites de la ville pour constater que ce n’est pas une amélioration de la situation des plus pauvres, mais un simple « nettoyage ».

Petit jeu (très facile)

Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…

Affiche de la Radio El Mundo de Buenos Aires pour le Carnaval de 1940.
À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…

Réponse au petit jeu

J’imagine que vous n’avez pas trop eu de difficulté pour ce qui est de raccorder les orchestres avec leurs chanteurs de tango.
Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il semble donc logique d’associer, car ils sont moins connus.
Eddie Kay, pianiste né en Italie et qui est passé auparavant par les États-Unis pour sa formation musicale avant de retourner en Italie, puis de s’installer en Argentine.
Étant donné son passé en Amérique du Nord, il est tentant d’en faire un musicien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa rencontre avec Gardel, qui se transforma en amitié, a fait qu’il a élargi ses horizons et a également composé des tangos. Cependant, en ce qui concerne l’affiche de notre jeu, il intervenait bien comme orchestre de jazz (Foxtrots, valses et danses importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alabama Jazz, a un nom qui marque bien les ambitions de cet orchestre, tout comme le Eddie Kay car son nom véritable était Edmundo Tulli, ce qui fait nettement moins, jazzman.
Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trouvé trace du bonhomme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait commencé sa carrière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc forcément d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans…
Je ne sais donc pas si ce chanteur était associé à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseudonyme, on peut penser qu’il gravitait également autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en aviserai.

Les réponses. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort probable, mais sans garantie…

Un petit cadeau

J’ai monté quelques images fixes et animées de Carnaval. Cela vous permettra de vous faire une idée du phénomène.

Quelques images de Carnaval de 1889 à nos jours.

À bientôt, les amis !

Remerciements

Je profite de la modification sur l’anecdote sur Poema liée au cadeau par André Vagnon de deux versions très rares pour faire quelques .
L’aventure des anecdotes de tango initiée il y a un peu plus de six mois a bénéficiée de l’aide de différents collègues, de sites et de livres.
La petite pause technique, un peu imposée pour les raisons déjà évoquées, me donne l’occasion de donner quelques remerciements.
Les collègues TDJ Camilo Gatica, Gabbo Fresedo, André Vagnon (Bible Tango) et Michael Sattler qui m’ont passé des musiques que je n’avais pas et Fred Alard qui par sa lecture attentive m’a fait améliorer certains articles. à Gérard Cardonnet, Anita et Philippe Constant qui m’ont également fourni des informations fort intéressantes et qui ont également écrit d’intéressants commentaires.
Je dois également citer mon infatigable correcteur, Thierry Lecoquierre qui traque mes coquilles avec une efficacité redoutable.
Un grand merci pour mes partageurs, qui chaque jour ont partagé mes anecdotes sur leurs profils, Tanguy Tango est sur la première marche du podium.
Merci à ceux qui mettent de gentils commentaires, comme Angela Cassan (première marche du podium dans cette catégorie) Jean-Philippe Kbcoo, Domi Laure,
Merci aux 600 visiteurs quotidiens du site, même si cet afflux me pose des problèmes avec la société qui héberge le site web et qui me dit que je devrais prendre un hébergement web plus cher pour éviter les coupures. “Utilisation de l’UC et des connexions simultanées excèdent régulièrement les ressources disponibles, veuillez considérez (sic) l’évolution vers une gamme supérieure de formule d’hébergement, qui inclurait alors plus de ressources.”…
Merci à tous ceux qui mettent des J’aime sur les publications et notamment leur partage dans Facebook.
Merci à tous ceux qui lisent, écoutent et me font de temps à autre un petit signe.
Merci aux merveilleux DJ de Buenos Aires et qui sont ma référence.
Merci à ceux qui me suivent comme DJ également, ces anecdotes sont indissociables de cette activité. Mieux connaître le répertoire, c’est pouvoir offrir la bonne musique au bon moment.
Merci à ceux qui m’ont laissé de gentils commentaires dans mon livre d’or.

Bref, merci à tous (moins un qui se reconnaîtra, même si comme je l’ai fait à diverses reprises, je lui tends la main pour faire la paix, ce qu’il a à chaque fois refusé, préférant continuer la guerre qu’il a initiée).

Merci à mes principaux sites de référence :

Tango-dj.at La meilleure référence pour avoir les dates d’enregistrement et les auteurs des tangos.
TodoTango.com Une référence incontournable pour ceux qui s’intéressent au tango.
La Bible TangoUne autre référence, notamment pour européen.
Milongaophelia Qui propose de nombreux articles de fond, une belle iconographie et qui est très utile pour le tango à au début du vingtième siècle.
Tangos al bardo Le site passionnant et incontournable de José María Otero
Michael Lavocah,Pour être sincère, je n’ai lu qu’un article de son site, mais il me semble être une importante ressource. Je viens de recevoir son livre de tango qui est plutôt bien fait. Je vous le recommande.

Pour les livres, cela serait un peu long

J’en ai cité quelques-uns dans mes anecdotes, mais impossible de tous les citer.
Je vous donne juste quelques petites perles en attendant :

Mis memorias (1906-1956) Mis bodas de oro con el tango (). Un des plus intéressants, car autobiographique.
Osvaldo Pugliese, une vida en el tango (Oscar del Priore). Un peu court, mais bien documenté.
Osvaldo Pugliese, de mi vida (). Par la fille de Pugliese.
Osvaldo Pugliese al Colón (Arturo M. Lozza). Merci à Denis Torres qui m’a fait parvenir une version PDF, plus facile à trimbaler que la version papier que j’utilisais. Un très bon ouvrage.
El tango en la sociedad portena 1880-1920 (Lamas Binda), qui a écrit beaucoup et dont je recommande la plupart des écrits. De plus, il est spécialiste des tangos de la vieille garde).
La historia del tango en Paris (Enrique Cadicamo).
Así nacieron los tangos ().
(Oscar del Priore y Irene Amuchástegui).
El origen del tango (Roberto Selles).
Les livres de Felipe Pigna sur l’histoire argentine (Pas directement lié au tango, mais comme ces derniers s’inscrivent dans l’histoire du pays, il faut un peu de culture historique).
Et les nombreuses discographies et catalogues de maisons d’édition qui permettent de lever bien des doutes.

Encore un grand merci à tous !

Merci à tous !

Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Letra:

Un est une averse, une pluie soudaine, de forte intensité, mais de courte durée. Cette milonga joue sur les mots, un chaparrón étant en même temps une dispute. Je vous invite donc aujourd’hui, pour la milonga du jour à découvrir ce thème magnifiquement interprété par Juan d’Arienzo et Echagüe.

La musique présente l’ que les paroles confirment ensuite.
On entend au départ les nuages noirs de l’averse qui se prépare.
L’atmosphère s’échauffe, comme les esprits. L’homme se compare à une mouche d’orage.
La marche devient en pointillé à cause de la discussion (dispute) du couple. On imagine qu’ils font trois pas, s’arrêtent et reprennent à tour de rôle. Cette « activité » est particulièrement bien adaptée à une milonga.
Puis vient l’averse, « con agua y explicaciones, era doble el chaparrón » (avec de l’eau et des explications, l’averse était double). C’est la partie centrale. La tension qui était montée dans la première partie est en train d’exploser.
Puis, à la toute fin, la réconciliation et l’envie de reprendre ensemble.
« ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo, seria vos y serio yo! »
(Comme est bonne l’odeur du trèfle, et la réconciliation. Ça donne envie d’avancer de nouveau). Sérieuse toi et Sérieux moi. Cet élément rythme la milonga en étant mentionné trois fois. Quatre fois dans les paroles originales, mais Echagüe ne chante pas la totalité des paroles écrites par Francisco García Jiménez.

Pintín?

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) est l’auteur de cette milonga. Les paroles sont de Francisco García Jiménez. Pintín Castellanos, un surnom qui me fait penser à Tintin, est né à Montevideo. C’est un compositeur majeur avec environ 200 de thèmes dont la moitié ont été enregistrés. Il a également écrit les paroles d’un bon nombre de ses compositions. Il était pianiste et fut également directeur d’orchestre.

1 Pitin à gauche et à droite, Tintin dansant (illustration tirée de l’ouvrage « Nous-Tintin » publié en 1987 et présentant 36 couvertures imaginaires de Tintin

Il a été décrit comme un homme élégant et d’allure virile, sportif et amoureux de la musique.
Voici comment il se raconte : «Crecí consustanciado con el ambiente orillero… cuando repiqueteaban las lonjas de los negros candomberos en los parches de sus tambores.
Las melodías populares nacieron conmigo y con ellas convivo hace muchos años… »

« J’ai grandi dans l’ambiance des rivages (du Rio de la Plata)… quand vibraient les lonjas (paume des mains) des candomberos noirs sur les parches (bandeau de cuir masquant les goujons et le cerclage supérieur) de leurs tambours. Les mélodies populaires sont nées avec moi et j’ai vécu avec elles pendant de nombreuses années… »

Pourquoi ce surnom, de Pintín Castellanos ? Je ne sais pas. El pinto peut être l’Espagnol, Castellanos, une inspiration de la Castille ? Ce serait donc une double évocation de l’ pour cet Urugayen. Pintín pourrait aussi se référer à son élégance. Bref, je ne sais pas, alors, aidez-moi si vous avez une piste.

Ses compositions

Avec une centaine de titres enregistrés, vous avez obligatoirement entendu plusieurs de ces compositions. Pour rester dans la milonga, j’évoquerai . Un jour qu’il la jouait, il a été contraint d’accélérer, ce qui l’a transformé en milonga. C’est sous cette forme que D’Arienzo l’a enregistrée le 27 avril 1937 alors que le 12 juin de la même année, Canaro l’enregistrait encore comme un tango.

Il a écrit de nombreuses autres milongas, comme, A puño limpio, El potro, El temblor, La endiablada ou Meta fierro que l’on connait dans des versions géniales par D’Arienzo. Il faudrait rajouter aussi quelques milongas candombe, comme Bronce, Candombe oriental ou Candombe rioplatense.
Je ne parle pas ici de d’Arienzo et Echagüe, j’aurais de nombreuses autres occasions de le faire…

Extrait musical

Chaparrón 1946-08-26 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Paroles

Las nubes eran de plomo
y era el aire de fogón.
Andábamos, no sé cómo…
¡seria vos y serio yo!
Venía un olor caliente
de la ruda y el cedrón.
Y estaba como la gente
de antipático un moscón.

La boca se resecaba,
estaqueada en mal humor.
Aquello no lo arreglaba
nada más que un chaparrón.
Tormenta de trote y carga
jineteando un nubarrón.
Tormenta de caras largas:
seria vos y serio yo.

Verano de mosca y tierra;
seco el río y el porrón.
Verano de sol en guerra
¡filo de hacha sin perdón!
Amores que se empacaban
(seria vos y serio yo).

Asuntos que se empeoraban
por tardar el chaparrón…
Andábamos a tirones
cuando el cielo se abrió en dos…
Con agua y explicaciones
era doble el chaparrón.
¡Qué rico el olor a trébol
y la reconciliación…
Da ganas de andar de nuevo
seria vos y serio yo!

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra : Francisco García Jiménez

Echagüe ne chante que les parties en italique (début et fin).

libre

Les nuages étaient de plomb, et c’était l’air d’un four (poêle).
Nous marchions, je ne sais pas comment…
Sérieuse, toi et sérieux, moi !
Il y avait une odeur chaude de rue officinale (plante à odeur forte utilisée en médecine et ayant la réputation d’éloigner les indésirables) et de verveine citronnée.
Et il y avait comme les gens antipathiques une grosse mouche.
La bouche se desséchait, piquée de mauvaise humeur.
Rien de plus qu’une averse ne pourrait arranger cela.
Tempête de trot et charge chevauchant un nuage d’orage.
Tempête de visages longs :
Sérieuse, toi et sérieux, moi.
Été de mouche et de terre ; la rivière à sec ainsi que la bouteille (porrón, bouteille de terre cuite émaillée qui sert pour la boisson et accessoirement de bouillotte…).
Été de soleil en guerre, fil de hache sans pardon !
Des amours qui s’emballèrent (Sérieuse, toi et sérieux, moi).
Des problèmes qui ont été aggravés par le retard de l’averse…
Nous étions en train de nous tirer à hue et à dia quand le ciel s’est ouvert en deux…
Avec de l’eau et des explications, l’averse a été double.
Comme est délicieuse l’odeur du trèfle et de la réconciliation…
Ça donne envie de marcher à nouveau Sérieuse, toi et sérieux, moi !

Les enregistrements de chaparrón

Cet enregistrement par d’Arienzo et Echagüe est le seul…
Il existe bien un tango du même nom, composé par Carlos Waiss, mais qui n’a rien à voir, si ce n’est le titre. Le voici :

Chaparrón 1957 – con la Orquesta de Graciano Gomez

Autres titres enregistrés un 26 février

D’Arienzo a enregistré le même jour : Fuegos artificiales 1941-02-26. Un tango instrumental composé par Roberto Firpo et Eduardo Arolas. Comme beaucoup de compositions de fuergo, c’est une illustration sonore, ici de fuegos artificiales (feux d’artifice).
J’ai hésité pour le tango du jour. Ce sera peut-être pour l’an prochain à moins que je le mentionne à l’occasion d’une autre interprétation, car contrairement à Chaparrón, Fuegos artificiales a été enregistré à diverses reprises.

Fin de l’averse, después de la lluvia el buen tiempo (après la pluie, le beau temps). Le temps de la réconciliation.

1 ¡Qué rico el olor a trébol y la reconciliación… Da ganas de andar de nuevo seria vos y serio yo!…

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)

Au début des années 2000, dans une milonga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fallait pas frapper du pied, que ça ne se faisait pas en tango. Il ne savait sans doute pas qu’il reproduisait l’interdiction de Anselmo Tarana, un siècle plus tôt. Je vais donc vous raconter l’histoire frappante de El esquinazo.

Extrait musical

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour piano et deux couvertures, dont une avec Canaro.
El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

Vous aurez remarqué, dès le début, l’incitation à frapper du pied. On retrouve cette invitation sur les partitions par la mention golpes (coups).

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour guitare (1939).

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime

Dès le début de la partition, on voit inscrit « Golpes » (coups).

La zone en rouge, ici au début de la partition, est la montée chromatique en triolets de double-croche et en double-croche. C’est donc un passage vif, d’autant plus que l’on remarque des appoggiatures brèves.Ce sont ces petites notes barrées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note supplémentaire, une fraction de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle complète. Ces appoggiatures augmentent donc le nombre de notes et par conséquent l’impression de vitesse.
Après cette montée rapide, on s’attend à une suite, mais Villoldo nous offre une surprise, un silence (la zone verte), marqué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement.
La zone bleue comporte des signes de percussion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens commun, mais de la transition entre deux parties d’une musique. Ici, il est donc constitué seulement de coups, coups que faisaient les musiciens avec les talons et que bientôt le public imita de diverses manières.

Mariano Mores copiera cette structure pour son célèbre «  ».
Voici la version enregistrée en 1997 par Mariano Mores de Taquito militar. Cette version commence par le fameux motif suivi de coups.

Taquito militar 1997 – Mariano Mores.

Cette version à l’orgue Hammond est un peu particulière, mais vous pourrez entendre toutes les versions classiques dans l’article dédié à Taquito militar.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles

Ángel Villoldo a composé ce tango avec des paroles. Même si Villoldo était lui-même chanteur, c’est à Pepita Avellaneda (Josefa Calatti) que revint l’honneur de les inaugurer. Malheureusement, ces paroles originales semblent perdues, tout comme celles de El entrerriano qu’il avait « écrites » pour la même Pepita.
J’émets l’hypothèse que les célèbres coups donnés au plancher au départ par les musiciens devaient avoir une explication dans les paroles. El esquinazo, c’est prendre la tangente dans une relation amoureuse, s’enfuir, ne plus répondre aux tendresses, prendre ses distances, poser un lapin (ne pas venir à un rendez-vous). On peut donc supposer que les premières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressentie par le partenaire.
J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas toujours écrites. Elles sont donc probablement restées orales et retrouver un témoin de l’époque est désormais impossible.
Cependant, notre tango du jour nous apporte un éclairage intéressant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa version, il est plutôt question de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie…
Je serai assez tenté d’y voir un reflet des paroles originales qui justifieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquinazo) pourrait expliquer qu’une porte reste fermée, l’occupant restant sourd aux supplications de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepita Avellaneda).

Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951

Les paroles prononcées par Francisco Canaro dans sa version de 1951

Canaro intervient quatre fois durant le thème pour donner des phrases, un peu énigmatiques, mais que j’aime à imaginer, tirées ou inspirées des paroles originales de Villoldo.

  1. Frappe, qu’ils viennent t’ouvrir.
  2. Suis là, puisque tu l’as
  3. Ils fêtent l’esquinazo
  4. Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors

Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directement de celles de Villoldo ? En l’absence des paroles originales, on ne le saura pas, alors, passons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la première version.

Paroles

Nada me importa de tu amor, golpeá nomás…
el corazón me dijo,
que tu amor (cariño) fue una falsía,
aunque juraste y juraste que eras mía.
No llames más, no insistas más, yo te daré…
el libro del recuerdo,
para que guardes las flores del olvido
porque vos lo has querido
el esquinazo yo te doy.

Fue por tu culpa que he tomado otro camino
sin tino… Vida mía.
Jamás pensé que llegaría este momento
que siento,
la más terrible realidad…
Tu ingratitud me ha hecho sufrir un desencanto
si tanto… te quería.
Mas no te creas que por esto guardo encono
Perdono
tu más injusta falsedad.

Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce; A. Timarni (Antonio Polito)

Traduction libre et indications

Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (golpear, c’est donner un coup, mais aussi droguer, intoxiquer. Certains y voient la justification des coups frappés par les musiciens, mais il me semble que c’est un peu léger et que les paroles initiales devaient être plus convaincantes et certainement moins acceptables par un public de plus en plus raffiné. C’est peut-être aussi une simple évocation des coups frappés à la porte de la version chantée par Canaro, ce qui pourrait renforcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)…
Mon cœur me disait que ton amour était un mensonge, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi.
N’appelle plus, ( s’est modernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frapper à la porte, maintenant, il utilise le téléphone…) n’insiste plus, je te donnerai… le livre de souvenirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (difficile de trouver un équivalent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sentiments, la fuite, le lapin dans le cas d’un rendez-vous…) que je te donne.
C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut signifier l’habileté à toucher la cible)
Ma vie.
Je n’ai jamais pensé que ce moment, dont je ressens la terrible réalité, arriverait…
Ton ingratitude m’a fait subir un désamour si toutefois… Je t’aimais.
Mais, ne crois pas que, pour cette raison, je conserve de l’amertume. Je pardonne ton mensonge le plus injuste.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.

Nous avons vu dans la première partie comment était préparé le frappement du talon. Dans la seconde et avec les paroles, nous avons essayé de trouver un sens à ces frappés, à ces taquitos qui à défaut d’être militaires, sont bien tentants à imiter, comme nous l’allons voir.
Le premier témoignage sur la reproduction des coups par le public est celui de Pintin Castellanos qui raconte dans Entre cortes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948 la fureur autour de El esquinazo.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il grandissait et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou.
Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du
(voir l’article sur En Lo de Laura où je donne des précisions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de
Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé la cadence de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R. Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « 
Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Ce tango fut donc interdit dans cet établissement, mais bien sûr, il a continué sa carrière, comme le prouve le témoignage suivant.

Témoignage de , vers 1921

La orquesta arrancó con el tango El esquinazo, de Villoldo, que tiene en su desarrollo esos golpes regulados que los bailarines de antes marcaban a tacón limpio. En este caso, el conjunto de La Paloma hacía lo mismo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las viejas tablas dejaban caer una nube de tierra sobre la máquina del café express, la caja registradora y el patrón. Este echaba denuestos; los de arriba seguían muy serios su tango ; y los parroquianos del cafetín se regocijaban.

Témoignage de Francisco García Jiménez

Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez

L’orchestre a commencé avec le tango El esquinazo, de Villoldo, qui a dans son développement ces rythmes réglés que les danseurs d’antan marquaient d’un talon clair.
Dans ce cas, le conjunto La Paloma a fait de même sur le sol de la tribune des musiciens, avec une telle force que les vieilles planches ont laissé tomber un nuage de saleté sur la machine à expresso, la caisse enregistreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suivaient leur tango très sérieusement, et les clients du café se réjouissaient.
On constate qu’en 1921, l’usage de frapper du pied chez les danseurs était moindre, voire absent. Cet argument peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été efficace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation originelle étaient plus propices à ces débordements.
L’idée des coups frappés à une porte, comme les coups du destin dans la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven, ou ceux de la statue du commandeur dans Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, me plaît bien…

Autres versions

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad.

Cette version ancienne est plutôt un tango qu’une milonga, comme il le deviendra par la suite. On entend les coups frappés et la mandoline. On note un petit ralentissement avant les frappés, ralentissement que l’on retrouvera amplifié dans la version de 1961 de Canaro.

El esquinazo 1913 – Moulin Rouge Orchester Berlin – Dir. Ferdinand Litschauer.

Encore une version ancienne, enregistrée à Berlin (Allemagne) en 1913, preuve que le tango était dès cette époque totalement . Les frappés sont remplacés par de frêles percussions, mais on notera le gong au début…

Le disque de El esquinazo par l’orchestre du Moulin Rouge (allemand, malgré ce que pourrait faire penser son nom) et la version Russe du disque… On notera que les indications sont en anglais, russe et français. La International Talking Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fallait une de plus, cette preuve témoigne de la mondialisation du tango à une date précoce (1913).
El esquinazo 1938-01-04 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Est-il nécessaire de présenter la version de D’Arienzo, probablement pas, car vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laisser entendre les frappés. Même Biagi renonce à ses habituelles fioritures au moment des coups. En résumé, c’est une exécution parfaite et une des milongas les plus réjouissantes du répertoire. On notera les courts passages de violons en legato qui contrastent avec le staccato général de tous les instruments.

El esquinazo 1939-03-31 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo au piano démarre la montée chromatique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave commune. Cela crée une petite impression de surprise chez les danseurs qui connaissent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pourra décontenancer les danseurs débutants, mais de toute façon, cette version est assez difficile à danser, mais elle ravira les bons danseurs, car elle est probablement la plus joueuse.

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

C’est notre tango du jour. Francisco Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette version est de vitesse modérée, entre canyengue et milonga. Elle sera plus adaptée aux danseurs modestes.

El esquinazo 1958 – .

Avec clarinette et guitare en vedette, cette version est très dynamique et sympathique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres versions pour cela…

El esquinazo 1960 – Orquesta Carlos Figari con Enrique Dumas.

Une version en chanson qui perd le caractère joueur de la milonga, même si quelques coups de claves rappellent les frappés fameux. En revanche, cette chanson nous présente les paroles de Carlos Pesce et A. Timarni. J’aime beaucoup, même si ce n’est pas à proposer aux danseurs.

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette version très joueuse commence par la célèbre invite à frapper du pied, répétée trois fois. Les deux premières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beaucoup plus longue, ce qui provoque un effet irrésistible. C’est un exemple, bien que tardif de comment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons perdus à cause des versions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un concert, mais un DJ taquin pourrait proposer cette version à danser, notamment à cause des pauses et de l’accélération finale qui peuvent surprendre (aussi dans le bon sens du terme), les danseurs.

El esquinazo 1962 – Los Violines De Oro Del Tango.

Une version à la limite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trouve cela très sympa, mais j’y réfléchirai à deux fois avant de diffuser en milonga…

El esquinazo 1970 – Cuarteto Juan Cambareri.

Je pense que vous avez repéré Juan Cambareri, ce bandonéoniste virtuose qui après une carrière dans différents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuarteto composé de :

Juan Rizzo au piano, Juan Gandolfo et aux violons et Juan Cambareri au bandonéon. Cet enregistrement date de cette période. Comme à son habitude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts virtuoses des quatre musiciens peuvent jouer, mais qui posera des problèmes à un grand nombre de danseurs.

El esquinazo 1974 – Sexteto Tango.

Le début semble s’inspirer de la version de Canaro au en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est clairement une version de concert qui a bien sa place dans un fauteuil d’orchestre, mais qui vous donnera des sueurs froides sur la piste de danse.

El esquinazo 1976 – Di Matteo y su trio.

La version proposée par le trio Di Matteo ne rassurera pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserver donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis Buenos Aires et ici, c’est l’hiver et cette année, il est particulièrement froid…).

El esquinazo 1983 – Orquesta José Basso.

Une assez belle version, orchestrale. Pour la milonga, on peut éventuellement lui reprocher un peu de mordant en comparaison de la version de D’Arienzo. On notera également que quelques frappés sont joués au piano et non en percussion.

El esquinazo 1991 – Los Tubatango.

Comme toujours, cet orchestre sympathique se propose de retrouver les sensations du début du vingtième siècle. Outre le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux contrepoints de la flûte et du bandonéon qui discutent ensemble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…

El esquinazo 2002 – Armenonville.

Une introduction presque comme une musique de la renaissance, puis la contrebasse lance la montée chromatique, des coups donnés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sympathique, mais pas assez structurée pour la danse. Une accélération, puis un ralentissement et l’ est chanté en guise de conclusion.

El esquinazo 2007 – Esteban Morgado Cuarteto.

Une version légère et rapide pour terminer tranquillement cette anecdote du jour.

À demain, les amis !

Une autre façon de casser la vaisselle…

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs.
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué « Tango Milonga », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tangos, Francisco García Jiménez, raconte que est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo)
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu recuerdo
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con Pancho Cuevas (Francisco Nicolás Bianco).

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. Santeramo et un par . Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — Quinteto Pirincho dir. .

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y .

Alberto Nery fut pianiste d’ en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Del barrio de las latas, Tita Merello y la cuna del tango

Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Je n’étais pas totalement inspiré par les tangos enregistré un premier juin, alors j’ai décidé de vous parler d’un tango qui a été étrenné un premier juin. Il s’agit de Del barrio de la latas (du quartier des barils) que Tita Merello interpréta sur scène pour la première fois le premier juin de 1926 au théâtre Maipo. Le quartier décrit ne dura que trente ans et est, du moins pour certains, le berceau du tango.

Le quartier des bidons

Le pétrole lampant, avant de servir aux avions d’aujourd’hui sous le nom de kérosène, était utilisé pour l’éclairage, d’où son nom. Les plus jeunes n’ont sans doute pas connu cela, mais je me souviens de la magie, quand j’étais gamin de la lampe à pétrole dont on faisait sortir la mèche en tournant une vis. J’ai encore la sensation de cette vis moletée sur mes doigts et la vision de la mèche de coton qui sortait miraculeusement et permettait de régler la luminosité. La réserve de la mèche qui trempait dans le pétrole paraissait un serpent et sa présence me gênait, car elle assombrissait la transparence du verre.

Je n’ai plus les lampes à pétrole de mon enfance, mais je me souviens qu’elles avaient une corolle en verre. Impossible d’en trouver en , toutes ont le tube blanc seul. J’imagine que les corolles ont été réutilisées pour faire des lustres électriques. Je me suis donc fabriqué une lampe à pétrole, telle que je m’en souviens, celle de gauche. En fait, le verre était multicolore. J’ai fait au plus simple, mais sans le génie des artisans du XIXe siècle qui avaient créé ces merveilles. J’ai finalement trouvé une lampe complète (à droite). Je l’ai rajoutée à mon illustration. Le verre est plus transparent, ceux de mon enfance étaient plus proches de celui de gauche et les couleurs étaient bien plus jolies, mais cela prouve que l’on peut encore trouver des lampes complètes.

Vous aurez compris que ces lampes étaient destinées aux familles aisées, pas aux pauvres émigrés qui traînaient aux alentours du port. Ces derniers cependant « bénéficiaient » de l’industrie du pétrole lampant en récupérant les bidons vides.
La ville qui s’est ainsi montée de façon anarchique est exactement ce qu’on appelle un bidonville. Mais ici, il s’agit d’un quartier, barrio de latas boîtes de conserve, bidons…

Une masure constituée de bidons d’huile et de pétrole lampant du quartier de las latas

Arrêtons-nous un instant sur cette photographie. On reconnaît bien la forme des bidons parallélépipédiques qui servaient à contenir l’huile et le pétrole lampant. On sait qu’ils étaient remplis de terre par l’auteur de l’ouvrage William Jacob Holland (1848-1932) relatant l’expédition scientifique envoyée par le Carnegie Museum. L’ouvrage a été publié en 1913, preuve qu’il restait des éléments de ce type de construction à l’époque. En fait, il y en a toujours de nos jours.
Voici un extrait du livre parlant de ce logement.

La page 164 et un intercalaire (situé entre les pages 164 et 165) avec des photographies. On notera le contraste entre le Teatro Colón et la masure faite de bidons d’huile et de pétrole lampant.

To the River Plate and back (page 162)

The Argentines are a pleasure-loving people, as is attested by the number of places of amusement which are to be found. The Colon Theater is the largest opera-house in South America and in fact in the world, surpassing in size and in the splendor of its interior decoration the great Opera-house in . To it come most of the great operatic artists of the day, and to succeed upon the stage in is a passport to success in Madrid, London, and New York.

In contrast with the Colon Theatre may be put a hut which was found in the suburbs made out of old oil-cans, rescued from a dumping-place close at hand. The cans had been filled with earth and then piled up one upon the other to form four low walls. The edifice was then covered over with old roofing-tin, which likewise had been picked up upon the dump. The structure formed the sleeping apartment of an immigrant laborer, whose resourcefulness exceeded his resources. His kitchen had the sky for a roof; his pantry consisted of a couple of pails covered with pieces of board. Who can predict the future of this new citizen?

William Jacob Holland; To the River Plate and back. The narrative of a scientific mission to South America, with observations upon things seen and suggested. Page 162.

Traduction de l’extrait du livre de William Jacob Holland

Les Argentins sont un peuple qui aime les plaisirs, comme l’atteste le nombre de lieux de divertissement qu’on y trouve. Le théâtre Colon est le plus grand opéra d’Amérique du Sud et même du monde, surpassant par la taille et la splendeur de sa décoration intérieure le grand opéra de Paris. C’est là que viennent la plupart des grands artistes lyriques de l’époque, et réussir sur la scène de Buenos Aires est un passeport pour le succès à Madrid, à Londres et à New York.

En contraste avec le théâtre de Colon, on peut mettre une cabane qui a été trouvée dans les faubourgs, faite de vieux bidons d’huile, sauvés d’une décharge à proximité. Les boîtes avaient été remplies de terre puis empilées les unes sur les autres pour former quatre murets. L’édifice fut alors recouvert de vieilles plaques de tôle de toiture, qui avaient également été ramassées sur la décharge. La structure formait l’appartement de sommeil d’un travailleur immigré, dont l’ingéniosité dépassait les ressources. Sa cuisine avait le ciel pour toi ; son garde-manger se composait de deux seaux recouverts de morceaux de planche. Qui peut prédire l‘avenir de ce nouveau citoyen ?

William Jacob Holland ; Vers le Rio de la Plata et retour. Le récit d’une mission scientifique en Amérique du Sud, avec des observations sur les choses vues et suggérées.

Et un autre paragraphe sur les femmes à Buenos Aires, toujours dans le même ouvrage

La demi-réclusion du beau sexe, qui est valable en Espagne, prévaut dans tous les pays d’Amérique du Sud, qui ont hérité de l’Espagne leurs coutumes et leurs traditions. Les dames apparaissent dans les rues plus ou moins étroitement voilées, très rarement sans escorte, et jamais sans escorte après le coucher du soleil. Pour une femme, paraître seule dans les rues, ou voyager sans escorte, c’est tôt ou tard s’exposer à l’embarras. Le mélange libre mais respectueux des sexes qui se produit dans les terres nordiques est inconnu ici. Les vêtements de deuil semblent être très affectés par les femmes des pays d’Amérique latine. Je dis à l’une de mes connaissances, alors que nous étions assis et regardions des passants sur l’une des artères bondées : «Il doit y avoir une mortalité effroyable dans cette ville, à en juger par le nombre de personnes en grand deuil. Il sourit et répondit : « Les femmes regardent les vêtements noirs avec faveur comme déclenchant leurs charmes, et se précipitent dans le deuil au moindre prétexte. La ville est raisonnablement saine. Ne vous y trompez pas. »

On est vraiment loin de l’atmosphère que respirent les tangos du début du vingtième siècle. L’auteur, d’ailleurs, ne s’intéresse pas du tout à cette pratique et ne mentionne pas le tango dans les 387 pages de l’ouvrage…

Extrait musical

Bon, il est temps de parler musique. Bien sûr, on n’a pas l’enregistrement de la prestation de Tita Merello le premier juin 1929. En revanche, on a un enregistrement bien pus tardif puisqu’il est de 1964. C’est donc lui qui servira de tango du jour.
L’autre avantage de choisir cette version est que l’on a les paroles complètes.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto.

Bon, c’est un tango à écouter, je passe tout de suite aux paroles qui sont plus au cœur de notre anecdote du jour.

Paroles

Del barrio de las latas
se vino pa’ Corrientes
con un par de alpargatas
y pilchas indecentes.
La suerte tan mistonga
un tiempo lo trató,
hasta que al fin, un día,
Beltrán se acomodó.

Y hoy lo vemos por las calles
de Corrientes y Esmeralda,
estribando unas polainas
que dan mucho dique al pantalón.
No se acuerda que en
arreglaba cancha’e bochas,
ni de aquella vieja chocha,
por él, que mil veces lo ayudó.

Y allá, de tarde en tarde,
haciendo comentarios,
las viejas, con los chismes
revuelven todo el barrio.
Y dicen en voz baja,
al verlo un gran señor:
“¿Tal vez algún descuido
que el mozo aprovechó?”

Pero yo que sé la historia
de la vida del muchacho,
que del barrio de los tachos
llegó por su pinta hasta el salón,
aseguro que fue un lance
que quebró su mala racha,
una vieja muy ricacha
con quien el muchacho se casó.

Raúl Joaquín de los Hoyos Metra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Traduction libre et indications

Depuis le bidonville, il s’en vint par Corrientes avec une paire d’espadrilles et des vêtements indécents.
La chance si pingre un certain temps l’a ballotté, jusqu’à ce qu’un jour, Beltran s’installe.
Et aujourd’hui, nous le voyons dans Corrientes et Esmeralda, portant des guêtres qui donnent beaucoup d’allure au pantalon.
Il ne se souvient pas qu’à Boedo, il réparait le terrain de boules ni de cette vieille radoteuse, selon lui, qui mille fois l’a aidé.
Et là, de temps à autre, faisant des commentaires, les vieilles femmes, avec leurs commérages, remuent tout le quartier.
Et elles disent à voix basse en le voyant en grand monsieur :
« Peut-être quelque négligence dont le beau gosse a profité ? »
Mais moi qui connais l’histoire de la vie du garçon qui est venu du quartier des poubelles et qui par son allure parvint jusqu’au salon, je vous assure que c’est un coup de chance qui a brisé sa mauvaise série, une vieille femme très riche avec qui le garçon s’est marié.

Autres versions

Del barrio de las latas 1926 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Le plus ancien enregistrement, du tout début de l’enregistrement électrique.

Del barrio de las latas 1926-11-16 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Une version bien piétinante pour les amateurs du genre. Pas vilain, mais un peu monotone et peu propice à l’improvisation. Son frère n’a pas encore écrit les paroles.

Del barrio de las latas 1926-11-21 – Orquesta Juan Maglio Pacho.

Pour les mêmes. Cela fait du bien quand ça s’arrête 😉

Del barrio de las latas 1927-01-19 – Orquesta Francisco Canaro.

Les piétineurs, je vous gâte. Cette version a en plus un contrepoint très sympa. On pourrait se laisser tenter, disons que c’est la première version que l’on pourrait envisager en .

Del barrio de las latas 1954-04-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

On fait un bond dans le temps, 27 ans plus tard, Di Sarli enregistre avec Pomar la première version géniale à danser, pour une tanda romantique, mais pas soporifique.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto. C’est notre tango du jour.

Pas pour la danse, mais comme déjà évoqué, il nous rappelle que c’est Tita qui a inauguré le titre, 35 ans plus tôt.

Del barrio de las latas 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.

Pour terminer notre parcours musical dans le bidonville. Je vous propose cette superbe version par le cuarteto de Aníbal Troilo.
La relative discrétion des trois autres musiciens permet d’apprécier toute la science de Troilo avec son bandonéon. Il s’agit d’un cuarteto nouveau pour l’occasion et qui dans cette composition ne sera actif qu’en 1968. Il était composé de :
Aníbal Troilo (bandonéon), Osvaldo Berlingieri (piano), Ubaldo De Lío (guitare) et (contrebasse).

La cuna del tango – Le berceau du tango

Le titre de l’article du jour parle de berceau du tango, mais on n’a rien vu de tel pour l’instant. Je ne vais pas vous bercer d’illusions et voici donc pourquoi ce quartier de bidons serait le berceau du tango.

Où se trouvait ce quartier

Nous avons déjà évoqué l’importance du Sud de Buenos Aires pour le tango. Avec Sur, bien sûr, mais aussi avec En lo de Laura (en fin d’article).

À cause de la peste de 1871, les plus riches qui vivaient dans cette zone se sont expatriés dans le Nord et les pauvres ont continué de s’amasser dans le sud de Buenos Aires, autour des points d’arrivée des bateaux.
La même année, Sarmiento confirma que la zone était la décharge d’ordures de Buenos Aires. Le volume des immondices accumulées à cet endroit était de l’ordre de 600 000m3. Une épaisseur de 2 mètres sur une surface de 3km². On comprend que les pauvres se fabriquent des abris avec les matériaux récupérés dans cette décharge.

El tren de la basura (le train des ordures)

Le train des ordures. El tren de la basura qui apportait les ordures à proximité du barrio de las latas.

Pour alimenter cette immense décharge, un train a été mis en place pour y transporter les ordures. Il partait de Once de septiembre (la gare) et allait jusqu’à la Quema lieu où on brûlait les ordures (Quemar en espagnol est brûler).
L’année dernière, les habitants du quartier où passait ce train ont réalisé la  fresque qui retrace l’histoire de ce train.

Peinture murale du train des ordures, calle Oruro (elle est représentée à gauche avec le petit train qui va passer sur le pont rouge).
Histoire du train de la basura qui a commencé à fonctionner le 30 mai 1873.
La montagne d’ordures. Dans la peinture murale, des éléments réels ont été insérés. Il y a le nom des deux peintres et de ceux qui ont donné des « ordures » pour l’œuvre.

ET le berceau du tango ?

Ah oui, je m’égare. Dans la zone de la décharge, il y avait donc de l’espace qui n’était pas convoité par les riches, à cause bien sûr des odeurs et des fumées. Même le passage du train était une nuisance. S’est rassemblée dans ces lieux la foule interlope qui sera le terreau présumé du tango.
Il faut rajouter dans le coin les abattoirs, des abattoirs qui feraient frémir aujourd’hui, tant l’hygiène y était ignorée.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios),  les abattoirs et le lieu de la dernière bataille, le 22 juin 1880, des guerres civiles argentines. Elle a vu la victoire des forces nationales et donc la défaite des rebelles de la province de Buenos Aires.

Extrait de La Pishuca (anonyme)

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la
Y estaba la
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Anonyme

Traduction de la La Pishuca

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu, elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais retourné.

Il y a donc une perméabilité entre les deux mondes.

Sur l’origine du tango, nous avons d’autres sources qui se rapportent à cette zone. Par exemple ce poème de Francisco García Jiménez (qui a par ailleurs donné les paroles de nombreux tangos) :

Poème de Francisco García Jiménez (en lunfardo)

La cosa jué por el sur,
y aconteció n’el ochenta
ayá en los Corrales Viejos,
por la caye de la Arena.

Salga el sol, salga la luna,
salga la estreya mayor.
La cita es en La Blanquiada;
naide falte a la riunión…

Los hombres dentraron serios
y cayao el mujerío:
siempre se yega a un bailongo
como al cruce del destino.

Tocaron tres musicantes
haciendo punt’al festejo:
con flauta, guitarra y arpa,
un rubio, un pardo y un negro.

Salieron los bailarines
por valse, mazurca y polca;
y entre medio, una pareja
salió bailando otra cosa.

El era un güen cuchiyero,
pero de genio prudente.
Eya una china pintona,
mejorando lo presente.

Eya se llamaba Flora
y él se apellidaba Trejo:
con cortes y con quebradas
lo firmaban en el suelo.

No lo hacían de compadres
¡y compadreaban sin güelta!
Al final bailaban solos
pa’contener a la rueda.

Bailaron una mestura
que no era pa’maturrangos,
de habanera con candombe,
de milonga con fandango.

Jué un domingo, en los Corrales
cuando inventaron el tango.

Francisco García Jiménez

Traduction libre du poème de Francisco García Jiménez

Cela s’est passé vers le sud, et cela s’est passé dans les années quatre-vingt dans les Corrales viejos, le long de la Calle de la Arena (la rue de sable, en Argentine, beaucoup de villes ont encore de nos jours des rues en sable ou en terre. En 1880, la zone, l’actuel Parque Patricios, était rurale).
Que le soleil se lève, que la lune se lève, que l’étoile majeure se lève.
Le rendez-vous est à La Blanquiada ; personne ne manque la réunion…

La Blanquiada (Blanqueada, était une pulpería (magasin d’alimentation, café, lieu de divertissements). On y jouais aux boules (comme évoqué dans notre tango du jour), mais on y dansait aussi, comme le conte cette histoire.

Les hommes entrèrent gravement et le coureur de jupons se tut.
On arrive toujours à une danse comme si on était à la croisée des chemins du destin.
Trois musiciens ont joué au point culminant de la fête avec flûte, guitare et harpe, un blond, un brun et un noir. (On pourrait penser à Pagés-Pesoa-Maciel, Enrique Maciel étant noir (et était un grand ami du parolier Blomberg, grand et blond).
Les sont sortis pour la valse, la mazurka et la polka ; et entre les deux, un couple est sorti en dansant autre chose.
C’était un bon couteau (adroit avec le couteau), mais d’un tempérament prudent.
Elle était une femme fardée, améliorant le présent.
Elle s’appelait Flora, (probablement la Flora Parda dont nous avons parlé dans En Lo de Laura) et lui s’appelait Trejo (est-ce Nemesio Trejo qui aurait été âgé de 20 ans ? Je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible, même s’il est plus connu comme parolier et payador que comme danseur) : avec des cortes et des fentes, ils le signaient dans le sol.
Ils ne l’ont pas fait en tant que camarades, et ils l’ont fait sans bonté !
À la fin, ils dansèrent seuls pour contenir la ronde.
Ils dansaient une mesure qui n’était pas pour de maturrangos (mauvais cavaliers), d’habanera avec candombe, de milonga avec fandango.
C’était un dimanche, dans les Corrales quand ils ont inventé le tango.
Francisco García Jiménez étant né en 1899, soit 17 ans après les faits, il ne peut pas en être un témoin direct.

Un autre texte sur la naissance du tango de Miguel Andrés Camino

Je cite donc à la barre, un autre auteur, plus âgé. Miguel Andrés Camino, né à Buenos Aires en 1877. Il aurait donc eu cinq ans, ce qui est un peu jeune, mais il peut avoir eu des informations par des parents témoins de la scène.

El tango par Miguel Andrés Camino

Nació en los Corrales Viejos,
allá por el año ochenta.
Hijo fue de una milonga
y un pesao del arrabal.
Lo apadrinó la corneta
del mayoral del tranvía,
y los duelos a cuchillo
le ensañaron a bailar.
Así en el ocho
y en la sentada,
la media luna,
y el paso atrás
puso el reflejo
de la embestida
y las cuerpeadas
del que la juega
con su puñal.
Después requintó el chambergo
usó melena enrulada, pantalones con trencilla
y botines de charol.
Fondeó en los peringundines,
bodegones y… posadas
y en el cuerpo de las chinas
sus virtudes enroscó.
En la corrida
y el abanico.
el medio corto
y el paso atrás,
puso las curvas
de sus deseos
de mozo guapo
que por la hembra
se hace matar.
También vagó por las calles
con un clavel en la oreja;
Lució botín a lo militar.
Se adueñó del conventillo,
engatusó a las sirvientas
y por él no quedó jeta
que no aprendiera a chiflar.
Y desde entonces
se vio al malevo
preso de honda
sensualidad
robar las curvas
de las caderas,
pechos y piernas
de las chiruzas
de la ciudad.
Y así que los vigilantes
lo espiantaron de la esquina,
se largó pa’ las Uropas,
de donde volvió señor.
Volvió lleno de gomina,
usando traje de cola
y en las murgas y pianolas
hasta los rulos perdió.
Y hoy que es un jaife
tristón y flaco,
que al ir bailando
durmiendo va;
y su tranquito
ya se asemeja
al del matungo
de algún Mateo
que va a largar.

Miguel Andrés Camino

Traduction libre et indications sur le poème de Miguel Andrés Camino

Il est né dans les Corrales Viejos, dans les années quatre-vingt.
Il était le fils d’une milonga et d’un bagarreur des faubourgs.
Il était parrainé par le cor du conducteur du tramway, et les duels au couteau lui apprirent à danser. Ainsi, dans le huit (ocho) et dans la sentada (figure où la femme est assise sur les cuisses de l’homme, voir, par exemple Taquito millitar), la demi-lune et le pas en arrière, le reflet de l’assaut et les attitudes de celui qui la joue avec son poignard.
Il portait des cheveux bouclés, des pantalons tressés et des bottines en cuir verni.
Il a jeté l’ancre dans les bordels, bars et… et dans le corps des femmes faciles, ses vertus s’enroulaient.
Dans la corrida et l’éventail, le demi-corte et le pas en arrière, il a mis les courbes de ses désirs de beau jeune homme qui se fait tuer pour la femelle.
Il traînait aussi dans les rues avec un œillet à l’oreille ; les bottines brillantes comme celles des militaires.
Il s’empara du conventillo (habitation collective pour les pauvres), lutina les servantes, et il n’y avait pas une tasse qu’il n’apprendrait pas à siffler (boire, jeu de mots lourdingue et graveleux).
Et depuis lors, se vit prisonnier le mauvais d’une profonde sensualité a été vu en train de voler les courbes des hanches, des seins et des jambes des chiruzas (femmes vulgaires) de la ville.
Et dès que les gardes l’aperçurent du coin, il se rendit chez les Européens, d’où il revint, monsieur.
Il est revenu plein de gomina, vêtu d’un queue-de-pie et dans les murgas et les pianolas, il a même perdu ses boucles.
Et aujourd’hui, c’est un présomptueux, triste et maigre, qui va danser en dormant ; et son calme ressemble déjà à celui du matungo  (cheval faible ou inutile) d’un Mateo (coche, taxi, à chevaux) qui va partir.

On comprend dans ce poème dont on ne cite généralement que le début qu’il parle du tango qui, né dans les faubourgs bagarreurs, s’est abâtardi en allant en Europe. Cela date donc le poème des années 1910-1920 et si le texte reflète une tradition, voire une légende, il ne peut être utilisé pour avoir une certitude.

Nous sommes bien avancés. Nous avons donc plusieurs textes qui relatent des idées semblables, mais qui ne nous donnent pas l’assurance que le berceau du tango est bien à Parque Patricios, Corrales Viejos.

Faut-il en douter comme Borges qui avait des idées pourtant très semblables à celles de Miguel Andrés Camino ? Peu importe. Cette légende, même si elle est fausse a ensemencé le tango, par exemple El ciruja de De Angelis. On dirait plutôt aujourd’hui El cartoniero. Les cartonieros sont des personnages indissociables des grandes villes argentines. Avec leur charrette à bras chargée de tout ce qu’ils ont trouvé dans les poubelles, ils risquent leur vie au milieu de la circulation trépidante pour déplacer leurs dérisoires trésors vers les lieux de recyclage. Cette communauté souffre beaucoup en ce moment, les restaurants solidaires (soupes populaires) ne reçoivent plus d’aide de l’état et pire, ce dernier laisse se périmer des tonnes de nourritures achetées pour cet usage par le gouvernement précédent.

Espérons que ces personnages miséreux qu’on appelle parfois les grenouilles (ranas), car dans le quartier des bidons, il y avait souvent des inondations et que les habitants faisaient preuve d’imagination et de débrouillardise pour survivre. Grenouille n’est donc pas péjoratif, c’est plutôt l’équivalent de rusé, astucieux. Le Beltrán de notre tango du jour est une décès grenouilles qui s’est transformée en prince charmant, au moins pour une vieille femme, très riche 😉

Je vous présente Beltrán et sa femme. C’est beau l’amour.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez

Rafael Tuegols Letra Francisco García Jiménez

Cette version de Zorro gris a été enregistrée le 22 mars 1946 par Enrique Rodriguez, il y a exactement 78 ans. Sa musique attrayante cache une histoire qui comporte deux tragédies. Menons l’enquête.

Zorro en espagnol, c’est le .

Zorro gris, c’est donc le renard gris. Le tango enregistré par Rodriguez est une version instrumentale. La musique est plutôt allègre, il est donc facile d’imaginer un petit renard qui gambade. La musique explore des directions opposées. Les instruments qui se répondent permettent d’imaginer un renard furetant, d’un côté à l’autre.

En , un renard…

En lunfardo, le renard peut désigner les manières de certains, mais ce sont aussi les agents de la circulation, dénommés ainsi à cause de la couleur grise de leur tenue.

Extrait musical

Voyons si l’écoute du tango du jour nous aide à en savoir plus.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez. C’est notre tango du jour.

Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.

Les paroles

Avec les paroles, tout s’éclaire et probablement que vos hypothèses vont être contredites.
Cependant, la musique a été écrite avant 1920 et les paroles en 1921, il se peut donc qu’une fois de plus, elles aient été plaquées sans véritable cohérence. Francisco García Jiménez n’a écrit les paroles que de trois des compositions de Rafael Tuegols, Zorro gris (1920-21), Lo que fuiste (1923) et Príncipe (1924). Ce n’est donc pas une association régulière, Rafael Tuegols ayant composé au moins 55 tangos dont on dispose d’un enregistrement (sans doute beaucoup plus).

Cuantas noches fatídicas de vicio
tus ilusiones dulces de mujer,
como las rosas de una loca orgía
les deshojaste en el cabaret.
Y tras la farsa del amor mentido
al alejarte del Armenonville,
era el intenso de tu alma
lo que abrigabas con tu zorro gris.

Al fingir carcajadas de gozo
ante el oro fugaz del champán,
reprimías adentro del pecho
un deseo tenaz de llorar.
Y al pensar, entre un beso y un tango,
en tu humilde pasado feliz,
ocultabas las lágrimas santas
en los pliegues de tu zorro gris.

Por eso toda tu angustiosa historia
en esa prenda gravitando está.
Ella guardó tus lágrimas sagradas,
ella abrigó tu frío espiritual.
Y cuando llegue en un cercano día
a tus dolores el ansiado fin,
todo el secreto de tu vida triste
se quedará dentro del zorro gris.

Rafael Tuegols Letra : Francisco García Jiménez

Gardel change deux fois, au début et à la fin, le couplet en gras.

Traduction libre et explications

Combien de nuits fatidiques de vices, tes douces illusions de femme, comme les roses d’une folle orgie, les as-tu effeuillées au cabaret.

Et après la farce de l’amour menteur en t’éloignant de l’Armenonville, c’était le froid intense de ton âme que tu abritais avec ton renard gris.

En feignant des éclats de rire de joie devant l’or fugitif du champagne, tu as réprimé dans ta poitrine un désir tenace de pleurer. Et quand tu pensais, entre un baiser et un tango, à ton humble passé heureux, tu cachais les saintes larmes dans les replis de ton renard gris.

C’est pourquoi toute ton histoire angoissante gravite autour de ce vêtement. Il a gardé tes larmes sacrées, il a abrité ton froid spirituel. Et quand viendra, un jour prochain, la fin désirée de tes douleurs, tout le secret de ta triste vie restera au cœur du renard gris.

Le Renard gris d’Argentine (Lycalopex griseus) est un petit canidé d’Amérique du Sud. Le voici en manteau et quand ce n’est pas un manteau.

Je vous avais annoncé deux tragédies dans ce tango, la première est pour les renards gris qui terminent en manteaux, mais il en reste une seconde, que je vais préciser au sujet de l’Armenonville qui est cité dans les paroles.

L’Armenonville

Si on regarde Wikipédia et la plupart des sites de tango, l’Armenonville est décrit comme un restaurant chic. La réalité était un peu différente, d’autant plus que beaucoup d’auteurs confondent les deux Armenonville qui se sont succédés. J’en parlerai sans doute plus en détail le 6 décembre, à l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement du tango Armenonville par son auteur, Juan Félix Maglio « Pacho » avec des paroles de José Fernández.

L’Armenonville 1, celui qui fut détruit en 1925 et qui était donc celui évoqué dans Zorro gris et dans le tango du même nom dont la couverture de la partition représente l’entrée de l’établissement qui avait un parc

À l’époque sévissaient la traite des blanches, de façon un peu artisanale comme le racontent certains tangos comme Madame Ivonne, mais aussi de façon plus organisée, notamment avec deux grandes filières, la Varsovia (qui fut nommée par la suite Zwi Migdal) et le réseau marseillais. La population de Buenos Aires et de ses environs était alors relativement équilibrée pour les autochtones, mais déséquilibrée pour les étrangers fraîchement immigrés. Jusqu’à la fin des années 1930 où l’équilibre s’est à peu près fait, il y a eu jusqu’à quatre fois plus d’hommes que de femmes. Je reviendrai sans doute plus en détail sur cette question, car ce déséquilibre est une des sources du tango.
Pour revenir à l’Armenonville, son nom et sa structure sont inspirés du bâtiment du même nom situé dans le Bois de Boulogne à Paris, bien qu’on le décrive parfois comme un chalet de style anglais. Il sera détruit en 1925 et un autre établissement du même nom (qui changera de nom pour Les Ambassadeurs, autre référence à la France) s’ouvrira avec des proportions bien plus grandes, nous en reparlerons au sujet du tango qui l’a pris pour titre.
Pour ceux qui pourraient s’étonner qu’un établissement de Buenos Aires prenne un nom français, je rappellerai que la France à la fin du XIXe siècle était le troisième pays en nombre d’immigrés, un peu derrière l’Espagne et l’Italie. Ce n’est que vers 1914 que l’immigration française a cessé d’être importante, même si son influence est restée notable jusqu’en 1939 et bien au-delà dans le domaine du tango.

Le zorro gris, la seconde tragédie promise

L’Armenonville était un établissement de luxe, mais il avait des activités secondaires pour cette clientèle huppée. La possesseuse du manteau en Renard gris masquait sa tristesse dans les plis de son vêtement. Sa détresse s’exprimait lorsqu’elle quittait l’établissement. Si elle avait été une cliente fortunée allant danser et boire du champagne, on n’en aurait sans doute pas fait un tango. Elle était donc honteuse de ce qu’elle devait faire, c’est la seconde tragédie que partage avec elle son manteau de renard.

Autres versions

Zorro gris a donné lieu à d’innombrables versions. Je vous en propose ici quelques-unes.

Zorro gris 1920 — Orquesta Roberto Firpo.

Un enregistrement acoustique et de faible qualité sonore, mais le témoignage le plus ancien de ce tango.

Zorro gris 1921 — accompagné à la guitare par Guillermo Barbieri et José Ricardo.

Là encore la prestation souffre de la piètre qualité de l’enregistrement acoustique, mais c’est le plus ancien enregistrement avec les paroles de Jiménez. Gardel chante deux fois le premier couplet (en gras dans les paroles ci-dessus).

Zorro gris 1927-07-16 — Orquesta .

Un enregistrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orchestration plus douce et des fioritures. Il y a également des nuances et les réponses entre instruments sont contrastées.

Zorro gris 1938-04-21 — Quinteto Don Pancho dirigé par Francisco Canaro.

Version tonique, sans doute un peu répétitive, mais rien d’excessif pour un titre de la Vieja Guardia. Son esprit est très différent de la version de 1927. À mon avis, ce n’est pas la version la plus agréable à danser, trop anecdotique, même si elle reste passable elle ne sera pas mon premier choix si je dois passer ce titre.

Zorro gris 1941-07-28 — Orquesta Francisco Lomuto.

Une version enjouée avec un tempo très rapide, sans doute un peu trop rapide, car cela brouille le dialogue entre les instruments qui est un des éléments intéressants de la structure de ce tango, mieux mis en valeur dans la version de 1927. Certains passages sont même franchement précipités.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez.

C’est notre tango du jour. Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.

Zorro gris 1952-07-01 — Orquesta con ..

J’adore la voix de Larroca, mais le rythme un peu rapide me semble moins agréable que d’autres interprétations de ce chanteur.

Zorro gris 1954-04-28 — Orquesta Donato Racciatti con Carlos Roldán.

Ce titre a eu aussi son en Uruguay (Canaro est origine d’Uruguay), mais avec Racciatti, on est encore plus au cœur de l’Uruguay. Roldán propose ici une des rares versions chantées et elle est relativement intéressante et rarement jouée.

Zorro gris 1957-01-31 — dir. Francisco Canaro.

Une version bien dans l’esprit de ce quintette avec (à moins que ce soit Mariano Mores), le pianiste en forme et un solo de flûte de Juvencio Física très sympathique.

Zorro gris 1973-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un des derniers enregistrements de D’Arienzo, comme la plupart de ceux de cette époque, très flatteur pour le concert, mais sans doute un peu trop grandiloquent et anarchique pour la danse de qualité. Cependant, cet enregistrement pourra avoir son succès dans certaines milongas.

Zorro gris 1985 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Encore un enregistrement uruguayen dans le style bien reconnaissable de Villasboas, mais sans l’accentuation du style canyengue qui est souvent sa marque. Cet enregistrement nous propose un tango assez joueur, même si on peut le trouver un peu répétitif.

Zorro gris 2009 — La Tuba Tango.

On revient canyengue du début, mais de façon légère et en retrouvant les fantaisies qui avaient fait le charme de la version de 1927 par Lomuto. Cette version fait complètement les tragédies de ce tango et peut donc être la source de pensées joyeuses qui se dansent.

Zorro gris.

Tus besos fueron míos 1927-02-17 (Tango) – Orquesta Típica Victor (Direction Adolfo Carabelli)

Anselmo Alfredo Aieta Letra :

Tus besos fueron míos

Le tango du jour a 97 ans. Son titre est explicite, Tus besos fueron míos (Tes baisers furent miens) et son sujet, toujours d’actualité.
Même s’il s’agit ici d’une version instrumentale, on imagine qu’il s’agit de la chanson de la perte d’un amour. Les paroles que l’on connaît dans la plupart des autres versions le confirment.
J’ai choisi ce tango pour pouvoir parler de son éditeur, la firme RCA Victor. En effet, l’orchestre Típica Victor ne jouait pas en public, seulement en studio, c’est l’originalité de certains de ces orchestres de maisons d’édition.

Victor ou Victors ?

La particularité de ces orchestres de maisons d’édition de disques était qu’ils n’étaient pas associés à un Directeur d’orchestre. Les musiciens pouvaient rester les mêmes et le chef changer, contrairement aux orchestres dirigés par des chefs ayant donné leur nom à l’orchestre. Le premier chef d’orchestre à avoir été contracté par la Victor a été un jeune pianiste, Adolfo Carabelli, qui a eu par la suite son propre orchestre. Ce tango date de cette période.

Les musiciens de la orquesta Típica Victor vers 1927 De gauche à droite : Contrebasse : Humberto Costanzo — Violons : Eugenio Romano, Agesilao Ferrazzano et Manlio Francia — Bandonéons : , Ciriaco Ortiz et Nicolás Primiani — Piano : Vicente Gorrese. Adolfo Carabelli (le chef d’orchestre et le violoniste Elvino Vardaro qui travaillait aussi à l’époque pour la RCA Victor, ne sont pas sur la photo.

Qui dit pas Victor a parfois tort

Souvent, des danseurs me demandent la Típica Victor. Soucieux de leur faire plaisir, je leur demande quel orchestre, quelle période, quel titre et je n’obtiens jamais de réponse.
Certains DJ, sous le prétexte qu’il y a écrit Victor passent n’importe quels titres sans tenir compte des styles assez différents selon les orchestres et les directeurs qui se sont succédé.

Les différents orchestres Victor

  • Orquesta Victor Popular
  • Orquesta Típica Los Provincianos (Ciriaco Ortiz)
  • (Mario Maurano)
  • Orquesta Argentina Victor
  • Orquesta Victor Internacional
  • Cuarteto Victor [Cayetano Puglisi et Antonio Rossi (violons), Ciriaco Ortiz et (bandonéons)]
  • Trío Victor [Elvino Vardaro (violon), Oscar Alemán et Gastón Buen (guitares)]

En revanche, il est souvent possible de mélanger un titre de la Victor avec un titre enregistré par le même chef avec son propre orchestre.
On remarquera, en effet, qu’avec les mêmes musiciens, les chefs ont mis leur empreinte. C’est d’ailleurs un phénomène bien connu pour les orchestres de musique classique.

Le nom ne fait pas la tanda

Beaucoup de DJ débutants l’apprennent à leur dépens (ou à celui de leurs danseurs), le nom d’un orchestre ne suffit pas pour fabriquer une belle tanda. Dans le cas des orchestres Victor, c’est assez clair, mais si on prend l’exemple de Canaro, de ces différents orchestres (tango et jazz), de ses différentes formations, quintettes, Típicas et de sa très longue période d’enregistrement, on se retrouve face au même problème.
Reconnaissons toutefois que c’est un peu moins gênant maintenant, car ces DJ s’appuient désormais sur des playlists qui circulent et que donc, le travail de tri a déjà été fait. C’était particulièrement sensible au début des années 2000. Voir à ce sujet, cet article.

Écoute

Tus besos fueron míos 1927-02-17Orquesta Típica Victor (Direction Adolfo Carabelli)

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Les paroles

Tus besos fueron míos.
Dique Victor 79334-A

Hoy pasas a mi lado con fría indiferencia
Tus ojos ni siquiera detienes sobre mí
Y sin embargo, vives unida a mi existencia
Y tuyas son las horas mejores que viví
Fui dueño de tu encanto, tus besos fueron míos
Soñé y canté mis penas junto a tu
Tus manos en mis locos y ardientes desvaríos
Pasaron por mi frente como una bendición

Y yo he perdido por torpe inconstancia
La dulce dicha que tú me trajiste
Y no respiro la suave fragancia
De tus palabras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mundo mi duelo consuela
Estoy a solas con mi ingratitud
Se fue contigo, de mi novela
La última risa de la juventud

te irás borrando, perdida en los reflejos
Confusos que el olvido pondrá a mi alrededor
Tu imagen se hará pálida, tu amor estará lejos
Y yo erraré por todas las playas del dolor
Pero hoy que tu con encendidos bríos
Ocupa enteramente mi pobre corazón
Murmuro amargamente: « tus besos fueron míos
Tus besos de consuelo, tus besos de pasión »

Y yo he perdido por torpe inconstancia
La dulce dicha que tú me trajiste
Y no respiro la suave fragancia
De tus palabras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mundo mi duelo consuela
Estoy a solas con mi ingratitud
Se fue contigo, de mi novela
La última risa de la juventud

Anselmo Alfredo Aieta Letra : Francisco García Jiménez

Autres enregistrements

Ce titre a été enregistré à plusieurs reprises, dans un balancement entre versions instrumentales, versions chantées et versions chansons (seulement pour l’écoute et pas pour la danse).

  • 1926, Carlos Gardel accompagné par les guitares de Guillermo Barbieri et enregistrait ce titre avec les paroles.
  • 1926, Enregistrement par Canaro
  • 1927-02-17, la version que je vous propose aujourd’hui et qui a donc 97 ans, est celle enregistrée le 17 février 1927 par l’orchestre Típica Victor. Il a été édité sur disque 78 tours sous la référence Victor 79334 A. Sa matrice portait le numéro 1102-2. C’était le deuxième enregistrement de la journée et il est devenu la face A du disque.
    Le même jour, la Típica Victor enregistra Trago amargo de Rafael Iriarte Letra : Julio Plácido Navarrine (matrice 1101-1).
    À cette époque, les maisons d’édition regravent les titres avec les nouveaux procédés d’enregistrement électrique. Cela provoque une activité intense, comme en témoignent d’autres enregistrements du du même jour, comme l’enregistrement de la comparsita par Canaro, chez Odéon.
  • 1927-02-21, propose une version chantée, accompagnée par des guitaristes.
  • 1927-05-30, Canaro l’enregistre de nouveau, toujours en version instrumentale.
  • 1930-12-13, encore Canaro, mais en accompagnant de sa chère Ada Falcon. Voir cet article pour des infos sur leur « couple ».
  • 1946-11-29, sort le titre de l’oubli avec le chanteur Roberto Videla. Malgré le mode mineur (tristesse), la partie instrumentale est assez allègre. En revanche, Videla met beaucoup (trop ?) d’émotion. On peut aimer et ça reste comme Tanturi en général, dansable.
  • 1952-08-14, Alfredo Attadía et le chanteur Enzo Valentino en donne une version chantée. C’est clairement une chanson qui n’était pas destinée à la danse. Attadia, n’a pas contrôlé le chanteur comme l’avait fait Tanturi.
  • 1952-11-14, Alfredo de Angelis et Carlos Dante en donnent une version chantée bien équilibrée et qui permet une danse de qualité. Elle rejoint donc la version de Tanturi dans la discothèque du DJ de tango.
Pero hoy que tu recuerdo con encendidos bríos
Ocupa enteramente mi pobre corazón
Murmuro amargamente: « tus besos fueron míos
Tus besos de consuelo, tus besos de pasión »