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El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Rosendo Luna () (Musique et paroles)

Rosendo Luna, de son nom complet Enrique Domingo Cadícamo a composé et écrit les paroles de notre , . C’est pour nous l’occasion de découvrir un métier oublié, banni de Buenos Aires en 1966 avec l’interdiction des moteurs de sang (la traction animale). El cuarteador est un cavalier muni d’une forte monture qui loue ses services aux voituriers embourbés ou en mauvaise passe.

Enrique Cadícamo a composé ce titre sur le mini piano qu’il venait d’acheter.

Schroeder, le peanuts créé par Charles M. Schulz et son mini piano.

Je me suis posé la question de savoir ce qu’était un mini piano. En fait, ce n’est probablement pas un instrument dans le genre de celui de Schroeder, mais tout simplement un piano droit, sans doute un peu moins large avec seulement cinq ou six octaves. Son instrument était de la maison John Carlitt, une maison allemande de la ville de Dresde et ce facteur faisait dans le piano traditionnel, pas dans le jouet. Cadícamo semble avoir été assez discret sur l’usage de cet instrument, il n’a sans doute pas été un véritable pianiste, son talent n’en a absolument pas souffert comme on peut l’entendre dans cette composition.
Curieusement, n’a pas composé ce titre ou un autre du même genre alors qu’il a travaillé comme cuarteador. Ce sont deux autres Ángel, D’Agostino et Vargas qui l’enregistreront à la suite de Troilo-Fiorentino et Canaro-Amor.
Attention, nous allons patauger dans la boue, dans la boue de Barracas.

Extrait musical

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Le titre commence par une annonce.

Paroles

Fue en un café de la Boca y allá por el ano dos, donde este tango nació. Estaba linda la fiesta. Y compadreando la orquesta de esta manera empezó.
Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Tengo un pingo que en el barro
cualquier carro
tira y saca.
Overo de anca partida,
que en un trabajo de cuarta
de la zanja siempre aparta
¡Chiche!
la rueda que se ha quedao.

Yo que tanta cuarta di,
yo que a todos los prendí
a la cincha de mi percherón,
hoy, que el carro de mi amor se me encajó,
no hay uno que pa’ mi
tenga un tirón.

En la calle del querer
el amor de una mujer
en un bache hundió mi corazón…
¡Hoy, ni mi overo me saca
de este profundo zanjón!

Yo soy Prudencio Navarro,
el cuarteador de Barracas.
Cuando ve mi overo un carro
compadreando
se le atraca.

No hay carga que me lo achique,
porque mi chuzo es valiente;
yo lo llamo suavemente
¡Chiche!
Y el pingo pega el tirón.

Rosendo Luna (Enrique Domingo Cadícamo) (Musique et paroles)

libre et indications

C’était dans un café de La Boca et en l’an 2 (1902) que ce tango est né. La fête était sympa. Et l’orchestre amicalement commença de cette façon.

Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
J’ai un pingo (cheval en lunfardo) qui tire et sort de la boue n’importe quel chariot.
Overo (Cheval couleur de pêche, aubère ou alezan) avec la croupe fendue (car musclée), qui dans un travail de cuarta (travail du cuarteador qui consiste à tirer des chariots embourbés. Le nom vient du fait que l’on pliait la sangle de tirage pour la rendre quadruple et ainsi plus résistante), du fossé sort toujours, Chiche ! (Nom du cheval, ou expression pour le mobiliser) la roue qui était coincée.
Moi qui ai donné tant de cuartas, moi qui les ai tous accrochés à la sangle de mon percheron, aujourd’hui, que la voiture de mon amour s’est coincée, il n’y en a pas un qui pour moi ferait une traction.
Dans la rue de l’amour, l’amour d’une femme dans un nid-de-poule a fait sombrer mon cœur…
Aujourd’hui, même mon overo ne peut pas me sortir de ce fossé profond !
Je suis Prudencio Navarro, le cuarteador de Barracas.
Quand mon overo voit une voiture, il s’y colle (comme un amoureux qui recherche le d’une femme, jeu de mots, car c’est aussi attacher le chariot).
Il n’y a pas de fardeau qui puisse le rétrécir, parce que mon chuzo (aiguillon) est courageux ; je l’appelle doucement Chiche ! Et le pingo (cheval, mais peut aussi avoir un sens plus coquin) tire.

Autres versions

El cuarteador 1941-09-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.
El cuarteador 1941-10-06 – Orquesta Francisco Canaro con .
El cuarteador 1942 Orquesta Ángel D’Agostino con .

Mais Enrique Cadícamo a aussi réalisé un court métrage où on peut entendre les deux anges interpréter ce thème. Nous en avons déjà parlé à propos de .

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Vargas entament El cuarteador de Barracas, mais je vous recommande de voir les 9 minutes du court-métrage en entier, c’est intéressant dès le début et avant El cuarteador de Barracas, il y a Tres Esquinas

El cuarteador de Barracas à 6:54 du film de Enrique Cadícamo.
Timbre uruguayen mettant en avant un cuarteador. Remarquez le harnachement du cheval.

Los cuarteadores

Nous avons vu qu’Ángel Villoldo avait exercé ce métier, mais il avait aussi été clown dans un cirque, typographe et a de fait exercer de nombreux petits métiers pour survivre.
Pour les mêmes raisons, les gauchos dont les territoires ont été rattrapés par l’urbanisation de Buenos Aires se sont adaptés et sont passés du gardiennage des vaches au sauvetage des chariots et tranvias (tramways) en péril dans la boue ou dans des déclivités trop fortes.
Pour les voyages en chariot, il était prudent de s’attacher les services d’un ou plusieurs cuarteadores pour pouvoir se tirer d’embarras dans les chemins défoncés qui servaient de routes à l’époque.

À gauche, Prudencio Navarro par Rodolfo Ramos et à droite, des voyageurs attendant les cuarteadores…

Voici comment les voyageurs , narrèrent leur traversée de la pampa entre Buenos Aires et Santa Fe.

« Après avoir attaché l’attelage à la malle-poste (diligence), sous la direction du cocher, on adjoignit quatre cuarteadores, mal vêtus, chacun sur son cheval, sans autre harnais que la sangle.
Celle-ci était attachée par une extrémité à la selle et de l’autre au timon de la voiture…
À peine avions-nous atteint les faubourgs que nous rencontrâmes un de ces terribles marécages.
Ce sont des masses de boue épaisse de trois à trois mètres et demi de profondeur et trente à cinquante de largeur (la profondeur semble exagérée, mais retenons que c’était boueux).
Les cuarteadores éclaboussèrent dans la boue, puis la deuxième équipe les suivit, et lorsque les deux équipes quittèrent le marais et, par conséquent, furent sur la terre ferme, avant que la voiture n’entre dans le bourbier, elles avaient gagné un endroit où se tenir pour développer leur force.
À coups de fouet et d’éperon, encouragés par les cris des postillons, les chevaux nous traînèrent triomphalement hors du marais.
De cette façon, nous avons traversé avec succès tous les bourbiers, marécages et ruisseaux qui séparent Buenos Aires et Santa Fe. »

La gravure du 19e siècle qui m’a servie pour réaliser l’illustration de l’anecdote.

On remarquera la sangle (ici qui n’est pas quadruple), entre la selle et le timon. Il s’agit d’aider dans une montée. J’ai rajouté de la boue dans ma version pour rendre l’expérience encore plus probante. Cette gravure est indiquée comme étant de Buenos Aires, mais je n’ai pas trouvé le lieu. On remarquera au premier plan à droite, un autre cuarteador se relaxant avec le pied sur la sangle de tirage posée sur la croupe du cheval. Il attend à son tour que des chariots fassent appel à ses services.
Voilà, cette anecdote tire à sa fin, vous écouterez sans doute de façon différente les belles versions de cette composition de Rosendo Luna.

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Letra:

« Chapaleando barro » éclabousser de boue est un titre très évocateur. Même si en Argentine la plupart des villages ont la majorité de leurs rues en terre, pierre ou sable, à , le goudron a remplacé la terre salissante, mais qui a vu des jeux d’enfants, enchantés de s’éclabousser de boue. Retroussez votre bas de pantalon et partons à la recherche de ce Buenos Aires, embourbé au fond de notre mémoire collective.

Extrait musical

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con y .
On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.

On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Paroles

Barrio de casas bajas
Por el lado de Pompeya
Donde puso la miseria
Un brochazo de dolor
La patota de pibes
Juega al rango en el barro
Y en la esquina, hasta la masa un carro
Peludeando, se quedó
Barrio viejo de guapos y milongas
Viejo barrio mistongo, de arrabal
Si me diera la caña, la vida
Qué papa sería, volverte a encontrar
Yo conozco tu rante apología
La tristeza infinita de un hogar
La angustiosa tristeza de aquel ciego
Que el pobre Carriego, lo hiciera inmortal.

Arturo Castillo Letra: Celedonio Esteban Flores

libre

Quartier de maisons basses
Du côté de Pompeya (quartier du Sud de Buenos Aires)
Là où la misère a mis
Une touche de douleur (brochazo, coup de brosse en peinture)
La bande des gamins
Jouer au rango (saute-mouton) dans la boue
Et dans le coin, jusqu’à la pâte un chariot
Embourbé, il est resté
Vieux quartier de Guapos et Milongas
Vieux quartier triste, de faubourg
S’il m’a donné la verge, la vie
Quelle chance (la papa peut signifier génial, comme en Buenos Aires es una papa) ce serait de vous rencontrer à nouveau
Je connais votre apologie vagabonde
La tristesse infinie d’un foyer
La tristesse angoissée de cet aveugle
Que le pauvre Carriego rendrait immortelle.

(Evaristo Carriego, poète argentin 1883-1912 qui fut considéré comme le poète des faubourgs et des gens humbles et de Palermo (même si pour ces paroles, on est à l’opposé de la ville, la misère était la même, ces faubourgs n’étaient pas encore [avant 1912] le Palermo des touristes d’aujourd’hui…).

Celedonio Esteban Flores (El negro Cele)

Mort à 51 ans (1896-1947), il laisse une vaste production de plus d’une centaine de tangos.

Parmi ceux-ci, vous reconnaîtrez MargotMano a manoMala entrañaViejo cocheEl bulín de la calle AyacuchoViejo smokingPor qué canto asíMalevitoCancheroCorrientes y EsmeraldaMuchachoSentenciaPobre gallo batarazSi se salva el pibe, La mariposa et La musa mistonga

Celodonio Flores a également publié deux recueils de poèmes : Chapaleando barro (1929) et Cuando pasa el órgano (1935).
Ses tangos et ses poèmes le placent comme l’un des plus grands écrivains de poésie lunfarda (argot portègne).
Je vous propose ici, la liste des poèmes de son livre de 1929, celui qui a le même nom que notre (mais dans lequel les paroles de ce tango, ne sont pas présentes…).

Liste des poèmes de Chapaleando barro (1929)


Hermanita Buena
Novia
Señora
Musa Rea
La Musa Mistonga
Tango
Consejos Reos

Motivos del suburbio

Bailongo Arrabalero
La Muchacha fea
La Muchacha linda
Tardecita de Domingo
Acuarelita
El despertar del suburbio
Cuando la tarde se inc!Jna
E l café de mi barrio
Canillita
EJ Perro Flaco
Apronte
La Muerte de la Bacana
El Bagallo
El As de los Ases
Mimosa
Oro Viejo

Los de la barra

Batiendo un justo
Carlitos
Cantor Bacán
Y ahora yo.

Envio
A mi muchacho que se fué
Punto Alto
Tenga Mano Tallador
Acosta Viejo

Intimas

Mirá Viejo
Dedicatoria
Cuando llegue aquel da
Intima
Mirá si soy bueno
Y que Dios la bendiga
Gorriones
Si tuviera tiempo
Bohemia
Pobre Gallo

De la mala vida

Tengo miedo
Ingenuamente

Sentencia
Carta Brava
El Talla
Imitación
El Alivio
El Guapo
Nunca es tarde
Mala Entraña
Mishiadura
Margot
La Percanta aquella
Polca
Sonatina

Niños jugando a pídola 1777 – 1885. Francisco De Goya.

Chapaleando barro. Pour la photo de couverture, je suis parti de cette œuvre de Francisco de Goya, Niños jugando a pídola 1777 – 1885. La pídola, c’est le saute-mouton que les Argentins appellent Rango. Comme Goya n’a pas daigné faire jouer ses petits Espagnols dans la boue, j’ai modifié l’environnement pour le rendre plus conforme aux paroles de Celedonio Flores.

El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

García Roberto Cantoral (MyL)

Notre tango du jour n’est pas un tango. Notre tango du jour est un tango. C’est un tango, ou ce n’est pas un tango, il faudrait savoir ! Disons que c’est un tango, mais que ce n’est pas un tango. Le tango sait chanter l’amour, mais il n’est pas le seul. Son copain le boléro le fait sans doute tout aussi bien et sans doute mieux. Alors, nous allons décortiquer le mécanisme de l’horloge, celle qui dit oui, qui dit non, dans le salon.

Boléro y tango

Je vous raconterai en fin d’anecdote l’ qui a donné naissance à ce boléro. Oui, ce titre est né boléro.
En Argentine, certains tangos un peu mielleux et hyper romantiques sont surnommés boléros par les tangueros et ce n’est pas forcément un compliment. Quelqu’un comme Borges aurait pu sortir le facón (couteau de gaucho) pour faire un sort au musicien qui aurait osé proposer ce type de tango, pas assez viril à son goût.
Mais le boléro est aussi un genre musical originaire de Cuba, qui, comme le tango, s’est exporté avec succès en Europe au point d’être une des pièces indispensables des bals de village. On notera toutefois que les danseurs « musette » le dansent exactement comme le tango, avec le même anapeste, le fameux lent-vite-vite-lent des cours de danse de société, alors que celui du boléro serait plutôt du type vite-vite-lent. Les deux danses sont d’ailleurs du type 4/4, même si dans le cas du tango, on aime à parler de 2/4 (dos por cuatro).
Attention, il me semble qu’il faut préciser que le boléro d’Amérique du Sud n’est pas le boléro espagnol qui est lui de rythme ternaire et qui est un dérivé des séguedilles. Il fut très populaire durant tout le dix-neuvième siècle, jusqu’au terrible « Boléro » de Maurice Ravel en 1928, qui en est une légère variante, mais dans lequel on reconnaît bien le rythme ternaire (3/4).
Les Européens se sont jetés sur le boléro d’origine sud-américaine dans les années 30 en s’approvisionnant aux deux principales sources de l’époque, Cuba et le Mexique, ce qui leur a permis d’oublier l’insupportable Boléro de Maurice Ravel. La diffusion était bien sûr la radio et le disque, mais aussi les bals et tout comme le tango de danse a été codifié en Europe, le boléro l’a été.
En Argentine, le boléro a aussi fait son apparition, mais le tango était bien en place et c’est un peu plus tardivement, notamment dans les années 50, qu’il est devenu très important.
Notre tango du jour appartient justement à cette époque. Auréolé de son succès, ce boléro écrit et chanté par García Roberto Cantoral (avec son trio mexicain ) est arrivé jusqu’aux oreilles de Juan D’Arienzo qui a décidé de l’adapter à sa musique, en le transformant en tango.

Comparaison du chant boléro et tango

Je me suis livré à une petite expérience. Roberto Cantoral chante plus lentement que Jorge Valdez. C’est logique, il n’a pas la fusée D’Arienzo pour le pousser et c’est un boléro…
J’ai donc accéléré son enregistrement pour le placer à la même que celui de D’Arienzo. Dans ce premier montage, on va entendre un extrait des deux versions en même temps. C’est un peu fouillis, mais on voit tout de même des analogies.

– D’Arienzo Valdez et Roberto Cantoral. On entend les deux en même temps sur un extrait, le début de la partie chantée.
El reloj – Cantoral Puis D’Arienzo Valdez.

Le début de la version chantée par Cantoral, un petit pont par D’Arienzo puis Jorge Valdez. On notera que même si le rythme de l’orchestre est différent, les chanteurs ne sont pas si différents.
On remarquera l’arrastre de Cantoral, bien plus marqué que chez Valdez. De plus, si vous prenez en compte que j’ai accéléré l’enregistrement de Cantoral pour qu’il soit au compas de celui de D’Arienzo, on comprendra que la même partition peut donner lieu à des interprétations très différentes.
Vous pourrez entendre la version de Cantoral en entier dans la partie « Autres versions ».
Pour interpréter son tango qui n’est pas un boléro, mais qui est romantique comme un boléro, Juan D’Arienzo a fait appel à Jorge Valdez, son chanteur romantique et voici le résultat…

Extrait musical

El reloj Roberto Cantoral. Partition de boléro pour piano au centre et partition pour chanteur à droite. Cantoral et Valdez chantent sensiblement la même partition. La différence de rythme vient de l’orchestre.
El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Comme vous pouvez l’entendre, cette version n’a rien de boléro dans le rythme. Les accents suaves du boléro d’origine sont découpés par des passages martelés au piano et au bandonéon. Un petit motif léger au piano évoque un carillon de salon et Jorge Valdez commence à chanter. Je ne suis en général pas fan de Valdez pour la danse, mais curieusement et malgré l’origine en boléro, le résultat reste acceptable pour la danse en tango et cela bien que Valdez chante la totalité des paroles et par conséquent plus de la moitié du tango. Peut-être que la beauté des paroles aide. Je vous laisse en juger.

Paroles

Reloj, no marques las horas
Porque voy a enloquecer
Ella se irá para siempre
Cuando amanezca otra vez
Nomás nos queda esta noche
Para vivir nuestro amor
Y tú tic-tac me recuerda
Mi irremediable dolor
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apaga
Ella es la estrella que alumbra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiempo en tus manos
Haz esta noche perpetua
Para que nunca se vaya de mí
Para que nunca amanezca.

García Roberto Cantoral (MyL)

Traduction libre

Horloge, ne marque pas les heures parce que je vais devenir fou.
Elle disparaîtra pour toujours lorsque le soleil se lèvera à nouveau.
Nous n’avons que cette nuit pour vivre notre amour et ton tic-tac me rappelle ma douleur irrémédiable.
Horloge, arrête ton chemin parce que ma vie s’arrête.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube n’arrive jamais.
Horloge, arrête ton chemin, car ma vie s’éteint.
Elle est l’étoile qui illumine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit perpétuelle, pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube ne se lève jamais.

Une histoire romantique

Roberto Cantoral aurait composé ce titre alors qu’il était en tournée avec Los 3 caballeros, le trio de guitaristes chanteurs (les trios de guitaristes chanteurs sont une spécialité mexicaine) qu’il avait formé avec et .

Los tres caballeros. De gauche à droite, Leonel Gálvez, Roberto Cantoral, et Chamin Correa.

Il aurait eu à cette occasion une histoire d’amour avec une des femmes de la tournée, une danseuse.
La chanson conterait donc cette dernière nuit où lui devait revenir au Mexique et elle à New York.
Cette histoire est tellement plausible, qu’elle est quasi officielle. On peut juste se demander pourquoi il écrivait un boléro au lieu de profiter de ses derniers moments et pourquoi imaginait-il que cette histoire était terminée ? Engagement de la belle dans une autre histoire ? Il était marié et il ne voulait pas quitter sa femme.

Une histoire encore plus romantique

S’il était marié, c’est le thème de la seconde histoire. La femme de Roberto était gravement malade et le boléro a été composé alors qu’il la veillait à l’hôpital Beneficencia Española de Tampico. Les médecins avaient livré un sombre pronostic et il n’était pas du tout certain que son épouse « passerait la nuit ». D’après un journaliste signant lctl dans El Heraldo de México du 10 février 2021, la femme aurait survécu.
Si cette histoire est véridique, alors, elle est bien romantique également. Mais j’ai un doute sur cette histoire dans la mesure où Roberto Cantoral a vécu une autre aventure romantique… et que s’il chérissait tellement sa femme, il est peu probable qu’il se lance dans l’aventure que je vais exposer, mais avant, un détail.
Je n’ai pas évoqué les débuts de Roberto avec son frère aîné Antonio en 1950-1955 (Los Hermanos Cantoral). Antonio a créé ensuite aussi son groupe, Los Plateados de México. Contrairement à son petit frère, il était marié à l’époque de l’écriture de El reloj, amoureux et sa femme mourut jeune, en 1960. Peut-être que le séjour à l’hôpital était celui de la femme d’Antonio et pas d’une hypothétique femme de Roberto.
Et voici la troisième histoire…

Une histoire encore plus et plus romantique

Dans le domaine du boléro, plus c’est romantique et mieux c’est. En 1962 à Viña del Mar (Chili), Roberto était en tournée. Il y rencontra une trapéziste argentine qui était également en tournée. Cette trapéziste s’appelait , elle était également championne de judo, actrice et danseuse contemporaine. La partie romantique de l’histoire est qu’il se marièrent 9 jours après leur rencontre et qu’ils restèrent unis jusqu’à leur mort, 2010 pour lui, 2020 pour elle qui déclarait :
« Je suis la femme d’un seul homme, car quand l’amour est pur et le couple a un bon cœur, il ne peut pas se changer comme des chaussures. Il se garde pour toujours dans l’âme »
Si cette histoire, qui contrairement aux deux autres, est sûre si j’en crois mes croisements de sources, il faudrait que d’époux inquiet en 1956-1957, il devienne divorcé ou veuf cinq ans plus tard, condition nécessaire pour contracter en neuf jours le mariage. Par ailleurs, je n’ai pas trouvé de trace d’un premier mariage.
En 1956-57, il était en tournée, il avait 21 ans et en plein essor artistique. Ce ne sont pas les données idéales pour confirmer un mariage.
Avec Itatí Zucchi, ils ont eu quatre enfants, trois garçons et une fille, qui a pris le prénom et le nom de sa mère et le nom de son père… . Elle est actrice et chanteuse.

Roberto Cantoral, Itatí Zucchi et Itatí Zucchi (fille)

Je vous laisse donc choisir l’histoire qui vous semble la plus crédible et vous propose de regarder maintenant les autres versions.

Autres versions

Comme le titre est avant tout un boléro, malgré l’usage qu’en a fait D’Arienzo, je vais vous proposer surtout des boléros.

El reloj 1957 – Los 3 caballeros.

C’est la première version proposée par Roberto Cantoral, Chamin Correa et Leonel Gálvez, Los 3 Caballeros. Le style est celui du boléro mexicain.

El reloj 1957-08-02 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

C’est donc au début du succès du titre que D’Arienzo s’est lancé dans sa version.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos.

El reloj 1958 – Trio Los Panchos. Un début avec des claquements évoquant l’horloge. Le boléro se déroule ensuite de belle façon, appuyé par une percussion légère de clave, très cubaine. Cependant, aucun des trois n’est cubain, Chucho Navarro et Alfredo Gil sont mexicains et Hernando Avilés est portoricain.

El reloj 1960 – Roberto Cantoral.

À partir de 1960, Roberto Cantoral entame sa carrière de soliste. Le style n’est plus mexicanisant.

El reloj 1960c con Alfredo Montalbán.

Ce tango est daté 1950 dans tango.info, ce qui semble impossible si le boléro a été écrit en 1956. Le début au vibraphone évoque le tintement de Big Ben, suivi d’un petit motif horaire rappelant le son d’un carillon de salon. Puis le titre continue, sous une forme qui pourrait s’apparenter au tango.

El reloj 1961 – Antonio Prieto.

Une version en boléro par le chanteur chilien, Antonio Prieto.

El reloj 1981 – José José.

Comme pour le tango, il y a des boléros de danse et d’autres plus pour écouter. C’est ce dernier usage qui est recommandé pour celui-ci, enfin pas tout à fait, il est utilisable en slow pour danser « bolero », mais pas le bolero.

El reloj 1997 – .

Même motif, même punition pour cette version en boléro, très célèbre par Luis Miguel.

El reloj 2012 – Il Volo… Takes Flight – Detroit Opera House.
Ce trio de jeunes Italiens avait enregistré ce titre dès leur premier album sorti le 30 novembre 2010.

Ces jeunes chanteurs italiens peuvent rappeler Roberto Cantoral et son frère Antonio qui se lancèrent, mineurs, dans les tournées.

El reloj 2018-11-20 – Romántica Milonguera con Marisol Martinez y Roberto Minondi.

Pour terminer, place au tango avec cette excellente version de la Romántica Milongera et ses deux chanteurs, Marisol Martinez et Roberto Minondi.

Finalement, ce boléro a donné vie à au moins deux belles exécutions en tango, celle de D’Arienzo et celle de la Romántica Milongera.

Roberto Cantoral, compositeur du boléro qui donna notre tango du jour.

À demain, les amis !

Sentimiento gaucho 1954-07-30 – Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda

; Letra: Juan Andrés Caruso

Nous avons vu les liens entre le tango et le théâtre, le cinéma, la radio. Notre tango du jour, Sentimiento a tous ces liens et en plus, il a gagné un concours… Il n’est donc pas étonnant qu’il dispose de dizaines de versions, voyons donc ce à partir de la version orientale, de et Nina Miranda.

Les concours Max Glücksmann

La firme Max Glücksmann est celle qui a créé la maison de disques Odeón, que vous connaissez bien maintenant. Cette société a organisé à partir de 1924 différents concours annuels qui se déroulaient dans différents lieux à Buenos Aires et Montevideo.
Trois fois par semaine, durant le concours, l’orchestre « officiel » qui était différent chaque année, jouait les tangos qui avaient été sélectionnés par l’entreprise pour concourir.
Les jours concernés, l’orchestre jouait deux fois la sélection, une fois pour la séance de cinéma de 18 heures et une fois pour la séquence de cinéma de 22h30.
Le public votait grâce à un coupon placé sur le ticket d’entrée au théâtre/cinéma.
En 1924, la première année du concours, c’est Sentimiento Gaucho qui gagna.
L’orchestre qui a joué les œuvres électionnées était celui de Roberto Firpo, un orchestre gonflé pour atteindre 15 musiciens, dans le Théâtre Grand Splendid et la radio LOW, Radio Grand Splendid retransmettait également la prestation de l’orchestre.
On voit que le dispositif était particulièrement élaboré et que Max Glücksmann avait mis les moyens.
La version présentée était instrumentale, car les trois premières années du concours, il n’y avait pas de chanteur, « seulement » 15 musiciens.
Le palmarès de cette année a été le suivant :

Extrait musical

Sentimiento gaucho. Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso.

À gauche, la partition Ricordi qui correspond au texte des paroles habituelles. À droite de la partition, le premier prix gagné par Canaro (il n’y avait pas de paroles et c’était donc cohérent de représenter un gaucho). À l’extrême droite, la couverture de la partition avec les paroles censurées.

Sentimiento gaucho 1954-07-30 – Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda

Paroles

En un viejo almacén del Paseo Colón
Donde van los que tienen perdida la fe
Todo sucio, harapiento, una tarde encontré
A un borracho sentado en oscuro rincón
Al mirarle sentí una profunda emoción
Porque en su alma un dolor secreto adiviné
Y, sentándome cerca, a su lado, le hablé
Y él, entonces, me hizo esta cruel confesión
Ponga, amigo, atención

Sabe que es condición de varón el sufrir
La mujer que yo quería con todo mi corazón
Se me ha ido con un hombre que la supo seducir
Y, aunque al irse mi alegría tras de ella se llevó
No quisiera verla nunca… Que en la vida sea feliz
Con el hombre que la tiene pa’ su bien… O qué sé yo
Porque todo aquel amor que por ella yo sentí
Lo cortó de un solo tajo con el filo’e su traición

Pero inútil… No puedo, aunque quiera, olvidar
El recuerdo de la que fue mi único amor
Para ella ha de ser como el trébol de olor
Que perfuma al que la vida le va a arrancar
Y, si acaso algún día quisiera volver
A mi lado otra vez, yo la he de perdonar
Si por celos a un hombre se puede matar
Se perdona cuando habla muy fuerte el querer
A cualquiera mujer

Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

libre et indications

Dans un vieux magasin (El almacén, est à a la fois un magasin, un bar, un lieu de vie, de musique et danse, etc.) du Paseo Colón (rue du sud de Buenos Aires) où vont ceux qui ont perdu la foi.
Tout sale, en haillons, un après-midi, j’ai trouvé un ivrogne assis dans un coin sombre.
En le regardant, j’éprouvai une profonde émotion parce que dans son âme je devinais une douleur secrète.
Et assis près de lui, je lui ai parlé, et il m’a fait cette cruelle confession.
Fais attention, mon ami.
Sache que c’est la condition de l’homme que de souffrir.
La femme que j’ai aimée de tout mon cœur s’en est allée avec un homme qui a su la séduire et, avec son départ, elle a emporté ma joie avec elle.
Je ne voudrais jamais la revoir… Puisse-t-elle être heureuse dans la vie avec l’homme qui l’a pour la sienne…
Ou qu’est-ce que j’en sais pourquoi tout cet amour que je ressentais pour elle, elle l’a coupé d’un seul coup avec la lame de sa trahison.
Mais inutile… Je ne peux pas, même si je le voulais, oublier le souvenir de celle qui était mon seul amour. Pour elle, il faut être comme le trèfle d’odeur (mélilot) qui parfume celui que la vie va arracher.
Et si un jour elle veut revenir vers moi, je lui pardonnerai.
Si un homme peut être tué par jalousie, cela se pardonne quand parle très fort l’amour à quelque femme que ce soit.

Il existe deux autres versions des paroles, mais le problème sur le site ne m’a pas laissé le temps de les retranscrire.
Une version censurée, ou l’ivrogne dans le bar devient un paysan dans un champ et l’autre une version humoristique de Trio Gedeón. J’y reviendrai un jour, mais pour l’instant, ma priorité est de rétablir le site.

Autres versions

Pour les mêmes raisons que le gros raccourcissement de l’anecdote du jour, le problème sur le site, je ne propose pas les autres versions de Sentimiento Gaucho.
Là encore, j’essayerai de rattraper, dès que possible, lorsque le site sera remis en état.
Je vous présente tout de même cette version sympa où on voit chanter Ada Falcon. C’est dans le film : Idolos de la radio de Eduardo Morera

Ada Falcon dans Idolos de la radio de Eduardo Morera chante Sentimiento Gaucho.

j’espère à demain, les amis, avec une version plus complète…

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli

José “Natalín” Felipetti ; Rosario Mazzeo Letra: Arturo

Le est instrumental, et en écoutant la musique sensuelle de Di Sarli, je suis sûr que la plupart de ceux qui ne sont pas uruguayens ont pensé que j’étais tombé sur la tête, une fois de plus, en proposant cette image de couverture. J’ai imaginé cette illustration en me référant à Géricault, un peintre qui a donné à la fois dans le militaire et l’orientalisme. Mais qui sont ces 33 orientales que Di Sarli célébrera trois fois par le disque ?

De l’importance de l’article

Il peut échapper aux personnes qui ne parlent pas bien espagnol, la différence entre las (déterminant pluriel, féminin) et los (déterminant pluriel, masculin). Las 33 orientales, ça pourrait-être ceci,

Los ou las ?

mais los 33 orientales, c’est plutôt cela :

El juramento de los 33 orientales (1878).

Je vous raconterai l’histoire de ces 33 mecs en fin d’article, passons tout de suite à l’écoute.

Extrait musical

Les compositeurs sont José Felipetti (bandonéoniste et éditeur musical) et Alfredo Rosario Mazzeo, violoniste, notamment dans l’orchestre de Juan D’Arienzo, puis de Polito (qui fut pianiste également de D’Arienzo). Rosario Mazzeo avait la particularité d’utiliser un archet de violon alto, plus grand pour avoir un son plus lourd.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta .

Je n’ai pas grand-chose à dire sur cette version que vous puissiez ne pas connaître. Je suis sûr que dans les cinq secondes vous aviez repéré que c’était Di Sarli, avec ses puissants accords sur son 88 touches (le piano) et les légatos des violons. Comme il est d’usage chez lui, les nuances sont bien exprimées. Les successions de fortissimos mourant dans des passages pianos (moins forts) et les accords finaux où dominent le piano font que c’est du 100% Di Sarli.

Il s’agit du troisième enregistrement de Los 33 orientales par Di Sarli. Comme d’habitude, vous aurez droit aux autres dans le chapitre dédié, Autres versions

Les trois disques de Los 33 orientales par Carlos Di Sarli.

On notera que la version de 1952 est un 33 tours Long Play, c’est-à-dire qu’il y a deux tangos par face, ici La Cachila et Los 33 orientales. Sur la face A, il y a Cuatro vidas et Sueño de juventud. Le passage de 78 à 33 tours permettait de plus que doubler la durée enregistrable. Mais ce n’est que la généralisation du microsillon qui permet d’atteindre des durées plus longues de plus de 20 minutes par face. Ce disque est donc un disque de « transition » entre deux technologies.

Paroles

Bien qu’il soit instrumental dans les versions connues, il y a eu des paroles écrites par Arturo Juan Rodriguez.
Au cas où elles seraient perdues, je vous propose un extrait de celles d’un autre tango appelé également los 33 orientales, à l’origine et rebaptisé par la suite La uruguyaita Lucia.
Il a été écrit en 1933 par avec des paroles de Daniel López Barreto.
Je vous le propose à l’écoute, dans la version de Ricardo Tanturi avec Enrique Campos (1945).

La uruguyaita Lucia 1945-04-12 – Ricardo Tanturi C Enrique Campos

Y mientras en el cerro; de los bravos 33 el clarín se oía
y al mundo una patria nueva anunciaba
un tierno sollozo de mujer, a la gloria reclamaba
el amor de su gaucho, que más fiel a la patria su vida le entregó.
Cabellos negros, los ojos
azules, muy rojos
los labios tenía.
La Uruguayita Lucía,
la flor del pago ‘e Florida.
Hasta los gauchos más fieros,
eternos matreros,
más mansos se hacían.
Sus ojazos parecían
azul del cielo al mirar.

Ningún gaucho jamás
pudo alcanzar
el de Lucía.
Hasta que al pago llegó un día
un gaucho que nadie conocía.
Buen payador y buen mozo
cantó con voz lastimera.
El gaucho le pidió el corazón,
ella le dio su alma entera.

Fueron felices sus amores
jamás los sinsabores
interrumpió el idilio.
Juntas soñaron sus almitas
cual tiernas palomitas
en un rincón del nido.
Cuando se quema el horizonte
se escucha tras el monte
como un suave murmullo.
Canta la tierna y fiel pareja,
de amores son sus quejas,
suspiros de pasión.

Pero la patria lo llama,
su hijo reclama
y lo ofrece a la gloria.
Junto al clarín de Victoria
también se escucha una queja.
Es que tronchó Lavalleja
a la dulce pareja
el idilio de un día.
Hoy ya no canta Lucía,
su payador no volvió.

Eduardo Pereyra Letra: Daniel López Barreto

Traduction libre et indications

Et pendant que tu étais sur la colline ; des braves du 33 le clairon a été entendu et au monde il annonça une nouvelle patrie, un tendre sanglot d’une femme, à la gloire il a revendiqué l’amour de son gaucho, qui le plus fidèle à la patrie lui a donné sa vie.
Cheveux noirs, yeux bleus, lèvres très rouges, elle avait.
La Uruguayita Lucía, la fleur du bled (pago, coin de campagne et la population qui l’habite) Florida.
Même les gauchos les plus féroces, éternels matreros (bourrus, sauvages, qui fuient la justice), se faisaient apprivoiser.
Ses grands yeux semblaient bleus de ciel quand elle regardait.
Aucun gaucho ne put jamais atteindre le cœur de Lucia.
Jusqu’au jour où un gaucho arriva dans le coin et que personne ne connaissait.
Bon payador et bien beau, il chantait d’une voix pitoyable.
Le gaucho lui demanda le cœur, elle lui donna son âme en entier.
Leurs amours étaient heureuses, jamais les ennuis n’interrompirent l’idylle.
Ensemble, leurs petites âmes rêvaient comme de tendres colombes dans un coin du nid.
Lorsque l’horizon brûla, s’entendit derrière la montagne comme un doux murmure.
Le couple tendre et fidèle chante, leurs plaintes sont d’amour, leurs soupirs de passion.
Mais la patrie l’appelle, elle réclame son fils et lui offre la gloire.
Jointe au clairon de victoire, une plainte s’entend également.
C’est Lavalleja (voir en fin d’article) qui a coupé court à l’idylle du couple en une journée.

La version de José « Natalín » Felipetti ; Rosario Mazzeo et Arturo Juan Rodríguez n’a peut-être ou sans doute rien à voir, mais cela permet tout de même d’évoquer un autre titre faisant référence aux 33 orientales et même à Lavalleja, que je vous présenterai dans la dernière partie de l’article.

Autres versions

Je vous propose 5 versions. Trois par Di Sarli plus deux dans le style de Di Sarli

Los 33 orientales 1948-06-22 – Carlos Di Sarli.

La musique avance à petits pas fermes auxquels succèdes des envolées de violons, le tout appuyé par les accords de Di Sarli sur son piano. C’est joli dansant, du Di Sarli efficace pour le bal.

Los 33 orientales 1952-06-10 – Carlos Di Sarli.

Cette version est assez proche de celles de 1948. Le piano est un tout petit plus dissonant, dans certains accords, accentuant, le contraste en les aspects doux des violons et les sons plus martiaux du piano.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli.

Los 33 orientales 1955-07-28 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour. La musique est plus liée, les violons plus expressifs. Le contraste piano un peu dissonant par moment et les violons, plus lyriques est toujours présent. C’est peut-être ma version préférée, mais les trois conviennent parfaitement au bal.

Los 33 orientales 1960 – .

En septembre 1955, des chanteurs et musiciens quittèrent, l’orchestre de Di Sarli et fondèrent un nouvel orchestre, Los Señores Del Tango, en gros, le pluriel du surnom de Di Sarli, El Señor del tango… Comme on s’en doute, ils ne se sont pas détachés du style de leur ancien directeur. Vous pouvez l’entendre avec cet enregistrement de 1960 (deux ans après le dernier enregistrement de Di Sarli).

Los 33 orientales 2003 – (estilo Di Sarli).

Gente De Tango annonce jouer ce titre dans le style de Di Sarli. Mais on notera quand même des différences, qui ne vont pas forcément toute dans le sens de l’orchestre contemporain ? L’impression de fusion et d’organisation de la musique est bien moins réussie. Le bandonéon semble parfois un intrus. Le systématisme de certains procédés fait que le résultat est un peu monotone. N’est pas Di Sarli qui veut.

Qui sont les 33 orientales ?

Rassurés-vous, je ne vais pas vous donner leur nom et numéro de téléphone, seulement vous parler des grandes lignes.

J’ai évoqué à propos du 9 juillet, jour de l’indépendance de l’Argentine, que les Espagnols avaient été mis à la porte. Ces derniers se sont rabattus sur Montevideo et ont été délogés par les Portugais, qui souhaitaient interpréter en leur faveur le traité de Tordesillas.

Un peu d’histoire

On revient au quinzième siècle, époque des grandes découvertes, Christophe Colomb avait débarqué en 1492, en… Colombie, enfin, non, pas tout à fait. Il se croyait en Asie et a plutôt atteint Saint-Domingue et Cuba pour employer les noms actuels.

Colomb était parti en mission pour le compte de la Castille (Espagne), mais selon le traité d’Alcaçovas, signé en 1479 entre la Castille et le Portugal, la découverte serait plutôt à inclure dans le domaine de domination portugais, puisqu’au sud du parallèle des îles Canaries, ce que le roi du Portugal (Jean II) s’est empressé de remarquer et de mentionner à Colomb. Le pape est intervenu et après différents échanges, le Portugal et la Castille sont arrivés à un accord, celui de Tordesillas qui donnait à la Castille les terres situées à plus de 370 lieues à l’ouest des îles du Cap-Vert. Une lieue espagnole de l’époque valait 4180 m, ce qui fait que tout ce qui est à plus à l’ouest du méridien passant à 1546 km du Cap Vert est Espagnol, mais cela implique également, que ce qui moins loin est Portugais. La découverte de ce qui deviendra le Brésil sera donc une aubaine pour le Portugal.

À gauche, les délimitations des traités d’Alcaçovas et de Tordessillas. À droite, la même chose avec une orientation plus moderne, avec le Nord, au nord…

Je pense que vous avez suivi cette révision de vos d’histoire, je passe donc à l’étape suivante…
Les Brésiliens Portugais et les Espagnols, tout autour, cherchaient à étendre leur domination sur la plus grande partie de la Terre nouvelle. Les Portugais ont défoncé la limite du traité de Tortessillas en creusant dans la partie amazonienne du continent, mais ils convoitaient également les terres plus au Sud et qui étaient sous dominance espagnole, là où est l’Uruguay actuel. Les Espagnols, qui avaient un peu négligé cette zone, établirent Montevidéo pour mettre un frein aux prétentions portugaises.
La situation est restée ainsi jusqu’à la fin du 18e siècle, à l’intérieur de ces possessions espagnoles et portugaises, de grands propriétaires commençaient à bien prendre leurs aises. Aussi voyaient-ils d’un mauvais œil les impôts espagnols et portugais et ont donc poussé vers l’indépendance de leur zone géographique.
Les Argentins ont obtenu cela en 1816 (9 juillet), mais les Espagnols se sont retranchés dans la partie est du Pays, l’actuel Uruguay qui n’a donc pas bénéficié de cette indépendance pourtant signée pour toutes les Provinces-Unies du Rio de la Plata.
Le 12 octobre 1822, le Brésil (7 septembre) proclame son indépendance vis-à-vis du Portugal par la voix du prince Pedro de Alcântara qui se serait écrié ce jour-là, l’indépendance ou la mort ! Il est finalement mort, mais en 1934 et le brésil était « libre » depuis au moins 1825.
Dans son Histoire du Brésil, Armelle Enders, remet en cause cette déclaration du prince héritier de la couronne portugaise qui s’il déclare l’indépendance, il instaure une monarchie constitutionnelle et Pedro de Alcântara devient le premier empereur du Brésil sous le nom de Pierre Ier. Révolutionnaire, oui, mais empereur…
Donc, en Uruguay, ça ne s’est pas bien passé. Artigas qui avait fait partie des instigateurs de l’indépendance de l’Argentine a été contraint de s’exiler au Paraguay à la suite de trahisons, ainsi que des dizaines de milliers d’Uruguayens. Parmi eux, et Manuel Oribe.

Juan Antonio Lavalleja (photos de gauche) et Manuel Oribe, les meneurs des 33 orientales. Ils seront tous les deux présidents de le la république uruguayenne.

Où on en vient, enfin, aux 33 orientales

Après de terribles péripéties, notamment de Lavalleja contre les Portugais-Brésiliens qui avaient finalement délogé les Espagnols de Montevideo en 1816, il fut fait prisonnier et exilé jusqu’en 1821. L’année suivante, le Brésil obtenait son indépendance, tout au moins son début d’indépendance. Lavalleja se rallia du côté de Pierre 1er, voyant en lui une meilleure option pour obtenir l’indépendance de son pays.
En 1824, il est déclaré déserteur pour être allé à Buenos Aires. Son but était de reprendre le projet d’Artigas et d’unifier les Provinces du Rio de la Plata.
Une équipe de 33 hommes a donc fait la traversée du Rio Uruguay. Une fois sur l’autre rive, ils ont prêté serment sur la Playa de la Agraciada (ou ailleurs, il y a deux points de débarquement potentiel, mais cela ne change rien à l’affaire).

El juramento de los 33 orientales sur la plage selon le peintre Juan Manuel Blanes et l’emplacement du débarquement (dans le cercle rouge). La pyramide commémore cet événement.

Ce débarquement et ce serment, le juramento de los 33 orientales marquent le début de la guerre d’indépendance qui se prolongera dans d’autres guerres surnommées Grande et Petite. Les Britanniques furent mis dans l’affaire, mais ils pensèrent plus aux leurs, d’affaires, que d’essayer d’aider, n’est-ce pas Monsieur Canning (qui a depuis perdu la rue qui portait son nom et qui s’appelle désormais Scalabrini Ortiz) ? Le salon Canning connu de tous les danseurs de tango est justement situé dans la rue Scalabrini Ortiz (anciennement Canning).
Les Argentins, dont le président Rivadavia espérait unifier l’ancienne province orientale à l’Argentine, ils se sont donc embarqués dans la guerre, mais le coût dépassait sensiblement les ressources disponibles. Le Brésil recevait l’aide directe des Anglais, l’affaire était donc assez mal engagée pour les indépendantistes uruguayens.
Un projet de traité en 1827 fut rejeté, jugé humiliant par les Argentins et futurs Uruguayens indépendants.
La Province de Buenos Aires, dirigée par Dorrego, le Sénat et l’empereur du Brésil se mirent finalement d’accord en 1928. Juan Manuel de Rosas était également favorable au traité rendant l’Uruguay indépendant bien que Dorrego et Rosas ne faisaient pas bon ménage. L’exécution de Dorrego coïncide avec l’ascension au pouvoir de De Rosas et ce n’est pas un hasard…
L’histoire ne se termine pas là. Nos deux héros, Juan Antonio Lavalleja et Manuel Oribe qui avaient fait la traversée des 33 sont tous les deux devenus présidents de l’Uruguay et de grande guerre à petite guerre, ce sont plusieurs décennies de pagaille qui s’en suivirent. L’indépendance et la mise en place de l’Uruguay n’ont pas été simples à mettre en œuvre. Les paroles du tango de Pereyra et Barreto nous rappellent que ces années firent des victimes.
Les 33 orientales restent dans le souvenir des deux peuples voisins du Rio de la Plata. À Buenos Aires, une rue porte ce nom, elle va de l’avenue Rivadavia à l’avenue Caseros et semble se continuer par une des rues les plus courtes de Buenos Aires, puisqu’elle mesure 50 m, la rue Trole… Au nord, de l’autre côté de Rivadavia, elle prend le nom de Rawson, mais, si c’est aussi un tango, c’est aussi une autre histoire.

Alors, à demain, les amis !

Los 33 orientales. La traversée par les 33. Ne soyez pas étonné par le drapeau bleu-blanc-rouge, c’est effectivement celui des 33. Vous pouvez le voir sur le tableau de Juan Manuel Blanes.

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Alfonso Lacueva Letra:

Notre du jour est une milonga irrésistible, la milonga du souvenir . Le titre pourrait faire penser à la milonga campera, ces chansons un peu plaintives de l’univers des gauchos comme Milonga triste            que chantait Magaldi en 1930 ou même des compositions plus récentes comme celle de Piazzolla, Milonga del ángel, ou Milonga en ay menor dans un style bien sûr très différent. Mais comme vous pouvez le constater, Milonga del est un appel à se lancer sur la piste pour tous les . Ces derniers ne prêteront aucune attention à la nostalgie des paroles.

Ce manque d’attention est renforcé par le fait que Echagüe ne chante que le refrain et pas les couplets plus nostalgiques.

Extrait musical

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con .
Milonga del recuerdo. Alfonso Lacueva Letra: José Pecora. À gauche la couverture de la partition, au centre la tablature des accords et à droite, le disque. RCA Victor 38767-B. La face A était 1939-07 une version instrumentale.

Paroles

Qué daría por ser joven y vivir aquellos días
Que se fueron alejando y no pueden más volver,
Aquellos años dichosos de las fiestas transcurridas
En el patio de la casa que me viera a mí, nacer.
¿Dónde está la muchachita, esa novia que besara?
Con los labios temblorosos encendidos de pasión,
La que tanto yo quería y siempre he recordado
Porque fue el amor primero que no olvida el .

¿Dónde están los corazones
de la linda muchachada?
¿Dónde están las ilusiones
de aquel tiempo que se fue?
Mi vieja dicha perdida
Hoy estás en el olvido,
Y yo que tanto he querido
Siempre te recordaré.

Las milongas de mi barrio al gemir de bandoneones
Entre notas melodiosas de algún tango compadrón,
Las pebetas sensibleras impregnadas de ilusiones
Que reían y cantaban al influjo de un amor.
No se ve la muchachada a la luz del farolito
Comentando por las noches los idilios del lugar,
Ni se escuchan los acordes de las dulces serenatas
Que llenaban de emociones y nos hacían soñar.

Alfonso Lacueva Letra : José Pecora

Echagüe ne chante que le refrain, en gras.

libre

Que donnerais-je (on dirait plutôt en français : « que ne donnerais-je pas ») pour être jeune et vivre ces jours qui se sont éloignés et qui ne peuvent plus revenir, ces années heureuses des fêtes passées dans la cour de la maison qui m’a vu naître.
Où est la fille, cette fiancée que j’embrassais ?
Avec les lèvres tremblantes et embrasées de passion, celle que j’aimais tant et dont je me suis toujours souvenu parce que c’était le premier amour que le cœur n’oublie pas.
Où sont les cœurs de la belle bande d’amis ?
Où sont les illusions (émotions) de ce temps qui a disparu ?
Mon ancien bonheur perdu est aujourd’hui oublié, et moi qui ai tant aimé, je me souviendrai toujours de toi.
Les milongas de mon quartier au gémissement des bandonéons entre les notes mélodieuses d’un tango compagnon, les poupées sentimentales imprégnées d’illusions qui riaient et chantaient sous l’influence d’un amour.
On ne voit pas la bande des gars à la lueur du lampadaire commenter la nuit les idylles du lieu ni on n’entend les accords des douces sérénades qui nous remplissaient d’émotions et nous faisaient rêver.

Autres versions

Curieusement, ce thème n’a pas été enregistré par d’autres orchestres. La magnifique version de D’Arienzo et Echagüe reste orpheline même si certains orchestres jouent cette milonga dans les bals.

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Une version intéressante par un orchestre de chambre contemporain, le Cuarteto SolTango avec des arrangements de .

https://on.soundcloud.com/1x1ZzHQoyXKUhL3f9 Quand les musiciens classiques s’essayent à la milonga.

À demain, les amis !

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

Carlos Di Sarli Letra : (Héctor Domingo Marcolongo)

Une grande partie des titres composés par Carlos Di Sarli ont des paroles de Héctor Marcó, comme Corazón (le premier titre de leur collaboration), Porteño y bailarín, Nido gaucho, Juan Porteño, En un beso la vida, Rosamel, Bien frappé, et la merveille d’aujourd’hui, La capilla blanca, transcendée par la voix de Alberto Podestá.

Héctor Marcó écrira les paroles de ce tango à la suite d’une expérience personnelle. Carlos Di Sarli le mettra soigneusement en musique, avec le temps nécessaire pour donner sa mesure à un sujet qui parlait à sa sensibilité. Di Sarli n’était pas un compositeur de l’instant, il savait prendre son temps…

Comme vous le découvrirez à la lecture des paroles si vous ne les connaissiez pas, ce tango pourrait être l’objet d’un fait divers, comme en relatent les journalistes, journalistes auquel ce tango est dédié.

”Existe un gremio que siempre pidió para los demás, y nunca para sí mismo. …Ese gremio, es el de los periodistas. Muy justo entonces que yo lo recuerde con cariño y dedique a todos los periodistas de la Argentina, este tango”. Carlos Di Sarli.

Dédicace inscrite sur la couverture de la partition éditée par Julio Korn.

« Il existe un syndicat qui a toujours demandé pour les autres, et jamais pour lui-même… Ce syndicat c’est celui des journalistes. C’est donc très juste que je m’en souvienne avec affection et que je dédie ce tango à tous les journalistes argentins. » Carlos Di Sarli.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce titre, je vous conseille cet article de l’excellent blog Tango al Bardo.

Extrait musical

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con .

Les propositions légères des violons sont ponctuées de lourds accords du piano de Di Sarli. La tonalité passe du mode majeur au mode mineur à diverses reprises, suggérant des émotions mêlées. À 1:20 la chaleureuse voix de Podestá reprend le motif des violons. Le passage au second thème est signalé par un point d’orgue appuyé. Il déroule ensuite le début des paroles jusqu’à l’ultime note.

La capilla blanca. À gauche, édition Korn sur laquelle on peut lire la dédicace aux journalistes. Au centre et à droite, édition brésilienne de la Partition. Le chanteur est Victor Manuel Caserta. Je n’ai malheureusement pas trouvé d’interprétation enregistrée par lui. On notera qu’il est né à Buenos Aires de parents d’origine brésilienne. Il fut également poète, mais pas auteur de textes de tango, à ma connaissance.

Paroles

En la capilla blanca
de un pueblo provinciano,
muy junto a un arroyuelo de cristal,
me hincaban a rezar
tus manos…
Tus manos que encendían
mi corazón de niño.
Y al pie de un Santo Cristo,
las aguas del cariño
me dabas de (a) beber.

Feliz nos vio la luna
bajar por la montaña,
siguiendo las estrellas,
bebiendo entre tus cabras,
un ánfora de amor…
Y hoy son aves oscuras
esas tímidas campanas
que doblan a lo lejos
el toque de oración.
Tu voz murió en el río,
y en la capilla blanca,
quedó un lugar vacío
¡Vacío como el alma
de los dos…!

En la capilla blanca
de un pueblo provinciano,
muy junto a un arroyuelo de cristal,
presiento sollozar
tus labios…
Y cuando con sus duendes
la noche se despierta
al pie de Santo Cristo,
habrá una rosa muerta,
¡que ruega por los dos!

Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó

Alberto Podestá et Mario Pomar chantent seulement ce qui est en gras.

Traduction libre

Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, tes mains m’ont agenouillé pour prier…
Tes mains qui ont illuminé mon cœur d’enfant.
Et au pied d’un Saint Christ, tu m’as donné à boire les eaux de l’affection.
La lune nous a vus descendre heureux de la montagne, suivant les étoiles, buvant parmi tes chèvres, une amphore d’amour…
Et aujourd’hui, ce sont des oiseaux obscurs, ces cloches timides qui sonnent au loin l’appel à la prière.
Ta voix s’est éteinte dans la rivière, et dans la chapelle blanche, une place vide a été laissée.
Vide comme l’âme des deux… !
Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, je sens tes lèvres sangloter…
Et quand avec ses duendes (sorte de gnomes, lutins de la mythologie argentine) la nuit se réveillera au pied du Saint Christ, il y aura une rose morte,
Priez pour nous deux !

Comme vous l’aurez noté, les paroles ont une connotation religieuse marquée. C’est assez courant dans le tango, l’Argentine n’ayant pas la séparation de l’église et de l’état comme cela peut se faire en France et la religion, les religions sont beaucoup plus présentes. Par ailleurs, Di Sarli était religieux et donc ce type de traitement du sujet n’était pas pour lui déplaire.

Autres versions

La capilla blanca 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá.

C’est notre tango du jour et probablement la version de référence pour ce titre. Podesta ne chante que les premiers couplets.

La capilla blanca 1953-06-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar (Mario Corrales).

J’aime beaucoup Mario Pomar. Cette version est suffisamment différente de celle de 1944 pour avoir tout son intérêt. Son tempo est plus lent, plus majestueux. Je peux passer indifféremment, selon les circonstances, l’une ou l’autre de ces versions.

La capilla blanca 1973 – .

Comment dire. Rufino qui a fait de si belles choses avec Di Sarli aurait peut-être pu se dispenser de cet . Même pour l’écoute, je ne le trouve pas satisfaisant, mais je peux me tromper.

La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.

La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico. Podestá enregistre de nouveau son grand succès. Ici, avec l’orchestre suave et discret de Leopoldo Federico.

La capilla blanca 1986 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de . Encore Podestá.
La capilla blanca 2000c – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico.

Podestá accompagné par Federico nous propose une autre version encore plus lente.

La capilla blanca 2008 (publication 2009-09) – (Pepe) con .

Pepe Libertella, le leader du propose cette version de notre tango du jour. Adalberto Perazzo chante tous les couplets, y compris la triste fin.

La capilla blanca 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con .
La capilla blanca 2020-07-10 – Pablo Montanelli.

Dans son interprétation au piano, Pablo Montanelli fait ressortir le rythme de habanera à la main gauche.

L’illustration de couverture

Une chapelle blanche au bord d’une rivière, ça ne se trouve pas si facilement.
J’ai pensé délirer à partir de la création de Le Corbusier, .

Notre Dame du Haut à Ronchamp, architecte Le Corbusier. Le cours d’eau au premier plan est bien sûr une création de ma part…

Premier jet que je n’ai pas continué, la chapelle aussi magnifique soit elle ne me paraît pas pouvoir convenir et je ne voyais pas comment l’intégrer avec une rivière qui aurait détruit la pureté de ses lignes.

J’ai pensé ensuite à différentes petites églises vues du côté de Salta ou Jujuy, comme l’église San José de Cachi dont j’adore le graphisme épuré.

Une photo brute, avant toute intervention de la Iglesia San José de Cachi.

Cette église a également les trois cloches, comme sur la partition éditée par Julio Korn. Cependant, cela fait trop église et pas assez chapelle. Trois cloches pour une chapelle, c’est trop, même si cela a peut-être été validé par Di Sarli et Marcó comme on l’a vu sur la partition éditée par Jules Korn.
Je pense que j’aurais pu en faire un truc intéressant, type art déco ou autre stylisation.
Une autre candidate aurait pu être la chapelle mystérieuse de Rio Blanco. Elle est assez proche du Rio Rosario. Je vous la laisse découvrir en suivant ce lien…
J’ai finalement opté pour l’image que j’ai choisie. Un paysage romantique, situé quelque part dans les Andes. Pourquoi les Andes, je ne sais pas. Sans doute que c’est, car il y a mes paysages préférés d’Argentine. Et puis le texte parle de montagne, alors, autant en choisir de belles…
La montagne a été constituée à partir d’éléments pris dans les Andes, dont le merveilleux pic de El Chalten, la montagne qui fume. La chapelle est en fait un ermitage dédié à la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne). Ce n’est pas couleur locale, mais c’est la même église que José María Otero a utilisée pour son texte sur ce tango. Pour donner un effet romantique, l’eau est en pose longue et j’ai joué d’effets dans Photoshop, pour la lumière et l’aspect vaporeux. Je trouve que le résultat, avec sa rivière meurtrière et ce contre-jour dévoilant des ombres inquiétantes, exprime bien ce que je ressens à la lecture du texte de Héctor Marcó.

La capilla blanca, dans ce montage, vous reconnaîtrez El Chalten, la montagne qui fume, cet impressionnant pic de la Patagonie. La chapelle est en fait l’ermitage de la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne).

À demain, les amis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango

1908 ou 1916 Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.

Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916.
Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.

Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles.
Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.

Paroles

Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée.
Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.

On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.

Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).

Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.

Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.

Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.

Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.

Famá chante le premier couplet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra.
On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.

Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.

Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta .

Varela nous propose une introduction originale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version sans doute pas évidente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.

Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en , car ce thème le mérite largement.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – Luis Machaco.

Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.

Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.

Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.

Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.

Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.

Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – .

Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.

Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango.
En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.

Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hogar cuando partí
porque jamás quise sentir
un sollozar por mí.
Triste amanecer
que nunca más he de olvidar
hoy para qué rememorar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana divina
mi corazón siempre fiel quiso cantar
y por el mundo poder peregrinar,
infatigable vagar de soñador
marchando en pos del ideal con todo amor
hasta que al fin dejé
mi madre y el querer
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de gloria regresar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, vencido y sin fe
no hallé mi amor ni hallé mi hogar
y con dolor lloré.

Cual vagabundo cargado de pena
yo llevo en el alma la desilusión
y desde entonces así me condena
la angustia infinita de mi corazón
¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría
también se fueron desde aquel día
que con las glorias de mis triunfos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juventud!

José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert.
Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage,
infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne.
Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un conventillo mugriento y fulero,
con un canflinfero
te espiantaste vos ;
abandonaste a tus pobres viejos
que siempre te daban
consejos de Dios;
abandonaste a tus pobres hermanos,
¡tus hermanitos,
que te querían!
Abandonastes el negro laburo
donde ganabas el pan con honor.

Y te espiantaste una noche
escabullida en el coche
donde esperaba el bacán;
todo, todo el conventillo
por tu espiante ha sollozado,
mientras que vos te has mezclado
a las farras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la gloria
de tener un buen bulín;
pobre pebeta inocente
que engrupida por la farra,
te metiste con la barra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, piadoso,
un hospital te dé cama,
cuando no brille tu fama
en el salón;
cuando en el « yiro » no hagas
más « sport »;
cuando se canse el cafisio
de tu amor ;
y te espiante rechiflado
del bulín;
cuando te den el « olivo »
los que hoy tanto te aplauden
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu decadencia,
perdida tu esencia,
tu amor, tu champagne ;
sólo el recuerdo quedará en tu vida
de aquella perdida
gloria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con puras,
tus amarguras
derramarás;
y sentirás en tu noche enfermiza,
la ingrata risa
del primer bacán.

José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ;
tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ;
Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voyou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ;
Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ;
Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mientras los clarines tocan diana
y el vibrar de las campanas
repercute en los confines,
mil recuerdos a los pechos
los inflama la alegría
por la gloria de este día
que nunca se ha de olvidar.
Deja, con su música, el pampero
sobre los patrios aleros
una belleza que encanta.
Y al conjuro de sus notas
las campiñas se levantan
saludando, reverentes,
al sol de la Libertad.

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins,
mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté.
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy siento en mí
el despertar de algo feliz.
Quiero evocar aquel ayer
que me brindó placer,
pues no he de olvidar
cuando tembló mi corazón
al escuchar, con emoción,
esta feliz canción:

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

En los ranchos hay
un revivir de mocedad;
ven en su
pasión
todo el amor llegar.
Por las huellas van
llenos de fe y de ilusión,
los gauchos que oí cantar
al resplandor lunar.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco

Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.

Ajout de deux versions le 29 août 2024, une en letton et une en arabe
(Cadeau d’André Vagnon de la Bible Tango).

Extrait musical

Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉

Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.
Poema 1935-06-11 — Orquesta con Roberto Maida.

Paroles

Fue un ensueño de dulce amor,
horas de dicha y de querer.
Fue el poema de ayer,
que yo soñé de dorado color.
Vanas quimeras que el corazón
no logrará descifrar jamás.
¡Nido tan fugaz,
fue un sueño de amor,
de adoración!…

Cuando las flores de tu rosal
vuelvan más bellas a florecer,
recordarás mi querer
y has de saber
todo mi intenso mal…

De aquel poema embriagador
ya nada queda entre los dos.
¡Con mi triste adiós
sentirás la emoción
de mi dolor !…

Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco

libre

Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour.
Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée.
Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer.
Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…

Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…

De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux.
Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…

Qui est le compositeur de Poema ?

Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.

La version traditionnelle

Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.

Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Londres écrit en français de Pesenti et . Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.

Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…

Une variante :

Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.

En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema.
Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco.
En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.

La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même enregistrement de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.

On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.

Une version iconoclaste

Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire :
« Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. »
50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines.
L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel.
Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus.
Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas.
Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.

Des musiques composées par Sarbek

Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema.
Compositions :
Ce soir mon cœur est lourd 1947
Concerto de minuit, classé comme musique légère
Czardas Divertimento 1959
Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble.
El Fanfarrón 1963
El queño
Furtiva lagrima 1962
Gaucho negro
Intermezzo de tango 1952
Je n’ai plus personne
Le tango que l’on danse
Linda brunita
Manuska
Mon cœur attendra 1948
Oro de la sierra
Où es-tu mon  ?
Pourquoi je t’aime 1943
Près de toi ma Youka 1948
Rêvons ensemble 1947
Souffrir pour toi 1947
Tango d’amour
Tango maudit
Tendrement 1948

Des musiques arrangées par Sarbek

Bacanal 1961
C’est la samba d’amour 1950
Dis-moi je t’aime
Elia 1942
En forêt 1942
Gipsy fire 1958
Je suis près de vous 1943
Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire.
Meditación 1963
Nuages
One kiss
Pampa linda 1956
Puentecito 1959
Rose avril 1947
Tango marcato 1963
Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film.
Valse minuit
Vivre avec toi 1950

Sarbek pianiste

Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.

Melfi récupérateur ?

Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération.
Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin.
Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango.
Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.

Sarbek interprète de Poema

S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas.
Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres.
Je vous propose de l’écouter.

Poema – Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ?
Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de Horacio G. Pettorossi, Angustia.

Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Voici les photos des deux faces du disque.

Les numéros de matrice sont 2825-1 ACP pour Poema et 2829-1 ACP pour .

Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans.
C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.

Un argument musical

N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question.
Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ?
Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le succès international de cette œuvre pour l’enregistrer.
Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux…
J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.

Autres versions

La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.

Poema 1932 – Orquesta Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?

Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly

Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.

Poema 1933 – Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.

Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.

Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.

Poema 1933-12 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.

Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par G. Vitalis, chant Petros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).

Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.

Poema 1934 – Stefan Witas.

Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.

On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.

Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con .

Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?

Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.

Poema 1938 – Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) – Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1954c – Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).

Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.

Poema 1957 – Mario Melfi.

Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…

Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Orchestra).

Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique.
Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.

Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, .

La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.

À demain, les amis !

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la «  » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs.
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué « Tango Milonga », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tangos, Francisco García Jiménez, raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo)
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu recuerdo
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con .

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de , mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. Santeramo et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre .

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta .

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — Quinteto dir. Francisco Canaro.

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y .

Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese

en lunfardo signifie courage, mais en espagnol courant, cela peut aussi signifier gros pied. Pugliese fut un lutteur. Il lutta avec acharnement pour défendre ses idées politiques et paya le prix en effectuant de nombreux séjours en prison. Pata ancha a été enregistré par Odéon, lors d’une de ses «absences». Sur le piano, un œillet ou une rose rouge évoquaient le maître absent.

Extrait musical et de prisons

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

San pugliese étant emprisonné dans le cadre de la «  ».
Les détenus après un séjour à la Penitenciaria Nacional ont été transférés dans un bateau nommé « Paris ». C’est la raison pour laquelle Agosti a appelé son article dans les Cuadernos de Cultura (Cahiers de la Culture) Meditaciones desde el “París” Méditations depuis le Paris.
C’est le pianiste qui le remplaça, comme ce fut le cas pour d’autres enregistrements comme La novia del suburbio enregistré le même jour que Pata ancha (1957-05-13), Yunta de oro et No me hablen de ella (1957-10-25), Corazoneando et Gente amiga (1958-01-02), La bordona et Qué pinturita (1958-08-06). Il y a certainement eu d’autres enregistrements dans ce cas, Pugliese ayant fait l’objet de nombreux emprisonnements ou interdictions de jouer.

Dans le journal communiste « La Hora » du 18 décembre 1948, l’annonce de l’interdiction de trois artistes, Osvaldo Pugliese, Atahulpa Yupanqui et Ken Hamilton. C’est neuf ans avant l’enregistrement de Pata ancha, sous Peron, qui fera également emprisonner Pugliese à Devoto en 1955. Cela explique les apparitions en pointillé de Pugliese.

Il reste un petit mot à dire sur le compositeur. Il s’agit de Mario Demarco, celui qui a remplacé Jorge Caldara au bandonéon quand Caldara, sur la pression de sa femme, a quitté l’orchestre pour faire une virée au Japon. On peut comprendre les inquiétudes de sa femme vu les multiples emprisonnements du leader de l’orchestre…

Pata ancha

Hacer pata ancha (faire le gros pied), c’est résister bravement. Ce terme était utilisé en escrime créole, le combat au couteau des gauchos argentins.

Combat au facón et à la dague de gauchos. On remarque le poncho qui servait à se protéger. Le poncho est l’accessoire primordial de tout gaucho. Photo mise en scène par Frank G. Carpenter (1855-1924). Public domain (Library of Congress).

Sarmiento a fustigé cette coutume des gauchos dans son , pour marquer l’absence de « civilisation » de cette population fière, mais plutôt marginale, une critique à peine déguisée à De Rosas.
On l’appelle parfois, la esgrima criolla (escrime créole). Elle s’est développée durant la guerre d’indépendance argentine (1810).
Si vous voulez en savoir plus sur cette lutte qui est encore pratiquée, notamment dans les bandes de délinquants d’aujourd’hui, vous pouvez consulter ce site…

Les facones, ces couteaux redoutables qui peuplent les paroles de tango, mais qui étaient plutôt les attributs des gauchos.

Les facones sont des couteaux redoutables. S’ils sont évoqués dans les tangos à propos de personnages un peu fanfarons, ils étaient utilisés par les gauchos dans des combats au sang, voire parfois à mort.
Les facones du tango étaient plus souvent des couteaux courts, plus faciles à dissimuler et un adage argentin dit, « ne sors pas le couteau si tu ne comptes pas l’utiliser ».
Pugliese à sa façon a fait preuve d’un grand courage pour défendre ses idées. Il est resté ferme et a fait la pata ancha et que ce soit Osvaldo Manzi qui effectue le solo de piano à 1 : 20 n’est pas très important dans un orchestre où chaque musicien était un membre à parts égales. Contrairement à d’autres orchestres dont le chef était un tyran, dans l’orchestre de Pugliese, il s’agissait d’une gestion collective, d’une communauté, ce qui explique la fidélité de plupart de ses musiciens qui étaient d’ailleurs payés en fonction de leurs interventions, sur les mêmes bases que Pugliese lui-même, ce qui aurait été impensable pour Canaro…
Si Demarco et Caldara ont quitté l’orchestre, c’était dans les deux cas en raison de leurs femmes ; craintive pour l’avenir de son mari à cause des idées de Pugliese pour Caldara et pour raison de maladie dans le cas de Demarco, sa femme était malade et il a donc décidé de ne pas faire la tournée en Russie avec l’orchestre.

Autres versions

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

C’est notre . La yumba est particulièrement forte dans cette interprétation. Peut-être que les musiciens souhaitaient évoquer leur leader absent. On sait par ailleurs que quand Pugliese était « empêché » au dernier moment, en plus de la rose ou de l’œillet sur le piano, les musiciens marquaient fortement le rythme au pied pour que la yumba habite la représentation.
Je me force un peu pour vous proposer d’autres versions, faute d’une version avec Pugliese au piano.

Pata ancha 1997 — de Roberto Álvarez.

Cet enregistrement a été effectué au « Estudio 24 » de . Roberto Álvarez à la mort de Pugliese a repris la suite du maître. D’aucuns lui reprochent d’avoir utilisé les arrangements de Pugliese pour son orchestre, Color tango. En fait, de nombreux orchestres ont fait de même à la disparition de leur leader, comme los Solistas de D’Arienzo, le Quinteto Pirincho (Canaro) ou le Conjuncto Don Rodolfo. Écoutons donc le résultat, sans arrière-pensée.

Pata ancha 2000 — Orquesta Escuela de Tango Dir. Emilio Balcarce.

Une version aux accents de Pugliese.

Et pour terminer, Pata ancha par a écouter, voire à acheter sur BandCamp
https://tangobardo.bandcamp.com/track/pata-ancha
Une version moins proche de Pugliese.

La rose sur le clavier du piano quand San Osvaldo ne pouvait pas venir (interdiction ou prison).