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La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 y 1971 — Orquesta Florindo Sassone

Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)

Beau­coup de tan­gos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notam­ment, mais pas seule­ment. Ces titres sont adap­tés et devi­en­nent de « vrais tan­gos », mais ce n’est pas tou­jours le cas.
En France, cer­tains de tan­go appré­cient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle générale­ment cela le « tan­go alter­natif ».
Un des titres les plus con­nus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siè­cle effec­tuée par Florindo Sas­sone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tan­go reprenne un titre n’en fait pas un tan­go de danse. Cela reste donc de l’al­ter­natif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de per­las, les pêcheurs de per­les, de Bizet et Sas­sone…

Écoutes

Tout d’abord, voyons l’o­rig­i­nal com­posé par Bizet. Je vous pro­pose une ver­sion par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Rober­to Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plas­son. Cette inter­pré­ta­tion a été enreg­istrée le 9 juil­let 2009 au Bassin de Nep­tune du château de Ver­sailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Car­men, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tan­go et de la milon­ga. Vous pou­vez voir le con­cert en entier avec cette vidéo…
https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excel­lent. Pour aller directe­ment au but, je vous pro­pose ici l’ex­trait, sub­lime où Alagna va à la pêche aux per­les d’é­mo­tion en inter­pré­tant notre titre du jour.

Rober­to Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plas­son dans Les Pêcheurs de Per­les de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois enten­dre encore ».

Deux mots de l’opéra de Bizet

Les pêcheurs de per­les est le pre­mier opéra com­posé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’in­trigue est sim­pliste.
L’opéra se passe sur l’île de Cey­lan, où deux amis d’en­fance, Zur­ga et Nadir, évo­quent leur pas­sion de jeunesse pour une prêtresse de Can­di nom­mé Leïla.
Pour ne pas nuire à leur ami­tié, ils avaient renon­cé à leur amour, surtout Zur­ga, car Nadir avait secrète­ment revu Leïla.
Zur­ga était mécon­tent, mais, finale­ment, il décide de sauver les deux amants en met­tant le feu au vil­lage.
L’air célèbre qui a été repris par Sas­sone est celui de Nadir, au moment où il recon­naît la voix de Leïla. En voici les paroles :

Je crois enten­dre encore,
Caché sous les palmiers,
Sa voix ten­dre et sonore
Comme un chant de rami­er !
Ô nuit enchanter­esse !
Divin ravisse­ment !
Ô sou­venir char­mant !
Folle ivresse ! Doux rêve !
Aux clartés des étoiles,
Je crois encore la voir,
Entrou­vrir ses longs voiles
Aux vents tièdes du soir !
Ô nuit enchanter­esse !
Divin ravisse­ment !
Ô sou­venir char­mant !
Folle ivresse ! Doux rêve !

Avant de pass­er aux ver­sions de Florindo Sas­sone, une ver­sion par Alfre­do Kraus, un ténor espag­nol qui chante en Ital­ien… La scène provient du film “Gayarre” de 1959 réal­isé par Domin­go Vilado­mat Pancor­bo. Ce film est un hom­mage à un autre ténor espag­nol, mais du XIXe siè­cle, Julián Gayarre (1844–1890).
La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décem­bre 1889, Gayarre chan­ta Los pescadores de per­las mal­gré une bron­chop­neu­monie (provo­quée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts).
Lors de l’exé­cu­tion, qui fut aus­si la sienne, sa voix se cas­sa sur une note aigüe et il s’é­vanouit. Les effets con­jugués de la mal­adie et de la dépres­sion causée par son échec artis­tique l’emportèrent peu après, le 2 jan­vi­er 1890 ; il avait seule­ment 45 ans. Cette était suff­isante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent con­sacrés à sa vie, dont voici un extrait du sec­ond, “Gayarre” où Alfre­do Kraus inter­prète le rôle de Gayarre chan­tant la chan­son « je crois enten­dre encore » tiré des pêcheurs de per­les.

Alfre­do Kraus inter­prète le rôle de Gayarre chan­tant la chan­son « je crois enten­dre encore » tiré des pêcheurs de per­les dans le film Gayarre.

Sas­sone pou­vait donc con­naître cette œuvre, par les deux pre­miers films, “El Can­to del Ruiseñor” de 1932 et “Gayarre” de 1959 (le troisième, Roman­za final est de 1986) ou tout sim­ple­ment, car bizet fut un com­pos­i­teur influ­ent et que Les pêcheurs de Per­les est son deux­ième plus gros suc­cès der­rière Car­men.

J’en viens enfin aux versions de Sassone

1968-08-30 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

C’est une ver­sion “adap­tée” en tan­go. Je vous laisse juger de la dans­abil­ité. Cer­tains adorent.
Dès le début la harpe apporte une ambiance par­ti­c­ulière, peut-être l’on­doiement des vagues, que ponctue le vibra­phone. L’orchestre majestueux accom­pa­g­né par des bass­es pro­fondes qui mar­quent la marche alterne les expres­sions suaves et d’autres plus autori­taires. On est dans du Sasonne typ­ique de cette péri­ode, comme on l’a vu dans d’autres anec­dotes, comme dans Féli­cia du même Sas­sone. https://dj-byc.com/WP/felicia-1966–03-11-orquesta-florindo-sassone/
La présence d’un rythme rel­a­tive­ment réguli­er, souligné par les ban­donéons, peut inspir­er cer­tains danseurs de tan­go. Pour d’autres, cela pour­rait trop rap­pel­er le rythme réguli­er du tan­go musette et au con­traire les gên­er.

Cet aspect musette est sans doute le fait d’Oth­mar Klose et Rudi Luksch qui sont inter­venus dans l’orches­tra­tion. Luksch était accordéon­iste et Klose était un des com­pos­i­teurs d’Adal­bert Lut­ter (tan­go alle­mand).

C’est cepen­dant un titre qui peut intéress­er cer­tains danseurs de spec­ta­cle par sa vari­a­tion d’ex­pres­siv­ité.

La can­ción de los pescadores de per­las 1971 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Trois ans plus tard, Sas­sone enreg­istre une ver­sion assez dif­férente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pour­rait trou­ver des ama­teurs…
Cette ver­sion démarre plus suave­ment. La harpe est moins expres­sive et les vio­lons ont pris plus de présence. La con­tre­basse et le vio­lon­celle sont bien présents et don­nent le rythme. Cepen­dant, cette ver­sion est peut-être plus lisse et moins expres­sive. Quitte à pro­pos­er une musique orig­i­nale, je jouerai, plutôt le jeu de la pre­mière ver­sion, même si elle risque d’inciter cer­tains danseurs à dépass­er les lim­ites générale­ment admis­es en tan­go social.

Cette ver­sion est sou­vent datée de 1974, mais l’ est bien de 1971 et a été réal­isé à Buenos Aires, dans les stu­dios ION. Los Estu­dios ION qui exis­tent tou­jours ont été des pio­nniers pour les nou­veaux tal­ents et notam­ment ceux du Rock nacional à par­tir des années 60. Le fait que Sas­sone enreg­istre chez eux pour­rait être inter­prété comme une indi­ca­tion que ce titre et l’évo­lu­tion de Sas­sone s’é­taient un peu éloigné du tan­go “tra­di­tion­nel”, mais tout autant que les maisons d’édi­tions tra­di­tion­nelles s’é­taient éloignées du tan­go. Balle au cen­tre.

Com­para­i­son des ver­sions de 1968 et 1971. On voit rapi­de­ment que la ver­sion de 1968, à gauche est mar­quée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de con­traste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’as­censeur » que son aînée.

Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?

Le DJ est au ser­vice des danseurs et doit donc leur pro­pos­er des musiques qui leur don­nent envie de danser. Cepen­dant, il a égale­ment la respon­s­abil­ité de con­serv­er et faire vivre un pat­ri­moine.
Je prendrai la com­para­i­son avec un con­ser­va­teur de musée d’art pour me faire mieux com­pren­dre.
Le con­ser­va­teur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou ital­ien et un peu moins en espag­nol ou en anglais où il se nomme respec­tive­ment curador et cura­tor) est cen­sé con­serv­er les œuvres dont il a la respon­s­abil­ité. Il les étudie, il les fait restau­r­er quand elles ont des soucis, il fait des pub­li­ca­tions et des expo­si­tions pour les met­tre en valeur. Il enri­chit égale­ment les col­lec­tions de son insti­tu­tion par des acqui­si­tions ou la récep­tion de dons.
Son tra­vail con­siste prin­ci­pale­ment à faire con­naître le pat­ri­moine et à le faire vivre sans lui porter préju­dice en le préser­vant pour les généra­tions futures.
Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restau­re (pas tou­jours avec tal­ent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milon­gas.
Par­fois, cer­tains déci­dent de jouer avec le pat­ri­moine en pas­sant des dis­ques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qual­ité du son et c’est très risqué pour les dis­ques, notam­ment les 78 tours qui devi­en­nent rares et qui sont très frag­iles. Si on veut vrai­ment faire du show, il est préférable de faire press­er des dis­ques noirs et de les pass­er à la place des orig­in­aux.
Bon, à force d’en­fil­er les idées comme des per­les, j’ai per­du le fil de ma canne à pêch­er les nou­veautés. Le DJ de tan­go, comme le con­ser­va­teur de musée avec ses vis­i­teurs, a le devoir de renou­vel­er l’in­térêt des danseurs en leur pro­posant des choses nou­velles, ou pour le moins mécon­nues et intéres­santes.
Évidem­ment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trou­ver des titres orig­in­aux demande un peu de tra­vail et notam­ment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles con­di­tions.
Enfin, ce n’est pas si dif­fi­cile si on fait sauter la lim­ite qui est de rester dans le genre tan­go. C’est la brèche dans laque­lle se sont engouf­fré un très fort pour­cent­age de DJ, encour­agés par des danseurs insuff­isam­ment for­més pour se ren­dre compte de la supercherie.
C’est comme si un con­ser­va­teur de musée d’art se met­tait à affich­er unique­ment des œuvres sans inten­tion artis­tique au détri­ment des œuvres ayant une valeur artis­tique probante.
Je pense par exem­ple à ces pro­duc­tions en série que l’on trou­ve dans les mag­a­sins de sou­venir du monde entier, ces chro­mos dégouli­nants de couleurs ou ces « stat­ues » en plas­tique ou résine. Sous pré­texte que c’est facile d’abord, on pour­rait espér­er voir des vis­i­teurs aus­si nom­breux que sur les stands des bor­ds de plage des sta­tions bal­néaires pop­u­laires.
Revenons au DJ de tan­go. Le par­al­lèle est de pass­er des musiques de var­iété, des musiques appré­ciées par le plus grand monde, des pro­duits mar­ket­ing matraqués par les radios et les télévi­sions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc dev­enues famil­ières, voire con­sti­tu­tive des goûts des audi­teurs.
Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’a­vant de les faire entr­er dans le réper­toire du tan­go, il faut sérieuse­ment les étudi­er.
C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le pre­mier temps mar­qué est suff­isam­ment por­teur pour ne pas désta­bilis­er les danseurs. Bien sûr, les puristes seront out­rés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véri­ta­ble indig­na­tion.
Pour les autres rythmes, c’est moins évi­dent. Les zam­bas ou les boléros dan­sés en tan­go, c’est mal­heureuse­ment trop courant. Pareil pour les chamames, fox­trots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milon­ga. Avec ces exem­ples, je suis resté dans ce qu’on peut enten­dre dans cer­taines milon­gas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beau­coup plus loin avec des musiques n’ayant absol­u­ment aucun rap­port avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pra­tiqués.
Pour ma part, je cherche des per­les, mais je les cherche dans des enreg­istrements per­dus, oubliés, masqués par des ver­sions plus con­nues et dev­enues uniques, car peu de col­lègues font l’ef­fort de puis­er dans des ver­sions moins faciles d’ac­cès.
Vous aurez sans doute remar­qué, si vous êtes un fidèle de mes anec­dotes de tan­go, que je pro­pose de nom­breuses ver­sions. Sou­vent avec un petit com­men­taire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milon­ga cette ver­sion, ou au con­traire, pourquoi je trou­ve que c’est injuste­ment lais­sé de côté.
Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de per­les, mais son tra­vail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des par­tic­u­lar­ités du tan­go, cette cul­ture, riche en per­les.
Bon, je ren­tre dans ma coquille pour me pro­téger des réac­tions que cette anec­dote risque de provo­quer…

Ces réac­tions n’ont pas man­qué, quelques répons­es ici…

Tango ou pas tango ?

Une réac­tion de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à dévelop­per un peu ce point.

“Les pêcheurs de per­les” classés en alter­natif !!!! Wouhaaa ! Quelle bril­lan­tis­sime audace ! Sur la dans­abil­ité, je le trou­ve net­te­ment plus inter­prétable qu’un bon Gardel, pour­tant classé dans les tan­gos purs et durs, non ? En tout cas, de cet arti­cle à la phy­logéné­tique très inat­ten­due 🙂

Il est sou­vent assez dif­fi­cile de faire com­pren­dre ce qui fait la dans­abil­ité d’une musique de tan­go.
J’ai fait un petit arti­cle sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/WP/les-styles-du-tango/
Il est fort pos­si­ble qu’au­jour­d’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cepen­dant, Gardel n’a jamais été con­sid­éré comme étant des­tiné à la danse. a divers aspects et là encore, pour sim­pli­fi­er, il y a le tan­go à écouter et le tan­go à danser.
Les deux relèvent de la cul­ture Tan­go, mais si les fron­tières sem­blent floues aujour­d’hui, elles étaient par­faite­ment claires à l’époque. C’é­tait inscrit sur les dis­ques…
Gardel, pour y revenir, avait sur ses dis­ques la men­tion :
con acomp. de gui­tar­ras” ou “con la orques­ta Canaro”, par exem­ple.
Les tan­gos de danse étaient indiqués :
“Orques­ta Juan Canaro con
Dans le cas de Gardel, qui ne fai­sait pas de tan­gos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette men­tion. Cepen­dant, pour repren­dre Famá et Canaro, il y a eu aus­si des enreg­istrements des­tinés à l’é­coute et, dans ce cas, ils étaient notés :
“Ernesto Famá con acomp. de Fran­cis­co Canaro”.
Dans le cas des enreg­istrements de Sas­sone, ils sont tardifs et ces dis­tinc­tions n’é­taient plus de rigueur.
Toute­fois, le fait qu’ils aient été arrangés par des com­pos­i­teurs de musette ou de tan­go alle­mand, Oth­mar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la ver­sion de 1968, fait que ce n’est pas du tan­go argentin au sens strict, même si le tan­go musette est l’héri­ti­er des bébés tan­gos lais­sés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France.
Je con­firme donc qu’au sens strict, ces enreg­istrements de Sas­sone ne relèvent pas du réper­toire tra­di­tion­nel du tan­go et qu’ils peu­vent donc être con­sid­érés comme alter­nat­ifs, car pas accep­tés par les danseurs tra­di­tion­nels.
Bien sûr, en Europe, où la cul­ture tan­go a évolué de façon dif­férente, on pour­rait plac­er la lim­ite à un autre endroit. La ver­sion de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facile­ment assim­ilée. Celle de 1971 cepen­dant, est dans une tout autre dimen­sion et ne présente aucun intérêt pour la danse de tan­go.
On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la men­tion « Tan­go inter­na­tion­al » et que les titres sont classés en deux caté­gories :
« Tan­gos europeos et norteam­er­i­canos » et « Melo­dias japone­sas ».

Le CD de 1998 reprenant les enreg­istrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tan­go argentin.

Cette men­tion de « Tan­go inter­na­tion­al » est à met­tre en par­al­lèle avec d’autres dis­ques des­tinés à un pub­lic étranger et éti­quetés « Tan­go for export ». C’est à mon avis un élé­ment qui classe vrai­ment ce titre hors du champ du tan­go clas­sique.
Cela ne sig­ni­fie pas que c’est de la mau­vaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Cer­tains sont capa­bles de danser sur n’im­porte quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si par­ti­c­ulière qu’est le tan­go argentin.

Cela n’empêche pas de la pass­er en milon­ga, en con­nais­sance de cause et, car cela fait plaisir à cer­tains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…

Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt

Mer­ci à Rose­lyne pour cette propo­si­tion qui per­met de met­tre en avant une autre ver­sion française.

Les pêcheurs de per­les 1936 — Tino Rossi Accom­pa­g­né par l’Orchestre de Mar­cel Cariv­en. Disque Colum­bia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975‑1.

Sur la face B du disque, La berceuse de Joce­lyn. Joce­lyn est un opéra du com­pos­i­teur français Ben­jamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Ar­mand Sylvestre et Vic­tor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamar­tine. Cepen­dant, même si la voix de Tino est mer­veilleuse, ce thème n’a pas sa place en milon­ga, mal­gré ses airs de de “Petit Papa Noël”…
N’ou­blions pas que Tino Rossi a chan­té plusieurs tan­gos, dont le plus beau tan­go du monde, mais aus­si :

  • C’est à Capri
  • C’é­tait un musi­cien
  • Écris-Moi
  • Le tan­go bleu
  • Le tan­go des jours heureux
  • Tan­go de Mar­ilou

Et le mer­veilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :

Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 — Tino Rossi Accomp. Miguel et son .

Le Bag­dad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Hon­oré. Miguel Orlan­do était un ban­donéon­iste argentin, importé par Fran­cis­co Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlan­do… Le monde est petit, non ?

La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro

; () Letra : Pascual Contursi ; Enrique Pedro Maroni

J’ai présen­té, dans une autre anec­dote, de D’Arien­zo de 1951. J’ai env­i­ron 800 enreg­istrements de la cumpar­si­ta et il n’est pas ques­tion de faire une anec­dote pour cha­cune d’elles.
Je vous pro­pose aujour­d’hui d’é­couter l’ensem­ble des ver­sions de Canaro et en par­ti­c­uli­er celle qui fête ce jour son 92e anniver­saire.
Je vous invite à vous reporter à l’anec­dote sur La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo pour avoir les dif­férentes paroles et des détails sur l’his­toire de ce titre.

Extrait musical

La cumpar­si­ta 1933-02-14 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.
La joyeuse troupe des amis de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez défile sur la cou­ver­ture de droite. Ils sont cités en haut de la par­ti­tion. À droite Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez devant sa par­ti­tion chez un édi­teur de par­ti­tions. On notera que les joyeux fêtards sont rem­placés par une femme masquée. Le masque peut évo­quer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aus­si évo­quer une voi­lette de deuil, celui qu’évoque Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez dans sa ver­sion des paroles.

Les cumparsitas de Canaro

La cumpar­si­ta 1927-02-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Comme on peut s’y atten­dre avec Canaro, surtout en cette année, il s’ag­it d’une ver­sion bien avec de très beaux pas­sages. À par­tir de 27 s des petits motifs de flûte ren­dent cet plus léger. Puis, le vio­lon­celle enchaîne un très beau solo, accom­pa­g­né par les vio­lons en pizzi­cati. Le chant du vio­lon pour ter­min­er les 30 dernières sec­on­des est égale­ment sub­lime.

La cumpar­si­ta 1929-04-17 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fior­i­t­ures de la flûte sont désor­mais effec­tuées par le ban­donéon qui, à un joli solo à par­tir d’une minute. Même durant le solo de vio­lon, le ban­donéon vir­tu­ose con­tin­ue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’ar­rivée de Fed­eri­co Scor­ti­cati et Ciri­a­co Ortiz dans l’orchestre.

La cumpar­si­ta 1933-02-14 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. C’est notre .

On retrou­ve le ban­donéon vir­tu­ose de la ver­sion de 1929, avec les mêmes ban­donéon­istes et un résul­tat très, très proche.

La cumpar­si­ta (Si supieras) 1951-11-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con .

Cette ver­sion est assez tonique et bril­lante avec un tem­po bien mar­qué. On notera que les fior­i­t­ures sont aus­si exé­cutées par­tielle­ment au piano et pas seule­ment au ban­donéon et le retour de la flûte. La jolie voix, pro­fonde de Mario Alon­so apporte un final orig­i­nal, presque à la Caló…

La cumpar­si­ta (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 — Orques­ta con .

C’est une ver­sion du frère de Canaro, Juan mais je la trou­ve intéres­sante à con­naître, même si ce n’est pas une ver­sion de danse. Elle a été enreg­istrée au , pays pas­sion­né par cette musique, comme nous le ver­rons avec les enreg­istrements de Fran­cis­co. C’est une des ver­sions inté­grale­ment chan­tées (et par­lée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Con­tur­si et Maroni que vous pou­vez retrou­ver dans cette autre anec­dote.

La cumpar­si­ta 1955-01-31 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Là, les musi­ciens sem­blent pressés d’ar­riv­er à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de pré­cip­i­ta­tion. Je ne pro­poserais sans doute pas cela en bal.

La cumpar­si­ta 1959-04-29 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Avec cette ver­sion, Canaro, cor­rige le tir et l’im­pres­sion de pré­cip­i­ta­tion a dis­paru. Il y a telle­ment de ver­sions de la cumpar­si­ta que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en pre­mière tan­da, elle peut faire l’af­faire, car elle per­met de rester avec le Pir­in­cho et de met­tre des tan­gos sym­pa­thiques pour ter­min­er la tan­da. Cepen­dant, ces ver­sions me sem­blent moins sur­prenantes et rich­es que les pre­mières.

La cumpar­si­ta (en vivo) 1961-12-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Encore un enreg­istrement au Japon, avec les applaud­isse­ments à la fin. Là, Canaro s’ap­proche du style martelé de D’Arien­zo. Là encore le ban­donéon vibrant cha­touille les oreilles. Comme c’est un enreg­istrement pub­lic au théâtre Koma de Tokio, il y a une émo­tion que n’ont pas tou­jours les enreg­istrements de stu­dio.

La cumpar­si­ta 1961-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On ter­mine avec un dernier enreg­istrement au Japon, cette fois, au stu­dio Koji­machi de Tokio. Il est intéres­sant de com­par­er avec la ver­sion égale­ment enreg­istrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me sem­ble moins « habitée ». Le vio­lon est plus dis­cret et le ban­donéon un peu moins lumineux. Le rythme est mar­qué de façon un peu plus dis­crète, avec un piano plus présent. J’au­rais donc ten­dance à priv­ilégi­er la ver­sion live…

Canaro mour­ra trois ans plus tard sans enreg­istr­er d’autre com­par­si­ta, mais il est intéres­sant de voir son évo­lu­tion sur 34 années.
À bien­tôt, les amis !

La yumba 1946-08-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Pugliese

Quand on pense à Osval­do Pugliese, deux revi­en­nent for­cé­ment en mémoire. La et le con­cert au Teatro Colón du 26 décem­bre 1985. Ces deux élé­ments dis­tants de 40 ans sont intime­ment liés, nous allons voir com­ment.

Extrait musical

La yum­ba 1946-08-21 — Orques­ta Osval­do Pugliese
Par­ti­tion de La yum­ba (Osval­do Pugliese).

Naissance d’un mythe

Lorsque Pugliese a lancé La yum­ba, cela a été immé­di­ate­ment un . Mais il est intéres­sant de con­naître le par­cours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du ban­donéon quand il s’ou­vre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fan­tai­sistes. Je préfère, comme tou­jours, me rac­crocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osval­do Pugliese.

Je lui laisse la parole à Osval­do Pugliese à tra­vers une entre­vue avec Arturo Mar­cos Loz­za :

Osval­do Puglise — Al Colón — (1985)

Nosotros par­ti­mos de la eta­pa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa eta­pa. No la viví escuchán­dola, la viví prac­ticán­dola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesi­dad especí­fi­ca, tam­bién por necesi­dad inter­na, espir­i­tu­al. Y fuimos impul­san­do poco a poco una superación, una línea que cristal­izó en “La yum­ba”.

  • En esa par­ti­tu­ra, en esa inter­pretación, ust­ed apela a un rit­mo que tiene un sel­lo muy espe­cial…

Le he dado una mar­cación per­cu­si­va. Por ejem­p­lo, los norteam­er­i­canos en el jazz hacen una mar­cación dinámi­ca, mecáni­ca, reg­u­lar, mono­corde. Para mi con­cep­to, la batería no corre en el tan­go. Ya han hecho expe­ri­en­cias Canaro, Frese­do y qué sé yo cuán­tos, pero para mí la batería es un ele­men­to que gol­pea. El tan­go, en cam­bio, tiene una car­ac­terís­ti­ca proce­dente de la influ­en­cia del fol­clore pam­peano, que es el arras­tre, muy apli­ca­do por la escuela de Julio De Caro, por Di Sar­li y por nosotros tam­bién. Y viene la mar­cación que Julio De Caro acen­tuó en el primer y ter­cer tiem­po, en algunos casos con arras­tre. Y nosotros hemos hecho la com­bi­nación de las dos cosas: la mar­cación del primer tiem­po y del ter­cero, y el arras­tre per­cu­si­vo y que sacude.

  • Y esa com­bi­nación de mar­cación per­cu­si­va y de arras­tre le da al tan­go una fuerza que es inca­paz de dársela una batería.

No, no, la batería no se la puede dar, arru­ina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trom­bones. Lo úni­co que me lla­ma la aten­ción, y que en algún momen­to lo voy a incor­po­rar, como se lo dije un día al fina­do Lipesker, es el clar­inete bajo, un clar­inete que Lipesker ya toca­ba en la orques­ta de Pedro Maf­fia y que le saca­ba lin­do col­or, oscuro y sedoso. Bueno, con la flau­ta y un clar­inete bajo yo com­ple­taría una orques­ta típi­ca.

[…]

Le dimos una par­tic­u­lar­i­dad a nues­tra inter­pretación y la gente reac­ciona­ba gritán­donos “¡no se muer­an nun­ca!”, “¡viva la sin­fóni­ca!”, “¡al Colón, al Colón!”. Bueno, esas son cosas que expre­san un sen­timien­to, pero son exagera­ciones: ni somos una sin­fóni­ca, ni nada por el .

Eso sí, cuan­do tocamos, ponemos todo.

  • Ponen pólvo­ra, ponen yum­ba, hay polen­ta en la inter­pretación. ¡Cuán­tos al escuchar a la típi­ca del mae­stro, ter­mi­nan con la piel de gal­li­na por la emo­ción!

Y bueno, yo no sé. Para mí, sen­tir eso es una sat­is­fac­ción. Pero me digo a mí mis­mo: “qué­date ahí nomás, Osval­do, no te fan­far­ronees y seguí tra­ba­jan­do siem­pre con la cabeza fría”.

Arturo Mar­cos Loz­za ; Osval­do Pugliese al Colón.

Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza

Nous sommes par­tis de l’é­tape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’é­coutant, je l’ai vécue en le pra­ti­quant. Il s’en­suit qu’il devait y avoir une amélio­ra­tion, non pas parce que je me l’é­tais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spé­ci­fique, aus­si d’un besoin intérieur, spir­ituel. Et nous avons pro­gres­sive­ment pro­mu une amélio­ra­tion, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yum­ba ».

  • Dans cette par­ti­tion, dans cette inter­pré­ta­tion, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très par­ti­c­uli­er…

Je lui ai don­né une mar­que per­cus­sive. Par exem­ple, les Nord-Améri­cains dans le jazz font un mar­quage dynamique, mécanique, réguli­er, monot­o­ne. Pour mon con­cept, la bat­terie ne va pas dans le tan­go. Canaro, Frese­do et je ne sais pas com­bi­en ont déjà fait des expéri­ences, mais pour moi la bat­terie est un élé­ment qui frappe. Le tan­go, d’autre part, a une car­ac­téris­tique issue de l’in­flu­ence du folk­lore de la , qui est l’), très util­isé par l’é­cole de Julio De Caro, par Di Sar­li et par nous égale­ment. Et puis vient le mar­quage que Julio De Caro a accen­tué au pre­mier et troisième temps, dans cer­tains cas avec des arras­tres. Et nous avons fait la com­bi­nai­son des deux choses : le mar­quage du pre­mier et du troisième temps, et l’ar­ras­tre per­cus­sive et trem­blante.

  • Et cette com­bi­nai­son de mar­quage per­cus­sif et d’ar­ras­tre donne au tan­go une force qu’une bat­terie est inca­pable de lui don­ner.

Non, non, la bat­terie ne peut pas la don­ner, elle ruine. Je ne veux pas utilis­er de bat­terie, ni de pis­tons, ni de trom­bones. La seule chose qui attire mon atten­tion, et qu’à un moment don­né je vais incor­por­er, comme je l’ai dit un jour au regret­té Lipesker, c’est la clar­inette basse, une clar­inette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maf­fia et qui lui a don­né une belle couleur som­bre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clar­inette basse, je com­pléterais un orchestre typ­ique.

[…]

Nous avons don­né une par­tic­u­lar­ité à notre inter­pré­ta­tion et les gens ont réa­gi en cri­ant « ne meurs jamais ! », « Vive le sym­phonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expri­ment un sen­ti­ment, mais ce sont des exagéra­tions : nous ne sommes pas un sym­phonique, ou quelque chose comme ça.

Bien sûr, quand nous jouons, nous y met­tons tout ce qu’il faut.

  • Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yum­ba, il y a de la polen­ta (puis­sance, énergie) dans l’in­ter­pré­ta­tion. Com­bi­en en écoutant la Típi­ca du maître finis­sent par avoir la chair de poule à cause de l’é­mo­tion !

Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressen­tir cela est une sat­is­fac­tion. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osval­do, ne te vante pas et con­tin­ue de tra­vailler, tou­jours avec la tête froide. »

On voit dans cet extrait la mod­estie de Pugliese et son attache­ment à De Caro.

Autres versions

Il existe des dizaines d’en­reg­istrements de La yum­ba, mais je vous pro­pose de rester dans un cer­cle très restreint, celui d’Osval­do Pugliese lui-même.

La yum­ba 1946-08-21 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

Elle allie l’o­rig­i­nal­ité musi­cale, sans per­dre sa dans­abil­ité. Sans doute la meilleure des ver­sions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qual­ité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.

Pugliese jouant la Yumba en 1948 !

La yum­ba en 1948. Le film “Mis cin­co hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’oc­ca­sion de voir Osval­do Pugliese à l’époque du lance­ment de La yum­ba.

Extrait du film “Mis cin­co hijos” dirigé par Orestes Cav­iglia et Bernar­do Spo­lian­sky sur un scé­nario de Nathan Pinzón et Ricar­do Setaro. Il est sor­ti le 2 sep­tem­bre 1948. Ici, Osval­do Pugliese inter­prète La yum­ba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’ex­trait le suc­cès qu’il ren­con­tre “Al Colón!

La version de 1952

La yum­ba 1952-11-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion mag­nifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pour­ra la trou­ver un peu moins dansante. Cepen­dant, comme cette ver­sion est très con­nue, les arrivent en général à s’y retrou­ver.

Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).

1985-12-26, Osval­do Pugliese Al Colón. La yum­ba
Ver­sion courte (seule­ment la yum­ba)
Ver­sion longue avec la présen­ta­tion des musi­ciens. C’est celle que je vous con­seille si vous avez un peu plus de temps.

Osvaldo Pugliese avec Atilio Stampone en 1987.

1987, Une inter­pré­ta­tion de La yum­ba à deux pianos, celui de Osval­do Pugliese et celui de Atilio Stam­pone.

Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.

Le 26 juin 1989, Astor Piaz­zol­la se joint à l’orchestre de Osval­do Pugliese. Ils inter­prè­tent au Théâtre Carre d’Am­s­ter­dam (Pays-Bas), La yum­ba et Adiós non­i­no.

Dans le doc­u­men­taire « San Pugliese », un des musi­ciens témoigne que les musi­ciens étaient assez réservés sur l’in­ter­ven­tion de Astor Piaz­zol­la. Osval­do Pugliese, en revanche, con­sid­érait cela comme un hon­neur. Un grand homme, jusqu’au bout.

Pugliese au Japon

La yum­ba 1989-11 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

La yum­ba 1989-11 — Orques­ta Osval­do Pugliese. Le dernier enreg­istrement de La yum­ba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novem­bre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaud­isse­ments, vous pour­rez enten­dre une petite fan­taisie au piano par Osval­do Pugliese.

Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.

La yum­ba — À par­tir d’un pochoir mur­al dans le quarti­er de . La ronde d’in­dia, est inspirée par ma fan­taisie à l’évo­ca­tion de Yum­ba…

Pasional 1951-07-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Jorge Letra : Mario Soto

Tous les danseurs n’ap­pré­cient pas ce type de musique de Pugliese et d’autres adorent. Ce qui est sûr est que Jorge Cal­dara a une fois de plus mon­tré ses tal­ents de com­pos­i­teur et que les paroles de Mario Soto sont d’une puis­sance extrême. Il fal­lait bien ça pour le titre ambitieux de ce tan­go, Pasion­al (pas­sion­né). Je vous présen­terai en fin d’anec­dote qui a inspiré ce mer­veilleux texte d’amour.

Autour du piano de Pugliese que l’on recon­naît, au cen­tre, l’équipe de Pugliese.

De gauche à droite, Emilio Bal­car­cé (vio­loniste), Alber­to Morán (le chanteur de notre tan­go du jour), Mario Soto (locu­teur et l’au­teur des paroles du tan­go du jour), Osval­do Pugliese (pianiste et « chef »), (ban­donéon­iste), Oscar Her­rero (vio­loniste) et enfin Jorge Cal­dara (ban­donéon­iste et com­pos­i­teur du tan­go du jour).

Extrait musical

Pasion­al, Jorge Cal­dara Letra : Mario Soto.

À gauche, le disque de notre tan­go du jour. Au cen­tre la par­ti­tion éditée par Julio Korn, avec la dédi­cace au Doc­teur O. Nus­deo qui était chirurgien à l’hôpi­tal Raw­son de Buenos Aires. À droite, la cou­ver­ture de la par­ti­tion avec Osval­do Pugliese, puis celle avec Ranko Fuji­sawa, la chanteuse japon­aise qui avait incité Jorge Cal­dara à aller au Japon.

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.

Paroles

No sabrás… nun­ca sabrás
lo que es morir mil veces de ansiedad.
No podrás… nun­ca enten­der
lo que es amar y enlo­que­cer.
Tus labios que que­man… tus besos que embria­gan
y que tor­tu­ran mi razón.
Sed… que me hace arder
y que me enciende el pecho de pasión.

Estás clava­da en mí… te sien­to en el latir
abrasador de mis sienes.
Te adoro cuan­do estás… y te amo mucho más
cuan­do estás lejos de mí.

Así te quiero dulce vida de mi vida.
Así te sien­to… solo mía… siem­pre mía.

Ten­go miedo de perderte…
de pen­sar que no he de verte.
¿Por qué esa duda bru­tal?
¿Por qué me habré de san­grar
sí en cada beso te sien­to des­ma­yar?
Sin embar­go me ator­men­to
porque en la san­gre te lle­vo.
Y en cada instante… y amante
quiero tus labios besar.

¿Qué ten­drás en tu mirar
que cuan­do a mí tus ojos lev­an­tás
sien­to arder en mi inte­ri­or
una voraz lla­ma de amor?
Tus manos desa­tan… cari­cias que me atan
a tus encan­tos de mujer.
Sé que nun­ca más
podré arran­car del pecho este quer­er.

Te quiero siem­pre así… estás clava­da en mí
como una daga en la carne.
Y ardi­ente y pasion­al… tem­b­lan­do de ansiedad
quiero en tus bra­zos morir.

Jorge Cal­dara Letra: Mario Soto

libre

Tu ne sauras pas… Tu ne sauras jamais ce que c’est que de mourir mille fois d’anx­iété.
Tu ne pour­ras pas… jamais, com­pren­dre ce que c’est que d’aimer et de devenir fou.
Tes lèvres qui brû­lent… tes bais­ers qui enivrent et qui tor­turent ma rai­son.
Soif… qui me brûle et qui enflamme ma poitrine de pas­sion.
Tu es cloué en moi… Je te sens dans le bat­te­ment brûlant de mes tem­pes.
Je t’adore quand tu es là… Et je t’aime telle­ment plus quand tu es loin de moi.
Alors je t’aime, douce vie de ma vie.
Ain­si je te sens… seule­ment mienne… tou­jours mienne.
J’ai peur de te per­dre…
de penser que je ne te ver­rai pas.
Pourquoi ce doute bru­tal ?
Pourquoi devrais-je saign­er si dans chaque bais­er je te sens défail­lir ?
Cepen­dant, je me tour­mente parce que je te porte dans mon sang.
Et à chaque instant… fiévreux et aimant, je veux embrass­er tes lèvres.
Qu’as-tu dans ton regard pour que, lorsque tu lèves les yeux sur moi, je sente brûler en moi une flamme vorace d’amour ?
Tes mains délient… caress­es qui me lient à tes charmes de femme.
Je sais que jamais plus je pour­rai arracher cet amour de ma poitrine.
Je t’aime tou­jours ain­si… Tu es fichée en moi comme un poignard dans la chair.
Et ardent et pas­sion­né… trem­blant d’an­goisse, je veux dans tes bras, mourir.

Autres versions

Ce titre a eu un immense suc­cès et dès sa créa­tion en 1951, de nom­breux orchestres l’ont mis à leur réper­toire. En voici quelques exem­ples.

Des dis­ques de Pasion­al, de Calo, Pugliese 1951, De Ange­lis, Pugliese 52, Cal­dara 1966 en faux 45 tours (petite taille, mais 33 tours) et une réédi­tion du même enreg­istrement chez Music Hall, en disque LP 33 tours, où Pasion­al est le pre­mier titre de la face A.
Pasion­al 1951-05-23 — Orques­ta Miguel Caló con Juan Car­los Fab­ri.

Le plus ancien enreg­istrement. Il nous fait décou­vrir un Caló moins courant, tout d’abord par le chanteur, Juan Car­los Fab­ri, mais aus­si par l’in­ter­pré­ta­tion, une con­ces­sion mar­quée de Caló aux nou­velles ori­en­ta­tions du tan­go. Il fut sans doute sub­jugué par la com­po­si­tion de Cal­dara au point de sor­tir de sa zone de con­fort. Je me demande pourquoi il a enreg­istré avant Pugliese qui avait sous la main, l’au­teur des paroles, le com­pos­i­teur et les musi­ciens. J’imag­ine qu’il devait encore être en prison. Le prob­lème de vivre entre deux con­ti­nents est que j’ai une par­tie de ma bib­lio­thèque des deux côtés et pas la par­tie qui con­cerne les déboires poli­tiques de Pugliese de ce côté…

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán. C’est notre tan­go du jour.

Les deux auteurs, Jorge Cal­dara et Mario Soto sont de l’équipe de Pugliese. Cal­dara est ban­donéon­iste, com­pos­i­teur et arrangeur et Mario Soto est présen­ta­teur. En effet, les orchestres de l’époque se fai­saient présen­ter au pub­lic. On entend cela dans quelques enreg­istrements où cette présen­ta­tion a été con­servée. Je ne fais pas par­tie des DJ qui met­tent volon­tiers ce type de tan­go, mais si je sais qu’il y a des fans dans le salon de danse, je peux le pro­pos­er.

Pasion­al 1951-10-08 — Mario Demar­co y su Orques­ta Típi­ca con Raúl Quiroz.

Une ver­sion pour écouter au salon, de la mai­son, pas de bal. Mario Demar­co fut l’un des ban­donéon­istes de Pugliese au départ de Jorge Cal­dara. Il faut not­er qu’il a enreg­istré ce titre qua­tre ans avant d’in­té­gr­er l’orchestre de Pugliese. Il était proche de son col­lègue, Cal­dara.

Pasion­al 1951-11-03 – Orques­ta con Oscar Lar­ro­ca.

Oscar Lar­ro­ca est sans doute un excel­lent choix pour des paroles aus­si roman­tiques. Si De Ange­lis évite la guimauve qui pour­rait pro­duire ce titre, on peut penser qu’il est tombé dans l’ex­cès inverse en étant un peu trop tonique pour le thème. Cela facilit­era le tra­vail des danseurs, on ne va boud­er.

Pasion­al 1952-11-24 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.
Pasion­al 1952 – Orques­ta Típi­ca Tokio con Ranko Fuji­sawa.

On retrou­ve Pugliese et Morán, je vous laisse mesur­er l’évo­lu­tion entre les deux inter­pré­ta­tions. Jorge Cal­dara est tou­jours dans l’orchestre, mais Mario Soto était par­ti Il n’est pas éton­nant de trou­ver ce titre au réper­toire de Ranko Fuji­sawa et de l’orchestre dirigé par son mari. En effet, Ranko est celle qui a insisté très forte­ment et avec con­stance pour que Jorge Cal­dara aille au Japon. Elle appré­ci­ait beau­coup ce jeune ban­donéon­iste et com­pos­i­teur.

Pasion­al 1954-11 – Tucho Pavón con acomp. de Car­los Gar­cía.

Avec ce titre, il est dif­fi­cile de dire ce qui est de danse et pour l’é­coute, là, c’est clair, ce n’est pas pour la danse. Enfin, je crois (humour ; -)

Pasion­al 1954 – Ranko Fuji­sawa con gui­tar­ras.

Ce sec­ond enreg­istrement par Ranko prou­ve qu’elle était vrai­ment intéressée par les qual­ités musi­cales de Cal­dara.

Pasion­al 1955-11-08 – Alber­to Morán con acomp. de Orques­ta dir. Arman­do Cupo.

Troisième enreg­istrement du thème par Morán.

Pasion­al 1956-06-13 – Aida Denis.

Aida Denis donne du sen­ti­ment. C’est intéres­sant à écouter.

Pasion­al 1964 – Orques­ta Jorge Cal­dara con .

Rodol­fo Lesi­ca nous pro­pose une ver­sion expres­sive, mais qui se com­bine bien avec l’orchestre du com­pos­i­teur, Jorge Cal­dara. Pas pour la danse, mais il est intéres­sant de voir com­ment Cal­dara met en œuvre sa créa­tion.

Pasion­al 1980c –  acomp. de Orques­ta.

Une propo­si­tion plus légère, après celle de Cal­dara, on vire presque à la var­iété.

Pasion­al 2010 – Fran­cis Andreu.

Cette ver­sion sim­ple, accom­pa­g­née à la gui­tare pro­posée par l’U­ruguayenne Fran­cis Andreu, est une belle réal­i­sa­tion.

Pasion­al 2010c – Caio Rodriguez acomp. Ane­ta Pajek (ban­donéon) et Javier Tucat Moreno (piano).

Les musi­ciens du Ham­burg Tan­go Quin­tet se met­tent au ser­vice de la voix de Caio Rodriguez. Une pro­duc­tion atyp­ique, tirant vers la musique clas­sique, mais c’est égale­ment une évo­lu­tion du tan­go à pren­dre en compte.

Pasion­al 2014-10-27 — Marce­lo Boc­canera.

Une ver­sion assez poé­tique, pas prévue pour la danse, mais qui s’é­coute avec plaisir.

Pasion­al 2024-01-14 — .

Un enreg­istrement tout récent qui mon­tre que l’œu­vre con­tin­ue de sus­citer de l’in­térêt.

Naissance d’un chef-d’œuvre

Jorge Cal­dara et Mario Soto tra­vail­laient pour l’orchestre de Pugliese. Jorge Cal­dara comme ban­donéon­iste, arrangeur et com­pos­i­teur (voir mon anec­dote sur Patéti­co où je dévoile un peu son rôle de moteur d’in­no­va­tion dans l’orchestre de Pugliese) et Mario Soto comme présen­ta­teur et même un peu plus si on le croit quand il dit qu’il fai­sait égale­ment le pro­gramme de l’orchestre.
Dans l’édi­tion du 9 jan­vi­er 1994 du jour­nal HOY (aujour­d’hui) de La Pla­ta (Cap­i­tale de la Province de Buenos Aires, située au sud-est de la cap­i­tale fédérale) Mario Soto racon­te dans une inter­view au jour­nal­iste Acquaforte com­ment est né Pasion­al.
« J’ai été inspiré pour com­pos­er (c’est en fait une co-créa­tion avec Cal­dara) ce tan­go par deux sœurs petites et laides qui assis­taient à tous les bals de Pugliese dans la zone sud, dans les clubs de Quilmes, Sarandí et Domíni­co. Elles étaient timides, insignifi­antes et “repas­saient” (plan­char, c’est repass­er, mais pour les danseuses, c’est faire ban­quette, ne pas être invitées) toute la nuit.
J’ai ressen­ti quelque chose comme de la com­pas­sion et j’ai recréé silen­cieuse­ment la chan­son, basée sur ces deux petites souris trans­for­mées en une ter­ri­ble « wamp ».

Oscar Blot­ta. de l’his­toire de Pasion­al.

Dans cette illus­tra­tion, on recon­naît Mario Soto, appuyé au lam­padaire, le ban­donéon­iste lunaire, c’est bien sûr Jorge Cal­dara et les deux sœurs timides sont seules sur leur chaise. On notera l’emprunt que j’ai fait à Oscar Blot­ta pour l’il­lus­tra­tion de cou­ver­ture de cette anec­dote.

Chers amis, je vous souhaite de ne pas planch­er (faire ban­quette), lors de votre prochaine et je vous dis, à demain !

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores

Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musique)

Voilà que et plus pré­cisé­ment la valse (mais on ver­ra que ce n’est pas si sim­ple) vous prodigue des con­seils de vie. Chers amis, je vous enjoins de les suiv­re et de chanter avec Rober­to Flo­res le refrain de cette valse entraî­nante com­posée et mise en paroles par Rodol­fo Aníbal Sci­ammarel­la et inter­prété par l’orchestre chéri de mon ami Chris­t­ian, Enrique Rodriguez.

Selon Mar­i­ano Mores, Rodol­fo Sci­ammarel­la aurait com­posé une zam­ba (voir l’anec­dote du 7 avril sur la zam­ba). Comme il n’é­tait pas très doué pour écrire la musique, il a demandé à Mar­i­ano de la tran­scrire pour lui. Celui-ci a trou­vé que c’é­tait plus joli en valse et aurait donc adap­té la musique à ce rythme…

Une édi­tion de Julio Korn de en zam­ba

Extrait musical

Salud… dinero y amor 1939-07-25 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Rober­to Flo­res.

Pas de doute, notre ver­sion du jour est par­faite­ment une valse, sans trace de zam­ba. Je me demande toute­fois si la ver­sion en zam­ba n’a pas été util­isée dans d’autres occa­sions. Nous y revien­drons avec la liste des ver­sions.

Avis de recherche

Le 7 mars 1939, un film est sor­ti. Son titre était Mandi­ga en la sier­ra. Ce film a été réal­isé par Isidoro Navar­ro sur un scé­nario de Arturo Lorus­so et Rafael J. de Rosas. Ce film était basé sur la pièce de théâtre homonyme. Par­mi les acteurs, Luisa Vehil, Eduar­do San­dri­ni, Nicolás Fregues et Pedro Quar­tuc­ci, mais celui qui m’in­téresse est qui y inter­prète Salud…dinero y amor.

Luisa Vehil, Nicolás Fregues et Pedro Quar­tuc­ci dans Mandin­ga en la sier­ra (1939)

Dans ce film, en plus de Fran­cis­co Amor, il y a Myr­na Mores et sa sœur Mar­got. Depuis 1938, Mar­i­ano Mores, celui qui a couché sur la par­ti­tion l’idée musi­cale de Rodol­fo Sci­ammarel­la fai­sait un trio avec les deux sœurs Mores. En 1943, il épousera Myr­na. On voit comme ce film est assez cen­tral autour des Mores et de cette valse.
Si vous savez où trou­ver ce film, je suis pre­neur…
Vous pou­vez trou­ver sa ici : https://www.imdb.com/title/tt0316217/?ref_=nm_knf_t_1

La pièce de théâtre était jouée en 1938. Est-ce que la ver­sion chan­tée ou jouée dans la pièce était sous forme de zam­ba, je ne le sais pas. En ce qui con­cerne le film, même si je ne l’ai pas encore trou­vé, j’imag­ine que c’est en valse, car le du thème qui a été enreg­istré majori­taire­ment sous cette forme. Je vous réserve deux sur­pris­es dans les « autres ver­sions » qui pour­raient faire men­tir ou con­firmer cette .

Paroles

Tres cosas hay en la vida:
salud, dinero y amor.
El que ten­ga esas tres cosas
que le dé gra­cias a Dios.
Pues, con ellas uno vive
libre de pre­ocu­pación,
por eso quiero que apren­dan
el refrán de esta can­ción.

El que ten­ga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la plati­ta,
que no la tire, que no la tire.
Hay que guardar, eso con­viene
que aquel que guar­da, siem­pre tiene.
El que ten­ga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la plati­ta,
que no la tire, que no la tire.

Un gran amor he tenido
y tan­to en él me con­fié.
Nun­ca pen­sé que un des­cui­do
pudo hacérme­lo perder.
Con la salud y el dinero
lo mis­mo me sucedió,
por eso pido que can­ten
el refrán de esta can­ción.

Rodol­fo Aníbal Sci­ammarel­la (paroles et musiques)

Traduction libre des paroles

Il y a trois choses dans la vie :
la san­té, l’ar­gent et l’amour.
Quiconque pos­sède ces trois choses devrait remerci­er Dieu.
Eh bien, avec eux, on vit sans souci, c’est pourquoi je veux que vous appre­niez le dic­ton de cette chan­son.

Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La san­té et la mon­naie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.
Il faut garder, il con­vient que celui qui garde, tou­jours a.
Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La san­té et la mon­naie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.

J’ai eu un grand amour et j’ai telle­ment cru en lui.
Je n’ai jamais pen­sé qu’un manque d’at­ten­tion pou­vait me le faire per­dre.
La même chose m’est arrivée avec la san­té et l’ar­gent, alors je vous demande de chanter le dic­ton de cette chan­son.

Autres versions

Salud, dinero y amor 1930 — Duo Irus­ta-Fuga­zot accomp. de (Barcelona).

Je pen­sé que vous avez remar­qué plusieurs points étranges avec cette ver­sion. Le son a beau­coup d’é­cho, ce qui ne fai­sait pas à l’époque. Je pense donc que c’est une édi­tion « trafiquée ». Mon exem­plaire vient de l’édi­teur El Ban­doneón qui a édité entre 1987 et 2005 dif­férents titres dont cer­tains assez rares. Cet est sur leur CD El Tan­go en Barcelona CD 2 — (EBCD-046) de 1997. Je n’en con­nais pas d’autre. Sur la date d’en­reg­istrement de 1930, en revanche, c’est très prob­a­ble, car cela cor­re­spond à l’époque où le trio était act­if en France et Barcelone.
L’autre point étrange est qu’il s’ag­it d’une valse et pas d’une zam­ba. Si Sci­ammarel­la a « écrit » une zam­ba et que Mar­i­ano Mores l’a trans­for­mé en valse seule­ment en 1938, il y a un prob­lème. Cet enreg­istrement devrait être une zam­ba. Je pense donc que Sci­ammarel­la a fait vivre con­join­te­ment les deux ver­sions et que c’est la ver­sion valse qu’a adap­tée le tout jeune Mar­i­ano Mores. Mais on va revenir sur ce point plus loin…

Salud… dinero y amor 1939-07-25 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Rober­to Flo­res.

C’est notre valse du jour. Vos chaus­sures, si vous êtes danseur, doivent être désor­mais capa­bles de la danser seules. Le rythme est assez rapi­de et le style haché de Rodríguez fait mer­veille pour inciter à don­ner de l’én­ergie dans la danse. La voix de Flo­res, plus élé­gante de celle de Moreno, l’autre chanteur vedette de Rodríguez est agréable. L’orches­tra­tion de la fin de la valse est superbe, même si Rodríguez décide, une fois de plus, d’y plac­er un chœur, habi­tude qui peut sus­citer quelques réti­cences.

Salud, dinero y amor 1939-08-08 — Fran­cis­co Lomu­to C Jorge Omar.

Une ver­sion assez piquée et pesante. Elle est moins con­nue que la ver­sion de Rodriguez. On com­prend pourquoi, sans toute­fois qu’elle soit à met­tre au rebut. Comme chez Canaro, Lomu­to fait inter­venir une clar­inette, scorie de la vieille garde. La fin est cepen­dant assez intéres­sante, donc si un DJ la passe, cette valse ne devrait pas laiss­er une mau­vaise impres­sion.

Salud, dinero y amor 1939-09-11 — Fran­cis­co Canaro y Fran­cis­co Amor.

Sur le même rythme que Lomu­to, Canaro pro­pose une ver­sion plus légère. Les vents (instru­ments à vent) aux­quels Canaro reste fidèle don­nent la couleur par­ti­c­ulière de l’orchestre. Fran­cis­co Amor chante de façon décon­trac­tée avec un peu de gouaille.

Salud, dinero y amor 1939-09-27 — con orques­ta.

L’ac­cent mex­i­cain d’Arvizu, sur­prend, on est plus accou­tumé à l’en­ten­dre dans des boléros. L’orchestre où les gui­tares ont une présence mar­quée est un peu léger après l’é­coute des ver­sions précé­dentes. Buenos Aires lui aurait don­né le surnom de ténor à la voix de soie (El Tenor de la Voz de Seda). Je vous laisse en juger…

Salud… dinero y amor 1939-11-03 — Char­lo con gui­tar­ras (zam­ba cue­ca).

Ce titre n’est pas une valse, on recon­naît le rythme de la cue­ca à la gui­tare dans la pre­mière par­tie, puis le rythme s’a­paise et passe en zam­ba avec des roucoule­ments étranges.
Finale­ment, ce n’est pas une zam­ba, pas une cue­ca. C’est un ovni.
Le nom de zam­ba cue­ca existe et cou­vre dif­férentes var­iétés de dans­es, notam­ment du Chili.
La dis­tinc­tion de la ving­taine de var­iétés de cue­cas, le fait que la zam­ba cue­ca serait aus­si dénom­mée zam­bacue­ca, zamacue­ca ou zam­ba­clue­ca, ce dernier terme évo­querait encore plus claire­ment la poule pon­deuse, la cue­ca se référant à la parade d’oiseaux, font que pour moi, cela reste assez mys­térieux.
Le témoignage de Mario Mores, appuyé par la par­ti­tion qui men­tionne zam­ba et cette inter­pré­ta­tion de Char­lo prou­ve que Salud… dinero y amor n’est pas seule­ment une valse.

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irus­ta acc. Orques­ta de Terig Tuc­ci.

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irus­ta acc. Orques­ta de Terig Tuc­ci. On retrou­ve Irus­ta qui a enreg­istré pour Dec­ca à New York, accom­pa­g­né de l’orchestre de Terig Tuc­ci. Ce n’est pas vilain et si ce n’est pas le top de la danse, c’est plus dans­able que la ver­sion du duo de 1930.

Après la « folie » accom­pa­g­nant la sor­tie du fameux film que je n’ai pas trou­vé, l’in­térêt pour cette valse s’at­ténue. On la retrou­ve cepen­dant un peu plus tard dans quelques ver­sions que voici.

Salud… dinero y amor 1955 c — Inesi­ta Pena — La Orques­ta Martín De La Rosa y coro.

Pour un enreg­istrement des années 1950, ça fait plutôt vieil­lot. Ne comptez pas sur moi pour vous la pro­pos­er en milon­ga.

Salud… dinero y amor 1966 — Típi­ca Sakamo­to con Ikuo Abo.

On con­naît l’en­goue­ment incroy­able du pour le tan­go, la Típi­ca Sakamo­to nous en donne un exem­ple. Vous aurez facile­ment recon­nu la voix très typée de Ikuo Abo. Les chœurs sont assez élé­gants. Il me sem­ble enten­dre une par­tie de sopra­no dans le chœur tenue par une femme.

Salud… dinero y amor 1969 — Alber­to Podestá con Orques­ta Lucho Ibar­ra.

Bon, il faut bien du tan­go à écouter, aus­si. Et la voix de Podestá est tout de même une mer­veille, non ?

À demain, les amis, je vous souhaite san­té, argent et amour.

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)

Au début des années 2000, dans une en France où j’é­tais danseur, l’or­gan­isa­teur est venu me dire qu’il ne fal­lait pas frap­per du pied, que ça ne se fai­sait pas en tan­go. Il ne savait sans doute pas qu’il repro­dui­sait l’in­ter­dic­tion de Ansel­mo Tarana, un siè­cle plus tôt. Je vais donc vous racon­ter l’his­toire frap­pante de El esquina­zo.

Extrait musical

El esquina­zo — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra : Car­los Pesce ; A. Timarni (Anto­nio Poli­to). Par­ti­tion pour piano et deux cou­ver­tures, dont une avec Canaro.
El esquina­zo 1951-07-20 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro con refrán por Fran­cis­co Canaro.

Vous aurez remar­qué, dès le début, l’inci­ta­tion à frap­per du pied. On retrou­ve cette invi­ta­tion sur les par­ti­tions par la men­tion golpes (coups).

El esquina­zo — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra: Car­los Pesce ; A. Timarni (Anto­nio Poli­to). Par­ti­tion pour gui­tare (1939).

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime

Dès le début de la par­ti­tion, on voit inscrit « Golpes » (coups).

La zone en rouge, ici au début de la par­ti­tion, est la mon­tée chro­ma­tique en tri­o­lets de dou­ble-croche et en dou­ble-croche. C’est donc un pas­sage vif, d’au­tant plus que l’on remar­que des appog­gia­tures brèves.Ce sont ces petites notes bar­rées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note sup­plé­men­taire, une frac­tion de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle com­plète. Ces appog­gia­tures aug­mentent donc le nom­bre de notes et par con­séquent l’im­pres­sion de vitesse.
Après cette mon­tée rapi­de, on s’at­tend à une suite, mais Vil­lol­do nous offre une sur­prise, un silence (la zone verte), mar­qué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’ac­com­pa­g­ne­ment.
La zone bleue com­porte des signes de per­cus­sion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Ras­surez-vous, il ne s’ag­it pas d’un pont au sens com­mun, mais de la tran­si­tion entre deux par­ties d’une musique. Ici, il est donc con­sti­tué seule­ment de coups, coups que fai­saient les musi­ciens avec les talons et que bien­tôt le pub­lic imi­ta de divers­es manières.

Mar­i­ano Mores copiera cette struc­ture pour son célèbre « Taquito mil­i­tar ».
Voici la ver­sion enreg­istrée en 1997 par Mar­i­ano Mores de Taquito mil­i­tar. Cette ver­sion com­mence par le fameux motif suivi de coups.

Taquito mil­i­tar 1997 — Mar­i­ano Mores.

Cette ver­sion à l’orgue Ham­mond est un peu par­ti­c­ulière, mais vous pour­rez enten­dre toutes les ver­sions clas­siques dans l’ar­ti­cle dédié à Taquito mil­i­tar.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles

Ángel Vil­lol­do a com­posé ce tan­go avec des paroles. Même si Vil­lol­do était lui-même chanteur, c’est à Pepi­ta Avel­lane­da (Jose­fa Calat­ti) que revint l’hon­neur de les inau­gur­er. Mal­heureuse­ment, ces paroles orig­i­nales sem­blent per­dues, tout comme celles de qu’il avait « écrites » pour la même Pepi­ta.
J’émets l’hy­pothèse que les célèbres coups don­nés au planch­er au départ par les musi­ciens devaient avoir une expli­ca­tion dans les paroles. El esquina­zo, c’est pren­dre la tan­gente dans une rela­tion amoureuse, s’en­fuir, ne plus répon­dre aux ten­dress­es, pren­dre ses dis­tances, pos­er un lapin (ne pas venir à un ren­dez-vous). On peut donc sup­pos­er que les pre­mières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressen­tie par le parte­naire.
J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’é­taient pas tou­jours écrites. Elles sont donc prob­a­ble­ment restées orales et retrou­ver un témoin de l’époque est désor­mais impos­si­ble.
Cepen­dant, notre nous apporte un éclairage intéres­sant sur l’his­toire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa ver­sion, il est plutôt ques­tion de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie…
Je serai assez ten­té d’y voir un reflet des paroles orig­i­nales qui jus­ti­fieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquina­zo) pour­rait expli­quer qu’une porte reste fer­mée, l’oc­cu­pant restant sourd aux sup­pli­ca­tions de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepi­ta Avel­lane­da).

Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951

Les paroles pronon­cées par Fran­cis­co Canaro dans sa ver­sion de 1951

Canaro inter­vient qua­tre fois durant le thème pour don­ner des phras­es, un peu énig­ma­tiques, mais que j’aime à imag­in­er, tirées ou inspirées des paroles orig­i­nales de Vil­lol­do.

  1. Frappe, qu’ils vien­nent t’ou­vrir.
  2. Suis là, puisque tu l’as
  3. Ils fêtent l’esquina­zo
  4. Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors

Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directe­ment de celles de Vil­lol­do ? En l’ab­sence des paroles orig­i­nales, on ne le saura pas, alors, pas­sons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la pre­mière ver­sion.

Paroles

Nada me impor­ta de tu amor, golpeá nomás…
el corazón me dijo,
que tu amor (car­iño) fue una fal­sía,
aunque juraste y juraste que eras mía.
No llames más, no insis­tas más, yo te daré…
el libro del ,
para que guardes las flo­res del olvi­do
porque vos lo has queri­do
el esquina­zo yo te doy.

Fue por tu cul­pa que he toma­do otro camino
sin tino… Vida mía.
Jamás pen­sé que lle­garía este momen­to
que sien­to,
la más ter­ri­ble real­i­dad…
Tu ingrat­i­tud me ha hecho sufrir un des­en­can­to
si tan­to… te quería.
Mas no te creas que por esto guar­do encono
Per­dono
tu más injus­ta falsedad.

Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra: Car­los Pesce; A. Timarni (Anto­nio Poli­to)

Traduction libre et indications

Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (gol­pear, c’est don­ner un coup, mais aus­si droguer, intox­i­quer. Cer­tains y voient la jus­ti­fi­ca­tion des coups frap­pés par les musi­ciens, mais il me sem­ble que c’est un peu léger et que les paroles ini­tiales devaient être plus con­va­in­cantes et cer­taine­ment moins accept­a­bles par un pub­lic de plus en plus raf­finé. C’est peut-être aus­si une sim­ple évo­ca­tion des coups frap­pés à la porte de la ver­sion chan­tée par Canaro, ce qui pour­rait ren­forcer l’hy­pothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’o­rig­ine)…
Mon cœur me dis­ait que ton amour était un men­songe, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi.
N’ap­pelle plus, (le tan­go s’est mod­ernisé. Si à l’o­rig­ine, l’im­pé­trant venait frap­per à la porte, main­tenant, il utilise le télé­phone…) n’in­siste plus, je te don­nerai… le livre de sou­venirs, pour que tu gardes les fleurs de l’ou­bli parce que toi tu l’as, l’esquina­zo (dif­fi­cile de trou­ver un équiv­a­lent. C’est l’a­ban­don, la non-réponse aux sen­ti­ments, la fuite, le lapin dans le cas d’un ren­dez-vous…) que je te donne.
C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut sig­ni­fi­er l’ha­bileté à touch­er la cible)
Ma vie.
Je n’ai jamais pen­sé que ce moment, dont je ressens la ter­ri­ble réal­ité, arriverait…
Ton ingrat­i­tude m’a fait subir un désamour si toute­fois… Je t’aimais.
Mais, ne crois pas que, pour cette rai­son, je con­serve de l’amer­tume. Je par­donne ton men­songe le plus injuste.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.

Nous avons vu dans la pre­mière par­tie com­ment était pré­paré le frappe­ment du talon. Dans la sec­onde et avec les paroles, nous avons essayé de trou­ver un sens à ces frap­pés, à ces taquitos qui à défaut d’être mil­i­taires, sont bien ten­tants à imiter, comme nous l’al­lons voir.
Le pre­mier témoignage sur la repro­duc­tion des coups par le pub­lic est celui de  qui racon­te dans Entre cortes y que­bradas, can­dombes, milon­gas y tan­gos en su his­to­ria y comen­tar­ios. Mon­te­v­ideo, 1948 la fureur autour de El esquina­zo.
La com­po­si­tion de Vil­lol­do a été un tri­om­phe […]. L’ac­cueil du pub­lic fut tel que, soir après soir, il gran­dis­sait et le rythme dia­bolique du tan­go sus­men­tion­né com­mença à ren­dre peu à peu tout le monde fou.
Tout d’abord, et avec une cer­taine pru­dence, les clients ont accom­pa­g­né la musique de « El Esquina­zo » en tapant légère­ment avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours pas­saient et l’en­goue­ment pour le tan­go dia­bolique ne ces­sait de croître.
Les clients du
Café Tarana (voir l’ar­ti­cle sur En Lo de Lau­ra où je donne des pré­ci­sions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se con­tentaient plus d’ac­com­pa­g­n­er avec le talon et leurs mains. Les coups, en gar­dant le rythme, aug­men­tèrent peu à peu et furent rejoints par des tass­es, des ver­res, des chais­es, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arri­va une nuit, une nuit fatale, où se pro­duisit ce que le pro­prié­taire de l’étab­lisse­ment floris­sant ressen­tait depuis des jours. À l’an­nonce de l’exé­cu­tion du tan­go déjà con­sacré de
Vil­lol­do, une cer­taine ner­vosité était per­cep­ti­ble dans le pub­lic nom­breux […] l’orchestre a com­mencé la cadence de « El Esquina­zo » et tous les assis­tants ont con­tin­ué à suiv­re le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chais­es, tables, ver­res, bouteilles, talons, etc. […]. Patiem­ment, le pro­prié­taire (Ansel­mo R. Tarana) a atten­du la fin du tan­go du démon, mais le dernier accord a reçu une stand­ing ova­tion de la part du pub­lic. La répéti­tion ne se fit pas atten­dre ; et c’est ain­si qu’il a été exé­cuté un, deux, trois, cinq, sept… Finale­ment, de nom­breuses fois et à chaque inter­pré­ta­tion, une salve d’ap­plaud­isse­ments ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inou­bli­able a coûté au pro­prié­taire plusieurs cen­taines de pesos, irré­cou­vrables. Mais le prob­lème le plus grave […] n’é­tait pas ce qui s’é­tait passé, mais ce qui allait con­tin­uer à se pro­duire dans les nuits suiv­antes.
Après mûre réflex­ion, le mal­heureux « 
Pagani­ni » des « assi­ettes brisées » prit une réso­lu­tion héroïque. Le lende­main, les clients du café Tarana ont eu la désagréable sur­prise de lire une pan­car­te qui, près de l’orchestre, dis­ait : « Est stricte­ment inter­dite l’exé­cu­tion du tan­go el esquina­zo ; La pru­dence est de mise à cet égard. »

Ce tan­go fut donc inter­dit dans cet étab­lisse­ment, mais bien sûr, il a con­tin­ué sa car­rière, comme le prou­ve le témoignage suiv­ant.

Témoignage de Francisco García Jiménez, vers 1921

La orques­ta arrancó con el tan­go El esquina­zo, de Vil­lol­do, que tiene en su desar­rol­lo esos golpes reg­u­la­dos que los bailar­ines de antes mar­ca­ban a tacón limpio. En este caso, el con­jun­to de La Palo­ma hacía lo mis­mo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las vie­jas tablas deja­ban caer una nube de tier­ra sobre la máquina del café express, la caja reg­istrado­ra y el patrón. Este ech­a­ba denuestos; los de arri­ba seguían muy serios su tan­go ; y los par­ro­quianos del cafetín se rego­ci­ja­ban.

Témoignage de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez

L’orchestre a com­mencé avec le tan­go El esquina­zo, de Vil­lol­do, qui a dans son développe­ment ces rythmes réglés que les danseurs d’an­tan mar­quaient d’un talon clair.
Dans ce cas, le con­jun­to La Palo­ma a fait de même sur le sol de la tri­bune des musi­ciens, avec une telle force que les vieilles planch­es ont lais­sé tomber un nuage de saleté sur la machine à expres­so, la caisse enreg­istreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suiv­aient leur tan­go très sérieuse­ment, et les clients du café se réjouis­saient.
On con­state qu’en 1921, l’usage de frap­per du pied chez les danseurs était moin­dre, voire absent. Cet argu­ment peut venir du fait que l’in­ter­dit de Tarana a été effi­cace sur les danseurs, mais j’imag­ine tout autant que les paroles et l’in­ter­pré­ta­tion orig­inelle étaient plus prop­ices à ces débor­de­ments.
L’idée des coups frap­pés à une porte, comme les coups du des­tin dans la 5e sym­phonie de Lud­wig Van Beethoven, ou ceux de la stat­ue du com­man­deur dans Don Gio­van­ni de Wolf­gang Amadeus Mozart, me plaît bien…

Autres versions

El esquina­zo 1910-03 05 — Estu­di­anti­na Cen­te­nario dirige par Vicente Abad.

Cette ver­sion anci­enne est plutôt un tan­go qu’une milon­ga, comme il le devien­dra par la suite. On entend les coups frap­pés et la man­do­line. On note un petit ralen­tisse­ment avant les frap­pés, ralen­tisse­ment que l’on retrou­vera ampli­fié dans la ver­sion de 1961 de Canaro.

El esquina­zo 1913 — Moulin Rouge Orch­ester Berlin — Dir. Fer­di­nand Litschauer.

Encore une ver­sion anci­enne, enreg­istrée à Berlin (Alle­magne) en 1913, preuve que le tan­go était dès cette époque totale­ment inter­na­tion­al. Les frap­pés sont rem­placés par de frêles per­cus­sions, mais on notera le gong au début…

Le disque de El esquina­zo par l’orchestre du Moulin Rouge (alle­mand, mal­gré ce que pour­rait faire penser son nom) et la ver­sion Russe du disque… On notera que les indi­ca­tions sont en anglais, russe et français. La Inter­na­tion­al Talk­ing Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fal­lait une de plus, cette preuve témoigne de la mon­di­al­i­sa­tion du tan­go à une date pré­coce (1913).
El esquina­zo 1938-01-04 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Est-il néces­saire de présen­ter la ver­sion de D’Arien­zo, prob­a­ble­ment pas, car vous l’avez déjà enten­du des mil­liers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laiss­er enten­dre les frap­pés. Même Bia­gi renonce à ses habituelles fior­i­t­ures au moment des coups. En résumé, c’est une exé­cu­tion par­faite et une des milon­gas les plus réjouis­santes du réper­toire. On notera les courts pas­sages de vio­lons en lega­to qui con­trastent avec le stac­ca­to général de tous les instru­ments.

El esquina­zo 1939-03-31 — Rober­to Fir­po y su .

Rober­to Fir­po au piano démarre la mon­tée chro­ma­tique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’oc­tave com­mune. Cela crée une petite impres­sion de sur­prise chez les danseurs qui con­nais­sent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pour­ra décon­te­nancer les danseurs débu­tants, mais de toute façon, cette ver­sion est assez dif­fi­cile à danser, mais elle ravi­ra les bons danseurs, car elle est prob­a­ble­ment la plus joueuse.

El esquina­zo 1951-07-20 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro con refrán por Fran­cis­co Canaro.

C’est notre tan­go du jour. Fran­cis­co Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette ver­sion est de vitesse mod­érée, entre canyengue et milon­ga. Elle sera plus adap­tée aux danseurs mod­estes.

El esquina­zo 1958 — .

Avec clar­inette et gui­tare en vedette, cette ver­sion est très dynamique et sym­pa­thique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres ver­sions pour cela…

El esquina­zo 1960 — Orques­ta Car­los Figari con Enrique Dumas.

Une ver­sion en chan­son qui perd le car­ac­tère joueur de la milon­ga, même si quelques coups de claves rap­pel­lent les frap­pés fameux. En revanche, cette chan­son nous présente les paroles de Car­los Pesce et A. Timarni. J’aime beau­coup, même si ce n’est pas à pro­pos­er aux danseurs.

El esquina­zo 1961-12-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).

El esquina­zo 1961-12-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette ver­sion très joueuse com­mence par la célèbre invite à frap­per du pied, répétée trois fois. Les deux pre­mières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beau­coup plus longue, ce qui provoque un effet irré­sistible. C’est un exem­ple, bien que tardif de com­ment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons per­dus à cause des ver­sions figées par le disque. Bien sûr, il s’ag­it ici d’un con­cert, mais un DJ taquin pour­rait pro­pos­er cette ver­sion à danser, notam­ment à cause des paus­es et de l’ac­céléra­tion finale qui peu­vent sur­pren­dre (aus­si dans le bon sens du terme), les danseurs.

El esquina­zo 1962 — .

Une ver­sion à la lim­ite de l’ex­cès de vitesse, même sur autoroute. Je trou­ve cela très sym­pa, mais j’y réfléchi­rai à deux fois avant de dif­fuser en milon­ga…

El esquina­zo 1970 — Cuar­te­to Juan Cam­bareri.

Je pense que vous avez repéré Juan Cam­bareri, ce ban­donéon­iste vir­tu­ose qui après une car­rière dans dif­férents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuar­te­to com­posé de :

Juan Riz­zo au piano, Juan Gan­dol­fo et Felipe Escomabache aux vio­lons et Juan Cam­bareri au ban­donéon. Cet enreg­istrement date de cette péri­ode. Comme à son habi­tude, il imprime une cadence d’en­fer que les doigts vir­tu­os­es des qua­tre musi­ciens peu­vent jouer, mais qui posera des prob­lèmes à un grand nom­bre de danseurs.

El esquina­zo 1974 — .

Le début sem­ble s’in­spir­er de la ver­sion de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est claire­ment une ver­sion de con­cert qui a bien sa place dans un fau­teuil d’orchestre, mais qui vous don­nera des sueurs froides sur la piste de danse.

El esquina­zo 1976 — Di Mat­teo y su trio.

La ver­sion pro­posée par le trio Di Mat­teo ne ras­sur­era pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserv­er donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis et ici, c’est l’hiv­er et cette année, il est par­ti­c­ulière­ment froid…).

El esquina­zo 1983 — Orques­ta José Bas­so.

Une assez belle ver­sion, orches­trale. Pour la milon­ga, on peut éventuelle­ment lui reprocher un peu de mor­dant en com­para­i­son de la ver­sion de D’Arien­zo. On notera égale­ment que quelques frap­pés sont joués au piano et non en per­cus­sion.

El esquina­zo 1991 — Los Tubatan­go.

Comme tou­jours, cet orchestre sym­pa­thique se pro­pose de retrou­ver les sen­sa­tions du début du vingtième siè­cle. Out­re le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux con­tre­points de la flûte et du ban­donéon qui dis­cu­tent ensem­ble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…

El esquina­zo 2002 — Armenonville.

Une intro­duc­tion presque comme une musique de la renais­sance, puis la con­tre­basse lance la mon­tée chro­ma­tique, des coups don­nés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sym­pa­thique, mais pas assez struc­turée pour la danse. Une accéléra­tion, puis un ralen­tisse­ment et l’estri­bil­lo est chan­té en guise de con­clu­sion.

El esquina­zo 2007 — Este­ban Mor­ga­do Cuar­te­to.

Une ver­sion légère et rapi­de pour ter­min­er tran­quille­ment cette anec­dote du jour.

À demain, les amis !

Une autre façon de cass­er la vais­selle…

Patético 1948-04-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Jorge Caldara

Pour bien com­pren­dre pourquoi cette ver­sion de Patéti­co inter­prétée par est géniale, il faut la com­par­er aux deux autres enreg­istrements con­tem­po­rains, par Ani­bal Troi­lo et Juan Deam­brog­gio « Bachicha »… Mais surtout, il faut nous intéress­er à son com­pos­i­teur, Jorge Cal­dara, un génie mort trop jeune. Pugliese a enreg­istré Patéti­co il y a jour pour jour 76 ans.

Extrait musical

Patéti­co 1948-04-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese

Je vous laisse écouter cette mer­veilleuse ver­sion, sans com­men­taire. Vous les trou­verez cepen­dant ci-dessous, en com­para­i­son avec deux autres ver­sions con­tem­po­raines.

Autres versions

Il me sem­ble intéres­sant de com­par­er les trois ver­sions enreg­istrées à quelques mois d’in­ter­valle. Je com­mence par du jour, celle de Pugliese, puis une ver­sion de Bachicha mal datée, mais prob­a­ble­ment légère­ment postérieure à celle de Pugliese dans la mesure où Jorge Cal­adara était ban­donéon­iste dans l’orchestre d’Os­val­do à ce moment.
La troisième ver­sion est celle de Troi­lo, enreg­istrée presque un an après celle de Pugliese.

Je vous invite à remar­quer comme la ver­sion de Pugliese est dif­férente dès les pre­mières sec­on­des.

Patéti­co 1948-04-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese
Patéti­co 1948 — Orques­ta Juan Deam­brog­gio « Bachicha »
Patéti­co 1949-03-30 — Orques­ta

Intéres­sons-nous main­tenant à la vision d’ensem­ble des trois inter­pré­ta­tions.

La par­tie verte représente le vol­ume de la musique.
La par­tie à dom­i­nante rouge représente la hau­teur du son. En bas (en jaune), ce sont les bass­es et en haut, les aigus.
On se rend compte à l’or­eille et à l’œil que la ver­sion de Pugliese est un peu plus sourde (moins d’ai­gus que celle de Troi­lo. Celle de Bachicha a des aigus, mais ce sont prin­ci­pale­ment les bruits du disque…
Cela étant dit, il con­vient de remar­quer la struc­ture très dif­férente des trois morceaux. Celui de Pugliese présente des par­ties for­tis­si­mo et des par­ties piano. Vous remar­querez par exem­ple la par­tie où est le curseur (ligne rouge ver­ti­cale et fine) qui cor­re­spond à une par­tie pianis­si­mo (bas niveau sonore).
Dans la ver­sion de Troi­lo, les alter­nances de for­tis­si­mi et piani sont plus fréquentes et moins mar­quées.
La ver­sion de Bachicha est plus homogène. On peut imag­in­er que la musique sera un peu moins expres­sive que dans les deux autres ver­sions.
Sur les bass­es (par­tie inférieure en jaune), Pugliese les mar­que notam­ment avec ses cordes (con­tre­basse, par exem­ple).
Troi­lo les réalise avec les cordes, mais aus­si avec le piano. Les instru­ments per­cu­tant en même temps.
1 : 05 Pugliese ne met pas le long trait de vio­lon qui était si orig­i­nal au début. Au con­traire, c’est presque silen­cieux, ce qui crée un manque, un appel, une inter­ro­ga­tion chez l’au­di­teur. Pour le danseur qui n’avait pas pu danser le pre­mier, car tout au début, c’est une frus­tra­tion pos­si­ble. Il s’at­tendait à faire un truc « super » sur ce motif…Puisqu’on par­le de cette par­tie, Bachicha, que ce soit au début ou au milieu (1 : 08) rem­plit le vide par un motif ascen­dant au piano. Ce n’est pas une inven­tion de sa part, il est écrit ans la par­ti­tion de Cal­dara. Pugliese a pour sa part, décidé de le sup­primer totale­ment (lui qui est pour­tant pianiste).Quant à Troi­lo, il pro­pose au con­traire un motif de piano descen­dant et une petite fior­i­t­ure au piano pour com­penser, mais seule­ment dans la par­tie du milieu, vers 1 : 15.
Je vous laisse écouter les dif­férences.
Pour véri­fi­er que vous suiv­ez bien le moment sur l’au­dio­gramme, voici un petit jeu. Écoutez le morceau en suiv­ant de gauche à droite la zone verte. Si vous arrivez à vous repér­er pour être en phase avec les vari­a­tions de vol­ume, c’est très bien. A min­i­ma, essayez de ter­min­er votre lec­ture visuelle en même temps que la musique.

Pour ter­min­er cette courte étude des inter­pré­ta­tions, allons à la fin du morceau. Écoutez la fin de Bachicha. Il déroule tran­quille­ment la par­ti­tion, sans créer d’ef­fet de sur­prise. Les deux accords fin­aux (dom­i­nante et tonique) sont joués avec qua­si­ment le même vol­ume. Un véri­ta­ble « tsoin tsoin » final. J’ai une anec­dote à ce sujet, mais je vous la con­terai une autre fois. Main­tenant, bon, OK. J’é­tais habitué à dire « tsoin tsoin » à la fin des morceaux. Ce tsoin-tsoin était cou­vert par les applaud­isse­ments. Cepen­dant, un jour, nous avons inter­prété un choral de Bach durant une messe. Le prob­lème est que dans ce type d’en­droit, les gens n’ap­plaud­is­sent pas et que mon tsoin-tsoin a réson­né dans toute l’église. Vais-je dire que j’ai encore honte, tant d’an­nées après. Peut-être, mais en tous cas, cela a exac­er­bé ma sen­si­bil­ité sur les fins de morceaux et les orchestres de tan­go sont un régal pour cela, cha­cun cher­chant à don­ner sa sig­na­ture.
Revenons à nos mou­tons, ou plutôt à Troi­lo et Pugliese afin d’é­couter leurs sig­na­tures.
Troi­lo reprend le motif du départ (qui n’est pas dans la par­ti­tion orig­i­nale) et ter­mine avec un glis­san­do énorme du piano pour lancer finale­ment les deux accords fin­aux, dom­i­nante for­tis­si­mo et le dernier plus faible. C’est une fin superbe, il faut en con­venir.
La fin pro­posée par Pugliese. Le rap­pel du motif ini­tial est presque absent, si ce n’est quelques « coups » de vol­ume de tous les instru­ments avec une fin qui s’estompe, comme un rêve qui se ter­mine. Le pathé­tique devenu insignifi­ant après s’être tant gon­flé dis­paraît d’une pich­enette et retombe sur l’ac­cord final comme une bau­druche dégon­flée.

Jorge Caldara (17 septembre 1924 — 24 août 1967)

Le com­pos­i­teur du tan­go du jour est un jeune prodi­ge. Tout gosse, il voulait devenir pianiste, mais son père un tanguero un peu pin­gre rabat­tit ses ambi­tions au ban­donéon.
Cela ne découragea pas Jorge qui com­mença à jouer dans des orchestres à l’âge de 14 ans et à 15 ans, il créa son pro­pre orchestre, la Orques­ta Juve­nil . (l’orchestre de jeunes de Buenos Aires) qui joua en alter­nance avec l’orchestre d’Ani­bal Troi­lo les mardis au Café Ger­mi­nal (Aveni­da Cor­ri­entes au 942, au côté du Café Nacional, aujour­d’hui théâtre Nacional San­cor Seguros). C’é­tait un lieu pres­tigieux, voisin du café Nacional avec qui il tra­vail­lait en dou­blette et en face des 36 Bil­lares. De toute façon, chaque mètre de l’av­enue Cor­ri­entes dans ces envi­rons a des sou­venirs de tan­go. Donc, avoir son orchestre à 15 ans et jouer dans la cour des grands, cela prou­ve le tal­ent du bon­homme.
Évidem­ment, il a été remar­qué et Alber­to Pugliese l’a fait entr­er dans son orchestre comme bandéon­iste, jusqu’en 1944, date où il a dû effectuer son ser­vice mil­i­taire.
À la fin de son ser­vice, il intè­gre l’orchestre du petit frère d’Al­ber­to, Osval­do Pugliese.
Cal­dara pren­dra une place impor­tante dans l’orchestre de Pugliese, toutes pro­por­tions gardées, comme Bia­gi avec D’Arien­zo, grâce à son ban­donéon énergique qui mar­quait la cadence tout en dévelop­pant la mélodie. Cal­dara était sen­si­ble à un tan­go mod­erne, notam­ment à celui d’Eduar­do Rovi­ra et je pense que cela l’a influ­encé pour ses créa­tions à l’époque de Pugliese, celui-ci pour­tant nova­teur, n’a pris la dimen­sion de Rovi­ra que bien plus tard, notam­ment avec sa mag­nifique ver­sion de A Evaris­to Car­riego qu’il n’a enreg­istré qu’en 1969… Je pense même que Troi­lo auquel Cal­dara était égale­ment sen­si­ble avait de l’a­vance dans ce domaine par rap­port à Pugliese, notam­ment sur l’u­til­i­sa­tion des chanteurs.
J’ai une théorie per­son­nelle sur la ques­tion, mais je pense que la Yum­ba doit un peu à la façon de jouer de Cal­dara, même si Pugliese affirme qu’il l’a choisi, car il pou­vait s’in­té­gr­er par­mi sa ligne de ban­donéon­istes déjà en place.

Osval­do recon­nut égale­ment ses tal­ents de com­pos­i­teurs, car il lui doit plusieurs de ses suc­cès comme Patéti­co 1948, notre tan­go du jour, Pas­toral 1950, Pasion­al 1951 (avec Alber­to Morán) et Por pecado­ra 1952 (avec Alber­to Morán).
Le jeune Jorge Cal­adra vouait une dévo­tion à son nou­veau chef d’orchestre et lui dédi­cac­era un tan­go Pugliese­an­do, qui est une mer­veille et que je vous pro­pose d’é­couter tout de suite :

Puglieseando

Pugliese­an­do 1958-08-13 — Jorge Cal­dara

Le début rap­pelle Ríe, paya­so de , notam­ment la ver­sion de D’Arien­zo avec Bus­tos de 1959 qui pos­sède un tem­po proche, a con­trario de celle de 1940 (avec Car­los Casares) qui a un tem­po beau­coup plus rapi­de. Jorge con­nais­sait ce titre, car il l’a enreg­istré.
0 : 17 La Yum­ba chère à Pugliese appa­raît.
0 : 50 remar­quez son ban­donéon sen­si­ble et expres­sif qui lui per­met de mar­quer le con­traste avec les pas­sages plus énergiques. Cal­dara était ban­donéon­iste.
Comme chez l’ob­jet de son hom­mage, les par­ties avec un tem­po mar­qué alter­nent avec les par­ties glis­sées et suaves, notam­ment dess­inées par les vio­lons, le piano et les ban­donéons plus stac­catos con­trastent, jusqu’à ce que à…
2 : 30 les répons­es se fassent de plus en plus rap­prochés, les change­ments de tonal­ité, font grimper la ten­sion qui s’a­paise dans une coda plus lente et un gros accord sur la dom­i­nante, suivi par un léger rebond sur la tonique, dans un style com­plète­ment pugliesien.

Pasional

Si je vous dis que c’est aus­si Jorge Cal­dara qui a com­posé Pasion­al, un des plus gros suc­cès de Pugliese, vous avez pris la dimen­sion de ce musi­cien. Voici sa ver­sion enreg­istrée avec l’im­mense chanteur sur des paroles de Mario Soto.

Pasion­al 1964 — Jorge Cal­dara — Rodol­fo Lesi­ca, sa com­po­si­tion qu’a ren­du célèbre Osval­do Pugliese, mais ici par son com­pos­i­teur et chan­tée par le grand Lesi­ca.

Il a donc com­mencé très jeune, mais il est mort après moins de 30 ans de car­rière et surtout, ses pre­miers enreg­istrements comme chef d’orchestre ne datent que de la fin des années 50, péri­ode où le rock­’n’roll et autres fan­taisies avaient pris le pas sur le tan­go.

Principales compositions de Jorge Caldara

Ses tangos instrumentaux

  • Bam­ba, dédi­cacé à sa fille,
  • Con T de Troi­lo,
  • Cuan­do habla el ban­doneón, en col­lab­o­ra­tion avec Luis Sta­zo,
  • Mi ban­doneón y yo (Crec­i­mos jun­tos),
  • Papili­no, dédi­cacé à son fils,
  • Pas­toral,
  • Patéti­co,
  • Patri­ar­ca,
  • Pugliese­an­do,
  • Sen­ti­do en col­lab­o­ra­tion avec Daniel Lomu­to,
  • Tan­go 05, dédi­cacé à la Fuerza Aérea Argenti­na (armée de l’air argen­tine)

Ses tangos chantés

  • Pasion­al, avec des paroles de Mario Soto
  • Por pecado­ra, avec des paroles de Mario Soto
  • Mucha­chi­ta de bar­rio, avec des paroles de Mario Soto
  • Pro­fun­da­mente, avec des paroles de Mario Soto
  • Pater­nal, avec des paroles de Nor­ber­to Samon­ta
  • No ves que nos quer­e­mos, avec des paroles de Abel Aznar
  • Estés donde estés, avec des paroles de Martínez
  • Gor­rión de bar­rio, son pre­mier tan­go (il était lui-même très jeune et donc comme un petit moineau de quarti­er).
  • Solo Dios vos y yo, dédi­cacé à son épouse, avec des paroles de Rodol­fo Aiel­lo

Jorge Caldara et ses orchestres

On a vu qu’il a fondé son pre­mier orchestre à quinze ans avant d’in­té­gr­er dif­férents grands orchestres dont pour finir celui d’Os­val­do Pugliese, mais son par­cours ne s’ar­rête pas là, il reprend à plusieurs mil­liers de kilo­mètres de Buenos Aires, au
Jorge Cal­dara a en effet passé un an au Japon. La fameuse chanteuse Ranko Fuji­sawa l’ayant enten­du jouer dans l’orchestre d’Osval­do Pugliese à Buenos Aires, l’a invité à venir créer son pro­pre orchestre au Japon.
Fidèle à son directeur, il n’a pas relevé l’in­vi­ta­tion, mais un peu plus tard, Ranko est rev­enue à la charge et Jorge déci­da de quit­ter l’orchestre d’Os­val­do à la fin de 1954 et a démé­nagé avec sa famille.
Il y est resté un an et y a gravé ses pre­miers dis­ques avec un orchestre com­posé avec des musi­ciens japon­ais qu’il avait recrutés, mais aus­si avec ceux de la Típi­ca Tokio dirigée par le mari de Ranko…
Il fut donc l’un des tout pre­miers, après Juan Canaro, à faire le saut vers le Japon. J’y vois encore une preuve de la qual­ité de cet artiste.
Par­mi les titres gravés au Japon, je vous pro­pose Recuer­do de Buenos Aires enreg­istré en 1955 et chan­té par… vous aurez dev­iné, Ranko Fuji­sawa.

Recuer­do de Buenos Aires 1955 — orques­ta de Jorge Cal­dara con Ranko Fuji­sawa

De retour à Buenos Aires, il monte un orchestre.

Par­mi les titres enreg­istrés avec cet orchestre, je vous pro­pose main­tenant deux curiosités, mais le plus intéres­sant sera pour la fin de cet arti­cle…

La Pena de James Dean 1958-11-13 — Jorge Cal­dara Con Miguel Mar­ti­no. Une chan­son com­posée par Enrique Juan Munné avec des paroles de Lina Fer­ro de Bahr) par­lant de James Dean, cet acteur mort en 1955 à l’âge de 24 ans dans un acci­dent de voiture.
La fulana (milon­ga) 1957-07-29 — Jorge Cal­dara Con Car­los Mon­tal­vo avec des paroles et la musique de Alber­to Mas­tra et Luis Rafael Caru­so.

En par­al­lèle, Jorge joue dans un cuar­te­to. Cette dimen­sion d’orchestre s’adapte mieux à cette époque où le tan­go est en perte de vitesse.

La tabla­da 1960-01-29 Estrel­las de Buenos Aires

Un exem­ple de ce que donne ce cuar­te­to nom­mé Las estrel­las de Buenos Aires (les Étoiles de Buenos Aires). Dans ce titre, on entend bien séparé­ment les qua­tre instru­ments. Vous pou­vez donc repér­er par ordre d’ap­pari­tion : le ban­donéon de Jorge, le piano d’Ar­man­do Cupo et le vio­lon d’Hugo Bar­alis puis la con­tre­basse de Kicho Díaz. Vous remar­querez que la ver­sion pro­posée par ce cuar­te­to est bien orig­i­nale et qu’elle valait le coup de lire jusqu’i­ci.

Et une dernière surprise, un de ses derniers enregistrements

Mais ce n’est pas fini, je reviens à l’orchestre avec qui il a con­tin­ué d’en­reg­istr­er dans les années 60 avec un titre incroy­able. C’est une des com­po­si­tions les plus célèbres d’Os­val­do Pugliese, ici dans une ver­sion fort éton­nante que nous pro­pose Jorge Cal­dara et son orchestre.

La Yum­ba 1964 — Jorge Cal­dara — La Yum­ba 1964 — Jorge Cal­dara.

On voit bien que c’est Cal­dara qui pous­sait Pugliese, plutôt que l’in­verse, non ?

On ne peut que regret­ter que ce tal­entueux musi­cien soit mort jeune, sa car­rière com­mencée à 14 ans n’a pas duré 30 ans (26 ans). Les trois/quatre dernières années de sa vie furent per­dues à cause du can­cer qui l’emporta. Ses enreg­istrements de 1964 sont les derniers.