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Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Antonio Sureda Letra: Gerónimo Sureda

Les frères Sureda étaient complémentaires. Antonio, bandonéoniste et compositeur et Gerónimo, poète. Notre tango du jour est un des fruits de leur collaboration. Ceux qui pensent que est une de cocus et de trahison ne s’y retrouveront pas, mais tous les autres adoreront ce très beau thème que les frères Sureda ont peut-être dédié à leur mère…

Parmi leurs collaborations, nous pouvons citer en plus de notre tango du jour Ilusión marina qui est le premier titre de son frère sur lequel Gerónimo a mis des paroles.
Voici d’autres titres que vous connaissez sans doute, car nous en possédons des enregistrements. Ils sont par ordre alphabétique :

  • A oscuras (Gerónimo est aussi crédité de la composition en compagnie de son frère pour ce titre).
  • Adiós juventud
  • Barreras de amor
  • Cacareando
  • Decime adiós
  • Juanillo (pasodoble)
  • Mala suerte
  • Nunca es tarde
  • Parece que fue ayer
  • Ronda del querer
  • Si alguna vez
  • Te quiero mucho más
  • Volvió la princesita
  • Yo quiero que sepas

Finalement Antonio a fait appel à son frère pour la majorité de ses compositions, mais signalons tout de même qu’un petit quart est aussi issu de la collaboration avec Homero Manzi, le reste étant anecdotique.

Extrait musical

Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con .

Un tango appuyé et marchant tout à fait typique de Canaro. Contrairement à ce que faisaient certains orchestres contemporains, l’orchestration de Canaro se démarque par de beaux contrepoints qui sont souvent surprenants, mais qui donnent de l’intérêt et cassent tout risque de monotonie. Le long passage en pizzicati des violons qui commence à 1:45 après l’ de Famá et le recours aux instruments en cuivre donne une sonorité particulière.
On notera également l’intéressante variation finale qui anime les dernières secondes.

Paroles

Escuche viejecita… yo quiero que se entere
Desde hace mucho tiempo, que tengo ya otro amor,
Si viera qué bonita, qué buena es la muchacha
Hay en sus ojazos más fuego que el sol.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo ,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla … como lo llamo yo.

Fue cerquita del barranco
Donde una tarde la vi,
Y en la tranquera ´e su rancho
El primer beso le di,
Desde entonces mi guitarra
Tiene una cinta ´e color,
Que la prendieron sus manos
Como prueba de su amor.

¿Que pasa?…viejita venga, por qué se pone triste
Acaso no se alegra al ver que soy feliz,
O cree que el cariño de la mujer que amo
Me hará olvidar lo mucho que usted sufrió por mí.
Yo quiero que la quiera con su cariño santo
Con fuerza, con vehemencia, de todo corazón,
Ella hace mucho tiempo que quiere conocerla
Para llamarla madre, como la llamo yo.
Letra: Gervasio López

libre et indications

Écoutez, ma petite mère (ma petite vieille est un terme affectueux, le texte est un mélange de familiarité et de vouvoiement respectueux). Je veux que vous sachiez que ça fait longtemps déjà que j’ai un autre amour.
Si vous voyez comme elle est jolie, comme elle est bonne la fille.
Il y a plus de feu dans ses grands yeux que dans le soleil.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.
C’est près de la tranchée qu’un après-midi je l’ai vue, et à la porte de son ranch, je lui ai donné le premier baiser, depuis lors ma guitare a un ruban de couleur, que ses mains ont attaché comme preuve de son amour.
Que se passe-t-il ?… Ma petite mère, venez, pourquoi êtes-vous triste ?
Peut-être n’êtes-vous pas heureux de voir que je suis heureux, ou pensez-vous que l’affection de la femme que j’aime me fera oublier combien vous avez souffert pour moi.
Je veux que vous l’aimiez de votre sainte affection, avec force, avec véhémence, de tout votre cœur.
Elle, cela fait longtemps qu’elle veut vous connaître, pour vous appeler mère… comme je vous appelle, moi.

Autres versions

Dos amores. À gauche, Canaro chez Odeón, au centre, D’Arienzo chez RCA Victor et à droite, Pugliese chez Philips (Dos amores est la plage 2 de la face 1 du disque LP 33 tours).
Dos amores 1932-08-12 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est notre tango du jour.
Dos amores 1932-09-09 – Santiago Devin con Trio Antonio Sureda.

Santiago Devin est un chanteur relativement rare, mais il avait du succès dans les années 30. On le connaît surtout avec le Sexteto de Carlos Di Sarli, où il ne chantait que l’estribillo. Il nous propose ici accompagné par le trio Antonio Sureda pour Odeón, une version en chanson, plus à classer du côté de Gardel, Magaldi ou Corsini que du côté du tango de bal. Vu que Santiago Devin enregistre avec le compositeur, on peut penser que Antonio Sureda cautionne cette jolie version. Le trio était composé, en plus de Antonio Sureda au bandonéon, de Oscar Valpreda au violon et de Alpredi au piano.

Dos amores 1947-05-13 – Orquesta Juan D’Arienzo con Armando Laborde.

Le tempérament fougueux de D’Arienzo pourrait paraître un contre-emploi, mais la voix travaillée de Laborde fait que cela passe, mais si cela peut se danser, c’est un peu un cran en dessous en matière de romantisme.

Dos amores 1961 – Orquesta con .

Dos amores 1961 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. Pugliese sait faire des versions très personnelles et empreintes de romantisme. Nous en avons là, un exemple. Les 55 premières secondes préparent la venue du chanteur, Jorge Maciel qui prendra ensuite l’essentiel de la présence. L’utilisation par Maciel du port de voix (liaison des notes en glissando), de l’arrastre (laisser traîner) fait que ce titre sera un peu moyen pour la danse, même si je sais que certains adorent. Cette version est cependant bien adaptée à l’expression des sentiments d’amour évoqués par le tango.

Sur ces beaux sentiments, je vous dis, à demain, les amis !

Fumando espero 1927-07-21 – Orquesta Típica Victor

Juan Viladomat Masanas Letra:

On sait maintenant que fumer n’est pas bon pour la santé, mais dans la mythologie du tango, la cigarette, cigarillo, pucho, faso et sa fumée ont inspiré les créateurs quand eux-mêmes inspiraient les volutes de fumée. Notre tango du jour est à la gloire de la fumée, au point qu’il est devenu objet de propagande publicitaire. Mais nous verrons que le tango a aussi servi à lutter contre le tabac qui t’abat. Je pense que vous découvrirez quelques scoops dans cette anecdote fumante.

Extrait musical

1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

Cette très belle version souffre bien sûr de son ancienneté et du style de l’époque, mais les contrepoints sont superbes et la rythmique lourde est compensée par de jolis traits. J’aime beaucoup les passages legato des violons.

Maintenant que vous l’avez écouté, nous allons entrer dans le vif d’un sujet un peu fumeux, tout d’abord avec des couvertures de partitions.

Fumando espero. Diverses partitions.

On notera que trois des partitions annoncent la création, mais par des artistes différents…
Création de Ramoncita Rovira (Partition éditée par ) à Madrid en 1925.
Création de Pilar Berti pour la publication de Barcelone, DO-RE-MI qui publiait chaque semaine une partition. Mais c’est une autre Pilar (Arcos) qui l’enregistrera à diverses reprises.
Tania Mexican, créatrice de ce magnifique tango, annonce cette partition. Tania aurait été la première à le chanter à Buenos Aires. Ce n’est pas impossible dans la mesure où cette Espagnole de Tolède est arrivée en Argentine en 1924. Elle fut la compagne de Enrique Santos Discépolo.
Si on peut voir la mention « « « Mexican » à côté de son nom, c’est qu’elle est arrivée à Buenos Aires avec le Conjunto The Mexicans

Après les éditions espagnoles, voici celles d’Amérique latine, plus tardives, elles ont suivi le trajet de la musique.
Felix Carso au lieu de Carzo pour l’édition brésilienne de 1927. L’éditeur, Carlos Wehrs vendait aussi des pianos.
Tango de Veladomato (au lieu de Veladomat (non catalan) pour l’édition chilienne.
Ces cinq partitions sont de la première vague (années 20-30)

La partition éditée par las Ediciones Internacionales Fermata avec la photo de Héctor Varela en couverture date des années 50. Probablement de 1955, date de l’enregistrement par Varela de ce titre.

Paroles

Fumar es
genial, sensual.
Fumando espero
al hombre a quien yo quiero,
tras los cristales
de alegres ventanales.
Mientras fumo,
mi vida no consumo
porque flotando el humo
me suelo adormecer…
Tendida en la chaise longue
soñar y amar…
Ver a mi amante
solícito y galante,
sentir sus labios
besar con besos sabios,
y el devaneo
sentir con más deseos
cuando sus ojos veo,
sedientos de pasión.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Dame el humo de tu boca.
Anda, que así me vuelvo loca.
Corre que quiero enloquecer
de placer,
sintiendo ese calor
del humo embriagador
que acaba por prender
la llama ardiente del amor.

Mi egipcio es especial,
qué olor, señor.
Tras la batalla
en que el amor estalla,
un cigarrillo
es siempre un descansillo
y aunque parece
que el cuerpo languidece,
tras el cigarro crece
su fuerza, su vigor.
La hora de inquietud
con él, no es cruel,
sus espirales son sueños celestiales,
y forman nubes
que así a la gloria suben
y envuelta en ella,
su chispa es una estrella
que luce, clara y bella
con rápido fulgor.
Por eso estando mi bien
es mi fumar un edén.

Juan Viladomat Masanas Letra: Félix Garzo (Antonio José Gaya Gardus)

Traduction libre et indications

Fumer est un plaisir génial, sensuel.
En fumant, j’attends l’homme que j’aime, derrière les vitres de fenêtres gaies.
Pendant que je fume, ma vie, je ne la consomme pas parce que la fumée qui flotte me rend généralement somnolente…
Allongée sur la chaise longue, rêver et aimer… (On notera que la chaise longue est indiquée en français dans le texte).
Voir mon amant plein de sollicitude et galant, de sentir ses lèvres embrasser de baisers sages, et d’éprouver plus de désir quand je vois ses yeux assoiffés de passion.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén (marque de cigarettes, voir ci-dessous les détails).
Donne-moi la fumée de ta bouche.
Allez, qu’ainsi je devienne folle.
Cours, que j’ai envie de devenir folle de plaisir, en sentant cette chaleur de la fumée enivrante qui finit par allumer la flamme brûlante de l’amour.
Mon égyptien (tabac égyptien) est spécial, quelle odeur, monsieur.
Après la bataille dans laquelle l’amour explose, une cigarette est toujours un repos et bien qu’il semble que le corps languisse, après le cigare (en lunfardo, el cigarro est le membre viril…), sa force, sa vigueur, grandissent.
L’heure de l’agitation avec lui n’est pas cruelle, ses spirales sont des rêves célestes, et forment des nuages qui s’élèvent ainsi vers la gloire et enveloppés d’elle, son étincelle est une étoile qui brille, claire et belle d’un éblouissement rapide.
C’est pourquoi mon bien est de fumer une Edén.

La cigarette et le tango

Ce tango serait une bonne occasion pour parler du thème de la cigarette et du tango. Étant non-fumeur, je béni la loi 1799 (Buenos Aires) qui fait que depuis octobre 2006, il est interdit de fumer dans les lieux publics. Cela a largement amélioré la qualité de l’air dans les milongas.
La loi 3718 (décembre 2010) renforce encore ces interdictions et donc depuis 5 janvier 2012, il est totalement interdit de fumer dans les lieux publics et les espaces fumeurs intérieurs sont interdits. Cependant, imaginez l’atmosphère au cours du vingtième siècle, époque où le tabac faisait des ravages.
Le tango du jour peut être considéré comme une pour le tabac et même une publicité pour le tabac égyptien d’une part et la marque Edén qui était une marque relativement luxueuse.

Avec Edén, allez plus vite au paradis

Dans ce tango, sont cités deux types de tabac, l’égyptien et les cigarettes à base de tabac de la Havane. Je pourrais rajouter le cigare de la Havane, mais je pense que la référence au cigare est plus coquine que relative à la fumée…
Les cigarettes Edén étaient commercialisées en deux variétés, la n° 1, fabriqué avec du tabac de la Havane, coûtait 30 cents et la n° 2, avec un mélange de tabac de la Havane et de Bahia, 20 cents le paquet.

À gauche, paquet de tabac égyptien. À droite, publicité pour les cigarettes Edén (1899). Clodimiro Urtubey est le créateur de la marque

Les tangos faisant la propagande du tabac

On peut bien sûr inclure notre tango du jour (Fumando espero (1922), puisqu’il cite des marques et l’acte de fumer. Cependant, rien ne prouve que ce soient des publicités, même déguisées. La référence au tabac égyptien peut être une simple évocation du luxe, tout comme la marque Edén qui en outre rime avec bien.
Par ailleurs, l’auteur de la musique, Juan Viladomat semble être un adepte des drogues dans la mesure où il a également écrit un tango qui se nomme La cocaína avec des paroles de Gerardo Alcázar.

Partition de La cocaina de Juan Viladomat avec des paroles de Gerardo Alcázar.
La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira.

La cocaína 1926 – Ramoncita Rovira. Cette pièce faisait partie du en un acte « El tango de la cocaína » composé par Juan Viladomat avec un livret de Amichatis et Gerardo Alcázar.

J’imagine donc qu’il a choisi le thème sans besoin d’avoir une motivation financière…
D’autres tangos sont dans le même cas, comme : Larga el pucho (1914), Sobre el pucho (1922), Fume Compadre (ou Nubes de humo, 1923), Como el humo (1928), Cigarillo (1930), Pucho 1932, Tabaco (1944), Sombra de humo (1951), Un cigarillo y yo (1966) et bien d’autres qui parlent à un moment ou un autre, de fumée, de cigarette (cigarillo/pucho/faso) ou de tabac.

Cigarrillo 1930-07-17 – Orquesta Francisco Canaro con Luis Díaz (Adolfo Rafael Avilés Letra: Ernesto E. de la Fuente).

Attention, ne pas confondre avec le tango du même nom qui milite contre le tabac et que je présente ci-dessous…
Sur le fait que Canaro n’a pas fait cela pour de l’argent, j’ai tout de même un petit doute, il avait le sens du commerce…

En revanche, d’autres tangos ont été commandités par des marques de cigarettes. Parmi ceux-ci, citons :

(qui est une marque de cigarettes)
Fumando Sudan, espero (Sudan est une marque de cigarette et Pilar Arcos a enregistré cette version publicitaire en 1928).

Paquet en distribution gratuite et vignettes de collection (1920) des cigarettes Soudan, une marque brésilienne créée par Sabbado D’Angelo en 1913.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

Le nom des cigarettes ne vient pas du pays, le Soudan, mais de l’utilisation des premières lettres du nom du fondateur de la marque, S de Sabado, Um(N) de Umberto et DAN de D’Angelo…
Quoi qu’il en soit, cette marque ne reculait devant aucun moyen marketing, distribution gratuite, images de collection, version chantée…
Cela me fait penser à cette publicité argentine pour la première cigarette…

Publicité argentine pour la première cigarette mettant en scène un enfant… La cigarette est au premier plan à gauche. On imagine la suite.

Sello azul (qui est une marque de cigarettes).

Sello Azul de Sciammarella et Rubistein, et à droite, un paquet de ces cigarettes…

Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos dont je vous propose ici les paroles qui sont un petit chef-d’œuvre de marketing de bas étage :

Couverture de la partition de Aprovechá la bolada – Fumá Caranchos de Francisco Bohigas

Paroles de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos

Che Panchito, no seas longhi, calmá un poco tu arrebato que el que tiene una papusa cual la novia que tenés, no es de ley que se suicide por el hecho de andar pato; a la suerte hay que afrontarla con bravura y altivez.
Donde hay vida hay esperanza, no pifiés como un incauto.
Y a tu piba no le arruines su palacio de ilusión vos querés dártela seca porque sueña con un auto, una casa y otras yerbas; yo te doy la solución.
Refrán:
Fumá Caranchos no seas chancleta, que en cada etiqueta se encuentra un cupón.
Seguí mi consejo, prendete, che Pancho que está en Los Caranchos tu gran salvación.
Fumá Caranchos, que al fin del jaleo en el gran sorteo te vas a ligar una casa posta, un buick de paseo y el sueño de tu piba se va a realizar.
Ya se me hace, che Panchito, que te veo muy triunfante, dando dique a todo el mundo con un buick deslumbrador, por Florida, por Corrientes, con tu novia en el volante propietario de una casa que será nido de amor.
Sin embargo, caro mio, si no entrás en la fumada, serás siempre un pobre loco que de seco no saldrá.
Vos buscate tu acomodo, aprovechá la bolada, fumá Caranchos querido, que tu suerte cambiará.
Fumá Caranchos, no seas chancleta que en cada etiqueta se encuentra el cupón.

Francisco Bohigas

Traduction libre de Aprovechá la bolada, Fumá Caranchos (Saute sur ta chance, fume Caranchos)

Che Panchito, ne sois pas un manche, calme un peu ton emportement, car celui qui a une poupée comme la petite amie que tu as, il n’est pas juste pour lui de se suicider, car il a fait le canard (« cada paso una cagada », le canard a la réputation de faire une crotte à chaque pas, une gaffe à chaque pas) ; la chance doit être affrontée avec bravoure et arrogance.
Là où il y a de la vie, il y a de l’espoir, ne faites pas de gaffes comme un imprudent.
Et ne ruine pas le palais d’illusion de ta poupée, tu te vois fauché parce qu’elle rêve d’une voiture, d’une maison et d’autres trucs ; Je vais te donner la solution.
Fume Caranchos ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette, se trouve un coupon.
Suis mon conseil, allume, che Pancho, ton grand salut est dans les Caranchos.
Fume des Caranchos, parce qu’à la fin du tirage de la grande tombola, tu vas recevoir une maison excellente, une Buick pour la balade et le rêve de ta chérie va se réaliser.
Il me semble, che Panchito, que je te vois très triomphant, te pavanant devant tout le monde avec une Buick éblouissante, dans Florida, dans Corrientes, avec ta copine au volant et propriétaire d’une maison qui sera un nid d’amour.
Cependant, mon cher, si tu ne te lances pas dans la fumée, tu seras toujours un pauvre fou qui ne sortira pas de la dèche.
Tu trouveras ton logement, profite de la chance, fume, mon cher, Caranchos, ta chance va tourner.
Fume des Caranchos, ne sois pas une mauviette, car sur chaque étiquette se trouve le coupon.
On notera qu’il a fait un tango du même type Tirate un lance (tente ta chance), qui faisait la propagande d’un tirage au sort d’un vin produit par les caves Giol7. Ne pas confondre avec le tango du même titre écrit par Héctor Marcó et chanté notamment par Edmundo Rivero.

Le tango contre le tabac

Même si l’immense des tangos fait l’apologie de la cigarette, certains dénoncent ses méfaits en voici un exemple :

Paroles de Cigarrillo de Pipo Cipolatti (musique et paroles)

Tanto daño,
tanto daño provocaste
a toda la humanidad.
Tantas vidas,
tantas vidas de muchacho
te fumaste… yo no sé.
Apagando mi amargura
en la borra del café
hoy te canto, cigarrillo, mi verdad…

Cigarrillo…
compañero de esas noches,
de mujeres y .
Muerte lenta…
cada faso de tabaco
es un año que se va…
Che, purrete,
escuchá lo que te digo,
no hagas caso a los demás.
El tabaco es traicionero
te destruye el cuerpo entero
y te agrega más edad…
El tabaco es traicionero,
te destruye el cuerpo entero… ¡y qué!
y esa tos te va a matar…

¡Ay, que lindo !…
Ay, que lindo que la gente
comprendiera de una vez
lo difícil,
lo difícil que se hace,
hoy en día, el respirar.
Es el humo del cilindro
maquiavélico y rufián
que destruye tu tejido pulmonar

Pipo Cipolatti

Traduction libre des paroles de Cigarrillo

Tant de dégâts, tant de dégâts tu as causé à toute l’humanité.
Tant de vies, tant de vies d’enfants tu as fumé… Je ne sais pas.
Éteignant mon amertume dans le marc de café, aujourd’hui je te chante, cigarette, ma vérité…
Cigarette… Compagne de ces nuits, des femmes et de champagne.
Mort lente… Chaque cigarette (faso, cigarette en lunfardo) est une année qui s’en va…
Che, gamin, écoute ce que je te dis, ne fais pas attention aux autres.
Le tabac est traître, il détruit le corps en entier et t’ajoute plus d’âge…
Le tabac est traître, il détruit le corps entièrement… et puis !
Et cette toux va te tuer…
Oh, comme ce serait bien !…
Oh, comme ce serait bien que les gens comprennent une fois pour toutes combien le difficile, combien il est difficile de respirer aujourd’hui.
C’est la fumée du cylindre machiavélique et voyou qui détruit ton tissu pulmonaire

Si on rajoute un autre de ses tangos Piso de soltero qui parle des relations d’un homme avec d’autres hommes et des femmes et des alcools, vous aurez un panorama des vices qu’il dénonce.

Autres versions

Il y a des dizaines de versions, alors je vais essayer d’être bref et de n’apporter au dossier que des versions intéressantes, ou qui apportent un autre éclairage.
Ce que l’on sait peu, est que ce tango est espagnol, voire catalan et pas argentin…
Juan Viladomat est de Barcelone et Félix Garzo de Santa Coloma de Gramenet (sur la rive opposée du río Besós de Barcelone).
Le tango (en fait un cuplé, c’est-à-dire une chanson courte et légère destinée au théâtre) a été écrit pour la revue , lancée en 1923 au teatro Victoria de Barcelona.
La première chanteuse du titre en a été Ramoncita Rovira née à Fuliola (Catalogne). Je rappelle que Ramoncita a aussi lancé le tango La cocaína que l’on a écouté ci-dessus. Ramoncita, l’aurait enregistré en 1924, mais je n’ai pas ce disque. D’autres chanteuses espagnoles prendront la relève comme Pilar Arcos, puis Sara Montiel et ensuite Mary Santpere bien plus tard.

Fumando-Espero 1926-08 – Orquesta Del Maestro Lacalle.

Ce disque Columbia No.2461-X tiré de la matrice 95227 a été enregistré en août 1926 à New York où le Maestro Lacalle (la rue), d’origine espagnole, a fini sa vie (11 ans plus tard). C’est une version instrumentale, un peu répétitive. L’avantage d’avoir enregistré à New-York est d’avoir bénéficié d’une meilleure qualité sonore, grâce à l’enregistrement électrique. Le même jour, il a enregistré Langosta de Juan de Dios Filiberto, mais il en a fait une marche joyeuse qui a peu à voir avec le tango original.

Disque enregistré à New York en 1926 par El Maestro Lacalle de Fumando Espero et Langosta.

On est donc en présence d’un tango 100 % espagnol et même 100 % catalan, qui est arrivé à New York en 1926, mais ce n’est que le début des surprises.

Fumando Espero 1926-10-18 – Margarita Cueto acc. Orquesta Internacional – Dir.Eduardo Vigil Y Robles. Un autre enregistrement new-yorkais et ce ne sera pas le dernier…

Fumando espero 1926-10-29 — Orquesta Internacional – Dir. Eduardo Vigil Y Robles. Quelques jours après l’enregistrement avec Margarita Cueto, une version instrumentale.

On quitte New York pour Buenos Aires…

Fumando espero 1927-07-11 – Rosita Quiroga con orquesta.

Rosita Quiroga, la Édith Piaf de Buenos Aires, à la diction et aux manières très faubouriennes était sans doute dans son élément pour parler de la cigarette. On est toutefois loin de la version raffinée qui était celle du cuplé espagnol d’origine.

Fumando espero 1927-07-21 — Orquesta Típica Victor — Dir. Adolfo Carabelli.

C’est notre superbe version instrumentale du jour, magistralement exécutée par l’orchestre de la Victor sous la baguette de Carabelli.

Fumando espero 1927 – Sexteto Francisco Pracánico.

Une autre version instrumentale argentine. Le titre a donc été adopté à Buenos Aires, comme en témoigne la succession des versions.

Fumando espero 1927-08-20 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une version un peu frustre à mon goût.

Fumando espero 1927-08-23 – Orquesta Roberto Firpo.

Firpo nous propose une superbe introduction et une orchestration très élaborée, assez rare pour l’époque. Même si c’est destiné à un tango un peu lourd, canyengue, cette version devrait plaire aux danseurs qui peuvent sortir du strict âge d’or.

Fumando espero 1927-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Fugazot.

Canaro ne pouvait pas rester en dehors du mouvement, d’autant plus qu’il enregistrera Cigarrillo avec Luis Díaz en 1930 (comme nous l’avons vu et écouté ci-dessus).

Fumando espero 1927-11-08 – Orquesta Osvaldo Fresedo.
Fumando espero 1927-11-17 – Ignacio Corsini con guitarras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Une belle interprétation par ce chanteur qui aurait mérité, à mon avis, une gloire égale à celle de Gardel.

Fumando espero 1927 – Pilar Arcos Acc. The Castilians.
Fumando Sudan espero 1928-06-15 – Pilar Arcos Acc. Orquesta Tipica Dir. Louis Katzman.

C’est la version publicitaire que nous avons évoquée dans le chapitre sur tabac et tango.

La source semble s’être tarie et l’on ne trouve plus de versions de Fumando espero intéressante avant les années 1950.

Fumando espero 1955-05-20 — Enrique Mora — Elsa Moreno.
Fumando espero 1955-06-01 – Orquesta Héctor Varela con Argentino Ledesma.

Oui, je sais, cette version, vous la connaissez et elle a certainement aidé au renouveau du titre. C’est superbe et bien que ce type d’interprétation marque la fin du tango de danse, 97,38 % (environ), des danseurs se ruent sur la piste aux premières notes.

Fumando espero 1955-12-01 – Orquesta Donato Racciatti con Olga Delgrossi.

L’Uruguay se toque aussi pour la reprise de Fumando espero. Après Donato Racciatti et Olga Delgrossi, Nina Miranda.

Fumando espero 1956 – Orquesta con Nina Miranda.

Nina Miranda a été engagée en 1955 par Odeón. C’est Graciano Gómez qui a été chargé de l’accompagner. C’est une collaboration entre les deux rives du Rio de la Plata.

Fumando espero 1956 – Jorge Vidal con guitarras.

Une version tranquille, à la guitare.

Fumando espero 1956-02-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma.

Après la version à 97,38 % avec Varela, Argentino Ledesma, avec Di Sarli réalise la version pour 100 % des danseurs.
Ledesma venait de quitter l’orchestre de Varela pour intégrer celui de Di Sarli. Il devient le spécialiste du titre… Ce fut un immense succès commercial au point que la Víctor décala sa fermeture pour vacances pour rééditer d’autres disques en urgence. L’enregistrement avec Varela n’avait pas obtenu le même accueil, c’est donc plutôt 1956 qui marque le renouveau explosif du titre.

Fumando espero 1956-04-03 – Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

J’aurais plus imaginé Larroca pour ce titre. De Angelis a choisi Dante. C’est toutefois joli, mais je trouve qu’il manque un petit quelque chose…

Popurri 1956-04-20 Fumando espero, Historia de un amor y Bailemos – José Basso C Floreal Ruiz.

Il s’agit d’un popurrí, c’est à dire du mélange dans un seul tango de plusieurs titres. Comme ce pot-pourri commence par Fumando espero, j’ai choisi de l’insérer pour que vous puissiez profiter de la superbe voix de Floreal Ruiz. À 58 secondes commence Historia de un amor et à deux minutes, vous avez pour le même prix un troisième titre, Bailemos. Les transitions sont réussies et l’ensemble est cohérent. On pourrait presque proposer cela pour la danse (avec précaution et pour un moment spécial).

Fumando espero 1956-04-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio.

On peut se demander pourquoi Di Sarli enregistre une nouvelle version, moins de trois mois après celle de Ledesma. L’introduction est différente et l’orchestration présente quelques variantes. La plus grosse différence est la voix du chanteur. Si on décide de faire une tanda avec Florio, cet enregistrement me semble un excellent élément. Je pense que la principale raison est que Ledesma n’a enregistré que trois tangos avec Di Sarli et que donc c’est trop peu, ne serait que pour nous, DJ, pour avoir un peu de choix. Si je veux passer la version avec Ledesma, je suis obligé de faire une tanda mixte, autre chanteur et/ou titre instrumental pour obtenir les quatre titres de rigueur. Puis, entre nous, ce n’est pas indispensable d’inclure une de ces versions dans une milonga…
Il y a peut-être aussi un peu de colère de la part de Di Sarli. En effet, si l’enregistrement de Ledesma avec Varela n’avait pas bien fonctionné, à la suite du succès de la version avec Di Sarli, la Columbia (la maison de disques de Varela) décide de relancer l’enregistrement de 1955. Ce fut alors un immense succès qui a décidé la Columbia a réintégrer Ledesma dans l’orchestre de Varela. Voyant que son nouveau poulain, partait en fumée, Di Sarli (ou la Víctor) a donc décidé de graver d’urgence une autre version avec un nouveau chanteur afin de ne pas laisser au catalogue un titre avec un chanteur passé à la concurrence…

Fumando espero 1956 – Los Señores Del Tango C Mario Pomar.

Un bon orchestre avec la belle voix de Mario Pomar. Agréable à écouter.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta – Dir.Victor-Buchino.

Fumando espero 1956 — Libertad Lamarque Orquesta –  Dir.Victor-Buchino. L’accompagnement discret de Victor Buchino et la prestation souvent a capella de Libertad Lamarque permet de bien saisir le grain de voix magnifique de Libertad.

Fumando espero 1957 – Chola Luna y Orquesta Luis Caruso.
Fumando espero 1957 – Imperio Argentina.

Si Imperio Argentina est née en Argentine, elle a fait une grande partie de sa carrière en Europe, en Espagne (où elle est arrivée, adolescente) et bien sûr en France, mais aussi en Allemagne. Elle nous permet de faire la liaison avec l’Espagne ou nous revenons pour terminer cette anecdote.

C’est le film, El Último Cuplé qui va nous permettre de fermer la boucle. Le thème redevient un cuplé et même si le théâtre a été remplacé par le cinéma, nous achèverons notre parcours avec cette scène du film ou Sara Montiel chante le cuplé.

Sara Montiel chante Fumando espero dans le film El Último Cuplé de 1957. Metteur en scène : Juan de Orduña

Vous aurez reconnu l’illustration de couverture. J’ai modifié l’ambiance pour la rendre plus noire et ajouté de la fumée, beaucoup de fumée…

À demain, les amis, et à ceux qui sont fumeurs, suivez les conseils de Pipo Cipolatti que je vous conserve longtemps. Je rédige cette anecdote le 20 juillet, Dia del amigo (jour de l’ami).

Remembranza 1956-07-04 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Mario Melfi Letra: Mario Battistella

Si on ne doit se souvenir que d’une composition de Mario Melfi, c’est sans conteste de . Mais si on doit se souvenir de deux, alors, Remembranza, notre est assurément dans la liste. Ce qui en revanche est curieux est que l’on associe très peu ces deux titres, très semblables. Mais peut-être qu’il y a une ou plusieurs solutions…

Tandas mixtes

Hier, dans un groupe de DJ, une question très étrange a été posée. Combien de tandas mixtes peuvent être passées dans une milonga ?
J’avoue que j’ai relu deux fois la question pour voir de quoi il s’agissait. Il arrive en effet, que l’on mélange dans la même tanda, des orchestres différents. C’est assez fréquent pour les milongas et les valses et je le fais parfois, par exemple pour associer des enregistrements de Carabelli avec son propre orchestre et de la Típica Victor, dirigée par lui. Je le fais également quand il y a un titre orphelin, qui n’a pas de tango compatible par le même orchestre et qu’un autre orchestre à quelque chose qui peut bien se combiner avec. L’étrangeté de la question vient de « combien de tandas mixtes »…
Je n’ai pas répondu au groupe, mais ma réponse aurait pu être, le DJ fait ce qu’il veut dans la mesure où les sont contents. Faire de bonnes tandas mixtes est difficile, faire 100 % de tandas mixtes serait un défi très difficile à relever…
Poema est associé à l’enregistrement de Canaro et Maida de 1935. Remembranza a plusieurs points d’accroche. Notre enregistrement du jour avec Pugliese et Maciel est sans doute le plus connu. 21 ans séparent ces deux enregistrements, un écart encore plus grand existe entre les styles des orchestres, ce qui rend bien évidemment ces deux enregistrements totalement incompatibles dans une même tanda.
Cependant, la structure des morceaux est tout à fait compatible, on trouve même des extraits de phrases musicales comparables entre les deux œuvres. Remembranza aurait été enregistré par Canaro et Maida, ou Poema par Pugliese et Maciel et on aurait deux piliers solides pour une tanda.
Ce rêve existe cependant. Je vous le présenterai en fin d’article…

Extrait musical

Remembranza 1956-07-04 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel
Partition argentine de Remembranza.

Paroles

Cómo son largas las semanas
cuando no estás cerca de mí
no sé qué fuerzas sobrehumanas
me dan valor lejos de ti.
Muerta la luz de mi esperanza
soy como un náufrago en el mar,
sé que me pierdo en lontananza
mas no me puedo resignar.
¡Ah
¡qué triste es recordar
después de tanto amar,
esa dicha que pasó…
Flor de una ilusión
nuestra pasión se marchitó.
¡Ah
¡olvida mi desdén,
retorna dulce bien,
a nuestro amor,
y volverá a florecer
nuestro querer
como aquella flor.
En nuestro cuarto tibio y rosa
todo quedó como otra vez
y en cada adorno, en cada cosa
te sigo viendo como ayer.
Tu foto sobre la mesita
que es credencial de mi dolor,
y aquella hortensia ya marchita
que fue el cantar de nuestro amor.

Mario Melfi Letra : Mario Battistella

Autres versions

Les versions françaises

Je pense vous surprendre en vous indiquant que les deux premiers enregistrements de ce titre ont été chantés en français. En effet, Melfi et Battistella étaient à Paris à l’époque. Mario Melfi a même fait l’essentiel de sa carrière en France où il est mort en 1970. Le titre en français est Ressouvenance, un terme aujourd’hui tombé en désuétude…
C’est donc Mario Melfi qui ouvre le bal des versions avec un enregistrement de 1934, chanté, donc en français, par Marcel Véran et appelé donc Ressouvenance et pas Remembranza.

Ressouvenance 1934 — Mario Melfi Chant Marcel Véran (en français). Paroles de et .

C’est le plus ancien enregistrement, de plus, réalisé par l’auteur de la musique, Mario Melfi. En ce qui concerne les paroles en français, on se rend compte qu’elles sont proches de celles de Battistella. On peut donc penser que Battistella est bien l’auteur original, puisqu’il était à Paris et que Robert Chamfleury et Henry Lemarchand ont adapté (avec plus de talent que moi) les paroles en français. Vous pourrez en trouver la transcription après le chapitre autres versions.

Ressouvenance 1934 — Auguste Jean Pesenti et son Orchestre Tango Chant Guy Berry (en français).

Merci à mon collègue Michael Sattler qui m’a fourni une meilleure version de ce titre. Si c’est le second enregistrement, il semblerait que Guy Berry fut le premier à chanter le titre.

Couverture de la partition de 1934. On voit que Berry a créé le tango et les paroliers sont uniquement les deux français. On notera également que Melfi est crédité de son succès de Poema.
Ressouvenance 1934-12-13 — Orlando et son orchestre Chant Jean Clément (en français).
Remembranza 1944 — Ramón Mendizabal. Remembranza a été gravé sur la face B du disque, la face A étant réservée à Obsession.

Avec cet enregistrement, j’arrête la liste des versions « françaises » (même si la dernière n’est pas chantée). Et je vous propose maintenant les versions « Argentines ».

Les versions argentines

Remembranza 1937-05-11 — Héctor Palacios con guitarras.

Après les versions françaises avec orchestres, les guitares de Héctor Palacios ne font pas tout à fait le poids. Cependant, ce titre est compatible avec ce type de version intime et si le résultat n’a rien à faire en milonga, il est plutôt agréable à écouter.

Remembranza 1943-02-12 — Orquesta con Orlando Medina.

Une jolie version, dans le style de Malerba et Medina qui a sa sonorité particulière.

Remembranza 1947-05-09 — Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó.

Si les versions précédentes avec orchestre, y compris les versions françaises étaient harmonieuses, je trouve que celle-ci souffre d’un manque de cohérence entre la voix de Ribó et l’orchestre de Ricardo Tanturi. Le talent des deux n’est pas en cause, Osvaldo Ribó avec un orchestre plus présent aurait donné une très belle version et inversement.

Remembranza 1948-09-08 — Orquesta Alfredo Gobbi con Jorge Maciel.

La voix travaillée de Maciel n’a peut-être pas trouvé l’orchestre idéal pour sa mise en valeur. On sent Gobbi un peu réservé, là encore, le résultat ne me convînt pas totalement.

Remembranza 1952-05-23 — Lorenzo Barbero y su orquesta típica con Carlos del Monte.

Encore une version qui ne va pas provoquer des ondes d’enthousiasme. De plus, elle n’est pas destinée à la danse, mais c’est intéressant de temps à autre de présenter un de ces deux-cent d’orchestres qui ont œuvré à l’âge d’or et qui n’ont pas eu droit à la reconnaissance de la postérité.

Remembranza 1954-12-28 — Orquesta Alfredo De Angelis con Carlos Dante.

On arrive dans des versions un peu plus travaillées. On remarquera l’introduction très particulière de cette version de De Angelis.

Mais attendez la suite, les choses sérieuses commencent.

Remembranza 1956-07-04 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tango du jour.

Les essais de voix plus travaillées entendus précédemment trouvent un meilleur terrain avec l’orchestre de Pugliese. Le mariage de la voix de Jorge Maciel avec l’orchestre est bien plus abouti dans cette version que dans celle de Gobbi, 8 ans plus tôt.

Remembranza 1963 — Orquesta con Susy Leiva.

J’aurais présenté les choses à l’envers, Susy Leiva accompagnée par l’orchestre de Juan Canaro. C’est une version à écouter, la voix de Susy Leiva est expressive et a de l’émotion. Mais bon, revenons à nos piliers.

Remembranzas 1964-09-25 — Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Avec Jorge Valdez, D’Arienzo a un peu mis de côté le tango de danse pour suivre la mode de l’époque qui était plus radiophonique ou télévisuelle que dansante.
D’Arienzo interprète le titre dans ses concerts, comme ici à Montevideo en 1968.

Remembranzas 1968 — Orquesta Juan D’Arienzo con . Cet enregistrement a été réalisé à Montevideo (Uruguay).

On revient avec Jorge Valdez qui gagne la palme du chanteur qui a le plus enregistré Remembranza, encore une émission de télévision.

Jorge Valdez en Grandes Valores (une émission des années 70).

Paroles de la version chantée en français par Guy Berry, Marcel Véran, Jean Clément et autres chanteurs français

Combien est longue une journée
Quand tu n’es pas auprès de moi.
Comment ai-je pu deux années
Vivre sans entendre ta voix ?
Je n’ai pour consoler ma peine
Que les doux rêves du passé,
Car ni les jours ni les semaines
N’ont jamais pu les effacer…
Ah !… Qu’il est troublant, chéri(e),
D’évoquer, comme on prie,
Ce bonheur, hélas trop court.
Rien n’a pu ternir
Le souvenir de ces beaux jours.
Ah !… Pardonne à ma folie.
Reviens je t’en supplie
À notre amour.
Rien ne pourra me griser
Que tes baisers,
Comme aux anciens jours.
Dans notre chambre tiède et rose,
Tout est resté comme autrefois.
Et chaque objet et chaque chose
Ne me semble attendre que toi.
Ton portrait sur la cheminée
Semble sourire à mon espoir.
Dans un livre, une fleur fanée
Rappelle nos serments d’un soir…

Mario Melfi Letra : Mario Battistella (adapté en français par Robert Chamfleury et Henry Lemarchand)

Remembranza et Poema unis dans une tanda idéale

Nous avons vu en début d’article qu’il n’y avait pas d’enregistrement compatible de ces deux titres à l’âge d’or du tango. C’est une grande frustration pour les DJ et sans doute les danseurs.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, car les Pesenti ont enregistré Poema et Ressouvenance, mais ce ne sont sans doute pas des versions suffisantes pour les danseurs avancés. Je vous laisse en juger.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.
Ressouvenance 1934 — Auguste Jean Pesenti et son Orchestre Tango Chant Guy Berry (en français).
Poema 1937 –  et son Orchestre de Tango con Alberto.

Je rajoute cette version de Poema par le frère de Auguste Jean, René Pesenti. Elle est compatible et présente l’avantage d’être chantée par un homme (Alberto), ce qui peut être préféré par certains qui n’aiment pas trop les mélanges dans une tanda.

Si vous avez estimé que ces versions n’étaient pas à la hauteur, il nous faut chercher ailleurs. Je pense que l’orchestre qui va nous donner ce plaisir est la . Il a enregistré les deux titres dans des versions compatibles et de belle qualité, presque équivalentes à la version de Canaro et Maida.
Je vous présente ces deux enregistrements en vidéo. Une belle façon de terminer cette anecdote du jour, non ?

Orquesta Romantica Milonguera — Poema
Orquesta Romantica Milonguera — Remembranza

Merci à la Romantica Milonguera et à demain, les amis !

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

Mi serenata est un superbe tango chanson, écrit par Edgardo Donato. Il l’a enregistré à deux reprises, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous propose aujourd’hui la seconde version, moins connue que celle réalisée 12 ans plus tôt. C’est le soir, laissez-vous bercer par cette sérénade et soyez sympas, répondez aux chanteurs, pas comme la pimbêche de ce tango.

Les rues de Buenos Aires et des alentours regorgeaient d’âmes seules et de musiciens, chanteurs, toujours prêts à pousser la chansonnette, notamment pour conquérir une belle.
La sérénade, favorisée par les nuits généralement clémentes de la région, faisait donc flores.
Le tango témoigne de cet engouement, avec au moins une trentaine de titres contenant Serenata. Ce sont majoritairement des tangos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pouvait s’agir aussi de habaneras ou boléros.
Le cérémonial de la sérénade passait par la chanson sous le balcon, de l’autre côté de la clôture, comme dans la version d’aujourd’hui, par fois sur le balcon, comme dans Serenata que nous avons déjà évoqué… Normalement, la femme devait allumer une lumière pour signaler qu’elle était à l’écoute et si tout se passait bien, le chanteur pouvait espérer aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au balcon de façon acrobatique, sauter la barrière, ou recevoir l’accueil suspicieux du père de la belle.

Extrait musical

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Podestá.

La voix grave de Almada et la plus aigüe de Podestá forment un assez bel ensemble.

Mi serenata, Partition avec Donato et Gavioli en photo

Vous remarquerez qu’il est indiqué « Tango canción » (tango chanson). Il est écrit également que les palabras (paroles) sont de Juan C. Thorry, que la musique est de Edgardo Donato et que c’est une création de Romeo Gavio. Cela nous indique certainement qu’avant de l’enregistrer, il l’a chanté sur une des scènes de Buenos Aires.
La partition est dédicacée par Donato à et . Comme il se peut que vous ne connaissiez pas ces deux individus, voici leur photo et leur CV.

Ismael Pace et José Lectoure en compagnie de techniciens de la construction du Stadium Luna Park dont ils sont les propriétaires (photo de 1932).

Je suis sûr que vous n’aviez pas deviné qui étaient réellement les dédicataires… Le Luna Park est une immense salle de spectacle de Buenos Aires, on se souvient que Canaro l’a utilisée pour les carnavals à partir de 1936, voir par exemple Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est aussi une salle où des combats de boxe sont donnés, tout aussi violents que les meetings politiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui.
On peut s’étonner de la dédicace. Ils étaient amis de Donato, mais le thème de ce tango ne semble pas totalement adapté aux personnages. On les imagine difficilement grattant une guitare sous un balcon, mais qui sait ?

Paroles

Niña de mi corazón
brindarte quiero un cantar
que sea el reflejo fiel
de cariño sin par,
niña de mi ilusión.

A tu reja llegué
una estrella guiñó
y aquel día forjé
mi primera ilusión.
Serenata que allí
para ti improvisó mi amor,
tu promesa de amor,
tu mirada, un clavel,
dieron premio a mi canción.

Hoy que ya el tiempo pasó,
vine a tu reja a cantar,
silencio fue el responder
a este triste dolor
que tu ausencia dejó.

Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)

libre et indications

Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chanson qui soit le reflet fidèle d’une affection sans pareille, fille de mon sentiment amoureux (ilusión, n’est pas une illusion…).
À ta clôture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes premiers sentiments.
Une sérénade que là, pour toi, j’ai improvisé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œillet, ont donné un prix (récompense) à ma chanson.
Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clôture pour chanter, le silence a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a laissée.

Autres versions

Mi serenata 1940-01-11 — Orquesta Edgardo Donato con Romeo Gavio y Lita Morales.

C’est la première version, enregistrée par l’auteur, avec le duo gagnant Lita Morales et Romeo Gavioli. Qui d’autre que Roméo pouvait lancer la sérénade à Juliette, pardon, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un couple discret comme nous l’avons évoqué lors de notre anecdote sur El adios.
C’est sans doute la version préférée de la plupart des et elle le mérite.

Mi serenata 1952-06-25 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada y Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.
Mi serenata 1955-09-02 – Orquesta con y .
Mi serenata 1973 – Los Solistas de D’Arienzo con y Alberto Echagüe
Mi serenata 1980 – Orquesta con Marcelo Biondini y Gabriel Reynal.

Il s’appelle aussi Donato, mais c’est son prénom et le résultat n’est pas forcément convaincant.

Mi Serenata 2022-06 – El Cachivache Quinteto. Sans doute la palme de l’originalité pour cette version.

Et pour terminer, une belle version de la Romantica Milonguera en video. C’est de 2017, donc logiquement après la version de El Cachivache, mais je trouve plus sympa de terminer ainsi.
C’est de nouveau un duo, homme femme, comme la première version de 1940 par Donato. La boucle est fermée.

Orquesta Romantica Milonguera avec Roberto Minondi et Marisol Martinez en duo – « Mi serenata »

À demain les amis !

Y todavía te quiero 1956-06-21 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Voici le type même du tango qui rendait fou Jorge Luis Borges. Du sentimental à haute dose, pour lui qui ne voyait dans le tango que des affaires de compadritos, des histoires d’hommes virils dans les zones interlopes des bas quartiers de Buenos Aires. Il vouait une haine féroce à Gardel, l’accusant d’avoir dénaturé le tango en le rendant niais. Mais comme le mal est fait, plongeons-nous avec délice, ou horreur, dans la guimauve du sentimentalisme.

Extrait musical

Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel
Partition des éditions Julio Korn avec Pacheco en couverture.

Paroles

C’est le genre de tango où les Argentins s’exclament « ¡Que letra, por Dios! »

Cada vez que te tengo en mis brazos,
que miro tus ojos, que escucho tu voz,
y que pienso en mi vida en pedazos
el pago de todo lo que hago por vos,
me pregunto: ¿por qué no termino
con tanta amargura, con tanto dolor?…
Si a tu lado no tengo destino…
¿Por qué no me arranco del pecho este amor?

¿Por qué…
sí mentís una vez,
sí mentís otra vez
y volvés a mentir?…

¿Por qué…
yo te vuelvo a abrazar,
yo te vuelvo a besar
aunque me hagas sufrir?

Yo sé
que es tu amor una herida,
que es la cruz de mi vida,
y mi perdición…

¿Por qué
me atormento por vos
y mi por vos
es peor cada vez?…

¿Y por qué,
con el alma en pedazos,
me abrazo a tus brazos,
si no me querés ?

Yo no puedo vivir como vivo…
Lo sé, lo comprendo con toda razón,
sí a tu lado tan sólo recibo
la amarga caricia de tu compasión…

Sin embargo… ¿Por qué yo no grito
que es toda mentira, mentira tu amor
y por qué de tu amor necesito,
sí en él sólo encuentro martirio y dolor?

Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar

Traduction libre et indications

Chaque fois que je te tiens dans mes bras, que je regarde tes yeux, que j’écoute ta voix, et que je pense à ma vie en miettes, au prix de tout ce que je fais pour toi, je me demande :
Pourquoi je n’arrête pas avec tant d’amertume, avec tant de douleur ?…
Si à tes côtés, je n’ai pas d’avenir…
Pourquoi est-ce que je n’arrache pas cet amour de ma poitrine ?
Pourquoi…
si vous mentez une fois, si vous mentez encore recommencez à mentir ?… (là, on passe au vouvoiement, ce qui n’est pas habituel en Argentine. Est-ce une façon de prendre ses distances ?).
Pourquoi…
Je te reprends dans mes bras, je t’embrasse à nouveau bien que tu me fasses souffrir ?
Je sais que ton amour est une blessure, qu’il est la croix de ma vie, et ma perte…
Pourquoi est-ce que je me tourmente pour toi et que mon angoisse pour toi est pire chaque fois ?…
Et pourquoi, avec mon âme en morceaux, je me serre dans tes bras, si tu ne m’aimes pas ?
Je ne peux pas vivre comme je vis… je le sais, je le comprends avec toute ma raison, si je ne reçois à tes côtés que l’amère caresse de ta compassion…
Cependant… Pourquoi je ne crie pas que tout est mensonge, mensonge ton amour et pourquoi ai-je besoin de ton amour, si je n’y trouve que le martyre et la douleur ?

Autres versions

L’année de la sortie de ce titre, en 1956 le succès fut immense et tous les orchestres ayant une fibre sentimentale, ou pas, ont essayé de l’enregistrer. Pas moins de 11 enregistrements en cette année 1956, sans doute un record pour un titre.
Prenez votre mouchoir, on retourne en 1956, année romantique.

Y todavía te quiero 1956 — Héctor Pacheco y su Orquesta dir. por Carlos García. Avec les clochettes du début, une version kitch à souhait.

C’est peut-être la première version, car il travailla étroitement avec Leocata à partir de cette époque. On trouve également son portrait sur la partition éditée par Julio Korn.

Y todavía te quiero 1956-02-17 – Orquesta Argentino Galván con Jorge Casal.

Jorge Casal est aussi un bon candidat pour être le premier, pour les mêmes raisons que Pacheco, sauf la photo sur la partition.

Y todavía te quiero 1956-03-22 – dir. Aquiles Roggero con
Y todavía te quiero 1956-05-18 – Orquesta con Oscar Larroca
Y todavía te quiero 1956-06-11 – Orquesta José Basso con Floreal Ruiz
Y todavía te quiero 1956-06-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tango du jour.
Y todavía te quiero 1956-06-29 – Orquesta con Armando Moreno
Y todavía te quiero 1956-07-24 – Orquesta Héctor Varela con
Y todavía te quiero 1956-07-25 – Morán con acomp. de Orquesta dir. Armando Cupo
Y todavía te quiero 1956-10-19 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Florio
Y todavía te quiero 1956-12-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con

Et un enregistrement qui a raté la fenêtre en arrivant l’année suivante…

Y todavía te quiero 1957 — Los Señores Del Tango con Oscar Serpa

Par la suite, d’autres orchestres ont enregistré, mais je vous propose pour terminer et les encourager Los Caballeros del Tango qui est un orchestre de jeunes Colombiens. La chanteuse est Nathalie Giraldo (Nagica).

Los Caballeros del Tango interprètent Y todavia te quiero (2022).

Cela fait plaisir de voir que la génération Z continue de s’intéresser au tango. Attendons qu’ils prennent un peu d’assurance pour qu’ils assurent la relève.

de « Y »

Non, je ne vais pas vous parler de la génération Y, celle qui a succédé aux X, V Baby-boomers, mais plutôt de la lettre Y qui précède le titre de ce tango. Y en espagnol, c’est et. En voici l’histoire, telle qu’on la raconte généralement dans le petit monde du tango.

La SADAIC est l’organisme qui enregistre les morceaux de musique en Argentine et qui distribue les droits d’auteurs en fonction des mérites respectifs de chacun des auteurs (je sais, c’est purement théorique ; —).
Donc, quand Luciano Leocota a voulu déposer la musique du tango « Volvemos a querernos » le 13 mai 1948, il n’a pas pu le faire, car ce titre était déjà pris.
J’ai voulu savoir quel était ce Volvemos a querernos initial. J’ai donc consulté le registre de la SADAIC et il y a bien deux musiques avec un titre proche. Mais la surprise est à venir :

Sous le numéro 333294, on trouve une œuvre enregistrée en 1988, soit 40 ans après la soi-disant date de collision des titres.

Registrada el 01/12/1988
T | VOLVAMOS A QUERERNOS OTRA
SANCHEZ NESTOR FERNANDO / BELLATO MARIA GABRIELA

On notera que le titre est VolvAmos a querernos et pas VolvEmos a querernos.
Mais il y a une deuxième surprise lorsque l’on vérifie l’enregistrement du tango déposé par Leocota et Aznar :

4772 | ISWC T0370051196
Registrada el 13/05/1948
T | (C’est le titre que nous connaissons)
S | VOLVAMOS A QUERERNOS (Avec VolvAmos), le sous-titre apporte une autre variante.
S | CHANTER LEOCATA AZNAR
S | Y VOLVAMOS A QUERERNOS LEOCATA AZ
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Il se peut donc que ce titre ait été enregistré ailleurs qu’en Argentine et je me suis tourné vers Leo Marini, un chanteur Argentin parti en 1950 à Cuba, Che. Justement, celui-ci a enregistré un boléro nommé « Volvamos a querernos ». Je le propose donc comme candidat pour la collision.
Cependant, j’ai un autre candidat…
Il s’agit de Y no te voy a llorar.

1200 | ISWC T0370013629
Registrada el 16/03/1948
T | NO TE VOY A LLORAR
CALO MIGUEL/NIEVAS ROBERTO HIGINIO

L’intrus est dans ce cas une composition de Miguel Calo déposée en mars.

# 28897 | ISWC T0370310761
Registrada el 31/08/1953
T | Y NO TE VOY A LLORAR
S | NO TE VOY A LLORAR
AZNAR MARIANO ABEL
LEOCATA LUCIANO

Ce dépôt est postérieur à celui de Y Volvemos a querernos, et il n’est donc sans doute pas le premier.
Je ne suis pas certain d’avoir trouvé le « gêneur », ni même si cette histoire est vraie. ET vous allez me faire remarquer que je parle d’un tango différent et vous avez tout à fait raison. Je reviens donc au Y.
Si Y Volvemos a querernos est le premier de la série des compositions de Leocata à être précédé d’un Y, beaucoup de ses compositions (environ 1/3) subiront le même sort. C’est devenu sa marque de fabrique.

Œuvres avec enregistrement disponible

  • Y volvemos a querernos 1949 (déposé à la SADAIC le 13 mai 1948)
  • Y mientes todavía 1950 (Déposé à la SADAIC le 23 octobre 1950)
  • Y no te voy a llorar 1953 (déposé à la SADAIC le 16 mars 1948) avec la collision de noms avec un titre de Miguel Calo).
  • Y todavía te quiero 1956 (notre titre du jour, déposé à la SADAIC le 18 janvier 1956). Il y a 22 thèmes avec un titre similaire, voire exactement le même. La règle de ne pas avoir deux œuvres du même nom semble avoir sauté… Le plus ancien semble être notre tango, car si plusieurs enregistrements ne sont pas datés, celui-ci a le numéro le plus petit.
  • Y te tengo que esperar 1957 (déposé à la SADAIC le 8 mars 1957)

Œuvres probablement sans enregistrement disponible.

  • Y a mi me gusta el tango (déposé à la SADAIC le 19 mai 1981)
  • Y deshojando el tiempo (déposé à la SADAIC le 13/03/1992)
  • Y el invierno queda atrás (déposé à la SADAIC le 8 juillet 2003)
  • Y esperando tu regreso (déposé à la SADAIC le 20 octobre 2005)
  • Y estás desesperado (déposé à la SADAIC le 6 novembre 1978)
  • Y este es el amor (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1995)
  • Y fue en aquel mes de mayo (déposé à la SADAIC le 18 mars 1998)
  • Y fue tan solo por amor (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y fue un sueño imposible (déposé à la SADAIC le 6 avril 1976)
  • Y hoy vuelvo a revivir (déposé à la SADAIC le 17 novembre 1989)
  • Y la quise con locura (déposé à la SADAIC le 17 septembre 1981)
  • Y la vida sigue igual (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y le canto a mi ciudad (déposé à la SADAIC le 8 avril 1991)
  • Y mentira fue tu amor (déposé à la SADAIC le 6 mai 1971)
  • Y no fue sin querer (déposé à la SADAIC le 22 mai 1989)
  • Y no me cuentes tu tristeza (déposé à la SADAIC le 1er août 1984)
  • Y no pudieron separarnos. Ce titre mentionné par Anamaria Blasseti n’est pas dans le listing de la SADAIC. J’ai vérifié les œuvres déposées par le co-auteur mentionné, Félix Arena (Rosario), la seule œuvre avec Y est Y mentira fue tu amor de 1971 et aucune autre de ses productions a un titre approchant.
  • Y no puedo vivir sin vos (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y no te creo (déposé à la SADAIC le 17 mai 1955)
  • Y para qué seguir fingiendo (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1993)
  • Y pretendes que empecemos otra vez (déposé à la SADAIC le 24 février 1982)
  • Y quiero estar a tu lado (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y quiero que vuelvas a mí (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
  • Y rogaré por vos (déposé à la SADAIC le 6 février 1975)
  • Y te acordás que fue una tarde (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y te deje partir (déposé à la SADAIC le 19 avril 2005)
  • Y todo es mentira (déposé à la SADAIC le31 janvier 1958)
  • Y uniremos nuestro amor (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y vivamos nuestro carnaval (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1980)
  • Y vuelvo a ser felix (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
  • Y yo tenía quince años (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)

Cela fait une belle liste. À ma connaissance, seuls les titres où j’ai indiqué la date ont été enregistrés (j’ai mentionné la date du plus ancien enregistrement connu).

À demain, les amis !

La última copa 1943-04-29 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Letra :

Ceux qui fréquentent les milongas portègnes ont sans doute été étonnés de voir la quantité de bouteilles de qui peuplent les tables. Ce breuvage a même des tangos à son nom. Toutes les boissons ne peuvent pas en dire autant. La última copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous conte ce tango.

Il y a champagne et champagne

L’Argentine est un grand pays de viticulture et de vin. Elle propose des vins somptueux, curieusement presque tous nommés du nom du raisin qui les composent. On va prendre un Merlot, un Cabernet, une Syrah, un Chardonnay…
Le champagne que l’on trouve sur les tables des milongas n’a de champagne que le nom, tout comme le Roquefort. Il est produit sur place, notamment à Mendoza et en Patagonie.
Progressivement, sous la pression des viticulteurs français, le nom change pour laisser apparaître « méthode champenoise » ou autre indication laissant penser que c’est du Champagne, sans le dire vraiment. J’imagine que les viticulteurs français de Champagne ne tiennent pas en grande estime ces vins, bien que certains se vendent en Argentine bien plus cher que les « vrais » champagnes de supermarché français. Cependant, dans les milongas, c’est bien un mousseux standard qui vous sera servi comme champagne.
Revenons à notre última copa. Je vous propose de l’écouter… dans une vingtaine de versions…

Extrait musical

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Castillo.

C’est une version bien rythmée, avec une accentuation forte des temps. Tanturi est considéré comme un orchestre facile à danser. Pour cette raison, on le rencontre souvent dans les encuentros. Ici, c’est la voix de Castillo qui déclame les paroles, tout au moins les deux premiers couplets et deux fois le refrain. Le chant commence à 1 minute, après la présentation par les bandonéons et les violons du thème, le violon travaillant surtout en ponctuation. À 2 : 05 Castillo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour terminer, juste avant les deux traditionnels accords de Tanturi (accord sur dominante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que esta noche de farra y de alegría
El dolor que hay en mi alma quiero ahogar

Es la última farra de mi vida
De mi vida, muchachos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la última copa
Que, tal vez, también ella ahora estará
Ofreciendo en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche amigo, nomás, écheme y llene
Hasta el borde la copa de champagne
Que mi vida se ha ido tras de aquella
Que no supo mi amor nunca apreciar

Yo la quise, muchachos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvidar
Yo me emborracho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más champagne
Que todo mi dolor bebiendo lo he de ahogar
Y si la ven, amigos, díganle
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Francisco Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Castillo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car en cette nuit de réjouissances et de joie, je veux noyer la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est partie avec celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pourrai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de champagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trinquons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aussi, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et remplis à ras bord la coupe de champagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su apprécier.

Pour ceux qui disent que le tango raconte des histoires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, parle plutôt d’un repentir, repentir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En parallèle de la détresse « théâtrale » du conteur, il y a eu auparavant la tristesse de la femme négligée.
Le champagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aussi de la tristesse. C’est un compagnon supplémentaire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siècle, depuis, pour le moins, que le tango s’est énivré du breuvage français dans les établissements parisiens au début du vingtième siècle.
Canaro est le compositeur de la musique. Caruso et Canaro furent amis, lorsque Caruso fut de retour d’exil, vers 1910. Caruso a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme et plus de 80 autres thèmes dont beaucoup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le premier à avoir enregistré le titre et il l’a fait à de nombreuses reprises. C’est lui qui commence la liste des versions.

La última copa 1926 — Orquesta Francisco Canaro.

La plus ancienne version enregistrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caruso. Le son est médiocre, aussi vous n’entendrez pas ce titre en . Mais rassurez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres versions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La última copa 1927-03-23 — Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Irusta, l’année suivante chante les paroles de Caruso. C’est la première version chantée et l’enregistrement électrique rend le titre plus agréable à écouter.

La última copa 1927-06-14 — con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Une version en chanson. On la comparera avec celle d’Héctor Mauré de 1954.

La última copa 1931-04-22 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une version chanson du thème.

La última copa 1931-05-13 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.

Une version de danse, chantée par Charlo, chanteur de estribillo.

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est le tango du jour.
La última copa 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

Une très belle version, mais pas forcément parfaite pour la danse. Les danseurs pourraient toutefois pardonner cela au DJ, car elle est superbe.

La última copa 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. Valse.

Une version originale en valse. Sosa avait gagné un prix en Uruguay qui consistait à enregistrer des disques. Le son n’est pas parfait, mais cette version originale mérite l’écoute, voire la danse.

La última copa 1953-10-06 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán.

Comme souvent, la rencontre Pugliese et Morán, donne un tango un peu délicat à danser. Certains apprécient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La última copa 1954 — Héctor Mauré con acomp. de guitarras.

Mauré reprend la tradition gardélienne. Le résultat est à comparer avec celui de son modèle.

La última copa 1956-09-25 — Orquesta Francisco Canaro con Guillermo Rico (Coral).

Une version dansable avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milongas.

La última copa 1957-05-20 — Dalva de Oliveira con acomp. de Francisco Canaro.

Avec ce septième enregistrement, Canaro a fait le tour. Ici une version à écouter par Dalva de Oliveira, à comparer avec celle d’Ada Falcón enregistrée 26 ans plus tôt.

La última copa 1958-04-17 — Orquesta Alfredo De Angelis con Juan Carlos Godoy.

Un De Angelis et Godoy classique. Bien dansable, enregistré par l’orchestre des calesitas.

La última copa 1965 — Orquesta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héctor Gagliardi.

Une version sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéressante

La última copa 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone con Mario Bustos.

L’orchestre sert bien la voix de Bustos. Je ne proposerai pas pour la danse, mais c’est intéressant.

La última copa 1968-10-18 — con .

Le Sexteto Tango héritier de Pugliese donne sa version sans renier son modèle. Voir N… N…. Une version pour l’écoute avec une belle intro, une caractéristique de cet orchestre.

La última copa 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien différente de celle de Mario Bustos. Je pense cette version moins intéressante que la précédente de Sassone.

La última copa 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. par Carlos Lazzari con Walter Gutiérrez.

Souvent présenté comme étant un enregistrement de D’Arienzo, c’est en fait un enregistrement réalisé par ses solistes dirigés par Lazzari, qui était un de ses bandonéonistes et arrangeur, 11 après la mort du chef historique. Une version tonique, mais plus dans le style chanson que tango chanté. Cependant, elle est dansable, même si ce titre ne porte vraiment l’improvisation.

La última copa 2003 — Orquesta Mancifesta con .

Cet orchestre a commencé sa carrière à la fin de la vague Tango (1953). On lui doit cependant des enregistrements intéressants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milonga, mériterait d’être plus entendu, même s’il n’est pas à la hauteur des plus grands orchestres. N’oublions pas que certains danseurs aiment être surpris par des versions inconnues.

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte

Enrique Mario Francini Letra

«La vi llegar», je l’ai vue venir, ne raconte pas l’arrivée espérée d’une femme, même si j’ai choisi dans mes illustrations de prendre le texte au pied de la lettre, je vais ici donner le véritable sens aux paroles de ce magnifique tango dont les paroles de Julián Centeya sont ici toute en finesse, je dirai même que tout le thème est un jeu de mots.

Extrait musical

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta con Raúl Iriarte.

Paroles

La vi llegar…
¡Caricia de su mano breve!
La vi llegar…
¡Alondra que azotó la nieve
 !
Tu amor -pude decirle- se funde en el misterio
de un tango acariciante que gime por los dos.

Y el bandoneón
-¡rezongo amargo en el olvido!-
lloró su voz,
que se quebró en la densa bruma.
Y en la desesperanza,
tan cruel como ninguna,
la vi partir sin la palabra del adiós.

Era mi mundo de ilusión…
Lo supo el corazón,
que aún recuerda siempre su extravío?.
Era mi mundo de ilusión
y se perdió de mí,
sumándome en la sombra del dolor.
Hay un fantasma en la noche interminable.
Hay un fantasma que ronda en mi silencio.
Es el de su voz,
latir de su canción,
la noche de su olvido y su rencor.

La vi llegar…
¡Murmullo de su paso leve
 !
La vi llegar…
¡Aurora que borró la nieve!
Perdido en la tiniebla, mi paso vacilante
la busca en mi terrible carnino de dolor.

Y el bandoneón
dice su nombre en su gemido,
con esa voz
que la llamó desde el olvido.
Y en este desencanto brutal que me condena
la vi partir, sin la palabra del adiós…

Enrique Mario Francini Letra: Julián Centeya

libre et indications

Je l’ai vue venir… (À prendre comme « je t’ai vu venir avec tes gros sabots ». Il a deviné que quelque chose clochait)
Caresse de sa main furtive ! (Elle l’effleure avec sa main, mais elle n’ose pas le toucher franchement).
Je l’ai vue venir…
Alouette qui fouettait la neige ! (La traduction est difficile. Disons qu’il compare la main à une alouette qui jetterait de la neige, du froid sur le cœur de l’homme).
Ton amour, pourrais-je lui dire, se fond dans le mystère d’un tango caressant qui gémit pour nous deux. (La femme cherche ses mots pour annoncer la mauvaise nouvelle).

Et le bandonéon
— grognait amèrement dans le désamour ! — (Olvido est à prendre ici dans son sens second, plus rare, comme la fin de l’affection et pas comme l’oubli).
Sa voix pleurait, en se brisant dans la brume épaisse.
Et dans un désespoir, plus cruel qu’aucun autre, ce fut sans un mot d’adieu…

C’était mon monde d’illusions…
Le cœur le savait, lui qui se souvient toujours de sa perte.
C’était mon monde d’illusion qui fut perdu pour moi, me plongeant dans l’ombre de la douleur.
Il y a un fantôme dans la nuit interminable.
Il y a un fantôme qui rôde dans mon silence.
C’est le souvenir de sa voix, le battement de sa chanson, la nuit de son désamour et de son ressentiment.

Je l’ai vue venir…
Le murmure de son pas léger !
Je l’ai vue venir…
Aurore qui a envoyé la neige !
Perdu dans les ténèbres, mon pas vacillant la cherche sur mon terrible chemin de douleur.

Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui l’appelait depuis le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…
Et le bandonéon prononce son nom dans son gémissement, de cette voix qui invoquait le désamour.
Et dans ce désenchantement brutal qui me condamne, je l’ai vue partir, sans un mot d’adieu…

Je l’ai vue venir

On emploie souvent cette expression quand dire que la personne qui nous parle ne va pas directement au but, mais que l’on a deviné bien avant qu’il le dise où il voulait aller.
Les paroles de ce tango alternent donc avec « je l’ai vue venir » en prenant la métaphore de l’arrivée avec la neige pour montrer qu’elle lance un froid et « je l’ai vue partir », sans un mot d’adieu. Là, on n’est pas dans le figuré, elle est vraiment partie.

Autres versions

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte. C’est notre
La vi llegar 1944-06-27 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino.

Contrairement à Caló, Troilo ne donne pas la vedette aux violons et dès le début, les bandonéons les accompagnent et les différents solos sont courts et avec un accompagnement très présent. Francini est violoniste, mais Troilo est bandonéoniste…

Une version au cinéma extraite du film Los Pérez García (1950). Orquesta con .

La vi llegar 1949-50 — Orquesta Enrique Mario Francini y Con Alberto Podestá. Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950.

Extrait du film Los Pérez García sorti le premier février 1950. Comme il n’y a pas de véritable enregistrement de ce titre par son compositeur, on est content de l’avoir dans ce film. Petit gag, Armando Pontier semble avoir un problème avec son bandonéon au début de l’interprétation. On peut aussi voir Enrique Mario Francini au violon, jouant sa composition. On peut juste regretter de ne pas avoir un disque de cette prestation. Peut-être qu’un jour on retrouvera les enregistrements de studio qui ont été exploités pour le film. Tout est possible en Argentine. C’est même là que l’on a retrouvé les parties perdues du chef d’œuvre de Fritz Lang, Metropolis.
Metteur en scène ; Fernando Bolín y Don Napy, scénario Oscar Luis Massa, Antonio Corma y Don Napy. Le film est tiré du feuilleton radiophonique du même nom et met en scène plus ou moins les mêmes acteurs.

A los amigos, La vi llegar 1958 – Francini-Pontier, Orquesta Típica – Dirección .

C’est le 28e morceau du disque. Bien qu’il y ait deux titres enchaînés, la pièce est courte (1:50). La vi llegar qui est le thème le plus intéressant notamment grâce au violon solo de Francini commence à 45 s. (bandonéon et Jaime Gosis (piano) complètent l’orchestre. Ci-dessous, la couverture du disque.

C’est un 33 tours (long play) qui comporte 34 titres qui ont la particularité (sauf un), d’être joués par différents orchestres, mais tous dirigés par le même chef, Argentino Galván. J’ai proposé sur Facebook un jeu sur cette couverture, de découvrir tous les lieux, et clins d’œil au tango qu’elle mentionne.

La vi llegar 1961 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.

Pour ceux qui aiment la voix pleurante de Maciel dans les années 60, ça devrait plaire. J’imagine même que certains le danseraient.

La vi llegar 1966 — Octeto Tibidabo dir. Atilio Stampone.

Seule version instrumentale de ma sélection. Le piano de Stampone en fait une version intéressante. J’ai aussi mis cette version, car Tibidado est présent sur la couverture du disque de 1960 dirigé par Argentino Galván. Le Tibidabo était un cabaret situé sur Corrientes au 1244. Il a fonctionné de 1942 à 1955. Aníbal Troilo en était un des piliers.

La vi llegar 1970-05-07 — Roberto Goyeneche Orquesta Típica Porteña dir. y arreglos Raúl Garello y Osvaldo Berlingieri.

Une version émouvante et impressionnante. Bien sûr, pas pour la danse, mais elle vaut l’écoute, assurément.

À propos des illustrations

On aura bien compris que la neige que j’ai représenté dans les deux images était « virtuelle ». C’est le froid qu’a laissé le désamour.
La première image est « Je l’ai vue venir ». Ici, au sens propre alors que c’est plutôt figuré dans la chanson.

Elle arrive pour rompre, elle est triste.

Puis, elle est partie. Sans parole d’adieu. Là, elle n’a pas de valise. Je trouvais que cela aurait alourdi cette image que je voulais toute légère. Elle part vers la lumière et lui reste dans l’ombre et le froid. J’avais fait au départ une ombre plus marquée en bas qui partait de celle de la femme qui part, mais je n’arrivai pas à cadrer ça dans un format 16/9e. Alors, il n’y a plus d’ombre.
À demain les amis, pour un thème, beaucoup plus glaçant. En effet, la neige d’aujourd’hui était virtuelle, mais demain, je vais jeter un froid.

El adiós 1938-04-02 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Maruja Pacheco Huergo (María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

Plus de 200 tangos ont dans leur titre le mot «Adios». C’est donc un thème fort du tango, mais la composition écrite par Maruja Pacheco Huergo est de loin la plus célèbre. Je vous propose, la version qui est considérée comme la plus belle, celle de Donato avec Lagos qui fête aujourd’hui ses 86 ans.

Il y a adiós et adiós

Il y a environ 200 tangos avec adiós dans le titre dont on a au moins un enregistrement et il faut rajouter une dizaine de valses et même une milonga.
Cependant, tous les adiós ne sont pas similaires.
Contrairement au français, adiós n’a pas la connotation définitive de l’adieu. En français, on dit surtout Adieu quand on ne compte plus se revoir, ou seulement en présence de Dieu (À Dieu), après la résurrection.
Pour les Argentins, ce n’est pas le cas. C’est un synonyme complet d’au revoir et il s’emploie donc de la même façon. Un Argentin qui vous dit adieu a l’intention de vous revoir, il vous recommande juste « à Dieu », c’est-à-dire qu’il vous souhaite d’aller bien pendant le temps de la séparation.
Cependant, en Argentine également, le terme adiós a une signification définitive. On l’utilise également pour quitter un défunt, tout comme en France.
Dans le petit monde du tango, il est fréquent que l’on honore un défunt en lui faisant un adieu musical. Parmi les titres célèbres dans ce sens, on a A Magaldi, cette valse d’adieu à Agustín Magaldi, composée par Carlos Dante et et dont les paroles sont de Juan Bernardo Tiggi. On connaît les merveilleuses versions chantées justement par Carlos Dante, notamment celle de 1947, 9 ans après la mort d’Agustín qui lui-même avait chanté pour la mort de Gardel peu d’années auparavant. Nous en reparlerons le 21 octobre…

Note : El adiós, porte un S à la fin, car c’est « À Dieu » (adieu), Dieu se dit « Diós » en espagnol, ce n’est pas un S du pluriel. Comme DJ, combien de fois ai-je entendu nommer ce titre « El adio »…

Maruja Pacheco Huergo

Maruja (María Esther) Pacheco Huergo (3 avril 1916 – 2 septembre 1983) était pianiste, compositrice et parolière, mais également auteure (notamment de poèmes et scénarios), actrice et professeur de musique et de chant.
Elle a composé plus de 600 thèmes, pas tous des tangos, mais parmi ses créations dont nous avons une trace enregistrée dans notre domaine qu’est le tango, on pourrait citer les titres suivants :

Comme auteure et compositrice :

Sinfonía de arrabal, (paroles et musique) célèbre par le même chef d’orchestre que El Adios, notre tango du jour avec le trio enchanteur de Horacio Lagos, Lita Morales et Romeo Gavioli.
Cuando silba el viento une habanera dont elle a également écrit, paroles et musique.
Lejanía (une chanson qu’a chantée Corsini), Oro y Azul, El , Con sabor a tierra, Nenucha et environ 500 autres titres que vous me pardonnerez de ne pas lister ici, mais ce ne sont pas non plus des tangos.

Comme compositrice

Canto de ausencia mise en musique d’un texte d’
Don Naides avec des paroles de Venancio Clauso
Gardenias avec des paroles de Manuel Enrique Ferradás Campos (son mari)
Milonga del aguatero et Cancionero porteño del siglo XIX avec des paroles d’Eros Nicola Siri

Comme parolière

Sur des musiques de Donato, elle a écrit les paroles d’Alas rotas, Para qué, Lágrimas et Triqui tra.
Ses 600 compositions lui valent d’être inhumée au panthéon SADAIC (société des auteurs et compositeurs argentins) du cimetière de la Chacarita ().

Virgilio San Clemente

Virgilio San Clemente est surtout un poète. On lui doit cependant les paroles de El adios, et de quelques autres titres, comme la jolie valse Viejo jardín et sans doute Dulce amargura (mais il y a un doute, car il est mentionné tantôt comme compositeur ou comme parolier). Comme il m’est impossible de départager les deux possibilités, voici où j’en suis de l’investigation…

Sur le disque de gauche, Fresedo (1938), Virgilio San Clemente est indiqué comme compositeur. Sur celui du milieu, Nano Rodrigo (1940), ce sont Torres et Alperi et sur celui de droite qui est une réédition en vinyle de l’enregistrement de 1938 de Corsini, il y a bien les trois noms, mais sans distinction de fonction.
En résumé, si Virgilio était poète, il a peut-être composé un tango et à assurément écrit les paroles d’autres.
Torres et Alperi ne sont pas des compositeurs connus, on ne peut pas lever le doute sur la composition de ce titre tant que l’on n’a pas la partition originale que je n’ai pas encore trouvée.
En attendant, je penche plutôt du côté où San Clemente s’est cantonné aux paroles pour Dulce Amargura. Les deux œuvres sont écrites de façon comparable, en trois parties et avec des rimes approximatives, mais devinables. Viejo jardín est différent, il y a plus de couplets, mais les rimes sont également très approximatives. Ces indices, très légers n’invalident pas la possibilité qu’il soit l’auteur des trois textes.

Extrait musical

El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Les cordes sont très présentes dans cette version, en legati des violons et en pizzicati. Quelques accents des bandonéons. Le piano chante également sa partie à tour de rôle jusqu’à à 1 :42 entre en scène Lagos qui ne chante que très brièvement, seulement le premier couplet. Il explique le thème et laisse la parole aux instruments pour les 55 dernières secondes.

Les paroles

En la tarde que en sombras se moría,
buenamente nos dimos el adiós ;
mi tristeza profunda no veías
y al marcharte sonreíamos los dos.
Y la desolación, mirándote
al partir,
quebraba de emoción mi pobre voz…
El sueño más feliz, moría en el adiós
y el cielo para mí se obscureció.

En vano el alma
con voz velada
volcó en la noche la pena…
Sólo un silencio
profundo y grave
lloraba en mi .

Sobre el tiempo transcurrido
vives siempre en mí,
y estos campos que nos vieron
juntos sonreír
me preguntan si el olvido
me curó de ti.
Y entre los vientos
se van mis quejas
muriendo en ecos,
buscándote…
mientras que lejos
otros brazos y otros besos
te aprisionan y me dicen
que ya nunca has de volver.

Cuando vuelva a lucir la primavera,
y los campos se pinten de color,
otra vez el dolor y los recuerdos
de nostalgias llenarán mi corazón.
Las aves poblarán de trinos el lugar
y el cielo volcará su claridad…
Pero mi corazón en sombras vivirá
y el ala del dolor te llamará.
En vano el alma
dirá a la luna
con voz velada la pena…
Y habrá un silencio
profundo y grave
llorando en mi corazón.

Maruja Pacheco Huergo (María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

Traduction libre et indications

Dans la soirée qui se meurt en ombres,
Nous nous sommes tout bonnement dit adieu ; (un adieu comme si c’était un au revoir pour elle).
Tu ne voyais pas ma profonde tristesse
Et quand tu es partie, nous sourions tous les deux.
Et la désolation, de te regarder partir,
brisa d’émotion, ma pauvre voix…
Le rêve le plus heureux est mort dans l’adieu
Et le ciel pour moi s’est obscurci.
En vain l’âme
d’une voix voilée
déversa le chagrin dans la nuit…
Juste un silence
profond et grave
pleurait dans mon cœur.

À propos du temps écoulé,
tu vis toujours en moi,
et ces champs qui nous ont vus
sourire ensemble
me demandent si l’oubli
m’a guéri de toi.
Et parmi les vents
mes plaintes s’en vont
mourant en échos
te cherchant…
pendant qu’au loin
d’autres bras et d’autres baisers
t’emprisonnent et me disent
que jamais, tu ne reviendras.

Quand le printemps brillera à nouveau,
et que les champs se peindront de couleurs,
encore une fois, la douleur et les souvenirs
rempliront mon cœur de nostalgie.
Les oiseaux peupleront de trilles l’espace
et le ciel répandra sa clarté…
Mais mon cœur vivra dans l’ombre
et l’aile de la douleur t’appellera.
En vain l’âme
dira à la lune
d’une voix voilée, la douleur…
et il y aura un silence
profond et grave
Pleurant dans mon cœur.

Autres versions

El adiós 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

Cette version fait jeu égal avec celle de Donato. Je sais que certains préfèrent celle de Donato, mais pour moi, il est difficile de les départager. Dans un bal, je peux passer indifféremment l’une ou l’autre, selon l’ambiance que je veux donner. La version de Canaro marche de façon obstinée, avec de jolis passages de violons ondulants et des moments de piano qui ponctuent. Rien de monotone dans cette version, toujours entraînante.

El adiós 1938-03-15 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Avec un accompagnement de guitares, Corsini chante l’intégralité des paroles. Corsini a enregistré 12 jours après après Canaro, mais il a été le premier à jouer le titre, comme en témoigne la partition.

El adiós 1938 Hugo Del Carril con orquesta.

C’est une version à écouter. La voix d’Hugo Del Carril exprime avec émotion les sentiments du narrateur. C’est à comparer avec l’enregistrement d’Ignacio Corsini de la même époque. La voix de Del Carril pourrait tenir la comparaison avec les versions de Maida et Lagos. L’orchestre est également agréable, on se prend à regretter qu’une version de danse ne soit pas venue compléter cet enregistrement.

El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est le tango du jour.
El adiós 1954-01-28 –  con su orguesta dirigida por Armando Lacava.

Pour une version de chanteur, cette interprétation de Vargas. Donne la part belle à l’orchestre de Lacava. Le thème est chanté par les instruments avec des variations d’intensités qui donnent de la structure à la musique. Après une minute Vargas commence et chante, une minute environ, laissant les 45 dernières à l’orchestre, sauf une courte reprise de la seconde partie du refrain en final. Cette version de chanteur est presque un tango de danse.

El adiós 1963 – Orquesta con Jorge Maciel.

Hier, je parlai de Recuerdo. La version de El adiós n’est assurément pas un tango conçu pour la danse. C’est musicalement sublime, même si la voix de Maciel peut parfois être modérément appréciée. Je sais que beaucoup de danseurs se battront pour le danser sur la piste. Alors, je pourrai le passer, mais il y a tant de belles choses de Pugliese parfaites pour la danse que Maciel ne sera pas une de mes priorités, même si les danseurs applaudissent souvent (ce qui ne se fait pas à Buenos Aires).

El adiós 1973 – Hugo Díaz.

C’est la seule version instrumentale de ma sélection, mais l’ d’Hugo Díaz est comme une voix. Il commence par un cri déchirant et ensuite semble pleurer. La guitare le rejoint mais avec un tampon imparable, qui s’ajuste parfois aux accents les plus tristes de l’harmonica. Du très grand Hugo Díaz. À priori, ce n’est pas pour la danse, mais cette version est tellement émouvante qu’elle pourrait participer à une belle tanda particulière. Il y a une vingtaine d’année, une danseuse adorait et lorsque j’animais la milonga, je passais souvent cet artiste quand elle était là.
Pour terminer, une version de 2010 par le Dúo Angelozzi-Cavacini auquel s’est jointe Ivana Fortunati. Cet enregistrement est en hommage à Remo Angelozzi récemment décédé. Vous le connaissez sans doute mieux sous son nom d’artiste, Raúl Angeló quand il était, notamment le chanteur de l’orchestre d’Edgardo Donato (en 1953).

El adiós 2010 — Dúo Angelozzi-Cavacini junto a Ivana Fortunati. Analia Angelozzi et Ivana Fortunati sont accompagnées par Pablo Cavacini et Jose Morán à la guitare et par Bocha Luca au bandonéon.

Adiós queridos amigos, hasta mañana.

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra :

Recuerdo serait le premier tango écrit par Osvaldo Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est étonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une première œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osvaldo est né en 1905, le 2 décembre. Bien que d’une famille modeste, son père lui offre un violon à l’âge de neuf ans, mais Osvaldo préféra le piano.
Je vais vous présenter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présentant les musiciens.

Adolfo Pugliese (1876-06-24 – 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme compositeur, on lui attribue :

Ausencia (Tango mío) (Tango de 1931), mais nous verrons, à la fin de cet article, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son père qui était cordonnier, mais il était aussi éditeur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osvaldo a souhaité faire du piano, cela ne semble pas avoir posé de problème alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait être partagé avec son frère aîné, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus démunies…
Même si Adolfo a écrit, semble-t-il, écrit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche édité, notamment ceux de ses enfants…
Voici deux exemples de partition qu’il éditait. À droite, celle de Recuerco, notre . On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, à savoir : , reconnaissable à son violon avec cornet qui est également le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonéon (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss à la contrebasse, au bandonéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : , le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonéon et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo à la contrebasse, au bandonéon et Emilio Puglisi au violon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osvaldo Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osvaldo d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la répartition des gains avec son orchestre. Il divisait les émoluments en portions égales à chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tango d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enregistré en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.

Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)

Alberto Pugliese (1901-01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieusement, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tango. Alberto a pourtant réalisé des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :

  • Adoración (Tango) enregistré Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos Viván (1930-03-28).
  • Cabecitas blancas (Tango) enregistré par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
  • Cariño gaucho (Milonga)
  • El charquero (Tango de 1964)
  • El remate (Tango) dont son petit frère a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont également enregistré.
  • Espinas (Tango) Enregistré par Firpo (1927-02-27)
  • Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrée par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
  • Por una carta (Tango) enregistré par la Típica Victor (1928-06-26)
  • Soñando el Charleston (Charleston) enregistré par Adolfo Carabelli Jazz Band (1926-12-02).

Il en a certainement écrit d’autres, mais elles sont encore à identifier et à faire jouer par un orchestre qui les enregistrera…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gênes ont aussi été transmis à la descendance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adolfo Vicente (surnommé Fito pour mieux le distinguer de son père Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir écrit ou enregistré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un brillant violoniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cependant, la mésentente avec le père a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Plata où il a délaissé la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Concepción Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et éditeur.
Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a joué avec son quinteto…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, même si Carla s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espagnol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musiciens. Le père était zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’Européens qui ont émigré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Carlos Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie
Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adopté en souvenir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie
Ils se sont mariés le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (Père d’Osvaldo, compositeur, éditeur et flûtiste)
  • Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
  • Luisa María Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vulcano 1883
  • Concepción María Ana PUGLIESE Vulcano 1885

Extrait musical

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Dans cette version il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les versions enregistrées auparavant avaient déjà pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencé les orchestres qui ont interprété son œuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternité de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.

Les paroles

Ayer cantaron las poetas
y lloraron las orquestas
en las suaves noches del ambiente del placer.
Donde la bohemia y la frágil juventud
aprisionadas a un encanto de mujer
se marchitaron en el bar del barrio sud,
muriendo de ilusión
muriendo su canción.

Mujer
de mi poema mejor.
¡Mujer!
Yo nunca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi gloria ideal
Perdón,
serás mi verso inicial.

Y la voz en el bar
para siempre se apagó
su motivo sin par
nunca más se oyó.

Embriagada Mimí,
que llegó de París,
siguiendo tus pasos
la gloria se fue
de aquellos muchachos
del viejo café.

Quedó su nombre grabado
por la mano del pasado
en la vieja mesa del café del barrio sur,
donde anoche mismo una sombra de ayer,
por el recuerdo de su frágil juventud
y por la culpa de un olvido de mujer
durmióse sin querer
en el Café Concert.

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Dans la version de la Típica Victor de 1930, Roberto Díaz ne chante que la partie en gras. Rosita Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chanté et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse fragile prisonnière du charme d’une femme se flétrissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Pardon !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon couplet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quartier sud, où hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le Café-Concert.

Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition éditée avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dès cette version, la variation finale si célèbre est déjà présente.
Recuerdo 1927 — Rosita Montemar con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intérêt historique et pour avoir les paroles chantées…
Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha. On trouve dans cette version enregistrée à Paris, quelques accents qui seront mieux développés dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintéressant. Cela reste cependant difficile de passer à la place de « La référence ».
Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta Típica Victor con Roberto Díaz. Une des rares versions chantées et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonorité étonnante à cette version. On l’entend particulièrement après le passage chanté.
Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta Francisco Lomuto. Une version très intéressante. Que je pourrais éventuellement passer en bal.
Recuerdo 1941 Orquesta Aníbal Troilo. La prise de son qui a été réalisée à Montevideo est sur acétate, donc le son est mauvais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta . Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intéressant de voir comment cette version avait été annoncée par quelques interprétations antérieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens…
Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur à la musique.
Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. On retrouve Pugliese, 22 ans après son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une émission de télévision, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au théâtre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese au Théatre Colon, le 12 décembre 1985.

Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.

Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a continué à jouer à de nombreuses reprises sa première œuvre. Vous pouvez écouter les différentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrêter là notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la partition éditée en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la première composition d’Osvaldo.
Écoutons le seul tango qui soit étiqueté Adolfo :
Ausencia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orquesta Típica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo.
On notera toutefois que la réédition de cette partition est signée Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très probable. Le père et sa vie peu équilibrée et n’ayant pas donné d’autres compositions, contrairement à ses garçons, pourrait ne pas être compositeur, en fait.

Pour certains, c’est, car Osvaldo était mineur, que son père a édité la partition à son nom. Le problème est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient été antérieurement édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’ de son frère aîné
Adolfo (Fito). Ce dernier était un brillant violoniste et compositeur.
Pedro Laurenz, alors Bandonéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchiano travaillait alors au café ABC, comme l’indique Osvaldo qui était ami avec le bandonéoniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandé les deux titres marqués Adolfo (Ausencia et Recuerdo).
On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expliquer que le nom de son père soit sur les partitions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donné à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trouver du travail et qu’il avait décidé de se reconvertir comme éditeur de partition. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère utilisée dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Amuchástegui dans Cien tangos fundamentales.
Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale à la pièce, serait d’Enrique Pollet, alias El Francés, (1901-1973) le bandonéoniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cependant, la version de 1927 chantée par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantée par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimé la variation finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir donné le goût de la musique à ses enfants. Il semble avoir été un père moins parfait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette œuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute régulièrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuerdo restera un souvenir vivant.