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Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta Ricardo Malerba

Francisco Gullo ()

La superbe valse Corazón de artista, écrite par Pascual de Gullo va nous permettre de découvrir un peu l’univers de Malerba, mais aussi de faire un peu de technique de DJ, sur la construction des tandas et sur d’autres aspects, comme la balance.

Extrait musical

Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta .

Les bandonéons incisifs lancent le titre. Le piano assure les transitions, puis les violons se joignent pour lancer leurs phrases en legato.
Le piano a ensuite de beaux passages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (marquage des trois temps en accentuant le premier).
Cette description pourrait tout à fait s’appliquer à l’orchestre de D’Arienzo. Nous sommes assez loin du Malerba, qui peut parfois être un peu mièvre.
C’est donc une très belle version que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’article.

Autres versions

Corazón de artista 1935-04-16 – Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.

Cette version est assez différente des deux autres versions que je vous présente dans cette anecdote. Elle est beaucoup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rougir le DJ qui la passera en milonga.

Corazón de artista 1936-11-27 – Orquesta .

Que D’Arienzo nous offre une version dynamique n’étonnera personne. Les violons et bandonéons à l’unisson cisaillent la musique, puis les violons lissent le tout dans de longues phrases suaves. Le piano de Biagi réalise les enchaînements avec une confiance qui commence à se voir.
L’accélération finale, une fois de plus, réalisée par la subdivision des temps en doubles-croches, permet de terminer dans une valse enthousiaste, sans avoir à modifier le tempo.

Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta Ricardo Malerba. C’est notre valse du jour.

Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?

Est-ce à cause de l’auteur ?

De Gullo est l’auteur principalement de valses. Certaines sont très connues, comme , et notre valse du jour.

Quelques couvertures de partitions de valses de Pascual De Gullo.

Je vous propose ici de vous présenter des versions plus rares.

Amorosa 1930-09-17 – Orquesta Juan Guido.

Cet admirable orchestre est curieusement négligé. On peut le comprendre pour les tangos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exemple, mais Guido a enregistré des perles que je propose parfois en milonga. J’ai même failli le faire à Buenos Aires, cette semaine, j’étais en train de préparer la tanda et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’ambiance de la piste.

y sonrisas 1934-10-20 – Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.

Dommage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tanda que Corazón de artista 1935 du même Pocholo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la vingtaine de valses enregistrées par Pocholo.

Sueño de virgen 1943-12-30 – dir. Francisco Canaro.

Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’auteur qui nous a proposé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros succè, elles ont été assez peu enregistrées. Peut-être qu’un orchestre contemporain serait bien inspiré de fouiller dans ce répertoire au lieu de ressortir toujours les dix mêmes titres.

Est-ce à cause de Malerba ?

Pour pouvoir créer une tanda cohérente, il faut trois ou quatre titres. Pour les valses, on limite assez souvent le nombre à trois titres.
Donc, il nous faut trouver deux ou trois valses de Malerba qui puissent aller avec notre valse du jour. Comme il a enregistré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tanda.

Il a enregistré deux valses avec :

Aristocracia 1956-06-01 – Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.
Quejas de Montmartre 1956-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.

Cette valse magnifique a été composée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a utilisé ce titre pour son film French Cancan de 1954. Le titre original de la valse est « La Complainte de la Butte ». On le connait par de nombreux chanteurs, dont bien sûr, Cora Vaucaire, qui l’a lancé, puis toujours en 1955, par André Claveau, Patachou et Marcel Mouloudji.

La complainte de la butte dans le film French Cancan de Jean Renoir (1954). Musique de Georges Van Parys et paroles de Jean-Renoir. En deuxième partie, la doublure-voix de Anna Amendola, Cora Vaucaire (La Dame blanche) sur scène en 1956.

Ce sont donc deux valses intéressantes, mais qui ne vont pas ensemble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tanda de ce côté. Continuons de chercher…

La dernière valse en stock a été enregistrée avec le chanteur vedette de Malerba, . Est-ce enfin une piste intéressante ? Écoutons.

Cuando florezcan las rosas 1943-06-10 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina (Ricardo Malerba – Dante Smurra Julio Jorge Nelson).

Je pense que nous sommes d’accord, encore une fois, cette valse est à part, et absolument pas compatible avec notre valse du jour.

En résumé, il est impossible de faire une tanda à partir de la valse Corazón de artista dans la version de Malerba.

Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs

Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres contemporains enregistrent un nombre suffisant de valses ou de milongas pour pouvoir faire des tandas et quand ils le font, ce n’est pas toujours génial à rassembler dans une tanda. Bien souvent, si un DJ faisait la même programmation que certains orchestres, il se recevrait des tomates.
Le problème est que les orchestres sont souvent composés de pièces rapportées et qu’ils répètent peu ensemble. Il n’est qu’à voir sur les festivals comment se passe la balance. Cette opération est censée permettre à l’ du son d’équilibrer les instruments et les retours des musiciens.
Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instrument le ou les microphones convenables (généralement indiqués dans la fiche technique de l’orchestre). Une fois raccordés à la console de mixage, on prépare la place des différents instruments. Il ne suffit pas de régler leurs volumes respectifs, il faut également « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mixage soit harmonieux. Sinon, on fait une course à la puissance, sur les mêmes fréquences et la musique est totalement déséquilibrée.
Quand un chanteur intervient, par exemple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le compositeur a bien géré les choses, il évitera de mettre un second instrument dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas toujours le cas et vous avez certainement en tête des enregistrements où l’ingénieur du son a baissé exagérément le volume pour dégager la voix, mais cela est fait en enlevant la base musicale dont se servent les . Dans les prestations en direct, les musiciens vont demander au sonorisateur d’augmenter leur volume, car ils ne s’entendent pas alors que cela vient souvent d’un mauvais réglage des fréquences et d’un mauvais équilibre des retours.
Dans un orchestre sans amplification, les musiciens ont leur place si le compositeur et/ou l’arrangeur ont bien effectué leur travail. Le chef gère juste le volume des instruments pour faire ressortir une voix plus que les autres, ou pas.
Vous êtes très familiers de ce phénomène et c’est facile à constater en écoutant le même titre par différents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrangements, dans certaines versions, un instrument est au premier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instrument qui est mis en valeur.
Un mauvais réglage des retours ou de la balance fait que de nombreuses prestations sont désastreuses pour le public. Les instrumentistes ne s’entendant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frottées jouent faux, ce qui est parfois recherché, mais pas toujours.
Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 secondes pour faire la balance, alors que ce serait utile de pouvoir étudier correctement la salle auparavant et d’équilibrer l’égalisation en conséquence. Combien de fois, la balance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répétition et qu’au final, le véritable travail de balance n’a pas été correctement effectué. Parfois, la balance continue alors que le public est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure.
A minima, ce serait sympa de la part des organisateurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 minutes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impossible de les avoir. Parois, il n’est même pas possible de tester mes tranches sur la console, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus possible de balancer du bruit rose au volume correct quand il y a déjà le public dans la salle.
Contrairement à ce que certains pensent, le travail de DJ est assez complexe, car il faut équilibrer des musiques de sources variées. Pouvoir faire une balance de qualité, c’est l’assurance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’autant plus important quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son correct à son emplacement, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé permet de limiter ce problème, à condition qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 minutes de préparation…

Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?

Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui consiste à pouvoir composer une tanda mixte, c’est-à-dire à partir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tangos, mais, beaucoup plus courant pour les milongas et les valses. Pour les milongas, cela reste assez compliqué, car il y a différents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milongas qui ne vont pas bien ensemble. Cela demande donc un peu de réflexion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beaucoup plus facile. Il suffit d’associer des titres au rythme comparable, de même caractère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Malerba avait des accents qui rappelaient D’Arienzo. Il semble donc évident que chercher à compléter une tanda de valse de D’Arienzo avec ce titre peut être une excellente idée. En tout cas, c’est la direction que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres possibilités. Vous pouvez donner votre avis dans les commentaires.

À bientôt les amis !

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra:

du jour, Lágrimas a été enregistré il y a exactement 85 ans par Donato et Lagos.
Maruja Pacheco Huergo, l’auteure des paroles a su trouver les mots pour parler de la détresse de l’abandon. Je vous invite donc, au-delà de ce thème, à découvrir cette femme exceptionnelle, auteure de tangos sublimes comme
El adiós.

Le tango du jour

L’association Donato et Lagos a donné un grand nombre de tangos magnifiques. Celui d’aujourd’hui, qui fête son anniversaire aujourd’hui, parle de tristesse, mais la musique dynamique de Donato se démarque de la plupart des tangos portant ce titre « Lagrimas » en abandonnant la tristesse généralement de mise.
On compatit aux larmes, mais on se laisse emporter dans la musique pour danser sur la piste ce tango entraînant.
Notons que Donato a également enregistré une valse de ce titre écrite par Vicente Vilardi ; J. Pastene Letra : Juan De la Calle (Federico Saniez).
Je reviendrai sur ce point dans quelques jours, au sujet de y sonrisas ; la tristesse et les valses.

L’orchestre de Donato

Edgardo Donato

Edgardo Donato était violoniste et au début de son orchestre, en 1930, il jouait en plus de diriger l’orchestre.
Dans l’orchestre on retrouve deux des ses huit frères Osvaldo au piano et Ascanio au violoncelle.
Petit cadeau, la composition de son orchestre en 1930 et en 1936. Dans l’orchestre de 1936, on remarque trois chanteurs qui ont produit plusieurs titres ensemble, leurs voix se mariant parfaitement.

Instrumentistes Orchestre de 1930 Orchestre de 1936
Bandonéonistes José Roque Turturiello
Vicente Vilardi
Miguel Bonano
José Roque Turturiello
Vicente Vilardi
Eliseo Marchesse
José Budano
Violonistes Edgardo Donato
Armando Julio Piovani
Pascual Humberto Martínez
Armando Julio Piovani
Domingo Mirillo
José Pollicita
Pianiste Osvaldo Donato
Violoncelliste Ascanio Donato Ascanio Donato
Contrebassiste José Campesi José Campesi
Accordéoniste   Washington Bertolini
(pseudo de Osvaldo Bertoni)
qui était aussi pianiste.
Chanteurs Luis Díaz
Antonio Rodríguez Lesende
Carlos Viván
Horacio Lagos

Romeo Gavio
L’orchestre d’Edgardo Donato en 1930 et 1936. Remarquez la présence de ses frères Osvaldo (Piano) et Ascanio (violonceliste)

L’orchestre d’Edgardo Donato en 1933 (ce n’est pas la composition du 6 mars 1939, mais il y a les trois frères Donato, Edgardo, Osvaldo et Ascanio.

Maruja Pacheco Huergo

Sous ses allures discrètes et modestes se cachait un génie. Maruja, Pacheco Huergo.

Maruja Pacheco Huergo de son véritable nom, María Esther Pacheco Huergo était une femme remarquable. Je vous propose donc quelques éléments sur Maruja (surnom hypocoristique de Maria).
Si on se limite à sa production de tango, on pourrait citer El adiós, Don Naides, Milonga del aguatero, Sinfonía de arrabal, ou Vuelves et quelques autres dont elle est la compositrice et parfois aussi l’auteure, comme pour le tango du jour dont elle n’a écrit que les paroles. Mais elle a écrit aussi environ 600 titres dans tous les rythmes. C’était donc une compositrice particulièrement prolifique.
Mais Maruja était aussi pianiste, chanteuse, auteure et actrice, voire professeur de piano et de chant. Le meilleur est qu’elle a fait tous ces métiers avec . Elle était l’épouse de , lui-même écrivain de tangos et journaliste, mais avec nettement moins de rayonnement que son épouse.

Extrait musical

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Les paroles

Ansias de hundir en las sombras
la angustia infinita que quiero ocultar.
Ansias de llorar tu llanto,
pena de quererte tanto,
voy por un camino largo
llevando en mi alma buena
mi propio desencanto…
arrastrando en mi agonía
la cruz de mi resignación.

Lágrimas…
En la amargura de mi vida son,
bálsamo…
Que cicatrizan mi dolor.
Benditas una y mil veces estas lágrimas,
sinceras, que brotaron
de mi pobre corazón.

Lágrimas…
Que enmudeciendo mis tristezas van,
lágrimas…
tibia llovizna de pesar.
Hoy llegan hasta el cáliz de mi vida,
suavizando la nostalgia
de esta inmensa soledad.

Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo

D’autres enregistrements

Lágrimas n’a été enregistré que par Donato. Avec Horacio Lagos en 1939 et en 1956.

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. Tango du jour.

C’est le tango du jour. J’ai eu la chance de le danser hier à la milonga Nuevo Chique avec l’excellent DJ Dany Borelli. Je confirme que malgré les paroles, le plaisir de le danser est total.

Lágrimas 1956-06-21 – Orquesta Edgardo Donato con Oscar Peralta

Cette dernière version va sans doute surprendre les fans de Donato qui oublient trop souvent que beaucoup de chefs d’orchestres ont eu une carrière très longue et que par conséquent, ils ont évolué pour rester dans l’air du temps. En 1956, on est plus en direction de l’écoute que du tango de bal, par exemple.
Signalons que le même jour, Donato et Lagos ont enregistré De punta a punta une milonga écrite par Osvaldo Donato avec des paroles de Sandalio Gómez.

De punta a punta 1939-03-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos / Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez

Des rires aux larmes et des larmes aux rires

Nous reviendrons prochainement sur ce thème (le 26 mars), mais en attendant, deux titres.

Risas y lágrimas 1927-04-08 (valse) — Roberto Firpo con Jazz Band / (rires et larmes)

Lágrimas y sonrisas 1950 Roberto Firpo (Hijo) y su Cuarteto (valse) / Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (larmes et rires) où Pascual De Gullo a merveilleusement joué des passages des modes mineurs à majeurs pour moduler les variations d’émotion.

Nous terminons donc sur des rires, mais avec moi, vous le savez, le tango est une pensée heureuse qui se danse.

Ce tango a aussi été chanté avec sensibilité par deux hommes, Horacio Lagos et Oscar Peralta. Les hommes aussi peuvent pleurer les tristesses de la vie.