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Sacale punta 1938-03-09 (Milonga tangueada) — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez

Cette du jour a été enreg­istrée le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a été enreg­istrée par Dona­to et est tou­jours un suc­cès dans les milon­gas. Cepen­dant, son titre prête à inter­pré­ta­tions et je choi­sis ce pré­texte pour vous faire entr­er dans le monde du tan­go du début du 20e siè­cle.

Edgar­do Dona­to inter­prète ici une milon­ga écrite par son frère, pianiste, Osval­do. Deux chanteurs inter­vi­en­nent, Hora­cio Lagos et Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani). Ils ne chantent que deux cou­plets, comme il est d’usage pour de danse.

Le disque

Sacale pun­ta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Vic­tor 38397.

Sur l’é­ti­quette on trou­ve plusieurs men­tions. Le nom de l’orchestre, et le nom d’un des chanteurs de l’, Hora­cio Lagos. Ran­dona n’est pas men­tion­né.
On trou­ve le nom des auteurs et com­pos­i­teurs. L’au­teur des paroles est en pre­mier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe Guízar est l’au­teur de la musique et des paroles. Vous pour­rez écouter cette valse en fin d’ar­ti­cle.
Sur le disque, on peut remar­quer sur l’é­ti­quette l’en­cadré suiv­ant…

Exé­cu­tion publique et radio-trans­mis­sion réservées à RCA Vic­tor Argenti­na INC. Ce disque n’est donc pas autorisé pour être joué en milon­ga 😉

Extrait musical

Sacale pun­ta 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani)

Les paroles

Sacale pun­ta a esta milon­ga
Que ya empezó.
Sen­tí que esos fueyes que rezon­gan
De corazón.
Y las pebe­tas se han venido
De « true Vuit­ton ». (De tru­co y flor)
El tan­go requiebra la vida (El tan­go es rey que da la vida)
Y en su nota despar­ra­ma,
Su amor.

Tan­go lin­do de arra­bal
Que yo,
No lo he vis­to des­ma­yar
¡ Tri­un­fó!.
Tan­go lin­do que al can­tar
Vol­có,
Su fe, su amor
Varón tenés que ser.

Nada hay que hac­er cuan­do rezon­gan
El ban­doneón
Ore­ja a ore­ja las pare­jas
Bailan al son,
De un tan­go lleno de recuer­dos
Que no cayó.
Si des­de los tiem­pos de Lau­ra
Se ha sen­ti­do primera agua
y bril­ló.

Osval­do Dona­to Letra San­dalio Gómez. Seuls les deux pre­miers cou­plets sont chan­tés dans cette ver­sion.

Pourquoi un crayon à la milonga ?

Les paroles de cette chan­son par­lent donc de la milon­ga, du point de vue de l’homme qui se pré­pare à danser joue con­tre joue (oreille con­tre oreille) avec des jeunes femmes.
« Saca pun­ta » se dit pour tailler les crayons, faire sor­tir, la pointe, la mine. Cela se dit couram­ment dans les écoles.

Sacale pun­ta. J’ai représen­té le cray­on bien tail­lé sur cette image, mais ce n’est qu’une petite par­tie de l’énigme.

Ici, San­dalio a écrit « Sacale pun­ta a esta milon­ga », sors-lui la pointe à cette milon­ga…
Pour ceux qui pour­raient s’in­ter­roger, sur l’in­térêt d’ap­porter un cray­on à la milon­ga. Une petite inves­ti­ga­tion qui je l’e­spère ne sera pas trop déce­vante :

Les autres textes de Sandalio Gómez

Si on cherche une piste dans les autres textes écrits par San­dalio Gómez on trou­ve :
Deux tan­gos : « Cum­br­era » et « El mun­do está loco ». Le pre­mier est un hom­mage à Car­los Gardel et le sec­ond s’in­scrit dans la tra­di­tion de « Cam­bal­ache » ou de « Al mun­do le fal­ta un tornil­lo », ces tan­gos qui par­lent de la dégénéres­cence du Monde.
Deux milon­gas : « De pun­ta a pun­ta » et « Mis pier­nas » qui est une milon­ga qui incite à se repos­er, car les paroles com­men­cent ain­si : « Sen­tate, cuer­po sen­tate, que las pier­nas no te dan más » assois-toi corps, car les jambes n’en peu­vent plus.
Un paso doble : « Embru­jo » par­le d’un « envoute­ment » amoureux.
Du grand clas­sique et si ce n’é­tait ce « Sacale pun­ta », les paroles ne prêteraient pas à inter­pré­ta­tion. On n’est pas en présence de textes de Vil­lol­do qu’il a sou­vent fal­lu remanier pour respecter les bonnes mœurs.

D’autres musiques utilisant « Sacale punta »

Il y a d’autres musiques qui utilisent l’ex­pres­sion « Sacale pun­ta ». Par exem­ple, la milon­ga écrite par José Bas­so : « Sacale pun­ta al lápiz » 1955-09-16 écrite par , mais qui n’a pas de paroles.

Sacale pun­ta al lápiz 1955-09-16 — José Bas­so (Musique José Bas­so)

Si on reste en Argen­tine, on trou­ve plus récem­ment l’ex­pres­sion dans des textes de cumbias. Les cumbias ont sou­vent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’ap­pelle comme la milon­ga de Bas­so et qui est inter­prétée par Neni y su ban­da. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous don­nerai pas les paroles, mais sachez que le pos­sesseur du lápiz (cray­on) se vante de pou­voir en faire quelque chose au lit.
Le groupe cubain chante égale­ment « Sacale pun­ta al lápiz ». Ce son est avec des paroles rel­a­tive­ment explicites, la muñe­qua (poupée) faisant référence au même cray­on que la cumbia sus­men­tion­née.

Sácale la pun­ta al lápiz — Vie­ja Tro­va San­ti­a­guera

Le chanteur por­tor­i­cain de Sal­sa, Adal­ber­to San­ti­a­go, chante dans une sal­sa du même titre, « Sacale pun­ta ». Il s’ag­it dans ce cas de faire les comptes avec sa com­pagne qui l’a trompée. Comme la liste des reproches est longue, elle doit pré­par­er la mine de son cray­on pour pou­voir tout not­er. On est donc ici, dans la lignée sco­laire, du cray­on dont on doit affuter la mine.

Sácale pun­ta 1982-12-31 — Adal­ber­to San­ti­a­go

Dans l’e­sprit du cray­on pour écrire, on pour­rait penser au car­net de bal pour inscrire les parte­naires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le car­net et le cray­on seront pour not­er les coor­don­nées de la belle…

Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?

Comme vous l’imag­inez, les pistes précé­dentes ne me sat­is­font pas. Je vais vous don­ner ma ver­sion, ou plutôt mes ver­sions, mais qui se rejoignent. Pour cela, inter­ro­geons le lun­far­do, l’ar­got portègne.
En lun­far­do se dit : « de pun­ta en blan­co » qui sig­ni­fie élé­gant. Il est donc logique de penser que le nar­ra­teur souhaite sor­tir ses meilleurs vête­ments pour aller à la milon­ga.
Tou­jours en lun­far­do, « hac­er pun­ta » est aller de l’a­vant. On peut donc imag­in­er qu’il faut aller de l’a­vant pour aller à la milon­ga.
Con­tin­uons avec le lun­far­do : La pun­ta est aus­si un couteau, une arme blanche. Quand on con­naît la répu­ta­tion des com­padri­tos, on se dit qu’ils peu­vent être prêts à sor­tir le couteau à la moin­dre occa­sion à la milon­ga.
Pour résumer, il se pré­pare avec ses beaux habits, éventuelle­ment avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prêt pour aller à la milon­ga qui a déjà com­mencé, pour danser joue con­tre joue et dis­cuter ce qui se doit avec ceux qui se met­tent en tra­vers de sa route. On ne peut pas tout à fait exclure un dou­ble sens à la Vil­lol­do, surtout si on se réfère au fait que cette milon­ga se réfère au début du XXe siè­cle, époque où les paroles étaient beau­coup plus « libres ».

Lo de Laura

En effet, le dernier cou­plet, qui n’est pas chan­té ici, par­le du temps de Lau­ra. Il s’ag­it de la casa de Lau­ra (). Elle était située en Paraguay 2512. Cette milon­ga était de bonne fréquen­ta­tion au début du vingtième siè­cle.

Lo de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Cette « mai­son » était située en Paraguay 2512. C’est main­tenant une mai­son de retraite…

Les danseurs pou­vaient danser avec les « femmes » de la mai­son moyen­nant le paiement de quelques pesos. Je ne con­nais pas le prix pour cette mai­son, mais dans une mai­son com­pa­ra­ble, Lo de Maria (La Vas­ca), le prix était de 3 pesos de l’heure. Le mari de la pro­prié­taire, « El Ingles » (Car­los Kern) veil­lait à ce que les pro­tégées soient respec­tées. On est tou­jours à l’époque du tan­go de prostibu­lo, mais avec classe.
Il indique que dès l’époque de Lau­ra, il était de Primer agua c’est-à-dire qu’il était déjà très bon. Un peu comme dans la milon­ga « En lo de Lau­ra » (musique d’An­to­nio Poli­to et paroles d’En­rique Cadí­camo). En effet, dans cette milon­ga, Cadí­camo a écrit : « Milon­ga provo­cado­ra que me dio car­tel de tau­ra… », Milon­ga provo­cante qui me don­na le titre de cham­pi­on (en fait, plutôt dans le sens de cador, caïd, com­padri­to, courageux, qui se mon­tre…).

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta con Ángel Var­gas — Anto­nio Poli­to Letra Enrique Cadí­camo (Domin­go Enrique Cadí­camo)

Pour vous don­ner une idée de l’am­biance de Lo de Lau­ra, vous pou­vez regarder cet extrait du film argentin «  » de et qui est sor­ti le 11 juil­let 1952. C’est bien sûr une recon­sti­tu­tion, avec les lim­ites que ce genre impose.

Recon­sti­tu­tion de l’am­biance en Lo de Lau­ra. Extrait du film argentin « La Par­da Flo­ra » de León Klimovsky sor­ti le 11 juil­let 1952

Dans cette par­tie du film se joue “El Entr­erri­ano” d’Ansel­mo Rosendo Men­dizábal. En effet, une tra­di­tion veut que Men­dizábal ait écrit ce tan­go en Lo de Lau­ra. Il était en effet pianiste dans cet étab­lisse­ment et c’est donc fort pos­si­ble. Il inter­ve­nait aus­si à Lo de Maria la Vas­ca et cer­tains affir­ment que cet dans ce dernier étab­lisse­ment qu’il a inau­guré le tan­go.
Notons que les deux affir­ma­tions ne sont pas con­tra­dic­toires, mais je préfère lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose.
Il décrit cela dans une let­tre envoyée en 1934 à Héc­tor et Luis Bates et qui la pub­lièrent en 1936 dans « Las his­to­rias del tan­go: sus autores » :

“Existía una casa de baile que era cono­ci­da por “María la Vas­ca”. Allí se bail­a­ba todas y toda la noche, a tres pesos hora por per­sona. Encon­tra­ba en esos bailes a estu­di­antes, cuidadores y jock­eys y en gen­er­al, gente bien. El pianista ofi­cial era Rosendo y allí fue donde por primera vez se tocó “El entr­erri­ano”. […] así se bailó has­ta las 6 a.m. Al reti­rarnos lo saludé a Rosendo, de quien era ami­go, y lo felic­ité por su tan­go inédi­to y sin nom­bre, y me dijo: “se lo voy a dedicar a ust­ed, pón­gale nom­bre”. Le agradecí pero no acep­té, y debo decir la ver­dad, no lo acep­té porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al ten­er que ret­ribuir la aten­ción. Pero le sug­erí la idea que se lo ded­i­case a Segovia, un mucha­cho que pasea­ba con nosotros, ami­go tam­bién de Rosendo y admi­rador; así fue; Segovia acep­tó el ofrec­imien­to de Rosendo. Y se le puso “El entr­erri­ano” porque Segovia era ori­un­do de Entre Ríos.”.

José Guidobono

Tra­duc­tion :

Il y avait une mai­son de danse con­nue sous le nom de « María la Vas­ca ». On y dan­sait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par per­son­ne. À ces bals, j’ai croisé des étu­di­ants, des médecins et des jock­eys [c’é­tait une soirée spé­ciale du Z Club, club auquel Rosendo Men­dizábal a d’ailleurs dédié un tan­go (Z Club)] et en général, de bonnes per­son­nes.
Le pianiste offi­ciel était Rosendo et c’est là que « El entr­erri­ano » a été joué pour la pre­mière fois. […] c’est ain­si qu’on a dan­sé jusqu’à 6 heures du matin.
En par­tant, j’ai salué Rosendo, dont j’é­tais ami, et je l’ai félic­ité pour son tan­go inédit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dédi­cac­er, donne-lui un nom ». Je l’ai remer­cié, mais je n’ai pas accep­té, et je dois dire la vérité, je ne l’ai pas accep­té parce que cela allait me coûter au moins cent pesos, pour le remerci­er de l’at­ten­tion. Mais j’ai sug­géré l’idée qu’il le dédi­cace à Segovia, un garçon qui mar­chait avec nous, égale­ment ami et admi­ra­teur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a accep­té l’of­fre de Rosendo. Et il l’a inti­t­ulé « El Entr­erri­ano » parce que Segovia était orig­i­naire d’En­tre Ríos. […] Rosendo a ain­si gag­né cent man­gos (pesos en lun­far­do). »

La face A du disque Victor 38397

Sur la face A du même disque Vic­tor a gravé une valse. Elle a été enreg­istrée le même jour par Dona­to et Lagos, comme c’est sou­vent le cas.
Cette valse est sub­lime, je vous la pro­pose donc ici :

Qué será ? 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Pepe Guízar (MyL)

Ne pas con­fon­dre cette valse avec une au titre qui ne dif­fère que par deux let­tres…

Quién será ? 1941-10-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Luis Rubis­tein (MyL)

Un clin d’œil pour les DJ

Felix Pich­er­na, un célèbre DJ de l’époque des cas­settes Philips, util­i­sait un cray­on pour rem­bobin­er ses cas­settes. Il devait donc sacar la pun­ta antes de la milon­ga.
J’en par­le dans mon arti­cle sur les tan­das.
Main­tenant, vous êtes prêts à danser à Lo de Lau­ra ou dans votre milon­ga favorite.

Felix Pinch­er­na util­isant un cray­on pour rem­bobin­er sa cas­sette de corti­na. http://www.molo7photoagency.com/blog/felix-picherna-el-muzicalizador-de-buenos-aires/04–9/