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Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales

Letra:

« Chapaleando barro » éclabousser de boue est un titre très évocateur. Même si en Argentine la plupart des villages ont la majorité de leurs rues en terre, pierre ou sable, à , le goudron a remplacé la terre salissante, mais qui a vu des jeux d’enfants, enchantés de s’éclabousser de boue. Retroussez votre bas de pantalon et partons à la recherche de ce Buenos Aires, embourbé au fond de notre mémoire collective.

Extrait musical

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con y .
On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Chapaleando barro 1939-08-31 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Lita Morales.

On retrouve ce sympathique couple, Horacio Lagos et Lita Morales, qui peut être laissaient jouer leurs enfants dans la boue. Hum, pas sûr…

Paroles

Barrio de casas bajas
Por el lado de Pompeya
Donde puso la miseria
Un brochazo de dolor
La patota de pibes
Juega al rango en el barro
Y en la esquina, hasta la masa un carro
Peludeando, se quedó
Barrio viejo de guapos y milongas
Viejo barrio mistongo, de arrabal
Si me diera la caña, la vida
Qué papa sería, volverte a encontrar
Yo conozco tu rante apología
La tristeza infinita de un hogar
La angustiosa tristeza de aquel ciego
Que el pobre Carriego, lo hiciera inmortal.

Arturo Castillo Letra: Celedonio Esteban Flores

libre

Quartier de maisons basses
Du côté de Pompeya (quartier du Sud de Buenos Aires)
Là où la misère a mis
Une touche de douleur (brochazo, coup de brosse en peinture)
La bande des gamins
Jouer au rango (saute-mouton) dans la boue
Et dans le coin, jusqu’à la pâte un chariot
Embourbé, il est resté
Vieux quartier de Guapos et Milongas
Vieux quartier triste, de faubourg
S’il m’a donné la verge, la vie
Quelle chance (la papa peut signifier génial, comme en Buenos Aires es una papa) ce serait de vous rencontrer à nouveau
Je connais votre apologie vagabonde
La tristesse infinie d’un foyer
La tristesse angoissée de cet aveugle
Que le pauvre Carriego rendrait immortelle.

(Evaristo Carriego, poète argentin 1883-1912 qui fut considéré comme le poète des faubourgs et des gens humbles et de Palermo (même si pour ces paroles, on est à l’opposé de la ville, la misère était la même, ces faubourgs n’étaient pas encore [avant 1912] le Palermo des touristes d’aujourd’hui…).

Celedonio Esteban Flores (El negro Cele)

Mort à 51 ans (1896-1947), il laisse une vaste production de plus d’une centaine de tangos.

Parmi ceux-ci, vous reconnaîtrez MargotMano a manoMala entrañaViejo cocheEl bulín de la calle AyacuchoViejo smokingPor qué canto asíMalevitoCancheroCorrientes y EsmeraldaMuchachoSentenciaPobre gallo batarazSi se salva el pibe, La mariposa et La musa mistonga

Celodonio Flores a également publié deux recueils de poèmes : Chapaleando barro (1929) et Cuando pasa el órgano (1935).
Ses tangos et ses poèmes le placent comme l’un des plus grands écrivains de poésie lunfarda (argot portègne).
Je vous propose ici, la liste des poèmes de son livre de 1929, celui qui a le même nom que notre (mais dans lequel les paroles de ce tango, ne sont pas présentes…).

Liste des poèmes de Chapaleando barro (1929)


Hermanita Buena
Novia
Señora
Musa Rea
La Musa Mistonga
Tango
Consejos Reos

Motivos del suburbio

Bailongo Arrabalero
La Muchacha fea
La Muchacha linda
Tardecita de Domingo
Acuarelita
El despertar del suburbio
Cuando la tarde se inc!Jna
E l café de mi barrio
Canillita
EJ Perro Flaco
Apronte
La Muerte de la Bacana
El Bagallo
El As de los Ases
Mimosa
Oro Viejo

Los de la barra

Batiendo un justo
Carlitos
Cantor Bacán
Y ahora yo.

Envio
A mi muchacho que se fué
Punto Alto
Tenga Mano Tallador
Acosta Viejo

Intimas

Mirá Viejo
Dedicatoria
Cuando llegue aquel da
Intima
Mirá si soy bueno
Y que Dios la bendiga
Gorriones
Si tuviera tiempo
Bohemia
Pobre Gallo

De la mala vida

Tengo miedo
Ingenuamente

Sentencia
Carta Brava
El Talla
Imitación
El Alivio
El Guapo
Nunca es tarde
Mala Entraña
Mishiadura
Margot
La Percanta aquella
Polca
Sonatina

Niños jugando a pídola 1777 – 1885. Francisco De Goya.

Chapaleando barro. Pour la photo de couverture, je suis parti de cette œuvre de Francisco de Goya, Niños jugando a pídola 1777 – 1885. La pídola, c’est le saute-mouton que les Argentins appellent Rango. Comme Goya n’a pas daigné faire jouer ses petits Espagnols dans la boue, j’ai modifié l’environnement pour le rendre plus conforme aux paroles de Celedonio Flores.

Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Hier, en fouillant dans les de La yumba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon attention. Il s’agit d’un concert donné en 1987 où Roberto Goyeneche a été accompagné par l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Cette rencontre au sommet entre ces deux idoles du tango a donc été filmée et j’ai pensé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enregistré il y a exactement 37 ans, jour pour jour.
Je pourrai rajouter que les auteurs sont eux aussi plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Carlos Gardel et José Razzano pour la composition et Celedonio Esteban Flores pour les paroles.

, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Partition de Mano a mano de Carlos Gardel et José Razzano avec des paroles de Celedonio Flores.
Mano a mano – Roberto Goyeneche con Osvaldo Pugliese y su orquesta. Enregistrement public au Teatro Opera de Buenos Aires (Avenida Corrientes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un monument d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tango.

Paroles

Rechiflado en mi tristeza, te evoco y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una buena mujer.
Tu presencia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste buena, consecuente, y yo sé que me has querido
cómo no quisiste a nadie, como no podrás querer.

Se dio el juego de remanye cuando vos, pobre percanta,
gambeteabas la pobreza en la casa de pensión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y canta,
Los morlacos del otario los jugás a la marchanta
como juega el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infelices ilusiones,
te engrupieron los otarios, las amigas y el gavión;
la milonga, entre magnates, con sus locas tentaciones,
donde triunfan y claudican milongueras pretensiones,
se te ha entrado muy adentro en tu pobre .

Nada debo agradecerte, mano a mano hemos quedado;
no me importa lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habértelos pagado
y, si alguna deuda chica sin querer se me ha olvidado,
en la cuenta del otario que tenés se la cargás.

Mientras tanto, que tus triunfos, pobres triunfos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y placer;
que el bacán que te acámala tenga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los muchachos: Es una buena mujer.
Y mañana, cuando seas descolado mueble viejo
y no tengas esperanzas en tu pobre corazón,
sí precisás una ayuda, si te hace falta un consejo,
acordate de este amigo que ha de jugarse el pellejo
pa’ayudarte en lo que pueda cuando llegue la ocasión.
Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Traduction libre et indications

Entravé (rechiflado peut signifier amoureux, enthousiaste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pauvre vie de paria seulement une femme bonne.
Ta présence de femme (multitude d’acceptions allant de tenancière de bordel à concubine en passant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, conséquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé personne, comme tu ne pourras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pauvre femme (amante, concubine), tu dribblais (essayer d’esquiver, comme au football) la pauvreté dans la pension.
Aujourd’hui, tu as une femme établie (probablement tenancière de maison close), la vie rit et chante pour toi, les morlacos (pesos, argent) de l’otario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchanta (action de jeter des pièces à des personnes pauvres pour qu’elles se jettent dessus en se battant) comme le chat joue avec la misérable souris.
Aujourd’hui, tu as le mate plein d’illusions malheureuses, tu as été gonflé par les otarios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milonga, chez les magnats, avec ses folles tentations, où les milongueras triomphent et chutent, est entrée profondément dans ton pauvre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remercier, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la chargeras sur le compte de l’otario que tu as.
En attendant que tes triomphes, pauvres triomphes éphémères, soient une longue lignée de richesses et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des proxénètes milongueros et que les garçons disent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meuble et que tu n’auras plus d’espoir dans ton pauvre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de conseils, souviens-toi de cet ami qui risquera sa peau pour t’aider de toutes les manières possibles lorsque l’occasion se présentera.

Autres versions

Il y a des centaines d’autres versions, à commencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la formidable camaraderie des gens de tango.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Roberto Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polonais (El Polaco), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne commence sa carrière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mouvement du tango est donc plutôt de la faute de ses parents 😉
En revanche, il compense cela par une diction ferme et un phrasé très particulier qui font que l’on tombe obligatoirement sous son charme.
Arriver tard, n’est pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où à partir des années 50, le tango devient surtout une activité de concert, plus que de danse. La radio, les disques et la télévision étaient friands de ces chanteurs expressifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le public.
Dans les années 40, un de ses collègues de l’orchestre de , le chanteur , lui donna son surnom de Polaco (Polonais).
Son passage dans l’orchestre de affermit sa gloire naissante, mais le fait qu’il donne une vision personnelle des grands titres du répertoire a également attiré la sympathie du public. Il a su ainsi personnaliser son répertoire, en renouvelant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exemple, notre tango du jour avait été particulièrement apprécié, notamment par Carlos Gardel (son auteur), Charlo, Jorge Omar, Héctor Palacios, , Carlos Dante et même (en duo avec Roberto Líster), et Julio Sosa, el Varon del tango. Il convenait donc de se démarquer et Goyeneche sut le faire, faisant souvent oublier les versions antérieures pour que le public ne retienne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, (gorge avec du sable). Cacho Castaña a d’ailleurs fait une chanson hommage au Polaco, Garganta con arena.

Garganta con arena

Je vous propose de terminer avec la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche. Cacho a composé cette chanson, quelques mois avant la mort de Roberto. Ce dernier en entendant la chanson fredonnée dans la loge par Cacho Castaña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adriana Varela qui était également présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enregistré la chanson, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adriana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous propose de voir maintenant.

Garganta con arena, la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche, ici, en 2010 chanté par Cacho Castaña et Adriana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Polaco Goyeneche, cántame un tango más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un karma: Cantar, siempre cantar

Tu voz, que al tango lo emociona
Diciendo el punto y coma que nadie le cantó
Tu voz, con duendes y fantasmas
Respira con el asma de un viejo bandoneón

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó

Cantor de un tango algo insolente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Cantor de un tango equilibrista
Más que cantor, artista con vicios de cantor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos falta siempre el aire cuando no está tu voz
A vos, que tanto me enseñaste
El día que cantaste conmigo una canción

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó
Cacho Castaña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Polaco Goyeneche, chante-moi encore un tango.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du karma : Chante, chante toujours
Ta voix, qui émeut le tango, disant le point-virgule que personne jamais n’a chanté.
Ta voix, avec des lutins (duendes, sorte de gnomes de la mythologie espagnole et argentine) et des fantômes, respirez avec l’asthme d’un vieux bandonéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le chagrin que Malena n’a pas chanté.
Chante, que Juárez te condamne en blessant ton chagrin avec son bandonéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au bandonéon, ce qui est très rare. Troilo, lui-même, chantait parfois quelques instants, mais jamais une véritable partie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on parlera beaucoup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaudissent.
Et même si tu te meurs, ils ne connaissent pas ta douleur. Chante, que Troilo depuis le ciel, sous ton oreiller, un couplet, il t’a laissé.

Chanteur d’un tango un peu insolent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tango équilibriste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous manquons toujours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chanté une chanson avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Monsieur Goyeneche.