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Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Ernesto Céspedes Polanco (Musique et paroles)

En 2012, le thème du festival Tangopostale de Toulouse était les deux rives. À cette occasion, j’ai eu l’idée d’alterner les tandas argentines et uruguayennes. Entre les deux, une cortina réalisée pour l’occasion permettait de matérialiser le passage d’une rive à l’autre. Je me souviens de l’accueil enthousiaste pour Mi vieja linda qui était peu connue à l’époque, tout comme les versions de nombreux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représentés que par Racciatti et Villasboas… Dix ans plus tard, le Sexteto Cristal a eu l’excellente idée de reprendre à l’identique Mi vieja linda, ce qui a permis à de nouvelles générations de danseurs de redécouvrir cette milonga festive, comme beaucoup de musiques uruguayennes.

Extrait musical

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María.
Mi vieja linda. Partition pour quatre guitares.

Paroles

Mi vieja linda
Pensando en vos
Se me refresca
El corazón
Desde el día que te vi
Tras de la reja
En mi pecho abrió una flor
Como una luz
Y la pasión
Alumbró mi corazón
Mi vieja linda
Pensando en vos
Me siento bueno
Como el mejor
Y cuando un beso te doy
Boca con boca
Yo paladeo el sabor
De estar en vos
Que estar así
Corazón a corazón

Ernesto Céspedes Polanco

libre

Ma jolie chérie (vieja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la seconde option la bonne…), en pensant à toi, mon cœur est rafraîchi.
Depuis le jour où je t’ai vu, à travers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la passion a illuminé mon cœur.
Ma jolie chérie, je pense à toi.
Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un baiser, bouche contre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ainsi, cœur à cœur.

Autres versions

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María. C’est notre milonga du jour.
Mi vieja linda 2022-07-12 – Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Comparaison des deux versions

Vous l’aurez remarqué, les deux versions sont très semblables. Le Sexteto Cristal a reproduit exactement l’interprétation de Emilio Pellejero. Pour vous permettre de vérifier que le travail est excellent, je vous propose d’écouter les deux musiques en même temps.
Vous pourrez constater que la plupart du temps, la musique est synchronisée. Cela veut dire que les danseurs pourront danser indifféremment sur une version ou l’autre, sans différence notable.

Le Sexteto Crital a eu l’excellente idée d’interpréter « Mi vieja linda » de Ernesto Céspedes Polanco et qui était connu principalement pour la version enregistrée en 1941 par Emilio Pellejero avec la voix d’Enalmar De María. Sa reproduction de la version originale est presque parfaite comme vous le verrez dans cette vidéo. Les deux versions jouent en même temps et sont presque toujours synchronisées.

Les deux rives

L’année dernière au , il y avait le Sexteto Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lendemain dans la et j’ai pu passer la version originale de Pellejero afin de rendre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pellejero et je pourrais également rajouter Ernesto, Ernesto Céspedes Polanco, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réalisé quelques titres principalement interprétés par Emilio Pellejero comme et Quemando , les deux avec des paroles de Fernando Silva Valdés.
Il est d’usage de dire que est un enfant des deux rives du Rio de la Plata, Buenos Aires et sa Jumelle orientale, Montevideo. Le passage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire constant pour les orchestres. La perméabilité entre les deux rives était donc extrême. Cependant, la plupart des artistes qui ont cherché à développer leur carrière se sont centrés sur Buenos Aires, comme Francisco Canaro, né Uruguayen et naturalisé Argentin.

À et , on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins connus :
Nelson Alberti, , Juan Cao, Antonio Cerviño, Roberto Cuenca, Romeo Gavioli, Álvaro Hagopián, Juan Manuel Mouro, Ángel Sica, Julio Sosa.

Durant la pandémie COVID, je diffusais une milonga hebdomadaire et le fait de passer aussi des orchestres uruguayens m’avait attiré la sympathie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nombreuses informations via Messenger. Malheureusement, la fermeture par Facebook de mon compte de l’époque m’a fait perdre toutes ces informations. Je me souviens de contacts d’enfants de musiciens et de sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au propre, par manque de temps de traiter ces informations très riches. Je comptais également enrichir ma discothèque à partir de ces sources. Si mes contacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à reprendre contact…

Cruzando el Rio de la Plata – Volver (Chamuyo) et bruitages DJ BYC. Une des cortinas des deux rives de Tangopostale 2012. DJ BYC Bernardo. Les effets stéréo de la traversée sont bien sur perdus à cause de la nécessité de passer les fichiers en mono pour le blog (limite de taille des fichiers à 1Mo).
Mi vieja linda 1941. Femme à la fenêtre Antoine Bourdelle.

Pour réaliser cette image, j’ai utilisé une peinture d’Antoine Bourdelle, un sculpteur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa maison musée est une merveille.

Antoine Bourdelle, Femme à la fenêtre, Huile sur toile, Paris, musée Bourdelle

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango

1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.

Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916.
Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.

Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles.
Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.

Paroles

Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée.
Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.

On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.

Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, José María Aguilar, José Ricardo (guitarras).

Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.

Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.

Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.

Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – con Ernesto Famá.

Famá chante le premier couplet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son .

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra.
On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.

Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les . Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.

Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta Héctor Varela.

Varela nous propose une introduction originale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version sans doute pas évidente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.

Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en , car ce thème le mérite largement.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – .

Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.

Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) – Orquesta Enrique Rodríguez.

Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.

Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.

Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.

Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.

Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – y su Sexteto Típico.

Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que avait été inventé par un indécis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.

Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango.
En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.

Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hogar cuando partí
porque jamás quise sentir
un sollozar por mí.
Triste amanecer
que he de olvidar
hoy para qué rememorar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana divina
mi corazón siempre fiel quiso cantar
y por el mundo poder peregrinar,
infatigable vagar de soñador
marchando en pos del ideal con todo amor
hasta que al fin dejé
mi madre y el querer
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de gloria regresar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, vencido y sin fe
no hallé mi amor ni hallé mi hogar
y con dolor lloré.

Cual vagabundo cargado de pena
yo llevo en el alma la desilusión
y desde entonces así me condena
la angustia infinita de mi corazón
¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría
también se fueron desde aquel día
que con las glorias de mis triunfos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juventud!

José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert.
Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage,
infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne.
Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un conventillo mugriento y fulero,
con un canflinfero
te espiantaste vos ;
abandonaste a tus pobres viejos
que siempre te daban
consejos de Dios;
abandonaste a tus pobres hermanos,
¡tus hermanitos,
que te querían!
Abandonastes el negro laburo
donde ganabas el pan con honor.

Y te espiantaste una noche
escabullida en el coche
donde esperaba el bacán;
todo, todo el conventillo
por tu espiante ha sollozado,
mientras que vos te has mezclado
a las farras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la gloria
de tener un buen bulín;
pobre pebeta inocente
que engrupida por la farra,
te metiste con la barra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, piadoso,
un hospital te dé cama,
cuando no brille tu fama
en el salón;
cuando en el « yiro » no hagas
más « sport »;
cuando se canse el cafisio
de tu amor ;
y te espiante rechiflado
del bulín;
cuando te den el « olivo »
los que hoy tanto te aplauden
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu decadencia,
perdida tu esencia,
tu amor, tu champagne ;
sólo el recuerdo quedará en tu vida
de aquella perdida
gloria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras,
tus amarguras
derramarás;
y sentirás en tu noche enfermiza,
la ingrata risa
del primer bacán.

José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ;
tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ;
Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voyou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ;
Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ;
Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mientras los clarines tocan diana
y el vibrar de las campanas
repercute en los confines,
mil recuerdos a los pechos
los inflama la alegría
por la gloria de este día
que nunca se ha de olvidar.
Deja, con su música, el pampero
sobre los patrios aleros
una belleza que encanta.
Y al conjuro de sus notas
las campiñas se levantan
saludando, reverentes,
al sol de la Libertad.

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins,
mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté.
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy siento en mí
el despertar de algo feliz.
Quiero evocar aquel ayer
que me brindó placer,
pues no he de olvidar
cuando tembló mi corazón
al escuchar, con emoción,
esta feliz canción:

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

En los ranchos hay
un revivir de mocedad;
los criollos ven en su
pasión
todo el amor llegar.
Por las huellas van
llenos de fe y de ilusión,
los gauchos que oí cantar
al resplandor lunar.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo

Ricardo González Alfiletegaray Letra:

Les femmes de Rosario ont la réputation d’être jolies. Plusieurs tangos vont dans ce sens, mais les Rosarinas ne sont pas les seules dont la beauté est vantée. Dans le cas présent, Ricardo González a composé son titre en pensant à une personne en particulier, une femme de Rosario, bien sûr. Je vous donnerai son nom en fin d’article.

Ricardo González était bandonéoniste et il fut le professeur du Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas.

Extrait musical

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Paroles

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement chanté de ce tango, mais il existe bien des paroles associées et qui sont parfaitement en accord avec le thème. Alors, les voici.

Mujeres de tradición
Nacidas en la Argentina,
Ninguna de corazón
Como era ‘la rosarina’.
La barra, feliz con su amor
No supo nunca de sinsabores,
Fue siempre gentil y brindó
Ternura suave, como una flor.
 
Cuando iba a los bailongos
Se destacaba por su pinta,
En el tango demostró, ser sin rival
Nadie la pudo igualar.
Rosarina de mi vida
Dulce recuerdo vos dejaste,
Es por eso que jamás
Te olvidarán, hasta morir.
 
Negrito
Querés café.
No, mama
Que me hace mal.
Entonces
Lo qué querés
Careta pa’

Ricardo González Alfiletegaray Letra : Antonio Polito (A. Timarni)

libre et indications

Des femmes de tradition nées en Argentine, aucune n’est de cœur comme l’était « la Rosarina».
La bande, heureuse de son amour, n’a jamais connu les ennuis, elle était toujours gentille et offrait une tendresse douce, comme une fleur.
Quand elle allait au bal, elle se distinguait par son allure, dans le tango, elle démontrait être sans rivale, personne ne pouvait l’égaler.
Rosarina de ma vie, tu as laissé de doux souvenirs, c’est pour cela qu’ils ne t’oublieront jamais, jusqu’à la mort.

Negrito, veux-tu du café ?
Non, maman, ça me fait mal.
Alors, que veux-tu
 ?
Un masque pour carnaval…

Le texte qui n’est pas en gras est assez étrange. Il rappelle certaines apostrophes que lançaient les orchestres, voire les clients de la salle. On se souvient d’avoir évoqué cela au sujet de El Monito avec un dialogue semblable dans les versions de Julio De Caro.
Negrito, petit noir, n’est pas forcément l’expression d’un racisme, le terme s’adressant à des personnes mates de peau, pas nécessairement à des personnes noires. On connaît Mercedes Sossa qui était surnommée La Negra.
Quand au masque de Carnaval, c’est encore une occasion d’évoquer comment les carnavals rythmaient la carrière des musiciens.
Ce texte additionnel semble assez curieux pour un tango dédié à une femme.

Autres versions

Le tango aurait été écrit en 1912 et le premier enregistrement serait de 1915, mais il semble introuvable. Je signale donc que Félix Camerano l’aurait enregistré en 1915 avec son orchestre. Ce n’est pas du tout impossible, vu qu’il était ami avec l’auteur de la musique depuis 1898, époque où il faisait avec lui un duo guitare et bandonéon. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce disque dans mon grenier.

La rosarina 1928-12-15 — Diana Lavalle.

La rosarina 1928-12-15 — . Alberto Diana Lavalle, nous donne une version à la guitare, sans chanson. En fait, je n’ai pas trouvé d’enregistrement avec les paroles de Antonio Polito. Peut-être que cette chanson était interprétée sous cette forme lors de sa création.

Plaque en hommage à Alberto Diana Lavalle offerte par les « Martes Bohemios » un an après la mort de Lavalle. La plaque est donc au cimetière de Chacarita.
C’est une réalisation du sculpteur Stagnaro, qui est le frère du musicien et poète Santiago Stagnaro.
La rosarina 1929-11-20 — Orquesta Típica Victor. Dir. Adolfo Carabelli.

C’est la première version orchestrale dont on a une trace sonore.

La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico. Roberto Firpo enregistrera trois fois le titre, dans des versions somme toute assez proches. Était-ce un intérêt pour le thème ou pour la dame ? Je n’en sais rien… Cette version est assez rapide et tonique, peut-être un peu brouillonne.

La rosarina 1937-07-02 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Les petits silences et les ornementations de Biagi sont bien présents dans ce titre typique de cette époque de D’Arienzo. La musique est assez joueuse, voire un peu sautillante. Bien dansable, avec quelques petites surprises et un joli contraste entre les lignes ondulantes des violons et le reste de l’orchestre plus percusif.

La rosarina 1943-12-30 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Pour une fois, Canaro n’arrive pas rapidement sur le titre. Canaro était pourtant proche de Ricardo González, puisque ce dernier lui avait dédicacé son premier tango El fulero et qu’il avait travaillé comme bandonéoniste dans son orchestre en France.
Il donne cet enregistrement avec son quintette. Après la version de D’Arienzo, cela peut sembler un peu trop calme. Il y a cependant de beaux traits musicaux, mais peut-être que les peuvent se dispenser de cette interprétation.

La rosarina 1944-03-31 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Le retour de Firpo sur ce titre. Huit ans plus tard, il y a beaucoup de similitudes entre les versions. Le rythme est très légèrement plus lent. L’orchestre est un peu mieux synchronisé, ce qui facilitera la tâche des danseurs qui devront gérer ce titre qui hésite entre la milonga et le tango, mais qui a pour lui d’être joueur.

La rosarina 1949-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Encore Firpo, cinq ans plus tard. Cette version diffère des premières par un tempo beaucoup plus lent. La dédicataire s’est peut-être assagie avec l’âge. Le tango de Firpo, c’est certain.

La rosarina 1975-01-06 — Miguel Villasboas, Washington Quintas Moreno.

Une version sympathique à deux pianos. Villasboas hésite aussi souvent entre les rythmes de milonga et de tango. Disons que cette version est pour le concert, mais qu’elle est sympathique à écouter.

Miguel Villasboas et Wishington Quintas Moreno ont produit plusieurs disques. Le titre que vous écoutez vient de celui de gauche, mais sur celui de droite « Antologia », on peut voir les deux pianistes à l’oeuvre.
La Rosarina 1980c — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Comme Firpo, Villasboas retourne au titre, cette fois avec son orchestre. Le tempo est un plus lent que dans la version à deux pianos. Les similitudes avec Firpo sont toujours marquées. Ce ne sera sans doute pas le titre le plus apprécié de la milonga, mais une fois de temps en temps, avec des danseurs moyennement portés sur la milonga, cela peut faire l’affaire.

Mais qui était La rosarina ?

Il est assez facile de découvrir que la dédicataire, ou pour le moins l’inspiratrice s’appelait . Venue voir sa sœur, selon les versions dans un spectacle à (environ 300 km de Buenos Aires), dans un club nommé Alegria, par suite d’une soi-disant erreur d’un cocher. Quoi qu’il en soit, elle est tombée sous le regard de Ricardo González qui dirigeait le spectacle et qui a décidé de lui écrire un tango. Selon le journaliste , cela se serait passé en 1912. Porteño indique que la femme était très belle et qu’en plus elle dansait, ce qui fait que Ricardo González (surnommé Mochila) l’a intégrée à la revue où elle était arrivée, par erreur, ou pour voir sa sœur.

Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que sa sœur, la danseuse de la revue menée par González s’appelait María E. Díaz et que les deux sœurs devaient être un peu dévergondées, car le 29 juillet 1947, elles se sont fait exclure du Club Social et Sportif Villa Malcolm, pour y avoir dansé de façon non conforme à ce qui était attendu dans l’établissement.
En fait, la façon jugée inconvenante de danser était d’avoir le visage trop près de celui du partenaire. Ce club Villa Malcom était donc assez peu libéral et même Anibal Troilo en avait fait les frais. Il avait été renvoyé le 25 juillet 1942, car le 17 juillet, certains de ses musiciens ne se seraient pas pliés totalement à l’étiquette de l’établissement et qu’il aurait fait venir des gens qui n’étaient pas dans le style de l’établissement. Lucio Demare l’avait remplacé, comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres.

Ricardo González est parti pour la France dans les années 20. Il y a travaillé notamment pour Francisco Canaro qui avait insisté pour le faire revenir en France dont il était parti peu de temps auparavant. Si Ricardo González avait fait une autre conquête, une danseuse prénommée Bernadette, lors de son séjour en France, on ne sait pas s’il a continué à rêver de la belle Rosarina. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à son retour de France, il s’est retiré du tango et qu’on en n’a plus entendu parler. J’aime à imaginer que c’est pour filer l’amour parfait avec Zulema.

Voilà, j’arrive au terme de ce petit parcours au sujet d’un tango dédié à une apparition qui a enflammé l’imagination d’un bandonéoniste qui en a fait un tango.

En effet, je ne crois pas que les paroles tristes de notre tango du jour soient reliées à cette histoire, puisque les sœurs ont été exclues en 1947, soit 35 ans après la rencontre et donc bien longtemps après que les paroles ont été écrites.

À demain, les amis.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs.
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de chacarera), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué «  », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, Así nacieron los tangos, , raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du gaucho. Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par Enrique Santos Discépolo)
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu recuerdo
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con Pancho Cuevas (Francisco Nicolás Bianco).

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer ( Celestino).

Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du tango milonga. En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — Quinteto Pirincho dir. .

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta con y Víctor Renda.

Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Champagne tango 1938-05-09 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

S’il fallait prouver un lien entre la France et le tango, il suffirait de mentionner le champagne, breuvage typiquement français qui fut inventé par le moine bénédictin, DOM Pierre Pérignon et imité par tous les viticulteurs du Monde et notamment d’Argentine qui produisent le « champagne » des milongas portègnes.

Le succès du champagne vient du fait que les musiciens argentins, dès 1906, sont venus à pour enregistrer leurs disques. À partir de 1910, cela devient une véritable ruée, renforcée par la folie des Parisiens pour cette musique et la danse associée.
Même si le syndicat des musiciens français imposait aux Argentins de jouer en costume traditionnel de leur pays, les musiciens argentins ont fait recette. Canaro qui a enregistré en 1938 notre ne nous contredira pas, lui qui ainsi que ses frères fut un habitué des cabarets parisiens.
Ces cabarets se sont exportés à Buenos Aires, y compris dans les noms. Les paroles de Contursi mentionnent le Pigall, l’un des plus réputés. Cabaret et champagne, Chapô au lieu de sombrero. Le ton est donné, les Portègnes s’amusent à être à Paris.
Je vous invite à consommer sans modération, Champagne tango.

Extrait musical

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir.

Fidèle à son style « marchant » Canaro à la tête de son Quinteto Don Pancho nous propose une version qui se déroule sans encombre. Ceux qui sont habitués aux versions de Di Sarli seront sans doute très dépaysés, mais cette version avec ses petites fioritures au violon est bien sympathique. Une version assez légère qui s’envole comme les bulles du champagne.

Paroles

Il faut se lever de bonne heure pour trouver une version chantée de Champagne tango… Vraiment de très bonne heure, car je n’en ai pas trouvé.

Esas minas veteranas
que siempre se conformaban,
que nunca la protestaban
aunque picara el buyón,
viviendo así en su cotorro
pasando vida pibera
en una pobre catrera
que le faltaba el colchón.

¡Cuántas veces a mate amargo
el estómago engrupía
y pasaban muchos días
sin tener para morfar!
La catrera era el consuelo
de esos ratos de amargura
que, culpa « e la mishiadura
no tenía pa » morfar.

Se acabaron esas minas
que siempre se conformaban
con lo que el bacán les daba
sí era bacán de verdad.
Hoy sólo quieren vestidos
y riquísimas alhajas,
coches de capota baja
pa’ pasear por la ciudad.

Nadie quiere conventillo
ni ser pobre costurera,
ni tampoco andar fulera…
Sólo quieren aparentar
ser amigo de fulano
y que tenga mucho vento
que alquile departamento
y que la lleve al Pigall.

Tener un coche,
tener mucama
y gran « chapó »
y pa’ las farras
un gigoló;
pieza alfombrada
de gran parada,
tener sirvienta
y… ¡qué se yo !
Y así…
de esta manera
en donde quiera
« champán tangó ».

Manuel Gregorio Aróztegui Letra : Pascual Contursi

libre et indications

Ces filles vétéranes qui s’adaptaient toujours, qui ne protestaient jamais même si elles tiraient le diable par la queue, vivant ainsi dans son gourbi (cotorro, garçonnière, chambre de solitaire, chambre de prostituée) une vie de pauvre fille dans un pauvre lit auquel il manquait le matelas.
Combien de fois l’estomac s’est-il contenté de mate amargo (Mate, la boisson d’Uruguay, Paraguay et Argentine qui se boit sans sucre, amère) et beaucoup de jours se sont écoulés sans rien avoir à manger !
Le lit était la consolation de ces moments d’amertumes où, par la faute de la misère, il n’y avait rien à manger.
C’est fini, les filles qui se contentaient toujours de ce que le mec leur donnait s’il était un vrai bacán (qui entretient une fille).
Aujourd’hui, elles ne veulent que des robes et des bijoux somptueux, des voitures décapotables pour se promener dans la ville.
Personne n’a envie de conventillo (habitation collective des pauvres de Buenos Aires) ou d’être une pauvre couturière, ni d’aller inconnue (fulera est une personne quelconque, sans prestige. La Fulera est aussi la mort, mais pas dans ce contexte)
Elles veulent juste paraître être amis avec untel ayant beaucoup d’argent, qu’il loue un appartement et qu’il l’emmène au Pigall (le cabaret/Casino Pigall appartient à ce phénomène de mode où se copient les mœurs parisiennes, Pigalle étant un quartier animé de Paris).
Avoir une voiture, avoir une femme de ménage et un grand « chapó » (chapeau, autre mode, parler avec des mots de français, voire en français) et d’avoir un gigolo pour les fêtes, une pièce recouverte de tapis luxueux (gran parada est à prendre dans le sens français de parade), d’avoir une servante et… que sais-je !
Et ainsi… de cette façon, elle veut « Champagne et Tango ».

Autres versions

Champagne tango 1914 Orquesta .

Cette version acoustique, desservie par la technique d’enregistrement, permet tout de même de prendre connaissance de l’interprétation de Firpo qui nous proposera 32 ans plus tard, un autre enregistrement que nous pourrons comparer. La flûte (jouée par ) qui vit ses dernières années dans les orchestres de tango est ici bien présente.

Champagne tango 1929 – Orquesta Victor Popular.

Une version un peu vieillotte. La clarinette joue avec les violons. Ce n’est pas vilain, mais un peu monotone et ce disque est en mauvais état.

Champagne tango 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
Champagne tango 1938-06-22 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est le tout dernier enregistrement avec Biagi au piano, avant qu’il se fasse virer pour avoir pris la vedette à D’Arienzo. L’orchestre est dans un intense dialogue avec le piano qui est effectivement la vedette, le soliste.
Quand on voit l’évolution du piano pendant les trois années où Biagi a officié dans l’orchestre de D’Arienzo, on peut se demander ce qu’aurait donné l’évolution de l’orchestre de D’Arienzo avec Biagi si avait été un peu moins susceptible…

Champagne tango 1944-07-28 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Qui n’a jamais entendu Champagne tango par Di Sarli n’a jamais pris de cours de tango. Même si Di Sarli en propose trois enregistrements, cette version bien rythmée est la préférée des professeurs qui pensent que leurs élèves doivent avoir un tempo bien marqué et suffisamment lent pour que leurs élèves puissent mettre en pratique les figures compliquées qu’ils viennent de leur apprendre.
Relativement peu de surprise dans cette version. Les peuvent être en confiance.

Champagne Tango 1946-09-25 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

32 ans plus tard, Firpo qui essaye de se refaire une santé financière s’est remis au tango. Son interprétation est très originale et inspirera des orchestres uruguayens, comme nous le verrons ci-dessous.
L’attaque des cordes des violons par des coups d’archet brefs ou des pizzicati donne une version pétillante comme des bulles de champagne.

Champagne tango 1952-09-19 — Orquesta Héctor Varela.

Je sais que certains essayeront de ne pas écouter cette version à cause du nom de Varela. Cependant cette version est plutôt sympathique. Elle est énergique et sensible. Elle convient à la danse et est dépourvue des poncifs fatigants de Varela. Alors, allez-y en confiance et laissez-vous enivrer par Varela.

Champagne tango 1952-10-27 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore Di Sarli. La musique est beaucoup plus glissée. Les violons ondoyants alternent avec des passages plus martelés. Cette version est plus contrastée que celle de 1944. C’est un Di Sarli typique, un incontournable des milongas.

Champagne tango 1958-11 — Orquesta Carlos Di Sarli.

Encore, encore Di Sarli qui a enregistré de nombreux titres à deux reprises durant la décennie des années 50. C’est un développement de la version précédente. Elle est bien fluide. On sent le disque qui tourne, imperturbable. On peut préférer les autres versions, mais celle-ci a aussi ses fanatiques. Sur l’île déserte, il faut emporter tout le champagne de Di Sarli

Champagne Tango 1959-03-23 — y sus Tangueros del 900.

Le retour de la flûte (et pas seulement de champagne) et d’un style de jeu qui plaît à Borges qui n’a jamais digéré que le tango sorte des bordels et de sa fange pour se « dénaturer » avec la guimauve sentimentale. Racciatti nous propose une version légère et qui pourrait être une réminiscence des années 1910, époque où la guitare et la flûte le disputaient encore au piano et au bandonéon.

Champagne tango 1959-12-07 — Miguel Villasboas y Su Quinteto Bravo del 900.

On reste sur la rive uruguayenne. Le style entraînant de Villasboas et sa sonorité particulière sont en général bien appréciés. On retrouvera des similarités avec Firpo. Une version joueuse. Villasboas n’a pas le champagne triste.

Champagne tango 1970 — Quinteto Añoranzas.

Le Quinteto Añoranzas nous propose une autre version avec un ensemble réduit. Il semblerait que le champagne se prête bien aux petites . Là encore _une flûte présente, mais qui partage la vedette avec le bandonéon et le violon. Cette version est cependant un peu terne. On désirerait un peu plus de mouvement (Añoramos a más movimiento 😉

Champagne tango 1979-09 — Miguel Villasboas y su Sexteto.

Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version. Pour ma part, je trouve la réverbération exagérée. Cela rend confuse l’écoute et perturbe la sérénité des danseurs. J’éviterais donc de vous passer cette version.Miguel Villasboas y su Sexteto. Vingt ans après, Villasboas nous livre une autre version.
Notons que trois versions par des orchestres uruguayens, c’est peut-être un signe de chauvinisme, Aróztegui étant lui aussi Uruguayen…

Champagne tango 1996 — Quinteto Francisco Canaro dir. Antonio D’Alessandro.

Peut-être que les musiciens ont un peu abusé de la divine boisson. La pièce est un peu assoupie. C’est peut-être pour exprimer la nostalgie des paroles, mais en tous cas, cela ne donne pas envie de la danser.

Le coup de l’étrier (La copa de la despedida)

Je ne pouvais pas vous laisser sur la version du Quinteto Canaro. Je vous propose donc un autre titre, venu d’un autre univers, mais qui parle aussi de champagne. Il s’agit de Champagne bubbles par Jose-M.Lucchesi. Ce musicien passionné de tango argentin n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur, notamment à cause d’une certaine jalousie des musiciens argentins qui voyaient en lui un talentueux concurrent. D’origine corse (France), mais né au Brésil, il fait l’essentiel de sa carrière en France, comme compositeur et chef d’orchestre. Il se fera d’ailleurs naturaliser Français.

Champagne-bubbles 1935 Jose-Maria Lucchesi.
Champagne Bubbles (composé par Jose-Maria Lucchesi, un titre en anglais et des indications en allemand pour cette production réalisée par Electrola à Berlin (Allemagne). Ceci montre la diffusion du tango… et du champagne. 1935, on est dans la période où les nazis encourageaient le tango plutôt que le jazz, musiques de noirs qu’ils méprisaient.

Pour en savoir plus sur Lucchesi, vous pouvez reporter à l’excellent site Milonga Ophelia.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

Cette si agréable à danser, notamment dans la version qu’en donne Castillo avec son orchestre a failli ne pas voir de succès. Lançons-nous à la rencontre de la pulpera de la pulpería.

Tout d’abord, un peu de vocabulaire. Une pulpera, est une employée, ou une propriétaire de pulpería. Le « í » est donc important. La chanson parle d’une femme, pas de son établissement.

Mais alors qui est cette femme et où était cet établissement?

Héctor Pedro Blomberg décrit une blonde aux yeux bleus. Elle pourrait être inventée à l’image de son pays d’origine (son grand-père paternel était un marin norvégien).
En fait, même s’il y a plusieurs hypothèses, la plus probable est que cette femme était la fille d’un monsieur Miranda qui tenait un lieu de ce type. À sa mort pour une histoire politique, on verra dans les paroles que De Rosas n’est pas loin, sa femme et sa fille ont repris l’établissement qui était fameux. Il est décrit comme étant à l’angle de Caseros et Martin Garcia. Malheureusement, ce sont deux avenues, donc parallèles. Je propose donc plutôt l’angle de Martin Garcia et Montes de Oca, justement le bâtiment qui touche l’église de Santa Lucía…
La blonde aux yeux bleus s’appelait peut-être Dionisia Miranda si ces hypothèses ne sont pas trop fausses…

Évidemment, l’histoire se passe au milieu du XIXe siècle et donc, ce bâtiment n’existait pas. À l’époque, l’église devait être isolée dans un environnement rural et les gauchos devaient passer une bonne partie de leurs journées à la pulpería.

Extrait musical

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio.

Pour une version de chanteur, c’est tout à fait dansable. C’est même une superbe valse. Je pense que vous éprouverez beaucoup de plaisir à la danser, malgré les regrets exprimés dans les paroles.

Paroles

Era rubia y sus ojos celestes
reflejaban la gloria del día
y cantaba como una calandria
la pulpera de Santa Lucía.

Era flor de la vieja parroquia.
¿Quién fue el que no la quería?
Los soldados de cuatro cuarteles
suspiraban en la pulpería.

Le cantó el mazorquero
con un dulce gemir de vihuelas
en la reja que olía a jazmines,
en el patio que olía a diamelas.

« Con el alma te quiero, pulpera,
y algún día tendrás que ser mía,
mientras llenan las noches del barrio
las guitarras de Santa Lucía ».

La llevó un payador de Lavalle
cuando el año cuarenta moría;
ya no alumbran sus ojos celestes
la parroquia de Santa Lucía.

No volvieron los trompas de Rosas
a cantarle vidalas y cielos.
En la reja de la pulpería
los jazmines lloraban de celos.

Y volvió el payador mazorquero
a cantar en el patio vacío
la doliente y postrer serenata
que llevábase el viento del río:

¿Dónde estás con tus ojos celestes,
oh pulpera que no fuiste mía? »
¡Cómo lloran por ti las guitarras,
las guitarras de Santa Lucía!

Enrique Maciel Letra: Héctor Pedro Blomberg

libre et indications

Elle était blonde et ses yeux bleu clair (célestes, couleur du drapeau argentin) reflétaient la gloire du jour et elle chantait comme une calandre (oiseau chanteur) la pulpera (la femme) de Santa Lucia.
Elle était la fleur de l’ancienne paroisse. Quel gaucho ne voudrait pas d’elle ? Les soldats de quatre casernes soupiraient dans la pulpería (l’établissement).
Le payador mazorquero (chanteur partisan de Rosas, militaire, gouverneur et putschiste) lui chantait avec un doux gémissement de vihuelas (instrument de musique apparenté à la guitare) sur la clôture qui sentait le jasmin, dans la cour qui sentait le diamelas (sorte de jasmin).
« Pulpera, je t’aime de toute mon âme, et un jour tu devras être mienne, quand les nuits du quartier sont remplies des guitares de Santa Lucia. »
Un payador de Lavalle (c’est aussi le titre d’une ranchera de Brignolo) l’a enlevée à la mort de l’année quarante ; déjà, ses yeux bleus n’éclairent plus la paroisse de Santa Lucia.
Les trompettes de Rosas ne revinrent pas lui chanter des vidalas et des cielos (danses). Sur la clôture de l’épicerie, les jasmins pleuraient de jalousie.
Et le payador de Rosas revint chanter dans la cour vide
la sérénade plaintive et tardive qu’apportait le vent de la rivière :
Où es-tu avec tes yeux célestes, ô pulpera qui ne fut pas mienne ? Comment, pour toi pleurent les guitares, les guitares de Santa Lucía !

Cette valse nous parle donc d’un temps ou le quartier était rural et où De Rosas gérait d’une main de fer la Province de Buenos Aires, l’époque Rosistas.

Autres versions

La pulpera de Santa Lucía 1929-06-19 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Cette version est importante, car Corsini est celui qui a lancé cette valse écrite par un de ces guitaristes, Enrique Maciel… C’était à la radio, en 1928 et le succès a été tel que les auditeurs ont demandé un bis par téléphone. Ceux qui avaient refusé le titre ont dû s’en mordre les doigts.

Une fois lancée, Canaro, comme à son habitude, l’a enregistrée…

La pulpera de Santa Lucía 1929-07-03 — Orquesta Francisco Canaro.

C’est une version lente avec l’originalité de la présence d’une guitare hawaïenne. Canaro utilisera cet instrument dans d’autres œuvres, dont justement une valse composée par William H. Heagney, tout aussi lente que celle-ci et qui se nomme… Bells of Hawaii (enregistrée le 9 novembre de la même année).

Bells of Hawaii 1929-11-09 – Orquesta Francisco Canaro (William H. Heagney)

(Ce n’est bien sûr pas une version de la pulpera, c’est juste pour vous faire entendre une valse similaire avec de la guitare hawaïenne).

La pulpera de Santa Lucía 1930 — Orquesta con .

Le frère de Francisco s’y colle ensuite avec Carlos Dante. Une version très rapide, plutôt chanson avec une forte présence de la guitare qui fait penser à Corsini.

La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. La pulpera de Santa Lucía 1945-04-24 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Enrique Alessio. C’est notre merveille de valse du jour.
La pulpera de Santa Lucía 1974 — Hugo Díaz.

Une version très étonnante avec ses dissonances plaquées sur l’introduction. L’harmonica particulièrement expressif d’Hugo Díaz se promène par-dessus la guitare qui donne le rythme et permet de rendre dansable cette version assez particulière. Même si vous ne la dansez pas, il faut la connaître pour l’harmonica qui lui imprime son caractère si puissant.

La pulpera de Santa Lucía 1977 con guitarras — Jose Canet.

Une version sympathique, chantée par une femme et quelle chanteuse. Je pense que vous apprécierez son écoute.

La pulpera de Santa Lucía 1983 — y su Orquesta Típica.

Pour terminer, une version de l’autre rive. Bien dansante et amusante comme c’est le faire Villasboas avec son piano bien rythmé et ses violons qui flottent avec une sonorité si particulière. On notera également le magnifique solo du bandonéon. Tous n’aiment pas, mais moi, j’aime bien et c’est assez festif pour terminer ce tour des versions de la Pulpera de Santa Lucía.

Un « couple » étonnant

Dans la milonga d’hier, j’abordai les origines noires du tango. Enrique Maciel, El Negro Maciel est effectivement d’origine noire et plus précisément noire américaine. Il est descendant d’esclaves du Sud des États-Unis. C’est son grand-père paternel, dont le nom de famille était Marshall qui a immigré en Argentine. Maciel fait plus Argentin que Marshall, j’imagine la scène à l’immigration « c’est quoi ton nom ? Marshall, Maciel ?

Son partenaire dans la composition de ce tango est Héctor Pedro Blomberg qui comme son nom le suggère était Norvégien d’origine. Là encore, c’est son grand-père paternel qui s’est fixé après avoir épousé une Paraguayenne, elle-même auteure. En 1911, il embarque sur un navire pour… la Norvège où il reste deux ans. Durant son voyage il écrivit des articles pour les revues de l’époque. Par chance, on peut les lire sans retrouver toutes les revues, car ils ont été publiés en 1920 dans un ouvrage Las Puertas de Babel. Le préfacier, Manuel Gálvez, nous en explique le titre. Je reproduis cet extrait ici, car il est très évocateur du Buenos Aires des origines du tango : 

«Los puertos de Buenos Aires, y los barrios que los rodean: La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, son las puertas de Babel. Por ellos se entra en la ciudad monstruosa e inquietante donde todos los idiomas del mundo y todas las razas se confunden y mezclan. Arriba está la ciudad rica y poderosa. Abajo, es decir en las puertas de Babel, se aglomera la caravana de los parias, la turba sucia y doliente que arrastra por los puertos y los mares su desolación et su miseria.

Multitud de lamentables figurillas humanas desfilan. Marineros ingleses, borrachos y brutales, pasan juntos a suaves y contemplativos chinos. Holandeses et italianos codéense en los antros del Paseo de Julio con árabes melancólicos que invocan a Alá, y añoran las amadas de Argel. Mujeres de todas las razas — las cigarras del hambre — cantan y danzan en los cabarets siniestros: andaluzas de Cádiz y de Málaga, griegas de Salónica, mulatas martiniqueñas, inglesas de Liverpool u de Swansea. Todos los barrios trágicos de tierra son evocados en las puertas de Babel: el Bund, de Changai; el Solbrero Rojo, de Marsella; las callejuelas sucias de los barrios que circundan los grandes puertos. Y todas las canciones de la tierra dilúyense en los ámbitos de Babel: coplas de Sorrento, que hacen soñar con el mar azul, fados portugueses, sensuales y lánguidos; canrates desolados de los archipiélagos, oídos en las radas de Oceanía; baladas cándidas, y fragantes que evocan las márgenes del Yang-Tse-Kiang; viejas guajiras de Cuba ; lúgubres coplas andaluzas.Y todas aquellas gentes van pasando bajo las arcadas del Paseo de Julio, o por las calles de la Boca o del Dock Sur, o se amontonan en los antros, en los cabarets, en las hamadas, en los fumaderos de opio. Y la tragedia estalla a cada paso, allí en las puertas de Babel. Hombres tatuados se apuñalean por alguna de aquellas cigarras del hambre, “gaviotas de todos los puertos”, como también las llama Blomberg. »

Préface de Las Puertas de Babel par Manuel Gálvez.

Traduction libre

« Les ports de Buenos Aires, et les quartiers qui les entourent : La Boca, El Dock Sur, El Paseo de Julio, sont les portes de Babel. C’est par eux que vous entrez dans la ville monstrueuse et inquiétante où toutes les langues du monde et toutes les races sont confondues et mélangées. Au-dessus se trouve la ville riche et puissante. En bas, c’est-à-dire aux portes de Babel, se rassemble la caravane des proscrits, la foule immonde et triste qui traîne sa désolation et sa misère à travers les ports et les mers.
Une multitude de pitoyables figurines humaines défilent. Les marins anglais, ivres et brutaux, passent avec des Chinois doux et contemplatifs. Néerlandais et Italiens se côtoient dans les clubs du Paseo de Julio avec des Arabes mélancoliques qui invoquent Allah et se languissent des bien-aimés d’Alger. Des femmes de toutes les races, les cigales de la faim, chantent et dansent dans les sinistres cabarets : Andalouses de Cadix et de Malaga, Grecques de Thessalonique, mulâtres martiniquaises, Anglaises de Liverpool ou de Swansea. Tous les quartiers tragiques de la terre sont évoqués aux portes de Babel : le Bund, à Changai ; le chapeau rouge de Marseille (le nom vient du chapeau que portaient les cochers des messageries Royales et qui a donné le nom à nombre de relais de poste, auberges…) ; les ruelles sales des quartiers qui entourent les grands ports. Et tous les chants de la terre se diluent dans les lambeaux de Babel : les couplets de Sorrente, qui font rêver la mer bleue, le fado portugais, sensuel et langoureux ; les canrates désolés des archipels (probablement Canaries), entendus dans les rades de l’Océanie ; des ballades candides et parfumées qui évoquent les rives du Yang-Tsé-Kiang ; vieilles guajiras de Cuba ; Lugubres couplets andalous.
Et tous ces gens-là passent sous les arcades du Paseo de Julio, ou dans les rues de La Boca ou du Dock Sur, ou s’entassent dans les clubs, dans les cabarets, dans les hamadas, dans les fumeries d’opium (on en parlait à propos de El opio de Canaro). Et la tragédie éclate à chaque tournant, là-bas, aux portes de Babel. Des hommes tatoués sont poignardés pour l’une de ces cigales de la faim, « mouettes de tous les ports », comme les appelle aussi Blomberg. »

Un petit documentaire pour terminer

Un documentaire réalisé par El VecinalRéseau social de Misiones. C’est en espagnol, mais des informations complémentaires sont proposés, notamment sur De Rosas.

Un documentaire réalisé par El VecinalRéseau social de Misiones

El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo

Roberto Firpo

Le post d’hier était très long et touffu. Aujourd’hui, j’ai choisi un tango instrumental et c’est sans doute bien dans la mesure où « El apronte » a de multiples significations qui pourraient nous emmener sur des terrains hasardeux. Aujourd’hui, on parlera donc de musique avec la version de D’Arienzo enregistrée le 1er avril 1937, il y a exactement 87 ans.

La

Comme cela arrive très souvent, la partition a un ou des dédicataires. Ici, ce sont les internes de l’hôpital San Roque de Buenos Aires.

El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo

, le pianiste, est désormais bien installé dans l’orchestre et a pris (gagné) plus de liberté pour exprimer ses ornements.
D’Arienzo lui laisse des temps de suspension pendant lesquels les autres instruments se taisent.
Le jeu pour les est que ces temps de silences ne sont pas tous remplis, ce qui donnera un peu plus tard les fameux breaks de D’Arienzo, ces moments de silence sans musique.
En dehors de ces fioritures, le piano joue au même compas (rythme que les autres instruments).
Comme très souvent chez d’Arienzo, la fin donne une impression d’accélération, mais cela se fait par l’intercalage de notes supplémentaires, pas par une accélération réelle du tempo qui reste réguler durant toute l’interprétation

Les paroles

C’est un tango instrumental, aussi je n’aborderai pas la question des paroles et c’est tant mieux. Le terme apronte a différentes significations allant du domaine des courses de chevaux, notamment la phase de préparation du cheval, en passant par une personne impatiente, ou une personne payant pour obtenir quelque chose. C’est aussi la préparation, d’un mauvais coup ou d’une passe. En gros, difficile de savoir sans les paroles ce que voulait évoquer Firpo. Cependant, sa musique est en général expressive et l’utilisation d’un tango avec ses hésitations et son rythme irrégulier peut s’adapter à chacun des sens.
Précisons un dernier sens, plus « respectable » qui nous vient d’Uruguay, n’oublions pas que c’est à l’époque où il était contracté par le café la Giralda qu’il rencontre Gerardo Matos Rodríguez et inaugure sa marche de (). En Uruguay, donc, apronte peut signifier aussi l’apport pour le mariage. La dot, ou tout simplement la préparation de la vie commune.
Notons que les paroles de tango s’appelant apronte ou citant ce mot possèdent des paroles plutôt vulgaires, mafieuses et se réfèrent donc à l’acception portègne du mot. Par exemple pour le tango Apronte de Celedonio Flores.
Mais ici, comme c’est instrumental, vous pouvez imaginer ce que vous voulez…

Autres versions

Sur la partition que je vous ai présentée ci-dessus, il y a une indication que je souhaite vous présenter. Il est indiqué « Tango Milonga ».

Nous avons déjà évoqué ces tangos canyengue qui au fil du temps sont joués plus vite et qui deviennent des milongas, mais je souhaite attirer votre attention sur le concept de « tango milonga ». Ce sont des tangos assez joueurs, mais pas suffisamment syncopés et rapides pour mériter le titre de milonga. Ils sont donc entre les deux. Firpo interprète souvent des tangos avec cette ambiguïté, comme d’autres orchestres plus tardifs comme . Ici, nous sommes en présence d’un tango écrit par Firpo, il a donc décidé de lui donner le rythme qu’il affectionne, le Tango Milonga.
Pour un DJ, c’est un peu un casse-tête. Faut-il l’annoncer comme un tango ou comme une milonga ? Je passe souvent ce type de titre quand j’ai besoin de baisser la tension, éventuellement à la place d’une tanda de milonga, surtout si les danseurs ne sont pas des aficionados de la milonga. A contrario, s’ils adorent la milonga, je peux colorer une tanda de tango pour leur donner l’occasion de jouer un peu plus. J’annonce au micro ce qui va se passer, car très peu de danseurs connaissent cette catégorie. Cela me permet aussi d’encourager ceux qui sont timides en milonga en leur disant que c’est une milonga « facile ».
Le tango du jour interprété par D’Arienzo est un pur tango. Cependant, certaines versions que nous allons voir à présent sont des tangos milonga, comme, c’est le cas pour celles enregistrées par Roberto Firpo, l’auteur de la partition.

El apronte 1926 — Orquesta Roberto Firpo.

Bien qu’enregistrée 12 ans après l’écriture, cette version respecte l’esprit de la partition originale et est un Tango Milonga, avec ses syncopes caractéristiques.

El apronte 1931-10-07 — Orquesta Roberto Firpo.

Cette version est beaucoup plus lisse. Les syncopes sont beaucoup plus rares et la marcación est régulière. C’est une interprétation plus moderne.

El apronte 1937-03-27 — Orquesta Roberto Firpo.

Retour en forcé du style Tango Milonga. Firpo revient à la lettre de sa partition. C’est sa sonorité fétiche que l’on retrouvera notamment sur des orchestres uruguayens comme Villasboas ou chez la Tuba Tango.

El apronte 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est le tango du jour.

C’est clairement un tango et pas un Tango Milonga. La marcacion est très régulière et les fantaisies principalement proposées par Biagi au piano se font essentiellement sur les moments de silence des autres instruments. Ainsi le rythme, le compas régulier de d’Arienzo n’est pas bousculé, il est juste mis en pause pour laisser quelques fractions de secondes au piano, ou pour ménager un silence qui réveille l’attention des danseurs, ce qui deviendra un élément caractéristique de son style avec des breaks parfois très longs. Vous savez, ces moments où les danseurs peu expérimentés se tournent vers le DJ en pensant qu’il y a une panne… J’avoue, il m’arrive de jouer en mettant réellement en pause certains breaks (ils sont donc plus longs) pour provoquer des sourires chez les danseurs que je rassure par des signes prouvant que c’est normal 😉

El apronte 1971 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

On retrouve le Tango Milonga qui est un jeu qu’adore utiliser VIllasboas. La boucle est bouclée.

d’être arrivée au bout de cet article.
N’hésitez pas à laisser des commentaires mettre un j’aime (le pouce vers le haut en début d’article ou m’envoyer un petit message).

Pour finir, choisissez l’image que vous préférez pour le tango du jour.

El pollo Ricardo 1946-03-29 – Orquesta Carlos Di Sarli

Luis Fernández Letra : Gerardo Adroher

Je cet article à mon ami Ricardo Salusky, DJ de , ce tango étant une histoire d’amitié, c’était logique. Pollo, le poulet, est un surnom assez courant, les Argentins et Uruguayens sont friands de cet exercice qui consiste à ne jamais dire le véritable prénom de personnes…

Reste à savoir qui était le poulet de Luis Alberto Fernández, l’auteur et le parolier de ce tango qu’il a dédicacé à un de ses amis.
Ricardo est un prénom courant. Il nous faut donc investiguer.
Luis Alberto Fernández (c’est son véritable nom) est né à Montevideo le 29 mars 1887. Il était pianiste, compositeur et parolier d’au moins deux tangos, celui dont nous parlons aujourd’hui et Intervalo. El Pollo Ricardo est indiqué dans les registres de la AGADU (Asociación General de Autores del Uruguay) comme étant de 1911, ce que confirment d’autres sources, comme les plus anciennes exécutions connues par Carlos Warren, puis (malheureusement sans ) et un peu plus tardivement (1917), celle de Celestino Ferrer que vous pourrez écouter à la fin de cet article.
De Fernández, on ne connaît que deux compositions, El pollo Ricardo et Intervalo.
En cherchant dans les amis de Fernández on trouve un autre Uruguayen ayant justement écrit un tango sur les cartes,

Une partition de du tango « En Puerta » (l’ouverture) sur le thème des jeux de cartes. On notera que l’auteur se fait appeler (El Pollo Ricardo).

On retrouve ce Ricardo Scandroglio sur une photo où il est au côté de Luis Alberto Fernández.

Photo prise dans les bois de Palermo en 1912 (Parque Tres de Febrero à Buenos Aires).

Assis, de gauche à droite : El pollo Ricardo qui a bien une tête de poulet, non ? Au centre, Luis Alberto Fernández et Curbelo. Debouts, Arturo Prestinari et Fernández Castilla. Cette photo a été reproduite dans la revue La Mañana du 29 septembre 1971.
Et pour clore le tout, on a une entrevue entre Alfredo Tassano et Ricardo Scandroglio où ce dernier donne de nombreuses précisions sur leur amitié.
Vous pouvez écouter cette entretien (à la fin de la version de Canaro de El pollo Ricardo) ici:
https://bhl.org.uy/index.php/Audio:_Entrevista_a_Ricardo_Scandroglio_a_sus_81_a%C3%B1os,_1971
Mais je vous conseille de lire tout le dossier qui est passionnant :
https://bhl.org.uy/index.php/Scandroglio,_Ricardo_-_El_Pollo_Ricardo

Extrait musical

Il s’agit du deuxième des trois enregistrements de El pollo Ricardo par Carlos Di Sarli. Nous écouterons les autres dans le chapitre « autres versions ».

El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli.
Couverture de la deuxième édition et partition pour piano de El pollo Ricardo

Les paroles

Personne ne connaît les paroles que Gerardo Adroher, encore un Uruguayen, a composées, mais qu’aucun orchestre n’a enregistré.
Ce tango a été récupéré par les qui ont moins besoin des paroles. Toutefois, il me semble intéressant de les mentionner, car il montre l’atmosphère d’amitié entre Ricardo Scandroglio et Luis Alberto Fernández.

Tu pinta de bacán
tu estampa de varón
tu clase pura para el baile
cuando te floreás
te han distinguido
entre los buenos guapos con razón
porque entrando a tallar
te hiciste respetar.
Pollo Ricardo
vos fuiste amigo fiel
y yo he querido con un tango
bravo y compadrón
dar lo mejor de mi amistad
a quien me abrió su corazón.
La barra fuerte del café
muchachos bravos de verdad
formaban rueda cuando vos
maravillabas al tanguear.
Y siempre fue tu juventud
el sol que a todos alumbró
borrando sombras con la luz
que tu bondad nos dio.
Y cuando pasen los años
oirás en el compás de este tango
un desfilar de recuerdos
largo… largo.
Puede que entonces
me fui yo a viajar
con rumbo por una estrella.
Mira hacia el cielo
es ella, la que brilla más.

Gerardo Adroher

Traduction libre et indications

Ton élégance de noceur, ton allure de mec, ta pure classe pour la danse quand tu brilles t’ont distingué parmi les beaux élégants, à juste titre, parce que quand tu entres en taille (figure de tango, comme dans le ocho cortado. Ne pas oublier que la forme ancienne du tango de danse avait des attitudes pouvant rappeler le combat au couteau) ; tu t’es fait respecter.
Poulet Ricardo tu étais un ami fidèle et moi j’ai aimé avec un tango, courageux, et compère, donner le meilleur de mon amitié à qui m’a ouvert son cœur.
La bande du café, des garçons vraiment bons (vaillants, bons danseurs dans le cas présent).
Formant le cercle quand tu émerveillais en dansant .
Et ça a toujours été ta jeunesse, le soleil qui a illuminé tout le monde, effaçant les ombres avec la lumière que ta bonté nous a donnée.
Et quand les années passeront, tu entendras au rythme de ce tango un défilé de souvenirs
long… long.
Il se peut qu’ensuite, je sois parti en voyage,
En route vers une étoile. Lève les yeux vers le ciel, c’est celle qui brille le plus.
Fernandez est décédé en 1947, et il avait trois ans de plus que Ricardo, ces paroles peuvent paraître prémonitoires, mais avec beaucoup d’avance…

Autres versions

Les premières versions

Le premier orchestre à avoir joué El pollo Ricardo en 1912 serait l’orchestre uruguayen de Carlos Warren, mais il ne semble pas y avoir d’enregistrement. Même chose pour la version par Juan Maglio Pacho. La partition aurait été éditée en 1917, mais si on prend en compte que Fernández jouait d’oreille et n’écrivait pas la musique, on peut penser que les premières interprétations soient passées par un canal différent.

El pollo Ricardo 1917-01-17 — Orquesta Típica de Celestino Ferrer.

C’est, a priori, la plus ancienne version existante en enregistrement. Ferrer était réputé pour sa participation aux nuits parisiennes autour des orchestres comme celui de Pizarro. On lui doit un tango comme compositeur, , qui célèbre le salon parisien qui fut un des premiers lieux de tango à Paris. Il faut attendre un peu pour trouver des versions dansantes du tango.

El pollo Ricardo 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Une version bien ronde et qui avance avec une cadence régulière qui pourra plaire aux danseurs milongueros. J’aime bien les petits « galops » qu’on entend particulièrement bien vers 43 secondes et à diverses reprises. Cependant, on ne pense pas forcément à un poulet ou à un danseur de tango.

Les trois enregistrements de Di Sarli

J’ai choisi de regrouper les trois enregistrements de Di Sarli pour qu’il soit plus facile à comparer. La version intermédiaire de D’Arienzo de 1947 sera placée après celle de 1951 de Di Sarli, ce qui vous permettra de comparer également les deux enregistrements de D’Arienzo (1947 et 1952).

El pollo Ricardo 1940-09-23 Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est la première version de ce thème par Di Sarli. À diverses reprises le son du bandonéon peut faire penser au caquètement d’un poulet (0 : 26 ou 1 : 26 par exemple).

El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre .

Le tempo est plus modéré que dans la version de 1940 et le caquètement de poulet est plus accentué, en contraste avec les violons en legato. Comme le tempo est un peu plus lent, les caquètements sont décalés à 0 : 30 et 1 : 30. En six ans on remarque bien l’évolution de l’orchestre, même si le style reste encore très rythmé et les violons s’expriment moins que dans des versions plus tardives comme celle de 1951.

El pollo Ricardo 1951-07-16 — Orquesta Carlos Di Sarli.

La sonorité de cette version est plus familière aux aficionados de Di Sarli des années 50. Les violons sont beaucoup plus présents, y compris dans les caquètements qui toutefois sont plus discrets que dans les deux autres versions. Le piano s’exprime également plus et rajoute les fioritures qui sont une des caractéristiques du Di Sarli des années 50.

Les deux enregistrements de D’Arienzo

Les deux enregistrements de D’Arienzo sont à comparer aux deux enregistrements quasi contemporains de Di Sarli (46-47 et 51-52).
Comme nous l’avons vu, l’évolution de Di Sarli est allée en direction des violons. Celles de D’Arienzo serait plutôt de favoriser les bandonéons et de les engager dans le marquage du tempo, comme d’ailleurs tous les instruments de l’orchestre. Il n’est pas El Rey del Compas pour rien… Le piano a toujours une grande place chez D’Arienzo qui n’oublie pas que c’est aussi un instrument à percussion…

El pollo Ricardo 1947-05-20 — Orquesta Juan D’Arienzo
El pollo Ricardo 1952-11-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Retour en Uruguay

Le héros, le compositeur et le parolier de ce tango étant uruguayens, il me semble logique de donner la parole en dernier à trois orchestres de ce pays.

El pollo Ricardo 1972 — Orquesta Orquesta Donato Racciatti.

Une version énergique et au tempo soutenu. Quelques illuminations du piano de Racciatti répondent aux violons (jouant legato mais aussi en pizzicati) . Le style haché et joueur peut être intéressant à proposer aux danseurs.

El pollo Ricardo 1985 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Un peu moins tonique que la version de Racciatti et avec la sonorité particulière de cet orchestre, on trouve tout de même un air de famille, le son uruguayen 😉 Les violons un peu plus lyriques, le piano plus sourd rendent sans doute cette version moins intéressante, mais elle devrait tout de même plaire aux danseurs notamment dans la dernière partie qui est plutôt très réussi et entraînante.

El pollo Ricardo 2005-10 – Orquesta Matos Rodríguez.

Bien que l’orchestre se réfère à Matos Rodríguez (le compositeur uruguayen de la Cumparsita), on est plus dans une impression à la Di Sarli. Cependant, le résultat est un peu mièvre et ne se prête pas à une danse de qualité, même s’il reprend des idées des orchestres urugayens et des trucs à la Sassone.

La dédicace à El Pollo Ricardo

Comme Fernandez a réalisé un hommage à son ami Ricardo, je fais de même avec Ricardo, l’excellent DJ de Buenos Aires. J’ai emprunté la photo au talentueux photographe (celui qui avait réalisé la grande fresque du salon

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Letra : Mario Alberto Pardo

Je pense que vous ne devinerez pas pourquoi il y a un tigre pour présenter le tango du jour, enregistré par Fresedo. Lorenzo était-il un tigre du zoo de Buenos Aires ? Parle-t-on d’un Lorenzo originaire de Tigre ? Rien de tout cela, vous ne pourrez jamais deviner sans lire ce qui suit…

Le tango « Lorenzo » a été composé par Agustín Bardi et les paroles écrites par Mario Alberto Pardo en l’honneur du bandonéoniste Juan Lorenzo Labissier.
Il a été joué pour la première fois dans le café Dominguez (celui qui est célébré par D’Agostino avec la célèbre phrase introductive dite par Julián Centeya :

«  de la vieja calle Corrientes que ya no queda. Café del cuarteto bravo de Graciano de Leone. »

Café de la vieille rue Corrientes [rue de Buenos Aires, célèbre pour ses théâtres et son histoire intime avec le tango] qui n’existe plus. Café du cuarteto Bravo de Graciano de Leone.
Nous n’avons aucun enregistrement de cette époque [avant 1919] de ce cuarteto constitué de lui-même à la direction et au bandonéon, de au violon de Carlos Hernani Macchi à la flûte et d’Agustín Bardi, l’auteur de ce tango, au piano.
On peut se demander pourquoi Bardi a dédicacé ce tango à Labissier alors qu’il travaillait pour un autre bandonéoniste. Je n’ai pas la réponse ;-)
Souvent, les hommages sont faits en mémoire d’un ami récemment défunt comme la magnifique « A Magaldi », mais dans le cas présent, le dédicataire a survécu près de 40 ans à cette dédicace. Bardi le connaissait pour avoir travaillé avec lui au café Café Royal, café plus connu sous son surnom de Café del Griego (du Grec). Ce café était situé à proximité de l’angle des rues Necochea et Suarrez (La Boca). À l’époque Bardi était violoniste et se transforma en pianiste… Signalons en passant que Canaro qui a enregistré le titre le 23 mai 1927, la veille de Fresedo qui signe le tango du jour avait fait ses débuts officiels dans les mêmes parages.
N’oublions pas que sur quelques dizaines de mètres se collisionnent de nombreux souvenirs de tango, Lo de Tancredi, le lieu de naissance de Juan de Dios Filiberto, La de Zani, et la rencontre entre Canaro et Eduardo Arolas qui était surnommé le Tigre du bandonéon. Cela pourrait être une des raisons pour laquelle j’ai mis le tigre dans l’image de couverture, mais il y en a une autre. Soyez patients.

Là où on revient à Lorenzo

Pour revenir au dédicataire du tango, Lorenzo n’était pas comme Arolas un Tigre, mais il a joué durant une vingtaine d’années de son instrument dans différents orchestres et notamment avec (trio, quinteto et típica). La communauté des musiciens de tango semble avoir été très soudée à cette époque et Lorenzo était donc un proche des Greco (Vicente, mais aussi ses frères, Ángel et Domingo).
On peut voir cela aux dédicaces des partitions.

Il a composé quelques titres parmi lesquels : Aquí se vacuna, dédicacé aux docteurs Gregorio Hunt et Fernando Álvarez, La biyuya (l’argent en lunfardo), El charabón (nandou) dédicacé à son ami José Martínez, Blanca Nieve (Blanche Neige) dédicacé à sa sœur Blanca Nieve Labissier, Pochita, Ensueño, Ósculos de fuego, Romulito, Recuerdo inolvidable

Orchestre de Vicente Greco. Lorenzo est le bandonéon de droite. Dans la plupart des illustrations, la photo est inversée. Là, vous l’avez en couleur et à l’endroit…

Extrait musical

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).

Les paroles

Tous les enregistrements sont instrumentaux, mais il y a des paroles, écrites par Mario Alberto Pardo. Les voici…

Noches de loco placer,
de orgias, de mujeres, de champán
que ya no volveré a beber
porque mi corazón,
sangrando en sus recuerdos,
llora una emoción.

Cuando el primer metejón
en mi pecho clavo su ponzoña fatal
y la traición de mujer
en mi pecho el veneno empezó a destilar,
vicio tras vicio adquiriendo,
fui necio bebiendo
mi propio pesar;
loco, hice de mi vida
milonga corrida
buscando olvidar.

Así da gusto la vida
quien lo pudiera gozar
sin un dolor, sin un pesar
con un amor a disfrutar,
buscando siempre la alegría
que reinara
en la música del fueye,
de las copas y el champan.

Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo

Traduction libre et indications

Nuits de plaisir fou, d’orgies, de femmes, de que je ne reviendrai plus boire, parce que mon cœur, saignant dans ses souvenirs, pleure son émotion.
Quand, la première passion amoureuse cloua dans mon cœur son poison fatal et la trahison de la femme s’est mise à distiller son venin, ajoutant vice sur vice, j’ai été stupide de boire mon propre chagrin ;
Fou, j’ai fait de ma vie une milonga débridée pour chercher à oublier.
Ainsi, la vie rend heureux celui qui pourrait en profiter sans douleur, sans regret, avec un amour à profiter, cherchant toujours la joie qui régnera dans la musique du bandonéon, des coupes et le champagne.

Heureusement qu’il parle de bandonéon à la fin, pour rester dans le thème de l’hommage à l’ami du compositeur. Je n’ai pas d’information sur la vie amoureuse de Lorenzo. Il dédicace un tango à sa sœur, Blanche Neige, pas à ma connaissance à une femme. Peut-être a-t-il été empoisonné comme le suggère ce tango et Bardi, en bon ami, a essayé de le consoler avec ce titre.

Les versions

Lorenzo 1926-12-28 — Orquesta Julio De Caro.

Parmi les éléments amusants de cette version, le couplet sifflé à 0:15 et à 1:15) et le cri à 2:21. Le bandonéon est assez discret, les violons dans les pizzicati et les legati, voire le piano, ont plus de présence. Cela n’enlève rien au charme du résultat et les quelques notes finales de bandonéon permettent de rappeler que ce thème est en l’honneur d’un bandonéoniste. Un des rares thèmes de De Caro qui peut se prêter à la danse, en tous as pour ceux qui sont attirés par la vieille garde.

Lorenzo 1927-05-23 — Orquesta .

On reste dans la vieille garde. Cette version est plus simple, directement canyengue, le violon reste présent, mais le bandonéon a un peu plus de temps d’expression que dans la version de De Caro.

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).

Enregistré le lendemain de la version de Canaro, la version de Fresedo est plus dynamique et expressive, tout en conservant les appuyés rappelant le canyengue. Là encore un joli violon. Bardi a décidément été fidèle à son premier instrument. À partir de 1:20, joli solo de bandonéon. Là encore le bandonéon a le dernier mot en lâchant les dernières notes.

Lorenzo 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un tempo soutenu, les bandonéons sont plus présents, par exemple à 1:00 et ils accompagnent les violons qui gardent leurs superbes chants en legato. Un bon d’Arienzo, des débuts de Biagi dans l’orchestre, même si son piano ne se remarque que par quelques gammes virtuoses et par le final qui est donc au piano au lieu du bandonéon.

Lorenzo 1938-03-24 — Orquesta Francisco Canaro.

On redescend en rythme par rapport à Fresedo et D’Arienzo. Le bandonéon a pris à sa charge des éléments qui étaient plus à la charge des violons dans d’autres versions. Le piano a aussi plus de voix. C’est une version complétée par quelques notes de flûte et c’est cette fois-ci le violon qui a le mot de la fin.

Lorenzo 1950-05-05 — Orquesta Francisco Canaro.

Un tempo rapide, dans un style encore un peu canyengue par moment et à d’autres donnant dans le spectaculaire, notamment avec les explosions de piano. Comme dans la version de 1938, la flûte et le bandonéon ont de la présence. C’est au finale une version bien ludique qui donne encore une fois le dernier mot au violon. Sans doute une tendresse personnelle pour son instrument.

Lorenzo 1965 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Je ne sais pas ce qu’aurait pensé Lorenzo s’il avait vécu quinze ans de plus pour pouvoir entendre cette version. En tous cas, pas question de l’exploiter pour danser en milonga.

Lorenzo 1987 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Pour terminer par une version qui peut aller au bal, un petit tour en Uruguay. Comme toujours l’orchestration de Villasboas est claire et semble simple. Le piano, son piano est très présent et marque le rythme et le bandonéon alterne avec le violon. Cette version enjouée devrait ravir les qui sont prêts à sortir de l’âge d’or. Une seconde écoute pourra être utile pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version afin d’en tirer toutes les subtilités suggérées pour l’improvisation.

Roulons des mécaniques…

Un peu hors concours, une curiosité, une version au pianola :

Le pianola est un piano mécanique qui peut être joué comme un piano normal, à condition de ne pas avoir de trop grandes jambes, car le mécanisme sous le clavier prend de l’espace. Sa particularité, vous la verrez dans la vidéo, est qu’il joue tout seul, comme un organito à partir d’un programme sur carton perforé.

La fortune du thème

En juillet 1947, Henri Betti qui est de passage à Nice s’arrête devant la vitrine d’une boutique de lingerie féminine Scandale et il prétend que c’est là que les neuf premières notes musicales de la chanson lui viennent en tête : fa, mi, mib, fa, sol, la, sol, fa, ré. Il prétend ensuite avoir écrit le reste en moins de dix minutes.
Lorsqu’il retourne à Paris, il s’entend avec le parolier André Hornez qui lui fait différentes propositions et finalement, c’est si bon, qui est le titre élu pour cette chanson qui commence donc par le fa, mi, mi bémol sur chacune de ces syllabes.
Vos commencez à me connaître et je trouve que cette histoire est très suspecte. En effet, pourquoi citer un magasin de lingerie féminine ? Je comprends que cela peut donner des idées, mais la musique n’évoque pas particulièrement ce type de vêtements.
En fait, la réponse est assez simple à trouver. Regardez quel est l’orchestre qui joue dans cette vidéo :

Et maintenant, écoutez la première version enregistrée de c’est si bon.

Eh, oui ! C’est l’orchestre de , le même qui avait fait la publicité Scandale. De deux choses l’une, Hélian et/ou Betti ont trouvé une façon de monnayer l’histoire auprès de Scandale, afin de montrer que la marque inspirait également les hommes.
Henri Betti tirera beaucoup de satisfaction de ce titre. On le voit ici le jouer en 1959 dans l’émission « Les Joies de la Vie » du 6 avril 1959 réalisée par Claude Barma.

Henri Betti jouant Lorenzo. Pardon, jouant C’est si bon !

Betti a écrit de nombreuses chansons, mais aucun n’a atteint ce succès. Peut-être aurait-il été inspiré de pomper un peu plus sur les auteurs argentins.
N’allons pas en faire un scandale, mais continuons à voguer avec « C’est si bon », qui rapidement traversera l’Atlantique

C’est si bon 1950 — Johnny Desmond Orchestre dirigé par Tony Mottola et les voix en chœur par The Quintones

Le titre sera également repris par Louis Amstrong, Yves Montand et…

Pourquoi un tigre ?

Quand j’étais nettement plus jeune, il y avait une publicité pour une marque d’essence qui promettait de mettre un tigre dans son moteur (ou dans son réservoir selon les pays).
L’air de la publicité était celui de « C’est si bon », mais je l’ai toujours associé à Lorenzo, ne connaissant pas le titre en français.
Je n’ai pas réussi à retrouver cette chanson publicitaire de la fin des années 60, mais je suis sûr que vous me croyez sur parole. La chanson disait « c’est si bon, d’avoir les meilleurs pneus, pouvoir compter sur eux »… et se terminait par « Esso c’est ma station ! ».
« Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette », pardon, voilà que je me prends pour Sganarelle. Voilà justement ce qui explique la présence du tigre. Les gamins dont j’étais tannaient leurs parents pour obtenir la queue de tigre à laisser pendre au rétroviseur. Donc, à défaut du Tigre du Bandonéon (Arolas), c’est le tigre d’Esso qui vous salue et moi qui vous remercie d’avoir lu cela, jusqu’au bout, ce petit texte en l’honneur de Lorenzo Juan Labissier.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez

Rafael Tuegols Letra Francisco García Jiménez

Cette version de Zorro gris a été enregistrée le 22 mars 1946 par Enrique Rodriguez, il y a exactement 78 ans. Sa musique attrayante cache une histoire qui comporte deux tragédies. Menons l’enquête.

Zorro en espagnol, c’est le renard.

Zorro gris, c’est donc le renard gris. enregistré par Rodriguez est une version instrumentale. La musique est plutôt allègre, il est donc facile d’imaginer un petit renard qui gambade. La musique explore des directions opposées. Les instruments qui se répondent permettent d’imaginer un renard furetant, d’un côté à l’autre.

En lunfardo, un renard…

En lunfardo, le renard peut désigner les manières de certains, mais ce sont aussi les agents de la circulation, dénommés ainsi à cause de la couleur grise de leur tenue.

Extrait musical

Voyons si l’écoute du nous aide à en savoir plus.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez. C’est notre tango du jour.

Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.

Les paroles

Avec les paroles, tout s’éclaire et probablement que vos hypothèses vont être contredites.
Cependant, la musique a été écrite avant 1920 et les paroles en 1921, il se peut donc qu’une fois de plus, elles aient été plaquées sans véritable cohérence. Francisco García Jiménez n’a écrit les paroles que de trois des compositions de Rafael Tuegols, Zorro gris (1920-21), Lo que fuiste (1923) et Príncipe (1924). Ce n’est donc pas une association régulière, Rafael Tuegols ayant composé au moins 55 tangos dont on dispose d’un (sans doute beaucoup plus).

Cuantas noches fatídicas de vicio
tus ilusiones dulces de mujer,
como las rosas de una loca orgía
les deshojaste en el cabaret.
Y tras la farsa del amor mentido
al alejarte del ,
era el intenso de tu alma
lo que abrigabas con tu zorro gris.

Al fingir carcajadas de gozo
ante el oro fugaz del champán,
reprimías adentro del pecho
un deseo tenaz de llorar.
Y al pensar, entre un beso y un tango,
en tu humilde pasado feliz,
ocultabas las lágrimas santas
en los pliegues de tu zorro gris.

Por eso toda tu angustiosa historia
en esa prenda gravitando está.
Ella guardó tus lágrimas sagradas,
ella abrigó tu frío espiritual.
Y cuando llegue en un cercano día
a tus dolores el ansiado fin,
todo el secreto de tu vida triste
se quedará dentro del zorro gris.

Rafael Tuegols Letra : Francisco García Jiménez

Gardel change deux fois, au début et à la fin, le couplet en gras.

Traduction libre et explications

Combien de nuits fatidiques de vices, tes douces illusions de femme, comme les roses d’une folle orgie, les as-tu effeuillées au cabaret.

Et après la farce de l’amour menteur en t’éloignant de l’Armenonville, c’était le froid intense de ton âme que tu abritais avec ton renard gris.

En feignant des éclats de rire de joie devant l’or fugitif du champagne, tu as réprimé dans ta poitrine un désir tenace de pleurer. Et quand tu pensais, entre un baiser et un tango, à ton humble passé heureux, tu cachais les saintes larmes dans les replis de ton renard gris.

C’est pourquoi toute ton histoire angoissante gravite autour de ce vêtement. Il a gardé tes larmes sacrées, il a abrité ton froid spirituel. Et quand viendra, un jour prochain, la fin désirée de tes douleurs, tout le secret de ta triste vie restera au cœur du renard gris.

Le Renard gris d’Argentine (Lycalopex griseus) est un petit canidé d’Amérique du Sud. Le voici en manteau et quand ce n’est pas un manteau.

Je vous avais annoncé deux tragédies dans ce tango, la première est pour les renards gris qui terminent en manteaux, mais il en reste une seconde, que je vais préciser au sujet de l’Armenonville qui est cité dans les paroles.

L’Armenonville

Si on regarde Wikipédia et la plupart des sites de tango, l’Armenonville est décrit comme un restaurant chic. La réalité était un peu différente, d’autant plus que beaucoup d’auteurs confondent les deux Armenonville qui se sont succédés. J’en parlerai sans doute plus en détail le 6 décembre, à l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement du tango Armenonville par son auteur, Juan Félix Maglio « Pacho » avec des paroles de José Fernández.

L’Armenonville 1, celui qui fut détruit en 1925 et qui était donc celui évoqué dans Zorro gris et dans le tango du même nom dont la couverture de la partition représente l’entrée de l’établissement qui avait un parc

À l’époque sévissaient la traite des blanches, de façon un peu artisanale comme le racontent certains tangos comme Madame Ivonne, mais aussi de façon plus organisée, notamment avec deux grandes filières, la Varsovia (qui fut nommée par la suite Zwi Migdal) et le réseau marseillais. La population de et de ses environs était alors relativement équilibrée pour les autochtones, mais déséquilibrée pour les étrangers fraîchement immigrés. Jusqu’à la fin des années 1930 où l’équilibre s’est à peu près fait, il y a eu jusqu’à quatre fois plus d’hommes que de femmes. Je reviendrai sans doute plus en détail sur cette question, car ce déséquilibre est une des sources du tango.
Pour revenir à l’Armenonville, son nom et sa structure sont inspirés du bâtiment du même nom situé dans le Bois de Boulogne à Paris, bien qu’on le décrive parfois comme un chalet de style anglais. Il sera détruit en 1925 et un autre établissement du même nom (qui changera de nom pour Les Ambassadeurs, autre référence à la France) s’ouvrira avec des proportions bien plus grandes, nous en reparlerons au sujet du tango qui l’a pris pour titre.
Pour ceux qui pourraient s’étonner qu’un établissement de Buenos Aires prenne un nom français, je rappellerai que la France à la fin du XIXe siècle était le troisième pays en nombre d’immigrés, un peu derrière l’ et l’Italie. Ce n’est que vers 1914 que l’immigration française a cessé d’être importante, même si son influence est restée notable jusqu’en 1939 et bien au-delà dans le domaine du tango.

Le zorro gris, la seconde tragédie promise

L’Armenonville était un établissement de luxe, mais il avait des activités secondaires pour cette clientèle huppée. La possesseuse du manteau en Renard gris masquait sa tristesse dans les plis de son vêtement. Sa détresse s’exprimait lorsqu’elle quittait l’établissement. Si elle avait été une cliente fortunée allant danser et boire du champagne, on n’en aurait sans doute pas fait un tango. Elle était donc honteuse de ce qu’elle devait faire, c’est la seconde tragédie que partage avec elle son manteau de renard.

Autres versions

Zorro gris a donné lieu à d’innombrables versions. Je vous en propose ici quelques-unes.

Zorro gris 1920 — Orquesta Roberto Firpo.

Un enregistrement acoustique et de faible qualité sonore, mais le témoignage le plus ancien de ce tango.

Zorro gris 1921 — accompagné à la guitare par Guillermo Barbieri et José Ricardo.

Là encore la prestation souffre de la piètre qualité de l’enregistrement acoustique, mais c’est le plus ancien enregistrement avec les paroles de Jiménez. Gardel chante deux fois le premier couplet (en gras dans les paroles ci-dessus).

Zorro gris 1927-07-16 — Orquesta Francisco Lomuto.

Un enregistrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orchestration plus douce et des fioritures. Il y a également des nuances et les réponses entre instruments sont contrastées.

Zorro gris 1938-04-21 — dirigé par Francisco Canaro.

Version tonique, sans doute un peu répétitive, mais rien d’excessif pour un titre de la Vieja Guardia. Son esprit est très différent de la version de 1927. À mon avis, ce n’est pas la version la plus agréable à danser, trop anecdotique, même si elle reste passable elle ne sera pas mon premier choix si je dois passer ce titre.

Zorro gris 1941-07-28 — Orquesta Francisco Lomuto.

Une version enjouée avec un tempo très rapide, sans doute un peu trop rapide, car cela brouille le dialogue entre les instruments qui est un des éléments intéressants de la structure de ce tango, mieux mis en valeur dans la version de 1927. Certains passages sont même franchement précipités.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez.

C’est notre tango du jour. Rodriguez fait une version équilibrée débarrassée de la pesanteur du canyengue, même si la version est relativement lente, les différents instruments s’entremêlent sans nuire à la ligne mélodique, c’est à mon avis une des versions les plus intéressantes, bien qu’elle soit rarement proposée en milonga par les collègues.

Zorro gris 1952-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar Larroca..

J’adore la voix de Larroca, mais le rythme un peu rapide me semble moins agréable que d’autres interprétations de ce chanteur.

Zorro gris 1954-04-28 — Orquesta Donato Racciatti con Carlos Roldán.

Ce titre a eu aussi son succès en Uruguay (Canaro est origine d’Uruguay), mais avec Racciatti, on est encore plus au cœur de l’Uruguay. Roldán propose ici une des rares versions chantées et elle est relativement intéressante et rarement jouée.

Zorro gris 1957-01-31 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Une version bien dans l’esprit de ce quintette avec Luis Riccardi (à moins que ce soit Mariano Mores), le pianiste en forme et un solo de flûte de Juvencio Física très sympathique.

Zorro gris 1973-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un des derniers enregistrements de D’Arienzo, comme la plupart de ceux de cette époque, très flatteur pour le concert, mais sans doute un peu trop grandiloquent et anarchique pour la danse de qualité. Cependant, cet enregistrement pourra avoir son succès dans certaines milongas.

Zorro gris 1985 — y su Orquesta Típica.

Encore un enregistrement uruguayen dans le style bien reconnaissable de Villasboas, mais sans l’accentuation du style canyengue qui est souvent sa marque. Cet enregistrement nous propose un tango assez joueur, même si on peut le trouver un peu répétitif.

Zorro gris 2009 — La Tuba Tango.

On revient canyengue du début, mais de façon légère et en retrouvant les fantaisies qui avaient fait le charme de la version de 1927 par Lomuto. Cette version fait complètement les tragédies de ce tango et peut donc être la source de pensées joyeuses qui se dansent.

Zorro gris.