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Buenos Aires es una papa 1928-07-18 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra :

Nous avons vu dans beaucoup de tangos que le lunfardo, l’argot de Buenos Aires était très apprécié des paroliers qui ne prenaient pas tous les précautions de Juan Bautista Abad Reyes qui a écrit que « Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo ». Notre est à destination des néophytes et plus particulièrement des Français qui bénéficient d’un dictionnaire chanté par une Française qui s’est installée à Buenos Aires et qui trouve cela épatant !

Extrait musical

Buenos Aires es una papa (Buenos Aires c’est épatant) 1928-07-18 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Buenos Aires es una papa (Buenos Aires, c’est épatant) – Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra : Juan Fernando Camillo Darthés.

L’illustration de couverture est de Roger de Valério. Le disque Odeon porte le numéro 4474. Ce tango est la face A. La face B est Talismán (1928-04-25), tango instrumental. On notera le nom de qui inaugurera cette œuvre à Paris, puis à Buenos Aires.

Paroles

Paroles de cet enregistrement

Ce tango de Delfy (Enrique Pedro Delfino) a des paroles étonnantes, car elles ont été écrites en français par un Argentin, Juan Fernando Camillo Darthés. Notre version du jour, chantée par Charlo ne vous proposera pas l’intégralité des paroles et même ne vous en donnera que des bribes. Nous verrons après les paroles « officielles », mais voici la retranscription des paroles de notre tango du jour.

Desde el pasado no encontró
Ici l’amour c’est l’metejón
Desde el pasar “et bien voila”
À la canción de cantar

Versión de Charlo

Oui, vous avez bien lu/entendu. C’est un texte mélangeant le français et l’espagnol.

Paroles originales (en français)

Quand je me suis embarquée pour l’Argentine,
j’étais pour mes parents la p’tite Titine.
Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas !
Tout le monde ici m’appelle « La  ».
Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ;
au lieu de dire un franc, je dis « un grullo ».
À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ».
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

C’est épatant
comme nous changeons.
Ici l’amour
c’est l’metejón.
C’est épatant
et bien, voilà,
en Argentine
on dit comme ça.

J’ai appris cette langue à peine dans une semaine
et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même.
Pour dire le lit je dis « la catrera »,
pour dire sortir il faut dire « espiantá ».
Le pain a table je l’appelle « marroco » ;
quand j’ai mal à la tête, «  ».
Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent…
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés

Paroles en espagnol

Cuando me embarqué hacia la Argentina
Yo era, para mis padres, la pequeña Titine.
Ahora vea usted, es gracioso, no entiendo nada:
Todo el mundo aquí me llama: “la Porotá”.
Para decir hablar, ahora digo “chamuyo”,
En lugar de decir un franco, digo “un grullo”,
A mi novio lo llamo “un gran bacán” …
¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!

Es asombroso
Cómo cambiamos,
Aquí el amor
Es el metejón.
Es asombroso
Y sin embargo,
En Argentina
Se dice así.

Aprendí esta lengua en apenas una semana
Y ellos sin embargo, me cambiaron, es triste,
Para decir la cama, digo “la catrerá”,
Para decir salir, hay que decir “espiantá”,
Al pan sobre la mesa lo llaman “marroco”,
Cuando tengo dolor de cabeza, “me duele el coco”.
Digo “la guita” en lugar de decir el dinero…
¡Oh, Buenos Aires, señores, es asombroso!

Enrique Pedro Delfino (Delfy) Letra: Juan Fernando Camillo Darthés

Traduction libre et indications

Bon, ceux qui lisent cette anecdote et français ou en espagnol ne vont pas comprendre, puisque j’ai donné ci-dessus les versions en français (original) et en espagnol. Ce texte est donc destiné à ceux qui lisent dans une autre de ces . La difficulté est que le texte en français donne à la fois les paroles en français et en espagnol. Vous risquez de voir donc deux fois le même mot ou des trucs étranges, je vous en demande pardon par avance.

Voyons tout d’abord le titre qui est à la fois en espagnol et en français. « Buenos Aires es una papa / Buenos Aires, c’est épatant”. Le terme épatant, très “français”, même si un peu vieilli n’est pas la traduction littérale. En effet, la papa, c’est la pomme de terre, à ne pas confondre avec papá qui est le père en langage enfantin. Cependant, même si pour l’illustration de couverture j’ai choisi de vous présenter une pomme de terre, il faut prendre papa dans un autre sens. En effet, papa veut aussi dire que c’est facile. C’est donc facile pour elle de s’adapter à l’Argentine, ce qui n’est pas forcément l’avis de toutes les grisettes qui ont vécu de terribles histoires lors de leur arrivée en Argentine.

Quand je me suis embarquée pour l’Argentine,
j’étais pour mes parents la p’tite Titine (Titine peut être le gentilé du prénom Christine, mais aussi un surnom sans relation directe avec le prénom d’origine).
Maintenant, voici, c’est drôle, j’ne comprends pas !
Tout le monde ici m’appelle « La Porotá » (un surnom).
Pour dire parler, maintenant je dis « chamuyo » ;
au lieu de dire un franc, je dis « un grullo » (de Mangrullo, un billet d’un peso).
À mon fiancé je l’appelle « un gran bacán ».
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

C’est épatant
comme nous changeons.
Ici l’amour
c’est l’metejón.
C’est épatant
et bien, voilà,
en Argentine
on dit comme ça.

J’ai appris cette langue à peine dans une semaine
et ils m’ont changé, c’est triste, tout de même.
Pour dire le lit je dis « la catrera »,
pour dire sortir il faut dire « espiantá ».
Le pain à table je l’appelle « marroco » ;
quand j’ai mal à la tête, « me duele el coco ».
Je dis « la guita » au lieu de dire l’argent…
Oh, Buenos Aires, messieurs, c’est épatant !

Fin du cours de lunfardo…

On voit donc les emprunts faits par Charlo dans sa version qui est une amputation très sévère du texte d’origine…

Autres versions

Je n’ai pas d’autres versions à proposer.
Dans le catalogue Odéon de 1929, on trouve un enregistrement par Delfy (l’auteur de la musique), mais je n’ai pas réussi à trouver ce disque.

Sous la référence de disque 7000 B, Delfy a enregistré un disque avec Odeón de « Buenos Aires c’est epatant » (sic).

Quand le tango va de Paris à Buenos Aires

Notre tango du jour a été inauguré à Paris par Marthe Berthy dans le spectacle «  », une des revues du qui fit une tournée en Amérique du Sud en 1928.
Durant cette tournée, avant d’être présentée à Buenos Aires, le 15 juillet 1928 au Teatro Ópera, la revue a été présentée à Rio de Janeiro. Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 nous présente l’équipe du Moulin Rouge.
On y apprend que la troupe composée de 90 personnes arrivées à bord du Lutecia. Un repas a été offert aux artistes, parmi lesquels on trouve :
Jacques Charles, créateur de plus de 110 revues, dont « Ça c’est Paris ! » (immortalisé par Mistinguett), « Ça c’est Montmartre », « Paris aux nues » dont est tiré notre tango du jour « Oh ! Paris ! Mon Paris ! »…

Le Moulin Rouge – Simon Girard (Aimé Simon-Girard), Marthe Berthy, Marta Albaicín (Pepita García Escudero), membres principaux de la troupe du Moulin rouge durant la tournée en Amérique du Sud.

Simon Girard, acteur de cinéma (Aimé Simon-Girard a joué dans Le vert galant 1924, Fanfan-la-Tulipe 1925 et Les trois mousquetaires 1932), Marta Albaicín (Pepita García Escudero), danseuse de flamenco d’origine espagnole, Marthe Berthy, chanteuse (et danseuse, même si ce n’est pas précisé dans l’article) ayant remplacé Mistinguett au Moulin Rouge, Baldrini, chanteur déjà intervenu à Buenos Aires et beaucoup d’autres.

L’intransigeant 1927-04-03 – La revue Ça c’est Paris avec Mistinguett et Marthe Berthy.
Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 6 mai 1928 annonçant que le spectacle va être joué à Rio de Janeiro et à Buenos Aires.

Dans le même journal, dans l’édition du 15 juin 1928, on trouve la publicité pour le spectacle qui aura lieu le 10 juillet 1928 (cinq jours avant la représentation de Buenos Aires) au Palacio Theatro de Rio de Janeiro.

Le journal de Rio de Janeiro, Correio da Manhã du 15 juin 1928 avec la publicité pour le spectacle du Moulin Rouge au Palacio Theatro. À gauche, l’annonce complète, à droite, l’annonce découpée pour la rendre plus lisible.

On notera le titre des différentes revues présentées, Paris à la diable, Paris aux étoiles, Paris au feu, Paris aux nues (celle qui nous intéresse aujourd’hui) et Adieu Paris.
Dans ce spectacle, il y avait donc diverses pièces musicales qui étaient également un prétexte pour présenter ce qui a fait le du Moulin Rouge. Dans « Montmartre aux nues » une des 110 revues crées par Jacques-Charles, on trouvera par exemple un tango- Lola de Valence, Fleur du mal avec des paroles de Jacques-Charles et Ch. L. Pothier et une musique de René Mercier.
Les revues parisiennes qui faisaient fureur dans le monde entier et notamment en Amérique du Nord et du Sud s’alimentaient donc également des musiques et danses des pays d’exportation. Même si on a du mal à l’imaginer aujourd’hui, le Monde du tango et du spectacle était pour le moins triangulaire, entre les Amériques et l’Europe et notamment Paris dans le cas du tango et des revues du type Moulin Rouge.
En cortina, je vous propose un French Cancan, une musique qui date de la période précédant celle que nous venons d’évoquer (1890 au lieu de 1928) mais qui a toujours du succès dans les milongas en cortina

Bande-annonce de French Cancan (29/04/1955) réalisé par Jean Renoir en 1954-55.

À demain, les amis !

Madame Ivonne (Madame Yvonne) 1942-03-18 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivonne, est l’histoire d’une vie résumée en trois minutes. Comme Mademoiselle Yvonne, des milliers de jeunes femmes ont vécu l’illusion de l’amour et ont rêvé de la , Croix sur laquelle, nombre d’entre elles ont été clouées par la tristesse. Je vous invite à découvrir la version de Tanturi et Castillo, mais aussi d’autres versions pleines d’émotion. Préparez votre mouchoir.

Le phénomène de la traite des blanches est aujourd’hui bien documenté. Des Argentins peu scrupuleux séduisaient de belles Françaises et leur faisaient miroiter les charmes de l’Argentine, qui à l’époque n’était un paradis que pour les plus riches.
Sur les ailes de l’amour, ou plus prosaïquement sur des bateaux, comme le vapeur Don Pedro qui conduisit Charles Gardes et sa mère à Buenos Aires, les belles énamourées effectuaient la traversée et on connaît la suite de l’histoire, très peu vécurent le rêve, la majorité se retrouve dans les maisons comme Lo de Laura ou sont lavandières ou femmes de peine. Les paroles nous en apprendront plus sur la destinée de Mademoiselle Yvonne, devenue Madame Ivonne.

Extrait musical

Madame Ivonne 1942-03-18 — Orquesta con Alberto Castillo

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
que en el barrio posta del viejo
con su pinta brava de alegre griseta,
animo las fiestas de Les Quatre Arts.

Era la papusa del Barrio Latino,
que supo a los puntos del verso inspirar,
pero fue que un día llego un argentino
y a la francesita la hizo suspirar.

Madame Ivonne…
la Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne…
fue como el sino de tu suerte.

Alondra gris,
tu dolor me conmueve ;
tu pena es de nieve,
Madame Ivonne…

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivone, version de

La version chantée par Julio Sosa est légèrement différente, mais surtout plus complète, il me semble donc intéressant d’avoir les compléments de l’histoire.
Julio Sosa commence par un récitatif qui place l’histoire, puis chante la totalité des couplets.
Ce qui est en gras est chanté, le début est seulement parlé sur la musique. C’est une version qui donne la chair de poule. Je ne la proposerais pas à la danse, mais quelle émotion !

Madame Ivonne 1962-11-08 — Orquesta con Julio Sosa

Ivonne
Yo te conocí allá en el viejo Montmartre
Cuando el cascabel de plata de tu risa
Era un refugio para nuestra bohemia
Y tu cansancio y tu anemia
No se dibujaban aún detrás de tus ojeras violetas

Yo te conocí cuando el amor te iluminaba por dentro
Y te adore de lejos sin que lo supieras
Y sin pensar que confesándote este amor podía haberte salvado
Te conocí cuando era yo un estudiante de bolsillos flacos
Y el nocturno de entonces
Lanzaba al espacio en una cascada de luces
El efímero reinado de tu nombre
Mademoiselle Ivonne

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
Que en el barrio posta del viejo Montmartre
Con su pinta brava de alegre griseta
Alegró la fiestas de aquel Boulevard
Era la papusa del barrio latino
Que supo a los puntos del verso inspirar
Hasta que un buen día cayó un argentino
Y a la francesita la hizo suspirar

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Han pasado que zarpó de Francia
Mademoiselle Ivonne hoy es solo Madame
La que al ver que todo quedó en la distancia
Con ojos muy tristes bebe su champán
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzó de París

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzó de París

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Maintenant que vous connaissez parfaitement le thème, je vous propose de voir Julio Sosa chanter le thème. Les gloses initiales sont réduites et différentes. Comme elles n’apportent rien de plus à ce que nous avons déjà entendu, je vous propose de démarrer la vidéo au début de la chanson, mais si vous êtes curieux, vous pouvez voir la vidéo depuis le début.

Julio Sosa chante Madame Ivonne à la télévision.

Traduction libre et explication de texte…

Comme d’habitude, je fais une traduction destinée principalement à déceler les clefs secrètes, sans soucis de livrer une œuvre poétique de la qualité de l’original.
Pour faciliter la lecture, j’indique en bleu les commentaires au milieu du texte.
Le début est récité sur la musique, mais pas chanté.

Yvonne (Yvonne en français, Ivonne en argentin. Le titre est connu sous les deux formes du prénom, mais il s’agit bien sûr du même). Je réserve Yvonne à la partie française, quand elle est jeune et Ivonne à la partie argentine.
Je t’ai rencontrée dans le vieux Montmartre, quand la cloche d’argent de ton rire était un refuge pour notre bohème. Ta fatigue et ton anémie n’étaient pas encore apparues derrière tes cernes violets. (Premiers signes que tout ne va pas pour le mieux pour Ivonne).
Je t’ai connue quand l’amour t’illuminait de l’intérieur, et je t’adorais de loin, sans que tu le saches et sans penser qu’en te confessant cet amour, j’aurais pu te sauver. C’est la même histoire que celle de Susu contée dans Bajo el cono azul.
Je t’ai rencontrée quand j’étais étudiant aux poches plates (fauché, sans le sou) et le Paris de la nuit de l’époque envoyait dans l’espace en une cascade de lumières le règne éphémère de ton prénom, Mademoiselle Ivonne

Commence ici la partie chantée.

Mademoiselle Yvonne était une poupée (pépète, jeune femme) qui, dans le quartier dit du vieux Montmartre (quartier populaire de Paris, accueillant de nombreux artistes), de son air courageux de grisette (couturière, lavandière, femme modeste, habillée de gris. Elle se différencie de la Lorette qui elle fait plutôt profession de ses charmes) joyeuse égayait les festivités de ce boulevard (le boulevard Montmartre).
Elle était la Papusa du Quartier latin (Papusa, une jolie fille. Quartier étudiant de Paris, elle devait faire tourner les cœurs des jeunes gens) qui savait susciter des poèmes, jusqu’à ce qu’un beau jour un Argentin tombât et fit soupirer la petite Française.
Madame Ivonne
La Croix du Sud fut comme un signe.
Madame Ivonne. C’était comme le signe de ta chance.
Alouette grise (La alondra est un oiseau matinal. On donnait ce surnom à ceux qui se levaient tôt et se couchaient tôt, Yvonne était donc une travailleuse honnête).
Ta douleur m’émeut, ton chagrin est de neige (il peut s’agir d’une vision poétique, mais plus sûrement de la cocaïne qui se désigne par « nieve » en . Ces deux indications la référence à l’alouette du passé et à la cocaïne d’aujourd’hui, content en deux phrases toute l’histoire).
Madame Ivonne
Cela fait dix ans que Mademoiselle a quitté la France. Aujourd’hui c’est seulement Madame. Comme beaucoup de Françaises dans son cas, elle a dû devenir gérante d’un bordel et acquérir le « titre » de Madame. celle à qui tout paraît lointain (elle se désintéresse de ce qui se passe autour d’elle), avec ses yeux très tristes, elle boit son (cela confirme qu’elle doit être la chef de la . Il ne s’agit pas de véritable Champagne, encore aujourd’hui, les Argentins nomment ainsi les vins mousseux, ce qui énerve les viticulteurs français. Ils font de même avec le Roquefort…).
Elle n’est plus la Papusa du Quartier latin, elle n’est plus la fleur de lys fauchée (Mistonga en lunfardo est pauvre. Je trouve que faucher la fleur de lys, c’est une belle image. Le lys est un symbole royal, mais aussi de pureté, de virginité, ce qui confirme discrètement que l’activité actuelle de Madame Ivonne n’est pas des plus pures). Il ne reste plus rien d’elle, pas même cet Argentin qui, entre tango et maté, l’a enlevée de Paris. Déjà les ravages du tango qui était une folie à Paris dans les années 20. Le maté est bien sûr el mate, la boisson indispensable aux Argentins.
Madame Ivonne
La Croix du Sud était comme un signe. La Croix du Sud est la constellation qui marque dans le ciel nocturne de l’hémisphère austral, le Sud.

Au rythme d’un tango

Le même jour, Tanturi et Castillo ont enregistrée Al compás de un tango.
Les deux tangos pourraient être associés. En effet, le thème est un copain qui essaye de réconforter son ami qui est désespéré à cause d’une femme. Son conseil, aller danser…

Al compás de un tango 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Alberto Suárez Villanueva Letra Oscar Rubens)
Mademoiselle Yvonne et Madame Yvonne. « Dix années » séparent ces images. Je n’ai pas forcé sur les cernes d’Ivonne fatiguée par la drogue, le champagne et le chagrin

Quelle image choisir ?

L’illustrateur d’un texte est toujours confronté à des choix. Doit-il faire une belle image ou rester fidèle au texte. C’est effectivement un dilemme.
Pour l’image de couverture, j’ai réalisé une image « entre deux ». Elle n’est plus la jeune femme insouciante de Paris, mais pas encore la tenancière droguée du bordel portègne. Cela me semblait plus convenable pour présenter l’article.
Pour la dernière image, je souhaitais faire apparaître la décennie et ses ravages. J’ai donc testé différentes options pour choisir celle ci-dessus qui ne fait pas apparaître que la différence d’âge que j’ai amplifiée, disons à 20 ans au lieu des 10 du tango.
Mais dans cette image, il est difficile de voir les ravages causés par le chagrin et la vie nocturne et sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Il me fallait donc aller plus loin.
Si vous avez l’âme sensible, arrêtez de lire le texte ici et ne regardez pas les images qui suivent.

Yvonne est la même. Par contre, j’ai beaucoup vieilli Ivonne et je lui ai donné sans doute un peu trop d’âge. Pardon, Ivonne.
Là, j’ai un peu plus fait tomber les traits d’Ivonne, tout en lui enlevant un peu d’âge pour être plus proche des paroles. Je lui ai rajouté les cernes violets et pendant que j’y étais, je lui ai rougi les yeux et agrandi les pupilles. Je crois que c’est une caractéristique provoquée par la drogue. La seule que je prends, c’est la musique de tango, celle qui a des effets euphorisants, même à forte dose.

Vous aurez peut-être remarqué le fond qui est le même pour toutes les images. Je l’ai conçu pour un article traitant du rôle de la France dans le tango.
Pour vous remercier d’avoir lu jusqu’au bout, voici le fond, tout seul…

Je vous jure que ma seule drogue, c’est la musique. C’est ainsi que je vois les mélanges culturels entre la France et l’Argentine, les deux pays rois du cambalache

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro

Lucio Demare (Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot)

Mis tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Le parle des aubes de Montmartre (, France).
est né à Paris…
Pardon, sans Paris, le tango ne serait pas ce qu’il a été/est. C’est dans cette ville qu’il a acquis ses lettres de noblesse et qu’il a pu revenir en Argentine et devenir ce que l’on sait. Si vous ne le savez pas, regardez mon article sur l’âge d‘or du tango.

Plusieurs centaines de tangos font référence à la France et à Paris, mais aussi aux grisettes, ces jeunes Françaises qui à l’instar de Madame Yvonne quittaient la France pour le « rêve » argentin (voir par exemple Bajo el cono azul).
Canaro qui a fait à diverses reprises le voyage à Paris a sans doute été sensible à cette composition de Demare qui devait également lui évoquer les paysages de la Butte Montmartre.

Extrait musical

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Francisco Canaro

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Las grises mañanitas de Montmartre,
donde iluso derroché mi juventud,
serán eternas en mi triste vida,
porque las para mi inquietud.
Al igual que un amor cicatrizado
e imborrable en un tierno ,
mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Pero sos, mujer,
pobre insensata que en el mundo triunfás;
la frágil barca de tu vida quizás
naufragará porque el timón de tu esperanza
se quebrará en la mar,
y humillada ya,
mis mañanitas de Montmartre verán
la fría nieve del destino caer
sobre tu almita acongojada
destruyendo aquellos sueños
que forjaste con afán.

Nuevamente volverás a ser aquella
que paseaba exenta de pudor
por esas calles en que todas las mujeres
pecadoras, guardaban su dolor.
Y en las tinieblas de tu pobre vida,
por ingrata nunca más encontrarás
quien te devuelva con un beso de cariño
la luz de tu esperanza, que se apaga ya.

Lucio Demare Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot
Mañanitas De Montmartre – Couverture de la revue du 16 juillet 1928.

Autres enregistrements

Ce titre n’a pas été beaucoup enregistré, mais on trouve quelques versions intéressantes :

  • 1928 Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su
  • 1928-02-13 Francisco Canaro (qui fait l’objet de ce tango du jour)
  • 1930 Lucio Demare l’a enregistré au piano en 1930
  • 1930 Irusta accompagné au piano par Demare
  • 1952-06-18 Lucio Demare encore au piano avec « No nos veremos más » la que nous avons présentée le 11 février dans le cadre des Anecdotas de Tango
  • 1968-07-30 Toujours Lucio Demare et encore au piano.
  • Troilo l’a enregistré au moins à deux reprises, le 14 avril 1970 et le 18 août 1972, dans un arrangement de Raúl Garello. Ce dernier est celui d’un concert organisé par la SADAIC (la SACEM argentine).

La version de Canaro est relativement archaïque, de style canyengue, mais c’est la seule qui peut se prêter à la danse.

Lucio Demare est un pianiste et un des rares compositeurs à avoir enregistré beaucoup de tango au piano. Ce pianiste égaré dans les rues sous l’aube pâle de Montmartre est sans aucun doute Lucio Demare. J’ai conçu cette image dans ce sens. il joue du piano debout…