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La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 y 1971 — Orquesta Florindo Sassone

Georges Bizet. , Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)

Beau­coup de tan­gos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notam­ment, mais pas seule­ment. Ces titres sont adap­tés et devi­en­nent de « vrais tan­gos », mais ce n’est pas tou­jours le cas.
En France, cer­tains danseurs de tan­go appré­cient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle générale­ment cela le « tan­go alter­natif ».
Un des titres les plus con­nus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siè­cle effec­tuée par Florindo Sas­sone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tan­go reprenne un titre n’en fait pas un tan­go de danse. Cela reste donc de l’al­ter­natif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de per­las, les pêcheurs de per­les, de Bizet et Sas­sone…

Écoutes

Tout d’abord, voyons l’o­rig­i­nal com­posé par Bizet. Je vous pro­pose une ver­sion par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Rober­to Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plas­son. Cette inter­pré­ta­tion a été enreg­istrée le 9 juil­let 2009 au Bassin de Nep­tune du château de Ver­sailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Car­men, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tan­go et de la milon­ga. Vous pou­vez voir le con­cert en entier avec cette vidéo…
https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excel­lent. Pour aller directe­ment au but, je vous pro­pose ici l’ex­trait, sub­lime où Alagna va à la pêche aux per­les d’é­mo­tion en inter­pré­tant notre titre du jour.

Rober­to Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plas­son dans Les Pêcheurs de Per­les de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois enten­dre encore ».

Deux mots de l’opéra de Bizet

Les pêcheurs de per­les est le pre­mier opéra com­posé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’in­trigue est sim­pliste.
L’opéra se passe sur l’île de Cey­lan, où deux amis d’en­fance, Zur­ga et Nadir, évo­quent leur pas­sion de jeunesse pour une prêtresse de Can­di nom­mé Leïla.
Pour ne pas nuire à leur ami­tié, ils avaient renon­cé à leur amour, surtout Zur­ga, car Nadir avait secrète­ment revu Leïla.
Zur­ga était mécon­tent, mais, finale­ment, il décide de sauver les deux amants en met­tant le feu au vil­lage.
L’air célèbre qui a été repris par Sas­sone est celui de Nadir, au moment où il recon­naît la voix de Leïla. En voici les paroles :

Je crois enten­dre encore,
Caché sous les palmiers,
Sa voix ten­dre et sonore
Comme un chant de rami­er !
Ô nuit enchanter­esse !
Divin ravisse­ment !
Ô sou­venir char­mant !
Folle ivresse ! Doux rêve !
Aux clartés des étoiles,
Je crois encore la voir,
Entrou­vrir ses longs voiles
Aux vents tièdes du soir !
Ô nuit enchanter­esse !
Divin ravisse­ment !
Ô sou­venir char­mant !
Folle ivresse ! Doux rêve !

Avant de pass­er aux ver­sions de Florindo Sas­sone, une ver­sion par Alfre­do Kraus, un ténor espag­nol qui chante en Ital­ien… La scène provient du film “Gayarre” de 1959 réal­isé par Domin­go Vilado­mat Pancor­bo. Ce film est un hom­mage à un autre ténor espag­nol, mais du XIXe siè­cle, Julián Gayarre (1844–1890).
La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décem­bre 1889, Gayarre chan­ta Los pescadores de per­las mal­gré une bron­chop­neu­monie (provo­quée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts).
Lors de l’exé­cu­tion, qui fut aus­si la sienne, sa voix se cas­sa sur une note aigüe et il s’é­vanouit. Les effets con­jugués de la mal­adie et de la dépres­sion causée par son échec artis­tique l’emportèrent peu après, le 2 jan­vi­er 1890 ; il avait seule­ment 45 ans. Cette était suff­isante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent con­sacrés à sa vie, dont voici un extrait du sec­ond, “Gayarre” où Alfre­do Kraus inter­prète le rôle de Gayarre chan­tant la chan­son « je crois enten­dre encore » tiré des pêcheurs de per­les.

Alfre­do Kraus inter­prète le rôle de Gayarre chan­tant la chan­son « je crois enten­dre encore » tiré des pêcheurs de per­les dans le film Gayarre.

Sas­sone pou­vait donc con­naître cette œuvre, par les deux pre­miers films, “El Can­to del Ruiseñor” de 1932 et “Gayarre” de 1959 (le troisième, Roman­za final est de 1986) ou tout sim­ple­ment, car bizet fut un com­pos­i­teur influ­ent et que Les pêcheurs de Per­les est son deux­ième plus gros suc­cès der­rière Car­men.

J’en viens enfin aux versions de Sassone

La can­ción de los pescadores de per­las 1968-08-30 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

C’est une ver­sion “adap­tée” en tan­go. Je vous laisse juger de la . Cer­tains adorent.
Dès le début la harpe apporte une ambiance par­ti­c­ulière, peut-être l’on­doiement des vagues, que ponctue le vibra­phone. L’orchestre majestueux accom­pa­g­né par des bass­es pro­fondes qui mar­quent la marche alterne les expres­sions suaves et d’autres plus autori­taires. On est dans du Sasonne typ­ique de cette péri­ode, comme on l’a vu dans d’autres anec­dotes, comme dans Féli­cia du même Sas­sone. https://dj-byc.com/WP/felicia-1966–03-11-orquesta-florindo-sassone/
La présence d’un rythme rel­a­tive­ment réguli­er, souligné par les ban­donéons, peut inspir­er cer­tains danseurs de tan­go. Pour d’autres, cela pour­rait trop rap­pel­er le rythme réguli­er du tan­go musette et au con­traire les gên­er.

Cet aspect musette est sans doute le fait d’Oth­mar Klose et Rudi Luksch qui sont inter­venus dans l’orches­tra­tion. Luksch était accordéon­iste et Klose était un des com­pos­i­teurs d’Adal­bert Lut­ter (tan­go alle­mand).

C’est cepen­dant un titre qui peut intéress­er cer­tains danseurs de spec­ta­cle par sa vari­a­tion d’ex­pres­siv­ité.

La can­ción de los pescadores de per­las 1971 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Trois ans plus tard, Sas­sone enreg­istre une ver­sion assez dif­férente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pour­rait trou­ver des ama­teurs…
Cette ver­sion démarre plus suave­ment. La est moins expres­sive et les vio­lons ont pris plus de présence. La con­tre­basse et le vio­lon­celle sont bien présents et don­nent le rythme. Cepen­dant, cette ver­sion est peut-être plus lisse et moins expres­sive. Quitte à pro­pos­er une musique orig­i­nale, je jouerai, plutôt le jeu de la pre­mière ver­sion, même si elle risque d’inciter cer­tains danseurs à dépass­er les lim­ites générale­ment admis­es en tan­go social.

Cette ver­sion est sou­vent datée de 1974, mais l’en­reg­istrement est bien de 1971 et a été réal­isé à , dans les stu­dios ION. Los Estu­dios ION qui exis­tent tou­jours ont été des pio­nniers pour les nou­veaux tal­ents et notam­ment ceux du Rock nacional à par­tir des années 60. Le fait que Sas­sone enreg­istre chez eux pour­rait être inter­prété comme une indi­ca­tion que ce titre et l’évo­lu­tion de Sas­sone s’é­taient un peu éloigné du tan­go “tra­di­tion­nel”, mais tout autant que les maisons d’édi­tions tra­di­tion­nelles s’é­taient éloignées du tan­go. Balle au cen­tre.

Com­para­i­son des ver­sions de 1968 et 1971. On voit rapi­de­ment que la ver­sion de 1968, à gauche est mar­quée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de con­traste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’as­censeur » que son aînée.

Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?

Le DJ est au ser­vice des danseurs et doit donc leur pro­pos­er des musiques qui leur don­nent envie de danser. Cepen­dant, il a égale­ment la respon­s­abil­ité de con­serv­er et faire vivre un pat­ri­moine.
Je prendrai la com­para­i­son avec un con­ser­va­teur de musée d’art pour me faire mieux com­pren­dre.
Le con­ser­va­teur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou ital­ien et un peu moins en espag­nol ou en anglais où il se nomme respec­tive­ment curador et cura­tor) est cen­sé con­serv­er les œuvres dont il a la respon­s­abil­ité. Il les étudie, il les fait restau­r­er quand elles ont des soucis, il fait des pub­li­ca­tions et des expo­si­tions pour les met­tre en valeur. Il enri­chit égale­ment les col­lec­tions de son insti­tu­tion par des acqui­si­tions ou la récep­tion de dons.
Son tra­vail con­siste prin­ci­pale­ment à faire con­naître le pat­ri­moine et à le faire vivre sans lui porter préju­dice en le préser­vant pour les généra­tions futures.
Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restau­re (pas tou­jours avec tal­ent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milon­gas.
Par­fois, cer­tains déci­dent de jouer avec le pat­ri­moine en pas­sant des dis­ques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qual­ité du son et c’est très risqué pour les dis­ques, notam­ment les 78 tours qui devi­en­nent rares et qui sont très frag­iles. Si on veut vrai­ment faire du show, il est préférable de faire press­er des dis­ques noirs et de les pass­er à la place des orig­in­aux.
Bon, à force d’en­fil­er les idées comme des per­les, j’ai per­du le fil de ma canne à pêch­er les nou­veautés. Le DJ de tan­go, comme le con­ser­va­teur de musée avec ses vis­i­teurs, a le devoir de renou­vel­er l’in­térêt des danseurs en leur pro­posant des choses nou­velles, ou pour le moins mécon­nues et intéres­santes.
Évidem­ment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trou­ver des titres orig­in­aux demande un peu de tra­vail et notam­ment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles con­di­tions.
Enfin, ce n’est pas si dif­fi­cile si on fait sauter la lim­ite qui est de rester dans le genre tan­go. C’est la brèche dans laque­lle se sont engouf­fré un très fort pour­cent­age de DJ, encour­agés par des danseurs insuff­isam­ment for­més pour se ren­dre compte de la supercherie.
C’est comme si un con­ser­va­teur de musée d’art se met­tait à affich­er unique­ment des œuvres sans inten­tion artis­tique au détri­ment des œuvres ayant une valeur artis­tique probante.
Je pense par exem­ple à ces pro­duc­tions en série que l’on trou­ve dans les mag­a­sins de sou­venir du monde entier, ces chro­mos dégouli­nants de couleurs ou ces « stat­ues » en plas­tique ou résine. Sous pré­texte que c’est facile d’abord, on pour­rait espér­er voir des vis­i­teurs aus­si nom­breux que sur les stands des bor­ds de plage des sta­tions bal­néaires pop­u­laires.
Revenons au DJ de tan­go. Le par­al­lèle est de pass­er des musiques de var­iété, des musiques appré­ciées par le plus grand monde, des pro­duits mar­ket­ing matraqués par les radios et les télévi­sions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc dev­enues famil­ières, voire con­sti­tu­tive des goûts des audi­teurs.
Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’a­vant de les faire entr­er dans le réper­toire du tan­go, il faut sérieuse­ment les étudi­er.
C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le pre­mier temps mar­qué est suff­isam­ment por­teur pour ne pas désta­bilis­er les danseurs. Bien sûr, les puristes seront out­rés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véri­ta­ble indig­na­tion.
Pour les autres rythmes, c’est moins évi­dent. Les zam­bas ou les boléros dan­sés en tan­go, c’est mal­heureuse­ment trop courant. Pareil pour les chamames, fox­trots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milon­ga. Avec ces exem­ples, je suis resté dans ce qu’on peut enten­dre dans cer­taines milon­gas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beau­coup plus loin avec des musiques n’ayant absol­u­ment aucun rap­port avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pra­tiqués.
Pour ma part, je cherche des per­les, mais je les cherche dans des enreg­istrements per­dus, oubliés, masqués par des ver­sions plus con­nues et dev­enues uniques, car peu de col­lègues font l’ef­fort de puis­er dans des ver­sions moins faciles d’ac­cès.
Vous aurez sans doute remar­qué, si vous êtes un fidèle de mes anec­dotes de tan­go, que je pro­pose de nom­breuses ver­sions. Sou­vent avec un petit com­men­taire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milon­ga cette ver­sion, ou au con­traire, pourquoi je trou­ve que c’est injuste­ment lais­sé de côté.
Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de per­les, mais son tra­vail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des par­tic­u­lar­ités du tan­go, cette cul­ture, riche en per­les.
Bon, je ren­tre dans ma coquille pour me pro­téger des réac­tions que cette anec­dote risque de provo­quer…

Ces réac­tions n’ont pas man­qué, quelques répons­es ici…

Tango ou pas tango ?

Une réac­tion de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à dévelop­per un peu ce point.

“Les pêcheurs de per­les” classés en alter­natif !!!! Wouhaaa ! Quelle bril­lan­tis­sime audace ! Sur la dans­abil­ité, je le trou­ve net­te­ment plus inter­prétable qu’un bon Gardel, pour­tant classé dans les tan­gos purs et durs, non ? En tout cas, mer­ci de cet arti­cle à la phy­logéné­tique très inat­ten­due 🙂

Il est sou­vent assez dif­fi­cile de faire com­pren­dre ce qui fait la dans­abil­ité d’une musique de tan­go.
J’ai fait un petit arti­cle sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/WP/les-styles-du-tango/
Il est fort pos­si­ble qu’au­jour­d’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cepen­dant, Gardel n’a jamais été con­sid­éré comme étant des­tiné à la danse. a divers aspects et là encore, pour sim­pli­fi­er, il y a le tan­go à écouter et le tan­go à danser.
Les deux relèvent de la cul­ture Tan­go, mais si les fron­tières sem­blent floues aujour­d’hui, elles étaient par­faite­ment claires à l’époque. C’é­tait inscrit sur les dis­ques…
Gardel, pour y revenir, avait sur ses dis­ques la men­tion :
“Car­los Gardel con acomp. de gui­tar­ras” ou “con la orques­ta Canaro”, par exem­ple.
Les tan­gos de danse étaient indiqués :
“Orques­ta Juan Canaro con Ernesto Famá”
Dans le cas de Gardel, qui ne fai­sait pas de tan­gos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette men­tion. Cepen­dant, pour repren­dre Famá et Canaro, il y a eu aus­si des enreg­istrements des­tinés à l’é­coute et, dans ce cas, ils étaient notés :
“Ernesto Famá con acomp. de ”.
Dans le cas des enreg­istrements de Sas­sone, ils sont tardifs et ces dis­tinc­tions n’é­taient plus de rigueur.
Toute­fois, le fait qu’ils aient été arrangés par des com­pos­i­teurs de musette ou de tan­go alle­mand, Oth­mar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la ver­sion de 1968, fait que ce n’est pas du tan­go argentin au sens strict, même si le tan­go musette est l’héri­ti­er des bébés tan­gos lais­sés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France.
Je con­firme donc qu’au sens strict, ces enreg­istrements de Sas­sone ne relèvent pas du réper­toire tra­di­tion­nel du tan­go et qu’ils peu­vent donc être con­sid­érés comme alter­nat­ifs, car pas accep­tés par les danseurs tra­di­tion­nels.
Bien sûr, en Europe, où la cul­ture tan­go a évolué de façon dif­férente, on pour­rait plac­er la lim­ite à un autre endroit. La ver­sion de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facile­ment assim­ilée. Celle de 1971 cepen­dant, est dans une tout autre dimen­sion et ne présente aucun intérêt pour la danse de tan­go.
On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la men­tion « Tan­go  » et que les titres sont classés en deux caté­gories :
« Tan­gos europeos et norteam­er­i­canos » et « Melo­dias japone­sas ».

Le CD de 1998 reprenant les enreg­istrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tan­go argentin.

Cette men­tion de « Tan­go inter­na­tion­al » est à met­tre en par­al­lèle avec d’autres dis­ques des­tinés à un pub­lic étranger et éti­quetés « Tan­go for export ». C’est à mon avis un élé­ment qui classe vrai­ment ce titre hors du champ du tan­go clas­sique.
Cela ne sig­ni­fie pas que c’est de la mau­vaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Cer­tains sont capa­bles de danser sur n’im­porte quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si par­ti­c­ulière qu’est le tan­go argentin.

Cela n’empêche pas de la pass­er en milon­ga, en con­nais­sance de cause et, car cela fait plaisir à cer­tains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…

Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt

Mer­ci à Rose­lyne pour cette propo­si­tion qui per­met de met­tre en avant une autre ver­sion française.

Les pêcheurs de per­les 1936 — Tino Rossi Accom­pa­g­né par l’Orchestre de Mar­cel Cariv­en. Disque Colum­bia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975‑1.

Sur la face B du disque, La berceuse de Joce­lyn. Joce­lyn est un opéra du com­pos­i­teur français Ben­jamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Ar­mand Sylvestre et Vic­tor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamar­tine. Cepen­dant, même si la voix de Tino est mer­veilleuse, ce thème n’a pas sa place en milon­ga, mal­gré ses airs de de “Petit Papa Noël”…
N’ou­blions pas que Tino Rossi a chan­té plusieurs tan­gos, dont le plus beau tan­go du monde, mais aus­si :

  • C’est à Capri
  • C’é­tait un musi­cien
  • Écris-Moi
  • Le tan­go bleu
  • Le tan­go des jours heureux
  • Tan­go de Mar­ilou

Et le mer­veilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :

Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 — Tino Rossi Accomp. et son .

Le Bag­dad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Hon­oré. Miguel Orlan­do était un ban­donéon­iste argentin, importé par Fran­cis­co Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlan­do… Le monde est petit, non ?

Le plus beau, de tous les tangos du Monde…

Je ne vais pas vous par­ler de la chan­son de Vin­cent Scot­to et René Sarvil, le , mais des tan­gos préférés des danseurs de tan­go.


Comme DJ, dès que je capte une infor­ma­tion sur les goûts d’un danseur, je le
note dans les com­men­taires du fichi­er. Ain­si, lors d’une milon­ga où est présent
ce danseur, je peux annon­cer que je lui dédi­cace le titre ou la tan­da.

Je vais ain­si pass­er le plus beau tan­go du Monde,
pour ce danseur. Mais il n’est pas seul sur la piste. Je ne par­le pas des bras qu’il
devra trou­ver pour le danser, mais de tous les autres par­tic­i­pants de la
milon­ga.

En général, quand j’an­nonce cette dédi­cace, la com­mu­nauté de bal fait preuve
d’empathie et est prête à danser sur pro­posé. Par­fois, j’an­nonce que
si ça ne plaît pas il fau­dra aller se plain­dre à l’in­spi­ra­teur de la tan­da,
mais en fait, per­son­ne ne va se plain­dre.

En effet, la sec­onde par­tie et le sujet que je souhaite traiter ici est, quel
est le meilleur tan­go de danse ?

Bien que je ne sois pas Nor­mand, je vais répon­dre par ça dépend.
Ce « ça dépend » fait qu’il est utile d’avoir un DJ pour ani­mer la milon­ga.
Sinon, cela ferait longtemps que l’on aurait une « par­faite » que l’on
pour­rait la servir en toutes les occa­sions.

Les goûts changent d’une milon­ga à l’autre, d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre. La musique des milon­gas ital­i­enne ne ressem­ble pas à celles d’An­gleterre. La musique d’un encuen­tro milonguero n’est pas iden­tique à celle d’un fes­ti­val et selon l’âge des danseurs, les goûts dif­fèrent égale­ment. Pour entr­er plus en avant dans la com­plex­ité, les goûts évolu­ent d’un jour à l’autre et même durant la milon­ga.

1 Ces sta­tis­tiques de 2014 ont été établies par Tan­go Tec­nia. CE qui nous intéresse ici, ce ne sont pas les résul­tats, mais l’ob­ser­va­tion que selon dif­férents critères, comme la zone géo­graphique, le sexe ou l’âge, les résul­tats sont dif­férents.

Le DJ, en décou­vrant une milon­ga, fera rapi­de­ment une analyse en fonc­tion des per­son­nes présentes, les vête­ments, les chaus­sures, l’âge et il pour­ra s’aider de con­nais­sances dont il con­naît les goûts. L’or­gan­isa­teur lui-même pour­ra avoir don­né des con­signes, mais le DJ doit savoir les inter­préter et rel­a­tivis­er…

Durant la milon­ga, il con­tin­uera son éval­u­a­tion, enreg­is­trant ce qui sem­ble mieux fonc­tion­ner pour pro­pos­er d’autres tan­das de ce type plus tard dans la milon­ga.

Des sondages en direct

Ces tests des danseurs s’ap­puient sur l’ex­péri­ence du DJ, mais aus­si sur des méth­odes. Pour sim­pli­fi­er, dis­ons qu’il existe qua­tre grands types musiques. Les musiques à dom­i­nante intel­lectuelles comme la musique clas­sique, la musique sen­ti­men­tale, les musiques urbaines et les musiques de diver­tisse­ment.

Ces qua­tre types de musique se ren­con­trons en tan­go et ont don­né lieu aux qua­tre piliers du tan­go. Le clas­sique, c’est le courant Pugliese (De Caro…), le roman­tique, Di Sar­li (Calo…), l’ur­bain, Troi­lo et le ludique, D’Arien­zo.

On con­sid­ère que ces qua­tre orchestres sont incon­tourn­ables dans une milon­ga, car ils représen­tent les qua­tre aspects, émo­tions, qui per­me­t­tent d’éviter la monot­o­nie et qui don­nent sat­is­fac­tion aux qua­tre prin­ci­pales sen­si­bil­ités de danseurs.

Bien sûr, cer­tains pour­raient danser cinq heures sur du d’Arien­zo ou des musiques de la même caté­gorie, mais dans une milon­ga, il y a for­cé­ment des danseurs qui aiment mieux d’autres styles et il con­vient de les iden­ti­fi­er et d’al­tern­er les ten­dances.

On entend par­fois qu’il faut pro­pos­er une tan­da ryth­mique, puis une plus lyrique, ce n’est pas faux, mais c’est une sim­pli­fi­ca­tion de ce qui précède. Le ludique et l’ur­bain en oppo­si­tion à l’in­tel­lectuel et au roman­tique. On peut/doit, entr­er plus dans les détails quand on est DJ pour éviter le gros prob­lème des milon­gas, les danseurs qui restent deux tan­das d’af­filé sans danser…

Le DJ remar­quera, par exem­ple, que les danseurs sont plutôt ludiques. Il pro­posera donc plus de tan­das d’un style com­pa­ra­ble à d’Arien­zo et ain­si de suite. En fin de milon­ga, il y a par­fois besoin de plus d’in­tim­ité et de roman­tisme. Le DJ va pro­gres­sive­ment baiss­er « le feu » pour ter­min­er avec une tan­da hyper roman­tique. D’autres fois c’est l’in­verse. Il faut don­ner la pêche quand les gens vont devoir faire de la route pour ren­tr­er chez eux afin qu’ils restent avec des étoiles dans les yeux le plus longtemps pos­si­ble.

Il n’y a donc pas de règle absolue… Le plus beau tan­go du Monde ne sera pas le même dans les deux cas.

Mais quel est le plus beau tango du Monde ?

Je ne vais pas vous deman­der de relire ce que j’ai écrit au-dessus, je vais vous don­ner des indi­ca­tions. De nom­breux sites, pages Face­book, ont fait ce type d’en­quêtes, avec des résul­tats très divers.

La réal­ité est qu’il s’ag­it de don­nées très insta­bles. Ain­si, les sta­tis­tiques de don­naient des scores dis­pro­por­tion­nés pour le . En analysant plus pré­cisé­ment les don­nées, on se rendait compte que les femmes aimaient deux fois plus cet orchestre que les hommes. Je pense que le charisme et la voix de Javier di Ciri­a­co ne sont pas étrangers à ces sta­tis­tiques.

Le fait de pass­er par un orchestre con­tem­po­rain (même si ce sex­te­to n’ex­iste plus) per­met d’avoir une autre source de don­nées, les musiques jouées par les orchestres.

D’Arien­zo et sou­vent les d’Arien­zo tardifs ont la faveur des orchestres de danse. Ani­bal Troi­lo et Pugliese sont aus­si sur­représen­tés dans les orchestres actuels.

Les danseurs en enten­dant régulière­ment les mêmes thèmes, s’y habituent, les dansent mieux, car ils devi­en­nent plus faciles à impro­vis­er et finale­ment, il en résulte une meilleure impres­sion et une mon­tée dans le classe­ment.

Les DJ, notam­ment ceux qui utilisent des playlists, en pas­sant tou­jours les mêmes titres, aug­mentent cet effet de recon­nais­sance.

Hier, le DJ rési­dant d’une milon­ga de Buenos Aires a passé deux fois de suite Poe­ma (Canaro Mai­da), par suite d’une mau­vaise manip­u­la­tion dans son logi­ciel. Les danseurs ont souri et ont dan­sé une deux­ième fois Poe­ma, d’au­tant plus que le DJ dan­sait avec sa fiancée et qu’on pou­vait par­don­ner ce dou­blon roman­tique. Lorsque Poe­ma a com­mencé pour la troisième fois, le DJ a cou­ru à son poste pour lancer Invier­no. Les danseurs ont pris la chose avec beau­coup de sym­pa­thie et ont beau­coup applau­di le DJ (ce qui est rare à Buenos Aires).

Ce type de raté sur un titre moyen­nement appré­cié aurait été plus sévère­ment appré­cié.

Poe­ma est en effet un des tan­gos préférés des danseurs, comme en témoignait une enquête de 2014 de Tan­goTec­nia qui indi­quait que près de 18 % des sondés en fai­saient leur tan­go préféré.

2 Tan­gos préférés pour danser (liste établie par Tan­goTec­nia en 2014 sur un pan­el de 1282 votants).

Si vous prenez la peine de con­sul­ter cette liste qui a désor­mais dix ans, vous con­staterez tout de même que la plu­part des titres pro­posés sont encore dans le domaine des titres qui « marchent ».

Dans cette obser­va­tion, on peut décou­vrir l’empreinte des DJ qui ont for­cé­ment encour­agé les titres à suc­cès, ce qui a ren­for­cé l’es­time pour ces titres.

D’autres titres ont été vic­times de ce suc­cès, car ils cor­re­spondaient à un effet de mode, par exem­ple car il a été mis en avant par un orchestre à suc­cès.

Prenons l’ex­em­ple de Mi Vie­ja Lin­da (ne la cherchez pas dans cette liste, elle n’y est pas, car en 2014, per­son­ne n’aimait ce titre qui avait été peu enreg­istré avant que le «  » en fasse un tube (en 2018). Dans un autre genre, le phénomène Sex­te­to Milonguero de l’époque est totale­ment éteint aujour­d’hui et même chez les femmes, ce n’est plus le pre­mier orchestre du Monde.

Une autre source de don­nées est con­sti­tuée par les pub­li­ca­tions de musique. Cer­tains titres ont été enreg­istrés par dix orchestres et par­fois à plusieurs repris­es et d’autres n’ont été enreg­istrés qu’une fois. Les dates d’en­reg­istrements sont égale­ment très utiles pour retrac­er les modes au vingtième siè­cle. Un titre va être enreg­istré cinq ou six fois en deux ou trois ans, puis devenir silen­cieux pour ne réap­pa­raître que dix ou vingt ans plus tard.

Un excel­lent out­il pour décou­vrir cela est la base de don­nées de tango-dj.at. Dans la copie d’écran suiv­ante, on peut voir la discogra­phie de Poe­ma qui a été enreg­istré prin­ci­pale­ment dans les années 30, mais qui est resté sur le devant de la scène et par­fois de façon renou­velée grâce à des orchestres con­tem­po­rains comme la .

3 Dans la base de don­nées de tango-dj.at, on trou­ve Poe­ma enreg­istré 29 fois par 28 orchestres ( l’a enreg­istré deux fois).

Les spé­cial­istes se pencheront sur les cat­a­logues des édi­teurs de l’époque, mais il faut suiv­re les orchestres quand ils ont changé d’édi­teur et la com­pi­la­tion pour un orchestre don­née n’ex­iste pas tou­jours si on excepte des sommes, comme le cat­a­logue Canaro de Christoph Lan­ner.
https://sites.google.com/site/franciscocanarodiscografia/prefacio

4 Les enreg­istrements de Fran­cis­co Canaro (le chef d’orchestre qui a le plus enreg­istré) représen­tent 200 pages de don­nées. Le for­mi­da­ble tra­vail de Christoph Lan­ner vous per­me­t­tra de vous y retrou­ver si vous vous pas­sion­nez pour son œuvre.

Sig­nalons aus­si tango.info qui n’est pas très com­plet, mais que vous crois­erez sûre­ment si vous faites une recherche Google… https://tango.info/T0030142643 pour y trou­ver Poe­ma…

5 Les sta­tis­tiques selon les goûts des vis­i­teurs du site El Reco­do tan­go.

Une enquête plus récente puisqu’elle est mise à jour en temps réelle est celle qui est réal­isée par le site El Reco­do. Poe­ma n’est pas dans la liste. On décou­vre à la place une sélec­tion bien dif­férente et par cer­tains aspects sur­prenants, mais qui témoignent d’une évo­lu­tion.

Par exem­ple, en 2014, année du cen­te­naire de sa nais­sance, Troi­lo était peu joué en France, ce qui n’é­tait pas le cas à Buenos Aires où il est adoré. Je me sou­viens cette année avoir fait une année Troi­lo avec par­fois cinq tan­das de lui dans une milon­ga. Ma petite pierre et celle d’autres col­lègues DJ et de cer­tains orchestres ont fait que désor­mais, Troi­lo est incon­tourn­able en France, égale­ment.

En regar­dant cette liste, on se rend compte que beau­coup de titres sont classés des deux côtés, tan­gos à écouter et à danser. Cer­tains, superbes à danser, sont seule­ment du côté de l’é­coute, comme Café Dominguez (qui a cepen­dant la dif­fi­culté d’être dif­fi­cile à cas­er dans une tan­da cohérente et que l’on va générale­ment associ­er à des titres plus anciens avec Var­gas). Je pense qu’il manque une véri­ta­ble liste de tan­gos à écouter et qui ne seraient pas à danser et que la liste des tan­gos à danser pour­rait être opti­misée. Garua appa­rais­sant deux fois dans les plus dans­ables peut être sur­prenant, ain­si que le peu de titres de d’Arien­zo ou Di Sar­li en regard du nom­bre de titres de Calo…

Faisons bouger les lignes

Le n’est pas seule­ment de savoir pro­pos­er ce qui plaît, mais aus­si d’é­du­quer les danseurs en les pous­sant à abor­der des musiques moins famil­ières.

Ce type de sta­tis­tiques est donc utile pour définir les gen­res, les ten­dances du moment, mais cela ne dis­pense pas le DJ d’in­ter­roger le riche réper­toire pour trou­ver des équiv­a­lents.

Lorsqu’un tan­go peu con­nu fait un suc­cès lors d’un événe­ment, le titre monte rapi­de­ment en renom­mée, car le monde du tan­go est tout petit. Rapi­de­ment, il fera le tour du Monde et fini­ra par devenir un incon­tourn­able ou une scie, voire de retomber dans l’ou­bli.

Le « bon tan­go » est le tan­go d’un moment. Pour être un excel­lent tan­go de danse, il doit dis­pos­er de qual­ités pro­pres per­me­t­tant d’en­richir l’im­pro­vi­sa­tion. C’est surtout impor­tant là où il y a d’ex­cel­lents danseurs (ceux qui dansent avec la musique ou plutôt, qui dansent la musique). Ces derniers sont très exigeants et s’ils dansent avec con­vic­tion sur les grands suc­cès des milon­gas, ils seront enchan­tés lorsque le DJ lui pro­posera un titre moins ressas­sé, voire incon­nu, mais qui a toutes les qual­ités pour être Le plus beau tan­go du Monde pour la tan­da en .

DJ BYC Bernar­do, Buenos Aires, 2024-01-07