Archives par étiquette : Recuerdo

La cumparsita 1951-09-12 – Orquesta Juan D’Arienzo

Gerardo Hernán Matos Rodríguez; (Roberto Firpo) Letra : Pascual Contursi ; Enrique Pedro Maroni ; Gerardo Hernán Matos Rodríguez

S’il est un air que vous avez forcément entendu, c’est à coup sûr La cumparsita. En effet, ce thème commence toutes les milongas traditionnelles et termine la plupart des milongas dans le monde. Il était donc important de faire une anecdote sur La cumparsita, mais c’est là que les difficultés commencent. J’ai plus de 800 cumparsitas et il me fallait choisir.

Une expression de témoigne du de ce thème «  » (plus connu que la cumparsita…).

Cet air a grand succès a été enregistré des centaines de fois et tous les orchestres de tango l’ont à leur répertoire. Il me fallait donc choisir une version pour l’anecdote du jour qui soit un peu emblématique, car je pouvais presque trouver un du titre pour chaque jour de l’année.
Cependant, dans cette énorme production, il faut bien sûr faire du tri. Supprimer tout ce qui n’est pas du tango traditionnel et donc éliminer les versions en cumbia, rock, tango musette, percussions, a capella, valse (même si j’ai plusieurs versions que je passe parfois) et autres rythmes.
J’ai fait le choix d’un tango de danse, ce qui élimine une bonne moitié des versions restantes après la première sélection. Dans les 161 versions restantes, il convenait de choisir les meilleures. Comme je passe deux cumparsitas dans chaque , une au début et une à la fin et que je n’aime pas faire de doublons trop rapprochés, j’ai un peu creusé dans ce stock. Il en restait encore trop pour une anecdote où je me suis fixé la limite de 30 titres.
La semaine dernière, Thierry, mon correcteur m’a demandé quelque chose sur la cumparsita et pour lui faire plaisir, j’ai choisi la première date ayant une belle version et c’est donc tombé sur la version de 1951 de D’Arienzo, une version enregistrée le 12 septembre, il y a exactement, 73 ans.
D’Arienzo a joué des milliers de fois ce titre et l’a enregistré au moins 8 fois. J’ai donc décidé de limiter cette anecdote aux versions de D’Arienzo. Ne pleurez pas et pour ceux qui me suivent durant mon passage en Europe, je promets de ne pas passer deux fois la même cumparsita. Il me reste 11 milongas à animer avant de rentrer à , cela fait 22 cumparsitas différentes. Certaines sont sublimes !

Extrait musical

La cumparsita 1951-09-12 – Orquesta Juan D’Arienzo.
La joyeuse troupe des amis de Gerardo Hernán Matos Rodríguez défile sur la couverture de droite. Ils sont cités en haut de la partition. À droite Gerardo Hernán Matos Rodríguez devant sa partition chez un éditeur de partitions. On notera que les joyeux fêtards sont remplacés par une femme masquée. Le masque peut évoquer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aussi évoquer une voilette de deuil, celui que décrit Gerardo Hernán Matos Rodríguez dans sa version des paroles.

Paroles

Cette version de D’Arienzo est instrumentale, mais il l’a enregistrée deux fois avec des chanteurs et dans l’immense répertoire, il en existe plusieurs dizaines de versions chantées. Il me semblait donc logique de vous donner les paroles. J’ai retenu les deux versions principales, celle de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni d’une part et celle de Gerardo Hernán Matos Rodríguez qui est l’auteur de l’idée originale et donc ici, en plus de paroles.

Paroles de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si supieras,
que aún dentro de mi alma,
conservo aquel cariño
que tuve para ti…
Quién sabe si supieras
que nunca te he olvidado,
volviendo a tu pasado
te acordarás de mí…

Los amigos ya no vienen
ni siquiera a visitarme,
nadie quiere consolarme
en mi aflicción…
Desde el día que te fuiste
siento angustias en mi pecho,
decí, percanta, ¿qué has hecho
de mi pobre ?

Sin embargo,
yo siempre te recuerdo
con el cariño santo
que tuve para ti.
Y estás en todas partes,
pedazo de mi vida,
y aquellos ojos que fueron mi alegría
los busco por todas partes
y no los puedo hallar.

Al cotorro abandonado
ya ni el sol de la mañana
asoma por la ventana
como cuando estabas vos,
y aquel perrito compañero,
que por tu no comía,
al verme solo el otro día
también me dejó…
Pascual Contursi; Enrique Pedro Maroni

Traduction libre et indications de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si seulement tu savais que, même dans mon âme, je garde cette affection que j’avais pour toi…
Qui sait si tu savais que je ne t’ai jamais oubliée, en revenant à ton passé tu te souviendras de moi…
Les amis ne viennent même plus me rendre visite, personne ne veut me consoler dans mon affliction…
Depuis le jour où tu es partie, j’ai ressenti de l’angoisse dans ma poitrine, j’ai dit, ma chérie, qu’as-tu fait de mon pauvre cœur ?
Cependant, je me souviens toujours de toi avec la sainte affection que j’avais pour toi.
Et tu es partout, morceau de ma vie, et ces yeux qui étaient ma joie, je les cherche partout et je ne peux pas les trouver.
Au perroquet abandonné, même le soleil du matin ne se penche pas à la fenêtre comme il le faisait lorsque tu étais là, et ce petit chien, compagnon, qui à cause de ton absence ne mangeait pas, à me voir seul l’autre jour, lui aussi m’a quitté…

Paroles de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa
de miserias sin fin
desfila,
en torno de aquel ser
enfermo,
que pronto ha de morir
de pena.
Por eso es que en su lecho
solloza acongojado,
recordando el pasado
que lo hace padecer.

Abandonó a su viejita.
Que quedó desamparada.
Y loco de pasión,
ciego de amor,
corrió
tras de su amada,
que era linda, era hechicera,
de lujuria era una flor,
que burló su querer
hasta que se cansó
y por otro lo dejó.

Largo tiempo
después, cayó al hogar
materno.
Para poder curar
su enfermo
y herido corazón.
Y supo
que su viejita santa,
la que él había dejado,
el invierno pasado
de frío se murió

Hoy ya solo abandonado,
a lo triste de su suerte,
ansioso espera la muerte,
que bien pronto ha de llegar.
Y entre la triste frialdad
que lenta invade el corazón
sintió la cruda sensación
de su maldad.

Entre sombras
se le oye respirar
sufriente,
al que antes de morir
sonríe,
porque una dulce paz le llega.
Sintió que desde el cielo
la madrecita buena
mitigando sus penas
sus culpas perdonó.
Gerardo Hernán Matos Rodríguez

Traduction libre et indications de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa des misères sans fin défile, autour de cet être malade, qui va bientôt mourir de chagrin.
C’est pourquoi, dans son lit, il sanglote d’angoisse, se rappelant le passé qui le fait souffrir.
Il abandonna sa vieille mère.
Qu’il avait laissée désemparée.
Et fou de passion, aveugle d’amour, il courait après sa bien-aimée, qui était jolie, qui était sorcière, avec convoitise elle était une fleur, qui se moquait de son amour jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée et le quitte pour un autre.
Longtemps plus tard, il est tombé dans la maison de sa mère pour pouvoir guérir son cœur malade et blessé.
Et il sut que sa sainte vieille mère, celle qu’il avait quittée, était morte l’hiver dernier de froid
Aujourd’hui seul, abandonné, à la tristesse de son sort, anxieux, il attend la mort, qui ne tardera pas à arriver.
Et au sein de la triste froideur qui envahit lentement le cœur, il ressentait la cruelle sensation brute de sa mauvaiseté.
Dans l’ombre, on l’entend respirer avec souffrance, à qui avant de mourir, il sourit, parce qu’une douce paix lui vient.
Il sentait que depuis le ciel, la bonne petite mère, atténuait ses chagrins et lui pardonnait ses péchés.
Aucune des deux versions des paroles n’est gaie. Cependant, la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez va encore plus loin dans le pathos. Peut-être un peu trop loin…

Autres versions

On est bien d’accord que je me limite aux seules versions enregistrées par D’Arienzo. Les voici :

La cumparsita 1928 – Raquel Notar con acomp. de Orquesta Juan D’Arienzo.
La cumparsita (Si supieras) 1928 – Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Dante.
La cumparsita 1937-12-14 – Orquesta Juan D’Arienzo.
La cumparsita 1943-11-23 – Orquesta Juan D’Arienzo.
La cumparsita 1951-09-12 – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre version du jour.
La cumparsita 1963-12-10 – Orquesta Juan D’Arienzo.
La cumparsita 1971-12-07 – Orquesta Juan D’Arienzo.
La cumparsita 1972 – Orquesta Juan D’Arienzo. Enregistrement à la télévision.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez (“Becho”) fait sa

Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Gerardo Hernán Matos Rodríguez a refusé l’offre de Roberto Firpo qui voulait que les deux noms soient sur la partition (Firpo-Matos). Firpo a fait passer la composition originale d’une marche composée pour une comparsa (défilé dans un carnaval) à un tango. Il a aussi réalisé la première représentation, au café La Giralada de Montevideo. C’est la raison pour laquelle j’ai rajouté Firpo en vert dans le sous-titre…

Le Café la Giralda en 1918. C’est là qu’a été lancée la Cumparsita, interprétée par Roberto Firpo.

Cette prestation de Firpo, associée à la composition de Matos, est signalée sur le café La Giralda par trois plaques commémoratives.

Les plaques commémoratives sur le mur du café La Giralda.
La cumparsita, un film de Antonio Momplet sorti le 28 août 1947. Version intégrale !

La cumparsita est un film sorti le 28 août 1947. Il est à la gloire de Gerardo Hernán Matos Rodríguez, sur une idée de Gerardo Hernán Matos Rodríguez et avec des musiques de Gerardo Hernán Matos Rodríguez, parmi lesquelles :

  • La cumparsita
  • Che, papusa, (avec Cadicamo)
  • El rosal (Avec Romero)
  • San Telmo
  • Mocosita.

D’autres auteurs, il y a également

  • El choclo (Villoldo et Catan)
  • El taita del arrabal (Romero)
  • El entrerriano (Mendizabal)
  • Vea, Vea (Roberto Firpo et )
  • Garufa (Collazo, Fontaina et Solino)
  • Apache argentino (Garcia et Brameri)

Donc, quasiment la moitié de Gerardo Hernán Matos Rodríguez.
Le film est dirigé par Antonio Momplet avec Nelly Darén, Aída Alberti, José Olarra et l’incontournable Hugo del Carril

Gerardo Hernán Matos Rodríguez, étudiant en architecture et compositeur…

Vous voulez en savoir plus ?

Il existe une multitude de faits, histoires, légendes, fantasmes autour de La cumparsita. C’est un monument auquel il faut beaucoup de travail pour y mettre un peu d’ordre. Cependant, je vous conseille l’article de Wikipédia qui lui est consacré, il est excellent :
Merci à Thierry qui me l’a indiqué.

https://es.wikipedia.org/wiki/La_cumparsita

et bien sûr, l’article de Todo Tango qui sert de base à la plupart des autres publications…

https://www.todotango.com/historias/cronica/90/La-cumparsita

La cumparsita. La joyeuse bande d’étudiants, défilant sur la musique de marche, se transforme en une marée de lourds spectres avec les paroles de La cumparsita et notamment celles de Gerardo Hernán Matos Rodríguez.

Vous avez peut-être été étonnés de l’image de couverture. Elle évoque une des partitions, dédicacée à ses amis. Mais les paroles, tristes, voire tragiques m’ont incitées à troubler la fête en donnant des allures de spectres aux fêtards.

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

; Letra: Homero Expósito

J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enregistrée un 2 septembre. Il s’agit de «  ». Il existe beaucoup de versions de ce petit coin de ciel, de paradis perdu. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réalisée par Miguel Caló con Alberto Podestá, mais nous écouterons mon autre préférée, celle enregistrée 16 jours plus tard par et .

Extrait musical

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá.
Deux versions de la couverture de la partition encadrent la partition pour piano.

Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélectionné des musiciens de tout premier plan, comme Enrique Francini violoniste et Héctor Stamponi pianiste, les deux compositeurs, même si à l’époque de l’ Stamponi avait quitté l’orchestre, remplace par .
On entendra un merveilleux solo de violon par l’auteur (à 35s), Francini, et plus discret, sauf à la fin, son compère bandonéoniste Armando Pontier. Maderna, Pontier et Francini se partagent la vedette avec Podestá.

Paroles

La casa tenía una reja
pintada con quejas
y cantos de amor.
La noche llenaba de ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
que entonces reías
si yo te leía
mi verso mejor
y ahora, capricho del tiempo,
leyendo esos versos
¡lloramos los dos!

Los años de la infancia
pasaron, pasaron…
La reja está dormida de tanto silencio
y en aquel pedacito de cielo
se quedó tu alegría y mi amor.
Los años han pasado
terribles, malvados,
dejando esa esperanza que no ha de llegar
y recuerdo tu gesto travieso
de aquel beso
robado al azar…

Tal vez se enfrió con la brisa
tu cálida risa,
tu límpida voz…
Tal vez escapó a tus ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo balcón…
Tus ojos de azúcar quemada
tenían distancias
doradas al sol…
¡Y hoy quieres hallar como entonces
la reja de bronce
temblando de amor!…

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

Traduction libre

La maison avait une clôture peinte de plaintes et de chansons d’amour.
La nuit remplissait de cernes, la clôture, le lierre et le vieux balcon…
Je me souviens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et maintenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleurons tous les deux !
Les années de l’enfance sont passées, passées…
La clôture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour.
Les années ont passé terribles, méchantes, laissant cet espoir qui ne viendra jamais et je me souviens de ton geste espiègle après ce baiser volé au hasard…
Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpide se sont refroidis avec la brise…
Peut-être que la clôture, le lierre et le vieux balcon ont échappé à tes cernes…
Tes yeux de sucre brûlé avaient des distances dorées au soleil…
Et aujourd’hui tu veux retrouver comme avant la grille de bronze tremblante d’amour !…

Autres versions

Il y a deux versions parfaites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tango. Les voici.

Pedacito de cielo 1942-09-02 – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.
Pedacito de cielo 1942-09-18 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Il y a beaucoup d’autres versions, sans doute pas autant que le nombre de bougies qui m’attend, mais je compléterai sans doute la liste un de ces jours…

Sachez juste qu’il y a aussi un tango du même titre qui a été composé par José Martínez et que l’on connaît surtout par la belle version de1927 par que voici :

Pedacito de cielo 1927-05-11 – Orquesta Agesilao Ferrazzano. Un petit cadeau pour ceux qui n’aiment pas les valses (les pauvres).

À bientôt, les amis.

Prisionero 1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Au sujet de cette bien sympathique, avec une introduction un peu plus longue que la moyenne, je pensais faire un petit encart sur le diapason, justifié par le changement effectué à cette époque par Biagi. À cause des réactions sur le sujet, je vais me concentrer sur le diapason pour cette anecdote. Nous voilà prêts à accorder nos violons…

Extrait musical et autre version

Je vous donne ici, les deux principaux enregistrements de cette valse. Celui de Biagi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.

1943-08-24 – Orquesta con Alberto Amor

D’un point de vue technique, cet est sans doute le dernier enregistré avec le diapason à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Biagi s’accordera à 440Hz.
Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le premier enregistrement en 440Hz par Biagi. D’Arienzo a-t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est important pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écoutons plutôt les différences stylistiques entre les deux versions, c’est plus passionnant à mon goût.

Prisionero 1943-12-27 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

On remarque tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue introduction de Biagi. C’est classique chez D’Arienzo qui aime bien rentrer directement dans le feu de la danse.
Le rythme est en revanche plus lent. Malgré l’absence des 21 secondes d’introduction de la version de Biagi, la version de D’Arienzo fait 6 secondes de plus. S’il avait joué au même rythme que Biagi, sa version aurait totalisé 21 secondes de moins. Ce sont donc 27 secondes de différence, c’est beaucoup et beaucoup plus que le passage de 435 à 440 Hz dans la différence de sensation 😉

Petit jeu

Je me suis « amusé » à trafiquer les deux enregistrements de la façon suivante :

  • J’ai enlevé l’introduction de Biagi.
Prisionero 1943-08-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor (SIN INTRO)
  • J’ai accéléré la version de D’Arienzo pour la mettre au même rythme que celle de Biagi.
Prisionero 1943-12-27 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré (ACCÉLÉRÉE)

Vous pouvez donc comparer les deux versions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sacrilège, car D’Arienzo a volontairement enregistré une version plus lente, mais cela me semble intéressant pour bien sentir les différences d’orchestrations sur la même partition.

  • Et comme je ne suis pas avare de fantaisies, je vous propose maintenant une version mixte comprenant la version de Biagi sans l’introduction dans le canal de gauche et la version de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remarquera que le mélange n’est pas si détonnant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un système , voire au casque.
Prisionero. Comparaison des deux versions à la même vitesse et synchronisées.

Prisionero. Version de Biagi sans introduction, dans le canal de gauche. Version de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.

Si vous avez apprécié le petit jeu, vous pouvez avoir un autre particulier dans le dernier chapitre de cette anecdote, sur les diapasons. Un truc qui régale certains spécialistes, ce que je ne suis pas.

Paroles

Libre es el viento
Que doma la distancia,
Baja a los valles
Y sube a las montañas.
Libre es el agua
Que se despeña y canta,
Y el pájaro fugaz
Que surge de ver
Una azul inmensidad…

Libre es el potro
Que al viento la melena,
Huele a las flores
Que es mata en la pradera.
Libre es el cóndor
Señor de su cimera,
Yo que no sé olvidar
Esclavo de un dolor
No tengo libertad…

Loco y cautivo
Cargado de cadenas,
Mi oscura cárcel
Me mata entre sus rejas.
Soy prisionero
De incurable pena,
Preso al recuerdo
De mi perdido bien.

Nada me priva
De andar por donde quiero,
Pero no puedo
Librarme del dolor.
Y pese a todo
Soy prisionero,
De los recuerdos
Que guarda el .
Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Traduction libre

Libre est le vent qui dompte la distance, descend dans les vallées et gravit les montagnes.
Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immensité bleue…
Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hauteur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pousser, mais il y a peut-être mieux à faire…).
Libre est le condor, seigneur de son sommet, moi qui ne sais pas oublier, esclave d’une douleur, je n’ai pas de liberté…
Fou et captif, chargé de chaînes, ma sombre me tue derrière les barreaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un discret jeu de mots).
Je suis prisonnier d’un chagrin incurable, emprisonné dans la mémoire de mon bien perdu.
Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’arrive pas à me libérer de la douleur.
Et malgré tout, je suis prisonnier des que le cœur garde.

Mettons-nous au diapason…

Le diapason est la fréquence de référence qui permet que tous les musiciens d’un orchestre jouent de façon harmonieuse.
Vous avez en tête les séances d’accordage qui précèdent une prestation.
Le principe est simple. On prend pour référence l’instrument le moins accordable rapidement, par exemple le piano qui est accordé avant le concert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps.
En l’absence de piano, les orchestres classiques se calent sur le hautbois, celui du « premier hautbois ». Ensuite, ses voisins, les autres instruments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes.
Je vous propose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remarquera que c’est bien le hautbois qui y donne le La3.

Installation interactive « Sous-ensemble » de Thierry Fournier – Enregistrement de l’accord pour chaque instrument.

La note de référence doit pouvoir être jouée par tous les instruments. Dans les concerts où il y a des instruments anciens, on est parfois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une tension exagérée des cordes sur des instruments fragiles.
En général, cela est défini à l’avance et on accorde le piano en conséquence avant le concert.
La note de référence est généralement un La, le La3 (situé entre la deuxième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturellement sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les violons et altos, c’est la seconde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regardant le violon de face. Les musiciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par comparaison avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précédente et vous savez tout cela.
Dans le cas du tango, le piano est généralement la base, mais quand c’est possible, on se cale sur le bandonéon qui n’est pas accordable pour régler le piano.
En effet, la note de référence, si c’est en principe toujours le La3, n’a pas la même hauteur selon les époques et les régions.

Le sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle

Je vous propose trois éléments pour juger du débat qui anime toujours les musiciens d’aujourd’hui… C’est un exemple français, mais à vocation largement européenne par les éléments traités et l’accueil fait aux demandes de la commission ayant établi le rapport.

  • Un rapport établissant des conseils pour l’établissement d’un diapason musical uniforme.

Les membres de la commission étaient :
Jules Bernard Joseph Pelletier, conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, président de la commission ;
Jacques Fromental Halévy, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, rapporteur de la commission ;
Daniel-François-Esprit Auber, membre de l’Institut, directeur du Conservatoire impérial de musique et de déclamation (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hector Berlioz, membre de l’Institut ;
Mansuete César Despretz, membre de l’Institut, professeur de physique à la Faculté des sciences.
Camille Doucet, chef de la division des théâtres au ministère d’État ;
Jules Antoine Lissajous, professeur de physique au lycée Saint-Louis, membre du conseil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques militaires ;
Désiré-Guillaume-Édouard Monnais, commissaire impérial près les théâtres lyriques et le Conservatoire ;
Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand, mais vivant à Paris où il mourra en 1871 ;
Gioachino Rossini, Compositeur italien, mais vivant à Paris où il mourra en 1872 ;
Ambroise Thomas, compositeur français et membre de l’Institut.

  • Le décret mettant en place ce diapason uniforme.
  • Les critiques contre le diapason uniforme…

On voit donc que l’histoire est un éternel recommencement et que les pinaillages actuels n’en sont que la continuité…

Vous pouvez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)

Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous permettront de constater la variété des diapasons, leur évolution et donc la nécessité de mettre de l’ordre et notamment de freiner le mouvement vers un diapason plus aigu.
Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibrations ». Il faut donc diviser par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ainsi, le diapason de Paris indiqué 896 correspond à 448 Hz.

Tableau des diapasons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du diapason au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme (Arrêté du 17 juillet 1858) – Paris, le 1er février 1859.

Compléments sur le diapason

Si vous n’avez pas consulté le document de 12 pages, il est encore temps de vous y référer, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pouvez le charger en PDF pour le lire plus facilement.

Si vous voulez entendre la différence entre le diapason à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous propose cette vidéo.

Diapason 435 Hz et 440 Hz.

Sur l’histoire du diapason, cet article signalé par l’ami Jean Lebrun.

https://www.radiofrance.fr/francemusique/accord-et-desaccord-la-guerre-du-la-6695782

Sur la question du diapason et de la vitesse en tango, je vous propose ce court article que j’avais écrit.

Et un article bien plus complet, mais en anglais de signalé par Angela.

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Enrique Cadícamo (Musique et paroles)

Si je dis Tic-Tac, vous penserez tout de suite à l’horloge, à la montre et au-delà, au temps qui passe. Les trois minutes d’un tango peuvent passer très vite, trop vite, ou donner l’impression de s’éterniser. du jour nous parle du temps. Sa tristesse est compensée par le savoir-faire de Moreno et Rodriguez, mais il est temps de vous faire écouter ce tango. Nous remontons le temps, jusqu’en 1941, il y a exactement 727 070 heures, quand Rodriguez et Moreno enregistraient le tango Tic Tac.

Extrait musical

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta con .

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Les 30 premières secondes sont classiques pour du Rodriguez. La musique est bien cadencée et marquée de façon un peu (beaucoup) appuyée.
À 30 secondes, donc, Rodriguez nous donne la première information horlogère. Puis il reprend le cours normal de la musique. Les peuvent penser avoir rêvé ce Tic-Tac, mais 20 secondes plus tard, le Tic-Tac réapparaît.
À une minute, Moreno lance deux fois Amor, mais avant d’aller plus loin, voici les paroles.

Paroles

Amor, amor… novela triste
Amor, amor… tú ya no existes.
Solo, sin tu cariño,
Soy como un niño
Que siente miedo.
Solo, solo en la casa,
La noche pasa
Por .

Tic tac, tic tac, tic tac…
Oigo en las sombras, este latido.
Tic tac, tic tac, tic tac…
Como un martillo suena en mi oído.
Es el reloj que va pasando
Y nuestras vidas va contando.
Tic tac, tic tac, tic tac…
Y su , se hace dolor.

Letra y música:

Traduction libre et indications

L’amour, l’amour… Roman triste
L’amour, l’amour… Tu n’existes plus. (La triste nouvelle est annoncée)
Seul, sans ton affection, je suis comme un enfant qui éprouve la peur.
Seul, seul dans la maison, la nuit passe par l’horloge.
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (À 1:30 Moreno déclare Tic-Tac, levant toute ambiguïté et l’orchestre renforce le son d’horloge).
J’entends dans l’ombre, ce battement (de cœur).
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Retour du Tic-Tac)
Comme un marteau, il résonne dans mon oreille.
C’est l’horloge qui tourne et nos vies vont comptant.
Tic-tac, tic-tac, tic-tac… (Encore le Tic-Tac)
Et son souvenir se fait douleur.

Abandon ou mort, quoiqu’il en soit, l’horloge marque le temps désormais inutile dans l’être aimé. C’est une façon assez originale de marquer le poids du temps sur la peine. Enrique Cadícamo, l’un des auteurs les plus prolifiques est ici le compositeur et le parolier, cette œuvre lui est donc totalement redevable et prouve la richesse de son univers.
Il fallait sans doute Rodriguez et sa légèreté (dans les thèmes, pas la musique) pour passer en douceur ce message.

Autres versions

Ce tango est encore un orphelin. Il y a bien sûr d’autres tangos qui parlent du temps, voire même de l’horloge. Nous avons évoqué El Reloj (L’horloge) il y a quelques jours, mais pas d’autre enregistrement de Tic Tac. Je vais cependant lui proposer un ami…

Tic tac 1941-08-07 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. Notre , orphelin.

Le copain que je lui propose est une musique klezmer. Cela peut sembler curieux, mais le festival de Tarbes en France avait coutume de proposer comme dernier thème ce titre. J’avoue ne pas en connaître la raison pour laquelle ils ont troqué la cumparsita pour le titre que je vous propose d’écouter maintenant.
Il s’agit de Time par le trio Kroke, un trio polonais dont le nom, Kroke, est celui de la ville polonaise de Cracovie, exprimé en Yidiish (langue des juifs d’Europe centrale).

Time 1998-05 – Kroke (Tomasz Lato).

Le trio Kroke est composé de Tomasz Kukurba au violon alto, Tomasz Lato à la contrebasse et Jerzy Bawoł à l’ diatonique.
Ce titre a été enregistré en mai 1998 a été publié pour la première fois en 1999 sur l’album The Sounds of the Vanishing World.
Pour les masochistes, il existe une version longue de plus de 8 minutes, Tomasz Kukurba ayant complété l’original de Tomasz Lato
Certains seront assez étonnés d’apprendre que des danseurs essayent de danser le tango sur ce titre, mais d’autres adorent cet exercice qui consiste à croire danser le tango sur n’importe quelle musique. C’est génial, mais ce n’est pas du tango.

Bon, j’ai perdu les lecteurs fans de NeoTango. J’espère qu’ils reviendront quand ils sauront que j’ai musicalisé des événements de NeoTango, car pour un DJ, cela permet une très grande créativité dans le choix des musiques, mais aussi dans le mixage, ce qu’on ne fait pas en tango traditionnel. Par exemple, on peut commencer avec un titre, continuer avec un autre, rajouter des samples, voire des éléments synthétisés, revenir au thème initial, varier , hauteur, sonorité, ce que l’on ne peut guère faire dans une milonga.

L’angoisse du DJ qui est en train de se demander s’il peut associer deux titres dans la même tanda. Vuelta al futuro (1985)

Il est l’heure de vous laisser, à demain, les amis.

Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza

Francisco Canaro Letra:

Notre tango du jour est une chanson sur un rythme de . Ce n’est donc pas un enregistrement pour la danse, mais l’histoire qui la sous-tend vaut d’être contée. C’est une histoire d’amour et ici, c’est la réponse de la bergère au berger.
Mais rassurez-vous, il y a aussi de belles versions de danse au programme…

Francisco Canaro et Ada Falcón

Extrait musical

1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de .

Paroles

Recordaré de tu pasión la inmensidad.
Recordaré la imagen fiel que me adoró.
Evocaré de tu mirar la suavidad
y soñaré que aquel ayer no se alejó.

Recordaré la noche azul en que te vi
en el jardín primaveral de la ilusión.
Recordaré que hoy, al partir, me estremecí
cuando miré las rosas de mi amor temblando en tu balcón.

El recuerdo de tus ojos,
tus sonrisas y tus besos,
han de ser en mi camino
brillantísimo fulgor.
Si me alejan de tu lado
viviré con tu recuerdo.
Viviré acariciando tu nombre
entre vagos rumores y ensueños.
Viviré de las horas pasadas
mi sublime novela de amor.

Recordaré de tu querer la inmensidad,
recordaré de tu besar la ensoñación,
y al evocar de tu reír la claridad
me cubrirá un velo gris de desazón.

Recordaré que suave luz te iluminó
cuando besé, ebrio de amor, tu boca en flor.
Recordaré el madrigal que te brindó
mi inspiración, al ver tu hermosa faz teñida de rubor.
Francisco Canaro Letra: Ivo Pelay

Traduction libre

Je me souviendrai de l’immensité de ta passion.
Je me souviendrai de l’image fidèle qui m’adorait.
J’évoquerai de ton regard la douceur et je rêverai que cet hier n’a pas disparu.
Je me souviendrai de la nuit bleue quand je t’ai vu dans le jardin printanier de l’illusion.
Je me souviendrai qu’aujourd’hui, en partant, j’ai frissonné en regardant les roses de mon amour trembler sur ton balcon.
Le souvenir de tes yeux, tes sourires et tes baisers doivent être un éclat des plus brillants sur mon chemin.
S’ils m’emportent loin de toi, je vivrai avec ton souvenir.
Je vivrai en caressant ton nom au milieu de vagues rumeurs et de rêves.
Je vivrai des heures passées, mon sublime roman d’amour.
Je me souviendrai de l’immensité de ton amour, je me souviendrai du rêve de ton baiser, et quand j’évoquerai la clarté de ton rire, il me couvrira d’un voile gris de malaise.
Je me souviendrai de la douce lumière qui t’illuminait quand j’embrassais, ivre d’amour, ta bouche en fleurs.
Je me souviendrai du madrigal que t’a donné mon inspiration, quand j’ai vu ton beau visage teinté de rougissement.

Une histoire

Maintenant que vous avez pris connaissance des paroles, vous comprendrez pourquoi cette valse n’est pas aussi entraînante que d’autres. On peut se demander ce qui se passe, si l’être aimé est mourant ou mort, si la séparation est définitive par la volonté de l’un des deux.
Pour répondre à cela, il convient d’entrer dans la vie de Francisco Canaro et Ada Falcón.
Aída Elsa Ada Falcone avait deux demi-sœurs, elles aussi chanteuses, Amanda, et Adhelma.

Amanda, Adhelma et Ada Falcón. Elles ont au moins en commun de lever le regard…

Amanda Falcón (1901-1998)

Amanda qui n’a pas enregistré a eu un début de carrière intéressant, faisant notamment partie de la de Ivo Pelay (l’auteur des paroles de notre valse du jour). Elle a joué également avec Gardel, même si l’accueil de la critique ne fut pas à la hauteur de ses espérances. Sa carrière semble s’être arrêtée en 1934 et on la retrouve à Hollywood, mais apparemment sans événement majeur dans sa vie artistique.

Adhelma Falcón (1902-1987),

Je vous propose de découvrir Adhelma avec l’un de ses enregistrements :

Cortando camino 1930 – Adhelma Falcón con guitarras

Adhelma prouve par cet enregistrement qu’elle avait une voix qui pouvait rivaliser avec celle de sa demi-sœur. Elle était en plus compositrice et auteure, de quoi lui assurer la gloire, mais cela a été pour la petite Ada, la plus jeune des trois. Elle a arrêté sa carrière en 1946, peu après Ada.
En 1989 Ada a accusé son aînée de s’être fait passer pour elle dans des tournées et de signer des autographes en son nom. Cinquante ans après les faits supposés, on peut s’étonner de cette révélation.
Cela confirme toutefois la qualité de chanteuse d’Adhelma et sa beauté. En 1934, elle a devancé Ada dans un concours organisé par la revue Sintonía. Le but de ce concours était d’élire la plus belle Miss Radio (ce qui peut sembler étonnant vu qu’à la radio on ne voit pas les visages… La gagnante fut Libertad Lamarque, mais Adhelma a obtenu beaucoup plus de voix (votes) que Ada.
Peut-être que ces points expliquent la brouille entre les deux femmes, mais une autre histoire court selon laquelle Canaro aurait été infidèle à Ada avec Adhelma

Ada Falcón

Ada est née elle-même d’une infidélité de sa mère avec un estanciero de Junín… Elle est donc la demi-sœur de Amanda et Adhelma.
Elle a suivi le chemin des deux aînées, mais semble-t-il avec plus de . Cela tient peut-être dans le fait que Ada a rencontré Canaro. Et c’est cette rencontre qui marquera la vie des deux.

Ada y Francisco

La romance entre Canaro et Ada est bien connue. Ada qui a commencé à travailler très jeune et après un passage dans l’orchestre de Fresedo et le trio de Delfino avec qui elle a enregistré jusqu’au 20 juillet 1929 et 4 jours plus tard, elle enregistrait avec Canaro.
La majorité des titres sont mentionnés comme étant de Ada Falcón accompagnée par Francisco Canaro. Elle était la vedette. Par ailleurs, beaucoup des titres qu’elle a chantés ont été composés par Canaro avec des thèmes pouvant coïncider avec leur histoire d’amour. Le plus célèbre et le premier est Yo no sé qué me han hecho tus ojos.

Yo no sé qué me han hecho tus ojos 1930-09-17 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Paroles et musiques de Francisco Canaro. Une déclaration d’amour à Ada.
Cette histoire eu comme fin le refus de Canaro de divorcer de La Francesa, son épouse. Dans ses mémoires, Canaro le conte de façon un peu différente, Ada aurait répondu à un appel de Dieu, pas tout à fait sincère le Francisco.
La réalité semble plus prosaïque. Les avocats de Canaro auraient affirmé qu’il aurait dû donner la moitié de ses biens à sa femme en cas de divorce, ce à quoi, étant né pauvre, il s’est refusé.
Le refus fut sans doute très mal pris par Ada qui avait son caractère, mais le point final fut soit l’histoire avec sa demi-sœur Adhelma contée ci-dessus, soit le fait que La Francesa soit venue dans la loge et surprenant Ada sur les genoux de Francisco aurait menacé de les tuer avec le pistolet qu’elle avait apporté.
Quoi qu’il en soit, cela a mis fin à leur relation professionnelle, mais leur amour est resté en filigrane. Ainsi, leur dernière séance d’enregistrement a eu lieu le 28 septembre 1938 et les deux derniers thèmes ont été Nada más et No mientas, (Plus jamais et Ne mens pas).
Quatre ans plus tard, Francisco Canaro enregistre la valse Viviré con tu recuerdo avec .
Au bout de quatre mois, Ada donnera sa réponse en enregistrant pour la dernière fois de sa vie, la même valse, Viviré con tu recuerdo (Je vivrai avec ton souvenir) et encadenado (cœur enchaîné), un autre thème composé par Canaro et qui peut être considéré comme une autre preuve de l’amour d’Ada pour Francisco. Ce dernier enregistrement est un adieu, un adieu à Canaro, mais aussi à la vie séculaire, puisqu’elle se retira dans un couvent.
Pour clore cette histoire, je vous propose la fin du documentaire sur Ada Falcón, de Lorena Muñoz et Sergio Wolf « Yo no sé qué me han hecho tus ojos » (Argentina – 2003).

20 secondes d’émotion quand le journaliste demande à Ada Falcón qui fut son grand amour et qu’elle répondit en pleurant, je ne me souviens pas. Allí se le preguntó quién había sido su gran amor”, « No recuerdo« .

Autres versions

Il n’y a que trois enregistrements valables de ce thème et les trois impliquent au moins un des protagonistes de la chanson.
J’ai d’autres versions, mais elles sont suffisamment moches pour que je ne vous les propose pas. Je ne voulais pas gâcher cette histoire d’amour avec des versions moyennes.

Viviré con tu recuerdo 1942-04-24 – Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.

C’est le premier enregistrement du thème de Canaro par Canaro. C’est clairement un message adressé à Ada avec l’aide de son complice, Ivo Pelay, qui était également un proche des sœurs Falcón.

Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza.

Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 – Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza. La réponse de la bergère, Ada, au berger Francisco.
Roberto Garza ( López), le bandonéoniste qui accompagne avec ses musiciens Ada Falcón n’est pas un chef habituel. Il a réalisé entre 1941, quelques enregistrements en accompagnement de et enregistré deux titres avec Ignacio Corsini. Le double enregistrement du 4 août 1942 est donc motivé par le besoin d’Ada de répondre à Francisco. Ce sont ses adieux à Canaro et au monde.

Viviré con tu recuerdo 1954-11-17 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Viviré con tu recuerdo 1954-11-17 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro. Douze ans plus tard, Canaro, à la tête de son Quinteto Pirincho enregistre une version instrumentale, comme un écho, comme pour dire à Ada, je pense toujours à toi.

À propos des « éditeurs » de disques

J’ai une collection musicale plutôt riche (plus de 100 000 titres, pas seulement de tango), mais je fais de la veille, notamment pour découvrir des versions par de nouveaux orchestres. J’ai donc jeté un œil à Spotify, un service de musique grand public, d’une grande médiocrité, car il ne vérifie pas les éléments qu’ils publient. Curieusement beaucoup de DJ de tango l’utilisent, parfois même en direct…
Je ne parle pas de la qualité sonore proposée par la plateforme, elle est techniquement suffisante pour passer de la musique de tango ancienne, mais de la qualité des versions qu’ils diffusent, s’approvisionnant auprès d’éditeurs peu scrupuleux, voire crapuleux. Ces derniers proposent des versions très mal numérisées et souvent horriblement retouchées, voire tronquées.

Presque toutes les mentions sont fausses. Une seule est complète et juste.

Voici une copie d’écran de Spotify. Le seul enregistrement correctement indiqué est notre tango du jour. Les autres sont soit incomplets (mention de l’orchestre sans le chanteur, mention du chanteur sans l’orchestre), soit carrément faux, comme une version de Mercedes Simone qui est en fait celle de Ada Falcón passée un peu plus vite. 90 % d’erreur, ce n’est pas très honorable.
Non seulement c’est une preuve de médiocrité, mais en plus, c’est ne rien comprendre à l’histoire. Indiquer que Ada Falcón a enregistré avec Canaro en 1942, c’est méconnaître l’histoire et ne pas regarder les étiquettes des disques.
Les éditeurs se contentent de piquer des musiques dans leur fonds, sans se soucier de la qualité, de l’exactitude de ce qu’ils publient. Ils prennent n’importe quel CD, réalisé d’après n’importe quel disque vinyle ayant massacré le disque 78 tours d’origine, en rajoutant une couche de destruction avec le Remasterizado ».
C’est tout simplement scandaleux. Quand je pense que les éditeurs de musique se goinfrent sur le dos des organisateurs d’événements en ayant détourné la raison d’être de la SACEM, ce qui est un comble quand on pense que Canaro était un des précurseurs des droits d’auteurs en Argentine avec la création de la SADAIC.

Francisco Canaro et Ada Falcón

Voilà, on se quitte avec la photo de nos deux amoureux tragiques.

À demain, les amis !

Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Lucio Demare Letra : Homero Manzi

Malena chante le tango comme personne et cela se sait depuis au moins 1941, date à laquelle Lucio Demare a composé ce tango qui sera inséré dans le film de son frère, Lucas, El Viejo Hucha. Ce magnifique tango qui a bénéficié du talent de Lucio Demare pour la musique et de pour les paroles a eu, a et sans doute aura longtemps un gros succès.

Lucio Demare, à gauche, Homero Manzi, à droite. Manzi a écrit le texte, l’a donné à Demare qui a composé hyper rapidement la musique. C’est l’effet Malena.

Extrait musical

Malena, Lucio Demare et Homero Manzi. Partition de . Au centre, une partition que j’ai créée pour expliquer dans mes cours le fonctionnement des parties au tango et comme c’est justement à propos de Malena…
Malena 1942-01-08 – Orquesta con Francisco Fiorentino

Paroles

Malena canta el tango como ninguna
y en cada verso pone su .
A yuyo del suburbio su voz perfuma,
Malena tiene pena de bandoneón.
Tal vez allá en la infancia su voz de alondra
tomó ese tono oscuro de callejón,
o acaso aquel romance que sólo nombra
cuando se pone triste con el alcohol.
Malena canta el tango con voz de sombra,
Malena tiene pena de bandoneón.

Tu canción
tiene el frío del último encuentro.
Tu canción
se hace amarga en la sal del recuerdo.
Yo no sé
si tu voz es la flor de una pena,
só1o sé que al rumor de tus tangos, Malena,
te siento más buena,
más buena que yo.

Tus ojos son oscuros como el olvido,
tus labios apretados como el rencor,
tus manos dos palomas que sienten frío,
tus venas tienen sangre de bandoneón.
Tus tangos son criaturas abandonadas
que cruzan sobre el barro del callejón,
cuando todas las puertas están cerradas
y ladran los fantasmas de la canción.
Malena canta el tango con voz quebrada,
Malena tiene pena de bandoneón.

Lucio Demare Letra: Homero Manzi

Traduction libre

Les paroles sublimes de Manzi se suffisent à elles-mêmes. Je vous en laisse savourer la poésie à travers ma traduction (ou celle de Google, pour ceux qui lisent dans une autre langue que l’espagnol ou le français).

Malena chante le tango comme personne et dans chaque couplet, met son cœur.
À l’herbe des banlieues, sa voix parfume, Malena a une peine de bandonéon.
Peut-être que dans son enfance, sa voix d’alouette a pris ce ton obscur de ruelle, ou peut-être cette romance qu’elle ne nomme que lorsqu’elle est triste avec l’alcool.
Malena chante le tango d’une voix d’ombre, Malena a une peine de bandonéon.
Ta chanson a le froid de la dernière rencontre.
Ta chanson devient amère dans le sel de la mémoire.
Je ne sais pas si ta voix est la fleur d’un chagrin, je sais seulement qu’à la rumeur de tes tangos, Malena, je te sens meilleure, meilleure que moi.
Tes yeux sont sombres comme l’oubli, tes lèvres sont serrées comme le ressentiment, tes mains sont deux colombes qui ont froid, tes veines ont du sang de bandonéon.
Tes tangos sont des créatures abandonnées qui traversent la boue de la ruelle, lorsque toutes les portes sont fermées et que les fantômes de la chanson aboient.
Malena chante le tango d’une voix cassée, Malena a une peine de bandonéon.

Autres versions

On considère généralement que c’est Troilo qui a lancé le titre. Ce n’est pas faux, mais en fait Demare l’interprétait avec Juan Carlos Miranda, dès 1941 au .

Le cabaret Novelty où jouait Lucio Demare et où il inaugura Malena avec Juan Carlos Miranda. Photo de 1938 (3 ans plus tôt).

D’accord, il le jouait, mais il ne l’a pas enregistré alors c’est bien Troilo le premier. Que non, mon ami. Lucio Demare l’a enregistré avec Juan Carlos Miranda à la fin de 1941, mais cette version est restée « secrète » jusqu’au 29 avril 1942.
Il s’agit de la version enregistrée pour le film El Viejo Hucha, réalisé par Lucas Demare, son frère et avec Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda.
Et voici donc la première version enregistrée qui est bien de Lucio Demare avec Juan Carlos Miranda. Juan Carlos Miranda qui chante dans l’ est remplacé dans le film par OsvaldoMiranda, mais rien à voir avec l’autre Miranda, car Juan Carlos s’appelait en fait Rafael Miguel SciorraOsvaldo a également chanté, mais pas dans ce film, à ses débuts avant de devenir acteur. Il était ami avec Manzi (que le monde est petit…).

Osvaldo Miranda faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enregistrée de Juan Carlos Miranda qui chante Malena dans le film El Viejo Hucha.
Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est notre tango du jour.

C’est le vrai faux premier enregistrement et le premier sorti en disque.

Malena 1942-01-23 – Orquesta Lucio Demare con Juan Carlos Miranda.

Une autre version de Demare et Miranda (le vrai), en disque, 15 jours après Troilo.

Malena 1950-12-12 – Quintin Verdu et son Orchestre con Lucio Lamberto.

Cet attachant orchestre français propose sa version de Malena.

Malena 1951-09-20 – Orquesta Lucio Demare con Héctor Alvarado.

Le compositeur enregistre sa troisième version du titre. Le chanteur, Alvarado âgé alors de 25 ans, est le seul chanteur de l’orchestre à l’époque. Demare l’a engagé l’année précédente. Sa voix correspond bien au style de l’orchestre, on comprend donc le choix de Lucio.

Malena 1951 – Orquesta José Puglia – Edgardo Pedroza con Francisco Fiorentino.

L’orchestre Puglia-Pedroza est assez rare, mais ils ont recruté un bon chanteur pour cet enregistrement. La partie orchestrale de l’introduction est un peu trop appuyée, avec des nuances exagérées. Si la voix de Fiorentino crée rapidement son cocon, la transition avec l’introduction est un peu rude. Par la suite, l’orchestre sera plus raisonnable et plus en accompagnement. Une version qui aurait pu être meilleure, mais qui vaut d’être écouté tout de même.

Malena 1952 – Orquesta Aníbal Troilo con Raúl Berón arr. de Héctor Artola.

Aníbal remet sur disque le titre, cette fois avec des arrangements de Artola, un arrangeur très réputé, qui après avoir été pianiste et bandonéoniste s’est concentré sur la direction d’orchestre et les arrangements. Il composa aussi quelques titres.

Malena 1955-08-02 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.

Cela faisait un petit moment que Canaro n’avait pas pointé son nez. Le voici, avec une version assez différente, avec un rythme bien marqué. Disons que c’est une tentative de replacer le titre du côté de la danse. L’interprétation de Rolón, s’accommode toutefois de la rigueur de l’orchestre, mais je trouve qu’il reste quelques aspérités qui font que l’œuvre ne coule pas de façon parfaitement fluide.

Malena 1961 – Edmundo Rivero con orquesta.

Une version puissante par Rivero.

Malena 1963c – Astor Piazzolla con Héctor de Rosas.

Un Piazzolla, à écouter, mais il vous réserve une autre version 4 ans plus tard qui décoiffe plus.

Malena 1965 – Orquesta Miguel Caló con Roberto Luque.

J’ai un peu de mal à accrocher avec cette version. Je ne la proposerai pas en milonga.

Malena 1965 – Orquesta Miguel Caló con y glosas de .

Le fait que Gagliardi parle assez longtemps rend le titre peu propice à la danse. Mais de toute façon, Caló ne sera vraiment pas mon choix pour faire danser avec Malena.

Malena 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta con voz de mujer.

Une autre interprétation, plus innovante. Avec Astor, on est à peu près sûr de ne pas être dans le champ de la danse, alors, on écoute, tranquillement ou anxieusement cette version foisonnante ou de temps à autre le thème de Malena vient distiller sa sérénité relative. La voix de femme « céleste » qui termine comme une sirène mourante et les claquements terminent le titre de façon inquiétante.

Malena 1974-12-11 – Orquesta .

Pour beaucoup, c’est la Malena de l’île déserte, la version qu’il faut emporter. Il faut dire que Pugliese nous livre ici un exceptionnel. Malgré sa grande puissance expressive, il pourra être considéré comme dansable par les danseurs les moins farouches. Si on a entendu ci-dessus, des versions décousues, manquant d’harmonie ou de cohérence, ici, c’est une surprise, chaque mesure suscite l’étonnement, tout en laissant suffisamment de repères pour que ce soit relativement dansable. Ceux qui trouvent que c’est difficile, vu que c’est le tango de l’île déserte, ils auront tout le temps de s’approprier la musique pour la danser parfaitement.

Qui est Malena ?

Il y a six prétendantes sérieuses au titre et sans doute bien d’autres.

6 des Malena potentielles. Si vous lisez les articles ci-dessous, vous pourrez savoir qui elles sont et élire celle qui vous parait la plus vraisemblable…

Ceux qui veulent savoir qui était Malena peuvent jeter un œil sur l’article de TodoTango
https://www.todotango.com/historias/cronica/89/Malena-Quien-es-Malena
Ou sur celui de la Nacion avec des photos de prétendantes
https://www.lanacion.com.ar/lifestyle/quien-fue-malena-mitos-y-verdades-sobre-la-leyenda-del-tango-que-inspiro-a-homero-manzi-y-cantaba-nid26042022
Ou encore : https://rauldeloshoyos.com/el-dia-de-malena-manzi-demare/
mais j’ai plein d’autres propositions et je trouve qu’au fond, ce n’est pas si important. C’est à chacun de mettre l’image de sa Malena sur ce tango.

À demain, les amis !

Sentimiento gaucho 1954-07-30 – Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda

Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Nous avons vu les liens entre et le théâtre, le cinéma, la radio. Notre , Sentimiento gaucho a tous ces liens et en plus, il a gagné un concours… Il n’est donc pas étonnant qu’il dispose de dizaines de versions, voyons donc ce Sentimiento gaucho à partir de la version orientale, de et .

La firme Max Glücksmann est celle qui a créé la maison de disques Odeón, que vous connaissez bien maintenant. Cette société a organisé à partir de 1924 différents concours annuels qui se déroulaient dans différents lieux à Buenos Aires et Montevideo.
Trois fois par semaine, durant le concours, l’orchestre « officiel » qui était différent chaque année, jouait les tangos qui avaient été sélectionnés par l’entreprise pour concourir.
Les jours concernés, l’orchestre jouait deux fois la sélection, une fois pour la séance de cinéma de 18 heures et une fois pour la séquence de cinéma de 22h30.
Le public votait grâce à un coupon placé sur le ticket d’entrée au théâtre/cinéma.
En 1924, la première année du concours, c’est Sentimiento Gaucho qui gagna.
L’orchestre qui a joué les œuvres électionnées était celui de Roberto Firpo, un orchestre gonflé pour atteindre 15 musiciens, dans le Théâtre et la radio LOW, Radio Grand Splendid retransmettait également la prestation de l’orchestre.
On voit que le dispositif était particulièrement élaboré et que Max Glücksmann avait mis les moyens.
La version présentée était instrumentale, car les trois premières années du concours, il n’y avait pas de chanteur, « seulement » 15 musiciens.
Le palmarès de cette année a été le suivant :

Extrait musical

Sentimiento gaucho. Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso.

À gauche, la partition Ricordi qui correspond au texte des paroles habituelles. À droite de la partition, le premier prix gagné par Canaro (il n’y avait pas de paroles et c’était donc cohérent de représenter un gaucho). À l’extrême droite, la couverture de la partition avec les paroles censurées.

Sentimiento gaucho 1954-07-30 – Orquesta Donato Racciatti con Nina Miranda

Paroles

En un viejo almacén del Paseo Colón
Donde van los que tienen perdida la fe
Todo sucio, harapiento, una tarde encontré
A un borracho sentado en oscuro rincón
Al mirarle sentí una profunda emoción
Porque en su alma un dolor secreto adiviné
Y, sentándome cerca, a su lado, le hablé
Y él, entonces, me hizo esta cruel confesión
Ponga, amigo, atención

Sabe que es condición de varón el sufrir
La mujer que yo quería con todo mi
Se me ha ido con un hombre que la supo seducir
Y, aunque al irse mi alegría tras de ella se llevó
No quisiera verla nunca… Que en la vida sea feliz
Con el hombre que la tiene pa’ su bien… O qué sé yo
Porque todo aquel amor que por ella yo sentí
Lo cortó de un solo tajo con el filo’e su traición

Pero inútil… No puedo, aunque quiera, olvidar
El recuerdo de la que fue mi único amor
Para ella ha de ser como el trébol de olor
Que perfuma al que la vida le va a arrancar
Y, si acaso algún día quisiera volver
A mi lado otra vez, yo la he de perdonar
Si por celos a un hombre se puede matar
Se perdona cuando habla muy fuerte el querer
A cualquiera mujer

Francisco Canaro; Rafael Canaro Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre et indications

Dans un vieux magasin (El almacén, est à a la fois un magasin, un bar, un lieu de vie, de musique et danse, etc.) du Paseo Colón (rue du sud de Buenos Aires) où vont ceux qui ont perdu la foi.
Tout sale, en haillons, un après-midi, j’ai trouvé un ivrogne assis dans un coin sombre.
En le regardant, j’éprouvai une profonde émotion parce que dans son âme je devinais une douleur secrète.
Et assis près de lui, je lui ai parlé, et il m’a fait cette cruelle confession.
Fais attention, mon ami.
Sache que c’est la condition de l’homme que de souffrir.
La femme que j’ai aimée de tout mon cœur s’en est allée avec un homme qui a su la séduire et, avec son départ, elle a emporté ma joie avec elle.
Je ne voudrais jamais la revoir… Puisse-t-elle être heureuse dans la vie avec l’homme qui l’a pour la sienne…
Ou qu’est-ce que j’en sais pourquoi tout cet amour que je ressentais pour elle, elle l’a coupé d’un seul coup avec la lame de sa trahison.
Mais inutile… Je ne peux pas, même si je le voulais, oublier le souvenir de celle qui était mon seul amour. Pour elle, il faut être comme le trèfle d’odeur (mélilot) qui parfume celui que la vie va arracher.
Et si un jour elle veut revenir vers moi, je lui pardonnerai.
Si un homme peut être tué par jalousie, cela se pardonne quand parle très fort l’amour à quelque femme que ce soit.

Il existe deux autres versions des paroles, mais le problème sur le site ne m’a pas laissé le temps de les retranscrire.
Une version censurée, ou l’ivrogne dans le bar devient un paysan dans un champ et l’autre une version humoristique de Trio Gedeón. J’y reviendrai un jour, mais pour l’instant, ma priorité est de rétablir le site.

Autres versions

Pour les mêmes raisons que le gros raccourcissement de l’anecdote du jour, le problème sur le site, je ne propose pas les autres versions de Sentimiento Gaucho.
Là encore, j’essayerai de rattraper, dès que possible, lorsque le site sera remis en état.
Je vous présente tout de même cette version sympa où on voit chanter Ada Falcon. C’est dans le film : Idolos de la radio de Eduardo Morera

Ada Falcon dans Idolos de la radio de Eduardo Morera chante Sentimiento Gaucho.

j’espère à demain, les amis, avec une version plus complète…

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tango qui ne laisse pas les tangueros se reposer, notamment dans cette version. Les deux Pedro, Laurenz puis Maffia ont créé un monstre qui aspire toute l’énergie vitale des de la première à la dernière note. Le charme semble aussi avoir opéré également sur les directeurs d’orchestre, car de très nombreuses versions en ont été enregistrées. La version du jour est par l’un des deux compositeurs, Laurenz avec Juan Carlos Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tango a été donné par De Grandis qui avait écrit un texte, sur la misère de l’abandon. En 1925-1926, il était violoniste dans le sexteto du bandonéoniste Enrique Pollet, celui qu’on retrouvera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe variation finale de Recuerdo.

Un jour que ce sexteto jouait dans son lieu habituel, Le Café El Parque (près de Tribunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Laurenz qui était ami de Pollet prit connaissance du texte et sur l’instant sur son bandonéon, imagina un air pour la première partie, puis il alla le montrer à Pedro Maffia qui était alors au cinéma Select Lavalle, à proximité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maffia fut tellement enthousiasmé qu’il demanda à Laurenz de pouvoir le terminer.
Et ainsi, le tango intégra le répertoire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beaucoup d’autres.
Après cette première vague, le tango fut moins enregistré, juste ressuscité à diverses reprises par Laurenz. La seconde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nouvelle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beaucoup d’orchestres ont ce tango à leur répertoire.
Pedro Laurenz l’a enregistré au moins cinq fois, vous pourrez comparer les versions dans la partie « autres versions ».

Extrait musical

Amurado. Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis La dédicace est au , qui deviendra le Directeur del Hospital General de Agudos José María Penna de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

Tout commence par un puissant appel du bandonéon qui résonne comme un , puis la machine se met en marche. Le rythme est puissamment martelé, par les bandonéons, la contrebasse, le piano, en contrepoint, des plages de douceur sont données par les violons et en son temps par Juan Carlos Casas, mais à aucun moment le rythme et la tension ne baissent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aussi un magnifique solo de bandonéon, indispensable pour un titre composé par deux bandonéonistes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peuvent prendre du plaisir sans remord. Cette incroyable composition emporte les danseurs et hérisse les poils de bonheur de bout en bout. Cette version est une merveille absolue qui fait regretter que Laurenz et Casas n’ait pas plus enregistré.

Paroles

Campaneo a mi catrera y la encuentro desolada.
Sólo tengo de recuerdo el cuadrito que está ahí,
pilchas viejas, unas flores y mi alma atormentada…
Eso es todo lo que queda desde que se fue de aquí.

Una tarde más tristona que la pena que me aqueja
arregló su bagayito y amurado me dejó.
No le dije una palabra, ni un reproche, ni una queja…
La miré que se alejaba y pensé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Tengo blanca la cabeza!
¿Será acaso la tristeza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a buscar felicidad.

Bulincito que conoces mis amargas desventuras,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me faltan sus caricias, sus consuelos, sus ternuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuántas noches voy vagando angustiado, silencioso
recordando mi pasado, con mi amiga la ilusión !…
Voy en curda… No lo niego que será muy vergonzoso,
¡pero llevo más en curda a mi pobre corazón!

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra: José Pedro de Grandis

Juan Carlos Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je contemple mon lit et le trouve désolé.
Je n’ai comme souvenir que le petit tableau qui est ici, de vieilles couvertures, quelques fleurs et mon âme tourmentée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est partie d’ici.
Un après-midi plus triste que le chagrin qui m’afflige, elle a préparé son petit bagage et m’a laissé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloigner et j’ai pensé :
Tout à une fin !
Si elle me voyait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire solitude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bonheur.
Petit logis, qui connaît mes mésaventures amères, ne t’étonne pas que je parle tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me manquent ses caresses, ses consolations, sa tendresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Combien de nuits je vais vagabondant, angoissé, silencieux, me souvenant de mon passé, avec mon ami l’illusion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit honteux, mais je supporte mieux mon pauvre cœur quand je suis bourré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les versions par les auteurs (Maffia, 1 version et Laurens, 5 versions).

Amurado 1927-02-11 – Orquesta Roberto Firpo.

Une version calme, sans doute trop calme si on la compare à notre tango du jour…

Amurado 1927-04-08 – Orquesta Francisco Lomuto.

Une autre version tranquille, exécutée avec conscience, mais sans doute pas de quoi susciter la folie.

Amurado 1927-06-08 – con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie interprétation de Corsini, à écouter, bien sûr.

Amurado 1927-07-20 – Pedro Maffia y (Duo de bandoneones).

Pedro Maffia l’auteur de la seconde partie nous propose ici sa version en duo avec Alfredo De Franco. Une version simple, mais plus rapide que les autres de l’époque. Il nous manque certains instruments auxquels nous sommes désormais habitués pour totalement apprécier cette version qui peut paraître un peu monotone et répétitive.

Amurado 1927-07-22 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Avec seulement deux guitares, Gardel donne la réponse à Corsini qui le mois précédent avait enregistré le titre avec trois guitares. C’est également joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amurado 1927-08-16 – Orquesta Francisco Canaro con Agustín Irusta.

Canaro enregistre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses caractéristiques de l’époque. De jolis traits de violon et bandonéon allègent un peu le marquage puissant du rythme. La voix de Irusta, un peu nasale, apporte une petite variation dans cette interprétation qui ne sera sans doute pas à la hauteur des danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1927-09-07 – Agustín Magaldi con guitarras.

Il ne manquait que lui, après Corsini et Gardel, voici Magaldi. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les versions des deux concurrents, mais ça se laisse écouter.

Amurado 1927-09-12 – Orquesta Julio De Caro.

Je pense que dès les premières mesures vous aurez remarqué la différence d’ambiance par rapport à toutes les versions précédentes. Le rubato marqué, parfois exagéré et la variation du solo de bandonéon sont déjà très proches de ce que proposera Laurenz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui apparaissent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instruments atypiques.

Amurado 1927-12-06 – Orquesta Juan Maglio « Pacho » con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la modernité, mais la partie d’orchestre est assez sympathique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus difficile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amurado 1928 – Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina con .

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fugazot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pourra que placer un magnifique accord final.

Amurado 1940-07-29 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

C’est notre tango du Jour. Si on note la filiation avec l’interprétation de De Caro, la version donnée par Laurenz est éblouissante en tous points. Il a fait le ménage dans les propositions parfois un peu confuses de De Caro et le résultat est parfait pour la danse.

Amurado 1944-11-24 – Orquesta .

Tout en restant fidèle à l’écriture de Laurenz, Pugliese propose sa version avec une pointe de Yumba et son alternance de moments tendus et d’autres, relâchés, et des nuances très marquées. Le résultat est comme toujours superbe, mais beaucoup plus difficile à danser pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version. En milonga, c’est donc à réserver à des danseurs expérimentés ou motivés. L’accélération de la variation en solo du bandonéon qui nous mène au final est tout aussi belle que celle de Laurenz, les danseurs pourront s’y donner rendez-vous pour oublier les petits pièges des parties précédentes.

Amurado 1946 (transmisión radial) – Orquesta Pedro Laurenz.

Six ans plus tard, Laurenz propose une version instrumentale. Il s’agit d’un enregistrement radiophonique, d’une qualité impossible pour la danse, mais nous avons une version enregistrée l’année suivante.

Amurado 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.

Cette version est très proche et je ne la proposerai sans doute pas, car je suis sûr que le petit chanté par Casas va manquer aux danseurs.

Amurado 1952-09-25 – Orquesta Pedro Laurenz.

Après un peu de temps de réflexion, Laurenz propose une nouvelle version, très différente. On sent qu’il a voulu dans la première partie tirer parti des idées de Pugliese, mais la réalisation est un peu plus sèche, moins coulée et la seconde partie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta première version, même si on garde de cette version le final qui est tout aussi beau que dans l’autre.

Amurado 1955-09-16 – Orquesta José Basso.

Basso reprend l’appel initial du bandonéon, en l’accentuant encore plus que Laurenz dans sa version de 1940. Un violon virtuose nous transporte, puis le bandonéon tout aussi agile reprend le flambeau. Par moment on retrouve l’esprit de la version de la version de Laurenz en 1940, mais entrecoupée de passages totalement différents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rappels proches de Laurenz peuvent leur faire regretter l’original, mais les idées différentes peuvent aussi éveiller leur curiosité et les intéresser. Peut-être à tenter dans un lieu rempli de danseurs un peu curieux.

Amurado 1956 – Edmundo Rivero con acomp. de Carlos Figari y su Orquesta.

Une version à écouter, avec la puissance d’un grand orchestre.

Amurado 1956c – Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, harmoniciste que l’on retrouvera 12 ans plus tard avec une version encore plus intéressante.

Amurado 1959-01-08 – Orquesta José Basso.

Encore Basso, qui s’essaye à l’amélioration de son interprétation et je trouve que c’est une réussite qui devrait intéresser encore plus de danseurs que la version de 1955.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo.

Amurado 1961-09-08 – Jorge Vidal con acomp. de guitarras, cello y contrabajo. Vidal avec ce conjunto de cordes nous propose une version très originale. Sa superbe voix est parfaitement mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dommage que ce ne soit pas pour la danse.

Amurado 1962-04-19 Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa.

Dans la première époque du titre, on avait entendu Corsini, Gardel et Magaldi. Dans cette nouvelle période, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tango. Une version qui fait se dresser les poils de plaisir. Quelle version !

Amurado 1962-12-19 – Aníbal Troilo y en vivo.

Un enregistrement avec un public enthousiaste, qui masque parfois la merveille du bandonéon exprimé par Troilo, extraordinaire.

Amurado 1968 Pedro Laurenz con su Quinteto.

La dernière version enregistrée par Pedro Laurenz, avec la guitare électrique en prime. Une version à écouter, mais pas inintéressante.

Amurado 1972 – .

Le meilleur harmoniciste nous propose une version plus aboutie.

Amurado 1975 – Sexteto Mayor.
Amurado 1981 – Orquesta Leopoldo Federico.

Bien au-delà de la version avec Sosa, l’orchestre s’exprime magnifiquement. On est bien sûr totalement hors du domaine de la danse, mais c’est une merveille.

Amurado 1990 Roberto Goyeneche con arreglos y dirección de Raúl Garello.

Goyeneche manquait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son répertoire. Cet enregistrement comble cette lacune.

Amurado 1995-08-23 – Sexteto Tango.

Une version par les anciens musiciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de versions, vous avez encore une fois un échantillon de la richesse du tango. En général, seules une ou deux versions passent en milonga, mais quelquefois les modes changent et des titres oubliés redeviennent à la mode. Ainsi, le tango reste vivant et quand des orchestres contemporains se chargent de rénover la chose, c’est parfois une seconde chance pour les titres.

Sur ces entrefaites, je vous dis, à demain, les amis.

Frío 1938-07-26 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Joaquín Mauricio Mora Letra: José María Contursi

Sans doute influencé par la température polaire de ces derniers jours à Buenos Aires, j’ai choisi Frío (Froid) pour l’anecdote du jour. Cette version magnifique et presque orpheline a été enregistrée par Canaro et Maida il y a exactement 83 ans… Cet enregistrement parle d’un froid interne, mais il a été enregistré en hiver, comme l’a été l’année précédente (l’hiver) par les mêmes… Je vous invite à grelotter.

Un petit mot sur Joaquín Mauricio Mora (1905-1979)

Certains talents passent un peu dans l’oubli, tout comme ce magnifique et je suis content de les rappeler à notre souvenir.
Joaquín Mora est né en 1905 en Uruguay, d’une mère de ce pays et d’un père argentin. Il fit de sérieuses études musicales au point de devenir professeur de piano et il se toqua pour le bandonéon qui bien qu’aussi un instrument à touches exige une dextérité différente. Avec cet instrument qu’il apprit de façon autodidacte, il jouera dans de nombreux orchestres, par exemple avec Azucena Maizani et le Trio Irusta-Fugazot-Demare en Europe et il fut l’un des bandonéonistes de Miguel Caló.

Portraits de Joaquin Mora. En haut dans l’orchestre de Miguel Calo en 1935, en bas avec les musiciens de son orchestre en 1936. À droite, avec son orchestre en Uruguay

Il tourna également en Amérique du Sud, et joua même avec la Sonora Matancera (en 1949).

Cartes de musicien de Mora : Colombie — Managua au Nicaragua — Medellín (Colombie).

Un jour il perdit son bandonéon et il continua comme pianiste…
Mais il fut aussi un compositeur intéressant.
Parmi ses compositions, citons celles dont nous avons des enregistrements. Une bonne partie étant avec des paroles de Contursi :
Al verla pasar / Como aquella princesa / Esclavo / Frío / Más allá / Sin esperanza (Vals)
Tangos sans paroles de Contursi (instrumentaux ou avec d’autres paroliers) :
Divina (marche puis en tango) / En las sombras / Margarita Gauthier / Si volviera Jesús / Ushuaia / Volver a vernos / Yo soy aquel muchacho

Extrait musical

Frío 1938-07-26 – Orquesta con Roberto Maida.

Le mode mineur prédominant dans cette musique donne un air de tristesse. Maida chante délicatement, mais en suivant le rythme soutenu de l’orchestre qui ne se calmera que dans les dernières secondes par un ralentissement (calendo ou même morendo).

Paroles

De vraiment très belles paroles, mais José María Contursi nous a habitué à ces splendides et simples.

Por qué seguir penando así
Si el sol no brilla para mí,
En esta noche inacabable, mi querer
Se desangra lentamente por ti.

No sé si el viento llevará
Mi voz, cansada de llamar,
Giro la vista, angustiado
De ver a mi lado
Sombras, .

Me agobia el peso de las penas mías
Anduve tanto y tanto, sin llegar,
Mi espíritu cansado, necesita
Quebrar sus alas mustias y olvidar.
Si encontrara un reparo en el camino
Donde el alma pudiera cobijar,
Garúa de y este frío
Este frío mortal, mi soledad.

Busqué la paz en la oración
Mi voz, un rezo musitó,
Y en las palabras,
Las primeras que aprendí
Y el recuerdo de mi madre, me ahogó.

Joaquín Mauricio Mora Letra: José María Contursi

Roberto Maida ne change que ce qui est en gras. Podestá, chante tout et fait même des reprises…

libre des paroles

Pourquoi continuer à pleurer ainsi si le soleil ne brille pas pour moi, en cette nuit sans fin, mon amour saigne lentement pour toi.
Je ne sais pas si le vent portera ma voix, fatiguée d’appeler, je détourne le regard, angoissé de voir des ombres à mon côté, rien de plus.
Le poids de mes peines me submerge, j’ai tant et tant marché, sans arriver, mon esprit fatigué, a besoin de briser ses ailes desséchées et d’oublier.
Si je trouvais une retraite sur le chemin où l’âme pouvait s’abriter, un crachin (pluie fine) de souvenirs et ce froid, ce froid mortel, ma solitude.
Je cherchais la paix dans la prière, ma voix murmurait une obsécration, et dans les mots, les premiers que j’appris et le souvenir de ma mère, je me noyais.

Ce joli texte et cette exquise musique n’ont pas fait beaucoup d’adeptes. On notera tout de même une version par avec l’auteur, Joaquín Mora.

Frío 1938-07-26 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.
Frío 1960 – Podestá Acc. Joaquín Mora y su orquesta.

On se rend compte avec cette version de l’écriture novatrice de Mora que le classicisme de Canaro avait estompée. En fait, c’est presque l’inverse, car la musique de Mora donne des références à la musique classique française de l’époque. Pfffff. Pas facile à expliquer, tout cela.
C’est à écouter, mais c’est une belle réalisation.

À demain, les amis et à ceux qui ont lu jusqu’au bout. Je me suis rendu compte aujourd’hui que certains ne voyaient que le chapô et la photo sur Facebook, négligeant de cliquer sur le lien où se trouve l’anecdote du jour…

Faîtes passer l’info si vous pensez que les anecdotes peuvent les intéresser.

Les anecdotes de tango, c’est un site, pas une photo avec trois lignes sur Facebook. Pensez à cliquer sur le lien…

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)

Au début des années 2000, dans une milonga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fallait pas frapper du pied, que ça ne se faisait pas en tango. Il ne savait sans doute pas qu’il reproduisait l’interdiction de Anselmo Tarana, un siècle plus tôt. Je vais donc vous raconter l’histoire frappante de .

Extrait musical

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour piano et deux couvertures, dont une avec Canaro.
El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

Vous aurez remarqué, dès le début, l’incitation à frapper du pied. On retrouve cette invitation sur les partitions par la mention golpes (coups).

El esquinazo – Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito). Partition pour guitare (1939).

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime

Dès le début de la partition, on voit inscrit « Golpes » (coups).

La zone en rouge, ici au début de la partition, est la montée chromatique en triolets de double-croche et en double-croche. C’est donc un passage vif, d’autant plus que l’on remarque des appoggiatures brèves.Ce sont ces petites notes barrées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note supplémentaire, une fraction de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle complète. Ces appoggiatures augmentent donc le nombre de notes et par conséquent l’impression de .
Après cette montée rapide, on s’attend à une suite, mais Villoldo nous offre une surprise, un silence (la zone verte), marqué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement.
La zone bleue comporte des signes de percussion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens commun, mais de la transition entre deux parties d’une musique. Ici, il est donc constitué seulement de coups, coups que faisaient les musiciens avec les talons et que bientôt le public imita de diverses manières.

Mariano Mores copiera cette structure pour son célèbre « Taquito militar ».
Voici la version enregistrée en 1997 par Mariano Mores de Taquito militar. Cette version commence par le fameux motif suivi de coups.

Taquito militar 1997 – Mariano Mores.

Cette version à l’orgue Hammond est un peu particulière, mais vous pourrez entendre toutes les versions classiques dans l’article dédié à Taquito militar.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles

Ángel Villoldo a composé ce tango avec des paroles. Même si Villoldo était lui-même chanteur, c’est à Pepita Avellaneda () que revint l’honneur de les inaugurer. Malheureusement, ces paroles originales semblent perdues, tout comme celles de El entrerriano qu’il avait « écrites » pour la même Pepita.
J’émets l’hypothèse que les célèbres coups donnés au plancher au départ par les musiciens devaient avoir une explication dans les paroles. El esquinazo, c’est prendre la tangente dans une relation amoureuse, s’enfuir, ne plus répondre aux tendresses, prendre ses distances, poser un lapin (ne pas venir à un rendez-vous). On peut donc supposer que les premières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressentie par le partenaire.
J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas toujours écrites. Elles sont donc probablement restées orales et retrouver un témoin de l’époque est désormais impossible.
Cependant, notre tango du jour nous apporte un éclairage intéressant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa version, il est plutôt question de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie…
Je serai assez tenté d’y voir un reflet des paroles originales qui justifieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquinazo) pourrait expliquer qu’une porte reste fermée, l’occupant restant sourd aux supplications de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepita Avellaneda).

Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951

Les paroles prononcées par Francisco Canaro dans sa version de 1951

Canaro intervient quatre fois durant le thème pour donner des phrases, un peu énigmatiques, mais que j’aime à imaginer, tirées ou inspirées des paroles originales de Villoldo.

  1. Frappe, qu’ils viennent t’ouvrir.
  2. Suis là, puisque tu l’as
  3. Ils fêtent l’esquinazo
  4. Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors

Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directement de celles de Villoldo ? En l’absence des paroles originales, on ne le saura pas, alors, passons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la première version.

Paroles

Nada me importa de tu amor, golpeá nomás…
el corazón me dijo,
que tu amor (cariño) fue una falsía,
aunque juraste y juraste que eras mía.
No llames más, no insistas más, yo te daré…
el libro del recuerdo,
para que guardes las flores del olvido
porque vos lo has querido
el esquinazo yo te doy.

Fue por tu culpa que he tomado otro camino
sin tino… Vida mía.
Jamás pensé que llegaría este momento
que siento,
la más terrible realidad…
Tu ingratitud me ha hecho sufrir un desencanto
si tanto… te quería.
Mas no te creas que por esto guardo encono
Perdono
tu más injusta falsedad.

Ángel Gregorio Villoldo Letra: Carlos Pesce; A. Timarni (Antonio Polito)

Traduction libre et indications

Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (golpear, c’est donner un coup, mais aussi droguer, intoxiquer. Certains y voient la justification des coups frappés par les musiciens, mais il me semble que c’est un peu léger et que les paroles initiales devaient être plus convaincantes et certainement moins acceptables par un public de plus en plus raffiné. C’est peut-être aussi une simple évocation des coups frappés à la porte de la version chantée par Canaro, ce qui pourrait renforcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)…
Mon cœur me disait que ton amour était un mensonge, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi.
N’appelle plus, (le tango s’est modernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frapper à la porte, maintenant, il utilise le téléphone…) n’insiste plus, je te donnerai… le livre de souvenirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (difficile de trouver un équivalent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sentiments, la fuite, le lapin dans le cas d’un rendez-vous…) que je te donne.
C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut signifier l’habileté à toucher la cible)
Ma vie.
Je n’ai jamais pensé que ce moment, dont je ressens la terrible réalité, arriverait…
Ton ingratitude m’a fait subir un désamour si toutefois… Je t’aimais.
Mais, ne crois pas que, pour cette raison, je conserve de l’amertume. Je pardonne ton mensonge le plus injuste.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.

Nous avons vu dans la première partie comment était préparé le frappement du talon. Dans la seconde et avec les paroles, nous avons essayé de trouver un sens à ces frappés, à ces taquitos qui à défaut d’être militaires, sont bien tentants à imiter, comme nous l’allons voir.
Le premier témoignage sur la reproduction des coups par le public est celui de Pintin Castellanos qui raconte dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948 la fureur autour de El esquinazo.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il grandissait et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou.
Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du
Café Tarana (voir l’article sur En Lo de Laura où je donne des précisions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de
Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé la cadence de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R. Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « 
Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Ce tango fut donc interdit dans cet établissement, mais bien sûr, il a continué sa carrière, comme le prouve le témoignage suivant.

Témoignage de , vers 1921

La orquesta arrancó con el tango El esquinazo, de Villoldo, que tiene en su desarrollo esos golpes regulados que los bailarines de antes marcaban a tacón limpio. En este caso, el conjunto de La Paloma hacía lo mismo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las viejas tablas dejaban caer una nube de tierra sobre la máquina del café express, la caja registradora y el patrón. Este echaba denuestos; los de arriba seguían muy serios su tango ; y los parroquianos del cafetín se regocijaban.

Témoignage de Francisco García Jiménez

Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez

L’orchestre a commencé avec le tango El esquinazo, de Villoldo, qui a dans son développement ces rythmes réglés que les danseurs d’antan marquaient d’un talon clair.
Dans ce cas, le conjunto La Paloma a fait de même sur le sol de la tribune des musiciens, avec une telle force que les vieilles planches ont laissé tomber un nuage de saleté sur la machine à expresso, la caisse enregistreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suivaient leur tango très sérieusement, et les clients du café se réjouissaient.
On constate qu’en 1921, l’usage de frapper du pied chez les danseurs était moindre, voire absent. Cet argument peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été efficace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation originelle étaient plus propices à ces débordements.
L’idée des coups frappés à une porte, comme les coups du destin dans la 5e symphonie de Ludwig Van Beethoven, ou ceux de la statue du commandeur dans Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, me plaît bien…

Autres versions

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad.

Cette version ancienne est plutôt un tango qu’une milonga, comme il le deviendra par la suite. On entend les coups frappés et la mandoline. On note un petit ralentissement avant les frappés, ralentissement que l’on retrouvera amplifié dans la version de 1961 de Canaro.

El esquinazo 1913 – Orchester Berlin – Dir. Ferdinand Litschauer.

Encore une version ancienne, enregistrée à Berlin (Allemagne) en 1913, preuve que le tango était dès cette époque totalement . Les frappés sont remplacés par de frêles percussions, mais on notera le gong au début…

Le disque de El esquinazo par l’orchestre du Moulin Rouge (allemand, malgré ce que pourrait faire penser son nom) et la version Russe du disque… On notera que les indications sont en anglais, russe et français. La International Talking Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fallait une de plus, cette preuve témoigne de la mondialisation du tango à une date précoce (1913).
El esquinazo 1938-01-04 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Est-il nécessaire de présenter la version de D’Arienzo, probablement pas, car vous l’avez déjà entendu des milliers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laisser entendre les frappés. Même Biagi renonce à ses habituelles fioritures au moment des coups. En résumé, c’est une exécution parfaite et une des milongas les plus réjouissantes du répertoire. On notera les courts passages de violons en legato qui contrastent avec le staccato général de tous les instruments.

El esquinazo 1939-03-31 – y su Cuarteto Típico.

Roberto Firpo au piano démarre la montée chromatique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave commune. Cela crée une petite impression de surprise chez les danseurs qui connaissent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pourra décontenancer les danseurs débutants, mais de toute façon, cette version est assez difficile à danser, mais elle ravira les bons danseurs, car elle est probablement la plus joueuse.

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro.

C’est notre tango du jour. Francisco Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette version est de vitesse modérée, entre canyengue et milonga. Elle sera plus adaptée aux danseurs modestes.

El esquinazo 1958 – Los Muchachos De Antes.

Avec clarinette et guitare en vedette, cette version est très dynamique et sympathique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres versions pour cela…

El esquinazo 1960 – Orquesta con .

Une version en chanson qui perd le caractère joueur de la milonga, même si quelques coups de claves rappellent les frappés fameux. En revanche, cette chanson nous présente les paroles de Carlos Pesce et A. Timarni. J’aime beaucoup, même si ce n’est pas à proposer aux danseurs.

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).

El esquinazo 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette version très joueuse commence par la célèbre invite à frapper du pied, répétée trois fois. Les deux premières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beaucoup plus longue, ce qui provoque un effet irrésistible. C’est un exemple, bien que tardif de comment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons perdus à cause des versions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un concert, mais un DJ taquin pourrait proposer cette version à danser, notamment à cause des pauses et de l’accélération finale qui peuvent surprendre (aussi dans le bon sens du terme), les danseurs.

El esquinazo 1962 – Los Violines De Oro Del Tango.

Une version à la limite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trouve cela très sympa, mais j’y réfléchirai à deux fois avant de diffuser en milonga…

El esquinazo 1970 – Cuarteto Juan Cambareri.

Je pense que vous avez repéré Juan Cambareri, ce bandonéoniste virtuose qui après une carrière dans différents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuarteto composé de :

Juan Rizzo au piano, Juan Gandolfo et Felipe Escomabache aux violons et Juan Cambareri au bandonéon. Cet enregistrement date de cette période. Comme à son habitude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts virtuoses des quatre musiciens peuvent jouer, mais qui posera des problèmes à un grand nombre de danseurs.

El esquinazo 1974 – Sexteto Tango.

Le début semble s’inspirer de la version de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est clairement une version de concert qui a bien sa place dans un fauteuil d’orchestre, mais qui vous donnera des sueurs froides sur la piste de danse.

El esquinazo 1976 – Di Matteo y su trio.

La version proposée par le trio Di Matteo ne rassurera pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserver donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis et ici, c’est l’hiver et cette année, il est particulièrement froid…).

El esquinazo 1983 – Orquesta José Basso.

Une assez belle version, orchestrale. Pour la milonga, on peut éventuellement lui reprocher un peu de mordant en comparaison de la version de D’Arienzo. On notera également que quelques frappés sont joués au piano et non en percussion.

El esquinazo 1991 – Los Tubatango.

Comme toujours, cet orchestre sympathique se propose de retrouver les sensations du début du vingtième siècle. Outre le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux contrepoints de la flûte et du bandonéon qui discutent ensemble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…

El esquinazo 2002 – Armenonville.

Une introduction presque comme une musique de la renaissance, puis la contrebasse lance la montée chromatique, des coups donnés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sympathique, mais pas assez structurée pour la danse. Une accélération, puis un ralentissement et l’estribillo est chanté en guise de conclusion.

El esquinazo 2007 – Esteban Morgado Cuarteto.

Une version légère et rapide pour terminer tranquillement cette anecdote du jour.

À demain, les amis !

Une autre façon de casser la vaisselle…

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Letra:

Notre du jour est une milonga irrésistible, la milonga du souvenir . Le titre pourrait faire penser à la milonga campera, ces chansons un peu plaintives de l’univers des gauchos comme Milonga triste            que chantait Magaldi en 1930 ou même des compositions plus récentes comme celle de Piazzolla, Milonga del ángel, ou Milonga en ay menor dans un style bien sûr très différent. Mais comme vous pouvez le constater, Milonga del est un appel à se lancer sur la piste pour tous les . Ces derniers ne prêteront aucune attention à la nostalgie des paroles.

Ce manque d’attention est renforcé par le fait que Echagüe ne chante que le refrain et pas les couplets plus nostalgiques.

Extrait musical

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con .
Milonga del recuerdo. Alfonso Lacueva Letra: José Pecora. À gauche la couverture de la partition, au centre la tablature des accords et à droite, le disque. RCA Victor 38767-B. La face A était Derecho viejo 1939-07 une version instrumentale.

Paroles

Qué daría por ser joven y vivir aquellos días
Que se fueron alejando y no pueden más volver,
Aquellos años dichosos de las fiestas transcurridas
En el patio de la casa que me viera a mí, nacer.
¿Dónde está la muchachita, esa novia que besara?
Con los labios temblorosos encendidos de pasión,
La que tanto yo quería y siempre he recordado
Porque fue el amor primero que no olvida el corazón.

¿Dónde están los corazones
de la linda muchachada?
¿Dónde están las ilusiones
de aquel tiempo que se fue?
Mi vieja dicha perdida
Hoy estás en el olvido,
Y yo que tanto he querido
Siempre te recordaré.

Las milongas de mi barrio al gemir de bandoneones
Entre notas melodiosas de algún tango compadrón,
Las pebetas sensibleras impregnadas de ilusiones
Que reían y cantaban al influjo de un amor.
No se ve la muchachada a la luz del farolito
Comentando por las noches los idilios del lugar,
Ni se escuchan los acordes de las dulces serenatas
Que llenaban de emociones y nos hacían soñar.

Alfonso Lacueva Letra : José Pecora

Echagüe ne chante que le refrain, en gras.

Traduction libre

Que donnerais-je (on dirait plutôt en français : « que ne donnerais-je pas ») pour être jeune et vivre ces jours qui se sont éloignés et qui ne peuvent plus revenir, ces années heureuses des fêtes passées dans la cour de la maison qui m’a vu naître.
Où est la fille, cette fiancée que j’embrassais ?
Avec les lèvres tremblantes et embrasées de passion, celle que j’aimais tant et dont je me suis toujours souvenu parce que c’était le premier amour que le cœur n’oublie pas.
Où sont les cœurs de la belle bande d’amis ?
Où sont les illusions (émotions) de ce temps qui a disparu ?
Mon ancien bonheur perdu est aujourd’hui oublié, et moi qui ai tant aimé, je me souviendrai toujours de toi.
Les milongas de mon quartier au gémissement des bandonéons entre les notes mélodieuses d’un tango compagnon, les poupées sentimentales imprégnées d’illusions qui riaient et chantaient sous l’influence d’un amour.
On ne voit pas la bande des gars à la lueur du lampadaire commenter la nuit les idylles du lieu ni on n’entend les accords des douces sérénades qui nous remplissaient d’émotions et nous faisaient rêver.

Autres versions

Curieusement, ce thème n’a pas été enregistré par d’autres orchestres. La magnifique version de D’Arienzo et Echagüe reste orpheline même si certains orchestres jouent cette milonga dans les bals.

Milonga del recuerdo 1939-07-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Echagüe

Une version intéressante par un orchestre de chambre contemporain, le avec des arrangements de .

https://on.soundcloud.com/1x1ZzHQoyXKUhL3f9 Quand les musiciens classiques s’essayent à la milonga.

À demain, les amis !

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Francisco Lomuto Letra:

, est comme un cri lancé. Nunca más exprime la rage, le désespoir, l’espoir. Nunca más, c’est un des plus beaux thèmes enregistrés par D’Arienzo avec Mauré. Nunca más est une œuvre de deux des frères Lomuto, Francisco qui en a fait la musique et Oscar qui a écrit les paroles. Un tango qui exprime la rage, le désespoir, l’espoir. C’est notre .

Extrait musical

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Nunca más. Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto.

Paroles

En una noche de falsa alegría
tus ojos claros volví a recordar
y entre los tangos, el vino y la orgía,
busqué febril tu recuerdo matar.
Recordaba mi dicha sin igual
que a vos sola mi vida consagré,
pero ingrata te fuiste y en mi mal
triste y solo, cobarde, te lloré.

Eras
la ilusión de mi vida
toda
mi alegría y mi pasión.
Mala,
yo que te quise por buena
en tus dulces labios, nena,
me he quemado el corazón.
Linda,
muñequita mimosa,
siempre,
en mi corazón estás,
Nena,
acordate de la pena
que me dio tu boca, loca,
cuando dijo: ¡Nunca más!

Entre milongas y timbas, mi vida
pasando va estas horas inquietas,
de penas lleno, el alma oprimida,
pálido el rostro como una careta.
Arrepentida, nunca vuelvas, jamás
a pedir desolada mi perdón.
¡No olvides que al decirme nunca más,
me dejaste, mujer, sin corazón!…

Francisco Lomuto Letra: Oscar Lomuto

Traduction libre

Par une nuit de joie factice, je me suis rappelé tes yeux clairs et entre les tangos, le vin et l’orgie, j’ai cherché fébrilement à tuer ton souvenir.
Je me suis souvenu de mon bonheur sans pareil d’avoir consacré ma vie à toi seul, mais ingrate, tu t’en es allée et dans mon mal triste et solitaire, lâche, je t’ai pleurée.
Tu étais l’amour (« ilusión » n’est pas « illusion ») de ma vie, toute ma joie et ma passion.
Mauvaise, moi qui t’ai aimé pour le bien sur tes douces lèvres, petite, j’ai brûlé mon cœur.
Belle, poupée câline, tu es toujours, dans mon cœur, Petite, souviens-toi du chagrin que ta bouche folle m’a donné, quand elle a dit : Plus jamais !
Entre milongas et timbas (tripot, boîtes de jeu clandestines), ma vie passe par ces heures agitées, pleines de chagrins, l’âme oppressée, le visage pâle comme un masque.
Repentante, jamais tu ne reviens, jamais à demander, désolée, mon pardon.
N’oublie pas qu’en disant plus jamais, tu m’as laissé, femme, sans cœur !… (la virgule change le sens de la phrase. Là, c’est probablement lui qui est sans cœur, même s’il est sous-entendu qu’elle a également été sans cœur de l’abandonner. J’y vois une façon subtile de la mettre en cause, mais sans l’attaquer de front, au cas où elle reviendrait…).

Autres versions

Nunca más 1924 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Gardel est le premier à avoir enregistré le titre, environ deux ans après son écriture.

Nunca más 1927-07-19 – Orquesta Francisco Lomuto.

Trois ans après Gardel, Lomuto enregistre le titre conçu avec son frère. Une version bien canyengue. Pas vilain, mais à réserver aux amateurs du genre. Le bandonéon de Minotto Di Cicco est bien virtuose pour l’époque.

Nunca más 1931-08-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Acuña y .

Une version plus tonique, qui montre mieux la colère de l’homme abandonné. Enfin, pour le début, car quand les chanteurs commencent d’une voix miaulante, tout retombe. Je ne suis pas convaincu par ce duo. Ce ne sera pas ma version préférée, mais il y en a tant d’autres que ce n’est pas un problème… Le plus étonnant est que c’est la plus diffusée. Une fois les chanteurs muets, la musique reprend, plus entraînante, c’était juste un « mauvais moment » à passer. Comme quoi, les goûts et les couleurs… On notera que Oscar Napolitano qui a remplacé un autre frère de Lomuto (Enrique) intervient de façon sympathique.

Nunca más 1931-11-10 – Alberto Gómez con acomp. de guitarras.

Gómez propose une version chantée, sans doute plus sympathique que celle de Gardel.

Nunca más 1932-01-12 – con acomp. de Francisco Canaro.

On reste dans les versions à écouter avec Ada Falcón. Elle met au service du titre sa diction et son phrasé particulier. C’est un autre titre sympathique à écouter.

Nunca más 1941-07-14 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

C’est notre tango du jour. Il reprend le début tonique de la version de 1931 de Lomuto, mais avec la rage de D’Arienzo à pleine puissance. Une énergie fantastique se dégage de ce titre et donnera un élan irrépressible aux danseurs. Ce qui est merveilleux est que Mauré s’inscrit dans cette dynamique sans faire chuter la dynamique, même si l’orchestre se met en retrait pendant son intervention. C’est un des très grands titres de danse de D’Arienzo. Ce n’est pas par hasard que je l’ai choisi comme tango du jour…

Nunca más 1948-09-23 – Orquesta Miguel Caló con Roberto Arrieta.

On change d’univers avec Miguel Caló. On est surpris par de nombreux changements de . Même si la voix de Arrieta est belle, on aura sans doute mal à soulever l’enthousiasme des danseurs avec cette version.

Nunca más 1950-04-25 – Orquesta Francisco Lomuto con Miguel Montero.

De fin à 1949 à fin 1950, Montero a enregistré de quoi faire une tanda calme et avec Lomuto, mais je pense que ceux qui adorent Montero sont plus des auditeurs que des danseurs.

Nunca más 1956-08-31 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Sans son partenaire ange, (D’Agostino), Vargas poursuit sa carrière. L’orchestre de Toto propose un accompagnement de qualité. La voix de Vargas est toujours merveilleuse. On écoutera donc sans doute ce titre avec plaisir dans un bon canapé.

Nunca más 1974-12-11 – Orquesta Juan D’Arienzo con .

Avec son second chanteur fétiche, D’Arienzo renouvèlera-t-il le succès de la version de 1941 ? Pour moi, non. Cette version clinquante comme beaucoup d’enregistrement de cette époque a laissé de côté la qualité de la danse au profit du spectacle, voire de l’esbrouffe. Echagüe, lui-même donne trop de sensiblerie dans son interprétation. Je vous conseille de revenir au titre chanté par Mauré.

En résumé, pour moi, le DJ qui souhaite faire plaisir aux danseurs, il n’y a qu’une seule version pour une milonga de qualité, celle de 1941, même si certaines autres feront plaisir à l’écoute.

du corbeau qui dit Nunca más

Ce titre me fait penser au texte d’Edgar Allan Poe, Le corbeau (The raven).En voici la version en anglais et à la suite, la version traduite en français par Charles Baudelaire.

Nevermore (Nunca más).

Paroles

‘Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore—
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
“’Tis some visitor,” I muttered, “tapping at my chamber door—
Only this and nothing more.”

Ah, distinctly I remember it was in the bleak December;
And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eagerly I wished the morrow; —vainly I had sought to borrow
From my books surcease of sorrow – sorrow for the lost Lenore—
For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore—
Nameless here for evermore.

And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain
Thrilled me – filled me with fantastic terrors never felt before;
So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating
“’Tis some visitor entreating entrance at my chamber door—
Some late visitor entreating entrance at my chamber door; —
This it is and nothing more.”

Presently my soul grew stronger; hesitating then no longer,
“Sir,” said I, “or Madam, truly your forgiveness I implore;
But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,
And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,
That I scarce was sure I heard you” – here I opened wide the door; —
Darkness there and nothing more.

Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,
Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before;
But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,
And the only word there spoken was the whispered word, “Lenore?”
This I whispered, and an echo murmured back the word, “Lenore!”–
Merely this and nothing more.

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.
“Surely,” said I, “surely that is something at my window lattice;
Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore—
Let my heart be still a moment and this mystery explore; —
‘Tis the wind and nothing more!”

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,
In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore;
Not the least obeisance made he; not a minute stopped or stayed he;
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door—
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door—
Perched, and sat, and nothing more.

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore,
“Though thy crest be shorn and shaven, thou,” I said, “art sure no craven,
Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore—
Tell me what thy lordly name is on the Night’s Plutonian shore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,
Though its answer little meaning – little relevancy bore;
For we cannot help agreeing that no living human being
Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door—
Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,
With such name as “Nevermore.”

But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did outpour.
Nothing farther then he uttered – not a feather then he fluttered—
Till I scarcely more than muttered “Other friends have flown before—
On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before.”
Then the bird said “Nevermore.”

Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken,
“Doubtless,” said I, “what it utters is its only stock and store
Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster till his songs one burden bore—
Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore
Of ‘Never – nevermore’.”

But the Raven still beguiling all my fancy into smiling,
Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door;
Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking
Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore—
What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore
Meant in croaking “Nevermore.”

This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom’s core;
This and more I sat divining, with my head at ease reclining
On the cushion’s velvet lining that the lamp-light gloated o’er,
But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o’er,
She shall press, ah, nevermore!

Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer
Swung by Seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.
“Wretch,” I cried, “thy God hath lent thee – by these angels he hath sent thee
Respite – respite and nepenthe from thy memories of Lenore;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted—
On this home by Horror haunted – tell me truly, I implore—
Is there–is there balm in Gilead? – tell me–tell me, I implore!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Prophet!” said I, “thing of evil! – prophet still, if bird or devil!
By that Heaven that bends above us – by that God we both adore—
Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore—
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore.”
Quoth the Raven “Nevermore.”

“Be that word our sign of parting, bird or fiend!” I shrieked, upstarting–
“Get thee back into the tempest and the Night’s Plutonian shore!
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken!
Leave my loneliness unbroken! – quit the bust above my door!
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door!”
Quoth the Raven “Nevermore.”

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door;
And his eyes have all the seeming of a demon’s that is dreaming,
And the lamp-light o’er him streaming throws his shadow on the floor;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted – nevermore!’

Edgar Allan Poe, The raven.

Le corbeau (traduction en français de Charles Beaudelaire)

« Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, — murmurai-je, — qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »
Ah ! distinctement je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin ; en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, — et qu’ici on ne nommera jamais plus.
Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon cœur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; — c’est cela même, et rien de plus. »
Mon âme en ce moment se sentit plus forte. N’hésitant donc pas plus longtemps : « Monsieur, — dis-je, — ou madame, en vérité j’implore votre pardon ; mais le fait est que je sommeillais, et vous êtes venu frapper si doucement, si faiblement vous êtes venu taper à la porte de ma chambre, qu’à peine étais-je certain de vous avoir entendu. » Et alors j’ouvris la porte toute grande ; — les ténèbres, et rien de plus !
Scrutant profondément ces ténèbres, je me tins longtemps plein d’étonnement, de crainte, de doute, rêvant des rêves qu’aucun mortel n’a jamais osé rêver ; mais ne fut pas troublé, et l’immobilité ne donna aucun signe, et le seul mot proféré fut un nom chuchoté : « Lénore ! » — C’était moi qui le chuchotais, et un écho à son tour murmura ce mot : « Lénore ! » — Purement cela, et rien de plus.
Rentrant dans ma chambre, et sentant en moi toute mon âme incendiée, j’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. »
Je poussai alors le volet, et, avec un tumultueux battement d’ailes, entra un majestueux corbeau digne des anciens jours. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta pas, il n’hésita pas une minute ; mais, avec la mine d’un lord ou d’une lady, il se percha au-dessus de la porte de ma chambre ; il se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ; — il se percha, s’installa, et rien de plus.
Alors cet oiseau d’ébène, par la gravité de son maintien et la sévérité de sa physionomie, induisant ma triste imagination à sourire : « Bien que ta tête, — lui dis-je, — soit sans huppe et sans cimier, tu n’es certes pas un poltron, lugubre et ancien corbeau, voyageur parti des rivages de la nuit. Dis-moi quel est ton nom seigneurial aux rivages de la Nuit plutonienne ! » Le corbeau dit : « Jamais plus ! »
Je fus émerveillé que ce disgracieux volatile entendît si facilement la parole, bien que sa réponse n’eût pas un bien grand sens et ne me fût pas d’un grand secours ; car nous devons convenir que jamais il ne fut donné à un homme vivant de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre, un oiseau ou une bête sur un buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre, se nommant d’un nom tel que Jamais plus !
Mais le corbeau, perché solitairement sur le buste placide, ne proféra que ce mot unique, comme si dans ce mot unique il répandait toute son âme. Il ne prononça rien de plus ; il ne remua pas une plume, — jusqu’à ce que je me prisse à murmurer faiblement : « D’autres amis se sont déjà envolés loin de moi ; vers le matin, lui aussi, il me quittera comme mes anciennes espérances déjà envolées. » L’oiseau dit alors : « Jamais plus ! »
Tressaillant au bruit de cette réponse jetée avec tant d’à-propos : « Sans doute, — dis-je, — ce qu’il prononce est tout son bagage de savoir, qu’il a pris chez quelque maître infortuné que le Malheur impitoyable a poursuivi ardemment, sans répit, jusqu’à ce que ses chansons n’eussent plus qu’un seul refrain, jusqu’à ce que le De profundis de son Espérance eût pris ce mélancolique refrain : Jamais, jamais plus !
Mais, le corbeau induisant encore toute ma triste âme à sourire, je roulai tout de suite un siège à coussins en face de l’oiseau et du buste et de la porte ; alors, m’enfonçant dans le velours, je m’appliquai à enchaîner les idées aux idées, cherchant ce que cet augural oiseau des anciens jours, ce que ce triste, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau des anciens jours voulait faire entendre en croassant son Jamais plus !
Je me tenais ainsi, rêvant, conjecturant, mais n’adressant plus une syllabe à l’oiseau, dont les yeux ardents me brûlaient maintenant jusqu’au fond du cœur ; je cherchais à deviner cela, et plus encore, ma tête reposant à l’aise sur le velours du coussin que caressait la lumière de la lampe, ce velours violet caressé par la lumière de la lampe que sa tête, à Elle, ne pressera plus, — ah ! jamais plus !
Alors il me sembla que l’air s’épaississait, parfumé par un encensoir invisible que balançaient des séraphins dont les pas frôlaient le tapis de la chambre. “Infortuné ! — m’écriai-je, — ton Dieu t’a donné par ses anges, il t’a envoyé du répit, du répit et du népenthès dans tes ressouvenirs de Lénore ! Bois, oh ! bois ce bon népenthès, et oublie cette Lénore perdue !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon, mais toujours prophète ! que tu sois un envoyé du Tentateur, ou que la tempête t’ait simplement échoué, naufragé, mais encore intrépide, sur cette terre déserte, ensorcelée, dans ce logis par l’Horreur hanté, — dis-moi sincèrement, je t’en supplie, existe-t-il, existe-t-il ici un baume de Judée ? Dis, dis, je t’en supplie !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Prophète ! — dis-je, — être de malheur ! oiseau ou démon ! toujours prophète ! par ce Ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
“Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon ! — hurlai-je en me redressant. — Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la Nuit plutonienne ; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré ; laisse ma solitude inviolée ; quitte ce buste au-dessus de ma porte ; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte !” Le corbeau dit : “Jamais plus !”
Et le corbeau, immuable, est toujours installé, toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre ; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve ; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher ; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s’élever, — jamais plus ! »

Et voici, pour terminer, une version cinématographique de haute volée. À demain, les amis !

Los Simpson (The Simpsons) de Matt GroeningThe Raven d’Edgar Allan Poe.
Vous pouvez afficher les sous-titres dans la langue souhaitée…

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Ernesto Céspedes Polanco (Musique et paroles)

En 2012, le thème du festival de Toulouse était les deux rives. À cette occasion, j’ai eu l’idée d’alterner les tandas argentines et uruguayennes. Entre les deux, une cortina réalisée pour l’occasion permettait de matérialiser le passage d’une rive à l’autre. Je me souviens de l’accueil enthousiaste pour qui était peu connue à l’époque, tout comme les versions de nombreux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représentés que par Racciatti et Villasboas… Dix ans plus tard, le Sexteto Cristal a eu l’excellente idée de reprendre à l’identique Mi vieja linda, ce qui a permis à de nouvelles générations de danseurs de redécouvrir cette milonga festive, comme beaucoup de musiques uruguayennes.

Extrait musical

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María.
Mi vieja linda. Partition pour quatre guitares.

Paroles

Mi vieja linda
Pensando en vos
Se me refresca
El
Desde el día que te vi
Tras de la reja
En mi pecho abrió una flor
Como una luz
Y la pasión
Alumbró mi corazón
Mi vieja linda
Pensando en vos
Me siento bueno
Como el mejor
Y cuando un beso te doy
Boca con boca
Yo paladeo el sabor
De estar en vos
Que estar así
Corazón a corazón

Ernesto Céspedes Polanco

Traduction libre

Ma jolie chérie (vieja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la seconde option la bonne…), en pensant à toi, mon cœur est rafraîchi.
Depuis le jour où je t’ai vu, à travers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la passion a illuminé mon cœur.
Ma jolie chérie, je pense à toi.
Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un baiser, bouche contre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ainsi, cœur à cœur.

Autres versions

Mi vieja linda 1941 – Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María. C’est notre milonga du jour.
Mi vieja linda 2022-07-12 – Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.

Comparaison des deux versions

Vous l’aurez remarqué, les deux versions sont très semblables. Le Sexteto Cristal a reproduit exactement l’interprétation de Emilio Pellejero. Pour vous permettre de vérifier que le travail est excellent, je vous propose d’écouter les deux musiques en même temps.
Vous pourrez constater que la plupart du temps, la musique est synchronisée. Cela veut dire que les danseurs pourront danser indifféremment sur une version ou l’autre, sans différence notable.

Le Sexteto Crital a eu l’excellente idée d’interpréter « Mi vieja linda » de Ernesto Céspedes Polanco et qui était connu principalement pour la version enregistrée en 1941 par Emilio Pellejero avec la voix d’Enalmar De María. Sa reproduction de la version originale est presque parfaite comme vous le verrez dans cette vidéo. Les deux versions jouent en même temps et sont presque toujours synchronisées.

Les deux rives

L’année dernière au festival de Tarbes, il y avait le Sexteto Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lendemain dans la et j’ai pu passer la version originale de Pellejero afin de rendre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pellejero et je pourrais également rajouter Ernesto, Ernesto Céspedes Polanco, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réalisé quelques titres principalement interprétés par Emilio Pellejero comme Paloma que vuelas et , les deux avec des paroles de Fernando Silva Valdés.
Il est d’usage de dire que le tango est un enfant des deux rives du Rio de la Plata, Buenos Aires et sa Jumelle orientale, Montevideo. Le passage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire constant pour les orchestres. La perméabilité entre les deux rives était donc extrême. Cependant, la plupart des artistes qui ont cherché à développer leur carrière se sont centrés sur Buenos Aires, comme Francisco Canaro, né Uruguayen et naturalisé Argentin.

À Donato Racciatti et Miguel Villasboas, on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins connus :
, Julio Arregui, Juan Cao, Antonio Cerviño, Roberto Cuenca, Romeo Gavioli, , , Ángel Sica, Julio Sosa.

Durant la pandémie COVID, je diffusais une milonga hebdomadaire et le fait de passer aussi des orchestres uruguayens m’avait attiré la sympathie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nombreuses informations via Messenger. Malheureusement, la fermeture par Facebook de mon compte de l’époque m’a fait perdre toutes ces informations. Je me souviens de contacts d’enfants de musiciens et de témoignages sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au propre, par manque de temps de traiter ces informations très riches. Je comptais également enrichir ma discothèque à partir de ces sources. Si mes contacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à reprendre

Cruzando el Rio de la Plata – Volver (Chamuyo) et bruitages . Une des cortinas des deux rives de Tangopostale 2012. DJ BYC Bernardo. Les effets stéréo de la traversée sont bien sur perdus à cause de la nécessité de passer les fichiers en mono pour le blog (limite de taille des fichiers à 1Mo).
Mi vieja linda 1941. Femme à la fenêtre Antoine Bourdelle.

Pour réaliser cette image, j’ai utilisé une peinture d’Antoine Bourdelle, un sculpteur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa maison musée est une merveille.

Antoine Bourdelle, Femme à la fenêtre, Huile sur toile, Paris, musée Bourdelle

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango

1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.

Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916.
Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.

Signature de la déclaration d’indépendance au Congreso de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juillet 1816. Aquarelle de Antonio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padula 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’harmonica et de la guitare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trouvé cette activité pour gagner sa vie). L’image de gauche est une illustration, ce n’est pas Padula. Au centre, Padula vers 1931 sur une partition de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une photo peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Partition pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est manifeste sur les deux couvertures. On notera sur celle de droite la mention de Cardenas pour les paroles.
Autre exemple de partition avec un agrandissement de la dédicace au procurador titular Señor Gervasio Rodriguez. Il n’y a pas de mention de parolier sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.

Paroles

Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée.
Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 – Orquesta Roberto Firpo.

On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 – Orquesta Roberto Firpo.

Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 – Guillermo Barbieri, , José Ricardo (guitarras).

Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 – Orquesta Francisco Canaro.

Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 – Orquesta Luis Petrucelli.

Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 – Agustín Magaldi con orquesta.

Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 – Orquesta Típica Columbia con Ernesto Famá.

Famá chante le premier couplet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Charlo (accordéon et guitare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la Añorando mi tierra.
On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 – Orquesta Héctor Stamponi.

Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 – Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 – Orquesta Alfredo De Angelis.

Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 – Orquesta .

Varela nous propose une introduction originale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version sans doute pas évidente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 – Ariel Pedernera y su Quinteto Típico.

Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 – Orquesta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 – .

Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 – Alberto Marino con la orquesta de Osvaldo Tarantino.

Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 – Orquesta Florindo Sassone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Pericón) – Orquesta .

Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 – Cuarteto Juan Cambareri.

Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 – Orquesta Armando Pontier.

Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Orquesta Donato Racciatti.

Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 – Palermo Trío.

Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que avait été inventé par un indécis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 – Miguel Villasboas y Wáshington Quintas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 – Los Tubatango.

Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 – La Tuba Tango.

C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango.
En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.

Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hogar cuando partí
porque jamás quise sentir
un sollozar por mí.
Triste amanecer
que nunca más he de olvidar
hoy para qué rememorar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana divina
mi corazón siempre fiel quiso cantar
y por el mundo poder peregrinar,
infatigable vagar de soñador
marchando en pos del ideal con todo amor
hasta que al fin dejé
mi madre y el querer
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de gloria regresar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, vencido y sin fe
no hallé mi amor ni hallé mi hogar
y con dolor lloré.

Cual vagabundo cargado de pena
yo llevo en el alma la desilusión
y desde entonces así me condena
la angustia infinita de mi corazón
¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría
también se fueron desde aquel día
que con las glorias de mis triunfos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juventud!

José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert.
Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage,
infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne.
Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un conventillo mugriento y fulero,
con un canflinfero
te espiantaste vos ;
abandonaste a tus pobres viejos
que siempre te daban
consejos de Dios;
abandonaste a tus pobres hermanos,
¡tus hermanitos,
que te querían!
Abandonastes el negro laburo
donde ganabas el pan con honor.

Y te espiantaste una noche
escabullida en el coche
donde esperaba el bacán;
todo, todo el conventillo
por tu espiante ha sollozado,
mientras que vos te has mezclado
a las farras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la gloria
de tener un buen bulín;
pobre pebeta inocente
que engrupida por la farra,
te metiste con la barra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, piadoso,
un hospital te dé cama,
cuando no brille tu fama
en el salón;
cuando en el « yiro » no hagas
más « sport »;
cuando se canse el cafisio
de tu amor ;
y te espiante rechiflado
del bulín;
cuando te den el « olivo »
los que hoy tanto te aplauden
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu decadencia,
perdida tu esencia,
tu amor, tu champagne ;
sólo el recuerdo quedará en tu vida
de aquella perdida
gloria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras,
tus amarguras
derramarás;
y sentirás en tu noche enfermiza,
la ingrata risa
del primer bacán.

José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ;
tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ;
Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voyou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en ), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ;
Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ;
Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mientras los clarines tocan diana
y el vibrar de las campanas
repercute en los confines,
mil recuerdos a los pechos
los inflama la alegría
por la gloria de este día
que nunca se ha de olvidar.
Deja, con su música, el
sobre los patrios aleros
una belleza que encanta.
Y al conjuro de sus notas
las campiñas se levantan
saludando, reverentes,
al sol de la Libertad.

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins,
mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté.
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy siento en mí
el despertar de algo feliz.
Quiero evocar aquel ayer
que me brindó placer,
pues no he de olvidar
cuando tembló mi corazón
al escuchar, con emoción,
esta feliz canción:

Brota, majestuoso, el Himno
de todo labio argentino.
Y las almas tremulantes de emoción,
a la Patria sólo saben bendecir
mientras los ecos repiten la canción
que dos genios han legado al porvenir.
Que la hermosa canción
por siempre vivirá
al calor del corazón.

En los ranchos hay
un revivir de mocedad;
los criollos ven en su
pasión
todo el amor llegar.
Por las huellas van
llenos de fe y de ilusión,
los gauchos que oí cantar
al resplandor lunar.

Los campos están de fiesta
y por la floresta
el sol se derrama,
y a sus destellos de mágicas lumbres,
el llano y la cumbre
se envuelven de llamas.
Mientras que un criollo patriarcal
narra las horas
de las campañas
libertadoras,
cuando los hijos de este suelo
americano
por justa causa
demostraron
su valor.

José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux.
Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune.
Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes.
Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo

Augusto Pedro Berto Letra: (V1) — Jesús Fernández Blanco (V2)

La payanca par D’Arienzo dans la version de 1936 est un des très gros succès des milongas. Peut-être vous-êtes-vous demandé d’où venait le nom de ce tango ? Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous l’indiquer t vous faire découvrir une vingtaine de versions et vous présenter quelques détails sur ce titre.

Extrait musical

Partition pour piano de la Payanca. Couverture originale à gauche et Partition de piano à droite avec les paroles de Jesús Fernández Blanco (les plus récentes).
La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est un des premiers enregistrements où Biagi se lâche. Le contrebassiste, Rodolfo Duclós marque un rythme à la « Yumba » qui deviendra une caractéristique de Pugliese. Les violons de Alfredo Mazzeo, León Zibaico, Domingo Mancuso et Francisco Mancini font des merveilles. Une version énergique, euphorisante, sans doute la toute première à utiliser pour faire plaisir aux danseurs.
On remarque qu’il est indiqué « Sobre motivos populares ». En effet, on reconnaîtra des thèmes traditionnels, notamment de gato (une sorte de ), mais modifié en tango.
On remarquera également qu’il est indiqué « Tango  », ce qui signifie que c’est un tango pour danser. Cependant, nous verrons que ce thème a également été basculé franchement du côté de la milonga pure et dure dans d’autres enregistrements.

Trois versions de couverture de la partition. À gauche, la plus ancienne, sans auteur de paroles. Au centre, avec les paroles de Caruso et à droite, avec les paroles de Blanco.

Origine du titre

Dans son livre, , Francisco García Jiménez, raconte que le tango est né lors d’une fête à la campagne en l’honneur d’une personnalité locale qui venait d’être élue triomphalement, des musiciens avaient joué des airs de l’intérieur, dont un gato (sorte de chararera) duquel il restait : « Laraira laralaila; laira laraira… ». Il est impossible de retrouver le gato à partir de cette simple indication, car laraira… c’est comme tralala. C’est ce que chantent les payadors quand ils cherchent leurs mots (ils chantaient en inventant les paroles à la volée). Certains textes de ces musiques ont été fixés et écrits par la suite et nombre d’entre eux comportent Laraira laralaila; laira laraira ou équivalent :

  • La,lara,laira,laira,la dans Pago viejo (chacarera, mais le rythme est proche du gato),
  • Lara lara laira larai ñarai lá dans Corazón alegre (bailecito)
  • Trala lará larala lará larala lará lará dans El pala pala (danse, danza)
  • Lará, larará, laraira, Lará, larará, laraira, dans Cabeza colorada
  • La ra lara la ra la la ra la ra la ra la dans La Sanlorencina (Cuenca)
  • La lalara la la la la la la La la lara la la la la la la La la lara la la lara la la dans Dios a la una (chanson).
  • Tra lara lara lara tra lara lero dans Que se vengan los chicos (Bailecito)
  • La lara la la la la La lara la la la la dans La chararera del adios (chacarera)
  • Larala larala lara lara lara lara lara dans Amigazo pa’ sufrir (huella)
  • La lara lara larará… lara lara larará… lara lara larará… dans Cantar de coya (Carnavalito)
  • Lara lara lara lara dans Muchacha de mayo (Chanson).

Je n’ai pas trouvé de gato avec l’indication, mais il est fort probable que Berto ait entendu une improvisation, le lara lara étant une façon de meubler quand les paroles ne viennent pas.
Donc Berto a entendu ce gato ou gato polqueado et il eut l’idée de l’adapter en tango. Lui à la guitare et Durand à la flûte l’ont adapté et joué. Ce titre a tout de suite été un succès et comme souvent à l’époque, il est resté sans être édité pendant onze années. Comme la plupart des orchestres jouaient le titre, il était très connu et les danseurs et divers paroliers lui ont donné des paroles, plus ou moins recommandables. N’oublions pas où évoluait le tango à cette époque.
Deux de ces paroles nous sont parvenues, celles de Caruso et celles de Blanco. Les secondes sont plus osées et correspondent assez bien à cet univers.
Il reste à préciser pourquoi il s’appelle payanca. Selon Jiménez, Berto aurait dit tout de go que ce tango s’appelait ainsi quand il fut sommé de donner un titre. Il semblerait que Berto ait donné sa propre version de l’histoire, en affirmant que le titre serait venu en voyant des gamins jouer avec un lasso à attraper des poules. Un adulte leur aurait crié « ¡Pialala de payanca!« , c’est-à-dire tire la avec un mouvement de payanca. Il indiquait ainsi la meilleure façon d’attraper la poule avec le lasso.
L’idée du lasso me semble assez bonne dans la mesure où les trois partitions qui nous sont parvenues illustrent ce thème.
Voici une vidéo qui montre la technique de la Payanca qui est une forme particulière de lancer du lasso pour attraper un animal qui court en le faisant choir.

Dans cette vidéo, on voit un pial (lancement du lasso) pour attraper un bovidé à l’aide de la technique « Payanca ». Elle consiste à lancer le lasso (sans le faire tourner) de façon à entraver les antérieurs de l’animal pour le déséquilibrer et le faire tomber. Âmes sensibles s’abstenir, mais c’est la vie du . Ici, un joli coup par le gaucho Milton Mariano Pino.

Pour être moins incomplet, je pourrai préciser que la payanca ou payana ou payanga ou payaya est un jeu qui se joue avec cinq pierres et qui est très proches au jeu des osselets. L’idée de ramasser les pierres en quechua se dit pallay, ce qui signifie collectionner, ramasser du sol. Que ce soit attraper au lasso ou ramasser, le titre joue sur l’analogie et dans les deux cas, le principe est de capturer la belle, comme en témoignent les paroles.

Paroles de Juan Andrés Caruso

¡Ay!, una payanca io
quiero arrojar
para enlazar
tu corazón
¡Qué va cha che!
¡Qué va cha che !
Esa payanca será
certera
y ha de aprisonar
todo tu amor
¡Qué va cha che !
¡Qué va cha che !
Por que yo quiero tener
todo entero tu querer.

Mira que mi cariño es un tesoro.
Mira que mi cariño es un tesoro.
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…
Y que pior que un niño po’ ella « yoro »…

Payanca de mi vida, ay, io te imploro.
Payanca de mi vida, ay, io te imploro,
que enlaces para siempre a la que adoro…
que enlaces para siempre a la que adoro…
Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Augusto Pedro Berto Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre des paroles de Juan Andrés Caruso

Yeh ! une payanca (payanca attraper au lasso). Moi, (Io pour yo = je), je veux lancer pour enlacer (enlacer du lasso…) ton cœur.
Que vas-tu faire ! (¿Qué va cha ché ? ou Qué vachaché Est aussi un tango écrit par )
Que vas-tu faire !
Cette payanca sera parfaite et emprisonnera tout ton amour.
Que vas-tu faire ?
Que vas-tu faire ?
Parce que je veux avoir tout ton amour.

Regarde, mon affection est un trésor.
Regarde, mon affection est un trésor.
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…
Et quoi de pire qu’un enfant qui pleure pour elle…

Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie (il parle à son coup de lasso pour attraper le cœur de sa belle).
Payanca de ma vie, oui, je t’en supplie,
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
que tu enlaces pour toujours celle que j’adore…
La métaphore rurale et gauchesque est poussée à son extrémité. Il compare la capture du cœur de sa belle à une passe de lasso. Dans le genre galant, c’est moyen, mais cela rappelle que la vie du gaucho est une source d’inspiration pour le tango et en cela, je ne partage pas l’avis de Jorges Luis Borges pour quoi le tango est uniquement urbain et violent.

Paroles de Jesús Fernández Blanco

Con mi payanca de amor,
siempre mimao por la mujer,
pude enlazar su corazón…
¡Su corazón !
Mil bocas como una flor
de juventud, supe besar,
hasta saciar mi sed de amor…
¡Mi sed de amor !

Ninguna pudo escuchar
los trinos de mi canción,
sin ofrecerse a brindar
sus besos por mi pasión…
¡Ay, quién pudiera volver
a ser mocito y cantar,
y en brazos de la mujer
la vida feliz pasar !

Payanca, payanquita
de mis amores,
mi vida la llenaste
de resplandores…
¡Payanca, payanquita
ya te he perdido
y sólo tu
fiel me ha seguido!

Con mi payanca logré
a la mujer que me gustó,
y del rival siempre triunfé.
¡Siempre triunfé!
El fuego del corazón
en mi cantar supe poner,
por eso fui rey del amor…
¡Rey del amor!

Jesús Fernández Blanco

Traduction, libre des paroles de Jesús Fernández Blanco

Avec ma payanca d’amour (je ne sais pas quoi en penser, admettons que c’est son coup de lasso, mais il peut s’agir d’un autre attribut du galant), toujours choyée par les femmes, j’ai pu enlacer ton cœur…
Ton cœur !
Mille bouches comme une fleur de jouvence, j’ai su embrasser, jusqu’à étancher ma soif d’amour…
Ma soif d’amour !

Aucune ne pouvait entendre les trilles de ma chanson, sans offrir ses baisers à ma passion…
Yeh, qui pourrait redevenir un petit garçon et chanter, et passer dans les bras de la femme, la vie heureuse !

Payanca, payanquita de mes amours (Payanca, petite payanca, on ne sait toujours pas ce que c’est…), tu as rempli ma vie de brillances…
Payanca, payanquita Je t’ai déjà perdue et seul ton souvenir fidèle m’a suivi !

Avec ma payanca, j’ai eu la femme que j’aimais, et du rival, j’ai toujours triomphé.
J’ai toujours triomphé !
J’ai su mettre le feu du cœur dans ma chanson (la payanca pourrait être sa chanson, sa façon de chanter), c’est pourquoi j’étais le roi de l’amour…
Le roi de l’amour !

Autres versions

La payanca 1917-05-15 — Orq. Eduardo Arolas con Pancho Cuevas (Francisco Nicolás Bianco).

Probablement la plus ancienne version enregistrée qui nous soit parvenue. Il y a un petit doute avec la version de Celestino Ferrer, mais cela ne change pas grand-chose. Pancho Cueva à la guitare et au chant et le tigre du Bandonéon (Eduardo Arolas) avec son instrument favori. On notera que si le tango fut composé vers 1906, sans paroles, il en avait en 1917, celles de Juan Andrés Caruso.

La payanca 1918-03-25 (ou 1917-03-12) — Orquesta Típica Ferrer (Orquesta Típica Argentina Celestino).

Le plus ancien enregistrement ou le second, car il y a en fait deux dates, 1917-03-12 et 1918-03-25. Je pense cependant que cette seconde date correspond à l’édition réalisée à New York ou Camdem, New Jersey. On remarquera que l’orchestre comporte une guitare, celle de Celestino Ferrer qui est aussi le chef d’orchestre, une flûte, jouée par E. Santeramo et un accordéon par Carlos Güerino Filipotto. Deux violons complètent l’orchestre, Gary Busto et L. San Martín. Le piano est tenu par une femme, Carla Ferrara. C’est une version purement instrumentale. Après avoir été un des pionniers du tango en France, Celestino Ferrer s’est rendu aux USA où il a enregistré de nombreux titres, dont celui-ci.

La payanca 1926-12-13 — Orquesta Típica Victor, direction Adolfo Carabelli.

Une version un peu plus moderne qui bénéficie de l’enregistrement électrique. Mais on peut mieux faire, comme on va le voir bientôt.

La payanca 1936-06-09 — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

J’ai déjà dit tout le bien que je pensais de cette version, à mon avis, insurpassée, y compris par D’Arienzo lui-même…

Trío de Guitarras (Iriarte-Pagés-Pesoa).

Le trio de guitares de Iriarte, Pagés et Pesoa ne joue pas dans la même catégorie que D’Arienzo. C’est joli, pas pour la danse, un petit moment de suspension.

La payanca 1946-10-21 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Pour revenir au tango de danse, après la version de D’Arienzo, cette version paraît fragile, notamment, car c’est un quartetto et que donc il ne fait pas le poids face à la machine de D’Arienzo. On notera tout de même une très belle partie de bandonéon. La transition avec le trio de guitares a permis de limiter le choc entre les versions.

La payanca 1949-04-06 — Orquesta Juan D’Arienzo.

On retrouve la grosse machine D’Arienzo, mais cette version est plus anecdotique. Cela peut passer en milonga, mais si je dois choisir entre la version de 1936 et 1949, je n’hésite pas une seconde.

La payanca 1952-10-01 — y su Cuarteto Típico.

Encore un quartetto qui passe après D’Arienzo. Si cette version n’est pas pour la danse, elle n’est pas désagréable à écouter, sans toutefois provoquer d’enthousiasme délirant… Le final est assez sympa.

La payanca 1954-11-10 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Eh oui, encore D’Arienzo qui décidément a apprécié ce titre. Ce n’est assurément pas un grand D’Arienzo. Je ne sais pas si c’est meilleur que la version de 49. Par certains côtés, oui, mais par d’autres, non. Dans le doute, je m’abstiendrai de proposer l’une comme l’autre.

La payanca 1957-04-12 — Orquesta Héctor Varela.

On est dans tout autre chose. Mais cela change sans être un titre de danse à ne pas oublier. On perd la dimension énergique du gaucho qui conquiert sa belle avec son lasso pour plonger dans un romantisme plus appuyé. Cependant, cette version n’est pas niaise, le bandonéon dans la dernière variation vaut à lui seul que l’on s’intéresse à ce titre.

La payanca 1958 — Los Muchachos de antes.

Avec la guitare et la flûte, cette petite composition peut donner une idée de ce qu’aurait pu être les versions du début du vingtième siècle, si elles n’avaient pas été bridées par les capacités de l’enregistrement. On notera que cette version est la plus proche d’un rythme de milonga et qu’elle pourrait remplir son office dans une milonga avec des danseurs intimidés par ce rythme.

La payanca 1959 — Miguel Villasboas y su Quinteto Típico.

Les Uruguayens sont restés très fanatiques du . En voici une jolie preuve avec Miguel Villasboas.

La payanca 1959-03-23 — Donato Racciatti y sus Tangueros del 900.

Oui, ce tango inspire les Uruguayens. Racciatti en donne également sa version la même année.

La payanga 1964 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas évident de reconnaître notre thème du jour dans la version de Pugliese. C’est une version perdue pour les danseurs, mais qu’il convient d’apprécier sur un bon système sonore.

La payanca 1964-07-29 — dir. Francisco Canaro.

De la même année que l’enregistrement de Pugliese, on mesure la divergence d’évolution entre Pugliese et Canaro. Cependant, pour les danseurs, la version du Quinteto pirincho, dirigé pour une des toutes dernières fois par Canaro sera la préférée des deux…

La payanca 1966-07-25 — Orquesta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo se situe entre Pugliese et Canaro pour cet enregistrement quasiment contemporain, mais bien sûr bien plus proche de Canaro. Ce n’est pas vraiment un titre de danse, mais il y a des éléments intéressants. Définitivement, je l’avoue, je reste avec la version de 1936.

La payanga 1984 — Orquesta Alberto Nery con Quique Ojeda y Víctor Renda.

Alberto Nery fut pianiste d’Edith Piaf en 1953. Ici, il nous propose une des rares versions chantées, avec les paroles de Jesús Fernández Blanco. Vous aurez donc les deux versions à écouter. Honnêtement, ce n’est pas beaucoup plus intéressant que l’enregistrement de Eduardo Arolas et Pancho Cuevas antérieur de près de 70 ans. On notera toutefois le duo final qui relève un peu l’ensemble.

La payanca 2005 — Cuarteto Guardia Vieja.

Pour terminer en fermant la boucle avec une version à la saveur début du vingtième siècle, je vous propose une version par le Cuarteto Guardia Vieja.

À demain, les amis !

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuerdo serait le premier tango écrit par Osvaldo Pugliese. Ayant été édité en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait écrit avant l’âge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un génie, mais ce qui est étonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’âge mûr que d’un tout jeune homme, surtout pour une première œuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs…

La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osvaldo est né en 1905, le 2 décembre. Bien que d’une famille modeste, son père lui offre un violon à l’âge de neuf ans, mais Osvaldo préféra le piano.
Je vais vous présenter sa famille, tout d’abord avec un arbre généalogique, puis nous entrerons dans les détails en présentant les musiciens.

(1876-06-24 – 1945-02-09), le père, flûtiste, compositeur (?) et éditeur de musique

Comme compositeur, on lui attribue :

Ausencia (Tango mío) (Tango de 1931), mais nous verrons, à la fin de cet article, qu’il y en a peut-être un autre, ou pas…
La légende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son père qui était cordonnier, mais il était aussi éditeur de musique et flûtiste. Il avait donc plusieurs cordes à son arc.
De plus, quand son fils Osvaldo a souhaité faire du piano, cela ne semble pas avoir posé de problème alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait être partagé avec son frère aîné, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus démunies…
Même si Adolfo a écrit, semble-t-il, écrit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche édité, notamment ceux de ses enfants…
Voici deux exemples de partition qu’il éditait. À droite, celle de Recuerco, notre tango du jour. On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frère d’Osvaldo, donc.

Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, à savoir : , reconnaissable à son violon avec cornet qui est également le directeur de l’orchestre., puis de gauche à droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonéon (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss à la contrebasse, Pedro Laurenz au bandonéon et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre…
Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonéon et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo à la contrebasse, au bandonéon et Emilio Puglisi au violon.

On voir qu’Adolfo gérait ses affaires et que donc l’idée d’un Osvaldo Pugliese né dans un milieu déshérité est bien exagérée. Cela n’a pas empêché Osvaldo d’avoir des idées généreuses comme en témoignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la répartition des gains avec son orchestre. Il divisait les émoluments en portions égales à chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader était le mieux payé…

Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tango d’Antonio est : Qué mal hiciste avec des paroles d’Andrés Gaos (fils). Il fut enregistré en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.

Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)

Alberto Pugliese (1901-01-29- 1965-05-15), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieusement, les grands frères d’Osvaldo sont peu cités dans les textes sur le tango. Alberto a pourtant réalisé des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :

  • Adoración (Tango) enregistré Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos Viván (1930-03-28).
  • Cabecitas blancas (Tango) enregistré par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
  • Cariño (Milonga)
  • El charquero (Tango de 1964)
  • El remate (Tango) dont son petit frère a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont également enregistré.
  • Espinas (Tango) Enregistré par Firpo (1927-02-27)
  • Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrée par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
  • Por una carta (Tango) enregistré par la Típica Victor (1928-06-26)
  • Soñando el Charleston (Charleston) enregistré par Jazz Band (1926-12-02).

Il en a certainement écrit d’autres, mais elles sont encore à identifier et à faire jouer par un orchestre qui les enregistrera…
On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gênes ont aussi été transmis à la descendance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frère d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adolfo Vicente (surnommé Fito pour mieux le distinguer de son père Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir écrit ou enregistré sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sûr. En effet, il était un brillant violoniste et étant le plus âgé des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son père se livrait à ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cependant, la mésentente avec le père a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allé s’installer à Mar del Plata où il a délaissé la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— …), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de María Concepción Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flûtiste et éditeur.
Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a joué avec son quinteto…

Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— …), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, même si Carla s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espagnol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils étaient musiciens. Le père était zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine où sont nés leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’Européens qui ont émigré vers l’Argentine, comme le fit la mère de Carlos Gardel quelques années plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

Né le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie
Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adopté en souvenir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

Née en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie
Ils se sont mariés le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (Père d’Osvaldo, compositeur, éditeur et flûtiste)
  • Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
  • Luisa María Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
  • Luisa María PUGLIESE Vulcano 1883
  • Concepción María Ana PUGLIESE Vulcano 1885

Extrait musical

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Dans cette version il y a déjà tout le Pugliese à venir. Les versions enregistrées auparavant avaient déjà pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencé les orchestres qui ont interprété son œuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternité de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.

Les paroles

Ayer cantaron las poetas
y lloraron las orquestas
en las suaves noches del ambiente del placer.
Donde la bohemia y la frágil juventud
aprisionadas a un encanto de mujer
se marchitaron en el bar del barrio sud,
muriendo de ilusión
muriendo su canción.

Mujer
de mi poema mejor.
¡Mujer!
Yo nunca tuve un amor.
¡Perdón!
Si eres mi gloria ideal
Perdón,
serás mi verso inicial.

Y la voz en el bar
para siempre se apagó
su motivo sin par
nunca más se oyó.

Embriagada Mimí,
que llegó de París,
siguiendo tus pasos
la gloria se fue
de aquellos muchachos
del viejo café.

Quedó su nombre grabado
por la mano del pasado
en la vieja mesa del café del barrio sur,
donde anoche mismo una sombra de ayer,
por el recuerdo de su frágil juventud
y por la culpa de un olvido de mujer
durmióse sin querer
en el Café Concert.

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Dans la version de la Típica Victor de 1930, Roberto Díaz ne chante que la partie en gras. Rosita Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poètes ont chanté et les orchestres ont pleuré dans les douces nuits de l’atmosphère de plaisir.
Où la bohème et la jeunesse fragile prisonnière du charme d’une femme se flétrissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson.
Femme de mon meilleur poème.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Pardon !
Si tu es ma gloire idéale
Désolé, tu seras mon couplet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit à jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu.
Mimì ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allée à ces garçons du vieux café.

Son nom était gravé par la main du passé sur la vieille table du café du quartier sud, où hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le Café-Concert.

Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition éditée avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dès cette version, la variation finale si célèbre est déjà présente.
Recuerdo 1927 — Rosita Montemar con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intérêt historique et pour avoir les paroles chantées…
Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta . On trouve dans cette version enregistrée à Paris, quelques accents qui seront mieux développés dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintéressant. Cela reste cependant difficile de passer à la place de « La référence ».
Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta Típica Victor con Roberto Díaz. Une des rares versions chantées et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonorité étonnante à cette version. On l’entend particulièrement après le passage chanté.
Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta Francisco Lomuto. Une version très intéressante. Que je pourrais éventuellement passer en bal.
Recuerdo 1941 Orquesta Aníbal Troilo. La prise de son qui a été réalisée à Montevideo est sur acétate, donc le son est mauvais. Elle n’est là que pour la référence.
Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta . Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intéressant de voir comment cette version avait été annoncée par quelques interprétations antérieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens…
Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancé. L’évolution est très nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur à la musique.
Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. On retrouve Pugliese, 22 ans après son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sûr qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprétation de Maciel ne se prête pas à la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrêter de danser pour écouter.

En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une émission de télévision, mais avec un son moyen, mais une vidéo. Alors, je vous la présente.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au théâtre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese au Théatre Colon, le 12 décembre 1985.

Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.

Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a continué à jouer à de nombreuses reprises sa première œuvre. Vous pouvez écouter les différentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrêter là notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la partition éditée en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la première composition d’Osvaldo.
Écoutons le seul tango qui soit étiqueté Adolfo :
Ausencia, 1926-09-16 — José Bohr y su Orquesta Típica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo.
On notera toutefois que la réédition de cette partition est signée Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est à mon avis très probable. Le père et sa vie peu équilibrée et n’ayant pas donné d’autres compositions, contrairement à ses garçons, pourrait ne pas être compositeur, en fait.

Pour certains, c’est, car Osvaldo était mineur, que son père a édité la partition à son nom. Le problème est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient été antérieurement édités à son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’histoire de son frère aîné
Adolfo (Fito). Ce dernier était un brillant violoniste et compositeur.
Pedro Laurenz, alors Bandonéiste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il était avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchiano travaillait alors au café ABC, comme l’indique Osvaldo qui était ami avec le bandonéoniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandé les deux titres marqués Adolfo (Ausencia et Recuerdo).
On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mêmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouée par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son père, ni de son grand frère.
Pour expliquer que le nom de son père soit sur les partitions de ces deux œuvres, je donne la parole à Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donné à son père, car ce dernier, flûtiste avait du mal à trouver du travail et qu’il avait décidé de se reconvertir comme éditeur de partition. En effet, la flûte, très présente dans la vieille garde n’était plus guère utilisée dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Irene Amuchástegui dans .
Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale à la pièce, serait d’Enrique Pollet, alias El Francés, (1901-1973) le bandonéoniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’œuvre aux paroles.
Cependant, la version de 1927 chantée par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantée par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimé la variation finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothèses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisé le rôle Fito et qu’Adolfo le père n’a pas d’autre mérite que d’avoir donné le goût de la musique à ses enfants. Il semble avoir été un père moins parfait sur d’autres plans, comme en témoigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette œuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute régulièrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuerdo restera un souvenir vivant.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par , Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora
Milonga provocadora
que me dio cartel de taura…
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Amigos de antes, cuando chiquilín,
fui bailarín compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalón a cuadritos…
¡Que baile solo el Morocho
! — me solía gritar
la barra «
e los Balmaceda…
Viejos tangos que empezó a cantar
la
¡Eso ya no vuelve más!

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).

Une brève et caricaturale

On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée…
Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. .

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’était les Champs-Élysées étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.
Prendre un exemple en France n’est pas une erreur, c’est ce pays qui servait essentiellement de modèle pour les mœurs de la haute société à cette époque.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocotes

La cocote n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier.
Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes…
Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies.
Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta, Lo de Maria (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.

Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna.
Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :

« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la « haute ». Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succès à tout rompre

C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux «  » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait.
C’est là que a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.
Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta.
Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Laura et Lo de María la Vasca

 « Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et .

¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos!
Eran otros hombres más hombres los nuestros.
No se conocían cocó ni morfina,
los muchachos de antes no usaban gomina.

¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos!
¡Veinticinco abriles que no volverán!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

¿Dónde están los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde están las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
¿Te acordás, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre…

Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.