Archives par étiquette : Roberto Maida

Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

, José Razzano Letra:

Hier, en fouillant dans les vidéos de La , sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon attention. Il s’agit d’un concert donné en 1987 où Roberto Goyeneche a été accompagné par l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Cette rencontre au sommet entre ces deux idoles du tango a donc été filmée et j’ai pensé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enregistré il y a exactement 37 ans, jour pour jour.
Je pourrai rajouter que les auteurs sont eux aussi plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Carlos Gardel et José Razzano pour la composition et Celedonio Esteban Flores pour les paroles.

Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Partition de Mano a mano de Carlos Gardel et José Razzano avec des paroles de Celedonio Flores.
Mano a mano – Roberto Goyeneche con Osvaldo Pugliese y su orquesta. Enregistrement public au Teatro Opera de Buenos Aires (Avenida Corrientes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un monument d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tango.

Paroles

Rechiflado en mi tristeza, te evoco y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una buena mujer.
Tu presencia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste buena, consecuente, y yo sé que me has querido
cómo no quisiste a nadie, como no podrás querer.

Se dio el juego de remanye cuando vos, pobre percanta,
gambeteabas la pobreza en la casa de pensión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y canta,
Los morlacos del otario los jugás a la marchanta
como juega el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infelices ilusiones,
te engrupieron los otarios, las amigas y el gavión;
la milonga, entre magnates, con sus locas tentaciones,
donde triunfan y claudican milongueras pretensiones,
se te ha entrado muy adentro en tu pobre corazón.

Nada debo agradecerte, mano a mano hemos quedado;
no me importa lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habértelos pagado
y, si alguna deuda chica sin querer se me ha olvidado,
en la cuenta del otario que tenés se la cargás.

Mientras tanto, que tus triunfos, pobres triunfos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y placer;
que el bacán que te acámala tenga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los muchachos: Es una buena mujer.
Y mañana, cuando seas descolado mueble viejo
y no tengas esperanzas en tu pobre corazón,
sí precisás una ayuda, si te hace falta un consejo,
acordate de este amigo que ha de jugarse el pellejo
pa’ayudarte en lo que pueda cuando llegue la ocasión.
Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Traduction libre et indications

Entravé (rechiflado peut signifier amoureux, enthousiaste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pauvre vie de paria seulement une femme bonne.
Ta présence de femme (multitude d’acceptions allant de tenancière de bordel à concubine en passant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, conséquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé personne, comme tu ne pourras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pauvre femme (amante, concubine), tu dribblais (essayer d’esquiver, comme au football) la pauvreté dans la pension.
Aujourd’hui, tu as une femme établie (probablement tenancière de maison close), la vie rit et chante pour toi, les morlacos (pesos, argent) de l’otario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchanta (action de jeter des pièces à des personnes pauvres pour qu’elles se jettent dessus en se battant) comme le chat joue avec la misérable souris.
Aujourd’hui, tu as le mate plein d’illusions malheureuses, tu as été gonflé par les otarios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milonga, chez les magnats, avec ses folles tentations, où les milongueras triomphent et chutent, est entrée profondément dans ton pauvre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remercier, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la chargeras sur le compte de l’otario que tu as.
En attendant que tes triomphes, pauvres triomphes éphémères, soient une longue lignée de richesses et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des proxénètes milongueros et que les garçons disent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meuble et que tu n’auras plus d’espoir dans ton pauvre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de conseils, souviens-toi de cet ami qui risquera sa peau pour t’aider de toutes les manières possibles lorsque l’occasion se présentera.

Autres versions

Il y a des centaines d’autres versions, à commencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la formidable camaraderie des gens de tango.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Roberto Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polonais (El Polaco), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne commence sa carrière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mouvement du tango est donc plutôt de la faute de ses parents 😉
En revanche, il compense cela par une diction ferme et un phrasé très particulier qui font que l’on tombe obligatoirement sous son charme.
Arriver tard, n’est pas forcément une mauvaise chose dans la mesure où à partir des années 50, le tango devient surtout une activité de concert, plus que de danse. La radio, les disques et la télévision étaient friands de ces chanteurs expressifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le public.
Dans les années 40, un de ses collègues de l’orchestre de , le chanteur Ángel Díaz, lui donna son surnom de Polaco (Polonais).
Son passage dans l’orchestre de Aníbal Troilo affermit sa gloire naissante, mais le fait qu’il donne une vision personnelle des grands titres du répertoire a également attiré la sympathie du public. Il a su ainsi personnaliser son répertoire, en renouvelant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exemple, notre tango du jour avait été particulièrement apprécié, notamment par Carlos Gardel (son auteur), Charlo, Jorge Omar, , Roberto Maida, Carlos Dante et même (en duo avec Roberto Líster), et Julio Sosa, el Varon del tango. Il convenait donc de se démarquer et Goyeneche sut le faire, faisant souvent oublier les versions antérieures pour que le public ne retienne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, (gorge avec du sable). a d’ailleurs fait une chanson hommage au Polaco, Garganta con arena.

Garganta con arena

Je vous propose de terminer avec la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche. Cacho a composé cette chanson, quelques mois avant la mort de Roberto. Ce dernier en entendant la chanson fredonnée dans la loge par Cacho Castaña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à qui était également présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enregistré la chanson, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adriana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous propose de voir maintenant.

Garganta con arena, la chanson de Cacho Castaña en l’honneur de Roberto Goyeneche, ici, en 2010 chanté par Cacho Castaña et Adriana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Polaco Goyeneche, cántame un tango más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un karma: Cantar, siempre cantar

Tu voz, que al tango lo emociona
Diciendo el punto y coma que nadie le cantó
Tu voz, con duendes y fantasmas
Respira con el asma de un viejo bandoneón

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó

Cantor de un tango algo insolente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Cantor de un tango equilibrista
Más que cantor, artista con vicios de cantor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos falta siempre el aire cuando no está tu voz
A vos, que tanto me enseñaste
El día que cantaste conmigo una canción

Canta, garganta con arena
Tu voz tiene la pena que Malena no cantó
Canta, que Juárez te condena
Al lastimar tu pena con su blanco bandoneón

Canta, la gente está aplaudiendo
Y aunque te estés muriendo, no conocen tu dolor
Canta, que Troilo desde el cielo
Debajo de tu almohada, un verso te dejó
Cacho Castaña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Polaco Goyeneche, chante-moi encore un tango.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du karma : Chante, chante toujours
Ta voix, qui émeut le tango, disant le point-virgule que personne jamais n’a chanté.
Ta voix, avec des lutins (duendes, sorte de gnomes de la mythologie espagnole et argentine) et des fantômes, respirez avec l’asthme d’un vieux bandonéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le chagrin que Malena n’a pas chanté.
Chante, que Juárez te condamne en blessant ton chagrin avec son bandonéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au bandonéon, ce qui est très rare. Troilo, lui-même, chantait parfois quelques instants, mais jamais une véritable partie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on parlera beaucoup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaudissent.
Et même si tu te meurs, ils ne connaissent pas ta douleur. Chante, que Troilo depuis le ciel, sous ton oreiller, un couplet, il t’a laissé.

Chanteur d’un tango un peu insolent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tango équilibriste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous manquons toujours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chanté une chanson avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Monsieur Goyeneche.

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

(Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Carlos Viván, l’auteur et le compositeur de ce tango fut un bon vivant et ce tango touche de très près sa vie qui fut clairement parmi les plus instables possibles. Le seul point étonnant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le supposer, à la fin de sa vie tourmentée… L’abondance des versions à l’âge d’or et par la suite, prouve que ce sujet touchait la sensibilité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

1940-08-20 -Orquesta con Armando Moreno
Partitions de Cómo se pianta la vida de Carlos Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De muchacho rana
Me arrastraron ciegos
En mi juventud
En milongas, timbas
Y en otras macanas
Donde fui palmando
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia champagne
Brindando amoríos
Borracho la alze
Mi vida fue un barco
Cargado de hazañas
Que juntó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezongan los años
Cuando fieros desengaños
Nos van abriendo una herida
Es triste la primavera
Si se vive desteñida

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera

Los veinte abriles cantaron un día
la triste de mi berretín
y en la contradanza de esa algarabía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagando aquellas ranadas
Final de los vivos
Que siempre se da
Me encuentro sin chance
En esta jugada
La muerte sin grupo
Ya ha entrado a tallar

Cómo se pianta la vida
De muchacho calavera
Carlos Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouillard m’ont entraîné à l’aveuglette dans ma jeunesse, dans les milongas (Carlos Viván était un grand danseur de tango), les timbas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma santé.
Mon verre bohème de champagne blond, trinquant aux amours, ivre, je l’ai levé (Carlos Viván était plutôt amateur de Whisky, sans doute à cause de ses origines irlandaises).
Ma vie a été un navire plein d’exploits, qui rejoignit les plages marines et s’échoua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lunfardo, s’enfuir), comme les années grognent quand de féroces déceptions nous ouvrent une blessure.
Le printemps est triste s’il se vit déteint.
Comment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si « Avril » en Argentine tombe en automne, c’est l’équivalent de l’expression « Printemps » pour marquer les années. Dans le vers précédent, il parlait d’ailleurs de printemps) ont chanté un jour la milonga triste de ma lubie et dans la contredanse de ce brouhaha, Il me manquait au plus profond de mon âme une innocence (piolín, verlan de limpio, propre, personne sans casier judiciaire…).
Aujourd’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive toujours.
Je me retrouve sans chance dans ce jeu dangereux.
La mort sans mentir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélection de versions illustrant le succès du thème pendant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 – Azucena Maizani con conjunto
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 – con guitarras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 – Orquesta con Roberto Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 – Orquesta Pedro Maffia con Carlos Viván.

Carlos Viván chante sa composition. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.

Cómo se pianta la vida 1930 – Roberto Maida acomp. de Orquesta .

Roberto Maida avant

Cómo se pianta la vida 1930 – Tania acomp. de Orquesta Alberto Castellano.

Tania avec le même orchestre que Roberto Maida.

Cómo se pianta la vida 1932 – Orquesta Típica Auguste-Jean Pesenti du Coliseum de .

En France aussi, la vie des tangueros est un peu dissolue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 – Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno. C’est notre tango du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 – Orquesta Edgardo Donato con Carlos Almada.
Cómo se pianta la vida 1959c – Héctor Mauré con guitarras y bandoneon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche arr. de Julián Plaza.

On notera le début impressionnant proposé par Troilo et Plaza qui offre un tremplin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon particulièrement expressive. Une version que je trouve convaincante et touchante. Pas de danse possible, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 – Orquesta con Abel Córdoba.

C’est la plus originale et travaillée, un cran au-dessus de celle de Troilo, mais il faut être vraiment fan de Córdoba pour être enchanté par cette version. Je préfère les versions de danse ou celle de Troilo avec Goyeneche, mais la beauté du tango est qu’on a le choix et chacun pourra trouver son bonheur dans la très grande variété de ces enregistrements.

Invierno 1937-08-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Horacio Gemignani Pettorossi Letra:

Invierno est sans doute un des tangos préférés des danseurs qui aiment Canaro. Avec un nom pareil, on se doute qu’on va parler de froid, d’hiver, en somme, mais avez-vous fait attention aux émouvantes paroles de Cadícamo ? Je vous offre en prime le texte complet de Cadícamo. Prenez votre manteau et votre écharpe et entrons au cœur de l’hiver.

Extrait musical

Invierno 1937-08-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida
Disque et partition de Invierno

Il n’est pas sûr, qu’il soit nécessaire de décrire cet enregistrement tant il est connu. On notera l’intervention des instruments à vent (cuivres) typiques de Canaro. Le rythme est appuyé, comme un celui d’un homme marchant dans une neige épaisse.
La voix de Maida, survole l’orchestre qui atténue ses pas lourds pour laisser la place au chanteur. C’est du Canaro typique et efficace. D’ailleurs, les orchestres contemporains qui reprendront le titre s’inspireront assez fortement de cette version pour faire leurs propres versions. Nous en verrons quelques-unes en fin d’article.

Paroles

Desde aquel balcón
Baja una canción,
Que es como un jirón
De una esperanza…
Su intención es la desesperanza cruel
Que me arrincona más
En esta soledad.
Desde aquel balcón
Rueda una canción,
Que en la noche negra
Dice así:

Volvió…
El invierno con su blanco ajuar,
Ya la escarcha comenzó a brillar
En mi vida sin amor.
Profundo padecer
Que me hace comprender,
Que hallarse solo, es un horror.

Y al ver…
Cómo soplan en mi corazón,
Vientos fríos de desolación
Quiero llorar.
Porque mi alma lleva
Brumas de un invierno,
Que hoy no puedo disipar…

En aquel balcón
Cesa la canción,
Pero igual la escuchan mis oídos
Y es que por el eco perseguido estoy.
Y todo su dolor
Embarga el corazón.
Para qué querré
Esta vida yo,
Cuando no me queda juventud…
Horacio Gemignani Pettorossi Letra: Enrique Domingo Cadícamo

Roberto Maida chante uniquement ce qui est en gras, c’est-à-dire le texte annoncé comme étant la chanson écoutée par le narrateur.

libre

Depuis ce balcon, une chanson descend, qui est comme un lambeau d’espoir…
Son sujet est le désespoir cruel qui m’enfonce davantage dans cette solitude.
Depuis ce balcon roule une chanson qui, dans la nuit noire, dit ceci :
Il est revenu…
L’hiver avec ses atours blancs,
Déjà le givre a commencé à briller dans ma vie sans amour.
Une souffrance profonde qui me fait comprendre qu’être seul, c’est une horreur.
Et quand je vois…
Comme ils soufflent dans mon cœur, les vents froids de la désolation, j’ai envie de pleurer.
Parce que mon âme porte les brumes d’un hiver, qu’aujourd’hui je ne peux pas dissiper…

Sur ce balcon, la chanson s’arrête, mais mes oreilles l’entendent encore, car l’écho me poursuit.
Et toute sa douleur paralyse le cœur.
Pourquoi, moi, voudrais-je cette vie, alors que je n’ai plus de jeunesse…

Autres versions

Je serai tenté de dire qu’il n’y a pas d’autre version, mais ce ne serait pas sympathique pour les orchestres contemporains qui ont remis le titre à la mode.
Je signale tout de même qu’il existe au moins deux autres tangos qui s’appellent Invierno, composés par avec des paroles de Ramón Abellá (Rafael Jorge Abellá) pour le premier et avec Araujo (paroles et musique) pour le second.
Je vous propose seulement ici, les versions issues de Horacio Gemignani Pettorossi et Enrique Domingo Cadícamo.

Invierno 1937-08-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.
Invierno 2013-11-30 – con
Invierno 2015 – Cuarteto Mulenga con Maximiliano Agüero
Invierno 2015 – Orquesta Típica Misteriosa con Carlos Rossi
Invierno 2015c – Solo Tango Orquesta
Invierno 2017-10 – Orquesta Romántica Milonguera con y .

 Une orchestration originale et un duo, homme femme, comment résister à cette version ?

Invierno 2018 – Orquesta Típica Misteriosa con

De nouveau la Misteriosa dans une autre version, cette fois chantée par une femme, Eliana Sosa. Merci à Thierry, mon, talentueux correcteur qui détecte les coquille et a remarqué que j’avais mis deux fois la même version de Invierno par la Típica Misteriosa. Maintenant, vous avez bien ici Eliana Sosa qui a également enregistré avec Juan Pablo Gallardo et a réalisé deux disques, Sinergia tanguera et De donde vengo (dans lequel elle chante également ses propres compositions).

Et pour terminer en vidéo, un enregistrement de 2017 du Cuarteto Mulenga à la Parakultural.

Frío 1938-07-26 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Joaquín Mauricio Mora Letra:

Sans doute influencé par la température polaire de ces derniers jours à , j’ai choisi Frío (Froid) pour l’anecdote du jour. Cette version magnifique et presque orpheline a été enregistrée par Canaro et Maida il y a exactement 83 ans… Cet enregistrement parle d’un froid interne, mais il a été enregistré en hiver, comme l’a été l’année précédente (l’hiver) par les mêmes… Je vous invite à grelotter.

Un petit mot sur Joaquín Mauricio Mora (1905-1979)

Certains talents passent un peu dans l’oubli, tout comme ce magnifique et je suis content de les rappeler à notre souvenir.
Joaquín Mora est né en 1905 en Uruguay, d’une mère de ce pays et d’un père argentin. Il fit de sérieuses études musicales au point de devenir professeur de piano et il se toqua pour le bandonéon qui bien qu’aussi un instrument à touches exige une dextérité différente. Avec cet instrument qu’il apprit de façon autodidacte, il jouera dans de nombreux orchestres, par exemple avec et le Trio Irusta-Fugazot-Demare en Europe et il fut l’un des bandonéonistes de Miguel Caló.

Portraits de Joaquin Mora. En haut dans l’orchestre de Miguel Calo en 1935, en bas avec les musiciens de son orchestre en 1936. À droite, avec son orchestre en Uruguay

Il tourna également en Amérique du Sud, et joua même avec la Sonora Matancera (en 1949).

Cartes de musicien de Mora : Colombie — Managua au Nicaragua — Medellín (Colombie).

Un jour il perdit son bandonéon et il continua comme pianiste…
Mais il fut aussi un compositeur intéressant.
Parmi ses compositions, citons celles dont nous avons des enregistrements. Une bonne partie étant avec des paroles de Contursi :
Al verla pasar / Como aquella princesa / Esclavo / Frío / Más allá / Sin esperanza (Vals)
Tangos sans paroles de Contursi (instrumentaux ou avec d’autres paroliers) :
Divina (marche puis en tango) / En las sombras / Margarita Gauthier / Si volviera Jesús / Ushuaia / Volver a vernos / Yo soy aquel muchacho

Extrait musical

Frío 1938-07-26 – Orquesta con Roberto Maida.

Le mode mineur prédominant dans cette musique donne un air de tristesse. Maida chante délicatement, mais en suivant le rythme soutenu de l’orchestre qui ne se calmera que dans les dernières secondes par un ralentissement (calendo ou même morendo).

Paroles

De vraiment très belles paroles, mais José María Contursi nous a habitué à ces splendides et simples.

Por qué seguir penando así
Si el sol no brilla para mí,
En esta noche inacabable, mi querer
Se desangra lentamente por ti.

No sé si el viento llevará
Mi voz, cansada de llamar,
Giro la vista, angustiado
De ver a mi lado
Sombras, .

Me agobia el peso de las penas mías
Anduve tanto y tanto, sin llegar,
Mi espíritu cansado, necesita
Quebrar sus alas mustias y olvidar.
Si encontrara un reparo en el camino
Donde el alma pudiera cobijar,
Garúa de y este frío
Este frío mortal, mi soledad.

Busqué la paz en la oración
Mi voz, un rezo musitó,
Y en las palabras,
Las primeras que aprendí
Y el de mi madre, me ahogó.

Joaquín Mauricio Mora Letra: José María Contursi

Roberto Maida ne change que ce qui est en gras. Podestá, chante tout et fait même des reprises…

Traduction libre des paroles

Pourquoi continuer à pleurer ainsi si le soleil ne brille pas pour moi, en cette nuit sans fin, mon amour saigne lentement pour toi.
Je ne sais pas si le vent portera ma voix, fatiguée d’appeler, je détourne le regard, angoissé de voir des ombres à mon côté, rien de plus.
Le poids de mes peines me submerge, j’ai tant et tant marché, sans arriver, mon esprit fatigué, a besoin de briser ses ailes desséchées et d’oublier.
Si je trouvais une retraite sur le chemin où l’âme pouvait s’abriter, un crachin (pluie fine) de souvenirs et ce froid, ce froid mortel, ma solitude.
Je cherchais la paix dans la prière, ma voix murmurait une obsécration, et dans les mots, les premiers que j’appris et le souvenir de ma mère, je me noyais.

Ce joli texte et cette exquise musique n’ont pas fait beaucoup d’adeptes. On notera tout de même une version par Alberto Podestá avec l’auteur, Joaquín Mora.

Frío 1938-07-26 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.
Frío 1960 – Alberto Podestá Acc. Joaquín Mora y su orquesta.

On se rend compte avec cette version de l’écriture novatrice de Mora que le classicisme de Canaro avait estompée. En fait, c’est presque l’inverse, car la musique de Mora donne des références à la musique classique française de l’époque. Pfffff. Pas facile à expliquer, tout cela.
C’est à écouter, mais c’est une belle réalisation.

À demain, les amis et merci à ceux qui ont lu jusqu’au bout. Je me suis rendu compte aujourd’hui que certains ne voyaient que le chapô et la photo sur Facebook, négligeant de cliquer sur le lien où se trouve l’anecdote du jour…

Faîtes passer l’info si vous pensez que les anecdotes peuvent les intéresser.

Les anecdotes de tango, c’est un site, pas une photo avec trois lignes sur Facebook. Pensez à cliquer sur le lien…

Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Nous avons vu il y a peu Un tango y nada más où j’évoquais l’existence d’une vingtaine de tango contenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arienzo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils marquent des points, beaucoup de points.

Extrait musical

Partition pour piano éditée par Jules Korn de Nada más.
Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con .

La musique se déroule en parties s’opposant, de passages martelés (bandonéons et piano) et d’autres ondoyants (violons). La voix de Echagüe se lance, pour un court passage, le refrain, en totale harmonie avec la musique qui continue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organisation jusqu’à la fin. Une version pour . On notera que les petites accentuations du piano sont un peu plus discrètes que dans les dernières versions avec Biagi au piano. Juan Polito est en train de trouver ses marques pour succéder aux mains sorcières de Rodolfo Biagi.

Paroles

No quiero nada, nada más
que no me dejes, frente a frente, con la vida.
Me moriré si me dejás
por qué sin vos no he de saber vivir.

Y no te pido más que eso,
que no me dejes sucumbir,
te lo suplico por Dios
no me quites el calor
de tu cariño y tus besos,
que, si me falta la luz
de tu mirar, que es mi sol,
será mi vida una cruz.

Cuánta nieve habrá en mi vida
sin el fuego de tus ojos!
Y mi alma, ya perdida,
sangrando por la herida,
se dejará morir,
y en la cruz de mis anhelos
llenaré de brumas mi alma,
morirá el azul del cielo,
sobre mi desvelo
viéndote partir.

No quiero nada, nada más
que la mentira de tu amor, como limosna.
¿Qué voy a hacer si me dejás
con el vacío de mi decepción?
No te vayas te lo ruego,
no destroces mi ,
si no lo hacés por amor
hacelo por compasión
pero por Dios no me dejés
jamás te molestaré,
seré una sombra a tus pies,
tirada en algún rincón.

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra: Luis Rubistein

Echagüe ne chante que le refrain (en gras).
chante ce qui est en bleu.
Ada Falcón chante tout et termine en reprenant le refrain (en gras).

Traduction libre

Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laisses pas face à face avec la vie.
Je mourrai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre.
Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laisser succomber, je te supplie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’enlever la chaleur de ton affection et de tes baisers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix.
Combien de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux !
Et mon âme, déjà perdue, saignant de la blessure, se laissera mourir, et sur la croix de mes désirs je remplirai mon âme de brouillards, le bleu du ciel mourra, sur mon insomnie en te regardant partir.
Je ne veux rien, rien de plus que le mensonge de ton amour, comme une aumône.
Que vais-je faire si tu me laisses avec le vide de ma déception ?
Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de Jacques Brel), je t’en supplie, ne détruis pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par compassion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.

Paroles de la première version dédiée à [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Une première version de la musique a été associée à des paroles, également de Rubinstein à la gloire de Alfredo Callejas surnommé « El  » qui était un jockey fameux de l’hippodrome de Palermo (Buenos Aires). Son fils également prénommé Alfredo a repris sa carrière comme entraîneur et quitta l’Argentine en 1977 pour aller s’occuper des chevaux de son compatriote Robert Pérez à (USA). Le petit fils d’Alfredo et fils d’Alfredo, Bernardo a suivi le même chemin et a un élevage de chevaux à Belmont (USA).
Les paroles évoquent Blandengues. Il me semble qu’il s’agit d’un lieu situé à Barracas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jockey et entraîneur.
Le nom est également celui d’un régiment argentin créé au 18e siècle et dissous au 19e (notons qu’un régiment de ce nom existe toujours en Uruguay). Il est donc peu probable que Alfredo soit réellement un membre de Blandengues. je propose plutôt d’y voir un hommage historique, ce jockey rejoignant les illustres défenseurs de la patrie (contre les peuples premiers), ou tout simplement son lieu d’origine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu particulièrement propice aux exploits équestres et au tango, d’autant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces propices à ces exercices. Aujourd’hui encore, un grand parc subsiste, El parque Leonardo Pereyra.

Sos de Blandengues el mejor
Y no hay quién tenga tu muñeca pa’ tallar,
Ni se conoce un cuidador
Con más carpeta pa’ poder ganar.

Y de Blandengues sos el mago
Que ha conquistado más halagos,
« Tigre » Callejas, no hay qué hacerle
Se impone tu muñeca de gran « compositor ».

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Tu es de Blandengues le meilleur et il n’y a personne qui a ton poignet pour dominer (tallar n’est pas à prendre dans le sens de tailler, mais de dominer, c’est du lunfardo), ni aucun soigneur connu avec plus d’habileté (carpeta en lunfardo) pour pouvoir gagner.
Et de Blandengues vous êtes le magicien qui a conquis le plus d’éloges, « Tigre » Callejas, il n’y a rien à faire, votre talent (muñeca en lunfardo = habileté) de grand « compositeur » s’impose (un compositor en lunfardo est un préparateur de chevaux de course).

Autres versions

Callejas solo (A Alfredo Callejas) 1928 – Orquesta Juan D’Arienzo con Carlos Dante.

D’Arienzo et Rubinstein avaient déjà utilisé cette même musique sous le titre Callejas solo. Vous reconnaîtrez sans peine l’air, même si l’interprétation est extrêmement différente. Heureusement que Carlos Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet .

Callejas solo 1930 – Orquesta Eduardo Bianco.

Même si cette version instrumentale a été publiée sous le titre de Callejas Solo, la douceur de son interprétation semble plus adaptée aux nouvelles paroles, celle de Nada más. La version française serait donc un précurseur des futures versions.

Nada más 1938-07-08 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre .
Nada más 1938-08-22 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On remarque tout de suite que l’interprétation de Canaro est plus suave. Maida chante d’une voix caressante. On est aux antipodes de la version de D’Arienzo. Deux ambiances pour deux moments distincts de la milonga. Les deux sont parfaits pour la danse.

Nada más 1938-09-28 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Un mois plus tard, Canaro enregistre avec sa chérie, Ada Falcón une version à écouter. C’est absolument clair. L’orchestre introduit directement le chant, puis par la suite ne sert que de ponctuation. Ada chante quasiment a capella. C’est une version très étonnante, mais passionnante.

Nada más 1958-07-10 – Orquesta Juan D’Arienzo con .

Je suis sûr qu’aucun danseur n’échangera la version de D’Arienzo avec Echagüe avec celle interprétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’émotion d’Ada Falcón.

Nada más 1971-12-20 – Orquesta Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano.

Treize ans plus tard, D’Arienzo enregistre sa troisième version du titre avec Mercedes Serrano. Il l’enregistrera même deux fois avec elle. Je trouve que la version avec Mercedes Serrano en 1971 est bien plus intéressante que celle avec Jorge Valdez.

Pour terminer la liste des versions, je vous propose un autre enregistrement, par les mêmes. Il s’agit d’une version enregistrée dans l’émission El Tango del Millón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été colorisée par Pablo Ramos qui effectue un travail formidable, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Compás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui remplaça, à mon avis très efficacement, Jorge Valdez.

Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano. 1971 ou 1975.

Et Jacques Brel, dans l’affaire ?

La photo de couverture a sans doute étonné certains, je vous dois une explication, que vous avez peut-être déjà devinée en prenant connaissance des paroles.
Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pouvait être une référence au jockey Callejas, mais à cause des paroles de sa chanson immortelle « Ne me quitte pas ».

Nada más. Jacques Brel, ne me quitte pas.

En effet, elle se termine par :

« Laisse-moi devenir
L’ombre de ton ombre
L’ombre de ta main
L’ombre de ton chien
 »

Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.

Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubinstein :

“jamás te molestaré,
seré una sombra a tus pies,
tirada en algún rincón.”

Luis Rubistein, fin des paroles de Nada más.

L’idée d’être l’ombre de l’autre est une image intrigante, peut-être même inquiétante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique sombre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la question. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’oubliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais auparavant, délectez-vous de la chanson de Jacques Brel.

Ne me quitte pas, Jacques Brel

« Il n’est de grand amour qu’à l’ombre d’un grand rêve ».

Edmond Rostand (Cyrano de Bergerac)

À demain, les amis !

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Antonio  ? Letra : Eduardo Vicente Bianco

Poema par Canaro et Maida est le type même du tango que l’on ne peut pas facilement proposer dans une autre version. Amis DJ, si vous tentez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pourtant, il existe d’autres versions qui ne déméritent pas. Analysons un peu ce tango, qui est, selon un sondage réalisé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présenterons également une enquête pour savoir qui est le compositeur de ce chef-d’œuvre.

Ajout de deux versions le 29 août 2024, une en letton et une en arabe
(Cadeau d’André Vagnon de la Bible Tango).

Extrait musical

Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poema par Canaro. Peut-être plus attentivement 😉

Partition pour piano Poema de Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco.
Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

Paroles

Fue un ensueño de dulce amor,
horas de dicha y de querer.
Fue el poema de ayer,
que yo soñé de dorado color.
Vanas quimeras que el corazón
no logrará descifrar jamás.
¡Nido tan fugaz,
fue un sueño de amor,
de adoración!…

Cuando las flores de tu rosal
vuelvan más bellas a florecer,
recordarás mi querer
y has de saber
todo mi intenso mal…

De aquel poema embriagador
ya nada queda entre los dos.
¡Con mi triste adiós
sentirás la emoción
de mi dolor !…

Antonio Mario Melfi Letra : Eduardo Vicente Bianco

Traduction libre

Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour.
Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée.
Vaines chimères que le cœur ne pourra jamais déchiffrer.
Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…

Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te souviendras de mon amour et tu devras connaître tout de mon mal intense…

De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux.
Avec mon triste adieu, vous ressentirez l’émotion de ma douleur…

Qui est le compositeur de Poema ?

Vous pensez que la réponse est simple, mais ce n’est pas si certain, car il y a trois hypothèses.

La version traditionnelle

Antonio Mario Melfi pour la musique et Eduardo Vicente Bianco pour les paroles.

Partitions avec attributions traditionnelles. Partition espagnole avec Bianco en photo. Partition française (Garzon) avec Bianco et Melfi en photo. Disque Columbia Londres écrit en français de Pesenti et Nena Sainz. Partition Bianco (avec photo de Rosita Montenegro). Partition italienne, avec en plus le nom du traducteur U. Bertini.

Les partitions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respectifs des auteurs. Remarquez le disque central. Il sera aussi, dans une autre édition, dans l’argument pour la variante…

Une variante :

Antonio Mario Melfi et Eduardo Vicente Bianco en collaboration pour les deux.

En faveur de cet argument, Melfi est compositeur et a écrit les paroles de certains tangos, notamment les siens. On peut donc le classer également comme parolier. Il a composé Volve muchacha qui a clairement des liens de parenté avec Poema.
Bianco est connu comme parolier et comme musicien. Certains de ces titres peuvent concorder avec celui de Poema, stylistiquement, bien que moins réussis. Par exemple Corazón (dont il existe quatre enregistrements par Bianco de 1929 à 1942). Je ne parle que de la composition, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enregistré d’autre tango composé par Bianco, on doit comparer avec les enregistrements de Bianco.
En faveur de cet argument, on a les disques qui ne différencient pas les deux contributions. En voici quelques exemples.

La majorité des disques ne distinguent pas les fonctions. À gauche, deux disques Brunswick du même de Bianco (1937). Le premier indique les deux noms, sans différentiation et le second n’indique que Bianco… Au centre, notre Canaro de référence dans une édition argentine. Ensuite, Imperio Argentino et la mention des deux sans distinction de fonction et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesenti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attribution.

On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas précisément crédités. Le détail amusant est le disque de Pesenti et Nena Sainz qui entre dans les deux catégories.

Une version iconoclaste

Dans l’excellent site de référence « Bible tango », on peut lire :
« Selon Marcel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en souvient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sarbek, le véritable compositeur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème traditionnel biélorusse. »
50 francs de l’époque, selon le calculateur de l’INSEE (Institut National de Statistiques France), cela correspondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coûtait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait vendu sa création pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sembler peu, mais souvenez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fernando Rada aurait écrit les paroles de Araca la cana si on en croit l’anecdote présentée dans le film Los tres berretines.
L’affirmation mérite d’être vérifiée. Boris Sarbek étant probablement un homme d’honneur, n’a probablement pas divulgué la vente de sa création qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retranscription d’un thème traditionnel.
Il convient donc de s’intéresser à ce compositeur pour essayer d’en savoir plus.
Boris Sarbek (1897-1966) s’appelait en réalité Boris Saarbekoff et utilisait souvent le pseudonyme Oswaldo Bercas.
Voyons un peu ses prestations dans le domaine de la musique pour voir s’il est un candidat crédible.

Des musiques composées par Sarbek

Par ordre alphabétique. En bleu, les éléments allant dans le sens de l’hypothèse de Sarbek, auteur de Poema.
Compositions :
Ce soir mon cœur est lourd 1947
Concerto de minuit, classé comme musique légère
Czardas Divertimento 1959
Déception (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se connaissaient suffisamment pour travailler ensemble.
El Fanfarrón 1963
El queño
Furtiva lagrima 1962
negro
Intermezzo de tango 1952
Je n’ai plus personne
Le tango que l’on danse
Linda brunita
Manuska
Mon cœur attendra 1948
Oro de la sierra
Où es-tu mon Espagne ?
Pourquoi je t’aime 1943
Près de toi ma Youka 1948
Rêvons ensemble 1947
Souffrir pour toi 1947
Tango d’amour
Tango maudit
Tendrement 1948

Des musiques arrangées par Sarbek

Bacanal 1961
C’est la samba d’amour 1950
Dis-moi je t’aime
Elia 1942
En forêt 1942
Gipsy fire 1958
Je suis près de vous 1943
Les yeux noirs (chanson traditionnelle russe). Si Poema est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce répertoire.
Meditación 1963
Nuages
One kiss
Pampa linda 1956
Puentecito 1959
Rose avril 1947
Tango marcato 1963
Un roi à New York 1957 Il a réalisé les arrangements musicaux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chaplin (Charlot). Chaplin a tout fait dans ce film, l’acteur, le metteur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sarbek. Ce dernier a aussi dirigé son grand orchestre pour la musique du film.
minuit
Vivre avec toi 1950

Sarbek pianiste

Il est intervenu à la fois dans son orchestre, mais aussi pour différents groupes comme Tony Murena, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Victor.

Melfi récupérateur ?

Je place cela ici, car ce serait un argument si Mefli était coutumier de la récupération.
Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin.
Il a donc au moins une autre fois utilisé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exemples fourmillent dans le domaine du tango.
Donc, Melfi n’est pas un récupérateur habituel.

Sarbek interprète de Poema

S’il est l’auteur, il est probable qu’il ait enregistré ce titre. C’est effectivement le cas.
Un enregistrement de Poema signé Boris Sarbek, ou plus exactement de son pseudonyme Oswaldo Bercas, circule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait probablement une preuve, Sarbek aurait enregistré deux ans avant les autres.
Je vous propose de l’écouter.

Poema – Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ?
Pour en avoir le cœur net, je vous propose l’autre face du disque qui comporte une composition de , .

Angustia — Oswaldo Bercas et son Ensemble Tipique (sic).

Voici les photos des deux faces du disque.

Les numéros de matrice sont 2825-1 ACP pour Poema et 2829-1 ACP pour Ausencia.

Comme vous avez pu l’entendre et comme le confirment les numéros de matrice, les deux œuvres sont similaires et ne peuvent pas avoir un écart temporel de plus de vingt ans.
C’est au moins un argument qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sarbek et encore moins de Poema.

Un argument musical

N’était pas spécialiste de musique biélorusse, je ne pourrai pas mener une étude approfondie de la question.
Cependant, vous avez certainement noté, vers 1:18 du Poema de Sarbek, un thème qui n’est pas dans le Poema habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas conservé Melfi ?
Dans les autres portions de Poema, on est tellement habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trouver des origines slaves. Cependant le fait que ce titre sonne un peu différemment des autres Canaro contemporains pourrait indiquer un élément hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Maida qui s’assemble parfaitement avec Poema. Canaro a sans doute sauté sur le international de cette œuvre pour l’enregistrer.
Au sujet d’international, il y a une version polonaise que nous entendrons ci-dessous. Les Polonais aurait pu être sensibles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la domination russe et ils n’en étaient pas particulièrement heureux…
J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la première version enregistrée par Bianco, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous reconnaîtrez sans doute un instrument étrange. Cet enregistrement est le premier de la rubrique « Autres versions » ci-dessous.

Autres versions

La tâche du DJ est vraiment difficile. Comment proposer des alternatives à ce que la plupart des danseurs considèrent comme un chef-d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonardo Da Vinci ? À voir.

Poema 1932 – Orquesta Eduardo Bianco con .

Cette version commence par des cymbales, puis des violons très cinématographiques, puis un bandonéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette étonnante et longue introduction, on entre dans un Poema relativement classique. Avez-vous identifié l’instrument qui apparaît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres reprises comme 2: 44 avant le chant et en accompagnement de celui-ci ?

Vladimir Garodkin joue le canon en ré majeur de Johann Pachelbel. Tien à voir avec le tango, mais c’est pour vous faire entendre le tsimbaly

Le tsimbaly, pas courant dans le tango, pourrait être un argument pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.

Poema 1933 – Imperio Argentina acomp. de guitarras, piano y violin.

Le violon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accompagnée par la guitare et quelques ponctuations du piano. Le violon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Imperio Argentina reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trouver cette version magnifique, jusqu’à l’arpège final au violon.

Poema 1933 – Orquesta Típica Auguste Jean Pesenti du Coliséum de Paris con Nena Sainz.

Une version plus marchante, moins charmante. Auguste Jean Pesenti a déjà adopté des codes qui deviendront les caractéristiques du tango musette. Je suis moins convaincu que par l’autre version féminine d’Imperio Argentino. À noter la partie récitée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous acceptons moins maintenant.

Poema 1933-12 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco con Manuel Bianco.

Une autre version de Bianco avec son frère, Manuel. Elle est beaucoup plus proche de la version de Canaro, en dehors de l’introduction des violons qui jouent un peu en pizzicati à la tzigane. La contrebasse marque fortement le tempo, tout en restant musicale et en jouant certaines phrases. C’est très différent de la version de Canaro et Maida, mais pas vilain, même si la contrebasse sera plus appréciée par les danseurs de tango musette, qu’argentin.

Comme une chanson d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Parlophon, dirigé par , chant Petros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).

Une version grecque, preuve que le titre s’est rapidement répandu. Il y aura même une version arabe chantée par Fayrouz et l’orchestre de Bianco enregistré en 1951. Malheureusement, ce titre n’existe pas dans les quelques disques que j’ai de cette merveilleuse chanteuse libanaise.

Poema 1934 – Stefan Witas.

Une version polonaise qui fait tirer du côté des origines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polonais n’étaient pas forcément russophiles à l’époque.

Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est notre tango du jour.

On notera que Canaro entre directement dans le thème, sans introduction.

Poema 1937 – René Pesenti et son Orchestre de Tango con Alberto.

Un autre Pesenti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesenti ?

Deux autres preuves du succès mondial de Poema que je peux vous proposer grâce à la gentillesse d’André Vagnon de la Bible Tango qui me les a fait parvenir.

Poema 1938 – Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Letton. Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1951 (Men Hona Hobbona marra) – Orquesta Eduardo Bianco con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poema 1954c – Oswaldo Bercas (Boris Sarbek) et son Ensemble Tipique (sic).

Oswaldo Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le collecteur de la musique traditionnelle à l’origine de Poema. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéressant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque certains essayaient de faire passer cet enregistrement pour une réalisation de 1930. À comparer à la version de Melfi enregistrée quelques mois plus tard.

Poema 1957 – Mario Melfi.

Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coauteur, ici, Melfi présente sa lecture de l’œuvre. C’est une version très originale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impossible de la comparer aux versions des années 30. Cependant, la comparaison avec la version à peine antérieure de Sarbek est pertinente…

Poema (Tango insólito impro 22 Un poema romántico by Orchestra).

Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est originaire, ou pas, la musique.
Pour terminer, une autre version actuelle, par la Romantica Milonguera qui a essayé de renouveler, un peu, le thème.

Poema par l’orchestre Romantica Milonguera. Chanteuse, Marisol Martinez.

La Romantica Milonguera commence directement sur le thème, sans l’introduction, comme Canaro.

À demain, les amis !

Les succès de la radio en 1937

Ediciones musicales Julio Korn

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Sur cette publicité, les 12 succès des éditions Julio Korn. Évidemment, ils ne parlent pas des succès édités par d’autres maisons d’édition…

Les éditions Julio Korn

Julio Korn (1906​-07-19 – 1983-04-18) était à la tête d’un empire de la presse. Il publiait en 1937, six hebdomadaires, Radiolandia, Antena, Goles, Vosotras, TV Guía et Anteojito. Son seul concurrent sérieux était Héctor García qui publiait Así. Il était donc en situation de quasi-monopole.

« Mi intención fue siempre llegar a la gran masa del pueblo, sin pretender instruirla sino entretenerla »

«Mon intention a toujours été d’atteindre la grande masse du peuple, sans prétendre l’instruire, mais pour la divertir». Devise que les Citizen Kane d’aujourd’hui perpétuent.

Julio Korn est le prototype du self-made man. Orphelin à 9 ans, il travaille dans une imprimerie ce qui lui permet de sauver de l’asile son jeune frère. À 15 ans (1921), il se rend à Montevideo pour proposer à Edgardo Donato de devenir son éditeur musical. Il devait être du genre convaincant, car il remporta l’affaire et obtint un prêt pour s’acheter la presse destinée à imprimer les partitions. Huit ans plus tard, il avait imprimé 35 000 partitions.
En 1924, il avait créé une revue musicale, La Canción Moderna, dont il était également le rédacteur en chef.

À gauche, le numéro du 30 juin 1936 de Radiolanda (La Canción Moderna) où est annoncée la saga Gardel. La couverture du 6 juin 1936 avec Gardel et le premier des articles sur les confidences de Berta sur la vie de son fils.

En juin 1936, La Canción Moderna qui est devenu Radiolandia publie la vie de qui était mort l’année précédente en exploitant le côté sentimental du témoignage de Berta Gardes, la mère de Gardel qui a d’ailleurs cédé gratuitement les droits de reproduction. Et pan dans les dents de la thèse uruguayenne de l’origine de Carlos Gardel qui prétend que Berta se serait déclaré sa mère pour toucher l’héritage en établissant de faux papiers… Gardel enfant de France.
Cet article est un bon exemple de la littérature populaire des revues de Julio Korn.
Mais revenons à la partition de No quiero verte llorar et à sa quatrième de couverture.

Partition de No Quiero Verte Llorar des Éditions Julio Korn.

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Les succès de la radio en 1937

Les succès de la radio 01

Milonga triste (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi)

Milonga triste 1937-02-19 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milonga triste 1937-08-10 — Orquesta Francisco Canaro

Amor (Carlos Gardel Letra Luis Rubistein)

Amor 1936-07-14 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Avec des airs de Silencio, du même Gardel.

Milagro (Luis Rubistein, paroles et musique)

Milagro 1936-11-27 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milagro 1937-02-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Arrepentido (Rodolfo Sciammarella, paroles et musique)

Arrepentido 1937-05-26 — Libertad Lamarque con orquesta. Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio.

Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio. Cependant, l’année précédente, il y a eu deux enregistrements qui peuvent très bien passer à la radio et participer au succès de la composition de Sciammarella :

Arrepentido 1936-09- 18 – Orquesta Roberto Firpo con Carlos Varela.

Carlos Varela que nous avions entendu avec Firpo dans No quiero verte llorar.

Arrepentido 1936-09-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les succès de la radio 02
Las perlas de tu boca 1935-10-08 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Il est indiqué Boléro sur la partition, mais il s’agit ici d’un en rumba. Ce titre a été beaucoup enregistré, bien sûr en boléro, mais aussi en Danzón (par Rey Cabrera). Difficile de savoir quel enregistrement était la référence. Il peut aussi tout simplement s’agir d’une erreur, en effet le terme boléro comme le terme Jazz est générique et peut éventuellement ne pas différencier deux types de danse.
Je vous propose tout de même un exemple, par le chanteur d’opéra, mexicain, Alfonso Ortiz Tirado.

Las perlas de tu boca 1934 — Alfonso Ortiz Tirado. C’est un enregistrement RCA Victor réalisé à .

Por el camino adelante (Lucio Demare ; Roberto Fugazot ; Agustín Irusta Letra: Joaquín Dicenta (Joaquín Dicenta Alonso)

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare.

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare. Avec cette chanson on est plutôt dans le domaine du folklore, mais après tout, le tango n’est pas la seule musique qui passe à la radio. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de 1936 ou 1937. Il se peut donc que ce soit une autre version qui avait du succès en 1937.

Rosa de otoño [ Letra: José Rial, hijo]

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro. Encore un enregistrement un peu ancien, mais la mort de Gardel deux ans plus tôt a sans doute relancé ses interprétations. On est là encore à la limite du tant avec un vals criollo. C’est Di Sarli en 1942 qui fera sortir cette valse du domaine folklorique, mais c’est une autre histoire…

Les succès de la radio 03

En blanco y negro [Néstor Feria Letra: Fernán Silva Valdéz]

En blanco y negro 1936-05-06 — Gómez con acomp. de su Cuarteto de Guitarras

Une milonga, mais une milonga criolla. Décidément le folklore avait la côte…

[Héctor María Artola Letra: Alfredo Navarrine]

Falsedad 1936-10-25 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On revient dans le domaine du tango avec ce très beau titre, sans doute un peu oublié dans les milongas d’aujourd’hui, même dans celles qui abusent de la vieille garde ; -)

Monotonía (Hugo Gutiérrez Letra : )

Monotonía 1936-12-03 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Encore Lomuto et Omar en vedette avec ce tango de Hugo Gutiérrez et Andrés Carlos Bahr. Le titre ne donne pas très envie de danser, la musique non plus. Cela devait être plus agréable de vaquer dans son appartement avec cette musique de fond à la radio.

(Julio De Caro Letra : Jesús Fernández Blanco)

Pienso en ti 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro con .

Las hermanas Desmond (les sœurs Desmond) nous offrent une fin enjouée. Une valse pas trop tango. Elle est indiquée comme valse chanson et son auteur pourrait vous surprendre, car il s’agit de Julio de Caro, comme quoi il ne faut pas trop vite mettre les compositeurs et musiciens dans des tiroirs.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, les éditions de Julio Korn ne sont pas le seul éditeur de musique. On peut légitimement penser qu’ils mettent en avant leurs poulains et passent sous silence les artistes qui font éditer leurs partitions chez des concurrents.
Un autre biais est que les orchestres ne jouent pas forcément des tangos qui viennent d’être écrits. S’ils jouent un titre qui a dix ou vingt ans, voire plus, il ne sera pas nécessairement réédité.
Le dernier biais et qu’il s’agit des titres qui passent à la radio. La qualité sonore de la radio à l’époque était assez médiocre, la FM n’était pas encore de mise et les pouvaient rencontrer leurs orchestres favoris toutes les semaines. Les programmes étaient donc plutôt destinés à la vie de famille et une diffusion régulière et sans trop de relief était sans doute mieux adaptée à cet usage.
En résumé, il ne faut pas tirer la conclusion que les succès mentionnés ici sont des succès absolus, notamment du point de vue des danseurs. On peut juste affirmer qu’à côté d’autres styles, le tango avait sa place dans le quotidien des Argentins, comme c’est toujours le cas où des airs de tango ayant près d’un siècle continuent de s’élever dans le bon air de Buenos Aires. On n’imagine pas dans tous les pays la population écouter des disques aussi anciens, sauf peut-être dans le domaine de la musique classique.
Pour estimer le succès des titres du point de vue des danseurs, je pense que la présence de nombreux enregistrements du même titre à quelques semaines d’intervalle est un bon indice. Certains tangos ont 20, 30 ou beaucoup plus d’enregistrements pour des monstres comme la Cumparsita, et d’autres sont fils uniques. Ces fils uniques qui ont raté leur lancement à l’époque sont parfois rattrapés, comme c’est le cas de la milonga Mi vieja linda (Ernesto Céspedes Polanco, musique et paroles), qui avant qu’elle soit reprise par le Sexteto Cristal était inconnue de la majorité des danseurs, bien qu’il en existe une belle version par la Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María
Mi vieja linda 2018-05-01 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler

Mon travail de DJ est aussi de réveiller, révéler, des merveilles qui dorment dans quelque pochette de disque de pâte.

À propos de l’illustration de couverture

Voici la photo originale qui m’a servi pour réaliser l’illustration de couverture. Vous pouvez vous livrer au jeu des sept erreurs, mais il y a bien plus que sept différences entre les deux images 😉

Une radio portable (on voit la poignée près de la main droite de Gardel). Il s’agit d’un modèle « Mendez », copie du Mc Michael anglais.

Dans la partie droite, les deux boutons rotatifs permettant la syntonisation (choix de la station de radio). Le haut-parleur (dans la partie gauche est protégé pendant le transport, par la partie de droite qui se replie dessus. On voit les verrous qui maintiennent la mallette fermée de part et d’autre de l’appareil.
Vous aurez reconnu les personnages dès la photo de couverture, qui est un montage de ma part avec une fausse radio, je trouvais celle d’origine manquant un peu de classe.
Au cas où vous auriez un doute, je vous présente la fine équipe qui entoure le poste de radio, de gauche à droite :
José Maria Aguilar, Guillermo Barbieri, José Ricardo, les trois guitaristes de Gardel, et Carlos Gardel. La photo date de 1928, soit 8 ans avant la mort de Gardel et 9 ans avant la partition de No quiero verte llorar faisant la publicité pour les succès de l’année 1937. Cette image et la couverture ne sont donc pas tout à fait d’actualité, mais comme 1937 est l’année où l’éditeur Julio Korn fait son gros coup sur Gardel, je pense que cela peut se justifier.
De plus, on notera que dans les succès de 1937, il y a un tango écrit par Gardel, Amor et un vals criollo, Rosa de otoño, chanté par lui.

À demain les amis !

Voici la couverture pour ceux qui veulent jouer au jeu des sept erreurs…

El adiós 1938-04-02 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

(María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

Plus de 200 tangos ont dans leur titre le mot «Adios». C’est donc un thème fort du tango, mais la composition écrite par Maruja Pacheco Huergo est de loin la plus célèbre. Je vous propose, la version qui est considérée comme la plus belle, celle de Donato avec Lagos qui fête aujourd’hui ses 86 ans.

Il y a adiós et adiós

Il y a environ 200 tangos avec adiós dans le titre dont on a au moins un enregistrement et il faut rajouter une dizaine de valses et même une milonga.
Cependant, tous les adiós ne sont pas similaires.
Contrairement au français, adiós n’a pas la connotation définitive de l’adieu. En français, on dit surtout Adieu quand on ne compte plus se revoir, ou seulement en présence de Dieu (À Dieu), après la résurrection.
Pour les Argentins, ce n’est pas le cas. C’est un synonyme complet d’au revoir et il s’emploie donc de la même façon. Un Argentin qui vous dit adieu a l’intention de vous revoir, il vous recommande juste « à Dieu », c’est-à-dire qu’il vous souhaite d’aller bien pendant le temps de la séparation.
Cependant, en Argentine également, le terme adiós a une signification définitive. On l’utilise également pour quitter un défunt, tout comme en France.
Dans le petit monde du tango, il est fréquent que l’on honore un défunt en lui faisant un adieu musical. Parmi les titres célèbres dans ce sens, on a A Magaldi, cette d’adieu à Agustín Magaldi, composée par Carlos Dante et Pedro Noda et dont les paroles sont de Juan Bernardo Tiggi. On connaît les merveilleuses versions chantées justement par Carlos Dante, notamment celle de 1947, 9 ans après la mort d’Agustín qui lui-même avait chanté pour la mort de Gardel peu d’années auparavant. Nous en reparlerons le 21 octobre…

Note : El adiós, porte un S à la fin, car c’est « À Dieu » (adieu), Dieu se dit « Diós » en espagnol, ce n’est pas un S du pluriel. Comme DJ, combien de fois ai-je entendu nommer ce titre « El adio »…

Maruja Pacheco Huergo

Maruja (María Esther) Pacheco Huergo (3 avril 1916 – 2 septembre 1983) était pianiste, compositrice et parolière, mais également auteure (notamment de poèmes et scénarios), actrice et professeur de musique et de chant.
Elle a composé plus de 600 thèmes, pas tous des tangos, mais parmi ses créations dont nous avons une trace enregistrée dans notre domaine qu’est le tango, on pourrait citer les titres suivants :

Comme auteure et compositrice :

Sinfonía de arrabal, (paroles et musique) célèbre par le même chef d’orchestre que El Adios, notre tango du jour avec le trio enchanteur de Horacio Lagos, Lita Morales et Romeo Gavioli.
Cuando silba el viento une habanera dont elle a également écrit, paroles et musique.
Lejanía (une chanson qu’a chantée Corsini), Oro y Azul, El Silencio, Con sabor a tierra, Nenucha et environ 500 autres titres que vous me pardonnerez de ne pas lister ici, mais ce ne sont pas non plus des tangos.

Comme compositrice

Canto de ausencia mise en musique d’un texte d’Homero Manzi
Don Naides avec des paroles de Venancio Clauso
Gardenias avec des paroles de Manuel Enrique Ferradás Campos (son mari)
Milonga del aguatero et Cancionero porteño del siglo XIX avec des paroles d’Eros Nicola Siri

Comme parolière

Sur des musiques de Donato, elle a écrit les paroles d’Alas rotas, Para qué, et Triqui tra.
Ses 600 compositions lui valent d’être inhumée au panthéon SADAIC (société des auteurs et compositeurs argentins) du cimetière de la Chacarita (Buenos Aires).

Virgilio San Clemente

Virgilio San Clemente est surtout un poète. On lui doit cependant les paroles de El adios, et de quelques autres titres, comme la jolie valse Viejo jardín et sans doute Dulce amargura (mais il y a un doute, car il est mentionné tantôt comme compositeur ou comme parolier). Comme il m’est impossible de départager les deux possibilités, voici où j’en suis de l’investigation…

Sur le disque de gauche, Fresedo (1938), Virgilio San Clemente est indiqué comme compositeur. Sur celui du milieu, Nano Rodrigo (1940), ce sont Torres et Alperi et sur celui de droite qui est une réédition en vinyle de l’enregistrement de 1938 de Corsini, il y a bien les trois noms, mais sans distinction de fonction.
En résumé, si Virgilio était poète, il a peut-être composé un tango et à assurément écrit les paroles d’autres.
Torres et Alperi ne sont pas des compositeurs connus, on ne peut pas lever le doute sur la composition de ce titre tant que l’on n’a pas la partition originale que je n’ai pas encore trouvée.
En attendant, je penche plutôt du côté où San Clemente s’est cantonné aux paroles pour Dulce Amargura. Les deux œuvres sont écrites de façon comparable, en trois parties et avec des rimes approximatives, mais devinables. Viejo jardín est différent, il y a plus de couplets, mais les rimes sont également très approximatives. Ces indices, très légers n’invalident pas la possibilité qu’il soit l’auteur des trois .

Extrait musical

El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Les cordes sont très présentes dans cette version, en legati des violons et en pizzicati. Quelques accents des bandonéons. Le piano chante également sa partie à tour de rôle jusqu’à à 1 :42 entre en scène Lagos qui ne chante que très brièvement, seulement le premier couplet. Il explique le thème et laisse la parole aux instruments pour les 55 dernières secondes.

Les paroles

En la tarde que en sombras se moría,
buenamente nos dimos el adiós ;
mi tristeza profunda no veías
y al marcharte sonreíamos los dos.
Y la desolación, mirándote
al partir,
quebraba de emoción mi pobre voz…
El sueño más feliz, moría en el adiós
y el cielo para mí se obscureció.

En vano el alma
con voz velada
volcó en la noche la pena…
Sólo un silencio
profundo y grave
lloraba en mi corazón.

Sobre el tiempo transcurrido
vives siempre en mí,
y estos campos que nos vieron
juntos sonreír
me preguntan si el olvido
me curó de ti.
Y entre los vientos
se van mis quejas
muriendo en ecos,
buscándote…
mientras que lejos
otros brazos y otros besos
te aprisionan y me dicen
que ya nunca has de volver.

Cuando vuelva a lucir la primavera,
y los campos se pinten de color,
otra vez el dolor y los recuerdos
de nostalgias llenarán mi corazón.
Las aves poblarán de trinos el lugar
y el cielo volcará su claridad…
Pero mi corazón en sombras vivirá
y el ala del dolor te llamará.
En vano el alma
dirá a la luna
con voz velada la pena…
Y habrá un silencio
profundo y grave
llorando en mi corazón.

Maruja Pacheco Huergo (María Esther Pacheco Huergo) Letra: Virgilio San Clemente

libre et indications

Dans la soirée qui se meurt en ombres,
Nous nous sommes tout bonnement dit adieu ; (un adieu comme si c’était un au revoir pour elle).
Tu ne voyais pas ma profonde tristesse
Et quand tu es partie, nous sourions tous les deux.
Et la désolation, de te regarder partir,
brisa d’émotion, ma pauvre voix…
Le rêve le plus heureux est mort dans l’adieu
Et le ciel pour moi s’est obscurci.
En vain l’âme
d’une voix voilée
déversa le chagrin dans la nuit…
Juste un silence
profond et grave
pleurait dans mon cœur.

À propos du temps écoulé,
tu vis toujours en moi,
et ces champs qui nous ont vus
sourire ensemble
me demandent si l’oubli
m’a guéri de toi.
Et parmi les vents
mes plaintes s’en vont
mourant en échos
te cherchant…
pendant qu’au loin
d’autres bras et d’autres baisers
t’emprisonnent et me disent
que jamais, tu ne reviendras.

Quand le printemps brillera à nouveau,
et que les champs se peindront de couleurs,
encore une fois, la douleur et les souvenirs
rempliront mon cœur de nostalgie.
Les oiseaux peupleront de trilles l’espace
et le ciel répandra sa clarté…
Mais mon cœur vivra dans l’ombre
et l’aile de la douleur t’appellera.
En vain l’âme
dira à la lune
d’une voix voilée, la douleur…
et il y aura un silence
profond et grave
Pleurant dans mon cœur.

Autres versions

El adiós 1938-03-03 — Orquesta con Roberto Maida.

Cette version fait jeu égal avec celle de Donato. Je sais que certains danseurs préfèrent celle de Donato, mais pour moi, il est difficile de les départager. Dans un bal, je peux passer indifféremment l’une ou l’autre, selon l’ambiance que je veux donner. La version de Canaro marche de façon obstinée, avec de jolis passages de violons ondulants et des moments de piano qui ponctuent. Rien de monotone dans cette version, toujours entraînante.

El adiós 1938-03-15 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Avec un accompagnement de guitares, Corsini chante l’intégralité des paroles. Corsini a enregistré 12 jours après après Canaro, mais il a été le premier à jouer le titre, comme en témoigne la partition.

El adiós 1938 con orquesta.

C’est une version à écouter. La voix d’Hugo Del Carril exprime avec émotion les sentiments du narrateur. C’est à comparer avec l’enregistrement d’Ignacio Corsini de la même époque. La voix de Del Carril pourrait tenir la comparaison avec les versions de Maida et Lagos. L’orchestre est également agréable, on se prend à regretter qu’une version de danse ne soit pas venue compléter cet enregistrement.

El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est le tango du jour.
El adiós 1954-01-28 – Ángel Vargas con su orguesta dirigida por Armando Lacava.

Pour une version de chanteur, cette interprétation de Vargas. Donne la part belle à l’orchestre de Lacava. Le thème est chanté par les instruments avec des variations d’intensités qui donnent de la structure à la musique. Après une minute Vargas commence et chante, une minute environ, laissant les 45 dernières à l’orchestre, sauf une courte reprise de la seconde partie du refrain en final. Cette version de chanteur est presque un tango de danse.

El adiós 1963 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel.

Hier, je parlai de Recuerdo. La version de El adiós n’est assurément pas un tango conçu pour la danse. C’est musicalement sublime, même si la voix de Maciel peut parfois être modérément appréciée. Je sais que beaucoup de danseurs se battront pour le danser sur la piste. Alors, je pourrai le passer, mais il y a tant de belles choses de Pugliese parfaites pour la danse que Maciel ne sera pas une de mes priorités, même si les danseurs applaudissent souvent (ce qui ne se fait pas à Buenos Aires).

El adiós 1973 – Hugo Díaz.

C’est la seule version instrumentale de ma sélection, mais l’harmonica d’Hugo Díaz est comme une voix. Il commence par un cri déchirant et ensuite semble pleurer. La guitare le rejoint mais avec un tampon imparable, qui s’ajuste parfois aux accents les plus tristes de l’harmonica. Du très grand Hugo Díaz. À priori, ce n’est pas pour la danse, mais cette version est tellement émouvante qu’elle pourrait participer à une belle tanda particulière. Il y a une vingtaine d’année, une danseuse adorait et lorsque j’animais la milonga, je passais souvent cet artiste quand elle était là.
Pour terminer, une version de 2010 par le Dúo Angelozzi-Cavacini auquel s’est jointe Ivana Fortunati. Cet enregistrement est en hommage à Remo Angelozzi récemment décédé. Vous le connaissez sans doute mieux sous son nom d’artiste, Raúl Angeló quand il était, notamment le chanteur de l’orchestre d’Edgardo Donato (en 1953).

El adiós 2010 — Dúo Angelozzi-Cavacini junto a Ivana Fortunati. Analia Angelozzi et Ivana Fortunati sont accompagnées par Pablo Cavacini et Jose Morán à la guitare et par Bocha Luca au bandonéon.

Adiós queridos amigos, hasta mañana.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora
Milonga provocadora
que me dio cartel de taura…
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Amigos de antes, cuando chiquilín,
fui bailarín compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalón a cuadritos…
¡Que baile solo el Morocho
! — me solía gritar
la barra «
e los Balmaceda…
Viejos tangos que empezó a cantar
la Pepita Avellaneda
¡Eso ya no vuelve más!

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).

Une brève et caricaturale du tango

On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée…
Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. Enregistrement.

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la . À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’était les Champs-Élysées étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.
Prendre un exemple en France n’est pas une erreur, c’est ce pays qui servait essentiellement de modèle pour les mœurs de la haute société à cette époque.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocotes

La cocote n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier.
Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes…
Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, , Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies.
Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.

Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et .
Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :

« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la « haute ». Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succès à tout rompre

C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait.
C’est là que Rosendo Mendizábal a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.
Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta.
Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Laura et Lo de María la Vasca

 « Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de .

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et .

¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos!
Eran otros hombres más hombres los nuestros.
No se conocían cocó ni morfina,
los muchachos de antes no usaban gomina.

¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos!
¡Veinticinco abriles que no volverán!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

¿Dónde están los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde están las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran ,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
¿Te acordás, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : ]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes classes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre…

Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.

Paciencia 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Qui s’intéresse un peu, même de loin, au tango connaît Paciencia, (Patience), de D’Arienzo et Gorrindo. Je vous propose de le découvrir plus précisément, à partir de la version de Canaro et Maida enregistrée il y a exactement 86 ans.

Le prétexte étant le jour d’, cela tombe sur cette version Canaro Maida, mais l’auteur en est D’Arienzo qui restera fidèle à sa composition toute sa vie.
Je ferai donc la part belle à ses enregistrements en fin d’article.
La beauté et l’originalité des paroles de Francisco Gorrindo avec son « Paciencia », ont fait beaucoup pour le succès de ce thème qui a donné lieu à des versions chantées, des chansons et même instrumentales, ce qui est toutefois un peu dommage 😉

Extrait musical

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Il s’agit d’une version instrumentale avec réduit au minimum. Roberto Maida chante vraiment très peu. La clarinette de est ici plus présente que lui. On constate dans cette interprétation le goût de Canaro pour les instruments à vent.

Les paroles

Dans cette version, les paroles sont réduites au minimum, je vous invite donc à les savourer avec les autres enregistrements de ce titre, sous le chapitre « autres versions ».

Anoche, de nuevo te vieron mis ojos ;
anoche, de nuevo te tuve a mi lado.
¡Pa qué te habré visto si, después de todo,
fuimos dos extraños mirando el pasado!
Ni vos sos la misma, ni yo soy el mismo…
¡Los años! … ¡La vida!… ¡Quién sabe lo qué!…
De una vez por todas mejor la franqueza:
yo y vos no podemos volver al ayer.

Paciencia…
La vida es así.
Quisimos juntarnos por puro egoísmo
y el mismo egoísmo nos muestra distintos.
¿Para qué fingir?
Paciencia…
La vida es así.
Ninguno es culpable, si es que hay una culpa.
Por eso, la mano que te di en
no tembló al partir.

Haremos de cuenta que todo fue un sueño,
que fue una mentira habernos buscado;
así, buenamente, nos queda el consuelo
de seguir creyendo que no hemos cambiado.
Yo tengo un retrato de aquellos veinte años
cuando eras del barrio el sol familiar.
Quiero verte siempre linda como entonces:
lo que pasó anoche fue un sueño no más.

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Traduction

Hier soir, à nouveau mes yeux t’ont vue,
hier soir, à nouveau, je t’avais de nouveau à mes côtés.
Pourquoi t’ai-je revue, si au final,
nous fûmes deux étrangers regardant le passé !
Ni toi es la même, ni moi suis le même,
Les années, la vie, qui sait ce que c’est ?
Une fois pour toutes, la franchise vaut mieux ;
toi et moi ne pouvons pas revenir en arrière (à hier).

Patience…
la vie est ainsi.

Nous voulions nous rejoindre par pur égoïsme
et le même égoïsme nous révèle, différents.
Pourquoi faire semblant ?

Patience…
la vie est ainsi.
Personne n’est coupable, si tant est qu’il y ait une faute.
C’est pourquoi la main que je t’ai tendue en silence n’a pas tremblé à la séparation.

Nous ferons comme si tout ne fut qu’un rêve,
que c’était un mensonge de nous être cherché ;
ainsi, heureusement, nous reste la consolation
de continuer de croire que nous n’avons pas changé.
J’ai un portrait de ces vingt années-là,
quand du quartier, tu étais le soleil familier,
je veux toujours te voir jolie comme alors.
Ce qui s’est passé la nuit dernière ne fut qu’un rêve, rien de plus.

Maida ne chante que le refrain. Voir ci-dessous, d’autres versions où les paroles sont plus complètes.
Le même jour, Canaro enregistrait avec Maida, la del corazón.

Milonga del corazón 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Une milonga qui est toujours un succès, 86 ans après son enregistrement.

Autres versions

Paciencia 1937-10-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Enrique Carbel. C’est le plus ancien enregistrement. On pourrait le prendre comme référence. Enrique Carbel chante le premier couplet et le refrain.
Paciencia 1938-01-14 — Héctor Palacios accompagné d’une guitare et d’une mandoline. Dans cet enregistrement, Héctor Palacios chante toutes les paroles. Enregistré en Uruguay.

Héctor Palacios est accompagné par une guitare et une mandoline. Le choix de la mandoline est particulièrement intéressant, car cet instrument bien adapté à la mélodie, contrairement à la guitare qui est plus à l’aide dans les accords est le second « chant » de ce thème, comme une réponse à Magaldi. On se souvient que Gardel mentionne la mandoline pour indiquer la fin des illusions « Enfundá la mandolina, ya no estás pa’serenatas » ; Range (remettre au fourreau, comme une arme) la mandoline, ce n’est plus le temps des sérénades. Musique de Francisco Pracánico et paroles d’. J’imagine que Palacios a choisi cet instrument pour son aspect et pour renforcer l’idée de l’illusion perdue de la reconstruction du couple.

Paciencia 1938-01-26 — Agustín Magaldi con orquesta.

Comme l’indique l’étiquette du disque, il s’agit également d’une chanson. L’introduction très courte (10 secondes) elle présente directement la partie chantée, sans le début habituel. Magaldi chante l’intégralité des paroles. Le rythme est très lent, Magaldi assume le fait que c’est une chanson absolument pas adaptée à la danse. On notera sa prononciation qui « mange le « d » dans certains mots comme la(d)o, pasa(d)o (Palacios et d’autres de l’époque, également).

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est la version du jour. On est un peu en manque de paroles avec cette version, car Maida ne chante que le refrain, aucun des couplets.
Paciencia 1938 — Orquesta Rafael Canaro con Luis Scalón.

Cette version est contemporaine de celle enregistrée par son frère. Elle a été enregistrée en France. Son style bien que proche de celui de son frère diffère par des sonorités différentes, l’absence de la clarinette et par le fait que Scalón chante en plus du refrain le premier couplet (comme l’enregistra Carbel avec D’Arienzo, l’année précédente.

Paciencia 1948 — Orquesta Típica Bachicha con Lerena.

Encore une version enregistrée en France. Lerena chante deux fois le refrain avec un très joli trait de violon entre les deux. Le dernier couplet est passé sous silence.

Paciencia 1951-09-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

14 ans plus tard, D’Arienzo réenregistre ce titre avec Echagüe. Dans cette version, Echagüe chante presque tout, sauf la première moitié du dernier couplet dont il n’utilise que « Yo tengo un retrato de aquellos veinte años […] lo que pasó anoche fue un sueño no más. Le rythme marqué de D’Arienzo est typique de cette période et c’est également une très belle version de danse, même si j’ai personnellement un faible pour la version de 1937.

Paciencia 1951-10-26 — Orquesta Héctor Varela con . Dans un style tout différent de l’enregistrement légèrement antérieur de D’Arienzo, la version de Varela et Desica est plus « décorative ». On notera toutefois que Lesica chante exactement la même partie du texte qu’Echagüe.
Paciencia 1959-03-02 — Roberto Rufino accompagné par Leo Lipesker. Dans cet enregistrement, Rufino nous livre une chanson, jolie, mais pas destinée à la danse. Toutes les paroles sont chantées et le refrain, l’est, deux fois.
Paciencia 1961-08-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con .

Comme dans la version enregistrée avec Echagüe, dix ans auparavant, les paroles sont presque complètes, il ne manque que la première partie du dernier couplet. Une version énergique, typique d’El Rey del compas et Palma se plie à cette cadence, ce qui en fait une version dansable, ce qui n’est pas toujours le cas avec ce chanteur qui pousse plutôt du côté de la chanson.

Paciencia 1964 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin. Encore une version enregistrée en France, mais cette fois, instrumentale, ce qui est dommage, mais qui me permet de montrer une autre facette de ce titre.
Paciencia 1970-12-16 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

D’Arienzo et Echagüe ont beaucoup interprété à la fin des années 60 et jusqu’à la mort de D’Arienzo Paciencia dans leurs concerts. Cette version de studio est de meilleure qualité pour l’écoute, mais il est toujours sympathique de voir D’Arienzo se démener.

Vidéo enregistrée en Uruguay (Canal 4) en décembre 1969 (et pas février 1964 comme indiqué dans cette vidéo).

Après la mort de D’Arienzo, les solistas de D’Arienzo l’enregistrèrent à diverses reprises, ainsi que des dizaines d’autres orchestres, Paciencia étant un des monuments du tango.

J’ai ici une pensée pour mon ami Ruben Guerra, qui chantait Paciencia et qui nous a quittés trop tôt. Ici, à la milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires, milonga que j’ai eu l’honneur de musicaliser en doublette avec mon ami Quique Camargo.

Ruben Guerra, Paciencia, milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires.18 août 2017.