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Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale

Letra: José Roberto De Prisco

En Italie, il y a une dizaine d’années, il y a eu un intérêt marqué pour notre tango du jour, Fantasma (fantôme) par . Comme vous allez l’entendre, cette œuvre mérite en effet l’écoute par son originalité. Mais attention, il y a fantôme et fantôme et un fantôme peut en cacher un autre.

Extrait musical

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale.

Dès les premières notes, malgré le mode mineur employé, on note l’énergie dans la musique.
On peut donc s’imaginer que l’on parle d’un fantôme au sens de personne vaniteuse et présomptueuse, d’un fanfaron.
Écoutez donc le début avec cette idée. La partie A est tonique, en staccato. J’imagine tout à fait un fanfaron gambader dans les rues de . À 28″ commence la partie B qui dévoile régulièrement un mode majeur, le fanfaron épanoui semble se réjouir, profiter de sa suffisance.
Lorsque la partie A revient, elle est jouée en legato mais toujours avec le rythme pressant et bien marqué qui pousse à danser de façon tonique. On notera la virtuosité de Juan Cambareri, le mage du bandonéon qui réalise un solo époustouflant.

Les musiciens du cuarteto « Los de Antes » de Roberto Firpo. De gauche à droite, Juan Cambareri (bandonéon), Fernando Porcelli (contrebasse), Roberto Firpo (piano) et José Fernández (violon).

Le ténor, Alberto Diale, intervient à 1:25 pour une intervention de moins de 30 secondes, ce qui n’est pas gênant, car il me semble qu’il n’apporte pas une plus-value extraordinaire à l’interprétation. Cependant, comme il énonce les paroles écrites par José Roberto De Prisco, on est bien obligé de comprendre que l’on ne parle plus d’un fanfaron, même si la dernière partie avec ses envolées venteuses peut faire penser à une baudruche qui se dégonfle.
Avec le sens des paroles, on peut imaginer que ce sont les fantômes que l’on chasse avec son allégresse, allégresse exprimée par les passages en mode majeur qui s’intercalent entre les passages en mode mineur.
Je suis sûr que vous imaginez les fantômes qui volètent dans tous les sens à l’écoute de la dernière partie. On se souvient que Firpo a écrit plusieurs titres avec des sons réalistes, comme El amanecer et ses oiseaux merveilleux, El rápido (le train rapide), (feu d’artifice) ou La carcajada (l’éclat de rire). Cette composition l’a donc certainement intéressé pour la possibilité d’imiter les fantômes volants. N’oublions pas que les musiciens avant les années 30 intervenaient beaucoup pour faire la musique dans les cinémas, les films étant muets, ils étaient virtuoses pour faire les bruitages.

Paroles de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Y si al verme, tú lo vieras,
Que te muerde la conciencia,
No los temas.
Los fantasmas de tu pena están en ti.

Yo soy vida, vida entera.
Que cantando su alegría,
Va siguiendo su camino,
De venturas. Que no dejan,
Que se acerquen los fantasmas terrorosos de otro ayer.
Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco

libre de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Et si, quand tu me vois, tu le voyais qui te mord la conscience, ne les crains pas, les fantômes de ton chagrin sont en toi.
Je suis une vie, une vie entière.
Que chantant sa joie, il poursuit son chemin d’aventures. Qu’ils ne laissent pas s’approcher les fantômes terrifiants d’un autre hier.

Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Quelques mots sur les auteurs, qui sont peu, voire très peu connus.

Mario Maurano (1905 à Rio de Janeiro, Brésil -1974)

Mario Maurano était pianiste, arrangeur, directeur d’orchestre et compositeur.

Il semble abonné aux fantômes, car il a écrit la musique du film Fantasmas en Buenos Aires dirigé par et qui est sorti le 8 juillet 1942. Peut-être qu’on lui a confié la composition de la musique du film à cause de notre tango du jour.
Cependant, l’histoire n’a rien à voir avec le tango et la musique du film, non plus. La présence de Discépolo, n’implique pas forcément que ce soit un film de tango… Vous pouvez voir le film ici… https://youtu.be/xtFdlXh4Vpc

L’affiche du film Fantasmas en Buenos Aires, dirigé par Enrique Discepolo et qui est sorti en 1942. Zulli Moreno est l’héroïne et prétendue fantôme. Pepa Arias, la victime d’une arnaque.

Parmi ses compositions, en plus de la musique de ce film, on peut citer :

  • • Canción de navidad (Chanson) (Mario Maurano Letra: )
  • • Cuatro campanadas (Mario Maurano Letra: Lito Bayardo – Manuel Juan García Ferrari)
  • • El embrujo de tu violín (Mario Maurano Letra: Armando Tagini – Armando José María Tagini)
  • • Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
  • • Por la señal de la cruz (Mario Maurano; Pedro Vescina Letra:Antonio Pomponio)
  • • Riendo (Alfredo Malerba; Mario Maurano; Rodolfo Sciammarella, musique et paroles)
  • • Un amor (Mario Maurano; Alfredo Antonio Malerba Letra: Luis Rubistein)
  • • Una vez en la vida (Valse) (; Mario Maurano Letra: (Homero Nicolás Manzione Prestera)

José Roberto De Prisco

Je n’ai pas grand-chose à dire de l’auteur des paroles, si ce n’est qu’il a écrit les paroles ou composé la musique de quelques titres en plus de Fantasma.

  • • Che, no hay derecho (Arturo César Senez Letra: José de Prisco) – Enregistré par Firpo.
  • • Desamor (Alberto Gambino y Jose De Prisco)
  • • Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
  • • Negrito (Milonga) (Alberto Soifer Letra: José De Prisco)
  • • Vacilación (Antonio Molina, José Roberto De Prisco Letra: Rafael Iriarte)
Deux couvertures de partition d’œuvres de José De Prisco.

Autres versions

Notre tango du jour semble orphelin en ce qui concerne les enregistrements, mais il y a un autre fantôme qui rôde, composé par Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino – Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo (Ovidio Cátulo González Castillo).

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale. C’est notre tango du jour.

Intéressons-nous maintenant au fantôme de Delfy et Cátulo Castillo.

Paroles de Fantasma de Cátulo Castillo

Regresa tu fantasma cada noche,
Tus ojos son los mismos y tu voz,
Tu voz que va rodando entre sus goznes
La vieja cantinela del adiós.
Qué pálida y qué triste resucita
Vestida de recuerdos, tu canción,
Se aferra a esta tristeza con que gritas
Llamando, en la distancia, al corazón.

Fantasma… de mi vida ya vacía
Por la gris melancolía…
Fantasma… de tu , sin remedio
En la copa de misterio…
Fantasma… de tu voz que es una sombra
Regresando sin cesar,
¡Cada noche, cada hora!
Tanta sed abrasadora…
A esta sed abrasadora… de olvidar.

Ya no tienes las pupilas bonitas
Se apagaron como una oración,
Tus manos, también ya marchitas
No guardaron mi canción.
Sombras que acompañan tu reproche
Me nublan, para siempre, el corazón…
Olvidos que se encienden en la noche
Agotan en alcohol, mi desesperación.

Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino – Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo – (Ovidio Cátulo González Castillo)

Traduction libre de la version de Cátulo Castillo

Ton fantôme revient chaque nuit, tes yeux sont les mêmes et ta voix, ta voix qui roule entre ses gonds (Les goznes sont les charnières, gonds… mais aussi des propositions énoncées sans justification, ce qui semble être l’acception à considérer ici), le vieux refrain d’au revoir.
Que de pâleur et tristesse ton chant ressuscite, vêtu de souvenirs, s’accrochant à cette tristesse avec laquelle tu cries, appelant au loin, le cœur.
Fantôme… de ma vie déjà vide par une mélancolie grise…
Fantôme… de ton absence, désespéré dans la coupe du mystère…
Fantôme… de ta voix, qui est une ombre qui revient sans cesse,
chaque soir, chaque heure !
Tant de soif brûlante…
À cette soif brûlante… d’oublier.
Déjà, tu n’as plus les pupilles jolies, elles se sont éteintes comme une prière.
Tes mains, également déjà desséchées, n’ont pas gardé ma chanson.
Les ombres qui accompagnent ton reproche embrument pour toujours le cœur…
Les oublis qui s’allument dans la nuit s’épuisent dans l’alcool, mon désespoir.

Ce thème de Delfy et Cátulo Castillo a été enregistré plusieurs fois et notamment dans les versions suivantes.

Fantasma 1944-10-24 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

L’interprétation semble en phase avec les paroles. Si c’est cohérent d’un point de vue stylistique, le résultat me semble moins adapté au bal que notre tango du jour.

Fantasma 1944-12-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Oscar Serpa n’est pas un chanteur pour la danse et il le confirme dans cet enregistrement.

Fantasma 2013 – Orquesta Típica Sans Souci con Walter Chino Laborde.

L’orchestre Sans Souci s’est donné comme mission de perpétuer le style de Miguel Calo. Ce n’est donc pas un hasard si vous trouvez un air de famille entre les deux enregistrements.

Arthur le fantôme par Cezard

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores

Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musique)

Voilà que le tango et plus précisément la valse (mais on verra que ce n’est pas si simple) vous prodigue des conseils de vie. Chers amis, je vous enjoins de les suivre et de chanter avec Roberto Flores le refrain de cette valse entraînante composée et mise en paroles par Rodolfo Aníbal Sciammarella et interprété par l’orchestre chéri de mon ami Christian, Enrique Rodriguez.

Selon Mariano Mores, aurait composé une zamba (voir l’anecdote du 7 avril sur la zamba). Comme il n’était pas très doué pour écrire la musique, il a demandé à Mariano de la transcrire pour lui. Celui-ci a trouvé que c’était plus joli en valse et aurait donc adapté la musique à ce rythme…

Une édition de Julio Korn de en zamba

Extrait musical

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.

Pas de doute, notre version du jour est parfaitement une valse, sans trace de zamba. Je me demande toutefois si la version en zamba n’a pas été utilisée dans d’autres occasions. Nous y reviendrons avec la liste des versions.

Avis de recherche

Le 7 mars 1939, un film est sorti. Son titre était Mandiga en la sierra. Ce film a été réalisé par Isidoro Navarro sur un scénario de Arturo Lorusso et Rafael J. de Rosas. Ce film était basé sur la pièce de théâtre homonyme. Parmi les acteurs, Luisa Vehil, Eduardo Sandrini, et Pedro Quartucci, mais celui qui m’intéresse est qui y interprète Salud…dinero y amor.

Luisa Vehil, Nicolás Fregues et Pedro Quartucci dans Mandinga en la sierra (1939)

Dans ce film, en plus de Francisco Amor, il y a et sa sœur Margot. Depuis 1938, Mariano Mores, celui qui a couché sur la partition l’idée musicale de Rodolfo Sciammarella faisait un trio avec les deux sœurs Mores. En 1943, il épousera Myrna. On voit comme ce film est assez central autour des Mores et de cette valse.
Si vous savez où trouver ce film, je suis preneur…
Vous pouvez trouver sa fiche technique ici : https://www.imdb.com/title/tt0316217/?ref_=nm_knf_t_1

La pièce de théâtre était jouée en 1938. Est-ce que la version chantée ou jouée dans la pièce était sous forme de zamba, je ne le sais pas. En ce qui concerne le film, même si je ne l’ai pas encore trouvé, j’imagine que c’est en valse, car le succès du thème qui a été enregistré majoritairement sous cette forme. Je vous réserve deux surprises dans les « autres versions » qui pourraient faire mentir ou confirmer cette histoire.

Paroles

Tres cosas hay en la vida:
salud, dinero y amor.
El que tenga esas tres cosas
que le dé gracias a Dios.
Pues, con ellas uno vive
libre de preocupación,
por eso quiero que aprendan
el refrán de esta canción.

El que tenga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la platita,
que no la tire, que no la tire.
Hay que guardar, eso conviene
que aquel que guarda, siempre tiene.
El que tenga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la platita,
que no la tire, que no la tire.

Un gran amor he tenido
y tanto en él me confié.
Nunca pensé que un descuido
pudo hacérmelo perder.
Con la salud y el dinero
lo mismo me sucedió,
por eso pido que canten
el refrán de esta canción.

Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musiques)

Traduction libre des paroles

Il y a trois choses dans la vie :
la santé, l’argent et l’amour.
Quiconque possède ces trois choses devrait remercier Dieu.
Eh bien, avec eux, on vit sans souci, c’est pourquoi je veux que vous appreniez le dicton de cette chanson.

Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.
Il faut garder, il convient que celui qui garde, toujours a.
Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La santé et la monnaie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.

J’ai eu un grand amour et j’ai tellement cru en lui.
Je n’ai jamais pensé qu’un manque d’attention pouvait me le faire perdre.
La même chose m’est arrivée avec la santé et l’argent, alors je vous demande de chanter le dicton de cette chanson.

Autres versions

Salud, dinero y amor 1930 – Duo Irusta-Fugazot accomp. de Orquesta Argentina (Barcelona).

Je pensé que vous avez remarqué plusieurs points étranges avec cette version. Le son a beaucoup d’écho, ce qui ne faisait pas à l’époque. Je pense donc que c’est une édition « trafiquée ». Mon exemplaire vient de l’éditeur El Bandoneón qui a édité entre 1987 et 2005 différents titres dont certains assez rares. Cet est sur leur CD El Tango en Barcelona CD 2 – (EBCD-046) de 1997. Je n’en connais pas d’autre. Sur la date d’enregistrement de 1930, en revanche, c’est très probable, car cela correspond à l’époque où le trio était actif en France et Barcelone.
L’autre point étrange est qu’il s’agit d’une valse et pas d’une zamba. Si Sciammarella a « écrit » une zamba et que Mariano Mores l’a transformé en valse seulement en 1938, il y a un problème. Cet enregistrement devrait être une zamba. Je pense donc que Sciammarella a fait vivre conjointement les deux versions et que c’est la version valse qu’a adaptée le tout jeune Mariano Mores. Mais on va revenir sur ce point plus loin…

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.

C’est notre valse du jour. Vos chaussures, si vous êtes danseur, doivent être désormais capables de la danser seules. Le rythme est assez rapide et le style haché de Rodríguez fait merveille pour inciter à donner de l’énergie dans la danse. La voix de Flores, plus élégante de celle de Moreno, l’autre chanteur vedette de Rodríguez est agréable. L’orchestration de la fin de la valse est superbe, même si Rodríguez décide, une fois de plus, d’y placer un chœur, habitude qui peut susciter quelques réticences.

Salud, dinero y amor 1939-08-08 – Francisco Lomuto C .

Une version assez piquée et pesante. Elle est moins connue que la version de Rodriguez. On comprend pourquoi, sans toutefois qu’elle soit à mettre au rebut. Comme chez Canaro, Lomuto fait intervenir une clarinette, scorie de la vieille garde. La fin est cependant assez intéressante, donc si un DJ la passe, cette valse ne devrait pas laisser une mauvaise impression.

Salud, dinero y amor 1939-09-11 – Francisco Canaro y Francisco Amor.

Sur le même rythme que Lomuto, Canaro propose une version plus légère. Les vents (instruments à vent) auxquels Canaro reste fidèle donnent la couleur particulière de l’orchestre. Francisco Amor chante de façon décontractée avec un peu de gouaille.

Salud, dinero y amor 1939-09-27 – Juan Arvizu con orquesta.

L’accent mexicain d’Arvizu, surprend, on est plus accoutumé à l’entendre dans des boléros. L’orchestre où les guitares ont une présence marquée est un peu léger après l’écoute des versions précédentes. Buenos Aires lui aurait donné le surnom de ténor à la voix de soie (El Tenor de la Voz de Seda). Je vous laisse en juger…

Salud… dinero y amor 1939-11-03 – Charlo con guitarras (zamba cueca).

Ce titre n’est pas une valse, on reconnaît le rythme de la cueca à la guitare dans la première partie, puis le rythme s’apaise et passe en zamba avec des roucoulements étranges.
Finalement, ce n’est pas une zamba, pas une cueca. C’est un ovni.
Le nom de zamba cueca existe et couvre différentes variétés de danses, notamment du Chili.
La distinction de la vingtaine de variétés de cuecas, le fait que la zamba cueca serait aussi dénommée zambacueca, zamacueca ou zambaclueca, ce dernier terme évoquerait encore plus clairement la poule pondeuse, la cueca se référant à la parade d’oiseaux, font que pour moi, cela reste assez mystérieux.
Le témoignage de Mario Mores, appuyé par la partition qui mentionne zamba et cette interprétation de Charlo prouve que Salud… dinero y amor n’est pas seulement une valse.

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de .

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irusta acc. Orquesta de Terig Tucci. On retrouve Irusta qui a enregistré pour Decca à , accompagné de l’orchestre de Terig Tucci. Ce n’est pas vilain et si ce n’est pas le top de la danse, c’est plus dansable que la version du duo de 1930.

Après la « folie » accompagnant la sortie du fameux film que je n’ai pas trouvé, l’intérêt pour cette valse s’atténue. On la retrouve cependant un peu plus tard dans quelques versions que voici.

Salud… dinero y amor 1955 c — Inesita Pena — La Orquesta y coro.

Pour un enregistrement des années 1950, ça fait plutôt vieillot. Ne comptez pas sur moi pour vous la proposer en milonga.

Salud… dinero y amor 1966 – Típica Sakamoto con Ikuo Abo.

On connaît l’engouement incroyable du Japon pour le tango, la Típica Sakamoto nous en donne un exemple. Vous aurez facilement reconnu la voix très typée de Ikuo Abo. Les chœurs sont assez élégants. Il me semble entendre une partie de soprano dans le chœur tenue par une femme.

Salud… dinero y amor 1969 – Alberto Podestá con Orquesta Lucho Ibarra.

Bon, il faut bien du tango à écouter, aussi. Et la voix de Podestá est tout de même une merveille, non ?

À demain, les amis, je vous souhaite santé, argent et amour.

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

La connexion du monde du tango avec le théâtre, puis le cinéma a toujours été naturelle. Le tango du jour, Alma de bohemio est un parfait exemple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux reprises par le cinéma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il résonnera ensuite sur les grandes scènes où l’offrait à son public. Je suis sûr que certains versions vont vous étonner, et pas qu’un peu…

Extrait musical

Alma de bohemio. Roberto Firpo Letra:Juan Andrés Caruso. Partition et à droite réédition de 1966 de notre tango du jour sur un disque 33 tours.

À gauche, la partition dédicacée à l’acteur qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étrennée en 1914 au Teatro Argentino de . On notera que la couverture de la partition porte la mention Tango de concierto. Les auteurs ont donc conçu ce tango comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tango a été réutilisé au cinéma à au moins deux reprises, en 1933 et en 1944, nous en parlerons plus bas.
À droite, la réédition en disque microsillon de 1966 de notre tango du jour. Alma de bohemio est le premier titre de la face A et a donné son nom à l’album.

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá.

Paroles

Peregrino y soñador,
cantar
quiero mi fantasía
y la loca poesía
que hay en mi corazón,
y lleno de amor y de alegría,
volcaré mi canción.

Siempre sentí
la dulce ilusión,
de estar viviendo
mi pasión.

Si es que vivo lo que sueño,
yo sueño todo lo que canto,
por eso mi encanto
es el amor.
Mi pobre alma de bohemio
quiere acariciar
y como una flor
perfumar.

Y en mis noches de dolor,
a hablar
me voy con las estrellas
y las cosas más bellas,
despierto he de soñar,
porque le confío a ellas
toda mi sed de amar.

Siempre sentí
la dulce ilusión,
de estar viviendo
mi pasión.

Yo busco en los ojos celestes
y renegridas cabelleras,
pasiones sinceras,
dulce emoción.
Y en mi triste vida errante
llena de ilusión,
quiero dar todo
mi corazón.

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

Traduction libre

Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fantaisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chanson.
J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion.
Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour.
Ma pauvre âme de bohème veut caresser et parfumer comme une fleur.
Et dans mes nuits de douleur, je vais parler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveillé, car je leur confie toute ma soif d’amour.
J’ai toujours ressenti la douce sensation de vivre ma passion.
Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du drapeau argentin) et les chevelures noir obscur des passions sincères, une douce émotion.
Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux donner tout mon cœur.

Autres versions

Alma de bohemio 1914 – Orquesta Argentina Roberto Firpo.

Le tango, tel qu’il était joué dans la pièce originale, par Firpo, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caruso qu’une dizaine d’années plus tard.

Alma de bohemio 1925-12-16 – Orquesta Julio De Caro.

Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.

Alma de bohemio 1925 – Ignacio Corsini.

La plus ancienne version chantée avec les paroles de Caruso. Il est assez logique que Corsini soit le premier à l’avoir chanté, car il était à la fois proche de Firpo avec qui il a enregistré Patotero sentimental en 1922 et de Caruso dont il a enregistré de nombreux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enregistrer le premier.

Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsini (debout) avec, de gauche à droite, ses guitaristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Armando Pagés. La photo date probablement des années 30, elle est donc moins ancienne que l’enregistrement présenté.
Alma de bohemio 1927-04-26 – Orquesta .

Une belle version instrumentale, relativement étonnante pour l’époque.

Alma de bohemio 1927-05-05 – Orquesta .

Une version typique de Canaro. On verra qu’il l’enregistrera à d’autres reprises.

Alma de bohemio 1927-07-26 – Orquesta Roberto Firpo.

Treize ans plus tard, Roberto Firpo redonne vie à son titre, toujours de façon instrumentale.

Alma de bohemio 1929-05-18 – Orquesta Típica Victor.

Deux ans plus tard, la Típica Victor, dirigée par Adolfo Carabelli donne sa propre version également instrumentale.

Alma de bohemio 1929-09-19 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.

Ada Falcón avec sa voix d’une grande pureté en donne une version magnifique accompagnée par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impressionnant, plus que ce qu’en avait donné Corsini. Disons que Falcón lancera la course à la note tenue le plus longtemps possible.

Le succès de Corsini avec les paroles de Caruso va permettre au titre de retourner dans le spectacle avec le premier film parlant argentin, Tango réalisé par Luis Moglia Barth et sorti en 1933.

1933 Tango – Alma de Bohemio par Alberto Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tango sorti le 27 avril 1933.

Alberto Gómez suivra donc également les traces de Falcón avec de belles notes tenues.

Alma de bohemio 1930-09-05 – Orquesta Francisco Canaro.

Francisco Canaro reste sur la voie du tango de concierto avec une version très étonnante et qui fait l’impasse sur les notes très longuement tenues. Je pense qu’il faut associer cette interprétation aux recherches de Canaro en direction du tango fantasia ou symphonique. Pour moi, il n’est pas question de proposer cela à des danseurs, mais je trouve cette œuvre captivante et je suis content de vous la faire découvrir (enfin, à ceux qui ne connaissaient pas).

Alma de bohemio 1935-01-23 – Trío .

Le Trío Ciriaco Ortiz offre lui aussi une version très sophistiquée et surprenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.

Alma de bohemio 1939-03-24 – Orquesta Rodolfo Biagi con .

On peut au moins apporter au crédit de Biagi qu’il a essayé de faire la première version de danse. Cette version est à l’opposé de tout ce qu’on a entendu. Le rythme soutenu et martelé est presque caricatural. J’ai du mal à considérer cela comme joli et même si c’est éventuellement dansable, ce n’est pas la version que je passerais en milonga.

Alma de bohemio 1943-07-15 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre tango du jour.

Avec cette version mise au point par Pedro Laurenz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enregistré à mon goût, on a une bonne synthèse d’une version pour la danse et à écouter. Alberto Podestá gagne clairement le concours de la note tenue la plus longue. Il surpasse Falcón, Gómez et en 1949, Castillo ne fera pas mieux…

Alma de bohemio 1946-11-13 – Orquesta Francini-Pontier con Alberto Podestá.

Alberto Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a battu avec cette version. Cela constitue une alternative avec la version de Laurenz.

Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó.

Alma de bohemio 1947-04-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Osvaldo Ribó. Avec cet enregistrement, Osvaldo Ribó prouve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…

Alma de bohemio 1947-05-21 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Tiens, une version instrumentale. Firpo tenterait-il de tempérer les ardeurs des chanteurs gonflés ?

Alma de bohemio 1947-06-10 – Orquesta Ángel D’Agostino con Tino García.

La tentative de Firpo ne semble pas avoir réussi, Tino García explose les compteurs avec cette version servie par le tempo modéré de D’Agostino.

Voici , pour la seconde version cinématographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tango.

Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait, à partir de 3 minutes) dans le film réalisé par Julio Saraceni (1949)

Alberto Castillo chante Alma de bohemio (dans la seconde partie de cet extrait) dans le film réalisé par Julio Saraceni à partir d’un scénario de Rodolfo Sciammarella et Carlos A. Petit. Le film est sorti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par ou Ángel Condercuri… L’enregistrement a été réalisé le 6 mai 1949.
Castillo ne dépasse pas Podestá dans le concours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exercice.

Fidel Pintos (à gauche) et Alberto Castillo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).
Alma de bohemio 1951-07-17 – Juan Cambareri y su Cuarteto Típico con Alberto Casares.

Alberto Casares fait durer de façon modérée les notes, l’originalité principale de cette version est l’orchestration délirante de Cambareri, avec ses traits virtuoses et d’autres éléments qui donnent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prouver… Signalons qu’une version avec le chanteur Hector Berardi circule. Berardi a en effet remplacé Casares à partir de 1955, mais cette version est un faux. C’est celle de Casares dont on a supprimé les premières notes de l’introduction. Les éditeurs ne reculent devant aucune manœuvre pour vendre deux fois la même chose…

Alma de bohemio 1958-12-10 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une version bien différente et qui marque la maîtrise créative de Pugliese. Souvenons-nous tout de même que d’autres orchestres, y compris Canaro s’étaient orientés vers des versions sophistiquées.

Alma de bohemio 1958 – .

La version la plus courte (37 secondes), extraite du disque de Argentino Galván que je vous ai déjà présenté Historia de la orquesta tipica.

Alma de bohemio 1959-04-29 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

À la tête de son Quinteto Pirincho, Francisco Canaro, donne une nouvelle version de l’œuvre. Rien qu’avec ses versions on croise une grande diversité d’interprétations. De la version de 1927, canyengue, l’émouvante version avec Ada Falcón, celle de 1930, étonnamment moderne et finalement celle-ci, légère et relativement dansante. Il y a du choix chez Monsieur Canaro.

Alma de bohemio 1965-12-10 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.

Nelly Vázquez prouve que les femmes ont aussi du coffre. L’orchestre d’Aníbal Troilo est ici au service de la chanteuse, il ne propose pas une version révolutionnaire qui aurait nuit à l’écoute de Nelly Vázquez. Cette intégration fait que c’est une version superbe, à écouter les yeux fermés.

Alma de bohemio 1967 – Astor Piazzolla y su Orquesta.

Piazzolla propose sans doute la version la plus étonnante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une surprise pour beaucoup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tranchants, moins, car ils font partie du vocabulaire usuel d’Astor. Le thème original est transfiguré, la plupart du temps difficile à retrouver, mais ce n’est pas un problème, car il n’a servi que de prétexte à Piazzolla pour illuminer les nouvelles voies qu’il ouvrait dans le tango.

Il y a bien d’autres enregistrements, mais aucun ne me semblait pourvoir lutter contre cette version de Piazzolla, aucun, peut-être pas, et je vous propose de revenir à notre concours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siècle, Plácido Domingo qui nous l’offre. Écoutez comme, tranquillement, il explose tous les compteurs avec une facilité apparente incroyable.

Alma de bohemio 1981 — Plácido Domingo — dir. y arr. Roberto Pansera.

Impressionnant, non ?

Vous en redemandez, alors, je vous propose une version un peu plus tardive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il définitivement meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.

Alma de Bohemio 1987 — Plácido Domingo (piano) — Avery Fisher Hall (New York)

À demain, les amis !

Llueve otra vez — ¡Vamos! 1944-05-24 – Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

(Paroles et musique)Feliciano Brunelli Letra : Rodolfo Sciammarella

Hier, dans , on s’adressait à l’âme, aujourd’hui c’est au cœur que l’on adresse sa supplique. C’est un intéressant parallèle entre des titres qui content une proche, celle de la nécessité d’oublier et d’aller de l’avant. Les deux thèmes du jour sont et ¡VAMOS !

Convergence de thèmes

J’ai regroupé deux tangos, non seulement, car ils ont été enregistrés le même jour par les mêmes artistes, mais aussi, car ils avaient le même thème, thème qu’ils partagent avec la d’hier, Desde el alma. Ayons à cœur d’explorer de toute notre âme, ce thème.
Dans Desde el alma, le conseil, dans la version d’, est donné à l’âme. Je vous le remémore : Avec la douleur qui ouvre une plaie vient la vie apportant un autre amour.
Les deux tangos du jour ne s’adressent donc pas à l’âme, mais au cœur.
Dans Lluve otra vez, le conseil est N’espère pas, cœur ! Ne te peine pas pour son amour ! Demain, lorsque le soleil radieux percera à la chaleur d’autres amours, tu oublieras.
Le conseil dans Vamos est très proche : Abandonne-la et en avant, en avant, cœur !

Extraits musicaux

Llueve otra vez 1944-05-24 — Orquesta Carlos Di Sarli
Vamos 1944-05-24 – Orquesta Carlos Di Sarli

Paroles de Lluve otra vez

Escucha corazón
el eco de su voz…
Escucha, corazón, está lloviendo
y la lluvia va tejiendo
los recuerdos de su amor.
¡Qué pena, corazón!
No es ella, ni es su voz.
Tan sólo es la obsesión que me domina,
el que castiga
desde su adiós.

Llueve…
y un látigo de luz me azota,
relámpago de fiebre loca.
La lluvia, sin cesar,
golpeando en el ,
renueva la emoción perdida.
Y entre la bruma creo ver su imagen,
igual que entonces, diciendo adiós.
Llueve…
y el cielo se llenó de sombras,
lo mismo que mi corazón.

Tristeza que dejó
el eco de su voz.
Tristeza de esperar inútilmente
y creer que nuevamente
con la lluvia volverá.
¡No esperes, corazón!
¡ No penes por su amor!
Mañana cuando el sol radiante asome
al calor de otros amores,
olvidarás.

Juan José Guichandut (Paroles et musique)

libre de Lluve otra vez

Écoute cœur, l’écho de sa voix…
Écoute, cœur, il pleut et la pluie tisse les de son amour.
Quelle tristesse, cœur !
Ce n’est pas elle ni c’est sa voix.
C’est juste l’obsession qui me domine, le souvenir qui punit depuis son adieu.

Il pleut…
Et un fouet de lumière me fouette, un éclair de fièvre folle.
La pluie, sans cesse, battant sur la vitre, renouvelle l’émotion perdue.
Et dans la brume, je crois voir son image, pareille qu’à l’époque, disant au revoir.
Il pleut…
Et le ciel était rempli d’ombres, tout comme mon cœur.

Tristesse qui a laissé l’écho de sa voix.
Tristesse d’attendre en vain et de croire qu’à nouveau avec la pluie elle reviendra.
N’espère pas, cœur !
Ne te peine pas pour son amour !
Demain, lorsque le soleil radieux percera à la chaleur d’autres amours, tu oublieras.

Paroles de Vamos

Del fondo de mis lágrimas
y penas, pido a Dios,
que escuche mi implorar
y mi lamentación.
Que alivie este sufrir
que hay en mi vivir.
Y pueda darme la resignación
de amor.

Con este sentimiento,
que se ha hecho una pasión,
no quiere comprender
mi pobre corazón,
que de seguir así,
tendremos que vivir
con la vergüenza
de una humillación.
Ayer te dije,
igual que hoy igual que siempre,
¡Vamos, vamos corazón!
Y no quisiste hacerme caso
y fue el fracaso
de estar llorando
para siempre tu ilusión.

Hoy no estarías corazón abandonado,
hoy no estarías corazón arrinconado
ayer te dije, igual que hoy,
igual que siempre,
¡Dejala y vamos, vamos corazón!

Feliciano Brunelli Letra: Rodolfo Sciammarella

Traduction libre de Vamos

Du fond de mes larmes et de mes douleurs, je demande à Dieu d’écouter mes supplications et mes lamentations.
Qu’il allège cette souffrance qu’il y a dans ma vie.
Et qu’il puisse me donner la résignation de l’amour.
Avec ce sentiment, qui se mua en passion, mon pauvre cœur ne veut pas comprendre que si cela continue ainsi, nous devrons vivre avec la honte d’une humiliation.
Hier, je te l’ai dit, pareil qu’aujourd’hui, pareil que toujours, en avant, en avant, cœur ! (Cœur ne s’adresse pas à sa chérie, mais à son cœur, siège de ses émotions).
Et tu ne voulus pas me prêter attention et ce fus l’échec de pleurer pour toujours, ton illusion.
Aujourd’hui tu ne serais pas abandonné, aujourd’hui tu ne serais pas acculé, cœur, hier je te l’ai dit, pareil qu’aujourd’hui, pareil que toujours,
abandonne-la et en avant, en avant, cœur !

Bon, les amis, en avant, bonne journée et à demain !

¡Vamos!

Les succès de la radio en 1937

Ediciones musicales Julio Korn

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Sur cette , les 12 succès des éditions Julio Korn. Évidemment, ils ne parlent pas des succès édités par d’autres maisons d’édition…

Les éditions Julio Korn

Julio Korn (1906​-07-19 – 1983-04-18) était à la tête d’un empire de la presse. Il publiait en 1937, six hebdomadaires, Radiolandia, Antena, , Vosotras, TV Guía et Anteojito. Son seul concurrent sérieux était Héctor García qui publiait Así. Il était donc en situation de quasi-monopole.

« Mi intención fue siempre llegar a la gran masa del pueblo, sin pretender instruirla sino entretenerla »

«Mon intention a toujours été d’atteindre la grande masse du peuple, sans prétendre l’instruire, mais pour la divertir». Devise que les Citizen Kane d’aujourd’hui perpétuent.

Julio Korn est le prototype du self-made man. Orphelin à 9 ans, il travaille dans une imprimerie ce qui lui permet de sauver de l’asile son jeune frère. À 15 ans (1921), il se rend à Montevideo pour proposer à Edgardo Donato de devenir son éditeur musical. Il devait être du genre convaincant, car il remporta l’affaire et obtint un prêt pour s’acheter la presse destinée à imprimer les partitions. Huit ans plus tard, il avait imprimé 35 000 partitions.
En 1924, il avait créé une revue musicale, La Canción Moderna, dont il était également le rédacteur en chef.

À gauche, le numéro du 30 juin 1936 de Radiolanda (La Canción Moderna) où est annoncée la saga Gardel. La couverture du 6 juin 1936 avec Gardel et le premier des articles sur les confidences de Berta sur la vie de son fils.

En juin 1936, La Canción Moderna qui est devenu Radiolandia publie la vie de Carlos Gardel qui était mort l’année précédente en exploitant le côté sentimental du témoignage de Berta Gardes, la mère de Gardel qui a d’ailleurs cédé gratuitement les droits de reproduction. Et pan dans les dents de la thèse uruguayenne de l’origine de Carlos Gardel qui prétend que Berta se serait déclaré sa mère pour toucher l’héritage en établissant de faux papiers… Gardel enfant de France.
Cet article est un bon exemple de la littérature populaire des revues de Julio Korn.
Mais revenons à la partition de et à sa quatrième de couverture.

Partition de No Quiero Verte Llorar des Éditions Julio Korn.

Lorsque nous avons parlé de la partition de No quiero verte llorar, nous avions remarqué que la quatrième de couverture présentait les plus grands succès radiophoniques du moment. J’ai trouvé amusant de vous faire écouter ce que les Argentins aimaient en 1937…

Les succès de la radio en 1937

Les succès de la radio 01

Milonga triste (Sebastián Piana Letra: )

Milonga triste 1937-02-19 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milonga triste 1937-08-10 — Orquesta Francisco Canaro

Amor (Carlos Gardel Letra Luis Rubistein)

Amor 1936-07-14 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Avec des airs de Silencio, du même Gardel.

Milagro (Luis Rubistein, paroles et musique)

Milagro 1936-11-27 — Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico
Milagro 1937-02-19 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Arrepentido (, paroles et musique)

Arrepentido 1937-05-26 — Libertad Lamarque con orquesta. Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio.

Comme il est précisé « Tango chanson », il s’agit probablement de cette version qui avait du succès à la radio. Cependant, l’année précédente, il y a eu deux enregistrements qui peuvent très bien passer à la radio et participer au succès de la composition de Sciammarella :

Arrepentido 1936-09- 18 – Orquesta con Carlos Varela.

Carlos Varela que nous avions entendu avec Firpo dans No quiero verte llorar.

Arrepentido 1936-09-04 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar
Les succès de la radio 02
Las perlas de tu boca 1935-10-08 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Il est indiqué Boléro sur la partition, mais il s’agit ici d’un enregistrement en rumba. Ce titre a été beaucoup enregistré, bien sûr en boléro, mais aussi en Danzón (par Rey Cabrera). Difficile de savoir quel enregistrement était la référence. Il peut aussi tout simplement s’agir d’une erreur, en effet le terme boléro comme le terme Jazz est générique et peut éventuellement ne pas différencier deux types de danse.
Je vous propose tout de même un exemple, par le chanteur d’opéra, mexicain, Alfonso Ortiz Tirado.

Las perlas de tu boca 1934 — Alfonso Ortiz Tirado. C’est un enregistrement RCA Victor réalisé à Buenos Aires.

Por el camino adelante (Lucio Demare ; Roberto Fugazot ; Agustín Irusta Letra: Joaquín Dicenta (Joaquín Dicenta Alonso)

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare.

Por el camino adelante 1930 – Agustín Irusta y Roberto Fugazot con acomp. de piano por Lucio Demare. Avec cette chanson on est plutôt dans le domaine du folklore, mais après tout, le tango n’est pas la seule musique qui passe à la radio. Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de 1936 ou 1937. Il se peut donc que ce soit une autre version qui avait du succès en 1937.

Rosa de otoño [Guillermo Desiderio Barbieri Letra: José Rial, hijo]

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro.

Rosa de otoño 1930-12-05 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta de Francisco Canaro. Encore un enregistrement un peu ancien, mais la mort de Gardel deux ans plus tôt a sans doute relancé ses interprétations. On est là encore à la limite du tant avec un vals criollo. C’est Di Sarli en 1942 qui fera sortir cette valse du domaine folklorique, mais c’est une autre

Les succès de la radio 03

En blanco y negro [Néstor Feria Letra: Fernán Silva Valdéz]

En blanco y negro 1936-05-06 — Alberto Gómez con acomp. de su Cuarteto de Guitarras

Une milonga, mais une milonga criolla. Décidément le folklore avait la côte…

Falsedad [Héctor María Artola Letra: Alfredo Navarrine]

Falsedad 1936-10-25 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

On revient dans le domaine du tango avec ce très beau titre, sans doute un peu oublié dans les milongas d’aujourd’hui, même dans celles qui abusent de la vieille garde ; -)

(Hugo Gutiérrez Letra : Andrés Carlos Bahr)

Monotonía 1936-12-03 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Encore Lomuto et Omar en vedette avec ce tango de Hugo Gutiérrez et Andrés Carlos Bahr. Le titre ne donne pas très envie de danser, la musique non plus. Cela devait être plus agréable de vaquer dans son appartement avec cette musique de fond à la radio.

Pienso en ti (Julio De Caro Letra : Jesús Fernández Blanco)

Pienso en ti 1936-08-10 — Orquesta Julio De Caro con Violeta y Lidia Desmond (Las hermanas Desmond).

Las hermanas Desmond (les sœurs Desmond) nous offrent une fin enjouée. Une valse pas trop tango. Elle est indiquée comme valse chanson et son auteur pourrait vous surprendre, car il s’agit de Julio de Caro, comme quoi il ne faut pas trop vite mettre les compositeurs et musiciens dans des tiroirs.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, les éditions de Julio Korn ne sont pas le seul éditeur de musique. On peut légitimement penser qu’ils mettent en avant leurs poulains et passent sous silence les artistes qui font éditer leurs partitions chez des concurrents.
Un autre biais est que les orchestres ne jouent pas forcément des tangos qui viennent d’être écrits. S’ils jouent un titre qui a dix ou vingt ans, voire plus, il ne sera pas nécessairement réédité.
Le dernier biais et qu’il s’agit des titres qui passent à la radio. La qualité sonore de la radio à l’époque était assez médiocre, la FM n’était pas encore de mise et les danseurs pouvaient rencontrer leurs orchestres favoris toutes les semaines. Les programmes étaient donc plutôt destinés à la vie de famille et une diffusion régulière et sans trop de relief était sans doute mieux adaptée à cet usage.
En résumé, il ne faut pas tirer la conclusion que les succès mentionnés ici sont des succès absolus, notamment du point de vue des danseurs. On peut juste affirmer qu’à côté d’autres styles, le tango avait sa place dans le quotidien des Argentins, comme c’est toujours le cas où des airs de tango ayant près d’un siècle continuent de s’élever dans le bon air de Buenos Aires. On n’imagine pas dans tous les pays la population écouter des disques aussi anciens, sauf peut-être dans le domaine de la musique classique.
Pour estimer le succès des titres du point de vue des danseurs, je pense que la présence de nombreux enregistrements du même titre à quelques semaines d’intervalle est un bon indice. Certains tangos ont 20, 30 ou beaucoup plus d’enregistrements pour des monstres comme la Cumparsita, et d’autres sont fils uniques. Ces fils uniques qui ont raté leur lancement à l’époque sont parfois rattrapés, comme c’est le cas de la milonga Mi vieja linda (Ernesto Céspedes Polanco, musique et paroles), qui avant qu’elle soit reprise par le Sexteto était inconnue de la majorité des danseurs, bien qu’il en existe une belle version par la Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María
Mi vieja linda 2018-05-01 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler

Mon travail de DJ est aussi de réveiller, révéler, des merveilles qui dorment dans quelque pochette de disque de pâte.

À propos de l’illustration de couverture

Voici la photo originale qui m’a servi pour réaliser l’illustration de couverture. Vous pouvez vous livrer au jeu des sept erreurs, mais il y a bien plus que sept différences entre les deux images 😉

Une radio portable (on voit la poignée près de la main droite de Gardel). Il s’agit d’un modèle « Mendez », copie du Mc Michael anglais.

Dans la partie droite, les deux boutons rotatifs permettant la syntonisation (choix de la station de radio). Le haut-parleur (dans la partie gauche est protégé pendant le transport, par la partie de droite qui se replie dessus. On voit les verrous qui maintiennent la mallette fermée de part et d’autre de l’appareil.
Vous aurez reconnu les personnages dès la photo de couverture, qui est un montage de ma part avec une fausse radio, je trouvais celle d’origine manquant un peu de classe.
Au cas où vous auriez un doute, je vous présente la fine équipe qui entoure le poste de radio, de gauche à droite :
José Maria Aguilar, Guillermo Barbieri, , les trois guitaristes de Gardel, et Carlos Gardel. La photo date de 1928, soit 8 ans avant la mort de Gardel et 9 ans avant la partition de No quiero verte llorar faisant la publicité pour les succès de l’année 1937. Cette image et la couverture ne sont donc pas tout à fait d’actualité, mais comme 1937 est l’année où l’éditeur Julio Korn fait son gros coup sur Gardel, je pense que cela peut se justifier.
De plus, on notera que dans les succès de 1937, il y a un tango écrit par Gardel, Amor et un vals criollo, Rosa de otoño, chanté par lui.

À demain les amis !

Voici la couverture pour ceux qui veulent jouer au jeu des sept erreurs…

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Agustín Magaldi Letra : Rodolfo Sciammarella

, un vieux de la vieille, mais qui a eu une carrière très longue (60 ans) avec une évolution remarquable de son style, a produit dans les années 30, notamment avec Roberto Ray des chefs d’œuvres dont notre tango du jour est un parfait exemple. Avec Fresedo, on est dans un tango élégant, loin des faubourgs bagarreurs et interlopes (idée reçue?).

Osvaldo Fresedo et Roberto Ray

Osvaldo Fresedo a fait ses premiers enregistrements en 1920 et les derniers en 1980. 60 ans de disque, c’est un des records des orchestres de tango.
Pendant près de 10 ans, Fresedo et Ray ont collaboré (1931-1939). Mais Ray n’est pas le premier chanteur de Fresedo. Rien que par le disque, on peut prouver qu’il a enregistré avec Ernesto Famá, Luis Diaz, Teófilo Ibáñez, Juan Carlos Thorry, Antonio Buglione, Agustín Magaldi, (pour le jazz) et même Ada Falcón.
Cependant, l’arrivée de Ray en 1931 va marquer une transition pour les tangos chantés de Fresedo, lui qui avait essentiellement enregistré de l’instrumenta auparavant.
Pour bien comprendre la transition entre la première vague de chanteurs et l’arrivée de Roberto Ray, il suffit de s’intéresser au 23 février 1932. Ce jour, Fresedo réalise un enregistrement avec son « ancien » chanteur Teófilo Ibáñez et un autre avec le nouveau, Roberto Ray.
Voici les deux enregistrements :

Desengaños 1932-02-23 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Teófilo Ibáñez (Ramón Gutiérrez Del Barrio Letra: )

La voix de Ibáñez sans être vulgaire a une pointe d’accent populaire, est plus agressive et les effets de voix sont marqués.

El rebelde 1932-02-23 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Juan José Riverol Letra : Francisco Antonio Loiácono)

Il faut patienter, comme de coutume avec les tangos de danse, chantés pour entendre la voix de Ray. Elle n’arrive qu’à 1 : 40… Mais la différence explose immédiatement. Pourtant, les paroles n’ont rien de la joliesse apparente que semble exprimer Ray. Il en effet curieux d’avoir choisi un texte en lunfardo pour lancer son nouveau chanteur raffiné.

Se murió el vago Amargura,
está en cana Langalay
y a tu rante arquitectura
la están tirando a matar.
Te dio la biaba el progreso
un rasccielo bacán
dejó como cinco ‘e queso
a una casita terrán

En gras les mots argotiques, mais l’organisation du texte en entier est pour le moins populaire. Rien n’est raffiné dans ce texte qui regrette le temps passé, ou le paresseux est désormais remplacé par le tireur de charrette de Langalay (entreprise de transport) et où les masures des clochards ont été détruites.
Ray dit, chante le texte, comme si c’était un poème de la pléiade.
Ce qui es sûr est que ceux qui pense que Fresedo est tout lisse, un orchestre pour marquises dans leur salon vont être un peu décoiffés s’ils comprennent les paroles.
Remarquez aussi le magnifique violon (probablement Adolfo Muzzi), qui comme la voix de Ray est raffiné.
Puisque l’on est entre amis, une petite digression, le même titre chanté par une femme qui balance toutes les paroles de lunfardo. C’est Mercedes Carné accompagnée par Di Sarli…

Rebelde 1931- Mercedes Carné acomp. de Sexteto .

Roberto Ray se lance ensuite comme soliste et il ne reviendra que très brièvement en 1948-1950 avec Fresedo, mais à cette époque, le style de Fresedo a complètement changé et la magie n’est plus là.
D’ailleurs, les puristes ne voient de Fresedo que la période « Roberto Ray ». Son second chanteur le plus emblématique, avec qui il collaborait à la même époque pour le jazz et qui a pris la relève en 1939 avec des résultats divers, a donné de très belles choses comme Viejo farolito, Mi gitana, Si no me engaña el corazón, Inquietud, Cuartito azul, Vida querida, Alas ou Buscándote.

Extrait musical

Ne pleurez plus, voici enfin du jour.

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Ray commence à chanter à 1 :39 et nous sommes là en présence du plus beau « NO » de l’histoire du tango. La façon dont Ray lance son « NO » et comment il poursuit piano est osée et géniale. On retrouve un peu cela dans d’autres versions, mais à mon avis avec une intensité bien moindre. Je dois avouer que je suis fan et que pour moi c’est très difficile de ne pas chanter en même temps que Ray.

No quiero verte llorar. Partition pour piano.

En photo, sur la couverture, Agustin Magaldi. Remarquez les pubs en 4e de couverture pour les grands succès de la radio. Nous y reviendrons…

Paroles

Antes era yo el que torturaba tu existencia
con mis celos y no te dejaba en paz.
Yo escuchaba tus protestas
sin poderlo remediar.
Antes era yo el que te seguía y no tenia
la alegría de un minuto en mi vivir.
Hoy que logré felicidad al tenerte fe,
dudas de mí.

No,
no quiero verte sufrir.
No,
no quiero verte llorar.
No quiero que haya dudas,
no quiero que haya sombras
que empañen los encantos
de nuestro dulce hogar.
No,
no quiero verte llorar.
No,
no quiero verte sufrir.
Amor mío,
debes tener confianza,
vos sos toda mi esperanza,
mi alegría de vivir.

Quiero repetirte las palabras que vos antes
me decías cuando me encontraba así.
Por nuestro amor te lo pido.
No debes dudar de mí.
Yo que sé las noches de tortura que es vivir
obsesionado por los celos del amor,
quiero evitarte de una vez tanto pesar,
tanto dolor.

Agustín Magaldi Letra: Rodolfo Sciammarella

En gras, le refrain chanté par Roberto Ray

libre

Avant, j’étais celui qui torturait ton existence avec ma jalousie et ne te laissais pas tranquille.
J’ai écouté tes protestations sans pouvoir m’en empêcher.
Avant, j’étais celui qui te suivait et je n’avais pas une minute de joie dans ma vie.
Maintenant que j’ai atteint le bonheur en ayant foi en toi, tu doutes de moi.

Non, je ne veux pas te voir souffrir.
Non, je ne veux pas te voir pleurer.
Je ne veux pas qu’il y ait de doutes, je ne veux pas qu’il y ait des ombres qui ternissent les charmes de notre doux foyer.
Non, je ne veux pas te voir pleurer.
Non, je ne veux pas te voir souffrir.
Mon amour, tu dois avoir confiance, tu es toute mon espérance, ma joie de vivre
.

Je peux te répéter les mots que tu me disais quand j’étais comme ainsi.
Pour notre amour, je te le demande.
Tu ne dois pas douter de moi.
Je sais les nuits de torture que c’est de vivre obsédé par la jalousie de l’amour, je veux t’épargner d’un coup, tant de chagrin, tant de douleur.

Autres versions

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

C’est notre tango du jour. J’en pense le plus grand bien…

No quiero verte llorar 1937-06-03 – Agustín Magaldi con orquesta.

C’est la version par l’auteur de la musique, enregistrée moins d’un mois après celle de Fresedo et Ray. On ne peut pas dire que ce soit vilain. La mandoline donne un air original à ce tango, la voix de Magaldi, n’est pas désagréable, mais elle ne sort pas victorieuse de la confrontation avec celle de Roberto Ray. Comme le résultat n’est pas fameux pour la danse non plus, il y a de fortes chances que cette version retourne dans l’ombre d’où je l’ai extirpée. Remercions tout de même Magaldi d’avoir écrit ce titre…

No quiero verte llorar 1937-06-11 Orquesta con Carlos Varela.

Sans le « modèle » de Fresedo et Ray, cette version pourrait bien faire le bonheur des . Carlos Varela a fait l’essentiel de sa carrière de chanteur avec Firpo et il ne semble pas avoir enregistré avec les autres orchestres, comme celui de José García avec qui il travaillait à la fin des années 40.

No quiero verte llorar 1937-06-17 – Mercedes Simone con acomp. de su Trío Típico.

Mercedes Simone effectue une magnifique prestation. Difficile de ne pas être très ému par son interprétation. Bien sûr, c’est une chanson, pas un tango de danse, mais votre discothèque sera honorée d’accueillir cette magnifique chanson.

Il faut savoir arrêter

Vous l’aurez compris, ma version préférée est notre tango du jour enregistré par Fresedo et Ray en 1937, comme tous les autres titres.

Je vous ai prévenu, n’écoutez pas les titres qui suivent…

Passé l’année 1937, on n’entend plus parler du titre, du moins pour l’enregistrement. C’est souvent le cas quand un orchestre fait une version de référence. Les autres n’osent pas s’y coller. Dans notre cas, Magaldi et Simone ont donné les versions chanson avec un résultat tout à fait satisfaisant dans ce but. Pour la danse, Firpo n’a pas démérité, mais Fresedo lui dame le pion.
Il faut attendre plus de 40 ans pour trouver une nouvelle version enregistrée. C’est celle d’Osvaldo Ribó accompagné par les guitares d’ et Roberto Grela.

No quiero verte llorar 1978 – Osvaldo Ribó con Hugo Rivas y Roberto Grela (guitares).

Cette version est intéressante, même si elle n’apporte pas grand-chose de plus autres versions en chanson, par Magaldi et Simone.

No quiero verte llorar 1997 – Orquesta Alberto Di Paulo con Osvaldo Rivas.

Là, j’ai vraiment un doute. Est-ce que l’on va dans le sens du progrès ? Le moins que l’on puisse dire est que je n’aime pas cette version. Je suis peut-être un peu trop délicat et d’autres se toqueront pour elle.
Quoi qu’il en soit, je vous propose de vous laver les oreilles et réécoutant la version du jour…

No quiero verte llorar 1937-05-12 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

À demain, les amis!

No quiero verte llorar

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Le tango du jour, , (Laisse le monde comme il est) a été enregistré par Biagi avec la voix d’Andrés Falgás en mars 1940. Il faut s’intéresser aux paroles, relativement originales, pour comprendre pourquoi ne pas changer le Monde, n’oublions pas que si l’Argentine fut épargnée par la seconde guerre mondiale, tout n’y était pas rose en 1940.

(la décennie infâme)

La década infame se situe entre deux coups d’État qui ont secoué l’Argentine (1930-1943). Entre les deux différentes élections truquées et les manipulations politiques douteuses.
Les causes de la década infame sont en grande partie issues du crash du 1929, la chute du commerce ayant durement touché les possibilités d’exportations de l’Argentine, engendrant un chômage massif. Le rôle de l’Angleterre, sa mainmise sur l’économie argentine, n’est pas sans rappeler l’actualité de l’Argentine d’aujourd’hui, il suffit de remplacer Royaume-Uni par FMI ou USA pour avoir une idée du problème. L’Argentine revit de façon cyclique le même phénomène en alternance à chaque décade.
En résumé, la situation sociale était plutôt morose et la répression des mouvements populaires féroce durant toute la période. Il fallait bien se changer les idées avec le tango pour voir la vie en rose.

La Década de Oro (L’Âge d’or)

À l’opposé de la situation politique, la situation artistique était florissante.
L’Argentine était tournée vers l’Europe et en littérature, le groupe de Florida avait pour modèle les écrivains européens. Ils étaient plutôt issus des hautes classes de la société, celles où on parlait couramment le français et où on était attentif à toutes les modes européennes. Ces écrivains soignaient la forme de leurs écrits, sans doute plus que le contenu. On trouve parmi eux, Jorge Luis Borges.
Le bipartisme argentin fait que le principal groupe concurrent, celui de Boedo avait pour sa part des préoccupations plus sociales et avait tendance à passer la forme au second plan. Une de ses figures de proue était Roberto Emilio Arlt.

On retrouve la même dichotomie en peinture, avec d’un côté le groupe de Paris, lié au surréalisme, alors en vogue en France et de l’autre, des peintres plus préoccupés des questions sociales dont le plus connu est sans doute Quinquela Martin, celui qui a donné à la Boca l’image qui plaît tant aux touristes en mettant de la couleur sur les tristes tôles des maisons de l’époque. Je l’avais évoqué au sujet du tango « El Flete ».

 Je pense que vous m’avez vu venir, cette période est également une década de oro pour la musique et notamment le tango. Le tango de cette époque fait le lien entre l’Europe et notamment la France, beaucoup de musiciens argentins s’étant installés ou ayant fait le voyage en Europe et notamment à Paris avant de rentrer d’urgence en 1939 à cause de la Seconde Guerre mondiale. Ceci fait qu’à s’est retrouvé tout ce qui comptait en matière de musique de tango. Là encore, deux styles, l’orientation De Caro, plus intellectuelle et destinée au concert et l’orientation Canaro, D’Arienzo, plus tournés vers le bal.
Cette période est donc à la fois tragique pour la population et extrêmement riche pour la création artistique.
Je vais m’intéresser, enfin, au tango du jour et voir pourquoi il ne faut pas changer le Monde.

Extrait musical

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Les changements chromatiques, du grave vers l’aigu à chaque début du couplet, font monter l’intensité dramatique. Inconsciemment on associe ces montées chromatiques à une accélération du rythme, comme si le disque tournait plus vite, ce qui n’est pas le cas, le tempo reste content sur toute la durée du morceau.

Les paroles

Hoy sos un hombre descontento y amargado
que has derrochado tu bienestar.
Te has convertido en enemigo de la vida
porque ella te convida a trabajar.
Por eso mismo es que todo te molesta
y se oye tu protesta por los demás.
Con el tono llorón de un agorero
decís que el mundo entero lo deben transformar.

Deja el mundo como está,
que está hecho a la medida… (aunque parezca mentira)
Deja el mundo como está
vos debes cambiar de vida… (No has muerto viejo)
Le quieres poner rueditas…
¿Dónde lo quieres llevar?
Sólo vos lo ves cuadrado
y redondo los demás.
Deja el mundo como está,
con sus malas y sus buenas,
con sus dichas y sus penas…
¡Deja el mundo como está!


Qué cosa buena has de encontrar a la deriva
o es que esperas de arriba tu porvenir.
Sólo se logran con trabajo y sacrificios
los grandes beneficios para vivir.
Al fin, tu queja es el clamor de un fracasado,
ya me tienes cansado de oírte gritar…
Que anda el mundo al revés y está deshecho
y vos… ¿Con qué derecho lo pretendes cambiar?

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Dans la version de Biagi, Falgás chante ce qui est en gras et le chœur insiste en chantant la partie en rouge.
Dans la version de Canaro, ce qui est chanté par Famá est la partie en gras et Canaro fait un dialogue en chantant ce qui est en bleu. Il n’y a pas de reprise de la fin du refrain, contrairement à Biagi.
Pour sa part, dans la version de Donato, Lagos chante les mêmes couplets que Falgás, mais sans la reprise de la fin du refrain.

libre :

Aujourd’hui, tu es un homme mécontent et amer après avoir dilapidé ton bien-être. Tu es devenu l’ennemi de la vie parce qu’elle t’invite à travailler. C’est pourquoi tout te dérange et que ta protestation est entendue par-dessus tout. Avec le ton pleurnichard du pessimiste, tu dis que le monde entier doit être transformé.

Laisse le monde tel qu’il est, c’est du sur-mesure… (crois-le ou pas)
Laisse le monde tel qu’il est, c’est toi qui dois changer de vie… (Tu n’es pas mort, mon vieux)
Tu veux y mettre des roulettes… Où veux-tu l’emporter ? Il n’y a que toi qui le vois carré et tous les autres le voient rond.
Laisse le monde tel qu’il est, avec ses mauvais et ses bons aspects, avec ses joies et ses peines… Laisse le monde tel qu’il est !

Le passage suivant n’est pas chanté dans aucune des trois versions, mais il est intéressant à saisir :
Ce qu’il y a de bon à se laisser aller à la dérive, c’est que tu attends d’en haut ton avenir. Or, ce n’est qu’au prix d’un travail acharné et de sacrifices que l’on peut obtenir les grands avantages de la vie. Pour finir, ta plainte est la clameur d’un échec, là, tu me fatigues de t’entendre crier… Que le monde est sens dessus dessous et qu’il est défait, et toi… de quel droit prétends-tu le changer ?

Autres versions

Ce tango a rencontré l’air du temps et en quelques mois, il a été enregistré trois fois.
Par son auteur, Biagi, puis par Canaro et enfin Donato.
Il me semble intéressant de comparer les trois versions.
Les trois ont des caractères communs, mais les versions de Canaro et de Donato sont plus traditionnelles. Elles ont le même dynamisme et l’impression de marche haletante que dans la version de Biagi, mais ce dernier propose des enrichissements convaincants et un étagement des plans musicaux plus riches, plus variés que ceux de ses collègues qui sont totalement dans la marche et moins dans la subtilité.

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Le rythme est d’environ 139 BPM et est régulier tout au long de l’interprétation, même si on a une impression d’accélération suggérée par les montées chromatiques.          

Deja el mundo como está 1940-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y contracanto por Francisco Canaro

On note dans cette version, des variations de rythme (145 à 135). Les parties chantées sont plus lentes. Canaro a également choisi de faire un dialogue où il répond à Famá, jouant donc le rôle de celui qui l’encourage à travailler. La clarinette, le piano et les violons semblent aussi se lancer dans la discussion pour finalement « parler » en même temps, comme le fait le chœur dans la version de Biagi.

Deja el mundo como está 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con

C’est le tempo le plus lent des trois versions, avec environ 135 BPM sur la partie instrumentale et 133 sur la partie chantée. Les montées chromatiques sont présentes, mais moins marquées que chez Biagi.

La fin du Monde

Pardonnez ce titre racoleur. Je veux juste vous parler de comment se terminent ces titres et comment les agencer dans une tanda.
La terminaison des trois versions. On a vu que dans la version de Biagi, il y a une accélération simulée avec en apothéose la reprise finale du couplet par le chœur. L’intensité est donc maximale à la fin.
Dans la version de Canaro, le mélange des voix des instruments à la fin suggère également un apogée, un paroxysme.
Pour Donato, en revanche, rien de tel. Il y a juste la ligne mélodique du violon qui devient plus expressive et présente, mais d’impression d’explosion finale, contrairement aux deux autres versions.
Cette caractéristique, avec le fait qu’elle est d’un tempo plus lent, me pousserait à ne pas terminer une tanda avec ce titre, mais plutôt de le mettre en début de tanda. Les versions de Canaro et Biagi, avec leur apothéose finale, font en revanche de bons morceaux de fin de tanda.
Bien sûr, ce qui compte est également ce qu’on met avant dans le cas de Biagi et Canaro et après dans celui de Donato.
Par exemple, si on termine une tanda de Donato par ce titre, cela veut dire que les précédents sont sans doute moins dynamiques. La tanda sera donc plutôt calme, voire peut-être un peu plate, mais cela peut convenir, par exemple après des milongas, pour que les danseurs reprennent leur respiration. Comme toujours en la matière, il n’y a pas de règle qui résiste à l’observation de la . C’est l’ambiance du moment qui décide.

Ce titre me fait penser à la chanson de Ralph Zachary Richard reprise notamment par Julien Clerc et Alpha Blondy