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Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)

Qui ne s’est jamais laissé emporter dans le tourbillon de cette valse chantée par Francisco Fiorentino et le bandonéon d’Anibal Troilo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait attention au tendre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en tremblant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troilo et Fiorentino ont enregistré 73 titres, dont 4 en duo avec Alberto Marino.
Ce sont quasiment tous des succès au point que certains DJ ne passent pour les Troilo chantés, que des versions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anecdotes de tango de ces derniers jours, vous avez pu lire les articles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Anibal Troilo C Edmundo Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enregistré par Troilo et Fiorentino, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alberto Hilarion Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamora, ou plus précisément à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du village à l’époque de la naissance d’Alberto. Maintenant, c’est englobé au sud-ouest du grand . Un milieu plutôt rural à l’époque et cela a sans doute influencé ses choix musicaux, souvent orientés vers ce que l’on appelle maintenant le folklore, la valse du jour est en effet un vals criollo (vals est masculin en espagnol). Il a écrit en plus des tangos, des gatos, des chacareras, comme La choyana que Gardel a chanté avec Razzano, mais aussi des candombés comme Serafín enregistré par exemple en 1998 et 2003 par Juan Carlos Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec . Ce duo sera fameux et à l’époque, on le comparait à celui de Gardel et Razzano. Ainsi la revue El Canta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indiquait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insurpassable Gardel-Razzano, le meilleur qui reste pour interpréter notre muse sentimentale et populaire est indiscutablement l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’auteur des paroles, Charrúa (Gualberto Gregorio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Charrúa, vient du peuple Charrúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontalière avec l’Uruguay) et au Brésil.
Ses penchants pour la ruralité peuvent sans doute trouver leur origine dans son territoire de naissance, mais aussi dans son activité dans le « civil », il était administrateur d’établissements agricoles du côté de General Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses origines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendiquer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cependant, ma mère étant originaire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authentique, ce qui est traditionnel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleinement à être le meilleur Argentin. »
Son engagement pour ce qui est traditionnel s’est montré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des (chansons folkloriques typiques de la pampa, ce qui explique le dont il sera question dans la valse du jour) et bien sûr les paroles champêtres de la valse du jour.

Extrait musical

1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.

Le bandonéon lance le début de l’introduction comme un démarrage difficile. Puis à 0 : 15 commence le thème par les violons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ainsi de suite, s’alternent les instruments jusqu’à ce que le violon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorentino reprend le thème. Il accentue de nombreux premiers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée normale). Cela donne l’impression de ralentissement que contredit ½ temps plus tard la reprise du rythme normal de la valse. Un peu comme un homme qui tournerait la manivelle d’une voiture ancienne pour démarrer le moteur. C’est le même principe que le démarrage initial du bandonéon en introduction. Cet élément stylistique s’apparente dans une certaine mesure à la valse viennoise, mais aussi au vals criolo où le ralentissement est encore plus marqué et le rythme sort complètement de la régularité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exemple chez Corsini (voir ci-dessous dans les autres versions).

Les paroles

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando
y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Estaba como nunca la había visto,
vestido livianito de zaraza,
con el pelo volcado sobre los hombros
era una virgen que encontré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus ojazos me siguió quemando,
dejó la escoba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó temblando.

Era el recuerdo del amor primero,
amor nacido en una edad temprana,
como esas flores rústicas del campo
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está oculto en los adobes
de su rancho paterno tan sencillo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la punta del cuchillo.

Me di vuelta pisando despacito,
como quien desconfía de una trampa,
envolviendo recuerdos y emociones
entre las listas de mi poncho pampa.

No sé qué me pasó, monté a caballo
y me fui (sali) galopeando a rienda suelta,
con todos los recuerdos y emociones
que en las listas del poncho saqué envueltas.

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando.
Y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Alberto Hilarion Acuña Letra: Charrúa (Gualberto Márquez)

Fiorentino et Bermúdez chantent ce qui est en gras et terminent en reprenant le couplet qui est en rouge. En bleu, la variante de Carmen Idal qui chante, comme Corsini, l’intégralité des paroles.

Traduction libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue auparavant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais rencontrée dans la maison. (Zaraza est une sorte de Percal. Un tango de Benjamin et Alfonso Tagle Lara porte ce nom. Et Biagi avec Ortiz en a donné une des meilleures versions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a également chanté en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons parlé, avec ses yeux immenses qui me suivaient en me brûlant, elle a délaissé le balai qu’elle tenait à la main, elle voulait me parler et elle est restée tremblante.
C’était le souvenir du premier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rustiques des champs qui naissent du jour au lendemain (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout simple et grâce à la courtoisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belombra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retournai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, enveloppant et émotions entre les plis de mon poncho de la pampa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chanfrein des chevaux. Il enveloppe donc ses émotions dans les bandes blanches donc, les rayures de son poncho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis monté à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les souvenirs et les émotions que j’avais enveloppés dans les listes de ponchos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Un documentaire intéressant pour connaître le poncho.

Autres versions

Temblando 1933-09-28 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criollo). Une belle interprétation pour ce type de valses folkloriques.
Temblando 1944 Orquesta Gabriel Chula Clausi con Carmen Idal.

Une jolie version, chantée et presque dansable. Il est à noter qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites variations, comme cela arrive souvent, les chanteurs prennent de petites libertés pour mieux coller à leur diction, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actualiser un texte.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.
Temblando 1944-04-26 — Orquesta Pedro Laurenz con Carlos Bermúdez.

Comme la version de Troilo, celle de commence par un bandonéon qui « démarre ». Les arrangements sont assez proches de ceux de Troilo. À 1 : 19 commence Bermúdez, sa voix est magnifique, plus chaude que celle de Fiorentino, c’est une superbe version, injustement estompée, à mon avis par celle de Troilo qui ne lui est pas sensiblement supérieure. À 2 : 25, vous noterez le changement de tonalité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à propos de Lágrimas y sonrisas).

Par la suite, le thème a été repris à différentes reprises, par des chanteurs plutôt versés du côté folklore, ou par d’autres du côté chanson, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des versions équivalentes à celles de Troilo ou de Laurenz. J’en cite cependant quelques-unes, intéressantes par différents aspects.

Temblando 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rappel de vals criollo, au milieu d’une interprétation sous forme de chanson. Comme beaucoup de chansons en valse, cette version reste dansable, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Temblando 1976 — Rubén Juárez (a Capela).

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exercice du chant a capela. Là, pas du tout question de danser…

Temblando 1995 — Canta .

Pour terminer en douceur, une version d’inspiration criolla. Malgré sa très courte carrière (6 ans, Luis Cardei a produit trois disques et chanté dans le film (1998) de Fernando Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos globos rojos d’Eduardo Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les piétons, sauf un, reculent, la suite est peut-être moins intéressante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

du jour, Yuyo verde, a été enregistré le 28 février 1945 par Aníbal Troilo et . C’est encore un magnifique thème écrit par l’équipe Federico et Expósito, les auteurs de Percal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mauvaise herbe, soit une herbe médicinale. Je vous laisse forger votre interprétation à la lecture de cet article.

Extrait musical

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Les paroles

Callejón… callejón…
lejano… lejano…
íbamos perdidos de la mano
bajo un cielo de verano
soñando en vano…
Un farol… un portón…
-igual que en un tango-
y los dos perdidos de la mano
bajo el cielo de verano
que partió…

Déjame que llore crudamente
con el llanto viejo adiós…
adonde el callejón se pierde
brotó ese yuyo verde
del perdón…
Déjame que llore y te recuerde
-trenzas que me anudan al portón-
De tu país ya no se vuelve
ni con el yuyo verde
del perdón…

¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?…
¿Adónde te has ido?…
¿Dónde están las plumas de mi nido,
la emoción de haber vivido
y aquel cariño?…
Un farol… un portón…
-igual que un tango-
y este llanto mío entre mis manos
y ese cielo de verano
que partió…

Domingo Federico Letra: Homero Expósito

Traduction

Ruelle… ruelle…
lointaine… lointaine…
Nous étions perdus main dans la main sous un ciel d’été rêvant en vain…
Un lampadaire… un portail (une porte cochère)…
-Comme dans un tango-

et les deux, perdus, main dans la main sous le ciel d’été qui s’en est allé…

Laisse-moi pleurer mon soûl avec les larmes d’un vieil adieu…
Là où la ruelle se perd, cette herbe verte du pardon a germé…
Laisse-moi pleurer et me souvenir de toi

-tresses qui m’attachent à la porte-
De ton pays, on ne revient pas, pas même avec l’herbe verte du pardon…

Où es-tu ?… Où es-tu ?…
Où es-tu allée ?…
Où sont les plumes de mon nid, l’émotion d’avoir vécu une telle affection ?…
Un lampadaire… un portail…
-tout comme un tango-
et ces pleurs qui sont miens entre mes mains et ce ciel d’été qui s’en est allé…

Autres versions

Ce tango, magnifique a donné lieu à des centaines de versions.

Yuyo verde 1944-09-12 — Orquesta Domingo Federico con . La version originale par l’auteur de la musique. C’est une jolie version.
Yuyo verde (Callejón) 1945-01-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz. Un biagi typique, bien énergique. À noter le sous-titre, Callejón, la ruelle, qui commence les paroles en étant chantée deux fois.
Yuyo verde 1945-01-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. Une interprétation de Morán un peu larmoyante. Rien à voir avec la version enregistrée la veille par Biagi et Ortiz. La merveilleuse diversité des orchestres de l’âge d’or du tango.
Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz. C’est le . Pour moi, c’est un des meilleurs équilibres entre dansabilité et sensibilité.
Yuyo verde 1945-05-08 — Tania y su Orquesta Típica dir. Miguel Nijenson. Si l’ de Troilo et Morán faisait un peu chanson, cette interprétation par Tania est clairement une chanson. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijenson confirme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chanson.

Avec ces cinq versions, on a donc une vision intéressante du potentiel de ce titre. En 1958, Federico a enregistré de nouveau ce titre, avec son Trío Saludos et les chanteurs et . Je vous fais grâce de cette version kitch.
Comme il est l’auteur de la musique, je citerai aussi son enregistrement réalisé à avec la Orquesta Juvenil De La Universidad Nacional De Rosario con Héctor Gatáneo. J’ai déjà évoqué ce chanteur et cet orchestre à propos de Percal dont Federico est également l’auteur.
Il y a des centaines d’interprétations par la suite, mais relativement peu pour la danse. Les aspects chanson ou musique classique ont plutôt été les sources d’inspiration.
Pour terminer cet article sur une note sympathique, une version en vidéo par un orchestre qui a cherché son style propre, la Romántica Milonguera. Ici avec . Un enregistrement effectué en Uruguay, un des trois pays du tango ; en mars 2019.

Yuyo verde 2019-03 – Orquesta Romantica Milonguera con Roberto Minondi.

Clin d’œil

Un cuarteto organisé autour du guitariste et du bandéoniste Fernando Maguna avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuarteto avait d’ailleurs participé en 2004 au festival que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Aveyron, France). Ils nous avaient fait parvenir une maquette dont je tire cette superbe interprétation de la milonga La Trampera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une composition d’Anibal Troilo, on reste dans le thème du jour.

La trampera 2004 — Yuyo Verde (Maquette)

Deux des affiches que j’avais réalisées pour mon festival de tango. Le site internet était hébergé par mon site perso de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus observateurs pourront remarquer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…

Petite histoire, ce festival de tango qui existe toujours, avec d’autres organisateurs, avait au départ une partie salsa, car mon coorganisateur croyait plutôt en cette danse. C’est la raison pour laquelle j’avais donné le nom de Tango latino (tango y latino), pour faire apparaître ces deux facettes. La milonga du samedi soir était animée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pionnière du DJing de tango que je salue ici…

Percal 1943-02-25 (Tango) – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Ne me dites pas que la voix chaude d’ Podestá quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.

Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe.
Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.

Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con

Les paroles

Percal…
¿Te acuerdas del percal?
Tenías quince abriles,
Anhelos de sufrir y amar,
De ir al centro, triunfar
Y olvidar el percal.
Percal…
Camino del percal,
Te fuiste de tu casa…
Tal vez nos enteramos mal.
Solo sé que al final
Te olvidaste el percal.

La juventud se fue…
Tu casa ya no está…
Y en el ayer tirados
Se han quedado
Acobardados
Tu percal y mi pasado.
La juventud se fue…
Yo ya no espero más…
Mejor dejar perdidos
Los anhelos que no han sido
Y el vestido de percal.

Llorar…
¿Por qué vas a llorar?…
¿Acaso no has vivido,
Acaso no aprendiste a amar,
A sufrir, a esperar,
Y también a callar?
Percal…
Son cosas del percal…
Saber que estás sufriendo
Saber que sufrirás aún más
Y saber que al final
No olvidaste el percal.
Percal…
Tristezas del percal.

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Parlons chiffons

Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot.
Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ».
Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le , l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre.
En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère.
En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité.
Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :

Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?

Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo

Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris.
Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.

Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté.
Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années.
Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.

El vals de los pour l’anniversaire de Quique Camargo par Los Reyes del Tango.
Camargo Tango – El Beso – Buenos Aires – 2024-02-17. .
Parole et musique Agustín Carlos Minotti.
Grabación DJ BYC Bernardo

Les enregistrements de Percal

Percal 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est du jour.
Percal 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.

Percal 1943-05-13 Hugo Del Carril accompagné par Tito Ribero.

Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.

Percal 1947 ou 1948 — Francisco González et son Orchestre typique argentin con Roberto Rodríguez.

Je n’ai pas cette musique dans ma collection. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (Notice FRBNF38023941) l’indique de 1948 sous la bonne référence du disque : Selmer ST3003. La bible Tango l’indique de 1947 et avec le numéro de matrice 3728.

Percal 1952-08-25 — Orquesta Domingo Federico con et récitatif por Julia de Alba.

Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.

Percal 1969 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.
Percal 1969-09-24 — Domingo Federico (bandonéon) Oscar Brondel (guitare) con .

La particularité de cet enregistrement est qu‘il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.

Percal 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. dir Domingo Federico con .

Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).

Autre titre enregistré un 25 février

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein.

Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.