Les Argentins raffolent des surnoms (apodos). On en trouve des dizaines dans les titres de tangos, el aristócrata, el cachafaz, el tarta, cabeza de indio, el rana, Shusheta, el porteñito, el taita, el gavilán, pinela, el descolao, el entrerriano… mais ici, je vous propose de retrouver des surnoms de musiciens et chanteurs de tango.
Petite liste de surnoms
Il est parfois difficile de distinguer le surnom donné par les collègues et amis et les pseudonymes ou nom d’artiste choisi délibérément par celui qui le porte. J’ai limité cette petite liste aux surnoms, même si, pour certains, je ne peux pas garantir que le porteur ne soit pas à l’origine de la diffusion du surnom.
Notez également que j’ai indiqué le pseudonyme usuel pour référence et pas le nom réel que, de toute façon les artistes n’utilisaient pas toujours.
Adolfo Pérez : Pocholo
Adriana Varela : La gata
Agustín Bardi : Mascotita
Alberto Gómez : Nico / El cabezón / El pingo de Lomas
Alberto Marino : La voz de oro del tango
Alfredo De Angelis : El colorado (de Banfield) / Orquesta de calecita (la musique de De Angelis était beaucoup jouée dans les manèges pour enfants, car elle plaisait beaucoup aux femmes. Les danseurs venaient y danser pour inviter les nounous et autres femmes attirées par la musique).
Alfredo Gobbi : El violín romántico del tango
Ángel Condercuri : Del Conde
Ángel Santos Carreño : Príncipe Cubano
Ángel Vargas : El Ruiseñor de las calles porteñas
Aníbal Troilo : Pichuco / El gordo / El bandoneón mayor de Buenos Aires
Astor Piazzolla : El gato / El gran Astor / El asesino del tango
Azucena Maizani : La Ñata Gaucha
Bernardo Mitnik : Chico Novarro
Carlos Demaría : Yo toqué
Carlos Di Sarli : El Tuerto / El señor del tango / Mufa (porte malchance)
Carlos Gardel : El zorzal criollo / Carlitos / El Morocho del Abasto / El Mago / El Rey del Tango / El Mudo / El Troesma (maestro) / El Imbatible de la canción / El Inmortal / El Invicto / El Impardable / El Inigualable / El Ídolo máximo / El Inolvidable / El Uno / El Más Grande / El cantor de los tres siglos / El cantor de la sonrisa eterna / El Mito viviente / El que cada día canta mejor / Don Carlos de Buenos Aires / El Inoxidable…
Carlos Marcucci : El pibe de Wilde
Celedonio Esteban Flores : El negro Cele
Ciriaco Ortiz : Ciriaquito
Edmundo Rivero : El Feo
Eduardo Arolas : El Tigre del bandoneón
Enrique Maciel : El Negro
Enrique Pollet : El Francesito
Ernesto Ponzio : El Pibe Ernesto
Francisco Bianco : Pancho Cueva
Francisco Canaro : Pirincho / El Kaiser / Don pancho
Francisco Cao Vázquez : Panchito Cao
Francisco Lomuto : Pancho Laguna
Gabino Ezeiza : Negro Ezeiza
Gabriel Clausi : Chula
Genaro Espósito : El Tano Genaro
Gerardo Matos Rodríguez : Becho
Héctor Stamponi : Chupita
Herberto Emiliano Da Costa : Príncipe Azul
Ignacio Corsini : El caballero cantor
José María Contursi : Catunga
José Ricardo : El Negro
José Servidio : Balija
José Schumacher : Inglesito
Juan Bautista Deambroggio : Bachicha
Juan Bautista Guido : El Lecherito
Juan Cambareri : El Mago del Bandoneón
Juan Canaro : Macaco
Juan D’Arienzo : Grillito / El Rey del Compás
Juan Maglio : Pacho
Juan Polito : Manos Brujas (Comme Rodolfo Biagi dont il reprend le piano en 1938 dans l’orchestre de D’Arienzo)
Julio Sosa : El Varón del Tango
Leopoldo Thompson : El Negro / El Africano
Luis Teisseire : León rojo (Lion rouge)
Mercedes Simone : La Dama del Tango (comme Olga Delgrossi)
Nicolás Primiani : Pindeca
Olga Delgrossi : La Dama del Tango (comme Mercedes Simone)
Oscar Emilio Tirao : Cacho Tirao
Osvaldo Fresedo : El pibe de la Paternal
Osvaldo Pugliese : Anfimufa (anti malchance par opposition à Di Sarli) / San Pugliese
Pedro Maffia : El pibe de Flores
Prudencio Aragon : El Yoni
Rafael D’Agostino : Coco
Rafael Iriarte : El Ratita
René Cóspito : Don Goyo
Ricardo Brignolo : La Nena
Ricardo Tanturi : El caballero del tango
Roberto Goyeneche : El polaco
Rodolfo Biagi : Manos brujas
Tita Merello : La más rea del tango
Vicente Gorrese : Kalisay
Vicente Greco : Garrote
Cette liste est bien incomplète. Vos suggestions sont les bienvenues…
Je n’ai pas donné d’explications, je voulais répondre rapidement à la question d’un élève DJ, mais je ne renonce pas, un jour, à donner les explications des surnoms.
Pour terminer en musique, je vous invite à réécouter Mosterio https://dj-byc.com/mosterio-1939–09-11/ où l’on peut entendre deux descriptions humoristiques de chefs d’orchestre de tango, description qui auraient pu donner lieu à des surnoms :
¿Que por qué D’Arienzo es ñato (Pourquoi D’Arienzo a‑t-il un petit nez ? On sait qu’au contraire, il en avait un imposant) y Lomuto delgadito? (Et lomuto maigre ? Lomuto était bien en chair, pas vraiment maigre…) ¡Mosterio!
Bien sûr, il n’est pas question de mettre au pilori ce cher Canaro, même si celui-ci avait, sans doute, de petits travers, comme chacun d’entre nous. Parmi les petits points à signaler, j’ai choisi de vous parler aujourd’hui d’une « affaire » l’opposant à un compositeur de la génération précédente. Une affaire de plagiat, mais qui n’est sans doute pas si rare en musique, comme nous allons le voir…
Le plagiat pratiqué par les musiciens
Vous avez certainement entendu parler de My Sweet Lord, le premier gros succès de George Harrison après la séparation des Beatles. C’est le second titre de la face A du premier disque du triple album All Things Must Pass de 1970.
Lors de sa carrière avec les Beatles, Harrison avait composé de nombreux titres et relativement peu avaient été enregistrés par le groupe. Pour lui, cet album était un peu un exutoire pour faire valoir sa production.
My Sweet Lord est un titre en l’honneur du dieu indou, Krishna (comme on peut l’entendre en fin du titre où le chœur chante en boucle « Hare Krishna »). Il a remporté un grand succès et c’est sans doute le titre le plus apprécié de l’album. Cependant, une ombre entache ce succès, un titre composé par Ronnie Mack (Ronald Augustus Mack) et enregistré 7 ans plus tôt, en 1963, par les sympathiques « The Chiffons », « He’s So Fine ». Je vous laisse écouter ces deux titres par ordre chronologique :
He’s So Fine 1963 — The ChiffonsMy Sweet Lord 1970 – George Harrison
Mack est mort en 1963, il est facile de deviner qui a copié sur qui…
J’ai pris cet exemple hors de la sphère tango, mais, bien sûr, les cas de plagiat y sont également nombreux. Nous en avons déjà parlé, notamment dans l’anecdote sur « Comme il faut » en relevant ses airs de « Comparsa criolla ».
Un des tangos les plus célèbres, Por una cabeza, que Gardel a écrit pour son dernier film, Tango bar, tourné en février 1935, est un des cas de plagiat les plus surprenants. Tout d’abord, écoutons Gardel chanter ce titre dans le film.
Tango Bar (tourné en février 1935) est le dernier film avec Carlos Gardel sous la direction de John Reinhard
Avez-vous reconnu l’auteur de la musique ? Non, ce n’est pas Gardel.
Si on regarde comment est déclaré l’œuvre à la SADAIC, on se rend compte que l’auteur des paroles est Alfredo Le Pera et que Carlos Gardel est indiqué comme compositeur. Cependant, cette inscription date du 22 mars 1946. Est-ce qu’il pourrait s’agir d’une erreur de transcription, 11 ans après la mort de Gardel ?
Les disques, que ce soit de l’époque de la Victor ou les rééditions Odéon, indiquent Gardel.
Il ne semble pas que ce soit une erreur, car les disques indiquent aussi Gardel.
Alors, pourquoi est-ce que je remets en cause la paternité de Carlos Gardel comme compositeur de Por una cabeza ?
Suivons la piste avec un petit témoignage de Terig Tucci que vous pouvez lire en entier sur Todo Tango. Je vous résume juste la chose. Gardel téléphone à trois heures du matin à Tucci pour lui dire qu’il a une musique géniale pour « Por una cabeza » et il lui chante.
Tucci mal réveillé lui répond qu’il n’aime pas et Gardel le traite de Beethoven et l’invite à ne pas se mêler d’affaire de turf (matungo = cheval, pas forcément excellent). On sait que Beethoven était sourd, ce qui prouve l’humour de Gardel, mais cela donne aussi un indice sur sa connaissance de la musique classique.
C’est, en effet, de ce côté, qu’il faut chercher le véritable compositeur. Je vous invite à écouter ceci…
C’est un extrait d’une musique. Ce court passage commence à 3:17 de l’œuvre enregistrée. Je pense que les 10 premières secondes vous seront familières.La partie qui ressemble au titre chanté par Gardel représente seulement 6 mesures, jouées au violon. 6 mesures, soit une dizaine de secondes d’une œuvre qui, dans cette version, dure 5 minutes.
Je pense que la ressemblance est évidente. Mais, faut-il blâmer Gardel d’avoir copié 6 mesures d’un œuvre qui dure 5 minutes dans sa version originale ? C’est tout au plus une brève citation et il est peu probable qu’on puisse l’attaquer pour contrefaçon.
Peut-on laisser le bénéfice du doute à Carlos ? En effet, nous avons tous des petits bouts d’air qui nous trottent dans la tête et, parfois, on ne se sait pas d’où cela vient. Je me rappelle que, quand j’avais 6 ou 7 ans, je jouais, comme beaucoup d’apprentis pianistes, Für Elise de Ludwig Van Beethoven. Un démon me poussait à jouer à la fin de ce titre, une petite ritournelle que je pensais de mon idée, jusqu’à ce que je me rende compte que c’était en fait le début de l’“Agnus Dei” de la Misa criolla d’Ariel Ramirez. À ma décharge, il faut rappeler que la “Missa Criolla” a été mon premier disque 33 tours.
“Days of Pearly Spencer” de David McWilliams ayant été mon premier 45 tours… J’avais été charmé par la voix enregistrée depuis une cabine téléphonique, une idée géniale de McWilliams (en 1967), bien avant la vogue des vocodeurs et autotunes…
On dirait que je me suis égaré. Je reviens donc à notre petit extrait de musique classique. Il s’agit du Rondo en Do majeur Köchel 373 pour violon et orchestre, composé par Wolfgang Amadeus Mozart en avril 1781, comme vous pouvez le lire dans la notice de Michael Jameson.
Rondo en Do majeur Köchel 373 pour violon et orchestre — Arthur Grumiaux, violon accompagné par le New Philharmonia Orchestra dirigé par Raymond Leppard en avril 1967.
Je me rapproche doucement du sujet de mon anecdote du jour, Francisco Canaro…
Canaro, plagiaire et pionnier des droits d’auteur
Les futurs fondateurs de la SADAIC prise lors de la création du “Círculo de Autores y Compositores de Música” le premier août 1930. Assis, de gauche à droite : Ciriaco Ortiz, César Vedani, Osvaldo Fresedo, Francisco Canaro, qui deviendra le président de la SADAIC, Juan Francisco Noli, Homero Manzi, Enrique Santos Discépolo et José Pécora. Debout, de gauche à droite : Francisco García Jiménez, José María Contursi et Mario Bénard. J’ai signalé les compositeurs en gras, les auteurs par un soulignement et par les deux mises en valeur, ceux qui étaient à la fois compositeur et auteur, comme Canaro.
On voit sur cette photographie, Canaro en bout de table, en place d’honneur. D’ailleurs, quelques années plus tard, il sera le président de la SADAIC (Sociedad Argentina de Autores y Compositores de Música), ce qui prouve son engagement en tant que défenseur des droits d’auteurs des compositeurs et auteurs de musiques.
On pourrait donc attendre d’un tel homme, un respect total des droits des autres auteurs. Hélas, il semblerait que ce ne soit pas totalement le cas. J’en veux pour preuve une petite affaire que je vous propose maintenant.
Les pièces du dossier
J’ai choisi de ne pas écrire « les pièces du procès », car le plagiat est une pratique très commune en musique et on ne peut pas en vouloir à ces compositeurs qui nous ont donné tant de merveilles.
Je vous invite à écouter une musique de 1913, Golondrinas uruguayas, chantée par Arturo Nava s’accompagnant à la guitare. Nava est un payador uruguayo. Canaro, lui-même Uruguayen, pouvait bien le connaître, d’autant plus que Nava est mort à Buenos Aires en 1932.
Golondrinas uruguayas 1913 — Arturo Nava com acomp. de guitarras Malgré le mauvais état du disque, n’oubliez pas qu’il est de 1913, on entend bien la guitare et la voix de Nava, ce qui rend la mélodie parfaitement repérable.
Écoutons maintenant un tango de Canaro chanté par Charlo, Lo que nunca te dirán.
Lo que nunca te dirán 1931-08-13 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro
La similitude est frappante, non ? Comme pour Gardel, faut-il trouver des circonstances atténuantes à Canaro ? Sans doute.
Tout d’abord, au début du XXe siècle, tous les musiciens ne lisaient et n’écrivaient pas la musique. Ils faisaient parfois appel à des copistes pour publier leurs créations. D’autres se contentaient de les chanter, sans se soucier de les immortaliser sur papier ou shellac (gomme laque des disques 78 tours). Ainsi, lâchées au vent, ces créations pouvaient atterrir dans l’oreille d’un auteur en quête d’inspiration.
La plupart des prestations chantées n’étaient pas enregistrées.
Il y avait en général assez peu d’occasions d’écouter des titres en dehors des lieux où intervenait le payador. Signalons toutefois le rôle important de la radio, sans doute plus que le disque, pour la diffusion de la musique, l’Argentine ayant été pionnière dans la diffusion de ce média, depuis 1920.
Une déclaration tardive à la SADAIC
L’œuvre n’a été déclarée à la SADAIC que le 29 novembre 1963 (donc plus de 30 ans après le premier enregistrement par Canaro) comme étant parole et musique de Francisco Canaro. Ces retards sont fréquents, mais peut-être que Canaro a hésité à s’attribuer tout le mérite, même s’il aurait pu le faire sans trop de risques. Nava est mort, comme nous l’avons vu, en 1932, et la SADAIC a été créée le 9 juin 1936. Canaro, en étant le président à diverses reprises de cet organisme, il aurait pu assez facilement faire établir la fiche à son nom, comme il le fit bien plus tard, en 1963.
Faut-il voir le signe d’une culpabilité ? Ce n’est pas certain, ces retards sont extrêmement fréquents. Mais un petit entrefilet dans un journal laisse apparaître que le conflit entre Nava et Canaro a été intense.
Un peu de gêne (honte), Monsieur Canaro. Libelle signalé par Jose Manuel Araque qui m’a également envoyé la page dont est extrait le texte. El diario de Buenos Aires para toda la República du dimanche 13 septembre 1931. Jose Manuel est également coauteur avec Mark John et Camilo Gatica du site http://www.guardiavieja.org/ qui est par ailleurs une mine sur Osvaldo Fresedo, mais pas que…
Traduction du libelle
Un peu de gêne, Monsieur Canaro
Tout Buenos Aires se souvient du fameux procès que Jenaro Vasquez fit au millionnaire, Francisco Canaro, pour le vol de son tango « La carterita », que Canaro a signé comme sien en lui donnant le titre « Cara sucia » et avec lequel il a amassé beaucoup d’argent.
Aujourd’hui, un autre musicien populaire, plus pauvre et plus vieux que celui-ci, le payador, Arturo Nava, dont la vie est presque toute la vie de la milonga argentine, a présenté une demande à Monsieur Canaro, l’accusant de s’être intégralement approprié sa valse « Las golondrinas », pour composer le tango « Lo que nunca te diran ».
Le pauvre Vasquez avait perdu le procès, car il n’avait pas enregistré son tango et que Canaro, si, bien que tous connaissaient les deux tangos et les deux hommes et savaient bien qui était le « voleur ».
Aujourd’hui, les choses sont différentes. Le vieux Nava (Nava a 55 ans à l’époque et Canaro 43, faut-il vraiment parler de « vieux »), en novembre 1929, a enregistré sa valse qu’il avait composée 20 ans auparavant, et sa propriété artistique est protégée avec le numéro 48465 (Série 2A.).
Il est douloureux que le seul élément qui ait gagné de l’argent avec les tangos, bien qu’il soit celui qui avait le moins de conditions artistiques, soit celui qui essaie par tous les moyens de confisquer le moindre centime aux vieux compositeurs, qui sont ceux qui ont le plus de mal à affronter la vie aujourd’hui.
C’est bien que M. Canaro fasse croire aux auditeurs qu’il dirige des orchestres symphoniques, mais il n’y a pas de droit à ce qu’il vole, étant millionnaire, à des gens qui, comme le vieux Nava, méritent, au moins, le respect.
Le moins que l’on puisse dire, est que le ton du libelle est vindicatif, voire agressif. Il aurait été publié en 1931, probablement à la suite des trois enregistrements réalisés par Canaro, le 1er juillet avec Charlo comme chanteur de estribillo, le 8 juillet avec Ada Falcón, puis le 13 août avec Charlo. Ces deux derniers enregistrements sont des chansons accompagnées par l’orchestre de Canaro.
Nava s’est donc lancé dans un procès pour faire valoir sa paternité de la musique.
Quoi qu’il en soit, l’œuvre continue d’être attribuée sur les disques et à la SADAIC comme étant de Francisco Canaro. Peut-être que la mort précoce de Nava l’année suivante a éteint l’affaire.
On en reste-là ?
Je vous laisse prendre parti. Canaro, dans ses mémoires, ne parle pas de l’incident. Il se contente de citer Lo que nunca te dirán comme édité par Pirovano dans la liste de ses compositions.
L’enregistrement de Golondrinas uruguayas est bien antérieur à ceux de Canaro, même s’il y a des petites fluctuations sur la date 1909 ou 1913, 1909 étant sans doute plutôt la date de la composition. Nava a composé d’autres titres, comme la Carcajada del negro Juan (1902) ou, avec Ángel Gregorio Villoldo, El negro alegre et El Gallego y el Genovéz.
Mais, en réalité, c’est assez difficile à dire. En effet, ses disques de l’époque ne comportent pas le nom du compositeur. Bien sûr, les payadores étaient réputés pour créer les paroles en direct, en fonction des circonstances, mais il n’est pas totalement certain que les musiques soient de la même veine. En effet, même si la musique n’a pas été écrite, il est difficile de faire la part entre l’inspiration du moment et les emprunts, plus ou moins inconscient à des collègues.
Disque de Golondrinas uruguyas de Arturo Nava. Il ne figure aucune mention des auteurs. On notera que sur le disque, il est écrit Navas et pas Nava. C’est peut-être que le nom complet est Arturo B. De Nava Sosa. Le S de Sosa s’est invité à la fin de son premier patronyme.
Comme on peut le voir sur le disque de Golondrinas, il n’y a aucune mention d’auteur. On note que les brevets mentionnés vont jusqu’au 30 novembre 2009. Cet enregistrement est généralement daté de 1913. Cela reste donc à vérifier, car pour le disque le plus récent enregistré par la Columbia (Milonga de un gringo, Columbia No. T200, matrice 55362, il n’est plus fait mention des brevets et ce disque est considéré comme étant de 1909). Cela ne change pas grand-chose. 1909, comme le dit Nava pour la création ou 1913, comme l’indiquent certaines sources, c’est bien avant les enregistrements de Canaro.
Disques de Arturo Nava, notamment chez Victor et Columbia.
Un plagiat peut en cacher un autre
Reste que, pour être complet, Marcelo Castelo rappelle que Tu diagnóstico de José Betinotti utilise le même air… Betinotti l’aurait enregistré en 1913. On se retrouve donc avec une nouvelle inspiration commune. Betinotti a‑t-il copié, voire plagié Nava ? Est-ce le contraire ? Son titre a été enregistré à la SADAIC le premier février 1937, donc bien après les faits.
Tu diagnostico, partitions de José Betinotti (Bettinotti). On notera la présence de Gardel sur celle de droite. Celui-ci l’ayant enregistré en forme de valse en 1922 et 1933. On y reconnait d’ailleurs plus les paroles que l’air…
Betinotti, comme Nava était payador, c’est-à-dire qu’il était habile à improviser des textes sur des musiques. J’imagine donc que ces créations sur le vif finissent par se mélanger et à la fin, on ne sait plus très bien qui a fait quoi. Certains ont profité de ce flou pour signer des œuvres, notamment durant cette période. Canaro, toujours à l’affut d’une bonne affaire, étant certainement un de ceux-là.
Le fait que la pratique soit courante ne minimise pas forcément les faits, mais il convient de les examiner avec les yeux (ou les oreilles) de l’époque, celles des dernières années du dix-neuvième siècle et des premières du vingtième.
Curieusement, c’est l’initiative de Canaro et ses collègues menant à la création de la SADAIC, qui va renforcer le respect des droits d’auteur et, désormais, le plagiat donne lieu, de façon encore plus systématique à procès. Celui de Nava contre Canaro était sans doute un des premiers du genre.
Le pauvre Nava est décédé l’année d’après, le 22 octobre 1932.
Et si on terminait en musique
Je vous propose maintenant d’écouter tous les titres, de la version de Nava aux quatre de Canaro en passant par celle de Betinotti.
Golondrinas uruguayas 1909 ou 1913 — Arturo Nava com acomp. de guitarra.Tu diagnóstico 1913 — José Betinotti com acomp. de guitarra.Lo que nunca te dirán 1931-07-01 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
On remarque que l’air est frappé d’une rythmique très appuyée, à la limite du canyengue. Charlo ne chante que le refrain. Cette version est donc destinée à la danse.
Lo que nunca te dirán 1931-07-08 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro.
L’introduction sert à annoncer la prestation d’Ada, qui chante toute la chanson. C’est une version à écouter, c’est Ada qui donne l’atmosphère. Le rythme est plus discret pour laisser toute la place à la voix de la compagne illégitime de Canaro.
Lo que nunca te dirán 1931-08-13 — Charlo con acomp. de Francisco Canaro.
Comme pour la version d’Ada, l’introduction lance le chant. On pourra constater que l’enregistrement par les deux mêmes, à un mois d’intervalle, n’a rien à voir. Cela permet de comprendre la distinction entre tango à écouter et tango à danser.
Lo que nunca te dirán 1950-05-05 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.
Dans cette version on retrouve une musique plus marquée et également plus rapide et tonique. Alonso n’est pas invité à chanter dès le début, comme il est de coutume dans les versions de danse, même si cette interprétation n’est pas des plus agréables à danser et ne sera probablement jamais proposée en milonga, car trop hésitante entre le tango de danse et d’écoute.
L’air ne sera pas repris par les orchestres de tango dans la lignée de Nava, mais en revanche, les groupes de folklore continuent de faire vivre la version de Betinotti. Voici par exemple une version de Los Visconti.
Tu diagnóstico 1999 — Los Visconti
Et, pour terminer, je rajoute la superbe version de la valse Tu diagnostico de Troilo avec Fiorentino. Elle est attribuée à Betinotti, comme celles de Los Visconti, mais on est dans un autre univers, dans un rêve total. Mon diagnostic tombe, c’est Troilo que je préfère…
Tu diagnóstico 1941-10-09 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Quand on s’appelle DJ Bernardo, on est forcément ami d’un collègue qui s’appelle DJ Don Diego. Cet ami, Emmanuel Vega, vient de me dédicacer son livre, Dessine-moi… ¡Dibújame… un tango!
Vous qui êtes lecteurs de mes anecdotes, pourriez bien apprécier son œuvre, qui, tout comme je le fais, traite de points de tango. Emmanuel est l’auteur des textes et des illustrations, un travail qui pourrait vous laisser, comme, moi, muet d’admiration.
Don Diego présentant son livre à BernardoLe livre a changé de main, merci, Emmanuel !Une des doubles pages du livre. Texte en espagnol et français, les belles illustrations et pour certains thèmes, la possibilité d’écouter la musique correspondante.
Le courriel pour communiquer avec l’auteur : dondiegodela (AT) orange.fr.
Et pour terminer, la gentille dédicace…
La dédicace signée à la fin de ma prestation de 12 heures lors du festival Énimie Tango.
Voilà, chers amis, vous avez une autre source d’information sur notre cher tango. Une petite suggestion pour l’auteur, peut-être un petit texte sur Zorro gris…
Zorro gris 1927-07-16 — Orquesta Francisco Lomuto. Un enregistrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orchestration plus douce et des fioritures. Il y a également des nuances et les réponses entre instruments sont contrastées.
Si vous voulez en savoir plus sur Zorro, vous pouvez consulter mes anecdotes :
Alberto Gambino Letra: Fortunato Benzaquen (Alí Salem de Baraja)
Certains trouvent, croient, veulent, imaginent que le tango est sérieux. Heureusement, ce n’est pas ou, pour le moins, pas toujours le cas. Je pense que ce tango humoristique va vous le prouver. Je laisse la place à Francisco Canaro et Ernesto Famá, mais aussi à deux autres paires de joyeux drilles, Francisco Lomuto avec Fernando Díaz et Enrique Rodríguez avec Roberto Flores.
Extrait musical
Mosterio. Alberto Gambino Letra: Fortunato Benzaquen (Alí Salem de Baraja).Mosterio 1939-09-11 – Orquesta Francisco Canaro Canta Ernesto Famá
L’essentiel de la saveur de ce morceau est dans les paroles. Je vous invite donc à les suivre en direct, soit en version originale, soit dans la version traduite. Vous reconnaîtrez, même si vous n’êtes pas familier avec l’Espagnol, les noms de D’Arienzo, Lomuto, De Caro et Canaro.
Paroles
Todo en la vida es Mosterio y nadie sabe por qué. Mosterio es haber nacido y hacerse grande después. Mosterio son las carreras, Mosterio el andar a pie. Mosterio la cuenta ‘el sastre y Mosterio el ajedrez. Pero hay algo en esta vida que hay que creer o reventar porque si fuera Mosterio no podríamos ni hablar, por eso cuando le digan que Mosterio es el comer, usted conteste enseguida que eso es Mosterio al revés.
¿Que por qué D’Arienzo es ñato y Lomuto delgadito? ¡Mosterio! ¿Que por qué De Caro es rico y Canaro millonario ? ¡Otro Mosterio! ¿Que por qué todos los días sale el sol por la mañana y por qué tu viejo quiere de que se case tu hermana? ¡Mosterio! ¿Que por qué no nacen chicos?, otro Moslerio también.
Todo en la vida es Mosterio y nadie sabe por qué. Mosterio es haber nacido y hacerse grande después. Mosterio son las carreras, Mosterio el andar a pie. Mosterio la cuenta ‘el sastre y Mosterio el ajedrez. Todo es Mosterio señores y a nadie le importa nada, todo en la vida se acaba y nadie sabe por qué y aunque le vaya al revés y pare en el cementerio toda la gente dirá eso sí que es Mosterio. Alberto Gambino Letra: Fortunato Benzaquen (Alí Salem de Baraja)
Dans la version de Canaro, Famá chante ce qui est en gras. Lomuto et Díaz reprennent ce qui est en rouge. Rodriguez et Flores changent les paroles de la partie rouge et soulignée, sans doute pour ne pas parler des orchestres concurrents…
D’ailleurs, lorsqu’ils reprennent ce refrain, c’est pour parler, deux fois, de Rodriguez…
Voici le texte modifié par Rodriguez et Flores :
Por qué mi papi es tan grande Y yo chiquitito. Y Por qué todos los chicos Hoy se dejan bigotitos Y por qué Rodriguez es grande Y MaríaLuisa delgatita (María Luisa Notar est la femme de Rodriguez) Y por qué Rodriguez Siempre la lleva a la calesita.
On notera qu’aucune des versions n’utilise le dernier couplet. Peut-être que Alí Salem de Baraja l’utilisait dans ses interventions radiophoniques…
Traduction libre
Tout dans la vie est Mosterio (déformation de misterio, mystère) et personne ne sait pourquoi. Mosterio, c’est être né et ensuite devenir grand. Mosterio sont les courses, Mosterio est la marche. Mosterio la facture du tailleur et Mosterio les échecs (jeu). Mais il y a quelque chose dans cette vie que vous devez croire ou détruire parce que si c’était Mosterio, nous ne pourrions même pas parler, donc quand ils vous disent que Mosterio mange, vous répondez immédiatement que c’est Mosterio à l’envers.
Pourquoi D’Arienzo est ñato (a un petit nez) et Lomuto maigre ? Bien sûr, vous qui connaissez ces deux chefs d’orchestre, vous savez que c’est le contraire. D’Arienzo est narigón (a un gros nez) et Lomuto est un peu enveloppé… Mosterio ! Pourquoi De Caro est-il riche et Canaro millionnaire ? Là encore, les paroles se veulent taquines. De Caro peut signifier « coûteux », il n’était pas particulièrement riche. En revanche, Canaro qui fut très pauvre dans son enfance, avait le sens des affaires et fut réellement millionnaire… Cependant, il peut s’agir, surtout en 1939, d’une référence au tango écrit (paroles et musique) et joué par Canaro « Si yo fuera millonario » (Si j’étais millionnaire). Autre Mosterio !
Pourquoi tous les jours, le soleil se lève le matin et pourquoi ton vieux (père) veut que ta sœur se marie ? Mosterio ! Que, pourquoi ne naissent pas d’enfants ? Un autre Mosterio aussi.
Tout dans la vie est Mosterio et personne ne sait pourquoi. Mosterio, c’est être né et ensuite devenir grand. Mosterio sont les courses, Mosterio est la marche. Mosterio la facture du tailleur et Mosterio les échecs. Tout est Mosterio, messieurs et personne ne se soucie de rien, tout dans la vie se termine et personne ne sait pourquoi et même si cela va dans l’autre sens et s’arrête au cimetière, tout le monde dira que oui, ça c’est Mosterio.
Traduction des ajouts de Rodriguez
Pourquoi mon père est-il si grand, et moi, tout petit. Et pourquoi tous les gars, de nos jours, se laissent-ils la petite moustache. Et pourquoi Rodriguez est grand et Maria Luisa mince (la chanteuse María Luisa Notar est la femme de Rodriguez). Et pourquoi Rodriguez, l’emmène toujours au manège ? (pour cela, je n’ai pas d’explication…).
Autres versions
Mosterio 1939-07-14 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz y coro.
C’est la plus ancienne version. Lomuto, cité dans les paroles, interprète de bonne grâce ce titre. Cette première version est très proche musicalement de celle de Canaro, comme c’est souvent le cas.
Mosterio 1939-07-25 — Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores.
On connaît Rodriguez et son goût pour les titres humoristique, parfois à la limite d’une certaine vulgarité. Il ne pouvait pas passer à côté de ce titre. Simplement, comme nous l’avons vu, il n’avait pas envie de faire de la publicité à ses concurrents et il adapte les paroles pour se mettre en valeur. Roberto Flores, El Chato, a la voix et la diction qui vont bien pour interpréter ce titre.
C’est notre tango du jour et donc, la dernière version enregistrée, près de deux mois après celles de Lomuto et Rodriguez. Peut-être que ce retard à l’allumage, rare chez Canaro, qui cherche toujours à surfer sur l’actualité, est, car il était réservé sur le vers qui le concerne… Quoi qu’il en soit, il joue le jeu et comme Lomuto, il se met en scène. D’ailleurs, c’est lui qui fait les réponses à Famá…
Alberto Gambino
Il ne faut pas confondre le compositeur de notre tango du jour avec cet autre Argentin « Alberto Gambino » qui a joué Brassens et qui est l’auteur de la Purpurina. Il fut célèbre dans les années 1970…
Notre Alberto Gambino est né le 28 juillet 1899 et est mort le 8 junio 1987. Il était bandonéoniste et violoniste, directeur d’orchestre et compositeur de quelques thèmes, souvent humoristiques, comme notre tango du jour.
Ces thèmes furent enregistrés principalement dans les années 30 par les mêmes orchestres que pour Mosterio avec quelques compléments de l’époque, comme Mercedes Simone ou Roberto Firpo.
Alí Salem de Baraja (Fortunato Benzaquen)
De son vrai nom Fortunato Benzaquen, mais plus connu sous son pseudonyme de comédien « Alí Salem de Baraja ». Il joua dans quelques films dans les années 1940.
Corazón de turco de Lucas Demare (scénario de Hernán de Castro)
Sortie en Argentine le 9 mai 1940. On notera que Lucio Demare, le frère aîné de Lucas, a composé la musique du film. On reste en famille… Lucas Demare est aussi le réalisateur de Mi noche triste en 1952, un film plus satisfaisant pour les amateurs de tango que nous sommes. En Argentine, on appelle Turco (Turc), tous ceux qui viennent du Moyen-Orient… Le film raconte l’histoire d’un immigré qui aime une fille de bonne famille… Un détail amusant. Lorsqu’il est propulsé candidat et qu’il doit faire un discours, il parle de misterio et même de mosterio avec un petit début de la chanson. Il se pose d’ailleurs trois fois des questions dans le film, de la même façon que dans le tango.
J’émets donc une hypothèse. Vu que, dans les années 30, Fortunato Benzaquen était un locuteur à succès de la radio et qu’il se vouait à des programmes humoristiques, je propose que les enregistrements de notre tango du jour effectués de façon si groupée en 1939 ont été destinés à capitaliser sur un succès radiophonique. Ce succès, repris par de grands orchestres de l’époque, ont sans doute incité le frère de Lucio Demare de choisir Fortunato comme acteur. Et, logiquement, Lucas Demare laisse Fortunato faire quelques allusions à son succès.
Par ailleurs, je pense que son surnom d’Alí Salem de Baraja vient de ce film, car c’est le nom de son rôle. Il se peut aussi que ce soit le surnom pris à la radio et qu’il l’ait exploité, une fois devenu acteur. Le public aurait pu être heureux de mettre une tête sur leur vedette radiophonique.
El comisario de Tranco Largo de Leopoldo Torres Ríos
Leopoldo Torres Ríos a aussi écrit le scénario avec Alberto Vacarezza. Sortie en Argentine le 21 octobre 1942. Là encore, le Turc jouer un rôle. Celui d’un commissaire assassiné afin de démasquer les coupables.
Affiche du film El comisario de Tranco Largo de Leopoldo Torres Ríos.
Je ne prétendrai pas que ces trois films renouvellent l’histoire du cinéma, mais ils permettent de mieux connaître la vie des immigrés et l’auteur des paroles sympathique de notre tango du jour.
On se quitte en compagnie de joyeux drilles
Francisco Canaro et Ernesto Famá, en compagnie de Francisco Amor, l’autre chanteur vedette de Canaro en 1939. Ce dernier était moins adapté que Famá pour cet enregistrement, tout comme Flores est parfait pour ce type de titres avec sa diction plus populaire.
Francisco Amor, Francisco Canaro et Ernesto Famá, vers 1939.
À bientôt, les amis, et continuez à vous poser des questions pour découvrir les mystères du tango…
« El amor hace fruncir », l’amour fait froncer les sourcils, quel programme ! En général, le froncement des sourcils marque la colère, la frustration et à minima une gêne ou une émotion désagréable. Il est donc fort probable que notre auteur, J. C. Cupeiro, ait écrit sous le coup d’une expérience désagréable. Quoi qu’il en soit Donato a décidé d’enregistrer ce titre et cela nous donne l’occasion de l’écouter, sans froncer les sourcils.
Extrait musical
El amor hace fruncir 1930-09-10 — Orquesta Edgardo Donato
Ce thème est à la limite du canyengue. Les pas sont appuyés. De petites réponses, quasi humoristiques, notamment au piano, donnent un peu de légèreté. Les violons se démarquent progressivement pour rendre plus douce la musique dans la seconde partie. On pourrait dire que, si les sourcils sont très froncés au début, l’amour fini par avoir le dessus et que, finalement, les choses s’arrangent. On notera aussi les bandonéons agiles de Juan Turturiello, Vicente Vilardi et Miguel Bonano. Puisque j’y suis, je termine la liste des musiciens. Edgardo Donato dirige et joue du violon avec les violonistes Armando Piovani et Pascual Martínez. On retrouve pour les parties restantes deux frères d’Edgardo, Osvaldo au piano et Ascanio au violoncelle et José Campesi à la contrebasse.
En savoir plus
On aurait bien aimé en savoir plus, mais ce titre semble recéler plusieurs mystères.
Il s’agit vraisemblablement de la seule version enregistrée de ce thème
Je n’ai pas trouvé trace d’autre interprétation enregistrée de ce titre. L’interprétation de Donato est intéressante, avec la progression évoquée dans le chapitre sur l’écoute. En l’absence d’autres enregistrements et même d’autres œuvres de ce compositeur, il est difficile de dire si c’est l’orchestration de Donato ou la composition qui est à l’origine de cet effet.
De plus, Donato n’a pas enregistré d’autre titre le même jour. C’est donc un thème complètement orphelin.
On notera toutefois qu’il a certainement eu un brin de succès, car il a été diffusé à Radio Fécamp le lundi 6 novembre 1933 entre 17 h et 17 h 30, comme en témoigne cette annonce du programme dans « The Wireless World » du 3 novembre 1933.
Orchestral Concert for Chichester and Bognor Listeners: Signature Tune. The Night by the Sea; Poor Butterfly (de Phillippi); Violin Solo, Souvenir (Drdla); Selection from Countess Maritsa (Kálmán); Stop the Sun- atop the Moon (Robinson); Beautiful (Gillespie); El amor hace fruncir (Cupeiro); Ileartaehes (Klenner); The Way to the Heart (Lincke).
Il semblerait donc que ce soir-là, Radio Fécamp a diffusé un programme d’orchestre.
On remarque que cette diffusion est dédicacée aux auditeurs de Chichester et Bognor. On pourrait s’étonner qu’une radio française ait une attention pour des auditeurs anglais. Pour le comprendre, il faut tenir compte de plusieurs points :
Le West Sussex est juste en face de Fécamp. On peut donc considérer que les relations entre les deux sites étaient courantes, d’autant plus que l’on pouvait acheter en France des excursions ferroviaires pour ces villes à partir de Newhaven, Brighton et Portsmouth. Si aujourd’hui les connexions maritimes sont très réduites par rapport à l’époque, il reste tout de même Le Havre — Portsmouth qui est toujours active. On se souviendra également que les deux rives de la Manche étaient des lieux de villégiatures très prisés.
Les Ondes courtes (Radio Fécamp émettait sur 225,9 m / 1327 kHz avec une puissance de 0,7 kW en 1933) se reflètent sur l’ionosphère et peuvent faire le tour de la Terre. La puissance de Radio Fécamp était suffisante pour qu’elle soit captée à très longue distance. De fait, le programme de Radio Fécamp était émis tantôt en français et tantôt en anglais.
Si le fondateur de Radio Fécamp était Français (André Fernand Eugène Alexandre Le Grand), deux administrateurs anglais y ont été associés (même s’ils ont quitté la radio en 1932, l’année précédente).
Les paroles sont indisponibles, si jamais elles ont existé
Cela nous aurait aidés à être sûrs du sens du tango, mais ce n’est pas essentiel, d’autant plus que, comme nous l’avons souvent vu, les paroles ne sont pas toujours en adéquation avec le titre de la musique.
L’auteur, J. C. Cupeiro, est peu connu et il semblerait que ce soit son seul tango enregistré.
Le nom, Cupeiro, est d’origine espagnole, initialement issu du village de Cupeiro en Galice.
Il y a eu un Jorge Cupeiro, coureur automobile, né en 1937 à Buenos Aires (quartier de Recoleta). Il est tentant d’y voir le fils de l’auteur. On notera d’ailleurs que le coureur était surnommé « El Gallego », ce qui confirme des racines espagnoles galiciennes, relativement fraiches.
Le patronyme Cupeiro est courant en Espagne et en Argentine.
Comme on peut le voir sur le site forebears.io https://forebears.io/es/surnames/cupeiro, ce nom d’origine galicienne est surtout répandu en Espagne et Argentine (données de 2014) ; quand on regarde les détails, on se rend compte que c’est en Espagne, notamment en Corogne et Lugo (Galicie) et en Argentine, dans la Province de Buenos Aires.
On remarquera que la répartition des Cupeiro est sensiblement la même que celle des Galiciens exilés qui furent entre 1850 et 1960 plus de deux millions à s’exiler vers, principalement, les Amériques.
Dans cette carte représentant l’émigration galicienne, on remarque la correspondance avec l’émigration des Cupeiro. L’Argentine a attiré les Cupeiro, mais aussi les Galiciens, en général.
On notera qu’un Cupeiro s’est intéressé au phénomène de l’émigration galicienne en Outremer et notamment en Argentine. Il s’agit de Bieito Cupeiro Vázquez, né en Corogne (Galice) en 1914. Il a écrit un traité « A Galiza de alén mar » (De Galice à Outremer).
Comme d’autres Cupeiro, Bieito a fait le voyage à Buenos Aires (en 1936) où il est entré à la « Federación de Sociedades Gallegas, Agrarias y Culturales », actuelle « Federación de Asociaciones Gallegas ». Il deviendra également le président de la fraternité galicienne (Irmandade Galega). Ce Gallego semble donc bien légitime pour avoir écrit sur le sujet…
Cupeiro Vázquez, Bieito, 1989. A Galiza de alén mar, Sada-Ediciós do Castro.Recensement électoral des Galiciens en Argentine selon leur province d’inscription (selon l’Instituto Nacional de Estadística).
Les délices de la Galice
Un des plus agréables témoins de la venue des Galiciens à Buenos Aires, est la belle Casa de Galicia où a lieu deux fois par semaine, la merveilleuse milonga Nuevo Chique organisée par Marcela Pazos et musicalisée par Daniel Borelli, sans oublier l’adorable serveuse, Vicky Pantanali…
Georges Bizet. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)
Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas. En France, certains danseurs de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ». Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…
Écoutes
Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo… https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.
Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».
Deux mots de l’opéra de Bizet
Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste. L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla. Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla. Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village. L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :
Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramier ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve ! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir, Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir ! Ô nuit enchanteresse ! Divin ravissement ! Ô souvenir charmant ! Folle ivresse ! Doux rêve !
Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film “Gayarre” de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844–1890). La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts). Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette histoire était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, “Gayarre” où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.
Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.
Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, “El Canto del Ruiseñor” de 1932 et “Gayarre” de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros succès derrière Carmen.
J’en viens enfin aux versions de Sassone
La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 — Orquesta Florindo Sassone.
C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent. Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/felicia-1966–03-11-orquesta-florindo-sassone/ La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.
Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).
C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.
La canción de los pescadores de perlas 1971 — Orquesta Florindo Sassone.
Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs… Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.
Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à Buenos Aires, dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango “traditionnel”, mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.
Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.
Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?
Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine. Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre. Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons. Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures. Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas. Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux. Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes. Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions. Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie. C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante. Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires. Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs. Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier. C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation. Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués. Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès. Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté. Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles. Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…
Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…
Tango ou pas tango ?
Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.
“Les pêcheurs de perles” classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, merci de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂
Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango. J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/les-styles-du-tango/ Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser. Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques… Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention : “Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple. Les tangos de danse étaient indiqués : “Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá” Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés : “Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”. Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur. Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France. Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels. Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango. On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories : « Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».
Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.
Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique. Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.
Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…
Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt
Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.
Les pêcheurs de perles 1936 — Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975‑1.
Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de “Petit Papa Noël”… N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le plus beau tango du monde, mais aussi :
C’est à Capri
C’était un musicien
Écris-Moi
Le tango bleu
Le tango des jours heureux
Tango de Marilou
Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :
Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 — Tino Rossi Accomp. Miguel Orlando et son Orchestre du Bagdad.
Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco Canaro à Paris et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?
J’ai déjà évoqué un tango nommé “Silencio”, notamment par Francisco Canaro et Carlos Gardel. Notre tango du jour, également interprété par Francisco Canaro, a été écrit par son frère Humberto. Comme il s’agit d’un tango instrumental, il est difficile de dire s’il fait référence, comme celui de Gardel, à la guerre de 1914–1918. Je pense que oui et c’est peut-être plus cette version qui est inspirée de l’histoire de Paul Doumer que celle de Gardel.
La musique marche, presque comme une marche militaire. Elle a des accents épiques, ce qui renforce l’idée qu’elle est inspirée de la guerre. Cependant, elle est sans doute moins triste que ce que pourrait évoquer la tragédie de la famille Doumer. Il nous faudra donc peut-être continuer de passer sous silence la source d’inspiration de ce thème…
Ce tango enregistré par Pugliese est une composition de Julio Carrasco, un violoniste qui fut fidèle pendant près de 30 ans à l’orchestre. Comme beaucoup des membres de l’orchestre de Pugliese, il était aussi arrangeur et compositeur et sans doute amateur de fleurs, puisque deux de ses titres les plus célèbres sont De floreo et Flor de tango.
Nous sommes ici en présence du premier titre de la trilogie proposée par Pugliese et Carrasco :
Flor de tango 1945-08-28
De floreo 1950-03-29
Mi lamento 1954-03-17
Extrait musical
Flor de tango 1945-08-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese
La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur. À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique. En résumé, je ne passerai ce titre en milonga qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible. On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.
Il n’y a pas d’autre version enregistrée
Comme cela arrive pour les chefs‑d’œuvre, personne n’a osé enregistrer le titre après San Pugliese.
Il n’y a donc pas d’autres versions. Cependant, en plus des éléments de la trilogie déjà évoqués, Carrasco a écrit, dans une époque plus ancienne, quelques titres parmi lesquels :
Stud El Pueblo 1929-03-06 — Orquesta Francisco Canaro. Comme le nom l’indique (Stud = cheval de course ou une écurie de course), il s’agit d’un titre parlant de chevaux…La couverture de la partition de Stud El Pueblo où on apprend que c’était un succès de Bachicha qui avait gagné un deuxième accessit lors d’un concours dirigé par Francisco Canaro.
Canaro et Carrasco sont Uruguayens. C’était donc probable qu’ils se retrouvent à Montevideo pour ce concours. Bachicha (Juan Bautista Deambroggio) est Argentin, mais il allait régulièrement à Montevideo depuis 1916.
Noches de carnaval 1929-10-09 — Orquesta Francisco Canaro.
La trilogie de Julio Carrasco
Je vous propose pour terminer de réécouter la trilogie avec Pugliese à partir d’un extrait de mon article sur De Floreo. Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.
Flor de tango 1945-08-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.De floreo 1950-03-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0:35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese. Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux danseurs quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs. Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie. Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs. Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur. Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese. À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments. Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.
Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser De floreo… Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.
Mi lamento 1954-03-17 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la tonalité de Fa # mineur. Certains passages, comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition. Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout, Julio Carrasco est violoniste et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin. La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano. Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants.
On se plaint parfois du prix des milongas et ce n’est pas nouveau. Quand le démon du tango nous grignote, il nous faut trouver des astuces pour pouvoir aller danser. C’est ce que nous conte ce tango composé par Victor Felice avec des paroles de Carlos Lucero. Nous verrons que cette thématique n’est pas liée à la seule ville de Buenos Aires… Les paroles nous montrent aussi le soin minutieux que mettaient les hommes de l’époque pour soigner leur tenue avant d’aller à la milonga.
Extrait musical
Bailarín de contraseña — Ángel D’Agostino con Ángel Vargas Disque Victor. Disque 60–0768, Face A. Sur la face B, Pinta blanca (Mario Perini Letra : Cátulo Castillo) enregistré le même jour.
Bailarín de contraseña 1945-08-27 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas
Victor Felice, le compositeur de ce tango, était depuis 1944 un des violonistes de D’Agostino. Parmi ses compositions, signalons “Yo soy de Parque Patricios”, un autre grand succès de D’Agostino et de Vargas.
Paroles
Sábado a la tarde, te planchás el traje Te cortás el pelo, después te afeitás Con bastante crema te hacés dar masajes Gomina y colonia, luego te peinás
Lista tu figura, llegada la noche Te vestís ligero después de cenar Con un cigarrillo prendido en los labios Sales de tu casa, te vas a bailar
Y al llegar al Sportivo Con tu silueta elegante Te detienes en la puerta Con los aires de un doctor
Está atenta tu mirada Para ver si está el amigo Que anteayer te prometiera La entradita de favor
Y mientras vas esperando Ya tenés todo planeado Si no aparece el amigo Te la sabes arreglar
Esperás el intervalo Y con tu cara risueña Le pedís la contraseña A todo aquel que se va
Victor Felice Letra: Carlos Lucero
Traduction libre
Le samedi après-midi, Tu repasses ton costume, tu te coupes les cheveux, puis tu te rases avec beaucoup de crème, tu te fais masser, gomina et eau de Cologne, puis tu te peignes. Ta silhouette est prête, à la tombée de la nuit, tu t’habilles légèrement après le dîner, une cigarette allumée aux lèvres, tu sors de la maison et tu vas danser. Et lorsque tu arrives au Sportivo (Sportivo Tango Buenos Aires, un club de football, qui fut également un centre important du tango), avec ta silhouette élégante, tu te postes à la porte avec des airs de docteur. Ton regard est attentif pour voir si l’ami qui, avant-hier, t’a promis la petite entrée de faveur est là. Et pendant que tu attends, tu as déjà tout prévu au cas où l’ami ne se présentait pas, tu sais te débrouiller. Tu attends l’entracte et, avec ton visage souriant, tu demandes le mot de passe à tous ceux qui s’en vont.
On notera que Vargas chante deux fois le dernier couplet, ce qui met l’accent sur la récupération de la fameuse contraseña.
Les systèmes de paiement et de gestion des entrées au bal
Les méthodes de paiement sont inspirées de celles qui avaient cours en Europe. On pouvait payer à l’entrée, être invité, méthodes qui sont encore d’actualité aujourd’hui. Des méthodes moins courantes étaient celle de la corde qui consistait à vider la salle en tendant une corde pour pousser les danseurs hors de la salle de danse pour les faire payer de nouveau une période de danse.
Le jeton donnant accès au bal, ou à un nombre donné de danses
J’ai réalisé la photo de couverture à partir d’un mural de la calle Oruro. Une diagonale particulièrement riche en peintures murales. On y remarque le slogan pessimiste de Diecepolo et un jeton indiquant qu’il est valable pour une tanda de trois tangos. On remarque un cartel mentionnant Casimiro Aim, le danseur qui a fait approuver le tango par le pape de l’époque.
Le paiement se faisait de préférence au moyen de jetons (fichas). Ces jetons étaient achetés à l’entrée. Pour pouvoir participer à la période suivante, il fallait donc donner son jeton (ou le présenter s’il était permanent) au propriétaire du lieu ou à l’un de ses employés.
Dans le mural on voit que le jeton dessiné donnait droit à une tanda de trois tangos.
Le jeton du mural de la calle Oruro indique une valeur de trois tangos… Il est de 1923.
On notera la mention de trois tangos. Cela peut faire penser au système actuel des tandas. Certains évoquent que ces jetons pouvait aussi être utilisé pour danser avec un taxi dancer ou une prostituée dans un bordel. Ce n’est pas impossible…
Ce système de jeton existait aussi en Europe, en voici quelques exemples :
Quelques exemples de jetons de danse. Un jeton de Buenos Aires (1880), Un jeton pour un événement particulier à l’Opéra de Paris, le bal sud-américain du 2 juin 1927. En bas, un du bal « à la Réunion » du 10 rue des Batignolles. Un jeton de bal alsacien de Mulhouse et à droite, une pièce de monnaie argentine de 5 pesos de 1913 et qui n’a plus cours aujourd’hui. Ce n’est pas un jeton de bal, mais je trouvais amusant de présenter cette pièce ici.
Le bal sud-américain du 2 juin 1927 à l’Opéra de Paris
On connaît l’importance de Paris dans l’histoire du tango. On voit que, dans cet événement mondain de haute volée, l’Argentine est bien représentée, autour d’une pièce de théâtre rocambolesque avec ses gauchos. L’orchestre de Pizarro et des danseurs, donc Casimiro Ain sont au programme. Je vous propose quelques pages du programme.
Extrait du programme du Bal sud-américain à l’Opéra de Paris du 2 juin 1927. D’autres pages dans ce fichier PDF. Je compléterai les pages lors de mon prochain passage en France où j’ai le document complet…
Comme on l’a remarqué au sujet de l’événement de l’Opéra de Paris, il peut y avoir des sorties et entrées en cours d’événement. Pour gérer cela, une méthode est de donner à celui qui sort un mot de passe, la fameuse “contraseña” que notre danseur cherche à obtenir auprès de personnes qui sortent. Ce mot de passe peut bien sûr être sous la forme d’un de ces jetons ou tout autre système à la discrétion des organisateurs.
En Argentine, il est d’usage de prendre un ticket à l’entrée dans un magasin ou une administration. Parfois, une personne sort avant d’avoir été servie et son ticket peut faire le bonheur d’un arrivé récent qui se retrouve avec un numéro proche d’être appelé…
Cela peut faire un petit phénomène en chaine. Une personne donne son ticket à une personne qui est plus loin dans la queue. Celle-ci se retrouve donc avec deux tickets. Une fois servie, elle peut donner son ticket moins favorable à un arrivant plus tardif qui se retrouvera donc surclassé. C’est un petit jeu sympa, au moins pour les gagnants…
Un petit mot du “Sportivo Tango Buenos Aires”
Le bal où se rend le héros de ce tango se trouvait au “Club Social y Sportivo Buenos Aires”. Ce club créé en 1910 et qui se destinait au football et à d’autres activités n’existe plus. Il était, à son origine, situé de l’autre côté du fameux pont de la Boca que connaissent tous les touristes qui ont visité la ville. Aujourd’hui, le lieu ne leur est pas forcément recommandé, même si la traversée avec le pont transbordeur est une activité intéressante…
Il a ensuite rejoint l’autre rive, celle de Buenos Aires, capitale fédérale. Il se peut que le tango évoque cette époque où le club était renommé pour les événements de tango qu’il organisait.
Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de pouvoir toujours vous procurer une entrée dans les bals qui vous intéressent et que ceux-ci ne vous décevront pas.
Avec ses grandes cascades musicales qui se terminent dans des écrasements impressionnants, Tigre viejo (le vieux tigre) attire l’attention. C’est devenu un incontournable des milongas tant à Buenos Aires qu’en Europe dans la version d’Osvaldo Fresedo enregistrée en 1934.
Fresedo, « El Pibe de la Paternal » (le gamin de la Paternal, un quartier du nord-ouest de la ville de Buenos Aires) est clairement un chef d’orchestre de la vieille garde. Il a commencé à enregistrer en 1922 et une très grande partie de sa musique instrumentale, jusqu’à 1934, est marquée par les accents du canyengue avec un rythme marqué que Fresedo allège cependant, notamment avec de jolis traits de violon, voire de bandonéon, son instrument. Tigre viejo est un titre charnière qui marque une transition entre cette époque ancienne et une plus mélodique, celle qu’il déploiera progressivement avec les chanteurs Roberto Ray et plus encore Ricardo Ruiz. On considère Fresedo comme un chef d’orchestre raffiné convenant bien aux auditeurs de la bonne société.
Extrait musical
Partitura de Tigre viejo composé par Salvador Grupillo…Tigre viejo 1934-08-16 — Orquesta Osvaldo Fresedo
On remarque dès le début de Tigre viejo la puissance du rythme, bien appuyé, mais à partir de 19 secondes surgit un élément perturbateur, une spirale vibrante des violons qui semble tomber pour s’aplatir dans un lourd accord de piano. Fresedo sera friand de cet effet qu’il emploiera jusqu’à la fin de sa carrière, comme dans Pimienta de 1962. Les violons et les bandonéons sont chantants et le piano leur donne la réponse. Les violons alternent les pizzicati et le jeu legato, parfois, en se subdivisant pour faire cohabiter les deux styles. Les grandes vagues des violons et des bandonéons donnent un caractère nostalgique et on se prend à penser à un vieux tigre, triste de sentir les forces s’en aller, mais avec suffisamment de vigueur pour vivre les traits énergiques proposés par Fresedo.
Une édition par les éditions Melos. C’est pour un cuarteto, mais cela peut être facilement étendue en doublant les parties de violons et bandonéons. On remarque les vagues évoquées, elles se retrouvent graphiquement dans l’édition musicale… https://melos.com.ar/
Autres versions
Même si elle est de très loin la plus célèbre, la version enregistrée de Fresedo n’est pas la plus ancienne. L’année précédente, Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, avait enregistré une version plutôt surprenante.
Tigre viejo 1933 — Sexteto de Elvino Vardaro.
Elvino Vardaro et Hugo Baralis (violonistes), Jorge Argentino Fernández et Aníbal Troilo (bandonéonistes, Pedro Caracciolo (Contrebassiste) et José Pascual (Pianiste). Cette version dans l’esprit de De Caro, presque étrange, aura bien du mal à satisfaire les danseurs, notamment car elle est remplie de surprises rendant l’improvisation impossible. Au côté des deux excellents violonistes, on notera la qualité des musiciens au service de cette version et notamment la présence d’Anibal Troilo, âgé de 19 ans lors de cet enregistrement.
La version de Enrique Francini et Armando Pontier a sans doute plus de points communs avec l’interprétation de Vardaro.
Tigre viejo 1948 — Orchestre Argentin Manuel Pizarro.
Comme l’indique le nom de l’orchestre, Pizarro a fait une partie très importante de sa carrière en France, où il est arrivé en 1920 et y où il est mort en 1982. Bien sûr, il a fait de nombreux voyages et sa présence en France n’a pas été continue.
Tigre viejo 1969-09-18 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Dans sa période tardive, D’Arienzo propose une version peu facile à danser, ce qui est plutôt rare chez lui. On considérera sans doute cette version comme une curiosité, plus que comme une perle à proposer en milonga.
Tigre viejo 2011 — Hyperion Ensemble.
Hyperion est dans l’ensemble un orchestre de danse. Il propose cette version qui évoque celle de Fresedo. Cependant, si cela est sans doute un peu dansable, il n’y a probablement aucune raison de proposer cette version en milonga.
Attention, je parle du point de vue du DJ, pas de celui du Directeur artistique. En effet, un orchestre peut se permettre des musiques un peu moins consensuelles, il y a l’effet orchestre qui modifie l’écoute des danseurs. C’est un peu comme quand on passe des disques noirs, les danseurs réagissent différemment, même si le son est rigoureusement identique (copie numérique de bonne qualité du disque 78 tours, par exemple).
Tigre viejo 2017 — Tango Bardo.
Cet autre orchestre contemporain s’inspire de Fresedo en apportant une note énergique qui peut tout à fait convenir aux danseurs actuels. Disons que, si l’on souhaite changer de la version de Fresedo, on peut considérer cet enregistrement. https://tangobardo.bandcamp.com/track/tigre-viejo
Tigre viejo 2018 — Esquina Sur.
Une version dans l’esprit de Fresedo et qui se révèle dansable, même s’il lui manque sans doute un peu de l’âme qu’avait su donner Fresedo.
Tigre viejo 2021 (in the style of Enrique Francini & Armando Pontier) — Cuarteto SolTango.
Comme ils l’annoncent, cette interprétation s’inspire de celle de Enrique Francini et Armando Pontier et elle rejoint la grande lignée des versions destinées exclusivement à l’écoute.
Tigre viejo 2023 — Estación Buenos Aires Quartet.
Même si on peut envisager de la proposer en milonga, je trouve qu’il ne justifie pas de déclasser Fresedo, qui reste, pour ma part, le seul à avoir satisfait les danseurs.
D’autres vieux tigres
Le titre a été utilisé pour diverses œuvres. Pour votre amusement, en voici quatre exemples :
Tigre viejo 1926-12-06 — Orquesta Típica Victor dirigé par Adolfo Carabelli. (Nicolás Guastavino Aragay)Tigre viejo 1934 — Imperio Argentina con Guitarras (Enrique Nieto de Molina — Toko — Jose Abelda).Tigre viejo 2022 — José Romero Bello Con Joseito Romero y Natividad Díaz. Une composition interprétée à la harpe.Tigre viejo 1960 — Ángel C. Loyola y sus Guariqueños (José Renjiló y Ángel Custodio Loyola).
Grupillo et les tigres
Je n’ai pas d’explication sur l’origine de ce titre. Le tigre était, par exemple le bandonéoniste Eduardo Arolas. Ce dernier a connu une fin tragique, alcoolique et tuberculeux à Paris, de quoi faire un thème pour un tango. D’ailleurs, le tango de Nicolás Guastavino Aragay portant le même titre et enregistré par Carabelli avec l’orchestre de la Victor est de 1926, deux ans après la mort d’Arolas, ce qui est un bon délai pour un enregistrement en hommage.
Un tigre, cela peut être aussi, en lunfardo, une personne souffrant de variole avec le visage grêlé, une personne cruelle et sanguinaire, ou au contraire, quelqu’un d’habile, mais l’un n’empêche cependant pas l’autre. C’est aussi, dans l’argot des prisons, celui qui nettoie les excréments…
Grupillo, quant à lui, est né dans les Pouilles et est donc un de ces si nombreux Italiens d’origine modeste pour ne pas dire pauvre qui ont peuplé l’Argentine.
Ma chasse au tigre
En 2009, j’ai parlé pour la première fois avec Dany Borelli, un des plus grands DJ de Buenos Aires. C’était justement à propos de ce tango. C’était à El Arranque, cette belle milonga de l’après-midi, si chaleureuse, qui est aujourd’hui remplacée par un club de sport…
Une vidéo souvenir du Salon La Argentina où avait lieu la milonga El Arranque.
Le salon “Nuevo Salon La Argentina) où avait lieu El Arranque. Pas de plancher, pas de clim, seulement d’immenses ventilateurs bruyants, mais un lieu chaleureux pour les milongas de l’après-midi.En 2018, le salon était à louer et aujourd’hui, c’est un lieu de fitness…
Voilà, les amis. Je termine ici, après cette petite séquence « nostalgie ». À bientôt !
Rodolfo Biagi, qui venait de se faire virer par D’Arienzo, car il commençait à lui prendre la vedette, enregistre le 15 août 1938, deux tangos exceptionnels. El incendio (l’incendie) et Gólgota. Le premier est instrumental et met, comme il l’annonce, le feu. Gólgota monte la tension d’un cran. Il est comme une déclaration de guerre, une annonce fracassante disant que, désormais, il faudra compter avec Biagi dans l’Univers du tango. L’ancien tango a été crucifié et, la force brute de cette interprétation servie merveilleusement par le premier chanteur de Biagi, Teófilo Ibáñez, explose à nos oreilles.
Je vous invite donc à découvrir le phénomène Biagi dans son premier enregistrement avec son orchestre. Il n’avait auparavant enregistré que du piano solo, de l’accompagnement de Gardel et, bien sûr, la partie de piano de l’orchestre de D’Arienzo.
Extrait musical
Gólgota. Partition pour piano et diverses éditions en disque. Argentine, Uruguay. Le dernier disque évoque le procédé de Columbia, « Viva-tonal », une technique d’enregistrement électrique de la seconde moitié des années 1920 et qui verra la production de toute une série de lecteurs de disques 78 tours, de la machine portable au cabinet avec portes fermant à clef. Comme nous le verrons en fin d’article.Gólgota, 1938-08-15 — Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez.
Les pas lourds de la montée au Gólgota démarrent le titre, puis, soudain, une des fameuses virgules musicales de Biagi au piano libère la tension dans une phrase legato des cordes et bandonéons. Puis, les pas pesants reprennent et, une fois de plus, le piano libère une phrase legato. À 31 secondes, Biagi libère un motif qu’il utilisera beaucoup par la suite. Presque joyeux, a minima, joueur, ce passage est suivi d’un autre passage où domine le legato, même si la pulsation est toujours présente. L’orchestre annonce ensuite l’arrivée de Ibáñez, qui va réaliser la prouesse de donner la mélodie tout en scandant le rythme. On notera que, même si les disques mentionnent un estribillo (refrain), Ibáñez chante pendant plus d’une minute (le titre dure 2 minutes 36). Pour un premier enregistrement, c’est un coup de maître et l’orchestre continuera sur sa lancée jusqu’en 1956, où il passera à la maison de disque Columbia, puis Music Hall. Mais cela fait longtemps que le souffle des premières années s’était éteint et que Biagi était tombé dans un automatisme qui rend cet orchestre beaucoup moins intéressant. Pour l’instant, intéressons-nous à Gólgota, composé par Biagi et puissamment mis en paroles par l’auteur de Paciencia, Mala suerte, La bruja ou Ansiedad, Francisco (Froilán) Gorrindo. Un petit clin d’œil. À partir du départ de Biagi de l’orchestre de D’Arienzo, le pianiste Juan Polito reproduira les ornementations de Biagi, ce qui fait qu’au même moment, les deux orchestres paraissaient très proches aux oreilles de ceux qui écoutaient d’une manière un peu distraite.
Paroles
Yo fui capaz de darme entero y es por eso que me encuentro hecho pedazos, y me encuentro abandonao. Porque me di, sin ver a quién me daba, y hoy tengo como premio que estar arrodillao. Arrodillao frente al altar de la mentira, frente a tantas alcancías, que se llaman corazón; y comulgar en tanta hipocresía, por el pan diario, por un rincón.
Arrodillao, hay que vivir, pa’ merecer algún favor; que si de pie te ponés, para gritar tanta ruina y maldad. Crucificao, te vas a ver, por la moral de los demás; en este Gólgota cruel, donde el más vil, ése, la va de Juez.
No me han dejao más que el consuelo de mis noches, de mis noches de bohemia, mezclar sueños con alcohol. Ni quiero más, me basta estando solo, teniendo por amigo un vaso de licor. Que por lo menos con monedas he comprado, a quién no podrá venderme, quién me prestará valor para cumplir en este circo diario, con las piruetas de tanto clown. Rodolfo Biagi Letra: Francisco Gorrindo
Ibáñez chante ce qui est en gras et Omar, seulement ce qui est en bleu.
Palacios chante tout et reprend le refrain qui est en bleu pour terminer.
Traduction libre
J’ai été capable de me donner entièrement, et c’est pour ça que je me retrouve en morceaux, et je me retrouve abandonné. Parce que je me suis donné, sans voir à qui je me donnais, et aujourd’hui j’ai comme récompense d’être à genoux. Je m’agenouille devant l’autel du mensonge, devant tant de tirelires, qu’on appelle cœur ; et de communier dans tant d’hypocrisie, pour le pain quotidien, pour un coin.
Je m’agenouille, il faut vivre, pour mériter quelque faveur ; que si vous vous levez, pour crier tant de ruine et de méchanceté. Crucifié, tu te verras, par la morale des autres ; dans ce cruel Golgotha, où le plus vil, celui-là, ce fait juge.
Ils ne m’ont laissé que la consolation de mes nuits, de mes nuits bohèmes, mêlant rêves et alcool. Je ne veux rien d’autre, ça me suffit d’être seul, en ayant un verre d’alcool pour ami. Que pour le moins, avec des pièces (de monnaie), j’ai acheté à qui ne pourra pas me vendre, à qui me prêtera le courage d’atteindre dans ce cirque quotidien, avec les pirouettes de tant de clowns.
Autres versions
Gólgota, 1938-08-15 — Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez. C’est notre tango du jour.Gólgota, 1938-10-14 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
On remarquera tout de suite que le rythme est moins puissant et que le piano est plus discret, intégré à l’orchestre. On remarquera aussi le magnifique passage à la clarinette à partir de 1 minute. Difficile de dire si c’est Carmelo Aguila (grand clarinetiste de Jazz qui était dans l’orchestre de Lomuto, au moins épisodiquement depuis 1926 ou Primo Staderi arrivée vers 1936 dans l’orchestre, mais sans que cela signe le départ de Carmelo. En 1938, les deux musiciens étaient référencés dans l’orchestre, alors Carmelo ou Primo ? Mystère et boule de gomme. Bien que cette version soit plus courte de 10 secondes que celle de Biagi, Jorge Omar n’intervient qu’à 1:27 et il ne chantera que 30 secondes, la moitié de Ibáñez… Sa voix est plus ronde et chaude, moins nasale que celle de Ibáñez. C’est un baryton et ce que perd le titre en incision, il le gagne en chaleur et cela rend cette version également attachante. À parti de 2 minutes, la, ou plutôt les clarinettes reviennent. On notera la fin assez particulière, avec cette montée chromatique particulièrement staccato et frénétique.
Gólgota 1938-11 — Héctor Palacios con guitarras.
L’année 1938 se termine par l’enregistrement par Palacios du thème. La guitare ne fait pas le poids face aux orchestres précédents, mais le résultat est loin d’être inintéressant. Bien sûr, pas question de danser sur cette version, mais c’est agréable, très agréable à écouter.
Gólgota 1963 — Héctor Mauré acompañado por el Orquesta Lito Escarso.
La belle voix de Mauré sert parfaitement le titre, accompagné avec légèreté par l’orchestre de Lito Escarso. Héctor Mauré chante toutes les paroles et reprend la fin du refrain. Bien sûr, il s’agit d’une version d’écoute, à comparer avec celle enregistrée 25 ans plus tôt par Palacios.
Gólgota 1970 — Hugo Duval acompañado por el Trio Yumba.
Difficile de ne pas retrouver l’inspiration de Biagi dans le Trio Yumba, c’est logique dans la mesure où ils continuent le style du maître. On les trouve d’ailleurs parfois sous le nom de Biaggi (avec deux G). Hugo Duval, qui chantait également avec Biagi, continue avec le trio, ce qui renforce l’illusion. Il chante la même partie que Mauré sept ans plus tôt. Cependant, on notera une énergie moindre, surtout si on compare à la version de 1938, mais il ne faut pas oublier qu’un trio ne peut pas sonner comme une Típica… Pour finir, ce n’est pas génial à écouter et pas plus intéressant pour la danse.
Gólgota 2021 — Tango Bardo C Osvaldo Peredo.
Je vous propose de terminer ce tour du Gólgota par une version assez récente (2021), enregistrée par Tango Bardo avec la voix de Osvaldo Peredo.
Je ne vais pas me lancer dans l’histoire de ces tourne-disques, car je n’y connais pas grand-chose. En revanche, il me semble intéressant de rappeler qu’il y a eu toute une diversité de gramophones et que la tendance dès les années 20 a été de les inclure dans des meubles devant s’intégrer dans les intérieurs art déco de l’époque, mais également de les rendre portables pour animer la vie à l’extérieur.
Je vous présent ici, une machine de chaque type. Un modèle cabinet, un modèle portatif et un modèle portable.
Un magnifique Cabinet, Columbia Viva Tonal 612. On remarque le meuble élégant (enfin, dans le goût de l’époque), la manivelle et le mécanisme d’entraînement à ressort et enfin l’aiguille (ici, pointant en l’air sur les deux photos). Le pavillon est caché dans la partie inférieure, derrière la toile.Deux publicités Columbia. À gauche, un cabinet est mis en avant, mais un modèle portable et d’autres cabinets sont présentés. Au centre, un modèle portatif, posé sur une table et à droite, une pochette de disque.Deux modèles de lecteurs portables en valise. À gauche, un modèle 163 restauré par Giakke & Mikke et à droite, une publicité pour le modèle 118.
Ces objets sont magnifiques, mais je vous assure, même si certains affirment le contraire, que la qualité sonore n’est pas à la hauteur des procédés actuels…
Pour un 14 août, jour anniversaire, j’aurais pu choisir deux versions de ce titre qui ont toutes les deux été enregistrées un 14 août. Celle de Julio de Caro et celle de Ricardo Tanturi.
Si j’ai mis en avant celle de Tanturi, qui se prête plus à la danse, je vous présenterai également celle de Ricardo de Caro et une version chantée qui vous permettra de comprendre pourquoi ces retrouvailles sont un adieu.
Extrait musical
Adiós pueblo… À gauche, partition de 1941, à droite celle de 1928 avec De Caro. Au centre, la partition pour piano avec la dédicace à Ricardo de Caro par Agustin Bardi, « Pour mon estimé ami et collègue, Francisco de Caro ». Adiós pueblo 1941-08-14 — Orquesta Ricardo Tanturi
Paroles
Pueblito que un día lejano Al ausentarme, te di mi adiós, Hoy ya de vuelta te busco en vano Pueblito mío, quién te cambió. No existen ya tus casitas Llenas de flores, de luz y sol, Tampoco existen tus vecinitas En cambio tienes, desolación.
Pueblo en que viví Mis años de juventud, Hoy vengo aquí Para aliviar Esta inquietud Que nunca, nunca más Podré borrar. ¡Oh!, Quién pudiera ser Niño otra vez, Para volver Al tiempo que pasó, Eternizar por siempre Su niñez, Y no saber jamás Lo que es dolor.
Aquel dulce hogar Que una tarde abandoné, Cuánto yo diera Por hallar, Para poder En mi vejez calmar, Lo que sufrí, Y en su quietud Poderle confiar, A un ser querido Todo mi dolor, y ante mi pena Tan sólo hallar Un poco de su amor.
Pueblito que un día fuiste Como una madre a mi niñez, Hoy que te anhelo, ya nada existe Cómo castigas a mi vejez. Pueblito que un día lejano Al ausentarme, te di mi adiós, Y hoy ya de vuelta te busco en vano Pueblito mío, quién te cambió.
Agustín Bardi Letra : José Pedro De Grandis
Traduction libre
Petit village à qui, un jour lointain j’ai fait mes adieux en partant. Aujourd’hui, je suis de retour et je te recherche, en vain, mon petit village. Qui t’a changé ? Tes petites maisons pleines de fleurs, de lumière et de soleil n’existent plus, tes petites voisines n’existent plus non plus. À la place, tu n’es que désolation.
Village dans lequel j’ai vécu ma jeunesse, aujourd’hui, je viens ici pour apaiser ce malaise que je ne pourrai plus jamais, jamais effacer. Oh, qui pourrait redevenir un enfant pour revenir au temps qui s’est écoulé, pour immortaliser à jamais son enfance et ne jamais savoir ce qu’est la douleur ? Ce doux foyer que j’ai quitté un après-midi, combien donnerais-je pour le retrouver, pour pouvoir calmer dans ma vieillesse ce que j’ai souffert ? Et dans sa quiétude, pouvoir lui confier, comme à un être cher, toute ma douleur, et face à mon chagrin, seulement pouvoir trouver un peu de son amour.
Petit village qui, un jour, a été comme une mère pour mon enfance, aujourd’hui que je te désire, plus rien n’existe comme tu punis ma vieillesse. Petit village à qui, un jour lointain j’ai fait mes adieux en partant. Et aujourd’hui, je suis de retour et je te recherche, en vain, mon petit village. Qui t’a changé ?
Autres versions
Adiós pueblo 1928-08-14 — Orquesta Julio De Caro. La version par le dédicataire de la composition de Bardi.Adiós pueblo 1928-09-21 — Alberto Vila con guitarras. C’est la seule version enregistrée nous permettant d’écouter les paroles de José Pedro De Grandis.Adiós pueblo 1941-08-14 — Orquesta Ricardo Tanturi. C’est notre tango du jour.
Quelques mots de Agustín Bardi
Comme on a pu le voir dans la dédicace de la partition, Bardi considérait De Caro comme son ami. Cet homme tranquille était apprécié par les musiciens de tango et quand il mourut d’une crise cardiaque à 56 ans, José Luis Padula écrivit « Bardi » que Francisco Canaro enregistra la même année avec son Quinteto Pirincho. Osvaldo Pugliese lui écrira « Adiós Bardi » et Horacio Salgán composera « A Don Agustín Bardi ».
Cet homme discret n’était pas un oiseau de la nuit, tout au contraire. C’était un discret employé d’assurance qui, par son travail, a gravi les échelons de Cadet à Directeur avant de prendre sa retraite à 51 ans. Il a cependant composé de très nombreux tangos que vous connaissez probablement comme :
C.T.V. (Se te ve) ; Cabecita negra ; Cachada ; Chuzas ; El abrojo ; El baqueano ; El buey solo ; El cuatrero (El tigre) ; El paladín ; El pial ; El rodeo ; El taura ; En su ley ; Florcita ; Gallo ciego ; Gente menuda ; Independiente Club ; La guiñada ; La racha ; La última cita ; Las doce menos cinco ; Lorenzo ; Madre hay una sola ; No me escribas ; Nocturno (Valse) ; Nunca tuvo novio ; Oiga compadre ; Pico blanco ; Qué noche ; Se han sentado las carretas ; Se lo llevaron ; Siempre los dos ; Sin hilo en el carretel ; Tiernamente ; Tierrita ; Tinta verde ; Triste queja ; Tu imagen que vuelve (Valse) ; Un baile en la embajada ; Vicentito ; Viejo espejo ; Yo también fui pibe.
Les Portègnes appellent leurs bus, des colectivos et plus affectueusement encore, des bondis.
Nos tangos du jour sont de simples évocations à l’occasion de la fermeture d’une ligne que j’aimais bien. Voici donc quelques anecdotes qui peuvent intéresser ou amuser les touristes qui découvrent cette merveilleuse ville de Buenos Aires.
Nous serons accompagnés par deux tangos chansons dont vous trouverez les paroles et leurs traductions en fin d’article.
Pour commencer en musique
Ce ne sont pas des tangos de danse, mais ils évoquent le colectivo. Je donne les paroles et leurs traductions en fin d’article.
Tango del colectivo 1968-12-04 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Musique de Armando Pontier et paroles de Federico Silva.Se rechiflo el colectivo 2013 — Horacio Ferrer Acc. piano por Juan Trepiana. Musique de Osvaldo Tarantino et paroles de Horacio Ferrer.
Un tout petit peu d’histoire
Si el tranvia (tramway) a donné lieu à plus de paroles de tango que le colectivo, ce moyen de transport fait également partie de l’histoire de la ville. Les premiers transports étaient tirés par des chevaux, ce qu’on appelle ici, « à moteur de sang », que ce soient les tramways ou les bus.
Si les tramways sont lentement passés à l’électricité, l’apparition du moteur saluée par les défenseurs des animaux a apporté son lot de bruit et de pollution à la ville.
Aujourd’hui, à toute heure du jour et de la nuit, des bus circulent. Certains commencent à expérimenter l’énergie électrique, mais d’autres disparaissent.
Payer son billet, une aventure
Une machine distributrice de tickets. Le chauffeur donnait le ticket correspondant à la distance à parcourir.
Jusque dans les années 90, le chauffeur faisait payer chaque passager. Il lui remettait un ticket en échange. Cette façon de procéder avait plusieurs inconvénients :
C’était relativement lent. Le chauffeur devait rendre le change et comme il tentait de faire cela en roulant, c’était donc également dangereux et il y avait régulièrement des accidents pour cette raison.
Il était tentant pour les malandrins d’attaquer les chauffeurs pour récupérer les pièces.
En 1967, Elena Konovaluk a été la première conductrice de colectivo. (ligne 310 puis 9) On imagine la difficulté de distribuer les tickets et de conduire en même temps.
Le 2 mai 1994, un nouveau système est apparu. Un système semi-automatique. Il fallait donner sa destination au chauffeur. Celui-ci paramétrait sur son pupitre le prix à payer et l’usager devait glisser les pièces correspondantes dans la machine.
Le type de machine apparu à partir de 1994. On indiquait la destination au chauffeur. Il programmait le prix et on devait verser les pièces correspondantes dans l’entonnoir du haut de la machine, puis récupérer le billet et sa monnaie.
Ce système n’était pas parfait et, pour tout dire un peu compliqué dans la mesure où les pièces étaient rares et difficiles à obtenir. Dans les commerces, personne ne voulait se séparer de ses précieuses pièces au point qu’ils faisaient cadeau de quelques centimes plutôt que de devoir rendre le change et se trouver démuni de pièces. Mon truc était d’aller au dépôt (terminus) où ils échangeaient volontiers les billets contre des pièces. Certains essayaient d’attendrir le chauffeur en tendant un billet, ce qui se terminait soit par un passage gratuit, soit par une expulsion du bus.
À partir de 2009, la SUBE a fait progressivement son apparition. Sur les premières lignes équipées, il suffisait d’annoncer sa destination au chauffeur et de présenter la carte devant la machine, sans avoir à sortir de pièces. La SUBE fonctionne également pour le métro et pour le train de banlieue et dans certaines provinces d’Argentine. On peut aussi emprunter avec une bicyclette, c’est donc une carte très utile et une innovation intelligente.
Une machine de validation de la carte SUBE (il en existe de nombreux modèles). Il suffit de la plaquer sur la zone dédiée pour que son solde soit débité du montant du trajet. On peut lire sur l’afficheur le tarif, le prix réellement débité et le solde de la carte.
Pour le chauffeur, cela ne change rien au système de 1994, il doit toujours sélectionner le prix sur son pupitre (en fait la distance, mais on en reparlera). Pour l’usager ce système semble parfait.
Cependant, il y a un petit point qu’il faut tenir en mémoire. Il faut charger sa carte SUBE et c’est là que le bât blesse. Pendant longtemps, cela pouvait se faire dans les kiosques, qui sont nombreux, puis les kiosques n’ont plus eu le droit de le faire et ce sont désormais les lieux de loterie qui permettent de recharger la carte et ils sont moins nombreux. On peut se faire avoir, car de nombreux kiosques ont conservé l’affichette SUBE et certains continuent de vendre la carte vierge, mais pas la recharge…
Mais, trouver un point de recharge ne suffit pas, car il faut avoir la somme exacte que l’on souhaite déposer sur la carte. Si vous avez un gros billet, il faudra tout mettre. Ah, non, ce n’est pas si simple (je sais, je l’ai déjà écrit). Si le billet est trop gros, on va vous le refuser.
En effet, les lieux de vente ont des quotas. Ils ne peuvent pas vendre plus que ce qui leur est autorisé. Les versements maximums sont donc limités et, même avec cette précaution, il arrive que le lieu ait atteint son quota de la journée. Si c’est le cas, il faudra revenir le lendemain en espérant que ce ne soit pas le début d’un long week-end, une autre spécialité argentine qui fait que, si un jour férié tombe un dimanche, on le reporte au lundi.
Il reste alors la possibilité d’aller dans une station de métro (Subte à ne pas confondre avec SUBE) ou de train. Là, deux possibilités s’offrent au voyageur, une machine ou un préposé, mais ce dernier est assez rarement disposé à recharger la carte.
Il y a une autre possibilité pour ceux qui ont un compte bancaire argentin, la recharge en ligne. Il faut ensuite valider son solde sur une machine, par exemple dans une banque…
Pour en terminer avec la SUBE sous forme de carte, signalons la difficulté de l’obtenir, car il y a parfois une pénurie. Mieux vaut ne pas la perdre à ce moment.
Mais voyons maintenant une autre innovation qui va dans le bon sens.
Depuis 2024, on peut payer à partir de son téléphone et de l’application SUBE. C’est sans doute un autre progrès.
Depuis 2024, on peut charger sa carte et la faire valider auprès du chauffeur et même payer directement depuis l’application SUBE sur son téléphone. Cette dernière est une option un peu risquée dans la mesure où les vols sont tout de même assez fréquents, surtout aux abords des portes, le malfaiteur sautant du bus et s’enfuyant à toutes jambes, à moins qu’il repère simplement votre téléphone pour le subtiliser discrètement lors d’une petite bousculade en arrivant à un arrêt. Dans tous les cas, si vous tenez à votre téléphone, évitez de l’utiliser près des portes.
Un pas en avant et deux pas en arrière ?
L’arrivée de la machine à pièces, puis de la SUBE et maintenant de l’application facilite la vie des usagers. Cependant, un autre danger les guette ; la hausse des prix.
Le service de transport est assuré par des entreprises privées, mais, comme c’est le gouvernement de gauche de Cristina Fernandez qui l’a mis en place, les prix sont unifiés entre les compagnies et les billets sont subventionnés.
Le résultat a été un prix des transports publics de voyageurs très raisonnable, même pour ceux, très nombreux, qui viennent de province pour travailler à la capitale fédérale et qui doivent prendre deux ou trois transports (bus, métro, train).
Un petit rappel, Buenos Aires est une très grande province dont la capitale est La Plata et la ville de Buenos Aires est une ville autonome, entourée par cette province sans en faire partie…
Ceux qu’on appellerait les banlieusards à Paris font souvent une à deux heures de trajet pour aller travailler, ce qui est aggravé par le fait que nombre d’entre eux ont deux activités pour joindre les deux bouts.
Évoquons maintenant le pas en arrière. Fin 2023, un président d’extrême droite et libertaire a été élu, Milei et sa tronçonneuse. Pour lui, les subventions sont un vol. Chacun doit payer ce qu’il utilise. Donc, les transports, l’éducation, la médecine, les travaux publics ; le gaz, l’électricité et même les retraites sont considérés comme des domaines qui ne doivent plus être subventionnés, abondés.
Les prix de ces services explosent donc. On remarquera toutefois que, si Milei ne veut pas entendre parler de subvention, il propose tout de même aux plus riches qui ont leurs enfants dans les écoles privées des aides (versées directement aux écoles).
Pour les hôpitaux publics, c’est une catastrophe. Même les médecins doivent avoir deux métiers. Par exemple, hier, la télé présentait l’un deux qui complète ses revenus en travaillant pour Uber (un service de transport de personnes assuré par des particuliers qui utilisent leur voiture personnelle).
Pour revenir progressivement à nos bus, les chauffeurs assurent des services très longs pour gagner plus, ce qui provoque des accidents. Si vous avez essayé de conduire à Buenos Aires, imaginez que vous le faites 12 heures de rang (suivies de 12 heures de pause et avec un repos hebdomadaire de 35 heures), avec une pause toilette en bout de ligne si vous n’êtes pas arrivé en retard, le tout au volant d’un gros machin d’apparence antédiluvienne qui tourne quasiment en permanence et dont beaucoup mériteraient une sérieuse révision.
La semaine dernière, un adolescent est tombé du bus, car la fenêtre a cédé. Et je ne vous parle pas des bruits de freins, des portes qui fonctionnent quand elles le décident et des panaches de fumées qu’émettent certains des bondis. Alors, si un chauffeur est un peu moins souriant, prenez sur vous et mettez-vous à sa place (pas sur son siège, je parle au figuré).
La fin des subventions aux transports en commun
Puisque les subventions sont un vol fait aux riches qui n’utilisent pas les transports publics au profit de ceux qui les utilisent, ces subventions ont été très fortement diminuées et, par conséquent, le prix du billet a explosé, comme d’ailleurs celui de la nourriture, mais sans doute pour d’autres raisons… La hausse des prix sur les produits de base ignore les chiffres de l’inflation donnés par le gouvernement (moins de 2 % en mai). Seuls les produits de luxe (voitures, téléphones et autres biens de confort) voient effectivement leurs prix baisser, pas les légumes, la viande, les transports, les médicaments…
Voici donc un tableau reprenant le prix du trajet en bus, au moment de la prise de fonction de Milei et à la date d’aujourd’hui.
Entre fin 2023, date d’arrivée du président Milei au pouvoir et aujourd’hui (fin juin 2025), le prix du billet a été multiplié par 8.
Ce tableau demande quelques explications. La colonne de gauche indique des distances. Par exemple, 0 à 3 km, ce qui est en fait 1 à 30 pâtés de maisons (manzana en espagnol, bloc en anglais…). Un voyage d’un kilomètre en décembre 2023 coûtait donc 52,96 pesos, soit 0,06 euro (voir dans la partie droite du tableau, entourée de bleu). Le prix était donc très réduit, du moins pour un Européen ou un Américain du Nord. Pour un Argentin qui avait moins de 200 € de revenus, c’était tout de même une somme, surtout pour ceux qui devaient prendre deux ou trois transports pour aller travailler. Les tarifs sont toutefois un peu dégressifs si on utilise plusieurs bus dans une période de deux heures.
La diminution drastique des subventions aux entreprises de transport imposée par le nouveau gouvernement fait que les prix ont énormément augmenté. C’est le résultat de la logique qui veut que ceux qui utilisent les transports en commun doivent en payer le coût, pas ceux qui roulent en taxi ou dans des voitures particulières.
Pour revenir à l’étude du tableau, on observe deux nouvelles catégories « utilisateurs enregistrés » et « utilisateurs non enregistrés ». Cette distinction permet deux choses :
Suivre les déplacements des utilisateurs. Chaque carte enregistrée est associée au document d’identité du possesseur. Cela permet de connaître mieux les déplacements de chacun.
Les subventions ont été fortement diminuées, ce qui explique en grande partie la hausse des prix. Les subventions sont totalement supprimées pour les utilisateurs qui ne sont pas enregistrés selon la logique ; s’ils ne sont pas enregistrés, c’est qu’ils veulent cacher leurs déplacements ou qu’ils sont étrangers et que, par conséquent, les Argentins « de bien » n’ont pas à payer pour eux.
Nous avons évoqué à propos de l’anecdote Bailarín de contraseña, le fait que certaines milongas faisaient payer moins chers les autochtones, cela peut donc se comprendre. D’ailleurs, en Europe, on fait payer une taxe par nuitée aux gens de passage.
L’augmentation en un an et demi est donc d’environ 800 % pour un Argentin enregistré. Pour ceux qui ne le sont pas, c’est une augmentation de presque 13 fois. Cela commence à faire. Certains banlieusards ont abandonné leur travail, passer la moitié de la journée à travailler pour gagner à peine le prix du trajet aller-retour n’était plus rentable.
Cependant, pour un Européen qui utilise l’Euro, la baisse de valeur du Peso argentin fait qu’au final, l’augmentation est un peu inférieure à 9 fois et pour un étranger qui a une carte SUBE enregistrée ou tout simplement ancienne, c’est seulement 5,5 fois. Quand on connaît le prix des transports à Paris, cela reste très, très modeste, alors, ne râlez pas…
Un adieu à la ligne 23 ?
Le AD 706 SU qui a assuré le service de la ligne 23 jusqu’en… 2023. C’est aussi la vedette de l’image de couverture de cet article.
Pour aller à Nuevo Chique, j’étais habitué à prendre la ligne 23 qui était assurée par la société Transporte Rio Grande SA.C.I.F.
Cette ligne au moment de sa fermeture (annoncée ?), dimanche dernier, comportait encore neuf véhicules.
Cinq bus de 25 places assises datant de 2019 AD 672 OW/AD 672 PF/AD 672 PD/AD 672 PG et AD 882 PX.
Un bus de 35 places datant de 2023 AF 957 UO.
Et trois bus de 35 places datant de 2024 AG 708 WP/AG 835 IX et AG 946 ZZ.
Dimanche dernier cette ligne a cessé son activité :
Vidéo réalisée par un des derniers utilisateurs de la ligne.
La ligne, tout au moins le service qu’elle assurait, va-t-il complètement disparaître ? Il est difficile de le dire. Lors de la suppression de la ligne 5, la ligne 8 a pris le relai en créant un « ramal » (branche) supplémentaire. Ces branches sont un autre piège pour ceux qui ne sont pas habitués. Il faut regarder le numéro du bus, mais aussi la pancarte qui indique la branche qui va être pratiquée. Si vous ne le faites pas, vous risquez de vous retrouver bien loin de la destination espérée, notamment si vous vous rendez dans la province. De même, si vous prenez un omnibus au lieu d’un semi-rapide, vous risquez de passer beaucoup plus de temps dans le bus que nécessaire lorsque vous faites une longue distance en banlieue.
Hier, pour aller à Nuevo Chique, j’ai pris ce bus. Un numéro 115, mais avec une étiquette indiquant qu’il assurait en fait le service de la ligne 23. Encore un piège pour ceux qui sont peu attentifs… J’ai juste eu le temps de prendre une photo en en descendant, au moment où il redémarrait.
Donc, en attendant, il semblerait qu’il faille prendre le 115 qui porte une pancarte indiquant qu’il fait le service du 23. Cependant, s’il y avait 9 bus en circulation pour la ligne 23, il semblerait que ce soit bien plus réduit pour cette nouvelle ligne, déjà que le 115 n’est pas un des plus fournis (c’est un des bus que je prends pour aller à El Beso…).
Une actualisation sur la ligne 23
Il continue de passer des bus verts 23. Selon les chauffeurs interrogés, la compagnie est en faillite (quiebra) et continue sur son rythme de tango hésitant et lent, un pas en avant et un pas en arrière.
Petit problème mathématique
Voici le trajet qui était effectué par la ligne 23 entre Villa Soldati (en bas) et Retiro (en haut). Environ 12 km.
Il y avait 9 bus en circulation pour effectuer les 12 kilomètres de la ligne. Les horaires indiquant un temps de parcours de 50 minutes et les chauffeurs avaient 10 minutes de repos aux deux extrémités. Ce n’était plus tout à fait vrai pour Soldati, le terminus y était toujours, mais les chauffeurs, depuis le 5 mai (2025) prenaient leur service à Lugano (tiens, c’est justement à côté du départ de la ligne 115…).
Première question : Quelle est la vitesse de circulation moyenne ?
Deuxième question : Quel est le temps moyen d’attente entre chaque bus si on considère que les 9 étaient en service et qu’ils étaient espacés régulièrement.
Pour la réponse, retournez l’ordinateur…
Non, pardon, je plaisante, voici les réponses :
12 km en 50 minutes, cela donne 14,4 km/h de moyenne. Ce n’est pas énorme, mais il passe par moment dans des dédales un peu compliqués.
Pour la seconde réponse, je cherche la réponse tout en l’écrivant. Un bus part de Soldati et arrive 50 minutes plus tard à Retiro. Il attend 10 minutes et arrive donc de nouveau à Soldati 100 minutes après son départ où le chauffeur prend de nouveau 10 minutes de pause. Ces 120 minutes sont donc à diviser par le nombre de bus, ce qui donne 120/9 = 13,33 minutes, ce qui correspond assez bien au quart d’heure vérifié à l’arrêt. Sur des lignes mieux remplies, on peut voir des bus circuler à bien plus grande fréquence et souvent des « trains » de deux ou trois bus qui se « suivent », enfin, à la mode portègne, c’est-à-dire qu’ils se dépassent, se klaxonnent, se redépassent, se côtoient et discutent aux feux rouges. Oui, désormais, la plupart des bus s’arrêtent aux feux rouges, ce qui peut surprendre ceux qui étaient habitués à considérer qu’il s’agissait d’accessoires de décoration. Rassurez-vous, il reste les panneaux STOP (PARE) qui ne sont pas du tout respectés, ni par les bus, ni par les autres, d’ailleurs. C’est le plus inconscient qui passe le premier et ce n’est pas toujours le bus qui gagne.
Se repérer pour prendre le bon bus
Avant l’arrivée des applications sur téléphone, il y avait dans les annuaires téléphoniques des plans de Buenos Aires quadrillés, avec le nord en bas (donc à l’inverse des cartes habituelles). Dans chaque case numérotée, comme pour la bataille navale, il y avait des arrêts de bus. Ces derniers n’étaient pas indiqués sur le plan, mais listés dans la légende. Par exemple, dans la case B5,il y avait un arrêt des bus 12, 8, 48, 96. Avec cette indication approximative, il fallait faire preuve de logique. Les rues étant généralement à sens unique, si on voulait aller vers le sud (le haut de la carte), il convenait d’identifier une rue qui avait le sens de circulation vers le sud.
Ce n’était pas forcément simple et la difficulté était renforcé par le fait que le point d’arrêt n’était marqué que par un numéro sur la façade d’un immeuble, un petit autocollant sur un poteau, voire, par rien du tout. Il fallait donc souvent demander où était l’emplacement de l’arrêt quand on s’aventurait dans un quartier moins connu.
L’autre jeu qui complique les choses est que les chauffeurs font preuve de créativité et il est fréquent de voir des bus en maraude. Parfois, c’est justifié par une route coupée, mais à d’autres moments, c’est pour gagner du temps. Par exemple le 115 évite souvent de s’engager dans Bartolomé Mitre (la rue encombrée par des étals, des véhicules mal garés et des boutiques de tissus) pour rejoindre directement Corrientes par Pueyrredón. Ce n’est pas trop grave pour ceux qui sont dans le bus, mais peut-être moins drôle pour ceux qui attendent le bus dans cette zone où il ne passera pas.
Faut-il rajouter des trucs ?
Ce court article, très imparfait, ne donne qu’un maigre aperçu de toutes les subtilités qu’il faut connaître pour bien voyager en bus. Il vous faudra faire votre expérience, en vous repérant dans la ville, ce qui est bien plus facile que dans une ville Européenne pour savoir où demander l’arrêt en appuyant sur le bouton concerné, cependant, la plupart des chauffeurs sont prêts à vous aider et peuvent même vous rappeler le moment de descendre.
En attendant, voici quelques trucs, en vrac.
Si vous n’avez pas une formation d’alpiniste chevronné, évitez de descendre par la porte arrière de certains bus dont la marche inférieure est à une hauteur encore vertigineuse. Cependant, la plupart de bus ont un accès et des places pour les fauteuils roulants.
Pensez à regarder vers l’arrière du bus au moment d’en descendre, car ils s’arrêtent rarement au bord du trottoir, notamment car les arrêts de bus sont souvent considérés comme des places de stationnement par les automobilistes. Il se peut donc qu’au moment de descendre, une moto décide de passer à toute vitesse par la droite du bus. C’est mieux de la voir venir et de retarder de quelques fractions de seconde le saut depuis le bus. Aussi, pour cette raison, des personnes rencontrant des difficultés à marcher demandent au chauffeur de sortir par l’avant, ils se sentent plus en sécurité. Cette habitude va sans doute s’atténuer, car désormais, les bus s’arrêtent complètement pour prendre et déposer les passagers. Ils ne doivent plus ouvrir les portes lorsque le bus est en mouvement. Je sais, le folklore perd de sa saveur, c’était bien amusant de se faufiler entre les voitures en stationnement pour sauter dans un bus qui ne faisait que ralentir et de descendre en essayant de ne pas atterrir dans une poubelle, un véhicule en stationnement (voire en marche) ou contre un de ces diaboliques câbles en diagonale qui sont ancrés au sol pour tenir je ne sais quel poteau et qui sont peu visibles de nuit, même quand ils sont recouverts d’une gaine jaune.
Voici une autre curiosité. Il y a désormais de nombreux arrêts qui disposent d’un abribus. N’imaginez pas qu’il est là pour vous permettre d’attendre le bus. En effet, la queue se fait par rapport au poteau et donc, les gens sont à la file, face à l’arrivée potentielle du bus et donc tous, hors de l’édicule… Cependant, les Argentins sont très respectueux. Si vous êtes arrivés le premier (ce qui veut dire que vous venez de rater le bus précédent), vous pouvez profiter du banc de l’arrêt de bus. Le premier au poteau vous laissera passer sans discuter. D’ailleurs, il n’y a pas de lutte à l’entrée, très souvent un passager plus avant dans la file vous laisse passer.
Attention, utiliser le banc est aussi un piège, car, si le bus qui arrive n’a pas à s’arrêter pour déposer un passager, il passera sans vous prendre en compte. Dans la pratique, il faut donc s’assurer qu’il y a quelqu’un qui veut prendre le même bus afin de profiter en toute tranquillité de ce siège. Cela peut sembler étonnant, car on peut imaginer voir le bus arriver de loin. Hélas, non, car les véhicules en stationnement coupent toute visibilité à ceux qui sont assis et même souvent à ceux qui sont debout et à tous les arrêts, vous verrez des intrépides se lancer au milieu de la rue pour voir si le bus arrive au loin.
Pour être efficace à ce jeu, il faut avoir une bonne vue et s’aider du code de couleurs (le bus 23 était vert, le 115 est rouge, d’autres sont bleus ou jaunes).
Vous devez lever de façon très visible le bras pour inciter le conducteur à s’arrêter. Si le feu est au vert, il arrive qu’il ne s’arrête pas pour en profiter. Il s’arrêtera de l’autre côté du carrefour pour déposer les passagers qui voulaient descendre et vous, vous devrez attendre le prochain. Le prochain peut être une autre ligne qui passe aussi par votre point d’arrivée. Cependant, l’arrêt de cette autre ligne peut-être à une dizaine de mètres. Si le chauffeur de l’autre ligne se rend compte que vous venez de l’arrêt du concurrent, il y a fort à parier qu’il ne s’arrêtera pas. Vous devez être à l’arrêt quand il vous voit. Quand l’arrêt est situé à un feu rouge, il arrive qu’on arrive à attendrir le chauffeur, qui prend toutefois le temps de terminer un truc important sur son téléphone portable avant de vous ouvrir la porte. Cela ne lui coûte rien, puisque le feu l’a juste empêché de repartir, mais c’est le prix à payer pour la faveur qu’il vous fait.
Une fois dans le bus, il peut être agréable de trouver une place assise. Il y a des places réservées aux personnes qui en ont besoin et c’est plutôt bien respecté. En revanche, pour les autres places, c’est le premier qui la prend. Celles près des portes sont exposées au vol à la tire. Certaines sont dos à la route, ce qui est désagréable pour les personnes sujettes au mal de mer. Rappelez-vous que le bus se déplace comme un esquif pris dans une tempête. Il faut donc avoir le cœur bien accroché et être très bien accroché quand on est debout.
Il y a des ceintures de sécurité pour les places situées totalement à l’arrière, face au couloir. Même si presque personne ne les utilise, elles peuvent vous éviter de traverser à plat ventre tout le bus lors d’un freinage brutal ou d’un accident.
On notera que, pour agrémenter la chute, la plupart des bus ont un escalier dans la partie arrière, ce qui ajoute au plaisir de l’expérience.
Voilà, j’espère que je vous ai donné envie de prendre le colectivo de Buenos Aires, que je ne vous ai pas trop refroidis, je laisse cela aux soins de la clim à fond ou un coup de chaleur, ce que je laisse aux soins de la clim en panne ou absente.
Certaines lignes ont des décors surprenants avec des tentures, des fileteados, d’autres sont plus sobres. Les sièges des conducteurs sont souvent faits de fil tendu entre deux barres de métal, je n’envie pas du tout ces valeureux chauffeurs et leurs conditions de travail effroyables. Je plains également les banlieusards qui restent souvent une heure debout dans des bus bondés après avoir attendu dans une queue de 50 mètres de long.
Pour toutes ces raisons, les riches prennent leur voiture, un Uber, et à la limite, un taxi et ne s’aventurent jamais dans les bus ni dans le métro. Pour cette raison, ils ne comprennent sans doute pas pourquoi on subventionnerait ces moyens de transport alors qu’eux, ils payent leur service.
Il y aurait sans doute à dire sur l’esclavage des taxis et des chauffeurs Uber, mais ce sera pour une autre fois si vous le voulez bien.
À bientôt les amis, mais en guise de cadeau, voici les paroles des deux tangos évoqués et leur traduction.
Paroles de Tango del colectivo
Ahora es ‘Cinta Scotch’ En vez de cuatro chinches Porque la vida pasa… El tiempo cambia. Pero siempre Gardel, Sonrisa, esmoquin Gardel y los muchachos… Esos muchachos… Que son de alguna forma Iguales a la rubia, De los textos abiertos Y los ojos cerrados.
Se sube en la primera Corriéndose hacia el fondo, Y empuja cuando baja Como toda la gente. Las manos Ya cansadas de apretar La bronca… De pedir sin que te den, Y al fin perder las cosas Que te importan.
Las cosas de verdad que tanto importan, El sol sobre los ojos me hace mal, Por eso es que me has visto lagrimear No ves la ciudad viene y se va, Y las veredas son de todos Como el pan. Armando Pontier (Armando Francisco Punturero) Letra: Federico Silva (René Federico Silva Iraluz)
Traduction de Tango del colectivo
Maintenant, c’est du « ruban adhésif scotch » au lieu de quatre punaises (les chinches sont les punaises de lit et on considérait que s’il y en avait 4 par mètre carré, il fallait prendre des mesures. Mais en lunfardo, les chinches sont des personnes qui dérangent, voire qui ont une maladie vénérienne, j’avoue ne pas savoir quelle signification donner à ces 4 punaises), parce que la vie passe… Les temps changent. Mais toujours Gardel, a le sourire, le smoking Gardel et les garçons (muchachos, peut-être ceux à qui il a dit adieu dans sa chanson adios muchachos, un titre de Julio César Sanders avec des paroles de César Felipe Vedani qu’ont enregistré Agustín Magaldi, Ignacio Corsini et finalement Carlos Gardel à París, ce qui a consacré le titre). Ces gars-là… Qui sont d’une certaine façon comme la blonde, avec les textes ouverts et les yeux fermés (ici, c’est un jeu de mot entre les textes ouverts qui sont des textes ouverts à plusieurs interprétations, à double sens, ces textes qui pullulent aux époques de censure, dans la tradition d’Ésope ou de Jean de la Fontaine. Dans le cas contraire, on parle de textes fermés, mais là, ce sont les yeux qui sont fermés). Il grimpe le premier (dans le bus) en courant vers le fond, et pousse quand il descend comme tout le monde. (Cette partie du texte évoque donc le colectivo et justifie le titre, mais c’est bien sûr, une allégorie des pratiques de certains…). Les mains déjà fatiguées de serrer la colère… De demander sans qu’on vous le donne, et à la fin de perdre les choses qui comptent pour vous (sans doute une évocation du poing fermé, geste des humiliés qui réclament de quoi vivre, un symbole tant d’actualité en Argentine aujourd’hui au moment où y renait la dictature). Les vraies choses qui comptent tant, le soleil me fait mal aux yeux, c’est pour cela que vous m’avez vu pleurer, tu ne vois pas la ville aller et venir, et les trottoirs appartiennent à tout le monde comme le pain.
Paroles de Se rechiflo el colectivo
Se rechifló el colectivo que tomé para tu casa yo vi que el colectivero, por Sandiablo, bocinaba raros tangos que Alfonsina con Ray Bradbury bailaba sobre el capó entre un tumulto de camelias y galaxias y perdió, de tumbo en tumbo, la vergüenza y las frenadas. Y voló al dintel del sueño donde está mi noche brava. Se rechifló, pero a muerte, porque al ir para tu casa, supo que vos me querías con reloj, sueldo y corbata
¡Qué tonta… pero qué tonta!
¡A mí, que un láser de versos me calienta hasta la barba! y cargo al hombro mi tumba para morir de amor ¡Mañana!… y Chopín y Alfredo Gobbi pobres como las arañas, en mi bulín la fortuna de sus penas, me regala.
Se negó a llevarme a vos, colectivo de mi alma, en las torres de Retiro se embaló por las fachadas y de un puente de alboroto cayó al Río de la Plata, cuando mi río es mis tripas y es mi vino y es mi magia.
Se rechifló el colectivo que tomé para tu casa: y en el techo yo reía y en la gloria te gritaba: ¡Se rechifló… pobre de vos! ¡Se rechifló… gracias a Dios! Osvaldo Tarantino Letra: Horacio Ferrer
Traduction de Se rechiflo el colectivo
Il serait très prétentieux de ma part d’essayer de retranscrire la poésie de Ferrer. Cette traduction est donc plus un guide pour aiguiller dans la direction, mais vous devrez faire le parcours poétique vous-même.
Le bus que j’ai pris pour rentrer chez toi s’est moqué. J’ai vu que le chauffeur, par Sandiablo (Saint Diable est un oxymore inventé par Ferrer pour exprimer la folie), klaxonnait d’étranges tangos qu’Alfonsina (Alfonsina Storni qui s’est suicidée en se jetant à la mer à Mar de Plata, comme dans un de ses poèmes, et qui a donné lieu à la merveilleuse zamba, Alfonsina y el mar immortalisée par Mercedes Sosa) avec Ray Bradbury (c’est bien sûr l’auteur de Fahreinheit 451, qui évoque la destruction des livres, dans la droite lignée de ce que font les régimes fascistes comme la dictature militaire argentine de l’époque, ou l’actuelle ou les partisans de Milei brûlent des livres qu’ils croient pernicieux faute de les avoir lus) dansait sur le capot (une est morte noyée et l’autre parle d’un pompier et de feu, le symbole de Ferrer est fort) au milieu d’un tumulte de camélias et de galaxies et perdait, de culbute en culbute, la honte et les freins. Et il s’envola vers le linteau du sommeil où se trouve ma folle nuit. Il s’est moqué, mais à mort, parce que, lorsqu’il s’est arrêté chez toi, il savait que tu m’aimais avec une montre, un salaire et une cravate. Quelle idiote, mais quelle idiote ! Pour moi, qu’un laser de vers me réchauffe jusqu’à la barbe ! Et je charge sur mes épaules ma tombe pour mourir d’amour Demain !… Et Chopin et Alfredo Gobbi, pauvres comme les araignées, dans ma chambrette m’offrent la fortune de leurs chagrins. Il a refusé de me conduire à toi, le colectivo de mon âme, dans les tours de Retiro (station de train, où allait justement le bus 23…), il a chargé à travers les façades et d’un pont de tumulte (émeute) il est tombé dans le Río de la Plata, quand mon fleuve est mes tripes et qu’il est mon vin et qu’il est ma magie. Le bus que j’ai pris pour aller chez toi s’est moqué : Et sur le toit, je riais et, dans la gloire, je te criais : Il s’est moqué… Pauvre de toi ! Il s’est moqué… Dieu merci !
Je ne propose pas une lecture ou une analyse détaillée de cet article. Je l’utilise juste comme prétexte pour donner quelques pistes pour que ne meure pas notre tango.
Faut-il évoluer pour être un patrimoine de l’humanité ?
Christian Martínez regrette que la politique culturelle argentine n’appuie pas la création dans le domaine du tango. Il parle d’absence de financement et on ne peut que le suivre quand on constate qu’avec le gouvernement actuel, tout ce qui est culturel ne va plus être subventionné. Rappelons tout de même que certaines milongas sont aidées par la Ville de Buenos Aires, notamment pour financer des prestations d’orchestres.
Il émet la thèse que les financements permettent de soutenir la création artistique, indispensable à la survie du tango, tout du moins, de son tango, un tango contemporain et en recherche d’un autre souffle.
Dans son article, il prend l’exemple du chamamé, une musique et une danse centrées sur la province de Corrientes et que les Européens dansent en milonga… Il rappelle que le chamamé vient de sortir du champ du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, pour n’être pas suffisamment novateur, pas assez varié.
Qui a fait même un très court séjour dans la Province de Corrientes aura entendu du chamamé à longueur de journée. Le fait qu’il ne soit pas devenu un élément pour touriste et au contraire, qu’il remplisse l’âme des Correntinos devrait, à mon avis, renforcer son titre de patrimoine.
Cela est inquiétant pour le tango, car, si ce critère prédomine, ce sera une accélération de la dénaturation de ce patrimoine, la recherche d’originalité et de nouveauté au détriment de la nature profonde du tango.
Ce titre serait alors plutôt une pierre tombale, tout comme le sont en France les appellations contrôlées de fromages où on oblige à industrialiser les procédés de fabrication pour uniformiser le goût d’un producteur à l’autre. C’est le principe de Mac Donald ; un hamburger doit avoir le même goût à New York, Paris, Rome ou Tokyo. Le chamamé et bientôt le tango doivent se fondre dans cette culture de masse mondiale pour être reconnus comme patrimoine culturel.
Éléments sur la situation du tango à Buenos Aires et ailleurs
Pour parler d’argent, À Buenos Aires, chaque musicien d’un orchestre de tango est payé autour de 50 000 pesos (moins de 50 €/$) par prestation, tout comme le DJ, mais ce dernier assure plus d’heures…
Pour les danseurs, le problème est surtout l’inflation qui fait que les prix explosent. Les milongas coûtent désormais entre 5 000 et 10 000 pesos plus 3 000 pesos pour une boisson, quasi obligatoire, ce qui rejoint les prix européens. Malheureusement, les revenus mensuels, notamment chez les retraités qui sont une part importante des milongueros portègnes, tournent autour de 600 000 pesos, voire la moitié dans bien des cas. Le résultat est que les Portègnes ne dansent plus qu’une ou deux fois par semaine là où ils dansaient tous les jours.
Les organisateurs cherchent à boucher les trous en attirant les touristes, tandas de trois, orchestres qui n’étaient pas joués auparavant comme Sassone. Ces manœuvres éloignent encore plus les milongueros. Les étrangers en viennent à danser entre eux ou avec des taxis dancers (sans le savoir dans la plupart des cas, car il y a 2 à 10 % de taxis dancers payés par les organisateurs). Rappelons que leur « paye » peut être l’entrée gratuite et une boisson. Comme l’évoquent les paroles écrites par Carlos Lucero pour Bailarín de contraseña interprété par Ángel D’Agostino et Ángel Vargas, on trouve des expédients pour pouvoir danser…
Curieusement, les entrées gratuites ou à prix réduit pour les habitués (lire les Autochtones) sont décriées par les touristes comme étant de la discrimination. Mais c’est pourtant une mesure qui peut sauver les milongas en y conservant quelques véritables danseurs portègnes et éviter que les milongas soient toutes des Disneylands où des touristes viennent voir bouger en savourant un café, une coupe de « champagne » et des médialunas, des simulacres de tango pratiqués par des débutants et des touristes.
Le tango de danse est un art populaire, qui a ses sources dans l’âme du peuple. Il a été forgé essentiellement en Argentine. Les intellectuels qui théorisent ce divertissement le rendent souvent insipide.
Reste à parler du rôle du DJ (et des organisateurs). Le partage entre faire du vulgaire pour attirer les masses et faire de la qualité pour conserver les danseurs qui s’intéressent à la musique n’est pas si facile, du moins en apparence.
En effet, on se rend rapidement compte que les bons tangos de danse de l’âge d’or sont suffisants pour donner du plaisir aux danseurs étrangers et qu’ils n’ont pas besoin de retrouver les titres médiocres (ou mal agencés) qu’ils peuvent avoir chez eux. Sinon, pourquoi faire plusieurs milliers de kilomètres pour retrouver la même bouillie qu’à la maison ?
Il est donc essentiel que le DJ et l’organisateur fassent fonctionner un bon patrimoine. Cela n’exclut pas les orchestres contemporains, même si la majorité d’entre eux sont des clones des orchestres de l’âge d’or. Un bon orchestre en vivo fait venir du monde, de même qu’un bon DJ remplit les milongas portègnes.
Les milongas qui sont remplies au forceps (accords avec des voyagistes, par exemple), sont à moyen terme condamnées. Les danseurs ne trouvent pas de table libre et la piste est encombrée par des touristes, sac à main en bandoulière, qui gesticulent comme des déments. Les bons danseurs ne viennent plus ou alors ne s’intéressent qu’aux belles étrangères qui peuvent leur apporter un espoir d’émigration. Du coup, les danseuses portègnes ne viennent plus et seule la perfusion des entrées des touristes permet de faire fonctionner ce mécanisme à vide.
Le raisonnement pourrait être le même pour les milongas hors de Buenos Aires, mais peut-être avec la raison supplémentaire que pour certains organisateurs, le but unique est de gagner de l’argent. Cela n’est pas un mal en soi, c’est un métier comme un autre. En revanche, cela devient néfaste quand la volonté de lucre en vient à diminuer la qualité de l’événement en offrant des prestations médiocres, voire franchement nulles.
Parfois, c’est une question de choix. On dépense beaucoup pour un orchestre de 10 musiciens et on met des DJ locaux avec des playlists médiocres pour occuper la majorité des créneaux de danse. Si l’orchestre est exceptionnel, cela peut passer, mais souvent, les économies se font aussi sur l’orchestre et là, c’est au DJ de sauver l’événement. S’il ne peut pas le faire, cela fait d’autres danseurs qui vont s’éloigner de cet événement, puis, à force de retrouver le problème, même en se déplaçant parfois très loin, c’est le tango qu’ils abandonnent.
Pour éviter cela, il reste (ou restait ?), Buenos Aires. Il est donc important que la communauté portègne prenne en charge son héritage et le valorise et arrête de sombrer dans des concessions au tourisme pour redevenir un générateur, un régénérateur du tango à l’échelle mondiale.
Il y a ici d’immenses professionnels et c’est désolant de voir comme ils peuvent être noyés dans une médiocrité croissante qui tend à devenir la norme.
Le tango se mérite. Il demande beaucoup d’efforts pour le comprendre, l’aimer, le servir, l’adorer. Je crois qu’il faudrait donc veiller à soutenir la flamme de ceux qui veulent découvrir cet univers. Malheureusement, on leur propose surtout des douches froides, des événements tristes, compassés, aseptisés, ennuyeux et par-dessus tout prétentieux, comme ces grands festivals financés par une collectivité complaisante et qui peuvent survivre par ce moyen, même sans jamais avoir en priorité le plaisir des danseurs.
Heureusement, il y a des événements qui redonnent du bonheur et de l’envie et, bien sûr, plusieurs milongas portègnes, même si les proportions baissent.
Alors, tous ensemble, dans ce monde désespérant sur bien trop de plans, essayons de nous forger un petit paradis de tango.
Que les danseurs apprennent à écouter la musique pour ne plus se contenter de bruits médiocres, proposés dans n’importe quel ordre ou toujours dans la même organisation, celle de la playlist récupérée.
Que les DJ apprennent à étudier la piste de danse, à marquer de l’empathie pour les danseurs et qu’ils enrichissent leurs connaissances pour sauvegarder l’héritage, mais en le gardant vivant.
Il serait bien aussi que tous les professeurs enseignent le tango comme une danse sociale, appuyée sur une musique dédiée et dans le respect de l’harmonie du bal.
Enfin, le sommet serait que les organisateurs veillent au confort des danseurs avec, notamment de bons intervenants, une sonorisation de qualité, un plancher satisfaisant et un accueil chaleureux, voire amical, pour que chaque danseur se sente comme membre de la grande famille du tango.
Comme annoncé dans l’article sur la musique trichée, voici quelques éléments d’explication pour aider ceux qui ne sont pas au fait de la musique sous forme numérique. Nous aborderons la chaîne musicale analogique et comment on la convertit en musique numérique. Des éléments sur les formats de compression et les capacités réelles des formats numériques seront également donnés. C’est un peu technique, mais il y a quelques idées reçues qu’il me semblait utile de revoir.
La musique est un phénomène analogique
La musique est une forme particulière de sons qui se distingue du bruit par une certaine forme d’organisation. J’en parle dans mes cours de musicalité et je ne souhaite pas radoter. Ces sons sont donc des vibrations, plus ou moins harmonieuses, qui parviennent à nos oreilles, voire au corps, en entier, notamment pour les basses fréquences.
Fréquence d’un son
On représente l’onde sonore par une courbe sinusoïde pour un son régulier (une fréquence pure). Si la courbe s’alterne 2000 fois par seconde, on parle de fréquence de 2000 Hz.
Le Hertz est l’unité de mesure de la fréquence.
À gauche, les infrasons et à droite, les ultrasons sont les fréquences que ne capte pas l’oreille humaine.
Une bonne oreille humaine est réputée pouvoir entendre des fréquences comprises entre 20 Hz (20 vibrations par seconde) et 20 kHz (20 000 vibrations par seconde). Pour les fréquences plus graves, les infrasons, le corps peut les ressentir (tremblements de terre, par exemple). Pour les plus aigus, les ultrasons, pas de chance, c’est le domaine des chauves-souris et des chiens. On notera qu’au fur et à mesure que les cils de la cochlée disparaissent, la sensibilité de l’oreille baisse, notamment pour les plus hautes fréquences.
Volume d’un son
L’autre élément important pour décrire un son, c’est son volume. C’est-à-dire l’amplitude des ondes qui parviennent à nos sens.
L’onde sonore parvient à l’oreille comme une succession de vibrations. Plus elles sont amples et plus le son est fort.
Si les amplitudes sont trop faibles, l’oreille n’est pas capable de les détecter. Si elles sont trop fortes, des dommages irréversibles aux oreilles peuvent advenir. Le décibel (dB) est l’unité de mesure du volume sonore. On parle de pression acoustique. Pour évoquer le niveau sonore pour la diffusion de la musique, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte et notamment la durée du son fort. J’y consacrerai un autre article… Pour l’instant, il importe de se souvenir qu’un son supérieur à 120 dB (seuil de la douleur) provoque des dommages irréversibles et qu’au-dessus de 85 dB, il convient de limiter le temps d’exposition. Un dernier point, la pression sonore double tous les 3 dB. Ainsi, un son de 85 dB est deux fois plus fort qu’un son de 82 dB.
Principe d’une chaîne musicale analogique
Je ne partirai pas de l’enregistrement que nous avons déjà évoqué, seulement de la reproduction. Les supports principaux de l’enregistrement analogique pour la musique sont le disque et la bande magnétique. Pour le disque, ce sont les ondulations du sillon qui sont transformées en onde sonore.
Pointe de lecture (en saphir ou diamant industriel) dans un sillon de microsillon. À droite, l’image représente environ 0,3 mm de large. Les aspérités du bord du disque sont les bords du chemin. Les différences de profondeur servent à coder un second canal (stéréo).
Contrairement à une croyance très répandue, la stéréo n’est pas obtenue par une différence entre le côté droit et le côté gauche du sillon, mais par une différence de profondeur de celui-ci. En effet, les deux bords du sillon sont parallèles et une pointe de lecture unique ne pourrait pas suivre les deux côtés en même temps si ce n’était pas le cas. Donc, les mouvements horizontaux du sillon sont absolument identiques sur un disque mono et un disque stéréo. Ce qui est différent sur un disque stéréo, c’est que le sillon est plus ou moins creusé. Ce creusement n’est pas le codage d’un canal, mais la différence d’un canal par rapport à l’autre. La gravure verticale est égale au signal de Gauche moins celui de Droite. Si les canaux sont identiques (mono ou tout simplement, car il n’y a pas de différence entre les deux canaux), la profondeur du sillon est constante. Si on a un son qui passe d’un côté à l’autre (effet ping-pong), on aura des changements de profondeur du sillon. On notera que, contrairement à l’enregistrement numérique ou à l’enregistrement magnétique (sur un excellent magnétophone), le taux de diaphonie n’est pas extraordinaire. Il est impossible de mettre 100 % d’un côté ou de l’autre, ce qui réduit l’effet stéréo, mais ce n’est pas gênant, car, dans un concert, on entend toujours la musique provenant de l’autre côté.
Dans les premiers systèmes, un grand pavillon tentait de diffuser le bruit de l’aiguille dans les sillons du disque. Les systèmes électriques, en amplifiant ce signal, ont permis de sonoriser plus confortablement n’importe quel espace. La pointe de lecture, une aiguille pour les disques 78 tours, puis un diamant pour les microsillons subit les ondulations du sillon et les transmet à un dispositif électromagnétique qui détecte les vibrations pour moduler un courant électrique.
Un schéma simplifié du principe de fonctionnement d’une cellule platine disque vinyle (stéréo). La pointe de lecture (diamant) fait se déplacer le cantilever relié à un pivot. Ce pivot porte deux aimants dont les déplacements sont détectés par 4 entrefers reliés chacun à une bobine. Le courant circulant dans les bobines est modulé en fonction des mouvements des aimants. Ce signal électrique est transmis par 4 fils au système de décodage et préamplification afin de restituer le signal sonore stéréo.
Ce qui est important à tenir en compte, c’est que le signal dans les systèmes analogiques est toujours sous forme de variation d’onde. C’est un phénomène continu. La pointe de lecture de la platine tourne-disques se déplace par vibrations. Ces vibrations sont transmises sous forme de variation de potentiel électrique par la cellule. Ces variations sont amplifiées par l’amplificateur analogique, qui envoie un signal électrique plus fort aux enceintes dont les bobines des haut-parleurs vont se déplacer en fonction de ce qu’elles reçoivent. Par exemple, quand l’onde est à son maximum, la bobine va pousser la membrane du haut-parleur vers l’avant et quand l’onde est à son maximum, la bobine va vers l’arrière. Le mouvement de la membrane du haut-parleur, solidaire de la bobine, va pousser l’air pour le mettre en mouvement, ce qui va produire dans notre oreille une sensation de son.
Schéma d’un haut-parleur (découpé). Lorsque la bobine se déplace, elle entraîne avec elle la membrane (cône et dôme anti-poussière). Le mouvement est transmis à l’air ambiant et le son peut se propager jusqu’aux oreilles des auditeurs.
Une petite mise en garde. Si on utilise deux haut-parleurs, il faut veiller à les brancher dans le même sens pour éviter qu’un aille vers l’avant pendant que l’autre va vers l’arrière. Les ondes produites par les haut-parleurs tendraient à s’annuler, le maximum de l’un correspondant au minimum de l’autre. Voir un court topo sur la question. On utilise d’ailleurs ce phénomène pour les casques à réduction dynamique de bruit, mais c’est une autre histoire…
Le cas du magnétique
En plus des procédés purement mécaniques ou électromécaniques, des procédés de stockage magnétiques ont été inventés. Dans les bandes magnétiques analogiques, la magnétisation de la bande est plus ou moins forte. Ces variations, comme celle de la pointe de lecture, peuvent être amplifiées et envoyées dans le système de diffusion sonore. Nous verrons, toutefois, que la bande magnétique a survécu à l’ère analogique pour rejoindre l’ère numérique que nous allons évoquer maintenant.
L’arrivée du numérique
Le signal analogique est très simple à gérer. Il suffit de respecter les caractéristiques du signal électrique, le plus fidèlement possible, de la pointe de lecture de la platine, jusqu’à la bobine du haut-parleur. Le numérique exploite un autre principe. On mesure les caractéristiques d’un son à un moment donné. On mesure notamment son amplitude et ses fréquences (j’écris « ses » fréquences, car les sons musicaux sont des mélanges variés de fréquences et pas une onde sinusoïdale pure).
La courbe de fréquence est ici le résultat de la superposition de toutes les fréquences de la musique.
Cette mesure s’effectue à un moment donné. Les informations peuvent être retranscrites sous forme numérique, puisqu’on les a mesurées. On recommence une fraction de seconde plus tard et ainsi de suite pour toute la durée de la musique. Cette opération qui consiste à diviser la musique en tranches s’appelle la quantification.
En gris, la courbe de la musique. La ligne brisée en escaliers représente le signal numérique.
Pour bien comprendre, regardez l’espace entre les deux lignes rouges verticales. C’est un instant de la musique. La ligne verte horizontale dans la colonne rose indique la fréquence identifiée par la numérisation. On se rend compte, toutefois, que la courbe analogique (en gris) est ascendante durant le temps de cette quantification. Il y aura donc une moyenne et pas une valeur exacte. Lors de la restitution, on effectue l’opération inverse. On reproduit la fréquence enregistrée et on extrapole l’évolution jusqu’à la valeur suivante (ici, le palier vert à droite de la zone rose).
L’aspect d’une “courbe” numérisée à différents niveaux d’échelle. On se rend compte que, dans la capture d’écran du bas, on voit les « points », les valeurs mesurées.
On pourrait penser que ces escaliers dénatureront la musique. Cela peut être le cas, mais pour éviter cela, on multiplie les mesures. Pour les CD, c’est 44 100 fois par seconde. Pour les DVD 48 000 fois par seconde. C’est la fréquence d’échantillonnage. Ces échantillons rapprochés permettent de reproduire des sons jusqu’à une fréquence sensiblement égale à la moitié de cette fréquence d’échantillonnage, soit 22 kHz et 24 kHz, des valeurs supérieures aux capacités des oreilles humaines.
Le stockage de l’information de volume
La quantification, ce qui n’apparaît pas dans mon graphique précédent, mesure aussi le volume de la musique. C’est essentiel, car les nuances sont un élément majeur de la musique, enfin, de la plupart des musiques…
Le volume de l’information à stocker
On a donc dans chaque case, pour chaque mesure, de nombreuses informations. Pour les stocker, il fallait de nouveaux types de supports. Le CD est le support qui a permis la généralisation de la musique numérique. Les studios d’enregistrement numériques utilisaient eux des magnétophones multipistes à bande, mais c’est un autre domaine. Ce support reçoit de la musique échantillonnée à 44,1 kHz et sur 16 bits. C’est-à-dire que chaque mesure peut être codée avec 65,536 valeurs différentes. Cela permet de stocker des fréquences de 20 à 20 kHz et des écarts de dynamique de 90 dB. Ces valeurs sont suffisantes pour atteindre les performances des meilleures oreilles humaines, tout en offrant un rapport signal/bruit incroyable pour l’époque (même si dans le domaine de l’enregistrement numérique, le Dolby faisait des miracles en étant dans la même gamme de rapport signal/bruit…). Il y avait tout de même un point noir pour les utilisateurs lambdas. Il n’y avait pas de système d’enregistrement grand public permettant de manipuler facilement ces énormes quantités d’informations. Des enregistreurs de CD sont bien apparus, mais ils étaient lents et moyennement fiables. Les enregistreurs DAT étaient vraiment chers. Ils utilisaient des bandes magnétiques, ce qui permettait de faciliter les opérations d’enregistrements, mais en lecture et avec un accès séquentiel (il faut faire défiler la bande jusqu’au point qui nous intéresse, comme avec les cassettes Philips). Peu de temps après, le MiniDisc résolvait ces deux problèmes. Il avait la facilité d’usage pour l’enregistrement d’un magnétophone à cassettes, mais son accès aléatoire permettait un accès instantané et indexé à la musique présente sur le MiniDisc. Dans mon cas, cela a été mon support favori pour numériser les disques Shellac. Augusto, un DJ parisien originaire de Bariloche, l’utilisait également en milonga.
L’informatique musicale
Aujourd’hui, la quasi-totalité des DJ utilisent un ordinateur. J’ai, je pense, été un des premiers à le faire, tout d’abord avec un ordinateur tour qu’il fallait triballer avec son écran, écran qui, même en 15 pouces, était lourd et encombrant. Je rêvais donc d’un ordinateur portable, mais dans les années 90, c’était coûteux et les disques durs étaient très petits. Un disque dur de 40 Mo permettait de stocker un seul tango au format WAV… J’avais un disque dur SCSI de 160 Mo (un monstre pour l’époque), mais cela était bien sûr trop limité. C’est alors que je suis passé au MP3 à 128 ou 192 kbit/s, ce qui permettait de stocker 10 fois plus de musique. J’ai alors investi dans un lecteur Syquest et une flopée de disques de 88 Mo et dans mon premier ordinateur portable. Un truc avec un écran monochrome, mais offert avec une souris « Colani » et une calculatrice du même designer…
Mon premier ordinateur portable et un lecteur Syquest avec des cartouches de 88 Mo. L’ordinateur avait un processeur 486DX2 à 66 MHz, 8 Mo de RAM et 540 Mo de disque dur. Je ne sais pas où est passé cet ordinateur, mais il me reste encore des Syquests avec des cartouches de 88 Mo et de 200 Mo. En recherchant une photo de l’ordinateur sur Internet, j’ai même retrouvé ses caractéristiques.
Le système devenait viable et, vers 2000, j’ai inauguré ce portable et les Syquests avec Winamp, un logiciel qui permettait également de changer la vitesse de la musique. Royal, non ? Un disque de 1 Go en interne quelques années plus tard m’a permis d’avoir plus de musique avec moi. Aujourd’hui, je suis passé à 4 To… Tout cela pour dire que le MP3, qui est un retrait par rapport aux capacités du CD a été salvateur pour utiliser l’informatique en milonga. Le MP3 devait également se développer à cause des faibles performances d’Internet de l’époque, même si j’avais Numéris, un système qui permettait d’atteindre 64, voire 128 kbit/s en agrégeant deux canaux, mais en doublant aussi le prix de la communication… Aujourd’hui, avec l’ADSL ou la fibre, on a oublié ce temps où il fallait des heures pour les transferts et qu’ils étaient facturés à la minute…
Comment le MP3 a permis de réduire la taille des fichiers
Un tango au format WAV, qualité CD, occupe environ 30 Mo. Un fichier MP3 à 128 kbit/s occupe environ 3 Mo, soit 10 fois moins que le fichier sans compression.
Ce tableau présente la quantité d’information à stocker en fonction de ses caractéristiques (Fréquence d’échantillonnage et résolution). Encadré en rouge, le CD (piste mono). Il faut multiplier par deux pour un fichier stéréo (1411 kbit/s).
Un fichier MP3 stéréo en qualité « CD », 44,1 kHz et 16 bits devrait faire également 30 Mo s’il n’avait pas de compression. Un fichier audio stéréo au format CD demande un débit de 1411 kbit/s. Le meilleur MP3 est limité à 320 kbit/s. Il faut donc comprimer environ 4 fois le fichier pour le faire entrer dans son format. Cela se fait en supprimant des données estimées inutiles ou pas utiles. Sur une musique relativement simple, c’est réalisable, mais plus complexe pour de la musique plus riche. Si on choisit un débit plus faible, par exemple 128 kbit/s, et que l’on a conservé les valeurs initiales de 44,1 kHz et 16 bits, il faut donc augmenter très sensiblement la compression et là, les pertes commencent à s’entendre, comme vous avez pu l’écouter dans mon article « Détecter la musique trichée ». https://dj-byc.com/detecter-la-musique-trichee/
Taille relative des boîtes à musique
Les “boîtes” bleues montre les capacités d’enregistrement, sans compression. À gauche, trois formats. le 78 tours, le 33 tours et le MP3 à 320 kbit/s.
En haut à droite, le format CD (44,1 kHz/16 bits). En dessous, le format DVD et les formats Haute résolution. Ces deux derniers formats permettent d’enregistrer des gammes de fréquences bien au-delà du nécessaire et des différences de niveaux sonores supérieures à ceux qui pourraient se rencontrer sur terre. Ce sont donc des formats destinés à l’enregistrement professionnel. Par exemple, si le volume d’enregistrement a été trop faible, on pourra l’augmenter sans rajouter de bruit de fond, ce qui serait impossible avec un format CD ou DVD. On restera donc probablement à des valeurs raisonnables pour ce qui est de la diffusion de la musique en conservant les valeurs du CD ou du DVD. Pour vous enlever toute hésitation, je vous présente ce qu’occupent les formats traditionnels (LP 33 tours et shellac 78 tours) en comparaison de la boîte du CD.
Les trois contenants au format 44,1 kHz et 16 bits) et comment s’y logent trois formats. Le 78 tours, le 33 tours et le MP3 à sa plus haute qualité.
Je commencerai par le cas du MP3. La partie centrale est la taille du fichier. La partie qui l’entoure, en rose, c’est l’espace que va retrouver la musique après la décompression. En théorie, on retrouve dans la musique décompressée, la même gamme de fréquences et la même dynamique que le CD. La différence que l’on peut éventuellement noter dans de bonnes conditions vient des artefacts de compression qui ont restitué des détails un peu différents de ceux d’origine. Dans les deux boîtes supérieures, j’ai placé le 78 tours et le 33 tours. On voit qu’il y a beaucoup de marge de manœuvre. Les capacités du CD sont nettement supérieures à celles de ces deux supports. Certains pourraient affirmer que le rendu analogique est plus doux, meilleur ou je ne sais quoi, mais il s’agit plus d’un fantasme, notamment pour la musique historique du tango, qui n’a pas bénéficié des tout derniers progrès du disque noir. Le test est facile à faire. Placez un « mélomane » en écoute aveugle et demandez-lui s’il écoute la version CD ou la version shellac. Bien sûr, vous lui aurez offert le meilleur casque, ou une chaîne hi-fi haut de gamme pour être beau joueur. S’il trouve à chaque fois sans se tromper, renouvelez le test dans une milonga avec une bonne sono. Si ce phénomène continue de toujours différencier le disque noir de sa copie numérique en qualité CD, c’est assurément que votre transfert est de très mauvaise qualité. Dans ce cas j’ai un article pour vous aider, et éventuellement un autre sur le nettoyage des disques…
Vous aurez sans doute reconnu dans la photo de couverture, une évocation du merveilleux film de Fritz Lang, Metropolis. Mais peut-être ne savez-vous pas que, si on peut voir aujourd’hui ce film en entier, c’est grâce à l’Argentine qui avait conservé une version complète (au format 16 mm) contenant les 25 minutes que l’on croyait perdues. Aujourd’hui, on peut voir ce chef-d’œuvre absolu du cinéma en entier.
Nous avons déjà parlé des techniques d’enregistrement depuis les origines, mais aujourd’hui, je souhaite répondre à un ami DJ, Fred, qui m’a demandé comment reconnaître de la musique trichée. C’est-à-dire de la musique qui est vendue comme étant de haute qualité, mais qui est de la musique ordinaire dont on a changé l’étiquette.
Les pièces du procès
Fred m’a soumis trois fichiers qu’il a acquis auprès d’un éditeur que je ne citerai pas, mais qui prétend fournir de la qualité 16 bits/44,1 kHz. Il est déçu de ses acquisitions qui ne lui semblent pas correspondre à ce que devraient être ces fichiers.
Première remarque, les noms de fichiers ne sont pas standardisés. Si on ouvre ces fichiers dans iTunes, on remarque que les métadonnées ne sont pas toutes remplies.
On peut voir que les données ne sont pas au top. Musiques du Monde au mieux de tango, une seule date d’enregistrement correcte. On remarquera toutefois que le débit indiqué est de 514 ou 1411 kbit/s, ce qui correspond à des formats haute définition.
Échantillon pas gratuit
Le principe de la musique numérique est de découper le signal sonore analogique en tranches temporelles. À un moment donné, on va quantifier le signal et enregistrer cela sous forme numérique. Puis, un peu plus tard, on va faire de même et ainsi de suite. On considère pour que ce soit de bonne qualité, il faut le faire au moins 40 000 fois par seconde… Plus ont le fait souvent et plus on aura de précision en captant les plus petits détails de changement de la musique. On considère que l’oreille humaine pouvant entendre des sons de 20 kHz (pas tout le monde…), il faut une fréquence d’échantillonnage du double pour restituer des aigus extrêmes qui, même si on ne les entend pas, influencent, ou influencerait, sur le timbre des instruments. Voyons ce qu’en dit l’éditeur douteux, repéré par Fred.
Le site de vente de musique épinglé par Fred se vante de fournir de la musique de bonne qualité, comme en témoigne ce dessin sur leur page. Le format MP3 présente des escaliers, car le taux d’échantillonnage y serait faible.
Ce dessin fait partie de la tromperie de cet éditeur. En effet, il est en partie faux. En effet, il présente le MP3 à 320 kbit/s comme ayant des marches d’escalier supérieures à celles du format CD. C’est un mensonge. En effet, le MP3 permet un échantillonnage à 44 kHz et donc, l’effet d’escalier sera exactement le même. D’ailleurs, ils n’indiquent pas la fréquence d’échantillonnage en face du MP3, seulement en face du format CD ou Hi-Res Audio. Bien sûr, on peut échantillonner du MP3 à des valeurs inférieures. Par exemple, à 22 kHz, les fichiers seront deux fois plus petits et la fréquence maximale reproductible sera 11 kHz. On peut donc partir du principe que les MP3 à 320 kbit/s sont échantillonnés à 44 kHz et que la différence de qualité vient d’ailleurs. Il vient du fait que la compression, qui permet de réduire fortement la taille des fichiers, est destructive. Le programme de compression décide que certains éléments sont peu importants et les supprime. C’est exactement comme pour les photos en JPG. Si elles sont trop compressées, on obtient des artefacts à la décompression.
Les effets de la compression excessive sur une image sont de même ordre que ceux sur un fichier de musique. La musique devient floue, pâteuse, sans détail, sans subtilité.
Compression, décompression, ne vous mettez pas la pression
Les trois fichiers en question sont sous deux formats différents, comme en témoignent les extensions de fichier. Mais cela ne suffit pas pour être sûr de ce que l’on a et pour deux raisons :
Le fichier peut avoir été enregistré à ce format, mais à partir d’un format de moindre qualité. Cela n’augmente pas la qualité de la musique. C’est donc une « arnaque ». Cependant, si vous souhaitez retoucher votre musique, vous devrez adopter un format sans perte pour éviter qu’à chaque enregistrement la qualité du fichier baisse à cause d’une nouvelle compression.
Certains formats sont en fait des conteneurs qui peuvent recueillir différents types de fichiers. Par exemple, le format m4a de No te aguanto más est un conteneur qui peut contenir de la musique à un format compressé (type mp3) ou haute qualité (type ALAC). L’extension m4a seule ne suffit donc pas à assurer que l’on a un fichier de haute qualité, sans perte (Losless). Dans iTunes, on remarque un débit de 514 kbit/s et dans la colonne « Type », la mention Fichiers audio Apple Lossless (ALAC), ce qui correspond bien à un format de haute qualité.
La compression consiste à supprimer des informations jugées peu utiles afin de réduire la taille du fichier. Cette disposition a fait le succès du format MP3 qui permettait de ne pas saturer trop vite les petits disques durs d’il y a quelques décennies et qui pouvait s’adapter aux débits disponibles sur Internet. Avec l’augmentation du débit Internet et l’augmentation de taille des disques, le format MP3 ne se justifie plus vraiment, car il abime trop sensiblement la musique. On attend ENCODE qui serait un format avec compression de meilleure qualité grâce à l’intelligence artificielle, mais, pour l’instant, il faut regarder du côté des formats sans compression destructrice (WAV, AIFF, ALAC, FLAC…).
Il n’y a pas de petits profits
Les éditeurs l’ont bien compris et pouvoir ressortir leurs vieux fichiers au format MP3 en les « gonflant » est une astuce qui permet de vendre plus cher la même chose, sans que la qualité finale soit meilleure. Si on veut être juste, passer un disque vinyle en CD ne faisait pas non plus augmenter la qualité de la musique, n’en déplaise aux nostalgiques, un enregistrement numérique (DDD) est potentiellement meilleur qu’un (ADD) ou un (AAD). Le D pour Digital (numérique) et le A pour Analogique).
DDD = Enregistrement numérique, mixage et mastérisation numérique et diffusion numérique
Les disques de tango de l’âge d’or sont tous en enregistrement analogique (A). Les supports numériques d’aujourd’hui peuvent donc être AAD ou ADD. On pourrait penser que ADD est meilleur, mais c’est aussi le domaine de tous les abus qui nuisent à l’authenticité de la musique. Pour ma part, je préfère un bon AAD quand je ne peux pas partir d’un disque noir original. Il y a cependant des ADD qui bénéficient d’un excellent travail de restauration. Ce serait dommage de s’en priver. Les éditeurs de tango font plutôt du AAD, ce qui donne souvent des musiques avec beaucoup de bruit disque. Ce bruit est maîtrisable, mais encore faut-il bien le faire et d’autres éditeurs sont vraiment minables dans ce travail. La plupart du temps, quand vous voyez “Remasterizado” ou “Remastered”, le mieux est de fuir.
La démonstration par l’image…
Fred a détecté le problème en écoutant la musique. C’est une excellente démarche. Mais, il peut être intéressant de voir le problème. Je vous propose ici d’étudier le problème à partir de 6 fichiers représentatifs de certaines dérives. Les trois de Fred, plus trois autres que je rajoute à titre d’exemples complémentaires.
Divagando – Osvaldo Fresedo – Format AIFF – « Éditeur de Fred »
Tout d’abord, le fichier livré est bien, comme annoncé, dans un format CD (16 bits/44,1 kHz).
Divagando de Fresedo au format AIF. C’est normalement un fichier de haute qualité, mais il y a un gros problème.
On remarque quelque chose d’étrange dans le spectrogramme de ce fichier. Il y a une baisse de volume à partir de 4000 Hz. Pour comprendre, regardez l’échelle de gauche. Elle indique les fréquences. On considère qu’une bonne oreille humaine (celle d’un jeune) est capable d’entendre de 20 Hz à 20 000 Hz. On voit qu’à partir de 4000 Hz, la couleur passe de l’orange au bleu. La couleur s’analyse en regardant l’échelle de droite. Le jaune indique un fort niveau et le bleu, un niveau plus faible. Ce résultat est très étonnant et j’ai vérifié dans un autre logiciel.
Tous les modules du logiciel confirment le problème. À gauche, on voit que la partie orange est arasée à 4000 Hz. Dans l’égaliseur paramétrique, la chute à 4000 Hz est également évidente, tout comme dans l’analyseur de fréquence.
La raison de cette chute est assez simple. Un filtre de coupure a été placé avec une bascule à 4000 Hz et une pente très forte. Toutes les fréquences supérieures à la fréquence de coupure ont été supprimées. C’est une façon efficace de supprimer le bruit de surface d’un disque, mais c’est une destruction de la musique. Avec l’égaliseur paramétrique, on peut récupérer un peu des aigus détruits, mais il vaut mieux ne pas perdre son temps avec une musique de si mauvaise qualité.L’analyse du fichier révèle que son débit est de 1411 kbit/s et est réellement à 1411 kbit/s en natif. Donc, l’éditeur n’a pas triché dans le cas présent, la destruction des aigus par l’application d’un filtre passe-bas à forte pente (-40 dB à 4000 Hz) rend la musique peu utilisable. Ce traitement exagéré était probablement destiné à supprimer le bruit du disque. Je vous propose d’écouter le début du fichier.
Impossible de le laisser en entier en bonne qualité à cause des restrictions du serveur. C’est du MP3 à 320 kbit/s, mais même dans ce format dégradé, les défauts de la musique sont évidents.
06 — Orquesta Tipica Osvaldo Fresedo – Divagando (EXTRAIT)06 — Orquesta Tipica Osvaldo Fresedo – Divagando (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Conclusion pour ce fichier. Même s’il n’y a pas de triche sur le format, les traitements appliqués rendent le fichier aussi mauvais que du MP3… C’est dommage d’acheter ce fichier sans obtenir l’augmentation de qualité espérée.
No te aguanto más – Carlos Di Sarli – Format M4a – « Éditeur de Fred »
Le fichier est bien dans un format CD (16 bits/44,1 kHz), mais on est bien devant une énorme arnaque.
On se rend compte qu’il n’y a absolument rien au-dessus de 11 kHz. Il manque quasiment la moitié des fréquences de la musique possibles.
L’analyse révèle qu’en fait, le fichier source est à 96 kbit/s, le débit des plus mauvais MP3… Le fichier fait donc apparaître un spectrogramme conforme, ce format ne permettant pas d’afficher les hautes fréquences. On remarque ici la coupure très nette à 11 kHz qui contrairement à l’exemple précédent n’est pas causée par un filtre passe-bas agressif, mais par le fait que le support original ne permettait pas de conserver les hautes fréquences. Le fichier est vendu comme ayant un débit de 4116 kbit/s. Le fichier vendu est donc le fruit d’un gonflement de 42 fois du document original… C’est donc une tromperie.
No te aguanto más – Carlos Di Sarli (EXTRAIT)No te aguanto más – Carlos Di Sarli (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Le résultat est logiquement sourd et étouffé, comme l’a remarqué notre ami, Fred.
Recuerdo – Ricardo Tanturi – Format AIF – « Éditeur de Fred »
Une fois de plus, il n’y a pas de tromperie sur le contenant. C’est bien au format CD. C’est en fait l’astuce de ces vendeurs. On prend une boite de grande taille, normalement destinée à contenir un gros objet (une musique en haute résolution dans notre cas). Dans cette boîte, il peut y avoir un gros objet, mais aussi un objet plus petit (le fichier artificiellement gonflé). Mais, ce que le DJ achète, ce n’est pas la boite, mais l’objet, la musique. Il me semble donc important de lui éviter de tomber dans la tromperie qu’on ne peut sans doute pas traiter de fraude, car les vendeurs ne parlent que de format de fichier et que, donc, il n’y a pas tromperie. La boîte est bien une grosse boite…
La boîte fait bien 1411 kbit/s, mais le fichier qui est dedans est du 320 kbit/s. Il y a donc une triche x4, mais il y a une seconde arnaque.
Si le fait de gonfler par quatre la musique est une triche, l’original étant en 320 kbit/s, la musique résultante pourrait être correcte. Cependant, on se retrouve dans le même cas que les précédents fichiers. Les fréquences utiles sont limitées à environ 7500 Hz, ce qui donne en théorie un son sourd, manquant de brillance. Cependant, ici, un autre traitement est venu s’ajouter. Il s’agit de la réverbération. Cela permet de donner une impression de spatialité, voire de brillance. Ce procédé est a été très utilisé lors du passage au microsillon stéréo. Le transfert des anciens disques mono était soumis à ce traitement pour donner l’impression d’un effet pseudostéréophonique.
Recuerdo – Ricardo Tanturi (EXTRAIT)Recuerdo – Ricardo Tanturi (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Le résultat est désagréable et le présent exemple en témoigne. Pour moi, ce fichier est inutilisable en milonga. On notera, toutefois, qu’une réverbération bien appliquée donne une profondeur agréable à la musique qui, sinon, pourrait paraitre trop sèche. C’est d’ailleurs une stratégie qu’emploient la quasi-totalité des enregistrements modernes.
Le bilan des acquisitions de Fred
Comme Fred l’a détecté, ces musiques sont frelatées. Elles ne sont pas d’une qualité justifiant un prix supérieur à celui des éditions d’entrée de gamme, ou de la musique de YouTube ou Spotify. Si toutes les musiques de cette plateforme sont de ce niveau, l’abonnement n’est pas justifié pour les enregistrements historiques du tango. Pour la musique contemporaine, il se peut que la valeur ajoutée soit intéressante, car les sources sont effectivement de bonne qualité. Les enregistrements actuels sont faits au moins en 24 bits (ou mieux 32 bits en virgule flottante) et 96, voire 192 kHz, ce qui permet d’avoir un rapport signal/bruit de 140 dB (en 24 bits et 1528 dB en 32 bits v.f.). Et de pouvoir restituer des fréquences jusqu’à 90 kHz (presque 5 fois plus aigus que ce que l’humain peut entendre). Ces enregistrements peuvent intéresser votre chien qui entend les ultrasons… Cette énorme marge de rapport signal/bruit et de fréquences permet en fait de travailler plus confortablement en studio par la suite, pour le mixage et la mastérisation. En revanche, cela n’a pas grand intérêt pour l’auditeur. Diffuser des fréquences inaudibles pourra tout au plus détruire les tweeters des enceintes si elles ne disposent pas de bons filtres de coupure. Avoir une plage dynamique de 140 dB signifie que l’on pourrait reproduire le silence absolu et atteindre le seuil de la douleur, de quoi donner des sensations, mais pas de confort d’écoute, car, par moment, on n’entendrait rien et à d’autres on devrait se boucher les oreilles. Le plus fort écart de pression sonore existant sur terre est de 210 dB, les 1528 dB 32 bits à virgule flottante permettent à un ingénieur du son d’enregistrer sans se soucier du réglage du volume (tolérance de plus de 700 dB en plus ou en moins…). Pour les enregistrements historiques de tango qui ont une faible dynamique à cause du bruit de surface du disque et les limites imposées par l’inertie de l’aiguille, un codage en 16 bits est très largement suffisant. D’ailleurs, la plupart des musiques éditées actuellement n’utilisent qu’une toute petite partie de la gamme dynamique autorisée par la technique. En effet, elles sont compressées (ATTENTION, CE N’EST PAS LA COMPRESSION DU FICHIER), c’est-à-dire que la dynamique est écrasée. On relève le niveau des passages pianos et on diminue les fortissimos. Ainsi, on gagne en confort d’écoute en n’étant pas obligé de tout le temps manipuler le bouton de volume. Pour la musique actuelle, tonique, on compresse tellement la musique qu’elle est en fait quasiment d’un bout à l’autre du titre au même volume sonore. C’est l’autre extrême…
Trois autres exemples avec d’autres éditeurs
J’ai décidé de compléter ce petit panorama avec trois autres titres, diffusés par deux éditeurs spécialisés dans le tango. Je ne donnerai pas non plus leur nom, même s’ils font plutôt de l’excellent travail, on verra qu’il y a quelques points à discuter…
Quiero verte una vez más 1950-03-07 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format AIF – Éditeur spécialisé tango A
Ce fichier tient ses promesses. C’est un format numérique sans perte (AIF) et son débit est bien celui de la source, à savoir 705 kbit/s, ce qui correspond à un débit satisfaisant pour une source mono. Voyons son spectrogramme. On notera que le fichier est échantillonné à 64 kHz et 32 bits (virgule flottante), ce qui est une boîte nettement supérieure à ce qui est nécessaire.
Ce fichier tient ses promesses. C’est un fichier qui correspond à ce qui est annoncé. On le voit tout de suite avec des fréquences qui montent jusqu’à 17 kHz de façon exploitable et une limite égale à la limite théorique de 22 kHz.
On voit que les fréquences élevées continuent d’exister au-delà des 7500 des fichiers précédents. Toute l’amplitude de la musique est respectée, cette version a donc sa place dans une milonga de qualité. Pour en juger, voici un exemple peu compressé, mais de courte durée et une version intégrale dans une qualité réduite pour pouvoir être diffusée sur mon site.
Quiero verte una vez más 1950-03-07 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)Quiero verte una vez más 1950-03-07 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Ce titre acheté chez cet éditeur vaut donc la peine, dans la mesure où on a un fichier de bonne qualité. Le transfert depuis le disque original a été fait avec un disque en bon état avec relativement peu de bruit de surface. Cet éditeur que j’ai appelé A est réputé sur le marché et c’est justifié.
La noche que me esperes 1952-01-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format m4a (ALAC) – Éditeur spécialisé tango B
Ce que l’on remarque chez cet éditeur est que les fréquences hautes montent à plus de 30 kHz. Cela indique que, même si le format d’origine était à 320 kbit/s, le taux d’échantillonnage devait être élevé. En effet, le fichier est en 96 kHz et 32 bits virgule flottante. On pourrait penser à une triche, puisque le format final a un débit 33 fois supérieur à celui de la source, mais je ne le dirai pas ainsi, car il s’agit plutôt d’un choix technique. Je pense que le format 320 kbit/s n’a été utilisé que pour les dernières étapes, une fois que les fichiers ont été optimisés. À ce stade, les 320 kbit/s sont largement suffisants pour « contenir » toutes les informations musicales originales. La petite menterie serait donc de gonfler sans nécessité, le fichier vendu, plutôt que de livrer directement l’original qui était probablement dans ce format. Cela étant, on peut juger de la qualité du transfert à l’écoute, même avec les limites imposées par mon site.
La présence de fréquences supérieures à 30 kHz s’explique par le choix d’une fréquence de 96 kHz qui permet d’avoir des sons de plus de 40 kHz.
On ne jugera que de la gamme de fréquences inférieure à 20 kHz. On voit tout de suite qu’il y a de l’orange et donc un volume suffisant pour être bien entendu. Cela se ressentira à l’écoute.
La noche que me esperes 1952-01-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)La noche que me esperes 1952-01-28 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
En résumé, une musique de parfaite qualité qui donnera (ou pas) satisfaction en milonga. Je vous réserve une petite surprise en fin d’article sur le sujet.
Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán – Format FLAC – Éditeur spécialisé tango B
Un autre exemple, chez le même éditeur, au format FLAC. Un format libre des plus utilisés. Les commentaires pourraient être les mêmes que pour le titre précédent. Le changement de flacon (ALAC, FLAC), ne change pas le goût du liquide (la musique).
Comme pour le titre précédent, une limite des aigus très haute et des fréquences aiguës au-dessus des 15 kHz, gage d’un bon rendu des timbres des instruments et de la voix.Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (EXTRAIT)Desvelo (De flor en flor) 1953-08-16 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán (en entier, mais adapté pour être accepté par mon site).
Comme on peut en juger à l’écoute, on est devant une très belle version. Le passage par une étape en 320 kbit/s n’a pas dénaturé la musique et ce titre est excellent.
Faut-il acheter de la musique Hi-Res pour le tango ?
Le principe d’une chaîne (comme la chaîne hi-fi) est que la qualité finale dépend du moins bon élément. Si vous avez une source formidable, un ampli de qualité et des haut-parleurs minables, vous aurez un son minable. Dans le cas du tango, les enregistrements historiques sont très en deçà des capacités des matériels modernes.
Ces valeurs signifient que toute la musique de l’âge d’or du tango bénéficie au mieux d’un rendu en fréquence compris entre 10 et 15 kHz et d’un rapport signal bruit de l’ordre de 60 dB. Le format Hi-Res peut atteindre des valeurs de 32 bits (virgule flottante) et 192 kHz de fréquence d’échantillonnage. Cela signifie que l’on est capable d’enregistrer des musiques de 0 à 96 kHz et d’avoir un rapport signal bruit de 1528 dB. Dit autrement, on peut enregistrer une gamme de fréquences cinq fois plus large que celle du meilleur disque noir avec une gamme dynamique des milliards de fois plus grande (chaque 3 dB, la pression sonore double).
Qualité de la musique en fonction du format
Si les formats CD et encore plus Hi-Res surpassent énormément les caractéristiques des musiques de l’âge d’or, les formats compressés, comme le MP3 (ou le AAC) posent question. En MP3 de nombreux paramètres sont ajustables. Voici quelques valeurs de restitution possible en fonction de ces paramètres. Pour mémoire, le fichier utilisé est Desvelo au format FLAC qui fait 35 906 Ko.
On se rend compte que sur le papier, le format MP3, jusqu’à 32 kHz et 16 bits convient pour reproduire de la musique de tango de l’âge d’or. On notera que la taille de fichier ne change pas pour les grandes valeurs.
On remarquera que les formats les plus performants ne produisent pas de fichiers plus grands. C’est un résultat de la compression. En effet, lorsque le fichier est compressé, on enlève toutes les informations jugées inutiles. La musique de tango comportant peu d’aigus, peu d’amplitude de dynamique, la compression est efficace. La vue de ce tableau pourrait donc laisser penser que les fichiers MP3 conviennent parfaitement, mais est-ce le cas ?
Desvelo en image et son…
Comme je ne peux pas vous partager les fichiers en haute qualité sur ce site, je vous propose de télécharger l’archive des fichiers dans les différents formats.
Télécharger l’archive ZIP des fichiers audio. Vous devrez décompresser le fichier pour pouvoir écouter les morceaux. Rassurez-vous, cette compression n’abîme pas la musique. Vous aurez exactement le son que j’ai sur mon ordinateur…
Pour une meilleure comparaison, utilisez un casque.
Fichier original au format FLAC (96kHz-32 bits virgule flottante)Fichier MP3 (48kHz-32 bits virgule flottante). On remarque que la limite est désormais à 20 kHz, ce qui est normal, puisqu’on est passé à une fréquence d’échantillonnage de 48 kHz.Fichier MP3 (48kHz-16 bits). Le passage à 16 bits ne change absolument rien, car la musique originale n’avait pas une dynamique supérieure à 90 dB.Fichier MP3 (44kHz-24 bits) L’utilisation d’une fréquence d’échantillonnage plus basse ne change quasiment rien, car la musique ne comporte pas de fréquences supérieures à 20 kHz.Fichier MP3 (44kHz-16 bits) Comme pour la fréquence d’échantillonnage de 48 kHz, la dynamique réduite de ce morceau n’est pas impactée par la baisse de résolution (débit).Fichier MP3 (44kHz‑8 bits) Le passage à 8 bits, en diminuant la dynamique rend la musique moins claire. Le spectrogramme montre que les hautes fréquences sont moins nettes. Le fond bleu est moins profond. Fichier MP3 (32000–16) On retrouve le fond bleu avec le rétablissement d’une résolution de 16 bits. La coupure à 15 kHz est très nette. C’est le résultat du passage à une fréquence d’échantillonnage de 32 kHz. Ce n’est pas forcément tragique, car la plupart des auditeurs n’entendent pas les fréquences supérieures à 15 kHz.Fichier MP3 (22000–16 bits) Le passage à une fréquence d’échantillonnage à 22 kHz, limite la bande passante à 10 000 Hz. C’est tout à fait logique et là, la musique commence à être vraiment dénaturée. On réservera cette qualité à l’enregistrement de la parole.Fichier MP3 (8000–8 bits) C’est le pire format MP3 possible. La fréquence d’échantillonnage à 8 kHz limite la bande passante à moins de 4 kHz. La limitation de la résolution écrase la dynamique. On voit l’aspect de la musique sur cette image et à l’écoute, c’est tout aussi horrifiant.
Pour ceux qui auront la flemme d’ouvrir tous les fichiers du fichier ZIP, je propose le fichier monstrueusement diminué, celui à 8kHz et 8 bits… Attention, oreilles fragiles, bien s’accrocher.
09 — Desvelo 8kHz et 8 bits. Redoutable, non ?
Alors, MP3 ou Hi-Res ?
Au vu de la plupart des installations de diffusion sonore dans les milongas, du MP3 à 44 kHz et 16 bits est suffisant. Cela peut être le format final. En revanche, ce format n’est pas possible si on doit intervenir sur la musique (retouche). Car chaque fois qu’on enregistre un format MP3, on refait une compression destructive, c’est-à-dire que l’on supprime à chaque fois des informations, c’est-à-dire des sons… Il est donc préférable dans ce cas de partir de fichiers dans un format sans perte, ce qui permettra de le réenregistrer sans diminuer la qualité sonore du fichier. Le tout dernier enregistrement peut être en MP3 44kHz-16 bits (320 kbit/s). Je suis convaincu qu’aucun danseur s’en rendra compte, même si je n’utilise que de la musique Hi-Res, car il y a tout de même une légère différence. Le plus important est d’avoir une source de bonne qualité, sans réverbération, avec une dynamique et une plage de fréquence complètes. Ces sources sont très rares, mais on en trouve de plus en plus. Pour ma part, j’ai eu la chance de numériser énormément de musique à partir des disques, ce qui est bien sûr la meilleure solution. Pour le reste, c’est un long travail de sélection, de restauration pour obtenir un enregistrement meilleur que celui que j’avais avant. C’est un peu décevant de faire tout ce travail et de voir que des pseudoDJ utilisent des musiques venant de YouTube, Spotify ou autres. Ces musiques médiocres transforment les oreilles des danseurs.
Pourquoi certains danseurs se plaignent-ils des musiques de qualité ?
Á gauche, la Chapelle Sixtine avant restauration. À droite, après.
On remarque facilement la différence, comme on remarque la différence sonore entre un mauvais MP3 et un bon fichier audio. Lorsque la chapelle Sixtine a été dévoilée après la restauration, il y a eu un tollé pour dénoncer un massacre. Les visiteurs étaient habitués à un plafond noirci par des siècles de fumée de cierges et la pollution urbaine. Retrouver les couleurs franches choquait certains regards. Pour être complet, la restauration de la Sixtine a reçu des interventions de diverses qualités. En musique, les restaurations produisent aussi des dégâts qui rendent la musique désagréable à l’écoute. Le nettoyage du bruit du disque a fait disparaître certains éléments de la musique, voire donné un effet de baignoire. Tout comme on ne s’improvise pas restaurateur de fresques, on ne s’improvise pas restaurateur de musique. Cela demande du temps, de la réflexion et des connaissances, ce dont semblent manquer certains éditeurs et, en particulier, ceux qui affichent fièrement « Remastered » ou « Remasterizado ». Mais revenons à la polémique sur la musique dans les milongas. La plupart des DJ improvisés, et qui sont malheureusement les plus nombreux, ont des musiques effroyables, sans contraste, sans aigu. Comme les auditeurs ont l’ouïe qui baisse avec l’âge et que la communauté tanguera n’est pas de la première jeunesse, on finit par s’habituer à cette musique plate, sourde et sans contraste, comme le plafond sale de la Sixtine. Lorsqu’une musique riche en aigus et en basses arrive, certains se sentent agressés, car ils n’y sont pas habitués. Les plus jeunes adorent, ainsi que les mélomanes qui peuvent retrouver la subtilité de la musique. Comme DJ, il faut savoir sacrifier la qualité de sa musique, notamment lorsque le système de diffusion de la salle est médiocre. De plus en plus de systèmes sont destinés à la musique de boite de nuit avec un renforcement des graves et des aigus, avec des médiums peu présents. Cela ne se marie pas toujours bien avec la musique de tango, qui demande plutôt des installations comparables à celles de la musique classique. Les violons sur ces matériels mal adaptés deviennent criards, les basses peuvent aussi gêner. Le premier travail du DJ est d’abord de vérifier l’acoustique de la salle. Cela se fait a minima en diffusant un bruit rose et en vérifiant dans la salle, à l’aide d’un analyseur de spectre (ou à l’oreille si on n’est pas équipé), qu’il n’y a pas de résonance gênante. Si c’est le cas, on procède à une égalisation de base qui consiste à obtenir un signal aussi plat que possible pour toutes les fréquences. Trop souvent, les organisateurs ne donnent pas l’opportunité au DJ de faire ces réglages, notamment quand il y a un orchestre, ce dernier ayant tendance à transformer sa balance en répétition et il faut attendre parfois des heures avant d’avoir quelques minutes pour faire ses réglages. Pour ma part, je souhaite être sur place au moins une heure avant pour avoir le temps de tout régler quand je ne connais pas le lieu.
Un cas extrême de sono déséquilibrée. Dans cette salle, il y avait auparavant un DJ “toutes danses”. Il m’a été impossible de faire les mesures dans la salle avant la milonga, car j’ai enchaîné directement. Il m’a donc fallu modifier l’égalisation en direct dans des proportions incroyables, en gonflant énormément les basses et en baissant les aigus. En effet, le son était diffusé par des enceintes médiums aiguës, sans caisson de basse. En poussant les basses, on introduit de la distorsion dans les haut-parleurs qui ne sont pas adaptés pour cela. Pour avoir un son correct dans la salle, la seule solution a été de couper les fréquences supérieures, en gros, transformer de la musique de haute qualité, en mauvais MP3. Un comble. Si j’avais eu la possibilité d’intervenir en amont sur la sono, j’aurais certainement trouvé comment régler le problème avant la milonga.
Bon, c’était un peu technique et je pense que je vais devoir faire des pages supplémentaires pour détailler certains points.
Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet enregistrement suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.
Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…
Patoteros, apaches, youth gangs…
Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes. Si à Paris, les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes. Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.
Un bal en 1900. Peut-être du tango.
Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.
Trois présentations de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.
Extrait musical
Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons. Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes. Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).
Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.
Paroles
Patotero, rey del bailongo Patotero sentimental Escondés bajo tu risa Muchas ganas de llorar Ya los años se van pasando Y en mi pecho, no entra un querer En mi vida tuve muchas, muchas minas Pero nunca una mujer Cuando tengo dos copas de más En mi pecho comienza a surgir El recuerdo de aquella fiel mujer Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné De su amor, me burlé sin mirar Que pudiera sentirlo después Sin pensar que los años al correr Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret Pobrecita, cómo lloraba Cuando ciego la eche a rodar La patota me miraba, y No es de hombre el aflojar Patotero, rey del bailongo Siempre de ella te acordarás Hoy reís, pero en tu risa Solo hay ganas de llorar Manuel Jovés Letra: Manuel Romero
Traduction libre des paroles
Patotero, roi du bal Patotero sentimental Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer. Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre. Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme. Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement. De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret. Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer. La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir). Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle. Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.
Autres versions
El patotero sentimental 1922-03-29 — Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.
C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.
Ignacio Corsini en 1922
La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.
El patotero sentimental 1922 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.Patotero sentimental 1949-11-25 — Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.
La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.
Patotero sentimental 1950-12-28 — Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.
Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.
Patotero sentimental 1952-10-16 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.
Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.
Patotero sentimental 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.
Patotero sentimental 1974 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.
J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milonga (en tous cas pas trop souvent 😉
Patotero sentimental 1974 — Hugo Díaz.
L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.
Patotero sentimental 1974c — Leopoldo Federico con Carlos Gari.
Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.
Patotero sentimental 1991-03 — Carlos García solo de piano.
Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…
Patotero sentimental 2005 — Cuarteto Guardia Vieja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.Patotero sentimental 2006 — Aureliano Tango Club C Aureliano Marin.
Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.
Patotero sentimental 2011 — Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
On termine ici, avec une version plus traditionnelle.
Origine de ce tango
Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce “El bailarín del cabaret” (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour. Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans “Historia de las varietés en Buenos Aires 1900–1925” qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.
Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900–1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.
Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.
El bailarín del cabaret — Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.
Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième. La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers. Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.
Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental
TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita? CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá. D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non “bala”. TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar? D. GAETANO.-Ma nun. diga. TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros. CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.) D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que “bale” pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.) CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna. D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna! Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe? TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas? D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho! TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta? MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy. TRONCOSO.-¿ Qué te pasa? MARTA.-Nada. Dejame. TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche? MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo. PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo. MARTA.-No, nada de eso, les juro. MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga . M‑ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo. MARGOT.-Deci … . MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.) LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos. TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.) LORENA.-¿Por qué se ríen de ella? TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental. LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible. LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida … TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! … LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …
Traduction des dialogues
TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ? CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père. D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas. (Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret). TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ? D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit. TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu. CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.) D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.) CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe. D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone ! Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ? TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ? D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon! TRONCOSO : Sors d’ici, otario ! (Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ? MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui. TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ? MARTA.-Rien, laisse-moi. TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ? MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis. PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette. MARTA : Non, rien de tel, je vous jure. MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie. MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule. MARGOT.-Parle… . MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.) LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité. TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.) LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ? TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental. LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible. LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie… TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !… LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…
Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs. Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis. Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.
On peut voir des inscriptions sur la partie supérieure de la coupole du Congreso de la Nación à Buenos aires.
Inscriptions sur la coupole du Congreso.
Salerno, Agustini (2008), Trimboli, Moré… Qui sont ces grafiteros ? On remarquera aussi l’éclairage des oculus avec des ampoules fluorescentes.
Coupole du Congreso. Les inscriptions sont tout en haut, sous les lions.
La Confiteria del Molino a été créée par deux pâtissiers d’origine italienne, Constantino Rossi et Cayetano Brenna, qui ouvrirent dans un premier temps la “Confiteria del Centro” à l’angle de Rodríguez Peña et Rivadavia.
En 1866, ils renomment leur pâtisserie “Antigua Confitería del Molino” (Confiserie du Vieux Moulin), en hommage au premier moulin à farine à vapeur de la ville.
En 1905 Rossi et Brenna achetèrent les locaux situés à l’angle de Rivadavia et Callao, juste en face du Congreso, l’emplacement actuel.
Ils firent les choses en grand en faisant intervenir un architecte italien, Francisco Gianotti, en important des meubles, de la verrerie haut de gamme et en ne lésinant pas sur le stuc imitation marbre, les vitraux et des poignées et finitions en bronze.
L’inauguration du bâtiment de style « Art nouveau » a eu lieu le 9 juillet 1916 (centenaire de l’indépendance de l’Argentine).
La reconstruction après l’incendie de 1930
Durant le coup d’État de 1930, la confiteria est incendiée. Elle sera réouverte l’année suivante et restera en service jusqu’en 1978, date à laquelle les héritiers de l’architecte rachètent le site.
La confitería après sa reconstruction. On remarque les rails et caténaires de la ligne de tranvía (tramway).
Ceux-ci l’exploitent jusqu’en 1997, date de sa fermeture. La même année, l’édifice est déclaré Monument historique national, puis reste à l’abandon, les héritiers ne disposant pas des fonds nécessaires pour sa restauration et sa réouverture.
En 2014, l’édifice est récupéré par le congrès sous le terme d’utilité publique. C’est pratique pour eux d’avoir un tel lieu juste devant le Congreso.
El Congreso avec à droite, la Confitería del Molino
Depuis 2018, les travaux de restauration redonnent à l’édifice sa fraicheur et, depuis 2020, la façade se dresse de nouveau fièrement.
En 2018, les travaux commencent. À gauche, an août 2018 et à droite, en décembre 2018. Il reste beaucoup d’ouvrage à réaliser…Confitería del Molino en mai 2025
Aujourd’hui (2025), les travaux continuent, mais des visites sont organisées dans les parties publiques.
La coupole, illuminée la nuit a belle allure.
La Confiteria del Molino a retrouvé sa place parmi les prestigieuses confiterías de Buenos Aires, comme Las Violetas qui n’a jamais fermé ou la Idéal, qui, elle, est réouverte depuis peu.
Vous n’avez sans doute jamais dansé sur des musiques de Maderna et c’est sans doute rassurant quant aux choix des DJ. Cependant, la culture tango va au-delà de la danse et il me semble intéressant de s’intéresser à cet OVNI du tango qu’est Osmar Maderna. Je vous invite à gravir les degrés d’une gamme bleue pour découvrir ce compositeur et chef d’orchestre à part.
Extrait musical
Partition de Escalas en azul de Osmar Maderna.Escalas en azul 1950-05-17 — Orquesta Osmar Maderna
Il n’est pas très difficile de deviner d’où vient le titre. Le terme de escalas en musique peut être traduit par gammes. On notera que le piano joue tout au long de l’œuvre des gammes, c’est-à-dire des successions de notes ascendantes ou descendantes. Ce style ornemental est typique de Maderna. Le reste de l’orchestre semble dédié à l’accompagnement du piano qui voltige au-dessus des autres instruments. Le tempo est bien marqué, souligné par les bandonéons et les cordes qui effectuent des pauses précédées d’élans, un peu comme dans une ranchera. La musique est interprétée de façon virtuose qui donne une impression de très grande vitesse. Des danseurs piégés par un DJ facétieux qui se retrouveraient sur la piste pourraient s’appuyer sur cette présence du rythme pour garder une cadence raisonnable et ne pas se lancer dans des pas fébriles et ridiculement rapides. Même si on n’est pas dans un rythme ternaire de valse, une éventuelle interprétation dansée de ce titre pourrait s’apparenter à celui d’une valse. Des temps bien marqués et des mouvements tournants, toniques, mais pas vertigineux. On notera les nombreux changements de tonalité et la richesse des variations et des parties. On est plus en face d’une composition de musique classique que d’un tango traditionnel. Je ne vous encouragerai pas à danser ce titre, mais à l’écouter attentivement, assurément. Osmar Maderna
Maderna a relativement peu enregistré. Avec un peu plus d’une soixantaine d’enregistrements, c’est presque étonnant que son nom nous soit parvenu.
Des orchestres plus prolifiques sont passés aux oubliettes.
Les musiciens de Maderna
Il a commencé à enregistrer en 1946, en Uruguay, puis, la même année pour la Victor, et cela jusqu’en 1951. Les musiciens des derniers enregistrements sont un peu différents, mais je vous propose ici, ceux qui ont participé à l’enregistrement de Escalas en azul, enregistré le 17 mai 1947. Osmar Maderna (Direction et piano) Felipe Ricciardi, Eduardo Rovira, José Cambareri et Leopoldo Federico (bandonéon). Comme on peut le remarquer, des musiciens de premier plan et plutôt virtuoses. Aquiles Roggero, Haroldo Ghesagui et Angel Bodas (violon) Ariel Pedernera (contrebasse)
Une partie de ces musiciens vient, tout comme Maderna (qui avait remplacé Stamponi au piano en 1939), de l’orchestre de Miguel Caló (1941–1945), ce sont donc des estrellas (étoiles). Ces transfuges sont : Felipe Ricciardi et José Cambareri (le mage du bandonéon, connu pour ses tempos de folie). Attention, au pupitre des bandonéons de Caló, on trouve aussi un Federico, Domingo de son prénom, mais il n’est pas apparenté à Leopoldo. À la contrebasse, c’est le même Ariel Pederna qui œuvre.
Pour l’anecdote, on notera qu’il y avait un violoniste prénommé Aquiles dans les deux orchestres. Aguilar pour Caló et Roggero pour Maderna. Ce dernier, Aguilar Roggero, dirigera un orchestre en l’honneur de Maderna qui était décédé dans un accident d’avion (28/04/1951), l’orchestre Símbolo “Osmar Maderna”.
La Orquesta Símbolo “Osmar Maderna”
L’année suivant la mort de Maderna, l’orchestre Símbolo “Osmar Maderna” reprend une partie du répertoire et des compositions de Maderna. Orlando Tripodi remplace Osmar Maderna au piano. Aquiles Roggero, continue à tenir le violon, tout en dirigeant et établissant les arrangements de l’orchestre. Le pupitre des violons est complété par Carlos Taverna, Edmundo Baya, et Esteban Cañete. Au bandonéon, on retrouve Felipe Ricciardi, son frère Jorge, Héctor Lettera et Toto Panti pour compléter le pupitre des bandonéons. Víctor Monteleone tient la contrebasse.
L’orchestre semble avoir cessé les enregistrements après la mort de Aquiles Roggero, ce dernier étant justement mort d’une crise cardiaque lors d’une séance, en 1977. Ces enregistrements ne semblent pas avoir été publiés.
Autres versions
Escalas en azul 1950-05-17 — Orquesta Osmar Maderna. C’est notre tango du jour.Escalas en azul 1959-06-17 — Orquesta Símbolo “Osmar Maderna” dir. Aquiles Roggero.
Cette version est proche de celle enregistrée en 1950, comme on peut l’entendre et même voir dans l’illustration ci-dessous. Le tempo est le même, les pauses sont synchronisées et les deux versions peuvent être jouées ensemble durant les 40 premières secondes sans problèmes notables.
En haut, en vert la version de 1950 par Osmar Maderna. En bas, en violet, la version de 1959 par la Orquesta Símbolo.
Cette similitude vraiment frappante est la preuve que l’hommage à Osmar Maderna, tragiquement disparu n’est pas seulement dans le nom de l’orchestre, mais aussi dans le respect de son style.
Ce respect est peut-être une autre explication, avec sa mort gardelienne, du fait que Maderna n’est pas tombé dans l’oubli. Les versions brillantes étaient bien adaptées aux années 60–70, années où la danse était passé au second plan.
Selección de Osmar Maderna 1968 (Potpourri) — Orquesta Símbolo “Osmar Maderna” dir. Aquiles Roggero.
Encore dix ans plus tard, une autre version de Escalas en azul. Ce potpourri comporte trois titres composés par Maderna ; Escalas en azul, Lluvia de estrellas et Concierto en la luna. Un DJ facétieux pourrait en faire une tanda… Dans ces trois titres, on reconnaît la prépondérance du piano, comme dans les enregistrements de Maderna. La tâche de Orlando Tripodi a été de continuer à faire vivre le style de jeu si particulier de Maderna.
Ce titre, comme la plupart des enregistrements de Maderna, n’est pas destiné à la danse, tout comme son célèbre vol du bourdon (El vuelo del moscardón) qu’il a adapté de l’œuvre de Nikolai Rimsky-Korsakov et que je vous propose d’écouter pour terminer ce petit hommage à Osmar Maderna.
El vuelo del moscardón 1946-05-13 — Orquesta Osmar Maderna.
Dans ce thème, le piano est le bourdon qui volette et la sensation de rapidité est encore plus vive que dans notre tango du jour. L’orchestre est moins présent pour donner tout son envol au bourdon à dents blanches et noires.
Ce titre sympathique, connu par les frères Canaro, a quelques particularités qui peuvent faire hésiter un DJ de le passer en milonga. Voyons si ces scrupules sont justifiés. Nous allons traiter en parallèle les deux enregistrements, celui de Juan et celui de Francisco, tous les deux de 1935.
Tout d’abord, la version de Juan. C’est lui l’auteur de la musique et il l’a enregistré un 3 mai, date anniversaire de cet article.
Version de Juan Canaro
Sueño de muñeca 1935-05-03 — Orquesta Juan Canaro con Alejandro Fernández (Rafael Vicente Cisca).
On est frappé par la très longue introduction, comme si l’on se préparait au sommeil et presque à une minute, le rêve démarre, s’exprimant sur un mode mineur. On remarque quelques petits sursauts qui évoquent la ranchera (ou la mazurka). L’orchestration est assez simple et la voix de Alejandro Fernández ressort bien au-dessus des instruments.
Version de Francisco Canaro
Francisco a donc enregistré sa version une semaine avant son frère.
À l’époque, les deux frères n’étaient plus aussi proches, Juan avait quitté l’orchestre de Francisco depuis cinq ans. L’introduction est encore longue avec 40 secondes. Un faux départ à 30 secondes prépare les danseurs à la « valse ». C’est une petite fantaisie proposée par Francisco. On remarque tout de suite que l’orchestration est beaucoup plus poussée chez Francisco. Les instruments, plus nombreux, sont diversifiés et différenciés. Même si on n’échappe pas au marquage pesant des temps évoquant la mazurka ou la ranchera, les dialogues entre les instruments apportent une note de variété qui enlève la monotonie. En général, cette version sera préférée à celle de Juan, même si elle accentue encore plus le caractère de la ranchera.
Paroles
En el jardín de la ilusión Dormida vi bajo el rosal, A la mujer de tentación Que presintió mi madrigal.
Tenía los cabellos de oro y sol Un cuerpo de muñeca escultural, Mejillas con colores de arrebol Diosa y flor virginal.
Por verla y admirarla me acerqué Y el hombre más dichoso me sentí, Pues viendo que soñaba la escuché Y al soñar, decía así:
Tú serás mi dulce amor El príncipe que soñé, Te brindo mi candor Y sólo para ti seré. Ven mis ansias a calmar Y en pago de tu amor, En mí, mis besos lograrás Con pasión, Te adora hasta morir Mi amante corazón. Juan Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco
Traduction libre
Dans le jardin de l’illusion, j’ai vu, endormi au pied du rosier, la femme de la tentation qu’avait imaginée mon madrigal.
Elle avait des cheveux d’or et de soleil, un corps de poupée sculpturale, des joues avec des couleurs de coucher de soleil (arrebol est un mot poétique désignant la couleur des nuages éclairés par le soleil couchant), déesse et fleur virginale. Pour la voir et l’admirer, je me suis approché et je me suis senti l’homme le plus heureux. Puis, voyant qu’elle rêvait, je l’ai écoutée et, dans son rêve, elle parlait ainsi : Tu seras mon doux amour, le prince dont j’ai rêvé, je t’offre ma candeur et je serai seulement à toi. Viens calmer mes désirs et, en retour de ton amour, en moi, tu obtiendras mes baisers, avec passion. Je t’adore à mourir, mon cœur aimant.
Les angoisses du DJ
Les deux versions provoquent les angoisses du DJ pour deux raisons.
Première angoisse des DJ, une introduction très longue
La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes.
La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes. C’est long, très long, surtout quand on fait des tandas de trois titres…
De si longues introductions sont donc assez difficiles à utiliser. Le DJ devrait prévenir les danseurs et leur indiquer la durée de l’introduction. C’est d’autant plus important que ces introductions ne permettent pas de deviner le style des musiques. En annonçant à l’avance une valse, pour un premier titre de tanda, cela laisse le temps aux danseurs de bien inviter.
Cependant, dans beaucoup de cas et toujours quand ce type de titre est placé au milieu d’une tanda, on coupera l’introduction. Pour la version de Francisco, on pourra garder le faux départ, comme un élément de jeu avec les danseurs.
Les DJ bavards peuvent profiter de ces introductions généreuses pour donner des indications. Les autres pourront assister au désarroi des danseurs qui ne savent sur quel pied ils vont devoir danser…
Seconde angoisse des DJ, un style hésitant
Vous l’aurez remarqué, les deux versions, même si elles ont bien un rythme à trois temps, présentent des petits bonds suivis de courtes pauses, typiques de la ranchera ou de la mazurka.
Cet élément n’est pas très propice à la valse, car il casse la dynamique.
Le DJ devra donc juger, en fonction des compétences des danseurs, si cela va être apprécié ou honni par les danseurs.
La quasi-totalité des bons danseurs est incapable de réaliser une valse agréable sur une ranchera très marquée. En revanche, les danseurs plus moyens pourront s’en accommoder plus facilement, car ils sont moins concernés par le respect de la musique.
Dans le cas de ces « valses », les accents de ranchera ne sont pas trop marqués et on pourra tenter de les passer. Cependant, il y a tant de valses parfaites pour cela que ce n’est pas forcément pertinent de prendre des risques.
Même si Pichuco considérait que sa véritable maison était celle de la rue Soler au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Antonio Cabrera qu’il est né, le 11 juillet 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Soler qu’à la mort du père de Troilo, en 1922. Cette maison a connu divers usages au cours du temps, comme en témoignent quelques photos historiques. Si j’ai décidé d’en parler aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’être détruite pour un projet immobilier.
La maison natale de Aníbal Troilo
La maison natale de Pichuco, rue José Antonio Cabrera 2937
Aníbal Carmelo Troilo, le père, et Felisa Bagnolo, la mère, louèrent cette maison, par suite du drame de la mort de Concepción, celle qui aurait dû être la grande sœur du bandoneón mayor de Buenos Aires.
Les parents et Marcos, l’aîné, déménagèrent donc dans la maison de la rue Cabrera où naquit le petit Pichuco.
Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retourna alors dans la maison familiale de la rue Soler, celle qu’a donc le mieux connue Aníbal et qui en disait :
“Yo nací en una casa de Cabrera 2937, pero mi casa fue la de Soler 3280”.
Je suis né dans une maison de Cabrera 2937, mais ma maison fut celle de Soler 3280.
Maison natale de Troilo à différentes époques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une milonga), 2024, une des dernières photos avec le bâtiment debout. Celui à sa gauche a déjà été remplacé. 2025, pendant la destruction de la semaine du 21 au 25 avril.La plaque posée en 2008 déclarant la maison comme site d’intérêt culturel. Cela n’a pas empêché sa destruction…
La maison de Soler 3280
C’est la maison familiale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichuco considère comme la sienne.
La maison de la rue Soler au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juillet 1976 pour l’anniversaire de la naissance, l’année suivant la mort de Pichuco.
La fausse maison de Aníbal Troilo
Au 2540 rue Carlos Calvo, il y a eu “La Casa de Aníbal Troilo”. Cet établissement de spectacle n’a pas de rapport direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâtiment a été réutilisé par Cacho Castaña, l’auteur de Café la Humedad, chanson qui a donné le nom à son établissement.
Attention, le Café de la Humedad de la rue Carlos Calvo n’est pas le café original. En effet, celui-ci était, comme le dit la chanson, à l’angle de Gaona y Boyaca.
L’emplacement original du Café la Humedad, à l’angle de Gaona y Boyaca.
Les paroles de la chanson de Cacho Castaña
Humedad, llovizna y frío Mi aliento empaña el vidrio azul del viejo bar No me pregunten si hace mucho que la espero Un café que ya está frío y hace varios ceniceros
Aunque sé que nunca llega Siempre que llueve voy corriendo hasta el café Y solo cuento con la compañía de un gato Que al cordón de mi zapato lo destroza con placer
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
Soledad, soledad de soltería Son treinta abriles ya cansados de soñar Por eso vuelvo hasta la esquina del boliche A buscar la barra eterna de Gaona y Boyaca
Ya son pocos los amigos que me quedan Vamos, muchachos, esta noche a recordar Una por una las hazañas de otros tiempos Y el recuerdo del boliche que llamamos La Humedad
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Yo solamente necesito agradecerte La enseñanza de tus noches Que me alejan de la muerte
Café La Humedad, billar y reunión Sábado con trampas, qué linda función Eternamente te agradezco las poesías Que la escuela de tus noches Le enseñaron a mis días
Cacho Castaña
Traduction libre
L’humidité, la bruine et le froid Mon haleine embue les vitres bleues du vieux bar Ne me demandez pas si je l’attends depuis longtemps Un café déjà froid et ça fait plusieurs cendriers. Bien que je sache qu’elle ne vient jamais. Quand il pleut, je cours au café. Et je n’ai que la compagnie d’un chat. Qui détruit le lacet de ma chaussure avec plaisir Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours Solitude, solitude du célibataire C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver C’est pourquoi je retourne à l’angle du dancing Pour chercher l’éternelle bande de Gaona et Boyaca Il ne me reste que peu d’amis Allons‑y, les gars, ce soir, pour nous remémorer Un à un les exploits d’autrefois Et le souvenir du dancing que nous appelons La Humedad. Café La Humedad, billard et rencontre Samedi avec des tromperies, quel beau programme J’ai juste besoin de te remercier L’enseignement de tes nuits Qui me tiennent à l’écart de la mort Café La Humedad, billard et rencontre samedi avec des pièges, quel beau spectacle Éternellement, je te remercie pour les poèmes Que l’école de tes nuits A enseigné à mes jours. Cacho Castaña
Je vous propose de terminer sur la chanson nostalgique de Cacho Castaña, chanté par lui-même dans son établissement, Café la Humedad.
Café la Humedad, chanté dans le théâtre Café la Humedad par son propriétaire et auteur, Cacho Castaña.
Vous connaissez ce titre, bien qu’il ait été peu enregistré. Mais peut-être vous êtes-vous demandé qui était ce paladin, car ce terme désignait les Pairs de l’empereur Charlemagne, un millénaire plus tôt. El paladín est un tango d’Agustín Bardi et ne semble pas avoir de paroles. Il est donc assez difficile de savoir qui était évoqué dans ce titre. Voici trois hypothèses.
Trois paladines possibles
On pourrait remonter un siècle plus tôt, à l’époque ou Martín Miguel de Güemes, accompagné de ses gauchos, était un des héros de l’Argentine pour ses actions dans l’indépendance du pays. En illustration de l’article, je vous propose un portrait imaginaire de ce héros réalisé près d’un siècle plus tard par Manuel Prieto. Blessé d’une balle, il refusa les soins pour rester fidèle à sa cause et mourut onze jours plus tard, âgé de 36 ans. Son épouse, âgée de 25 ans, se serait laissé mourir de chagrin. Cette histoire, hautement romantique, a pu inspirer Bardi. Cela expliquerait une musique plutôt nostalgique et calme, peut-être du point de vue de la jeune épouse qui se laisse mourir de faim.
El paladín, partition pour piano. On voit manifestement un orateur, peut-être un avocat ou un politique.
La dernière possibilité est la dédicace de la partition. En effet, elle est dédicacée par Bardi à son ami Guillermo Fisher. Ce dernier est un des fondateurs de la Sociedad Nacional de Autores, Compositores y Editores de Música ce qui deviendra la SADAIC, la société des auteurs et compositeurs argentins. Cependant, je n’ai pas plus obtenu de renseignements sur cette personne.
Extrait musical
Partition et El paladín. On remarque sur la couverture un orateur, politique, avocat, défenseur de la création de la société des auteurs ? Dans ce cas, il pourrait s’agir de Guillermo Fischer…El paladín 1945-03-20 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Autres versions
El paladín 1929-07-11 — Sexteto Carlos Di Sarli.
Cette version semble avoir été enregistrée au moins quatre fois et deux des enregistrements de cette journée, les matrices 44645–2 et 44645–4 ont été publiées en disque 78 tours, sous le même numéro de disque 47138 (Face B). Vous allez sans doute trouver cette version assez sympathique.
El paladín 1941-12-11 — Orquesta Carlos Di Sarli.
La reprise, 12 ans plus tard par Di Sarli. Cette version est relativement proche, mais plus liée.
El paladín 1945-03-20 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
C’est notre version du jour. Avec Pugliese, si le début semble assez semblable, on remarquera un jeu des violons dans les légatos sensiblement différent.
8 mars, journée internationale (des droits) des femmes
Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une histoire de femmes.
“We can do it” (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.
Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…
Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à New York.
On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués. Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.
Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…
Las mujeres y el amor (Ranchera) 1934-08-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.
Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).
Les origines du tango et les femmes
Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse. Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre. Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango canyengue évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de contact. Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour Lo de Laura. Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme. Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.
Les femmes comme source d’inspiration
Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.
Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro (Agustín Bardi Letra : José de la Vega).
Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.
Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.
Les femmes danseuses
Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…
Carmencita Calderón et Benito Bianquet (El Cachafaz) dansent El Entrerriano de Anselmo Rosendo Mendizábal, dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.
Les femmes et la musique
La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison. Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.
Les femmes musiciennes
Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango. Francisca Bernardo, plus connue sous son pseudonyme de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.
Paquita Bernardo (1900–1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.
Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par Juan Carlos Cobián.
Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.
L’enregistrement acoustique ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…
Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.
La enmascarada 1924 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Francisco García Jiménez.Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de Eugenio Cárdenas.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.
Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).
Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.
Les femmes auteures
María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.
María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.
Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre… Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.
El malevo 1928 — Rosita Quiroga con guitarras.
Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître. Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.
La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.
Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes. À bientôt, les amis !
Francisco Gorrindo a écrit les paroles de nombreux tangos et pas des moindres, comme Ansiedad, La bruja, Mala suerte ou Paciencia. Notre tango du jour rappelle que la vie est courte et Tanturi et Castillo nous invitent à suivre ce conseil, d’une fort belle manière. Alors, les amis, carpe diem!
Extrait musical
La vida es corta 1941-02-19 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo.
Édition anglaise de La vida es Corta. Schellac 78 tours.
Le titre commence par quatre notes montantes de la gamme de La mineur ; Sol-la-si-do données principalement par les deux bandonéons de Tanturi (Emilio Aguirre et Francisco Ferraro), mais aussi par le piano de Tanturi lui-même, qui rajoute une ponctuation à la fin de ce court motif. Toute la partie A sera du même principe avec les quatre notes tantôt au piano ou au bandonéon avec des petits motifs des autres instruments, y compris des deux violons (Antonio Arcieri et José Pibetti).
Puisque j’ai cité cinq des musiciens du sexteto de Tanturi (Los Indios), il convient de rajouter le contrebassiste (Raúl Méndez) qui aide à marquer le rythme pour les danseurs, mais le piano de Tanturi qui marque chaque temps participe aussi de cette conservation du rythme, même quand les violons joueront leurs grandes et belles phrases legato. Pendant les parties chantées par Alberto Castillo, les instruments seront majoritairement rythmiques, ce qui est très habituel chez Tanturi, dont on considère que (presque) tous les enregistrements sont dansables. L’écoute de ce morceau, et la reconnaissance de cette particularité, qu’il partage dans une certaine mesure avec D’Arienzo, nous fait comprendre l’intérêt des danseurs pour cet orchestre, sans doute un peu plus pauvre d’un point de vue musical que d’autres de la même époque. C’est du tango de danse, efficace, avec un rythme soutenu et dynamique. Les liaisons et les appoggiatures de Castillo ne perturbent pas ce rythme marqué, sans doute même, au contraire, elles le rendent moins sec. D’ailleurs, dans ses tangos instrumentaux, Castillo les fait réaliser par ses violonistes, ce qui fait que le style de Tanturi soit si reconnaissable. La dernière particularité de Tanturi est de retarder le tout dernier accord. On reste en suspension, comme souvent chez Rodriguez, mais là, vient finalement l’accord final, libérateur qui permet aux danseurs de relâcher l’abrazo après quelques fractions de secondes de tension finale.
Paroles
A ver muchachos, quiero alegría, quiero aturdirme, para no pensar. La vida es corta y hay que vivirla, dejando a un lado la realidad. Hay que olvidarse del sacrificio, que tanto cuesta ser, tener el pan. Y en estas noches de farra y risa, ponerle al alma nuevo disfraz.
La vida es corta y hay que vivirla, en el mañana no hay que confiar. Si hoy la mentira se llama sueño, tal vez mañana sea la verdad. La vida es corta y hay que vivirla, feliz al lado de una mujer, que, aunque nos mienta, frente a sus ojos, razón de sobra hay para querer.Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Traduction libre
Voyez les gars, je veux de la joie, je veux être étourdi pour ne pas penser. La vie est courte et il faut la vivre, en laissant la réalité de côté. Il faut oublier le sacrifice, que c’est si dur d’avoir du pain. Et dans ces nuits de réjouissance (danse, musique) et de rires, se déguiser l’âme.
La vie est courte et il faut la vivre, il ne faut pas faire confiance à demain. Si aujourd’hui le mensonge s’appelle rêve, peut-être que demain ce sera la vérité. La vie est courte et il faut la vivre, heureux aux côtés d’une femme, qui même si elle nous ment à la face (sous les yeux), il y a plein de raisons d’aimer.
Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo
Il dévoile à ses compagnons de fiesta, sa philosophie de la vie, philosophie que de nombreux tangueros dans le monde ont adoptée…
Autres versions
La vida es corta 1941-02-19 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est notre tango du jour.
S’il n’y a pas d’autres versions enregistrées de ce titre , il y a en revanche de nombreux enregistrements de Castillo avec Tanturi réalisés sur quelques années, de janvier 1941 à mai 1943. Une belle tanda de milonga et une autre de valse (avec variantes possibles) et une trentaine de tangos que nous entendons souvent en milonga. En revanche, La vida es corta est le seul titre à avoir été conçu par Tanturi et Gorrindo. Je vous propose d’écouter un des premiers succès de Francisco Gorrindo, Las cuarenta, un titre chanté par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth et qui est sorti le 23 octobre 1940.
Las cuarenta par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth (1940).
La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro.La joyeuse troupe des amis de Gerardo Hernán Matos Rodríguez défile sur la couverture de droite. Ils sont cités en haut de la partition. À droite Gerardo Hernán Matos Rodríguez devant sa partition chez un éditeur de partitions. On notera que les joyeux fêtards sont remplacés par une femme masquée. Le masque peut évoquer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aussi évoquer une voilette de deuil, celui qu’évoque Gerardo Hernán Matos Rodríguez dans sa version des paroles.
Les cumparsitas de Canaro
La cumparsita 1927-02-17 — Orquesta Francisco Canaro.
Comme on peut s’y attendre avec Canaro, surtout en cette année, il s’agit d’une version bien canyengue avec de très beaux passages. À partir de 27 s des petits motifs de flûte rendent cet enregistrement plus léger. Puis, le violoncelle enchaîne un très beau solo, accompagné par les violons en pizzicati. Le chant du violon pour terminer les 30 dernières secondes est également sublime.
La cumparsita 1929-04-17 — Orquesta Francisco Canaro.
On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fioritures de la flûte sont désormais effectuées par le bandonéon qui, à un joli solo à partir d’une minute. Même durant le solo de violon, le bandonéon virtuose continue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’arrivée de Federico Scorticati et Ciriaco Ortiz dans l’orchestre.
La cumparsita 1933-02-14 — Orquesta Francisco Canaro. C’est notre tango du jour.
On retrouve le bandonéon virtuose de la version de 1929, avec les mêmes bandonéonistes et un résultat très, très proche.
La cumparsita (Si supieras) 1951-11-29 — Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.
Cette version est assez tonique et brillante avec un tempo bien marqué. On notera que les fioritures sont aussi exécutées partiellement au piano et pas seulement au bandonéon et le retour de la flûte. La jolie voix, profonde de Mario Alonso apporte un final original, presque à la Caló…
La cumparsita (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 — Orquesta Juan Canaro con María de la Fuente.
C’est une version du frère de Canaro, Juan mais je la trouve intéressante à connaître, même si ce n’est pas une version de danse. Elle a été enregistrée au Japon, pays passionné par cette musique, comme nous le verrons avec les enregistrements de Francisco. C’est une des versions intégralement chantées (et parlée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Contursi et Maroni que vous pouvez retrouver dans cette autre anecdote.
La cumparsita 1955-01-31 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Là, les musiciens semblent pressés d’arriver à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de précipitation. Je ne proposerais sans doute pas cela en bal.
La cumparsita 1959-04-29 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Avec cette version, Canaro, corrige le tir et l’impression de précipitation a disparu. Il y a tellement de versions de la cumparsita que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en première tanda, elle peut faire l’affaire, car elle permet de rester avec le Pirincho et de mettre des tangos sympathiques pour terminer la tanda. Cependant, ces versions me semblent moins surprenantes et riches que les premières.
La cumparsita (en vivo) 1961-12-01 — Orquesta Francisco Canaro.
Encore un enregistrement au Japon, avec les applaudissements à la fin. Là, Canaro s’approche du style martelé de D’Arienzo. Là encore le bandonéon vibrant chatouille les oreilles. Comme c’est un enregistrement public au théâtre Koma de Tokio, il y a une émotion que n’ont pas toujours les enregistrements de studio.
La cumparsita 1961-12-26 — Orquesta Francisco Canaro.
On termine avec un dernier enregistrement au Japon, cette fois, au studio Kojimachi de Tokio. Il est intéressant de comparer avec la version également enregistrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me semble moins « habitée ». Le violon est plus discret et le bandonéon un peu moins lumineux. Le rythme est marqué de façon un peu plus discrète, avec un piano plus présent. J’aurais donc tendance à privilégier la version live…
Canaro mourra trois ans plus tard sans enregistrer d’autre comparsita, mais il est intéressant de voir son évolution sur 34 années. À bientôt, les amis !
J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. “El día que me quieras” (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…
Extrait musical
El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même. On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano. J’aime bien et dans une milonga où les danseurs seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.
Paroles de Ramón C. Acevedo
Yo quisiera tenerte entre mis brazos Y besarte en tu boca sin igual, Yo quisiera prodigarte mil abrazos Mujer esquiva de rostro angelical.
Tu sonrisa altanera y orgullosa Tu mirada quisiera doblegar, Y que aun, negándome besara Con un beso, sublime y sin final. Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo
Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo
J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille, Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.
Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre. Tout d’abord, réécoutons le tango du jour, qui est le plus ancien titre…
El día que me quieras 1930-02-07 — Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.
C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.
Version 2, de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con Luis Díaz.
Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style canyengue très marqué.
Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
El boliche del Turco no tendrá ni un cohete, el piberío del hueco los hará estallar, la cantina del “Beppo” abrirá los espiches y todo el “Grevanaje” en curda dormirá. La farra, el capuchino tomará el chocolate, ese día yo banco con mi felicidad y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga hará un tango canyengue con la marcha nupcial.
A tu hermano el tarasca compraremos botines, al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar, y al menor, al checato, dos docenas de anteojos y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar, a tu vieja diez cajas de pastillas de menta, a tu viejo toscanos para reventar, y el globo luminoso que tiene la botica a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.
El bañao de la esquina será un lago encantado y las ranas cantantes en la noche un jazz-band, el buzón de la esquina el Pasaje Barolo, la cancel‘e tu casa, la escala celestial. El día que me quieras, pebeta de mi barrio, toditas mis ternuras pa’vos sólo serán, aunque llore a escondidas mi viejecita santa que al extrañar mis besos tendrá unas canas más. Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao
Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser, la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront. La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.
Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.
Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste. Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.
Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
El día que me quieras 1935-03-19 — Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.
Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Acaricia mi ensueño el suave murmullo de tu suspirar, ¡como ríe la vida si tus ojos negros me quieren mirar! Y si es mío el amparo de tu risa leve que es como un cantar, ella aquieta mi herida, ¡todo, todo se olvida!
El día que me quieras la rosa que engalana se vestirá de fiesta con su mejor color. Al viento las campanas dirán que ya eres mía y locas las fontanas me contarán tu amor. La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá…¡que eres mi consuelo!
Recitado: El día que me quieras no habrá más que armonías, será clara la aurora y alegre el manantial. Traerá quieta la brisa rumor de melodías y nos darán las fuentes su canto de cristal. El día que me quieras endulzará sus cuerdas el pájaro cantor, florecerá la vida, no existirá el dolor…
La noche que me quieras desde el azul del cielo, las estrellas celosas nos mirarán pasar y un rayo misterioso hará nido en tu pelo, luciérnaga curiosa que verá… ¡que eres mi consuelo!
Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera
Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera
Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir, Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder ! Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson, Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !
Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur. Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour. La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Récité : Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies, L’aube sera claire et la source joyeuse. La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal. Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes, La vie fleurira, la douleur n’existera pas…
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel, Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux, curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !
Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)
“El día que me quieras”, dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.
Autres versions du thème composé par Gardel
Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.
El día que me quieras 1948-05-11 — Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.
Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.
El día que me quieras 1955-06-30 — Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.
Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…
El día que me quieras 1968 — Orquesta Típica Atilio Stampone.
Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.
El día que me quieras 1972 – Trio Hugo Díaz.
Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…
El día que me quieras 1977-06-14 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.
El día que me quieras 1978 — María Amelia Baltar.
Une version expressive par la compagne de Piazzolla.
El día que me quieras 1979 — Alberto Di Paulo y su Orquesta Especial para Baile.
Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).
El día que me quieras 1997 — Enrique Chia con Libertad Lamarque.
Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?
Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !
Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Même si Pedro Laurenz et Juan Carlos Casas ont enregistré dix tangos, la plupart du temps, dans les milongas, seuls quatre de ces titres sont diffusés par les DJ. Ces titres le méritent, mais cela occulte les autres enregistrements qui peuvent permettre de faire des tandas plus intéressantes. En effet, les titres habituels sont tellement proches qu’on a l’impression de danser plusieurs fois le même titre.
Extrait musical
Partition de Puro puapo, version Laurenz et Meaños.De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.
Deux accords au piano d’Héctor Grané, puis l’appel qui fait se souvenir que Laurenz était bandonéoniste (ici, accompagné au bandonéon par Ángel Domínguez et Rolando Gavioli). Avec le complément de la contrebasse de Alberto Celenza, le rythme très marqué des bandonéons et du piano se continue. Il faut attendre presque une minute pour que les violons s’expriment de façon plus audible et encore, pour quelques secondes. À 1:25 un très beau motif du violoniste Mauricio Mise annonce l’intervention de Juan Carlos Casas qui débute à 1:45. La voix parfaitement déliée s’intègre dans le phrasé agressif des bandonéons qui, lorsque Casas termine le seul refrain, reprennent jusqu’au final le rythme puissant.
Paroles
Entre cortes y quebradas, suave rezongué en tu oído todo mi verbo florido que te dijo mi querer. Vos mostraste en tu sonrisa toda tu coquetería, y yo, vencida mi hombría… Yo que siempre supe vencer.
Pa’ conseguir tu cariño quiero jugarme la vida al naipe que me ha gustado… No es la primera partida en que mi resto he jugado… Y si al final copo y gano, —taura soy en la postura— hay un facón, brava mano, coraje y bravura pa’ hacerme valer.
Lo que yo quiero lo tengo, y eso por taura y por guapo… Basta que en un brazo el trapo tenga y en otro el facón… Si no bastan mis hazañas pongo mi coraje a prueba. ¡Nadie ventaja me lleva cuando está en juego tu amor! Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños
Juan Carlos Casas ne chante que le refrain (en gras).
Traduction libre
Entre cortes y quebradas (figures de tango archaïques), J’ai doucement grommelé dans ton oreille Tout mon verbe fleuri Que t’a dit mon amour. Tu as montré avec ton sourire Toute ta coquetterie (séduction) et moi, ma virilité vaincue… Moi qui avais toujours su vaincre. Pour obtenir ton affection Je veux risquer ma vie à la carte qui m’a plu… Ce n’est pas la première partie dans lequel j’ai joué mon repos… Et si à la fin je bois et gagne, —taura (Caïd), je suis dans la posture — il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tirer le couteau), Courage et bravoure pour me faire valoir. Ce que je veux, je l’ai Et cela par taura et par beau (parce que je suis un caïd et beau)… Il suffit que, dans un bras il y ait le chiffon (étoffe pour protéger. Les gauchos utilisaient leur poncho enroulé sur le bras comme protection) et dans l’autre, le couteau… Si mes exploits ne suffisent pas Je mets mon courage à l’épreuve. Personne n’a l’avantage sur moi Quand est en jeu ton amour !
Autres versions
De puro guapo 1935-07-24 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
On est tellement habitués à entendre la version de Laurenz et Casas, que cette version pesante de Canaro semble d’une antiquité insupportable. De fait, il semble peu intéressant de substituer cet enregistrement à notre tango du jour. Bien sûr, les amateurs de canyengue seront sans doute d’un avis contraire et c’est bien. J’aime la diversité des opinions.
De puro guapo 1935-11-26 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.
Enregistré seulement quatre mois plus tard, la version de Lomuto se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la version de Canaro. Quelques libertés des instruments allègent également cet enregistrement. La sonorité est plus proche de celle que produira trois ans plus tard Laurenz.
De puro guapo 1940-01-25 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre tango du jour.
Les enregistrements suivants seront instrumentaux et chercheront à proposer de nouvelles directions dans l’interprétation de l’œuvre. Je vous invite à juger de la diversité.
De puro guapo 1966 — Leopoldo Federico y Roberto Grela.
Grela que nous avons entendu tant de fois en duo avec Troilo est ici avec Leopoldo Federico. Le bandonéon de ce dernier et la guitare de Grela nous livrent un titre très intéressant à écouter, foisonnant de créativité.
De puro guapo 1967-11-29 — Orquesta Aníbal Troilo.
La version de Troilo est assez majestueuse. Elle n’est clairement pas destinée à la danse, même si je connais certains qui me contrediront.
De puro guapo 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
Près de 30 ans plus tard, Laurenz remet son titre en jeu. Cette version un peu sautillante ne me convainc pas, mais pas du tout. On a l’impression que les musiciens s’endorment, malgré la présence de la guitare électrique… Le quintette était formé de Pedro Laurenz (bandonéon), Eduardo Walczak (violon), Rubén Ruiz (guitare électrique), José Colángelo (piano) et Luis Pereyra qui a remplacé le bandonéon par la contrebasse.
De puro guapo 1969-09-18 — Orquesta Juan D’Arienzo.
On réveille tout le monde avec cette version de D’Arienzo. Si on reconnaît des éléments de D’Arienzo, cet enregistrement tardif manque sans doute de la puissance que peuvent manifester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arienzo pour produire un son plus « moderne » dénaturent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour constituer une tanda, même si cela reste dansable.
De puro guapo 1972-11-10 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Après les recherches de Troilo, cette version marque une autre étape dans la recherche d’une harmonie particulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arienzo tombaient à plat, autant le résultat de Pugliese apporte un suspens musical qui rend l’œuvre passionnante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une attention soutenue pour profiter de tous ces instants subtils.
De puro guapo 1996 — Quinteto Real.
Puisqu’on a décidé de s’éloigner, au fil du temps du tango de danse, cette version du Quinteto Real s’essaye à une synthèse entre les recherches de Pugliese et l’orchestration de Laurenz. Le résultat, au regard des deux modèles opposés a du mal à convaincre, ou pour le moins à me convaincre.
De puro guapo 2002 — La Furca.
La Furca essaye de maintenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a suscité la merveilleuse version de Laurenz Casas a eu peu de descendance à la hauteur. Je vous propose de terminer ce tour du tango « De Puro Guapo » avec une petite surprise.
Un Puro guapo peut en cacher un autre
Il arrive souvent qu’on demande au DJ un morceau spécifique. C’est généralement le cas pour les démonstrations de danseurs, mais aussi pour les danseurs usuels de la milonga. Souvent (lire, tout le temps), ils sont décomposés quand je leur dis, mais quelle version ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trouvent la version souhaitée. À ce sujet, j’ai eu, en quelques occasions, des danseurs qui m’ont chanté le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trouver le titre est généralement assez facile, mais quand il y a trente versions, il faut faire preuve de perspicacité. Parfois, la difficulté vient de ce qu’un orchestre a enregistré deux tangos du même titre, mais différents. C’est par exemple le cas avec De puro guapo qui existe aussi dans une version écrite par Rafael Iriarte (Rafael Yorio) avec des paroles de Juan Carlos Fernández Díaz. Ce tango a été enregistré par plusieurs orchestres qui ont aussi enregistré la version de Laurenz, par exemple, Francisco Canaro. Mais on se rendra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imaginez le désarroi du couple de danseurs en démonstration si le DJ met le mauvais tango. Le DJ doit savoir poser les bonnes questions et faire écouter le titre aux danseurs , si possible, et les danseurs devraient s’assurer de la version qu’ils souhaitent utiliser en donnant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’enregistrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pouvait enregistrer le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en version de danse et un en version d’écoute…
La couverture de la version de Iriarte et Meaños. Je vous passe les paroles du tango, comme on peut s’en douter en voyant cette illustration, l’histoire est tragique, plus que celle de Laurenz à laquelle elle peut tout de même répondre…
De puro guapo 1927-11-16 — Orquesta Francisco Canaro.
On retrouve le canyengue cher à Canaro. Cette version instrumentale nous dispense de la noirceur des paroles. On remarque que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Laurenz.
De puro guapo 1928-01-14 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Gardel avec ses guitaristes nous présente cette chanson tragique.
De puro guapo V2 1928-02-02 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.
Deux semaines après Gardel, Fresedo enregistre le titre dans une version destinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…
De puro guapo 1972-12-13 — Roberto Goyeneche con Atilio Stampone y su Orquesta Típica.
Goyeneche nous donne une très belle interprétation de ce titre. Bien sûr, une chanson, bien jolie à écouter et chargée d’émotion.
Comme la version de Laurenz, la version de Iriarte a donné lieu à des interprétations très variées, mais elle n’aura sans doute pas les honneurs du bal, comme la version que Laurenz a enregistrés avec Casas et qui nous ravit à chaque fois.
Bon, laissons les puros guapos à leurs vantardises et méfaits et je vous dis, à bientôt, les amis !
“No te cases” (ne te marie pas), c’est le conseil donné par ce tango composé par Donato avec des paroles de Carlos Pesce. Ceux qui nous connaissent savent que nous n’allons pas suivre cette directive. Cependant, les complexités de l’administration argentine font que nous avons failli baisser les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était confirmé après deux mois de bagarre et deux reports de date.
Extrait musical
Disque Victor 38092. No te cases est sur la face A.
No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Le motif sympathique des bandonéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comptine enfantine. Se succèdent ensuite des successions de passages ordonnés et d’autres plus troublés, comme s’il y avait un débat contradictoire pesant le pour et le contre. À 59 secondes commence la chanson. Lagos chante le refrain avec quelques répliques parlées par un intervenant non identifié qui joue le rôle du futur marié. Est-ce Donato ? Ce n’est pas impossible. Canaro effectue souvent, ce type d’interventions.
Paroles
¡No te cases! ¿A qué valor ? Seguí nomás así, que sos un gran señor. ¡No te cases! ¿Que vas hacer? ¡que peligrá! Ya vas a entrar ¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá! Gordo y feliz como un sultán Pobre de vos ¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí… Sin complicarme con la existencia Si es un placer llegar a fin de mes. Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce
En rouge, les répliques de l’intéressé.
Traduction libre
Ne te marie pas ! À quelle valeur ? Continue comme ça, tu es un grand seigneur. Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel danger ! Tu vas comprendre. Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira ! Gros et heureux comme un sultan, Pauvre de toi Me marier, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ainsi. Et si… Sans me compliquer l’existence Si c’est un plaisir de joindre les deux bouts. (arriver à la fin du mois) Le futur marié qui intervient en réponse, pense que son copain va finalement se marier, même s’il donne le conseil contraire.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais…
Liborio no te cases 1931-04-10 — Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Un foxtrot adressé à un certain Liborio qui lui donne les mêmes conseils. Rappelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aussi un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz. Le Liborio en question pourrait être Argentino Liborio Galván (18 ans au moment de cet enregistrement, ou le compositeur moins connu, Augusto Liborio Fistolera Mallié (32 ans au moment de cet enregistrement). Il peut s’agir également d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, Eduardo Armani et René Cóspito (musique), Alfredo Enrique Bertonasco et Domingo L. Martignone (paroles). Le L. de Martignone est pour “Luis”, pas Liborio…
No te cases 1937-01-23 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre tango du jour.Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor y coro.
Encore Canaro, qui ne voulait pas vraiment se marier avec Ada Falcón, ou plutôt, qui craignait de divorcer de la Française, sa terrible épouse… On peut donc imaginer qu’il se lance le conseil, avec un peu de retard à travers cette jolie valse composée par son frère Rafael Canaro et Oscar Sabino avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.
17 février 2025
Ce n’est pas un événement dans l’histoire du tango, mais, ce jour, Victoria et moi nous marierons à Buenos Aires (Boedo). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comunal 5 ou en visio… Ce bâtiment est le premier de ce type à Buenos Aires. Il marque une volonté de redonner une empreinte verte à la ville.
Le Sede comunal 5 (boedo) avec son mur végétalisé. À droite, la structure des anciens entrepôts Tata a été conservée et utilisée pour fournir de l’ombre dans le parc.La terrasse végétalisée et le système de collecte de l’eau pour l’arrosage du parc adjacent.L’entrée du Sede comunal 5 et le parc.
Notre lieu de mariage est un petit coin de verdure dans la grande ville, à deux pas de notre maison (deux pas ou plutôt 200 mètres). Et pour les curieux d’histoire, ce lieu charmant est le fruit de la lutte des habitants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entrepôts de la compagnie Tata.
Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vraiment plus sympa maintenant.Les habitants manifestant pour obtenir la place et faire obstacle aux projets industriels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boedo, à l’angle de Independencia.
Nous ne suivrons donc pas les conseils de nos précieux aînés…
À bientôt les amis !
Lors de notre dernier passage en France pour le festival Niort Tango (10/2024). Ici, à La Rochelle.
La Shunca est la cadette d’une famille. C’est également une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse planer un petit sous-entendu. Entrons dans la valse et laissons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous mener assez loin des rives de l’Argentine.
Qui est la Shunca ?
Comme nous l’avons vu, la Shunca est la cadette de la famille. Ce terme est d’origine zapotèque, c’est-à-dire d’un peuple d’Amérique centrale et plus précisément du Mexique (région de Mexico), bien loin de l’Argentine. Cela pourrait paraître étonnant, mais vous vous souviendrez que nous avons souvent mis en valeur les liens entre le Mexique et l’Argentine dans d’autres anecdotes et que les musiciens voyageaient beaucoup, pour enregistrer dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur carrière. Les deux auteurs, Lorenzo Barcelata et Ernesto Cortázar, sont mexicains. Par ailleurs, on connaît l’engouement des Mexicains pour la valse jouée par les mariachis et que même Luis Mariano chanta avec son titre, « La valse mexicaine ». Vous avez donc l’origine de l’arrivée de la Shunca dans le répertoire du tango argentin. Nous avons d’autres exemples, comme la Zandunga. Nous verrons que ce n’est pas un hasard…
Extrait musical
La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio.
La valse est instaurée dès le début avec un rythme soutenu, alternant des passages légatos et staccatos. À 42s arrivent l’air principal. À 1:05 Romeo Gavioli commence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Horacio Lagos se lance à son tour pour former un trio avec les deux autres chanteurs. Comme souvent, la fin tonique est constituée de doubles-croches qui donnent une impression de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.
Des duos et trios à gogo
Donato a aimé utiliser des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs identifiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio. Trios Horacio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavioli : Estrellita mía, La Shunca, Luna, Volverás….pero cuándo (valses) Sinfonía de arrabal (tango). Trios+ Horacio Lagos, Lita Morales avec chœur : Mañana será la mía (valse). No se haga mala sangre (polka). Trio+ Félix Gutiérrez, Luis Díaz avec chœur : La Novena (tango) Duos Horacio Lagos, Lita Morales : Carnaval de mi barrio, Chapaleando barro, Sinsabor, Sombra gaucha (tangos) Duos Romeo Gavioli, Lita Morales : Mi serenata, Yo te amo (tangos). Duos Gavioli, Horacio Lagos : Amando en silencio, Lonjazos (tangos) Noches correntinas (valse) Repique del corazón, Sentir del corazón (milongas). Duos Antonio Maida, Randona (Armando Julio Piovani) : Amores viejos, Quien más… quien menos…, Riachuelo, Ruego, Una luz en tus ojos (tangos). Duos Horacio Lagos, Randona (Armando Julio Piovani) : Si tú supieras, Te gané de mano (tangos). Cara negra, Sacale punta (milongas) Duos Hugo del Carril et Randona (Armando Julio Piovani) : Rosa, poneme una ventosa (tango) Mi morena (paso doble) Duo Daniel Adamo et Jorge Denis : El lecherito (milonga) Duo avec Teófilo Ibáñez : Madre Patria (paso doble) Duo Roberto Morel y Raúl Ángeló : T.B.C. (tango) Duo+ Antonio Maida avec chœur : Sandía calada (ranchera) Duo+ Carlos Viván avec chœur : Mamá (tango) Duos+ Félix Gutiérrez avec chœur : La novena, Que Haces! Que Haces! (tango) Duos+ Horacio Lagos avec chœur : Hacete cartel, Hay que acomodarse (tangos) Virgencita (valse) Pierrot apasionado (marche brésilienne) Duo+ Juan Alessio avec chœur : Hola!… Qué tal?… (tango) Duo+ Lita Morales avec chœur : Triqui-trá (tango) Duos Luis Díaz avec chœur : Chau chau, Severino, El once glorioso, Felicitame hermano (tangos) Candombiando (maxixe) Ma qui fu (tarentelle) Ño Agenor (ranchera)
C’est un beau record.
Paroles
La luna se ve de noche, El sol al amanecer, Hay quienes por ver la luna Otra cosita no quieren ver.
Me dicen que soy bonita, Quién sabe porque será, Si alguno tiene la culpa Que le pregunten a mi papá.
Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, las olas que vienen y van, Shunca para acá, Shunca para allá, ¡Ay!, cariño me vas a matar. Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar
Traduction libre et indications
La lune se voit la nuit, Le soleil à l’aube, Il y a certains qui voient la lune Une autre petite chose, ils ne veulent pas la voir.
Ils me disent que je suis jolie Qui sait pourquoi c’est le cas, Si quelqu’un en a la faute Demandez-le à mon papa. (J’imagine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shunca)
Shunca par ci, Shunca par-là, Oh, les vagues qui vont et viennent, Shunca par ici, Shunca par-là, Oh, chéri, tu vas me tuer.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre enregistrement argentin de ce titre, je vous propose donc de compléter avec des versions mexicaines…
La Shunca 1941-01-21 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.La Shunca 1938 – Las Hermanas Padilla con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shunca par Las Hermanas Padilla avec Los Costeños. On notera la mention “Canción Tehuana” et le nom de Lorenzo Barcelata.
La Shunca 1998 — Marimba Hermanos Moreno García. C’est une version récente, mexicaine.
En 1937, le réalisateur Fernando de Fuentes réalisa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante La Shunca. La Zandunga a été arrangée par divers auteurs comme Lorenzo Barcelata et Max Urban (pour le film), Andres Gutierrez, A. Del Valle, Guillermo Posadas ou Máximo Ramó Ortiz. La Shunca attribuée à Lorenzo Barcelata et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.
La zandunga 1939-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.
Dans ces extraits du film La Zandunga, vous pourrez entendre premièrement, La Shunca, puis voir danser la Zandunga. J’ai ajouté le générique du début où vous pourrez de nouveau entendre la Zandunga.
3 extraits de la Zandunga 1937 du réalisateur Fernando de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante la Shunca.
Je pense que vous avez découvert le chemin emprunté par ce titre. Lorenzo Barcelata a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la diffusion du film et des disques, l’air est arrivé en Argentine où Donato a décidé de l’enregistrer. Voici donc, un autre exemple de pont, ici entre le Mexique et l’Argentine.
Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)
Les années 50 marquent tout à la fois une entrée dans une nouvelle ère, la télévision, la bombe H, de nouvelles modes et de nouveaux modes de vie. C’est aussi le début de la fin pour le tango. Di Sarli a composé Juan Porteño comme un souvenir, un regret, d’un monde qui devient de plus en plus superficiel et moins humain. J’ai choisi de vous parler de ce tango, car les paroles évoquent si fort ce que Héctor Marcó a appelé « siècle de folie » et qu’il semble difficile de ne pas attribuer au siècle actuel le même qualificatif. Le tango est une pensée heureuse qui se danse, ou pas…
Extrait musical
Deux versions du disque RCA Victor 1A-0372‑A de Juan Porteño de Di Sarli et Mario Pomar. On notera qu’il est écrit « Estribillo » sur les disques, mais, en fait, Pomar chante tout et pas seulement le refrain. Juan Porteño 1955-01-21 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
Des sifflements suivent l’introduction et, rapidement Mario Pomar commence à chanter. Ce tango est en fait à la limite de la chanson, l’orchestre se fait relativement discret pour laisser la place aux paroles. On peut donc imaginer que Di Sarli souhaitait faire passer le message des paroles de Héctor Marcó. Une autre preuve est que Pomar chante l’intégralité des paroles et qu’il reprend le refrain, et ce, malgré la mention erronée sur le disque qui ne parle que d’estribillo (refrain). Après la reprise du refrain, les sifflements reprennent et le tango s’arrête net par deux accords plaqués.
Paroles
Este siglo es de locura, de robot y escaparate. Buenos Aires sigue el ritmo de París y Budapest. Todo el mundo se alza de hombros y habla de la Bomba H, quiera Dios que no te cache una del Follies Bergere. Ríe el pobre, canta el rico, ronca el tano en su cotorro. Se inventó el avión a chorro y el chorro raja en avión. Viene Gina, se va Gina y de un pícaro planeta un marciano en camiseta baja en plato volador.
Y rescostao, pensativo, contra el farol de una esquina, Juan Porteño se santigua mordiendo el pucho, tristón. Piensa acaso, en su nostalgia, que aquella ciudad bajita de románticas casitas sólo está en su corazón. Despunta la madrugada, Buenos Aires rompe el sueño y allá se va Juan Porteño, silbando un tango llorón.
Hoy se dice que la luna es un queso fluorescente y hasta un croto bajo el puente oye radio en su atelier. Greta quiere ser artista con su espejo ríe y sueña y no ve que se le quema la comida en la sartén. Por TV hoy se palpita el campeonato en la catrera, de Nueva York y Avellaneda dan las fijas por radar. Este siglo es de locura y si Marte busca arrime es que ha visto una bikini por la playa caminar. Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)
Traduction libre
Affiche de la Loïe Fuller aux Folies-Bergère, par Toulouse Lautrec.
Ce siècle est celui de la folie, des robots et des vitrines. Buenos Aires suit le rythme de Paris et de Budapest. Tout le monde hausse les épaules et parle de la bombe H, Dieu vous en préserve d’en obtenir une chez les Folies-Bergère (Salle de spectacle parisienne où s’était produite la Loïe Fuller. Folies était le nom donné à des lieux de divertissement, parcs ou bâtiments, et Bergère vient du nom de la rue, ce qui explique l’absence de s. On dit que c’était aussi pour avoir un nom porte-bonheur de treize lettres…). Le pauvre rit, le riche chante, le tano (Italien) ronfle dans son cotorro (chambre de célibataire, pièce pour les rendez-vous amoureux). L’avion à réaction a été inventé et le voleur file en avion (jeu de mot ; chorro = jet, donc celui des réacteurs et en lunfardo, chorro est le voleur). Gina arrive, Gina part (il s’agit bien sûr de Gina Lollobrigida, qui est venue à Buenos Aires et Mar del Plata en 1954 pour le premier Festival international de Cinéma de Mar del Plata. Sa venue à suscité de l’enthousiasme, jusque chez Perón, qui lui permit de visiter Tigre à bord du yacht présidentiel), et d’une planète louche un Martien en T‑shirt sur une soucoupe volante (en 1947 eut lieu le premier signalement d’OVNI en Argentine, au Parque San Martín de La Plata. Je pense que la mention de T‑Shirt vient de ce que le martien est plutôt un Étatsunien, pays où, la même année a été déclaré le premier OVNI et qui a mondialisé le port du T‑Shirt…). Et, adossé pensivement contre le lampadaire d’un coin de rue, Juan Porteño se bénit en mordant son mégot, triste. Peut-être pense-t-il, dans sa nostalgie, que cette ville basse aux petites maisons romantiques n’est que dans son cœur. L’aube se lève, Buenos Aires rompt le rêve et Juan Porteño s’en va au loin, sifflant un tango pleurnichard. Aujourd’hui, on dit que la lune est un fromage fluorescent et même un clochard sous le pont écoute la radio dans son atelier. Greta veut être une artiste avec son miroir, elle rit et rêve et ne voit pas que sa nourriture crame dans la poêle. À la télévision aujourd’hui, le championnat palpite dans le lit, de New York et Avellaneda donnent les conseils aux turfistes par radar (Avellaneda, centre hippique Barracas al Sur). Ce siècle est celui de la folie et si Mars cherche à s’approcher, c’est qu’il a vu un bikini marcher sur la plage.
Autres versions
Juan Porteño 1955-01-21 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.
Notre tango du jour est probablement le premier enregistrement de ce titre, même si au moins deux autres sont de la même année.
Juan Porteño 1955 — Orquesta Joaquín Do Reyes con Armando Forte.
Dès les premières notes, on est dans un univers très différent de celui de Di Sarli. Forte chante également toutes les paroles et effectue également la reprise finale du refrain. On notera que les sifflements, absent au début, se retrouvent à la fin de cette version.
Juan Porteño 1955 — Edmundo Rivero con guitarras.
Dans les années 50, Rivero a beaucoup chanté avec un groupe de guitaristes (il était lui-même guitariste) parmi lesquels Armando Pagés et Rosendo Pesoa. La datation de cet enregistrement est cependant floue. Certaines sources parlant de 1954 et d’autres de 1955. On notera que la fin est également sifflée et Rivero insiste en répétant silbando un tango llorón (en sifflant un tango pleurnichard). Je vous propose d’écouter aussi cette vidéo illustrée par Agujavier. Les images suivent les paroles…
Juan Porteño 2011 — Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.
Gente de Tango reprend l’idée des sifflements dès le début. Le traitement est semblable aux autres versions en mettant l’accent sur les paroles. On notera que ces dernières ont été actualisées pour tenir compte des folies du vingt-et-unième siècle…
Une version d’aujourd’hui aurait sans doute d’autres points à dénoncer, autour de l’IA, de la montée de l’égoïsme et des enrichissements excessifs qui conduisent à des guerres odieuses.
La face B des disques de Carlos Di Sarli de Juan Porteño, Noche de Locura, chantée par Oscar Serpa et enregistrée le même jour et pour être précis, juste avant Juan Porteño (matrices S003713 et S003714).Noche de locura 1955-01-21 — Orquesta Carlos Di Sarli con Oscar Serpa.
Plus classique, ce tango bénéficie d’une minute de musique instrumentale avant de laisser la place à Serpa. C’est, comme le précédent, un tango pas forcément génial à danser. Aujourd’hui on restera donc dans l’écoute.
À bientôt, les amis, peut-être à El Beso ? Je ne passerai pas Juan Porteño, mais des titres qui donnent de la joie. L’actualité argentine et mondiale le rendent nécessaire…
Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino. Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par Miguel Caló et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.
Extrait musical
Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.
Paroles
Un pedazo de barrio, allá en Pompeya, durmiéndose al costado del terraplén. Un farol balanceando en la barrera y el misterio de adiós que siembra el tren. Un ladrido de perros a la luna. El amor escondido en un portón. Y los sapos redoblando en la laguna y a lo lejos la voz del bandoneón.
Barrio de tango, luna y misterio, calles lejanas, ¡cómo estarán! Viejos amigos que hoy ni recuerdo, ¡qué se habrán hecho, dónde estarán! Barrio de tango, qué fue de aquella, Juana, la rubia, que tanto amé. ¡Sabrá que sufro, pensando en ella, desde la tarde que la dejé! Barrio de tango, luna y misterio, ¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!
Un coro de silbidos allá en la esquina. El codillo llenando el almacén. Y el dramón de la pálida vecina que ya nunca salió a mirar el tren. Así evoco tus noches, barrio ‘e tango, con las chatas entrando al corralón y la luna chapaleando sobre el fango y a lo lejos la voz del bandoneón. Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi
Traduction libre et indications
Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article). Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème. Un aboiement de chiens à la lune. L’amour caché dans une porte cochère. Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon. Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles ! De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils ! Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée. Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée ! Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois ! Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue. Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi… Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train. C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.
Autres versions
Barrio de tango 1942-12-14 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Ángel D’Agostino et Ángel Vargas
Barrio de tango 1943-01-19 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tango du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 — Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 — Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.
Barrio de tango 1971-05-06 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.
Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.
Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo
Pompeya, barrio de tango
Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le Riachuelo.
En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.Les touristes qui restent à Recoletta ou Palermo ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de pétrole lampant), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.
Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.
Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló
Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló. Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito. Corazón no le hagas caso Lejos de Buenos Aires Tristezas de la calle Corrientes Percal Después Margarita Gauthier Cada día te extraño mas Fruta amarga De barro Gime el viento La noche que te fuiste Orquestas de mi ciudad Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente. On en reparlera…
La superbe valse Corazón de artista, écrite par Pascual de Gullo va nous permettre de découvrir un peu l’univers de Malerba, mais aussi de faire un peu de technique de DJ, sur la construction des tandas et sur d’autres aspects, comme la balance.
Extrait musical
Corazón de artista 1943-01-18 — Orquesta Ricardo Malerba.
Les bandonéons incisifs lancent le titre. Le piano assure les transitions, puis les violons se joignent pour lancer leurs phrases en legato. Le piano a ensuite de beaux passages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (marquage des trois temps en accentuant le premier). Cette description pourrait tout à fait s’appliquer à l’orchestre de D’Arienzo. Nous sommes assez loin du Malerba, qui peut parfois être un peu mièvre. C’est donc une très belle version que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’article.
Autres versions
Corazón de artista 1935-04-16 — Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.
Cette version est assez différente des deux autres versions que je vous présente dans cette anecdote. Elle est beaucoup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rougir le DJ qui la passera en milonga.
Corazón de artista 1936-11-27 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Que D’Arienzo nous offre une version dynamique n’étonnera personne. Les violons et bandonéons à l’unisson cisaillent la musique, puis les violons lissent le tout dans de longues phrases suaves. Le piano de Biagi réalise les enchaînements avec une confiance qui commence à se voir. L’accélération finale, une fois de plus, réalisée par la subdivision des temps en doubles-croches, permet de terminer dans une valse enthousiaste, sans avoir à modifier le tempo.
Corazón de artista 1943-01-18 — Orquesta Ricardo Malerba. C’est notre valse du jour.
Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?
Est-ce à cause de l’auteur ?
De Gullo est l’auteur principalement de valses. Certaines sont très connues, comme Lágrimas y sonrisas, et notre valse du jour.
Quelques couvertures de partitions de valses de Pascual De Gullo.
Je vous propose ici de vous présenter des versions plus rares.
Amorosa 1930-09-17 — Orquesta Juan Guido.
Cet admirable orchestre est curieusement négligé. On peut le comprendre pour les tangos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exemple, mais Guido a enregistré des perles que je propose parfois en milonga. J’ai même failli le faire à Buenos Aires, cette semaine, j’étais en train de préparer la tanda et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’ambiance de la piste.
Lágrimas y sonrisas 1934-10-20 — Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.
Dommage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tanda que Corazón de artista 1935 du même Pocholo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la vingtaine de valses enregistrées par Pocholo.
Sueño de virgen 1943-12-30 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’auteur qui nous a proposé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros succè, elles ont été assez peu enregistrées. Peut-être qu’un orchestre contemporain serait bien inspiré de fouiller dans ce répertoire au lieu de ressortir toujours les dix mêmes titres.
Est-ce à cause de Malerba ?
Pour pouvoir créer une tanda cohérente, il faut trois ou quatre titres. Pour les valses, on limite assez souvent le nombre à trois titres. Donc, il nous faut trouver deux ou trois valses de Malerba qui puissent aller avec notre valse du jour. Comme il a enregistré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tanda.
Il a enregistré deux valses avec Alberto Sánchez :
Aristocracia 1956-06-01 — Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.Quejas de Montmartre 1956-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.
Cette valse magnifique a été composée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a utilisé ce titre pour son film French Cancan de 1954. Le titre original de la valse est « La Complainte de la Butte ». On le connait par de nombreux chanteurs, dont bien sûr, Cora Vaucaire, qui l’a lancé, puis toujours en 1955, par André Claveau, Patachou et Marcel Mouloudji.
La complainte de la butte dans le film French Cancan de Jean Renoir (1954). Musique de Georges Van Parys et paroles de Jean-Renoir. En deuxième partie, la doublure-voix de Anna Amendola, Cora Vaucaire (La Dame blanche) sur scène en 1956.
Ce sont donc deux valses intéressantes, mais qui ne vont pas ensemble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tanda de ce côté. Continuons de chercher…
La dernière valse en stock a été enregistrée avec le chanteur vedette de Malerba, Orlando Medina. Est-ce enfin une piste intéressante ? Écoutons.
Cuando florezcan las rosas 1943-06-10 — Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina (Ricardo Malerba — Dante Smurra Julio Jorge Nelson).
Je pense que nous sommes d’accord, encore une fois, cette valse est à part, et absolument pas compatible avec notre valse du jour.
En résumé, il est impossible de faire une tanda à partir de la valse Corazón de artista dans la version de Malerba.
Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs
Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres contemporains enregistrent un nombre suffisant de valses ou de milongas pour pouvoir faire des tandas et quand ils le font, ce n’est pas toujours génial à rassembler dans une tanda. Bien souvent, si un DJ faisait la même programmation que certains orchestres, il se recevrait des tomates. Le problème est que les orchestres sont souvent composés de pièces rapportées et qu’ils répètent peu ensemble. Il n’est qu’à voir sur les festivals comment se passe la balance. Cette opération est censée permettre à l’ingénieur du son d’équilibrer les instruments et les retours des musiciens. Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instrument le ou les microphones convenables (généralement indiqués dans la fiche technique de l’orchestre). Une fois raccordés à la console de mixage, on prépare la place des différents instruments. Il ne suffit pas de régler leurs volumes respectifs, il faut également « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mixage soit harmonieux. Sinon, on fait une course à la puissance, sur les mêmes fréquences et la musique est totalement déséquilibrée. Quand un chanteur intervient, par exemple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le compositeur a bien géré les choses, il évitera de mettre un second instrument dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas toujours le cas et vous avez certainement en tête des enregistrements où l’ingénieur du son a baissé exagérément le volume pour dégager la voix, mais cela est fait en enlevant la base musicale dont se servent les danseurs. Dans les prestations en direct, les musiciens vont demander au sonorisateur d’augmenter leur volume, car ils ne s’entendent pas alors que cela vient souvent d’un mauvais réglage des fréquences et d’un mauvais équilibre des retours. Dans un orchestre sans amplification, les musiciens ont leur place si le compositeur et/ou l’arrangeur ont bien effectué leur travail. Le chef gère juste le volume des instruments pour faire ressortir une voix plus que les autres, ou pas. Vous êtes très familiers de ce phénomène et c’est facile à constater en écoutant le même titre par différents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrangements, dans certaines versions, un instrument est au premier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instrument qui est mis en valeur. Un mauvais réglage des retours ou de la balance fait que de nombreuses prestations sont désastreuses pour le public. Les instrumentistes ne s’entendant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frottées jouent faux, ce qui est parfois recherché, mais pas toujours. Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 secondes pour faire la balance, alors que ce serait utile de pouvoir étudier correctement la salle auparavant et d’équilibrer l’égalisation en conséquence. Combien de fois, la balance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répétition et qu’au final, le véritable travail de balance n’a pas été correctement effectué. Parfois, la balance continue alors que le public est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure. A minima, ce serait sympa de la part des organisateurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 minutes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impossible de les avoir. Parois, il n’est même pas possible de tester mes tranches sur la console, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus possible de balancer du bruit rose au volume correct quand il y a déjà le public dans la salle. Contrairement à ce que certains pensent, le travail de DJ est assez complexe, car il faut équilibrer des musiques de sources variées. Pouvoir faire une balance de qualité, c’est l’assurance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’autant plus important quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son correct à son emplacement, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé permet de limiter ce problème, à condition qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 minutes de préparation…
Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?
Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui consiste à pouvoir composer une tanda mixte, c’est-à-dire à partir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tangos, mais, beaucoup plus courant pour les milongas et les valses. Pour les milongas, cela reste assez compliqué, car il y a différents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milongas qui ne vont pas bien ensemble. Cela demande donc un peu de réflexion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beaucoup plus facile. Il suffit d’associer des titres au rythme comparable, de même caractère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Malerba avait des accents qui rappelaient D’Arienzo. Il semble donc évident que chercher à compléter une tanda de valse de D’Arienzo avec ce titre peut être une excellente idée. En tout cas, c’est la direction que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres possibilités. Vous pouvez donner votre avis dans les commentaires.
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité. Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…
Extrait musical
Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées “Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia”. Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz.
Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie. On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son enregistrement de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans El monito, il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques. Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les danseurs moins familiers de ces sonorités. Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de vitesse, sans modifier le rythme.
Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.
Don Luis Gondra
Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.
La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana. Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.
Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.
Paroles, deux versions
Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ». Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».
Paroles chantées par Magaldi
Por tu mala junta te perdieron, Nena, Y causaste a tus pobres viejos, pena, Que a pesar de todos los consejos, Un mal día te engrupieron Y el gotán te encadenó…
¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora? Tan plena de poesía, cual diosa del amor… Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora Con sus mimos disipaba mi dolor.
Recitado: Guardo de ti recuerdo sin igual Pues fuiste para mí toda la vida. Mi corazón sufrió la desilusión Del desprecio a su querer que era su ideal.
Y con la herida Que tú me has hecho, Mi fe has desecho Y serás mi perdición.
Todo está sombrío y muy triste, alma, Y nos falta, desde que te has ido, calma, El vivir la dicha ya ha perdido Porque con tu mal viniste A enlutar mi corazón.
¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera que, obrando con falsía, buscó tu perdición? Mientras que aquí está la madrecita que te espera Para darte su amorosa bendición.
Recitado: Dulce deidad, que fue para mi bien Un sueño de placer nunca sentido, Yo no pensé que ése, mi gran querer, Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.
¿Dónde te has ido mi noviecita? Tu madrecita Siempre cree que has de volver. Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version de Magaldi
À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé, Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine, Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t‑on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…). Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ? Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour… Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur. Récitatif: Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie. Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal. Et avec la blessure que tu m’as faite, Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte. Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur. Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ? Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante. Récitatif: Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti, Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden. Où es-tu allée, ma petite fiancée? Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.
Paroles de la version standard
Por tu mala junta te perdiste, nena y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!… De un vivir risueño te han hablado y al final… ¡te has olvidado de tu vieja y de mi amor!… En la fiebre loca de mentidas galas se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!… En tu afán de lujos y de orgías recubriste de agonías ¡a mi vida y a tu hogar!…
Fuiste el ángel de mis horas de bohemia, el bien de mi esperanza, tierno sueño encantador; y no puedo sofocar mis neurastenias cuando pienso en la mudanza ¡de tu cruel amor!…
(recitado) ¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz rodando he de marchar por mi oscura senda; ¡sin el calor de aquella fulgente luz que tu mirar dispersó en mi corazón!
(canto) Sueños de gloria que truncos quedaron y herido me dejaron entre brumas de dolor…
Por tu mala junta te perdiste, nena, y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!… Por seguir tus necias ambiciones mis doradas ilusiones ¡para siempre las perdí!… Una santa madre delirante clama y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!… El perdón te espera con un beso sí nos traes con tu regreso ¡la alegría de vivir!…
Tus recuerdos se amontonan en mi mente, tu imagen me obsesiona, te contemplo en mi ansiedad; y te nombro suspirando tristemente, pero en vano… ¡no reacciona tu alma sin piedad!…
Y como el cisne que muere cantando así se irá esfumando ¡mi doliente juventud!… Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich
Traduction libre des paroles de la version standard
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour… Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses… Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison… Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ; et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel… (récitatif) Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ; Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur ! (chant) Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur… À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin… Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues… Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle… Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre… Tes souvenirs s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ; Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas… Et comme le cygne qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…
On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.
Autres versions
Mala junta 1927-09-13 — Orquesta Julio De Caro.
Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli. On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à Osvaldo Pugliese qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro. Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :
Pedro Laurenz et Armando Blasco au bandonéon.
Francisco De Caro au piano.
Julio De Caro et Alfredo Citro au violon.
Enrique Krauss à la contrebasse.
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 — Agustín Magaldi con orquesta.
Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.
Mala junta 1928-12 — Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349–1 Matrice D 19172.
Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.
À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.
Quelqu’un a‑t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ? La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.
Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque. On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.
Mala junta 1938-07-11 — Orquesta Típica Bernardo Alemany.
Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.
Mala junta 1938-11-16 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.
Mala junta 1943–08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.
Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.
Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.Mala junta 1949-10-10 — Orquesta Julio De Caro.
De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…
Mala junta 1952-11-29 — Orquesta Osvaldo Pugliese.
Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.
La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Mala junta 1957-09-02 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.
Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.
Mala junta 1968 — Pedro Laurenz con su Quinteto.
Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat. On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.
Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…
Mala junta — Osvaldo Pugliese — Teatro Colón 1985.
Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.
Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.
Qui a écrit El choclo ?
Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent… L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique… En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez. Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.
Extrait musical
Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre. El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.
On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque. Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.
Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)
Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…
Con este tango que es burlón y compadrito se ató dos alas la ambición de mi suburbio; con este tango nació el tango, y como un grito salió del sórdido barrial buscando el cielo; conjuro extraño de un amor hecho cadencia que abrió caminos sin más ley que la esperanza, mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.
Por tu milagro de notas agoreras nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas, luna de charcos, canyengue en las caderas y un ansia fiera en la manera de querer…
Al evocarte, tango querido, siento que tiemblan las baldosas de un bailongo y oigo el rezongo de mi pasado… Hoy, que no tengo más a mi madre, siento que llega en punta ‘e pie para besarme cuando tu canto nace al son de un bandoneón.
Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina. Triste compadre del gavión y de la mina y hasta comadre del bacán y la pebeta. Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura se hicieron voces al nacer con tu destino… ¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo, que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón. Enrique Santos Discépolo
Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo
Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ; Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel. Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur. Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer… Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé… Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon. Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca). Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine). Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin… Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.
Un épi peut en cacher un autre…
On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango. Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles… Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version. Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo. Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre… Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé. Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette. Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable. Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.
Autres versions
Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères : • Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème. • Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées. Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.
Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.
Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.
À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.
Paroles de Cariño puro des Gobbi
Ay mi china que tengo mucho que hablarte, de una cosa que a vos no te va a gustar Largá el rollo que escucho y explicate Lo que pases no es tontera, pues te juro que te digo la verdad. dame un beso no me vengas con chanela (2) dejate de tonteras, no me hagas esperar. Decí ya sé que la otra noche vos con un gavilán son cuentos que te han hecho án. No me faltes mirá que no hay macanas yo no vengo con ganas mi china de farrear Pues entonces no me vengas con cuento y escuchame un momento que te voy a explicar. No te enojes que yo te diré lo cierto y verás que me vas a perdonar Pues entonces Te diré la purísima verdad Vamos china ya que voy a hacer las paces a tomar un carrindango pa pasear Y mirar de Palermo Yo te quiero mi chinita no hagas caso Que muy lejos querer el esquinazo ni golpe ni porrazo… Ángel Villoldo
Traduction de Cariño puro des Gobbi
Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler, D’une chose qui ne va pas te plaire Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
- Eh bien, je te jure que je te dis la vérité. Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
- Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre. J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
- Ce sont des histoires qui t’ont été faites un. Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
- Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler. Aussi, ne me raconte pas d’histoires
- et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer. Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr Et tu verras que tu vas me pardonner Puis, ensuite Je vais te dire la pure vérité
- Allez, ma chérie, car je vais faire la paix En prenant une voiture pour une promenade Et regarder Palermo Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention Car je veux arrondir les angles ni coup ni bagarre…
On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.
El choclo 1910 — Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.
Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.
Paroles de Villoldo
De un grano nace la planta que más tarde nos da el choclo por eso de la garganta dijo que estaba humilloso. Y yo como no soy otro más que un tanguero de fama murmuro con alborozo está muy de la banana.
Hay choclos que tienen las espigas de oro que son las que adoro con tierna pasión, cuando trabajando llenito de abrojos estoy con rastrojos como humilde peón.
De lavada enrubia en largas guedejas contemplo parejas sí es como crecer, con esos bigotes que la tierra virgen al noble paisano le suele ofrecer.
A veces el choclo asa en los fogones calma las pasiones y dichas de amor, cuando algún paisano lo está cocinando y otro está cebando un buen cimarrón.
Luego que la humita está preparada, bajo la enramada se oye un pericón, y junto al alero, de un rancho deshecho surge de algún pecho la alegre canción. Ángel Villoldo
Traduction des paroles de Ángel Villoldo
D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié). Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme). Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier. De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge). Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas). Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…
Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.
El choclo 1913 — Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.
Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.
El choclo 1929-08-27 — Orquesta Típica Victor.
Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.
El choclo 1937-07-26 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.
El choclo 1937-11-15 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.
Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.
El choclo 1940-09-29 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.
Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.
El choclo 1941-11-13 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante. Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…
Paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieja milonga que en mis horas de tristeza traes a mi mente tu recuerdo cariñoso, encadenándome a tus notas dulcemente siento que el alma se me encoje poco a poco. Recuerdo triste de un pasado que en mi vida, dejó una página de sangre escrita a mano, y que he llevado como cruz en mi martirio aunque su carga infame me llene de dolor.
Fue aquella noche que todavía me aterra. Cuando ella era mía jugó con mi pasión. Y en duelo a muerte con quien robó mi vida, mi daga gaucha partió su corazón. Y me llamaban el choclo compañero; tallé en los entreveros seguro y fajador. Pero una china envenenó mi vida y hoy lloro a solas con mi trágico dolor.
Si alguna vuelta le toca por la vida, en una mina poner su corazón; recuerde siempre que una ilusión perdida no vuelve nunca a dar su flor.
Besos mentidos, engaños y amarguras rodando siempre la pena y el dolor, y cuando un hombre entrega su ternura cerca del lecho lo acecha la traición.
Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes y que en mi pecho sólo anida la tristeza, como una luz que me ilumina en el sendero llegan tus notas de melódica belleza. Tango querido, viejo choclo que me embarga con las caricias de tus notas tan sentidas; quiero morir abajo del arrullo de tus quejas cantando mis querellas, llorando mi dolor. Juan Carlos Marambio Catán
Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán
Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux, En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu. Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur. C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie. Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion. Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur. Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo); J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant. Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique. S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur. Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque. Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique. Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ; Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.
Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame… Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.
El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.
Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…
Kiss of Fire 1955 — Louis Armstrong.
En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.
Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango. À bientôt, les amis.
En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?
PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.
Le prénom Pantaleón est bien connu dans le domaine du tango à cause de Piazzolla qui l’avait en second prénom. Chino ‚me fait penser au génial Chino Laborde, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tango jeudi à Nuevo Chique. En combinant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Francisco Canaro. Cette « milonga » fait partie de ces titres à la limite du lunfardo qui jouent sur les mots, mélangeant tango et castagne.
Extrait musical
El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.Disque Odeón 55157. El Chino Pantaleón est sur la face A et Y… No la puedo olvidar, sur la face B.
Le rythme de cette composition est un peu atypique et il rend difficile de la classer, milongua tangueanda, milonga candombe. Ce n’est peut-être pas de tout premier choix pour le bal… La voix de Carlos Roldán est sympa. On notera la fin abrupte, très originale, comme si la musique avait été mise KO.
Paroles
Caballeros milongueros, la milonga está formada y el que cope la parada que se juegue todo entero, si es que tiene compañero, la guitarra bien templada pa’ aguantar cualquier trenzada con razón o sin razón, cara a cara, frente a frente, corazón a corazón.
Era el Chino Pantaleón milonguero y cachafaz, que al sonar de un bandoneón viboreaba en su compás. Era un taura pa’ copar y de ley como el mejor; si lo entraban a apurar era capaz de cantar “La violeta” o “Trovador”.
Caballeros milongueros, vayan saliendo a la cancha porque el que hace la “patancha“ es señal que le da el cuero; siempre el que pega primero lleva la mayor ventaja; no le ponen la mortaja al que tira sin errar; no es de vivo, compañero, el dejarse madrugar. Francisco Canaro (paroles et musique)
Traduction libre et indications
Messieurs les milongueros (dans le sens de bagarreurs), l’affaire est formée (milonga a ici le sens d’affaire douteuse, désordre) et celui qui prend position doit tout jouer, s’il a un partenaire (un partenaire. Cela confirme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse). La guitare (peut aussi faire allusion à l’argent) bien accordée pour résister à toute bagarre avec raison ou sans raison, Face à face, front à front, cœur à cœur. C’était le Chino Pantaleón milonguero et insolent (cachafaz comme était surnommé Ovidio José Bianquet, qui travailla avec Canaro pour ses revues musicales), qui, lorsque sonnait un bandonéon (Bandonéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gêner l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme. Il était un taura (généreux) à boire et de ley (loyal, véritable comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ; s’ils le cherchaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pouvait chanter « La violeta » (tango de Cátulo Castillo avec des paroles de Nicolás Olivari, chanté par Maida et Gardel, puis, par Troilo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » (valse de Carlos Alcaraz avec des paroles de Carlos Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt donnés pour indiquer que le type a du répondant dans la bagarre. Messieurs les milongueros, sortez sur le terrain, car celui qui fait le « patancha » (pata ancha, la grosse patte, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ; Celui qui frappe le premier a toujours le meilleur avantage ; Ils ne mettent pas le linceul à celui qui tire sans se perdre (perdre de temps, sans errer) ; Il n’est pas vivant, camarade, de se laisser devancer (madrugar peut signifier, devancer, gagner du temps, attaquer le premier). On voit que les paroles riches de lunfardo, jouent sur les mots. Avec le vocabulaire de la milonga, on parle bel et bien de bagarre.
Autres versions
Notre premier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point commun, le prénom Pantaleón…
Pantaleón 1930-05-28 (Fox-trot) — Orquesta Francisco Canaro con Charlo. (Eleuterio Iribarren Letra: Francisco Antonio Bastardi).El chino Pantaleón 1942-01-13 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre milonga du jour.El chino Pantaleón 1942-06-17 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.
Parfois, Lomuto fait des choses plus intéressantes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enregistrement que je trouve plus sympa à danser. On remarquera, dès le début, une utilisation différente des instruments, ce ne sont pas les mêmes éléments qui sont mis en valeur. En ce qui concerne la voix, on peut préférer Roldán à Díaz, mais je trouve que cette milonga est relativement joueuse et qu’elle pourrait trouver sa place dans une milonga. Sa fin est en revanche plus classique avec les deux accords finaux, habituels.
El chino Pantaleón 1953-03-25 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas y Mario Alonso.
Canaro reprend sa composition pour l’enregistrer en duo. On pourrait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est toujours Mariano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940. La version ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la version de 1942, notamment à cause de ses dialogues et des pauses dans la musique.
Qui est Pantaleón ?
Je n’ai pas d’autre version de cette milonga en stock. Cependant, il reste un autre titre parlant d’un Pantaleón et ce prénom est accompagné d’un nom de famille, Lucero. Écoutons ce titre.
Yo Soy Pantaleón Lucero 1979 — Ricardo Daniel Pereyra (“Chiqui”). (Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores)
Ce titre composé au début du vingtième siècle par Fausto Frontera avec des paroles de Celedonio Flores a été enregistré par Chiqui en 1979. Il ne semble pas y avoir d’autres versions enregistrées.
Ricardo Daniel Pereyra (“Chiqui”). Avec Roberto Goyeneche sur la photo de gauche.
Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Yo soy Pantaleón Lucero de profesión mayoral, cumplo cuarenta en enero aunque algunos me dan más. Nací por el Barrio Norte y me crié por el sur, tal vez no tenga dinero, pero me sobra salud.
Si me quieren, también quiero si no me quieren, también, soy querendón y sincero porque soy hombre de fe. Amigo que sale malo yo lo olvido y terminó, pero no puedo olvidarla a la que a mí me olvidó.
Yo soy Pantaleón Lucero no sé si recordarán, decidor y refranero y criollo a carta cabal. Matear amargo es mi vicio mi desdicha, enamorar, qué alegría, cantar siempre así las penas se van.
(Coda) Yo soy Pantaleón Lucero, pa’ lo que guste mandar. Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores
Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero
Je suis Pantaleón Lucero, mayoral (préposé aux billets du Tramway) de profession, J’aurai quarante ans en janvier, bien que certains m’en donnent plus. Je suis né dans le Barrio Norte et j’ai grandi dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’argent, mais j’ai beaucoup de santé. S’ils m’aiment, j’aime aussi. S’ils ne m’aiment pas, également. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi. L’ami qui devient mauvais, je l’oublie et c’est fini, mais je ne peux pas oublier celle qui m’a oublié. Je suis Pantaleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en souvenez, un décideur et un diseur et un créole absolument (l’expression a carta cabal signifie, pleinement). Boire le mate amer est mon vice, ma misère, tomber amoureux, quelle joie, toujours chanter, ainsi les chagrins s’en vont. (Coda) Je suis Pantaleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez demander.
En savons-nous plus sur Pantaleón ?
Nous avons maintenant trois portraits d’un Pantaleón.
• Celui du Fox-trot, dont les paroles ne nous révèlent guère que son prénom.
S’il est difficile de savoir si les deux Pantaleón de Canaro correspondent au même personnage. En revanche, il est peu probable que le mayoral, qui semble un être paisible soit le même que celui de la milonga de Canaro. Je propose donc de laisser la question en suspens et en compensation, une petite remarque. Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mariano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un distributeur de billets dans un tramway… De nos jours, le terme chino est plutôt réservé aux Chinois. Cependant, en lunfardo, la china est la chérie, et, dans une moindre mesure chino est également utilisable pour chéri. Le terme « chino » définit également des métisses d’Indiens et de Noirs. Cela expliquerait le choix d’une musique proche du canyengue pour ce titre. Je fais donc l’hypothèse que El chino Pantaleón est un personnage sombre de peau, bagarreur, un des nombreux compadritos qui hantaient les faubourgs de Buenos Aires.
Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Cette jolie valse est une des premières que je mettais régulièrement à mes débuts de DJ de tango. Je m’en souviens, car la correspondance des prénoms, du nom et du titre m’avait frappé. Deux Francisco, Amor et Canaro et L’Amor de Francisco Amor et le double amor du titre, répété 6 fois dans les paroles et auquel il faut rajouter un amo. L’autre point, plus objectif, qui fait que j’aimais bien ce titre, est qu’il est essentiellement en mode majeur, d’un rythme soutenu et qu’il évite la monotonie en variant les instruments et que Francisco Amor a une belle voix.
On note dès le début le rythme bien accentué, typique de Canaro. Certains diront un peu lourd, mais cela plait aux Européens qui se sont habitués à ce fait, comme en témoigne l’évolution du tango en Europe, où la batterie rythme les bals de village même pour les tangos. On notera que le piano marque tous les temps à l’aide d’accords. On le remarque moins sur les premiers temps, justement à cause de l’utilisation appuyée de la contrebasse d’Abraham Krauss sur les premiers temps, mais aussi des autres instruments et notamment des violons, du violoncelle et des bandonéons, qui évolueront durant toute la durée entre des parties rythmiques et des passages mélodiques, en alternance afin que le rythme ne se perde pas et que ce soit confortable pour les danseurs. Le piano se libère progressivement de cet ostinato en lâchant quelques fioritures en fin de phrase. Le piano est tenu par Mariano Mores qui remplaça Luis Riccardi qui était dans l’orchestre de Canaro depuis 1928 et dont la maladie l’a obligé à abandonner la carrière. À 21 s se remarque la clarinette qui rappelle qu’avant les bandonéons, les flûtes faisaient partie des instruments du tango et que Canaro a également un orchestre de jazz. On retrouvera également la clarinette en contrepoint du chanteur un peu plus tard. À 28 s, commence la partie B qui se distingue par des allers-retours entre l’orchestre et le piano. À 56 s, Francisco Amor commence à chanter avec les violons en contre-chant et les ponctuations du piano, la contrebasse continuant d’aider les danseurs en marquant les premiers temps. Les bandonéons s’occupant de marquer tous les temps, comme le faisait le piano au début. Je pense qu’en l’ayant écoutée attentivement, vous comprendrez pourquoi je trouve que c’est une merveille, simple et élégante.
Paroles
Amor, amor vení No me hagas más penar, Que mi vida está en peligro Siempre que no tardes más.
Amor, amor vení Ya no puedo repetir, Porque me falta el aliento Y fuerzas para vivir.
Caminito del colegio Que de ahí te conocí, Me mirabas como a un hombre Y mi amor fue para ti.
Tengo veinte y tú también Y mi amor también creció, No sé si me comprendiste Y por eso te amo yo. Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)
Traduction libre
Amour, amour vient (amour = chérie) Ne m’inflige pas plus de chagrin, car ma vie est toujours en danger, aussi, ne tarde pas davantage. Amour, amour vient Je ne peux plus le répéter, parce que me font défaut le souffle et les forces pour vivre. Sur le chemin de l’école où je t’ai rencontrée, tu m’as regardé comme un homme et mon amour fut pour toi. J’ai vingt ans, et toi aussi, et mon amour a également grandi, je ne sais pas si tu m’as compris, et c’est pourquoi, moi, je t’aime.
Bredouille
Difficile de trouver des éléments sur cette valse. Son auteur est inconnu. On ne lui doit aucun autre titre et la SADAIC ne dispose d’aucune donnée dans son enregistrement correspondant, #195 009, pas même le nom du compositeur et parolier, Mariano Ramiro Ochoa Induráin. Du côté des deux Francisco, l’horizon s’éclaircit. Je ne vais pas vous parler de Canaro, mais vous dire quelques mots de Amor. S’il a commencé dans l’orchestre de Florindo Sassone, ce natif de Bahia Bianca, comme Di Sarli, n’a enregistré qu’avec Canaro. Son image a toutefois été enregistré dans divers films comme : Viento norte 1937 de Mario Soffici où il tient le rôle du soldat chanteur… Musique et chansons de Andres R. Domenech et P. Rubbione.
Francisco Amor en Viento norte 1937. Un film de Mario Soffici. Dans cet extrait, Francisco Amor chante deux chansons et on peut voir à la fin un Gato et un Malambo interprété par les soldats.
Pampa y cielo 1938 de Raúl Gurruchaga dans lequel il chante notamment « No te cases » (ne te marie pas).
No te cases 1937 (Vals) — Francisco Amor con la Orquesta de Francisco Canaro
Mandinga en la sierra 1939 de Isidoro Navarro. Napoleón 1941 de Luis César Amadori. Buenos Aires canta 1947 de Antonio Solano. Comme le titre peut le suggérer, plusieurs chanteurs sont à l’affiche et en plus de Francisco Amor, citons, Azucena Maizani, Ernesto Famá. On peut aussi y écouter Oscar Aleman, l’orchestre le plus en vogue lors de la décadence du tango au profit du jazz.
Autres versions
Les Francisco ont enregistré ensemble une vingtaine de valses. Cependant, il n’y a pas de version enregistrée de cette valse par un autre orchestre. Je vous propose donc de terminer en la réécoutant.
Je vous laisse avec les 76 mots chantés par Amor, qui dira son nom de famille (il s’appelait réellement Amor et même Iglesias Amor, c’est-à-dire « Église Amour »…) six fois.
Sur ces bonnes… paroles, je vous dis à bientôt, les amis !
C’est sympa de faire des rêves, mais parfois le retour à la réalité est terrible. C’est ce qui arrive au héros de cette magnifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milongas. Ciriaco Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provincianos, l’a enregistrée, il y a exactement 93 ans…
Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz.
Dès le début on remarque que le titre est conçu sous forme de questions-réponses. L’orchestre lance une question et un soliste donne la réponse. Si les violons avec Elvino Vardaro sont majoritairement les solistes, les bandonéons, dont celui de Ciriaco Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troilo ont également leurs réparties. Pour les danseurs, ces dialogues sont très intéressants, car cela leur permet de varier l’improvisation. La répétitivité de la structure permet de préparer une « réponse » au cas où les premiers dialogues auraient été loupés dans l’improvisation. Pour les danseurs moins avancés, les premiers temps de chaque mesure sont marqués par la contrebasse de Manfredo Liberatore. C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vraiment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles. C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère temporel bien marqué. À 1:58, Carlos Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu surprendre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop perturber les danseurs. On remarquera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sourdine par un discret Poum-Tchi-Tchi, ce qui permet aux danseurs de garder le rythme. On remarquera la complexité modale de l’œuvre, avec de nombreux changements de tonalité, ce qui peut parfois donner une impression de dissonance si on reste sur l’élan de la tonalité précédente.
Il est difficile d’authentifier les instrumentistes de l’orchestre, car les orchestres de la Victor étaient à géométrie variable. Comme ces orchestres se limitaient aux enregistrements, ils se construisaient à chaque session avec des musiciens de premier plan, disponibles. On considère généralement que les principaux musiciens de Los Provincianos dirigés par Ciriaco Ortiz étaient : Ciriaco Ortiz, Aníbal Troilo, Horacio Gollino (bandonéonistes) Orlando Carabelli (pianiste) Elvino Vardaro, Manuel Núñez, Antonio Rossi (violonistes) Manfredo Liberatore (contrebassiste)
Un des orchestres de la Victor
Cette photo généralement légendée comme étant de Los Provincianos, sans doute à cause de la présence de Ciriaco Ortiz. Cependant, Mercedes Simone n’est pas intervenue dans cet orchestre. Il me semble donc qu’il faut plutôt considérer que c’est une composition mixte, notamment avec l’orchestre Típica Victor de Carabelli dont Ciriaco Ortiz était également membre. On notera la présence du jeune Aníbal Troilo. Sur la droite, le violoniste Benjamín Holgado Barrio qui est à l’origine de la première scission de l’orchestre de D’Agostino. Il réclamait 17 pesos, pour lui et les autres membres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enregistrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Vargas compris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée. Je propose pour cette photo, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui permet de réunir le plus de protagonistes. Mercedes Simone a enregistré ce jour Circo criollo avec la Tipica Victor (Carabelli). Sur cette photo, il manque Carabelli et, Lesende, qui n’a jamais enregistré avec la Victor est plutôt un intrus. En effet, il enregistrait à l’époque avec deux compagnies concurrentes de la Victor, la Brunswick (avec la Orquesta Típica Brunswick) et avec la Columbia (avec l’orchestre de Antonio Bonavena). Horacio Gollino est généralement indiqué comme ayant fait partie des premiers bandonéonistes de Los Provincianos. Il était né le 5 février 1911, il aurait donc eu quasi 20 ans, ce qui semble correspondre à l’âge du troisième bandonéoniste de la photo. José María Otero, qui est toujours très bien documenté, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la photo suivante, représentant l’orchestre de Troilo en 1941, il semblerait que l’on puisse valider l’hypothèse de Toto.
De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Anibal Troilo, Eduardo Marino et Hugo Baralis. À l’arrière : Pedro Sapochnik, Orlando Goñi, Francisco Fiorentino, Kicho Díaz et Astor Piazzolla (qui fit le forcing auprès de Troilo pour remplacer Toto qui était malade). Hugo Baralis a appuyé sa candidature…
Cependant, selon Toto Tango qui est également une source de haute qualité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma datation de la photo est bonne, ce qui semble tout de même un peu jeune et ne correspond pas à l’image. Si on regarde l’âge probable des différents musiciens de la première photo, la date de 1931 est fort plausible ; Troilo fait vraiment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la seconde, il a 27 ans, il semble difficile de considérer qu’il y a beaucoup moins de 10 ans entre les photos. Je propose donc d’identifier Horacio Gollino sur cette photo, ce qui nous permettra d’avoir enfin un visage à mettre sur ce musicien de grande qualité, qui termina sa vie en donnant des cours de musique sans pouvoir pratiquer le bandonéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.
Paroles
Que sueño aquel tan hondo y cruel Me vi en la gloria de tu pecho amante Y a al instante todo se acabo Fue mi Sueño imaginado Nada más que un soplo de placer Que se fumó y una ilusión hecha canción que se apagó Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti
Traduction libre
Quel rêve si profond et cruel. Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instantanément, tout fut terminé. C’était mon rêve imaginé, rien de plus qu’un souffle de plaisir qui partit en fumée et une illusion faite chanson qui s’éteignait.
Autres versions…
Il n’y a pas d’autre version enregistrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nombreux auteurs de tous types de musique. Je vous propose donc de terminer en réécoutant cette valse.
Sueño imaginado 1932-01-05 — Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz. C’est notre valse du jour.
À bientôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réaliseront.
J’ai reçu ce matin un message d’un organisateur de milonga me demandant quelle valse proposer pour un anniversaire, avec la contrainte que ce soit une valse du mois de janvier vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai proposé cette valse, Mentías, pour deux raisons. La première est que c’est une valse qui correspond bien à l’occasion et la seconde est que sa date d’enregistrement coïncide avec la date de naissance de la danseuse à fêter. Je te dédicace donc, Martine de Saint-Pierre (La Réunion), cette valse, en te souhaitant un excellent anniversaire.
Extrait musical
Disque RCA Victor (38 138 face B) de Mentías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138‑A) il y a El apronte, enregistré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548–1.Mentías 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Cette valse commence sur un rythme rapide, avec une introduction au piano par Rodolfo Biagi, qui proposera de nombreuses ponctuations et transitions légères (comme la première à 13s). Durant toute la première partie (jusqu’à 28s), tous les instruments sont au service du rythme. Ensuite, les bandonéons s’individualisent pour la partie B et ensuite cèdent le pas aux magnifiques violons. À 1:50, la variation apporte une impression de vitesse, sans toutefois changer le tempo, simplement, comme le fait presque systématiquement D’Arienzo, en subdivisant les temps en employant des double-croches au lieu de croches. Le rythme rapide, mais sans exagération et la fin somme toute tranquille, laisse la place à des titres plus énergiques pour terminer la tanda dans une explosion. Ce titre est un bon premier titre, ce qui renforce ma conviction qu’il peut faire l’affaire pour un anniversaire.
Paroles
Mis ojos te grabaron en mi mente Bajaste de la mente al corazón, La flor del corazón se abrió en latidos ¡Latidos que acunaron nuestro amor! Amor que florecía con tus besos Tus besos encubrían la traición, Traición que me valió la cruz del llanto ¡Y el llanto por mis ojos te arrojó!
¡Mentías…! Con caricias… estudiadas… ¡Cinismo…! Del cariño desleal… Jurabas Por tu dios y por tu madre… ¡Mira si no es criminal! Los seres Que han matado y se redimen, Merecen el olvido y el perdón… Cien vidas No podrán borrar tu crimen ¡Asesinar la ilusión!
Y ahora que mi vida está vacía Anclada en un silencio sin dolor, Golpea el aldabón de tu recuerdo Las puertas de mi pobre corazón… Ya es tarde para unir idilios rotos Miremos cara a cara la verdad, No vuelvas a rondar por mi cariño ¡Que el sueño que se fue no torna más! Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine
Traduction libre des paroles
Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descendue de l’esprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en palpitant. Des battements de cœur qui ont bercé notre amour ! L’amour qui s’est épanoui avec tes baisers. Tes baisers ont couvert la trahison, la trahison qui m’a valu la croix des pleurs. Et les larmes à travers mes yeux t’ont rejetée !
Mensonges…! Avec des caresses… Étudiées… Cynisme…! D’affection déloyale… Tu as juré par ton dieu et par ta mère… Vois si ce n’est pas criminel ! Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méritent l’oubli et le pardon… Cent vies ne pourront pas effacer ton crime Tuer l’illusion !
Et maintenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indolore, le heurtoir de ton souvenir frappe les portes de mon pauvre cœur… Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regardons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour. Car le rêve qui est parti ne revient pas !
On notera que les paroles sont très moyennement adaptées à une fête d’anniversaire. Cependant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enregistrées et la musique les dément totalement.
Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine
Le compositeur de cette valse, Juan Carlos Casaretto n’est connu que pour un seul autre titre, un tango, Chiclana y Boedo (avec J. Treviño, encore plus inconnu). Il en existe un enregistrement tardif par Enrique Rodriguez et Roberto Flores, mais ce n’est pas pour la danse. Alfredo Navarrine (Pigmeo), en revanche, est à la tête d’une riche production. Avec son frère, Julio Plácido Navarrine, il a fourni bon nombre de titres de tango.
Des frères Alfredo et Julio Navarrine :
Alaridos 1942
Juana 1958
Mil novecientos treinta y siete 1937 (plus José Domingo Pécora)
Lechuza 1928
Oiga amigo 1933
Sos de Chiclana 1947 (plus Rafael Rossa)
Trilla e recuerdos
De Julio Navarrine :
A la luz del candil 1927
Barcos amarrados
Catorce primaveras
El anillito de plata
El vinacho Milonga
La piba de los jazmines
Oiga amigo
Oro muerto (Jirón porteño) 1926
Por qué no has venido 1926
Qué quieren yo soy así Milonga
Trago amargo 1925
De Alfredo Navarrine :
Agüita e luna
Ayer y hoy 1939
Bandoneones en la noche
Barrio reo 1927
Brindis de olvido 1945
Canción del reloj
Canto estrellero 1943
Cielito del porteño 1950
Como una flor 1947
Con licencia 1955
Corazón en sombras 1943
Curiosa
Desvíos
Escarmiento 1940
Escúcheme, gringo amigo 1944
Esmeralda
Estampa rea 1953
Este amor 1938
Falsedad 1955
Fea 1925
Gajito de cedrón 1973 Canción criolla
Galleguita 1925
He perdido un beso 1940
Humildad 1938
La condición 1946
La Federal
Latido porteño
Luna pampa 1951
Mentías 1941 (Notre valse du jour)
Milonga de un argentino 1972
No nos veremos más 1939
Noche de plata 1930 (Vals)
Nocturno inútil 1941
Ojos en el corazón 1945
Ojos tristes 1939
Pajarada 1945
Qué linda es la vida
Rancheriando
Resignación
Ronda de sueños 1944
Rosas negras 1942
Sangre porteña 1946
Sé hombre
Señor Juez 1941
Señuelo 1977
Serenidad 1946
Tamal 1975
Tango lindo
Tango para un mal amor 1948
Tata Dios 1931
Torcacita
Tucumana (Zamba)
Tucumano 1961
Vidalita
Yo era un corazón 1939
Yunque 1953
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres contemporains pour enregistrer des valses. Ils nous donnent des dizaines de versions de quelques tangos, mais très peu de valses ou de milongas. Si cette valse n’a pas été enregistrée par la suite, nous avons un tango du même titre composé par Juan de Dios Filiberto avec des paroles de Milon E. Mujica. Je vous propose deux enregistrements de celui-ci et on terminera par la valse du jour.
Mentías 1923 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).
Un enregistrement acoustique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.
Mentías 1927-10-20 — Orquesta Roberto Firpo.
Une jolie version. C’est assez léger et pas trop marqué en canyengue intense… Cela reste cependant un peu monotone, mais le joli violon de Cayetano Puglisi, délicieusement larmoyant, fait pardonner cela.
Mentías 1937-04-01 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Mentías 1937-04-01 (vals) — Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour. On termine avec énergie.
La tradition de la valse d’anniversaire
Il est des traditions dont on ne connaît pas vraiment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milongas en fait sans doute partie. Il se peut aussi que ce soit une ignorance de ma part. Voici ce qui me semble à peu près vérifiable.
La valse des mariés
Un peu partout dans le monde, les nouveaux mariés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à certains professeurs de danse une petite rente. Ils mettent en scène une petite chorégraphie, les mariés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émerveillent les invités et la famille, soigneusement anesthésiés au préalable par la richesse du repas et des alcools servis.
La valse des 15 ans
Plus spécifiquement en Amérique latine, il y a la tradition des 15 ans des jeunes filles/femmes. Cette cérémonie, peut-être issue des cultures précolombiennes, perdure de nos jours avec des formes, souvent très élaborées. Il existe des boutiques de robes spéciales pour les 15 ans, des maîtres de cérémonie et des vidéastes spécialisés. Ce sont des fêtes fort coûteuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage. Cette tradition évolue, mais en général, la jeune femme est présentée par le père (ou parrain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels prétendants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipédia pour des éléments plus concrets. En Europe, chez les puissants, on peut trouver une cérémonie parallèle, le bal des débutantes.
La valse d’anniversaire des tangueros
Vous avez reconnu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pratique dans les milongas. À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beaucoup d’organisateurs ne souhaitent pas qu’on « perde » du temps à cette manifestation. D’autres, comme celui qui m’a commandé la valse ce matin, marquent plus d’attention pour cette tradition. En Argentine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milonga. Ils réservent une table et c’est une des occasions où il est autorisé d’apporter de la nourriture de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syncope un nutritionniste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le « champagne » local, qui lui est celui vendu dans la milonga, participe à la fête, ainsi que souvent, des déguisements et autres fantaisies. En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps perdu pour les danseurs. C’est un peu vrai, mais c’est aussi oublier la dimension sociale du tango. Nous sommes une communauté et c’est important de la renforcer par des marques d’amitié. Le tango n’est pas un club de gym où on fait son entraînement avec des écouteurs sur les oreilles. On parle, on chante et on partage. Comme DJ, il est important d’aider à trouver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniversaire, je me contente d’une dédicace avant la tanda de valse. Libre aux danseurs qui le souhaitent d’organiser un moment convivial. Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs possibilités. Parfois, tous les danseurs/danseuses veulent danser avec la personne qui fête son anniversaire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réussi à partager quelques secondes de valse. Parfois, cela dure toute la tanda. Cela peut être effectivement frustrant pour ceux qui ne danseront pas avec la personne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniversaire, ou les hommes dans le cas contraire). Cela risque de faire baisser l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très amicale, je pense que cette organisation est à éviter. Plus intéressante est la mise en place d’un double parcours. On invite le héros de soirée à se placer au centre de la piste et les partenaires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peuvent les entourer en dansant autour. Je trouve cela assez sympathique et cela ne frustre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhaitent partager quelques secondes de danse avec la personne qui fête son anniversaire. Il me semble qu’il est intéressant de proposer cette organisation, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son propre chef. Pour bien mettre en valeur l’anniversaire, on peut réserver une partie du premier thème au seul anniversaire et remplir progressivement la piste. S’il y a beaucoup de prétendants, cela peut impliquer de réserver tout le premier titre de la tanda à la personne qui fête son anniversaire. Comme DJ qui aime proposer des valses, je propose, en plus de la valse d’anniversaire, une tanda complète. Cela permet aux danseurs qui ont participé au manège de danser avec un autre partenaire. La tanda fera donc au moins quatre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tandas de 4 et que le premier titre a été entièrement utilisé pour souhaiter l’anniversaire. Les danseurs qui vont inviter la personne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spectacle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au contraire, être aux petits soins pour le partenaire), mais dans la manière de prendre son tour (ou de le donner). Cela apporte une distraction à ceux qui ne participent pas. Dans mon ancien profil Facebook, malheureusement fermé pour d’obscures raisons, j’avais réalisé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indienne se sont mis à se balancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se balançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques secondes de bal.
Mentías. L’illustration n’est pas exactement fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’utilisation que j’en propose, une valse d’anniversaire.
Le Carnaval était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tango. À cette occasion, des orchestres se regroupaient pour proposer des orchestres immenses et des milliers de danseurs “tanguaient” sur les pistes plus ou moins improvisées, dans les rues, les places ou les salles de concert, comme le Luna Park. Mais Carnaval, c’était bien plus que le seul tango. C’était un moment de libération dans une vie souvent difficile et parfois, l’occasion de rencontres, comme celle que nous narre ce tango de Di Sarli.
Extrait musical
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.Partition de piano de Otra vez carnaval de Di Sarli et Jiménez.
Paroles
En los ojos llevaba la noche y el amor en la boca… Carnaval en su coche la paseaba triunfal. Serpentina de mágico vuelo fue su amor de una noche; serpentina que luego arrastró mi dolor enredada en las ruedas de un coche cuando el corso en la sombra quedó…
Otra vez, Carnaval, en tu noche me cita la misma bonita y audaz mascarita… Otra vez, Carnaval, otra vez, como ayer, sus locos amores le vuelvo a creer. Y acaso la llore mañana otra vez…
Fugitivas se irán en la aurora la ventura y la risa… ¡Tendrán todas mis horas una gris soledad! En mis labios habrá la ceniza de su nuevo desaire; y despojos del sueño tan sólo serán, un perfume rondando en el aire y en el suelo un pequeño antifaz… Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez
Traduction libre
Dans ses yeux, elle portait la nuit et l’amour à la bouche… Carnaval dans son char la faisait défiler triomphalement. Un serpentin de vol magique fut son amour d’une nuit ; serpentin qui ensuite traîna ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’ombre s’immobilisa…
Encore une fois, Carnaval, dans ta nuit, me donna rendez-vous, la même belle et audacieuse, masquée… Encore une fois, Carnaval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire. Et peut-être que je la pleurerai demain, encore une fois…
Les fugitives s’en iront dans l’aurore, la fortune et les rires… Toutes mes heures auront une solitude grise ! Sur mes lèvres resteront les cendres de son nouveau camouflet ; et les restes du rêve ne seront plus qu’un parfum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…
Autres versions
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre tango du jour.Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1947-01-14 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nouveau chanteur. Di Sarli réenregistre sa composition.Otra vez carnaval 1981-08-12 — Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña. Une version à écouter.
Carnaval
Les festivités de Carnaval se sont vues à plusieurs reprises interdites en Argentine. Il faut dire qu’au XIXe siècle, cela donnait souvent lieu à des débordements. Il s’agissait de manifestations plutôt spontanées jusqu’au dix-neuvième siècle, elles furent interdites ou limitées à certains lieux, notamment dans le cadre de la limitation des populations d’origine africaines.
1869, l’état autorise le carnaval et l’organise
C’est Sarmiento, de retour d’un voyage en Italie où il avait assisté aux festivités de Carnaval, qui les a rétablies officiellement en 1869 sous la forme du défilé.
Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguaychú, province de Entre Ríos).
Tango et carnaval
Les orchestres étaient mis à contribution et, durant les décennies tango, les orchestres de tango faisaient danser plusieurs milliers de couples. Pas seulement à Buenos Aires, mais aussi à Montevideo et Rosario, notamment.
Affiches de carnavals. 1917 Firpo et Canaro — 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Fresedo et D’Arienzo (voir le petit jeu en fin d’article). Ensuite, Di Sarli et enfin une affiche de 1950 avec Troilo et De Angelis.
Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)
La plus récente prohibition fut partielle. C’était pendant la dernière dictature du vingtième siècle. Le Carnaval n’avait pas été aboli, mais deux conditions avaient été posées : “Se prohíbe el uso de disfraces que atenten contra la moral y la decencia públicas: uniformes militares, policiales, vestiduras sacerdotales y los que ridiculicen a las autoridades del Estado u otras naciones. -Está permitido de 9 a 19, jugar con agua en buenas condiciones de higiene, globitos y pomos.” « L’utilisation de costumes qui violent la moralité publique et la décence est interdite : uniformes militaires, uniformes de police, vêtements sacerdotaux et ceux qui ridiculisent les autorités de l’État ou d’autres nations. (On notera que la lecture peut être à double niveau et que l’on pourrait y considérer les vêtements militaires et sacerdotaux comme indécents…) -Il est permis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes conditions d’hygiène, les ballons et les pommeaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du carnaval correspond au plein été en Argentine).
Les jeux avec l’eau sont restés permis pendant la dictature.
Cependant, durant la Dictature, il n’y a pas eu de Carnaval proprement dit, pas de défilés et de grandes fêtes populaires.
La fin de la dictature et le retour du Carnaval
Lorsque Alfonsin fut élu en 1983, il mit en œuvre son programme « Avec la démocratie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suivante, le carnaval de nouveau libéré a pris une saveur particulière et, peu à peu, les tentatives de coup d’État se sont espacées et la démocratie s’est implantée pour une quarantaine d’années.
Le carnaval de 1984 est important, car il fête le retour de la démocratie et, par la même, le retour du Carnaval sous sa forme habituelle.
En 2023, le congrès portait des banderoles 40 ans de démocratie, en souvenir de cette époque.
Le gouvernement précédent avait fait placer deux banderoles, de part et d’autre de l’entrée des députés au Congrès (Congreso). J’ai pris cette photo, peu de temps après le changement de gouvernement. Une des banderoles avait disparu. On remarquera une scène étonnante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplacement réservé aux voitures officielles). Il ne reste bien sûr plus de banderole aujourd’hui et les indigents sont priés de dormir hors de la ville. Les matelas de fortune et les maigres possessions de ces personnes sont brûlés. Cela semble fonctionner, on rencontre beaucoup moins de personnes dormant dehors maintenant. Mais il suffit de franchir les limites de la ville pour constater que ce n’est pas une amélioration de la situation des plus pauvres, mais un simple « nettoyage ».
Petit jeu (très facile)
Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…
Affiche de la Radio El Mundo de Buenos Aires pour le Carnaval de 1940.À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…
Réponse au petit jeu
J’imagine que vous n’avez pas trop eu de difficulté pour ce qui est de raccorder les orchestres avec leurs chanteurs de tango. Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il semble donc logique d’associer, car ils sont moins connus. Eddie Kay, pianiste né en Italie et qui est passé auparavant par les États-Unis pour sa formation musicale avant de retourner en Italie, puis de s’installer en Argentine. Étant donné son passé en Amérique du Nord, il est tentant d’en faire un musicien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa rencontre avec Gardel, qui se transforma en amitié, a fait qu’il a élargi ses horizons et a également composé des tangos. Cependant, en ce qui concerne l’affiche de notre jeu, il intervenait bien comme orchestre de jazz (Foxtrots, valses et danses importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alabama Jazz, a un nom qui marque bien les ambitions de cet orchestre, tout comme le pseudonyme Eddie Kay car son nom véritable était Edmundo Tulli, ce qui fait nettement moins, jazzman. Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trouvé trace du bonhomme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait commencé sa carrière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc forcément d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans… Je ne sais donc pas si ce chanteur était associé à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseudonyme, on peut penser qu’il gravitait également autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en aviserai.
Les réponses. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort probable, mais sans garantie…
Un petit cadeau
J’ai monté quelques images fixes et animées de Carnaval. Cela vous permettra de vous faire une idée du phénomène.
Pour le tango du jour, je cherchai un titre enregistré un 2 janvier. Il y a du choix, notamment chez Pugliese, qui a effectué en 1947 et 1958 des sessions d’enregistrement ce jour de l’année. Mais ces titres sont peu dansants et un peu trop intellectuels pour démarrer l’année en douceur. J’aurais pu vous proposer le magnifique Criolla Linda de Lomuto ou des titres de Donato, qui enregistra également à deux reprises un 2 janvier (1931 et 1953). Finalement, mon choix s’est porté sur une milonga dynamique par Firpo. Voici donc De mi arrabal pour bien commencer l’année, avec le sourire.
Extrait musical
De mi arrabal 1942-01-02 — Orquesta Roberto Firpo.Édition en CD de notre tango du jour (plage 12). version un peu accélérée par rapport à l’enregistrement original sur disque 78 tours. D’ailleurs, la version de 1949, un ½ ton plus aigüe a peut-être aussi subi le même traitement. Cette version est intermédiaire…
Comme c’est habituel chez Firpo, le mode mineur est bien présent, mais associé à un rythme relativement soutenu qui chasse la mélancolie que peut provoquer le mode utilisé. C’est de plus une de ses compositions, il avait donc toute liberté pour utiliser ce mode… Les descentes chromatiques sautillantes qui apparaissent dès le début sous-tendent toute l’œuvre composée de montées et descentes. Les descentes se terminent par une ponctuation à la tierce, bien marquée pour indiquer que le mouvement descendant est terminé. Cela peut guider les danseurs, notamment, car ce motif est repris plusieurs fois. À chacun d’imaginer comment, avec sa(son) partenaire, matérialiser ce motif. À 16 s commencent des accents puissants. Trois, puis un plus espacé. C’est le jeu de l’orchestre avec les danseurs qui attendent le quatrième accent et qui vont le recevoir, atténué et retardé. La milonga, c’est fait pour jouer, avec le partenaire, mais aussi avec l’orchestre. C’est d’ailleurs une dimension perdue à cause des enregistrements figés. Les danseurs peuvent se routiner sur des versions trop connues. Le DJ peut toutefois proposer une version moins courante, voire faire d’autres « trucs » que je n’avouerais que sous la torture ou les chatouilles. À 29 s, la partie lisa de la milonga permet de marcher, de décongestionner la circulation dans le bal et d’offrir aux danseurs un temps de dissipation de la tension. À 34 s, les violons nous proposent un motif charmant qui refait monter la tension. On remonte les étages dégringolés au début. Les danseurs savent alors que vont suivre d’autres cascades et ils vont pouvoir se préparer à reprendre la partie A et ses fantaisies rythmiques. Mais Firpo fait durer le plaisir. Ce sont maintenant les bandonéons qui reprennent la lente ascension hésitante. Et une fois remonté totalement la pente, Firpo nous renvoi dans sa fameuse descente à 1:09, mais cela ne dure pas, les violons nous prennent dans leur filet et on reste dans les hauteurs. À 1:18, nouvelle tentative de descente en cascade, là encore avortée par l’intervention des violons. Mais on sent au fond le rythme et des descentes discrètes. Firpo rappelle aux danseurs étourdis qu’ils doivent se préparer… Pour réveiller les moins attentifs, les grosses ponctuations d’archets reprennent à 1:26, suivies d’un passage plus déstructuré comme pour montrer la lutte des différentes tendances de la milonga. À 1:44, la partie lisa semble reprendre le dessus avec un peu de recharge. À 1:59, l’orchestre semble s’étrangler, les danseurs sont alors en alerte maximale et à 2:01, le torrent des descentes reprend enfin jusqu’au final. On peut s’imaginer un traveling dans les faubourgs, suivant un jeune homme alerte qui nous guide au rythme de ses rencontres et qui nous présente les points d’intérêt de son quartier. En l’absence de paroles, on peut imaginer ce que l’on veut, c’est la force de la musique. Admettons que j’ai un peu déliré sur ce coup-là. Pardon. On notera le bandonéon de Juan Cambareri, d’une totale maîtrise, mais qui échappe aux délires virtuoses dont cet artiste est capable. Firpo qui l’a embauché alors qu’il n’avait que 16 ans, a su le maintenir dans le cadre souhaité.
Paroles
Bien que Vicente Planelles Del Campo ait écrit des paroles, elles ne semblent pas nous être parvenues. Voici une petite liste de ses textes pour des tangos ou d’autres rythmes (indiqués entre parenthèses). La date est celle d’écriture probable.
A carta cabal 1938 (Tango)
A carta cabal 1938 (Tango)
Ave sin rumbo 1932 (Tango)
Ay, Josefina (Foxtrot)
Con el fulgor de tu mirar (Vals)
Cuando pueda besar 1938 (Vals)
De mi arrabal (Milonga)
El entrerriano (Tango) – Une des versions. Voir l’anecdote à ce sujet.
En el silencio de la noche (Vals)
Honda tristeza 1931 (Tango)
La loba 1952 (Tango)
Pobre negrito — Flor de Montserrat (Milonga)
Poderoso 1931 (Pasodoble)
Raúl (Foxtrot)
Titina (Ranchera)
Cela ne nous aide pas à savoir vraiment à savoir ce que Firpo pensait de son faubourg. Il était né à Flores qui a l’époque de sa naissance pouvait ressembler à cela.
Aspect possible du quartier de Firpo lors de sa naissance…Mais la venue du train et la construction de différents monuments comme des églises ont donné un aspect différent à ce faubourg qui était, très rural avant de se charger des populations qui ne pouvaient pas vivre en centre-ville.C’est la vision que j’en propose, enjolivée par le souvenir.
Autres versions
De mi arrabal 1942-01-02 — Orquesta Roberto Firpo. C’est notre milonga du jour.De mi arrabal 1949-05-18 — Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.
Sur un rythme plus rapide et avec un orchestre réduit à quatre instruments, Firpo redonne, sept ans plus tard une nouvelle version.
De mi arrabal 1969 — Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.
Villasboas nous a habitués à ses reprises de Firpo. De mi arrabal n’a pas échappé à cette habitude et c’est tant mieux, car ce titre convient parfaitement à cet orchestre uruguayen qui sait fournir une sonorité propre. Villasboas, comme Firpo était pianiste, cela rajoute une proximité, ainsi le fait que les deux étaient proches de la branche uruguayenne du tango. C’est une version très joueuse et qui a son propre intérêt à côté des versions de Firpo. On peut juste remarquer le côté un peu plus répétitif, mais, dans le cas de la milonga, ce n’est pas forcément gênant, car cela conforte les danseurs.
De mi arrabal. Disque Odeón. Le titre qui a donné son nom à l’album est le sixième de la face B.
Cela nous fait trois versions passables en bal. De quoi varier les plaisirs.
A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio ; Héctor Serrao ; Rodolfo Genaro Serrao)
¡Feliz año nuevo! Il est minuit à Buenos Aires, c’est l’année nouvelle qui commence. Les fusées de feu d’artifice pétaradent et illuminent le ciel de Buenos Aires. Ici, pas de majestueux feux d’artifice élaborés par des artificiers professionnels. Ce sont les Argentins qui se chargent du spectacle en fonction de leurs moyens financiers et de leurs capacités. Notre musique du jour n’est pas un tango, mais est chantée par un de ses chanteurs, Alberto Castillo, qui en est également un des auteurs.
Riobal y los Halcones
Quelques mots sur les auteurs de ce titre.
Riobal
Riobal, alias Alberto Castillo, alias…, alias…, alias…, alias…
Riobal est un des pseudonymes de Alberto Castillo, ou plutôt de Alberto Salvador De Lucca, puisque que Castillo est également un pseudonyme destiné à faire plus espagnol, ce qui était courant pour les chanteurs de tango. Les orchestres avaient besoin d’un chanteur italien et d’un chanteur espagnol pour satisfaire les deux principales communautés portègnes. Peu importe qu’ils soient réellement originaires de ces pays. D’ailleurs ses premiers pseudonymes ont été Alberto Dual et Carlos Duval… Cette foison de pseudonymes était également destinée à tromper la vigilance paternelle. Pour son père, il était étudiant en médecine et, effectivement, il devait être médecin gynécologue. Un jour, en écoutant son fils à la radio, il s’exclama, « il chante très bien, il a une voix semblable à celle de Albertito », et pour cause… Cependant, le tango a pris le dessus et Alberto a rejoint l’orchestre d’un dentiste, celui de Ricardo Tanturi, avant de terminer sa dernière année… Il n’était donc pas à proprement parler gynécologue, comme on le lit en général dans ses biographies.
Trío Los Halcones
Ce trio a chanté avec Miguel Caló, mais leur spécialité était plutôt le boléro et autres musiques traditionnelles ou folkloriques. Ils ont collaboré avec Castillo pour l’écriture de la musique et des paroles de ce titre. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement de Año nuevo par ce trio.
Trío Los Halcones.
Extrait musical
Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. Partition de saxophone ténor de Año nuevo.
Ángel Condercuri ou Jorge Dragone ?
Año nuevo a été enregistré le 31 janvier 1956. Je n’ai pas respecté le choix d’un thème enregistré le jour de l’anecdote, pour vous proposer un air gai et de circonstance. Nous sommes donc en 1956 et Alberto Castillo a son orchestre dirigé par un chef. Selon les sources, il y a un doute sur le chef qui tenait la baguette le jour de l’enregistrement.
Gabriel Valiente dans son Enciclopedia del Tango indique que l’orchestre de Castillo est dirigé par Ángel Condercuri de 1951 à 1954 puis de nouveau à partir de 1959 et par Jorge Dragone de 1955 à 1958. Ce travail est une somme, mais il y a de nombreuses imprécisions et un certain nombre d’erreurs. C’est une bonne source, mais qui demande à être vérifiée.
Todo Tango, qui est le site de référence incontournable propose une entrevue avec Jorge Dragone dans laquelle celui-ci indique qu’il était dans l’orchestre de Condercuri à cette époque. https://www.todotango.com/historias/cronica/238/Dragone-Un-eterno-viajero/ Par conséquent, s’il est le pianiste de l’orchestre, il n’en est pas le directeur. En 1957, donc l’année suivante, il indique avoir son propre orchestre en alternance pour lequel il recourt à la voix de Argentino Ledesma. Même s’il est envisageable que, pour une séance d’enregistrement particulière, Condercuri ait laissé la direction à son pianiste, cela mériterait d’être documenté.
La solution serait d’avoir le catalogue ou le disque d’origine, malheureusement, je n’ai pas trouvé le catalogue de Odeón correspondant et les CD ne sont pas précis sur la question (soit ils n’indiquent rien, soit ils mettent les deux noms, sans préciser à quels titres, cela se rapporte). Quant aux disques d’origine, ils indiquent juste Alberto Castillo y su Orquesta. Bernhard Gehberger, le créateur du site Tango-DJ.AT, confirme avec les mêmes arguments. Il m’a même rappelé que certains enregistrements étaient donnés avec Raúl Bianchi à la direction. Cependant, cela ne semble concerner que la période 1953–1955. En 1956, Bianchi était à Rosario. On notera toutefois, que Bianchi était pianiste, comme Dragone. Serait-ce une habitude chez Condercuri de laisser ses pianistes diriger ? En attendant d’en savoir plus, je conserve Ángel Condercuri comme Directeur de l’orchestre de Castillo pour cet enregistrement.
Paroles
Il y a différentes variantes, mais qui ne changent pas le sens. Vous aurez la version du film en fin d’article avec les paroles en sous-titrage.
Año nuevo Vida nueva Más alegres los días serán Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Entre pitos y matracas entre música y sonrisa El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más, Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos Entre todos cantaremos, llenos de felicidad Vamos todos a cantar
Año nuevo Vida nueva Nuestras penas dejemos atrás Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Año nuevo Vida nueva Mas alegre los días serán Sin problema, sin tristeza Y un feliz año nuevo vendrá…
Entre pitos y matracas entre música y sonrisa El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos Entre todos cantaremos, llenos de felicidad Vamos todos a cantar
Año nuevo Vida nueva Más alegres los días serán Año nuevo Vida nueva Con salud y con prosperidad
Año nuevo Vida nueva Nuestras penas dejemos atrás Sin problema, sin tristeza Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá Y un feliz año nuevo vendrá…
A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio; Héctor Serrao; Rodolfo Genaro Serrao)
Traduction libre des paroles
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Entre sifflets et crécelles Entre musique et sourire L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur Nous allons tous chanter
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus joyeux Sans problème et sans tristesse Et un Nouvel An heureux viendra
Entre sifflets et crécelles Entre musique et sourire L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur Nous allons tous chanter
Pito y matraca (sifflet et crécelle)
Nouvel An Nouvelle vie Les jours seront plus heureux Nouvel An Nouvelle vie Avec la santé et la prospérité
Nouvel An Nouvelle vie Nous laisserons nos peines derrière Sans problème et sans tristesse Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra Et un Nouvel An heureux viendra…
Autres versions
Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. C’est notre thème du jour.Año Nuevo 1965 — Billo’s Caracas Boys. C’est la version qui est sans doute la plus connue, elle est jouée pour le Nouvel An dans la plupart des pays d’Amérique du Sud et pas seulement au Vénézuéla, leur pays.
Pour terminer en vidéo, je vous propose de voir et écouter Alberto Castillo dans le film “Música, alegría y amor” dirigé par Enrique Carreras. La scène a été enregistrée en 1955, cependant, le film sortira après le disque, le 9 mai 1956. J’ai indiqué les paroles pour vous permettre de suivre…
Año nuevo dans le film Música, alegría y amor. Dans cet extrait, en plus de Alberto Castillo, on remarque Beatriz Taibo, Ubaldo Martínez et Tito Gómez. Il y a aussi une courte apparition de Leonor Rinaldi et Francisco Álvarez, les personnes âgées.
Alberto Castillo, qui tient le rôle principal (Alberto Morán) est un jeune homme bohème qui rêve de devenir peintre, mais qui finalement aura du succès comme chanteur (Raúl Manrupe & María Alejandra Portela — Un Diccionario de Films Argentinos 1995, page 401). Ce film contient beaucoup de chansons par Castillo, dont notre titre du jour.
L’intrigue du film serait tirée de Loute, une comédie française (vaudeville) en quatre actes de Pierre Veber dont l’intrigue tourne autour de Dupont, un homme qui mène une vie de débauche sous l’influence de son « ami » Castillon. Dupont décide de se marier avec Renée, une jeune femme de bonne famille, mais il est rapidement rattrapé par son passé tumultueux. Loute, une ancienne maîtresse de Dupont, réapparaît et cause des complications. Les malentendus et les quiproquos s’enchaînent, notamment avec l’arrivée de Francolin, un cousin de Dupont, qui cherche à se venger de lui. Finalement, après de nombreux rebondissements, les personnages tentent de se réconcilier et de trouver un équilibre entre leurs vies passées et présentes. Le lien entre la pièce et le film réalisé par Enrique Carreras sur un scénario de Enrique Santés Morello me semble un peu distendu, d’autant plus que la pièce a eu son heure de gloire plus de 50 ans avant la réalisation du film. Cela témoigne tout de même de la francophilie qui était encore vive à l’époque. Disons que la base du synopsis a été de faire une comédie musicale pour mettre en avant Alberto Castillo…
L’affiche du film réalisée par le caricaturiste argentin Narciso González Bayón. On y reconnaît Alberto Castillo et Amelita Vargas. À la table, de gauche à droite, Francisco Álvarez, Leonor Rinaldi, Gerardo Chiarella et Ubaldo Martinez. La taille démesurée de Castillo montre bien que c’était lui la vedette du film…
Voilà de quoi bien débuter l’année, en chanson.
De camino al 2025
Je souhaite une merveilleuse année, la santé et le bonheur, à tous les humains de la Terre, tous.
Pedro Láurenz (Pedro Blanco) Letra: José Pedro De Grandis
Adiós 2024. Cette année se termine aujourd’hui et 2025 pointe son nez. C’est sans doute l’occasion de se faire des promesses de meilleure année. Pour passer le cap, rien de mieux qu’une valse instrumentale qui chasse tous les soucis et fait fleurir le bonheur sur les lèvres et dans le cœur des danseurs. Cette valse, enregistrée le 31 décembre 1926 par Roberto Firpo, est une des premières enregistrées avec les capacités de l’enregistrement électrique (qui fête son siècle d’existence) et on sent qu’elle commence à se libérer des contraintes de l’enregistrement acoustique. Que 2025 soit la nouvelle génération qui surpasse l’ancienne sur la route du bonheur.
Adiós 1926-12-31 — Orquesta Roberto FirpoPedro Laurens avec son bandonéon, la partition de Adiós et José De Grandis.
Le rythme est soutenu et les danseurs pourront utiliser leur réserve d’énergie pour aller jusqu’au bout de la valse. La monotonie que pourrait engendrer la reprise des parties sans réelles variations et en n’étant qu’instrumentale n’est pas vraiment présente, car on se laisse prendre par le mouvement et, lorsqu’arrive la fin, on aurait bien aimé que cela dure un peu plus.
Roberto Firpo
Cette version instrumentale, la seule enregistrée, malgré l’utilisation du mode mineur sur les 2/3 de sa durée, n’engendre pas la mélancolie. On ne se rendra pas compte de la tristesse sous-jacente à l’histoire, tristesse dévoilée par les paroles du poète (violoniste et compositeur), José Pedro De Grandis. Ce thème convient assez bien à Firpo, qui a souvent un curieux mélange de tristesse et d’énergie dans ses interprétations.
Paroles
Las blancas flores que en ti he depositado Fueron un símbolo de fe que puse en ti, Y me alejé tristón Dudando si al volver Sería dueño de tu corazón. Mas esas flores de pena han marchitado Al ver lo pronto que te olvidaste de mí, Y al ver su pena yo También dolor sentí Por ser tan cruel esta desilusión.
Fue la plácida luna Testigo de los besos, Y dulces embelesos Que a tu lado gocé; Mis labios fervorosos, Tu nombre, han bendecido Tu nombre tan querido Que no olvidaré. Olvidas que fijaste Tus ojos en mis ojos, Dijiste con sonrojos: “Me acordaré de vos”; No quise despedirme Te dije: “hasta luego”, Y ahora cuando llego Recibo tu adiós.
Si al recordarme besas esas flores que te he dado No te asombre si vuelven a revivir, Porque en ellas mi corazón he dejado Que implorante, tus besos ha de pedir.
Pedro Láurenz (Pedro Blanco) Letra: José Pedro De Grandis
Traduction libre des paroles
Les fleurs blanches que j’ai déposées en toi étaient un symbole de la foi que j’ai placée en toi, Et je me suis éloigné, triste, doutant qu’à mon retour je sois le propriétaire de ton cœur. Mais, ces fleurs de chagrin se sont fanées quand j’ai vu comme tu m’as vite oublié, et quand j’ai vu leur chagrin, j’ai aussi ressenti de la douleur parce que cette déception était si cruelle. La lune placide a été témoin des baisers et des doux ravissements dont j’ai joui à tes côtés ; Mes lèvres ferventes ont tant béni ton prénom, ton prénom si cher que je ne l’oublierai pas. Tu oublies que tu as fixé tes yeux dans mes yeux, tu as dit en rougissant : « Je me souviendrai de toi » ; Je ne voulais pas te dire au revoir, je t’ai dit : « à plus tard », Et maintenant, quand j’arrive, je reçois ton adieu. Si, lorsque tu te souviens de moi, tu embrasses ces fleurs que je t’ai données, ne t’étonne pas si elles reviennent à la vie, car, en elles, mon cœur a déposé en implorant que tes baisers soient demandés.
Buscándote est un des thèmes les plus émouvants du tango. Par la qualité de la musique et des paroles de Eduardo “Lalo” Scalise El poeta del piano, mais aussi par la simplicité et la rondeur de l’interprétation par Fresedo et Ruiz, pour notre tango du jour. Nous allons en profiter pour regarder de plus prêt comment fonctionne une partition.
Extrait musical
Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo RuizPremière page de la partition retranscrite par Lucas Cáceres.
Cette première page présente les quatre premières mesures. On voit les différents instruments. T (ténor, Ricardo Ruiz, dans cet enregistrement), puis 4 violons, 4 bandonéons, un piano et une contrebasse. À l’armure, il y a deux dièses, nous sommes en Si mineur. Un mode nostalgique, voire triste. Dans la première mesure, on remarque qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deuxième mesure commence avec la seconde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la contrebasse commence à marquer tous les temps (4 par mesure) en commençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mouvement de bascule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suivante et ainsi de suite sur environ la moitié des mesures de la partition. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des éléments de la mélodie. On remarquera que les bandonéons et violons qui débutent aussi à la deuxième mesure commencent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez discret, mais vous n’aurez pas de peine à repérer ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des violons y met fin, pour commencer à énoncer la première partie (A).
La partition du ténor avec la photo de Ricardo Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La partition a été proposée également par Lucas Cáceres.
Ici, c’est la partition du ténor (Ricardo Ruiz dans notre cas) qui ne commence à chanter qu’à partir de la mesure 43 (en levée de la 44). On se souvient que le début de la partition était en Ré mineur, après un passage en Fa mineur, Ruiz commence à chanter en Fa majeur. La présence de dièses sur 4 des Sols et un Do, font basculer certains passages en Ré mineur).
Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les lettres à droite.
Une petite aide pour vous aider à vous repérer dans les tonalités. Le nombre de dièses ou bémols à la clef donne la tonalité dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Souvent, il y a beaucoup de changements de tonalités et des altérations (Dièses, ou Bémols) ponctuelles qui rendent difficile de décider la tonalité exacte utilisée. Mais ce n’est pas si important, ce qui l’est, c’est uniquement de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sensibilité de la musique, donc l’écoute est suffisante. Maintenant que vous êtes au point, je vous propose de suivre la partition durant l’écoute, grâce au travail remarquable de Lucas Cáceres.
Partition animée de Buscándote, une vidéo réalisée par Lucas Cáceres.
Vous remarquerez qu’il y a toutes les parties, et qu’il y a donc beaucoup de changements de pages. Dans un orchestre, chaque instrument n’a que sa partie et si cela vous intéresse, vous pouvez vous les obtenir en vous abonnant à son Patreon. Assez parlé de la musique, intéressons-nous aux paroles, maintenant.
Paroles
Vagar con el cansancio de mi eterno andar tristeza amarga de la soledad ansias enormes de llegar. sabrás que por la vida fui buscándote que mis ensueños sin querer vencí que en algún cruce los dejé mi andar apresuré con la esperanza de encontrarte a ti largos caminos hilvané leguas y leguas recorrí por ti después que entre tus brazos pueda descansar si lo prefieres volveré a marchar por mi camino de ayer sabrás que por la vida fui buscándote que mis ensueños sin querer rompí que en algún cruce los dejé mi andar apresuré con la esperanza de encontrarte a ti largos caminos hilvané leguas y leguas recorrí por ti después que entre tus brazos pueda descansar si lo prefieres volveré a marchar por mi camino de ayer. Eduardo “Lalo” Scalise (Eduardo Scalise Regard)
Traduction libre
Errer avec la fatigue de ma marche éternelle, l’amère tristesse de la solitude, l’énorme désir d’arriver. Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver. Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier. Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver. J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai parcourues pour vous. Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.
Autres versions
Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Fresedo et Ruiz. Cependant, la passion européenne pour Fresedo fait que beaucoup d’orchestre du 21e siècle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des fortunes diverses.
Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour, le mètre étalon, la référence absolue.Buscándote 2000-06-01 — Klaus Johns.
Une version instrumentale avec un parti pris de tempo particulièrement lent. C’est probablement à classer au rayon des étrangetés, mais certainement pas à proposer au bal.
Buscándote 2012 — Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.
On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notamment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciriaco, pendant une quinzaine d’années.
Buscándote 2012 — Solo Tango Orquesta.
Cet orchestre russe a également son public. Ils proposent, ici, une version instrumentale.
Buscándote 2013 — Ariel Ardit y Orquesta Típica.
L’incroyable solo de violon qui ouvre cette version peut surprendre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien marqué par les bandonéons et toujours dominé par les cordes et ce superbe violon, fait que c’est certainement une version « chair de poule » pour beaucoup. La belle voix, puissante et chaude d’Ariel Ardit termine de faire de cette version remarquable. Pour la danse, les arrastres d’Ariel peuvent gêner certains danseurs et le rythme rapide peut faire que l’on préfère d’autres versions. Je pense qu’en Europe cette interprétation aurait des amateurs.
Buscándote 2013 — Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.
Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette version tranquille peut paraître un peu faible, mais il faut la comparer à notre étalon, la version de Fresedo et Ruiz, pour voir que c’est une belle réalisation, intime et bien accordée au thème de la chanson.
Buscándote 2014 (En vivo) — Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.
Une version avec public qui permet de se souvenir de l’ambiance que mettait cet orchestre. C’était à Rosario (Argentine) lors de l’Encuentro Tanguero del Interior (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nombreuses fois, c’est vraiment dommage qu’il n’existe plus.
Buscándote 2015 — Cuarteto SolTango.
Ce cuarteto, avec beaucoup moins d’instruments s’approche de la version de Fresedo. Une belle performance. Le solo de violon qui remplace la voix de Ricardo Ruiz, bien que bien chantant, est sans doute ce qui peut faire baisser la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la principale raison, est que certains DJ mettent des chansons tango au lieu de véritables tangos chantés de danse.
Buscándote 2015 — Orquesta La 2X4 Rosarina con Martín Piñol.
Retour à une version chantée. La voix de Martín Piñol pourrait bénéficier d’un orchestre plus accompli. La prise de son mériterait d’être meilleure également. Le résultat ne risque pas de détrôner, la version de Fresedo qui en est clairement le modèle.
Buscándote 2015-07-09 — Esquina Sur con Diego Di Martino.
Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Fresedo. Cet enregistrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Martino, s’élance légère et fluide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Fresedo et Ruiz restent en tête.
Buscándote 2016-03-01 — El Cachivache Quinteto.
El Cachivache signe une version plus personnelle, qui n’est pas qu’une simple imitation de Fresedo et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instruments comme la guitare électrique peut donner des boutons à des milongueros sclérosés. C’est une version instrumentale, mais la diversité des variations fait que ce n’est pas monotone. L’entrée avec une gamme de do majeur descendent suivie d’une gamme ascendante est très originale. Le final est également intéressant, c’est une version qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aussi à Angela C. car il y a une bonne proportion de mode majeur dans cette version, contrairement à la version de Fresedo qui est majoritairement en mode mineur 😉
Buscándote 2016-12 — Orquesta Romántica Milonguera con Roberto Minondi.
Avec la Romántica Milonguera on revient à un registre plus classique, même si cet orchestre a su créer son propre son. Ici, c’est Roberto Minondi qui nous ravit.
Buscándote 2019 — Cuarteto Mulenga. Cette version présente l’intérêt de voir les instrumentistes opérer. Mais ce titre est aussi sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réalisée au Bodegon (restaurant) El Destino, à Quilmes (Province de Buenos Aires).
Un début original, qui peut faire douter durant les 30 premières secondes qu’on écoute Buscándote. On notera la descente de piano, très originale durant ce début. Le reste de l’orchestration renouvelle également l’œuvre, qui est comme décomposée, déstructurée au profit de solos qui se superposent. C’est presque un ensemble de citations de l’œuvre originale, plus qu’une interprétation au sens habituel. La fin ne dissipera pas cette impression.
Je te cherche, pas à pas
Comme DJ, je m’intéresse à savoir comment les danseurs vont pouvoir interpréter la musique que je propose. J’ai trouvé cette petite pépite, réalisée par Juana García y Julio Robles. Elle montre les temps et contretemps.
Poser les pieds en rythme est la toute première étape du danseur de tango et, même si certains ne s’y résolvent pas, il me semble qu’il faut aller beaucoup plus loin, le tango étant une danse d’improvisation. On tirera cependant de cette vidéo un élément très intéressant, la séparation entre les différentes parties. Savoir les repérer permet d’adapter la danse en changeant le style pour chaque partie. Il faut aussi savoir distinguer la phrase musicale, afin que le couple se retrouve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine transition ou enchaînement de phrases. Certains comptent de 1 à 8, mais c’est beaucoup plus agréable de se laisser porter par la structure de la musique. Je déconseille donc le comptage, sauf pour des chorégraphies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tango social qui nous intéresse ici, car je trouve dommage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à entendre la musique. Il me semble qu’il est amplement préférable de travailler son « instinct », car, rapidement, le corps saura quand la musique va changer et, inconsciemment, il va se préparer, ce qui vous permettra de danser l’esprit totalement libre, en vous laissant porter. Ce même instinct sert au DJ pour identifier les musiques plus dansables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suivent. Il a donc la responsabilité d’ouvrir la voie et de leur proposer des chemins dont les difficultés sont adaptées.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Pourquoi une femme noire tenant un bongo sur plan de surfeurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une explication. Alors partons à la découverte de la Rumbita candombe, un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui continue de faire bouger les danseurs d’aujourd’hui.
Extrait musical
La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.
Comme l’indique le titre, on reconnaît rapidement un rythme de rumba. J’écris « un » rythme de rumba, car il y a en a des dizaines. Historiquement, la rumba est originaire de Cuba où elle a été mêlée avec diverses danses, notamment d’origine africaine. Cela se reconnaît par la complexité des rythmes qui sont loin des rythmes codifiés en Europe. Il n’est qu’à demander à un danseur européen moyen de faire sonner le clave de la salsa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa culture. N’étant pas moi-même un spécialiste de la rumba, j’ai essayé de déterminer le type de rumba utilisée dans cette composition. Parmi la centaine de possibilités, je trouve que la rumba yambu (une des trois principales rumbas cubaines) est un assez bon candidat.
La rumbita candombe de D’Arienzo et Mauré que j’ai mixé avec un rythme de rumba yambu.
Bien sûr, la version de D’Arienzo est un peu particulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de milonga en prenant plus de libertés par rapport au rythme original que les autres interprétations. On notera, par exemple, une cadence bien plus rapide.
Le Général Juan Manuel de Rosas assistant à une manifestation de candombe vers 1838 assistant à une manifestation de candombe vers 1838.
De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sympa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le considéraient comme un libérateur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit probablement témoigner de sa proximité. On remarquera les tambours du candombe. Le peintre, Martín Boneo s’est représenté avec son épouse, debout à l’arrière de De Rosas. La fille du couple (Manuelita) est en rouge au côté de l’homme noir assis.
Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Les différentes versions disposent de paroles légèrement différentes. Celles de l’enregistrement de D’Arienzo et Mauré sont les plus divergentes par rapport aux paroles originales. J’indiquerai, en fin d’article, les paroles originales et donnerai quelques indications pour les autres versions.
Presten todos atención Que ya empezó Y a virutear esta milonga Que el rey negro bautizo
No es su cuna el arrabal Negro y cumbe
Por eso es que Todos le dicen La milonga candombe
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
A bailar a cantar A seguir sin parar
Ae ae ae ae Ae ae ae ae
Que se va y se fue La milonga candombe.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré
Prêtez tous attention. Ça a déjà commencé et pour virutear (référence à la viruta et l’usure du plancher) cette milonga que le roi noir a baptisée. Ce n’est pas son berceau les faubourgs Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres) C’est pourquoi tous l’appellent la milonga candombe Ae ae ae ae À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae ae ae ae Car elle s’en va et est partie La milonga candombe.
Autres versions
Je commence par les auteurs de la musique, Osvaldo Novarro et Tito Luar.
La rumbita candombe 1942-06-02 — Hawaiian Serenaders con Osvaldo Novarro.
Les Hawaiian Serenaders est un groupe argentin, malgré ce que pourrait laisser penser son nom. Il fut actif durant une vingtaine d’années après sa création en 1940 par le chanteur Osvaldo Novarro (Héctor Villanueva) associé à Tito Luar (Raúl Fortunato) (Directeur d’orchestre, tromboniste et violoniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour. Les deux hommes étaient d’origine vénézuélienne, pas l’ombre d’un Hawaïen dans l’histoire.
À l’origine du groupe Hawaiian serenaders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osvaldo Novarro dans les années 30.
À ce sujet, il est amusant de noter qu’il y a eu un autre groupe nommé The Hawaiian Serenaders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (probablement un pseudonyme…). Je ne résiste pas à la tentation de vous présenter une de mes 600 cumparsitas par ces Grecs « hawaïens »…
La cumparsita 1941 — Felix-Mendelssohn & His Hawaiian Serenaders.
Les sonorités sont beaucoup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…
La rumbita candombe 1942-12-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. C’est notre titre du jour. La rumbita candombe 1943-06-28 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Oscar Serpa et surtout l’interprétation magnifique de Fresedo fait que cette version peut très bien être proposée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.
La negrita candombe (La rumbita candombe) 1943-07-16 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
La version de Canaro est sans doute celle qui est la plus connue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la version de D’Arienzo, le rythme de la rumba. Comme il en a l’habitude et grâce à ses percussionnistes de son orchestre de jazz, Canaro peut proposer une introduction au tambour et une orchestration un peu différente.
Paroles de la version originale
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión El cabaré Por eso es que la llamamos La rumbita candombe.
(Estribillo) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (coro) Ya se va, ya se fue La rumbita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que se enamorado de una milonga Un domingo se casó Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal. Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella
Traduction libre des paroles de la version originale
Prêtez tous attention. Ça va commencer, Ce sera la nouvelle danse que nous devrons danser… Son berceau était l’illusion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’appelle, la rumbita candombe.
(Refrain) Ae, ae, ae, ae Ae, ae, ae, ae (chœur) À danser, à chanter À continuer sans s’arrêter, Ae, ae, ae, ae (chœur) Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La rumbita candombe.
L’auteur de son rythme est un bongo, qui est tombé amoureux d’une milonga. Un dimanche, il s’est marié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Paroles de la version de Canaro et Roldán
Presten todos atención Que va a empezar, Esta será la nueva danza Que tendremos que bailar… Fue su cuna la ilusión Que le dio fe, Por eso es que la llamamos La negrita candombe.
Así, así, así, así Así, así, así, así (coro) A bailar, a cantar A seguir sin parar, Así, así, así, así (coro) Ya se va, ya se fue La negrita candombe.
El autor de su compás Es un bongó, Que al arribar a la Argentina De una criolla se prendó… Y es por eso que al vibrar, Sentimental su ritmo es Mezcla de rumba Y candombe federal.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella (y?)
Traduction libre de la version de Canaro et Roldán
C’est pourquoi nous l’appelons La negrita candombe. (La rumbita est passée de la musique, petite rumba à une negrita, petite femme noire). Comme ceci, comme cela, comme cela (contrairement aux autres versions, Roldán chante “así” et pas “ae”). Comme ceci, comme ça, comme ça Danser, chanter Pour continuer sans s’arrêter, Comme ceci, comme ça, comme ça Déjà elle s’en va, déjà elle est partie La negrita candombe. L’auteur de son rythme est un bongo, qui à son arrivée en Argentine, d’une créole, est tombé amoureux… (la localisation en Argentine et la mention d’une créole ancrent la chanson. Canaro était Uruguayen de naissance et les esclaves étaient en grande partie originaires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant). Et c’est pourquoi, quand il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.
Quelques éléments sur la milonga candombe
Même si le propos de Osvaldo Novarro et Tito Luar était de créer un nouveau rythme à base de rumba en le mixant avec des rythmes de candombe, cette expérimentation qui n’a pas donné d’autres musiques est contemporaine de l’apparition de la milonga candombe. En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milonga candombe. Sa première milonga candombe est Pena mulata (écrite en 1940).
Pena mulata 1941-02-18 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).
C’est le plus ancien enregistrement de milonga candombe. Amis DJ, si vous avez une milonga candombe d’avant 1940, c’est sûrement un candombe ou un autre rythme… Ce n’est pas interdit de le passer, mais prenez vos précautions pour ne pas mettre en difficulté les danseurs qui sont souvent moins à l’aise avec les milongas candombe et qui peuvent être totalement perdus avec des candombes.
Pour terminer, un peu de théorie musicale du candombe avec les jeux des tambours. Pour la partie candombe, c’est un peu plus facile, car nous sommes plus accoutumés à ces rythmes. Le candombe utilise trois types de tambours : Tambor chico https://youtu.be/p2CL5-Ok4SI Tambor repique https://www.youtube.com/watch?v=VwxzY1fgrUw&t=96s Tambor piano https://youtu.be/K77E_k0S_q8 Les trois tambours jouant ensemble :
Les trois types de tambours du candombe, de gauche à droite : Tambor repique, tambor chico, tambor piano et un autre tambor chico.
Et les surfeurs ?
Ah oui, j’allais oublier. Mais vous avez sans doute deviné. La femme noire, c’est la negrita de Canaro, le tambor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le candombe et les surfeurs et l’exocet, c’est une partie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.
Une affiche publicitaire pour Hawaï de la Pan American Airways.
Le surf à Hawaï semble être une très vieille activité, comme en témoigne James Cook en 1779.
Duke Kahanamoku en 1910.
À l’époque, les îles s’appelaient Îles Sandwich, nom qu’avait donné Cook en l’honneur de John Montagu de Sandwich, l’inventeur du sandwich. Attention, il ne faut pas les confondre avec les Îles Sandwich du Sud, revendiquées, comme les Îles Malouines, par l’Argentine…
Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémisphère Nord et les Îles Sandwich du Sud, revendiquées par l’Argentine.
En Italie, il y a une dizaine d’années, il y a eu un intérêt marqué pour notre tango du jour, Fantasma (fantôme) par Roberto Firpo. Comme vous allez l’entendre, cette œuvre mérite en effet l’écoute par son originalité. Mais attention, il y a fantôme et fantôme et un fantôme peut en cacher un autre.
Extrait musical
Fantasma 1939-12-28 — Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale.
Dès les premières notes, malgré le mode mineur employé, on note l’énergie dans la musique. On peut donc s’imaginer que l’on parle d’un fantôme au sens de personne vaniteuse et présomptueuse, d’un fanfaron. Écoutez donc le début avec cette idée. La partie A est tonique, en staccato. J’imagine tout à fait un fanfaron gambader dans les rues de Buenos Aires. À 28″ commence la partie B qui dévoile régulièrement un mode majeur, le fanfaron épanoui semble se réjouir, profiter de sa suffisance. Lorsque la partie A revient, elle est jouée en legato mais toujours avec le rythme pressant et bien marqué qui pousse à danser de façon tonique. On notera la virtuosité de Juan Cambareri, le mage du bandonéon qui réalise un solo époustouflant.
Les musiciens du cuarteto “Los de Antes” de Roberto Firpo. De gauche à droite, Juan Cambareri (bandonéon), Fernando Porcelli (contrebasse), Roberto Firpo (piano) et José Fernández (violon).
Le ténor, Alberto Diale, intervient à 1:25 pour une intervention de moins de 30 secondes, ce qui n’est pas gênant, car il me semble qu’il n’apporte pas une plus-value extraordinaire à l’interprétation. Cependant, comme il énonce les paroles écrites par José Roberto De Prisco, on est bien obligé de comprendre que l’on ne parle plus d’un fanfaron, même si la dernière partie avec ses envolées venteuses peut faire penser à une baudruche qui se dégonfle. Avec le sens des paroles, on peut imaginer que ce sont les fantômes que l’on chasse avec son allégresse, allégresse exprimée par les passages en mode majeur qui s’intercalent entre les passages en mode mineur. Je suis sûr que vous imaginez les fantômes qui volètent dans tous les sens à l’écoute de la dernière partie. On se souvient que Firpo a écrit plusieurs titres avec des sons réalistes, comme El amanecer et ses oiseaux merveilleux, El rápido (le train rapide), Fuegos artificiales (feu d’artifice) ou La carcajada (l’éclat de rire). Cette composition l’a donc certainement intéressé pour la possibilité d’imiter les fantômes volants. N’oublions pas que les musiciens avant les années 30 intervenaient beaucoup pour faire la musique dans les cinémas, les films étant muets, ils étaient virtuoses pour faire les bruitages.
Paroles de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco
Y si al verme, tú lo vieras, Que te muerde la conciencia, No los temas. Los fantasmas de tu pena están en ti.
Yo soy vida, vida entera. Que cantando su alegría, Va siguiendo su camino, De venturas. Que no dejan, Que se acerquen los fantasmas terrorosos de otro ayer. Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco
Traduction libre de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco
Et si, quand tu me vois, tu le voyais qui te mord la conscience, ne les crains pas, les fantômes de ton chagrin sont en toi. Je suis une vie, une vie entière. Que chantant sa joie, il poursuit son chemin d’aventures. Qu’ils ne laissent pas s’approcher les fantômes terrifiants d’un autre hier.
Mario Maurano et José Roberto De Prisco
Quelques mots sur les auteurs, qui sont peu, voire très peu connus.
Mario Maurano (1905 à Rio de Janeiro, Brésil ‑1974)
Mario Maurano était pianiste, arrangeur, directeur d’orchestre et compositeur.
Il semble abonné aux fantômes, car il a écrit la musique du film Fantasmas en Buenos Aires dirigé par Enrique Santos Discépolo et qui est sorti le 8 juillet 1942. Peut-être qu’on lui a confié la composition de la musique du film à cause de notre tango du jour. Cependant, l’histoire n’a rien à voir avec le tango et la musique du film, non plus. La présence de Discépolo, n’implique pas forcément que ce soit un film de tango… Vous pouvez voir le film ici… https://youtu.be/xtFdlXh4Vpc
L’affiche du film Fantasmas en Buenos Aires, dirigé par Enrique Discepolo et qui est sorti en 1942. Zulli Moreno est l’héroïne et prétendue fantôme. Pepa Arias, la victime d’une arnaque.
Parmi ses compositions, en plus de la musique de ce film, on peut citer :
• Canción de navidad (Chanson) (Mario Maurano Letra: Luis César Amadori)
• Cuatro campanadas (Mario Maurano Letra: Lito Bayardo — Manuel Juan García Ferrari)
• El embrujo de tu violín (Mario Maurano Letra: Armando Tagini — Armando José María Tagini)
• Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
• Por la señal de la cruz (Mario Maurano; Pedro Vescina Letra:Antonio Pomponio)
• Riendo (Alfredo Malerba; Mario Maurano; Rodolfo Sciammarella, musique et paroles)
• Un amor (Mario Maurano; Alfredo Antonio Malerba Letra: Luis Rubistein)
• Una vez en la vida (Valse) (Ricardo Malerba; Mario Maurano Letra: Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)
José Roberto De Prisco
Je n’ai pas grand-chose à dire de l’auteur des paroles, si ce n’est qu’il a écrit les paroles ou composé la musique de quelques titres en plus de Fantasma.
• Che, no hay derecho (Arturo César Senez Letra: José de Prisco) – Enregistré par Firpo.
• Desamor (Alberto Gambino y Jose De Prisco)
• Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
• Negrito (Milonga) (Alberto Soifer Letra: José De Prisco)
• Vacilación (Antonio Molina, José Roberto De Prisco Letra: Rafael Iriarte)
Deux couvertures de partition d’œuvres de José De Prisco.
Autres versions
Notre tango du jour semble orphelin en ce qui concerne les enregistrements, mais il y a un autre fantôme qui rôde, composé par Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino — Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo (Ovidio Cátulo González Castillo).
Fantasma 1939-12-28 — Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale. C’est notre tango du jour.
Intéressons-nous maintenant au fantôme de Delfy et Cátulo Castillo.
Paroles de Fantasma de Cátulo Castillo
Regresa tu fantasma cada noche, Tus ojos son los mismos y tu voz, Tu voz que va rodando entre sus goznes La vieja cantinela del adiós. Qué pálida y qué triste resucita Vestida de recuerdos, tu canción, Se aferra a esta tristeza con que gritas Llamando, en la distancia, al corazón.
Fantasma… de mi vida ya vacía Por la gris melancolía… Fantasma… de tu ausencia, sin remedio En la copa de misterio… Fantasma… de tu voz que es una sombra Regresando sin cesar, ¡Cada noche, cada hora! Tanta sed abrasadora… A esta sed abrasadora… de olvidar.
Ya no tienes las pupilas bonitas Se apagaron como una oración, Tus manos, también ya marchitas No guardaron mi canción. Sombras que acompañan tu reproche Me nublan, para siempre, el corazón… Olvidos que se encienden en la noche Agotan en alcohol, mi desesperación. Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino — Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo – (Ovidio Cátulo González Castillo)
Traduction libre de la version de Cátulo Castillo
Ton fantôme revient chaque nuit, tes yeux sont les mêmes et ta voix, ta voix qui roule entre ses gonds (Les goznes sont les charnières, gonds… mais aussi des propositions énoncées sans justification, ce qui semble être l’acception à considérer ici), le vieux refrain d’au revoir. Que de pâleur et tristesse ton chant ressuscite, vêtu de souvenirs, s’accrochant à cette tristesse avec laquelle tu cries, appelant au loin, le cœur. Fantôme… de ma vie déjà vide par une mélancolie grise… Fantôme… de ton absence, désespéré dans la coupe du mystère… Fantôme… de ta voix, qui est une ombre qui revient sans cesse, chaque soir, chaque heure ! Tant de soif brûlante… À cette soif brûlante… d’oublier. Déjà, tu n’as plus les pupilles jolies, elles se sont éteintes comme une prière. Tes mains, également déjà desséchées, n’ont pas gardé ma chanson. Les ombres qui accompagnent ton reproche embrument pour toujours le cœur… Les oublis qui s’allument dans la nuit s’épuisent dans l’alcool, mon désespoir.
Ce thème de Delfy et Cátulo Castillo a été enregistré plusieurs fois et notamment dans les versions suivantes.
Fantasma 1944-10-24 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.
L’interprétation semble en phase avec les paroles. Si c’est cohérent d’un point de vue stylistique, le résultat me semble moins adapté au bal que notre tango du jour.
Fantasma 1944-12-28 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.
Oscar Serpa n’est pas un chanteur pour la danse et il le confirme dans cet enregistrement.
Fantasma 2013 — Orquesta Típica Sans Souci con Walter Chino Laborde.
L’orchestre Sans Souci s’est donné comme mission de perpétuer le style de Miguel Calo. Ce n’est donc pas un hasard si vous trouvez un air de famille entre les deux enregistrements.
Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo
Il est des circonstances dans la vie qui peuvent être tristes, voire désespérantes. Aimer de façon silencieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la situation décrite dans ce tango qui, au-delà des malheurs du narrateur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sentent pas du tout condamnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs partenaires.
Histoire de S.O.S.
Enrique Santos Discépolo a écrit ce tango en 1929 pour une pièce de théâtre. Il portait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pourrait interpréter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dollar est sous Cepo en Argentine). Un truc pas bien joyeux en fait. Voici comment Discepolo décrit son intention lorsqu’il a écrit ce titre.
Discepolo parle de son intention en écrivant ce tango.
« Comment j’ai écrit “Condena”
J’ai voulu dépeindre la situation d’un homme pauvre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambitionnant tout. J’ai voulu placer cet homme face au monde, regardant passer la vie qui passe, les plaisirs qui le troublent, et il se tord dans l’impuissance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en costume élimé, avec un visage déformé, avec une démarche craintive qui voit passer une femme enveloppée de soies bruissantes et qui se mord en pensant qu’elle appartiendra à n’importe qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’insolence et qui ne pourra jamais être pour lui. Et j’ai ressenti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Luttant contre l’impuissance, l’envie et l’échec. Et cette douleur énorme et concentrée de l’homme enchaîné dans son triste destin, face au bonheur qui passe sans le toucher, c’est ce que j’ai voulu transmettre bien et profondément ; torturé, mais sans pleurer. »
En 1931, à la tête de son orchestre, Discepolo ressort ce tango, sans nom particulier. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent donné par Canaro pour l’occasion sauva le projet de voyage de Discepolo et de sa compagne Tania et, lorsque Canaro demanda le titre du tango à Discepolo, celui-ci lui répondit qu’il pouvait mettre le titre qu’il voulait. S.O.S. a été utilisé, comme dans le disque de Lomuto, car, l’achat de Canaro a sauvé Discepolo. En revanche, en 1937, Canaro a utilisé le nom “Condena” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Maida. On associe désormais les deux titres. En 1937, toujours, Discepolo participe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Amanda Lesdesma chante deux fois le titre, comme vous pourrez le voir et l’entendre dans cet article.
Disque Victor de Condena par Francisco Lomuto On remarque que le disque porte la mention S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Condena.
Les pas lourds de la condamnation démarrent le titre, suivi de passages legato en contraste. À 32s commence la partie B avec les superbes bandonéons de Martín Darré, Américo Fígola, Luis Zinkes et Miguel Jurado qui venait de remplacer Víctor Lomuto le frère de Francisco qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils). Dans ce passage, le rythme est marqué de façon très originale avec le premier temps un peu sourd et grave (contrebasse de Hamlet Greco et percussions de Desio Cilotta) et les trois suivants plus forts, exprimés notamment par les bandonéons en staccato. Comme pour la première partie, le contraste des legatos termine cette partie A. Un pont de 55s à 1′ relance la partie A qui présente un passage piano, ce qui rompt la monotonie et qui semble annoncer quelque chose. Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui apparaît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de violon enchanteur et particulièrement grave (utilisation d’un alto ?) magnifie l’interprétation. Il est réalisé par Leopoldo Schiffrin (Leo), qui avait intégré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le premier violon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui partait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le compositeur Lalo Schiffrin (Boris Claudio Schifrin) qui a notamment fait la musique du film de Carlos Saura « Tango ». Le rythme à quatre temps avec le premier temps faible et grave est repris et donne une expression originale supplémentaire à ce passage. La variation finale, permet de mettre en valeur les instruments à vent de l’orchestre. Cette variation est annoncée par un long pont à la tonalité changeante de 2:02 à 2:10 où apparaissent le saxophone et la clarinette de Carmelo Aguila et Primo Staderi. Il est impossible de savoir qui jouait tel ou tel instrument lors de cet enregistrement, car les deux jouaient du saxo et de la clarinette. À 2:28, on remarquera, après un trait de piano (Oscar Napolitano), une courte envolée de la clarinette qui précède les deux accords terminaux.
Paroles
Yo quisiera saber qué destino brutal me condena al horror de este infierno en que estoy… Castigao como un vil, pa’ que sufra en mi error el fracaso de un ansia de amor. Condenao al dolor de saber pa’ mi mal que vos nunca serás, nunca… no para mí. Que sos de otro… y que hablar, es no verte ya más, es perderte pa’ siempre y morir.
He arrastrao llorando la esperanza de olvidar, enfangando mi alma en cien amores, sin piedad. Sueño inútil. No he podido No, olvidar… Hoy como ayer ciego y brutal me abraso en ansias por vos.
Y lo peor, lo bestial de este drama sin fin es que vos ni sabés de mi amor infernal… Que me has dao tu amistad y él me brinda su fe, y ninguno sospecha mi mal… ¿Quién me hirió de este amor que no puedo apagar? ¿Quién me empuja a matar la razón como un vil? ¿Son tus ojos quizás? ¿O es tu voz quien me ató?… ¿O en tu andar se entremece mi amor? Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra : Enrique Santos Discépolo
Traduction libre
Je voudrais savoir quel sort brutal me condamne à l’horreur de cet enfer dans lequel je suis… Punis comme un vil, pour que je souffre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour. Condamné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi. Que tu sois à un autre (sos signifie tu es. Il est utilisé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que parler, ce soit ne plus te voir, c’est te perdre à jamais et mourir. Je me suis traîné, pleurant l’espoir d’oublier, en embrouillant mon âme dans cent amours, sans pitié. Rêve inutile. Je n’ai pas été capable d’oublier… Aujourd’hui, comme hier, aveugle et brutal, je brûle de te désirer. Et le pire, le bestial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infernal… Que tu m’as donné ton amitié et lui m’a donné sa foi, et que personne ne soupçonne mon mal… Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas éteindre ? Qui me pousse à tuer la raison comme un vil ? Ce sont tes yeux, peut-être ? Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?… Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?
Autres versions
Les versions de Canaro sont sans doute les plus diffusées, mais notre tango du jour prouve qu’il y a des alternatives, certaines pour la danse, d’autre pour l’écoute et certaines, pour l’oubli…
On trouve des similitudes, comme souvent, entre la version de Lomuto et celle de Canaro. La clarinette est encore plus présente et brillante. Canaro a fait appel pour cet enregistrement à des musiciens de son ensemble de jazz. La très originale variation de Lomuto n’existe pas dans cette version de Canaro et une certaine monotonie peut donc se dégager de cette version. Cela ne dérangera pas forcément les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des éléments qui a conduit Canaro à réenregistrer le titre en 1937, avec Roberto Maida.
Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Amanda Lesdesma chante deux fois Condena
Amanda Lesdesma chante deux fois Condena dans le film “Melodías Porteñas” réalisé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scénario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique Santos Discépolo. Les rôles principaux sont tenus par Rosita Contreras, Enrique Santos Discépolo et Amanda Ledesma. Un autre intérêt du film est que Enrique Santos Discépolo, auteur de la musique et des paroles est également acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…
Condena 1937 — Amanda Lesdesma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Montage des deux interprétations dans le film.Condena (S.O.S.) 1937-11-05 — Amanda Lesdesma y su Trío Típico.
Une jolie version qui profite de son succès dans le film “Melodías Porteñas”.
Condena (S.O.S.) 1937-11-08 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.
L’intervention de Maida casse la monotonie du titre. C’est à mon sens une meilleure version si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette version reste tout à fait tonique et incisive, un délice pour les danseurs qui marquent les pas ou qui aiment le canyengue.
Un des intérêts de cet enregistrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa compagne. L’introduction du violon marque que l’on entre dans un univers différent des versions de Canaro et Lomuto. C’est une version pour l’écoute et on aurait tort de se priver de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà rencontrée, cette chanteuse espagnole, car c’est elle qui a importé en Argentine « Fumando espero » avec le Conjunto The Mexicans.
Tania et DiscepoloCondena (S.O.S.) 1954 — Héctor Mauré con acomp. de Orquesta Juan Sánchez Gorio.
La voix de ténor de Héctor Mauré est un peu plus lourde dans cet enregistrement. C’est pour l’écoute et chanté avec sentiment.
Condena (S.O.S.) 1969 — Alberto Marino con orquesta.
J’ai évoqué des versions à oublier. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « surjouée »…
Condena (S.O.S.) 2013-11-30 — Hyperion Ensemble con Rubén Peloni.
Hyperion et l’ami Rubén font de belles versions pour la danse. On remarquera la fin, assez originale.
Condena (S.O.S.) 2015 — Sexteto Cristal con Guillermo Rozenthuler.
Une des spécialités du Sexteto Cristal est de ressortir les gros succès des encuentros milongueros. Cette copie de la version de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut convenir à certains danseurs qui apprécieront la meilleure qualité de l’enregistrement. En presque un siècle, de gros progrès ont été faits de ce côté…
Pour terminer, toujours avec le Sexteto Cristal, un enregistrement vidéo de Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47.
Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47
Les fans du Sexteto Cristal pourront entendre le concert en entier… À vous de danser et à bientôt les amis.
N’ayant pas de tango enregistré un 25 décembre, je vous propose de nous intéresser à une des compositions les plus célèbres d’Argentine, la Misa criolla. On parle de Misa criolla, mais en le faisant on risque d’occulter la face B du disque qui comporte une autre composition d’Ariel Ramírez et Felix Luna, Navidad nuestra. C’est cette œuvre qui est de circonstance en ce 25 décembre 2024, 60 ans après sa création. Ce fut mon premier disque, offert par ma marraine, j’ai donc une affection particulière pour ces deux œuvres.
Misa criolla et Navidad nuestra – Extraits musicaux
Ariel Ramírez s’est inspiré de rythmes traditionnels de son pays (mais pas que) pour composer les cinq œuvres qui composent la Misa criolla (Face A) et les six qui constituent Navidad nuestra (Face B). J’ai ajouté quelques éléments sonores en illustration. Ils ne sont pas précédés de la lettre A ou B qui sont réservées aux faces A et B du disque d’origine.
À gauche, le disque sorti en Argentine en 1965. cette couverture restera la même pour les éditions argentines ultérieures. Au centre, une édition française. Elle utilise l’illustration de la première édition (1964) et qui a été éditée en Nouvelle-Zélande. Mon disque portait cette illustration et pas celle de l’édition argentine, postérieure d’un an.
Misa criolla
A1: Misa Criolla — Kyrie — Vidala-Baguala
La vidala et la baguala sont deux expressions chantées du Nord-Ouest de l’Argentine accompagnées d’une caja.
Une caja qui accompagne le chant de la Videla et de la baguala.Baguala Con mi caja cantar quiro.
On reconnaît la caja qui est frappée sur un rythme ternaire, mais seulement sur deux des trois temps, créant ainsi un temps de silence dans la percussion. Cela donne une dimension majestueuse à la musique. Ariel Ramírez utilise ce rythme de façon partielle. On l’entend par exemple dans le premier chœur, dans les silences du chant.
Pour créer un thème en contraste, Ariel Ramírez utilise deux rythmes différents, également du Nord-Ouest. Le carnavalito allègre et enjoué et le yaravi, plus calme, très calme, fait de longues phrases. Le yaravi est triste, car utilisé dans les rites funéraires. Il s’oppose donc au carnavalito, qui est une danse de groupe festive. Vous reconnaîtrez facilement les deux rythmes à l’écoute.
A3: Misa Criolla — Credo — Chacarera Trunca.
Vous reconnaîtrez facilement le rythme de la chacarera. Ici, une chacarera simple à 8 compases. Même si elle est trunca, vous pourriez la danser, la trunca est juste une différenciation d’accentuation des temps. Ariel Ramírez, cependant, ne respecte pas la pause intermédiaire, il préfère donner une continuité à l’œuvre.
Encore un rythme correspondant à une danse festive, même si Ariel Ramírez y intercale des passages d’inspiration plus religieuse. On notera que cette forme de carnaval n’est pas argentine, mais bolivienne.
A5: Misa Criolla — Agnus Dei — Estilo Pampeano.
Le Estilo n’est pas exactement un rythme particulier, car il mélange plusieurs genres. C’est une expression de la pampa argentine. Après le motif du départ en introduction, on remarque une inspiration du Yaravi. Le clavecin d’Ariel Ramírez apporte une légèreté dans les transitions.
Navidad nuestra
Commence ici la face B et une autre œuvre, consacrée à la naissance de Jésus, de l’annonciation à la fuite en Égypte.
B1: Navidad Nuestra — La Anunciación – Chamame.
Le chamame, cette danse joyeuse et festive, jouée à l’accordéon, est typique de la province de Corrientes. Certains danseurs européens s’évertuent à danser en milonga…
Partition de La Anunciación, premier thème de la Navidad nuestra.
Milonga para as missões — Renato Borghetti. Oui, c’est un chamamé, pas une milonga…B2: Navidad Nuestra — La Peregrinación — Huella Pampeana.
La huella est une danse associant des tours, des voltes et des zapateos, ce qui rappellera un peu la chacarera ou le gato. La Peregrinación raconte la quête par Jose et Maria (Joseph et Marie) d’un endroit pour la naissance de Jésus. Ils sont dans la pampa gelée, au milieu des chardons et orties. Je vous donne en prime la merveilleuse version de la Negra (Mercedes Sosa).
La Peregrinación — Mercedes Sosa.B3: Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena.
On retrouve le rythme calme de la vidala pour annoncer la naissance. Je vous propose les paroles ci-dessous.
B4: Navidad Nuestra — Los Pastores — Chaya Riojana.
Là, il ne s’agit pas d’une musique traditionnelle, mais d’une fête qui a lieu à la Rioja. La Chaya est une belle Indienne qui tombe amoureuse d’un jeune homme coureur de jupons. Celui-ci ignore la belle qui ira s’exiler dans les montagnes. Pris de remords, il décide de la retrouver et, finalement, il rentre à la Rioja, se saoule et brûle vif dans un poêle. Tous les ans, la fête célèbre l’extinction du jeune homme en feu avec les larmes de Chaya. Aujourd’hui, cette ancienne fête est plutôt un festival de folklore où se succèdent différents orchestres.
B5: Navidad Nuestra — Los Reyes Magos – Takirari.
Le Takirari est une danse bolivienne qui a des parentés avec le carnavalito. Les danseurs sautent, se donnent le coude et tournent en ronde. C’est donc une musique joyeuse et vive.
B6: Navidad Nuestra — La Huida — Vidala Tucumana.
Encore une vidala qui imprime son rythme triste. On sent les pas lourds de l’âne qui mène Marie et Jésus en Égypte. La musique se termine par un decrescendo qui pourrait simuler l’éloignement de la fuite.
Voilà, ici se termine notre tour de la Misa criolla et de la Navida nuestra. On voit que, contrairement à ce qui est généralement affirmé, seuls quelques rythmes du folklore argentin sont présentés et que deux thèmes sont d’inspiration bolivienne.
À propos des paroles
En Argentine, qui n’est pas un pays laïque, la religion est importante. Je devrais dire les religions, car, si le catholicisme des Espagnols est important, il me semble que les évangélistes sont bien plus présents si on en juge par le nombre d’églises évangélistes. Les autres religions monothéistes sont également bien représentées dans ce pays qui a accueilli en masse les juifs chassés d’Europe et les nazis. Cette œuvre a d’ailleurs été écrite à la suite du témoignage de deux sœurs allemandes rencontrées à Würzburg et qui lui ont conté les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. On note aussi en Argentine diverses religions, ou plutôt cultes, comme celui du Gauchito Gil, de Difunta Correa ou tout simplement de footballeurs comme Maradona. Les paroles de Felix Luna ont été écrites à partir de textes liturgiques révisés par Antonio Osvaldo Catena, Alejandro Mayol et Jesús Gabriel Segade, trois prêtres, dont le dernier était aussi le directeur de la Cantoria de la Basílica del Socorro qui a enregistré la première version avec Ariel Ramírez. À ce sujet, ce chœur, le deuxième plus ancien d’Argentine, est en péril à la suite de la perte de son financement. La culture n’est plus à la mode en Argentine. Leur dernier concert a eu lieu il y a une dizaine de jours pour les 60 ans de la Misa criolla. Ils recherchent un sponsor. Si vous avez des pistes, vous pouvez écrire à panella.giovanni85@gmail.com.
La troupe de la Missa criolla a fait une tournée en Europe en 1967. L’affiche du dernier concert de la Cantoria de la Basílica del Socorro pour les 60 ans de l’œuvre.
Paroles (Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena)
Noche anunciada, noche de amor Dios ha nacido, pétalo y flor Todo es silencio y serenidad Paz a los hombres, es Navidad
En el pesebre mi Redentor Es mensajero de paz y amor Cuando sonríe se hace la luz Y en sus bracitos crece una cruz
(Ángeles canten sobre el portal) Dios ha nacido, es Navidad
Esta es la noche que prometió Dios a los hombres y ya llegó Es Nochebuena, no hay que dormir Dios ha nacido, Dios está aquí Ariel Ramírez Letra: Felix Luna
Traduction libre de Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena
Nuit annoncée, nuit d’amour. Dieu est né, pétale et fleur. Tout n’est que silence et sérénité. Paix aux hommes, c’est Noël Dans la crèche, mon Rédempteur est un messager de paix et d’amour. Quand il sourit, il y a de la lumière et une croix pousse dans ses bras. (Les anges chantent au-dessus de la porte), Dieu est né, c’est Noël C’est la nuit que Dieu a promise aux hommes et elle est déjà arrivée. C’est la veille de Noël, il ne faut pas dormir, Dieu est né, Dieu est là.
À propos de la première version de la Misa criolla et de Navidad nuestra
Il y a de très nombreuses versions de la Misa criolla et de Navidad nuestra. Je vous propose uniquement de mieux connaître la version initiale, celle qui a été enregistrée en 1964.
L’orchestre
Ariel Ramírez: Direction générale, piano et clavecin. Jaime Torres: charango. Luis Amaya, Juancito el Peregrino et José Medina: guitare criolla. Raúl Barboza: accordéon pour le chamame «La anunciación». Alfredo Remus: contrebasse Domingo Cura: percussions. Chango Farías Gómez: bombo et accessoires de percussion.
Les chanteurs
Les quatre chanteurs de Los Fronterizos (Gerardo López, Eduardo Madeo, César Isella et Juan Carlos Moreno): chanteurs solistes. Cantoría de la Basílica del Socorro: chœur Jesús Gabriel Segade: directeur de la Cantoría.
De gauche à droite. La Negra (Mercedes Sosa, qui a beaucoup travaillé avec Ariel Ramírez), Felix Luna (auteur des paroles) et Ariel Ramírez (compositeur) au piano et en portrait à droite.
À bientôt les amis. Je vous souhaite de joyeuses fêtes et un monde de paix où tous les humains pourront chanter et danser pour oublier leurs tristesses et exprimer leurs joies.
PS : Gérard Cardonnet a fait le commentaire suivant et je trouve cela très intéressant :
« Excellent, Bernardo. Mais s’agissant de messe, quand on parle de compositeurs argentins, comment ne pas citer la “Misa a Buenos Aires”, dite Misatango, de Martin Palmeri. https://www.choeurdesabbesses.fr/…/la-misatango-de…/ » Voilà, maintenant, c’est écrit.
Et comme de bien entendu, j’en rajoute une petite couche avec la réponse :
« Gérard, comme tu l’as remarqué, c’était plutôt Navidad nuestra qui était d’actualité, Noël étant lié à la naissance. J’ai d’ailleurs mis en avant El nacimiento en en mentionnant les paroles. Pour ce qui est de la Misatango, elle fait clairement référence à Piazzolla. Mon propos était de changer l’éclairage sur l’Argentine pour parler des musiques traditionnelles. C’est promis, un de ces jours je mettrais les pieds dans le Piazzolla. La Misatango est une œuvre superbe. Tu la cites avec beaucoup de raison. J’aurais aussi pu parler de tangos de saison avec quelques titres qui évoquent les fêtes de fin d’année comme : Pour Noël Nochebuena Bendita nochebuena Feliz nochebuena El vals de nochebuena Navidad Feliz Navidad Navidad de los morenos Candombe en Navidad Pour le Jour de l’an Año nuevo Pour les Rois mages (6 janvier) Noche de reyes Un regalo de reyes 6 de enero (6 janvier, jour des Rois mages). Papa Baltasar »
Je ne veux pas vous faire passer un amer Noël, mais, curieusement, les tangos enregistrés le 24 décembre ne sont pas d’une grande gaieté. J’ai choisi un des moins désespérants, Sin un adiós que Donato et Ibáñez enregistrèrent la veille de Noël 1931.
Extrait musical
Sin un adiós 1931-12-24 — Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.
Ce titre est assez original à cause du solo de piano de son frère, Osvaldo. Le jeu est un peu jazzy. Vous pouvez l’entendre à partir de 35 secondes. C’est la partie B. À 1’10″ la reprise de la partie A est presque un soulagement de retrouver une orchestration plus habituelle, pour les danseurs. La reprise de la partie B sera effectuée par Teófilo Ibáñez, qui restera accompagné par tout l’orchestre, marquant le rythme. Je reviens sur ce surprenant solo de piano. Est-ce que Edgardo a voulu faire une fleur à son frère en cette veille de Noël ? Seize ans plus tard, Osvaldo créera son propre orchestre en embarquant les musiciens de son frère, dont il avait quitté le poste de pianiste l’année précédente. Osvaldo (pianiste) et Ascanio (violoncelliste) sont plus discrets que leur frère Edgardo (violoniste). Ce solo de piano permet de mettre Osvaldo en lumière, une trentaine de secondes.
Paroles
Errante voy sin fe y sin esperanza Buscando alivio a mi dolor Con su visión se pierde en lontananza Y muerta está, en mi alma, la ilusión.
Ya no volveré a verla más, ni alcanzan Todas mis cuitas y mi pasión Se marchó y llorando su tardanza Aún está mi pobre corazón. J. Navarrete Letra: Francisco Antonio Lío
Traduction libre
Errant, je vais sans foi et sans espoir, cherchant un soulagement à ma douleur. Avec sa vision qui se perd dans le lointain et morte est dans mon âme, l’illusion (sentiment amoureux). Je ne la reverrai jamais, et tous mes désirs et ma passion n’y arriveront pas. Elle est partie et pleurant son retard, toujours est mon pauvre cœur.
Autres versions
Il n’y a pas d’autre version de ce thème, même si le titre a été utilisé à de très nombreuses reprises, en tango et dans d’autres rythmes, mais ce sont des créations d’autres auteurs. Je vous propose donc un parcours musical autour des titres enregistrés par Donato et dans lesquels il y a le mot “adiós”.
Adiós a Gardel 1936-10-07 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Sur le disque, il est indiqué que c’est un Corrido. Je n’en suis pas totalement convaincu. Quoi qu’il en soit, Horacio Lagos chante le refrain composé et écrit par Rafael Hernández en l’honneur de Gardel, mort en 1935.
Les amateurs de vieux tangos apprécient l’association de Edgardo Donato et Roberto Zerrillo. Comme c’est Noël, je leur offre cet enregistrement…
El adiós 1938-04-02 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.
Je n’étais pas très enthousiaste avec les autres titres proposés, mais là, on est devant un chef‑d’œuvre. Alors, quoi de mieux pour vous dire à bientôt, les amis, et Joyeux Noël !
Sin un adiós. Petit délire de saison (même s’il fait trente degrés à Buenos Aires). Espérons que le Père Noël retrouvera sa Mère Noël et qu’il vous déposera plein de cadeaux mérités au pied de votre arbolito de navidad.
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