Archives de catégorie : Partitions

Gólgota, 1938-08-15 — Orquesta Rodolfo Biagi con Teófilo Ibáñez

Rodolfo Biagi Letra: Francisco Gorrindo

Rodol­fo Bia­gi, qui venait de se faire vir­er par D’Arienzo, car il com­mençait à lui pren­dre la vedette, enreg­istre le 15 août 1938, deux tan­gos excep­tion­nels. El incen­dio (l’incendie) et Gól­go­ta. Le pre­mier est instru­men­tal et met, comme il l’annonce, le feu. Gól­go­ta monte la ten­sion d’un cran. Il est comme une déc­la­ra­tion de guerre, une annonce fra­cas­sante dis­ant que, désor­mais, il fau­dra compter avec Bia­gi dans l’Univers du tan­go. L’ancien tan­go a été cru­ci­fié et, la force brute de cette inter­pré­ta­tion servie mer­veilleuse­ment par le pre­mier chanteur de Bia­gi, Teó­fi­lo Ibáñez, explose à nos oreilles.

Je vous invite donc à décou­vrir le phénomène Bia­gi dans son pre­mier enreg­istrement avec son orchestre. Il n’avait aupar­a­vant enreg­istré que du piano solo, de l’accompagnement de Gardel et, bien sûr, la par­tie de piano de l’orchestre de D’Arienzo.

Extrait musical

Gól­go­ta. Par­ti­tion pour piano et divers­es édi­tions en disque. Argen­tine, Uruguay. Le dernier disque évoque le procédé de Colum­bia, « Viva-tonal », une tech­nique d’enregistrement élec­trique de la sec­onde moitié des années 1920 et qui ver­ra la pro­duc­tion de toute une série de lecteurs de dis­ques 78 tours, de la machine portable au cab­i­net avec portes fer­mant à clef. Comme nous le ver­rons en fin d’article.
Gól­go­ta, 1938-08-15 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Teó­fi­lo Ibáñez.

Les pas lourds de la mon­tée au Gól­go­ta démar­rent le titre, puis, soudain, une des fameuses vir­gules musi­cales de Bia­gi au piano libère la ten­sion dans une phrase lega­to des cordes et ban­donéons. Puis, les pas pesants repren­nent et, une fois de plus, le piano libère une phrase lega­to. À 31 sec­on­des, Bia­gi libère un motif qu’il utilis­era beau­coup par la suite. Presque joyeux, a min­i­ma, joueur, ce pas­sage est suivi d’un autre pas­sage où domine le lega­to, même si la pul­sa­tion est tou­jours présente.
L’orchestre annonce ensuite l’arrivée de Ibáñez, qui va réalis­er la prouesse de don­ner la mélodie tout en scan­dant le rythme. On notera que, même si les dis­ques men­tion­nent un estri­bil­lo (refrain), Ibáñez chante pen­dant plus d’une minute (le titre dure 2 min­utes 36).
Pour un pre­mier enreg­istrement, c’est un coup de maître et l’orchestre con­tin­uera sur sa lancée jusqu’en 1956, où il passera à la mai­son de disque Colum­bia, puis Music Hall.
Mais cela fait longtemps que le souf­fle des pre­mières années s’était éteint et que Bia­gi était tombé dans un automa­tisme qui rend cet orchestre beau­coup moins intéres­sant.
Pour l’instant, intéres­sons-nous à Gól­go­ta, com­posé par Bia­gi et puis­sam­ment mis en paroles par l’auteur de Pacien­cia, Mala suerte, La bru­ja ou Ansiedad, Fran­cis­co (Froilán) Gor­rindo.
Un petit clin d’œil. À par­tir du départ de Bia­gi de l’orchestre de D’Arienzo, le pianiste Juan Poli­to repro­duira les orne­men­ta­tions de Bia­gi, ce qui fait qu’au même moment, les deux orchestres parais­saient très proches aux oreilles de ceux qui écoutaient d’une manière un peu dis­traite.

Paroles

Yo fui capaz de darme entero y es por eso
que me encuen­tro hecho peda­zos,
y me encuen­tro aban­donao.
Porque me di, sin ver a quién me daba,
y hoy ten­go como pre­mio
que estar arrodil­lao.
Arrodil­lao frente al altar de la men­ti­ra,
frente a tan­tas alcancías,
que se lla­man corazón;
y comul­gar en tan­ta hipocre­sía,
por el pan diario,
por un rincón.

Arrodil­lao, hay que vivir,
pa’ mere­cer algún favor;
que si de pie te ponés,
para gri­tar
tan­ta ruina y mal­dad.
Cru­ci­fi­cao, te vas a ver,
por la moral de los demás;
en este Gól­go­ta cru­el,
donde el más vil,
ése, la va de Juez.

No me han dejao
más que el con­sue­lo de mis noches,
de mis noches de bohemia,
mezclar sueños con alco­hol.
Ni quiero más, me bas­ta estando solo,
tenien­do por ami­go
un vaso de licor.
Que por lo menos con mon­edas he com­pra­do,
a quién no podrá ven­derme,
quién me prestará val­or
para cumplir en este cir­co diario,
con las pirue­tas
de tan­to clown.
Rodol­fo Bia­gi Letra: Fran­cis­co Gor­rindo

Ibáñez chante ce qui est en gras et Omar, seule­ment ce qui est en bleu.

Pala­cios chante tout et reprend le refrain qui est en bleu pour ter­min­er.

Traduction libre

J’ai été capa­ble de me don­ner entière­ment, et c’est pour ça que je me retrou­ve en morceaux, et je me retrou­ve aban­don­né.
Parce que je me suis don­né, sans voir à qui je me don­nais, et aujour­d’hui j’ai comme récom­pense d’être à genoux.
Je m’age­nouille devant l’au­tel du men­songe, devant tant de tire­lires, qu’on appelle cœur ; et de com­mu­nier dans tant d’hypocrisie, pour le pain quo­ti­di­en, pour un coin.

Je m’age­nouille, il faut vivre, pour mérit­er quelque faveur ; que si vous vous lev­ez, pour crier tant de ruine et de méchanceté.
Cru­ci­fié, tu te ver­ras, par la morale des autres ; dans ce cru­el Gol­go­tha, où le plus vil, celui-là, ce fait juge.

Ils ne m’ont lais­sé que la con­so­la­tion de mes nuits, de mes nuits bohèmes, mêlant rêves et alcool.
Je ne veux rien d’autre, ça me suf­fit d’être seul, en ayant un verre d’al­cool pour ami.
Que pour le moins, avec des pièces (de mon­naie), j’ai acheté à qui ne pour­ra pas me ven­dre, à qui me prêtera le courage d’atteindre dans ce cirque quo­ti­di­en, avec les pirou­ettes de tant de clowns.

Autres versions

Gól­go­ta, 1938-08-15 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Teó­fi­lo Ibáñez. C’est notre tan­go du jour.
Gól­go­ta, 1938-10-14 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar.

On remar­quera tout de suite que le rythme est moins puis­sant et que le piano est plus dis­cret, inté­gré à l’orchestre. On remar­quera aus­si le mag­nifique pas­sage à la clar­inette à par­tir de 1 minute. Dif­fi­cile de dire si c’est Carme­lo Aguila (grand clar­inetiste de Jazz qui était dans l’orchestre de Lomu­to, au moins épisodique­ment depuis 1926 ou Pri­mo Staderi arrivée vers 1936 dans l’orchestre, mais sans que cela signe le départ de Carme­lo. En 1938, les deux musi­ciens étaient référencés dans l’orchestre, alors Carme­lo ou Pri­mo ? Mys­tère et boule de gomme.
Bien que cette ver­sion soit plus courte de 10 sec­on­des que celle de Bia­gi, Jorge Omar n’intervient qu’à 1:27 et il ne chantera que 30 sec­on­des, la moitié de Ibáñez…
Sa voix est plus ronde et chaude, moins nasale que celle de Ibáñez. C’est un bary­ton et ce que perd le titre en inci­sion, il le gagne en chaleur et cela rend cette ver­sion égale­ment attachante. À par­ti de 2 min­utes, la, ou plutôt les clar­inettes revi­en­nent. On notera la fin assez par­ti­c­ulière, avec cette mon­tée chro­ma­tique par­ti­c­ulière­ment stac­ca­to et fréné­tique.

Gól­go­ta 1938-11 — Héc­tor Pala­cios con gui­tar­ras.

L’année 1938 se ter­mine par l’enregistrement par Pala­cios du thème. La gui­tare ne fait pas le poids face aux orchestres précé­dents, mais le résul­tat est loin d’être inin­téres­sant. Bien sûr, pas ques­tion de danser sur cette ver­sion, mais c’est agréable, très agréable à écouter.

Gól­go­ta 1963 — Héc­tor Mau­ré acom­paña­do por el Orques­ta Lito Escar­so.

La belle voix de Mau­ré sert par­faite­ment le titre, accom­pa­g­né avec légèreté par l’orchestre de Lito Escar­so. Héc­tor Mau­ré chante toutes les paroles et reprend la fin du refrain. Bien sûr, il s’agit d’une ver­sion d’écoute, à com­par­er avec celle enreg­istrée 25 ans plus tôt par Pala­cios.

Gól­go­ta 1970 — Hugo Duval acom­paña­do por el Trio Yum­ba.

Dif­fi­cile de ne pas retrou­ver l’inspiration de Bia­gi dans le Trio Yum­ba, c’est logique dans la mesure où ils con­tin­u­ent le style du maître. On les trou­ve d’ailleurs par­fois sous le nom de Biag­gi (avec deux G). Hugo Duval, qui chan­tait égale­ment avec Bia­gi, con­tin­ue avec le trio, ce qui ren­force l’illusion. Il chante la même par­tie que Mau­ré sept ans plus tôt.
Cepen­dant, on notera une énergie moin­dre, surtout si on com­pare à la ver­sion de 1938, mais il ne faut pas oubli­er qu’un trio ne peut pas son­ner comme une Típi­ca… Pour finir, ce n’est pas génial à écouter et pas plus intéres­sant pour la danse.

Gól­go­ta 2021 — Tan­go Bar­do C Osval­do Pere­do.

Je vous pro­pose de ter­min­er ce tour du Gól­go­ta par une ver­sion assez récente (2021), enreg­istrée par Tan­go Bar­do avec la voix de Osval­do Pere­do.

C’est à voir aus­si en vidéo… https://youtu.be/nBJcNYFUtPU.

Les lecteurs Viva Tonal de Columbia

Je ne vais pas me lancer dans l’histoire de ces tourne-dis­ques, car je n’y con­nais pas grand-chose. En revanche, il me sem­ble intéres­sant de rap­pel­er qu’il y a eu toute une diver­sité de gramo­phones et que la ten­dance dès les années 20 a été de les inclure dans des meubles devant s’intégrer dans les intérieurs art déco de l’époque, mais égale­ment de les ren­dre porta­bles pour ani­mer la vie à l’extérieur.

Je vous présent ici, une machine de chaque type. Un mod­èle cab­i­net, un mod­èle por­tatif et un mod­èle portable.

Un mag­nifique Cab­i­net, Colum­bia Viva Tonal 612. On remar­que le meu­ble élé­gant (enfin, dans le goût de l’époque), la maniv­elle et le mécan­isme d’entraînement à ressort et enfin l’aiguille (ici, pointant en l’air sur les deux pho­tos). Le pavil­lon est caché dans la par­tie inférieure, der­rière la toile.
Deux pub­lic­ités Colum­bia. À gauche, un cab­i­net est mis en avant, mais un mod­èle portable et d’autres cab­i­nets sont présen­tés. Au cen­tre, un mod­èle por­tatif, posé sur une table et à droite, une pochette de disque.
Deux mod­èles de lecteurs porta­bles en valise. À gauche, un mod­èle 163 restau­ré par Giakke & Mikke et à droite, une pub­lic­ité pour le mod­èle 118.

Ces objets sont mag­nifiques, mais je vous assure, même si cer­tains affir­ment le con­traire, que la qual­ité sonore n’est pas à la hau­teur des procédés actuels…

À bien­tôt, les amis.

Patotero sentimental 1941-06-06 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Manuel Jovés Letra: Manuel Romero

Qui n’a pas été ému par la voix de Rober­to Rufi­no chan­tant Patotero sen­ti­men­tal ? Mais savez-vous que cet enreg­istrement suit de presque 20 ans un suc­cès phénomé­nal qui oblig­eait Igna­cio Corsi­ni à rechanter cet air sou­vent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émou­vant par ses regrets et par là-même décou­vrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.

Je pub­lie cet arti­cle le 26 jan­vi­er qui est la date anniver­saire de la ver­sion de Di Sar­li avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Rober­to Rufi­no. Je triche donc un petit peu, on pour­ra tou­jours en repar­ler un 6 juin…

Patoteros, apaches, youth gangs…

Un patotero est le mem­bre d’une pato­ta, un groupe de jeunes enclins à la vio­lence et à la délin­quance. Ce phénomène de ban­des de jeunes est sans doute une des con­séquences de la révo­lu­tion indus­trielle qui a jeté des généra­tions de paysans dans les villes. Si les par­ents y tra­vail­laient, les jeunes qui voy­aient les con­di­tions mépris­ables de vie de leurs par­ents trou­vaient refuge dans des activ­ités, plus ou moins lucra­tives à défaut d’être hon­nêtes.
Si à Paris, les Apach­es (ban­des de jeunes délin­quants surnom­mées ain­si par le jour­nal­iste Hen­ri Fouquier en référence à la bru­tal­ité de leurs crimes qui rap­pelaient les romans de Fen­i­more Coop­er col­por­tant des idées colo­nial­istes sur la vio­lence des Indi­ens améri­cains) étaient par­ti­c­ulière­ment vio­lents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la pop­u­la­tion. Pour juger de la dif­férence, on peut s’intéresser à leurs dans­es, vrai­ment très dif­férentes.
Pour les Argentins, je ne vous pro­pose pas de vidéo, il vous suf­fit d’imaginer un tan­go canyengue accen­tu­ant l’aspect « canaille », les fentes et autres pass­es (fig­ures) inspirées du com­bat au couteau.

Un bal en 1900. Peut-être du tan­go.

Pour le côté parisien, la danse des apach­es est une danse qui alterne des moments vio­lents et des moments plus sen­suels. C’est une drama­ti­sa­tion des rela­tions entre femmes et hommes. Cette danse per­dur­era en France jusque dans les années 60. On retrou­vera ses fig­ures, repris­es dans d’autres dans­es comme le lindy-hop, le rock acro­ba­tique, le tan­go de show, voire le tan­go de danse sportive.

Trois présen­ta­tions de valse chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des choré­gra­phies bru­tales, d’apparence machiste, même si les femmes peu­vent y être égale­ment agres­sives. On con­sid­ère que c’est une mise en scène des rela­tions tumultueuses entre une pros­ti­tuée et son souteneur. Quand on imag­ine le nom­bre de femmes « volées » à Paris et mise au tra­vail comme pros­ti­tuées en Argen­tine, on com­prend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de ten­sions extrêmes et de moments de pas­sion amoureuse.

Extrait musical

Par­ti­tion de patotero sen­ti­men­tal. Trois cou­ver­tures. Avec Manuel Jovés et Igna­cio Corsi­ni à gauche et sur la cou­ver­ture de droite, Loren­zo Bar­bero qui l’a enreg­istrée en 1950 avec le chanteur Osval­do Brizuela.
Patotero sen­ti­men­tal 1941-06-06 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.

Le patotero s’avance avec des pas bien mar­qués qui alter­nent avec de longs glis­san­dos des vio­lons.
Rufi­no com­mence à chanter, en respec­tant le rythme ini­tial. Sa voix est expres­sive et il ne som­bre pas dans le pathos que peu­vent présen­ter d’autres chanteurs. Cette sen­si­bil­ité asso­ciée à la pres­sion con­stante de l’orchestre fait que les danseurs trou­veront leur compte dans cette ver­sion idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes.
Nous ver­rons que cet équili­bre qui sem­ble si sim­ple et naturel dans cette ver­sion a du mal à se retrou­ver dans les nom­breux autres enreg­istrements du titre, du moins dans les ver­sions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre caté­gorie. Par exem­ple, le même Di Sar­li, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enreg­istrement en 1954 et il est dif­fi­cile d’y trou­ver la même dans­abil­ité, même si bien sûr de nom­breux danseurs tomberont sous le charme de cette autre ver­sion (qui est la vraie ver­sion du jour, puisqu’enregistrée un 26 jan­vi­er).

Rober­to Rufi­no. À gauche à Mar del Pla­ta en 1970 et à droite à Radio Bel­gra­no en 1944.

Paroles

Patotero, rey del bai­lon­go
Patotero sen­ti­men­tal
Escondés bajo tu risa
Muchas ganas de llo­rar
Ya los años se van pasan­do
Y en mi pecho, no entra un quer­er
En mi vida tuve muchas, muchas minas
Pero nun­ca una mujer
Cuan­do ten­go dos copas de más
En mi pecho comien­za a sur­gir
El recuer­do de aque­l­la fiel mujer
Que me quiso de ver­dad y que ingra­to aban­doné
De su amor, me burlé sin mirar
Que pudiera sen­tir­lo después
Sin pen­sar que los años al cor­rer
Iban cru­eles a amar­gar, a este rey del cabaret
Pobrecita, cómo llora­ba
Cuan­do ciego la eche a rodar
La pato­ta me mira­ba, y
No es de hom­bre el aflo­jar
Patotero, rey del bai­lon­go
Siem­pre de ella te acor­darás
Hoy reís, pero en tu risa
Solo hay ganas de llo­rar
Manuel Jovés Letra: Manuel Romero

Traduction libre des paroles

Patotero, roi du bal
Patotero sen­ti­men­tal
Tu caches sous ton rire beau­coup d’en­vies de pleur­er.
Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’en­tre.
Dans ma vie, j’ai eu beau­coup, beau­coup de poulettes (chéries), mais jamais une femme.
Quand j’ai deux ver­res de trop, dans ma poitrine com­mence à resur­gir le sou­venir de cette femme fidèle qui m’aimait vrai­ment et que j’ai aban­don­née ingrate­ment.
De son amour, je me moquais sans voir que je pour­rais le ressen­tir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’é­coulaient, étaient cru­elles à aigrir ce roi du cabaret.
Pau­vre petite, comme elle pleu­rait quand aveu­gle j’ai com­mencé à la larguer.
La bande (pato­ta) m’ob­ser­vait, et ce n’est pas à un homme de se relâch­er (se laiss­er atten­drir).
Patotero, roi du bal, tou­jours, tu te sou­vien­dras d’elle.
Aujour­d’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’en­vie de pleur­er.

Autres versions

El patotero sen­ti­men­tal 1922-03-29 — Igna­cio Corsi­ni con Orques­ta Rober­to Fir­po.

C’est Corsi­ni qui a créé le titre. Nous ver­rons cela en fin d’article. Ce fut son pre­mier grand suc­cès, ce tan­go a lancé sa car­rière.

Igna­cio Corsi­ni en 1922

La même année, Car­los Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sin­fo­nia Mal­e­va per­met de suiv­re les paroles chan­tées par Car­los Gardel.

El patotero sen­ti­men­tal 1922 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras)
Sub­mergé d’é­mo­tion Raul (Hugo Del Car­ril) chante Patotero sen­ti­men­tal quand il com­prend qu’il va per­dre elisa. dans le film La vida est une tan­go (1939)
Patotero sen­ti­men­tal 1941-06-06 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no. C’est notre (faux) tan­go du jour.
Patotero sen­ti­men­tal 1949-11-25 — Orques­ta José Bas­so con Oscar Fer­rari.

La voix un peu acide de Fer­rari ne sert pas aus­si bien le thème que celle de Rufi­no ou de Corsi­ni. D’un point de vue de la danse, les manières de Fer­rari ren­dent cet enreg­istrement peu prop­ice à la danse. C’est un peu dom­mage, car l’orchestre fait un assez joli tra­vail.

Patotero sen­ti­men­tal 1950-12-28 — Loren­zo Bar­bero y su orques­ta de la argen­tinidad con Osval­do Brizuela.

Une Jolie ver­sion qui ne détrôn­era pas celle de Di Sar­li et Rufi­no, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un cer­tain suc­cès à son époque, comme en témoigne la par­ti­tion présen­tée au début de cet arti­cle.

Patotero sen­ti­men­tal 1952-10-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Héc­tor Pacheco.

Dans la veine des tan­gos à écouter il y a cette ver­sion. La voix pré­cieuse de Pacheco est-elle réelle­ment adap­tée au rôle d’un patotero, même con­ver­ti ? On a du mal à croire à cette his­toire, d’autant plus que Frese­do mul­ti­plie ses fior­i­t­ures, tout aus­si peu prop­ices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.

Patotero sen­ti­men­tal 1954-01-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Mario Pomar.

J’adore Mario Pomar et son inter­pré­ta­tion ne souf­fre d’aucune cri­tique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la ver­sion avec Rufi­no enreg­istrée 13 ans plus tôt. C’est cette ver­sion qui a été enreg­istrée un 26 jan­vi­er et qui devrait donc offi­cielle­ment être le tan­go du jour.

Patotero sen­ti­men­tal 1974 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Oscar Macri.

J’ai par­lé des bruitages de Sas­sone à pro­pos de la ver­sion de 1952 de Frese­do, je pense que vous remar­querez que Sas­sone ne les pro­pose pas dans cet enreg­istrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent aban­don­nés par la suite. Vous noterez toute­fois les moments où Sas­sone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sas­sone n’est pas un pour­voyeur de tan­go de danse, il faut recon­naître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résul­tat est plutôt sym­pa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la milon­ga (en tous cas pas trop sou­vent 😉

Patotero sen­ti­men­tal 1974 — Hugo Díaz.

L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy don­née par le piano et la gui­tare ne sat­is­fera cepen­dant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.

Patotero sen­ti­men­tal 1974c — Leopol­do Fed­eri­co con Car­los Gari.

Le ban­donéon expres­sif de Leopol­do Fed­eri­co nous offre un duo avec Car­los Gari dont la voix puis­sante con­traste avec tous les instru­ments. C’est une belle inter­pré­ta­tion, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instru­ments du début s’apaise pro­gres­sive­ment pour nous offrir un paysage sonore par­faite­ment cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordi­na­teur et moi, cela ne passera pas sur les haut-par­leurs de la milon­ga.

Patotero sen­ti­men­tal 1991-03 — Car­los Gar­cía solo de piano.

Le piano sait sou­vent être expres­sif. Je vous laisse juger si Car­los Gar­cía a su suff­isam­ment faire par­ler son instru­ment…

Patotero sen­ti­men­tal 2005 — Cuar­te­to Guardia Vie­ja con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabi­an Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.
Patotero sen­ti­men­tal 2006 — Aure­liano Tan­go Club C Aure­liano Marin.

Une ver­sion très dif­férente mais pas inin­téres­sante. Vous pou­vez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et con­tre­bassiste du trio en plus d’en être le chanteur.

Patotero sen­ti­men­tal 2011 — Orques­ta Típi­ca Gente de Tan­go con Héc­tor Mora­no.

On ter­mine ici, avec une ver­sion plus tra­di­tion­nelle.

Origine de ce tango

Comme nous l’avons vu à de nom­breuses repris­es, les tan­gos qui ani­ment nos milon­gas ont sou­vent été créés pour des revues musi­cales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas excep­tion. Il était une des scènes de la pièce “El bailarín del cabaret” (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apo­lo par la com­pag­nie de Cesar Rat­ti, et qui eut un suc­cès immense, notam­ment pour l’interprétation par Igna­cio Corsi­ni de notre tan­go du jour.
Les spec­ta­teurs bis­saient de nom­breuses fois ce titre que Corsi­ni chan­tait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On con­nait ce détail par Osval­do Sosa Cordero dans “His­to­ria de las vari­etés en Buenos Aires 1900–1925” qui nous apprend égale­ment que 800 dis­ques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aus­si emparé du phénomène, la même année.

Osval­do Sosa Cordero; His­to­ria de las vari­etés en Buenos Aires 1900–1925. À gauche, édi­tion orig­i­nale de 1978 et à droite, la réédi­tion de 1999.

Il me sem­ble intéres­sant de voir com­ment s’articulaient ces var­iétés.

El bailarín del cabaret — Cou­ver­ture de la 4ème édi­tion (19 août 1922 et déjà 319 représen­ta­tions suc­ces­sives)… À droite, l’ex­trait du livret avec les paroles du tan­go chan­té par Igna­cio Corsi­ni.

Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trou­ve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tan­go est dans le troisième.
La scène se passe dans un cabaret lux­ueux et tous dansent un fox­trot joué par l’orchestre dirigé par Félix Sco­lat­ti Almey­da, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui décou­vre cet univers.
Je vous repro­duis ici un dia­logue savoureux où un jeune homme (Tron­coso) souhaite inviter la fille de la famille de vis­i­teurs (Cayetana) et qui se ter­mine par l’introduction de notre tan­go, Patotero sen­ti­men­tal.

Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental

TRONCOSO.- Bue­nas noches. ¿ Me acom­paña ese tan­go señori­ta?
CAYETANA.-Yo no me coman­do sola. Pídale per­miso a me papá.
D. GAETANO.-E iñu­dole, cabayere. Me nena non “bala”.
TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Aca­so ust­ed. no sabe que toda mujer que entra aquí está oblig­a­da a bailar?
D. GAETANO.-Ma nun. diga.
TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros.
CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Tron­coso saca un revólver.)
D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que “bale” pero no me lam­prete mucho. (Bailan ridic­u­la­mente.)
CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pier­na.
D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covenci­to, eso no, pe la madon­na!
Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hac­er­le cosquiyite inta la gam­ba, Sabe?
TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquil­las?
D. GAETANO.-¿E me lo pre­gun­ta todavía? ¡Chan­cho!
TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofe­tadas
has­ta la calle, madre e hija van detras, la orques­ta ata­ca un paso doble. Tumul­to, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Mar­ta?
MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy.
TRONCOSO.-¿ Qué te pasa?
MARTA.-Nada. Dejame.
TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche?
MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo.
PANCHITO.-Dejala; algún mete­jón nue­vo.
MARTA.-No, nada de eso, les juro.
MARGOT.-A ver, dec­ime­lo ami. Yo soy tu ami­ga .
M‑ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridícu­lo.
MARGOT.-Deci … .
MARTA.-Pero no se rían. He deja­do a mi nene en casa con cuarenta
gra­dos de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llo­ran­do.)
LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sen­ti­men­tal­is­mos.
TRONCOSO.-¡Qué des­gra­ci­a­da! (Todos rien.)
LORENA.-¿Por qué se ríen de ella?
TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiem­po a esta parte el mozo se ha puesto muy sen­ti­men­tal.
LA BEBA.-En cuan­to toma dos copas se pone imposi­ble.
LORENA.-Para ust­edes no hay nada respetable en la vida …
TRONCOSO.-Pero her­mano! Vos, el rey de los patateros, hablan­do asi! …
LORENA.-¿ Y qué? ¿Aca­so un patatero no puede ten­er alma? Si ust­edes supier­an …

Traduction des dialogues

TRONCOSO.- Bon­soir. M’accompagneriez-vous pour ce tan­go, made­moi­selle ?
CAYETANA : Je ne me com­mande pas. Deman­dez la per­mis­sion à mon père.
D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas.
(Les guillemets soulig­nent l’opinion que le père a de ces dans­es de cabaret).
TRONCOSO.- Com­ment cela se fait-il ? Vrai­ment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est oblig­ée de danser ?
D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit.
TRONCOSO.–Oui, mon­sieur, sinon il y aura des coups de feu.
CAYETANA.-Papa, ren­trons à la mai­son. (Tron­coso sort un revolver.)
D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la ser­rez pas trop. (Ils dansent ridicule­ment.)
CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde com­ment il fait avec sa jambe.
D. GAETANO.- (L’ar­rê­tant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone !
Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne con­nait pas bien et déforme le mot) quel­conque. Et il ne faut pas cha­touiller la jambe, vous savez ?
TRONCOSO : Où l’ai-je cha­touil­lée ?
D. GAETANO : Et vous me deman­dez en plus ? Cochon!
TRONCOSO : Sors d’ici, otario !
(Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sor­tent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glis­sent der­rière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Mar­ta ?
MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujour­d’hui.
TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ?
MARTA.-Rien, laisse-moi.
TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ?
MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis.
PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nou­velle amourette.
MARTA : Non, rien de tel, je vous jure.
MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie.
MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule.
MARGOT.-Parle… .
MARTA : Mais ne riez pas. J’ai lais­sé mon bébé à la mai­son avec quar­ante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.)
LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sen­ti­men­tal­ité.
TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.)
LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ?
TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le mon­sieur (beau jeune-homme) est devenu très sen­ti­men­tal.
LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux ver­res il devient impos­si­ble.
LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie…
TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu par­les ain­si !…
LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…

Et là, Igna­cio Corsi­ni retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chan­son qu’il repren­dra de nom­breuses fois à la demande des spec­ta­teurs.
Lors d’une représen­ta­tion, le chef de la troupe, Cesar Rat­ti, a essayé d’interdire les bis mul­ti­ples. Finale­ment, il a dû céder devant la pres­sion du pub­lic et il y a eu cinq bis.
Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tan­go et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spec­ta­cle du début du vingtième siè­cle.

À bien­tôt, les amis !

Escalas en azul 1950-05-17 — Orquesta Osmar Maderna

Osmar Maderna

Vous n’avez sans doute jamais dan­sé sur des musiques de Mader­na et c’est sans doute ras­sur­ant quant aux choix des DJ. Cepen­dant, la cul­ture tan­go va au-delà de la danse et il me sem­ble intéres­sant de s’intéresser à cet OVNI du tan­go qu’est Osmar Mader­na. Je vous invite à gravir les degrés d’une gamme bleue pour décou­vrir ce com­pos­i­teur et chef d’orchestre à part.

 Extrait musical

Par­ti­tion de Escalas en azul de Osmar Mader­na.
Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na

Il n’est pas très dif­fi­cile de devin­er d’où vient le titre. Le terme de escalas en musique peut être traduit par gammes. On notera que le piano joue tout au long de l’œuvre des gammes, c’est-à-dire des suc­ces­sions de notes ascen­dantes ou descen­dantes. Ce style orne­men­tal est typ­ique de Mader­na.
Le reste de l’orchestre sem­ble dédié à l’accompagnement du piano qui voltige au-dessus des autres instru­ments.
Le tem­po est bien mar­qué, souligné par les ban­donéons et les cordes qui effectuent des paus­es précédées d’élans, un peu comme dans une ranchera.
La musique est inter­prétée de façon vir­tu­ose qui donne une impres­sion de très grande vitesse.
Des danseurs piégés par un DJ facétieux qui se retrou­veraient sur la piste pour­raient s’appuyer sur cette présence du rythme pour garder une cadence raisonnable et ne pas se lancer dans des pas fébriles et ridicule­ment rapi­des.
Même si on n’est pas dans un rythme ter­naire de valse, une éventuelle inter­pré­ta­tion dan­sée de ce titre pour­rait s’apparenter à celui d’une valse. Des temps bien mar­qués et des mou­ve­ments tour­nants, toniques, mais pas ver­tig­ineux.
On notera les nom­breux change­ments de tonal­ité et la richesse des vari­a­tions et des par­ties. On est plus en face d’une com­po­si­tion de musique clas­sique que d’un tan­go tra­di­tion­nel.
Je ne vous encour­agerai pas à danser ce titre, mais à l’écouter atten­tive­ment, assuré­ment.
Osmar Mader­na

Mader­na a rel­a­tive­ment peu enreg­istré. Avec un peu plus d’une soix­an­taine d’enregistrements, c’est presque éton­nant que son nom nous soit par­venu.

Des orchestres plus pro­lifiques sont passés aux oubli­ettes.

Les musiciens de Maderna

Il a com­mencé à enreg­istr­er en 1946, en Uruguay, puis, la même année pour la Vic­tor, et cela jusqu’en 1951. Les musi­ciens des derniers enreg­istrements sont un peu dif­férents, mais je vous pro­pose ici, ceux qui ont par­ticipé à l’enregistrement de Escalas en azul, enreg­istré le 17 mai 1947.
Osmar Mader­na (Direc­tion et piano)
Felipe Ric­cia­r­di, Eduar­do Rovi­ra, José Cam­bareri et Leopol­do Fed­eri­co (ban­donéon). Comme on peut le remar­quer, des musi­ciens de pre­mier plan et plutôt vir­tu­os­es.
Aquiles Rog­gero, Harol­do Ghe­sagui et Angel Bodas (vio­lon)
Ariel Ped­ern­era (con­tre­basse)

Une par­tie de ces musi­ciens vient, tout comme Mader­na (qui avait rem­placé Stam­poni au piano en 1939), de l’orchestre de Miguel Caló (1941–1945), ce sont donc des estrel­las (étoiles). Ces transfuges sont :
Felipe Ric­cia­r­di et José Cam­bareri (le mage du ban­donéon, con­nu pour ses tem­pos de folie). Atten­tion, au pupitre des ban­donéons de Caló, on trou­ve aus­si un Fed­eri­co, Domin­go de son prénom, mais il n’est pas appar­en­té à Leopol­do.
À la con­tre­basse, c’est le même Ariel Ped­er­na qui œuvre.

Pour l’anecdote, on notera qu’il y avait un vio­loniste prénom­mé Aquiles dans les deux orchestres. Aguilar pour Caló et Rog­gero pour Mader­na. Ce dernier, Aguilar Rog­gero, dirig­era un orchestre en l’honneur de Mader­na qui était décédé dans un acci­dent d’avion (28/04/1951), l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na”.

La Orquesta Símbolo “Osmar Maderna”

L’année suiv­ant la mort de Mader­na, l’orchestre Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” reprend une par­tie du réper­toire et des com­po­si­tions de Mader­na.
Orlan­do Tripo­di rem­place Osmar Mader­na au piano.
Aquiles Rog­gero, con­tin­ue à tenir le vio­lon, tout en dirigeant et étab­lis­sant les arrange­ments de l’orchestre. Le pupitre des vio­lons est com­plété par Car­los Tav­er­na, Edmun­do Baya, et Este­ban Cañete.
Au ban­donéon, on retrou­ve Felipe Ric­cia­r­di, son frère Jorge, Héc­tor Let­tera et Toto Pan­ti pour com­pléter le pupitre des ban­donéons.
Víc­tor Mon­teleone tient la con­tre­basse.

L’orchestre sem­ble avoir cessé les enreg­istrements après la mort de Aquiles Rog­gero, ce dernier étant juste­ment mort d’une crise car­diaque lors d’une séance, en 1977. Ces enreg­istrements ne sem­blent pas avoir été pub­liés.

Autres versions

Escalas en azul 1950-05-17 — Orques­ta Osmar Mader­na. C’est notre tan­go du jour.
Escalas en azul 1959-06-17 — Orques­ta Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” dir. Aquiles Rog­gero.

Un immense mer­ci au col­lègue et col­lec­tion­neur Michael Sat­tler qui m’a procuré ce titre en bonne qual­ité.

Cette ver­sion est proche de celle enreg­istrée en 1950, comme on peut l’entendre et même voir dans l’illustration ci-dessous. Le tem­po est le même, les paus­es sont syn­chro­nisées et les deux ver­sions peu­vent être jouées ensem­ble durant les 40 pre­mières sec­on­des sans prob­lèmes nota­bles.

En haut, en vert la ver­sion de 1950 par Osmar Mader­na. En bas, en vio­let, la ver­sion de 1959 par la Orques­ta Sím­bo­lo.

Cette simil­i­tude vrai­ment frap­pante est la preuve que l’hommage à Osmar Mader­na, trag­ique­ment dis­paru n’est pas seule­ment dans le nom de l’orchestre, mais aus­si dans le respect de son style.

Ce respect est peut-être une autre expli­ca­tion, avec sa mort gardeli­enne, du fait que Mader­na n’est pas tombé dans l’oubli. Les ver­sions bril­lantes étaient bien adap­tées aux années 60–70, années où la danse était passé au sec­ond plan.

Selec­ción de Osmar Mader­na 1968 (Pot­pour­ri) — Orques­ta Sím­bo­lo “Osmar Mader­na” dir. Aquiles Rog­gero.

Encore dix ans plus tard, une autre ver­sion de Escalas en azul. Ce pot­pour­ri com­porte trois titres com­posés par Mader­na ; Escalas en azul, Llu­via de estrel­las et Concier­to en la luna. Un DJ facétieux pour­rait en faire une tan­da…
Dans ces trois titres, on recon­naît la prépondérance du piano, comme dans les enreg­istrements de Mader­na. La tâche de Orlan­do Tripo­di a été de con­tin­uer à faire vivre le style de jeu si par­ti­c­uli­er de Mader­na.

Ce titre, comme la plu­part des enreg­istrements de Mader­na, n’est pas des­tiné à la danse, tout comme son célèbre vol du bour­don (El vue­lo del moscardón) qu’il a adap­té de l’œuvre de Niko­lai Rim­sky-Kor­sakov et que je vous pro­pose d’écouter pour ter­min­er ce petit hom­mage à Osmar Mader­na.

El vue­lo del moscardón 1946-05-13 — Orques­ta Osmar Mader­na.

Dans ce thème, le piano est le bour­don qui volette et la sen­sa­tion de rapid­ité est encore plus vive que dans notre tan­go du jour. L’orchestre est moins présent pour don­ner tout son envol au bour­don à dents blanch­es et noires.

El vue­lo del moscardón

À bien­tôt, les amis !

El paladín 1945-03-20 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Agustín Bardi

Vous con­nais­sez ce titre, bien qu’il ait été peu enreg­istré. Mais peut-être vous êtes-vous demandé qui était ce pal­adin, car ce terme désig­nait les Pairs de l’empereur Charle­magne, un mil­lé­naire plus tôt.
El pal­adín est un tan­go d’Agustín Bar­di et ne sem­ble pas avoir de paroles. Il est donc assez dif­fi­cile de savoir qui était évo­qué dans ce titre. Voici trois hypothès­es.

Trois paladines possibles

On pour­rait remon­ter un siè­cle plus tôt, à l’époque ou Martín Miguel de Güemes, accom­pa­g­né de ses gau­chos, était un des héros de l’Argentine pour ses actions dans l’indépendance du pays. En illus­tra­tion de l’article, je vous pro­pose un por­trait imag­i­naire de ce héros réal­isé près d’un siè­cle plus tard par Manuel Pri­eto. Blessé d’une balle, il refusa les soins pour rester fidèle à sa cause et mou­rut onze jours plus tard, âgé de 36 ans. Son épouse, âgée de 25 ans, se serait lais­sé mourir de cha­grin. Cette his­toire, haute­ment roman­tique, a pu inspir­er Bar­di. Cela expli­querait une musique plutôt nos­tal­gique et calme, peut-être du point de vue de la jeune épouse qui se laisse mourir de faim.

El pal­adín, par­ti­tion pour piano. On voit man­i­feste­ment un ora­teur, peut-être un avo­cat ou un poli­tique.

La dernière pos­si­bil­ité est la dédi­cace de la par­ti­tion. En effet, elle est dédi­cacée par Bar­di à son ami Guiller­mo Fish­er. Ce dernier est un des fon­da­teurs de la Sociedad Nacional de Autores, Com­pos­i­tores y Edi­tores de Músi­ca ce qui devien­dra la SADAIC, la société des auteurs et com­pos­i­teurs argentins. Cepen­dant, je n’ai pas plus obtenu de ren­seigne­ments sur cette per­son­ne.

Extrait musical

Par­ti­tion et El pal­adín. On remar­que sur la cou­ver­ture un ora­teur, poli­tique, avo­cat, défenseur de la créa­tion de la société des auteurs ? Dans ce cas, il pour­rait s’agir de Guiller­mo Fis­ch­er…
El pal­adín 1945-03-20 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Autres versions

El pal­adín 1929-07-11 — Sex­te­to Car­los Di Sar­li.

Cette ver­sion sem­ble avoir été enreg­istrée au moins qua­tre fois et deux des enreg­istrements de cette journée, les matri­ces 44645–2 et 44645–4 ont été pub­liées en disque 78 tours, sous le même numéro de disque 47138 (Face B). Vous allez sans doute trou­ver cette ver­sion assez sym­pa­thique.

El pal­adín 1941-12-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

La reprise, 12 ans plus tard par Di Sar­li. Cette ver­sion est rel­a­tive­ment proche, mais plus liée.

El pal­adín 1945-03-20 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

C’est notre ver­sion du jour. Avec Pugliese, si le début sem­ble assez sem­blable, on remar­quera un jeu des vio­lons dans les légatos sen­si­ble­ment dif­férent.

El espiante 1932-01-17 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo

Le dix-neu­vième siè­cle a vu le développe­ment du fer­rovi­aire et du ciné­ma. On se sou­vent que l’un des pre­mier films, L’ar­rivée d’un train en gare de La Cio­tat (film n° 653 de Louis Lumière), a été tourné durant l’été 1895 et présen­té au pub­lic le 25 jan­vi­er 1896. Mon grand-père, né qua­tre ans après les faits, me con­tait que les spec­ta­teurs furent pris de panique. L’œuvre d’aujourd’hui est à sa manière, une glo­ri­fi­ca­tion des deux nou­veautés. Le chemin de fer argentin, le plus dévelop­pé d’Amérique du Sud, et le ciné­ma où les orchestres pro­po­saient la musique man­quant aux films de l’époque…

L’ar­rivée d’un train en gare de La Cio­tat (film n° 653 de Louis Lumière) — Musique el Espi­ante 1932-01-17 Osval­do Frese­do.

L’espiante peut désign­er en lun­far­do une arnaque ou le départ, par exem­ple, pour met­tre fin à une rela­tion me tomo el espi­ante. Dans le cas présent, vous allez le com­pren­dre à l’écoute, il s’agit d’un train, que nous allons pren­dre ensem­ble. En voiture !

Extrait musical

Par­ti­tions de El espi­ante. On notera que l’on ne voit pas de train. Peut-être que le cou­ple se fait l’e­spi­ante en sor­tant d’une milon­ga ennuyeuse…
El espi­ante 1932-01-17 — Orques­ta Osval­do Frese­do con can­to.

Tout com­mence par la cloche suiv­ie par le sif­flet du chef de gare. Le souf­fle bruyant des pis­tons aide au démar­rage du train. Le voy­age se déroule ensuite les sons d’imitation et ceux de l’orchestre se mélangeant. Le bruit de la vapeur suit le train sur une bonne par­tie du tra­jet.
À 1:00 et 2:00, en entend l’annonce de la voiture-restau­rant.
Le tra­jet se fait par des suc­ces­sions de mon­tées et descentes, et la musique pour­suit son par­cours, jusqu’au final où les pas­sagers s’interpellent et où le train s’arrête dans l’annonce de la gare, Rosario…
Ce titre est sans doute à class­er dans la rubrique des tan­gos ludiques et à réserv­er aux ama­teurs de canyengue, mais d’autres pas­sagers, par­don, danseurs peu­vent le danser avec entrain.

Autres versions

Même si c’est une com­po­si­tion de Frese­do, le plus ancien enreg­istrement disponible est par Rober­to Fir­po. Ce n’est pas très éton­nant, c’est le grand orchestre du moment et Fir­po aime bien les titres aux sons réal­istes.
On pensera par exem­ple à El amanecer où il intro­duit des chants d’oiseaux joués au vio­lon. Mais il a sans doute un attache­ment au train, égale­ment, puisqu’il écrira le tan­go El rápi­do qui évoque égale­ment le même train, celui de Rosario…

El rápi­do 1931-08-27 — Orques­ta Rober­to Fir­po con estri­bil­lo core­a­do.

Ce titre est sig­nalé comme tan­go humoris­tique et est donc de la même veine que celui de Frese­do. Il est ponc­tué de voix de « pas­sagers ». Comme la ver­sion de Frese­do de 1932 (notre tan­go du jour, l’annonce finale est égale­ment « Rosario ».

On peut imag­in­er que Fir­po répond à son com­père. L’espiante et El rápi­do désig­nent égale­ment les trains. On notera qu’à l’époque, il fal­lait seule­ment trois heures pour ral­li­er Retiro (gare de Buenos Aires) à Rosario, soit presque trois fois moins que main­tenant…
Fir­po avait déjà enreg­istré ce titre en 1927 et je rap­pelle que Bia­gi a aus­si enreg­istré, El rápi­do ain­si que Rodriguez, Piaz­zol­la, Vil­las­boas et Varel­la.
Revenons main­tenant aux espi­antes, on pren­dra le rapi­de une autre fois…

El espi­ante 1916 — Sex­te­to Rober­to Fir­po. Il s’agit d’un enreg­istrement acous­tique.

Pas de bruitage de train, ce que les musi­ciens de l’époque auraient pu pro­duire sans prob­lème, car ils le fai­saient pour le ciné­ma qui était muet à l’époque. J’imagine que cet ajout de bruitages s’est fait au fur et à mesure des con­certs. Fir­po n’est pas hos­tile à cela, bien au con­traire si on écoute ce qu’il a fait dans El rápi­do de 1931.

El espi­ante 1927-12-01 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Si le car­ac­tère du train qui alterne les mon­tées pous­sives et les descentes de pente pré­cip­itées est bien présent, les bruitages ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il fau­dra peut-être atten­dre le délire de Fir­po en 1931 avec El rápi­do, pour que cela devi­enne une habi­tude chez Frese­do égale­ment. Même si on n’est pas fan du canyengue, il faut recon­naître à cette œuvre, de belles trou­vailles musi­cales, que Frese­do exploit­era tout au long de sa car­rière comme ses fameuses descentes et chutes.

El espi­ante 1932-01-17 — Orques­ta Osval­do Frese­do con can­to (Rosario). C’est notre tan­go du jour.
El espi­ante 1933-03-16 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

On pour­rait con­fon­dre cette ver­sion avec la précé­dente, mais elle se dis­tingue prin­ci­pale­ment de son aînée par l’absence des paroles finales et une fin dif­férente. On notera aus­si une accen­tu­a­tion moin­dre du car­ac­tère fer­rovi­aire de cet enreg­istrement. Il y a tout de même le sif­flet et la cloche au début, des sons de pis­tons (souf­fles à la voix) et le sif­flet à env­i­ron 1:00, 2:10 et 2:30. Et un dernier souf­fle des pis­tons ter­mine l’œuvre.

El espi­ante 1939-07-07 — Orques­ta Julio De Caro.

Julio De Caro n’allait pas laiss­er ses copains s’amuser avec la musique du train sans par­ticiper. Lui aus­si aime pro­pos­er des musiques descrip­tives. On notera que son train est plus un rapi­de qu’un espi­ante. Cette ver­sion très joueuse est sans doute dans­able par les danseurs allergiques au canyengue, car elle est vrai­ment très sym­pa et le train qui n’a rien de pous­sif devrait les entraîn­er jusqu’à Rosario (ou ailleurs) sans prob­lème.

El espi­ante 1954-11-25 — Orques­ta Héc­tor Varela.

À part un sem­blant de cloche, au début, les bruitages fer­rovi­aires sont absents de cette ver­sion. L’arrivée en gare se fait avec un ban­donéon nerveux, peut-être celui de Varela. En effet, en 1954, Varela est venu grossir les rangs de son orchestre comme ban­donéon­iste en plus de Anto­nio March­ese et Alber­to San Miguel. Trois autres ban­donéon­istes s’adjoindront à l’orchestre à cette époque : Luis Pinot­ti, Sal­vador Alon­so et Eduar­do Otero. Le freinage final se fait au vio­lon.

El espi­ante 1955-12-29 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

En 1955, Frese­do remet sur les rails son espi­ante. On retrou­ve dans cette ver­sion la cloche, le sif­flet et la trompe du train. Cepen­dant la musique va vers plus de joliesse. Le train sem­ble tra­vers­er de beaux paysages, même si par moment, le rythme retrou­ve la res­pi­ra­tion des pis­tons.

El espi­ante 1974 — Orques­ta Héc­tor Varela.

Comme dans la ver­sion de 1954, le car­ac­tère fer­rovi­aire sous forme de bruitages est absent, mais on reste tout de même dans l’ambiance avec la musique qui évoque irré­sistible­ment le déplace­ment d’un train. L’arrivée est ici, entière­ment réal­isée par le ban­donéon nerveux qui ne laisse pas la place au vio­lon, comme en 1954. Varela priv­ilégie son instru­ment…

El espi­ante 1979-11-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

En 1979, Frese­do fait par­tir son train avec un sif­flet ini­tial et lui fera émet­tre ses célèbres coups de trompes, mais on sent qu’il file comme le vent, au moins dans cer­tains pas­sages qui alter­nent avec des pas­sages plus pous­sifs, rap­pelant le train des débuts. Comme en 1955 et sans doute encore plus, le train sem­ble tra­vers­er d’élégants paysages. Le résul­tat décevra sans doute les ama­teurs du « vieux » Frese­do, mais ravi­ra ceux qui aiment Sas­sone ou Varela. Le titre se ter­mine par un jin­gle au vibra­phone.

Et pour ter­min­er notre voy­age, prenons deux trains tirés par des loco­mo­tives à vapeur « Pacif­ic 231 ». 231 pour 2 roues à l’avant (direc­tri­ces), Trois grandes roues motri­ces et 1 dernière roue à l’arrière pour l’équilibre. 2–3‑1 (4–6‑2) si on envis­age les deux côtés de la loco­mo­tive. La musique est celle d’Arthur Honeg­ger, qui, comme Fir­po et Frese­do, était fan des trains.

Pacif­ic 231 1931- Mijaíl Tsekhanovsky – Arthur Honeg­ger (film russe).

Ce court métrage mag­nifique fait le par­al­lèle entre les mécan­ismes de la loco­mo­tive et le jeu des instru­ments, l’utilisation des surim­pres­sions et des fon­dus enchaînés fait que la bête humaine (nom d’un film de Jean Renoir en 1938 ayant pour thème le chemin de fer à vapeur) et l’orchestre se mélan­gent.

Pacif­ic 231 1949 — Jean Mit­ry — Arthur Honeg­ger (film français).

L’esthétique du film de Jean Mit­ry est bien dif­férente. De belles images de trains accom­pa­g­nent la musique. C’est cer­taine­ment beau­coup moins créatif que le film de Tsekhanovsky, mais intéres­sant tout de même, ne serait-ce que par l’aspect doc­u­men­taire qui fait revivre ses mon­stres se nour­ris­sant de char­bon.

Ter­mi­nus, tout le monde descend !
À bien­tôt, les amis !

Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz

Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Je suis sûr que vous avez déjà été inter­pel­lés par ce titre qui com­mence par des rires, voire par des sif­fle­ments. La ver­sion du jour est réal­isée par un des deux auteurs, le ban­donéon­iste Pedro Lau­renz, qui à l’époque de la com­po­si­tion, était dans l’orchestre de l’autre com­pos­i­teur, Julio de Caro. Nous ver­rons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extra­or­di­naire moder­nité.
Mala jun­ta peut se traduire par mau­vaise ren­con­tre. Vous serez peut-être éton­né de voir qu’elle est la mau­vaise ren­con­tre évo­quée par Mag­a­l­di…

Extrait musical

Par­ti­tions de Mala jun­ta. Elles sont dédi­cacées “Al dis­tin­gui­do y apre­ci­a­do Señor Don Luis Gondra y famil­ia”. Pre­mière des 26 pages de la par­ti­tion com­plète et début de la par­tie finale avec la mise en valeur du ban­donéon. Par­ti­tion réal­isée par Lucas Alcides Cac­eres.
Mala jun­ta 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Les ver­sions de Pugliese sont bien plus con­nues, mais vous recon­naîtrez tout de suite le titre mal­gré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exacte­ment, c’est l’orchestre qui repro­duit le thème de l’éclat de rire, instru­men­tale­ment. Le rythme est bien mar­qué, même s’il com­porte quelques syn­copes en fan­taisie.
On notera que Lau­renz fait égale­ment l’impasse sur les sif­fle­ments. Dans son enreg­istrement de 1968, avec son quin­te­to, il omet­tra égale­ment ces deux élé­ments. On pour­rait donc imag­in­er que ces rires et sif­fle­ments sont des fan­taisies de De Caro. C’est d’autant plus prob­a­ble si on se sou­vient que, dans El moni­to, il utilise les sif­fle­ments, les rires et même des phras­es humoris­tiques.
Si quelques dis­so­nances rap­pel­lent les com­po­si­tions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas trou­bler les danseurs moins fam­i­liers de ces sonorités.
Les phras­es sont lancées et se ter­mi­nent sou­vent comme jetées, pré­cip­itées. Le piano coupe ces accéléra­tions par ses ponc­tu­a­tions. La musique sem­ble se remet­tre en place et on recom­mence jusqu’à la dernière par­tie où le ban­donéon de Lau­renz s’en donne à cœur joie. Rap­pelez-vous que, dans la par­ti­tion, toute cette par­tie est en dou­bles-croches, ce qui per­met de don­ner une impres­sion de vitesse, sans mod­i­fi­er le rythme.

Disque Odeón 7644 Face A avec Mala jun­ta inter­prété par Pedro Lau­renz.

Don Luis Gondra

Luis Gondra a deux épo­ques et une car­i­ca­ture dans la Revue Caras y Care­tas de 1923, qui rap­pelle qu’il était égale­ment avo­cat.

La dédi­cace de ce tan­go a été effec­tuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un mil­i­tant, écrivain et poli­tique. Il fait par­tie des sur­vivants du mas­sacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipól­i­to Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blan­ca ont été attaqués à balles et baïon­nettes par des forces loyales au gou­verne­ment de Manuel Quin­tana.
Il est mort le 10 févri­er 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tan­go du jour. Il est l’auteur de dif­férents ouvrages, prin­ci­pale­ment d’histoire poli­tique, comme des ouvrages sur Bel­gra­no ou des cours d’économie, car il était pro­fesseur de cette matière.

Un ouvrage à la gloire de Bel­gra­no, un cours d’é­conomie poli­tique et sociale et un livre sur les idées économiques de Bel­gra­no. Cela donne le pro­fil du dédi­cataire de ce tan­go.

Paroles, deux versions

Même si notre tan­go du jour est instru­men­tal, il y a des paroles, celles enreg­istrées par Mag­a­l­di, qui dénon­cent le tan­go comme la cause de la perdi­tion et celles que l’on trou­ve habituelle­ment dans les recueils de paroles de tan­go. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de ver­sion enreg­istrée des paroles « canon­iques ».
Je com­mence donc par la ver­sion de Mag­a­l­di et don­nerait ensuite la ver­sion « stan­dard ».

Paroles chantées par Magaldi

Por tu mala jun­ta te perdieron, Nena,
Y causaste a tus pobres viejos, pena,
Que a pesar de todos los con­se­jos,
Un mal día te engrupieron
Y el gotán te enca­denó…

¡Ay! ¿Dónde estás, Neni­ta de mira­da seduc­to­ra?
Tan ple­na de poesía, cual diosa del amor…
Nun­ca, jamás veré la Sul­tani­ta que en otro­ra
Con sus mimos disi­pa­ba mi dolor.

Recita­do:
Guar­do de ti recuer­do sin igual
Pues fuiste para mí toda la vida.
Mi corazón sufrió la desilusión
Del des­pre­cio a su quer­er que era su ide­al.

Y con la heri­da
Que tú me has hecho,
Mi fe has dese­cho
Y serás mi perdi­ción.

Todo está som­brío y muy triste, alma,
Y nos fal­ta, des­de que te has ido, cal­ma,
El vivir la dicha ya ha per­di­do
Porque con tu mal vin­iste
A enlu­tar mi corazón.

¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala con­se­jera
que, obran­do con fal­sía, buscó tu perdi­ción?
Mien­tras que aquí está la madrecita que te espera
Para darte su amorosa ben­di­ción.

Recita­do:
Dulce dei­dad, que fue para mi bien
Un sueño de plac­er nun­ca sen­ti­do,
Yo no pen­sé que ése, mi gran quer­er,
Lo perdiera así nomás, sien­do mi Edén.

¿Dónde te has ido
mi noviecita?
Tu madrecita
Siem­pre cree que has de volver.
Julio De Caro; Pedro Lau­renz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version de Magaldi

À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, ils t’ont per­du, Bébé,
Et tu as causé à tes pau­vres par­ents, de la peine,
Que mal­gré tous les con­seils, un mau­vais jour, ils t‑on trompés (dit des men­songes) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tan­go…).
Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séduc­teur ?
Telle­ment pleine de poésie, comme une déesse de l’amour…
Je ne ver­rai jamais, jamais la sul­tane qui, une fois, avec ses câlins, a dis­sipé ma douleur.
Réc­i­tatif:
Je garde un sou­venir iné­galé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie.
Mon cœur a souf­fert de la décep­tion du mépris pour son amour, qui était son idéal.
Et avec la blessure que tu m’as faite,
Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte.
Tout est lugubre et très triste, âme, et nous man­quons, depuis que tu es par­tie, le calme, la vie du bon­heur s’est déjà per­due, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur.
Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mau­vais con­seiller qui, agis­sant fausse­ment, a cher­ché ta perte ?
Alors qu’i­ci se trou­ve la petite mère qui t’attend pour te don­ner sa béné­dic­tion aimante.
Réc­i­tatif:
Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressen­ti,
Je ne pen­sais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden.
Où es-tu allée, ma petite fiancée?
Ta petite mère pense tou­jours que tu vas revenir.

Paroles de la version standard

Por tu mala jun­ta te perdiste, nena
y nos causa tu extravío, llan­tos, ¡pena!…
De un vivir risueño te han habla­do
y al final… ¡te has olvi­da­do
de tu vie­ja y de mi amor!…
En la fiebre loca de men­ti­das galas
se que­maron tus div­inas, ¡níveas alas!…
En tu afán de lujos y de orgías
recubriste de agonías
¡a mi vida y a tu hog­ar!…

Fuiste el ángel de mis horas de bohemia,
el bien de mi esper­an­za,
tier­no sueño encan­ta­dor;
y no puedo sofo­car mis neuras­te­nias
cuan­do pien­so en la mudan­za
¡de tu cru­el amor!…

(recita­do)
¡Pobre de mí… que a cues­tas con mi gran cruz
rodan­do he de mar­char por mi oscu­ra sen­da;
¡sin el calor de aque­l­la ful­gente luz
que tu mirar dis­per­só en mi corazón!

(can­to)
Sueños de glo­ria
que trun­cos quedaron
y heri­do me dejaron
entre bru­mas de dolor…

Por tu mala jun­ta te perdiste, nena,
y nos causa tu extravío llan­tos, ¡pena!…
Por seguir tus necias ambi­ciones
mis doradas ilu­siones
¡para siem­pre las perdí!…
Una san­ta madre deli­rante cla­ma
y con ella mi car­iño, rue­ga, ¡lla­ma!…
El perdón te espera con un beso
sí nos traes con tu regre­so
¡la ale­gría de vivir!…

Tus recuer­dos se amon­to­nan en mi mente,
tu ima­gen me obse­siona,
te con­tem­p­lo en mi ansiedad;
y te nom­bro sus­pi­ran­do tris­te­mente,
pero en vano… ¡no reac­ciona
tu alma sin piedad!…

Y como el cisne
que muere can­tan­do
así se irá esfu­man­do
¡mi doliente juven­tud!…
Julio De Caro; Pedro Lau­renz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version standard

À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, tu t’es per­due, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du cha­grin…
On t’a par­lé d’une vie souri­ante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour…
Dans la fièvre folle, des parures men­songères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses…
Dans ton avid­ité de luxe et d’orgies, tu as cou­vert d’ag­o­nies (amer­tumes, douleurs, cha­grins) ma vie et ta mai­son…
Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve ten­dre et enchanteur ;
et je ne puis étouf­fer ma neurasthénie quand je pense au change­ment de ton amour cru­el…
(réc­i­tatif)
Pau­vre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sen­tier ;
Sans la chaleur de cette lumière écla­tante que ton regard a dis­per­sée dans mon cœur !
(chant)
Des rêves de gloire qui res­teront tron­qués et me lais­sèrent blessé dans des brouil­lards de douleur…
À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, tu t’es per­due, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du cha­grin…
Pour suiv­re tes folles ambi­tions, mes illu­sions dorées, pour tou­jours, je les ai per­dues…
Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affec­tion, sup­plie, appelle…
Le par­don t’at­tend avec un bais­er si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre…
Tes sou­venirs s’ac­cu­mu­lent dans mon esprit, ton image m’ob­sède, je te con­tem­ple dans mon angoisse ;
Et je te nomme en soupi­rant tris­te­ment, mais en vain… ton âme sans pitié ne réag­it pas…
Et comme le cygne qui meurt en chan­tant ain­si s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…

On voit les dif­férences entre les deux ver­sions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Mag­a­l­di ait adap­té les paroles à son goût. C’est un petit mys­tère, mais cela me sem­ble très mar­gin­al dans la mesure où l’intérêt prin­ci­pal de cette com­po­si­tion est dans la musique.

Autres versions

Mala jun­ta 1927-09-13 — Orques­ta Julio De Caro.

Cette ver­sion per­met de retrou­ver les deux com­pos­i­teurs avec Julio de Caro au vio­lon (son vio­lon à cor­net) et Pedro Lau­renz au ban­donéon. Ce dernier avait inté­gré l’orchestre de De Caro en 1924 en rem­place­ment de Luis Petru­cel­li.
On notera, après les rires, le début sif­flé. Cette ver­sion, la plus anci­enne enreg­istrée en notre pos­ses­sion, a déjà tous les élé­ments de moder­nité que l’on attribuera deux ou trois décen­nies plus tard à Osval­do Pugliese qui se con­sid­érait comme l’humble héri­ti­er de De Caro.
Voici la com­po­si­tion du sex­te­to pour cet enreg­istrement :

  • Pedro Lau­renz et Arman­do Blas­co au ban­donéon.
  • Fran­cis­co De Caro au piano.
  • Julio De Caro et Alfre­do Cit­ro au vio­lon.
  • Enrique Krauss à la con­tre­basse.
Disque Vic­tor de la ver­sion enreg­istrée par De Caro en 1927.
Mala jun­ta 1928-06-18 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

Comme nous l’avons vu, Mag­a­l­di chante des paroles dif­férentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enreg­istrement des­tiné à l’écoute, à la lim­ite de la pièce de théâtre.

Mala jun­ta 1928-12 — Orques­ta Típi­ca Brod­man-Alfaro. Orig­i­nal Colum­bia L 1349–1 Matrice D 19172.

Le titre com­mence avec les sif­flets, mais sans les rires. Cette ver­sion com­porte un pas­sage avec une scie musi­cale. Finale­ment, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que cap­ti­vant.

À gauche, le disque offi­ciel édité par la Colum­bia en 1929 (enreg­istrement de décem­bre 1928). À droite, un disque pirate du même enreg­istrement réal­isé dans le courant de 1929.

Quelqu’un a‑t-il réus­si à se pro­cur­er la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ?
La moins bonne qual­ité de la copie pirate peut aus­si laiss­er penser qu’elle a été réal­isée à par­tir d’un disque édité. Bien sûr, il est dif­fi­cile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la ver­sion pirate, pour véri­fi­er que cela vient de la fab­ri­ca­tion et pas de l’usure du disque.

Mala Jun­ta 1928-12 — Orques­ta Tipi­ca Brod­man Alfaro. Copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028).

Même enreg­istrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028). La qual­ité est sen­si­ble­ment plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque orig­i­nal ou tout sim­ple­ment de l’usure plus impor­tante de ce disque ? Petit rap­pel. Les dis­ques sont réal­isés à par­tir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directe­ment gravée par la pres­sion acous­tique (pour les pre­miers enreg­istrements) et par le déplace­ment d’un burin soumis aux vibra­tions obtenues par voie élec­trique (micro­phone à char­bon, par exem­ple). Cette cire ser­vait à réalis­er un con­tre­type, la matrice qui ser­vait ensuite à réalis­er les dis­ques par pres­sage. Sans cette matrice, il faut par­tir d’un disque déjà pressé, ce qui engen­dre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression orig­i­nale, mais cela peut égale­ment ajouter les défauts du disque s’il a été util­isé aupar­a­vant. La copie pirate est donc oblig­a­toire­ment de moins bonne qual­ité dans ce cas, d’autant plus que le matéri­au du disque peut égale­ment être choisi de moins bonne qual­ité, ce qui engen­dr­era plus de bruit de fond, mais ce qui per­me­t­tra de réduire le prix de fab­ri­ca­tion de cette arnaque.
On notera que, de nos jours, les édi­teurs par­tent sou­vent de dis­ques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traite­ments numériques sup­posés de redonner une jeunesse à leurs pro­duits. Le résul­tat est sou­vent mon­strueux et se détecte par la men­tion « remas­tered » sur le disque. Mal­heureuse­ment, cela tend à devenir la norme dans les milon­gas, mal­gré les sonorités hor­ri­bles que ces traite­ments mal exé­cutés pro­duisent.

Mala jun­ta 1938-07-11 — Orques­ta Típi­ca Bernar­do Ale­many.

Le prin­ci­pal intérêt de cette ver­sion est qu’elle ouvre une sec­onde péri­ode d’enregistrements, une décen­nie plus tard. On peut cepen­dant ne pas être embal­lé par le résul­tat, sans doute trop con­fus.

Mala jun­ta 1938-11-16 — Orques­ta Julio De Caro.

De Caro réen­reg­istre sa créa­tion, cette fois, les rires et les sif­fle­ments sont reportés à la sec­onde par­tie. Cela per­met de met­tre en valeur la com­po­si­tion musi­cale assez com­plexe. Cette com­plex­ité même qui fera que ce titre, mal­gré sa beauté, aura du mal à ren­dre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.

Mala jun­ta 1943–08-27- Orques­ta Osval­do Pugliese.

Con­traire­ment à son mod­èle, Pugliese a con­servé les rires en début d’œuvre, mais a égale­ment sup­primé les sif­fle­ments qui n’interviendront que dans la sec­onde par­tie. L’interprétation est d’une grande régu­lar­ité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pour­ra trou­ver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière par­tie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des ban­donéons excités sur­volés par le vio­lon tran­quille. Au crédit de cet enreg­istrement, on pour­ra indi­quer qu’il est dans­able et que la fin énergique pour­ra faire oubli­er un début man­quant un peu d’expression.

Mala jun­ta 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz. C’est notre tan­go du Jour.
Mala jun­ta 1949-10-10 — Orques­ta Julio De Caro.

De Caro, après la ver­sion de Pugliese et celle de Lau­renz, son coau­teur, enreg­istre une ver­sion dif­férente. Comme pour celle de 1938, il ne con­serve pas les rires et sif­flets ini­ti­aux. C’est encore plus abouti musi­cale­ment, mais tou­jours plus pour l’écoute que pour la danse. Conser­vons cela en tête pour décou­vrir, la réponse de Pugliese…

Mala jun­ta 1952-11-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Tou­jours les rires, sans sif­fle­ments au début de cet enreg­istrement et dans la sec­onde par­tie, ce sont les sif­fle­ments qui rem­pla­cent les rires. L’affirmation de la Yum­ba dans l’interprétation et la struc­ture de cette orches­tra­tion nous pro­pose un Pugliese bien for­mé et « typ­ique » qui devrait plaire à beau­coup de danseurs, car l’improvisation y est facil­itée, même si la richesse peut ren­dre dif­fi­cile la tâche à des danseurs peu expéri­men­tés.

La ver­sion de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala jun­ta est la pre­mière plage de la face A du disque LDS 103.
Mala jun­ta 1957-09-02 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Dis­ons-le claire­ment, j’ai un peu honte de vous présen­ter cette ver­sion après celle de Pugliese. Cette ver­sion sautil­lante ne me sem­ble pas adap­tée au thème. Je ne ten­terai donc pas de la pro­pos­er en milon­ga. Je ne ver­rai donc jamais les danseurs trans­for­més en petits duen­des (lutins) gam­badants comme je l’imagine à l’écoute.

Mala jun­ta 1968 — Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

Pedro Lau­renz enreg­istre une dernière ver­sion de sa créa­tion. Il y a de jolis pas­sages, mais je ne suis pas pour ma part très con­va­in­cu du résul­tat.
On a l’impression que les instru­ments jouent cha­cun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Atten­tion, je ne par­le pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensem­ble, mais du lance­ment de traits jux­ta­posés et super­posés qui sem­blent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de cer­tains, c’est sûr que cela posera des dif­fi­cultés aux danseurs qui souhait­ent danser la musique et pas seule­ment faire des pas sur la musique.

Je vous pro­pose de ter­min­er avec Pugliese, qui est incon­testable­ment celui qui a le plus con­cou­ru à faire con­naitre ce titre. Je vous pro­pose une vidéo réal­isée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la car­rière du maître qui rap­pelle que ses fans cri­aient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finale­ment, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…

Mala jun­ta — Osval­do Pugliese — Teatro Colón 1985.

Il y a d’autres ver­sions, y com­pris par Pugliese, notam­ment réal­isées au cours de dif­férents voy­ages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la ver­sion de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour ver­sion tant nova­trice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la ver­sion intéres­sante de Lau­renz, qui con­stitue notre tan­go du jour.

À bien­tôt, les amis !

El choclo 1948-01-15 — Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tan­gos célèbres, El choclo a son lot de légen­des. Je vous pro­pose de faire un petit tour où nous ver­rons au moins qua­tre ver­sions des paroles accrédi­tant cer­taines de ces légen­des. Ce titre importé par Vil­lol­do en France y aurait rem­placé l’hymne argentin (par ailleurs mag­nifique), car il était plus con­nu des orchestres français de l’époque que l’hymne offi­ciel argentin Oid mor­tales du com­pos­i­teur espag­nol : Blas Par­era i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme poli­tique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de sub­sti­tu­tion.

Qui a écrit El choclo ?

Le vio­loniste, danseur (avec sa com­pagne La Pauli­na) et com­pos­i­teur Casimiro Alcor­ta pour­rait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la mis­ère à Buenos Aires, serait, selon cer­tains, l’auteur de nom­breux tan­gos de la péri­ode comme Con­cha sucia (1884) que Fran­cis­co Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, net­te­ment plus élé­gant, mais aus­si La yapa, Entra­da pro­hibi­da et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles apparte­naient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Vil­lol­do a « emprun­té » cette musique…
En 1903, Vil­lol­do demande à son ami chef d’un orchestre clas­sique, José Luis Ron­cal­lo, de jouer avec son orchestre cette com­po­si­tion dans un restau­rant chic, La Amer­i­cana. Celui-ci refusa, car le patron du restau­rant con­sid­érait le tan­go comme de la musique vul­gaire (ce en quoi il est dif­fi­cile de lui don­ner tort si on con­sid­ère ce qui se fai­sait à l’époque). Pour éviter cela, Vil­lol­do pub­lia la par­ti­tion le 3 novem­bre 1903 en indi­quant qu’il s’agissait d’une danse criol­la… Ce sub­terfuge per­mit de jouer le tan­go dans ce restau­rant. Ce fut un tel suc­cès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Vil­lol­do est allé l’enregistrer à Paris, en com­pag­nie de Alfre­do Gob­bi et de sa femme, Flo­ra Rodriguez.
Par la suite, des cen­taines de ver­sions ont été pub­liées. Celle du jour est assez intéres­sante. On la doit à Fran­cis­co Canaro avec Alber­to Are­nas. L’enregistrement est du 15 jan­vi­er 1948.

Extrait musical

Divers­es par­ti­tions de El choclo. On remar­quera à gauche (5ème édi­tion), la dédi­cace à Ron­cal­lo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.

On remar­que tout de suite le rythme rapi­de. Are­nas chante égale­ment rapi­de­ment, de façon sac­cadée et il ne se con­tente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précé­dente pour Lib­er­tad Lamar­que.
Ce fait est générale­ment car­ac­téris­tique des tan­gos à écouter. Cepen­dant, mal­gré les facéties de cet enreg­istrement, il me sem­ble que l’on pour­rait envis­ager de le pro­pos­er dans un moment déli­rant, une sorte de cathar­sis, pour toutes ces heures passées à danser sur des ver­sions plus sages. On notera les clo­chettes qui don­nent une légèreté, en con­traste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la ver­sion du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres ver­sions…

Con este tan­go que es burlón y com­padri­to
se ató dos alas la ambi­ción de mi sub­ur­bio;
con este tan­go nació el tan­go, y como un gri­to
sal­ió del sór­di­do bar­ri­al bus­can­do el cielo;
con­juro extraño de un amor hecho caden­cia
que abrió caminos sin más ley que la esper­an­za,
mez­cla de rabia, de dolor, de fe, de ausen­cia
llo­ran­do en la inocen­cia de un rit­mo juguetón.

Por tu mila­gro de notas agor­eras
nacieron, sin pen­sar­lo, las paicas y las gre­las,
luna de char­cos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la man­era de quer­er…

Al evo­carte, tan­go queri­do,
sien­to que tiem­blan las bal­dosas de un bai­lon­go
y oigo el rezon­go de mi pasa­do…
Hoy, que no ten­go más a mi madre,
sien­to que lle­ga en pun­ta ‘e pie para besarme
cuan­do tu can­to nace al son de un ban­doneón.

Caran­can­fun­fa se hizo al mar con tu ban­dera
y en un pernó mez­cló a París con Puente Alsi­na.
Triste com­padre del gav­ión y de la mina
y has­ta comadre del bacán y la pebe­ta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadu­ra
se hicieron voces al nac­er con tu des­ti­no…
¡Misa de fal­das, querosén, tajo y cuchil­lo,
que ardió en los con­ven­til­los y ardió en mi corazón.
Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tan­go moqueur et com­padri­to, l’am­bi­tion de ma ban­lieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tan­go naquit, le tan­go, et, comme un cri, il sor­tit du quarti­er sor­dide en cher­chant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’e­spoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’ab­sence pleu­rant dans l’in­no­cence d’un rythme joueur.
Par ton mir­a­cle des notes prophé­tiques, les paicas et les gre­las ( paicas et gre­las sont les chéries des com­padri­tos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanch­es et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tan­go, je sens les dalles d’un danc­ing trem­bler et j’en­tends le mur­mure de mon passé…
Aujour­d’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’im­pres­sion qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un ban­donéon.
Caran­can­fun­fa (danseur habile, on retrou­ve ce mot dans divers titres, comme les milon­gas Carán-Can-Fú de l’orchestre Rober­to Zer­ril­lo avec Jorge Car­do­zo, ou Carán­can­fún de Fran­cis­co Canaro avec Car­los Roldán) a pris la mer avec ton dra­peau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsi­na (pont sur le Riachue­lo à la Boca).
Triste com­padre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la mar­raine du bacán (riche) et de la pebe­ta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accu­sa­tions et mis­ère ont par­lé à la nais­sance avec ton des­tin…
Une messe de jupes, de kérosène (pét­role lam­pant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les con­ven­til­los (habitas col­lec­tifs pop­u­laires et surpe­u­plés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beau­coup glosé sur l’origine du nom de ce tan­go.
Tout d’abord, la plus évi­dente et celle que Vil­lol­do a affir­mé le plus sou­vent était que c’était lié à la plante comestible. Les orig­ines très mod­estes des Vil­lol­do peu­vent expli­quer cette dédi­cace. Le nord de la Province de Buenos Aires ain­si que la Pam­pa sont encore aujourd’hui des zones de pro­duc­tion impor­tante de maïs et cette plante a aidé à sus­ten­ter les pau­vres. On peut même con­sid­ér­er que cer­tains aiment réelle­ment manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la ver­sion chan­tée par lui-même, mais nous ver­rons que ce n’est pas si sim­ple quand nous allons abor­der les paroles…
Il s’agirait égale­ment, d’un tan­go à la charge d’un petit mal­frat de son quarti­er et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la ver­sion don­née par Irene Vil­lol­do, la sœur de Ángel et que rap­porte Juan Car­los Maram­bio Catán dans une let­tre écrite en 1966 à Juan Bautista Devo­to. On notera que les paroles de Juan Car­los Maram­bio Catán con­for­tent juste­ment cette ver­sion.
Lorsque Lib­er­tad Lamar­que doit enreg­istr­er ce tan­go en 1947 pour le film « Gran Casi­no » de Luis Buñuel, elle fait mod­i­fi­er les paroles par Enrique San­tos Dis­cépo­lo pour lui enlever le côté vio­lent de la sec­onde ver­sion et dou­teuse de celles de Vil­lol­do.
Vil­lol­do n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous enten­du par­ler de la dernière accep­tion. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est ten­tant de faire ce rap­proche­ment. N’oublions pas que les débuts du tan­go n’étaient pas pour les plus prudes et cette con­no­ta­tion sex­uelle était, assuré­ment, dans l’esprit de bien des audi­teurs. Le lun­far­do et cer­tains textes de tan­gos aiment à jouer sur les mots. Vous vous sou­venez sans doute de « El chi­no Pan­taleón » où, sous cou­vert de par­ler musique et tan­go, on par­lait en fait de bagarre…
Rajou­tons que, comme le tan­go était une musique appré­ciée dans les bor­dels, il est plus que prob­a­ble que le dou­ble sens ait été encour­agé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Vil­lol­do ? Pas for­cé­ment, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aus­si sup­pos­er que, même si Irène était anal­phabète, elle avait la notion de la bien­séance et qu’elle se devait de dif­fuser une ver­sion soft, ver­sion que son frère a peut-être réelle­ment encour­agée pour pro­téger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tan­go a gag­né ses let­tres de noblesse, les poètes se sont éver­tués à écrire de belles paroles et pas seule­ment à cause des péri­odes de cen­sure de cer­tains gou­verne­ments. Tout sim­ple­ment, car le tan­go entrant dans le « beau monde », il devait présen­ter un vis­age plus accept­able.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tan­go.

Autres versions

Tout comme pour la Cumpar­si­ta, il n’est pas pens­able de présen­ter toutes les ver­sions de ce tan­go. Je vous pro­pose donc une sélec­tion très restreinte sur deux critères :
• His­torique, pour con­naître les dif­férentes épo­ques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notam­ment pour danser, mais aus­si pour écouter.
Il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement disponible de la ver­sion de 1903, si ce n’est celle de Vil­lol­do enreg­istrée en 1910 avec les mêmes paroles pré­sumées.
Mais aupar­a­vant, pri­or­ité à la data­tion, une ver­sion un peu dif­férente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une ver­sion dia­loguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Car­iño puro, mais vous retrou­verez sans prob­lème notre tan­go du jour.

Car­iño puro (diál­o­go y tan­go) 1907 – Los Gob­bi con Los Cam­pos.

Ce titre a été enreg­istré en 1907 sur un disque en car­ton de la com­pag­nie Mar­coni. Si la qual­ité d’origine était bonne, ce matéri­au n’a pas résisté au temps et au poids des aigu­illes de phono­graphes de l’époque. Heureuse­ment, cette ver­sion a été réédité en disque shel­lac par la Colum­bia et vous pou­vez donc enten­dre cette curiosité… La forme dia­loguée rap­pelle que les musi­ciens fai­saient beau­coup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en car­ton recou­vert d’acé­tate (procédé Mar­coni). Ces dis­ques étaient de bonne qual­ité, mais trop frag­iles. À droite, le même enreg­istrement en ver­sion shel­lac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi chi­na que ten­go mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gus­tar
Largá el rol­lo que escu­cho y expli­cate
Lo que pas­es no es ton­tera,
pues te juro que te digo la ver­dad.
dame un beso no me ven­gas con chanela (2)
dejate de ton­teras, no me hagas esper­ar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gav­ilán
son cuen­tos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no ven­go con ganas mi chi­na de far­rear
Pues entonces no me ven­gas con cuen­to
y escuchame un momen­to que te voy a explicar.
No te eno­jes que yo te diré lo cier­to
y verás que me vas a per­donar
Pues entonces
Te diré la purísi­ma ver­dad
Vamos chi­na ya que voy a hac­er las paces
a tomar un car­rin­dan­go pa pasear
Y mirar de Paler­mo
Yo te quiero mi chini­ta no hagas caso
Que muy lejos quer­er
el esquina­zo
ni golpe ni por­ra­zo…
Ángel Vil­lol­do

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beau­coup à te par­ler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâch­er le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu tra­vers­es n’est pas une bêtise,
  • - Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un bais­er Ne viens pas à moi en par­lemen­tant
  • - Arrête les bêtis­es, ne me fais pas atten­dre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un éper­vi­er (homme rapi­de en affaires)
  • - Ce sont des his­toires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • - Je ne viens pas, ma chérie, avec l’en­vie de rigol­er.
    Aus­si, ne me racon­te pas d’histoires
  • - et écoute-moi un instant et, car je vais te l’ex­pli­quer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu ver­ras que tu vas me par­don­ner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • - Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une prom­e­nade
    Et regarder Paler­mo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas atten­tion
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tour­ments d’un cou­ple, inter­prétés par Alfre­do Gob­bi et sa femme, Flo­ra Rodriguez. Dom­mage que la tech­nique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accep­té par nos oreilles mod­ernes.

El choclo 1910 — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do con gui­tar­ra.

Cette ver­sion présente les paroles sup­posées orig­i­nales et qui par­lent effec­tive­ment du maïs. C’est donc cette ver­sion qui peut faire pencher la bal­ance entre la plante et le sexe mas­culin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un gra­no nace la plan­ta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la gar­gan­ta
dijo que esta­ba humil­loso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
mur­muro con alboro­zo
está muy de la banana.

Hay choc­los que tienen
las espi­gas de oro
que son las que adoro
con tier­na pasión,
cuan­do tra­ba­jan­do
llen­i­to de abro­jos
estoy con ras­tro­jos
como humilde peón.

De lava­da enrubia
en largas guede­jas
con­tem­p­lo pare­jas
sí es como cre­cer,
con esos big­otes
que la tier­ra vir­gen
al noble paisano
le suele ofre­cer.

A veces el choclo
asa en los fogones
cal­ma las pasiones
y dichas de amor,
cuan­do algún paisano
lo está coci­nan­do
y otro está ceban­do
un buen cimar­rón.

Luego que la humi­ta
está prepara­da,
bajo la enra­ma­da
se oye un per­icón,
y jun­to al alero,
de un ran­cho deshe­cho
surge de algún pecho
la ale­gre can­ción.
Ángel Vil­lol­do

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous don­nera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humil­ié (calom­nié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je mur­mure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant égale­ment un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une ten­dre pas­sion, quand je les tra­vaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un hum­ble ouvri­er.
De l’innocence blonde aux longues mèch­es, je con­tem­ple les plantes (sim­i­laires, spéci­mens…) si c’est comme grandir, avec ces mous­tach­es que la terre vierge offre habituelle­ment au noble paysan. (Un dou­ble sens n’est pas impos­si­ble, la terre cul­tivée n’a pas de rai­son par­ti­c­ulière d’être con­sid­érée comme vierge).
Par­fois, les épis de maïs sur les feux cal­ment les pas­sions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils cal­ment la faim, cela peut se con­cevoir, mais les pas­sions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un dou­ble sens mar­qué), quand un paysan le cui­sine et qu’un autre appâte un bon cimar­ron (esclave noir, ou ani­mal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une vic­time d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humi­ta (ragoût de maïs) est prête, sous la ton­nelle, un per­icón (per­icón nacional, danse tra­di­tion­nelle) se fait enten­dre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux sur­git d’une poitrine (on peut imag­in­er dif­férentes choses à pro­pos du chant qui sur­git d’une poitrine, mais c’est un peu dif­fi­cile de s’imaginer que cela puisse être provo­qué par la pré­pa­ra­tion d’une humi­ta, aus­si tal­entueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opin­ion, mais il me sem­ble dif­fi­cile d’exclure un dou­ble sens de ces paroles.

El choclo 1913 — Orques­ta Típi­ca Porteña dir. Eduar­do Aro­las.

Cette ver­sion instru­men­tale per­met de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Une ver­sion instru­men­tale par la Típi­ca Víc­tor dirigée par Cara­bel­li. Un titre pour les ama­teurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

Sans doute une des ver­sions les plus adap­tées aux danseurs, avec les orne­men­ta­tions de Bia­gi au piano et le bel équili­bre des instru­ments, prin­ci­pale­ment tous au ser­vice du rythme et donc de la danse, avec notam­ment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 — Quin­te­to Don Pan­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour mar­quer le con­traste avec notre ver­sion du jour, enreg­istrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Une ver­sion légère. Le dou­ble­ment des notes, car­ac­téris­tiques de cette œuvre, a ici une sonorité par­ti­c­ulière, on dirait presque un bégaiement. En oppo­si­tion, des pas­sages aux vio­lons chan­tants don­nent du con­traste. Le résul­tat me sem­ble cepen­dant un peu con­fus, pré­cip­ité et pas des­tiné à don­ner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

On retrou­ve une ver­sion chan­tée. Les paroles sont celles de Juan Car­los Maram­bio Catán, ou plus exacte­ment le tout début des paroles avec la fin du cou­plet avec une vari­ante.
Je vous pro­pose ici, les paroles com­plètes de Catán, pour en garder le sou­venir et aus­si, car la par­tie qui n’est pas chan­tée par Var­gas par­le de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vie­ja milon­ga que en mis horas de tris­teza
traes a mi mente tu recuer­do car­iñoso,
enca­denán­dome a tus notas dul­cemente
sien­to que el alma se me enco­je poco a poco.
Recuer­do triste de un pasa­do que en mi vida,
dejó una pági­na de san­gre escri­ta a mano,
y que he lle­va­do como cruz en mi mar­tirio
aunque su car­ga infame me llene de dolor.

Fue aque­l­la noche
que todavía me ater­ra.
Cuan­do ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en due­lo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
par­tió su corazón.
Y me llam­a­ban
el choclo com­pañero;
tal­lé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una chi­na
enve­nenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trági­co dolor.

Si algu­na vuelta le toca por la vida,
en una mina pon­er su corazón;
recuerde siem­pre
que una ilusión per­di­da
no vuelve nun­ca
a dar su flor.

Besos men­ti­dos, engaños y amar­guras
rodan­do siem­pre la pena y el dolor,
y cuan­do un hom­bre entre­ga su ter­nu­ra
cer­ca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blan­quea­do ya mis sienes
y que en mi pecho sólo ani­da la tris­teza,
como una luz que me ilu­mi­na en el sendero
lle­gan tus notas de melódi­ca belleza.
Tan­go queri­do, viejo choclo que me embar­ga
con las cari­cias de tus notas tan sen­ti­das;
quiero morir aba­jo del arrul­lo de tus que­jas
can­tan­do mis querel­las, llo­ran­do mi dolor.
Juan Car­los Maram­bio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milon­ga. À mes heures de tristesse, tu me rap­pelles ton sou­venir affectueux,
En m’en­chaî­nant douce­ment à tes notes, je sens mon âme se rétré­cir peu à peu.
Sou­venir triste d’un passé qui, dans ma vie, a lais­sé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon mar­tyre, même si son infâme fardeau me rem­plit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me ter­ri­fie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma pas­sion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gau­cho lui a brisé le cœur.
Et ils m’ap­pelaient le com­pagnon maïs (choclo);
J’ai tail­lé dans les mêlées, sûr et résis­tant.
Mais une femme chérie a empoi­son­né ma vie et, aujour­d’hui, je pleure tout seul avec ma douleur trag­ique.
S’il vous prend dans la vie de met­tre votre cœur dans une chérie ; rap­pelez-vous tou­jours qu’une illu­sion per­due ne redonne plus jamais sa fleur.
Des bais­ers men­songers, trompeurs et amers roulent tou­jours le cha­grin et la douleur, et quand un homme donne sa ten­dresse, près du lit, la trahi­son le traque.
Aujour­d’hui que les années ont déjà blanchi mes tem­pes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’é­claire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tan­go chéri, vieux choclo qui m’ac­ca­ble des caress­es de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chan­tant mes peines, pleu­rant ma douleur.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Lib­er­tad Lamar­que, dans le film Gran casi­no de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Lib­er­tad Lamar­que inter­prète le titre avec les paroles écrites pour elle par Dis­ce­po­lo. On com­prend qu’elle ne voulait pas pren­dre le rôle de l’assassin et que les paroles adap­tées sont plus con­ven­ables à une dame…
Les paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo seront réu­til­isées ensuite, notam­ment par Canaro pour notre tan­go du jour.

El choclo 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas. C’est notre tan­go du jour.

Comme vous vous en doutez, je pour­rai vous présen­ter des cen­taines de ver­sions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous pro­pos­er pour ter­min­er une ver­sion très dif­férente…

Kiss of Fire 1955 — Louis Arm­strong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adap­té et sérieuse­ment mod­i­fié la par­ti­tion, mais on recon­naît par­faite­ment la com­po­si­tion orig­i­nale.

Je vous pro­pose de nous quit­ter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tan­go.
À bien­tôt, les amis.

En guise de corti­na, on pour­rait met­tre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des ver­sions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indi­quer dans les com­men­taires, je rajouterais les plus demandées.

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez

Le Car­naval était, chaque année, un moment clef pour les orchestres de tan­go. À cette occa­sion, des orchestres se regroupaient pour pro­pos­er des orchestres immenses et des mil­liers de danseurs “tan­guaient” sur les pistes plus ou moins impro­visées, dans les rues, les places ou les salles de con­cert, comme le Luna Park. Mais Car­naval, c’était bien plus que le seul tan­go. C’était un moment de libéra­tion dans une vie sou­vent dif­fi­cile et par­fois, l’occasion de ren­con­tres, comme celle que nous narre ce tan­go de Di Sar­li.

Extrait musical

Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1942-01-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.
Par­ti­tion de piano de Otra vez car­naval de Di Sar­li et Jiménez.

Paroles

En los ojos llev­a­ba la noche
y el amor en la boca…
Car­naval en su coche
la pasea­ba tri­un­fal.
Ser­penti­na de mági­co vue­lo
fue su amor de una noche;
ser­penti­na que luego arras­tró mi dolor
enreda­da en las ruedas de un coche
cuan­do el cor­so en la som­bra quedó…

Otra vez, Car­naval,
en tu noche me cita
la mis­ma boni­ta
y audaz mas­cari­ta…
Otra vez, Car­naval,
otra vez, como ayer,
sus locos amores
le vuel­vo a creer.
Y aca­so la llore
mañana otra vez…

Fugi­ti­vas se irán en la auro­ra
la ven­tu­ra y la risa…
¡Ten­drán todas mis horas
una gris soledad!
En mis labios habrá la ceniza
de su nue­vo desaire;
y despo­jos del sueño tan sólo serán,
un per­fume ron­dan­do en el aire
y en el sue­lo un pequeño antifaz…
Car­los Di Sar­li Letra: Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Traduction libre

Dans ses yeux, elle por­tait la nuit et l’amour à la bouche…
Car­naval dans son char la fai­sait défil­er tri­om­phale­ment.
Un ser­pentin de vol mag­ique fut son amour d’une nuit ;
ser­pentin qui ensuite traî­na ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’om­bre s’im­mo­bil­isa…

Encore une fois, Car­naval, dans ta nuit, me don­na ren­dez-vous, la même belle et auda­cieuse, masquée…
Encore une fois, Car­naval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire.
Et peut-être que je la pleur­erai demain, encore une fois…

Les fugi­tives s’en iront dans l’au­rore, la for­tune et les rires…
Toutes mes heures auront une soli­tude grise !
Sur mes lèvres res­teront les cen­dres de son nou­veau cam­ou­flet ;
et les restes du rêve ne seront plus qu’un par­fum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…

Autres versions

Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1942-01-03 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no. C’est notre tan­go du jour.
Otra vez car­naval (Noche de car­naval) 1947-01-14 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nou­veau chanteur. Di Sar­li réen­reg­istre sa com­po­si­tion.
Otra vez car­naval 1981-08-12 — Rober­to Goyeneche con Orques­ta Típi­ca Porteña. Une ver­sion à écouter.

Carnaval

Les fes­tiv­ités de Car­naval se sont vues à plusieurs repris­es inter­dites en Argen­tine. Il faut dire qu’au XIXe siè­cle, cela don­nait sou­vent lieu à des débor­de­ments.
Il s’agissait de man­i­fes­ta­tions plutôt spon­tanées jusqu’au dix-neu­vième siè­cle, elles furent inter­dites ou lim­itées à cer­tains lieux, notam­ment dans le cadre de la lim­i­ta­tion des pop­u­la­tions d’origine africaines.

1869, l’état autorise le carnaval et l’organise

C’est Sarmien­to, de retour d’un voy­age en Ital­ie où il avait assisté aux fes­tiv­ités de Car­naval, qui les a rétablies offi­cielle­ment en 1869 sous la forme du défilé.

Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguay­chú, province de Entre Ríos).

Tango et carnaval

Les orchestres étaient mis à con­tri­bu­tion et, durant les décen­nies tan­go, les orchestres de tan­go fai­saient danser plusieurs mil­liers de cou­ples. Pas seule­ment à Buenos Aires, mais aus­si à Mon­te­v­ideo et Rosario, notam­ment.

Affich­es de car­navals. 1917 Fir­po et Canaro — 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Frese­do et D’Arien­zo (voir le petit jeu en fin d’ar­ti­cle). Ensuite, Di Sar­li et enfin une affiche de 1950 avec Troi­lo et De Ange­lis.

Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)

La plus récente pro­hi­bi­tion fut par­tielle. C’était pen­dant la dernière dic­tature du vingtième siè­cle. Le Car­naval n’avait pas été aboli, mais deux con­di­tions avaient été posées :
“Se pro­híbe el uso de dis­fraces que aten­ten con­tra la moral y la decen­cia públi­cas: uni­formes mil­itares, poli­ciales, vestiduras sac­er­do­tales y los que ridi­culi­cen a las autori­dades del Esta­do u otras naciones.
-Está per­mi­ti­do de 9 a 19, jugar con agua en bue­nas condi­ciones de higiene, glo­bitos y pomos.”
« L’u­til­i­sa­tion de cos­tumes qui vio­lent la moral­ité publique et la décence est inter­dite : uni­formes mil­i­taires, uni­formes de police, vête­ments sac­er­do­taux et ceux qui ridi­culisent les autorités de l’É­tat ou d’autres nations. (On notera que la lec­ture peut être à dou­ble niveau et que l’on pour­rait y con­sid­ér­er les vête­ments mil­i­taires et sac­er­do­taux comme indé­cents…)
-Il est per­mis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes con­di­tions d’hy­giène, les bal­lons et les pom­meaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du car­naval cor­re­spond au plein été en Argen­tine).

Les jeux avec l’eau sont restés per­mis pen­dant la dic­tature.

Cepen­dant, durant la Dic­tature, il n’y a pas eu de Car­naval pro­pre­ment dit, pas de défilés et de grandes fêtes pop­u­laires.

La fin de la dictature et le retour du Carnaval

Lorsque Alfon­sin fut élu en 1983, il mit en œuvre son pro­gramme « Avec la démoc­ra­tie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suiv­ante, le car­naval de nou­veau libéré a pris une saveur par­ti­c­ulière et, peu à peu, les ten­ta­tives de coup d’État se sont espacées et la démoc­ra­tie s’est implan­tée pour une quar­an­taine d’années.

Le car­naval de 1984 est impor­tant, car il fête le retour de la démoc­ra­tie et, par la même, le retour du Car­naval sous sa forme habituelle.

En 2023, le con­grès por­tait des ban­deroles 40 ans de démoc­ra­tie, en sou­venir de cette époque.

Le gou­verne­ment précé­dent avait fait plac­er deux ban­deroles, de part et d’autre de l’en­trée des députés au Con­grès (Con­gre­so). J’ai pris cette pho­to, peu de temps après le change­ment de gou­verne­ment. Une des ban­deroles avait dis­paru. On remar­quera une scène éton­nante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplace­ment réservé aux voitures offi­cielles). Il ne reste bien sûr plus de ban­de­role aujourd’hui et les indi­gents sont priés de dormir hors de la ville. Les mate­las de for­tune et les mai­gres pos­ses­sions de ces per­son­nes sont brûlés. Cela sem­ble fonc­tion­ner, on ren­con­tre beau­coup moins de per­son­nes dor­mant dehors main­tenant. Mais il suf­fit de franchir les lim­ites de la ville pour con­stater que ce n’est pas une amélio­ra­tion de la sit­u­a­tion des plus pau­vres, mais un sim­ple « net­toy­age ».

Petit jeu (très facile)

Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…

Affiche de la Radio El Mun­do de Buenos Aires pour le Car­naval de 1940.
À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…

Réponse au petit jeu

J’imagine que vous n’avez pas trop eu de dif­fi­culté pour ce qui est de rac­corder les orchestres avec leurs chanteurs de tan­go.
Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il sem­ble donc logique d’associer, car ils sont moins con­nus.
Eddie Kay, pianiste né en Ital­ie et qui est passé aupar­a­vant par les États-Unis pour sa for­ma­tion musi­cale avant de retourn­er en Ital­ie, puis de s’installer en Argen­tine.
Étant don­né son passé en Amérique du Nord, il est ten­tant d’en faire un musi­cien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa ren­con­tre avec Gardel, qui se trans­for­ma en ami­tié, a fait qu’il a élar­gi ses hori­zons et a égale­ment com­posé des tan­gos. Cepen­dant, en ce qui con­cerne l’affiche de notre jeu, il inter­ve­nait bien comme orchestre de jazz (Fox­trots, valses et dans­es importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alaba­ma Jazz, a un nom qui mar­que bien les ambi­tions de cet orchestre, tout comme le pseu­do­nyme Eddie Kay car son nom véri­ta­ble était Edmun­do Tul­li, ce qui fait net­te­ment moins, jazzman.
Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trou­vé trace du bon­homme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait com­mencé sa car­rière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc for­cé­ment d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans…
Je ne sais donc pas si ce chanteur était asso­cié à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseu­do­nyme, on peut penser qu’il grav­i­tait égale­ment autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en avis­erai.

Les répons­es. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort prob­a­ble, mais sans garantie…

Un petit cadeau

J’ai mon­té quelques images fix­es et ani­mées de Car­naval. Cela vous per­me­t­tra de vous faire une idée du phénomène.

Quelques images de Car­naval de 1889 à nos jours.

À bien­tôt, les amis !

Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri

A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio ; Héctor Serrao ; Rodolfo Genaro Serrao)

¡Feliz año nue­vo! Il est minu­it à Buenos Aires, c’est l’année nou­velle qui com­mence. Les fusées de feu d’artifice péta­radent et illu­mi­nent le ciel de Buenos Aires. Ici, pas de majestueux feux d’artifice élaborés par des arti­ficiers pro­fes­sion­nels. Ce sont les Argentins qui se char­gent du spec­ta­cle en fonc­tion de leurs moyens financiers et de leurs capac­ités. Notre musique du jour n’est pas un tan­go, mais est chan­tée par un de ses chanteurs, Alber­to Castil­lo, qui en est égale­ment un des auteurs.

Riobal y los Halcones

Quelques mots sur les auteurs de ce titre.

Riobal

Riobal, alias Alber­to Castil­lo, alias…, alias…, alias…, alias…

Riobal est un des pseu­do­nymes de Alber­to Castil­lo, ou plutôt de Alber­to Sal­vador De Luc­ca, puisque que Castil­lo est égale­ment un pseu­do­nyme des­tiné à faire plus espag­nol, ce qui était courant pour les chanteurs de tan­go.
Les orchestres avaient besoin d’un chanteur ital­ien et d’un chanteur espag­nol pour sat­is­faire les deux prin­ci­pales com­mu­nautés portègnes. Peu importe qu’ils soient réelle­ment orig­i­naires de ces pays. D’ailleurs ses pre­miers pseu­do­nymes ont été Alber­to Dual et Car­los Duval
Cette foi­son de pseu­do­nymes était égale­ment des­tinée à tromper la vig­i­lance pater­nelle.
Pour son père, il était étu­di­ant en médecine et, effec­tive­ment, il devait être médecin gyné­co­logue.
Un jour, en écoutant son fils à la radio, il s’exclama, « il chante très bien, il a une voix sem­blable à celle de Alber­ti­to », et pour cause…
Cepen­dant, le tan­go a pris le dessus et Alber­to a rejoint l’orchestre d’un den­tiste, celui de Ricar­do Tan­turi, avant de ter­min­er sa dernière année… Il n’était donc pas à pro­pre­ment par­ler gyné­co­logue, comme on le lit en général dans ses biogra­phies.

Trío Los Halcones

Ce trio a chan­té avec Miguel Caló, mais leur spé­cial­ité était plutôt le boléro et autres musiques tra­di­tion­nelles ou folk­loriques. Ils ont col­laboré avec Castil­lo pour l’écriture de la musique et des paroles de ce titre. Il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement de Año nue­vo par ce trio.

Trío Los Hal­cones.

Extrait musical

Año nue­vo 1956-01-31 (Mar­cha) — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Ángel Con­der­curi.
Par­ti­tion de sax­o­phone ténor de Año nue­vo.

Ángel Condercuri ou Jorge Dragone ?

Año nue­vo a été enreg­istré le 31 jan­vi­er 1956. Je n’ai pas respec­té le choix d’un thème enreg­istré le jour de l’anecdote, pour vous pro­pos­er un air gai et de cir­con­stance. Nous sommes donc en 1956 et Alber­to Castil­lo a son orchestre dirigé par un chef. Selon les sources, il y a un doute sur le chef qui tenait la baguette le jour de l’enregistrement.

  • Gabriel Valiente dans son Enci­clo­pe­dia del Tan­go indique que l’orchestre de Castil­lo est dirigé par Ángel Con­der­curi de 1951 à 1954 puis de nou­veau à par­tir de 1959 et par Jorge Drag­one de 1955 à 1958. Ce tra­vail est une somme, mais il y a de nom­breuses impré­ci­sions et un cer­tain nom­bre d’erreurs. C’est une bonne source, mais qui demande à être véri­fiée.
  • Tango.info indique que Con­der­curi dirige l’orchestre de Castil­lo pour l’enregistrement de Año nue­vo. https://tango.info/fra/track/T0370371359
  • Todo Tan­go, qui est le site de référence incon­tourn­able pro­pose une entre­vue avec Jorge Drag­one dans laque­lle celui-ci indique qu’il était dans l’orchestre de Con­der­curi à cette époque. https://www.todotango.com/historias/cronica/238/Dragone-Un-eterno-viajero/ Par con­séquent, s’il est le pianiste de l’orchestre, il n’en est pas le directeur. En 1957, donc l’année suiv­ante, il indique avoir son pro­pre orchestre en alter­nance pour lequel il recourt à la voix de Argenti­no Ledes­ma. Même s’il est envis­age­able que, pour une séance d’enregistrement par­ti­c­ulière, Con­der­curi ait lais­sé la direc­tion à son pianiste, cela mérit­erait d’être doc­u­men­té.
  • Tango-DJ.AT, qui est en général bien ren­seigné et qui cor­rige les erreurs quand on les sig­nale, ce qui n’est pas le cas de tous (référence à d’autres sites qui ne pren­nent même pas la peine de véri­fi­er, ou qui te dis­ent que c’est ain­si et qui cor­ri­gent ensuite, en douce…), indique que c’est Con­der­curi.
    https://tango-dj.at/database/index.htm
    https://tango-dj.at/database/index.htm?titlesearch=ano+nuevo&genresearch=marcha (pour ceux qui sont abon­nés).

La solu­tion serait d’avoir le cat­a­logue ou le disque d’origine, mal­heureuse­ment, je n’ai pas trou­vé le cat­a­logue de Odeón cor­re­spon­dant et les CD ne sont pas pré­cis sur la ques­tion (soit ils n’indiquent rien, soit ils met­tent les deux noms, sans pré­cis­er à quels titres, cela se rap­porte). Quant aux dis­ques d’origine, ils indiquent juste Alber­to Castil­lo y su Orques­ta.
Bern­hard Gehberg­er, le créa­teur du site Tango-DJ.AT, con­firme avec les mêmes argu­ments. Il m’a même rap­pelé que cer­tains enreg­istrements étaient don­nés avec Raúl Bianchi à la direc­tion. Cepen­dant, cela ne sem­ble con­cern­er que la péri­ode 1953–1955. En 1956, Bianchi était à Rosario. On notera toute­fois, que Bianchi était pianiste, comme Drag­one. Serait-ce une habi­tude chez Con­der­curi de laiss­er ses pianistes diriger ?
En atten­dant d’en savoir plus, je con­serve Ángel Con­der­curi comme Directeur de l’orchestre de Castil­lo pour cet enreg­istrement.

Paroles

Il y a dif­férentes vari­antes, mais qui ne changent pas le sens. Vous aurez la ver­sion du film en fin d’article avec les paroles en sous-titrage.

Año nue­vo
Vida nue­va
Más ale­gres los días serán
Año nue­vo
Vida nue­va
Con salud y con pros­peri­dad

Entre pitos y matra­cas entre músi­ca y son­risa
El reloj ya nos avisa que ha lle­ga­do un año más,
Las mujeres y los hom­bres, un besi­to nos dare­mos
Entre todos cantare­mos, llenos de feli­ci­dad
Vamos todos a can­tar

Año nue­vo
Vida nue­va
Nues­tras penas deje­mos atrás
Año nue­vo
Vida nue­va
Con salud y con pros­peri­dad

Año nue­vo
Vida nue­va
Mas ale­gre los días serán
Sin prob­le­ma, sin tris­teza
Y un feliz año nue­vo ven­drá…

Entre pitos y matra­cas entre músi­ca y son­risa
El reloj ya nos avisa que ha lle­ga­do un año más
Las mujeres y los hom­bres, un besi­to nos dare­mos
Entre todos cantare­mos, llenos de feli­ci­dad
Vamos todos a can­tar

Año nue­vo
Vida nue­va
Más ale­gres los días serán
Año nue­vo
Vida nue­va
Con salud y con pros­peri­dad

Año nue­vo
Vida nue­va
Nues­tras penas deje­mos atrás
Sin prob­le­ma, sin tris­teza
Y un feliz año nue­vo ven­drá
Y un feliz año nue­vo ven­drá
Y un feliz año nue­vo ven­drá
Y un feliz año nue­vo ven­drá…

A. Riobal (Alber­to Castil­lo) ; Trío Los Hal­cones (Alber­to Losavio; Héc­tor Ser­rao; Rodol­fo Genaro Ser­rao)

Traduction libre des paroles

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus heureux
Nou­v­el An
Nou­velle vie
Avec la san­té et la prospérité

Entre sif­flets et cré­celles
Entre musique et sourire
L’hor­loge nous aver­tit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un bais­er nous nous don­nerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bon­heur
Nous allons tous chanter

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus heureux
Nou­v­el An
Nou­velle vie
Avec la san­té et la prospérité

Nouv­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus joyeux
Sans prob­lème et sans tristesse
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra

Entre sif­flets et cré­celles
Entre musique et sourire
L’hor­loge nous aver­tit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un bais­er nous nous don­nerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bon­heur
Nous allons tous chanter

Pito y matra­ca (sif­flet et cré­celle)

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus heureux
Nou­v­el An
Nou­velle vie
Avec la san­té et la prospérité

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Nous lais­serons nos peines der­rière
Sans prob­lème et sans tristesse
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra…

Autres versions

Año nue­vo 1956-01-31 (Mar­cha) — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Ángel Con­der­curi. C’est notre thème du jour.
Año Nue­vo 1965 — Billo’s Cara­cas Boys. C’est la ver­sion qui est sans doute la plus con­nue, elle est jouée pour le Nou­v­el An dans la plu­part des pays d’Amérique du Sud et pas seule­ment au Vénézuéla, leur pays.

Pour ter­min­er en vidéo, je vous pro­pose de voir et écouter Alber­to Castil­lo dans le film “Músi­ca, ale­gría y amor” dirigé par Enrique Car­reras.
La scène a été enreg­istrée en 1955, cepen­dant, le film sor­ti­ra après le disque, le 9 mai 1956.
J’ai indiqué les paroles pour vous per­me­t­tre de suiv­re…

Año nue­vo dans le film Músi­ca, ale­gría y amor. Dans cet extrait, en plus de Alber­to Castil­lo, on remar­que Beat­riz Tai­bo, Ubal­do Martínez et Tito Gómez. Il y a aus­si une courte appari­tion de Leonor Rinal­di et Fran­cis­co Álvarez, les per­son­nes âgées.

Alber­to Castil­lo, qui tient le rôle prin­ci­pal (Alber­to Morán) est un jeune homme bohème qui rêve de devenir pein­tre, mais qui finale­ment aura du suc­cès comme chanteur (Raúl Man­rupe & María Ale­jan­dra Portela — Un Dic­cionario de Films Argenti­nos 1995, page 401). Ce film con­tient beau­coup de chan­sons par Castil­lo, dont notre titre du jour.

L’intrigue du film serait tirée de Loute, une comédie française (vaude­ville) en qua­tre actes de Pierre Veber dont l’in­trigue tourne autour de Dupont, un homme qui mène une vie de débauche sous l’in­flu­ence de son « ami » Castil­lon. Dupont décide de se mari­er avec Renée, une jeune femme de bonne famille, mais il est rapi­de­ment rat­trapé par son passé tumultueux. Loute, une anci­enne maîtresse de Dupont, réap­pa­raît et cause des com­pli­ca­tions. Les malen­ten­dus et les quipro­qu­os s’en­chaî­nent, notam­ment avec l’ar­rivée de Fran­col­in, un cousin de Dupont, qui cherche à se venger de lui. Finale­ment, après de nom­breux rebondisse­ments, les per­son­nages ten­tent de se réc­on­cili­er et de trou­ver un équili­bre entre leurs vies passées et présentes. Le lien entre la pièce et le film réal­isé par Enrique Car­reras sur un scé­nario de Enrique San­tés Morel­lo me sem­ble un peu dis­ten­du, d’autant plus que la pièce a eu son heure de gloire plus de 50 ans avant la réal­i­sa­tion du film. Cela témoigne tout de même de la fran­cophilie qui était encore vive à l’époque.
Dis­ons que la base du syn­op­sis a été de faire une comédie musi­cale pour met­tre en avant Alber­to Castil­lo

L’af­fiche du film réal­isée par le car­i­ca­tur­iste argentin Nar­ciso González Bayón. On y recon­naît Alber­to Castil­lo et Ameli­ta Var­gas. À la table, de gauche à droite, Fran­cis­co Álvarez, Leonor Rinal­di, Ger­ar­do Chiarel­la et Ubal­do Mar­tinez. La taille démesurée de Castil­lo mon­tre bien que c’était lui la vedette du film…

Voilà de quoi bien débuter l’année, en chan­son.

De camino al 2025

Je souhaite une merveilleuse année,
la santé et le bonheur,
à tous les humains de la Terre,
tous.

Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo “Lalo” Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Buscán­dote est un des thèmes les plus émou­vants du tan­go. Par la qual­ité de la musique et des paroles de Eduar­do “Lalo” Scalise El poeta del piano, mais aus­si par la sim­plic­ité et la ron­deur de l’interprétation par Frese­do et Ruiz, pour notre tan­go du jour. Nous allons en prof­iter pour regarder de plus prêt com­ment fonc­tionne une par­ti­tion.

Extrait musical

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz
Pre­mière page de la par­ti­tion retran­scrite par Lucas Cáceres.

Cette pre­mière page présente les qua­tre pre­mières mesures. On voit les dif­férents instru­ments. T (ténor, Ricar­do Ruiz, dans cet enreg­istrement), puis 4 vio­lons, 4 ban­donéons, un piano et une con­tre­basse.
À l’armure, il y a deux diès­es, nous sommes en Si mineur. Un mode nos­tal­gique, voire triste. Dans la pre­mière mesure, on remar­que qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deux­ième mesure com­mence avec la sec­onde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la con­tre­basse com­mence à mar­quer tous les temps (4 par mesure) en com­mençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mou­ve­ment de bas­cule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suiv­ante et ain­si de suite sur env­i­ron la moitié des mesures de la par­ti­tion. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des élé­ments de la mélodie.
On remar­quera que les ban­donéons et vio­lons qui débu­tent aus­si à la deux­ième mesure com­men­cent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez dis­cret, mais vous n’aurez pas de peine à repér­er ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des vio­lons y met fin, pour com­mencer à énon­cer la pre­mière par­tie (A).

La par­ti­tion du ténor avec la pho­to de Ricar­do Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La par­ti­tion a été pro­posée égale­ment par Lucas Cáceres.

Ici, c’est la par­ti­tion du ténor (Ricar­do Ruiz dans notre cas) qui ne com­mence à chanter qu’à par­tir de la mesure 43 (en lev­ée de la 44).
On se sou­vient que le début de la par­ti­tion était en Ré mineur, après un pas­sage en Fa mineur, Ruiz com­mence à chanter en Fa majeur. La présence de diès­es sur 4 des Sols et un Do, font bas­culer cer­tains pas­sages en Ré mineur).

Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les let­tres à droite.

Une petite aide pour vous aider à vous repér­er dans les tonal­ités. Le nom­bre de diès­es ou bémols à la clef donne la tonal­ité dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Sou­vent, il y a beau­coup de change­ments de tonal­ités et des altéra­tions (Diès­es, ou Bémols) ponctuelles qui ren­dent dif­fi­cile de décider la tonal­ité exacte util­isée. Mais ce n’est pas si impor­tant, ce qui l’est, c’est unique­ment de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sen­si­bil­ité de la musique, donc l’écoute est suff­isante.
Main­tenant que vous êtes au point, je vous pro­pose de suiv­re la par­ti­tion durant l’écoute, grâce au tra­vail remar­quable de Lucas Cáceres.

Par­ti­tion ani­mée de Buscán­dote, une vidéo réal­isée par Lucas Cáceres.

Vous remar­querez qu’il y a toutes les par­ties, et qu’il y a donc beau­coup de change­ments de pages. Dans un orchestre, chaque instru­ment n’a que sa par­tie et si cela vous intéresse, vous pou­vez vous les obtenir en vous abon­nant à son Patre­on.
Assez par­lé de la musique, intéres­sons-nous aux paroles, main­tenant.

Paroles

Vagar con el can­san­cio de mi eter­no andar
tris­teza amar­ga de la soledad
ansias enormes de lle­gar.
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er vencí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er rompí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer.
Eduar­do “Lalo” Scalise (Eduar­do Scalise Regard)

Traduction libre

Errer avec la fatigue de ma marche éter­nelle, l’amère tristesse de la soli­tude, l’énorme désir d’ar­riv­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai par­cou­rues pour vous.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.

Autres versions

Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Frese­do et Ruiz. Cepen­dant, la pas­sion européenne pour Frese­do fait que beau­coup d’orchestre du 21e siè­cle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des for­tunes divers­es.

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est notre tan­go du jour, le mètre étalon, la référence absolue.
Buscán­dote 2000-06-01 — Klaus Johns.

Une ver­sion instru­men­tale avec un par­ti pris de tem­po par­ti­c­ulière­ment lent. C’est prob­a­ble­ment à class­er au ray­on des étrangetés, mais cer­taine­ment pas à pro­pos­er au bal.

Buscán­dote 2012 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notam­ment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciri­a­co, pen­dant une quin­zaine d’années.

Buscán­dote 2012 — Solo Tan­go Orques­ta.

Cet orchestre russe a égale­ment son pub­lic. Ils pro­posent, ici, une ver­sion instru­men­tale.

Buscán­dote 2013 — Ariel Ardit y Orques­ta Típi­ca.

L’incroyable solo de vio­lon qui ouvre cette ver­sion peut sur­pren­dre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien mar­qué par les ban­donéons et tou­jours dom­iné par les cordes et ce superbe vio­lon, fait que c’est cer­taine­ment une ver­sion « chair de poule » pour beau­coup. La belle voix, puis­sante et chaude d’Ariel Ardit ter­mine de faire de cette ver­sion remar­quable. Pour la danse, les arras­tres d’Ariel peu­vent gên­er cer­tains danseurs et le rythme rapi­de peut faire que l’on préfère d’autres ver­sions. Je pense qu’en Europe cette inter­pré­ta­tion aurait des ama­teurs.

Buscán­dote 2013 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette ver­sion tran­quille peut paraître un peu faible, mais il faut la com­par­er à notre étalon, la ver­sion de Frese­do et Ruiz, pour voir que c’est une belle réal­i­sa­tion, intime et bien accordée au thème de la chan­son.

Buscán­dote 2014 (En vivo) — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Une ver­sion avec pub­lic qui per­met de se sou­venir de l’ambiance que met­tait cet orchestre. C’était à Rosario (Argen­tine) lors de l’Encuentro Tanguero del Inte­ri­or (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nom­breuses fois, c’est vrai­ment dom­mage qu’il n’existe plus.

Buscán­dote 2015 — Cuar­te­to SolTan­go.

Ce cuar­te­to, avec beau­coup moins d’instruments s’approche de la ver­sion de Frese­do. Une belle per­for­mance. Le solo de vio­lon qui rem­place la voix de Ricar­do Ruiz, bien que bien chan­tant, est sans doute ce qui peut faire baiss­er la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la prin­ci­pale rai­son, est que cer­tains DJ met­tent des chan­sons tan­go au lieu de véri­ta­bles tan­gos chan­tés de danse.

Buscán­dote 2015 — Orques­ta La 2X4 Rosa­ri­na con Martín Piñol.

Retour à une ver­sion chan­tée. La voix de Martín Piñol pour­rait béné­fici­er d’un orchestre plus accom­pli. La prise de son mérit­erait d’être meilleure égale­ment. Le résul­tat ne risque pas de détrôn­er, la ver­sion de Frese­do qui en est claire­ment le mod­èle.

Buscán­dote 2015-07-09 — Esquina Sur con Diego Di Mar­ti­no.

Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Frese­do. Cet enreg­istrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Mar­ti­no, s’élance légère et flu­ide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Frese­do et Ruiz restent en tête.

Buscán­dote 2016-03-01 — El Cachivache Quin­te­to.

El Cachivache signe une ver­sion plus per­son­nelle, qui n’est pas qu’une sim­ple imi­ta­tion de Frese­do et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instru­ments comme la gui­tare élec­trique peut don­ner des bou­tons à des milongueros sclérosés. C’est une ver­sion instru­men­tale, mais la diver­sité des vari­a­tions fait que ce n’est pas monot­o­ne. L’entrée avec une gamme de do majeur descen­dent suiv­ie d’une gamme ascen­dante est très orig­i­nale. Le final est égale­ment intéres­sant, c’est une ver­sion qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aus­si à Angela C. car il y a une bonne pro­por­tion de mode majeur dans cette ver­sion, con­traire­ment à la ver­sion de Frese­do qui est majori­taire­ment en mode mineur 😉

Buscán­dote 2016-12 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Rober­to Minon­di.

Avec la Román­ti­ca Milonguera on revient à un reg­istre plus clas­sique, même si cet orchestre a su créer son pro­pre son. Ici, c’est Rober­to Minon­di qui nous rav­it.

Buscán­dote 2019 — Cuar­te­to Mulen­ga. Cette ver­sion présente l’intérêt de voir les instru­men­tistes opér­er. Mais ce titre est aus­si sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réal­isée au Bode­gon (restau­rant) El Des­ti­no, à Quilmes (Province de Buenos Aires).

Buscán­dote 2021-03 Orques­ta Típi­ca Andar­ie­ga.

Un début orig­i­nal, qui peut faire douter durant les 30 pre­mières sec­on­des qu’on écoute Buscán­dote. On notera la descente de piano, très orig­i­nale durant ce début. Le reste de l’orchestration renou­velle égale­ment l’œuvre, qui est comme décom­posée, déstruc­turée au prof­it de solos qui se super­posent. C’est presque un ensem­ble de cita­tions de l’œuvre orig­i­nale, plus qu’une inter­pré­ta­tion au sens habituel. La fin ne dis­sipera pas cette impres­sion.

Je te cherche, pas à pas

Comme DJ, je m’intéresse à savoir com­ment les danseurs vont pou­voir inter­préter la musique que je pro­pose.
J’ai trou­vé cette petite pépite, réal­isée par Jua­na Gar­cía y Julio Rob­les. Elle mon­tre les temps et con­tretemps.

Cliquez sur le lien pour con­sul­ter la vidéo. https://youtu.be/RjNY9pnNUoA

Pos­er les pieds en rythme est la toute pre­mière étape du danseur de tan­go et, même si cer­tains ne s’y résol­vent pas, il me sem­ble qu’il faut aller beau­coup plus loin, le tan­go étant une danse d’improvisation. On tir­era cepen­dant de cette vidéo un élé­ment très intéres­sant, la sépa­ra­tion entre les dif­férentes par­ties. Savoir les repér­er per­met d’adapter la danse en changeant le style pour chaque par­tie.
Il faut aus­si savoir dis­tinguer la phrase musi­cale, afin que le cou­ple se retrou­ve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine tran­si­tion ou enchaîne­ment de phras­es. Cer­tains comptent de 1 à 8, mais c’est beau­coup plus agréable de se laiss­er porter par la struc­ture de la musique.
Je décon­seille donc le comp­tage, sauf pour des choré­gra­phies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tan­go social qui nous intéresse ici, car je trou­ve dom­mage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à enten­dre la musique.
Il me sem­ble qu’il est ample­ment préférable de tra­vailler son « instinct », car, rapi­de­ment, le corps saura quand la musique va chang­er et, incon­sciem­ment, il va se pré­par­er, ce qui vous per­me­t­tra de danser l’esprit totale­ment libre, en vous lais­sant porter.
Ce même instinct sert au DJ pour iden­ti­fi­er les musiques plus dans­ables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suiv­ent. Il a donc la respon­s­abil­ité d’ouvrir la voie et de leur pro­pos­er des chemins dont les dif­fi­cultés sont adap­tées.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

Misa criolla y Navidad nuestra — Ariel Ramírez, Los Fronterizos y la Cantoría de la Basílica del Socorro

Ariel Ramírez Letra: Felix Luna

N’ayant pas de tan­go enreg­istré un 25 décem­bre, je vous pro­pose de nous intéress­er à une des com­po­si­tions les plus célèbres d’Argentine, la Misa criol­la.
On par­le de Misa criol­la, mais en le faisant on risque d’occulter la face B du disque qui com­porte une autre com­po­si­tion d’Ariel Ramírez et Felix Luna, Navi­dad nues­tra. C’est cette œuvre qui est de cir­con­stance en ce 25 décem­bre 2024, 60 ans après sa créa­tion.
Ce fut mon pre­mier disque, offert par ma mar­raine, j’ai donc une affec­tion par­ti­c­ulière pour ces deux œuvres.

Misa criolla et Navidad nuestra – Extraits musicaux

Ariel Ramírez s’est inspiré de rythmes tra­di­tion­nels de son pays (mais pas que) pour com­pos­er les cinq œuvres qui com­posent la Misa criol­la (Face A) et les six qui con­stituent Navi­dad nues­tra (Face B).
J’ai ajouté quelques élé­ments sonores en illus­tra­tion. Ils ne sont pas précédés de la let­tre A ou B qui sont réservées aux faces A et B du disque d’origine.

À gauche, le disque sor­ti en Argen­tine en 1965. cette cou­ver­ture restera la même pour les édi­tions argen­tines ultérieures. Au cen­tre, une édi­tion française. Elle utilise l’il­lus­tra­tion de la pre­mière édi­tion (1964) et qui a été éditée en Nou­velle-Zélande. Mon disque por­tait cette illus­tra­tion et pas celle de l’édition argen­tine, postérieure d’un an.

Misa criolla

A1: Misa Criol­la — Kyrie — Vidala-Baguala La vidala et la baguala sont deux expres­sions chan­tées du Nord-Ouest de l’Argentine accom­pa­g­nées d’une caja.
Une caja qui accom­pa­gne le chant de la Videla et de la baguala.
Baguala Con mi caja can­tar quiro.

On recon­naît la caja qui est frap­pée sur un rythme ter­naire, mais seule­ment sur deux des trois temps, créant ain­si un temps de silence dans la per­cus­sion.
Cela donne une dimen­sion majestueuse à la musique. Ariel Ramírez utilise ce rythme de façon par­tielle. On l’entend par exem­ple dans le pre­mier chœur, dans les silences du chant.

A2: Misa Criol­la — Glo­ria — Car­naval­i­to-Yar­avi.

Pour créer un thème en con­traste, Ariel Ramírez utilise deux rythmes dif­férents, égale­ment du Nord-Ouest. Le car­naval­i­to allè­gre et enjoué et le yar­avi, plus calme, très calme, fait de longues phras­es. Le yar­avi est triste, car util­isé dans les rites funéraires. Il s’oppose donc au car­naval­i­to, qui est une danse de groupe fes­tive. Vous recon­naîtrez facile­ment les deux rythmes à l’écoute.

A3: Misa Criol­la — Cre­do — Chacar­era Trun­ca.

Vous recon­naîtrez facile­ment le rythme de la chacar­era. Ici, une chacar­era sim­ple à 8 com­pas­es. Même si elle est trun­ca, vous pour­riez la danser, la trun­ca est juste une dif­féren­ci­a­tion d’accentuation des temps. Ariel Ramírez, cepen­dant, ne respecte pas la pause inter­mé­di­aire, il préfère don­ner une con­ti­nu­ité à l’œuvre.

A4: Misa Criol­la — Sanc­tus — Car­naval Cochabam­bi­no.

Encore un rythme cor­re­spon­dant à une danse fes­tive, même si Ariel Ramírez y inter­cale des pas­sages d’inspiration plus religieuse. On notera que cette forme de car­naval n’est pas argen­tine, mais bolivi­enne.

A5: Misa Criol­la — Agnus Dei — Esti­lo Pam­peano.

Le Esti­lo n’est pas exacte­ment un rythme par­ti­c­uli­er, car il mélange plusieurs gen­res. C’est une expres­sion de la pam­pa argen­tine. Après le motif du départ en intro­duc­tion, on remar­que une inspi­ra­tion du Yar­avi. Le clavecin d’Ariel Ramírez apporte une légèreté dans les tran­si­tions.

Navidad nuestra

Com­mence ici la face B et une autre œuvre, con­sacrée à la nais­sance de Jésus, de l’annonciation à la fuite en Égypte.

B1: Navi­dad Nues­tra — La Anun­ciación – Chamame.

Le chamame, cette danse joyeuse et fes­tive, jouée à l’accordéon, est typ­ique de la province de Cor­ri­entes. Cer­tains danseurs européens s’évertuent à danser en milon­ga…

Par­ti­tion de La Anun­ciación, pre­mier thème de la Navi­dad nues­tra.
Milon­ga para as mis­sões — Rena­to Borghet­ti. Oui, c’est un chamamé, pas une milon­ga…
B2: Navi­dad Nues­tra — La Pere­gri­nación — Huel­la Pam­peana.

La huel­la est une danse asso­ciant des tours, des voltes et des zap­ateos, ce qui rap­pellera un peu la chacar­era ou le gato.
La Pere­gri­nación racon­te la quête par Jose et Maria (Joseph et Marie) d’un endroit pour la nais­sance de Jésus. Ils sont dans la pam­pa gelée, au milieu des chardons et orties. Je vous donne en prime la mer­veilleuse ver­sion de la Negra (Mer­cedes Sosa).

La Pere­gri­nación — Mer­cedes Sosa.
B3: Navi­dad Nues­tra — El Nacimien­to — Vidala Cata­mar­que­na.

On retrou­ve le rythme calme de la vidala pour annon­cer la nais­sance.
Je vous pro­pose les paroles ci-dessous.

B4: Navi­dad Nues­tra — Los Pas­tores — Chaya Rio­jana.

Là, il ne s’agit pas d’une musique tra­di­tion­nelle, mais d’une fête qui a lieu à la Rio­ja. La Chaya est une belle Indi­enne qui tombe amoureuse d’un jeune homme coureur de jupons. Celui-ci ignore la belle qui ira s’exiler dans les mon­tagnes. Pris de remords, il décide de la retrou­ver et, finale­ment, il ren­tre à la Rio­ja, se saoule et brûle vif dans un poêle. Tous les ans, la fête célèbre l’extinction du jeune homme en feu avec les larmes de Chaya.
Aujourd’hui, cette anci­enne fête est plutôt un fes­ti­val de folk­lore où se suc­cè­dent dif­férents orchestres.

B5: Navi­dad Nues­tra — Los Reyes Magos – Taki­rari.

Le Taki­rari est une danse bolivi­enne qui a des par­en­tés avec le car­naval­i­to. Les danseurs saut­ent, se don­nent le coude et tour­nent en ronde. C’est donc une musique joyeuse et vive.

B6: Navi­dad Nues­tra — La Hui­da — Vidala Tucumana.

Encore une vidala qui imprime son rythme triste. On sent les pas lourds de l’âne qui mène Marie et Jésus en Égypte. La musique se ter­mine par un decrescen­do qui pour­rait simuler l’éloignement de la fuite.

Voilà, ici se ter­mine notre tour de la Misa criol­la et de la Navi­da nues­tra. On voit que, con­traire­ment à ce qui est générale­ment affir­mé, seuls quelques rythmes du folk­lore argentin sont présen­tés et que deux thèmes sont d’inspiration bolivi­enne.

À propos des paroles

En Argen­tine, qui n’est pas un pays laïque, la reli­gion est impor­tante. Je devrais dire les reli­gions, car, si le catholi­cisme des Espag­nols est impor­tant, il me sem­ble que les évangélistes sont bien plus présents si on en juge par le nom­bre d’églises évangélistes. Les autres reli­gions monothéistes sont égale­ment bien représen­tées dans ce pays qui a accueil­li en masse les juifs chas­sés d’Europe et les nazis. Cette œuvre a d’ailleurs été écrite à la suite du témoignage de deux sœurs alle­man­des ren­con­trées à Würzburg et qui lui ont con­té les hor­reurs de la Sec­onde Guerre mon­di­ale.
On note aus­si en Argen­tine divers­es reli­gions, ou plutôt cultes, comme celui du Gau­chi­to Gil, de Difun­ta Cor­rea ou tout sim­ple­ment de foot­balleurs comme Maradona.
Les paroles de Felix Luna ont été écrites à par­tir de textes liturgiques révisés par Anto­nio Osval­do Cate­na, Ale­jan­dro May­ol et Jesús Gabriel Segade, trois prêtres, dont le dernier était aus­si le directeur de la Can­to­ria de la Basíli­ca del Socor­ro qui a enreg­istré la pre­mière ver­sion avec Ariel Ramírez.
À ce sujet, ce chœur, le deux­ième plus ancien d’Argentine, est en péril à la suite de la perte de son finance­ment. La cul­ture n’est plus à la mode en Argen­tine. Leur dernier con­cert a eu lieu il y a une dizaine de jours pour les 60 ans de la Misa criol­la. Ils recherchent un spon­sor. Si vous avez des pistes, vous pou­vez écrire à panella.giovanni85@gmail.com.

La troupe de la Mis­sa criol­la a fait une tournée en Europe en 1967. L’af­fiche du dernier con­cert de la Can­to­ria de la Basíli­ca del Socor­ro pour les 60 ans de l’œuvre.

Paroles (Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena)

Noche anun­ci­a­da, noche de amor
Dios ha naci­do, péta­lo y flor
Todo es silen­cio y serenidad
Paz a los hom­bres, es Navi­dad

En el pese­bre mi Reden­tor
Es men­sajero de paz y amor
Cuan­do son­ríe se hace la luz
Y en sus brac­i­tos crece una cruz

(Ánge­les can­ten sobre el por­tal)
Dios ha naci­do, es Navi­dad

Esta es la noche que prometió
Dios a los hom­bres y ya llegó
Es Nochebue­na, no hay que dormir
Dios ha naci­do, Dios está aquí
Ariel Ramírez Letra: Felix Luna

Traduction libre de Navidad Nuestra — El Nacimiento — Vidala Catamarquena

Nuit annon­cée, nuit d’amour.
Dieu est né, pétale et fleur.
Tout n’est que silence et sérénité.
Paix aux hommes, c’est Noël
Dans la crèche, mon Rédemp­teur est un mes­sager de paix et d’amour.
Quand il sourit, il y a de la lumière et une croix pousse dans ses bras.
(Les anges chantent au-dessus de la porte), Dieu est né, c’est Noël
C’est la nuit que Dieu a promise aux hommes et elle est déjà arrivée.
C’est la veille de Noël, il ne faut pas dormir, Dieu est né, Dieu est là.

À propos de la première version de la Misa criolla et de Navidad nuestra

Il y a de très nom­breuses ver­sions de la Misa criol­la et de Navi­dad nues­tra. Je vous pro­pose unique­ment de mieux con­naître la ver­sion ini­tiale, celle qui a été enreg­istrée en 1964.

L’orchestre

Ariel Ramírez: Direc­tion générale, piano et clavecin.
Jaime Tor­res: cha­rango.
Luis Amaya, Juanci­to el Pere­gri­no et José Med­i­na: gui­tare criol­la.
Raúl Bar­boza: accordéon pour le chamame «La anun­ciación».
Alfre­do Remus: con­tre­basse
Domin­go Cura: per­cus­sions.
Chango Farías Gómez: bom­bo et acces­soires de per­cus­sion.

Les chanteurs

Les qua­tre chanteurs de Los Fron­ter­i­zos (Ger­ar­do López, Eduar­do Madeo, César Isel­la et Juan Car­los Moreno): chanteurs solistes.
Can­toría de la Basíli­ca del Socor­ro: chœur
Jesús Gabriel Segade: directeur de la Can­toría.

De gauche à droite. La Negra (Mer­cedes Sosa, qui a beau­coup tra­vail­lé avec Ariel Ramírez), Felix Luna (auteur des paroles) et Ariel Ramírez (com­pos­i­teur) au piano et en por­trait à droite.

À bien­tôt les amis. Je vous souhaite de joyeuses fêtes et un monde de paix où tous les humains pour­ront chanter et danser pour oubli­er leurs trist­esses et exprimer leurs joies.

PS : Gérard Cardonnet a fait le commentaire suivant et je trouve cela très intéressant :

« Excel­lent, Bernar­do. Mais s’agis­sant de messe, quand on par­le de com­pos­i­teurs argentins, com­ment ne pas citer la “Misa a Buenos Aires”, dite Mis­a­tan­go, de Mar­tin Palmeri. https://www.choeurdesabbesses.fr/…/la-misatango-de…/ »
Voilà, main­tenant, c’est écrit.

Et comme de bien entendu, j’en rajoute une petite couche avec la réponse :

« Gérard, comme tu l’as remar­qué, c’était plutôt Navi­dad nues­tra qui était d’actualité, Noël étant lié à la nais­sance. J’ai d’ailleurs mis en avant El nacimien­to en en men­tion­nant les paroles.
Pour ce qui est de la Mis­a­tan­go, elle fait claire­ment référence à Piaz­zol­la. Mon pro­pos était de chang­er l’éclairage sur l’Argentine pour par­ler des musiques tra­di­tion­nelles. C’est promis, un de ces jours je met­trais les pieds dans le Piaz­zol­la.
La Mis­a­tan­go est une œuvre superbe. Tu la cites avec beau­coup de rai­son.
J’aurais aus­si pu par­ler de tan­gos de sai­son avec quelques titres qui évo­quent les fêtes de fin d’année comme :
Pour Noël
Nochebue­na
Ben­di­ta nochebue­na
Feliz nochebue­na
El vals de nochebue­na
Navi­dad
Feliz Navi­dad
Navi­dad de los morenos
Can­dombe en Navi­dad
Pour le Jour de l’an
Año nue­vo
Pour les Rois mages (6 jan­vi­er)
Noche de reyes
Un rega­lo de reyes
6 de enero (6 jan­vi­er, jour des Rois mages).
Papa Bal­tasar »

Tehuana 1939-12-23 — Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati

Alfon­so Esparza Oteo

Depuis quelques années, les valses de l’orchestre Típi­ca Vic­tor ont les faveurs des danseurs, notam­ment en Europe. Il faut dire qu’elles sont mag­nifiques et que, comme tous les enreg­istrements de cet orchestre, elles sont des­tinées à la danse. Vous vous deman­dez peut-être ce que Fri­da Kahlo vient faire dans la cou­ver­ture d’un arti­cle sur une valse argen­tine, vous aurez la réponse 😉

Extrait musical

Tehua­na 1939-12-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigé par Fred­dy Scor­ti­cati.

La superbe intro­duc­tion nous invite à décou­vrir un air nos­tal­gique en do mineur. Enfin, en l’absence de la par­ti­tion, il est dif­fi­cile de savoir quelle est la tonal­ité, car si la ver­sion la plus courante est en Do# mineur et dure 3’03″, ma ver­sion qui est en Do mineur dure 3’15″.
La tonal­ité plus grave est causée par une rota­tion moins rapi­de du disque. Ou plutôt, ce sont, à mon avis, les ver­sions courantes qui sont plus rapi­des et à mon goût trop rapi­de.
J’ai fait la demande de la par­ti­tion auprès du CENEDIM (Cen­tro Nacional de Inves­ti­gación, Doc­u­mentación e Infor­ma­ción Musi­cal Car­los Chávez), je met­trai à jour si j’ai une réponse pos­i­tive.
Cette ten­dance à accélér­er la musique pour la ren­dre plus bril­lante n’est pas gênante en soi et en milon­ga, il m’arrive très sou­vent de chang­er la vitesse pour adapter le titre au besoin du moment en milon­ga. Par exem­ple, si je vois que les danseurs ont envie de danser sur un rythme rapi­de, je peux légère­ment accélér­er la valse et arriv­er à la durée de la ver­sion de 3’03″ éditée par Le Club de tan­go dans son CD Orques­ta Típi­ca Vic­tor Vol. 21 (1939–1941).
Cette ver­sion n’est pas d’une qual­ité opti­male et je pense donc préférable d’utiliser un enreg­istrement depuis le disque orig­i­nal 38862 (78 tours) édité par la Vic­tor (on s’en doute, vu que c’est son orchestre). Sur ce disque, la face B com­porte un paso doble Amoríos com­posé par Alex Schnei­der, ce qui per­met de rap­pel­er la poly­va­lence des orchestres et la plus grande diver­sité des dans­es pra­tiquées dans les bals de l’époque.
Après cette (très) longue digres­sion, revenons à notre valse.
La pre­mière par­tie, tout comme l’introduction, est en mode mineur.
À 43″ on remar­que le pont qui per­met d’assurer la tran­si­tion avec la sec­onde par­tie, qui, elle, est en majori­taire­ment mode majeur, tout au moins à par­tir d’une minute.
Le fait que le titre soit sans par­tie chan­tée (Alfon­so Esparza Oteo avait écrit des paroles) peut don­ner une impres­sion de monot­o­nie, cepen­dant, les jolis orne­ments du ban­donéon, notam­ment dans la sec­onde par­tie (à par­tir de 2’11″) font qu’on se laisse porter, un peu en transe, sans avoir l’impression de danser la même chose. Le final ralen­tit le rythme, pour que les danseurs puis­sent sor­tir de l’hypnose, sans dan­ger.

Que vient faire Frida Kahlo dans cette histoire ?

Fri­da Kahlo (pein­tre et mod­èle), à gauche et 2 femmes, à droite, en cos­tume de Tehua­na.

Comme vous le savez, Fri­da Kahlo est une pein­tre mex­i­caine avec une vie sin­gulière, voire semi-trag­ique. Elle était d’origine Tehua­na, une province du sud du Mex­ique. Elle s’est représen­tée avec ce cos­tume tra­di­tion­nel et notam­ment El res­p­lan­dor, la coiffe que por­tent égale­ment les deux femmes sur la pho­to de droite. On remar­quera sur son front le ter­ri­ble Diego Rivera, dont elle venait de divorcer (1940), mais qui reste dans ses pen­sées.

Fri­da Kahlo devant son auto­por­trait ter­miné (donc après 1943) et à droite, un médail­lon où elle porte le res­p­lan­dor (1948).

Tehua­na, le nom de notre valse du jour vient donc du Mex­ique. Alfon­so Esparza Oteo, le com­pos­i­teur et l’auteur des paroles, est égale­ment Mex­i­cain.
Cette valse aurait pu rester pure­ment mex­i­caine si Fred­dy Scor­ti­cati et la Típi­ca Vic­tor ne l’avaient pas enreg­istrée. Il se peut aus­si que d’autres orchestres argentins l’aient jouée sans l’enregistrer.
La Tehua­na n’étant prob­a­ble­ment pas Fri­da Kahlo, j’ai essayé divers­es pistes pour l’identifier. Ce n’est pas sa femme, qu’il a ren­con­trée en 1925 et épousée en 1926, car celle-ci était orig­i­naire de Aran­das (Jalis­co) et donc pas de la région de l’Isthme de Tehuan­te­pec.

À gauche Blan­ca Tor­res Por­tillo à 17 ans, un an avant de ren­con­tr­er Alfon­so Esparza Oteo. À droite, les jeunes époux en 1926. Blan­ca a 17 ans et Alfon­so, 32. Ils auront 9 enfants.

Tehua­na date de la décen­nie suiv­ant son mariage et comme il était heureux en ménage, con­traire­ment à Fri­da, il est peu prob­a­ble que le titre sug­gère une liai­son de cette époque.

Peut-être qu’ une des qua­tre femmes qui entourent Alfon­so et Blan­ca, sa femme a inspiré Tehua­na. Mais sans la tenue tra­di­tion­nelle, c’est impos­si­ble à véri­fi­er 😉

Si on con­sulte son cat­a­logue, cer­taines femmes sont évo­quées et il se peut donc que Tehua­na soit une anci­enne com­pagne, ou tout sim­ple­ment un thème qui chante son pays, comme beau­coup de ses com­po­si­tions.

Autres versions

Alfon­so Esparza Oteo a com­posé env­i­ron 150 œuvres. Quelques-unes sont sor­ties du domaine de la musique mex­i­caine pour inté­gr­er le réper­toire argentin. C’est le cas de notre valse du jour et de quelques autres que je vous pro­pose d’écouter.

Tehua­na 1939-12-23 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigé par Fred­dy Scor­ti­cati.

C’est notre valse du jour et bien qu’elle soit mag­nifique, elle ne sem­ble pas avoir inspiré d’autres orchestres.

Carta de amor (Alfonso Esparza Oteo letra: Gustavo Ruiz Hoyos)

Car­ta de amor 1930-06-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.
Car­ta de amor 1930-06-13 — Char­lo con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion enreg­istrée seule­ment 10 jours après la pre­mière, par les mêmes, est une habi­tude chez Canaro. Il enreg­istre une ver­sion pour le bal et une ver­sion pour l’écoute.

Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo letra: Alfonso Espriu Herrera)

Ce titre est un des gros suc­cès, de Alfon­so Esparza Oteo comme en témoignent divers enreg­istrements en tan­go, mais aus­si sous d’autres formes…

Par­ti­tion de Dime que sí (Alfon­so Esparza Oteo, letra: Alfon­so Espriu Her­rera)
Dime que sí 1938-11-04 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Jorge Omar.

Un rythme enjoué et entraî­nant. La voix de Jorge Omar, s’inscrit par­faite­ment dans le rythme. Je trou­ve que c’est une belle réal­i­sa­tion qui devrait pou­voir intéress­er les danseurs, même si cette ver­sion est peu con­nue. Remar­quez son final un peu théâ­tral, digne de la bande sonore d’un film…

Dime que sí 1938-11-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor.

Dime que sí 1938-11-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Fran­cis­co Amor. Canaro enreg­istre un autre titre de Alfon­so Esparza Oteo. Con­traire­ment à Lomu­to, Canaro a choisi un tem­po très lent. Je ne suis pas con­va­in­cu que ce soit par­fait pour le bal et la voix de Fran­cis­co Amor, ne me sem­ble pas au mieux. Il y a tant de valses plus effi­caces, qu’il ne me sem­ble pas utile de pren­dre des risques avec cette ver­sion.

Dime que sí 1938-12-30 — Juan Arvizu con orques­ta.

Juan Arvizu est égale­ment d’origine mex­i­caine, ce qui l’a sans doute incité à enreg­istr­er cette valse écrite par son com­pa­tri­ote. Il a égale­ment enreg­istré la Zan­dun­ga, cette valse tra­di­tion­nelle orig­i­naire de Tehuan­te­pec (tout comme Canaro). Pour par­ler de cette inter­pré­ta­tion, elle ne manque pas d’enthousiasme mais est peut-être un peu trop brouil­lonne pour les danseurs.

Dime que sí 1939-08-14 (Avant) — Pedro Var­gas con orques­ta de José Sabre Mar­ro­quín.

Un enreg­istrement réal­isé à Mex­i­co, sans doute au début de 1939 (impré­ci­sion sur la date à cause d’une erreur dans les reg­istres de la Vic­tor). Le ténor Pedro Var­gas est égale­ment Mex­i­cain.
Il réen­reg­istr­era le titre 39 ans plus tard, tou­jours à Mex­i­co…

Dime Que Sí (en vivo) 1978 · Pedro Var­gas con Orques­ta Sin­fóni­ca del Esta­do de Méx­i­co. Concier­to en vivo en el Pala­cio de Bel­las Artes — 50 Aniver­sario 1928 ‑1978 – Arrange­ments de Pocho Pérez
Dime que sí 2024 — Mari­achi Impe­r­i­al Azteca — Orques­ta Sin­fóni­ca de Aguas­calientes.

Aguas­calientes est la ville de Alfon­so Esparza Oteo. On s’est bien éloigné de la valse argen­tine. L’action de mémoire de sa ville natale n’est sans doute pas étrangère à la per­ma­nence du suc­cès des œuvres de ce com­pos­i­teur qui était en train de jouer une de ses œuvres, “Limonci­to”, quand José de León Tora, un car­i­ca­tur­iste, s’est approché du général Álvaro Obregón, prési­dent du Mex­ique qu’il a abat­tu de nom­breuses balles de pis­to­let.
Alfon­so et son orchestre ont con­tin­ué de jouer l’œuvre, sans se ren­dre compte de ce qui s’était passé, ou, s’ils s’en sont ren­du compte, ils sont restés drôle­ment pro­fes­sion­nels…

La ville mex­i­caine de Aguas­calientes (eaux chaudes) est fière de son com­pos­i­teur et divers mon­u­ments le célèbrent dans la ville et une rue porte son nom.

Pour ter­min­er cette petite série, une curiosité, une ver­sion par un orchestre sym­phonique avec un joli duo, sopra­no et ténor.
En fait, ce n’est pas si rare, cette valse est sou­vent jouée en con­cert de musique clas­sique et notam­ment sous forme piano plus chant.

Dime que sí 2014-11-15 — Veróni­ca De Lar­rea (sopra­no) y Víc­tor Cam­pos Leal (tenor), Orchestre sym­phonique de l’Université Frédéric Chopin de Varso­vie.

À bien­tôt, les amis, en espérant que les prob­lèmes d’attaque du site de cette semaine ne vont pas se repro­duire.

El Yacaré 1941-12-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Alfredo Attadía Letra: Mario Soto.

Ceux qui ont tra­ver­sé les provinces de Entre-Rios et Cor­ri­entes ont sans doute remar­qué au bord des nationales 12 et 14 les nom­breuses pan­car­tes annonçant que l’on pou­vait trou­ver du « yacaré » à l’escabèche. Le yacaré est le nom du croc­o­dile local et l’escabèche (esacabeche) est la sauce qui accom­mode ce saurien et dont sont friands les entre­ri­anos et cori­enti­nos. Mais, notre tan­go du jour ne vante pas un plat typ­ique, ni même l’animal du même nom. Il nous par­le d’un jock­ey fameux, Elías Antúnez, surnom­mé El Yacaré, car il est juste­ment orig­i­naire de Cor­ri­entes.

Elías Antúnez, El Yacaré.

Chevaux et tango

De nom­breux tan­gos font référence aux cours­es de chevaux.
Car­los Gardel fut l’un des pro­mo­teurs du genre, par exem­ple en chan­tant Leguisamo solo, Por una cabeza.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite à con­sul­ter l’excellent Todo Tan­go sur le sujet

L’hip­po­drome de Paler­mo.

Extrait musical

El Yacaré 1941-12-12 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

Aujourd’hui, pas de par­ti­tion, mais les accords pour les gui­taristes sur chordify.net :

Paroles

Es domin­go, Paler­mo res­p­lan­dece de sol,
cada pin­go en la are­na lle­vará una ilusión.
En las cin­tas los puros alin­ea­d­os están
y a la voz de “¡Largaron!” da sal­i­da un afán.
En el medio del lote, con­te­nien­do su acción,
hay un jock­ey que aguar­da con ser­e­na aten­ción,
ya se apres­ta a la car­ga… griterío infer­nal.
Emo­ción que des­bor­da en un bra­vo final.

¡Arri­ba viejo Yacaré!
Explota el gri­to atron­ador.
Todos cas­ti­gan con rig­or,
pero no hay nada que hac­er,
en el dis­co ya está Antúnez.
Sabés sacar un perde­dor,
ganar un Pre­mio Nacional…
Muñe­ca bra­va y al final
el tope del mar­cador
siem­pre es tu meta tri­un­fal.

Un artista en las rien­das, con cora­je de león,
tenés toda la clase que con­sagra a un campeón.
Dom­i­nan­do la pista con cert­era visu­al
el camino del dis­co vos sabés encon­trar.
Las tri­bunas admi­ran tu peri­cia y tesón
y se rinde a tu arte con inten­sa emo­ción.
Se enron­que­cen gar­gan­tas en un loco estal­lar,
cuan­do a taco y a lon­ja empezás a car­gar.
Alfre­do Attadía Letra: Mario Soto

Traduction libre des paroles

C’est dimanche, Paler­mo resplen­dit de soleil, chaque cheval (pin­go) sur le sable (de la piste) portera un espoir.
Sur les ban­des, les cig­a­res sont alignés et la voix de « ¡Largaron ! » (on entend dans Largaron de Car­los Cubría et Juan Navar­ro con­nue par l’enregistrement de De Ange­lis, la cloche et le « largaron » qui annon­cent le départ des chevaux) laisse place à l’empressement.
Au milieu du pelo­ton, con­tenant son action, il y a un jock­ey qui attend avec une atten­tion sere­ine, déjà, il se pré­pare à la charge… brouha­ha infer­nal.
Une émo­tion qui débor­de dans un bra­vo final (ou un final vail­lant).
Courage, le vieux Yacaré !
Le cri toni­tru­ant explose.
Tous cravachent vigoureuse­ment (punis­sent), mais il n’y a rien à faire, Antúnez (El Yacaré) est déjà au poste d’arrivée.
Tu sais faire sor­tir un per­dant, qu’il gagne un Prix nation­al…
Muñe­ca bra­va (poignet vail­lant, mais une Muñe­ca bra­va est aus­si une femme, comme dans le tan­go de Enrique Cadí­camo) et, à la fin, le haut du tableau de résul­tat est tou­jours ton but, tri­om­phal.
Un artiste aux rênes, avec le courage d’un lion, vous avez toute la classe qui con­sacre un cham­pi­on.
Dom­i­nant la piste avec une vision pré­cise, tu sais trou­ver le chemin du poste d’arrivée.
Les tri­bunes admirent ton savoir-faire et ta ténac­ité et ren­dent à ton art avec une émo­tion intense.
Les gorges s’en­rouent dans une explo­sion folle, lorsque vous com­mencez à charg­er avec les talons et la cravache.

Autres versions

El Yacaré 1941-12-12 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.
El Yacaré 1951 — Alfre­do Attadía con Arman­do Moreno.

Dix ans après D’Agostino et Var­gas, Attadía donne sa ver­sion de sa com­po­si­tion. On notera toute­fois qu’il est dif­fi­cile de détach­er cet enreg­istrement de celui des deux anges. Cette prox­im­ité peut se com­pren­dre. Attadía a com­posé un cer­tain nom­bre des suc­cès de D’Agostino et notam­ment, Tres esquinas com­posé en com­mun avec D’Agostino. Le résul­tat est agréable à écouter et même dans­able.

Arman­do Moreno et Alfre­do Attadía (El Ban­doneón de Oro).
El Yacaré 2009 – Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

On regrette la dis­pari­tion de cet orchestre qui valait surtout par la voix et les inter­pré­ta­tions extra­or­di­naires de Javier Di Ciri­a­co. Une ver­sion dans le style de cet orchestre, plutôt intéres­sante et dans­able.

À bien­tôt les amis !

Rancho alegre 1941-12-10 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro (Corrido)

Felipe Bermejo Araujo (Música y letra).

Les bals « tan­go » de l’âge d’or com­por­taient du tan­go, sous ses trois formes, mais aus­si du « jazz » et d’autres dans­es, plus ou moins tra­di­tion­nelles. Notre musique du jour est Argen­tine (voire uruguayenne si on se réfère aux orig­ines de Canaro), mais le rythme (un cor­ri­do), les paroles et l’inspiration sont mex­i­cains.

J’utilise par­fois ce titre pour « chauf­fer » la salle avant la milon­ga. Le cor­ri­do se danse en principe en cou­ple, c’est une forme qui rap­pelle la pol­ka, mais aus­si le pasodoble. Les Argentins le dansent surtout en marche, tout comme ils font avec le pasodoble, d’ailleurs…

Extrait musical

Ran­cho ale­gre 1941-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán y coro.
Par­ti­tion et cou­ver­tures de Ran­cho ale­gre de Felipe Berme­jo Arau­jo. On notera la présence de par­ti­tions brésili­ennes. Le cor­ri­do est bien sor­ti du Mex­ique et pas seule­ment pour les pays his­panophones, comme l’Argentine.

Le ran­cho ale­gre (ranch joyeux) est vrai­ment joyeux et je suis sûr que cette musique vous donne envie de bouger.

Paroles

Y soy del mero Ran­cho Ale­gre (Yo soy char­ro mex­i­cano)
Un ranchero de ver­dad, com­padre
Jálese, pari­ente
Pa’ la gente del ran­cho, pa’ la gente de pueblo

Soy del mero Ran­cho Ale­gre
Un ranchero de ver­dad
Que tra­ba­ja
De labriero, may­or­do­mo y capo­ral

Mi queren­cia es este ran­cho
Donde vivo tan feliz
Escon­di­do entre mon­taña
De col­or azul anís

Ran­cho Ale­gre
Mi nid­i­to
Mi nid­i­to per­fuma­do y de jas­mín
Donde guar­do
Mi amorci­to
Que tiene ojos de lucero y capulín

En mi ran­cho
Ten­go todo
Ani­males, agua y sol
Y una tier­ra bril­lante y bue­na
Que tra­ba­jo con ardor

Cuan­do acabo mis labores
Ya que se ha meti­do el sol
A la luz de las estrel­las
Can­to ale­gre mi can­ción

Ran­cho Ale­gre
Mi nid­i­to
Mi nid­i­to per­fuma­do y de jas­mín
Donde guar­do
Mi amorci­to
Que tiene ojos de lucero y capulín

Solo fal­ta
Una cosa
Que muy pron­to, yo ten­dré
Como estoy recién casa­do
Adi­ví­nen­me lo que es

Ha de ser un chilpal­late
Grande y fuerte a no dudar
Que tam­bién será labriero
May­or­do­mo y capo­ral

Ran­cho Ale­gre
Mi nid­i­to
Mi nid­i­to per­fuma­do y de jas­mín

Donde guar­do
Mi amorci­to
Que tiene ojos de lucero y capulín
Felipe Berme­jo Arau­jo

Car­los Roldán chante seule­ment ce qui est en gras.

En rouge, la ver­sion orig­i­nale mex­i­caine qui par­le de char­ro (cow­boy, gau­cho).

Traduction libre des paroles

Et je suis du sim­ple Ran­cho Ale­gre (ranch joyeux) un vrai éleveur, com­padre bien « tiré » (C’est quelque chose de posi­tif, bon com­pagnon), par­ent pour les gens du ranch, pour les gens du vil­lage.
Je suis du sim­ple Ran­cho Ale­gre, un vrai éleveur qui tra­vaille comme agricul­teur, major­dome et con­tremaître.
Mon amour c’est ce ranch où je vis si heureux, caché dans les mon­tagnes bleu anis

Refrain
Ran­cho Ale­gre
Mon petit nid
Mon petit nid par­fumé et de jas­min où je garde ma petite chérie qui a les yeux d’une étoile et de cerise (les capu­lines sont de petites ceris­es de couleur noir rougeâtre. On les appelle aus­si, ceris­es mex­i­caines).

Sur mon ranch j’ai tout, des ani­maux, de l’eau et du soleil et une terre bril­lante et bonne que je tra­vaille avec ardeur
Quand je finis mes travaux parce que le soleil s’est couché. À la lumière des étoiles, je chante joyeuse­ment ma chan­son.
Il ne manque qu’une seule chose, que très bien­tôt j’au­rai, car, je viens de me mari­er. Devinez ce que c’est.
Il doit être un gamin grand et fort (chilpal­late est une expres­sion mex­i­caine) sans aucun doute qu’il sera aus­si un fer­mi­er, major­dome et con­tremaître.

Autres versions

Le thème est tout de même assez rare en Argen­tine. Out­re cette ver­sion de Canaro, on peut citer les chanteurs de l’aube qui ont fait un disque aux sonorités mex­i­caines. Je vous pro­pose aus­si une ver­sion mex­i­caine avec un jeu intéres­sant de l’accordéon (oui, le Mex­ique utilise de plus gros pianos à bretelles).

Ran­cho ale­gre 1941-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán y coro. C’est notre musique du jour.
Ran­cho ale­gre 1976 — Los Can­tores del Alba.
Ran­cho ale­gre 2020 — Octavio Norza­garay.

À bien­tôt les amis !

😉
Maldonado, el Tranvia.

Maldonado 1943-12-09 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Alberto Mastra (Música y letra).

Cette milon­ga alerte, très alerte, cache cepen­dant une nos­tal­gie, celle du quarti­er de Paler­mo avec son tramway, ses allumeurs de réver­bères et ses veilleurs de nuit. La prochaine fois que vous vous lancerez dans cette milon­ga endi­a­blée, vous vous sou­vien­drez peut-être de l’évolution de ce quarti­er et de sa riv­ière, aujourd’hui domp­tée.

Extrait musical

Mal­don­a­do 1943-12-09 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá.
Par­ti­tion de Mal­don­a­do. On peut remar­quer que Di Sar­li et Lau­rens sont cités, ain­si que le nom com­plet de Mas­tra (Mas­tra­cusa).

Paroles

Les voy a recor­dar el tiem­po pasa­do
cuan­do Paler­mo fue Mal­don­a­do
y yo en la gran Nacional
tra­ba­jé de may­oral.
Y voy a reco­dar algunos detalles
que sucedían siem­pre en la calle,
cuan­do con su caden­ero
al tran­vía algún car­rero
quería pasar.

Dale que dale, dale más ligero
a ver quién sube el repe­cho primero
y orgul­loso el con­duc­tor
lo pasa­ba al percherón.
Dale que dale, dale más ligero
y atrás deja­ban al pobre car­rero
repi­tien­do al may­oral
si le sobra deme un real.

Yo soy del Buenos Aires de ayer, com­pañero,
cuan­do en las tardes el farolero
con su escalera apu­ra­do
la sec­ción iba a alum­brar.
Después con su pregón famil­iar el sereno
mar­ca­ba hora tras hora el tiem­po
luego el boletín can­ta­do
dan­do así por ter­mi­na­do
un día más.

Dale que dale, dale más ligero
total aho­ra ya no está el car­rero
ni el bromista con­duc­tor
ni el sereno y su pregón.
Dale que dale, dale más ligero
total tam­poco existe el farolero
dale y dale sin parar
has­ta que me hagas llo­rar.
Alber­to Mas­tra (Músi­ca y letra)

Traduction libre des paroles

Je vais vous l’évoquer le temps d’antan où Paler­mo était Mal­don­a­do (El Mal­don­a­do était l’un des cours d’eau de Buenos Aires) et où je tra­vail­lais comme may­oral (pré­posé de tramway ven­dant les bil­lets) à la Gran Nacional (com­pag­nie de tramways passée à l’électrique en 1905 en rem­place­ment de la trac­tion ani­male que l’on appelait motor de san­gre, moteur de sang).
Et je vais rap­pel­er quelques détails qui se pas­saient tou­jours dans la rue, lorsqu’avec son cheval de tête un con­duc­teur de char­rette voulait dépass­er le tramway.
Envoie ce qu’il envoie (encour­age­ment, en matière d’équitation ont dit envoy­er, j’ai donc choisi cette tra­duc­tion), envoie plus rapi­de­ment, voyons qui grimpe la pente le pre­mier et fière­ment le con­duc­teur (du tramway) dou­ble le percheron.
Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapi­de­ment, et ils ont lais­sé le pau­vre con­duc­teur de char­rette der­rière eux, répé­tant au may­oral s’il en reste, donne-moi un réal (mon­naie en usage à l’époque espag­nole et qui a été frap­pée en Argen­tine de 1813 à 1815 et qui n’était bien sûr plus d’usage au début du 20e siè­cle).
Je suis du Buenos Aires d’hi­er, com­pagnon, quand, en soirée, l’al­lumeur de réver­bères, pressé, avec son échelle, allait éclair­er la sec­tion.
Puis, avec sa procla­ma­tion famil­ière, le veilleur de nuit (per­son­ne qui assur­ait la vig­i­lance de nuit) mar­quait le temps, heure après heure, puis, avec son bul­letin chan­té, met­tait ain­si fin à une autre journée.
Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapi­de­ment, résul­tat, main­tenant il n’y a plus le con­duc­teur de char­rette, ni le con­duc­teur farceur, ni le veilleur et sa procla­ma­tion.
Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapi­de­ment, il n’y a pas plus d’al­lumeurs de réver­bères, envoie, envoie sans arrêt jusqu’à ce que tu me fass­es pleur­er.

Autres versions

Notre tan­go du jour est une milon­ga qui fut enreg­istrée aus­si par Di Sar­li avec Rufi­no. Mais d’autres tan­gos ont égale­ment été com­posés et enreg­istrés. Je vous en pro­pose qua­tre, inter­prétés par six orchestres, mais il y en a d’autres et même des musiques sur d’autres rythmes. Mais atten­tion, ces dernières font référence à d’autres lieux que la riv­ière Mal­don­a­do et le quarti­er de Buenos Aires.

Maldonado, milonga de Alberto Mastra

Lau­renz a enreg­istré ce titre pour Odeón le jeu­di 9 décem­bre. La semaine d’après, le ven­dre­di 17, La Vic­tor enreg­istre le titre avec Di Sar­li.
Ce sont les deux seuls enreg­istrements « his­toriques » de cette superbe milon­ga.
On notera que Pedro Lau­renz et Di Sar­li met­tent en avant leur instru­ment per­son­nel, respec­tive­ment le ban­donéon pour Lau­renz et le piano pour Di Sar­li.

Mal­don­a­do 1943-12-09 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá. C’est notre milon­ga du jour.
Mal­don­a­do 1943-12-17 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Rober­to Rufi­no.

Maldonado, tango par un auteur inconnu

El mal­don­a­do 1914 — Ron­dal­la Gau­cho Relam­pa­go dir. Car­los Nasca. Un enreg­istrement acous­tique, plutôt sym­pa. On aurait presque envie de le faire décou­vrir en milon­ga. J’ai écrit presque 😉

Tango de Luis Nicolás Visca Letra: Luis Rubistein

Mal­don­a­do 1928-02-07 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ernesto Famá
Mal­don­a­do 1928-02-23 — Orques­ta Rober­to Fir­po con Teó­fi­lo Ibáñez
Mal­don­a­do 1928-03-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo

Tango de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Alberto Vacarezza

Mal­don­a­do 1929-12-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo

Maldonado et le tranvia

Mal­don­a­do n’a rien à voir avec une chaîne de fast­foods améri­cains, vous l’avez com­pris. C’était le nom d’un des cours d’eau de Buenos Aires. Celui-ci se jette dans le Rio de la Pla­ta à Paler­mo, ce qui a valu ce nom au quarti­er du XVI­I­Ie au début du XIXe siè­cle. On notera que les paroles évo­quent un temps où Paler­mo s’appelait Mal­don­a­do. Au sens strict, c’était au début du XIXe siè­cle. Mais, comme elles par­lent de réver­bères, de Tran­via, c’est sans doute d’une époque postérieure qu’il est ques­tion.
En effet, les pre­miers Tran­via ont été mis en place en 1863.

Pre­mier tran­via de Buenos Aires à moteur de sang (hip­po­mo­bile) en 1863.

La milon­ga nous compte une course entre un tran­via et une char­rette tirée par un percheron.
Il n’est pas sûr que deux chevaux attelés à un tran­via soient capa­bles de dis­tancer une char­rette. Je pense donc, que le texte fait référence à une époque encore postérieure, à par­tir de 1905, date à laque­lle la com­pag­nie Gran Nacional (citée dans les paroles) est passée à la trac­tion élec­trique.

Un tran­via de la com­pag­nie La Cap­i­tal. Ce tramway date env­i­ron d’après 1906, car il porte un numéro.

L’année 1905 a vu l’arrivée des pre­miers tramways élec­triques et 1906 a inau­guré la numéro­ta­tion des lignes, ce qui a sim­pli­fié la tâche des voyageurs… Sur la pho­to, le tran­via porte le numéro 45, c’était donc un des équipements de la ligne 45 qui était exploitée par La Cap­i­tal. La com­pag­nie Gran Nacional citée dans la milon­ga por­tait des numéros de 61 à 80.
Dans la milon­ga, il sem­ble logique de penser que la course s’effectue entre une char­rette hip­po­mo­bile et un tran­via élec­trique qui affirme facile­ment sa supéri­or­ité dans les mon­tées.

El arroyo Maldonado

En ce qui con­cerne la riv­ière qui avait don­né son nom au quarti­er (El arroyo Mal­don­a­do), vous aurez du mal à la trou­ver, car elle est désor­mais souter­raine. La dernière fois qu’elle a fait par­ler d’elle, c’était en 2010 et j’en ai été témoin, elle a causé d’importantes inon­da­tions à Paler­mo. Depuis, des travaux ont été entre­pris pour éviter ces prob­lèmes.

En 1890, la riv­ière Mal­don­a­do était presque à sec. On voit au fond le pont de l’av­enue Sante Fe.
Aujour­d’hui, au même endroit, le sou­venir de la riv­ière est porté par des inscrip­tions sur les pas­sages pié­tons…

À bien­tôt les amis !

Mano Blanca 1943-12-07 — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce

Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi

L’excellent fileteador porteño, Gus­ta­vo Fer­rari, alors que je pas­sais ce titre dans une milon­ga m’a indiqué que ce titre était l’hymne des fileteadores (pein­tres déco­ra­teurs, spé­cial­istes des filets déco­rat­ifs typ­iques de Buenos Aires). Comme j’adore ce tan­go, je le passe assez sou­vent, mais pas for­cé­ment dans la ver­sion du jour, celle d’Alberto Castil­lo qui était égale­ment un fan de ce tan­go comme nous le ver­rons.
J’imagine que vous avez dans l’oreille l’enregistrement des deux anges, D’Agostino et Var­gas. Mais, comme l’anecdote d’avant-hier était avec ces deux inter­prètes, il faut laiss­er de la place aux autres.
C’est d’autant plus impor­tant que Var­gas et D’Agostino sem­ble s’être emparé du titre, lais­sant peu de place à d’autres enreg­istrements. Pour­tant, plusieurs sont intéres­sants.
À not­er que, sur cer­tains dis­ques, on trou­ve Manoblan­ca, en un seul mot. J’ai unifié la présen­ta­tion en Mano Blan­ca, mais les deux orthographes exis­tent

Extrait musical

Mano Blan­ca 1943-12-07 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Emilio Bal­carce.

Bien que ce soit un titre plutôt des­tiné à l’écoute, puisque le disque men­tionne que Alber­to Castil­lo est accom­pa­g­né par son orchestre dirigé par Emilio Bal­carce. Cepen­dant cet enreg­istrement reste tout à fait présentable dans une milon­ga et c’est même presque éton­nant que l’on ne l’entende qua­si­ment jamais.

Par­ti­tion de Mano Blan­ca. Arturo De Bassi Letra: Home­ro Manzi et l’angle de rue où se trou­ve le « musée Manoblan­ca ».

Paroles

Dónde vas car­reri­to del este
cas­ti­gan­do tu yun­ta de ruanos,
y mostran­do en la cha­ta celeste
las dos ini­ciales pin­tadas a mano.

Relu­cien­do la estrel­la de bronce
clavetea­da en la suela de cuero,
dónde vas car­reri­to del Once,
cruzan­do ligero las calles del Sur.

¡Porteñi­to!… ¡Manoblan­ca!…
Vamos ¡fuerza, que viene bar­ran­ca!
¡Manoblan­ca!… ¡Porteñi­to!
¡Fuerza! ¡vamos, que fal­ta un poquito!

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya sal­imos!…
Aho­ra sigan pare­jo otra vez,
que esta noche me esper­an sus ojos
en la Aveni­da Cen­ten­era y Tabaré.

Dónde vas car­reri­to porteño
con tu cha­ta fla­mante y coque­ta,
con los ojos cer­ra­dos de sueño
y un gajo de ruda detrás de la ore­ja.

El orgul­lo de ser bien queri­do
se adiv­ina en tu estrel­la de bronce,
car­reri­to del bar­rio del Once
que vuelves trotan­do para el cor­ralón.

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya sal­imos!…
Aho­ra sigan pare­jo otra vez
mien­tras sueño en los ojos aque­l­los
de la Aveni­da Cen­ten­era y Tabaré.
Arturo De Bassi Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre des paroles

Où vas-tu petit meneur (con­duc­teur de char­i­ot hip­po­mo­bile) de l’est en punis­sant ton atte­lage de rouans (chevaux de couleur rouanne), et en mon­trant sur la char­rette bleue les deux ini­tiales peintes à la main.
Elle brille l’é­toile de bronze clouée sur le har­nais de cuir. Où vas-tu, petit meneur de Once, en tra­ver­sant rapi­de­ment (légère­ment, peut-être à vide), les rues du Sud.
Porteñi­to… Manoblan­ca… (Ce sont les noms des deux chevaux)
Allons, force, un fos­sé arrive !
Manoblan­ca… Porteñi­to !
Force ! Allons, il reste peu à faire !
Bien ! Bien !… Nous voilà sor­tis (de l’ornière, fos­sé)…
Main­tenant, con­tin­uez ensem­ble à nou­veau, car ce soir, ses yeux m’at­ten­dent sur l’Aveni­da Cen­ten­era et Tabaré. (l’angle de ces deux avenues mar­que “La esquina del her­rero, bar­ro y pam­pa” que le même Home­ro Manzi men­tionne dans son tan­go “Sur”.
Où vas-tu, petit meneur portègne avec ta char­rette flam­boy­ante et coquette, avec les yeux fer­més de som­meil (ou rêve) et un brin de rue (le gajo de ruda est une plante qui est cen­sée éloign­er le mal) der­rière l’or­eille.
La fierté d’être bien aimé se devine dans ton étoile de bronze, petit meneur du quarti­er de Once, car tu reviens en trot­tant au cor­ralón (hangar, garage).
Bien ! Bien !… Nous voilà sor­tis.
Main­tenant, ils con­tin­u­ent en cou­ple (chevaux en har­monie) de nou­veau pen­dant que je rêve à ces yeux de l’Aveni­da Cen­ten­era et de Tabaré.

Les fileteados

Les filetea­d­os son une expres­sion artis­tique typ­ique de Buenos Aires. Elle est apparue en pre­mier sur les char­i­ots et s’est éten­due jusqu’à aujourd’hui dans tous les domaines.

Un char­i­ot hip­po­mo­bile décoré de filetea­d­os. Cette char­rette com­porte des ridelles, ce que n’avait peut-être pas celle de la chan­son qui est une sim­ple cha­ta (fond plat et qui avait sans doute qua­tre roues).
Un véhicule de qua­tre saisons riche­ment décoré de filetea­d­os. La cha­ta de la chan­son devait plutôt avoir 4 roues, mais l’idée est là…

Je vous invite à regarder l’article de Wikipé­dia sur le sujet si vrai­ment vous ne con­nais­sez pas…
https://es.wikipedia.org/wiki/Fileteado

Autres versions

Les deux pre­miers enreg­istrements, par Canaro, sont bien de a com­po­si­tion Arturo de Bassi, mais elles avaient été pub­liées à l’époque sous le titre El román­ti­co fulero. Cette musique était une petite pièce à l’intérieur d’un tableau inti­t­ulé Román­ti­cos fuleros, lui-même inclus dans le spec­ta­cle Copamos la ban­ca. Les paroles apportées par Home­ro Manzi 15 ans plus tard, à la demande de Bassi, ont don­né une autre dimen­sion à l’œuvre et lui ont per­mis de pass­er à la postérité.

El román­ti­co fulero 1924 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est un enreg­istrement acous­tique, donc, d’une qual­ité sonore un peu com­pliquée, mais on recon­naît par­faite­ment le thème du tan­go du jour.

El román­ti­co fulero 1926-09 — Azu­ce­na Maizani con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Le même Canaro enreg­istre, cette fois en enreg­istrement élec­trique le titre avec des paroles de Car­los Schae­fer Gal­lo.

Paroles de Carlos Schaefer Gallo

Manyeme que’l bacán no la embro­ca,
par­leme que’l boton no la juna
y en la noche que pin­ta la luna
la pun­ga de un beso le tiró en la boca.
Aquí estoy en la calle desier­ta
como un gil pa’ mirar su her­mo­sura
cam­pane­an­do que me abra la puer­ta
pa’ dar­le a escon­di­das un beso de amor.

Se lo juro que no hablo al cohete
y que le pon­go pa’usté cacho e cielo
un cotor­ro que ni Marce­lo
lo tiene puesto con más fir­ulete.
Si usté quiere la pianto aho­ra
si usté lo quiere digame­lo,
será mi piba mi nena la auro­ra,
en esta som­bra que’n el alma cayó.

Le pon­dré garçon­nière a la gur­da
y ten­drá vuaturé limu­sine,
y la noche que nos cache cur­da
ver­e­mos al chor­ro Tom Mix en el cine.
Berretín que me das esper­an­za
mete­jón que pro­te­je la noche,
piantare­mos en auto o en coche
como unos pun­guis­tas que fanan amor.
Car­los Schae­fer Gal­lo

Hon­nête­ment, ces paroles en lun­far­do pour un diver­tisse­ment pop­u­laire d’entrée de gamme ne méri­tent pas vrai­ment de pass­er à la postérité. Je ne vous en don­nerai donc pas la tra­duc­tion. On notera toute­fois que le texte fait référence au prési­dent de l’époque, Marce­lo Tor­cu­a­to de Alvear et à Tom Mix, un héros de west­ern… L’auteur n’a reculé devant rien pour recueil­lir l’assentiment du pub­lic.

Mano Blan­ca 1943-12-07 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Emilio Bal­carce. C’est notre tan­go du jour.
Mano Blan­ca 1944-03-09 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

C’est la ver­sion de référence, une mer­veille absolue. Mag­nifique piano et voix des deux anges.

Mano Blan­ca 1960 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. y arr. por Osval­do Reque­na.

Cette ver­sion, très dif­férente de celle que Castil­lo a enreg­istrée en 1944, est claire­ment une chan­son. Pas ques­tion de la pass­er en bal. Il me sem­ble que Castil­lo sur­joue un peu le titre, mais on peut appréci­er.

Mano Blan­ca 1976 — José Canet con Nel­ly Omar.

Tou­jours la belle asso­ci­a­tion entre la gui­tare de José Canet et la voix de Nel­ly Omar.

Mano Blan­ca c2010 — Miguel Ángel Bác­co­la.

Une ver­sion en chan­son que j’ai trou­vée dans ma col­lec­tion, sans savoir d’où j’avais acheté ce disque.

Mano Blan­ca 2013, Juan Car­los “Tata” Cedrón.

J’ai un petit faible pour “Tata” que j’ai con­nu ado­les­cent (moi, pas lui). Cet enreg­istrement en stu­dio mon­tre qu’il a tou­jours le tan­go dans les veines. Cette vidéo vient de l’excellente chaine cul­turelle argen­tine « encuen­tro ».
À bien­tôt, les amis, je monte sur mon petit char­i­ot et je pars sur les rues du Sud, au rythme de mes petits chevaux rouans.

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

La nos­tal­gie et l’orgueil pour la pau­vreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tan­go. « Yo soy de Par­que Patri­cios » est de cette veine…
Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les sou­venirs et un passé à la fois loin­tain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Var­gas nous évo­quent de si belle façon.
Nous décou­vrirons l’origine du nom et ver­rons quelques images de ce quarti­er qui a tou­jours un charme cer­tain et que je peux voir de mon bal­con.

Extrait musical

Yo soy de Par­que Patri­cios 1944-12-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Par­ti­tion de Yo soy de Par­que Patri­cios de Vic­tor Felice et Car­los Lucero.

Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démar­rent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien mar­qué avec des alter­nances de piano, des pas­sages puis­sants et d’autres plus rêveurs chan­tés par les vio­lons.
Un peu avant la moitié du titre, Ángel Var­gas com­mence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quarti­er et qu’il y est né.
La séance de nos­tal­gie démarre, ponc­tuée de vari­a­tions mar­quées par l’orchestre, tan­tôt marchant et ryth­mique, tan­tôt glis­sant et suave.
Comme tou­jours chez ce « cou­ple » des anges, une par­faite réal­i­sa­tion, à la fois dansante, prenante et d’une grande sim­plic­ité dans l’expression des sen­ti­ments.
En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est con­sti­tué de longs glis­san­dos des vio­lons, procè­dent de la même con­struc­tion par oppo­si­tion.
On remar­quera dans les deux titres, comme dans de nom­breux autres, de cette asso­ci­a­tion qui enreg­is­tra près d’une cen­taine de titres (93 ?), ces petites échap­pées musi­cales qui libèrent la pres­sion de la voix de Var­gas, ces petites notes qui s’échappent au piano, vio­lon ou ban­donéon et qui mon­tent légère­ment dans un par­cours sin­ueux et rapi­de.

Paroles

Yo soy de Par­que Patri­cios
he naci­do en ese bar­rio,
con sus chatas, con su bar­ro…
En la humil­dad de sus calles
con cer­cos de madre­sel­vas
aprendí a enfrentar la vida…
En aque­l­los lin­dos tiem­pos
del per­cal y agua flori­da,
con gui­tar­ras en sus noches
y organ­i­tos en sus tardes.
Yo soy de Par­que Patri­cios
vie­ja bar­ri­a­da de ayer…

Bar­rio mío… tiem­po viejo…
Farol, cha­ta, luna llena,
vie­jas rejas, tren­zas negras
y un sus­piro en un bal­cón…
May­orales… cuar­teadores…
muchachadas de mis horas,
hoy retor­nan al recuer­do
que me que­ma el corazón.

Hoy todo, todo ha cam­bi­a­do
en el bar­rio, caras nuevas
y yo estoy ave­jen­ta­do…

(Mil nos­tal­gias en el alma)
Mis cabel­los flor de nieve
y en el alma mil nos­tal­gias
soy una som­bra que vive…
Recor­dan­do aque­l­los tiem­pos
que su ausen­cia me revive,
de mi cita en cin­co esquinas…
y de aque­l­los ojos claros.
Yo soy de Par­que Patri­cios
evo­cación de mi ayer…

Vic­tor Felice Letra: Car­los Lucero

Var­gas change ce qui est en gras. La phrase en rouge rem­place la plus grande par­tie du dernier cou­plet. Elle n’est pas dans le texte orig­i­nal de Car­los Lucero.

Traduction libre

Je suis de Par­que Patri­cios, je suis né dans ce quarti­er, avec ses char­i­ots, avec sa boue…
Dans l’hu­mil­ité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affron­ter la vie…
En ces beaux temps de per­cale et d’eau de Cologne (agua flori­da), avec des gui­tares dans leurs nuits et des organ­i­tos (orgues ambu­lants) dans leurs après-midis.
Je viens de Par­que Patri­cios, vieux quarti­er d’hi­er…
Mon quarti­er… le bon vieux temps…
Réver­bère, char­i­ots, pleine lune, vieux bars, tress­es noires et un soupir sur un bal­con…
Les may­orales (pré­posé aux bil­lets du tramway)… cuar­teadores (cav­a­liers aidant à sor­tir de la boue les char­i­ots embour­bés)… Les ban­des de mes heures, aujour­d’hui, elles revi­en­nent à la mémoire qui me brûle le cœur.
Aujour­d’hui, tout, tout a changé dans le quarti­er, de nou­veaux vis­ages et je suis vieux…
Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nos­tal­gies, je suis une ombre qui vit…
Me sou­venir de ces moments que son absence ravive, de mon ren­dez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs.
(Ce pas­sage n’est pas chan­té par Var­gas qui fait donc l’im­passe sur l’his­toire d’amour per­due).
Je suis de Par­que Patri­cios évo­ca­tion de mon passé…

Autres versions

La ver­sion de Var­gas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quarti­er de Par­que Patri­cios a sus­cité des nos­tal­gies et plusieurs titres en témoignent.

Yo soy de Par­que Patri­cios 1944-12-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.

Voici quelques titres qui par­lent du quarti­er :

Parque Patricios de Antonio Oscar Arona

Par­que Patri­cios 1928-09-12 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo (Anto­nio Oscar Arona (Músi­ca y letra)

Paroles de la version de Oscar Arona

Cada esquina de este bar­rio es un recuer­do
de lo mág­i­ca y risueña ado­les­cen­cia;
cada calle que des­cubre mi pres­en­cia,
me está hablan­do de las cosas del ayer…
¡Viejo bar­rio! … Yo que ven­go del asfal­to
te pre­fiero con tus calles empe­dradas
y el hechizo de tus noches estrel­ladas
que en el cen­tro no se sabe com­pren­der.

¡Par­que Patri­cios!…
Calles queri­das
hon­das heri­das
ven­go a curar…

Son­reís de mañani­ta
por los labios de las mozas
que en ban­dadas rumor­osas
van camino al taller;
sos román­ti­co en las puer­tas
y en las ven­tanas con rejas
en el dulce atarde­cer;
que se ador­nan de pare­jas
te ponés triste y som­brío
cuan­do algún mucha­cho bueno
tra­ga en silen­cio el veneno
que des­ti­la la traición
y llorás amarga­mente
cuan­do en una musiq­ui­ta
el alma de Milon­gui­ta
cruzó el bar­rio en que nació.

¡Viejo Par­que!… Yo no sé qué aira­da racha
me ale­jó de aque­l­la novia dulce y bue­na
que ahuyenta­ba de mi lado toda pena
con lo magia incom­pa­ra­ble de su amor…
Otros bar­rios mar­chi­taron sus ensueños…
¡Otros ojos y otras bocas me engañaron
el tesoro de ilu­siones me robaron
hoy mi vida, enca­de­na­do está al dolor!…

Oscar Arona

Traduction libre de la version de Oscar Arona

Chaque recoin de ce quarti­er est un rap­pel de l’ado­les­cence mag­ique et souri­ante ;
Chaque rue que décou­vre ma présence me par­le des choses d’hi­er…
Vieux quarti­er… Moi, qui viens de l’as­phalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au cen­tre-ville, ils ne peu­vent pas com­pren­dre.
Par­que Patri­cios…
Chères rues, blessures pro­fondes, je viens guérir…
Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en trou­peaux bruyants, se ren­dent à l’ate­lier ;
Tu es roman­tique dans les portes et dans les fenêtres avec des bar­reaux dans le doux couch­er de soleil ; qui se par­ent de cou­ples. Tu deviens triste et som­bre quand un bon garçon avale en silence le poi­son que la trahi­son dis­tille et tu pleures amère­ment quand, dans une petite musique, l’âme de Milon­gui­ta a tra­ver­sé le quarti­er où elle est née.
Vieux parc (Par­que Patri­cios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chas­sé tout cha­grin de mon côté avec la magie incom­pa­ra­ble de son amour…
D’autres quartiers ont flétri ses rêves…
D’autres yeux et d’autres bouch­es m’ont trompé, ils m’ont volé le tré­sor des illu­sions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…

Barrio Patricio de Juan Pecci

Bar­rio Patri­cio 1934 — Orchestre Argentin Eduar­do Bian­co (Juan Pec­ci).

Hon­nête­ment, je ne suis pas cer­tain que ce tan­go ait pour thème le même quarti­er, en l’absence de paroles. Cepen­dant, Juan Pec­ci est né dans le Sud du quarti­er San Cristo­bal à deux cuadras du quarti­er de Par­que Patri­cios, l’attribution est donc prob­a­ble. Pec­ci était vio­loniste de Bian­co avec qui il avait fait une tournée en Europe.

Barrio porteño (Parque Patricios) de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei)

Bar­rio porteño (Par­que Patri­cios) 1942-08-07 — Osval­do Frese­do Y Oscar Ser­pa
(Ernesto Nativi­dad de la Cruz Letra: Héc­tor Romual­do Demat­tei).

Frese­do est plutôt de la Pater­nal, un quarti­er situé bien plus au Nord, mais il enreg­istre égale­ment ce tan­go sur Par­que Patri­cios.
Après le départ de Ricar­do Ruiz, l’orchestre de Frese­do sem­ble avoir cher­ché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Ser­pa soit le meilleur choix pour le tan­go de danse, mais l’assemblage n’est pas mau­vais si on tient en compte que l’orchestration de Frese­do est égale­ment renou­velée et sans doute bien moins prop­ice à la danse que ses presta­tions de la décen­nie précé­dente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait per­dre un peu de son âme et la décen­nie suiv­ante et accélèr­era cet éloigne­ment du tan­go de danse. Frese­do avait la répu­ta­tion d’être un peu éli­tiste, dis­ons qu’il s’est adap­té à un pub­lic plus « raf­finé », mais moins ver­sé sur le col­lé-ser­ré des milongueros.

Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Per­doná bar­rio porteño
Que al cor­rer tu vista tan­to,
Voy ven­ci­do por la vida
Y en angus­tias sé soñar.
Vuel­vo atrás y tú en mis sienes
Mar­carás las asechan­zas,
De esta noche tor­men­tosa
De mi loco cam­i­nar.

Han pasa­do muchos años
Y es amar­gu­ra infini­ta,
La que trai­go den­tro del pecho
Desan­gra­do el corazón.
Apa­ga­da para siem­pre
De su cielo, mi estrel­li­ta,
El regre­so es un sol­lo­zo
Y una pro­fun­da emo­ción.

Mi acen­to ya no tiene
Tus tauras expre­siones,
Con que canta­ba al bar­rio
En horas del ayer.
Por eso mi gui­tar­ra
Silen­cia su armonía,
En esta noche ingra­ta
De mi triste volver.

Ernesto Nativi­dad de la Cruz Letra: Héc­tor Romual­do Demat­te

Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Par­donne-moi quarti­er portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vain­cu par la vie et dans l’an­goisse je sais rêver.
Je reviens et toi, dans mes tem­pes, tu mar­queras les pièges, de cette nuit d’or­age, de ma folle marche.
De nom­breuses années ont passé et c’est une amer­tume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saig­nant mon cœur.
Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un san­glot et une émo­tion pro­fonde.
Mon accent n’a plus tes expres­sions bravach­es, avec lesquelles je chan­tais au quarti­er aux heures d’hi­er.
C’est pourquoi ma gui­tare fait taire son har­monie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.

Parque Patricios de Antonio Radicci et Francisco Laino (Milonga)

Cette géniale milon­ga est une star des bals. Deux ver­sions se parta­gent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, con­tem­po­raine de l’autre Fran­cis­co, Lomu­to avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux por­tent par­faite­ment l’improvisation en milon­ga, com­por­tent des cuiv­res pour une sonorité orig­i­nale et si on n’est sans doute un peu plus accou­tumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.

Par­que Patri­cios 1940-10-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá (Anto­nio Radic­ci y Fran­cis­co Laino, Músi­ca y letra).
Par­que Patri­cios 1941-06-27 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz (Anto­nio Radic­ci y Fran­cis­co Laino, Músi­ca y letra)

Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mi viejo Par­que Patri­cios
queri­do rincón porteño,
bar­ri­a­da de mis ensueños
refu­gio de mi niñez.
El pro­gre­so te ha cam­bi­a­do
con su rara arqui­tec­tura,
lleván­dose la her­mo­sura
de tu bon­dad y sen­cillez.
Cuán­tas noches de ale­gría
al son de una ser­e­na­ta,
en tus casitas de lata
se vio encen­der el farol.
Y al sonar de las vigüe­las
el tai­ta de ron­co acen­to,
hil­van­a­ba su lamen­to
sin­tién­dose payador (trovador en la ver­sión de Famá).

Anto­nio Radic­ci Letra: Fran­cis­co Laino

Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mon vieux Par­que Patri­cios, cher recoin de Buenos Aires, quarti­er de mes rêves, refuge de mon enfance.
Le pro­grès t’a changé avec son archi­tec­ture étrange, t’enlevant la beauté de la bon­té et de ta sim­plic­ité.
Com­bi­en de nuits de joie au son d’une séré­nade, dans tes petites maisons de tôle se voy­ait allumer la lanterne.
Et au son des vigüe­las [sortes de gui­tares] le tai­ta [caïd] avec un accent rauque, tis­sait sa com­plainte en se sen­tant payador.

Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Viejo Par­que Patri­cios 1952 — Orques­ta Puglia-Pedroza (San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia).

Une ver­sion plutôt jolie, mais qui ne devrait pas sat­is­faire les danseurs. Con­tentons-nous de l’écouter. On pour­ra s’intéresser à la jolie presta­tion au ban­doneón de Edgar­do Pedroza.

Viejo Par­que Patri­cios 1955-04-15 — Gerón­i­mo Bon­gioni y su Autén­ti­co Cuar­te­to “Los Ases” (San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia)

La ver­sion pro­posée par Bon­gioni est bien dif­férente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrou­vera une inspi­ra­tion de Fir­po et des Uruguayens comme Rac­ciat­ti et Vil­las­boas). Même si c’est très joueur, à la lim­ite de la milon­ga, le résul­tat est sans doute assez dif­fi­cile à danser par la plu­part des danseurs.

Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Bien que les deux enreg­istrements soient instru­men­taux, il y a des paroles qui ne sem­blent cepen­dant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.

Por los cor­rales de ayer
Mis años yo pasé,
Bar­rio flori­do
Yo fui el primero
Que te can­té.
En Alcor­ta y Labardén,
Caseros y Are­na,
Bor­dé mi nido de amor.
Y en una cuadr­era
Supe ser buen ganador,
El Pibe, El Chue­co y El Inglés
Por una mujer,
Se tren­zaron en más de una vez
Con este can­tor.

Porteño soy
De las tres esquinas,
Pin­ta can­to­ra
Para un quer­er.
Nací en el Par­que Patri­cios
Sobre los viejos cor­rales de ayer.
Porteño soy
De las tres esquinas,
Y en mi juven­tud flori­da
El lecher­i­to del arra­bal,
Y como tam­bién
Un bailarín sin rival.
San­tos Bazilot­ti Letra: Anto­nio Mac­chia

Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

À tra­vers les cor­rales d’hi­er. Mes années j’ai passé. Quarti­er fleuri, j’ai été le pre­mier qui t’a chan­té.
À Alcor­ta et Labardén, Caseros et Are­na, j’ai brodé mon nid d’amour.
Et dans une course de chevaux (peut-être aus­si écurie), j’ai su être un bon gag­nant. El Pibe, El Chue­co et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte).
Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chan­tante pour un amour.
Je suis né à Par­que Patri­cios sur les anciens cor­rales d’hi­er.
Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laiti­er des faubourgs, et aus­si bien, un danseur sans rival.

Parque Patricios de Mateo Villalba et Maura Sebastián

Et pour ter­min­er avec les ver­sions, Par­que Patri­cio 2008 (Valse) par le Cuar­te­to de MateoVil­lal­ba avec la voix de Mau­ra Sebastián. C’est une com­po­si­tion de Mar­ti­na Iñíguez et de Mateo Vil­lal­ba. C’est une ver­sion légère, douce­ment val­sée et chan­tée avec des paroles dif­férentes.

Par­que Patri­cio 2008 (Valse) par le Cuar­te­to de MateoVil­lal­ba avec la voix de Mau­ra Sebastián


El Par­que de los Patri­cios

Ce quarti­er porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysag­iste français, Charles Thays.
Né à Paris en 1849, cet archi­tecte, nat­u­ral­iste, paysag­iste, urban­iste, écrivain et jour­nal­iste français a déroulé l’essentiel de sa car­rière en Argen­tine, notam­ment en dessi­nant et amé­nageant la plu­part des espaces verts de Buenos Aires, mais aus­si d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du sec­ond parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il par­tic­i­pa égale­ment à l’amélioration de la cul­ture indus­trielle de yer­ba mate (ger­mi­na­tion), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.

Le Par­que Patri­cios tel qu’il a été créé à l’o­rig­ine. Dessin de 1902.

Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre des­ti­na­tion. Nous en avons par­lé à divers­es repris­es. C’étaient les abat­toirs et la décharge d’ordures.
Beau­coup y voient le berceau du tan­go, voire de Buenos Aires. En fait, tout le ter­ri­toire actuel de la « Comu­na 4 » con­stitue le Sud (Sur), zone par­ti­c­ulière­ment prop­ice à la nos­tal­gie et notam­ment chez D’Agostino et Var­gas, qui ont pro­duit plusieurs titres évo­quant les quartiers de cette com­mune.
Le nom de Par­que Patri­cios ou Par­que de los Patri­cios a été don­né au parc par l’Intendant Bul­rich en l’honneur des Patri­cios, ce pres­tigieux batail­lon de l’armée argen­tine.

Les Patri­cios con­tin­u­ent aujour­d’hui à ani­mer la vie argen­tine, même si leur dernier engage­ment a été pour les Mal­ouines. À droite, l’u­ni­forme au début du rég­i­ment (1806–1807). À l’ex­trême droite, un offici­er.
La com­mune 4 de Buenos Aires, cor­re­spond sen­si­ble­ment au Sur « mythique » avec les quartiers très pop­u­laires de Par­que Patri­cios, Nue­va Pom­peya, Bar­ra­cas et La Boca. On pour­rait rajouter la zone inférieure de Boe­do qui appar­tient à la com­mune 5, cette zone chère à Home­ro Manzi.

Cette zone a été chan­tée dans de nom­breux tan­gos dont nous avons déjà par­lé comme :
Del bar­rio de las latas
Mano blan­ca
Tres Esquinas
El cuar­teador de Bar­ra­cas
En lo de Lau­ra
Sur
La tabla­da

Voici à quoi ressem­blait le quarti­er de Par­que Patri­cios au début du 20e siè­cle. On com­prend son surnom de bar­rio de las latas évo­qué dans le tan­go dont nous avons déjà par­lé.

Mais out­re cet habi­tat par­ti­c­ulière­ment pau­vre, la zone était égale­ment une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détri­tus de Buenos Aires.
Les ordures étaient trans­portées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.

Un mur­al repro­duisant le par­cours du train des ordures rue Oruro 1400.
El tren de la basura.

L’autre spé­cial­ité de la zone était les abat­toirs, Los Cor­rales, qui à la suite de la con­struc­tion de nou­veaux abat­toirs à Abas­to, sont devenus Los Cor­rales Viejos…

Cor­rales viejos matadero. Voir l’anecdote sur La tabla­da pour en savoir plus.

À bien­tôt les amis !

Deux détails du mur­al du train des ordures de la rue Oruro. On remar­quera que de véri­ta­bles « détri­tus » ont été util­isés, mais avec une inten­tion artis­tique évi­dente.

Una vez 1946-11-08 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo

Nous avons vu le 9 août un tan­go du même titre Una vez inter­prété par la Orques­ta Típi­ca Vic­tor dirigée par Mario Mau­ra­no avec le chant de Orte­ga Del Cer­ro. La ver­sion du jour est celle com­posée par Osval­do Pugliese et n’a donc rien à voir avec celle de Car­los Mar­cuc­ci. Je vous pro­pose d’en savoir un peu plus sur cette œuvre roman­tique et mag­nifique.

Extrait musical

Una vez 1946-11-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán (Osval­do Pugliese Letra : Cátu­lo Castil­lo).
Par­ti­tion de Una vez de Osval­do Pugliese et Cátu­lo Castil­lo. Alfre­do Gob­bi est en pho­to avec son vio­lon en haut à gauche et en bas à droite, le sourire de Mar­i­ano Mores.

Un pre­mier appel est lancé par les ban­donéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapi­de­ment, les cordes passent en pizzi­cati et Morán lance sa voix charmeuse et cares­sante. On retrou­ve donc un peu le principe de la ver­sion de Mar­cuc­ci avec la voix en con­tre­point avec les cordes. L’harmonie est cepen­dant plus tra­vail­lée, avec un enchevêtrement des par­ties plus com­plexe. Le soliste laisse par­fois la place aux instru­ments qui don­nent le motif avec leur voix pro­pre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tan­gos de danse. On pour­rait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les danseurs sont telle­ment habitués à ce type de com­po­si­tion qu’ils seraient bien frus­trés si le DJ se les inter­di­s­ait.

Paroles

Una vez fue su amor que llamó
y después sobre el abis­mo rodó,
la que amé más que a mí mis­mo fue.
Luz de su mira­da, siem­pre, siem­pre hela­da.
Sabor de sins­a­bor, mi amor,
amor que no era nada.
Pequeñez de su burla mor­daz,
una vez, sólo en la vida, una vez.

Pudo lla­marse Renée
o aca­so fuera Manón,
ya no me impor­ta quien fue,
Manón o Renée, si la olvidé…
Muchas lle­garon a mí,
pero pasaron igual,
un mal quer­er me hizo así,
gané en el perder, ya no creí.

Luz lejana y mansa
que ya no me alcan­za.
Mi voz gritó ayer,
hoy, amor, sin esper­an­za.
Una vez, fue su espina tenaz
una vez, sólo en la vida, una vez.
Osval­do Pugliese Letra : Cátu­lo Castil­lo

Traduction libre

Une fois, c’é­tait son amour qui m’ap­pelait puis vagabondait au-dessus de l’abîme, celle que j’aimais plus que moi-même.
La lumière de son regard, tou­jours, tou­jours glaciale.
Le goût sans goût, mon amour, amour qui n’é­tait rien.
La petitesse de sa moquerie mor­dante, une fois, seule­ment dans la vie, une fois.
Elle aurait pu s’ap­pel­er Renée ou peut-être que c’é­tait Manón, je m’en moque de qui c’é­tait, Manón ou Renée, si je l’ai oubliée…
Beau­coup sont venues à moi, mais elles sont passés égale­ment, un mau­vais amour m’a fait comme ça, j’ai gag­né en per­dant, je n’y croy­ais plus.
Lumière loin­taine et douce qui ne m’atteint plus.
Ma voix a crié hier, aujour­d’hui, amour, sans espoir.
Une fois, ce fut son aigu­il­lon tenace une fois, seule­ment dans la vie, une fois.

Autres versions

Con­traire­ment à la ver­sion de Car­los Mar­cuc­ci, il y a divers enreg­istrements de ce titre com­posé par Pugliese avec des paroles de Castil­lo.

Una vez 1945 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Osval­do Morel.

Un an avant Pugliese, Dona­to pro­pose son enreg­istrement. Si on retrou­ve la puis­sance de la com­po­si­tion de l’antimufa, la voix de Morel a un peu de mal à con­va­in­cre, mal­gré son prénom d’Osvaldo. Le résul­tat n’est pas vilain, mais à mon avis, ce n’est pas trop per­ti­nent pour Dona­to d’avoir voulu met­tre à son réper­toire, ce titre qui s’éloigne trop de son style, style qu’il cher­chait à mod­erniser pour rat­trap­er l’évolution.

Una vez 1946-10-31 — Orques­ta Osmar Mader­na con Pedro Dáti­la.

Précé­dant de peu la ver­sion enreg­istrée par Pugliese, celle de Mader­na avec Pedro Dáti­la est intéres­sante. Le piano de Mader­na est plus déco­ratif que celui de Pugliese et la voix de Pedro Dáti­la est expres­sive, sans doute autant que celle de Alber­to Morán, si on peut préfér­er ce dernier, c’est peut-être aus­si, car sa voix nous est plus famil­ière. Même si on préfère la ver­sion de Pugliese, celle de Mader­na est tout à fait dansante, voire plus que celle de l’auteur de la musique.

Una vez 1946-11-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán. C’est notre tan­go du jour.
Una vez 1964 — Orques­ta Ful­vio Sala­man­ca con Luis Roca.

Sala­man­ca n’a pas la répu­ta­tion de faire de la musique pour la danse et cet enreg­istrement ne con­tredi­ra pas ce fait. Cela n’interdit pas d’aimer cette ver­sion et de détester le DJ qui vous la pro­poserait en bal 😉

Una vez 1968-05-31 — Alber­to Morán accom­pa­g­né par una Orques­ta dirigée par Arman­do Cupo.

Si Cupo a fait quelques enreg­istrements intéres­sants et que le chanteur, Morán, est le même que dans la ver­sion de Pugliese (24 ans plus tard), il est dif­fi­cile de s’enthousiasmer pour cette ver­sion.

Photos

Le fait que ce soit Mores et Gob­bi sur la par­ti­tion m’a don­né l’idée de vous pro­pos­er des pho­tos de Pugliese et de Castil­lo.

Pugliese, Pugliese, Pugliese, lancé par les artistes et tech­ni­ciens du spec­ta­cle pour con­jur­er le mau­vais sort. Pugliese, antim­u­fa…
Castil­lo, Castil­lo, Castil­lo, mais là, cela n’a aucun effet antim­u­fa (anti-poisse).

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) — Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico)

Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío

En Europe, il y a une éton­nante cou­tume qui con­siste à danser la milon­ga sur n’importe quel rythme ; Chamame, pol­ka et même fox-trot. Il est prob­a­ble que cette cou­tume vient d’une mécon­nais­sance par cer­tains DJ de la var­iété des orchestres de tan­go qui pour beau­coup ont enreg­istrée, out­re des tan­gos (valses et milon­gas), des titres de Jazz (par exem­ple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont pro­posé ces airs, pen­sant qu’il s’agissait de milon­gas. Comme les danseurs n’étaient pas très fam­i­liers avec le rythme de la milon­ga, ils ont rebon­di sur la propo­si­tion et, désor­mais, c’est devenu une habi­tude bien ancrée que de danser ces dans­es dans un sim­u­lacre de milon­ga.
Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dom­mage de s’en pass­er. Alors, même si vous la dansez en « milon­ga », le prin­ci­pal est de se faire plaisir.
Le plus con­nu des fox-trots util­isés comme milon­ga est sans doute La cole­giala de Rodriguez, notam­ment la ver­sion du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins con­nu, mais assez sym­pa­thique, comme vous allez pou­voir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milon­ga for­mi­da­ble, mais assuré­ment un excel­lent fox-trot…

Extrait musical

Me vuelves loco (You’re dri­ving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) — Orques­ta Adol­fo Cara­bel­li con Alber­to Gómez (Nico).
Par­ti­tion de Me vuelves loco des édi­tions Julio Korn à gauche et de You’re dri­ving me crazy (What did I do?) à droite des édi­tions Fran­cis Day & Hunter.

Paroles

Pour une fois, je ne vais pas explor­er les paroles, car chaque ver­sion est dif­férente et je vais donc présen­ter seule­ment quelques extraits.
Pour com­mencer, le titre d’origine.

Paroles en anglais

You’re Dri­ving Me Crazy (What Did I Do?)

You left me sad and lone­ly
Why did you leave me lone­ly
For here’s a heart that’s only
For nobody but you
I’m burn­ing like a flame, dear
Oh, I’ll nev­er be the same, dear
I’ll always place the blame, dear
On nobody but you
Yes, you, you’re dri­ving me crazy
What did I do? What did I do?
My tears for you make every­thing hazy
Cloud­ing the skies of blue
How true were the friends who were near me
To cheer me, believe me, they knew
But you were the kind who would hurt me
Desert me when I need­ed you
Yes, you, you’re dri­ving me crazy
What did I do to you
Wal­ter Don­ald­son

Traduction libre de la version originale en anglais

Tu m’as lais­sé triste et seul
Pourquoi m’as-tu lais­sé seul
Car voici un cœur qui n’est
Pour per­son­ne d’autre que vous
Je brûle comme une flamme, ma chère
Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère
Je met­trai tou­jours le blâme, ma chère
Sur per­son­ne d’autre que vous
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Mes larmes pour toi ren­dent tout brumeux
Met­tant des nuages dans le ciel bleu
Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères
Pour m’en­cour­ager, crois-moi, ils savaient
Mais tu étais du genre à me faire du mal
Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que je t’ai fait ?

Quelques extraits des différentes versions en espagnol

Les paroles de Fran­cis­co Anto­nio Lío ont été, comme tou­jours, util­isées en par­tie par les orchestres. N’ayant pas trou­vé de ver­sion imprimée, je vous pro­pose des bribes extraites des dif­férentes ver­sions.

Me vuelves loco nena, con tus capri­chos vanos.
Tienes que ser más bue­na para mi corazón. […]
Bien sabes que te quiero y en cam­bio tú, queri­da _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devo­ción. […]
Loco de tan­to ado­rarte nena, ya estoy por ti. […]
Por ti estoy trastor­na­do y no hay razón para sufrir
Por tu des­dén tan­tas desven­turas hay dime que si mi amor el car­iño que yo te pro­fe­so es dicha y pasión
Mi afán es amarte con loco embe­le­so y devo­ción
Loco de tan­to ado­rarte nena ya estoy por ti.

Wal­ter Don­ald­son Letra: Fran­cis­co Anto­nio Lío

Traduction libre des extraits en espagnol

Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices.
Tu devrais être plus gen­tille avec mon cœur.
Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine.
Tout mon empresse­ment est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévo­tion.
Fou de t’ador­er autant bébé, je le suis déjà pour toi.
Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de rai­son de souf­frir.
Par ton dédain il y a tant de mal­heurs dis-moi que si mon amour, l’af­fec­tion que je pro­fesse pour toi est joie et pas­sion.
Mon empresse­ment est de t’aimer avec un fou ravisse­ment et de la dévo­tion.
Fou de tant t’ador­er bébé, je le suis déjà pour toi.

°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas iden­ti­fiés.

Autres versions

En 1930 Wal­ter Don­ald­son com­pose et écrit les paroles de You’re dri­ving me crazy qui sera dan­sé et inter­prété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musi­cale « Smiles ».
Le titre est un suc­cès et est repris par dif­férents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nom­breuses ver­sions de ce fox-trot qui est con­nu sous dif­férents noms, tra­duc­tion plus ou moins approx­i­ma­tive de You’re dri­ving me crazy.

Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Pho­to de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musi­cale de Flo­renz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.
You’re dri­ving me crazy 1930 — The New York Twelve.
You’re dri­ving me crazy (What did I do) 1930 — Lee Morse.

What did I do qui est répété trois fois dans la ver­sion anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.

You’re dri­ving me crazy! 1930-12-23 — Louis Arm­strong and His Sebas­t­ian New Cot­ton Club Orches­tra avec Les Hite’s Orches­tra.

L’enregistrement a été réal­isé à Los Ange­les le 23 décem­bre 1930 en réu­nis­sant l’orchestre de Louis Arm­strong et celui de Les Hite. Jugez de la qual­ité des musi­ciens qui com­posent ce grand orchestre de jazz.
Ban­jo : Bill Perkins
Basse : Joe Bai­ley
Per­cus­sion : Lionel Hamp­ton
Gui­tare : Bill Perkins
Piano : Jim­mie Prince
Direc­tion de l’orchestre et sax­o­phone alto et bary­ton : Les Hite
Sax­o­phone alto : Mar­vin John­son
Sax­o­phone Tenor: Char­lie Jones
Trom­bone : Luther “Son­ny” Craven
Trompette : George Oren­dorf
Trompette : Harold Scott
Trompette et chant : Louis Arm­strong

You’re dri­ving me crazy de Luis Arm­strong enreg­istré à Los Ange­les, 23 Décem­bre 1930. Édi­tion anglaise chez Par­lophone.

En 1931, le titre qui est un suc­cès en Argen­tine, est enreg­istré par dif­férents orchestres, avec des paroles de Fran­cis­co Anto­nio Lío.

Me vuelves loco (You’re dri­ving me crazy) 1931-11-02 — Orques­ta Adol­fo Cara­bel­li con Alber­to Gómez (Nico). C’est notre Fox­trot du jour.
Me estas enlo­que­cien­do 1931-11-17 — Osval­do Frese­do con Car­los Viván.
Me vuelves loco (You’re dri­ving me crazy) 1931-11-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.
Me vuelves loco 1931-11-21 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo (qui n’est pas men­tion­né sur le disque…)
Me estás enlo­que­cien­do 1932 — Sex­te­to Car­los Di Sar­li con Mer­cedes Carné.

Même Di Sar­li a enreg­istré des fox-trots…

Me vuelves loco — Fran­cis­co Canaro et Aldo Mai­et­ti.

Aldo Mai­et­ti est le représen­tant du tan­go ital­ien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enreg­istrement de 1932 les réu­nit pour une ver­sion instru­men­tale.

Aldo Mai­et­ti surnom­mé El rey del tan­go ital­iano a com­posé plusieurs cen­taines de tan­gos qui ont été inter­prétés, par exem­ple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trom­bet­ta. Par­mi ses com­po­si­tions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas con­fon­dre avec le tan­go de même nom com­posé par Vicente Gre­co avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milon­ga de Anto­nio Poli­to avec des paroles de Fran­cis­co Laino, Ami­co tan­go, Canaria, Lagri­mas per­di­das et Tris­teza en la pam­pa.

Par­mi ses com­po­si­tions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas con­fon­dre avec le tan­go de même nom com­posé par Vicente Gre­co avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milon­ga de Anto­nio Poli­to avec des paroles de Fran­cis­co Laino, Ami­co tan­go, Canaria, Lagri­mas per­di­das et Tris­teza en la pam­pa.

Le jazz

En Argen­tine, le jazz a ren­con­tré égale­ment du suc­cès, même si l’explosion du tan­go l’a estom­pé.
Dans les bals, il y avait sou­vent deux orchestres. Un pour le tan­go et un pour le jazz. Cer­tains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Cara­bel­li, Canaro, Frese­do, Rodriguez et bien d’autres.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944. On voit que, pour presque tous les événe­ments, en plus de l’orchestre de tan­go (entouré), il y a le nom d’un sec­ond orchestre, un orchestre de jazz.

Les années folles ont don­né nais­sance au jazz et au tan­go, gen­res qui trou­veront leur plein développe­ment dans les années 30–40.
Le fox-trot est une danse de cou­ple. Con­traire­ment au tan­go, il y a peu d’improvisation et les déplace­ments sont cod­i­fiés. Cela pour­rait ren­dre la danse un peu monot­o­ne, mais la musique est si entraî­nante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant.
Voici un exem­ple, un peu atyp­ique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage sué­dois Tan­go-Fox­trot de 1930. On y voit deux danseurs, Bri­ta Appel­gren et Mis­ter Alber­to le danser avec la musique de Helge Lind­berg et son orchestre (Helge Lindberg’s Poly­fonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraand­stad.
C’est un des nom­breux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.

Extrait du court-métrage sué­dois Tan­go-Fox­trot de 1930. On y voit deux danseurs, Bri­ta Appel­gren et Mis­ter Alber­to, le danser avec la musique de Helge Lind­berg et son orchestre (Helge Lindberg’s Poly­fonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraand­stad.

La prochaine fois que vous enten­drez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot…
À bien­tôt, les amis.

Symboles musicaux et danse de tango

Très peu de danseurs de tan­go lisent la musique, mais les com­po­si­tions de tan­go com­por­tent des élé­ments qui influ­ent sur la danse.
J’ai recen­sé quelques élé­ments courants dans les par­ti­tions et mis en face l’ef­fet que cela pour­rait pro­duire pour la danse.
Cet élé­ment est un extrait du chapitre 4 du cours de musi­cal­ité pour danseurs de tan­go.

Quelques motifs musicaux à repérer

La musique n’est pas une suc­ces­sion de notes de valeur égale. Nous avons vu que le mode pou­vait être majeur, mineur, que les rythmes pou­vaient être très dif­férents, qu’il y avait des moments de pause, de ralen­tisse­ment, des moments plus intens­es, plus forts et d’autres plus calmes, plus doux.
Les com­pos­i­teurs écrivent des indi­ca­tions pour les inter­prètes afin qu’ils respectent l’esprit de la musique en sor­tant d’une nota­tion musi­cale qui est d’ordre math­é­ma­tique plus qu’artistique.

Vitesse

La pre­mière indi­ca­tion est celle du tem­po, la vitesse. Cela con­cerne totale­ment les musi­ciens mais pas vrai­ment les danseurs qui doivent suiv­re le tem­po imposé par la musique. Cepen­dant, comme nous l’avons vu, les danseurs peu­vent évoluer en inter­pré­tant le rythme, sur les temps, deux fois plus vite, deux fois plus lente­ment, en faisant des paus­es. C’est en général la richesse de la com­po­si­tion musi­cale des tan­gos qui per­met la var­iété. Les danseurs peu­vent pass­er d’un instru­ment à l’autre, par exem­ple.
Sur la par­ti­tion, on peut trou­ver :
largo (« large »), lento (« lent »), ada­gio (« tran­quille »), mod­er­a­to (« mod­éré »), alle­gro (« allè­gre »), presto (« pressé »). Si la musique est lente, il serait assez mal venu quel les danseurs dansent à toute vitesse et tout autant peu com­préhen­si­ble s’ils se met­taient à faire les tortues sur une milon­ga déchaînée.
Sur la par­ti­tion, on trou­ve par­fois la men­tion rall pour ral­len­ten­do (« en ralen­tis­sant »), voire plus rarement ritard pour ritar­dan­do (« en retar­dant »).
Pour ces dernières indi­ca­tions, le cou­ple de danseurs ne le sait pas, mais il doit être atten­tif à la musique et accom­pa­g­n­er le ralen­tisse­ment en adap­tant ses mou­ve­ments.
Le cas extrême est le break où la musique s’arrête totale­ment.

Nuances

Lorsque deux per­son­nes par­lent, elles adaptent dif­férents niveaux sonores. Elles peu­vent exprimer des sen­ti­ments en vari­ant la voix, par exem­ple pour mar­quer la sur­prise, la colère, l’interrogation… Imag­inez comme il serait ennuyeux de voir une pièce de théâtre avec les acteurs qui par­leraient avec une voix mono­corde sans expres­sion.
En musique, c’est pareil. Pour éviter la monot­o­nie, les musi­ciens met­tent des nuances. Ils aug­mentent ou bais­sent le vol­ume sur des par­ties plus ou moins grandes, voire sur des notes isolées.
pp pianis­si­mo (« tout doux, presque silen­cieux »), p piano (« avec un vol­ume mod­éré »), mp mez­zo piano (« moyen­nement doux ») ; mf mez­zo forte (« moyen­nement fort »), f forte (« fort »), ff voir fff for­tis­si­mo (« très fort voire très fort ».
Les danseurs ne font pas beau­coup de bruit, mais si la musique est piano ou pianis­si­mo, il serait mal venu de faire de bruyants claque­ment de talon. La danse sera plus sou­ple et moins per­cu­tante. À l’inverse, une musique plus forte peut laiss­er libre court à des fan­taisies plus bruyantes de la part des danseurs, comme des frap­pés de pieds.
Notez qu’il existe aus­si le crescen­do et le decrescen­do qui sont respec­tive­ment une mon­tée du vol­ume et une baisse de vol­ume. Ces indi­ca­tions peu­vent aus­si don­ner lieu à inter­pré­ta­tion.
ATTENTION, un decrescen­do, éventuelle­ment accom­pa­g­né d’un ralen­tisse­ment, sert sou­vent pour annon­cer une nou­velle par­tie, ou le début de la par­tie chan­tée. C’est donc une aide pour l’improvisation.
Par­fois, le crescen­do est suivi immé­di­ate­ment d’un decrescen­do. On appelle cela un souf­flet, mais si c’est rel­a­tive­ment court, cela peut être facile­ment inter­prété, la par­tie la plus forte étant le point cul­mi­nant de la fig­ure.
Ces nuances s’appliquent par­fois à une seule note. On par­le alors d’accent. La note en ques­tion est sur­mon­tée du signe « > ».
Par­fois, le fait de rajouter une altéra­tion (dièse ou bémol) à une note lui donne une couleur par­ti­c­ulière. Les danseurs qui l’auront remar­qué pour­ront la met­tre en valeur.

Les symboles de la musique et la danse

Jamás retornarás 1942-10-09 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Miguel Caló ; Osmar Héctor Maderna (paroles et musique)

On a déjà vu des tan­gos dont le thème était l’abandon. Ici, c’est la femme qui est par­tie, prob­a­ble­ment pour acheter des cig­a­rettes et qui n’est jamais rev­enue. Miguel Caló avec son chanteur fétiche, Raúl Berón est sans doute l’orchestre qu’il fal­lait pour met­tre en ondes sonores cette com­po­si­tion de Miguel Caló et Osmar Mader­na.

Extrait musical

Jamás retornarás 1942-10-09 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón
Par­ti­tion de Jamás retornarás de Miguel Caló et Osmar Héc­tor Mader­na (paroles et musique). La par­ti­tion est dédi­cacée par Mader­na et Calo à leur ami Quin­teiro Assi (je n’ai pas trou­vé qui c’était…).

Le vio­lon com­mence en dessi­nant une longue phrase rejoint par le piano en con­traste avec des accords plaqués. Le titre est con­stru­it de cette façon par une alter­nance de pas­sages lega­to et d’autres stac­ca­to et piqués. La voix de Raúl Berón est accom­pa­g­née par le piano qui martèle un rythme très mar­qué. C’est une des par­tic­u­lar­ités de l’orchestre de Miguel Caló, une base ryth­mique puis­sante et une mélodie autonome qui la sur­v­ole. On com­par­era à ce que font D’Arienzo ou Bia­gi à la même époque, chez eux, la mélodie est sac­ri­fiée au rythme et ne s’en dis­tingue pas.

Paroles

Cuan­do dijo adiós, quise llo­rar…
Luego sin su amor, quise gri­tar…
Todos los ensueños que albergó mi corazón
(toda mi ilusión),
cayeron a peda­zos.
Pron­to volveré, dijo al par­tir.
Loco la esperé… ¡Pobre de mí!
Y hoy, que tan­to tiem­po ha tran­scur­ri­do sin volver,
sien­to que he per­di­do su quer­er.

Jamás retornarás…
lo dice el alma mía,
y en esta soledad
te nom­bro noche y día.
¿Por qué, por qué te fuiste de mi lado
y tan cru­el has destroza­do
mi corazón?
Jamás retornarás…
lo dice el alma mía
y, aunque murien­do está,
te espera sin cesar.

Cuán­to le imploré: vuelve, mi amor…
Cuán­to la besé, ¡con qué fer­vor!
Algo me decía que jamás iba a volver,
que el anochecer
en mi alma se anid­a­ba.
Pron­to volveré, dijo al par­tir.
Mucho la esperé… ¡Pobre de mí!
Y hoy, que al fin com­pren­do
la penosa y cru­el ver­dad,
sien­to que la vida se me va.
Miguel Caló ; Osmar Héc­tor Mader­na

Traduction libre

Quand elle m’a dit au revoir, j’avais envie de pleur­er…
Puis, sans son amour, j’ai eu envie de crier…
Tous les rêves que mon cœur nour­ris­sait (toutes mes illu­sions) tombèrent en miettes.
Je serai bien­tôt de retour, a‑t-elle dit en par­tant.
Fou, je l’ai atten­due… Pau­vre de moi !
Et aujour­d’hui, alors que tant de temps s’est écoulé sans retour, je sens que j’ai per­du son amour.
Tu ne revien­dras jamais…
Mon âme le dit, et dans cette soli­tude je te nomme nuit et jour.
Pourquoi, pourquoi es-tu par­tie d’à mon côté et si cru­elle­ment, tu as brisé mon cœur ?
Tu ne revien­dras jamais…
Mon âme le dit, et bien qu’elle soit mourante, elle t’attend sans cesse.
Com­bi­en je l’ai imploré : reviens, mon amour…
Com­bi­en je l’ai embrassée, avec quelle fer­veur !
Quelque chose me dis­ait qu’elle ne reviendrait jamais, que le cré­pus­cule se nichait dans mon âme.
Je serai bien­tôt de retour, a‑t-elle dit en par­tant.
Je l’ai beau­coup atten­due… Pau­vre de moi !
Et aujour­d’hui, quand je com­prends enfin la douloureuse et cru­elle vérité, je sens que la vie m’échappe.

Autres versions

Jamás retornarás 1942-10-09 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Berón. C’est notre tan­go du jour.
Jamás retornarás 1943-06-28 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

On entend tout de suite la dif­férence de style d’avec Miguel Caló. L’orchestre joue ensem­ble, sans l’opposition entre le rythme et la mélodie. Cela rend sans doute la musique moins agréable à danser pour les danseurs qui aiment avoir un rythme bien présent. Hon­nête­ment, il me sem­ble facile de com­pren­dre pourquoi c’est la ver­sion de Miguel Caló qui est passée à la postérité.

Jamás retornarás 2013 — Orques­ta Típi­ca Sans Souci con Wal­ter “Chi­no” Labor­de.

Jamás retornarás 2013 — Orques­ta Típi­ca Sans Souci con Wal­ter “Chi­no” Labor­de.

La Típi­ca Sans Souci s’est fait une spé­cial­ité de à la manière de. Ce titre est extrait d’un disque nom­mé Ac​ú​stico y Monoau­r­al. Même si on peut le trou­ver en numérique, il a été réal­isé en analogique et en mono (comme les dis­ques 78 tours de l’âge d’or). Sans Souci s’est claire­ment inspiré de la ver­sion de Caló, jusqu’au petit chapelet de notes final. Cette simil­i­tude de la musique rend étrange la voix d’el Chi­no Labor­de, un immense chanteur, mais qui me sem­ble bien moins per­ti­nent sur cette orches­tra­tion que Raúl Berón.

Le disque de Sans Souci est une volon­té de rap­pel­er les tech­niques d’en­reg­istrement de l’âge d’or.
Jamás retornarás 2013-12-05 — Orques­ta Típi­ca Andar­ie­ga con Fabián Vil­laló.

Vous allez cer­taine­ment être sur­pris. En effet, si le titre est le même, il s’agit d’une com­po­si­tion de Lui­gi Coviel­lo, directeur, arrangeur et con­tre­bassiste de l’orchestre. Vous me par­don­nerez cette facétie, j’espère.
Mal­gré cet ajout illégitime, la récolte est assez mai­gre.
Peut-être qu’un orchestre con­tem­po­rain se lancera dans l’aventure. Il y a quelques prémices, sans doute pas totale­ment con­va­in­cants.

Jamás Retornarás 2015-09-18 — Ser­gio Veloso Con Hugo Rivas y Rudi Flo­res (gui­tar­ras).

Une ver­sion en chan­son.

Jamás retornarás 2019-07-20 — Sex­te­to Andi­amo.

Une ver­sion instru­men­tale, pas vilaine, mais on s’est habitué à la ver­sion de Caló et Berón. C’est cepen­dant une assez bonne direc­tion et il me sem­ble que l’on pour­rait bien voir appa­raître une nou­velle ver­sion dans les années à venir.

C’est fini, comme je dis en fin des milon­gas en France. À bien­tôt les amis.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 — Orquesta Carlos Di Sarli

Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Shusheta ou sa vari­ante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élé­gant, avec une nuance qui peut aus­si qual­i­fi­er un mouchard. Les Dic­ta­teurs de la Décen­nie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce por­trait de ce shusheta, peint crû­ment par Cadí­camo sur la musique de Cobián n’est pas si flat­teur.

Extrait musical

Shusheta (El aristócra­ta) 1940-10-08 — Orques­ta Car­los Di Sar­li
Par­ti­tion de Shusheta « Gran tan­go de salón para piano ».

Paroles usuelles (1938)

Le tan­go a été écrit en 1920 et était donc instru­men­tal, jusqu’à ce que Cadí­camo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la ver­sion habituelle est celle déposée à la SADAIC en 1938.

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, galera y bastón…

Dicen que fue, allá por su juven­tud,
un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer.
Engalanó la puer­ta (las fies­tas) del Jock­ey Club
y en el ojal siem­pre llev­a­ba un clav­el.

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, cham­ber­go (galera) y bastón.

Apel­li­do dis­tin­gui­do,
gran señor en las reuniones,
por las damas sus­pira­ba
y con­quista­ba
sus cora­zones.
Y en las tardes de Paler­mo
en su coche se pasea­ba
y en procu­ra de un encuen­tro
iba el porteño
con­quis­ta­dor.

Ah, tiem­pos del Petit Salón…
Cuán­ta locu­ra juve­nil…
Ah, tiem­po de la
sec­ción Cham­pán Tan­go
del “Armenonville”.

Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emo­ción…
Hoy sólo quedan
recuer­dos de tu corazón…

Toda la calle Flori­da lo vio
con sus polainas, galera y bastón.
Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo

Var­gas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette par­tie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tan­go de danse.
En gras les mots chan­tés par Var­gas à la place de ceux de Cadí­camo.

Traduction libre des paroles usuelles et indications

Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne… (Polainas, c’est aus­si con­trar­iété, revers, décep­tion, Galera, c’est aus­si la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lec­tures des paroles, ce que con­firme la ver­sion, orig­i­nale, plus noire. Pré­cisons toute­fois que la par­ti­tion déposée à la SADAIC indique cham­ber­go, cha­peau. Ce serait donc Var­gas qui aurait adap­té les paroles).
On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’an­tan.
Il déco­rait la porte (Var­gas chante les fêtes) du Jock­ey Club et por­tait tou­jours un œil­let à la bou­ton­nière.
Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne.
Un nom de famille dis­tin­gué, un grand seigneur dans les réu­nions, il soupi­rait pour les dames et con­quérait leurs cœurs.
Et les après-midi de Paler­mo, il se prom­e­nait dans sa voiture à la recherche d’un ren­dez-vous, ain­si allait le porteño con­quérant.
Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tan­gos s’appellent Petit Salón, dont un de Vil­lo­do [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demar­co né en 1912 et qui n’a sans doute pas con­nu le Petit Salón).

Com­bi­en de folie juvénile…
Ah, c’est l’heure du Tan­go Cham­pagne de l’Ar­menonville.
Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’é­mo­tion…
Aujour­d’hui, il ne reste que des sou­venirs de ton cœur…
Toute la rue Flori­da l’a vu avec ses guêtres, son cha­peau et sa canne

Premières paroles (1934)

Ces paroles n’ont sem­ble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Rus­so, Cadí­camo les aurait écrites en 1934.
Cette ver­sion n’a été enreg­istrée que par Osval­do Ribó accom­pa­g­né à la gui­tare par Hugo Rivas.
On notera qu’elles men­tion­nent shusheta, ce que ne fait pas la ver­sion de 1938 :

Pobre shusheta, tu tri­un­fo de ayer
hoy es la causa de tu pade­cer…
Te has apa­gao como se apa­ga un can­dil
y de sha­cao sólo te que­da el per­fil,
hoy la vejez el armazón te ha aflo­jao
y parecés un ban­doneón desin­flao.
Pobre shusheta, tu tri­un­fo de ayer
hoy es la causa de tu pade­cer.

Yo me acuer­do cuan­do entonces,
al influ­jo de tus guiyes,
te mima­ban las minusas,
las más papusas
de Armenonville.
Con tu smok­ing relu­ciente
y tu pin­ta de alto ran­go,
eras rey bai­lan­do el tan­go
tenías patente de gigoló.

Madam Gior­get te supo dar
su gran amor de gigo­let,
la Ñata Inés te hizo soñar…
¡y te empeñó la vuaturé !
Y te acordás cuan­do a Renée
le regalaste un reló
y al otro día
la fulería
se paró.
Juan Car­los Cobián Letra: Enrique Cadí­camo

Traduction libre de la première version de 1934

Pau­vre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en lun­far­do, voire un “petit maître”), ton tri­om­phe d’hi­er est aujour­d’hui la cause de tes souf­frances…
Tu t’es éteint comme s’éteint une chan­delle et de sha­cao (je n’ai pas trou­vé la référence) il ne te reste que le pro­fil, aujour­d’hui la vieil­lesse t’a relâché le squelette et tu ressem­bles à un ban­donéon dégon­flé.
Pau­vre shusheta, ton tri­om­phe d’hi­er est aujour­d’hui la cause de ta souf­france.
Je me sou­viens qu’alors, sous l’in­flu­ence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Ar­menonville.
Avec ton smok­ing bril­lant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tan­go, tu tenais un brevet de gigo­lo.
Madame Gior­get a su vous don­ner son grand amour de gigo­lette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un étab­lisse­ment de San­ti­a­go, au Chili, appré­cié par Pablo Neru­da) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabat­table à deux portes. Pronon­ci­a­tion à la française.) en gage !
Et tu te sou­viens quand tu as offert une mon­tre à Renée (sans doute une Française…) et que le lende­main les choses se sont arrêtées.

Dans El mis­te­rio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le jour­nal chilien Las Últi­mas Noti­cias du 15 juil­let 2006, s’interroge sur ce qu’était réelle­ment la Ñata Inés. Sans doute un étab­lisse­ment mixte pou­vant aller de la scène à la pros­ti­tu­tion, comme les étab­lisse­ments de ce type en Argen­tine.

D’Agostino et la censure

Vous l’aurez com­pris, le terme Shusheta qui peut qual­i­fi­er un « mouchard » a fait que le tan­go a été cen­suré et qu’il a dû chang­er de nom.
En effet, pour éviter la cen­sure, D’Agostino a demandé à Cadí­camo une ver­sion expurgée que je vous pro­pose ci-dessous.
On notera toute­fois que la ver­sion chan­tée en 1945 par Var­gas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débar­rassée du titre polémique au prof­it du plus neu­tre El aristócra­ta. C’est la rai­son pour laque­lle, les ver­sions d’avant 1944 (la cen­sure a com­mencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócra­ta. Aujourd’hui, on donne sou­vent les deux titres, ensem­ble ou indif­férem­ment. On trou­ve aus­si par­fois El ele­gante.

Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Hoy quien te ve…
en fal­sa escuadra y cha­cao,
toman­do sol con un nieti­to a tu lao.
Vos, que una vez romp­iste un cabaré,
hoy, reti­rao… ni amor, ni guer­ra querés.

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Te apod­a­ban el shusheta
por lo bien que te vestías.
Peleador y calav­era
a tu man­era te divertías…
Y hecho un dandy, medio en copas,
en los altos del Casi­no
la pato­ta te aclam­a­ba
sí milongue­abas un buen gotán.

Ah, tiem­po del Petit Salón,
cuán­ta locu­ra juve­nil…
Ah, tiem­po aquel de la Sec­ción
Cham­pán-Tan­go de Armenonvil.
Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emo­ción.
Hoy solo quedan
recuer­dos en tu corazón.

Toda la calle Flori­da te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Traduction libre de la version de 1944

Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.
Aujour­d’hui, qui te voit…
Avec une pochette fac­tice et cha­cao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés.
Toi, qui as autre­fois dévasté un cabaret, tu prends aujour­d’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre.
Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.
On te surnom­mait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais.
Bagar­reur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé…
Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hau­teurs (galeries) du Casi­no, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tan­go en ver­lan).
Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile…
Ah, cette époque de la sec­tion Cham­pagne-Tan­go de l’Ar­menonville.
Tout est passé comme un instant fugace et plein d’é­mo­tion.
Aujour­d’hui, il ne reste que des sou­venirs dans ton cœur.
Toute la rue Flori­da t’a vu avec tes guêtres, ton cha­peau et ta canne.

Autres versions

Shusheta 1923-03-27 — Orques­ta Juan Car­los Cobián.

Le pre­mier enreg­istrement, par le com­pos­i­teur, Juan Car­los Cobián. C’est bien sûr une ver­sion instru­men­tale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.

Shusheta (El aristócra­ta) 1940-10-08 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.
El aristócra­ta (El Shusheta) 1945-04-05 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.

Cette ver­sion, sans doute la plus con­nue, utilise les paroles non cen­surées de 1938. Le titre a été mod­i­fié pour éviter la cen­sure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pou­vait irrit­er un censeur très sus­picieux, le texte n’était pas si sub­ver­sif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Var­gas a demandé les paroles cen­surées, puis y a renon­cé, peut-être en ayant acquis la cer­ti­tude que la cen­sure n’interdirait pas ce titre. Var­gas a apporté de très légères mod­i­fi­ca­tions au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de cen­sure, ces mod­i­fi­ca­tions étant anodines.

Shusheta 1951-05-30 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion éton­nante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pour­rait bien se venger d’un DJ qui la dif­fuserait en milon­ga. Je n’ai pas dit qu’il fal­lait jeter cet enreg­istrement, juste le réserv­er pour l’écoute.

El aristócra­ta (Shusheta) 1952 — Juan Poli­to y su Orques­ta Típi­ca.

L’ancien com­plice de D’Arienzo a ses débuts et de nou­veau, quand il a rem­placé Biag­gi qui venait de se faire vir­er, pro­pose une ver­sion nerveuse et ma foi sym­pa­thique de Shusheta. La ryth­mique pour­rait décon­cen­tr­er des danseurs très habitués à d’autres ver­sions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on con­naît un peu le titre avec les facéties de Poli­to au piano. On se sou­vient que quand il avait rem­placé Bia­gi, il avait con­tin­ué les fior­i­t­ures de son prédécesseur. Là, ces orne­men­ta­tions sont bien per­son­nelles et ne doivent rien à Bia­gi.

Shusheta (El aristócra­ta) 1957-08-30 — Ángel Var­gas y su Orques­ta dirigi­da por Edelmiro “Toto” D’A­mario.

Var­gas fait cav­a­lier seul, sans D’Agostino. Je vous con­seille de vous sou­venir plutôt de la ver­sion de 1945.

Shusheta (El Ele­gante) 1970 — Osval­do Pugliese con cuer­das arreg­los de Mauri­cio Mar­cel­li.

Une ver­sion des­tinée à l’écoute, au con­cert.

Shusheta 2019-08-28 ou 29 – Sex­te­to Cristal.

Je vous pro­pose d’arrêter là, il existe bien d’autres ver­sions, mais rien qui puisse faire oubli­er les mer­veilleuses ver­sions de D’Agostino et Var­gas et celle de Di Sar­li.

La cumparsita 1951-09-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Gerardo Hernán Matos Rodríguez; (Roberto Firpo) Letra : Pascual Contursi ; Enrique Pedro Maroni ; Gerardo Hernán Matos Rodríguez

S’il est un air que vous avez for­cé­ment enten­du, c’est à coup sûr La cumpar­si­ta. En effet, ce thème com­mence toutes les milon­gas tra­di­tion­nelles et ter­mine la plu­part des milon­gas dans le monde. Il était donc impor­tant de faire une anec­dote sur La cumpar­si­ta, mais c’est là que les dif­fi­cultés com­men­cent. J’ai plus de 800 cumpar­si­tas et il me fal­lait choisir.

Une expres­sion de lun­far­do témoigne du suc­cès de ce thème « más remanya­do que la cumpar­si­ta » (plus con­nu que la cumpar­si­ta…).

Cet air a grand suc­cès a été enreg­istré des cen­taines de fois et tous les orchestres de tan­go l’ont à leur réper­toire. Il me fal­lait donc choisir une ver­sion pour l’anecdote du jour qui soit un peu emblé­ma­tique, car je pou­vais presque trou­ver un enreg­istrement du titre pour chaque jour de l’année.
Cepen­dant, dans cette énorme pro­duc­tion, il faut bien sûr faire du tri. Sup­primer tout ce qui n’est pas du tan­go tra­di­tion­nel et donc élim­in­er les ver­sions en cumbia, rock, tan­go musette, per­cus­sions, a capel­la, valse (même si j’ai plusieurs ver­sions que je passe par­fois) et autres rythmes.
J’ai fait le choix d’un tan­go de danse, ce qui élim­ine une bonne moitié des ver­sions restantes après la pre­mière sélec­tion. Dans les 161 ver­sions restantes, il con­ve­nait de choisir les meilleures. Comme je passe deux cumpar­si­tas dans chaque milon­ga, une au début et une à la fin et que je n’aime pas faire de dou­blons trop rap­prochés, j’ai un peu creusé dans ce stock. Il en restait encore trop pour une anec­dote où je me suis fixé la lim­ite de 30 titres.
La semaine dernière, Thier­ry, mon cor­recteur m’a demandé quelque chose sur la cumpar­si­ta et pour lui faire plaisir, j’ai choisi la pre­mière date ayant une belle ver­sion et c’est donc tombé sur la ver­sion de 1951 de D’Arienzo, une ver­sion enreg­istrée le 12 sep­tem­bre, il y a exacte­ment, 73 ans.
D’Arienzo a joué des mil­liers de fois ce titre et l’a enreg­istré au moins 8 fois. J’ai donc décidé de lim­iter cette anec­dote aux ver­sions de D’Arienzo. Ne pleurez pas et pour ceux qui me suiv­ent durant mon pas­sage en Europe, je promets de ne pas pass­er deux fois la même cumpar­si­ta. Il me reste 11 milon­gas à ani­mer avant de ren­tr­er à Buenos Aires, cela fait 22 cumpar­si­tas dif­férentes. Cer­taines sont sub­limes !

Extrait musical

La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La joyeuse troupe des amis de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez défile sur la cou­ver­ture de droite. Ils sont cités en haut de la par­ti­tion. À droite Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez devant sa par­ti­tion chez un édi­teur de par­ti­tions. On notera que les joyeux fêtards sont rem­placés par une femme masquée. Le masque peut évo­quer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aus­si évo­quer une voi­lette de deuil, celui que décrit Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez dans sa ver­sion des paroles.

Paroles

Cette ver­sion de D’Arienzo est instru­men­tale, mais il l’a enreg­istrée deux fois avec des chanteurs et dans l’immense réper­toire, il en existe plusieurs dizaines de ver­sions chan­tées. Il me sem­blait donc logique de vous don­ner les paroles. J’ai retenu les deux ver­sions prin­ci­pales, celle de Pas­cual Con­tur­si et Enrique Pedro Maroni d’une part et celle de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez qui est l’auteur de l’idée orig­i­nale et donc ici, en plus de paroles.

Paroles de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si supieras,
que aún den­tro de mi alma,
conser­vo aquel car­iño
que tuve para ti…
Quién sabe si supieras
que nun­ca te he olvi­da­do,
volvien­do a tu pasa­do
te acor­darás de mí…

Los ami­gos ya no vienen
ni siquiera a vis­i­tarme,
nadie quiere con­so­larme
en mi aflic­ción…
Des­de el día que te fuiste
sien­to angus­tias en mi pecho,
decí, per­can­ta, ¿qué has hecho
de mi pobre corazón?

Sin embar­go,
yo siem­pre te recuer­do
con el car­iño san­to
que tuve para ti.
Y estás en todas partes,
peda­zo de mi vida,
y aque­l­los ojos que fueron mi ale­gría
los bus­co por todas partes
y no los puedo hal­lar.

Al cotor­ro aban­don­a­do
ya ni el sol de la mañana
aso­ma por la ven­tana
como cuan­do estabas vos,
y aquel per­ri­to com­pañero,
que por tu ausen­cia no comía,
al verme solo el otro día
tam­bién me dejó…
Pas­cual Con­tur­si; Enrique Pedro Maroni

Traduction libre et indications de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si seule­ment tu savais que, même dans mon âme, je garde cette affec­tion que j’avais pour toi…
Qui sait si tu savais que je ne t’ai jamais oubliée, en revenant à ton passé tu te sou­vien­dras de moi…
Les amis ne vien­nent même plus me ren­dre vis­ite, per­son­ne ne veut me con­sol­er dans mon afflic­tion…
Depuis le jour où tu es par­tie, j’ai ressen­ti de l’an­goisse dans ma poitrine, j’ai dit, ma chérie, qu’as-tu fait de mon pau­vre cœur ?
Cepen­dant, je me sou­viens tou­jours de toi avec la sainte affec­tion que j’avais pour toi.
Et tu es partout, morceau de ma vie, et ces yeux qui étaient ma joie, je les cherche partout et je ne peux pas les trou­ver.
Au per­ro­quet aban­don­né, même le soleil du matin ne se penche pas à la fenêtre comme il le fai­sait lorsque tu étais là, et ce petit chien, com­pagnon, qui à cause de ton absence ne mangeait pas, à me voir seul l’autre jour, lui aus­si m’a quit­té…

Paroles de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa
de mis­e­rias sin fin
des­fi­la,
en torno de aquel ser
enfer­mo,
que pron­to ha de morir
de pena.
Por eso es que en su lecho
sol­loza acon­go­ja­do,
recor­dan­do el pasa­do
que lo hace pade­cer.

Aban­donó a su vieji­ta.
Que quedó desam­para­da.
Y loco de pasión,
ciego de amor,
cor­rió
tras de su ama­da,
que era lin­da, era hechicera,
de lujuria era una flor,
que burló su quer­er
has­ta que se can­só
y por otro lo dejó.

Largo tiem­po
después, cayó al hog­ar
mater­no.
Para poder curar
su enfer­mo
y heri­do corazón.
Y supo
que su vieji­ta san­ta,
la que él había deja­do,
el invier­no pasa­do
de frío se murió

Hoy ya solo aban­don­a­do,
a lo triste de su suerte,
ansioso espera la muerte,
que bien pron­to ha de lle­gar.
Y entre la triste fri­al­dad
que lenta invade el corazón
sin­tió la cru­da sen­sación
de su mal­dad.

Entre som­bras
se le oye res­pi­rar
sufri­ente,
al que antes de morir
son­ríe,
porque una dulce paz le lle­ga.
Sin­tió que des­de el cielo
la madrecita bue­na
mit­i­gan­do sus penas
sus cul­pas per­donó.
Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez

Traduction libre et indications de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa des mis­ères sans fin défile, autour de cet être malade, qui va bien­tôt mourir de cha­grin.
C’est pourquoi, dans son lit, il san­glote d’an­goisse, se rap­pelant le passé qui le fait souf­frir.
Il aban­don­na sa vieille mère.
Qu’il avait lais­sée désem­parée.
Et fou de pas­sion, aveu­gle d’amour, il courait après sa bien-aimée, qui était jolie, qui était sor­cière, avec con­voitise elle était une fleur, qui se moquait de son amour jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée et le quitte pour un autre.
Longtemps plus tard, il est tombé dans la mai­son de sa mère pour pou­voir guérir son cœur malade et blessé.
Et il sut que sa sainte vieille mère, celle qu’il avait quit­tée, était morte l’hiv­er dernier de froid
Aujour­d’hui seul, aban­don­né, à la tristesse de son sort, anx­ieux, il attend la mort, qui ne tardera pas à arriv­er.
Et au sein de la triste froideur qui envahit lente­ment le cœur, il ressen­tait la cru­elle sen­sa­tion brute de sa mau­vaiseté.
Dans l’om­bre, on l’en­tend respir­er avec souf­france, à qui avant de mourir, il sourit, parce qu’une douce paix lui vient.
Il sen­tait que depuis le ciel, la bonne petite mère, atténu­ait ses cha­grins et lui par­don­nait ses péchés.
Aucune de deux ver­sions des paroles est gaie, mais les paroles de la ver­sion de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez vont encore plus loin dans le pathos. Peut-être un peu trop loin…

Autres versions

Je vais me lim­iter aux seules ver­sions enreg­istrées par D’Arienzo pour les présen­ta­tions d’enregistrements. Cela me don­nera l’occasion d’en repar­ler à pro­pos d’autres enreg­istrements par d’autres orchestres…
Voici les 8 ver­sion par D’Arienzo :

La cumpar­si­ta 1928 — Raquel Notar con acomp. de Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta (Si supieras) 1928 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Car­los Dante.
La cumpar­si­ta 1937-12-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. C’est notre ver­sion du jour.
La cumpar­si­ta 1963-12-10 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1971-12-07 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1972 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. Enreg­istrement à la télévi­sion.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez (“Becho”) fait sa publicité

Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez a refusé l’offre de Rober­to Fir­po qui voulait que les deux noms soient sur la par­ti­tion (Fir­po-Matos). Fir­po a fait pass­er la com­po­si­tion orig­i­nale d’une marche com­posée pour une com­parsa (défilé dans un car­naval) à un tan­go. Il a aus­si réal­isé la pre­mière représen­ta­tion, au café La Giral­a­da de Mon­te­v­ideo. C’est la rai­son pour laque­lle j’ai rajouté Fir­po en vert dans le sous-titre…

Le Café la Giral­da en 1918. C’est là qu’a été lancée la Cumpar­si­ta, inter­prétée par Rober­to Fir­po.

Cette presta­tion de Fir­po est sig­nalée sur le café La Giral­da par trois plaques com­mé­mora­tives. Elle est asso­ciée à la com­po­si­tion de Matos.

Les plaques com­mé­mora­tives sur le mur du café La Giral­da.
La cumpar­si­ta, un film de Anto­nio Mom­plet sor­ti le 28 août 1947. Ver­sion inté­grale !

La cumpar­si­ta est un film sor­ti le 28 août 1947. Il est à la gloire de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, sur une idée de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez et avec des musiques de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, par­mi lesquelles :

  • La cumpar­si­ta
  • Che, papusa, (avec Cadicamo)
  • El ros­al (Avec Romero)
  • San Tel­mo
  • Mocosi­ta.

D’autres auteurs, il y a égale­ment

  • El choclo (Vil­lol­do et Catan)
  • El tai­ta del arra­bal (Romero)
  • El entr­erri­ano (Men­diz­a­bal)
  • Vea, Vea (Rober­to Fir­po et Car­los Waiss)
  • Gar­u­fa (Col­la­zo, Fontaina et Soli­no)
  • Apache argenti­no (Gar­cia et Brameri)

Donc, qua­si­ment la moitié de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez.
Le film est dirigé par Anto­nio Mom­plet avec Nel­ly Darén, Aída Alber­ti, José Olar­ra et l’incontournable Hugo del Car­ril

Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, étu­di­ant en archi­tec­ture et com­pos­i­teur…

Vous voulez en savoir plus ?

Il existe une mul­ti­tude de faits, his­toires, légen­des, fan­tasmes autour de La cumpar­si­ta. C’est un mon­u­ment auquel il faut beau­coup de tra­vail pour y met­tre un peu d’ordre. Cepen­dant, je vous con­seille l’article de Wikipé­dia qui lui est con­sacré, il est excel­lent :
Mer­ci à Thier­ry qui me l’a indiqué.

https://es.wikipedia.org/wiki/La_cumparsita

et bien sûr, l’article de Todo Tan­go qui sert de base à la plu­part des autres pub­li­ca­tions…

https://www.todotango.com/historias/cronica/90/La-cumparsita

La cumpar­si­ta. La joyeuse bande d’étudiants, défi­lant sur la musique de marche, se trans­forme en une marée de lourds spec­tres avec les paroles de La cumpar­si­ta et notam­ment celles de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez.

Vous avez peut-être été éton­nés de l’image de cou­ver­ture. Elle évoque une des par­ti­tions, dédi­cacée à ses amis. Mais les paroles, tristes, voire trag­iques m’ont incitées à trou­bler la fête en don­nant des allures de spec­tres aux fêtards.

Pedacito de cielo 1942-09-02 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Enrique Francini; Héctor Stamponi Letra: Homero Expósito

J’adore les valses et comme c’est le jour de me faire un cadeau, je m’en offre une enreg­istrée un 2 sep­tem­bre. Il s’agit de « Pedac­i­to de cielo ». Il existe beau­coup de ver­sions de ce petit coin de ciel, de par­adis per­du. Celle du jour est une des plus belles. Elle a été réal­isée par Miguel Caló con Alber­to Podestá, mais nous écouterons mon autre préférée, celle enreg­istrée 16 jours plus tard par Aníbal Troi­lo et Fran­cis­co Fiorenti­no.

Extrait musical

Pedac­i­to de cielo 1942-09-02 — Orques­ta Miguel Caló con Alber­to Podestá.
Deux ver­sions de la cou­ver­ture de la par­ti­tion enca­drent la par­ti­tion pour piano.

Si l’orchestre de Calo s’est appelé celui des étoiles, ce n’est pas un hasard, il avait sélec­tion­né des musi­ciens de tout pre­mier plan, comme Enrique Franci­ni vio­loniste et Héc­tor Stam­poni pianiste, les deux com­pos­i­teurs, même si à l’époque de l’enregistrement Stam­poni avait quit­té l’orchestre, rem­place par Osmar Mader­na.
On enten­dra un mer­veilleux solo de vio­lon par l’auteur (à 35s), Franci­ni, et plus dis­cret, sauf à la fin, son com­père ban­donéon­iste Arman­do Pon­tier. Mader­na, Pon­tier et Franci­ni se parta­gent la vedette avec Podestá.

Paroles

La casa tenía una reja
pin­ta­da con que­jas
y can­tos de amor.
La noche llen­a­ba de ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo bal­cón…
Recuer­do que entonces reías
si yo te leía
mi ver­so mejor
y aho­ra, capri­cho del tiem­po,
leyen­do esos ver­sos
¡llo­ramos los dos!

Los años de la infan­cia
pasaron, pasaron…
La reja está dormi­da de tan­to silen­cio
y en aquel pedac­i­to de cielo
se quedó tu ale­gría y mi amor.
Los años han pasa­do
ter­ri­bles, mal­va­dos,
dejan­do esa esper­an­za que no ha de lle­gar
y recuer­do tu gesto travieso
después de aquel beso
roba­do al azar…

Tal vez se enfrió con la brisa
tu cál­i­da risa,
tu límp­i­da voz…
Tal vez escapó a tus ojeras
la reja, la hiedra
y el viejo bal­cón…
Tus ojos de azú­car que­ma­da
tenían dis­tan­cias
doradas al sol…
¡Y hoy quieres hal­lar como entonces
la reja de bronce
tem­b­lan­do de amor!…

Enrique Franci­ni; Héc­tor Stam­poni Letra: Home­ro Expósi­to

Traduction libre

La mai­son avait une clô­ture peinte de plaintes et de chan­sons d’amour.
La nuit rem­plis­sait de cernes, la clô­ture, le lierre et le vieux bal­con…
Je me sou­viens qu’à l’époque tu riais si je te lisais mes meilleurs vers et main­tenant, caprice du temps, en lisant ces mêmes vers, nous pleu­rons tous les deux !
Les années de l’en­fance sont passées, passées…
La clô­ture est endormie de tant de silence et dans ce petit coin de ciel sont restés ta joie et mon amour.
Les années ont passé ter­ri­bles, méchantes, lais­sant cet espoir qui ne vien­dra jamais et je me sou­viens de ton geste espiè­gle après ce bais­er volé au hasard…
Peut-être que ton rire chaleureux, ta voix limpi­de se sont refroidis avec la brise…
Peut-être que la clô­ture, le lierre et le vieux bal­con ont échap­pé à tes cernes…
Tes yeux de sucre brûlé avaient des dis­tances dorées au soleil…
Et aujour­d’hui tu veux retrou­ver comme avant la grille de bronze trem­blante d’amour !…

Autres versions

Il y a deux ver­sions par­faites pour la danse et qui datent de l’âge d’or du tan­go. Les voici.

Pedac­i­to de cielo 1942-09-02 — Orques­ta Miguel Caló con Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.
Pedac­i­to de cielo 1942-09-18 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no.

Il y a beau­coup d’autres ver­sions, sans doute pas autant que le nom­bre de bou­gies qui m’attend, mais je com­pléterai sans doute la liste un de ces jours…

Sachez juste qu’il y a aus­si un tan­go du même titre qui a été com­posé par José Martínez et que l’on con­naît surtout par la belle ver­sion de1927 par Age­si­lao Fer­raz­zano que voici :

Pedac­i­to de cielo 1927-05-11 — Orques­ta Age­si­lao Fer­raz­zano. Un petit cadeau pour ceux qui n’ai­ment pas les valses (les pau­vres).

À bien­tôt, les amis.

Prisionero 1943-08-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Au sujet de cette valse bien sym­pa­thique, avec une intro­duc­tion un peu plus longue que la moyenne, je pen­sais faire un petit encart sur le dia­pa­son, jus­ti­fié par le change­ment effec­tué à cette époque par Bia­gi. À cause des réac­tions sur le sujet, je vais me con­cen­tr­er sur le dia­pa­son pour cette anec­dote. Nous voilà prêts à accorder nos vio­lons…

Extrait musical et autre version

Je vous donne ici, les deux prin­ci­paux enreg­istrements de cette valse. Celui de Bia­gi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.

Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Alber­to Amor

D’un point de vue tech­nique, cet enreg­istrement est sans doute le dernier enreg­istré avec le dia­pa­son à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Bia­gi s’accordera à 440Hz.
Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le pre­mier enreg­istrement en 440Hz par Bia­gi. D’Arienzo a‑t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est impor­tant pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écou­tons plutôt les dif­férences styl­is­tiques entre les deux ver­sions, c’est plus pas­sion­nant à mon goût.

Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

On remar­que tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue intro­duc­tion de Bia­gi. C’est clas­sique chez D’Arienzo qui aime bien ren­tr­er directe­ment dans le feu de la danse.
Le rythme est en revanche plus lent. Mal­gré l’absence des 21 sec­on­des d’introduction de la ver­sion de Bia­gi, la ver­sion de D’Arienzo fait 6 sec­on­des de plus. S’il avait joué au même rythme que Bia­gi, sa ver­sion aurait total­isé 21 sec­on­des de moins. Ce sont donc 27 sec­on­des de dif­férence, c’est beau­coup et beau­coup plus que le pas­sage de 435 à 440 Hz dans la dif­férence de sen­sa­tion 😉

Petit jeu

Je me suis « amusé » à trafi­quer les deux enreg­istrements de la façon suiv­ante :

  • J’ai enlevé l’introduction de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Alber­to Amor (SIN INTRO)
  • J’ai accéléré la ver­sion de D’Arienzo pour la met­tre au même rythme que celle de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (ACCÉLÉRÉE)

Vous pou­vez donc com­par­er les deux ver­sions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sac­rilège, car D’Arienzo a volon­taire­ment enreg­istré une ver­sion plus lente, mais cela me sem­ble intéres­sant pour bien sen­tir les dif­férences d’orchestrations sur la même par­ti­tion.

  • Et comme je ne suis pas avare de fan­taisies, je vous pro­pose main­tenant une ver­sion mixte com­prenant la ver­sion de Bia­gi sans l’introduction dans le canal de gauche et la ver­sion de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remar­quera que le mélange n’est pas si déton­nant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un sys­tème stéréo, voire au casque.
Pri­sionero. Com­para­i­son des deux ver­sions à la même vitesse et syn­chro­nisées.

Pri­sionero. Ver­sion de Bia­gi sans intro­duc­tion, dans le canal de gauche. Ver­sion de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.

Si vous avez appré­cié le petit jeu, vous pou­vez avoir un autre par­ti­c­uli­er dans le dernier chapitre de cette anec­dote, sur les dia­pa­sons. Un truc qui régale cer­tains spé­cial­istes, ce que je ne suis pas.

Paroles

Libre es el vien­to
Que doma la dis­tan­cia,
Baja a los valles
Y sube a las mon­tañas.
Libre es el agua
Que se despeña y can­ta,
Y el pájaro fugaz
Que surge de ver
Una azul inmen­si­dad…

Libre es el potro
Que al vien­to la mele­na,
Huele a las flo­res
Que es mata en la pradera.
Libre es el cón­dor
Señor de su cimera,
Yo que no sé olvi­dar
Escla­vo de un dolor
No ten­go lib­er­tad…

Loco y cau­ti­vo
Car­ga­do de cade­nas,
Mi oscu­ra cár­cel
Me mata entre sus rejas.
Soy pri­sionero
De incur­able pena,
Pre­so al recuer­do
De mi per­di­do bien.

Nada me pri­va
De andar por donde quiero,
Pero no puedo
Librarme del dolor.
Y pese a todo
Soy pri­sionero,
De los recuer­dos
Que guar­da el corazón.
Julio Car­res­sons Letra: Car­los Bahr (Car­los Andrés Bahr)

Traduction libre

Libre est le vent qui dompte la dis­tance, descend dans les val­lées et grav­it les mon­tagnes.
Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immen­sité bleue…
Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hau­teur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pouss­er, mais il y a peut-être mieux à faire…).
Libre est le con­dor, seigneur de son som­met, moi qui ne sais pas oubli­er, esclave d’une douleur, je n’ai pas de lib­erté…
Fou et cap­tif, chargé de chaînes, ma prison som­bre me tue der­rière les bar­reaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un dis­cret jeu de mots).
Je suis pris­on­nier d’un cha­grin incur­able, empris­on­né dans la mémoire de mon bien per­du.
Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’ar­rive pas à me libér­er de la douleur.
Et mal­gré tout, je suis pris­on­nier des sou­venirs que le cœur garde.

Mettons-nous au diapason…

Le dia­pa­son est la fréquence de référence qui per­met que tous les musi­ciens d’un orchestre jouent de façon har­monieuse.
Vous avez en tête les séances d’accordage qui précè­dent une presta­tion.
Le principe est sim­ple. On prend pour référence l’instrument le moins accord­able rapi­de­ment, par exem­ple le piano qui est accordé avant le con­cert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps.
En l’absence de piano, les orchestres clas­siques se calent sur le haut­bois, celui du « pre­mier haut­bois ». Ensuite, ses voisins, les autres instru­ments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes.
Je vous pro­pose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remar­quera que c’est bien le haut­bois qui y donne le La3.

Instal­la­tion inter­ac­tive “Sous-ensem­ble” de Thier­ry Fournier — Enreg­istrement de l’ac­cord pour chaque instru­ment.

La note de référence doit pou­voir être jouée par tous les instru­ments. Dans les con­certs où il y a des instru­ments anciens, on est par­fois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une ten­sion exagérée des cordes sur des instru­ments frag­iles.
En général, cela est défi­ni à l’avance et on accorde le piano en con­séquence avant le con­cert.
La note de référence est générale­ment un La, le La3 (situé entre la deux­ième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturelle­ment sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les vio­lons et altos, c’est la sec­onde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regar­dant le vio­lon de face. Les musi­ciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par com­para­i­son avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précé­dente et vous savez tout cela.
Dans le cas du tan­go, le piano est générale­ment la base, mais quand c’est pos­si­ble, on se cale sur le ban­donéon qui n’est pas accord­able pour régler le piano.
En effet, la note de référence, si c’est en principe tou­jours le La3, n’a pas la même hau­teur selon les épo­ques et les régions.

Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle

Je vous pro­pose trois élé­ments pour juger du débat qui ani­me tou­jours les musi­ciens d’aujourd’hui… C’est un exem­ple français, mais à voca­tion large­ment européenne par les élé­ments traités et l’accueil fait aux deman­des de la com­mis­sion ayant établi le rap­port.

  • Un rap­port étab­lis­sant des con­seils pour l’établissement d’un dia­pa­son musi­cal uni­forme.

Les mem­bres de la com­mis­sion étaient :
Jules Bernard Joseph Pel­leti­er, con­seiller d’É­tat, secré­taire général du min­istère d’É­tat, prési­dent de la com­mis­sion ;
Jacques Fro­men­tal Halévy, mem­bre de l’Institut, secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des beaux-arts, rap­por­teur de la com­mis­sion ;
Daniel-François-Esprit Auber, mem­bre de l’Institut, directeur du Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hec­tor Berlioz, mem­bre de l’In­sti­tut ;
Man­suete César Despretz, mem­bre de l’In­sti­tut, pro­fesseur de physique à la Fac­ulté des sci­ences.
Camille Doucet, chef de la divi­sion des théâtres au min­istère d’É­tat ;
Jules Antoine Lis­sajous, pro­fesseur de physique au lycée Saint-Louis, mem­bre du con­seil de la Société d’en­cour­age­ment pour l’in­dus­trie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’or­gan­i­sa­tion des musiques mil­i­taires ;
Désiré-Guil­laume-Édouard Mon­nais, com­mis­saire impér­i­al près les théâtres lyriques et le Con­ser­va­toire ;
Gia­co­mo Meyer­beer, com­pos­i­teur alle­mand, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1871 ;
Gioachi­no Rossi­ni, Com­pos­i­teur ital­ien, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1872 ;
Ambroise Thomas, com­pos­i­teur français et mem­bre de l’In­sti­tut.

  • Le décret met­tant en place ce dia­pa­son uni­forme.
  • Les cri­tiques con­tre le dia­pa­son uni­forme…

On voit donc que l’histoire est un éter­nel recom­mence­ment et que les pinail­lages actuels n’en sont que la con­ti­nu­ité…

Vous pou­vez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)

Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous per­me­t­tront de con­stater la var­iété des dia­pa­sons, leur évo­lu­tion et donc la néces­sité de met­tre de l’ordre et notam­ment de frein­er le mou­ve­ment vers un dia­pa­son plus aigu.
Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibra­tions ». Il faut donc divis­er par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ain­si, le dia­pa­son de Paris indiqué 896 cor­re­spond à 448 Hz.

Tableau des dia­pa­sons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du dia­pa­son au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rap­port présen­té à S. Exc. Le min­istre d’État par la com­mis­sion chargée d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme (Arrêté du 17 juil­let 1858) — Paris, le 1er févri­er 1859.

Compléments sur le diapason

Si vous n’avez pas con­sulté le doc­u­ment de 12 pages, il est encore temps de vous y référ­er, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pou­vez le charg­er en PDF pour le lire plus facile­ment.

Si vous voulez enten­dre la dif­férence entre le dia­pa­son à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous pro­pose cette vidéo.

Dia­pa­son 435 Hz et 440 Hz.

Sur l’histoire du dia­pa­son, cet arti­cle sig­nalé par l’ami Jean Lebrun.

https://www.radiofrance.fr/francemusique/accord-et-desaccord-la-guerre-du-la-6695782

Sur la ques­tion du dia­pa­son et de la vitesse en tan­go, je vous pro­pose ce court arti­cle que j’avais écrit.

Et un arti­cle bien plus com­plet, mais en anglais de Michael Lav­oc­ah sig­nalé par Angela.

Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Hier, en fouil­lant dans les vidéos de La yum­ba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon atten­tion. Il s’agit d’un con­cert don­né en 1987 où Rober­to Goyeneche a été accom­pa­g­né par l’orchestre de Osval­do Pugliese. Cette ren­con­tre au som­met entre ces deux idol­es du tan­go a donc été filmée et j’ai pen­sé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enreg­istré il y a exacte­ment 37 ans, jour pour jour.
Je pour­rai rajouter que les auteurs sont eux aus­si plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Car­los Gardel et José Raz­zano pour la com­po­si­tion et Cele­do­nio Este­ban Flo­res pour les paroles.

Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Par­ti­tion de Mano a mano de Car­los Gardel et José Raz­zano avec des paroles de Cele­do­nio Flo­res.
Mano a mano — Rober­to Goyeneche con Osval­do Pugliese y su orques­ta. Enreg­istrement pub­lic au Teatro Opera de Buenos Aires (Aveni­da Cor­ri­entes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un mon­u­ment d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tan­go.

Paroles

Rechi­fla­do en mi tris­teza, te evo­co y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una bue­na mujer.
Tu pres­en­cia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste bue­na, con­se­cuente, y yo sé que me has queri­do
cómo no qui­siste a nadie, como no podrás quer­er.

Se dio el juego de remanye cuan­do vos, pobre per­can­ta,
gam­bete­abas la pobreza en la casa de pen­sión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y can­ta,
Los mor­la­cos del otario los jugás a la marchan­ta
como jue­ga el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infe­lices ilu­siones,
te engrupieron los otar­ios, las ami­gas y el gav­ión;
la milon­ga, entre mag­nates, con sus locas tenta­ciones,
donde tri­un­fan y clau­di­can milongueras pre­ten­siones,
se te ha entra­do muy aden­tro en tu pobre corazón.

Nada debo agrade­certe, mano a mano hemos queda­do;
no me impor­ta lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habérte­los paga­do
y, si algu­na deu­da chi­ca sin quer­er se me ha olvi­da­do,
en la cuen­ta del otario que tenés se la cargás.

Mien­tras tan­to, que tus tri­un­fos, pobres tri­un­fos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y plac­er;
que el bacán que te acá­mala ten­ga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los mucha­chos: Es una bue­na mujer.
Y mañana, cuan­do seas desco­la­do mue­ble viejo
y no ten­gas esper­an­zas en tu pobre corazón,
sí pre­cisás una ayu­da, si te hace fal­ta un con­se­jo,
acor­date de este ami­go que ha de jugarse el pelle­jo
pa’ayu­darte en lo que pue­da cuan­do llegue la ocasión.
Car­los Gardel, José Raz­zano Letra: Cele­do­nio Este­ban Flo­res

Traduction libre et indications

Entravé (rechi­fla­do peut sig­ni­fi­er amoureux, ent­hou­si­aste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pau­vre vie de paria seule­ment une femme bonne.
Ta présence de femme (mul­ti­tude d’acceptions allant de ten­an­cière de bor­del à con­cu­bine en pas­sant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, con­séquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé per­son­ne, comme tu ne pour­ras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pau­vre femme (amante, con­cu­bine), tu drib­blais (essay­er d’esquiver, comme au foot­ball) la pau­vreté dans la pen­sion.
Aujour­d’hui, tu as une femme établie (prob­a­ble­ment ten­an­cière de mai­son close), la vie rit et chante pour toi, les mor­la­cos (pesos, argent) de l’o­tario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchan­ta (action de jeter des pièces à des per­son­nes pau­vres pour qu’elles se jet­tent dessus en se bat­tant) comme le chat joue avec la mis­érable souris.
Aujour­d’hui, tu as le mate plein d’il­lu­sions mal­heureuses, tu as été gon­flé par les otar­ios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milon­ga, chez les mag­nats, avec ses folles ten­ta­tions, où les milongueras tri­om­phent et chutent, est entrée pro­fondé­ment dans ton pau­vre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remerci­er, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la charg­eras sur le compte de l’o­tario que tu as.
En atten­dant que tes tri­om­phes, pau­vres tri­om­phes éphémères, soient une longue lignée de richess­es et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des prox­énètes milongueros et que les garçons dis­ent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meu­ble et que tu n’auras plus d’e­spoir dans ton pau­vre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de con­seils, sou­viens-toi de cet ami qui ris­quera sa peau pour t’aider de toutes les manières pos­si­bles lorsque l’oc­ca­sion se présen­tera.

Autres versions

Il y a des cen­taines d’autres ver­sions, à com­mencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la for­mi­da­ble cama­raderie des gens de tan­go.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Rober­to Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polon­ais (El Pola­co), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne com­mence sa car­rière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mou­ve­ment du tan­go est donc plutôt de la faute de ses par­ents 😉
En revanche, il com­pense cela par une dic­tion ferme et un phrasé très par­ti­c­uli­er qui font que l’on tombe oblig­a­toire­ment sous son charme.
Arriv­er tard, n’est pas for­cé­ment une mau­vaise chose dans la mesure où à par­tir des années 50, le tan­go devient surtout une activ­ité de con­cert, plus que de danse. La radio, les dis­ques et la télévi­sion étaient friands de ces chanteurs expres­sifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le pub­lic.
Dans les années 40, un de ses col­lègues de l’orchestre de Hora­cio Sal­gán, le chanteur Ángel Díaz, lui don­na son surnom de Pola­co (Polon­ais).
Son pas­sage dans l’orchestre de Aníbal Troi­lo affer­mit sa gloire nais­sante, mais le fait qu’il donne une vision per­son­nelle des grands titres du réper­toire a égale­ment attiré la sym­pa­thie du pub­lic. Il a su ain­si per­son­nalis­er son réper­toire, en renou­ve­lant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exem­ple, notre tan­go du jour avait été par­ti­c­ulière­ment appré­cié, notam­ment par Car­los Gardel (son auteur), Char­lo, Jorge Omar, Héc­tor Pala­cios, Rober­to Mai­da, Car­los Dante et même Nina Miran­da (en duo avec Rober­to Líster), Car­los Roldán et Julio Sosa, el Varon del tan­go. Il con­ve­nait donc de se démar­quer et Goyeneche sut le faire, faisant sou­vent oubli­er les ver­sions antérieures pour que le pub­lic ne reti­enne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, gar­gan­ta con are­na (gorge avec du sable). Cacho Cas­taña a d’ailleurs fait une chan­son hom­mage au Pola­co, Gar­gan­ta con are­na.

Garganta con arena

Je vous pro­pose de ter­min­er avec la chan­son de Cacho Cas­taña en l’honneur de Rober­to Goyeneche. Cacho a com­posé cette chan­son, quelques mois avant la mort de Rober­to. Ce dernier en enten­dant la chan­son fre­donnée dans la loge par Cacho Cas­taña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adri­ana Varela qui était égale­ment présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enreg­istré la chan­son, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adri­ana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous pro­pose de voir main­tenant.

Gar­gan­ta con are­na, la chan­son de Cacho Cas­taña en l’hon­neur de Rober­to Goyeneche, ici, en 2010 chan­té par Cacho Cas­taña et Adri­ana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Pola­co Goyeneche, cán­tame un tan­go más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un kar­ma: Can­tar, siem­pre can­tar

Tu voz, que al tan­go lo emo­ciona
Dicien­do el pun­to y coma que nadie le can­tó
Tu voz, con duen­des y fan­tas­mas
Res­pi­ra con el asma de un viejo ban­doneón

Can­ta, gar­gan­ta con are­na
Tu voz tiene la pena que Male­na no can­tó
Can­ta, que Juárez te con­de­na
Al las­ti­mar tu pena con su blan­co ban­doneón

Can­ta, la gente está aplau­di­en­do
Y aunque te estés murien­do, no cono­cen tu dolor
Can­ta, que Troi­lo des­de el cielo
Deba­jo de tu almo­ha­da, un ver­so te dejó

Can­tor de un tan­go algo inso­lente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Can­tor de un tan­go equi­lib­rista
Más que can­tor, artista con vicios de can­tor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos fal­ta siem­pre el aire cuan­do no está tu voz
A vos, que tan­to me enseñaste
El día que can­taste con­mi­go una can­ción

Can­ta, gar­gan­ta con are­na
Tu voz tiene la pena que Male­na no can­tó
Can­ta, que Juárez te con­de­na
Al las­ti­mar tu pena con su blan­co ban­doneón

Can­ta, la gente está aplau­di­en­do
Y aunque te estés murien­do, no cono­cen tu dolor
Can­ta, que Troi­lo des­de el cielo
Deba­jo de tu almo­ha­da, un ver­so te dejó
Cacho Cas­taña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Pola­co Goyeneche, chante-moi encore un tan­go.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du kar­ma : Chante, chante tou­jours
Ta voix, qui émeut le tan­go, dis­ant le point-vir­gule que per­son­ne jamais n’a chan­té.
Ta voix, avec des lutins (duen­des, sorte de gnomes de la mytholo­gie espag­nole et argen­tine) et des fan­tômes, respirez avec l’asthme d’un vieux ban­donéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le cha­grin que Male­na n’a pas chan­té.
Chante, que Juárez te con­damne en blessant ton cha­grin avec son ban­donéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au ban­donéon, ce qui est très rare. Troi­lo, lui-même, chan­tait par­fois quelques instants, mais jamais une véri­ta­ble par­tie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on par­lera beau­coup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaud­is­sent.
Et même si tu te meurs, ils ne con­nais­sent pas ta douleur. Chante, que Troi­lo depuis le ciel, sous ton oreiller, un cou­plet, il t’a lais­sé.

Chanteur d’un tan­go un peu inso­lent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tan­go équilib­riste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous man­quons tou­jours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chan­té une chan­son avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Mon­sieur Goyeneche.

La yumba 1946-08-21 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Osvaldo Pugliese

Quand on pense à Osval­do Pugliese, deux sou­venirs revi­en­nent for­cé­ment en mémoire. La yum­ba et le con­cert au Teatro Colón du 26 décem­bre 1985. Ces deux élé­ments dis­tants de 40 ans sont intime­ment liés, nous allons voir com­ment.

Extrait musical

La yum­ba 1946-08-21 — Orques­ta Osval­do Pugliese
Par­ti­tion de La yum­ba (Osval­do Pugliese).

Naissance d’un mythe

Lorsque Pugliese a lancé La yum­ba, cela a été immé­di­ate­ment un suc­cès. Mais il est intéres­sant de con­naître le par­cours. Vous lirez peut-être que cela vient du bruit du ban­donéon quand il s’ouvre et se ferme ou d’autres choses plus ou moins fan­tai­sistes. Je préfère, comme tou­jours, me rac­crocher aux sources et donc, dans le cas présent à Osval­do Pugliese.

Je lui laisse la parole à Osval­do Pugliese à tra­vers une entre­vue avec Arturo Mar­cos Loz­za :

Osval­do Puglise — Al Colón — Arturo Mar­cos Loz­za (1985)

Nosotros par­ti­mos de la eta­pa de Julio De Caro. Yo, de joven, viví esa eta­pa. No la viví escuchán­dola, la viví prac­ticán­dola. Se deduce que tenía que haber una superación, no porque yo me lo hubiera impuesto, no. Vino solo, vino por necesi­dad especí­fi­ca, tam­bién por necesi­dad inter­na, espir­i­tu­al. Y fuimos impul­san­do poco a poco una superación, una línea que cristal­izó en “La yum­ba”.

  • En esa par­ti­tu­ra, en esa inter­pretación, ust­ed apela a un rit­mo que tiene un sel­lo muy espe­cial…

Le he dado una mar­cación per­cu­si­va. Por ejem­p­lo, los norteam­er­i­canos en el jazz hacen una mar­cación dinámi­ca, mecáni­ca, reg­u­lar, mono­corde. Para mi con­cep­to, la batería no corre en el tan­go. Ya han hecho expe­ri­en­cias Canaro, Frese­do y qué sé yo cuán­tos, pero para mí la batería es un ele­men­to que gol­pea. El tan­go, en cam­bio, tiene una car­ac­terís­ti­ca proce­dente de la influ­en­cia del fol­clore pam­peano, que es el arras­tre, muy apli­ca­do por la escuela de Julio De Caro, por Di Sar­li y por nosotros tam­bién. Y después viene la mar­cación que Julio De Caro acen­tuó en el primer y ter­cer tiem­po, en algunos casos con arras­tre. Y nosotros hemos hecho la com­bi­nación de las dos cosas: la mar­cación del primer tiem­po y del ter­cero, y el arras­tre per­cu­si­vo y que sacude.

  • Y esa com­bi­nación de mar­cación per­cu­si­va y de arras­tre le da al tan­go una fuerza que es inca­paz de dársela una batería.

No, no, la batería no se la puede dar, arru­ina. No quiero usar ni batería, ni pistón, ni trom­bones. Lo úni­co que me lla­ma la aten­ción, y que en algún momen­to lo voy a incor­po­rar, como se lo dije un día al fina­do Lipesker, es el clar­inete bajo, un clar­inete que Lipesker ya toca­ba en la orques­ta de Pedro Maf­fia y que le saca­ba lin­do col­or, oscuro y sedoso. Bueno, con la flau­ta y un clar­inete bajo yo com­ple­taría una orques­ta típi­ca.

[…]

Le dimos una par­tic­u­lar­i­dad a nues­tra inter­pretación y la gente reac­ciona­ba gritán­donos “¡no se muer­an nun­ca!”, “¡viva la sin­fóni­ca!”, “¡al Colón, al Colón!”. Bueno, esas son cosas que expre­san un sen­timien­to, pero son exagera­ciones: ni somos una sin­fóni­ca, ni nada por el esti­lo.

Eso sí, cuan­do tocamos, ponemos todo.

  • Ponen pólvo­ra, ponen yum­ba, hay polen­ta en la inter­pretación. ¡Cuán­tos al escuchar a la típi­ca del mae­stro, ter­mi­nan con la piel de gal­li­na por la emo­ción!

Y bueno, yo no sé. Para mí, sen­tir eso es una sat­is­fac­ción. Pero me digo a mí mis­mo: “qué­date ahí nomás, Osval­do, no te fan­far­ronees y seguí tra­ba­jan­do siem­pre con la cabeza fría”.

Arturo Mar­cos Loz­za ; Osval­do Pugliese al Colón.

Traduction libre de la l’entrevue entre Osvaldo Pugliese et Arturo Lozza

Nous sommes par­tis de l’é­tape de Julio De Caro. Moi, en tant que jeune homme, j’ai vécu cette étape. Je ne l’ai pas vécue en l’é­coutant, je l’ai vécue en le pra­ti­quant. Il s’en­suit qu’il devait y avoir une amélio­ra­tion, non pas parce que je me l’é­tais imposée, non. Elle est venue seule, elle est venue d’un besoin spé­ci­fique, aus­si d’un besoin intérieur, spir­ituel. Et nous avons pro­gres­sive­ment pro­mu une amélio­ra­tion, une ligne qui s’est cristallisée dans « La yum­ba ».

  • Dans cette par­ti­tion, dans cette inter­pré­ta­tion, vous faites appel à un rythme qui a un cachet très par­ti­c­uli­er…

Je lui ai don­né une mar­que per­cus­sive. Par exem­ple, les Nord-Améri­cains dans le jazz font un mar­quage dynamique, mécanique, réguli­er, monot­o­ne. Pour mon con­cept, la bat­terie ne va pas dans le tan­go. Canaro, Frese­do et je ne sais pas com­bi­en ont déjà fait des expéri­ences, mais pour moi la bat­terie est un élé­ment qui frappe. Le tan­go, d’autre part, a une car­ac­téris­tique issue de l’in­flu­ence du folk­lore de la pam­pa, qui est l’arrastre (traîn­er), très util­isé par l’é­cole de Julio De Caro, par Di Sar­li et par nous égale­ment. Et puis vient le mar­quage que Julio De Caro a accen­tué au pre­mier et troisième temps, dans cer­tains cas avec des arras­tres. Et nous avons fait la com­bi­nai­son des deux choses : le mar­quage du pre­mier et du troisième temps, et l’arrastre per­cus­sive et trem­blante.

  • Et cette com­bi­nai­son de mar­quage per­cus­sif et d’arrastre donne au tan­go une force qu’une bat­terie est inca­pable de lui don­ner.

Non, non, la bat­terie ne peut pas la don­ner, elle ruine. Je ne veux pas utilis­er de bat­terie, ni de pis­tons, ni de trom­bones. La seule chose qui attire mon atten­tion, et qu’à un moment don­né je vais incor­por­er, comme je l’ai dit un jour au regret­té Lipesker, c’est la clar­inette basse, une clar­inette que Lipesker jouait déjà dans l’orchestre de Pedro Maf­fia et qui lui a don­né une belle couleur som­bre et soyeuse. Eh bien, avec la flûte et une clar­inette basse, je com­pléterais un orchestre typ­ique.

[…]

Nous avons don­né une par­tic­u­lar­ité à notre inter­pré­ta­tion et les gens ont réa­gi en cri­ant « ne meurs jamais ! », « Vive le sym­phonique ! », « au Colón, au Colón ! ». Eh bien, ce sont des choses qui expri­ment un sen­ti­ment, mais ce sont des exagéra­tions : nous ne sommes pas un sym­phonique, ou quelque chose comme ça.

Bien sûr, quand nous jouons, nous y met­tons tout ce qu’il faut.

  • Ils ont mis de la poudre à canon, ils ont mis de la yum­ba, il y a de la polen­ta (puis­sance, énergie) dans l’in­ter­pré­ta­tion. Com­bi­en en écoutant la Típi­ca du maître finis­sent par avoir la chair de poule à cause de l’é­mo­tion !

Et bien, je ne sais pas. Pour moi, ressen­tir cela est une sat­is­fac­tion. Mais je me dis : « reste où tu es, sans plus, Osval­do, ne te vante pas et con­tin­ue de tra­vailler, tou­jours avec la tête froide. »

On voit dans cet extrait la mod­estie de Pugliese et son attache­ment à De Caro.

Autres versions

Il existe des dizaines d’enregistrements de La yum­ba, mais je vous pro­pose de rester dans un cer­cle très restreint, celui d’Osval­do Pugliese lui-même.

La yum­ba 1946-08-21 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.

Elle allie l’originalité musi­cale, sans per­dre sa dans­abil­ité. Sans doute la meilleure des ver­sions pour la danse avec celle de 1948, mais dont la qual­ité sonore est moins bonne, car tirée d’un film.

Pugliese jouant la Yumba en 1948 !

La yum­ba en 1948. Le film “Mis cin­co hijos” (mes cinq enfants), nous donne l’occasion de voir Osval­do Pugliese à l’époque du lance­ment de La yum­ba.

Extrait du film “Mis cin­co hijos” dirigé par Orestes Cav­iglia et Bernar­do Spo­lian­sky sur un scé­nario de Nathan Pinzón et Ricar­do Setaro. Il est sor­ti le 2 sep­tem­bre 1948. Ici, Osval­do Pugliese inter­prète La yum­ba avec son orchestre. On peut voir à la fin de l’ex­trait le suc­cès qu’il ren­con­tre “Al Colón!

La version de 1952

La yum­ba 1952-11-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion mag­nifique. Peut-être celle qui est le plus passée en Europe. On pour­ra la trou­ver un peu moins dansante. Cepen­dant, comme cette ver­sion est très con­nue, les danseurs arrivent en général à s’y retrou­ver.

Le très, très célèbre concert du 26 décembre 1985, où Pugliese arrive enfin Al Colón comme le proclamaient les fans de Pugliese en 1946 (et dans le film de 1948).

1985-12-26, Osval­do Pugliese Al Colón. La yum­ba
Ver­sion courte (seule­ment la yum­ba)
Ver­sion longue avec la présen­ta­tion des musi­ciens. C’est celle que je vous con­seille si vous avez un peu plus de temps.

Osvaldo Pugliese avec Atilio Stampone en 1987.

1987, Une inter­pré­ta­tion de La yum­ba à deux pianos, celui de Osval­do Pugliese et celui de Atilio Stam­pone.

Le 26 juin 1989, Astor Piazzolla se joint à l’orchestre de Osvaldo Pugliese. Ils interprètent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yumba et Adiós nonino.

Le 26 juin 1989, Astor Piaz­zol­la se joint à l’orchestre de Osval­do Pugliese. Ils inter­prè­tent au Théâtre Carre d’Amsterdam (Pays-Bas), La yum­ba et Adiós non­i­no.

Dans le doc­u­men­taire « San Pugliese », un des musi­ciens témoigne que les musi­ciens étaient assez réservés sur l’intervention de Astor Piaz­zol­la. Osval­do Pugliese, en revanche, con­sid­érait cela comme un hon­neur. Un grand homme, jusqu’au bout.

Pugliese au Japon

La yum­ba 1989-11 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

La yum­ba 1989-11 — Orques­ta Osval­do Pugliese. Le dernier enreg­istrement de La yum­ba par San Pugliese, au Japon (Nagoya) en novem­bre 1989. Si vous écoutez jusqu’à la fin, au début des applaud­isse­ments, vous pour­rez enten­dre une petite fan­taisie au piano par Osval­do Pugliese.

Je vous laisse sur ce petit jeu de notre cher maître, à la fois sérieux et facétieux.

La yum­ba — À par­tir d’un pochoir mur­al dans le quarti­er de Paler­mo. La ronde d’in­dia, est inspirée par ma fan­taisie à l’évo­ca­tion de Yum­ba…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orquesta Enrique Rodríguez con Armando Moreno

Carlos Viván (Miguel Rice Treacy), paroles et musique

Car­los Viván, l’auteur et le com­pos­i­teur de ce tan­go fut un bon vivant et ce tan­go touche de très près sa vie qui fut claire­ment par­mi les plus insta­bles pos­si­bles. Le seul point éton­nant est qu’il l’a écrit à 26 ans et pas, comme on peut le sup­pos­er, à la fin de sa vie tour­men­tée… L’abondance des ver­sions à l’âge d’or et par la suite, prou­ve que ce sujet touchait la sen­si­bil­ité des Argentins ; et la vôtre ?

Extrait musical

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 ‑Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno
Par­ti­tions de Cómo se pianta la vida de Car­los Viván (paroles et musique)

Paroles

Berretines locos
De mucha­cho rana
Me arras­traron cie­gos
En mi juven­tud
En milon­gas, tim­bas
Y en otras macanas
Donde fui pal­man­do
Toda mi salud

Mi copa bohemia
De rubia cham­pagne
Brin­dan­do amoríos
Bor­ra­cho la alze
Mi vida fue un bar­co
Car­ga­do de haz­a­ñas
Que jun­tó a las playas
Del mar lo encalle

Cómo se pianta la vida
Cómo rezon­gan los años
Cuan­do fieros desen­gaños
Nos van abrien­do una heri­da
Es triste la pri­mav­era
Si se vive desteñi­da

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era

Los veinte abriles can­taron un día
la milon­ga triste de mi berretín
y en la con­tradan­za de esa algar­abía
al trompo de mi alma le faltó piolín.
Hoy estoy pagan­do aque­l­las ranadas
Final de los vivos
Que siem­pre se da
Me encuen­tro sin chance
En esta juga­da
La muerte sin grupo
Ya ha entra­do a tal­lar

Cómo se pianta la vida
De mucha­cho calav­era
Car­los Viván — 1929 — Paroles et musique

Traduction libre

Les folles lubies d’un gars débrouil­lard m’ont entraîné à l’aveu­glette dans ma jeunesse, dans les milon­gas (Car­los Viván était un grand danseur de tan­go), les tim­bas (salle de jeu) et autres clubs où j’ai ruiné toute ma san­té.
Mon verre bohème de cham­pagne blond, trin­quant aux amours, ivre, je l’ai levé (Car­los Viván était plutôt ama­teur de Whisky, sans doute à cause de ses orig­ines irlandais­es).
Ma vie a été un navire plein d’ex­ploits, qui rejoignit les plages marines et s’é­choua.
Comme la vie se perd (piantar, c’est en lun­far­do, s’enfuir), comme les années grog­nent quand de féro­ces décep­tions nous ouvrent une blessure.
Le print­emps est triste s’il se vit déteint.
Com­ment se perd la vie d’un gars débauché.
Les vingt avrils (même si “Avril” en Argen­tine tombe en automne, c’est l’équiv­a­lent de l’ex­pres­sion “Print­emps” pour mar­quer les années. Dans le vers précé­dent, il par­lait d’ailleurs de print­emps) ont chan­té un jour la milon­ga triste de ma lubie et dans la con­tredanse de ce brouha­ha, Il me man­quait au plus pro­fond de mon âme une inno­cence (piolín, ver­lan de limpio, pro­pre, per­son­ne sans casi­er judi­ci­aire…).
Aujour­d’hui, je paie pour ces méfaits.
Le final des canailles arrive tou­jours.
Je me retrou­ve sans chance dans ce jeu dan­gereux.
La mort sans men­tir est déjà entrée pour tailler.
Comme se perd la vie, d’un garçon débauché.

Autres versions

Voici une petite sélec­tion de ver­sions illus­trant le suc­cès du thème pen­dant plus de 50 ans.

Cómo se pianta la vida 1930-03-18 — Azu­ce­na Maizani con con­jun­to
Cómo se pianta la vida 1930-03-21 — Alber­to Vila con gui­tar­ras
Cómo se pianta la vida 1930-03-27 — Orques­ta Luis Petru­cel­li con Rober­to Díaz
Cómo se pianta la vida 1930-04-02 — Orques­ta Pedro Maf­fia con Car­los Viván.

Car­los Viván chante sa com­po­si­tion. Il a 27 ans au moment de l’enregistrement.

Cómo se pianta la vida 1930 — Rober­to Mai­da acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Rober­to Mai­da avant Fran­cis­co Canaro

Cómo se pianta la vida 1930 — Tania acomp. de Orques­ta Alber­to Castel­lano.

Tania avec le même orchestre que Rober­to Mai­da.

Cómo se pianta la vida 1932 — Orques­ta Típi­ca Auguste-Jean Pesen­ti du Col­i­se­um de Paris.

En France aus­si, la vie des tangueros est un peu dis­solue…

Cómo se pianta la vida 1940-08-20 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Arman­do Moreno. C’est notre tan­go du jour.
Cómo se pianta la vida 1942-09-15 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo.
Cómo se pianta la vida 1950-12-26 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Car­los Alma­da.
Cómo se pianta la vida 1959c — Héc­tor Mau­ré con gui­tar­ras y ban­do­neon
Cómo se pianta la vida 1963-04-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rober­to Goyeneche arr. de Julián Plaza.

On notera le début impres­sion­nant pro­posé par Troi­lo et Plaza qui offre un trem­plin pour Goyeneche pour lancer le titre d’une façon par­ti­c­ulière­ment expres­sive. Une ver­sion que je trou­ve con­va­in­cante et touchante. Pas de danse pos­si­ble, mais un régal à écouter.

Cómo se pianta la vida 1981-07-08 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Abel Cór­do­ba.

C’est la plus orig­i­nale et tra­vail­lée, un cran au-dessus de celle de Troi­lo, mais il faut être vrai­ment fan de Cór­do­ba pour être enchan­té par cette ver­sion. Je préfère les ver­sions de danse ou celle de Troi­lo avec Goyeneche, mais la beauté du tan­go est qu’on a le choix et cha­cun pour­ra trou­ver son bon­heur dans la très grande var­iété de ces enreg­istrements.

Invierno 1937-08-19 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Horacio Gemignani Pettorossi Letra: Enrique Domingo Cadícamo

Invier­no est sans doute un des tan­gos préférés des danseurs qui aiment Canaro. Avec un nom pareil, on se doute qu’on va par­ler de froid, d’hiver, en somme, mais avez-vous fait atten­tion aux émou­vantes paroles de Cadí­camo ? Je vous offre en prime le texte com­plet de Cadí­camo. Prenez votre man­teau et votre écharpe et entrons au cœur de l’hiver.

Extrait musical

Invier­no 1937-08-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da
Disque et par­ti­tion de Invier­no

Il n’est pas sûr, qu’il soit néces­saire de décrire cet enreg­istrement tant il est con­nu. On notera l’in­ter­ven­tion des instru­ments à vent (cuiv­res) typ­iques de Canaro. Le rythme est appuyé, comme un celui d’un homme marchant dans une neige épaisse.
La voix de Mai­da, sur­v­ole l’orchestre qui atténue ses pas lourds pour laiss­er la place au chanteur. C’est du Canaro typ­ique et effi­cace. D’ailleurs, les orchestres con­tem­po­rains qui repren­dront le titre s’in­spireront assez forte­ment de cette ver­sion pour faire leurs pro­pres ver­sions. Nous en ver­rons quelques-unes en fin d’ar­ti­cle.

Paroles

Des­de aquel bal­cón
Baja una can­ción,
Que es como un jirón
De una esper­an­za…
Su inten­ción es la deses­per­an­za cru­el
Que me arrin­cona más
En esta soledad.
Des­de aquel bal­cón
Rue­da una can­ción,
Que en la noche negra
Dice así:

Volvió…
El invier­no con su blan­co ajuar,
Ya la escar­cha comen­zó a bril­lar
En mi vida sin amor.
Pro­fun­do pade­cer
Que me hace com­pren­der,
Que hal­larse solo, es un hor­ror.

Y al ver…
Cómo soplan en mi corazón,
Vien­tos fríos de des­o­lación
Quiero llo­rar.
Porque mi alma lle­va
Bru­mas de un invier­no,
Que hoy no puedo disi­par…

En aquel bal­cón
Cesa la can­ción,
Pero igual la escuchan mis oídos
Y es que por el eco persegui­do estoy.
Y todo su dolor
Embar­ga el corazón.
Para qué quer­ré
Esta vida yo,
Cuan­do no me que­da juven­tud…
Hora­cio Gemignani Pet­torossi Letra: Enrique Domin­go Cadí­camo

Rober­to Mai­da chante unique­ment ce qui est en gras, c’est-à-dire le texte annon­cé comme étant la chan­son écoutée par le nar­ra­teur.

Traduction libre

Depuis ce bal­con, une chan­son descend, qui est comme un lam­beau d’e­spoir…
Son sujet est le dés­espoir cru­el qui m’en­fonce davan­tage dans cette soli­tude.
Depuis ce bal­con roule une chan­son qui, dans la nuit noire, dit ceci :
Il est revenu…
L’hiv­er avec ses atours blancs,
Déjà le givre a com­mencé à briller dans ma vie sans amour.
Une souf­france pro­fonde qui me fait com­pren­dre qu’être seul, c’est une hor­reur.
Et quand je vois…
Comme ils souf­flent dans mon cœur, les vents froids de la déso­la­tion, j’ai envie de pleur­er.
Parce que mon âme porte les brumes d’un hiv­er, qu’au­jour­d’hui je ne peux pas dis­siper…

Sur ce bal­con, la chan­son s’ar­rête, mais mes oreilles l’en­ten­dent encore, car l’é­cho me pour­suit.
Et toute sa douleur paral­yse le cœur.
Pourquoi, moi, voudrais-je cette vie, alors que je n’ai plus de jeunesse…

Autres versions

Je serai ten­té de dire qu’il n’y a pas d’autre ver­sion, mais ce ne serait pas sym­pa­thique pour les orchestres con­tem­po­rains qui ont remis le titre à la mode.
Je sig­nale tout de même qu’il existe au moins deux autres tan­gos qui s’appellent Invier­no, com­posés par Arturo Bet­toni avec des paroles de Ramón Abel­lá (Rafael Jorge Abel­lá) pour le pre­mier et Eduar­do Bian­co avec Arau­jo (paroles et musique) pour le sec­ond.
Je vous pro­pose seule­ment ici, les ver­sions issues de Hora­cio Gemignani Pet­torossi et Enrique Domin­go Cadí­camo.

Invier­no 1937-08-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est notre tan­go du jour.
Invier­no 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni
Invier­no 2015 — Cuar­te­to Mulen­ga con Max­i­m­il­iano Agüero
Invier­no 2015 — Orques­ta Típi­ca Mis­te­riosa con Car­los Rossi
Invier­no 2015c — Solo Tan­go Orques­ta
Invier­no 2017-10 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di.

 Une orches­tra­tion orig­i­nale et un duo, homme femme, com­ment résis­ter à cette ver­sion ?

Invier­no 2018 — Orques­ta Típi­ca Mis­te­riosa con Eliana Sosa

De nou­veau la Mis­te­riosa dans une autre ver­sion, cette fois chan­tée par une femme, Eliana Sosa. Mer­ci à Thier­ry, mon, tal­entueux cor­recteur qui détecte les coquille et a remar­qué que j’avais mis deux fois la même ver­sion de Invier­no par la Típi­ca Mis­te­riosa. Main­tenant, vous avez bien ici Eliana Sosa qui a égale­ment enreg­istré avec Juan Pablo Gal­lar­do et a réal­isé deux dis­ques, Sin­er­gia tanguera et De donde ven­go (dans lequel elle chante égale­ment ses pro­pres com­po­si­tions).

Et pour ter­min­er en vidéo, un enreg­istrement de 2017 du Cuar­te­to Mulen­ga à la milon­ga Parakul­tur­al.

Homenajes

Aujourd’hui, nous allons nous intéress­er aux hom­mages. C’est en effet un thème récur­rent du tan­go. On célèbre l’ami, le maître, le grand homme ou la grande femme, la mère, sou­vent. Voici quelques hom­mages et le dernier va sans doute vous éton­ner.

Je n’évoquerai pas les dédi­caces que l’on trou­ve notam­ment sur les par­ti­tions. Ce ne sont pas tou­jours à pro­pre­ment par­ler des hom­mages, car sou­vent les per­son­nes payaient pour être men­tion­nées. Je n’évoquerai pas non plus les dis­ques d’hommage à…, puisqu’il s’agit de com­pi­la­tions et pas de titres créés spé­ciale­ment.
J’évoque donc ici, les thèmes musi­caux et les paroles qui ren­dent hom­mage, évo­quent, citent, des per­son­nes, au sens large.

Hommage avec le nom dans le titre

Une pre­mière forme est de tout sim­ple­ment déclar­er dans le titre le nom de la per­son­ne à qui on souhaite ren­dre hom­mage.
Atten­tion toute­fois à ne pas com­met­tre d’erreurs. En effet, les noms de per­son­nal­ités publiques font le plus sou­vent référence à un lieu, à une rue, et pas au per­son­nage qui a don­né son nom à cet endroit. Par exem­ple, Rodriguez Peña ou Te espero en Rodriguez Peña ne par­lent pas du prési­dent argentin, mais de la rue et plus par­ti­c­ulière­ment du salon qui y était fameux.
Très sou­vent, ces hom­mages com­men­cent par A pour indi­quer la dédi­cace, mais ce n’est pas tou­jours le cas. Voici une petite liste, bien sûr très incom­plète, notam­ment, je n’évoque pas les tan­gos qui n’ont pas l’objet dans le titre, ou ceux dont le titre vient d’une dédi­cace postérieure, comme El Entr­erri­ano.

  • A Alfre­do Belusi
  • A Ángel Amadeo Labruna
  • A Belis­ario Roldán
  • A Don Agustín Bar­di
  • A Don Guiller­mo
  • A Don Javier
  • A Don Juan Manuel
  • A Don Nicanor Pare­des
  • A Don Pedro Maf­fia
  • A Don Pedro San­til­lán
  • A Don Pir­in­cho Canaro
  • A Ernesto Sába­to
  • A Evaris­to Car­riego
  • A Fir­po
  • A Franci­ni-Pon­tier
  • A Fran­cis­co
  • A Fran­cis­co de Caro
  • A Gabi­no Sosa
  • A Home­ro
  • A Home­ro Manzi
  • A Hora­cio Sal­gan
  • A Orlan­do Goñi
  • A Ire­neo Leguisamo (“El Pulpo” o “El Mae­stro”)
  • A Juan Car­los Copes,
  • A Leopol­do Fed­eri­co
  • A Lo Pir­in­cho
  • A Luci­na y Joe
  • A Luis Luchi
  • A Mag­a­l­di
  • A Man­cu­so
  • A Mar­ta Rosa
  • A Mar­tin Fier­ro
  • A Mer­cedes
  • A Natalio Pes­cia
  • A Orlan­do Goñi (Orlan­do Goñi)
  • A Pedro Maf­fia
  • A Quin­quela Mar­tin
  • A Raúl Berón
  • A Ricar­do Cate­na
  • A Rober­to Ari
  • A Rober­to Grela
  • A Rober­to Peppe
  • A Rober­to Per­fumo
  • A Ros­alía
  • A Sal­vador Allende
  • Adiós Aro­las (Se llam­a­ba Eduar­do Aro­las)
  • Ángel Var­gas (El ruiseñor)
  • Aníbal Troi­lo
  • Aro­las
  • Calle­jas solo (A Alfre­do Calle­jas)
  • Cele­do­nio
  • Con T de Troi­lo
  • Cum­br­era (Car­los Gardel)
  • D’Arienzo vos sos el rey
  • D’Arienzo y Pal­i­to
  • Dis­cos de Gardel
  • Don José Maria
  • Don Juan
  • Don Orlan­do
  • El fueye de Aro­las
  • El pol­lo Ricar­do
  • El Tigre
  • El Yakaré (Elías Antúnez)
  • Gardel
  • Gardel que estas en los cie­los
  • Gardel – Raz­zano (El moro­cho y el Ori­en­tal)
  • Ger­ar­do Matos Rodriguez
  • Gri­cel
  • La negri­ta María
  • Luís maría
  • Mar­go
  • Mar­got
  • María
  • María Bar­ri­en­to
  • María Cristi­na
  • María de Buenos Aires
  • María Del Car­men
  • María Dolores
  • María Esther
  • María Lan­do
  • María Reme­dios
  • María Trinia
  • Mar­i­ana
  • Mar­ián­gel
  • Mar­i­an­i­to
  • Madame Ivone
  • Mi Ana María
  • Mi maría Rosa
  • Mi Mar­i­anela
  • Milon­ga para Gardel
  • Negra María
  • Para Eduar­do Aro­las
  • Peri­con por María
  • Pir­in­cho (Canaro)
  • Que le parece Dona María
  • Retra­to de Alfre­do Gob­bi
  • Rincón por María
    Tan­go a Pugliese
  • Un ADN a Gardel
  • Vio­lín
  • Zor­ro platea­do (Máx­i­mo Acos­ta)

Personnes difficiles à identifier

On par­le d’une per­son­ne pré­cise, mais il est dif­fi­cile d’être sûr de la per­son­ne évo­quée, il s’agit par­fois d’un être imag­iné à par­tir de plusieurs per­son­nes, comme Zor­ro Gris.

  • A lo Mag­dale­na
  • A lo Mega­ta
  • A mi mar­i­u­cho
  • Grise­ta
  • La Mar­i­anel­la
  • María celosa
  • María la del portón
  • María more­na
  • Mari­posa (papil­lon)
  • Otario que andas penan­do
  • Pobre Mar­got
  • Señori­ta María
  • Tu nom­bre es María
  • Yo soy María
  • Zor­ro gris

Dédicaces génériques

Elles peu­vent être util­isées pour dif­férentes per­son­nes, par exem­ple, les mères en général

  • A la mujer argenti­na
  • A los ami­gos
  • A los artis­tas plás­ti­cos
  • A los mae­stros
  • A los míos
  • A los mucha­chos
  • A los obreros grá­fi­cos
  • A los payadores
  • A los que se fueron
  • A mi esposa
  • A mi madre
  • A mi madrecita
  • A mi padre
  • A mi vie­ja
  • A mis com­pañeros
  • A mis tíos
  • A mis viejos
  • A su memo­ria
  • A un seme­jante
  • El inge­niero (ingénieurs diplômés dans les uni­ver­sités argen­tines).

Les dédicaces à Canaro

  • A Don Pir­in­cho Canaro (déjà cité)
  • A lo Pir­in­cho
  • Canaro
  • Canaro en Cór­do­ba
  • Canaro en Japón
  • Canaro en Paris
  • Pir­in­cho

Les sélections

Les selec­ciones sont des titres qui mélan­gent plusieurs morceaux. On les appelle aus­si Pop­urri (Pots-pour­ris).
Il en existe de dif­férents auteurs et/ou com­pos­i­teurs, par exem­ple Aro­las, Canaro, De Caro, Delfi­no, Di Sar­li, Dis­ce­po­lo, Gardel, Mar­i­ano Mores, Piaz­zol­la, Troi­lo… C’est une forme d’hommage qui con­siste à met­tre en valeur des com­po­si­tions ou textes d’un com­pos­i­teur ou auteur par­ti­c­uli­er.
Sans le titre selec­cion ou pop­urri, on trou­ve égale­ment

  • Hom­e­na­je a Car­los Gardel
  • Recor­dan­do a Dis­ce­po­lo
  • Hom­e­na­je a Eduar­do Rovi­ra

Les à la manière de

Il s’agit d’œuvres où on imite le style de la per­son­ne à qui on souhaite ren­dre hom­mage. Je par­le de com­po­si­tions, pas des orchestres qui jouent à la manière de…

  • Engob­biao (Alfre­do Gob­bi)
  • Pichuque­an­do (Canaro)
  • Pugliese­an­do  (Pugliese)
  • Tan­go a Pugliese (Pugliese)

San Pugliese

Vous vous êtes peut-être demandé pourquoi on dis­ait « San Pugliese », ce qui veut dire Saint Pugliese.
Don Osval­do était athée, com­mu­niste de sur­croît et donc, dif­fi­cile­ment canon­is­able, du moins par le Vat­i­can, même avec un Pape d’origine argen­tine.
Mais les Argentins ont de la ressource et l’idée de créer une image « pieuse » (Estampi­ta) à l’image de Pugliese est venue à Car­los Vil­l­a­ba à la vue des images pieuses qui se dis­tribuent dans les églis­es.
Il con­fia le texte à Alber­to Muñoz qui souhai­ta garder l’anonymat et c’est pour cette rai­son qu’il n’est pas signé. Ce qui est amu­sant, c’est que plusieurs per­son­nes ont revendiqué l’écriture, ce qui, pour Alber­to était la preuve que cela fonc­tion­nait.
L’image d’origine est con­sti­tuée d’une pho­to de Pugliese sur laque­lle un œil­let a été ajouté. C’est l’œillet qui était placé sur le piano quand Pugliese était absent (générale­ment en prison…) lors des con­certs.

San Pugliese. À gauche, Rec­to et ver­so de l’im­age « pieuse » orig­i­nale (estampi­ta). À droite, trois ver­sions plus récentes.

La men­tion « San Pugliese », reprend le principe des images pieuses, comme celle de San Expe­d­i­to, le saint des caus­es justes et urgentes…

Une image pieuse dédiée à San Expos­i­to.

Un doc­u­men­taire est sor­ti il y a quelques mois sur San Pugliese. Je vous invite à le voir, si vous en avez l’occasion, il est pas­sion­nant.

Bande annonce de San Pugliese

https://filmfreeway.com/SanPugliese
Le site et la bande annonce de San Pugliese.

https://www.facebook.com/sanpugliesedocumental
La page Face­book est égale­ment intéres­sante

Texte de la prière à Saint Pugliese

Pro­tégenos de todo aquel que no escucha. Ampára­nos de la mufa de los que insis­ten con la pati­ta de pol­lo nacional. Ayú­danos a entrar en la armonía e ilumí­nanos para que no sea la des­gra­cia la úni­ca acción coop­er­a­ti­va. Llé­vanos con tu mis­te­rio hacia una pasión que no par­ta los hue­sos y no nos deje en silen­cio miran­do un ban­doneón sobre una sil­la

Traduction libre de la prière à Saint Pugliese

« Pro­tège-nous tous ceux qui n’écoutent pas. Pro­tège-nous de la mufa (mau­vaise humeur) de ceux qui insis­tent avec la cuisse de poulet nationale. Aide-nous à entr­er en har­monie et éclaire-nous afin que le mal­heur ne soit pas la seule action coopéra­tive. Emmène-nous avec ton mys­tère vers une pas­sion qui ne brise pas les os et ne nous laisse pas en silence regar­dant un ban­donéon sur une chaise ».

Comment utiliser la prière à San Pugliese

Les musi­ciens argentins, même ceux qui n’ont rien à voir avec le tan­go respectent San Pugliese et l’invoquent pour que tout se passe bien. Sur les scènes, on peut voir des images de San Pugliese et quand tout ne se passe pas pour le mieux, il con­vient de con­jur­er le mau­vais sort en cri­ant Pugliese – Pugliese – Pugliese. Ne croyez pas que c’est une super­sti­tion, cela fonc­tionne et beau­coup d’artistes et de tech­ni­ciens ont la Estampi­ta dans leur porte­feuille, placée sur la con­sole ou sur leur instru­ment.

Clin d’œil final…

Le principe des images pieuses détournées con­tin­ue d’être util­isée en Argen­tine et je vous présente pour ter­min­er une image qui me fait mourir de rire. Le nom de l’homme poli­tique San­toro a été découpé en faire San Toro. Jaja­ja.

San­toro (en un seul mot) est un homme poli­tique argentin, enseignant de for­ma­tion. La prière demande à ce que les enfants puis­sent avoir une plave (van­cante) à l’é­cole publique.

Y suma y sigue… 1952-08-13 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Fulvio Salamanca (Fulvio Werfil Salamanca); Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Quand les auteurs de tan­go se lan­cent dans la philoso­phie de la vie, cela donne cela ; des con­seils pour nav­iguer entre les canailles et les giles. Juan D’Arienzo et son pianiste de l’époque, Ful­vio Sala­man­ca se sont asso­ciés avec Car­los Bahr pour éla­bor­er la musique et les paroles. Pour les danseurs, la philoso­phie est sim­ple, sauter sur la piste aux pre­mières notes et s’éclater à danser ce titre énergique servi par l’orchestre de D’Arienzo et la voix prenante de Echagüe.

La bande des auteurs

Générale­ment, on attribue à D’Arienzo et Sala­man­ca la musique et à Car­los Bahr les paroles, mais l’enregistrement à la SADAIC (Société des auteurs argentins) donne la pater­nité aux trois pour les deux élé­ments.

Reg­istre de la SADAIC indi­quant l’en­reg­istrement de l’œu­vre le 20 avril 1953.

On notera que pour les trois, la men­tion est auteur et com­pos­i­teur. Les pour­cent­ages pour cha­cun des trois ne sont pas déter­minés. C’est qu’ils esti­maient avoir col­laboré de façon com­pa­ra­ble et qu’ils devraient donc recevoir à parts égales les droits afférents.
On notera au pas­sage les pseu­do­nymes de Sala­man­ca et Bahr. Tony Cayena pour le pre­mier et Alfas et Luke J Y C pour le sec­ond.

Car­los Bahr, Juan D’Arien­zo et Ful­vio Sala­man­ca, les trois auteurs, com­pos­i­teurs du tan­go du jour.

Ce tra­vail à trois n’est pas éton­nant dans la mesure où Sala­man­ca et Bahr étaient des amis proches et que D’Arienzo aimait met­tre en musique les textes de Bahr. Ce trio a d’ailleurs réal­isé dans les mêmes con­di­tions d’autres titres joués par l’orchestre de D’Arienzo, comme : Ganzúa, La son­risa de mamá, Sin balur­do, Tomá estas mon­edas!, Tram­pa et notre tan­go du jour, Y suma y sigue…
D’autres titres ont été com­posés par D’Arienzo et Sala­man­ca avec un texte de Bahr comme : Hoy me vas a escuchar, Nece­si­to tu car­iño et Se-Pe-Ño-Po-Ri-Py-Ta-Pa et d’autres, enfin, ont été créé par Bahr (texte) et Sala­man­ca (musique) sans l’apport de D’Arienzo, comme : Amar­ga sospecha, Aqui he venido a can­tar, Dale dale, cabal­li­to, Des­de aque­l­la noche et Eter­na.

De gauche à droite, debout : Héc­tor Varela, Juan D’Arien­zo, Arman­do Labor­de, Alber­to Echagüe et Ful­vio Sala­man­ca au piano.

Y suma y sigue

Le titre peut inter­roger. Ce terme venant des livres compt­a­bles invite à tourn­er la page pour con­sul­ter la suite d’un compte, mais il a plusieurs autres sig­ni­fi­ca­tions.

  • Expres­sion indi­quant en bas de page, que le cal­cul va se con­tin­uer sur la page suiv­ante.
  • Équiv­a­lent de etc. du latín et cetera, pour indi­quer que la liste pour­rait con­tin­uer (et le reste, et les autres choses).
  • Indique que ça va con­tin­uer à aug­menter.
  • Indique que quelque chose se répète.

Je vous laisse choisir votre inter­pré­ta­tion à la présen­ta­tion des paroles ci-dessous.

Extrait musical

Y suma y sigue… 1952-08-13 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Alber­to Echagüe.
Par­ti­tion de Suma y sigue…

Paroles

No me gus­ta andar con vivos y a los giles les doy pase
a los otros si es pre­ciso los atien­do y se acabó.
Si la mala se encabri­ta me la aguan­to has­ta que amanse
y aunque siem­pre hay un ami­go, curo a solas mi dolor.
Me enseñó la mala racha que la suerte es mina ilusa,
Que, al final, se que­da siem­pre con aquel que está gril­lao.
Y aprendí en los des­en­can­tos, que si aflo­ja el de la zur­da,
es mejor que te amasi­jes porque al fin irás pal­mao.

Aunque seas bien dere­cho si andas seco te dan pifia.
Tra­ba­jan­do sos cualquiera y afanan­do sos señor.
Porque, al fin, has­ta la grela que com­parte tu cobi­ja
cuan­do ve man­gos en fila solo pien­sa “¿cuán­tos son?”.
Además, nadie pre­gun­ta de que “lao” llegó la bue­na,
la impor­tan­cia está en los man­gos aunque sal­gan de lo peor.
Y apren­des al triste pre­cio de tu cre­do en esta feria
que ni tiñe la vergüen­za, ni la gui­ta tiene hon­or.

Me enseñaron los ami­gos que estas firme si hay rebusque,
aprendí de los extraños que hay que abrirse del favor.
Y la vez, que por humano le di cuar­ta a un gil “cualunque”,
me dejó en la puer­ca vía sin con­fi­an­za y sin colchón.
Los demás te ven sacan­do por la pin­ta, como al naipe,
y al mar­carte “gil en puer­ta”, preg­o­nan­do que hay amor,
te saque­an has­ta el alma y después te dan el raje…
¡Pero nadie mira nun­ca que tenés un corazón!
Juan D’Arien­zo ; Ful­vio Sala­man­ca (Ful­vio Wer­fil Sala­man­ca); Car­los Bahr (Car­los Andrés Bahr)

Traduction libre

Je n’aime pas aller avec les canailles et aux giles (XXXX voir anec­dote sur le sujet) je donne un lais­sez-pass­er, quant aux autres si néces­saire, je m’oc­cupe d’eux et c’est tout.
Si le mau­vais se déchaîne, je le sup­porte jusqu’à ce qu’il se lève et bien qu’il y ait tou­jours un ami, je guéris ma douleur seul.
La mau­vaise série m’a appris que la chance est une gamine illu­soire, qu’à la fin, elle reste tou­jours avec celui qui est gril­lé.
Et j’ai appris dans les décep­tions, que si le sincère se détend, cela vaut mieux que de se pétrir (de coups), car à la fin vous finis­sez dans les pommes (pal­mao de pal­ma­do est endormir en lun­far­do).
Même si tu es très droit, si tu es sec, ils se moquent de toi.
En tra­vail­lant, tu es quel­conque et en trompant (arnaquant, volant), tu es un Mon­sieur.
Parce qu’en fin de compte, même la gonzesse (femme) qui partage votre cou­ver­ture (lit) quand elle voit des bif­fe­tons (bil­lets de 1 peso) alignés elle pense unique­ment à « com­bi­en il y en a ? ».
D’ailleurs, per­son­ne ne demande de quel côté vient le bon, l’im­por­tant ce sont les bil­lets même s’ils sor­tent du pire.
Et tu apprends au triste prix de ton cre­do dans cette foire qui ni la honte tache, ni le flouze (l’argent) n’a d’hon­neur.
Les amis m’ont appris à être ferme s’il y a une petite occa­sion (rebusque est un petit tra­vail sup­plé­men­taire, voire un amour pas­sager), j’ai appris d’in­con­nus qu’il faut s’ou­vrir à la faveur (peut aus­si sig­ni­fi­er prof­iter sex­uelle­ment).
Et la fois, que pour être humain, j’ai porté assis­tance à un gil quel­conque, il m’a lais­sé des scro­fules, sans con­fi­ance et sans mate­las (je ne suis pas sûr du sens).
Les autres te voient venir pour l’allure, comme aux cartes, et dès qu’ils te mar­quent « gil à la porte », procla­mant qu’il y a de l’amour, ils te pil­lent jusqu’à l’âme et ensuite ils te jet­tent dehors…
Mais per­son­ne ne voit jamais que tu as un cœur !
Ces con­seils de vie, se ter­mi­nent par Mais per­son­ne ne voit jamais que tu as un cœur ! Les con­seils cachent en fait un regard cri­tique et dés­abusé sur le monde con­tem­po­rain, sur les rela­tions humaines. En cela, ce tan­go rejoint d’autres tan­gos comme cam­bal­ache, tor­men­ta et tant d’autres qui dénon­cent les injus­tices et les abus.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enreg­istrement de ce titre, mais D’Arienzo et Echagüe ont enreg­istré plusieurs tan­gos faisant appel au lun­far­do. En 1964, RCA a édité une sélec­tion de 12 de ces tan­gos dans un disque 33 tours.

Acad­e­mia del lun­far­do (1964). 12 tan­gos avec des paroles en lun­far­do par D’Arien­zo et Echagüe. Notre tan­go du jour est le pre­mier titre de la face 2.
Joyas del Lun­far­do (1996) reprend les 12 titres de 1964 et en rajoute 8.

Voici la liste des 20 titres du CD. Ceux qui sont en gras étaient dans le CD de 1964

1 Cartón junao (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela/Carlos Waiss)
2 Chichipía(Juan (D‘Arienzo / Héc­tor Varela / Car­los Waiss)
3 Bien pulen­ta (Car­los Waiss)
4 El nene del Abas­to (Ela­dio Blanco/Raúl Hor­maza)
5 Sarampión (Ela­dio Blanco/Raúl Hor­maza)
6 Cam­bal­ache (Enrique San­tos Dis­cépo­lo)
7 Pitu­ca (Enrique Cadícamo/José Fer­reyra)

8 El raje (Juan D‘Arienzo/Héctor Varela)
9 Amar­ro­to (Miguel Buci­no / Juan Cao)
10 Bara­jan­do (Eduar­do Escaris Mendez)
11 Don Juan Mon­di­o­la (Anto­nio Oscar Arona)
12 Farabute (Joaquín Bar­reiro / Anto­nio Cas­ciani)
13 Cor­ri­entes y Esmer­al­da (Cele­do­nio Flo­res / Fran­cis­co Pracáni­co)
14 Y suma y sigue (Car­los Bahr / Juan D‘Arienzo / Ful­vio Sala­man­ca)
15 Che exis­ten­cial­ista (Mario Lan­di / Rodol­fo Mar­t­in­cho)
16 Pan comi­do (Enrique Dizeo)
17 Las cuarenta (Froilán Gor­rindo)
18 Que mufa che (Jorge Sturla (Tito Pueblo) / Luis Zam­bal­di)
19 Mi queri­da Sisebu­ta (Arman­do Gat­ti / Car­los Láz­zari / Anto­nio Poli­to)
20 Peringundín (Pin­tín Castel­lanos)

Voilà, les amis, c’est tout pour aujourd’hui.

Je ne vous dis pas à demain, car je vais faire une pause dans les anec­dotes, notam­ment pour essay­er de résoudre les prob­lèmes avec Face­book que cela énerve, mais aus­si, car le site sat­ure et que mon hébergeur me fait aus­si les gros yeux.

Un abra­zo énorme, des­de Buenos Aires où il fait encore bien froid…

T.B.C. 1953-08-11 — Orquesta Edgardo Donato con Roberto Morel y Raúl Ángeló

Ascanio Ernesto Donato Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

Nous vivons dans un monde de fous et le poids d’un bais­er volé est sans doute telle­ment lourd aujourd’hui que l’on n’oserait plus écrire des paroles com­pa­ra­bles à celles de notre tan­go du jour. Les ini­tiales T.B.C. sig­ni­fient Te bese (je t’ai embrassé). Mais nous ver­rons d’autres sig­ni­fi­ca­tions pos­si­bles pour les pre­mières ver­sions.

Ascanio

Ascanio Ernesto Dona­to

Ascanio Dona­to (14 octo­bre 1903 — 31 décem­bre 1971) est un des 8 frères de Edgar­do Dona­to, l’interprète de notre tan­go du jour. Con­traire­ment à son grand frère, Edgar­do (vio­loniste) ou même son petit frère, Osval­do (pianiste), Ascanio est peu con­nu. Le site TodoTan­go, qui est en général une bonne source, l’indique comme vio­loniste, alors qu’il était vio­lon­cel­liste.
Sa fiche dans le réper­toire des auteurs uruguayens est plus que som­maire : https://autores.uy/autor/4231. Avec seule­ment la date de nais­sance et un seul de ses prénoms et pas de date de décès. En effet, con­traire­ment à son aîné, Edgar­do qui est né à Buenos Aires, Ascanio est né à Mon­te­v­ideo.
L’œuvre a été déposée le 22 jan­vi­er 1929 (n° 40855) sous le nom de A.E. Dona­to (Ascanio Ernesto Dona­to). À l’époque, il était déjà vio­lon­cel­liste avec ses frères, Osval­do au piano et Edgar­do à la direc­tion et au vio­lon. On notera que le dépôt a eu lieu en 1929, mais que le tan­go a été enreg­istré pour la pre­mière fois en 1927.
Un autre dépôt a été effec­tué en Argen­tine le 19 décem­bre 1940 (# 2535 | ISWC T0370028060) et cette fois, le dépôt est au nom d’Edgar­do. Cepen­dant, les pre­miers dis­ques men­tion­nent A. Dona­to.

Dif­férents dis­ques de T.B.C.

Les pre­miers dis­ques indiquent bien A. Dona­to. Celui de Veiga réal­isé à New York indique E Dona­to et pas les auteurs du texte, chan­té. Celui de Rafael Canaro réal­isé en Espagne indique juste Dona­to. Celui de De Ange­lis indique E. Dona­to et celui du quin­tette du pianiste Oscar Sabi­no, de nou­veau, A. Dona­to… On notera que le pre­mier disque, celui de Car­los Di Sar­li à gauche ne men­tionne pas les auteurs des paroles, l’œuvre étant instru­men­tale.

Je pro­pose de con­serv­er l’attribution à Ascanio, d’autant plus que je verse au dossier une par­ti­tion qui lui attribue l’œuvre…

Extrait musical

Par­ti­tion de T.B.C. indi­quant A.E. Dona­to, donc, sans ambiguïté, Ascanio Ernesto Dona­to.
T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Rober­to Morel y Raúl Ángeló

Paroles

Les paroles sem­blent avoir été ajoutées postérieure­ment. Nous y revien­drons.

Te besé
y te cabri­aste
de tal man­era
que te pusiste
hecha una fiera.
Y has­ta qui­siste,
sin más moti­vo,
darme el oli­vo
por ser audaz.

Total
no es para tan­to,
no ves
que esta­ba “colo”.
Pen­sá
que fue uno sólo
y al fin
te va a gus­tar.
No digas que no,
que cuan­do sepas,
besar
dan­do la vida
serás
tu quien me pida
y sé
qué me dirás.

Bésame,
que no me eno­jo,
bésame,
como en el cine.
Un beso de pasión,
que al no poder res­pi­rar,
me deten­ga el corazón.
Bésame,
Negro queri­do,
el alma
dame en un beso
que me haga estreme­cer
la sen­sación
de ese plac­er.
Ascanio Dona­to Letra: Rober­to Fontaina; Víc­tor Soliño

Traduction libre

Je t’ai embrassée et tu t’es telle­ment fâchée que tu es dev­enue une bête sauvage. Et tu voulais même, sans plus de rai­son, t’enfuir (Dar el oli­vo, c’est par­tir, fuir) pour avoir été auda­cieux.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas si mal, ne vois-tu pas que c’é­tait « colo » (Loco, fou en ver­lan).
J’ai pen­sé que ce serait un seul et qu’au final tu aimerais. Ne dis pas non, que quand tu sais, embrass­er en don­nant la vie, tu seras celle qui me deman­dera et je sais ce que tu me diras :
Embrasse-moi, que je ne me fâche pas, embrasse-moi, comme au ciné­ma. Un bais­er de pas­sion, que de ne plus pou­voir respir­er, mon cœur s’ar­rête.
Embrasse-moi, mon chéri (Negro est un surnom affectueux qui peut être don­né à quelqu’un qui n’est pas noir), donne-moi un bais­er à l’âme qui me fasse sec­ouer la sen­sa­tion de ce plaisir.

Comme pour beau­coup de paroles de tan­go, il con­vient de faire des hypothès­es quant à la sig­ni­fi­ca­tion exacte. Le fait que des femmes et des hommes l’aient chan­té per­met de rel­a­tivis­er l’affaire, ce ne sont pas d’horribles machistes qui vio­len­tent des femmes non con­sen­tantes.
Cer­tains voient dans le tan­go des his­toires de bor­dels, mais dans la grande majorité, les his­toires sont plutôt sen­ti­men­tales, c’est-à-dire qu’elles par­lent de sen­ti­ments. Que ce soit l’illusion, l’amour fou, la détresse de l’abandon, le repen­tir, le regret. En dehors de l’époque des pro­totan­gos et des pre­miers tan­gos qui avaient des paroles assez crues et où les mecs fai­saient les bravach­es, la plu­part des titres est plutôt roman­tique.
Je veux voir dans le texte de ce tan­go une idylle nais­sante, peut-être entre des ado­les­cents, pas le cas d’un tai­ta qui s’impose à une mina désem­parée, d’autant plus que le texte peut être vu des deux points de vue, comme le prou­vent les ver­sions que je vous pro­pose.
Pour la tra­duc­tion, j’ai choisi de faire par­ler un homme, puisque ce sont des hommes qui chantent notre tan­go du jour et le dernier cou­plet pour­rait-être la réponse de la femme qui se rend aux argu­ments, à la sol­lic­i­ta­tion de l’homme. Mais on peut totale­ment invers­er les rôles.
Les pre­miers enreg­istrements sont instru­men­taux. T.B.C. peut dans ce cas sig­ni­fi­er Te Bese, ou TBC (sans les points) qui désigne la tuber­cu­lose… TBC est aus­si un club nau­tique de Tigre (près de Buenos Aires) TBC pour Tigre Boat Club. De nom­breux tan­gos font référence à un étab­lisse­ment, ou un club. Mais le fait qu’il soit à Tigre et pas à Mon­te­v­ideo lim­ite la portée de cette hypothèse.
L’excellent site bibletango.com indique que le titre serait inspiré par un club assez spé­cial de Mon­te­v­ideo, mais sans autre pré­ci­sion. Si on excepte l’acception TBC=Tuberculose, je ne trou­ve pas de club en rela­tion avec T.B.C. à Mon­te­v­ideo.

Avec les paroles de Rober­to Fontaina et Víc­tor Soliño, le doute n’est plus per­mis, c’est bien Te bese qu’il faut com­pren­dre.
Rober­to Fontaina et Víc­tor Soliño tra­vail­laient à Mon­te­v­ideo. Ce qui con­firme l’origine uruguayenne de ce titre.

Autres versions

Ce tan­go a été enreg­istré à divers­es repris­es et en deux vagues, à la fin des années 20 et dans les années 50.
Les enreg­istrements de 1927 et 1928 sont instru­men­taux.

T.B.C. 1927-11-28 — Orques­ta Julio De Caro.

Pre­mier enreg­istrement, instru­men­tal.

T.B.C. 1928-11-26 — Sex­te­to Car­los Di Sar­li. Une ver­sion instru­men­tale.

Une autre ver­sion instru­men­tale.

Rosi­ta Quiroga nous pro­pose la pre­mière ver­sion chan­tée.

T.B.C. 1929-01-22 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras y sil­bidos.

Je trou­ve cette ver­sion fraîche et déli­cieuse. Toute sim­ple et qui exprime bien le texte. Remar­quez les sif­fle­ments.

T.B.C. (Te bese) 1929-06-19 — Genaro Veiga — Orques­ta de la Madriguera.

Cette ver­sion a été enreg­istrée à New York, ce qui une fois de plus prou­ve la dif­fu­sion rapi­de des œuvres. On n’est pas obligé d’apprécier la voix un peu traî­nante de Veiga.

T.B.C. (Te bese) 1930 Orques­ta Rafael Canaro con Car­los Dante y Rafael Canaro.

Rafael se joint à Car­los Dante pour le refrain dans un duo sym­pa­thique. Cette ver­sion a été enreg­istrée en Espagne, par le plus français des Canaro.

T.B.C. (Te bese) 1952-12-05 — Florindo Sas­sone con Rober­to Chanel.

Une ver­sion typ­ique de Sas­sone qui remet au goût du jour ce thème. C’est un peu trop grandil­o­quent à mon goût. Rober­to Chanel, sem­ble rire au début, sans doute pour dédrama­tis­er sa demande. En revanche, l’orchestre passe au sec­ond plan et cela per­met de prof­iter de la belle voix de Chanel.

T.B.C. (Te bese) 1953-08-11 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Rober­to Morel y Raúl Ángeló. C’est notre tan­go du jour.

Après l’écoute de Sas­sone, on trou­vera l’interprétation beau­coup plus sèche et nerveuse. Pour le pre­mier disque de ce tan­go de son frère (ou de lui…), c’est un peu tardif, mais c’est plutôt joli. Cela reste dans­able. Comme dans la ver­sion de Rafael Canaro qui ini­tie le pre­mier duo, le refrain est chan­té par Morel et Ángeló.

T.B.C. (Te bese) 1957-07-17 — Diana Durán con orques­ta.

À com­par­er à la ver­sion de Rosi­ta Quiroga de 28 années antérieure. On peut trou­ver que c’est un peu trop dit et pas assez chan­té. Je préfère la ver­sion de Rosi­ta.

T.B.C. (Te bese) 1960-10-19 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Lalo Mar­tel.

Lalo Mar­tel, reprend le style décon­trac­té et un peu gouailleur de ses prédécesseurs.

T.B.C. (Te bese) 1990 C — Los Tubatan­go.

Et on ferme la boucle avec une ver­sion instru­men­tale avec un orchestre qui s’inspire des pre­miers orchestres de tan­go…

T.B.C. Inspiré de Psy­ché ran­imée par le bais­er de l’Amour — Anto­nio Cano­va.

J’ai util­isé un des bais­ers les plus célèbres de l’histoire de l’art, celui immor­tal­isé dans le mar­bre par Anto­nio Cano­va et que vous pou­vez admir­er au Musée du Lou­vre (Paris, France) pour l’image de cou­ver­ture.

El reloj 1957-08-02 — Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

García Roberto Cantoral (MyL)

Notre tan­go du jour n’est pas un tan­go. Notre tan­go du jour est un tan­go. C’est un tan­go, ou ce n’est pas un tan­go, il faudrait savoir ! Dis­ons que c’est un tan­go, mais que ce n’est pas un tan­go. Le tan­go sait chanter l’amour, mais il n’est pas le seul. Son copain le boléro le fait sans doute tout aus­si bien et sans doute mieux. Alors, nous allons décor­ti­quer le mécan­isme de l’horloge, celle qui dit oui, qui dit non, dans le salon.

Boléro y tango

Je vous racon­terai en fin d’anecdote l’histoire qui a don­né nais­sance à ce boléro. Oui, ce titre est né boléro.
En Argen­tine, cer­tains tan­gos un peu mielleux et hyper roman­tiques sont surnom­més boléros par les tangueros et ce n’est pas for­cé­ment un com­pli­ment. Quelqu’un comme Borges aurait pu sor­tir le facón (couteau de gau­cho) pour faire un sort au musi­cien qui aurait osé pro­pos­er ce type de tan­go, pas assez vir­il à son goût.
Mais le boléro est aus­si un genre musi­cal orig­i­naire de Cuba, qui, comme le tan­go, s’est exporté avec suc­cès en Europe au point d’être une des pièces indis­pens­ables des bals de vil­lage. On notera toute­fois que les danseurs « musette » le dansent exacte­ment comme le tan­go, avec le même anapeste, le fameux lent-vite-vite-lent des cours de danse de société, alors que celui du boléro serait plutôt du type vite-vite-lent. Les deux dans­es sont d’ailleurs du type 4/4, même si dans le cas du tan­go, on aime à par­ler de 2/4 (dos por cua­tro).
Atten­tion, il me sem­ble qu’il faut pré­cis­er que le boléro d’Amérique du Sud n’est pas le boléro espag­nol qui est lui de rythme ter­naire et qui est un dérivé des séguedilles. Il fut très pop­u­laire durant tout le dix-neu­vième siè­cle, jusqu’au ter­ri­ble « Boléro » de Mau­rice Rav­el en 1928, qui en est une légère vari­ante, mais dans lequel on recon­naît bien le rythme ter­naire (3/4).
Les Européens se sont jetés sur le boléro d’origine sud-améri­caine dans les années 30 en s’approvisionnant aux deux prin­ci­pales sources de l’époque, Cuba et le Mex­ique, ce qui leur a per­mis d’oublier l’insupportable Boléro de Mau­rice Rav­el. La dif­fu­sion était bien sûr la radio et le disque, mais aus­si les bals et tout comme le tan­go de danse a été cod­i­fié en Europe, le boléro l’a été.
En Argen­tine, le boléro a aus­si fait son appari­tion, mais le tan­go était bien en place et c’est un peu plus tar­di­ve­ment, notam­ment dans les années 50, qu’il est devenu très impor­tant.
Notre tan­go du jour appar­tient juste­ment à cette époque. Auréolé de son suc­cès, ce boléro écrit et chan­té par Gar­cía Rober­to Can­toral (avec son trio mex­i­cain Los 3 Caballeros) est arrivé jusqu’aux oreilles de Juan D’Arienzo qui a décidé de l’adapter à sa musique, en le trans­for­mant en tan­go.

Comparaison du chant boléro et tango

Je me suis livré à une petite expéri­ence. Rober­to Can­toral chante plus lente­ment que Jorge Valdez. C’est logique, il n’a pas la fusée D’Arienzo pour le pouss­er et c’est un boléro…
J’ai donc accéléré son enreg­istrement pour le plac­er à la même vitesse que celui de D’Arienzo. Dans ce pre­mier mon­tage, on va enten­dre un extrait des deux ver­sions en même temps. C’est un peu fouil­lis, mais on voit tout de même des analo­gies.

El reloj — D’Arien­zo Valdez et Rober­to Can­toral. On entend les deux en même temps sur un extrait, le début de la par­tie chan­tée.
El reloj — Can­toral Puis D’Arien­zo Valdez.

Le début de la ver­sion chan­tée par Can­toral, un petit pont par D’Arienzo puis Jorge Valdez. On notera que même si le rythme de l’orchestre est dif­férent, les chanteurs ne sont pas si dif­férents.
On remar­quera l’arrastre de Can­toral, bien plus mar­qué que chez Valdez. De plus, si vous prenez en compte que j’ai accéléré l’enregistrement de Can­toral pour qu’il soit au com­pas de celui de D’Arienzo, on com­pren­dra que la même par­ti­tion peut don­ner lieu à des inter­pré­ta­tions très dif­férentes.
Vous pour­rez enten­dre la ver­sion de Can­toral en entier dans la par­tie « Autres ver­sions ».
Pour inter­préter son tan­go qui n’est pas un boléro, mais qui est roman­tique comme un boléro, Juan D’Arienzo a fait appel à Jorge Valdez, son chanteur roman­tique et voici le résul­tat…

Extrait musical

El reloj Rober­to Can­toral. Par­ti­tion de boléro pour piano au cen­tre et par­ti­tion pour chanteur à droite. Can­toral et Valdez chantent sen­si­ble­ment la même par­ti­tion. La dif­férence de rythme vient de l’orchestre.
El reloj 1957-08-02 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Jorge Valdez.

Comme vous pou­vez l’entendre, cette ver­sion n’a rien de boléro dans le rythme. Les accents suaves du boléro d’origine sont découpés par des pas­sages martelés au piano et au ban­donéon. Un petit motif léger au piano évoque un car­il­lon de salon et Jorge Valdez com­mence à chanter. Je ne suis en général pas fan de Valdez pour la danse, mais curieuse­ment et mal­gré l’origine en boléro, le résul­tat reste accept­able pour la danse en tan­go et cela bien que Valdez chante la total­ité des paroles et par con­séquent plus de la moitié du tan­go. Peut-être que la beauté des paroles aide. Je vous laisse en juger.

Paroles

Reloj, no mar­ques las horas
Porque voy a enlo­que­cer
Ella se irá para siem­pre
Cuan­do amanez­ca otra vez
Nomás nos que­da esta noche
Para vivir nue­stro amor
Y tú tic-tac me recuer­da
Mi irre­me­di­a­ble dolor
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apa­ga
Ella es la estrel­la que alum­bra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiem­po en tus manos
Haz esta noche per­pet­ua
Para que nun­ca se vaya de mí
Para que nun­ca amanez­ca
Reloj, detén tu camino
Porque mi vida se apa­ga
Ella es la estrel­la que alum­bra mi ser
Yo sin su amor no soy nada
Detén el tiem­po en tus manos
Haz esta noche per­pet­ua
Para que nun­ca se vaya de mí
Para que nun­ca amanez­ca.

Gar­cía Rober­to Can­toral (MyL)

Traduction libre

Hor­loge, ne mar­que pas les heures parce que je vais devenir fou.
Elle dis­paraî­tra pour tou­jours lorsque le soleil se lèvera à nou­veau.
Nous n’avons que cette nuit pour vivre notre amour et ton tic-tac me rap­pelle ma douleur irrémé­di­a­ble.
Hor­loge, arrête ton chemin parce que ma vie s’ar­rête.
Elle est l’é­toile qui illu­mine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit per­pétuelle pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube n’arrive jamais.
Hor­loge, arrête ton chemin, car ma vie s’éteint.
Elle est l’é­toile qui illu­mine mon être.
Sans son amour, je ne suis rien.
Arrête le temps entre tes mains.
Rends cette nuit per­pétuelle, pour qu’elle ne me quitte jamais, pour que l’aube ne se lève jamais.

Une histoire romantique

Rober­to Can­toral aurait com­posé ce titre alors qu’il était en tournée avec Los 3 caballeros, le trio de gui­taristes chanteurs (les trios de gui­taristes chanteurs sont une spé­cial­ité mex­i­caine) qu’il avait for­mé avec Chamin Cor­rea et Leonel Gálvez.

Los tres caballeros. De gauche à droite, Leonel Gálvez, Rober­to Can­toral, et Chamin Cor­rea.

Il aurait eu à cette occa­sion une his­toire d’amour avec une des femmes de la tournée, une danseuse.
La chan­son con­terait donc cette dernière nuit où lui devait revenir au Mex­ique et elle à New York.
Cette his­toire est telle­ment plau­si­ble, qu’elle est qua­si offi­cielle. On peut juste se deman­der pourquoi il écrivait un boléro au lieu de prof­iter de ses derniers moments et pourquoi imag­i­nait-il que cette his­toire était ter­minée ? Engage­ment de la belle dans une autre his­toire ? Il était mar­ié et il ne voulait pas quit­ter sa femme.

Une histoire encore plus romantique

S’il était mar­ié, c’est le thème de la sec­onde his­toire. La femme de Rober­to était grave­ment malade et le boléro a été com­posé alors qu’il la veil­lait à l’hôpital Benef­i­cen­cia Españo­la de Tampi­co. Les médecins avaient livré un som­bre pronos­tic et il n’était pas du tout cer­tain que son épouse « passerait la nuit ». D’après un jour­nal­iste sig­nant lctl dans El Her­al­do de Méx­i­co du 10 févri­er 2021, la femme aurait survécu.
Si cette his­toire est véridique, alors, elle est bien roman­tique égale­ment. Mais j’ai un doute sur cette his­toire dans la mesure où Rober­to Can­toral a vécu une autre aven­ture roman­tique… et que s’il chéris­sait telle­ment sa femme, il est peu prob­a­ble qu’il se lance dans l’aventure que je vais expos­er, mais avant, un détail.
Je n’ai pas évo­qué les débuts de Rober­to avec son frère aîné Anto­nio en 1950–1955 (Los Her­manos Can­toral). Anto­nio a créé ensuite aus­si son groupe, Los Platea­d­os de Méx­i­co. Con­traire­ment à son petit frère, il était mar­ié à l’époque de l’écriture de El reloj, amoureux et sa femme mou­rut jeune, en 1960. Peut-être que le séjour à l’hôpital était celui de la femme d’Anto­nio et pas d’une hypothé­tique femme de Rober­to.
Et voici la troisième his­toire…

Une histoire encore plus et plus romantique

Dans le domaine du boléro, plus c’est roman­tique et mieux c’est. En 1962 à Viña del Mar (Chili), Rober­to était en tournée. Il y ren­con­tra une trapéziste argen­tine qui était égale­ment en tournée. Cette trapéziste s’appelait Itatí Zuc­chi Deside­rio, elle était égale­ment cham­pi­onne de judo, actrice et danseuse con­tem­po­raine. La par­tie roman­tique de l’histoire est qu’il se mar­ièrent 9 jours après leur ren­con­tre et qu’ils restèrent unis jusqu’à leur mort, 2010 pour lui, 2020 pour elle qui déclarait :
« Je suis la femme d’un seul homme, car quand l’amour est pur et le cou­ple a un bon cœur, il ne peut pas se chang­er comme des chaus­sures. Il se garde pour tou­jours dans l’âme »
Si cette his­toire, qui con­traire­ment aux deux autres, est sûre si j’en crois mes croise­ments de sources, il faudrait que d’époux inqui­et en 1956–1957, il devi­enne divor­cé ou veuf cinq ans plus tard, con­di­tion néces­saire pour con­tracter en neuf jours le mariage. Par ailleurs, je n’ai pas trou­vé de trace d’un pre­mier mariage.
En 1956–57, il était en tournée, il avait 21 ans et en plein essor artis­tique. Ce ne sont pas les don­nées idéales pour con­firmer un mariage.
Avec Itatí Zuc­chi, ils ont eu qua­tre enfants, trois garçons et une fille, qui a pris le prénom et le nom de sa mère et le nom de son père… Itatí Can­toral Zuc­chi. Elle est actrice et chanteuse.

Rober­to Can­toral, Itatí Zuc­chi et Itatí Zuc­chi (fille)

Je vous laisse donc choisir l’histoire qui vous sem­ble la plus crédi­ble et vous pro­pose de regarder main­tenant les autres ver­sions.

Autres versions

Comme le titre est avant tout un boléro, mal­gré l’usage qu’en a fait D’Arienzo, je vais vous pro­pos­er surtout des boléros.

El reloj 1957 – Los 3 caballeros.

C’est la pre­mière ver­sion pro­posée par Rober­to Can­toral, Chamin Cor­rea et Leonel Gálvez, Los 3 Caballeros. Le style est celui du boléro mex­i­cain.

El reloj 1957-08-02 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Jorge Valdez.

C’est donc au début du suc­cès du titre que D’Arienzo s’est lancé dans sa ver­sion.

El reloj 1958 — Trio Los Pan­chos.

El reloj 1958 — Trio Los Pan­chos. Un début avec des claque­ments évo­quant l’horloge. Le boléro se déroule ensuite de belle façon, appuyé par une per­cus­sion légère de clave, très cubaine. Cepen­dant, aucun des trois n’est cubain, Chu­cho Navar­ro et Alfre­do Gil sont mex­i­cains et Her­nan­do Avilés est por­tor­i­cain.

El reloj 1960 — Rober­to Can­toral.

À par­tir de 1960, Rober­to Can­toral entame sa car­rière de soliste. Le style n’est plus mex­i­can­isant.

El reloj 1960c Alber­to Oscar Gen­tile con Alfre­do Mon­tal­bán.

Ce tan­go est daté 1950 dans tango.info, ce qui sem­ble impos­si­ble si le boléro a été écrit en 1956. Le début au vibra­phone évoque le tin­te­ment de Big Ben, suivi d’un petit motif horaire rap­pelant le son d’un car­il­lon de salon. Puis le titre con­tin­ue, sous une forme qui pour­rait s’apparenter au tan­go.

El reloj 1961 — Anto­nio Pri­eto.

Une ver­sion en boléro par le chanteur chilien, Anto­nio Pri­eto.

El reloj 1981 — José José.

Comme pour le tan­go, il y a des boléros de danse et d’autres plus pour écouter. C’est ce dernier usage qui est recom­mandé pour celui-ci, enfin pas tout à fait, il est util­is­able en slow pour danser « bolero », mais pas le bolero.

El reloj 1997 — Luis Miguel.

Même motif, même puni­tion pour cette ver­sion en boléro, très célèbre par Luis Miguel.

El reloj 2012 — Il Volo… Takes Flight – Detroit Opera House.
Ce trio de jeunes Ital­iens avait enreg­istré ce titre dès leur pre­mier album sor­ti le 30 novem­bre 2010.

Ces jeunes chanteurs ital­iens peu­vent rap­pel­er Rober­to Can­toral et son frère Anto­nio qui se lancèrent, mineurs, dans les tournées.

El reloj 2018-11-20 – Román­ti­ca Milonguera con Marisol Mar­tinez y Rober­to Minon­di.

Pour ter­min­er, place au tan­go avec cette excel­lente ver­sion de la Román­ti­ca Milongera et ses deux chanteurs, Marisol Mar­tinez et Rober­to Minon­di.

Finale­ment, ce boléro a don­né vie à au moins deux belles exé­cu­tions en tan­go, celle de D’Arienzo et celle de la Román­ti­ca Milongera.

Rober­to Can­toral, com­pos­i­teur du boléro qui don­na notre tan­go du jour.

À demain, les amis !

Malena 1942-01-08 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Lucio Demare Letra : Homero Manzi

Male­na chante le tan­go comme per­son­ne et cela se sait depuis au moins 1941, date à laque­lle Lucio Demare a com­posé ce tan­go qui sera inséré dans le film de son frère, Lucas, El Viejo Hucha. Ce mag­nifique tan­go qui a béné­fi­cié du tal­ent de Lucio Demare pour la musique et de Home­ro Manzi pour les paroles a eu, a et sans doute aura longtemps un gros suc­cès.

Lucio Demare, à gauche, Home­ro Manzi, à droite. Manzi a écrit le texte, l’a don­né à Demare qui a com­posé hyper rapi­de­ment la musique. C’est l’effet Male­na.

Extrait musical

Male­na, Lucio Demare et Home­ro Manzi. Par­ti­tion de Jules Korn. Au cen­tre, une par­ti­tion que j’ai créée pour expli­quer dans mes cours le fonc­tion­nement des par­ties au tan­go et comme c’est juste­ment à pro­pos de Male­na…
Male­na 1942-01-08 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no

Paroles

Male­na can­ta el tan­go como ningu­na
y en cada ver­so pone su corazón.
A yuyo del sub­ur­bio su voz per­fuma,
Male­na tiene pena de ban­doneón.
Tal vez allá en la infan­cia su voz de alon­dra
tomó ese tono oscuro de calle­jón,
o aca­so aquel romance que sólo nom­bra
cuan­do se pone triste con el alco­hol.
Male­na can­ta el tan­go con voz de som­bra,
Male­na tiene pena de ban­doneón.

Tu can­ción
tiene el frío del últi­mo encuen­tro.
Tu can­ción
se hace amar­ga en la sal del recuer­do.
Yo no sé
si tu voz es la flor de una pena,
só1o sé que al rumor de tus tan­gos, Male­na,
te sien­to más bue­na,
más bue­na que yo.

Tus ojos son oscuros como el olvi­do,
tus labios apre­ta­dos como el ren­cor,
tus manos dos palo­mas que sien­ten frío,
tus venas tienen san­gre de ban­doneón.
Tus tan­gos son criat­uras aban­don­adas
que cruzan sobre el bar­ro del calle­jón,
cuan­do todas las puer­tas están cer­radas
y lad­ran los fan­tas­mas de la can­ción.
Male­na can­ta el tan­go con voz que­bra­da,
Male­na tiene pena de ban­doneón.

Lucio Demare Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Les paroles sub­limes de Manzi se suff­isent à elles-mêmes. Je vous en laisse savour­er la poésie à tra­vers ma tra­duc­tion (ou celle de Google, pour ceux qui lisent dans une autre langue que l’espagnol ou le français).

Male­na chante le tan­go comme per­son­ne et dans chaque cou­plet, met son cœur.
À l’herbe des ban­lieues, sa voix par­fume, Male­na a une peine de ban­donéon.
Peut-être que dans son enfance, sa voix d’alou­ette a pris ce ton obscur de ruelle, ou peut-être cette romance qu’elle ne nomme que lorsqu’elle est triste avec l’al­cool.
Male­na chante le tan­go d’une voix d’om­bre, Male­na a une peine de ban­donéon.
Ta chan­son a le froid de la dernière ren­con­tre.
Ta chan­son devient amère dans le sel de la mémoire.
Je ne sais pas si ta voix est la fleur d’un cha­grin, je sais seule­ment qu’à la rumeur de tes tan­gos, Male­na, je te sens meilleure, meilleure que moi.
Tes yeux sont som­bres comme l’ou­bli, tes lèvres sont ser­rées comme le ressen­ti­ment, tes mains sont deux colombes qui ont froid, tes veines ont du sang de ban­donéon.
Tes tan­gos sont des créa­tures aban­don­nées qui tra­versent la boue de la ruelle, lorsque toutes les portes sont fer­mées et que les fan­tômes de la chan­son aboient.
Male­na chante le tan­go d’une voix cassée, Male­na a une peine de ban­donéon.

Autres versions

On con­sid­ère générale­ment que c’est Troi­lo qui a lancé le titre. Ce n’est pas faux, mais en fait Demare l’interprétait avec Juan Car­los Miran­da, dès 1941 au Cabaret Nov­el­ty.

Le cabaret Nov­el­ty où jouait Lucio Demare et où il inau­gu­ra Male­na avec Juan Car­los Miran­da. Pho­to de 1938 (3 ans plus tôt).

D’accord, il le jouait, mais il ne l’a pas enreg­istré alors c’est bien Troi­lo le pre­mier. Que non, mon ami. Lucio Demare l’a enreg­istré avec Juan Car­los Miran­da à la fin de 1941, mais cette ver­sion est restée « secrète » jusqu’au 29 avril 1942.
Il s’agit de la ver­sion enreg­istrée pour le film El Viejo Hucha, réal­isé par Lucas Demare, son frère et avec Osval­do Miran­da faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enreg­istrée de Juan Car­los Miran­da.
Et voici donc la pre­mière ver­sion enreg­istrée qui est bien de Lucio Demare avec Juan Car­los Miran­da. Juan Car­los Miran­da qui chante dans l’enregistrement est rem­placé dans le film par Osval­doMiran­da, mais rien à voir avec l’autre Miran­da, car Juan Car­los s’appelait en fait Rafael Miguel Scior­raOsval­do a égale­ment chan­té, mais pas dans ce film, à ses débuts avant de devenir acteur. Il était ami avec Manzi (que le monde est petit…).

Osval­do Miran­da faisant le phonomimétisme (play-back) sur la voix enreg­istrée de Juan Car­los Miran­da qui chante Male­na dans le film El Viejo Hucha.
Male­na 1942-01-08 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Fran­cis­co Fiorenti­no. C’est notre tan­go du jour.

C’est le vrai faux pre­mier enreg­istrement et le pre­mier sor­ti en disque.

Male­na 1942-01-23 — Orques­ta Lucio Demare con Juan Car­los Miran­da.

Une autre ver­sion de Demare et Miran­da (le vrai), en disque, 15 jours après Troi­lo.

Male­na 1950-12-12 — Quintin Ver­du et son Orchestre con Lucio Lam­ber­to.

Cet attachant orchestre français pro­pose sa ver­sion de Male­na.

Male­na 1951-09-20 — Orques­ta Lucio Demare con Héc­tor Alvara­do.

Le com­pos­i­teur enreg­istre sa troisième ver­sion du titre. Le chanteur, Alvara­do âgé alors de 25 ans, est le seul chanteur de l’orchestre à l’époque. Demare l’a engagé l’année précé­dente. Sa voix cor­re­spond bien au style de l’orchestre, on com­prend donc le choix de Lucio.

Male­na 1951 – Orques­ta José Puglia – Edgar­do Pedroza con Fran­cis­co Fiorenti­no.

L’orchestre Puglia-Pedroza est assez rare, mais ils ont recruté un bon chanteur pour cet enreg­istrement. La par­tie orches­trale de l’introduction est un peu trop appuyée, avec des nuances exagérées. Si la voix de Fiorenti­no crée rapi­de­ment son cocon, la tran­si­tion avec l’introduction est un peu rude. Par la suite, l’orchestre sera plus raisonnable et plus en accom­pa­g­ne­ment. Une ver­sion qui aurait pu être meilleure, mais qui vaut d’être écouté tout de même.

Male­na 1952 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Raúl Berón arr. de Héc­tor Arto­la.

Aníbal remet sur disque le titre, cette fois avec des arrange­ments de Arto­la, un arrangeur très réputé, qui après avoir été pianiste et ban­donéon­iste s’est con­cen­tré sur la direc­tion d’orchestre et les arrange­ments. Il com­posa aus­si quelques titres.

Male­na 1955-08-02 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Juan Car­los Rolón.

Cela fai­sait un petit moment que Canaro n’avait pas pointé son nez. Le voici, avec une ver­sion assez dif­férente, avec un rythme bien mar­qué. Dis­ons que c’est une ten­ta­tive de replac­er le titre du côté de la danse. L’interprétation de Rolón, s’accommode toute­fois de la rigueur de l’orchestre, mais je trou­ve qu’il reste quelques aspérités qui font que l’œuvre ne coule pas de façon par­faite­ment flu­ide.

Male­na 1961 — Edmun­do Rivero con orques­ta.

Une ver­sion puis­sante par Rivero.

Male­na 1963c — Astor Piaz­zol­la con Héc­tor de Rosas.

Un Piaz­zol­la, à écouter, mais il vous réserve une autre ver­sion 4 ans plus tard qui décoiffe plus.

Male­na 1965 — Orques­ta Miguel Caló con Rober­to Luque.

J’ai un peu de mal à accrocher avec cette ver­sion. Je ne la pro­poserai pas en milon­ga.

Male­na 1965 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héc­tor Gagliar­di.

Le fait que Gagliar­di par­le assez longtemps rend le titre peu prop­ice à la danse. Mais de toute façon, Caló ne sera vrai­ment pas mon choix pour faire danser avec Male­na.

Male­na 1967 — Astor Piaz­zol­la y su Orques­ta con voz de mujer.

Une autre inter­pré­ta­tion, plus inno­vante. Avec Astor, on est à peu près sûr de ne pas être dans le champ de la danse, alors, on écoute, tran­quille­ment ou anx­ieuse­ment cette ver­sion foi­son­nante ou de temps à autre le thème de Male­na vient dis­tiller sa sérénité rel­a­tive. La voix de femme « céleste » qui ter­mine comme une sirène mourante et les claque­ments ter­mi­nent le titre de façon inquié­tante.

Male­na 1974-12-11 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pour beau­coup, c’est la Male­na de l’île déserte, la ver­sion qu’il faut emporter. Il faut dire que Pugliese nous livre ici un tanga­zo excep­tion­nel. Mal­gré sa grande puis­sance expres­sive, il pour­ra être con­sid­éré comme dans­able par les danseurs les moins farouch­es. Si on a enten­du ci-dessus, des ver­sions décousues, man­quant d’harmonie ou de cohérence, ici, c’est une sur­prise, chaque mesure sus­cite l’étonnement, tout en lais­sant suff­isam­ment de repères pour que ce soit rel­a­tive­ment dans­able. Ceux qui trou­vent que c’est dif­fi­cile, vu que c’est le tan­go de l’île déserte, ils auront tout le temps de s’approprier la musique pour la danser par­faite­ment.

Qui est Malena ?

Il y a six pré­ten­dantes sérieuses au titre et sans doute bien d’autres.

6 des Male­na poten­tielles. Si vous lisez les arti­cles ci-dessous, vous pour­rez savoir qui elles sont et élire celle qui vous parait la plus vraisem­blable…

Ceux qui veu­lent savoir qui était Male­na peu­vent jeter un œil sur l’article de TodoTan­go
https://www.todotango.com/historias/cronica/89/Malena-Quien-es-Malena
Ou sur celui de la Nacion avec des pho­tos de pré­ten­dantes
https://www.lanacion.com.ar/lifestyle/quien-fue-malena-mitos-y-verdades-sobre-la-leyenda-del-tango-que-inspiro-a-homero-manzi-y-cantaba-nid26042022
Ou encore : https://rauldeloshoyos.com/el-dia-de-malena-manzi-demare/
mais j’ai plein d’autres propo­si­tions et je trou­ve qu’au fond, ce n’est pas si impor­tant. C’est à cha­cun de met­tre l’image de sa Male­na sur ce tan­go.

À demain, les amis !

Pasional 1951-07-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Jorge Caldara Letra : Mario Soto

Tous les danseurs n’apprécient pas ce type de musique de Pugliese et d’autres adorent. Ce qui est sûr est que Jorge Cal­dara a une fois de plus mon­tré ses tal­ents de com­pos­i­teur et que les paroles de Mario Soto sont d’une puis­sance extrême. Il fal­lait bien ça pour le titre ambitieux de ce tan­go, Pasion­al (pas­sion­né). Je vous présen­terai en fin d’anecdote qui a inspiré ce mer­veilleux texte d’amour.

Autour du piano de Pugliese que l’on recon­naît, au cen­tre, l’équipe de Pugliese.

De gauche à droite, Emilio Bal­car­cé (vio­loniste), Alber­to Morán (le chanteur de notre tan­go du jour), Mario Soto (locu­teur et l’auteur des paroles du tan­go du jour), Osval­do Pugliese (pianiste et « chef »), Osval­do Rug­giero (ban­donéon­iste), Oscar Her­rero (vio­loniste) et enfin Jorge Cal­dara (ban­donéon­iste et com­pos­i­teur du tan­go du jour).

Extrait musical

Pasion­al, Jorge Cal­dara Letra : Mario Soto.

À gauche, le disque de notre tan­go du jour. Au cen­tre la par­ti­tion éditée par Julio Korn, avec la dédi­cace au Doc­teur O. Nus­deo qui était chirurgien à l’hôpital Raw­son de Buenos Aires. À droite, la cou­ver­ture de la par­ti­tion avec Osval­do Pugliese, puis celle avec Ranko Fuji­sawa, la chanteuse japon­aise qui avait incité Jorge Cal­dara à aller au Japon.

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.

Paroles

No sabrás… nun­ca sabrás
lo que es morir mil veces de ansiedad.
No podrás… nun­ca enten­der
lo que es amar y enlo­que­cer.
Tus labios que que­man… tus besos que embria­gan
y que tor­tu­ran mi razón.
Sed… que me hace arder
y que me enciende el pecho de pasión.

Estás clava­da en mí… te sien­to en el latir
abrasador de mis sienes.
Te adoro cuan­do estás… y te amo mucho más
cuan­do estás lejos de mí.

Así te quiero dulce vida de mi vida.
Así te sien­to… solo mía… siem­pre mía.

Ten­go miedo de perderte…
de pen­sar que no he de verte.
¿Por qué esa duda bru­tal?
¿Por qué me habré de san­grar
sí en cada beso te sien­to des­ma­yar?
Sin embar­go me ator­men­to
porque en la san­gre te lle­vo.
Y en cada instante… febril y amante
quiero tus labios besar.

¿Qué ten­drás en tu mirar
que cuan­do a mí tus ojos lev­an­tás
sien­to arder en mi inte­ri­or
una voraz lla­ma de amor?
Tus manos desa­tan… cari­cias que me atan
a tus encan­tos de mujer.
Sé que nun­ca más
podré arran­car del pecho este quer­er.

Te quiero siem­pre así… estás clava­da en mí
como una daga en la carne.
Y ardi­ente y pasion­al… tem­b­lan­do de ansiedad
quiero en tus bra­zos morir.

Jorge Cal­dara Letra: Mario Soto

Traduction libre

Tu ne sauras pas… Tu ne sauras jamais ce que c’est que de mourir mille fois d’anx­iété.
Tu ne pour­ras pas… jamais, com­pren­dre ce que c’est que d’aimer et de devenir fou.
Tes lèvres qui brû­lent… tes bais­ers qui enivrent et qui tor­turent ma rai­son.
Soif… qui me brûle et qui enflamme ma poitrine de pas­sion.
Tu es cloué en moi… Je te sens dans le bat­te­ment brûlant de mes tem­pes.
Je t’adore quand tu es là… Et je t’aime telle­ment plus quand tu es loin de moi.
Alors je t’aime, douce vie de ma vie.
Ain­si je te sens… seule­ment mienne… tou­jours mienne.
J’ai peur de te per­dre…
de penser que je ne te ver­rai pas.
Pourquoi ce doute bru­tal ?
Pourquoi devrais-je saign­er si dans chaque bais­er je te sens défail­lir ?
Cepen­dant, je me tour­mente parce que je te porte dans mon sang.
Et à chaque instant… fiévreux et aimant, je veux embrass­er tes lèvres.
Qu’as-tu dans ton regard pour que, lorsque tu lèves les yeux sur moi, je sente brûler en moi une flamme vorace d’amour ?
Tes mains délient… caress­es qui me lient à tes charmes de femme.
Je sais que jamais plus je pour­rai arracher cet amour de ma poitrine.
Je t’aime tou­jours ain­si… Tu es fichée en moi comme un poignard dans la chair.
Et ardent et pas­sion­né… trem­blant d’an­goisse, je veux dans tes bras, mourir.

Autres versions

Ce titre a eu un immense suc­cès et dès sa créa­tion en 1951, de nom­breux orchestres l’ont mis à leur réper­toire. En voici quelques exem­ples.

Des dis­ques de Pasion­al, de Calo, Pugliese 1951, De Ange­lis, Pugliese 52, Cal­dara 1966 en faux 45 tours (petite taille, mais 33 tours) et une réédi­tion du même enreg­istrement chez Music Hall, en disque LP 33 tours, où Pasion­al est le pre­mier titre de la face A.
Pasion­al 1951-05-23 — Orques­ta Miguel Caló con Juan Car­los Fab­ri.

Le plus ancien enreg­istrement. Il nous fait décou­vrir un Caló moins courant, tout d’abord par le chanteur, Juan Car­los Fab­ri, mais aus­si par l’interprétation, une con­ces­sion mar­quée de Caló aux nou­velles ori­en­ta­tions du tan­go. Il fut sans doute sub­jugué par la com­po­si­tion de Cal­dara au point de sor­tir de sa zone de con­fort. Je me demande pourquoi il a enreg­istré avant Pugliese qui avait sous la main, l’auteur des paroles, le com­pos­i­teur et les musi­ciens. J’imagine qu’il devait encore être en prison. Le prob­lème de vivre entre deux con­ti­nents est que j’ai une par­tie de ma bib­lio­thèque des deux côtés et pas la par­tie qui con­cerne les déboires poli­tiques de Pugliese de ce côté…

Pasion­al 1951-07-31 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán. C’est notre tan­go du jour.

Les deux auteurs, Jorge Cal­dara et Mario Soto sont de l’équipe de Pugliese. Cal­dara est ban­donéon­iste, com­pos­i­teur et arrangeur et Mario Soto est présen­ta­teur. En effet, les orchestres de l’époque se fai­saient présen­ter au pub­lic. On entend cela dans quelques enreg­istrements où cette présen­ta­tion a été con­servée. Je ne fais pas par­tie des DJ qui met­tent volon­tiers ce type de tan­go, mais si je sais qu’il y a des fans dans le salon de danse, je peux le pro­pos­er.

Pasion­al 1951-10-08 — Mario Demar­co y su Orques­ta Típi­ca con Raúl Quiroz.

Une ver­sion pour écouter au salon, de la mai­son, pas de bal. Mario Demar­co fut l’un des ban­donéon­istes de Pugliese au départ de Jorge Cal­dara. Il faut not­er qu’il a enreg­istré ce titre qua­tre ans avant d’intégrer l’orchestre de Pugliese. Il était proche de son col­lègue, Cal­dara.

Pasion­al 1951-11-03 – Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Oscar Lar­ro­ca.

Oscar Lar­ro­ca est sans doute un excel­lent choix pour des paroles aus­si roman­tiques. Si De Ange­lis évite la guimauve qui pour­rait pro­duire ce titre, on peut penser qu’il est tombé dans l’excès inverse en étant un peu trop tonique pour le thème. Cela facilit­era le tra­vail des danseurs, on ne va boud­er.

Pasion­al 1952-11-24 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.
Pasion­al 1952 – Orques­ta Típi­ca Tokio con Ranko Fuji­sawa.

On retrou­ve Pugliese et Morán, je vous laisse mesur­er l’évolution entre les deux inter­pré­ta­tions. Jorge Cal­dara est tou­jours dans l’orchestre, mais Mario Soto était par­ti Il n’est pas éton­nant de trou­ver ce titre au réper­toire de Ranko Fuji­sawa et de l’orchestre dirigé par son mari. En effet, Ranko est celle qui a insisté très forte­ment et avec con­stance pour que Jorge Cal­dara aille au Japon. Elle appré­ci­ait beau­coup ce jeune ban­donéon­iste et com­pos­i­teur.

Pasion­al 1954-11 – Tucho Pavón con acomp. de Car­los Gar­cía.

Avec ce titre, il est dif­fi­cile de dire ce qui est de danse et pour l’écoute, là, c’est clair, ce n’est pas pour la danse. Enfin, je crois (humour ; -)

Pasion­al 1954 – Ranko Fuji­sawa con gui­tar­ras.

Ce sec­ond enreg­istrement par Ranko prou­ve qu’elle était vrai­ment intéressée par les qual­ités musi­cales de Cal­dara.

Pasion­al 1955-11-08 – Alber­to Morán con acomp. de Orques­ta dir. Arman­do Cupo.

Troisième enreg­istrement du thème par Morán.

Pasion­al 1956-06-13 – Aida Denis.

Aida Denis donne du sen­ti­ment. C’est intéres­sant à écouter.

Pasion­al 1964 – Orques­ta Jorge Cal­dara con Rodol­fo Lesi­ca.

Rodol­fo Lesi­ca nous pro­pose une ver­sion expres­sive, mais qui se com­bine bien avec l’orchestre du com­pos­i­teur, Jorge Cal­dara. Pas pour la danse, mais il est intéres­sant de voir com­ment Cal­dara met en œuvre sa créa­tion.

Pasion­al 1980c – Jorge Fal­cón acomp. de Orques­ta.

Une propo­si­tion plus légère, après celle de Cal­dara, on vire presque à la var­iété.

Pasion­al 2010 – Fran­cis Andreu.

Cette ver­sion sim­ple, accom­pa­g­née à la gui­tare pro­posée par l’Uruguayenne Fran­cis Andreu, est une belle réal­i­sa­tion.

Pasion­al 2010c – Caio Rodriguez acomp. Ane­ta Pajek (ban­donéon) et Javier Tucat Moreno (piano).

Les musi­ciens du Ham­burg Tan­go Quin­tet se met­tent au ser­vice de la voix de Caio Rodriguez. Une pro­duc­tion atyp­ique, tirant vers la musique clas­sique, mais c’est égale­ment une évo­lu­tion du tan­go à pren­dre en compte.

Pasion­al 2014-10-27 — Marce­lo Boc­canera.

Une ver­sion assez poé­tique, pas prévue pour la danse, mais qui s’écoute avec plaisir.

Pasion­al 2024-01-14 — Sil­via Lujan.

Un enreg­istrement tout récent qui mon­tre que l’œuvre con­tin­ue de sus­citer de l’intérêt.

Naissance d’un chef‑d’œuvre

Jorge Cal­dara et Mario Soto tra­vail­laient pour l’orchestre de Pugliese. Jorge Cal­dara comme ban­donéon­iste, arrangeur et com­pos­i­teur (voir mon anec­dote sur Patéti­co où je dévoile un peu son rôle de moteur d’innovation dans l’orchestre de Pugliese) et Mario Soto comme présen­ta­teur et même un peu plus si on le croit quand il dit qu’il fai­sait égale­ment le pro­gramme de l’orchestre.
Dans l’édition du 9 jan­vi­er 1994 du jour­nal HOY (aujourd’hui) de La Pla­ta (Cap­i­tale de la Province de Buenos Aires, située au sud-est de la cap­i­tale fédérale) Mario Soto racon­te dans une inter­view au jour­nal­iste Acquaforte com­ment est né Pasion­al.
« J’ai été inspiré pour com­pos­er (c’est en fait une co-créa­tion avec Cal­dara) ce tan­go par deux sœurs petites et laides qui assis­taient à tous les bals de Pugliese dans la zone sud, dans les clubs de Quilmes, Sarandí et Domíni­co. Elles étaient timides, insignifi­antes et “repas­saient” (plan­char, c’est repass­er, mais pour les danseuses, c’est faire ban­quette, ne pas être invitées) toute la nuit.
J’ai ressen­ti quelque chose comme de la com­pas­sion et j’ai recréé silen­cieuse­ment la chan­son, basée sur ces deux petites souris trans­for­mées en une ter­ri­ble « wamp ».

Oscar Blot­ta. Illus­tra­tion de l’his­toire de Pasion­al.

Dans cette illus­tra­tion, on recon­naît Mario Soto, appuyé au lam­padaire, le ban­donéon­iste lunaire, c’est bien sûr Jorge Cal­dara et les deux sœurs timides sont seules sur leur chaise. On notera l’emprunt que j’ai fait à Oscar Blot­ta pour l’illustration de cou­ver­ture de cette anec­dote.

Chers amis, je vous souhaite de ne pas planch­er (faire ban­quette), lors de votre prochaine milon­ga et je vous dis, à demain !

Amurado 1940-07-29 — Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Maffia ; Pedro Laurenz Letra : José Pedro De Grandis

Encore un tan­go qui ne laisse pas les tangueros se repos­er, notam­ment dans cette ver­sion. Les deux Pedro, Lau­renz puis Maf­fia ont créé un mon­stre qui aspire toute l’énergie vitale des danseurs de la pre­mière à la dernière note. Le charme sem­ble aus­si avoir opéré égale­ment sur les directeurs d’orchestre, car de très nom­breuses ver­sions en ont été enreg­istrées. La ver­sion du jour est par l’un des deux com­pos­i­teurs, Lau­renz avec Juan Car­los Casas.

Un démarrage sur les chapeaux de roues

Le point de départ de ce tan­go a été don­né par De Gran­dis qui avait écrit un texte, sur la mis­ère de l’abandon. En 1925–1926, il était vio­loniste dans le sex­te­to du ban­donéon­iste Enrique Pol­let, celui qu’on retrou­vera par la suite dans l’orchestre de Pugliese et qui est à l’origine de la superbe vari­a­tion finale de Recuer­do.

Un jour que ce sex­te­to jouait dans son lieu habituel, Le Café El Par­que (près de Tri­bunales et assez près du théâtre Colón), Pedro Lau­renz qui était ami de Pol­let prit con­nais­sance du texte et sur l’instant sur son ban­donéon, imag­i­na un air pour la pre­mière par­tie, puis il alla le mon­tr­er à Pedro Maf­fia qui était alors au ciné­ma Select Lavalle, à prox­im­ité, dans l’orchestre de Julio De Caro. Maf­fia fut telle­ment ent­hou­si­as­mé qu’il deman­da à Lau­renz de pou­voir le ter­min­er.
Et ain­si, le tan­go inté­gra le réper­toire de Julio De Caro qui l’enregistrera deux ans plus tard, la même année que Gardel et beau­coup d’autres.
Après cette pre­mière vague, le tan­go fut moins enreg­istré, juste ressus­cité à divers­es repris­es par Lau­renz. La sec­onde vague n’arrivera que dans les années 50 avec une nou­velle folie autour du thème, folie qui dure jusqu’à nos jours où beau­coup d’orchestres ont ce tan­go à leur réper­toire.
Pedro Lau­renz l’a enreg­istré au moins cinq fois, vous pour­rez com­par­er les ver­sions dans la par­tie « autres ver­sions ».

Extrait musical

Amu­ra­do. Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis La dédi­cace est au Doc­teur Pros­pero Deco, qui devien­dra le Directeur del Hos­pi­tal Gen­er­al de Agu­dos José María Pen­na de 1945 à 1955. À droite, son buste dans l’hôpital.
Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

Tout com­mence par un puis­sant appel du ban­donéon qui résonne comme un cla­iron, puis la machine se met en marche. Le rythme est puis­sam­ment martelé, par les ban­donéons, la con­tre­basse, le piano, en con­tre­point, des plages de douceur sont don­nées par les vio­lons et en son temps par Juan Car­los Casas, mais à aucun moment le rythme et la ten­sion ne bais­sent, jusqu’à la fin presque abrupte. On notera aus­si un mag­nifique solo de ban­donéon, indis­pens­able pour un titre com­posé par deux ban­donéon­istes… L’intervention, courte de Casas, n’exprime pas toute la douleur du texte et les danseurs peu­vent pren­dre du plaisir sans remord. Cette incroy­able com­po­si­tion emporte les danseurs et hérisse les poils de bon­heur de bout en bout. Cette ver­sion est une mer­veille absolue qui fait regret­ter que Lau­renz et Casas n’ait pas plus enreg­istré.

Paroles

Cam­pa­neo a mi catr­era y la encuen­tro des­o­la­da.
Sólo ten­go de recuer­do el cuadri­to que está ahí,
pilchas vie­jas, unas flo­res y mi alma ator­men­ta­da…
Eso es todo lo que que­da des­de que se fue de aquí.

Una tarde más tris­tona que la pena que me aque­ja
arregló su bagay­i­to y amu­ra­do me dejó.
No le dije una pal­abra, ni un reproche, ni una que­ja…
La miré que se ale­ja­ba y pen­sé :
¡Todo acabó!

¡Si me viera ! ¡Estoy tan viejo!
¡Ten­go blan­ca la cabeza!
¿Será aca­so la tris­teza
de mi negra soledad ?
Debe ser, porque me cruzan
tan fuleros berretines
que voy por los cafetines
a bus­car feli­ci­dad.

Bulinci­to que cono­ces mis amar­gas desven­turas,
no te extrañe que hable solo. ¡Que es tan grande mi dolor !
Si me fal­tan sus cari­cias, sus con­sue­los, sus ter­nuras,
¿qué me quedará a mis años, si mi vida está en su amor?

¡Cuán­tas noches voy vagan­do angus­ti­a­do, silen­cioso
recor­dan­do mi pasa­do, con mi ami­ga la ilusión !…
Voy en cur­da… No lo niego que será muy ver­gonzoso,
¡pero lle­vo más en cur­da a mi pobre corazón!

Pedro Maf­fia ; Pedro Lau­renz Letra: José Pedro de Gran­dis

Juan Car­los Casas ne chante que ce qui est en gras.

Traduction libre et indications

Je con­tem­ple mon lit et le trou­ve désolé.
Je n’ai comme sou­venir que le petit tableau qui est ici, de vieilles cou­ver­tures, quelques fleurs et mon âme tour­men­tée…
C’est tout ce qui reste depuis qu’elle est par­tie d’i­ci.
Un après-midi plus triste que le cha­grin qui m’af­flige, elle a pré­paré son petit bagage et m’a lais­sé emmuré.
Je n’ai pas dit un mot, pas un reproche, pas une plainte…
Je l’ai regardée s’éloign­er et j’ai pen­sé :
Tout à une fin !
Si elle me voy­ait ! Je suis si vieux !
J’ai la tête blanche !
Est-ce peut-être la tristesse de ma noire soli­tude ?
Ça doit l’être, parce que j’ai des idées tant débiles que je vais dans les cafés pour chercher le bon­heur.
Petit logis, qui con­naît mes mésaven­tures amères, ne t’é­tonne pas que je par­le tout seul. Que ma douleur est grande !
Si me man­quent ses caress­es, ses con­so­la­tions, sa ten­dresse, que me restera-t-il dans mes années, si ma vie est dans son amour ?
Com­bi­en de nuits je vais vagabon­dant, angois­sé, silen­cieux, me sou­venant de mon passé, avec mon ami l’il­lu­sion…
Je vais me saouler… Je ne nie pas que ce soit hon­teux, mais je sup­porte mieux mon pau­vre cœur quand je suis bour­ré (saoul) !

Autres versions

J’ai mis en rouge les ver­sions par les auteurs (Maf­fia, 1 ver­sion et Lau­rens, 5 ver­sions).

Amu­ra­do 1927-02-11 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une ver­sion calme, sans doute trop calme si on la com­pare à notre tan­go du jour…

Amu­ra­do 1927-04-08 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.

Une autre ver­sion tran­quille, exé­cutée avec con­science, mais sans doute pas de quoi sus­citer la folie.

Amu­ra­do 1927-06-08 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une jolie inter­pré­ta­tion de Corsi­ni, à écouter, bien sûr.

Amu­ra­do 1927-07-20 — Pedro Maf­fia y Alfre­do De Fran­co (Duo de ban­do­neones).

Pedro Maf­fia l’auteur de la sec­onde par­tie nous pro­pose ici sa ver­sion en duo avec Alfre­do De Fran­co. Une ver­sion sim­ple, mais plus rapi­de que les autres de l’époque. Il nous manque cer­tains instru­ments aux­quels nous sommes désor­mais habitués pour totale­ment appréci­er cette ver­sion qui peut paraître un peu monot­o­ne et répéti­tive.

Amu­ra­do 1927-07-22 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Avec seule­ment deux gui­tares, Gardel donne la réponse à Corsi­ni qui le mois précé­dent avait enreg­istré le titre avec trois gui­tares. C’est égale­ment joli et tout autant pour l’écoute et pas pour la danse.

Amu­ra­do 1927-08-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Canaro enreg­istre à son tour, sur un rythme calme, qui est de toute façon une de ses car­ac­téris­tiques de l’époque. De jolis traits de vio­lon et ban­donéon allè­gent un peu le mar­quage puis­sant du rythme. La voix de Irus­ta, un peu nasale, apporte une petite vari­a­tion dans cette inter­pré­ta­tion qui ne sera sans doute pas à la hau­teur des danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1927-09-07 — Agustín Mag­a­l­di con gui­tar­ras.

Il ne man­quait que lui, après Corsi­ni et Gardel, voici Mag­a­l­di. Moi, j’aime bien. Bien sûr, ce n’est pas plus pour la danse que les ver­sions des deux con­cur­rents, mais ça se laisse écouter.

Amu­ra­do 1927-09-12 — Orques­ta Julio De Caro.

Je pense que dès les pre­mières mesures vous aurez remar­qué la dif­férence d’ambiance par rap­port à toutes les ver­sions précé­dentes. Le ruba­to mar­qué, par­fois exagéré et la vari­a­tion du solo de ban­donéon sont déjà très proches de ce que pro­posera Lau­renz 13 ans plus tard. On notera les sonorités étranges qui appa­rais­sent vers la fin du morceau, De Caro aime ajouter des instru­ments atyp­iques.

Amu­ra­do 1927-12-06 — Orques­ta Juan Maglio “Pacho” con José Galarza.

On revient sans doute un cran en arrière dans la moder­nité, mais la par­tie d’orchestre est assez sym­pa­thique. La voix de Galarza sera en revanche un peu plus dif­fi­cile à accepter par les danseurs d’aujourd’hui.

Amu­ra­do 1928 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na con Rober­to Fuga­zot.

Le piano de Demare démarre puis laisse la place à la voix de Fuga­zot qui gardera ensuite la vedette en masquant un peu le beau jeu de Demare au piano qui ne pour­ra que plac­er un mag­nifique accord final.

Amu­ra­do 1940-07-29 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Juan Car­los Casas.

C’est notre tan­go du Jour. Si on note la fil­i­a­tion avec l’interprétation de De Caro, la ver­sion don­née par Lau­renz est éblouis­sante en tous points. Il a fait le ménage dans les propo­si­tions par­fois un peu con­fus­es de De Caro et le résul­tat est par­fait pour la danse.

Amu­ra­do 1944-11-24 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Tout en restant fidèle à l’écriture de Lau­renz, Pugliese pro­pose sa ver­sion avec une pointe de Yum­ba et son alter­nance de moments ten­dus et d’autres, relâchés, et des nuances très mar­quées. Le résul­tat est comme tou­jours superbe, mais beau­coup plus dif­fi­cile à danser pour les danseurs qui ne con­nais­sent pas cette ver­sion. En milon­ga, c’est donc à réserv­er à des danseurs expéri­men­tés ou motivés. L’accélération de la vari­a­tion en solo du ban­donéon qui nous mène au final est tout aus­si belle que celle de Lau­renz, les danseurs pour­ront s’y don­ner ren­dez-vous pour oubli­er les petits pièges des par­ties précé­dentes.

Amu­ra­do 1946 (trans­misión radi­al) — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Six ans plus tard, Lau­renz pro­pose une ver­sion instru­men­tale. Il s’agit d’un enreg­istrement radio­phonique, d’une qual­ité impos­si­ble pour la danse, mais nous avons une ver­sion enreg­istrée l’année suiv­ante.

Amu­ra­do 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Cette ver­sion est très proche et je ne la pro­poserai sans doute pas, car je suis sûr que le petit estri­bil­lo chan­té par Casas va man­quer aux danseurs.

Amu­ra­do 1952-09-25 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Après un peu de temps de réflex­ion, Lau­renz pro­pose une nou­velle ver­sion, très dif­férente. On sent qu’il a voulu dans la pre­mière par­tie tir­er par­ti des idées de Pugliese, mais la réal­i­sa­tion est un peu plus sèche, moins coulée et la sec­onde par­tie s’enfonce un peu dans la guimauve. Mon petit Pedro, désolé, mais on reste avec ta pre­mière ver­sion, même si on garde de cette ver­sion le final qui est tout aus­si beau que dans l’autre.

Amu­ra­do 1955-09-16 — Orques­ta José Bas­so.

Bas­so reprend l’appel ini­tial du ban­donéon, en l’accentuant encore plus que Lau­renz dans sa ver­sion de 1940. Un vio­lon vir­tu­ose nous trans­porte, puis le ban­donéon tout aus­si agile reprend le flam­beau. Par moment on retrou­ve l’esprit de la ver­sion de la ver­sion de Lau­renz en 1940, mais entre­coupée de pas­sages totale­ment dif­férents. Je ne sais pas ce qu’en penseraient les danseurs. D’un côté les rap­pels proches de Lau­renz peu­vent leur faire regret­ter l’original, mais les idées dif­férentes peu­vent aus­si éveiller leur curiosité et les intéress­er. Peut-être à ten­ter dans un lieu rem­pli de danseurs un peu curieux.

Amu­ra­do 1956 — Edmun­do Rivero con acomp. de Car­los Figari y su Orques­ta.

Une ver­sion à écouter, avec la puis­sance d’un grand orchestre.

Amu­ra­do 1956c — Trio Hugo Diaz.

Le trio d’Hugo Diaz, har­moni­ciste que l’on retrou­vera 12 ans plus tard avec une ver­sion encore plus intéres­sante.

Amu­ra­do 1959-01-08 — Orques­ta José Bas­so.

Encore Bas­so, qui s’essaye à l’amélioration de son inter­pré­ta­tion et je trou­ve que c’est une réus­site qui devrait intéress­er encore plus de danseurs que la ver­sion de 1955.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo.

Amu­ra­do 1961-09-08 — Jorge Vidal con acomp. de gui­tar­ras, cel­lo y con­tra­ba­jo. Vidal avec ce con­jun­to de cordes nous pro­pose une ver­sion très orig­i­nale. Sa superbe voix est par­faite­ment mise en valeur par les cordes qui l’accompagnent. Dom­mage que ce ne soit pas pour la danse.

Amu­ra­do 1962-04-19 Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Julio Sosa.

Dans la pre­mière époque du titre, on avait enten­du Corsi­ni, Gardel et Mag­a­l­di. Dans cette nou­velle péri­ode, après Rivero, voici Julio Sosa, El varón del tan­go. Une ver­sion qui fait se dress­er les poils de plaisir. Quelle ver­sion !

Amu­ra­do 1962-12-19 — Aníbal Troi­lo y Rober­to Grela en vivo.

Un enreg­istrement avec un pub­lic ent­hou­si­aste, qui masque par­fois la mer­veille du ban­donéon exprimé par Troi­lo, extra­or­di­naire.

Amu­ra­do 1968 Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

La dernière ver­sion enreg­istrée par Pedro Lau­renz, avec la gui­tare élec­trique en prime. Une ver­sion à écouter, mais pas inin­téres­sante.

Amu­ra­do 1972 — Hugo Díaz.

Le meilleur har­moni­ciste nous pro­pose une ver­sion plus aboutie.

Amu­ra­do 1975 — Sex­te­to May­or.
Amu­ra­do 1981 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co.

Bien au-delà de la ver­sion avec Sosa, l’orchestre s’exprime mag­nifique­ment. On est bien sûr totale­ment hors du domaine de la danse, mais c’est une mer­veille.

Amu­ra­do 1990 Rober­to Goyeneche con arreg­los y direc­ción de Raúl Garel­lo.

Goyeneche man­quait à la liste des chanteurs ayant mis ce titre à son réper­toire. Cet enreg­istrement comble cette lacune.

Amu­ra­do 1995-08-23 — Sex­te­to Tan­go.

Une ver­sion par les anciens musi­ciens de Pugliese.

Voilà, avec une trentaine de ver­sions, vous avez encore une fois un échan­til­lon de la richesse du tan­go. En général, seules une ou deux ver­sions passent en milon­ga, mais quelque­fois les modes changent et des titres oubliés rede­vi­en­nent à la mode. Ain­si, le tan­go reste vivant et quand des orchestres con­tem­po­rains se char­gent de rénover la chose, c’est par­fois une sec­onde chance pour les titres.

Sur ces entre­faites, je vous dis, à demain, les amis.

Salud… dinero y amor 1939-07-25 – Orquesta Enrique Rodríguez con Roberto Flores

Rodolfo Aníbal Sciammarella (paroles et musique)

Voilà que le tan­go et plus pré­cisé­ment la valse (mais on ver­ra que ce n’est pas si sim­ple) vous prodigue des con­seils de vie. Chers amis, je vous enjoins de les suiv­re et de chanter avec Rober­to Flo­res le refrain de cette valse entraî­nante com­posée et mise en paroles par Rodol­fo Aníbal Sci­ammarel­la et inter­prété par l’orchestre chéri de mon ami Chris­t­ian, Enrique Rodriguez.

Selon Mar­i­ano Mores, Rodol­fo Sci­ammarel­la aurait com­posé une zam­ba (voir l’anecdote du 7 avril sur la zam­ba). Comme il n’était pas très doué pour écrire la musique, il a demandé à Mar­i­ano de la tran­scrire pour lui. Celui-ci a trou­vé que c’était plus joli en valse et aurait donc adap­té la musique à ce rythme…

Une édi­tion de Julio Korn de Salud… dinero y amor en zam­ba

Extrait musical

Salud… dinero y amor 1939-07-25 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Rober­to Flo­res.

Pas de doute, notre ver­sion du jour est par­faite­ment une valse, sans trace de zam­ba. Je me demande toute­fois si la ver­sion en zam­ba n’a pas été util­isée dans d’autres occa­sions. Nous y revien­drons avec la liste des ver­sions.

Avis de recherche

Le 7 mars 1939, un film est sor­ti. Son titre était Mandi­ga en la sier­ra. Ce film a été réal­isé par Isidoro Navar­ro sur un scé­nario de Arturo Lorus­so et Rafael J. de Rosas. Ce film était basé sur la pièce de théâtre homonyme. Par­mi les acteurs, Luisa Vehil, Eduar­do San­dri­ni, Nicolás Fregues et Pedro Quar­tuc­ci, mais celui qui m’intéresse est Fran­cis­co Amor qui y inter­prète Salud…dinero y amor.

Luisa Vehil, Nicolás Fregues et Pedro Quar­tuc­ci dans Mandin­ga en la sier­ra (1939)

Dans ce film, en plus de Fran­cis­co Amor, il y a Myr­na Mores et sa sœur Mar­got. Depuis 1938, Mar­i­ano Mores, celui qui a couché sur la par­ti­tion l’idée musi­cale de Rodol­fo Sci­ammarel­la fai­sait un trio avec les deux sœurs Mores. En 1943, il épousera Myr­na. On voit comme ce film est assez cen­tral autour des Mores et de cette valse.
Si vous savez où trou­ver ce film, je suis pre­neur…
Vous pou­vez trou­ver sa fiche tech­nique ici : https://www.imdb.com/title/tt0316217/?ref_=nm_knf_t_1

La pièce de théâtre était jouée en 1938. Est-ce que la ver­sion chan­tée ou jouée dans la pièce était sous forme de zam­ba, je ne le sais pas. En ce qui con­cerne le film, même si je ne l’ai pas encore trou­vé, j’imagine que c’est en valse, car le suc­cès du thème qui a été enreg­istré majori­taire­ment sous cette forme. Je vous réserve deux sur­pris­es dans les « autres ver­sions » qui pour­raient faire men­tir ou con­firmer cette his­toire.

Paroles

Tres cosas hay en la vida:
salud, dinero y amor.
El que ten­ga esas tres cosas
que le dé gra­cias a Dios.
Pues, con ellas uno vive
libre de pre­ocu­pación,
por eso quiero que apren­dan
el refrán de esta can­ción.

El que ten­ga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la plati­ta,
que no la tire, que no la tire.
Hay que guardar, eso con­viene
que aquel que guar­da, siem­pre tiene.
El que ten­ga un amor,
que lo cuide, que lo cuide.
La salud y la plati­ta,
que no la tire, que no la tire.

Un gran amor he tenido
y tan­to en él me con­fié.
Nun­ca pen­sé que un des­cui­do
pudo hacérme­lo perder.
Con la salud y el dinero
lo mis­mo me sucedió,
por eso pido que can­ten
el refrán de esta can­ción.

Rodol­fo Aníbal Sci­ammarel­la (paroles et musiques)

Traduction libre des paroles

Il y a trois choses dans la vie :
la san­té, l’argent et l’amour.
Quiconque pos­sède ces trois choses devrait remerci­er Dieu.
Eh bien, avec eux, on vit sans souci, c’est pourquoi je veux que vous appre­niez le dic­ton de cette chan­son.

Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La san­té et la mon­naie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.
Il faut garder, il con­vient que celui qui garde, tou­jours a.
Celui qui a un amour, qu’il en prenne soin, qu’il en prenne soin.
La san­té et la mon­naie, ne la jetez pas, ne la jetez pas.

J’ai eu un grand amour et j’ai telle­ment cru en lui.
Je n’ai jamais pen­sé qu’un manque d’attention pou­vait me le faire per­dre.
La même chose m’est arrivée avec la san­té et l’argent, alors je vous demande de chanter le dic­ton de cette chan­son.

Autres versions

Salud, dinero y amor 1930 — Duo Irus­ta-Fuga­zot accomp. de Orques­ta Argenti­na (Barcelona).

Je pen­sé que vous avez remar­qué plusieurs points étranges avec cette ver­sion. Le son a beau­coup d’écho, ce qui ne fai­sait pas à l’époque. Je pense donc que c’est une édi­tion « trafiquée ». Mon exem­plaire vient de l’éditeur El Ban­doneón qui a édité entre 1987 et 2005 dif­férents titres dont cer­tains assez rares. Cet enreg­istrement est sur leur CD El Tan­go en Barcelona CD 2 — (EBCD-046) de 1997. Je n’en con­nais pas d’autre. Sur la date d’enregistrement de 1930, en revanche, c’est très prob­a­ble, car cela cor­re­spond à l’époque où le trio était act­if en France et Barcelone.
L’autre point étrange est qu’il s’agit d’une valse et pas d’une zam­ba. Si Sci­ammarel­la a « écrit » une zam­ba et que Mar­i­ano Mores l’a trans­for­mé en valse seule­ment en 1938, il y a un prob­lème. Cet enreg­istrement devrait être une zam­ba. Je pense donc que Sci­ammarel­la a fait vivre con­join­te­ment les deux ver­sions et que c’est la ver­sion valse qu’a adap­tée le tout jeune Mar­i­ano Mores. Mais on va revenir sur ce point plus loin…

Salud… dinero y amor 1939-07-25 — Orques­ta Enrique Rodríguez con Rober­to Flo­res.

C’est notre valse du jour. Vos chaus­sures, si vous êtes danseur, doivent être désor­mais capa­bles de la danser seules. Le rythme est assez rapi­de et le style haché de Rodríguez fait mer­veille pour inciter à don­ner de l’énergie dans la danse. La voix de Flo­res, plus élé­gante de celle de Moreno, l’autre chanteur vedette de Rodríguez est agréable. L’orchestration de la fin de la valse est superbe, même si Rodríguez décide, une fois de plus, d’y plac­er un chœur, habi­tude qui peut sus­citer quelques réti­cences.

Salud, dinero y amor 1939-08-08 — Fran­cis­co Lomu­to C Jorge Omar.

Une ver­sion assez piquée et pesante. Elle est moins con­nue que la ver­sion de Rodriguez. On com­prend pourquoi, sans toute­fois qu’elle soit à met­tre au rebut. Comme chez Canaro, Lomu­to fait inter­venir une clar­inette, scorie de la vieille garde. La fin est cepen­dant assez intéres­sante, donc si un DJ la passe, cette valse ne devrait pas laiss­er une mau­vaise impres­sion.

Salud, dinero y amor 1939-09-11 — Fran­cis­co Canaro y Fran­cis­co Amor.

Sur le même rythme que Lomu­to, Canaro pro­pose une ver­sion plus légère. Les vents (instru­ments à vent) aux­quels Canaro reste fidèle don­nent la couleur par­ti­c­ulière de l’orchestre. Fran­cis­co Amor chante de façon décon­trac­tée avec un peu de gouaille.

Salud, dinero y amor 1939-09-27 — Juan Arvizu con orques­ta.

L’accent mex­i­cain d’Arvizu, sur­prend, on est plus accou­tumé à l’entendre dans des boléros. L’orchestre où les gui­tares ont une présence mar­quée est un peu léger après l’écoute des ver­sions précé­dentes. Buenos Aires lui aurait don­né le surnom de ténor à la voix de soie (El Tenor de la Voz de Seda). Je vous laisse en juger…

Salud… dinero y amor 1939-11-03 — Char­lo con gui­tar­ras (zam­ba cue­ca).

Ce titre n’est pas une valse, on recon­naît le rythme de la cue­ca à la gui­tare dans la pre­mière par­tie, puis le rythme s’apaise et passe en zam­ba avec des roucoule­ments étranges.
Finale­ment, ce n’est pas une zam­ba, pas une cue­ca. C’est un ovni.
Le nom de zam­ba cue­ca existe et cou­vre dif­férentes var­iétés de dans­es, notam­ment du Chili.
La dis­tinc­tion de la ving­taine de var­iétés de cue­cas, le fait que la zam­ba cue­ca serait aus­si dénom­mée zam­bacue­ca, zamacue­ca ou zam­ba­clue­ca, ce dernier terme évo­querait encore plus claire­ment la poule pon­deuse, la cue­ca se référant à la parade d’oiseaux, font que pour moi, cela reste assez mys­térieux.
Le témoignage de Mario Mores, appuyé par la par­ti­tion qui men­tionne zam­ba et cette inter­pré­ta­tion de Char­lo prou­ve que Salud… dinero y amor n’est pas seule­ment une valse.

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irus­ta acc. Orques­ta de Terig Tuc­ci.

Salud… dinero y amor 1940-07-02 – Agustín Irus­ta acc. Orques­ta de Terig Tuc­ci. On retrou­ve Irus­ta qui a enreg­istré pour Dec­ca à New York, accom­pa­g­né de l’orchestre de Terig Tuc­ci. Ce n’est pas vilain et si ce n’est pas le top de la danse, c’est plus dans­able que la ver­sion du duo de 1930.

Après la « folie » accom­pa­g­nant la sor­tie du fameux film que je n’ai pas trou­vé, l’intérêt pour cette valse s’atténue. On la retrou­ve cepen­dant un peu plus tard dans quelques ver­sions que voici.

Salud… dinero y amor 1955 c — Inesi­ta Pena — La Orques­ta Martín De La Rosa y coro.

Pour un enreg­istrement des années 1950, ça fait plutôt vieil­lot. Ne comptez pas sur moi pour vous la pro­pos­er en milon­ga.

Salud… dinero y amor 1966 — Típi­ca Sakamo­to con Ikuo Abo.

On con­naît l’engouement incroy­able du Japon pour le tan­go, la Típi­ca Sakamo­to nous en donne un exem­ple. Vous aurez facile­ment recon­nu la voix très typée de Ikuo Abo. Les chœurs sont assez élé­gants. Il me sem­ble enten­dre une par­tie de sopra­no dans le chœur tenue par une femme.

Salud… dinero y amor 1969 — Alber­to Podestá con Orques­ta Lucho Ibar­ra.

Bon, il faut bien du tan­go à écouter, aus­si. Et la voix de Podestá est tout de même une mer­veille, non ?

À demain, les amis, je vous souhaite san­té, argent et amour.

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous par­ler aujourd’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce mer­veilleux tan­go immor­tal­isé par les deux angeli­tos (D’Agostino et Var­gas) par­le à tous les danseurs. C’est une com­po­si­tion de Ángel D’Agosti­no et Alfre­do Attadía, Enrique Cadí­camo lui a don­né ses paroles et son nom. Par­tons en train jusqu’à Tres Esquinas à la décou­verte du berceau de ce tan­go.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agosti­no a com­posé ce titre dans une ver­sion som­maire pour une saynète nom­mée « Armenonville » mon­tée par Luis Ara­ta, Leopol­do Simari et José Fran­co. Comme on peut s’en douter, cette pièce par­lait de la vie des pau­vres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agosti­no jouait cette com­po­si­tion au piano sous le titre, Pobre Piba (Pau­vre gamine).

Ara­ta-Simari-Fran­co

Une ving­taine d’années plus tard selon la légende (his­toire) D’Agostino fre­donnait le titre que reprit Var­gas à la sor­tie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadí­camo imag­i­na le pre­mier vers « Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas ». Alfre­do Attadía qui était le pre­mier ban­donéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrange­ments. Il doit cepen­dant d’avoir son nom à la par­ti­tion par son apport sur le phrasé des ban­donéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Var­gas qui devrait donc à ce dou­ble titre avoir aus­si son nom sur la par­ti­tion 😉

Extrait musical

Com­mençons par écouter cette mer­veille pour se met­tre dans l’humeur prop­ice à notre décou­verte.

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Tres Esquinas. Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo. À gauche, deux cou­ver­tures, puis par­ti­tion et accords gui­tare et disque.

Je pense que vous avez remar­qué ce fameux phrasé dès le début. On y telle­ment habitué main­tenant que l’on pense que cela a tou­jours existé… Lorsque Var­gas chante, le ban­donéon se fait dis­cret, se con­tentant au même titre que les autres instru­ments de mar­quer le rythme et de pro­pos­er quelques orne­ments pour les ponts. On notera le superbe solo de vio­lon de Hol­ga­do Bar­rio après la voix de Var­gas et la reprise du ban­donéon (vers 2:20). Var­gas a le dernier mot et ter­mine le titre.

Je n’ai pas trou­vé d’enregistrement de Pobre piba pour juger de l’apport de Atta­dia, mais il y a fort à pari­er que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intem­porelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas,
viejo balu­arte de un arra­bal
donde flo­re­cen como glic­i­nas
las lin­das pibas de delan­tal.
Donde en la noche tib­ia y ser­e­na
su antiguo aro­ma vuel­ca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duer­men las chatas del cor­ralón.

Soy de ese bar­rio de humilde ran­go,
yo soy el tan­go sen­ti­men­tal.
Soy de ese bar­rio que toma mate
bajo la som­bra que da el par­rral.
En sus ochavas com­padrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una mal­e­va
la ardi­ente ceba de mi pasión.

Nada hay más lin­do ni más com­padre
que mi sub­ur­bio mur­mu­rador,
con los chi­men­tos de las comadres
y los piro­pos del Picaflor.
Vie­ja bar­ri­a­da que fue estandarte
de mis arro­jos de juven­tud…
Yo soy del bar­rio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo

Traduction libre des paroles

Je suis du quarti­er de Tres Esquinas (plus un vil­lage qu’un quarti­er au sens actuel), un ancien bas­tion d’une ban­lieue où les jolies filles en tabli­er fleuris­sent comme des glycines (Il s’ag­it des tra­vailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sere­ine le géra­ni­um déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dor­ment les logis du cor­ralón (le cor­ralón est un habi­tat col­lec­tif, le pen­dant du con­ven­til­lo, mais à la cam­pagne. Au lieu de don­ner sur un couloir, les pièces qui accueil­lent les familles don­nent sur un bal­con. Au pluriel, cela peut aus­si désign­er le lieu où on par­que le bétail et tout l’attirail de la trac­tion ani­male. Je pense plutôt au loge­ment dans ce cas à cause des géra­ni­ums qui me font plus penser à un habi­tat, même si les cor­ralones étaient proches. Les géra­ni­ums éloignent les mouch­es qui devaient pul­luler à cause de la prox­im­ité du bétail).
Je viens de ce quarti­er de rang mod­este, je suis le tan­go sen­ti­men­tal.
Je suis de ce quarti­er qui boit du maté à l’om­bre de la vigne.
Dans ses ochavas (la ocha­va est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présen­tent un petit pan de façade oblique) j’é­tais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mau­vaise l’ap­pât brûlant de ma pas­sion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus com­padre que mon faubourg mur­mu­rant, avec les com­mérages des com­mères et les com­pli­ments du Picaflor (les piro­pos sont des com­pli­ments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quarti­er qui fut l’é­ten­dard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quarti­er qui vit à part en ce siè­cle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme sou­vent, les ver­sions immenses sem­blent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remar­quable de l’époque, si on exclut Hugo Del Car­ril à la gui­tare et notre sur­prise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 — Hugo Del Car­ril con gui­tar­ras.

Il me sem­ble dif­fi­cile de s’attacher à cette ver­sion une fois que l’on a décou­vert celle des deux anges. On retrou­ve l’ambiance de Gardel, mais cet enreg­istrement ne sera nor­male­ment jamais pro­posé dans une milon­ga.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co. J’ai eu le bon­heur de décou­vrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il met­tait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tan­go­postale (Toulouse France) où il a sus­cité un ent­hou­si­asme déli­rant. Il nous reste le disque pour nous sou­venir de ces moments intens­es mag­nifiés par la voix de Javier Di Ciri­a­co.

Le jeune Ariel Ardit relève toute­fois le défi et pro­pose plusieurs ver­sions élec­trisantes de ce titre. Voici un enreg­istrement pub­lic en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit inter­prète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme tra­di­tion­nelle), mais c’est une mag­nifique ver­sion avec une grande richesse des con­tre­points. Ariel Ardit donne beau­coup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On com­prend l’approbation du pub­lic.

SURPRISE : il reste une ver­sion en réserve à décou­vrir à la fin de cette anec­dote, vous ne pou­vez pas vous la per­dre ! Avis pour Thier­ry, mon tal­entueux cor­recteur, ce n’est pas une coquille, mais une for­mu­la­tion calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imag­in­er un lieu rel­a­tive­ment rur­al qui com­por­tait des espaces de ter­rains vagues, des usines, des maisons pour les pau­vres (cor­ralones) et des cafés, dont un qui se nom­mait Tres Esquinas du nom de ce quarti­er qui dis­po­sait toute­fois d’une sta­tion fer­rovi­aire du même nom… Voici de quoi vous repér­er. Atten­tion, cette zone n’est pas trop à recom­man­der aux touristes, mais on y organ­ise des peñas mag­nifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars rem­plis de cen­taines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fab­uleux en dansant, chacar­eras, gatos, zam­bas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus sur­prenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automa­tique­ment le style de la nou­velle danse en moins de deux sec­on­des. Si vous avez lu mes con­seils pour la chacar­era, vous savez déjà recon­naître celles à 6 et 8 com­pas­es et les dobles, c’est la par­tie fon­due de l’iceberg du folk­lore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cer­clé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachue­lo) qui mar­que la lim­ite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quarti­er est d’usines, de ter­rains vagues et est main­tenant bor­dé par l’autoroute qui va à La Pla­ta (la cap­i­tale de la Province de Buenos Aires). Le café pro­pre­ment dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toute­fois la ocha­va  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui mar­que l’entrée de ce qui était ce café his­torique.
La sta­tion de train por­tait aus­si logique­ment le nom du quarti­er.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aéri­enne de Google.

Le cer­cle rouge est le café Tres Esquinas. Le cer­cle jaune mar­que la zone où était située la gare de Tres Esquinas détru­ite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994–1996 a coupé en deux le quarti­er et prob­a­ble­ment mis un peu de désor­dre dans les baraque­ments de latas (voir Del bar­rio de las latas, le berceau du tan­go pour en savoir plus sur ce type de con­struc­tion)

Et pour ter­min­er, un court-métrage recon­sti­tu­ant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réal­isée par Enrique Cadí­camo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Var­gas enta­ment Tres Esquinas, mais je vous recom­mande de voir les 9 min­utes du court-métrage en entier, c’est intéres­sant dès le début et après Tres Esquinas, il y a El cuar­teador de Bar­ra­cas

Court-métrage sur un scé­nario et sous la direc­tion de Enrique Cadí­camo où l’on voit des scènes de café, pit­toresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuar­teador de Bar­ra­cas par Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas.

À demain, les amis !

La tablada 1942-07-23 — Orquesta Aníbal Troilo

Francisco Canaro

Quand on pense à l’Argen­tine, on pense à sa viande et ce n’est pas un cliché sans rai­son. Les Argentins sont de très grands ama­teurs et con­som­ma­teurs de viande. Chaque mai­son a sa par­il­la (bar­be­cue) et en ville, cer­tains vont jusqu’à impro­vis­er leurs par­il­las dans la rue avec un demi-bidon d’huile. Dans les espaces verts, il y a égale­ment des par­il­las amé­nagées et si vous préférez aller au restau­rant, vous n’aurez pas beau­coup à marcher pour obtenir un bon asa­do. Le tan­go du jour, la tabla­da a à voir avec cette tra­di­tion. En effet, la tabla­da est le lieu où est regroupé le bétail avant d’aller au matadero

Cor­rales viejos, matadero, la tabla­da…

Extrait musical

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo
La tabla­da. La cou­ver­ture de gauche est plus proche du sujet de ce tan­go que celle de droite…
La par­ti­tion est dédi­cacée par Canaro à des amis d’U­ruguay (auteurs, musi­ciens…).

Autres versions

La tabla­da 1927-06-09 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion presque gaie. Les vach­es « gam­badent », du pas lourd du canyengue.

La tabla­da 1929-08-02 — Orques­ta Cayetano Puglisi.

Une ver­sion pesante comme les coups coups don­nés par les mataderos pour sac­ri­fi­er les ani­maux.

La tabla­da 1929-12-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Cette ver­sion est assez orig­i­nale, on dirait par moment, une musique de dessin ani­mé. Cette ver­sion s’est dégagée de la lour­deur des ver­sions précé­dentes et c’est suff­isam­ment joueur pour amuser les danseurs les plus créat­ifs.

La tabla­da 1936-08-06 — Orques­ta Edgar­do Dona­to.

Une des ver­sions le plus con­nues de cette œuvre.

La tabla­da 1938-07-11 — Orques­ta Típi­ca Bernar­do Ale­many.

Cette ver­sion française fait preuve d’une belle imag­i­na­tion musi­cale. Ale­many est prob­a­ble­ment Argentin de nais­sance avec des par­ents Polon­ais. Son nom était-il vrai­ment Ale­many, ou est-ce un pseu­do­nyme, car il a tra­vail­lé en Alle­magne avant la sec­onde guerre mon­di­ale avant d’aller en France où il a fait quelques enreg­istrements comme cette belle ver­sion de la tabla­da avant d’émigrer aux USA. Ses musi­ciens étaient majori­taire­ment argentins, car il avait fait le voy­age en Argen­tine en 1936 pour les recruter. Cette ver­sion est donc fran­co-argen­tine pour être pré­cis…

La tabla­da 1942-07-23 — Orques­ta Aníbal Troi­lo. C’est notre tan­go du jour.
La tabla­da 1946-09-10 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

L’introduction en appels sif­flés se répon­dant est par­ti­c­ulière­ment longue dans cette ver­sion. Il s’agit de la référence au train qui trans­portait la viande depuis La Tabla­da jusqu’à Buenos Aires. Les employés devaient sif­fler pour sig­naler le départ, comme cela se fait encore dans quelques gares de cam­pagne.

La tabla­da 1950-11-03 — Enrique Mora y su Cuar­te­to Típi­co.

Encore une ver­sion bien guillerette et plutôt sym­pa­thique, non ?

La tabla­da 1951 — Orques­ta Rober­to Caló.

C’est le frère qui était aus­si chanteur, mais aus­si pianiste (comme on peut l’entendre dans cet enreg­istrement), de Miguel Caló.

La tabla­da 1951-12-07 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion qui se veut résol­u­ment mod­erne, et qui explore plein de direc­tions. À écouter atten­tive­ment.

La tabla­da 1955-04-19 — Orques­ta José Bas­so.

Dans cette ver­sion, très intéres­sante et éton­nante, Bas­so s’éclate au piano, mais les autres instru­ments ne sont pas en reste et si les danseurs peu­vent être éton­nés, je suis sûr que cer­tains apprécieront et que d’autres me maudiront.

La tabla­da 1957 — Mar­i­ano Mores y su Gran Orques­ta Pop­u­lar.

L’humour de Mar­i­ano Mores explose tout au long de cette ver­sion. Là encore, c’est encore un coup à se faire maudire par les danseurs, mais si vous avez envie de rigol­er, c’est à pré­conis­er.

La tabla­da 1957-03-29 — Orques­ta Héc­tor Varela. Varela est plus sérieux, mais sa ver­sion est égale­ment assez foi­son­nante. Décidé­ment, la tabla­da a don­né lieu à beau­coup de créa­tiv­ité.
La tabla­da 1962 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

On revient à des choses plus clas­siques avec Rodol­fo Bia­gi qui n’oublie pas de fleurir le tout de ses orne­ments au piano. À not­er le jeu des ban­donéons avec le piano et les vio­lons qui domi­nent le tout, insen­si­bles au stac­ca­to des col­lègues.

La tabla­da 1962-08-21 — Cuar­te­to Troi­lo-Grela.

Le duo Grela, Troi­lo est un plaisir raf­finé pour les oreilles. À écouter bien au chaud pour se laiss­er emporter par le dia­logue savoureux entre ces deux génies.

La tabla­da 1965-08-11 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

La spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique est sans doute un peu exagérée, avec le ban­donéon à droite et les vio­lons à gauche. Beau­coup de DJ passent les titres en mono. C’est logique, car tout l’âge d’or et ce qui le précède est mono. Cepen­dant, pour les corti­nas et les enreg­istrements plus récents, le pas­sage en mono peut être une lim­i­ta­tion. Vous ne pour­rez pas vous en ren­dre compte ici, car pour pou­voir met­tre en ligne les extraits sonores, je dois les pass­er en mono (deux fois moins gros) en plus de les com­press­er au max­i­mum afin qu’ils ren­trent dans la lim­ite autorisée de taille. Mes morceaux orig­in­aux font autour de 50 Mo cha­cun. Pour revenir à la dif­fu­sion en stéréo, le DJ doit penser que les danseurs tour­nent autour de la piste et qu’un titre comme celui leur don­nera à enten­dre le ban­donéon dans une zone de la salle et les vio­lons dans une autre. Dans ce cas, il fau­dra lim­iter le panoramique en rap­prochant du cen­tre les deux canaux. Encore un truc que ne peu­vent pas faire les DJ qui se branchent sur l’entrée ligne où les deux canaux sont déjà regroupés et ne peu­vent donc pas être placés spa­tiale­ment de façon indi­vidu­elle (sans par­ler du fait que l’entrée ligne com­porte générale­ment moins de réglage de tonal­ité que les entrées prin­ci­pales).

La tabla­da 1966-03-10 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Une meilleure util­i­sa­tion de la spa­tial­i­sa­tion stéréo­phonique, mais ça reste du Sas­sone qui n’est donc pas très pas­sion­nant à écouter et encore moins à danser.

La tabla­da 1968 — Orques­ta Típi­ca Atilio Stam­pone.

Stam­pone a explosé la fron­tière entre la musique clas­sique et le tan­go avec cette ver­sion très, très orig­i­nale. J’adore et je la passe par­fois avant la milon­ga en musique d’ambiance, ça intrigue les pre­miers danseurs en attente du début de la milon­ga.

La tabla­da 1968-06-05 — Cuar­te­to Aníbal Troi­lo.

On ter­mine, car il faut bien une fin, avec Pichu­co et son cuar­te­to afin d’avoir une autre ver­sion de notre musi­cien du jour qui nous pro­pose la tabla­da.

Après ce menu musi­cal assez riche, je vous pro­pose un petit asa­do

L’asado

Je suis resté dis­cret sur le thème matadero évo­qué dans l’introduction. Matar en espag­nol est tuer (à ne pas con­fon­dre avec mate) qui est la bois­son nationale. Si vous écrivez « maté », vous voulez dire « tué ». Il ne faut donc surtout pas met­tre d’accent, même si ça prononce maté, ça s’écrit mate. L’accent tonique est sur le ma et pas sur le te. J’arrête de tourn­er autour du pot, le matadero, c’est l’abattoir.

À la fin du 16e siè­cle, Jean de Garay appor­ta 500 vach­es d’Europe (et bien sûr quelques tau­reaux). Ces ani­maux se plurent, l’herbe de la pam­pa était abon­dante et nour­ris­sante aus­si les bovins prospérèrent au point que deux siè­cles plus tard, Félix de Azara, un nat­u­ral­iste espag­nol con­statait que les criol­los ne con­som­maient que de la viande, sans pain.
Plus éton­nant, ils pou­vaient tuer une vache pour ne manger que la langue ou la par­tie qui les intéres­sait.
Puis, la coloni­sa­tion s’intensifiant, la viande est dev­enue la nour­ri­t­ure de tous, y com­pris des nou­veaux arrivants. Cer­taines par­ties délais­sées par la « cui­sine » tra­di­tion­nelle furent l’aubaine des plus pau­vres, mais cer­taines par­ties qui étaient très appré­ciées par les per­son­nes raf­finées et nég­ligées par les con­som­ma­teurs tra­di­tion­nels con­tin­u­ent à faire le bon­heur des com­merçants avisés qui répar­tis­sent les par­ties de l’animal selon les quartiers.
Le tra­vail du cuir est aus­si une ressource impor­tante de l’Argentine, mais dans cer­taines provinces, l’asado (la gril­lade) se fait avec la peau et dans ce cas, le cuir est per­du. C’est un reste de l’habitude de tuer une vache pour n’utiliser que la por­tion néces­saire à un moment don­né.
Les Argentins con­som­ment un kilo de viande et par per­son­ne chaque semaine. Je devrais écrire qui con­som­maient, car depuis l’arrivée du nou­veau gou­verne­ment en Argen­tine, le prix de la viande a triplé et la con­som­ma­tion a forte­ment bais­sée en quan­tité (de l’ordre de 700 grammes par semaine et surtout en qual­ité, les vian­des les moins nobles étant désor­mais plus recher­chées, car moins chères).

Asa­do a la esta­ca (sur des pieux) — Asa­do con cuero (avec la peau de l’animal) Asa­do dans un restau­rant, les chaînes per­me­t­tent de régler la hau­teur des dif­férentes grilles — asa­do famil­iar.

Tira de asa­do
La viande est attachée à l’os. C’est assez spec­tac­u­laire et plein d’os que cer­tains enlèvent avec leur couteau ou en cro­quant entre les restes de côtes.

Vacio (Vide)
Un morceau de choix, sans os, ten­dre et à odeur forte. IL se cuit lente­ment à feu indi­rect.

Matam­bre
Entre la peau et les os, le matam­bre est recher­ché. Il est égale­ment util­isé roulé, avec un rem­plis­sage entre chaque couche. Une fois découpé en ron­delle, comme une bûche de Noël, c’est très joli. Le rem­plis­sage peut être des œufs durs, des légumes ou autres.

Col­i­ta de cuadril
Par­tie de l’aloyau (croupe) proche de la queue, d’où le nom.

Entraña
Par­tie intérieure des côtes de veaux.

Bife de chori­zo
Bifteck de chori­zo, un steack à ne pas con­fon­dre avec la saucisse espag­nole de ce nom.

Bife Ancho
Un steack large, épais avec graisse.

Bife angos­to
Le con­traire du précé­dent, plus fin.

Lomo
La longe, une pièce de viande peu grasse.

Palomi­ta
Une coupe par­mi tant d’autres. J’imagine que cer­tains y voient une colombe, mais c’est bien du bœuf.

Picaña
Arrière de la longe de bœuf de forme tri­an­gu­laire.

Achuras
Ce sont les abats.
Ils sont présen­tés en tripes, chori­zos, boudins, ris de veau, rognons et autres.
Ils ne font pas l’unanimité chez les Argentins, mais un asa­do sans achuras, ce n’est pas un asa­do pour beau­coup.

Bon­di­o­la
Le porc passe aus­si un sale moment sur la par­il­la.
Beau­coup la man­gent en sand­wich dans du pain français (rien à voir avec le pain de France). Le pain peut être chauf­fé sur la par­il­la.

Pechi­to de cer­do
La poitrine de porc fait aus­si par­tie des morceaux de choix de l’asado. Elle est con­sid­érée ici comme une viande plus saine (comme quoi tout est relatif).

Des légumes, poivrons, aubergines peu­vent rejoin­dre l’asado, mais ce ne sera pas le met préféré des Argentins, même si on y fait cuire un œuf afin de ne pas man­quer de pro­téines…

Le tra­vail de l’asador

C’est la per­son­ne qui pré­pare l’asado. Son tra­vail peut paraître sim­ple, mais ce n’est pas le cas.
Il faut pré­par­er les morceaux, par­fois les condi­menter (mod­éré­ment) et la cuis­son est tout un art. Une fois que le bois ou le char­bon de bois sont prêts, il faut régler la hau­teur de la grille afin que la viande cuise douce­ment et longue­ment et de façon adap­tée selon les pièces qui se trou­vent aux dif­férents endroits de la grille.
Beau­coup d’Argentins aiment la viande bien cuite, les steaks tartares sont une idée qui n’est pas dans le vent ici. D’autres l’aiment à point et la bonne viande se coupe à la cuil­lère, voire avec le manche de la cuil­lère.
Hors de l’Argentine, il est assez dif­fi­cile de con­va­in­cre un bouch­er de découper la viande à l’Argentine, à moins de bien lui expli­quer et d’acheter 40 kilos d’un coup. Il vous fau­dra donc aller en Argen­tine ou dans un restau­rant argentin qui s’approvisionne bien sou­vent en bœuf de l’Aubrac (France).
La cou­tume veut qu’on applaud­isse l’asador qui a passé des heures à faire cuire amoureuse­ment les ani­maux.
L’Argentine n’est pas le par­adis des végé­tariens, d’autant plus que les légumes sont sou­vent plus chers que la viande (même si en ce moment, c’est moins le cas). Il faut compter entre 4 et 10 $ le kilo, voire moins si vous achetez de gross­es quan­tités, si vous payez en liq­uide, si vous avez la carte de telle ou telle banque… L’Argentine four­mille d’astuces pour pay­er un peu moins cher.
Ne sortez pas l’American Express ici son slo­gan est plutôt « ne sortez pas avec elle » si vous ne voulez pas pay­er plus cher.
En ce qui con­cerne les autres pro­duits d’origine ani­male, le lait et les pro­duits laitiers ne sont pas les grands favoris et le pois­son coûte le même prix qu’en Europe et par con­séquent est hors de prix pour la majorité des Argentins, sauf peut-être le mer­lu que l’on peut trou­ver à moins de 10 $ con­tre 30 ou 40 $ le saumon (d’élevage, con­gelé et à la chair très pâle et grasse).
Bon, je me suis un peu échap­pé du domaine du tan­go, mais n’étant pas ama­teur de viande, il me fal­lait faire une forme de cathar­sis…

À demain, les amis !

El esquinazo 1951-07-20 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro con refrán por Francisco Canaro

Ángel Gregorio Villoldo Letra : Carlos Pesce ; A. Timarni (Antonio Polito)

Au début des années 2000, dans une milon­ga en France où j’étais danseur, l’organisateur est venu me dire qu’il ne fal­lait pas frap­per du pied, que ça ne se fai­sait pas en tan­go. Il ne savait sans doute pas qu’il repro­dui­sait l’interdiction de Ansel­mo Tarana, un siè­cle plus tôt. Je vais donc vous racon­ter l’histoire frap­pante de El esquina­zo.

Extrait musical

El esquina­zo — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra : Car­los Pesce ; A. Timarni (Anto­nio Poli­to). Par­ti­tion pour piano et deux cou­ver­tures, dont une avec Canaro.
El esquina­zo 1951-07-20 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro con refrán por Fran­cis­co Canaro.

Vous aurez remar­qué, dès le début, l’incitation à frap­per du pied. On retrou­ve cette invi­ta­tion sur les par­ti­tions par la men­tion golpes (coups).

El esquina­zo — Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra: Car­los Pesce ; A. Timarni (Anto­nio Poli­to). Par­ti­tion pour gui­tare (1939).

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 1) anatomie du pousse-au-crime

Dès le début de la par­ti­tion, on voit inscrit « Golpes » (coups).

La zone en rouge, ici au début de la par­ti­tion, est la mon­tée chro­ma­tique en tri­o­lets de dou­ble-croche et en dou­ble-croche. C’est donc un pas­sage vif, d’autant plus que l’on remar­que des appog­gia­tures brèves.Ce sont ces petites notes bar­rées qui indiquent que l’on doit (peut) jouer une note sup­plé­men­taire, une frac­tion de temps avant, voire en même temps que la note qu’elle com­plète. Ces appog­gia­tures aug­mentent donc le nom­bre de notes et par con­séquent l’impression de vitesse.
Après cette mon­tée rapi­de, on s’attend à une suite, mais Vil­lol­do nous offre une sur­prise, un silence (la zone verte), mar­qué ici par un quart de soupir pour la ligne mélodique supérieure et un demi-soupir suivi d’un soupir pour l’accompagnement.
La zone bleue com­porte des signes de per­cus­sion et le texte indique Golpes en el puente (coup dans le pont). Ras­surez-vous, il ne s’agit pas d’un pont au sens com­mun, mais de la tran­si­tion entre deux par­ties d’une musique. Ici, il est donc con­sti­tué seule­ment de coups, coups que fai­saient les musi­ciens avec les talons et que bien­tôt le pub­lic imi­ta de divers­es manières.

Mar­i­ano Mores copiera cette struc­ture pour son célèbre « Taquito mil­i­tar ».
Voici la ver­sion enreg­istrée en 1997 par Mar­i­ano Mores de Taquito mil­i­tar. Cette ver­sion com­mence par le fameux motif suivi de coups.

Taquito mil­i­tar 1997 — Mar­i­ano Mores.

Cette ver­sion à l’orgue Ham­mond est un peu par­ti­c­ulière, mais vous pour­rez enten­dre toutes les ver­sions clas­siques dans l’article dédié à Taquito mil­i­tar.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 2) les paroles

Ángel Vil­lol­do a com­posé ce tan­go avec des paroles. Même si Vil­lol­do était lui-même chanteur, c’est à Pepi­ta Avel­lane­da (Jose­fa Calat­ti) que revint l’honneur de les inau­gur­er. Mal­heureuse­ment, ces paroles orig­i­nales sem­blent per­dues, tout comme celles de El entr­erri­ano qu’il avait « écrites » pour la même Pepi­ta.
J’émets l’hypothèse que les célèbres coups don­nés au planch­er au départ par les musi­ciens devaient avoir une expli­ca­tion dans les paroles. El esquina­zo, c’est pren­dre la tan­gente dans une rela­tion amoureuse, s’enfuir, ne plus répon­dre aux ten­dress­es, pren­dre ses dis­tances, pos­er un lapin (ne pas venir à un ren­dez-vous). On peut donc sup­pos­er que les pre­mières paroles devaient exprimer d’une façon imagée cette fuite, ou la façon dont elle était ressen­tie par le parte­naire.
J’ai indiqué « écrites » au sujet des paroles, mais à l’époque, les paroles et même la musique n’étaient pas tou­jours écrites. Elles sont donc prob­a­ble­ment restées orales et retrou­ver un témoin de l’époque est désor­mais impos­si­ble.
Cepen­dant, notre tan­go du jour nous apporte un éclairage intéres­sant sur l’histoire, grâce aux quelques mots que lâche Canaro après les séries de coups. En effet, dans sa ver­sion, il est plutôt ques­tion de quelqu’un qui frappe à la porte pour ne pas dormir dehors sous la pluie…
Je serai assez ten­té d’y voir un reflet des paroles orig­i­nales qui jus­ti­fieraient bien plus les coups que les paroles de Pesce et Timarni. Le désamour (esquina­zo) pour­rait expli­quer qu’une porte reste fer­mée, l’occupant restant sourd aux sup­pli­ca­tions de lui (dans le Canaro) ou d’elle (dans le cas de Pepi­ta Avel­lane­da).

Paroles dites par Canaro dans sa version de 1951

Les paroles pronon­cées par Fran­cis­co Canaro dans sa ver­sion de 1951

Canaro inter­vient qua­tre fois durant le thème pour don­ner des phras­es, un peu énig­ma­tiques, mais que j’aime à imag­in­er, tirées ou inspirées des paroles orig­i­nales de Vil­lol­do.

  1. Frappe, qu’ils vien­nent t’ouvrir.
  2. Suis là, puisque tu l’as
  3. Ils fêtent l’esquinazo
  4. Ouvre que je suis en train de me mouiller. Ne me fais pas dormir dehors

Ces paroles de Canaro, sont-elles inspirées directe­ment de celles de Vil­lol­do ? En l’absence des paroles orig­i­nales, on ne le saura pas, alors, pas­sons aux paroles postérieures, qui n’ont sans doute pas la « saveur » de celles de la pre­mière ver­sion.

Paroles

Nada me impor­ta de tu amor, golpeá nomás…
el corazón me dijo,
que tu amor (car­iño) fue una fal­sía,
aunque juraste y juraste que eras mía.
No llames más, no insis­tas más, yo te daré…
el libro del recuer­do,
para que guardes las flo­res del olvi­do
porque vos lo has queri­do
el esquina­zo yo te doy.

Fue por tu cul­pa que he toma­do otro camino
sin tino… Vida mía.
Jamás pen­sé que lle­garía este momen­to
que sien­to,
la más ter­ri­ble real­i­dad…
Tu ingrat­i­tud me ha hecho sufrir un des­en­can­to
si tan­to… te quería.
Mas no te creas que por esto guar­do encono
Per­dono
tu más injus­ta falsedad.

Ángel Gre­go­rio Vil­lol­do Letra: Car­los Pesce; A. Timarni (Anto­nio Poli­to)

Traduction libre et indications

Je me fiche de ton amour, une tocade, rien de plus (gol­pear, c’est don­ner un coup, mais aus­si droguer, intox­i­quer. Cer­tains y voient la jus­ti­fi­ca­tion des coups frap­pés par les musi­ciens, mais il me sem­ble que c’est un peu léger et que les paroles ini­tiales devaient être plus con­va­in­cantes et cer­taine­ment moins accept­a­bles par un pub­lic de plus en plus raf­finé. C’est peut-être aus­si une sim­ple évo­ca­tion des coups frap­pés à la porte de la ver­sion chan­tée par Canaro, ce qui pour­rait ren­forcer l’hypothèse que Canaro chante des bribes des paroles d’origine)…
Mon cœur me dis­ait que ton amour était un men­songe, bien que tu aies juré et juré que tu étais à moi.
N’appelle plus, (le tan­go s’est mod­ernisé. Si à l’origine, l’impétrant venait frap­per à la porte, main­tenant, il utilise le télé­phone…) n’insiste plus, je te don­nerai… le livre de sou­venirs, pour que tu gardes les fleurs de l’oubli parce que toi tu l’as, l’esquinazo (dif­fi­cile de trou­ver un équiv­a­lent. C’est l’abandon, la non-réponse aux sen­ti­ments, la fuite, le lapin dans le cas d’un ren­dez-vous…) que je te donne.
C’est ta faute si j’ai pris un autre chemin sans but… (tino, peut sig­ni­fi­er l’habileté à touch­er la cible)
Ma vie.
Je n’ai jamais pen­sé que ce moment, dont je ressens la ter­ri­ble réal­ité, arriverait…
Ton ingrat­i­tude m’a fait subir un désamour si toute­fois… Je t’aimais.
Mais, ne crois pas que, pour cette rai­son, je con­serve de l’amertume. Je par­donne ton men­songe le plus injuste.

El Esquinazo, un succès à tout rompre (partie 3) le succès du pousse-au-crime.

Nous avons vu dans la pre­mière par­tie com­ment était pré­paré le frappe­ment du talon. Dans la sec­onde et avec les paroles, nous avons essayé de trou­ver un sens à ces frap­pés, à ces taquitos qui à défaut d’être mil­i­taires, sont bien ten­tants à imiter, comme nous l’allons voir.
Le pre­mier témoignage sur la repro­duc­tion des coups par le pub­lic est celui de Pintin Castel­lanos qui racon­te dans Entre cortes y que­bradas, can­dombes, milon­gas y tan­gos en su his­to­ria y comen­tar­ios. Mon­te­v­ideo, 1948 la fureur autour de El esquina­zo.
La com­po­si­tion de Vil­lol­do a été un tri­om­phe […]. L’accueil du pub­lic fut tel que, soir après soir, il gran­dis­sait et le rythme dia­bolique du tan­go sus­men­tion­né com­mença à ren­dre peu à peu tout le monde fou.
Tout d’abord, et avec une cer­taine pru­dence, les clients ont accom­pa­g­né la musique de « El Esquina­zo » en tapant légère­ment avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours pas­saient et l’engouement pour le tan­go dia­bolique ne ces­sait de croître.
Les clients du
Café Tarana (voir l’article sur En Lo de Lau­ra où je donne des pré­ci­sions sur Lo de Hansen/Café Tarana) ne se con­tentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gar­dant le rythme, aug­men­tèrent peu à peu et furent rejoints par des tass­es, des ver­res, des chais­es, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arri­va une nuit, une nuit fatale, où se pro­duisit ce que le pro­prié­taire de l’établissement floris­sant ressen­tait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tan­go déjà con­sacré de
Vil­lol­do, une cer­taine ner­vosité était per­cep­ti­ble dans le pub­lic nom­breux […] l’orchestre a com­mencé la cadence de « El Esquina­zo » et tous les assis­tants ont con­tin­ué à suiv­re le rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chais­es, tables, ver­res, bouteilles, talons, etc. […]. Patiem­ment, le pro­prié­taire (Ansel­mo R. Tarana) a atten­du la fin du tan­go du démon, mais le dernier accord a reçu une stand­ing ova­tion de la part du pub­lic. La répéti­tion ne se fit pas atten­dre ; et c’est ain­si qu’il a été exé­cuté un, deux, trois, cinq, sept… Finale­ment, de nom­breuses fois et à chaque inter­pré­ta­tion, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inou­bli­able a coûté au pro­prié­taire plusieurs cen­taines de pesos, irré­cou­vrables. Mais le prob­lème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait con­tin­uer à se pro­duire dans les nuits suiv­antes.
Après mûre réflex­ion, le mal­heureux « 
Pagani­ni » des « assi­ettes brisées » prit une réso­lu­tion héroïque. Le lende­main, les clients du café Tarana ont eu la désagréable sur­prise de lire une pan­car­te qui, près de l’orchestre, dis­ait : « Est stricte­ment inter­dite l’exécution du tan­go el esquina­zo ; La pru­dence est de mise à cet égard. »

Ce tan­go fut donc inter­dit dans cet étab­lisse­ment, mais bien sûr, il a con­tin­ué sa car­rière, comme le prou­ve le témoignage suiv­ant.

Témoignage de Francisco García Jiménez, vers 1921

La orques­ta arrancó con el tan­go El esquina­zo, de Vil­lol­do, que tiene en su desar­rol­lo esos golpes reg­u­la­dos que los bailar­ines de antes mar­ca­ban a tacón limpio. En este caso, el con­jun­to de La Palo­ma hacía lo mis­mo en el piso del palquito, con tal fuerza, que las vie­jas tablas deja­ban caer una nube de tier­ra sobre la máquina del café express, la caja reg­istrado­ra y el patrón. Este ech­a­ba denuestos; los de arri­ba seguían muy serios su tan­go ; y los par­ro­quianos del cafetín se rego­ci­ja­ban.

Témoignage de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Traduction libre du témoignage de Francisco García Jiménez

L’orchestre a com­mencé avec le tan­go El esquina­zo, de Vil­lol­do, qui a dans son développe­ment ces rythmes réglés que les danseurs d’antan mar­quaient d’un talon clair.
Dans ce cas, le con­jun­to La Palo­ma a fait de même sur le sol de la tri­bune des musi­ciens, avec une telle force que les vieilles planch­es ont lais­sé tomber un nuage de saleté sur la machine à expres­so, la caisse enreg­istreuse et le patron. Il leur fit des reproches ; Ceux d’en haut suiv­aient leur tan­go très sérieuse­ment, et les clients du café se réjouis­saient.
On con­state qu’en 1921, l’usage de frap­per du pied chez les danseurs était moin­dre, voire absent. Cet argu­ment peut venir du fait que l’interdit de Tarana a été effi­cace sur les danseurs, mais j’imagine tout autant que les paroles et l’interprétation orig­inelle étaient plus prop­ices à ces débor­de­ments.
L’idée des coups frap­pés à une porte, comme les coups du des­tin dans la 5e sym­phonie de Lud­wig Van Beethoven, ou ceux de la stat­ue du com­man­deur dans Don Gio­van­ni de Wolf­gang Amadeus Mozart, me plaît bien…

Autres versions

El esquina­zo 1910-03 05 — Estu­di­anti­na Cen­te­nario dirige par Vicente Abad.

Cette ver­sion anci­enne est plutôt un tan­go qu’une milon­ga, comme il le devien­dra par la suite. On entend les coups frap­pés et la man­do­line. On note un petit ralen­tisse­ment avant les frap­pés, ralen­tisse­ment que l’on retrou­vera ampli­fié dans la ver­sion de 1961 de Canaro.

El esquina­zo 1913 — Moulin Rouge Orch­ester Berlin — Dir. Fer­di­nand Litschauer.

Encore une ver­sion anci­enne, enreg­istrée à Berlin (Alle­magne) en 1913, preuve que le tan­go était dès cette époque totale­ment inter­na­tion­al. Les frap­pés sont rem­placés par de frêles per­cus­sions, mais on notera le gong au début…

Le disque de El esquina­zo par l’orchestre du Moulin Rouge (alle­mand, mal­gré ce que pour­rait faire penser son nom) et la ver­sion Russe du disque… On notera que les indi­ca­tions sont en anglais, russe et français. La Inter­na­tion­al Talk­ing Machine est la société qui a fondé Odeon… S’il en fal­lait une de plus, cette preuve témoigne de la mon­di­al­i­sa­tion du tan­go à une date pré­coce (1913).
El esquina­zo 1938-01-04 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Est-il néces­saire de présen­ter la ver­sion de D’Arienzo, prob­a­ble­ment pas, car vous l’avez déjà enten­du des mil­liers de fois. Tout l’orchestre se tait pour laiss­er enten­dre les frap­pés. Même Bia­gi renonce à ses habituelles fior­i­t­ures au moment des coups. En résumé, c’est une exé­cu­tion par­faite et une des milon­gas les plus réjouis­santes du réper­toire. On notera les courts pas­sages de vio­lons en lega­to qui con­trastent avec le stac­ca­to général de tous les instru­ments.

El esquina­zo 1939-03-31 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Rober­to Fir­po au piano démarre la mon­tée chro­ma­tique une octave plus grave, mais reprend ensuite sur l’octave com­mune. Cela crée une petite impres­sion de sur­prise chez les danseurs qui con­nais­sent. La suite est joueuse, avec peut être un petit manque de clarté qui pour­ra décon­te­nancer les danseurs débu­tants, mais de toute façon, cette ver­sion est assez dif­fi­cile à danser, mais elle ravi­ra les bons danseurs, car elle est prob­a­ble­ment la plus joueuse.

El esquina­zo 1951-07-20 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro con refrán por Fran­cis­co Canaro.

C’est notre tan­go du jour. Fran­cis­co Canaro nous donne sans doute des clefs dans les quelques paroles qu’il dit. Cette ver­sion est de vitesse mod­érée, entre canyengue et milon­ga. Elle sera plus adap­tée aux danseurs mod­estes.

El esquina­zo 1958 — Los Mucha­chos De Antes.

Avec clar­inette et gui­tare en vedette, cette ver­sion est très dynamique et sym­pa­thique. Ce n’est bien sûr pas le top pour la danse, mais on a d’autres ver­sions pour cela…

El esquina­zo 1960 — Orques­ta Car­los Figari con Enrique Dumas.

Une ver­sion en chan­son qui perd le car­ac­tère joueur de la milon­ga, même si quelques coups de claves rap­pel­lent les frap­pés fameux. En revanche, cette chan­son nous présente les paroles de Car­los Pesce et A. Timarni. J’aime beau­coup, même si ce n’est pas à pro­pos­er aux danseurs.

El esquina­zo 1961-12-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón).

El esquina­zo 1961-12-01 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro (en vivo al Teatro Koma de Tokyo, Japón). Cette ver­sion très joueuse com­mence par la célèbre invite à frap­per du pied, répétée trois fois. Les deux pre­mières sont très lentes et la troisième fois, la pause est beau­coup plus longue, ce qui provoque un effet irré­sistible. C’est un exem­ple, bien que tardif de com­ment les orchestres jouaient avec les danseurs, jeux que nous avons per­dus à cause des ver­sions figées par le disque. Bien sûr, il s’agit ici d’un con­cert, mais un DJ taquin pour­rait pro­pos­er cette ver­sion à danser, notam­ment à cause des paus­es et de l’accélération finale qui peu­vent sur­pren­dre (aus­si dans le bon sens du terme), les danseurs.

El esquina­zo 1962 — Los Vio­lines De Oro Del Tan­go.

Une ver­sion à la lim­ite de l’excès de vitesse, même sur autoroute. Je trou­ve cela très sym­pa, mais j’y réfléchi­rai à deux fois avant de dif­fuser en milon­ga…

El esquina­zo 1970 — Cuar­te­to Juan Cam­bareri.

Je pense que vous avez repéré Juan Cam­bareri, ce ban­donéon­iste vir­tu­ose qui après une car­rière dans dif­férents orchestres s’est mis « à son compte » avec un orchestre, dans les années 50 et un peu plus tard (1968) dans un cuar­te­to com­posé de :

Juan Riz­zo au piano, Juan Gan­dol­fo et Felipe Escomabache aux vio­lons et Juan Cam­bareri au ban­donéon. Cet enreg­istrement date de cette péri­ode. Comme à son habi­tude, il imprime une cadence d’enfer que les doigts vir­tu­os­es des qua­tre musi­ciens peu­vent jouer, mais qui posera des prob­lèmes à un grand nom­bre de danseurs.

El esquina­zo 1974 — Sex­te­to Tan­go.

Le début sem­ble s’inspirer de la ver­sion de Canaro au Japon en 1961, mais la suite vous détrompera bien vite. C’est claire­ment une ver­sion de con­cert qui a bien sa place dans un fau­teuil d’orchestre, mais qui vous don­nera des sueurs froides sur la piste de danse.

El esquina­zo 1976 — Di Mat­teo y su trio.

La ver­sion pro­posée par le trio Di Mat­teo ne ras­sur­era pas les danseurs, mais c’est plaisant à écouter. À réserv­er donc pour le salon, au coin du feu (j’écris depuis Buenos Aires et ici, c’est l’hiver et cette année, il est par­ti­c­ulière­ment froid…).

El esquina­zo 1983 — Orques­ta José Bas­so.

Une assez belle ver­sion, orches­trale. Pour la milon­ga, on peut éventuelle­ment lui reprocher un peu de mor­dant en com­para­i­son de la ver­sion de D’Arienzo. On notera égale­ment que quelques frap­pés sont joués au piano et non en per­cus­sion.

El esquina­zo 1991 — Los Tubatan­go.

Comme tou­jours, cet orchestre sym­pa­thique se pro­pose de retrou­ver les sen­sa­tions du début du vingtième siè­cle. Out­re le tuba qui donne le nom à l’orchestre et la basse de la musique, on notera les beaux con­tre­points de la flûte et du ban­donéon qui dis­cu­tent ensem­ble et en même temps comme savent si bien le faire les Argentins…

El esquina­zo 2002 — Armenonville.

Une intro­duc­tion presque comme une musique de la renais­sance, puis la con­tre­basse lance la mon­tée chro­ma­tique, des coups don­nés et la musique est lancée. Elle se déroule ensuite de façon sym­pa­thique, mais pas assez struc­turée pour la danse. Une accéléra­tion, puis un ralen­tisse­ment et l’estribillo est chan­té en guise de con­clu­sion.

El esquina­zo 2007 — Este­ban Mor­ga­do Cuar­te­to.

Une ver­sion légère et rapi­de pour ter­min­er tran­quille­ment cette anec­dote du jour.

À demain, les amis !

Une autre façon de cass­er la vais­selle…

Marejada 1941-07-16 — Orquesta Carlos Di Sarli

Roberto Firpo Letra : Daniel López Barreto y Vicente Planells Del Campo ?

J’espère que vous n’avez pas le mal de mer, car nous embar­quons avec un des rares tan­gos dédiés à la marine. C’est encore une com­po­si­tion de Rober­to Fir­po et l’histoire rap­pellera sans doute des sou­venirs à de nom­breux marins au long cours ou aux mil­i­taires engagés dans la marine.

Extrait musical

Mare­ja­da 1941-07-16 — Orques­ta Car­los Di Sar­li
Mare­ja­da Rober­to Fir­po Letra : Daniel López Bar­reto

La par­ti­tion est dédi­cacée au dis­tin­gui­do señor Con­ra­do Del Car­ril et non pas, comme c’est écrit partout à Boni­fa­cio del Car­ril, qui fut avo­cat, min­istre de l’Intérieur et diplo­mate, mais qui est né en 1911, année d’écriture de ce tan­go. Il fut aus­si le tra­duc­teur du Petit Prince (Prin­cip­i­to) de Antoine de Saint-Exupéry.
Le marin représen­té sur la cou­ver­ture de gauche est Con­ra­do del Car­ril, comme on peut le voir inscrit sur la bouée. En 1910, Con­ra­do del Car­ril a passé les exa­m­ens de sec­onde année d’aspirant de l’école navale mil­i­taire. Le décret qui le stip­ule est le n° 1397 du 8 avril 1910. Il avait donc à faire dans le domaine de la marine, con­traire­ment à Boni­fa­cio

Le décret du 8 avril 1810 men­tion­nant Con­ra­do del Car­ril surligné en jaune.

J’ai essayé de trou­ver le lien avec Fir­po, sans suc­cès. Il ne faut bien sûr pas chercher du côté d’Hugo del Car­ril qui est un pseu­do­nyme et qui est de toute façon né en 1912. Les paroles étant plus tar­dives et la dédi­cace étant sur la par­ti­tion orig­i­nale, ce n’est pas non plus du côté de Daniel López Bar­reto qu’il faut chercher.

Paroles

Il est par­fois indiqué l’intervention de Vicente Planells Del Cam­po, pour une pre­mière ver­sion des paroles, ou une par­tic­i­pa­tion à la com­po­si­tion, je n’en suis pas du tout sûr. Pour la com­po­si­tion, c’est prob­a­ble­ment non, trop tôt. Pour les paroles, il s’agit sans doute d’une erreur du cat­a­logue de Odeón, la par­ti­tion indi­quant bien Daniel López Bar­reto. Sauf à imag­in­er des paroles de Plan­nels Del Cam­po à la fin des années 20. Mais dans ce cas, on n’a pas de traces et comme de toute façon toutes les ver­sions sont instru­men­tales, sauf celle de 1929, avec les paroles de Daniel López Bar­reto, la ques­tion n’a pas trop d’intérêt… Voici donc les paroles de Daniel López Bar­reto, qui, on le con­stat­era, n’ont rien d’extraordinaire…

Cuan­do te dejé, tier­ra queri­da,
y te di aquel triste adiós,
la bar­ra del Flori­da
con pena sin­cera me des­pidió,
parece que veo los pañue­los
agi­tarse con dolor
y entre la gente esta­ba
muy triste y llora­ba
una mujer.

Yo sé que mi mira­da
llegó cual mare­ja­da
y su almi­ta ape­na­da
y su esper­an­za naufragó.
Me quiso con locu­ra,
con­mi­go fue muy dichosa,
fue bue­na y car­iñosa
y yo, insen­sato,
la dejé.

Cuan­do regresé a mi patria,
después de una larga ausen­cia,
la vi una vez;
¡qué triste fue
volver­la a ver así !
Arras­tró la mare­ja­da
a su bar­co de ilu­siones
y navego sin direc­ción
por cul­pa
de mi amor.

Rober­to Fir­po Letra: Daniel López Bar­reto.

Teó­fi­lo Ibáñez ne chante que ce qui est gras.

Traduction libre

Quand je t’ai quit­tée, Terre chérie, et que je t’ai fait ce triste adieu, la bande du Flori­da avec une tristesse sincère m’a dit au revoir, il sem­ble que je vois les mou­choirs s’agiter de douleur et par­mi les gens il y avait, très triste, une femme qui pleu­rait.
Je sais que mon regard s’est posé comme un raz-de-marée (la mare­ja­da est une houle mod­érée, mais je pense que l’image du raz-de-marée est plus par­lante pour évo­quer la tristesse de la femme délais­sée) et que sa petite âme affligée et son espoir ont fait naufrage.
Elle m’aimait à la folie, elle était très heureuse avec moi, elle était bonne et affectueuse et moi, insen­sé, je l’ai quit­tée.
Quand je suis ren­tré dans ma patrie, après une longue absence, je l’ai vue une fois ; comme c’était triste de la revoir ain­si !
La houle m’a traîné jusqu’à son bateau d’illusions et je nav­igue sans direc­tion par la faute de mon amour.

Autres versions

Mare­ja­da 1914 — Rober­to Fir­po (solo de piano).
Mare­ja­da 1917 – Orques­ta Rober­to Fir­po.
Mare­ja­da 1929-07-04 – Orques­ta Rober­to Fir­po con Teó­fi­lo Ibáñez.
Mare­ja­da 1932-03-10 – Orques­ta Rober­to Fir­po.
Mare­ja­da 1937-01-12 – Orques­ta Típi­ca Vic­tor, Dir. Fed­eri­co Scor­ti­cati.
Mare­ja­da 1941-07-16 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. C’est notre tan­go du jour.
Mare­ja­da 1950-07-06 — Orques­ta Fran­cis­co Rotun­do.
Mare­ja­da 1953-01-15 – Orques­ta Florindo Sas­sone.
Mare­ja­da 1967 – Orques­ta Osval­do Pugliese.
Mare­ja­da 2012 — Típi­ca Fer­nán­dez Fier­ro.

Hon­nête­ment, j’ai classé cela dans la caté­gorie « bruit ».

La vague

Vous avez recon­nu le mod­èle de mon illus­tra­tion de cou­ver­ture, La Grande Vague de Kana­gawa, qui est prob­a­ble­ment la pre­mière de la série des 36 vues du Mont Fuji réal­isées vers 1830 par Hoku­sai. Il s’agit d’une gravure sur bois, chaque couleur est appliqué à par­tir d’une planche de bois gravée pour recevoir et imprimé cette couleur.
L’image de cette vague m’a sem­blé évi­dente pour évo­quer la houle qui fait som­br­er la mal­heureuse.

La Grande Vague de Kana­gawa — Hoku­sai — 1830

友達、また明日会いましょう。

Mi vieja linda 1941 — Orquesta Emilio Pellejero con Enalmar De María

Ernesto Céspedes Polanco (Musique et paroles)

En 2012, le thème du fes­ti­val Tan­go­postale de Toulouse était les deux rives. À cette occa­sion, j’ai eu l’idée d’alterner les tan­das argen­tines et uruguayennes. Entre les deux, une corti­na réal­isée pour l’occasion per­me­t­tait de matéri­alis­er le pas­sage d’une rive à l’autre. Je me sou­viens de l’accueil ent­hou­si­aste pour Mi vie­ja lin­da qui était peu con­nue à l’époque, tout comme les ver­sions de nom­breux orchestres uruguayens qui n’étaient alors représen­tés que par Rac­ciat­ti et Vil­las­boas… Dix ans plus tard, le Sex­te­to Cristal a eu l’excellente idée de repren­dre à l’identique Mi vie­ja lin­da, ce qui a per­mis à de nou­velles généra­tions de danseurs de redé­cou­vrir cette milon­ga fes­tive, comme beau­coup de musiques uruguayennes.

Extrait musical

Mi vie­ja lin­da 1941 — Orques­ta Emilio Pelle­jero con Enal­mar De María.
Mi vie­ja lin­da. Par­ti­tion pour qua­tre gui­tares.

Paroles

Mi vie­ja lin­da
Pen­san­do en vos
Se me refres­ca
El corazón
Des­de el día que te vi
Tras de la reja
En mi pecho abrió una flor
Como una luz
Y la pasión
Alum­bró mi corazón
Mi vie­ja lin­da
Pen­san­do en vos
Me sien­to bueno
Como el mejor
Y cuan­do un beso te doy
Boca con boca
Yo paladeo el sabor
De estar en vos
Que estar así
Corazón a corazón

Ernesto Cés­pedes Polan­co

Traduction libre

Ma jolie chérie (vie­ja est la mère, ou la femme chérie. Vu le reste des paroles, c’est la sec­onde option la bonne…), en pen­sant à toi, mon cœur est rafraîchi.
Depuis le jour où je t’ai vu, à tra­vers la grille, une fleur s’est ouverte dans ma poitrine, comme une lumière et la pas­sion a illu­miné mon cœur.
Ma jolie chérie, je pense à toi.
Je me sens bien, comme le meilleur et quand je te donne un bais­er, bouche con­tre bouche, je savoure le goût d’être en toi, d’être ain­si, cœur à cœur.

Autres versions

Mi vie­ja lin­da 1941 — Orques­ta Emilio Pelle­jero con Enal­mar De María. C’est notre milon­ga du jour.
Mi vie­ja lin­da 2022-07-12 – Sex­te­to Cristal con Guiller­mo Rozen­thuler.

Comparaison des deux versions

Vous l’aurez remar­qué, les deux ver­sions sont très sem­blables. Le Sex­te­to Cristal a repro­duit exacte­ment l’interprétation de Emilio Pelle­jero. Pour vous per­me­t­tre de véri­fi­er que le tra­vail est excel­lent, je vous pro­pose d’écouter les deux musiques en même temps.
Vous pour­rez con­stater que la plu­part du temps, la musique est syn­chro­nisée. Cela veut dire que les danseurs pour­ront danser indif­férem­ment sur une ver­sion ou l’autre, sans dif­férence notable.

Le Sex­te­to Crital a eu l’ex­cel­lente idée d’interpréter “Mi vie­ja lin­da” de Ernesto Cés­pedes Polan­co et qui était con­nu prin­ci­pale­ment pour la ver­sion enreg­istrée en 1941 par Emilio Pelle­jero avec la voix d’E­nal­mar De María. Sa repro­duc­tion de la ver­sion orig­i­nale est presque par­faite comme vous le ver­rez dans cette vidéo. Les deux ver­sions jouent en même temps et sont presque tou­jours syn­chro­nisées.

Les deux rives

L’année dernière au fes­ti­val de Tarbes, il y avait le Sex­te­to Cristal qui a bien sûr joué son titre fétiche. J’intervenais le lende­main dans la Halle Mar­cadieu et j’ai pu pass­er la ver­sion orig­i­nale de Pelle­jero afin de ren­dre à César (plutôt Emilio) ce qui était à Emilio Pelle­jero et je pour­rais égale­ment rajouter Ernesto, Ernesto Cés­pedes Polan­co, l’auteur de la musique et des paroles et qui a réal­isé quelques titres prin­ci­pale­ment inter­prétés par Emilio Pelle­jero comme Palo­ma que vue­las et Que­man­do recuer­dos, les deux avec des paroles de Fer­nan­do Sil­va Valdés.
Il est d’usage de dire que le tan­go est un enfant des deux rives du Rio de la Pla­ta, Buenos Aires et sa Jumelle ori­en­tale, Mon­te­v­ideo. Le pas­sage d’un pays à l’autre était courant pour ne pas dire con­stant pour les orchestres. La per­méa­bil­ité entre les deux rives était donc extrême. Cepen­dant, la plu­part des artistes qui ont cher­ché à dévelop­per leur car­rière se sont cen­trés sur Buenos Aires, comme Fran­cis­co Canaro, né Uruguayen et nat­u­ral­isé Argentin.

À Dona­to Rac­ciat­ti et Miguel Vil­las­boas, on peut rajouter quelques orchestres uruguayens moins con­nus :
Nel­son Alber­ti, Julio Arregui, Juan Cao, Anto­nio Cerviño, Rober­to Cuen­ca, Romeo Gavi­o­li, Álvaro Hagopián, Juan Manuel Mouro, Ángel Sica, Julio Sosa.

Durant la pandémie COVID, je dif­fu­sais une milon­ga heb­do­madaire et le fait de pass­er aus­si des orchestres uruguayens m’avait attiré la sym­pa­thie d’auditeurs de ce pays et j’avais reçu de nom­breuses infor­ma­tions via Mes­sen­ger. Mal­heureuse­ment, la fer­me­ture par Face­book de mon compte de l’époque m’a fait per­dre toutes ces infor­ma­tions. Je me sou­viens de con­tacts d’enfants de musi­ciens et de témoignages sur les orchestres de l’époque que je n’avais pas mis au pro­pre, par manque de temps de traiter ces infor­ma­tions très rich­es. Je comp­tais égale­ment enrichir ma dis­cothèque à par­tir de ces sources. Si mes con­tacts de l’époque lisent ce blog, qu’ils n’hésitent pas à repren­dre con­tact…

Cruzan­do el Rio de la Pla­ta – Volver (Chamuyo) et bruitages DJ BYC. Une des corti­nas des deux rives de Tan­go­postale 2012. DJ BYC Bernar­do. Les effets stéréo de la tra­ver­sée sont bien sur per­dus à cause de la néces­sité de pass­er les fichiers en mono pour le blog (lim­ite de taille des fichiers à 1Mo).
Mi vie­ja lin­da 1941. Femme à la fenêtre Antoine Bour­delle.

Pour réalis­er cette image, j’ai util­isé une pein­ture d’An­toine Bour­delle, un sculp­teur génial dont on peut voir les œuvres à Buenos Aires, Toulouse et à Paris où sa mai­son musée est une mer­veille.

Antoine Bour­delle, Femme à la fenêtre, Huile sur toile, Paris, musée Bour­delle

La capilla blanca 1944-07-11 — Orquesta Carlos Di Sarli con Alberto Podestá

Carlos Di Sarli Letra : Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)

Une grande par­tie des titres com­posés par Car­los Di Sar­li ont des paroles de Héc­tor Mar­có, comme Corazón (le pre­mier titre de leur col­lab­o­ra­tion), Porteño y bailarín, Nido gau­cho, Juan Porteño, En un beso la vida, Rosamel, Bien frap­pé, et la mer­veille d’aujourd’hui, La capil­la blan­ca, tran­scendée par la voix de Alber­to Podestá.

Héc­tor Mar­có écrira les paroles de ce tan­go à la suite d’une expéri­ence per­son­nelle. Car­los Di Sar­li le met­tra soigneuse­ment en musique, avec le temps néces­saire pour don­ner sa mesure à un sujet qui par­lait à sa sen­si­bil­ité. Di Sar­li n’était pas un com­pos­i­teur de l’instant, il savait pren­dre son temps…

Comme vous le décou­vrirez à la lec­ture des paroles si vous ne les con­naissiez pas, ce tan­go pour­rait être l’objet d’un fait divers, comme en rela­tent les jour­nal­istes, jour­nal­istes auquel ce tan­go est dédié.

”Existe un gremio que siem­pre pidió para los demás, y nun­ca para sí mis­mo. …Ese gremio, es el de los peri­odis­tas. Muy jus­to entonces que yo lo recuerde con car­iño y dedique a todos los peri­odis­tas de la Argenti­na, este tan­go”. Car­los Di Sar­li.

Dédi­cace inscrite sur la cou­ver­ture de la par­ti­tion éditée par Julio Korn.

« Il existe un syn­di­cat qui a tou­jours demandé pour les autres, et jamais pour lui-même… Ce syn­di­cat c’est celui des jour­nal­istes. C’est donc très juste que je m’en sou­vi­enne avec affec­tion et que je dédie ce tan­go à tous les jour­nal­istes argentins. » Car­los Di Sar­li.

Si vous souhaitez en savoir plus sur ce titre, je vous con­seille cet arti­cle de l’excellent blog Tan­go al Bar­do.

Extrait musical

La capil­la blan­ca 1944-07-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Alber­to Podestá.

Les propo­si­tions légères des vio­lons sont ponc­tuées de lourds accords du piano de Di Sar­li. La tonal­ité passe du mode majeur au mode mineur à divers­es repris­es, sug­gérant des émo­tions mêlées. À 1:20 la chaleureuse voix de Podestá reprend le motif des vio­lons. Le pas­sage au sec­ond thème est sig­nalé par un point d’orgue appuyé. Il déroule ensuite le début des paroles jusqu’à l’ultime note.

La capil­la blan­ca. À gauche, édi­tion Korn sur laque­lle on peut lire la dédi­cace aux jour­nal­istes. Au cen­tre et à droite, édi­tion brésili­enne de la Par­ti­tion. Le chanteur est Vic­tor Manuel Caser­ta. Je n’ai mal­heureuse­ment pas trou­vé d’interprétation enreg­istrée par lui. On notera qu’il est né à Buenos Aires de par­ents d’origine brésili­enne. Il fut égale­ment poète, mais pas auteur de textes de tan­go, à ma con­nais­sance.

Paroles

En la capil­la blan­ca
de un pueblo provin­ciano,
muy jun­to a un arroyue­lo de cristal,
me hin­ca­ban a rezar
tus manos…
Tus manos que encendían
mi corazón de niño.
Y al pie de un San­to Cristo,
las aguas del car­iño
me dabas de (a) beber.

Feliz nos vio la luna
bajar por la mon­taña,
sigu­ien­do las estrel­las,
bebi­en­do entre tus cabras,
un ánfo­ra de amor…
Y hoy son aves oscuras
esas tími­das cam­panas
que doblan a lo lejos
el toque de oración.
Tu voz murió en el río,
y en la capil­la blan­ca,
quedó un lugar vacío
¡Vacío como el alma
de los dos…!

En la capil­la blan­ca
de un pueblo provin­ciano,
muy jun­to a un arroyue­lo de cristal,
pre­sien­to sol­lozar
tus labios…
Y cuan­do con sus duen­des
la noche se despier­ta
al pie de San­to Cristo,
habrá una rosa muer­ta,
¡que rue­ga por los dos!

Car­los Di Sar­li Letra: Héc­tor Mar­có

Alber­to Podestá et Mario Pomar chantent seule­ment ce qui est en gras.

Traduction libre

Dans la chapelle blanche d’un vil­lage provin­cial, tout près d’un ruis­seau de cristal, tes mains m’ont age­nouil­lé pour prier…
Tes mains qui ont illu­miné mon cœur d’enfant.
Et au pied d’un Saint Christ, tu m’as don­né à boire les eaux de l’affection.
La lune nous a vus descen­dre heureux de la mon­tagne, suiv­ant les étoiles, buvant par­mi tes chèvres, une amphore d’amour…
Et aujourd’hui, ce sont des oiseaux obscurs, ces cloches timides qui son­nent au loin l’appel à la prière.
Ta voix s’est éteinte dans la riv­ière, et dans la chapelle blanche, une place vide a été lais­sée.
Vide comme l’âme des deux… !
Dans la chapelle blanche d’un vil­lage provin­cial, tout près d’un ruis­seau de cristal, je sens tes lèvres san­glot­er…
Et quand avec ses duen­des (sorte de gnomes, lutins de la mytholo­gie argen­tine) la nuit se réveillera au pied du Saint Christ, il y aura une rose morte,
Priez pour nous deux !

Comme vous l’aurez noté, les paroles ont une con­no­ta­tion religieuse mar­quée. C’est assez courant dans le tan­go, l’Argentine n’ayant pas la sépa­ra­tion de l’église et de l’état comme cela peut se faire en France et la reli­gion, les reli­gions sont beau­coup plus présentes. Par ailleurs, Di Sar­li était religieux et donc ce type de traite­ment du sujet n’était pas pour lui déplaire.

Autres versions

La capil­la blan­ca 1944-07-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Alber­to Podestá.

C’est notre tan­go du jour et prob­a­ble­ment la ver­sion de référence pour ce titre. Podes­ta ne chante que les pre­miers cou­plets.

La capil­la blan­ca 1953-06-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Mario Pomar (Mario Cor­rales).

J’aime beau­coup Mario Pomar. Cette ver­sion est suff­isam­ment dif­férente de celle de 1944 pour avoir tout son intérêt. Son tem­po est plus lent, plus majestueux. Je peux pass­er indif­férem­ment, selon les cir­con­stances, l’une ou l’autre de ces ver­sions.

La capil­la blan­ca 1973 — Rober­to Rufi­no.

Com­ment dire. Rufi­no qui a fait de si belles choses avec Di Sar­li aurait peut-être pu se dis­penser de cet enreg­istrement. Même pour l’écoute, je ne le trou­ve pas sat­is­faisant, mais je peux me tromper.

La capil­la blan­ca 1973 — Alber­to Podestá accomp. Orques­ta de Leopol­do Fed­eri­co.

La capil­la blan­ca 1973 — Alber­to Podestá accomp. Orques­ta de Leopol­do Fed­eri­co. Podestá enreg­istre de nou­veau son grand suc­cès. Ici, avec l’orchestre suave et dis­cret de Leopol­do Fed­eri­co.

La capil­la blan­ca 1986 — Alber­to Podestá accomp. Orques­ta de Alber­to Di Paulo. Encore Podestá.
La capil­la blan­ca 2000c — Alber­to Podestá accomp. Orques­ta de Leopol­do Fed­eri­co.

Podestá accom­pa­g­né par Fed­eri­co nous pro­pose une autre ver­sion encore plus lente.

La capil­la blan­ca 2008 (pub­li­ca­tion 2009-09) – José Lib­ertel­la (Pepe) con Adal­ber­to Per­az­zo.

Pepe Lib­ertel­la, le leader du Sex­te­to May­or pro­pose cette ver­sion de notre tan­go du jour. Adal­ber­to Per­az­zo chante tous les cou­plets, y com­pris la triste fin.

La capil­la blan­ca 2011 — Orques­ta Típi­ca Gente de Tan­go con Héc­tor Mora­no.
La capil­la blan­ca 2020-07-10 — Pablo Mon­tanel­li.

Dans son inter­pré­ta­tion au piano, Pablo Mon­tanel­li fait ressor­tir le rythme de habanera à la main gauche.

L’illustration de couverture

Une chapelle blanche au bord d’une riv­ière, ça ne se trou­ve pas si facile­ment.
J’ai pen­sé délir­er à par­tir de la créa­tion de Le Cor­busier, Notre dame du haut à Ron­champ.

Notre Dame du Haut à Ron­champ, archi­tecte Le Cor­busier. Le cours d’eau au pre­mier plan est bien sûr une créa­tion de ma part…

Pre­mier jet que je n’ai pas con­tin­ué, la chapelle aus­si mag­nifique soit elle ne me paraît pas pou­voir con­venir et je ne voy­ais pas com­ment l’intégrer avec une riv­ière qui aurait détru­it la pureté de ses lignes.

J’ai pen­sé ensuite à dif­férentes petites églis­es vues du côté de Salta ou Jujuy, comme l’église San José de Cachi dont j’adore le graphisme épuré.

Une pho­to brute, avant toute inter­ven­tion de la Igle­sia San José de Cachi.

Cette église a égale­ment les trois cloches, comme sur la par­ti­tion éditée par Julio Korn. Cepen­dant, cela fait trop église et pas assez chapelle. Trois cloches pour une chapelle, c’est trop, même si cela a peut-être été validé par Di Sar­li et Mar­có comme on l’a vu sur la par­ti­tion éditée par Jules Korn.
Je pense que j’aurais pu en faire un truc intéres­sant, type art déco ou autre styl­i­sa­tion.
Une autre can­di­date aurait pu être la chapelle mys­térieuse de Rio Blan­co. Elle est assez proche du Rio Rosario. Je vous la laisse décou­vrir en suiv­ant ce lien…
J’ai finale­ment opté pour l’image que j’ai choisie. Un paysage roman­tique, situé quelque part dans les Andes. Pourquoi les Andes, je ne sais pas. Sans doute que c’est, car il y a mes paysages préférés d’Argentine. Et puis le texte par­le de mon­tagne, alors, autant en choisir de belles…
La mon­tagne a été con­sti­tuée à par­tir d’éléments pris dans les Andes, dont le mer­veilleux pic de El Chal­ten, la mon­tagne qui fume. La chapelle est en fait un ermitage dédié à la Vir­gen de Fáti­ma en Asturies (Espagne). Ce n’est pas couleur locale, mais c’est la même église que José María Otero a util­isée pour son texte sur ce tan­go. Pour don­ner un effet roman­tique, l’eau est en pose longue et j’ai joué d’effets dans Pho­to­shop, pour la lumière et l’aspect vaporeux. Je trou­ve que le résul­tat, avec sa riv­ière meur­trière et ce con­tre-jour dévoilant des ombres inquié­tantes, exprime bien ce que je ressens à la lec­ture du texte de Héc­tor Mar­có.

La capil­la blan­ca, dans ce mon­tage, vous recon­naîtrez El Chal­ten, la mon­tagne qui fume, cet impres­sion­nant pic de la Patag­o­nie. La chapelle est en fait l’ermitage de la Vir­gen de Fáti­ma en Asturies (Espagne).

À demain, les amis.

La tupungatina 1952-06-27 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Cristino Tapia (musique et paroles), arrangements de Roberto Pepe

Peut-être que cer­tains se sont demandé d’où venait ce nom étrange. La Yum­ba, Beba, Zum (de Piaz­zol­la) et main­tenant Tupun­gati­na (de Tapia) sont dans le lex­ique éton­nant des œuvres jouées par Pugliese. Je pour­rais vous dire que ça vient de la petite local­ité de Tupun­ga­to, du départe­ment de Tupun­ga­to, célèbre pour son vol­can du même nom. La Tupu­gati­na est une habi­tante de ce lieu. Ce serait donc une banale chan­son en l’honneur d’une femme, mais vous vous en doutez, il y a une sur­prise que nous décou­vrirons en fin d’article.

Extrait musical

La tupun­gati­na 1952-06-27 — Orques­ta Osval­do Pugliese
La tupun­gati­na, Par­ti­tion orig­i­nale nous don­nant des infor­ma­tions que nous allons dis­tiller en fin de notice…

Paroles

Ya me voy para los cam­pos que añoro
a bus­car yer­ba de olvi­do y dejarte,
a ver si con esta ausen­cia pudiera
en relación a otro tiem­po olvi­darte,
a ver si con esta ausen­cia pudiera
en relación a otro tiem­po olvi­darte.

He vivi­do toleran­do mar­tirios,
y jamás pien­so mostrarme cobarde,
arras­tran­do una cade­na tan fuerte
has­ta que mi triste vida, se acabe,
arras­tran­do una cade­na tan fuerte
has­ta que mi triste vida, se acabe.

Cuan­do le he enseña­do al tiem­po mis penas
no hay mal que por bien no ven­ga, aunque escarche
cuan­do no haya tier­ra, ni agua, ni cielo
se acabarán mis tor­men­tos cobardes,
cuan­do no haya tier­ra, ni agua, ni cielo
se acabarán mis tor­men­tos cobardes.

Cristi­no Tapia (musique et paroles), arrange­ments de Rober­to Pepe

Traduction libre et indications

Je m’en vais par les champs qui me man­quaient pour chercher l’herbe de l’oubli et te laiss­er, pour voir si avec cette absence je pour­rais par rap­port à un autre temps, t’oublier, pour voir si avec cette absence je pour­rais par rap­port à un autre temps, t’oublier.
J’ai vécu en tolérant des mar­tyres, et je n’ai jamais eu l’intention de me mon­tr­er lâche, en traî­nant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève, en traî­nant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève.
Quand j’ai appris au temps, mes peines, il n’y a pas de mal qui ne vienne pour le bien, même s’il gèle, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâch­es tour­ments finiront, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâch­es tour­ments finiront. (L’auteur est des Andes et donc il peut évo­quer le froid de l’hiver, avec le gel, la neige et le brouil­lard qui fait per­dre les repères, la terre, l’eau et le ciel).

Autres versions

Je vous avais promis une sur­prise, la voici. Il s’agit de la ver­sion orig­i­nale de ce titre qui était à l’origine une zam­ba (danse tra­di­tion­nelle argen­tine qui se danse avec des mou­choirs. Voir l’anecdote sur la 7 de april).

La Tupun­gati­na 1950 C (Zam­ba) — Dúo Moreyra-Canale.

L’enregistrement est tardif, mais il restitue la com­po­si­tion orig­i­nale dont on n’a pas d’enregistrement d’époque. C’est donc la pre­mière sur­prise, que Pugliese, s’intéresse à une zam­ba.

Sueños 1920c — Dúo Tapia-Alma­da.

Ce titre n’est pas celui du jour, mais il per­met d’entendre chanter le Dúo Tapia-Alma­da.

La tupun­gati­na 1921 (Tona­da) Car­los Gardel y José Raz­zano con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

On peut faire la rela­tion de style avec le Dúo Tapia-Alma­da.

Cristi­no Tapia, à gauche, au cen­tre, Car­los Gardel et à droite, Guiller­mo Bar­bi­eri (el negro)
La tupun­gati­na, Par­ti­tion de 1921.

Par­mi les infor­ma­tions que l’on peut tir­er de cette par­ti­tion :

  • Elle est dédi­cacée par Cristi­no Tapia à une dis­ci­ple de Elisa Orel­lana nom­mée Car­men D. de Gra­ma­jo. Je n’ai pas d’information sur cette dernière, mais Elisa Orel­lana est sa femme, avec qui il fera par la suite un duo, comme il l’a fait avec Fran­cis­co Alma­da (ils sont en pho­to sur la cou­ver­ture), aupar­a­vant avec son frère José María, puis par la suite avec Car­tos, Llanes, et enfin sa femme avec qui il a enreg­istré plus d’une cen­taine d’albums de 1925 à 1930.
  • On voit que le Duo de Gardel avec José Raz­zano inter­pré­tant ce titre a obtenu un grand suc­cès à Buenos Aires.
  • Il est indiqué « Tona­da » qui est une forme de chan­son et non plus Zam­ba. Gardel était passé par là. Ce dernier a enreg­istré une ving­taine de titres de Tapia. C’était donc une col­lab­o­ra­tion régulière.
Cristi­no Tapia, à gauche, au cen­tre, Car­los Gardel et à droite, Guiller­mo Bar­bi­eri (el negro)

Puis le thème sem­ble avoir été oublié du domaine du tan­go. Il a con­tin­ué à vivre sa vie chez les chanteurs de folk­lore, sous forme de tona­da ou de zam­ba.
En 1952, Pugliese enreg­istre le titre, à sa sauce, ou plutôt à la sauce d’un de ses ban­donéon­istes, Rober­to Pepe. À sa mort, le 29 novem­bre 1955, son col­lègue Este­ban Enrique Gilar­di dédiera un tan­go qui sera enreg­istré le 20 mars 1956 par Pugliese.

A Rober­to Peppe 1956-03-20 — Osval­do Pugliese.

L’hommage ren­du par Gilar­di à son col­lègue récem­ment dis­paru. Bien sûr, ce n’est pas le thème du jour.
Cela per­met de rap­pel­er que les musi­ciens de Pugliese étaient générale­ment aus­si arrangeurs, voire com­pos­i­teurs et qu’ils for­maient un groupe assez sol­idaire autour de leur chef.
Écou­tons main­tenant la magie de Pepe qui trans­for­ma une zamba/tonada en un chef‑d’œuvre du tan­go.

La tupun­gati­na 1952-06-27 — Orques­ta Osval­do Pugliese. C’est notre tan­go du jour.
La tupun­gati­na 1952-11-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Le petit frère de notre tan­go du jour, né la même année, moins de cinq mois plus tard, qua­si des jumeaux. Le petit frère est un peu plus long, près de qua­tre min­utes con­tre un peu plus de trois min­utes trente pour la pre­mière ver­sion.

S’il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrements nota­bles du titre par la suite, les chanteurs de folk­lore con­tin­u­ent de l’utiliser comme en témoigne cette superbe ver­sion de Jorge Cafrune.

La tupun­gati­na 1965 — Jorge Cafrune.

Une mag­nifique inter­pré­ta­tion de ce grand du folk­lore argentin. C’est une zam­ba, mais pas si évi­dente à danser de par l’interprétation par­ti­c­ulière.

Voici une ver­sion hors du temps qui pour­rait rap­pel­er les poly­phonies cors­es…

La tupun­gati­na 1976 — Chango Farías Gómez — Grupo Vocal Argenti­no.

Et pour ter­min­er, on retourne avec un orchestre de tan­go, Solo Tan­go qui nous pro­pose une ver­sion énergique et dans­able. C’est, bien sûr, sur une base des arrange­ments de Rober­to Pepe.

La tupun­gati­na 2021 — Solo tan­go.

À demain les amis…

El bajel 1948-06-24 — Orquesta Osmar Maderna

Francisco De Caro; Julio De Caro

Le bateau à voiles, el bajel et ses com­pagnons plus tardifs à char­bon, ont été les instru­ments de la décou­verte des Amériques par les Européens. Notre tan­go du jour lui rend hom­mage. C’est un tan­go plutôt rare, écrit par deux des frères De Caro. Si les deux sont nés à Buenos Aires, leurs par­ents José De Caro et Mar­i­ana Ric­cia­r­di sont nés en Ital­ie et donc venus en bateau. Mais peut-être ne savez-vous pas qu’on vous mène en bateau quand on vous vante les qual­ités de com­pos­i­teur et de nova­teur de Julio De Caro. Nous allons lever le voile et hiss­er les voiles pour nous lancer à a décou­verte de notre tan­go du jour.

Ce week-end, j’ai ani­mé une milon­ga organ­isée par un cap­i­taine de bateau. Je lui dédie cette anec­dote. Michel, c’est pour toi et pour Del­phine, que vous puissiez voguer, comme les pio­nniers à la ren­con­tre des mer­veilles que recè­lent la mer et les ter­res loin­taines au com­pas y al com­pás de un tan­go.

Sex­te­to de Julio De Caro vers 1927.

Au pre­mier plan à gauche, Émilio de Caro au vio­lon, Arman­do Blas­co, ban­donéon, Vin­cent Scia­r­ret­ta, Con­tre­basse, Fran­cis­co De Caro, piano; Julio De Caro, vio­lin à Cor­net et Pedro Lau­renz au ban­donéon. Emilio est le plus jeune et Fran­cis­co le plus âgé des trois frères présents dans le sex­te­to. Julio avec son vio­lon à cor­net domine l’orchestre

Extrait musical

Par­ti­tion de El bajel signée Fran­cis­co et Julio De Caro… Notez qu’il est désigné par le terme “Tan­go de Salon” et qu’il est dédi­cacé à Pedro Maf­fia et Luis Con­sen­za.
El bajel 1948-06-24 — Orques­ta Osmar Mader­na.

Ce n’est assuré­ment pas un tan­go de danse. Il est d’ailleurs annon­cé comme tan­go de salon. Con­traire­ment aux tan­gos de danse où la struc­ture est claire, par exem­ple du type A+B, ou A+A+B ou autre, ici, on est devant un déploiement musi­cal comme on en trou­ve en musique clas­sique. Pour des danseurs, il manque le repère de la pre­mière annonce du thème, puis celle de la reprise. Ici, le développe­ment est con­tinu et donc il est impos­si­ble de devin­er ce qui va suiv­re, sauf à con­naître déjà l’œuvre.
C’est une des car­ac­téris­tiques qui per­met de mon­tr­er que la part de Fran­cis­co et bien plus grande que celle de son petit frère dans l’affaire, ce dernier étant plus tra­di­tion­nel, comme nous le ver­rons ci-dessous, par exem­ple dans le tan­go 1937 qui est de con­cep­tion « nor­male ». Entrée musi­cale, chanteur qui reprend le thème avec le refrain…

Autres versions

El bajel 1948-06-24 — Orques­ta Osmar Mader­na. C’est notre tan­go du jour.
El bajel Hora­cio Sal­gán au piano. C’est un enreg­istrement de la radio, la qual­ité est médiocre et de plus, le pub­lic était enrhumé.
El bajel — Hora­cio Sal­gán (piano) et Ubal­do De Lío (gui­tare). Une ver­sion de bonne qual­ité sonore avec en plus la gui­tare de Ubal­do De Lío.
El bajel 2013 — Orques­ta Típi­ca Sans Souci.

L’orchestre Sans Souci sort de sa zone de con­fort qui est de jouer dans le style de Miguel Caló. Le résul­tat fait que c’est le seul tan­go de notre sélec­tion qui soit à peu près dans­able. On notera en fin de musique, le petit chapelet de notes qui est la sig­na­ture de Miguel Caló, mais que l’on avait égale­ment dans l’enregistrement de Mader­na…

El bajel 2007 — Trio Peter Brein­er, Boris Lenko y Stano Palúch.

Une ver­sion tirant forte­ment du côté de la musique clas­sique. Mais c’est une ten­dance de beau­coup de musi­ciens que de tir­er vers le clas­sique qu’ils trou­vent par­fois plus intéres­sant à jouer que les arrange­ments plus som­maires du tan­go de bal.

Julio ou Francisco ?

Si le prénom de Julio a été retenu dans les his­toires de tan­go, c’est qu’il était, comme Canaro, un entre­pre­neur, un homme d’affaires qui savait faire marcher sa bou­tique et se met­tre en avant. Son frère Fran­cis­co, aîné d’un an, n’avait pas ce tal­ent et est resté toute sa vie au sec­ond plan, mal­gré ses qual­ités excep­tion­nelles de pianiste et com­pos­i­teur. Il a fail­li créer un sex­te­to avec Clausi, mais le pro­jet n’a pas abouti, juste­ment, par manque de capac­ité entre­pre­neuri­ale. Nous évo­querons en fin d’article un autre sex­te­to dont il est à l’origine, sans lui avoir don­né son prénom.
En tan­go comme ailleurs, ce n’est pas tout que de bien faire, encore faut-il le faire savoir. C’est dom­mage, mais ceux qui tirent les mar­rons du feu ne sont pas tou­jours ceux qui les man­gent.
Julio, était donc un homme avec un car­ac­tère plutôt fort et il savait men­er sa bar­que, ou son bajel dans le cas présent. Il a su utilis­er les tal­ents de son grand frère pour faire marcher sa bou­tique.
Fran­cis­co est mort pau­vre et Pedro Lau­renz qui, comme Fran­cis­co a beau­coup don­né à Julio, a aus­si con­nu une fin économique­ment dif­fi­cile.
Julio a signé ou cosigné des titres avec Maf­fia, Fran­cis­co (son frère) et Lau­renz, sans tou­jours faire la part des par­tic­i­pa­tions respec­tives, qui pou­vaient être nulles dans cer­tains cas, mal­gré son nom en vedette.
Par exem­ple ; El arranque, Boe­do ou Tier­ra queri­da sont signés par Julio Caro alors qu’ils sont de Pedro Lau­renz qui n’est même pas men­tion­né.

Sex­te­to De Caro — Julio de Caro (vio­loniste et directeur d’orchestre, Emilio De Caro (vio­loniste), Pedro Maf­fia (ban­donéon­iste), Leopol­do Thomp­son (con­tre­bassiste), Fran­cis­co De Caro (pianiste), Pedro Lau­renz (ban­donéon­iste).

Sur cette image tirée de la cou­ver­ture d’une par­ti­tion de La revan­cha de Pedro Lau­renz on trou­ve l’équipe de com­pos­i­teurs asso­ciée à Julio De Caro :

  • Emilio De Caro, le petit frère qui a com­posé une dizaine de titres joués par l’orchestre de Julio.
  • Fran­cis­co De Caro, le grand frère qui est prob­a­ble­ment le com­pos­i­teur prin­ci­pal de l’orchestre de Julio, que ce soit sous son nom, en col­lab­o­ra­tion de Julio ou comme com­pos­i­teur « caché ».
  • Pedro Maf­fia, qui « don­na » quelques titres à Julio quand il tra­vail­lait pour le sex­te­to
  • Pedro Lau­renz, qui fut égale­ment un four­nisseur de titres pour l’orchestre.
  • Je pour­rais rajouter Ruper­to Leopol­do Thomp­son (le con­tre­bassiste) qui a don­né Cati­ta enreg­istré par l’orchestre de Julio de Caro en 1932. Con­traire­ment aux com­po­si­tions des frères de Julio, de Maf­fia et de Lau­renz, c’est un tan­go tra­di­tion­nel, pas du tout nova­teur.

Quelques indices proposés à l’écoute

Avancer que Julio De Caro n’est pas for­cé­ment la tête pen­sante de l’évolution decari­enne, mérite tout de même quelques preuves. Je vous pro­pose de le faire en musique. Voici quelques titres inter­prétés, quand ils exis­tent, par l’orchestre de Julio de Caro pour ne pas fauss­er la com­para­i­son… Vous en recon­naîtrez cer­tains qui ont eu des ver­sions pres­tigieuses, notam­ment par Pugliese.

Tangos écrits par Julio de Caro seul :

Viña del mar 1936-12-13 – Orques­ta Julio De Caro con Pedro Lau­ga.

Après l’annonce, le thème qui sera repris ensuite par le chanteur, Pedro Lau­ga. Une com­po­si­tion clas­sique de tan­go.

1937 (Mil nove­cien­tos trein­ta y siete) 1938-01-10 — Orques­ta Julio de Caro con Luis Díaz.

Le tan­go est encore com­posé de façon très tra­di­tion­nelle, sans les inno­va­tions que son frère apporte, comme dans Flo­res negras que vous pour­rez enten­dre ci-dessous.

Ja, ja, ja 1951-06-01 — Orques­ta Julio De Caro con Orlan­do Ver­ri. Des rires que l’on retrou­vera dans Mala jun­ta.

Je vous laisse méditer sur l’intérêt de ces enreg­istrements.

Atten­tion, pour ces titres, comme pour les suiv­ants, il ne s’agit pas de musique de danse. Ce n’est donc pas l’aune de la dans­abil­ité qu’il faut les appréci­er, mais plutôt sur leur apport à l’évolution du genre musi­cal, ce qui per­met de voir que l’apport de Julio dans ce sens n’est peut-être pas aus­si impor­tant que ce qu’il est con­venu de con­sid­ér­er.

Tangos cosignés avec Francisco De Caro (en réalité écrits par Francisco)

Mala pin­ta (Mala estam­pa) 1928-08-27 — Orques­ta Julio De Caro.

Si on con­sid­ère que c’est un enreg­istrement de 1928, on mesure bien la moder­nité de cette com­po­si­tion. Pugliese l’enregistrera en 1944.

La mazor­ca 1931-01-07 — Orques­ta Julio De Caro
El bajel 1948-06-24 — Orques­ta Osmar Mader­na. C’est notre tan­go du jour,

Tangos écrits seulement par Francisco De Caro

Sueño azul 1926-11-29 — Orques­ta Julio De Caro.

On pensera à la mag­nifique ver­sion de Osval­do Frese­do (celle de 1961, bien sûr, pas celle de 1937 écrite par Tibor Bar­czy (T. Bare­si) avec des paroles de Tibor Bar­czy et Rober­to Zer­ril­lo et qu’a si mer­veilleuse­ment inter­prété Rober­to Ray.
La ver­sion de 1961 n’est pas pour la danse, c’est plutôt une œuvre “sym­phonique” et qui s’in­scrit dans la lignée de Fran­cis­co De Caro, objet de mon arti­cle. Mer­ci à Fred, TDJ, qui m’incite à don­ner cette pré­ci­sion que j’au­rais dû faire, d’au­tant plus que l’u­nivers de De Caro est sou­vent moins con­nu, voire méprisé par les danseurs.

Flo­res negras 1927-09-13 — Orques­ta Julio De Caro.

S’il fal­lait une seule preuve du tal­ent de Fran­cis­co, je con­vo­querai à la barre ce titre. On peut enten­dre com­ment com­mence le titre, avec ces élans des cordes que l’on retrou­vera chez Pugliese bien plus tard, tout comme les sols de pianos de Fran­cis­co seront ressus­cités par Pugliese en son temps. La con­tre­basse de Thomp­son mar­que le com­pas, mais avec des éclipses, tout comme le fera Pugliese dans ces alter­nances de pas­sages ryth­mées et d’autres glis­sés. Si vous faites atten­tion, vous pour­rez dis­tinguer la dif­férence entre le vio­lon d’Emilio et celui de son grand frère Julio qui utilise encore le cor­net de l’époque acous­tique.
Cette dif­férence de sonorité per­met d’attribuer avec cer­ti­tude les traits plus vir­tu­os­es à Emilio. Même si on n’est pas vrai­ment dans la danse, ce titre pour­ra curieuse­ment plaire aux ama­teurs des tan­gos de Pugliese des années 50, ce qui démon­tre l’avancée de Fran­cis­co par rap­port à ses con­tem­po­rains.
Par rap­port à notre tan­go du jour, il reste un peu de la struc­ture tra­di­tion­nelle, mais avec de telles vari­a­tions que cela rendrait la tâche des danseurs très com­pliquée s’ils leur pre­naient l’envie de le danser en impro­vi­sa­tion.
Cette mag­nifique mélodie fait par­tie de la bande-son du film La puta y la bal­lena (2004). De Ange­lis, et Frese­do en ont des ver­sions intéres­santes et fort dif­férentes. Celle de De Ange­lis est même tout à fait dansante.

Je rajoute un enreg­istrement de qual­ité très moyenne, mais qui est un excel­lent témoignage de l’admiration d’Osval­do Pugliese pour Fran­cis­co De Caro.

Flo­res negras — Osval­do Pugliese (solo de piano).

Encore une ver­sion enreg­istrée à la radio et avec un pub­lic enrhumé.

Loca bohemia 1928-09-14 — Orques­ta Julio De Caro
Un poe­ma 1930-01-08 Sex­te­to Julio De Caro.

Si on com­pare avec une com­po­si­tion de Julio, même plus tar­dive, comme Viña del mar (1936), on voit bien qui est le nova­teur des deux.

Tangos cosignés par Francisco De Caro et Pedro Laurenz

Esque­las 1932-04-07 — Orques­ta Julio De Caro con Luis Díaz

Tangos écrits par Pedro Laurenz et signés Julio De Caro

Tier­ra queri­da 1927-09-12 — Orques­ta Julio De Caro
Boe­do 1928-11-16 — Orques­ta Julio De Caro
Boe­do, une com­po­si­tion de Pedro Lau­renz, signée Julio de Caro et inter­prété par son orchestre en novem­bre 1928.

Sur les dis­ques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’é­taiSur les dis­ques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’était appelé Her­manos De Caro ou tout sim­ple­ment De Caro, peut-être que la con­tri­bu­tion majeure de Fran­cis­co De Caro serait plus con­nue aujourd’hui. Sur le disque, seul le nom de Julio De Caro appa­raît pour la com­po­si­tion, alors que c’est une œuvre de Pedro Lau­renz. On com­prend qu’à un moment ce dernier ait égale­ment quit­té l’orchestre.

El arranque 1934-01-04 — Orques­ta Julio De Caro

Tan­go cosigné avec Pedro Lau­renz (avec apports de Lau­renz majori­taires, voire totaux)

Orgul­lo criol­lo 1928-09-17 — Orques­ta Julio De Caro
Mala jun­ta 1927-09-13 — Orques­ta Julio De Caro

Tangos cosignés avec Pedro Maffia (en réalité écrits par Maffia)

Chi­clana 1936-12-15 — Quin­te­to Los Vir­tu­osos.

Quin­te­to Los Vir­tu­osos (Fran­cis­co De Caro (piano), Pedro Maf­fia et Ciri­a­co Ortiz (ban­donéon), Julio De Caro et Elvi­no Var­daro (vio­lon)

Tiny 1945-12-18 Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pas de ver­sion enreg­istrée par Julio de Caro.

Tangos co-écrits avec Maffia et Laurenz mais signés par Julio de Caro

Buen ami­go 1925-05-12 — Orques­ta Julio De Caro.

On pensera aux ver­sions de Troi­lo ou Pugliese pour se ren­dre compte de la moder­nité de la com­po­si­tion de Maf­fia et Lau­renz. L’enregistrement acous­tique rend toute­fois dif­fi­cile l’appréciation de la sub­til­ité de la com­po­si­tion.

Pho­tographiés en 1927, de gauche à droite : Fran­cis­co De Caro, Man­lio Fran­cia, Julio De Caro et Pedro Lau­renz.

Le vio­loniste Man­lio Fran­cia com­posa deux tan­gos qui furent joués par l’orchestre de Julio De Car­ro, Fan­tasias (1929) et Pasion­ar­ia (1927).

Mais alors, pourquoi on parle de Julio et pas de Francisco ?

J’ai évo­qué la per­son­nal­ité forte de Julio. En fait, l’orchestre ini­tial a été for­mé par Fran­cis­co qui a demandé à ses deux frères de se join­dre à son sex­te­to, en décem­bre 1923. Le suc­cès aidant, l’orchestre a obtenu dif­férents con­trats per­me­t­tant à l’orchestre de grossir, notam­ment pour le car­naval (oui, encore le car­naval) jusqu’à devenir une com­po­si­tion mon­strueuse d’une ving­taine de musi­ciens. Ceci explique que le sex­te­to est générale­ment appelé orques­ta típi­ca, même si ce terme est générale­ment réservé aux com­po­si­tions ayant plus d’instrumentistes (ban­donéon­istes et vio­lonistes).
Au départ, cet orchestre mon­té par Fran­cis­co n’ayant pas de nom, il s’annonçait juste « sous la direc­tion de Julio De Caro. Mais un jour, dans une pub­lic­ité du club Vogue ou se pro­dui­sait l’orchestre, l’orchestre était annon­cé comme l’orchestre « Julio De Caro. Cela n’a pas plut à Maf­fia et Petru­cel­li qui décidèrent alors d’abandonner l’orchestre ne sup­por­t­ant plus le car­ac­tère, fort, de Julio et sa volon­té de domin­er.
Ceux qui con­nais­sent les Dal­tons penseront sans doute à la per­son­nal­ité de Joe Dal­ton pour la com­par­er à celle de Julio De Caro.

Joe, c’est assuré­ment Julio. Fran­cis­co était-il Averell ?

Plus tard, Gabriel Clausi et Pedro Lau­renz quit­teront l’orchestre à cause du car­ac­tère de Julio. Ces derniers ont gardé des attach­es avec Fran­cis­co et lorsque Osval­do Pugliese s’est chargé de faire pass­er à la postérité l’héritage des frères De Caro, c’est à Fran­cis­co qu’il se référait.
Donc, ce qui était clair à l’époque, est un peu tombé dans l’oubli, notam­ment à cause des dis­ques qui por­tent unique­ment le nom de Julio De Caro, puisque tous les orchestres étaient à son nom, ce dernier ayant tou­jours refusé le partage, Maf­fia-De Caro ou De Caro-Lau­renz, même pas en rêve pour lui.

Orchestre De Caro sur un bateau ?

Cette pho­to est en général éti­quetée comme étant l’orchestre de Julio De Caro en route pour l’Europe en mars 1931. Cepen­dant on recon­naît Thomp­son, mort en août 1925.
La pho­to est donc à dater entre 1924 et cette date si c’est l’orchestre De Caro.
Je pro­pose de plac­er cette pho­to sur un bateau se ren­dant en Uruguay ou qui en revient. Julio de Caro avait, à divers­es repris­es, tra­vail­lé en Uruguay, avec Eduar­do Aro­las, Enrique Delfi­no et Minot­to Di Cic­co (dans l’orchestre duquel Fran­cis­co était pianiste).
Comme Thom­son était avec Juan Car­los Cobián en 1923 et aupar­a­vant avec Osval­do Frese­do, cela con­firme que cette pho­to est au plus tôt de décem­bre 1923.
Lorsque Fran­cis­co du mon­ter son orchestre (qui prit le prénom de son frère), il fit appel out­re à ses frères, Emilio et Julio, à Thomp­son, Luis Petru­cel­li (ban­donéon) puis Pedro Láurenz en sep­tem­bre 1924 Pedro Maf­fia (ban­donéon) rem­placé en 1926 par Arman­do Blas­co et Alfre­do Cit­ro (vio­lon). Il y a peu de pho­tos des artistes en 1924 et les por­traits que j’ai trou­vés ne per­me­t­tent pas de garan­tir les noms des autres per­son­nes présentes.
Quoi qu’il en soit, je ter­mine cette anec­dote avec une pho­to prise sur un bateau, même si ce n’est prob­a­ble­ment pas un bajel…

La gayola 1941-06-23 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz

Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini

La gay­ola, je suis sûr que cer­tains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de con­tra­dic­tion et la date du jour fait que je vous pro­pose une ver­sion moins con­nue, mais tout à fait intéres­sante. Elle a été enreg­istrée deux semaines plus tard par Fran­cis­co Lomu­to et Fer­nan­do Díaz.

Extrait musical

La gay­ola 1941-06-23 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

Le stac­ca­to ini­tial de l’orchestre donne le ton. C’est une ver­sion énergique. Cepen­dant, elle alterne avec des pas­sages plus doux. C’est une inter­pré­ta­tion en con­traste, sans monot­o­nie et qui reste dans­able de bout en bout.

Éditée par Julio Korn, dont nous avons par­lé à divers­es repris­es, La gay­ola, par­ti­tion pour piano avec Rodriguez en cou­ver­ture.

Paroles

¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ ven­garme
si mañana, jus­ta­mente, yo me voy pa’ no volver…
He venido a des­pedirme y el gus­ta­zo quiero darme
de mirarte frente a frente y en tus ojos con­tem­plarme,
silen­ciosa, larga­mente, como me mira­ba ayer…

He venido pa’que jun­tos recordemos el pasa­do
como dos buenos ami­gos que hace rato no se ven;
a acor­darme de aquel tiem­po en que yo era un hom­bre hon­ra­do
y el car­iño de mi madre era un pon­cho que había echa­do
sobre mi alma noble y bue­na con­tra el frío del des­dén.

Una noche fue la muerte quien vis­tió mi alma de due­lo
a mi bue­na
(tier­na) madrecita la llamó a su lado Dios…
Y en mis sueños parecía que la pobre, des­de el cielo,
me decía que eras bue­na, que con­fi­ara siem­pre en vos.

Pero me jugaste sucio y, sedi­en­to de ven­gan­za…
mi cuchil­lo en un mal rato envainé en un corazón…
y, más tarde, ya sereno, muer­ta mi úni­ca esper­an­za,
unas lágri­mas rebeldes
(amar­gas) las sequé en un bodegón.

Me encer­raron muchos años en la sór­di­da gay­ola
y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal…
Fui sin rum­bo por las calles y rodé como una bola;
Por la gra­cia de un men­dru­go, ¡cuán­tas veces hice cola!
las auro­ras me encon­traron largo a largo en un umbral.

Hoy ya no me que­da nada; ni un refu­gio… ¡Estoy tan pobre!
Sola­mente vine a verte pa’ dejarte mi perdón…
Te lo juro; estoy con­tento que la dicha a vos te sobre…
Voy a tra­ba­jar muy lejos…a jun­tar algunos cobres
pa’ que no me fal­ten flo­res cuan­do esté den­tro ‘el cajón.

Rafael Eulo­gio Tue­gols Letra: Arman­do José MaríaTagi­ni

Fer­nan­do Díaz chante tout ce qui est en gras.
Arman­do Moreno chante ce qui est en bleu.
(Entre par­en­thès­es, des vari­antes des paroles).
Gardel chante encore d’autres vari­antes que je ne repro­duis pas ici.

Traduction libre et indications

N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, juste­ment, je pars pour ne plus revenir…
Je suis venu te dire au revoir et je veux me don­ner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me con­tem­pler, en silence, pen­dant un long moment, comme tu me regar­dais autre­fois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)
Je suis venu pour qu’ensemble nous puis­sions nous sou­venir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me sou­venir de cette époque où j’étais un homme hon­nête et où l’affection de ma mère était un pon­cho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme con­tre le froid du dédain.
Une nuit, c’est la mort qui a revê­tu mon âme de deuil, ma ten­dre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu…
Et dans mes rêves, il me sem­blait que la pau­vre créa­ture, du ciel, me dis­ait que tu étais bonne, que je devais tou­jours te faire con­fi­ance.
Mais tu m’as joué sale­ment et, assoif­fé de vengeance…
mon couteau dans un mau­vais moment, je l’ai four­ré dans un cœur…
Et, plus tard, déjà sere­in, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restau­rant pop­u­laire).
Ils m’ont enfer­mé pen­dant de nom­breuses années dans la sor­dide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal…
J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, com­bi­en de fois j’ai fait la queue !
Les aurores me trou­vèrent bien sou­vent sur un pas de porte.
Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pau­vre !
Je suis seule­ment venu te voir que pour te laiss­er mon par­don…
Je te jure ; je suis heureux que le bon­heur te sourie…
Je vais tra­vailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue mon­naie en cuiv­re) afin de ne pas man­quer de fleurs quand je serai dans le cer­cueil.

Autres versions

La gay­ola 1927-05-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro. Cette pre­mière ver­sion est instru­men­tale.
La gay­ola 1927-08-20 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).
La gay­ola 1941-06-09 — Enrique Rodriguez con Arman­do Moreno.
La gay­ola 1941-06-23 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz. C’est notre tan­go du jour.

Et on ter­mine par qua­tre ver­sions à écouter.

La gay­ola 1957-07-22 — Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pon­tier pour faire car­rière solo et il se rap­prochera de l’orchestre de Fed­eri­co qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.

La gay­ola — Edmu­do Rivero accomp. Gui­tare.
La gay­ola — Edmun­do Rivero accomp. Hora­cio Sal­gan.

Il est intéres­sant d’écouter deux ver­sions, une à la gui­tare et l’autre avec un orchestre.

On ter­mine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trou­vait la mort dans un acci­dent de la route, juste après avoir chan­té ce titre avec l’orchestre de Leopol­do Fed­eri­co. En effet, c’était sa « cumpar­si­ta ». Il ter­mi­nait tou­jours ses presta­tions par La gay­ola.
Esto es mi hom­e­na­je al Varón del tan­go.

Julio Sosa chante la gay­ola avec l’orchestre de Leopol­do Fed­eri­co.
La gay­ola.

La gay­ola, la geôle, la prison. Remar­quez le numéro sur la porte… Cela vous rap­pelle un autre tan­go ?

Milonguero viejo 1955-06-20 — Orquesta Carlos Di Sarli

Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo

On con­sid­ère par­fois, que les pre­mières ver­sions sont les meilleures et que par la suite, les enreg­istrements suiv­ants vont en décli­nant. Come toute général­i­sa­tion hâtive, c’est dis­cutable. Dans le cas de Di Sar­li, même si on se place dans le rôle du danseur, cette théorie n’est pas for­cé­ment per­ti­nente. Il y a une évo­lu­tion, mais toutes les ver­sions, si dif­férentes soient-elles, ont de l’intérêt. Voyons cela.

Extrait musical

Milonguero viejo 1955-06-20 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

C’est la qua­trième ver­sion pro­posée par Di Sar­li au disque. Nous ver­rons l’évolution en fin d’article avec l’écoute des trois pre­mières ver­sions.

Paroles

Les ver­sions de Di Sar­li sont toutes instru­men­tales, mais il y a des paroles, que voici :

El bar­rio duerme y sueña
al arrul­lo de un triste tan­go llorón;
en el silen­cio tiem­bla
la voz milonguera de un mozo can­tor.
La últi­ma esper­an­za flota en su can­ción,
en su can­ción mal­e­va
y en el can­to dulce ele­va
toda la dulzu­ra de su humilde amor.

Lin­da pebe­ta de mis sueños,
en este tan­go llorón
mi amor mis­ton­go va can­tan­do
su milon­ga de dolor,
y entre el rezon­go de los fuelles
y el canyengue de mi voz,
ilu­sion­a­do y tem­bloroso
vibra humilde el corazón.

Sos la paica más lin­da del pobre arra­bal,
sos la musa mal­e­va de mi inspiración;
y en los tan­gos del Pibe de La Pater­nal
sos el alma criol­la que llo­ra de amor.
Sin berretines mi musa mis­tonguera
chamuya en ver­so su dolor;
tu almi­ta loca, sen­cil­la y milonguera
ha enlo­que­ci­do mi pobre corazón.

El bar­rio duerme y sueña
al arrul­lo del triste tan­go llorón;
en el silen­cio tiem­bla
la voz milonguera del mozo can­tor;
la últi­ma esper­an­za flota en su can­ción,
en su can­ción mal­e­va
y el vien­to que pasa lle­va
toda la dulzu­ra de su corazón.

Car­los Di Sar­li Letra: Enrique Car­rera Sote­lo

Traduction libre et indications

Le quarti­er dort et rêve au roucoule­ment d’un triste tan­go lar­moy­ant ; dans le silence trem­ble la voix milonguera d’un char­mant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chan­son, dans sa chan­son mal­e­va (en lun­far­do, c’est l’apocope de malévo­lo au féminin. La chan­son est donc mal inten­tion­née, mau­vaise, par son sens, pas par manque de qual­ité) et dans la douce chan­son, il élève toute la douceur de son hum­ble amour.
Belle poupée de mes rêves, dans ce tan­go lar­moy­ant mon amour triste chante sa milon­ga de douleur, et entre le grogne­ment des ban­donéons et le canyengue de ma voix, amoureux et trem­blant, le cœur vibre hum­ble­ment.
Tu es la plus jolie fille (la paica est la com­pagne d’un com­padri­to et par exten­sion, l’amante ou tout sim­ple­ment la com­pagne) des faubourgs pau­vres, tu es la muse malveil­lante de mon inspi­ra­tion ; et dans les tan­gos du Pibe de La Pater­nal (surnom d’Osvaldo Frese­do, ce qui explique qu’il fut le pre­mier à l’enregistrer…) vous êtes l’âme criol­la (de tra­di­tion argen­tine) qui pleure d’amour.
Sans repos (el berretín peut être le loisir comme dans Los tres berretines, une idée fixe, un caprice), ma triste muse exprime en vers, sa douleur ; ta petite âme folle, sim­ple et milonguera a ren­du fou mon pau­vre cœur.
Le quarti­er dort et rêve au roucoule­ment d’un triste tan­go lar­moy­ant ; dans le silence trem­ble la voix milonguera d’un char­mant chanteur.
La dernière espérance flotte dans sa chan­son, dans sa chan­son mal­e­va et le vent qui passe emporte toute la douceur de son cœur.

Autres versions

Milonguero viejo 1928-02-24 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ernesto Famá.

Il ne faut pas juger trop sévére­ment cette ver­sion, elle est de 1928 et donc dans le jus de son époque. Dis­ons juste qu’elle n’est pas de la meilleure péri­ode de Frese­do. Manque de chance, il le réen­reg­istr­era en fin de car­rière, une autre ver­sion qui n’est pas dans sa meilleure péri­ode… On doit cepen­dant met­tre à son crédit un tem­po assez lent, comme celui des Di Sar­li des années 50, mais le pesant canyengue, détru­it toute la joliesse du titre. Une ver­sion pour des piétineurs qui ne seraient pas gênés par la voix de Famá.

Milonguero viejo 1928-02-29 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Aguilar-Pesoa-Maciel.

Remar­quez l’alternance de voix de gorge et de tête.

Milonguero viejo 1928-04-02 — Orques­ta Juan Maglio “Pacho” con Car­los Viván.

C’est la dernière ver­sion chan­tée. Les enreg­istrements suiv­ants seront instru­men­taux. Le style un peu trop vieil­lot manque sans doute de charme pour nos milon­gas mod­ernes, même si dans l’interprétation, l’écriture de Di Sar­li est recon­naiss­able. N’oublions pas qu’à cette époque, Di Sar­li jouait avec son sex­te­to dans un style sem­blable.

A Milonguero viejo 1940-07-04 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Un tem­po un peu soutenu, peut-être trop pour le thème. Mais comme c’est une ver­sion instru­men­tale, les danseurs ne sont pas sup­posés savoir que c’est triste… 128BPM

B Milonguero viejo 1944-07-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Milonguero viejo 1944-07-11 — Orques­ta Car­los Di Sar­li. Qua­tre ans après, Di Sar­li cor­rige le tir avec un rythme plus calme. 122 BPM, mais quand on dans l’oreille, les ver­sions des années 50, on pour­ra le trou­ver un tout petit peu trop rapi­de. On notera qu’au début, Di Sar­li a ajoutée une mon­tée de gamme pour intro­duire le thème. La ver­sion de 1940 et celles des autres orchestres qui n’ont pas adop­té cet ajout parais­sent plus abruptes dans la mise en œuvre.

C Milonguero viejo 1951-09-26 — Orques­ta Car­los di Sar­li.

Di Sar­li ralen­ti encore le tem­po. La musique sonne plus majestueuse. Je trou­ve que cela con­vient mieux au thème du vieux milonguero, même si c’est un enreg­istrement instru­men­tal. 115 BPM. Comme j’ai placé un sondage à la fin de l’article, je ne vais pas écrire que c’est ma ver­sion préférée pour ne pas vous influ­encer.

Milonguero viejo 1954 — Orques­ta Lucio Demare.

L’ordre chronologique des enreg­istrements place cet enreg­istrements au milieu des ver­sions de Di Sar­li. La com­para­i­son n’est pas à l’avantage de Demare.

D Milonguero viejo 1955-06-20 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

C’est notre tan­go du jour. Il est à la vitesse que la ver­sion de 1951, 115 BPM. Avec la ver­sion de 1951, peut-être encore meilleure, cette ver­sion prou­ve que l’adage de plus c’est vieux, mieux c’est ne fonc­tionne pas. Les ver­sions de 1950, pour ce titre, sur­passent large­ment celles des années 40.

Milonguero viejo 1957 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Entrée directe sans intro­duc­tion au piano. Les vari­a­tions imprévis­i­bles, ren­dent le titre indans­able.

Face 2 — 01 Milonguero viejo 1958 — Argenti­no Galván.

La ver­sion la plus courte. Elle fait par­tie du disque de Argenti­no Galván que je vous ai présen­té en deux fois et dont j’ai promis une étude de la pochette, un jour…

Milonguero viejo 1959-04-06 Orques­ta Osval­do Frese­do.

Vous étiez prévenu, même si Frese­do a enreg­istré deux fois, Milonguero viejo, aucune de ses ver­sions ne soulèvera d’enthousiasme. Pour un titre qui le cite, il aurait pu s’ap­pli­quer et enreg­istr­er avec Ray ou Ruiz, une belle ver­sion.

Milonguero viejo 1983 c — Alber­to Di Paulo.

Entrée direct dans le thème, sans l’introduction de piano. En revanche, le tem­po est lent, comme les derniers enreg­istrements de Di Sar­li. Pour la danse il manque peut êre un peu de tonus et l’orchestre n’est pas assez incisif, les danseurs risquent de s’endormir.

Milonguero viejo 2010 — Las Bor­donas.

Avec un tem­po irréguli­er de près de 150BPM, ne me sem­ble pas très en phase avec les paroles, chan­tées avec une alter­nance de voix de gorge et de tête, un peu comme le fai­sait Corsi­ni. Si les gui­taristes sont Javier Amoret­ti, Nacho Cedrún et Martín Creix­ell et le con­tre­bassiste Popo Gómez, je ne sais pas qui chante, peut-être les gui­taristes.

E Milonguero viejo 2011 — Orques­ta Típi­ca Gente de Tan­go.

Pour cette dernière ver­sion, je vous pro­pose leur par­ti­tion en PDF. Comme vous avez pu l’entendre, c’est un arrange­ment à par­tir de Di Sar­li. Ils ont égale­ment con­servé l’ajout du piano en intro­duc­tion des ver­sions de 1944 et ultérieures de Di Sar­li.

Partition Gente de tango (PDF)

Sondage

Canaro 1935-06-18 Orquesta Francisco Canaro

José Martínez

On con­naît tous Fran­cis­co Canaro, le plus pro­lifique des enreg­istreurs de tan­go avec près de 4000 enreg­istrements sur disque, mais aus­si de la musique de film et des enreg­istrements à la radio. Même si son car­ac­tère était un peu fort, il a trou­vé des admi­ra­teurs qui lui ont dédié des tan­gos. On con­naît par­faite­ment «Canaro en Paris» de Ale­jan­dro Scarpino et Juan Cal­darel­la, mais peut-être un peu moins Canaro, juste Canaro de José Martínez. C’est notre tan­go du jour, nous allons pal­li­er cette éventuelle lacune.

José Martínez était un pianiste et com­pos­i­teur qui tra­vail­la avec Canaro à ses débuts. C’était au café Los loros (le loro est une sorte de per­ro­quet très com­mun à Buenos Aires. Il vit en lib­erté, mais aus­si en cage où il sert s’avertisseur en cas d’intrusion dans la mai­son). Canaro rem­plaça tem­po­raire­ment le vio­loniste Julio Doutry d’un trio qu’il for­mait avec Augus­to Berto (ban­donéon). Jusqu’au retour de Doutry, Canaro était donc avec Berto et Martínez.
Martínez res­ta avec cette for­ma­tion, une fois Canaro par­ti.
Ils se retrou­vent peu après dans un quatuor, « MartínezCanaro, au côté de Frese­do (ban­donéon). En 1915, Canaro forme son orchestre et Martínez en assure la par­tie de piano.
C’est prob­a­ble­ment durant cette péri­ode que Martínez écriv­it le tan­go Canaro, car ce dernier l’enregistra en 1915 avec son tout nou­v­el orchestre.
En 1917, Fir­po et Canaro col­la­boreront pour le car­naval de 1917. On voit sur l’affiche la présence de Martínez comme pianiste.

Orchestre Fir­po-Canaro, Teatro Colón de Rosario, Car­naval 1917.

En com­mençant en haut à gauche et dans le sens inverse des aigu­illes d’une mon­tre :

Osval­do Frese­do (Ban­donéon), Age­si­lao Fer­raz­zano (Vio­lon), Pedro Poli­to (Ban­donéon), Ale­jan­dro Michet­ti (Flûte), Julio Doutry (Vio­lon), Leopol­do Thomp­son (Con­tre­basse, Juan Car­los Bazan (Clar­inette, Juan D’Ambrogio “Bachicha” (Ban­donéon), Tito David Rocatagli­a­ta (Vio­lon), José Martínez (Piano). Au cen­tre, Rober­to Fir­po, Fran­cis­co Canaro et Eduar­do Aro­las (Ban­donéon).
C’était à Rosario au Teatro Colón de Rosario, inau­guré en 1904 et démoli en 1958…

Teatro Colón de Rosario, inau­guré en 1904 et démoli en 1958…

Extrait musical

Par­ti­tion de Canaro par José Martínez avec la dédi­cace à son estimé ami et auteur nation­al, Fran­cis­co Canaro.
Canaro 1935-06-18 Orques­ta Fran­cis­co Canaro
Par­ti­tion pour piano de Canaro par José Martínez.

Autres versions

Deux des enreg­istrements de Canaro par Canaro…À gauche une édi­tion espag­nole de 1918 de l’enregistrement de 1915 et à droite, l’édition por­tu­gaise de notre tan­go du jour, la ver­sion de Canaro de 1935…

Canaro et d’autres orchestres enreg­istreront le titre à d’autres moments. Nous allons voir cela.

Canaro 1915 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

C’est la pre­mière ver­sion datant de l’époque de la com­po­si­tion. L’air assez vif et joyeux. La flûte est très présente. Bien sûr, l’enregistrement acous­tique et la cou­tume de jouer chaque fois la musique sans réelles vari­a­tions, peut ren­dre le résul­tat monot­o­ne. Cepen­dant, le sec­ond thème est assez joli.

Canaro 1927-07-29 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Canaro enreg­istre à nou­veau son titre avec la nou­velle tech­nolo­gie de l’enregistrement élec­trique. Canaro un rythme, beau­coup plus lent et bien pesant. En 12 ans, il a pris de l’assurance et du poids.

Canaro 1935-06-18 Orques­ta Fran­cis­co Canaro. C’est notre tan­go du jour.

Le rythme est un peu plus rapi­de que dans la ver­sion de 1927, sans attein­dre la vitesse de 1905. Cela suf­fit tout de même pour ren­dre le thème plus joyeux. Les instru­men­tistes sont excel­lents comme peut l’indiquer la liste des artistes qui ont par­ticipé sur la péri­ode :
Fed­eri­co Scor­ti­cati, Angel Ramos, Ciri­a­co Ortiz, Hora­cio Goli­no, Juan Canaro et Ernesto Di Cic­co (ban­donéon­istes) Luis Ric­car­di (pianiste) Cayetano Puglisi, Mauri­cio Mise, Bernar­do Stal­man, Samuel Reznik et Juan Ríos (vio­lonistes) et Olin­do Sini­bal­di (con­tre­bassiste).

Canaro 1941-07-14 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Un petit clin d’œil à son con­cur­rent. Une ver­sion bien dans l’esprit de D’Arienzo, bien ryth­mée, avec des petites facéties joueuses. Une danse qui devrait plaire à beau­coup de danseurs.

Canaro 1952-10-08 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

On reste dans le reg­istre joueur, nou­veau pour Canaro. Pour les mêmes raisons que la ver­sion de D’Arienzo, celle-ci devrait plaire aux danseurs.

Juan et Mario avec leur Sex­te­to Juan y Mario Canaro ont égale­ment enreg­istré le titre en 1953. Ce sont aus­si des Canaro après tout. Je ne peux pas vous faire écouter, n’ayant pas le disque avec moi au moment où j’écris et ne l’ayant pas numérisé, mais je m’en occupe en ren­trant à Buenos Aires. Je vous en atten­dant un extrait tiré de l’excellent site de référence, tango-dj.at. Non seule­ment il est très com­plet, mais en plus, quand il y a une impré­ci­sion, il accepte très volon­tiers les remar­ques et en tient compte, ce qui n’est pas le cas d’autres sites plus grand pub­lic qui dis­ent qu’on a tort et qui cor­ri­gent en cati­mi­ni…

Canaro 1953 — Sex­te­to Juan y Mario Canaro (EXTRAIT).

Un extrait, donc de la base de don­nées de Tango-dj.at.

Canaro 1953 — Sex­te­to Ciri­a­co Ortiz.

Après avoir par­ticipé à la ver­sion de 1935 dans l’orchestre de Canaro, Ciri­a­co Ortiz, donne une ver­sion très per­son­nelle.

Canaro 1956-02-29 — Orques­ta Florindo Sas­sone.

Comme sou­vent chez Sas­sone, la recherche de « joliesse » laisse peu de place à la danse. On notera l’utilisation de la harpe et du vibra­phone.

Canaro 1958 — Los Mucha­chos de Antes.

Avec leur flûte et la gui­tare et la gui­tare, les Mucha­chos de Antes, essayent de faire revivre le tan­go du début du vingtième siè­cle. Ce n’est pas du tout vilain et même sym­pa­thique. Peut-être pour une des­pe­di­da déli­rante avec des danseurs prêts à tout.

Canaro 1962 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

En 1962, Bia­gi n’est plus que l’ombre de lui-même. Je cite cette ver­sion pour mémoire, mais elle n’apportera pas grand-chose, plusieurs la sur­passent large­ment.

Canaro 1968 — Mar­i­ano Mores.

Mar­i­ano Mores qui est un rigo­lo, nous pro­pose une ver­sion très dif­férente de toutes les autres. Je ne dis pas que c’est pour les danseurs, mais ça peut aider à déclencher des sourires, lors d’un moment d’écoute.

Voilà, les amis. Je ne vous par­le pas aujourd’hui de Canaro à Paris, que Canaro a sou­vent gravé dans les mêmes péri­odes que Canaro. Mais promis, à la pre­mière occa­sion, je le met­trai sur la sel­l­ette, d’autant plus qu’il y a beau­coup à dire.

Sueño florido 1929-06-13 — Orquesta Cayetano Puglisi

Roberto Firpo

Sueño flori­do est une jolie valse, prin­ci­pale­ment con­nue par un enreg­istrement de Juan D’Arienzo. Elle a été écrite par Rober­to Fir­po et enreg­istrée en pre­mier par Cayetano Puglisi. Il ne faut pas con­fon­dre avec le tan­go du même titre, écrit par Cayetano Puglisi et joué par Rober­to Fir­po… Je vous amène faire quelques tours avec cette valse.

Extrait musical

1Partition pour piano de Sueño flori­do tirée du Jor­nal das Moças (Jour­nal des jeunes femmes) qui était un mag­a­zine illus­tré, heb­do­madaire ou bimen­su­el selon les épo­ques, édité au Brésil. On peut con­sul­ter les numéros de 1914 à 1961 en ligne, ce qui est une source pré­cieuse sur les mœurs et points d’intérêt de l’époque, du moins ceux des jeunes femmes brésili­ennes de l’époque.
Sueño flori­do 1929-06-13 — Sex­te­to Cayetano Puglisi.

Comme pour beau­coup de valses de l’époque, une longue intro­duc­tion (28 sec­on­des) débute le morceau. Comme DJ, on peut la laiss­er ou débuter après l’introduction, directe­ment dans le feu de l’action. En général, on laisse l’introduction pour le pre­mier thème d’une tan­da, cela laisse le temps aux danseurs d’inviter. En revanche, il faut annon­cer que ce sont des valses, sinon, les danseurs peu­vent se regarder avec des airs inqui­ets si c’est un air qui ne leur est pas fam­i­li­er, comme celui-ci. 
Pour revenir à l’écoute de cette valse, on notera la présence somptueuse du vio­lon de Cayetano Puglisi, les ban­donéons, la con­tre­basse et le piano étant util­isé pour le mar­quer le rythme. Vous remar­querez égale­ment la sen­sa­tion d’accélération finale, qui sera égale­ment la mar­que de fab­rique des valses de Juan D’Arienzo. Rap­pelons que c’est un arti­fice, pas une réal­ité. On s’en ren­dra compte en remar­quant que les vio­lons con­tin­u­ent au même rythme. Ce sont, dans le cas présent, les ban­donéons qui provo­quent l’illusion en jouent trois croches (tri­o­lets) sur chaque temps, au lieu de deux croches ou d’une noire. La par­ti­tion est en mesure 6/8, 6 croches dans une mesure.
Puisque j’ai par­lé des instru­ments, je vous pro­pose de citer la com­po­si­tion de l’orchestre :
Cayetano Puglisi et Mauri­cio Mise (vio­lons), Fed­eri­co Scor­ti­cati et Pas­cual Stor­ti (ou Domin­go Triguero) (ban­donéons), Arman­do Fed­eri­co (piano) et José Puglisi (con­tre­basse).

Le Sex­te­to de Cayetano Puglisi au cen­tre (direc­tion et vio­lon), Fed­eri­co Scor­ti­cati (ban­donéon), Arman­do Fed­eri­co (piano), Domin­go Triguero (ban­donéon) en échange de Pas­cual Stor­ti, José Puglisi (con­tre­basse), Mauri­cio Mis­er­izky (Mise) (vio­lon).

Les trois frères Puglisi

Comme Pugliese, les Puglisi sont orig­i­naires du sud de L’Italie. Leur nom de famille évoque les Pouilles et par­fois, cer­tains con­fondent Puglisi et Pugliese… Non, je ne don­nerai pas de nom, mais c’est assez courant 😉
Les trois frères Puglisi sont nés en Ital­ie et sont venus avec leurs par­ents en Argen­tine, en 1909.

Cayetano, Emilio et José Puglisi

Le grand frère, Cayetano, est né en 1902 à Mes­sine (Sicile). Il était vio­loniste, com­pos­i­teur et chef d’orchestre. Il avait donc env­i­ron sept ans à son arrivée en Argen­tine.

Cayetano était un vio­loniste très doué, comme vous avez pu l’entendre. Tout jeune, il s’est ori­en­té vers la musique clas­sique sous l’impulsion de son pro­fesseur, Osval­do Pessi­na, qui avait détec­té ses tal­ents. À la suite d’un con­cert, il s’est vu offert par le jour­nal La Pren­sa, une bourse pour appro­fondir ses études musi­cales en Europe.
La chance, pour le tan­go, est que la Guerre de 1914–1918 l’empêcha de se ren­dre en Europe. Il mon­ta un trio avec deux autres gamins (12 à 13 ans), Car­los Mar­cuc­ci (ban­donéon) et Pedro Almirón puis Julián ou Luis Rob­le­do (piano).
Rober­to Fir­po le remar­qua et le fit entr­er comme sec­ond vio­lon dans son orchestre. Mais le plus impor­tant est que Fir­po gui­da Cayetano vers le tan­go pour l’aider à être le musi­cien qu’il fut dans ce domaine. Un coup de pouce de Fir­po quand on a à peine 14 ans, c’est une chance.

Deux por­traits de Cayetano Puglisi.

Le cadet des trois frères, Emilio, est né en 1905 et était vio­loniste et com­pos­i­teur. Il avait env­i­ron 4 ans à son arrivée.
Il était en 1928, dans le Sex­te­to de Juan Bautista Gui­do, notam­ment pour jouer dans les ciné­mas. Peu après, il rem­plaça son frère, prob­a­ble­ment jusqu’en 1933 dans l’orchestre de Pedro Maf­fia, au côté d’Elvi­no Var­daro.
Dans les années 40, il était vio­loniste dans l’orchestre de Fran­cis­co Canaro.
Le ben­jamin, José, né en 1908, était donc bébé lors de son arrivée en Argen­tine en 1909.
Con­traire­ment à ses frères, il a choisi des instru­ments à cordes plus imposants puisqu’il jouait du vio­lon­celle et de la con­tre­basse. Hormis une col­lab­o­ra­tion avec son frère, notam­ment en 1923 où ils jouaient dans les ciné­mas, José tra­vaillera dans la musique clas­sique, notam­ment au théâtre Colón où il fit car­rière.

Autres versions

La pre­mière ver­sion est notre valse du jour.

Sueño flori­do 1929-06-13 — Sex­te­to Cayetano Puglisi. C’est notre valse du jour.
Sueño flori­do 1936-01-31 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est la ver­sion la plus con­nue, régulière­ment passée en milon­ga.

Sueño flori­do 1939-04-05 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Finale­ment, Fir­po se décide à enreg­istr­er sa com­po­si­tion…

L’autre Sueño florido

Ce titre qui est un tan­go a été com­posé par Cayetano Puglisi et Luis Elías Cosen­za. Il existe des paroles par Dante A. Liny­era (Fran­cis­co Bautista Rímoli).
Ce n’est pas vrai­ment un retour à l’envoyeur, car Fir­po a enreg­istré le sueno flori­do de Cayetano Puglisi avant que ce dernier enreg­istre le sien… N’oublions pas que Fir­po avait pris sous son aile le très jeune Cayetano et cet échange est donc très logique. C’est un témoignage de leur ami­tié.

Sueño flori­do (Tris­teza de bar­rio) 1928-08-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.

Char­lo chante les paroles de Dante A. Liny­era.

Sueño flori­do (Tris­teza de bar­rio) 1928-10-11 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Le symétrique de notre valse du jour.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.

À demain les amis !

El amanecer 1950-05-29 — Orquesta Domingo Federico

Roberto Firpo

El amanecer (l’aube) est un thème très, très sou­vent passé en milon­ga, notam­ment quand celles-ci durent jusqu’à l’aube. En effet, quoi de plus agréable que d’entendre le chant des oiseaux aux pre­miers rayons du soleil? Fir­po qui adore évo­quer des sons réal­istes nous a fait cadeau de cette belle com­po­si­tion et Fed­eri­co va éveiller nos sens avec une ver­sion mécon­nue et sub­lime.

On oublie par­fois que l’un des filons pour les musi­ciens de tan­go au début du XXe siè­cle était de jouer en direct dans les ciné­mas à l’époque où les films étaient muets. Cer­tains ont donc dévelop­pé des tal­ents de brui­teurs et imiter des sons de la nature ou autre est un petit jeu que pra­tiquent de nom­breux musi­ciens. Ici, l’objet de l’imitation, ce sont les oiseaux. Avec ce thème et le tal­ent des orchestres, de nom­breuses milon­gas se sont trans­for­mées en volières.
Envolons-nous sur les ailes de l’aube.

Extrait musical

El amanecer 1950-05-29 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co.

J’imagine que vous avez dans l’oreille une des ver­sions de Di Sar­li ou de Fir­po. Cette ver­sion est assez dif­férente, mais on retrou­ve des élé­ments com­muns. Je vous pro­pose de les iden­ti­fi­er en écoutant quelques-unes des autres ver­sions.

Par­ti­tion pour vio­lon et piano de El amanecer de Rober­to Fir­po

Autres versions

À tout seigneur, tout hon­neur, com­mençons par l’auteur, Rober­to Fir­po, le com­pos­i­teur de l’œuvre.

El amanecer 1913 – Sex­te­to Rober­to Fir­po.

Quelques temps (1 à 3 ans) après la com­po­si­tion, Fir­po l’enregistre.

El amanecer 1928-05-28 (ou 31) — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Des claque­ments, prob­a­ble­ment sen­sés représen­ter quelque chose, mais quoi ? D’après Fir­po, il se serait inspiré de la ligne 43 de tran­via (tramway) qu’il pre­nait pour ren­tr­er chez lui après une nuit de tra­vail. Puis, arrivé, il était émer­veil­lé par les chants des oiseaux. Les vio­lons de Cayetano Puglisi et Octavio Scaglione sont totale­ment sub­limes. Les oiseaux sont très dis­crets au début, mais s’exposent joli­ment en sec­onde par­tie.

El amanecer 1937-08-14 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

L’orchestre est alors dirigé par Fed­eri­co Scor­ti­cati. Remar­quez l’intervention dès le début « d’oiseaux » très réal­istes.

El amanecer 1938-01-04 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Les oiseaux arrivent aus­si dès le début, c’est une ver­sion mag­nifique, pleine de poésie, mais avec de la vigueur, une alter­nance des instru­ments, dont un très beau solo de vio­lon­celle.

El amanecer 1942-06-23 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Une ver­sion en tous points, superbe. Du grand Di Sar­li. Les oiseaux sont réal­isés par Rober­to Guisa­do, au vio­lon.

El amanecer 1945-09-14 – Rober­to Fir­po y su hijo (Dúo de piano).

Le fils ayant le même prénom que le père, on l’identifie par un H pour Hijo, qui veut dire fils. Là, le fis­ton joue avec son papa. Des trilles et d’impressionnants arpèges à la fin de l’œuvre essayent de recréer les oiseaux. C’est moins réal­iste que les vio­lons, mais c’est intéres­sant à écouter.

El amanecer 1948-08-10 — Juan Cam­bareri y su Gran Cuar­te­to Típi­co Ayer y hoy.

S’il vous prend de met­tre ce thème en réveil, c’est sûr que vous allez vous réveiller en un instant. Fidèle à son style (vice ?) nous pro­pose une ver­sion en vitesse débridée. On a un peu de mal à imag­in­er une douce aube qui s’élève.

Encore Fir­po, encore El Amanecer. Là, il s’agit de El Can­tor Del Pueblo, un film de 1948 réal­isé par Anto­nio Ber Ciani. Rober­to Fir­po joue sa com­po­si­tion, El amanecer, avec son cuar­te­to.

Rober­to Fir­po joue sa com­po­si­tion, El amanecer, avec son cuar­te­to dans El Can­tor Del Pueblo, un film de 1948 réal­isé par Anto­nio Ber Ciani.
El amanecer 1950 — Orques­ta Joaquín Do Reyes.

Cet orchestre plus rare nous offre une ver­sion clas­sique. Une belle présence de la con­tre­basse devrait faciliter la tâche des danseurs.

El amanecer 1950-05-29 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co. C’est notre tan­go du jour.

Avec les exem­ples précé­dents, je pense que vous avez cerné la con­struc­tion de cette œuvre et que l’originalité de l’interprétation de Fed­eri­co vous sera per­cep­ti­ble.
Les vio­lons du début font penser à Vival­di. Tou­jours les vio­lons, dans les pizzi­cati, sont légers et pré­cis. Le piano est tou­jours présent et avec la con­tre­basse, donne le com­pas. À 1:30, un pas­sage par­ti­c­ulière­ment tonique. Prob­a­ble­ment une évo­ca­tion du tramway. Puis, les oiseaux nous enchantent. La fin ralen­tit, comme si le tramway freinait. Une ver­sion orig­i­nale, mag­nifique et qui devrait ravir cer­tains danseurs et faire râler, les ron­chons. Ne vous éton­nez donc pas si un jour, je vous la passe.

El amanecer 1950-11-28 — Orques­ta Ricar­do Pedev­il­la.

Encore une belle ver­sion, avec les oiseaux qui arrivent en sec­onde par­tie.

El amanecer 1951-09-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Pas de sur­prise, vous avez déjà usé vos chaus­sures dans la rosée de cette aube de Di Sar­li­enne, mais si c’est peut-être moins que dans la ver­sion suiv­ante.

El amanecer 1953-12-11 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Vous repren­drez bien un petit peu de Fir­po, non ? Le voici de nou­veau, quar­ante ans après son pre­mier enreg­istrement.

El amanecer 1954-08-31 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

C’est sans doute la ver­sion que vous avez la plus dan­sée, mais main­tenant, vous allez peut-être l’écouter dif­férem­ment.

El amanecer 1964 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Je suis presque sûr que vous n’avez jamais dan­sé cette ver­sion. Il n’y a de toute façon aucune rai­son de le faire en milon­ga.

Depuis 1913, quel par­cours pour les lève-tôt ou couche très tard, comme Fir­po.

Pour ter­min­er avec une ver­sion à peu près dansante et venue de l’autre côté du Rio. Je vous pro­pose cette vidéo avec Miguel Vil­las­boas. Elle est un peu pré­cip­itée, mais elle présente l’intérêt de voir l’orchestre de Vil­las­boas à l’œuvre, d’autant plus que vous pour­rez voir com­ment le vio­loniste Pedro Sev­eri­no fait chanter son vio­lon avec des oiseaux et d’autres ani­maux, de quoi com­mencer la journée avec le sourire.

À demain, les amis !

 Pedro Sev­eri­no fait chanter son vio­lon avec des oiseaux et d’autres ani­maux