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Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Alberto Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)

Qui ne s’est jamais laissé emporter dans le tourbillon de cette valse chantée par Francisco Fiorentino et le bandonéon d’Anibal Troilo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait attention au tendre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en tremblant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troilo et Fiorentino ont enregistré 73 titres, dont 4 en duo avec Alberto Marino.
Ce sont quasiment tous des succès au point que certains DJ ne passent pour les Troilo chantés, que des versions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anecdotes de tango de ces derniers jours, vous avez pu lire les articles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Anibal Troilo C Edmundo Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enregistré par Troilo et Fiorentino, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alberto Hilarion Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamora, ou plus précisément à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du village à l’époque de la naissance d’Alberto. Maintenant, c’est englobé au sud-ouest du grand Buenos Aires. Un milieu plutôt rural à l’époque et cela a sans doute influencé ses choix musicaux, souvent orientés vers ce que l’on appelle maintenant le folklore, la valse du jour est en effet un vals criollo (vals est masculin en espagnol). Il a écrit en plus des tangos, des gatos, des chacareras, comme La choyana que Gardel a chanté avec Razzano, mais aussi des candombés comme Serafín enregistré par exemple en 1998 et 2003 par Juan Carlos Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le comparait à celui de Gardel et Razzano. Ainsi la revue El Canta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indiquait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insurpassable Gardel-Razzano, le meilleur qui reste pour interpréter notre muse sentimentale et populaire est indiscutablement l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’auteur des paroles, Charrúa (Gualberto Gregorio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Charrúa, vient du peuple Charrúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontalière avec l’Uruguay) et au Brésil.
Ses penchants pour la ruralité peuvent sans doute trouver leur origine dans son territoire de naissance, mais aussi dans son activité dans le « civil », il était administrateur d’établissements agricoles du côté de General Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses origines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendiquer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cependant, ma mère étant originaire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authentique, ce qui est traditionnel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleinement à être le meilleur Argentin. »
Son engagement pour ce qui est traditionnel s’est montré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des Estilo (chansons folkloriques typiques de la pampa, ce qui explique le poncho dont il sera question dans la valse du jour) et bien sûr les paroles champêtres de la valse du jour.

Extrait musical

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.

Le bandonéon lance le début de l’introduction comme un démarrage difficile. Puis à 0 : 15 commence le thème par les violons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ainsi de suite, s’alternent les instruments jusqu’à ce que le violon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorentino reprend le thème. Il accentue de nombreux premiers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée normale). Cela donne l’impression de ralentissement que contredit ½ temps plus tard la reprise du rythme normal de la valse. Un peu comme un homme qui tournerait la manivelle d’une voiture ancienne pour démarrer le moteur. C’est le même principe que le démarrage initial du bandonéon en introduction. Cet élément stylistique s’apparente dans une certaine mesure à la valse viennoise, mais aussi au vals criolo où le ralentissement est encore plus marqué et le rythme sort complètement de la régularité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exemple chez Corsini (voir ci-dessous dans les autres versions).

Les paroles

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando
y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Estaba como nunca la había visto,
vestido livianito de zaraza,
con el pelo volcado sobre los hombros
era una virgen que encontré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus ojazos me siguió quemando,
dejó la escoba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó temblando.

Era el recuerdo del amor primero,
amor nacido en una edad temprana,
como esas flores rústicas del campo
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está oculto en los adobes
de su rancho paterno tan sencillo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la punta del cuchillo.

Me di vuelta pisando despacito,
como quien desconfía de una trampa,
envolviendo recuerdos y emociones
entre las listas de mi poncho pampa.

No sé qué me pasó, monté a caballo
y me fui (sali) galopeando a rienda suelta,
con todos los recuerdos y emociones
que en las listas del poncho saqué envueltas.

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando.
Y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Alberto Hilarion Acuña Letra: Charrúa (Gualberto Márquez)

Fiorentino et Bermúdez chantent ce qui est en gras et terminent en reprenant le couplet qui est en rouge. En bleu, la variante de Carmen Idal qui chante, comme Corsini, l’intégralité des paroles.

Traduction libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue auparavant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais rencontrée dans la maison. (Zaraza est une sorte de Percal. Un tango de Benjamin et Alfonso Tagle Lara porte ce nom. Et Biagi avec Ortiz en a donné une des meilleures versions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a également chanté en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons parlé, avec ses yeux immenses qui me suivaient en me brûlant, elle a délaissé le balai qu’elle tenait à la main, elle voulait me parler et elle est restée tremblante.
C’était le souvenir du premier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rustiques des champs qui naissent du jour au lendemain (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout simple et grâce à la courtoisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belombra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retournai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, enveloppant souvenirs et émotions entre les plis de mon poncho de la pampa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chanfrein des chevaux. Il enveloppe donc ses émotions dans les bandes blanches donc, les rayures de son poncho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis monté à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les souvenirs et les émotions que j’avais enveloppés dans les listes de ponchos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Un documentaire intéressant pour connaître le poncho.

Autres versions

Temblando 1933-09-28 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criollo). Une belle interprétation pour ce type de valses folkloriques.
Temblando 1944 Orquesta Gabriel Chula Clausi con Carmen Idal.

Une jolie version, chantée et presque dansable. Il est à noter qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites variations, comme cela arrive souvent, les chanteurs prennent de petites libertés pour mieux coller à leur diction, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actualiser un texte.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.
Temblando 1944-04-26 — Orquesta Pedro Laurenz con Carlos Bermúdez.

Comme la version de Troilo, celle de Lorenzo commence par un bandonéon qui « démarre ». Les arrangements sont assez proches de ceux de Troilo. À 1 : 19 commence Bermúdez, sa voix est magnifique, plus chaude que celle de Fiorentino, c’est une superbe version, injustement estompée, à mon avis par celle de Troilo qui ne lui est pas sensiblement supérieure. À 2 : 25, vous noterez le changement de tonalité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à propos de Lágrimas y sonrisas).

Par la suite, le thème a été repris à différentes reprises, par des chanteurs plutôt versés du côté folklore, ou par d’autres du côté chanson, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des versions équivalentes à celles de Troilo ou de Laurenz. J’en cite cependant quelques-unes, intéressantes par différents aspects.

Temblando 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rappel de vals criollo, au milieu d’une interprétation sous forme de chanson. Comme beaucoup de chansons en valse, cette version reste dansable, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Temblando 1976 — Rubén Juárez (a Capela).

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exercice du chant a capela. Là, pas du tout question de danser…

Temblando 1995 — Canta Luis Cardei.

Pour terminer en douceur, une version d’inspiration criolla. Malgré sa très courte carrière (6 ans, Luis Cardei a produit trois disques et chanté dans le film La Nube (1998) de Fernando Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos globos rojos d’Eduardo Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les piétons, sauf un, reculent, la suite est peut-être moins intéressante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

Chacarera pour/for/para tango DJS (Conseils/Tips/Consejos)

Choisir une chacarera / Elegir una chacarera / To choose a chacarera

Dans la plupart des milongas portègnes, on pratique des danses folkloriques. Depuis une quinzaine d’années, j’essaye de proposer une tanda de folklore dans les milongas que j’anime. La chacarera commence à bien prendre et j’ai même eu le bonheur de voir des zambas dansées en France.
Pour aider au développement du phénomène, je vous propose quelques conseils pour choisir des chacareras qui ne vont pas dérouter les danseurs novices.

In most milongas of Buenos Aires, folk dances are performed.
For the past fifteen years, I have been trying to offer a tanda of folklore in the milongas that I do. The chacarera is starting to take well and I even had the pleasure to see zambas danced in France.
To help develop the phenomenon, I offer some tips for choosing chacareras that will not confuse novice dancers.

En la mayoría de las milongas porteñas hay bailes tradicionales.
Durante los últimos quince años, he tratado ofrecer una tanda del folclore en las milongas que asumo. La chacarera está empezando a tomar bien y tuve el placer ver zambas bailado en Francia también.
Para ayudar a desarrollar el fenómeno, doy acá algunos consejos para elegir chacareras que no confundirán a los principiantes.

Animer une chacarera / Guiar a una chacarera / How to help for a chacarera

Animer une chacarera

Lorsque les danseurs sont peu familiers avec la chacarera, il est utile de les aider pour que le résultat ne vire pas à la pagaille. Voici quelques conseils.

Annoncer l’intermède de folklore

Il faut laisser le temps aux danseurs de se placer. Le mieux est de lancer une introduction bien marquée qui signifiera aux danseurs que l’on va danser une chacarera. Cette introduction peut être une introduction spécifique ou le début d’une chacarera, pas forcément celle que l’on dansera.
Attention à ne pas laisser se dérouler plus que les introductions pour éviter que les danseurs plus avancés commencent. On peut mettre une intro en boucle pour quand les danseurs sont longs à s’organiser.

Penser à annoncer de se munir d’un pañuelo si on a prévu une zamba dans l’intermède de folklore.

Positionner les danseurs

En général, on place les hommes sur une ligne en face d’une ligne de femmes. Il est souvent utile de proposer que les danseurs se positionnent à un endroit précis. Par exemple : « Les hommes du côté des fenêtres ». Les femmes se positionneront en face de leur partenaire.

Si les danseurs sont nombreux, on peut proposer de faire deux ou plusieurs lignes. Mais en général, quand ils sont nombreux, ils savent à peu près s’organiser.

Les danseurs sont dans leurs lignes, face à leurs partenaires. Le DJ peut lancer la musique de la chacarera qui sera dansée.

Annoncer le début « adentro »

Même à Buenos Aires, il est courant d’annoncer le début de la danse par « adentro ». Si vos danseurs ont lu le guide pour choisir les chacareras, ils n’auront pas besoin de cette aide, car ils auront écouté l’introduction. Cependant, beaucoup de musiques de folklore contiennent l’adentro annoncé par l’orchestre.

Cela me semble donc indispensable de l’annoncer, même si l’orchestre le dit, car les danseurs européens ne sont pas tous bien familiers avec cela.

Cela permet un départ plutôt franc et le résultat d’ensemble aura plus de chance d’être harmonieux.

Pour mémoire, voici la chorégraphie. On peut annoncer les différentes phases si les danseurs se décalent et plus particulièrement ce qui est en gras, car c’est le début et l’annonce du final. Cela évite que certains commencent trop tard ou termine trop tard…

Voz preventiva: Adentro
1º Figura : Avance y retroceso   4 compases
2º Figura : Giro – 4  Compases
3º Figura : Vuelta entera — 6 u 8 compases
4º Figura : Zapateo y zarandeo – 8 compases
5º Figura : Vuelta entera — 6 u 8 compases
6º Figura : Zapateo y Zarandeo – 8 compases
Voz preventiva: Aura
7º Figura : Media vuelta – 4 compases
8º Figura : Giro y coronación   4 compases

Pour la seconde partie, on peut en général se contenter de adentro et aura.

Et après la première chacarera

Si tout s’est bien passé et qu’il y a une bonne partie des danseurs sur la piste, on fait en général une seconde chacarera.

Pas de consigne particulière. On peut encourager le frappé des mains en annonçant palmas. Pour ma part, je marque le rythme avec des claquements de langue au microphone.

Il me semble moins utile de le faire pour la première chacarera, car les danseurs se mettent en place et on peut avoir des consignes à donner. Cela peut aussi gêner pour l’écoute du nombre de compases (6 ou 8).

Pour la seconde, cela me semble utile, car ça permet d’entretenir l’ambiance et d’éviter que les danseurs retournent à leur place. On peut aussi en profiter pour encourager les timides qui n’ont pas dansé la première chacarera à rejoindre la piste.

En général, on propose toujours une chacarera à 8 compases pour la première et si on décide de proposer une chacarera à 6 compases pour la seconde, c’est que le niveau est satisfaisant, mais il faudra veiller à ce que les danseurs ne se laissent pas surprendre en terminant trop tard leurs vueltas.

Si on a la chance d’être dans un lieu où les danseurs pratiquent aussi la zamba, on terminera l’intermède de folklore par une zamba. Le fait d’avoir annoncé de prendre le pañuelo à l’avance permet de savoir si la proposition d’une zamba est pertinente.

Si personne ne danse la zamba, cela fera une belle cortina…

En général, je laisse la zamba même s’il n’y a qu’un ou deux couples. Cela fait un peu démo, mais c’est une façon d’encourager le développement de cette danse magnifique.

Michèle et Christophe, deux danseurs ayant dansé magnifiquement une zamba dans une milonga que j’animais. Sûr qu’ils ont créé des vocations car depuis, je passe un peu plus de zambas…