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Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi

Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et Francisco Fiorentino. Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par Miguel Caló et Jorge Ortiz. D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.

Extrait musical

Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.

Paroles

Un pedazo de barrio, allá en Pompeya,
durmiéndose al costado del terraplén.
Un farol balanceando en la barrera
y el misterio de adiós que siembra el tren.
Un ladrido de perros a la luna.
El amor escondido en un portón.
Y los sapos redoblando en la laguna
y a lo lejos la voz del bandoneón.

Barrio de tango, luna y misterio,
calles lejanas, ¡cómo estarán!
Viejos amigos que hoy ni recuerdo,
¡qué se habrán hecho, dónde estarán!
Barrio de tango, qué fue de aquella,
Juana, la rubia, que tanto amé.
¡Sabrá que sufro, pensando en ella,
desde la tarde que la dejé!
Barrio de tango, luna y misterio,
¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!

Un coro de silbidos allá en la esquina.
El codillo llenando el almacén.
Y el dramón de la pálida vecina
que ya nunca salió a mirar el tren.
Así evoco tus noches, barrio ‘e tango,
con las chatas entrando al corralón
y la luna chapaleando sobre el fango
y a lo lejos la voz del bandoneón.
Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi

Traduction libre et indications

Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article).
Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème.
Un aboiement de chiens à la lune.
L’amour caché dans une porte cochère.
Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon.
Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles !
De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils !
Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée.
Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée !
Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois !
Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue.
Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi…
Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train.
C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.

Autres versions

Barrio de tango 1942-12-14 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Ángel D’Agostino et Ángel Vargas
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre tango du jour.
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 – Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.

Barrio de tango 1971-05-06 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.

Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo

Pompeya, barrio de tango

Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le Riachuelo.

En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.
Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.
Les touristes qui restent à Recoletta ou Palermo ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de pétrole lampant), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.

Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.

Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló

Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló.
Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito.
Corazón no le hagas caso
Lejos de Buenos Aires
Tristezas de la calle Corrientes
Percal
Después
Margarita Gauthier
Cada día te extraño mas
Fruta amarga
De barro
Gime el viento
La noche que te fuiste
Orquestas de mi ciudad
Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente.
On en reparlera…

À bientôt, les amis !

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Casimiro Alcorta Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.

Qui a écrit El choclo ?

Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique…
En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez.
Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec Alberto Arenas. L’enregistrement est du 15 janvier 1948.

Extrait musical

Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque.
Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…

Con este tango que es burlón y compadrito
se ató dos alas la ambición de mi suburbio;
con este tango nació el tango, y como un grito
salió del sórdido barrial buscando el cielo;
conjuro extraño de un amor hecho cadencia
que abrió caminos sin más ley que la esperanza,
mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia
llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.

Por tu milagro de notas agoreras
nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas,
luna de charcos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la manera de querer…

Al evocarte, tango querido,
siento que tiemblan las baldosas de un bailongo
y oigo el rezongo de mi pasado…
Hoy, que no tengo más a mi madre,
siento que llega en punta ‘e pie para besarme
cuando tu canto nace al son de un bandoneón.

Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera
y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina.
Triste compadre del gavión y de la mina
y hasta comadre del bacán y la pebeta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura
se hicieron voces al nacer con tu destino…
¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo,
que ardió en los conventillos y ardió en mi corazón.
Enrique Santos Discépolo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur.
Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé…
Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon.
Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre Roberto Zerrillo avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca).
Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin…
Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango.
Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles…
Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par Irene Villoldo, la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version.
Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo.
Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre…
Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.

Autres versions

Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères :
• Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter.
Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées.
Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre tango du jour.

Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.

Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi china que tengo mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gustar
Largá el rollo que escucho y explicate
Lo que pases no es tontera,
pues te juro que te digo la verdad.
dame un beso no me vengas con chanela (2)
dejate de tonteras, no me hagas esperar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gavilán
son cuentos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no vengo con ganas mi china de farrear
Pues entonces no me vengas con cuento
y escuchame un momento que te voy a explicar.
No te enojes que yo te diré lo cierto
y verás que me vas a perdonar
Pues entonces
Te diré la purísima verdad
Vamos china ya que voy a hacer las paces
a tomar un carrindango pa pasear
Y mirar de Palermo
Yo te quiero mi chinita no hagas caso
Que muy lejos querer
el esquinazo
ni golpe ni porrazo…
Ángel Villoldo

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
  • – Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
  • – Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
  • – Ce sont des histoires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • – Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler.
    Aussi, ne me raconte pas d’histoires
  • – et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu verras que tu vas me pardonner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • – Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une promenade
    Et regarder Palermo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.

El choclo 1910 – Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.

Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un grano nace la planta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la garganta
dijo que estaba humilloso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
murmuro con alborozo
está muy de la banana.

Hay choclos que tienen
las espigas de oro
que son las que adoro
con tierna pasión,
cuando trabajando
llenito de abrojos
estoy con rastrojos
como humilde peón.

De lavada enrubia
en largas guedejas
contemplo parejas
sí es como crecer,
con esos bigotes
que la tierra virgen
al noble paisano
le suele ofrecer.

A veces el choclo
asa en los fogones
calma las pasiones
y dichas de amor,
cuando algún paisano
lo está cocinando
y otro está cebando
un buen cimarrón.

Luego que la humita
está preparada,
bajo la enramada
se oye un pericón,
y junto al alero,
de un rancho deshecho
surge de algún pecho
la alegre canción.
Ángel Villoldo

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier.
De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge).
Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.

El choclo 1913 – Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.

Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 – Orquesta Típica Victor.

Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante.
Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieja milonga que en mis horas de tristeza
traes a mi mente tu recuerdo cariñoso,
encadenándome a tus notas dulcemente
siento que el alma se me encoje poco a poco.
Recuerdo triste de un pasado que en mi vida,
dejó una página de sangre escrita a mano,
y que he llevado como cruz en mi martirio
aunque su carga infame me llene de dolor.

Fue aquella noche
que todavía me aterra.
Cuando ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en duelo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
partió su corazón.
Y me llamaban
el choclo compañero;
tallé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una china
envenenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trágico dolor.

Si alguna vuelta le toca por la vida,
en una mina poner su corazón;
recuerde siempre
que una ilusión perdida
no vuelve nunca
a dar su flor.

Besos mentidos, engaños y amarguras
rodando siempre la pena y el dolor,
y cuando un hombre entrega su ternura
cerca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes
y que en mi pecho sólo anida la tristeza,
como una luz que me ilumina en el sendero
llegan tus notas de melódica belleza.
Tango querido, viejo choclo que me embarga
con las caricias de tus notas tan sentidas;
quiero morir abajo del arrullo de tus quejas
cantando mis querellas, llorando mi dolor.
Juan Carlos Marambio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux,
En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu.
Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur.
Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo);
J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant.
Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique.
S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur.
Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque.
Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame…
Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.

Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…

Kiss of Fire 1955 – Louis Armstrong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.

Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango.
À bientôt, les amis.

En guise de cortina, on pourrait mettre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.

Del barrio de las latas, Tita Merello y la cuna del tango

Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Je n’étais pas totalement inspiré par les tangos enregistré un premier juin, alors j’ai décidé de vous parler d’un tango qui a été étrenné un premier juin. Il s’agit de Del barrio de la latas (du quartier des barils) que Tita Merello interpréta sur scène pour la première fois le premier juin de 1926 au théâtre Maipo. Le quartier décrit ne dura que trente ans et est, du moins pour certains, le berceau du tango.

Le quartier des bidons

Le pétrole lampant, avant de servir aux avions d’aujourd’hui sous le nom de kérosène, était utilisé pour l’éclairage, d’où son nom. Les plus jeunes n’ont sans doute pas connu cela, mais je me souviens de la magie, quand j’étais gamin de la lampe à pétrole dont on faisait sortir la mèche en tournant une vis. J’ai encore la sensation de cette vis moletée sur mes doigts et la vision de la mèche de coton qui sortait miraculeusement et permettait de régler la luminosité. La réserve de la mèche qui trempait dans le pétrole paraissait un serpent et sa présence me gênait, car elle assombrissait la transparence du verre.

Je n’ai plus les lampes à pétrole de mon enfance, mais je me souviens qu’elles avaient une corolle en verre. Impossible d’en trouver en illustration, toutes ont le tube blanc seul. J’imagine que les corolles ont été réutilisées pour faire des lustres électriques. Je me suis donc fabriqué une lampe à pétrole, telle que je m’en souviens, celle de gauche. En fait, le verre était multicolore. J’ai fait au plus simple, mais sans le génie des artisans du XIXe siècle qui avaient créé ces merveilles. J’ai finalement trouvé une lampe complète (à droite). Je l’ai rajoutée à mon illustration. Le verre est plus transparent, ceux de mon enfance étaient plus proches de celui de gauche et les couleurs étaient bien plus jolies, mais cela prouve que l’on peut encore trouver des lampes complètes.

Vous aurez compris que ces lampes étaient destinées aux familles aisées, pas aux pauvres émigrés qui traînaient aux alentours du port. Ces derniers cependant « bénéficiaient » de l’industrie du pétrole lampant en récupérant les bidons vides.
La ville qui s’est ainsi montée de façon anarchique est exactement ce qu’on appelle un bidonville. Mais ici, il s’agit d’un quartier, barrio de latas boîtes de conserve, bidons…

Une masure constituée de bidons d’huile et de pétrole lampant du quartier de las latas

Arrêtons-nous un instant sur cette photographie. On reconnaît bien la forme des bidons parallélépipédiques qui servaient à contenir l’huile et le pétrole lampant. On sait qu’ils étaient remplis de terre par l’auteur de l’ouvrage William Jacob Holland (1848-1932) relatant l’expédition scientifique envoyée par le Carnegie Museum. L’ouvrage a été publié en 1913, preuve qu’il restait des éléments de ce type de construction à l’époque. En fait, il y en a toujours de nos jours.
Voici un extrait du livre parlant de ce logement.

La page 164 et un intercalaire (situé entre les pages 164 et 165) avec des photographies. On notera le contraste entre le Teatro Colón et la masure faite de bidons d’huile et de pétrole lampant.

To the River Plate and back (page 162)

The Argentines are a pleasure-loving people, as is attested by the number of places of amusement which are to be found. The Colon Theater is the largest opera-house in South America and in fact in the world, surpassing in size and in the splendor of its interior decoration the great Opera-house in Paris. To it come most of the great operatic artists of the day, and to succeed upon the stage in Buenos Aires is a passport to success in Madrid, London, and New York.

In contrast with the Colon Theatre may be put a hut which was found in the suburbs made out of old oil-cans, rescued from a dumping-place close at hand. The cans had been filled with earth and then piled up one upon the other to form four low walls. The edifice was then covered over with old roofing-tin, which likewise had been picked up upon the dump. The structure formed the sleeping apartment of an immigrant laborer, whose resourcefulness exceeded his resources. His kitchen had the sky for a roof; his pantry consisted of a couple of pails covered with pieces of board. Who can predict the future of this new citizen?

William Jacob Holland; To the River Plate and back. The narrative of a scientific mission to South America, with observations upon things seen and suggested. Page 162.

Traduction de l’extrait du livre de William Jacob Holland

Les Argentins sont un peuple qui aime les plaisirs, comme l’atteste le nombre de lieux de divertissement qu’on y trouve. Le théâtre Colon est le plus grand opéra d’Amérique du Sud et même du monde, surpassant par la taille et la splendeur de sa décoration intérieure le grand opéra de Paris. C’est là que viennent la plupart des grands artistes lyriques de l’époque, et réussir sur la scène de Buenos Aires est un passeport pour le succès à Madrid, à Londres et à New York.

En contraste avec le théâtre de Colon, on peut mettre une cabane qui a été trouvée dans les faubourgs, faite de vieux bidons d’huile, sauvés d’une décharge à proximité. Les boîtes avaient été remplies de terre puis empilées les unes sur les autres pour former quatre murets. L’édifice fut alors recouvert de vieilles plaques de tôle de toiture, qui avaient également été ramassées sur la décharge. La structure formait l’appartement de sommeil d’un travailleur immigré, dont l’ingéniosité dépassait les ressources. Sa cuisine avait le ciel pour toi ; son garde-manger se composait de deux seaux recouverts de morceaux de planche. Qui peut prédire l’avenir de ce nouveau citoyen ?

William Jacob Holland ; Vers le Rio de la Plata et retour. Le récit d’une mission scientifique en Amérique du Sud, avec des observations sur les choses vues et suggérées.

Et un autre paragraphe sur les femmes à Buenos Aires, toujours dans le même ouvrage

La demi-réclusion du beau sexe, qui est valable en Espagne, prévaut dans tous les pays d’Amérique du Sud, qui ont hérité de l’Espagne leurs coutumes et leurs traditions. Les dames apparaissent dans les rues plus ou moins étroitement voilées, très rarement sans escorte, et jamais sans escorte après le coucher du soleil. Pour une femme, paraître seule dans les rues, ou voyager sans escorte, c’est tôt ou tard s’exposer à l’embarras. Le mélange libre mais respectueux des sexes qui se produit dans les terres nordiques est inconnu ici. Les vêtements de deuil semblent être très affectés par les femmes des pays d’Amérique latine. Je dis à l’une de mes connaissances, alors que nous étions assis et regardions la foule des passants sur l’une des artères bondées : «Il doit y avoir une mortalité effroyable dans cette ville, à en juger par le nombre de personnes en grand deuil. Il sourit et répondit : « Les femmes regardent les vêtements noirs avec faveur comme déclenchant leurs charmes, et se précipitent dans le deuil au moindre prétexte. La ville est raisonnablement saine. Ne vous y trompez pas. »

On est vraiment loin de l’atmosphère que respirent les tangos du début du vingtième siècle. L’auteur, d’ailleurs, ne s’intéresse pas du tout à cette pratique et ne mentionne pas le tango dans les 387 pages de l’ouvrage…

Extrait musical

Bon, il est temps de parler musique. Bien sûr, on n’a pas l’enregistrement de la prestation de Tita Merello le premier juin 1929. En revanche, on a un enregistrement bien pus tardif puisqu’il est de 1964. C’est donc lui qui servira de tango du jour.
L’autre avantage de choisir cette version est que l’on a les paroles complètes.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto.

Bon, c’est un tango à écouter, je passe tout de suite aux paroles qui sont plus au cœur de notre anecdote du jour.

Paroles

Del barrio de las latas
se vino pa’ Corrientes
con un par de alpargatas
y pilchas indecentes.
La suerte tan mistonga
un tiempo lo trató,
hasta que al fin, un día,
Beltrán se acomodó.

Y hoy lo vemos por las calles
de Corrientes y Esmeralda,
estribando unas polainas
que dan mucho dique al pantalón.
No se acuerda que en Boedo
arreglaba cancha’e bochas,
ni de aquella vieja chocha,
por él, que mil veces lo ayudó.

Y allá, de tarde en tarde,
haciendo comentarios,
las viejas, con los chismes
revuelven todo el barrio.
Y dicen en voz baja,
al verlo un gran señor:
“¿Tal vez algún descuido
que el mozo aprovechó?”

Pero yo que sé la historia
de la vida del muchacho,
que del barrio de los tachos
llegó por su pinta hasta el salón,
aseguro que fue un lance
que quebró su mala racha,
una vieja muy ricacha
con quien el muchacho se casó.

Raúl Joaquín de los Hoyos Metra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Traduction libre et indications

Depuis le bidonville, il s’en vint par Corrientes avec une paire d’espadrilles et des vêtements indécents.
La chance si pingre un certain temps l’a ballotté, jusqu’à ce qu’un jour, Beltran s’installe.
Et aujourd’hui, nous le voyons dans Corrientes et Esmeralda, portant des guêtres qui donnent beaucoup d’allure au pantalon.
Il ne se souvient pas qu’à Boedo, il réparait le terrain de boules ni de cette vieille radoteuse, selon lui, qui mille fois l’a aidé.
Et là, de temps à autre, faisant des commentaires, les vieilles femmes, avec leurs commérages, remuent tout le quartier.
Et elles disent à voix basse en le voyant en grand monsieur :
« Peut-être quelque négligence dont le beau gosse a profité ? »
Mais moi qui connais l’histoire de la vie du garçon qui est venu du quartier des poubelles et qui par son allure parvint jusqu’au salon, je vous assure que c’est un coup de chance qui a brisé sa mauvaise série, une vieille femme très riche avec qui le garçon s’est marié.

Autres versions

Del barrio de las latas 1926 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Le plus ancien enregistrement, du tout début de l’enregistrement électrique.

Del barrio de las latas 1926-11-16 – Sexteto Osvaldo Fresedo.

Une version bien piétinante pour les amateurs du genre. Pas vilain, mais un peu monotone et peu propice à l’improvisation. Son frère n’a pas encore écrit les paroles.

Del barrio de las latas 1926-11-21 – Orquesta Juan Maglio Pacho.

Pour les mêmes. Cela fait du bien quand ça s’arrête 😉

Del barrio de las latas 1927-01-19 – Orquesta Francisco Canaro.

Les piétineurs, je vous gâte. Cette version a en plus un contrepoint très sympa. On pourrait se laisser tenter, disons que c’est la première version que l’on pourrait envisager en milonga.

Del barrio de las latas 1954-04-21 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

On fait un bond dans le temps, 27 ans plus tard, Di Sarli enregistre avec Pomar la première version géniale à danser, pour une tanda romantique, mais pas soporifique.

Del barrio de las latas 1964 Tita Merello con acomp. de Carlos Figari y su conjunto. C’est notre tango du jour.

Pas pour la danse, mais comme déjà évoqué, il nous rappelle que c’est Tita qui a inauguré le titre, 35 ans plus tôt.

Del barrio de las latas 1968-06-05 – Cuarteto Aníbal Troilo.

Pour terminer notre parcours musical dans le bidonville. Je vous propose cette superbe version par le cuarteto de Aníbal Troilo.
La relative discrétion des trois autres musiciens permet d’apprécier toute la science de Troilo avec son bandonéon. Il s’agit d’un cuarteto nouveau pour l’occasion et qui dans cette composition ne sera actif qu’en 1968. Il était composé de :
Aníbal Troilo (bandonéon), Osvaldo Berlingieri (piano), Ubaldo De Lío (guitare) et Rafael Del Bagno (contrebasse).

La cuna del tango – Le berceau du tango

Le titre de l’article du jour parle de berceau du tango, mais on n’a rien vu de tel pour l’instant. Je ne vais pas vous bercer d’illusions et voici donc pourquoi ce quartier de bidons serait le berceau du tango.

Où se trouvait ce quartier

Nous avons déjà évoqué l’importance du Sud de Buenos Aires pour le tango. Avec Sur, bien sûr, mais aussi avec En lo de Laura (en fin d’article).

À cause de la peste de 1871, les plus riches qui vivaient dans cette zone se sont expatriés dans le Nord et les pauvres ont continué de s’amasser dans le sud de Buenos Aires, autour des points d’arrivée des bateaux.
La même année, Sarmiento confirma que la zone était la décharge d’ordures de Buenos Aires. Le volume des immondices accumulées à cet endroit était de l’ordre de 600 000m3. Une épaisseur de 2 mètres sur une surface de 3km². On comprend que les pauvres se fabriquent des abris avec les matériaux récupérés dans cette décharge.

El tren de la basura (le train des ordures)

Le train des ordures. El tren de la basura qui apportait les ordures à proximité du barrio de las latas.

Pour alimenter cette immense décharge, un train a été mis en place pour y transporter les ordures. Il partait de Once de septiembre (la gare) et allait jusqu’à la Quema lieu où on brûlait les ordures (Quemar en espagnol est brûler).
L’année dernière, les habitants du quartier où passait ce train ont réalisé la  fresque qui retrace l’histoire de ce train.

Peinture murale du train des ordures, calle Oruro (elle est représentée à gauche avec le petit train qui va passer sur le pont rouge).
Histoire du train de la basura qui a commencé à fonctionner le 30 mai 1873.
La montagne d’ordures. Dans la peinture murale, des éléments réels ont été insérés. Il y a le nom des deux peintres et de ceux qui ont donné des « ordures » pour l’œuvre.

ET le berceau du tango ?

Ah oui, je m’égare. Dans la zone de la décharge, il y avait donc de l’espace qui n’était pas convoité par les riches, à cause bien sûr des odeurs et des fumées. Même le passage du train était une nuisance. S’est rassemblée dans ces lieux la foule interlope qui sera le terreau présumé du tango.
Il faut rajouter dans le coin les abattoirs, des abattoirs qui feraient frémir aujourd’hui, tant l’hygiène y était ignorée.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios),  les abattoirs et le lieu de la dernière bataille, le 22 juin 1880, des guerres civiles argentines. Elle a vu la victoire des forces nationales et donc la défaite des rebelles de la province de Buenos Aires.

Extrait de La Pishuca (anonyme)

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Anonyme

Traduction de la La Pishuca

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu, elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais retourné.

Il y a donc une perméabilité entre les deux mondes.

Sur l’origine du tango, nous avons d’autres sources qui se rapportent à cette zone. Par exemple ce poème de Francisco García Jiménez (qui a par ailleurs donné les paroles de nombreux tangos) :

Poème de Francisco García Jiménez (en lunfardo)

La cosa jué por el sur,
y aconteció n’el ochenta
ayá en los Corrales Viejos,
por la caye de la Arena.

Salga el sol, salga la luna,
salga la estreya mayor.
La cita es en La Blanquiada;
naide falte a la riunión…

Los hombres dentraron serios
y cayao el mujerío:
siempre se yega a un bailongo
como al cruce del destino.

Tocaron tres musicantes
haciendo punt’al festejo:
con flauta, guitarra y arpa,
un rubio, un pardo y un negro.

Salieron los bailarines
por valse, mazurca y polca;
y entre medio, una pareja
salió bailando otra cosa.

El era un güen cuchiyero,
pero de genio prudente.
Eya una china pintona,
mejorando lo presente.

Eya se llamaba Flora
y él se apellidaba Trejo:
con cortes y con quebradas
lo firmaban en el suelo.

No lo hacían de compadres
¡y compadreaban sin güelta!
Al final bailaban solos
pa’contener a la rueda.

Bailaron una mestura
que no era pa’maturrangos,
de habanera con candombe,
de milonga con fandango.

Jué un domingo, en los Corrales
cuando inventaron el tango.

Francisco García Jiménez

Traduction libre du poème de Francisco García Jiménez

Cela s’est passé vers le sud, et cela s’est passé dans les années quatre-vingt dans les Corrales viejos, le long de la Calle de la Arena (la rue de sable, en Argentine, beaucoup de villes ont encore de nos jours des rues en sable ou en terre. En 1880, la zone, l’actuel Parque Patricios, était rurale).
Que le soleil se lève, que la lune se lève, que l’étoile majeure se lève.
Le rendez-vous est à La Blanquiada ; personne ne manque la réunion…

La Blanquiada (Blanqueada, était une pulpería (magasin d’alimentation, café, lieu de divertissements). On y jouais aux boules (comme évoqué dans notre tango du jour), mais on y dansait aussi, comme le conte cette histoire.

Les hommes entrèrent gravement et le coureur de jupons se tut.
On arrive toujours à une danse comme si on était à la croisée des chemins du destin.
Trois musiciens ont joué au point culminant de la fête avec flûte, guitare et harpe, un blond, un brun et un noir. (On pourrait penser à Pagés-Pesoa-Maciel, Enrique Maciel étant noir (et était un grand ami du parolier Blomberg, grand et blond).
Les danseurs sont sortis pour la valse, la mazurka et la polka ; et entre les deux, un couple est sorti en dansant autre chose.
C’était un bon couteau (adroit avec le couteau), mais d’un tempérament prudent.
Elle était une femme fardée, améliorant le présent.
Elle s’appelait Flora, (probablement la Flora Parda dont nous avons parlé dans En Lo de Laura) et lui s’appelait Trejo (est-ce Nemesio Trejo qui aurait été âgé de 20 ans ? Je ne le crois pas, mais ce n’est pas impossible, même s’il est plus connu comme parolier et payador que comme danseur) : avec des cortes et des fentes, ils le signaient dans le sol.
Ils ne l’ont pas fait en tant que camarades, et ils l’ont fait sans bonté !
À la fin, ils dansèrent seuls pour contenir la ronde.
Ils dansaient une mesure qui n’était pas pour de maturrangos (mauvais cavaliers), d’habanera avec candombe, de milonga avec fandango.
C’était un dimanche, dans les Corrales quand ils ont inventé le tango.
Francisco García Jiménez étant né en 1899, soit 17 ans après les faits, il ne peut pas en être un témoin direct.

Un autre texte sur la naissance du tango de Miguel Andrés Camino

Je cite donc à la barre, un autre auteur, plus âgé. Miguel Andrés Camino, né à Buenos Aires en 1877. Il aurait donc eu cinq ans, ce qui est un peu jeune, mais il peut avoir eu des informations par des parents témoins de la scène.

El tango par Miguel Andrés Camino

Nació en los Corrales Viejos,
allá por el año ochenta.
Hijo fue de una milonga
y un pesao del arrabal.
Lo apadrinó la corneta
del mayoral del tranvía,
y los duelos a cuchillo
le ensañaron a bailar.
Así en el ocho
y en la sentada,
la media luna,
y el paso atrás
puso el reflejo
de la embestida
y las cuerpeadas
del que la juega
con su puñal.
Después requintó el chambergo
usó melena enrulada, pantalones con trencilla
y botines de charol.
Fondeó en los peringundines,
bodegones y… posadas
y en el cuerpo de las chinas
sus virtudes enroscó.
En la corrida
y el abanico.
el medio corto
y el paso atrás,
puso las curvas
de sus deseos
de mozo guapo
que por la hembra
se hace matar.
También vagó por las calles
con un clavel en la oreja;
Lució botín a lo militar.
Se adueñó del conventillo,
engatusó a las sirvientas
y por él no quedó jeta
que no aprendiera a chiflar.
Y desde entonces
se vio al malevo
preso de honda
sensualidad
robar las curvas
de las caderas,
pechos y piernas
de las chiruzas
de la ciudad.
Y así que los vigilantes
lo espiantaron de la esquina,
se largó pa’ las Uropas,
de donde volvió señor.
Volvió lleno de gomina,
usando traje de cola
y en las murgas y pianolas
hasta los rulos perdió.
Y hoy que es un jaife
tristón y flaco,
que al ir bailando
durmiendo va;
y su tranquito
ya se asemeja
al del matungo
de algún Mateo
que va a largar.

Miguel Andrés Camino

Traduction libre et indications sur le poème de Miguel Andrés Camino

Il est né dans les Corrales Viejos, dans les années quatre-vingt.
Il était le fils d’une milonga et d’un bagarreur des faubourgs.
Il était parrainé par le cor du conducteur du tramway, et les duels au couteau lui apprirent à danser. Ainsi, dans le huit (ocho) et dans la sentada (figure où la femme est assise sur les cuisses de l’homme, voir, par exemple Taquito millitar), la demi-lune et le pas en arrière, le reflet de l’assaut et les attitudes de celui qui la joue avec son poignard.
Il portait des cheveux bouclés, des pantalons tressés et des bottines en cuir verni.
Il a jeté l’ancre dans les bordels, bars et… et dans le corps des femmes faciles, ses vertus s’enroulaient.
Dans la corrida et l’éventail, le demi-corte et le pas en arrière, il a mis les courbes de ses désirs de beau jeune homme qui se fait tuer pour la femelle.
Il traînait aussi dans les rues avec un œillet à l’oreille ; les bottines brillantes comme celles des militaires.
Il s’empara du conventillo (habitation collective pour les pauvres), lutina les servantes, et il n’y avait pas une tasse qu’il n’apprendrait pas à siffler (boire, jeu de mots lourdingue et graveleux).
Et depuis lors, se vit prisonnier le mauvais d’une profonde sensualité a été vu en train de voler les courbes des hanches, des seins et des jambes des chiruzas (femmes vulgaires) de la ville.
Et dès que les gardes l’aperçurent du coin, il se rendit chez les Européens, d’où il revint, monsieur.
Il est revenu plein de gomina, vêtu d’un queue-de-pie et dans les murgas et les pianolas, il a même perdu ses boucles.
Et aujourd’hui, c’est un présomptueux, triste et maigre, qui va danser en dormant ; et son calme ressemble déjà à celui du matungo  (cheval faible ou inutile) d’un Mateo (coche, taxi, à chevaux) qui va partir.

On comprend dans ce poème dont on ne cite généralement que le début qu’il parle du tango qui, né dans les faubourgs bagarreurs, s’est abâtardi en allant en Europe. Cela date donc le poème des années 1910-1920 et si le texte reflète une tradition, voire une légende, il ne peut être utilisé pour avoir une certitude.

Nous sommes bien avancés. Nous avons donc plusieurs textes qui relatent des idées semblables, mais qui ne nous donnent pas l’assurance que le berceau du tango est bien à Parque Patricios, Corrales Viejos.

Faut-il en douter comme Borges qui avait des idées pourtant très semblables à celles de Miguel Andrés Camino ? Peu importe. Cette légende, même si elle est fausse a ensemencé le tango, par exemple El ciruja de De Angelis. On dirait plutôt aujourd’hui El cartoniero. Les cartonieros sont des personnages indissociables des grandes villes argentines. Avec leur charrette à bras chargée de tout ce qu’ils ont trouvé dans les poubelles, ils risquent leur vie au milieu de la circulation trépidante pour déplacer leurs dérisoires trésors vers les lieux de recyclage. Cette communauté souffre beaucoup en ce moment, les restaurants solidaires (soupes populaires) ne reçoivent plus d’aide de l’état et pire, ce dernier laisse se périmer des tonnes de nourritures achetées pour cet usage par le gouvernement précédent.

Espérons que ces personnages miséreux qu’on appelle parfois les grenouilles (ranas), car dans le quartier des bidons, il y avait souvent des inondations et que les habitants faisaient preuve d’imagination et de débrouillardise pour survivre. Grenouille n’est donc pas péjoratif, c’est plutôt l’équivalent de rusé, astucieux. Le Beltrán de notre tango du jour est une décès grenouilles qui s’est transformée en prince charmant, au moins pour une vieille femme, très riche 😉

Je vous présente Beltrán et sa femme. C’est beau l’amour.