Carlos Di Sarli Letra : Héctor Marcó (Héctor Domingo Marcolongo)
Une grande partie des titres composés par Carlos Di Sarli ont des paroles de Héctor Marcó, commeCorazón (le premier titre de leur collaboration), Porteño y bailarín,Nido gaucho, Juan Porteño, En un beso la vida, Rosamel, Bien frappé, et la merveille d’aujourd’hui, La capilla blanca, transcendée par la voix de AlbertoPodestá.
Héctor Marcó écrira les paroles de ce tango à la suite d’une expérience personnelle. Carlos Di Sarli le mettra soigneusement en musique, avec le temps nécessaire pour donner sa mesure à un sujet qui parlait à sa sensibilité. Di Sarli n’était pas un compositeur de l’instant, il savait prendre son temps…
Comme vous le découvrirez à la lecture des paroles si vous ne les connaissiez pas, ce tango pourrait être l’objet d’un fait divers, comme en relatent les journalistes, journalistes auquel ce tango est dédié.
”Existe un gremio que siempre pidió para los demás, y nunca para sí mismo. …Ese gremio, es el de los periodistas. Muy justo entonces que yo lo recuerde con cariño y dedique a todos los periodistas de la Argentina, este tango”. Carlos Di Sarli.
Dédicace inscrite sur la couverture de la partition éditée par Julio Korn.
« Il existe un syndicat qui a toujours demandé pour les autres, et jamais pour lui-même… Ce syndicat c’est celui des journalistes. C’est donc très juste que je m’en souvienne avec affection et que je dédie ce tango à tous les journalistes argentins. » Carlos Di Sarli.
Les propositions légères des violons sont ponctuées de lourds accords du piano de Di Sarli. La tonalité passe du mode majeur au mode mineur à diverses reprises, suggérant des émotions mêlées. À 1:20 la chaleureuse voix de Podestá reprend le motif des violons. Le passage au second thème est signalé par un point d’orgue appuyé. Il déroule ensuite le début des paroles jusqu’à l’ultime note.
Paroles
En la capilla blanca de un pueblo provinciano, muy junto a un arroyuelo de cristal, me hincaban a rezar tus manos… Tus manos que encendían mi corazón de niño. Y al pie de un Santo Cristo, las aguas del cariño me dabas de (a) beber.
Feliz nos vio la luna bajar por la montaña, siguiendo las estrellas, bebiendo entre tus cabras, un ánfora de amor… Y hoy son aves oscuras esas tímidas campanas que doblan a lo lejos el toque de oración. Tu voz murió en el río, y en la capilla blanca, quedó un lugar vacío ¡Vacío como el alma de los dos…!
En la capilla blanca de un pueblo provinciano, muy junto a un arroyuelo de cristal, presiento sollozar tus labios… Y cuando con sus duendes la noche se despierta al pie de Santo Cristo, habrá una rosa muerta, ¡que ruega por los dos!
Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó
Alberto Podestá et Mario Pomar chantent seulement ce qui est en gras.
Traduction libre
Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, tes mains m’ont agenouillées pour prier… Tes mains qui ont illuminé mon cœur d’enfant. Et au pied d’un Saint Christ, tu m’as donné à boire les eaux de l’affection. La lune nous a vus descendre heureux de la montagne, suivant les étoiles, buvant parmi tes chèvres, une amphore d’amour… Et aujourd’hui, ce sont des oiseaux obscurs, ces cloches timides qui sonnent au loin l’appel à la prière. Ta voix s’est éteinte dans la rivière, et dans la chapelle blanche, une place vide a été laissée. Vide comme l’âme des deux… ! Dans la chapelle blanche d’un village provincial, tout près d’un ruisseau de cristal, je sens tes lèvres sangloter… Et quand avec ses duendes (sorte de gnomes, lutins de la mythologie argentine) la nuit se réveillera au pied du Saint Christ, il y aura une rose morte, Priez pour nous deux !
Comme vous l’aurez noté, les paroles ont une connotation religieuse marquée. C’est assez courant dans le tango, l’Argentine n’ayant pas la séparation de l’église et de l’état comme cela peut se faire en France et la religion, les religions sont beaucoup plus présentes. Par ailleurs, Di Sarli était religieux et donc ce type de traitement du sujet n’était pas pour lui déplaire.
Autres versions
C’est notre tango du jour et probablement la version de référence pour ce titre. Podesta ne chante que les premiers couplets.
J’aime beaucoup Mario Pomar. Cette version est suffisamment différente de celle de 1944 pour avoir tout son intérêt. Son tempo est plus lent, plus majestueux. Je peux passer indifféremment, selon les circonstances, l’une ou l’autre de ces versions.
Comment dire. Rufino qui a fait de si belles choses avec Di Sarli aurait peut-être pu se dispenser de cet enregistrement. Même pour l’écoute, je ne le trouve pas satisfaisant, mais je peux me tromper.
La capilla blanca 1973 – Alberto Podestá accomp. Orquesta de Leopoldo Federico. Podestá enregistre de nouveau son grand succès. Ici, avec l’orchestre suave et discret de Leopoldo Federico.
Podestá accompagné par Federico nous propose une autre version encore plus lente.
Pepe Libertella, le leader du Sexteto Mayor propose cette version de notre tango du jour. Adalberto Perazzo chante tous les couplets, y compris la triste fin.
Dans son interprétation au piano, Pablo Montanelli fait ressortir le rythme de habanera à la main gauche.
L’illustration de couverture
Une chapelle blanche au bord d’une rivière, ça ne se trouve pas si facilement. J’ai pensé délirer à partir de la création de Le Corbusier, Notre dame du haut à Ronchamp.
Premier jet que je n’ai pas continué, la chapelle aussi magnifique soit elle ne me paraît pas pouvoir convenir et je ne voyais pas comment l’intégrer avec une rivière qui aurait détruit la pureté de ses lignes.
J’ai pensé ensuite à différentes petites églises vues du côté de Salta ou Jujuy, comme l’église San José de Cachi dont j’adore le graphisme épuré.
Cette église a également les trois cloches, comme sur la partition éditée par Julio Korn. Cependant, cela fait trop église et pas assez chapelle. Trois cloches pour une chapelle, c’est trop, même si cela a peut-être été validé par Di Sarli et Marcó comme on l’a vu sur la partition éditée par Jules Korn. Je pense que j’aurais pu en faire un truc intéressant, type art déco ou autre stylisation. Une autre candidate aurait pu être la chapelle mystérieuse de Rio Blanco. Elle est assez proche du Rio Rosario. Je vous la laisse découvrir en suivant ce lien… J’ai finalement opté pour l’image que j’ai choisie. Un paysage romantique, situé quelque part dans les Andes. Pourquoi les Andes, je ne sais pas. Sans doute que c’est, car il y a mes paysages préférés d’Argentine. Et puis le texte parle de montagne, alors, autant en choisir de belles… La montagne a été constituée à partir d’éléments pris dans les Andes, dont le merveilleux pic de El Chalten, la montagne qui fume. La chapelle est en fait un ermitage dédié à la Virgen de Fátima en Asturies (Espagne). Ce n’est pas couleur locale, mais c’est la même église que José María Otero a utilisée pour son texte sur ce tango. Pour donner un effet romantique, l’eau est en pose longue et j’ai joué d’effets dans Photoshop, pour la lumière et l’aspect vaporeux. Je trouve que le résultat, avec sa rivière meurtrière et ce contre-jour dévoilant des ombres inquiétantes, exprime bien ce que je ressens à la lecture du texte de Héctor Marcó.
Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein
Curieusement, Osmar Maderna ne semble pas avoir enregistré ce titre qu’il a composé. Pourtant, dans la version de Caló, on reconnaît bien son orchestration. Si on creuse un peu la question, on se rend compte qu’il l’a enregistré, comme pianiste de Miguel Caló et entouré des musiciens exceptionnels de cet orchestre. Il était difficile de faire mieux pour mettre en musique un de plus beaux poèmes d’amour du tango.
Les musiciens de Miguel Caló
Piano : Osmar Maderna. Son style délicat et simple cadre parfaitement avec la merveilleuse déclaration d’amour que constitue ce tango. Le bon homme à la bonne place, d’autant plus qu’il est l’auteur de la musique… Bandonéons : Domingo Federico, Armando Pontier, José Cambareri (le mage du bandonéon et sa virtuosité époustouflante) et Felipe Ricciardi. Violons : Enrique Francini, Aquiles Aguilar, Ariol Ghesaghi et Angel Bodas. Contrebasse : Ariel Pedernera, dont nous avons entendu la version mutilée de 9 de Julio hier…
Extrait musical
Face A du disque San souci
Comme il n’y a pas d’autres enregistrements de notre tango du jour, je vous propose la face A du disque où a été gravé En tus ojos de cielo. Il s’agit de San souci de Enrique Delfino. Ce titre a été enregistré trois jours plus tôt, le vendredi 7 juillet 1944.
Pour ceux qui aiment faire des tandas mixtes, il est envisageable de passer les deux faces du disque dans la même tanda. En effet, dans une milonga courte (5 heures), on passe rarement deux tandas de Calo. Pour éviter d’avoir à choisir entre instrumental et chanté, on peut commencer par deux titres chantés, puis terminer par deux titres instrumentaux. Les titres instrumentaux sont souvent un peu plus toniques ce qui justifie de les placer à la fin. Par ailleurs, ils sont aussi un peu plus intéressants pour la danse avec certains orchestres, car l’orchestre est plus libre, n’étant pas au service du chanteur. Bien sûr, ce n’est pas une règle et chaque association doit se faire en fonction du moment et des danseurs. On peut même envisager une tanda instrumentale tonique qui termine de façon plus romantique, par exemple en fin de milonga.
Paroles
Je trouve que c’est un magnifique poème d’amour. Luis Rubistein a fait ici une œuvre splendide.
Como una piedra tirada en el camino, era mi vida, sin ternuras y sin fe, pero una noche Dios te trajo a mi destino y entonces con tu embrujo me desperté… Eras un sueño de estrellas y luceros, eras un ángel con perfume celestial. Ahora sólo soy feliz porque te quiero y en tus ojos olvidé mi viejo mal…
En tus ojos de cielo, sueño un mundo mejor. En tus ojos de cielo que son mi desvelo, mi pena y mi amor. En tus ojos de cielo, azulada canción, tengo mi alma perdida, pupilas dormidas en mi corazón…
Vos dijiste que, al fin, la vida es buena cuando un cariño nos embruja el corazón, con tu ternura, luz de sombra para mi pena, mi sombra ya no es sombra porque es canción… Sólo me resta decir ¡bendita seas!, alma de mi alma, esperanza y realidad. Ya nunca ha de arrancarme de tus brazos, porque en ellos hay amor, luz y verdad…
Osmar Maderna (Osmar Héctor Maderna) Letra: Luis Rubistein
Traduction libre
Comme une pierre jetée sur le chemin était ma vie, sans tendresse et sans foi, mais une nuit Dieu t’a conduite à mon destin et depuis avec ton sortilège je me suis réveillé… Tu étais un rêve d’étoiles et d’astres (lucero peut parler de Vénus et des astres plus brillants que la moyenne), tu étais un ange au parfum céleste. Maintenant seulement, je suis heureux parce que je t’aime et que dans tes yeux j’ai oublié mon ancien mal… Dans tes yeux de ciel, je rêve d’un monde meilleur. Dans tes yeux de ciel, qui sont mes insomnies, ma peine et mon amour. Dans tes yeux de ciel, une chanson bleue, j’ai mon âme perdue, des pupilles endormies dans mon cœur… Tu as dit que, finalement, la vie est bonne quand l’affection envoûte nos cœurs, avec ta tendresse, lumière d’ombre pour mon chagrin, mon ombre désormais n’est plus une ombre, car c’est une chanson… Il ne me reste plus qu’à dire « que tu sois bénie ! », âme de mon âme, espérance et réalité. Maintenant, rien ne m’arrachera jamais de tes bras, parce qu’en eux il y a l’amour, la lumière et la vérité…
Dans ses yeux
Les yeux bleus
Les yeux des femmes sont un sujet de choix pour les tangos. Ici, ils sont le paradis pour l’homme qui s’y abîme. On retrouve le même thème chez Francisco Bohigas dans El cielo en tus ojos
El cielo en tus ojos yo vi amada mía, y desde ese día en tu amor confié, el cielo en tus ojos me habló de alegrías, me habló de ternuras me dió valentías, el cielo en tus ojos rehizo mi ser.
Francisco Bohigas, El cielo en tus ojos
Le ciel dans tes yeux, je l’ai vu ma bien-aimée, et à partir de ce jour-là j’ai fait confiance en ton amour, le ciel dans tes yeux m’a parlé de joie, il m’a parlé de tendresse, il m’a donné du courage, le ciel dans tes yeux a refait mon être.
Pour d’autres, comme Homero Expósito, les yeux fussent-il couleur de ciel, ne suffisent pas à le retenir auprès de la femme :
Eran sus ojos de cielo el ancla más linda que ataba mis sueños; era mi amor, pero un día se fue de mis cosas y entró a ser recuerdo.
Qué me van a hablar de amor – Homero Expósito
Ses yeux de ciel étaient l’ancre la plus belle qui liait mes rêves ; elle était mon amour, mais un jour, elle s’en fut de mes affaires et est devenue un souvenir.
Les autres couleurs d’yeux et en particulier les noirs
Je n’ai évoqué que très brièvement, les yeux bleus, couleur apportée par les colons européens, notamment Italiens, Français et d’Europe de l’Est, mais il y a des textes sur toutes les couleurs, même si les yeux noirs sont sans doute majoritaires…
Tus ojos de trigo (blé) dans Tu casa ya no está de Virgilio et son frère Homero Expósito, valse enregistrée par Osvaldo Pugliese avec Roberto Chanel en 1944.
Ojos verdes (tango par Juan Canaro) et vals par Humberto Canaro Letra: Alfredo Defilpo (superbe dans son interprétation par Francisco Canaro et Francisco Amor, ainsi qu’une autre valse par Manuel López, Quiroga Miquel Letra: Salvador Federico Valverde; Rafael de León; Arias de Saavedra.
Tus ojos de azúcar quemada (sucre brûlé) de Pedacito de Cielo de Homero Expósito, valse enregistrée par divers orchestres dont Troilo avec Fiorentino en 1942. Et la longue liste des yeux noirs, rien que dans le titre…
Dos ojos negros de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Diego Arzeno Ojos negros d’après un air russe repris par Vicente Greco et des paroles de José Arolas (frère aîné de Eduardo) et d’autres de Pedro Numa Córdoba, mais aussi par Rosita Montemar (musique et paroles)
Ojos negros que fascinan de Manuel Salina Letra: Florián Rey.
Muchachita de ojos negro de Tito Insausti
Por unos ojos negros de José Dames Letra: Horacio Sanguinetti.
Tus ojos negros (valse) de Osvaldo Adriani (parolier inconnu)
Yo vendo unos ojos negros de Pablo Ara Lucena très connu dans l’interprétation de Mercedes Simone con Juan Carlos Cambon y Su Orquesta mais qui est tiré d’une tonada chilena (chanson chilienne) dont une belle version a été enregistrée par Moreyra – Canale y su Conjunto Criollo avec des arrangements de Félix Villa.
Et un petit coup d’œil aux origines du tango
Ces histoires d’yeux m’ont fait penser à l’œil noir de Carmen, la reine de la habanera de Georges Bizet (Un œil noir te regarde…). Mais non, je ne me suis pas perdu loin du tango. Bizet a écrit Carmen pour flatter la femme de Napoléon III d’origine espagnole (Eugenia de Montijo, Guzman). Dans son opéra, il y a une célèbre habanera (Près des remparts de Séville), rythme qui est fréquent dans les anciens tangos, les milongas et la musique de Piazzolla, car ne l’oublions pas, le premier tango est d’origine espagnole.
Le tango est en effet né dans les théâtres et pas dans les bordels et son inspiration est andalouse. La zarzuela (sorte d’opéra du sud de l’Espagne mêlant chant, jeu d’acteur et danse) comportait différents rythmes dont la séguedille (que l’on retrouve dans Carmen dans Près des remparts de Séville) et la habanera. Les musiciens, qu’ils soient français ou espagnols, connaissaient donc ces musiques. En 1857 pour le spectacle (une sorte de zarzuela) El gaucho de Buenos Aires O todos rabian por casarse de Estanislao del Campo, Santiago Ramos, un musicien espagnol a écrit Tomá mate, che. Nous n’avons évidemment pas d’enregistrement de l’époque, mais il y en a deux de 1951 qui reprennent la musique avec des adaptations et un titre légèrement différent. Je vous les propose :
Évidemment, presque un siècle après l’écriture, il est certain que les arrangements de Canaro ont modifié la composition originale, mais je suis content de vous avoir présenté le tango au berceau.
D’autres candidats comme Bartolo tenía una fluta, dont on n’a, semble-t-il, pas de trace, mais qui est évoqué dans un certain nombre de titres comme Bartolo toca la flauta (ranchera) Che Bartolo (tango) ou La flauta de Bartolo (milonga) l’ont suivi. Je citerai également El queco (bordel en lunfardo d’origine quechua) de la pianiste andalouse Heloise de Silva et dont le titre originel était Kico (diminutif de Francisco. Le clarinettiste Lino Galeano l’a adapté à l’air du temps en changeant Kico pour Queco, avec des paroles vulgaires. Le titre originel invitait Kico à danser, le nouveau texte est bien moins élégant, l’invitation n’est pas à danser. On arrive donc au bordel, mais on est en 1874. Quoi qu’il en soit, Queco a obtenu du succès et fut l’un des tout premiers tangos à être largement diffusé et qui confirme les origines andalouses du tango. Je n’oublie pas l’origine « candombéenne », on reparlera un jour de El Negro Schicoba composé en 1866 par José María Palazuelos et interprété pour la première fois par Germán Mackay avec ses paroles le 24 mai 1867.
1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 – 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
Le 9 juillet pour les Argentins, c’est le 4 juillet des Étasuniens d’Amérique, le 14 juillet des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle commémore l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padula était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la signature de la Déclaration d’indépendance a été effectuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juillet 1816.
Padula prétend avoir écrit ce tango en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre particulier et qu’il a décidé de le dédier au 9 juillet dont on allait fêter le centenaire en 1916. Difficile de vérifier ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Roberto Firpo l’a enregistrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des signataires (argentins) du traité.
Extrait musical
Dès les premières notes, on note la truculence du tuba et l’ambiance festive que crée cet instrument. J’ai choisi cette version pour fêter le 9 juillet, car il n’existait pas d’enregistrement intéressant du 9 juillet. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt animer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre raison est que le tuba est associé à la fanfare, au défilé et que donc, il me semblait adapté à l’occasion. Et la dernière raison et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est donné pour mission de retrouver la joie des versions du début du vingtième siècle. Je trouve qu’il y répond parfaitement et vous pouvez lui donner un coup de pouce en achetant pour un prix modique ses albums sur Bandcamp.
Paroles
Vous avez sans doute remarqué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait quatre versions. C’est beaucoup pour un titre qui a surtout été enregistré de façon instrumentale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, différents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et toucher les droits afférents. Dans le cas présent, les héritiers de Padula ont fait un procès, preuve que les histoires de sous existent aussi dans le monde du tango. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redistribution aux héritiers de Padula était d’autant diminuée. Je vous propose de retrouver les paroles en fin d’article pour aborder maintenant les 29 versions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pourront suivre les paroles des rares versions chantées avec la transcription correspondante en la trouvant à la fin.
Autres versions
On y entend les cris de joie des signataires, des espèces de roucoulements que je trouve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de manifester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, malgré son antiquité, est particulièrement réussie et on ne ressent pas vraiment l’impression de monotonie des très vieux enregistrements. On entend un peu de cuivres, cuivres qui sont totalement à l’honneur dans notre tango du jour avec La Tuba Tango.
Encore Firpo qui nous livre une autre belle version ancienne une décennie après la précédente. L’enregistrement électrique améliore sensiblement le confort d’écoute.
Vous aurez reconnu les guitaristes de Gardel. Cet enregistrement a été réalisé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les guitaristes sans la voix de leur « maître ». Cela permet de constater la qualité de leur jeu.
Je trouve cette version un peu pesante malgré les beaux accents du piano de Luis Riccardi. C’est un titre à réserver aux amateurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière variation plus allègre voit les bandonéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ainsi…
Le décès à seulement 38 ans de Luis Petrucelli l’a certainement privé de la renommée qu’il méritait. Il était un excellent bandonéoniste, mais aussi, comme en témoigne cet enregistrement, un excellent chef d’orchestre. Je précise toutefois qu’il n’a pas enregistré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent consacrées à sa carrière de bandonéoniste, notamment pour Fresedo.
Magaldi n’appréciant pas les paroles de Eugenio Cárdenas fit réaliser une version par Lito Bayardo.
Famá chante le premier couplet de Bayardo.
C’est une des versions les plus connues, véritable star des milongas. L’impression d’accélération continue est sans doute une des clefs de son succès.
Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colección para entendidos – Época de oro vol. 6 (1926-1939). Charlo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les guitaristes de Gardel qui ont enregistré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octobre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Charlo enregistrait comme chanteur avec ses guitaristes Divagando, No hay tierra como la mía, Solamente tú et un autre titre accordéon et guitare sans chant, la valse Añorando mi tierra. On trouve d’autres titres sous la mention Charlo avec accordéon et guitare. La cumparsita et Recuerdos de mi infancia le 12 septembre 1939, Pinta brava, Don Juan, Ausencia et La polca del renguito le 8 novembre 1940. Il faut donc certainement en conclure que Charlo jouait aussi de l’accordéon. Pour le prouver, je verserai au dossier, une version étonnante de La cumparsita qu’il a enregistrée en duo avec Sabina Olmos avec un accordéon soliste, probablement lui…
Une jolie version avec une magnifique variation finale. On notera l’annonce, une pratique courante à l’époque où un locuteur annonçait les titres.
D’Arienzo nous donne une autre version. Il y a de jolis passages, mais je trouve que c’est un peu plus confus que la version de 1935 qui devrait être plus satisfaisante pour les danseurs. Fulvio Salamanca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est généralement l’épine dorsale de D’Arienzo.
Chez De Angelis, le piano est aussi essentiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de donner son interprétation magnifique, secondé par ses excellents violonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Angelis, ce titre pourrait les faire changer d’avis.
Varela nous propose une introduction originale.
Une version sans doute pas évidente à danser.
Une belle version, malheureusement cette copie a été massacrée par le « collectionneur ». J’espère trouver un disque pour vous proposer une version correcte en milonga, car ce thème le mérite largement.
Pour l’écoute, bien sûr, mais des passages très sympas
Pugliese a mis un peu de temps à enregistrer sa version du thème. C’est une superbe réalisation, mais qui alterne des passages sans doute trop variés pour les danseurs, mais je suis sûr que certains seront tentés par l’expérience.
Une version tranquille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le contrepoint entre le bandonéon en staccato et les violons en legato est particulièrement réussi.
Alberto Marino chante les paroles de Eugenio Cárdenas. Ce n’est bien sûr pas une version pour la danse.
Une version bien connue par D’Arienzo, dans le style souvent proposé par les orchestres contemporains. Spectaculaire, mais, y-a-t-il un mais ?
Second OVNI du jour, cette ranchera-Pericón nacional avec ses flonflons, bien propice à faire la fête. Peut-être une cortina pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).
Une version virtuose et enthousiasmante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tanda de Cambareri… Si cela semble lent pour du Cambareri, attendez la variation finale et vous comprendrez pourquoi Cambareri était nommé le mage du bandonéon.
Une version originale, mais pas forcément indispensable, malgré le beau bandonéon d’Armando Pontier.
Même si la Provincia Orientale tombait en 1916 sous la coupe du Portugal / Brésil, les Uruguayens sont sensibles à l’émancipation d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aussi proposé leurs versions du 9 juillet.
Avec un trio, forcément, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au programme.
Dans le style hésitant de Villasboas entre tango et milonga qu’affectionnent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tango avait été inventé par un indécis…
L’autre jour, au sujet de La rosarina 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait apprécié la version en duo de piano de Villasboas et Wáshington. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.
Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux versions :
Cet orchestre original par la présence du tuba et sa volonté de retrouver l’ambiance du tango des années 1900 a été créé par Guillermo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tango du jour qui est désormais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tango au lieu du nom original de Los Tubatango.
C’est notre tango du jour. Les musiciens en sont : Ignacio Risso (tuba), Matias Rullo (bandonéon), Gonzalo Braz (clarinette) et Lucas Kohan (Direction et guitare).
Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facilement deux fois plus longue montre la diversité de la production du tango. En ce qui concerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remarqué que d’autres étaient aussi intéressants pour le bal. La question est surtout de savoir les proposer au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du métier de DJ. Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres inconnus et étranges afin de recueillir les applaudissements des néophytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant prendre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à magnifier leur improvisation et leur plaisir de danser.
Je reviens maintenant, comme promis aux quatre versions des paroles…
Paroles de Lito Bayardo (1931)
Sin un solo adiós dejé mi hogar cuando partí porque jamás quise sentir un sollozar por mí. Triste amanecer que nunca más he de olvidar hoy para qué rememorar todo lo que sufrí.
Lejano Nueve de Julio de una mañana divina mi corazón siempre fiel quiso cantar y por el mundo poder peregrinar, infatigable vagar de soñador marchando en pos del ideal con todo amor hasta que al fin dejé mi madre y el querer de la mujer que adoré.
Yo me prometi lleno de gloria regresar para podérsela brindar a quien yo más amé y al retornar triste, vencido y sin fe no hallé mi amor ni hallé mi hogar y con dolor lloré.
Cual vagabundo cargado de pena yo llevo en el alma la desilusión y desde entonces así me condena la angustia infinita de mi corazón ¡Qué puedo hacer si ya mis horas de alegría también se fueron desde aquel día que con las glorias de mis triunfos yo soñara, sueños lejanos de mi loca juventud!
José Luis Padula Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)
C’est la version que chante Magaldi, vu qu’il l’a demandé à Bayardo… Famá, chante également cette version, mais seulement le premier couplet.
Traduction libre des paroles de Lito Bayardo
Sans un seul au revoir, j’ai quitté ma maison quand je suis parti parce que je ne voulais jamais ressentir un sanglot pour moi. Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se souvienne de tout ce que j’ai souffert. Lointain 9 juillet, d’un matin divin, mon cœur toujours fidèle a voulu chanter et à travers le monde faire le pèlerinage, infatigable errance d’un rêveur marchant à la poursuite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais. Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pouvoir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vaincu et sans foi je n’ai pas trouvé mon amour ni ma maison et avec douleur j’ai pleuré. Comme un vagabond accablé de chagrin, je porte la déception dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me condamne. Que pourrais-je faire si mes heures de joie sont déjà parties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes triomphes, rêves lointains de ma folle jeunesse ?
Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)
De un conventillo mugriento y fulero, con un canflinfero te espiantaste vos ; abandonaste a tus pobres viejos que siempre te daban consejos de Dios; abandonaste a tus pobres hermanos, ¡tus hermanitos, que te querían! Abandonastes el negro laburo donde ganabas el pan con honor.
Y te espiantaste una noche escabullida en el coche donde esperaba el bacán; todo, todo el conventillo por tu espiante ha sollozado, mientras que vos te has mezclado a las farras del gotán; ¡a dónde has ido a parar! pobrecita milonguera que soñaste con la gloria de tener un buen bulín; pobre pebeta inocente que engrupida por la farra, te metiste con la barra que vive en el cafetín.
Tal vez mañana, piadoso, un hospital te dé cama, cuando no brille tu fama en el salón; cuando en el « yiro » no hagas más « sport »; cuando se canse el cafisio de tu amor ; y te espiante rechiflado del bulín; cuando te den el « olivo » los que hoy tanto te aplauden en el gran cafetín.
Entonces, triste con tu decadencia, perdida tu esencia, tu amor, tu champagne ; sólo el recuerdo quedará en tu vida de aquella perdida gloria del gotán; y entonces, ¡pobre!, con lágrimas puras, tus amarguras derramarás; y sentirás en tu noche enfermiza, la ingrata risa del primer bacán.
José Luis Padula Letra: Ricardo M. Llanes
Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes
D’un immeuble (le conventillo est un système d’habitation pour les pauvres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un corridor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un proxénète, tu t’es enfuie ; tu as abandonné tes pauvres parents qui t’ont toujours prodigué des conseils de Dieu ; Tu as abandonné tes pauvres frères, tes petits frères, qui t’aimaient ! Tu as abandonné le travail noir où tu gagnais ton pain avec honneur. Et tu t’es enfuie une nuit en te faufilant dans la voiture où le bacán (homme qui entretient une femme) attendait ; Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a sangloté, tandis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tango) ; Mais où vas-tu t’arrêter ? Pauvre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ; Pauvre fille innocente qui, enflée par la fête, s’est acoquinée avec la bande qui vit dans le café. Peut-être que demain, pieusement, un hôpital te donnera un lit, quand ta renommée ne brillera pas dans ce salon ; quand dans le « yiro » (prostitution) vous ne faites plus de « sport » ; quand le voyou de ton amour se fatigue ; et tu t’évades folle du logis ; Quand ils te renvoient (dar el olivo = renvoyer en lunfardo), ceux qui vous applaudissent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín. Puis, triste avec ta décadence, perte de ton essence, de ton amour, de ton champagne ; Seul le souvenir de cette perte restera dans ta vie Gloire du Gotan ; et alors, pauvre créature, avec des larmes pures, ton amertume tu déverseras ; Et tu sentiras dans ta nuit maladive, le rire ingrat du premier Bacán.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Mientras los clarines tocan diana y el vibrar de las campanas repercute en los confines, mil recuerdos a los pechos los inflama la alegría por la gloria de este día que nunca se ha de olvidar. Deja, con su música, el pampero sobre los patrios aleros una belleza que encanta. Y al conjuro de sus notas las campiñas se levantan saludando, reverentes, al sol de la Libertad.
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
C’est la version chantée par Alberto Marino en 1964.
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)
Tandis que les clairons sonnent le réveil et que la vibration des cloches résonne aux confins, mille souvenirs enflamment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié. Avec sa musique, le pampero laisse sur les patriotes alliés une beauté qui enchante. Et sous le charme de ses notes, la campagne se lève avec révérence, au soleil de la Liberté. L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, lorsque les enfants de ce sol américain pour une cause juste ont démontré leur courage.
Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Hoy siento en mí el despertar de algo feliz. Quiero evocar aquel ayer que me brindó placer, pues no he de olvidar cuando tembló mi corazón al escuchar, con emoción, esta feliz canción:
Brota, majestuoso, el Himno de todo labio argentino. Y las almas tremulantes de emoción, a la Patria sólo saben bendecir mientras los ecos repiten la canción que dos genios han legado al porvenir. Que la hermosa canción por siempre vivirá al calor del corazón.
En los ranchos hay un revivir de mocedad; los criollos ven en su pasión todo el amor llegar. Por las huellas van llenos de fe y de ilusión, los gauchos que oí cantar al resplandor lunar.
Los campos están de fiesta y por la floresta el sol se derrama, y a sus destellos de mágicas lumbres, el llano y la cumbre se envuelven de llamas. Mientras que un criollo patriarcal narra las horas de las campañas libertadoras, cuando los hijos de este suelo americano por justa causa demostraron su valor.
José Luis Padula Letra: Eugenio Cárdenas
Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)
Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux. Je veux évoquer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oublier quand mon cœur a tremblé quand j’ai entendu, avec émotion, cette chanson joyeuse : L’hymne de chaque lèvre argentine germe, majestueux. Et les âmes, tremblantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tandis que les échos répètent le chant que deux génies ont légué à l’avenir. Que la belle chanson vivra à jamais dans la chaleur du cœur. Dans les baraques (maison sommaire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ; Les Criollos voient dans leur passion tout l’amour arriver. Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gauchos que j’ai entendus chanter au clair de lune. Les campagnes sont en fête et le soleil se déverse à travers la forêt, et avec ses éclairs de feux magiques, la plaine et le sommet sont enveloppés de flammes. Tandis qu’un criollo patriarcal raconte les heures des campagnes de libération, quand les enfants de ce sol américain pour une juste cause ont démontré leur courage.
Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein
Nous avons vu il y a peu Un tango y nada másoù j’évoquais l’existence d’une vingtaine de tango contenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arienzo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils marquent des points, beaucoup de points.
Extrait musical
La musique se déroule en parties s’opposant, de passages martelés (bandonéons et piano) et d’autres ondoyants (violons). La voix de Echagüe se lance, pour un court passage, le refrain, en totale harmonie avec la musique qui continue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organisation jusqu’à la fin. Une version pour danseurs. On notera que les petites accentuations du piano sont un peu plus discrètes que dans les dernières versions avec Biagi au piano. Juan Polito est en train de trouver ses marques pour succéder aux mains sorcières de Rodolfo Biagi.
Paroles
No quiero nada, nada más que no me dejes, frente a frente, con la vida. Me moriré si me dejás por qué sin vos no he de saber vivir.
Y no te pido más que eso, que no me dejes sucumbir, te lo suplico por Dios no me quites el calor de tu cariño y tus besos, que, si me falta la luz de tu mirar, que es mi sol, será mi vida una cruz.
Cuánta nieve habrá en mi vida sin el fuego de tus ojos! Y mi alma, ya perdida, sangrando por la herida, se dejará morir, y en la cruz de mis anhelos llenaré de brumas mi alma, morirá el azul del cielo, sobre mi desvelo viéndote partir.
No quiero nada, nada más que la mentira de tu amor, como limosna. ¿Qué voy a hacer si me dejás con el vacío de mi decepción? No te vayas te lo ruego, no destroces mi corazón, si no lo hacés por amor hacelo por compasión pero por Dios no me dejés jamás te molestaré, seré una sombra a tus pies, tirada en algún rincón.
Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra: Luis Rubistein
Echagüe ne chante que le refrain (en gras). Roberto Maida chante ce qui est en bleu. Ada Falcón chante tout et termine en reprenant le refrain (en gras).
Traduction libre
Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laisses pas face à face avec la vie. Je mourrai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre. Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laisser succomber, je te supplie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’enlever la chaleur de ton affection et de tes baisers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix. Combien de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux ! Et mon âme, déjà perdue, saignant de la blessure, se laissera mourir, et sur la croix de mes désirs je remplirai mon âme de brouillards, le bleu du ciel mourra, sur mon insomnie en te regardant partir. Je ne veux rien, rien de plus que le mensonge de ton amour, comme une aumône. Que vais-je faire si tu me laisses avec le vide de ma déception ? Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de Jacques Brel), je t’en supplie, ne détruis pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par compassion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.
Paroles de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]
Une première version de la musique a été associée à des paroles, également de Rubinstein à la gloire de Alfredo Callejas surnommé « El Tigre » qui était un jockey fameux de l’hippodrome de Palermo (Buenos Aires). Son fils également prénommé Alfredo a repris sa carrière comme entraîneur et quitta l’Argentine en 1977 pour aller s’occuper des chevaux de son compatriote Robert Pérez à New York (USA). Le petit fils d’Alfredo et fils d’Alfredo, Bernardo a suivi le même chemin et a un élevage de chevaux à Belmont (USA). Les paroles évoquent Blandengues. Il me semble qu’il s’agit d’un lieu situé à Barracas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jockey et entraîneur. Le nom est également celui d’un régiment argentin créé au 18e siècle et dissous au 19e (notons qu’un régiment de ce nom existe toujours en Uruguay). Il est donc peu probable que Alfredo soit réellement un membre de Blandengues. je propose plutôt d’y voir un hommage historique, ce jockey rejoignant les illustres défenseurs de la patrie (contre les peuples premiers), ou tout simplement son lieu d’origine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu particulièrement propice aux exploits équestres et au tango, d’autant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces propices à ces exercices. Aujourd’hui encore, un grand parc subsiste, El parque Leonardo Pereyra.
Sos de Blandengues el mejor Y no hay quién tenga tu muñeca pa’ tallar, Ni se conoce un cuidador Con más carpeta pa’ poder ganar.
Y de Blandengues sos el mago Que ha conquistado más halagos, « Tigre » Callejas, no hay qué hacerle Se impone tu muñeca de gran « compositor ».
Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein
Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]
Tu es de Blandengues le meilleur et il n’y a personne qui a ton poignet pour dominer (tallar n’est pas à prendre dans le sens de tailler, mais de dominer, c’est du lunfardo), ni aucun soigneur connu avec plus d’habileté (carpeta en lunfardo) pour pouvoir gagner. Et de Blandengues vous êtes le magicien qui a conquis le plus d’éloges, « Tigre » Callejas, il n’y a rien à faire, votre talent (muñeca en lunfardo = habileté) de grand « compositeur » s’impose (un compositor en lunfardo est un préparateur de chevaux de course).
Autres versions
D’Arienzo et Rubinstein avaient déjà utilisé cette même musique sous le titre Callejas solo. Vous reconnaîtrez sans peine l’air, même si l’interprétation est extrêmement différente. Heureusement que Carlos Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet enregistrement.
Même si cette version instrumentale a été publiée sous le titre de Callejas Solo, la douceur de son interprétation semble plus adaptée aux nouvelles paroles, celle de Nada más. La version française serait donc un précurseur des futures versions.
On remarque tout de suite que l’interprétation de Canaro est plus suave. Maida chante d’une voix caressante. On est aux antipodes de la version de D’Arienzo. Deux ambiances pour deux moments distincts de la milonga. Les deux sont parfaits pour la danse.
Un mois plus tard, Canaro enregistre avec sa chérie, Ada Falcón une version à écouter. C’est absolument clair. L’orchestre introduit directement le chant, puis par la suite ne sert que de ponctuation. Ada chante quasiment a capella. C’est une version très étonnante, mais passionnante.
Je suis sûr qu’aucun danseur n’échangera la version de D’Arienzo avec Echagüe avec celle interprétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’émotion d’Ada Falcón.
Treize ans plus tard, D’Arienzo enregistre sa troisième version du titre avec Mercedes Serrano. Il l’enregistrera même deux fois avec elle. Je trouve que la version avec Mercedes Serrano en 1971 est bien plus intéressante que celle avec Jorge Valdez.
Pour terminer la liste des versions, je vous propose un autre enregistrement, par les mêmes. Il s’agit d’une version enregistrée dans l’émission El Tango del Millón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été colorisée par Pablo Ramos qui effectue un travail formidable, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Compás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui remplaça, à mon avis très efficacement, Jorge Valdez.
Juan D’Arienzo con Mercedes Serrano. 1971 ou 1975.
Et Jacques Brel, dans l’affaire ?
La photo de couverture a sans doute étonné certains, je vous dois une explication, que vous avez peut-être déjà devinée en prenant connaissance des paroles. Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pouvait être une référence au jockey Callejas, mais à cause des paroles de sa chanson immortelle « Ne me quitte pas ».
En effet, elle se termine par :
« Laisse-moi devenir L’ombre de ton ombre L’ombre de ta main L’ombre de ton chien »
Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.
Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubinstein :
“jamás te molestaré, seré una sombra a tus pies, tirada en algún rincón.”
Luis Rubistein, fin des paroles de Nada más.
L’idée d’être l’ombre de l’autre est une image intrigante, peut-être même inquiétante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique sombre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la question. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’oubliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais auparavant, délectez-vous de la chanson de Jacques Brel.
Hugo Gutiérrez et Homero Manzi ont réalisé avec ce tango le difficile exercice de parler de la mort avec une émotion rarement atteinte dans le tango, sans être oppressants. La version de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tango du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à mettre en avant ce titre qui a à son service quelques-unes de plus belles interprétations du répertoire, de plus avec une grande variété. Entrons dans cette pensée triste qui se danse.
Extrait musical
Paroles
Después … La luna en sangre y tu emoción, y el anticipo del final en un oscuro nubarrón. Luego … irremediablemente, tus ojos tan ausentes llorando sin dolor. Y después… La noche enorme en el cristal, y tu fatiga de vivir y mi deseo de luchar. Luego… tu piel como de nieve, y en una ausencia leve tu pálido final.
Todo retorna del recuerdo: tu pena y tu silencio, tu angustia y tu misterio. Todo se abisma en el pasado: tu nombre repetido… tu duda y tu cansancio. Sombra más fuerte que la muerte, grito perdido en el olvido, paso que vuelve del fracaso canción hecha pedazos que aún es canción.
Después … vendrá el olvido o no vendrá y mentiré para reír y mentiré para llorar. Torpe fantasma del pasado bailando en el tinglado tal vez para olvidar. Y después, en el silencio de tu voz, se hará un dolor de soledad y gritaré para vivir… como si huyera del recuerdo en arrepentimiento para poder morir.
Hugo Gutiérrez Letra: Homero Manzi
Traduction libre
Après… La lune en sang et ton émotion, et l’anticipation de la fin dans un nuage sombre. Plus tard… irrémédiablement, tes yeux si absents pleurant sans douleur. Et après… L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me battre. Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale. Tout me revient de mémoire : ton chagrin et ton silence, ton angoisse et ton mystère. Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue. Une ombre plus forte que la mort, un cri perdu dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chanson en miettes qui est encore une chanson. Après… L’oubli viendra ou il ne viendra pas et je mentirai pour rire Et je mentirai pour pleurer. Un fantôme maladroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins sommaire à hangar), peut-être pour oublier. Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de solitude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le souvenir en repentirs pour pouvoir mourir.
Autres versions
Je commence par cet enregistrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieusement, il est très rarement indiqué, y compris dans des sites généralement assez complets comme tango-dj.at ou El Recodo. Je l’indique comme étant de 1943-1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix merveilleusement chaude de Nilda Elvira Vattuone alias Nelly Omar accompagnée par la guitare de José Canet nous propose une version fantastique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.
Dès les premières notes, l’ambiance est impressionnante. On pourrait penser à un film de suspens. La magnifique voix de Iriarte, plus rare que celle de Berón, convient parfaitement au titre. Si vous n’aimez pas avoir des frissons et les poils qui se dressent, évitez cette version proposée par Miguel Caló et Raúl Iriarte très émouvante.
Avec Troilo, on reste avec une très belle version musicale. Le grondement des bandonéons me semble moins émouvant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me semble aller un peu au détriment de la danse. Ce ne sera donc pas ma version préférée pour la milonga.
Después 1944-03-15 – Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano. La voix de Libertad Lamarque est très différente de celle de Nelly Omar, mais tout aussi captivante. Elle bénéficie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Maurano dont le piano ressort avec beaucoup de justesse (je précise que je parle de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je parle de lui…).
Después 1944-07-07 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe. C’est notre tango du jour. Comme toujours, la version de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième version de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroyable diversité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trouver un peu bavarde. Echagüe, met beaucoup de pression. Le résultat est dansable, mais il me semble que d’autres titres interprétés par D’Arienzo le remplaceront avantageusement dans une tanda de D’Arienzo et Echagüe, notamment ceux de la première période. Después est le premier titre enregistré par cette composition après cinq années sans enregistrement et il me semble que cette association mettra un peu de temps avant de retrouver une harmonie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.
Después 1951-03-22 – L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absenté de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recommence à enregistrer. Son Después fait partie de ces enregistrements français qui prouvent que la distance entre les deux mondes n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares versions purement instrumentales.
Cette version a été enregistrée lors d’une émission en public en hommage à Homero Manzi décédé exactement 23 ans plus tôt. Il me semble que cette version Troilo– Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qualité sonore.
Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du bandonéoniste Armando Pontier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précédent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Armando Pontier, également bandonéoniste. Cependant, dans cette version, il se « contente » de chanter.
Le bandonéon de Raúl Garello annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette version. El Polaco (Roberto Goyeneche) donne une version extrêmement émouvante et l’orchestre l’accompagne parfaitement dans les ondulations de la musique. Cette version fait ressortir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui décida de consacrer sa vie à l’art populaire et national du tango plutôt que de rechercher les honneurs qui aurait pu s’attacher à la carrière de poète qu’il aurait méritée.
Je vous propose d’arrêter avec ce titre très émouvant et donc de passer sous silence les versions de Pugliese avec Abel Córdoba qui sortent, à mon avis, du champ du tango pour entrer dans autre chose, sans doute une forme de musique classique moderne, mais sans l’émotion que suscite généralement le tango.
Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.
Je t’ai gagné, je t’ai battu haut la main ou « Te gané de mano » comme il est dit dans ce tango exprime la joie de quelqu’un qui a gagné. C’est une expression utilisée par les joueurs de cartes. Mais est-ce si sûr qu’il a vraiment gagné cet homme triomphant ? J’ai retranscrit, avec un peu de difficulté, les paroles chantées par Horacio Lagos et accessoirement, Randona. Je vous laisse découvrir le dernier mot de cette histoire.
Extrait musical
La musique démarre, assurée, comme quelqu’un qui marche en confiance. Par moment, la musique est presque sautillante, assurément on parle d’un vainqueur. C’est alors que la voix d’Horacio Lagos lance avec force des paroles qui ne respirent pas tellement la joie. Que se passe-t-il ? C’est alors que Randona (Armando Julio Piovani), fait son entrée et en duo avec Horacio Lagos nous raconte la fin de l’histoire. Je vous laisse découvrir les paroles, telles qu’elles sont chantées dans cette version. N’ayant pas trouvé de version originale, et ce titre n’ayant pas été enregistré par d’autres orchestres, il s’agit de la retranscription de ce que chantent Lagos et Randona. Il y a peut-être et même sûrement d’autres couplets, mais ils restent à découvrir. Ceux qui restent nos en disent toutefois suffisamment, les voici.
Paroles (retranscription aussi peu maladroite que possible)
Te gané de mano Perdóname nena Si él te dijo planto Primero fui yo. Despertaste al indio Que estaba dormido Y el indio está claro, se te reveló Como yo era bueno Me cristó un disenso Y ese fue el comienzo de mi perdición Si al final ya asumo con tanta discuta Vos lo haces segura Y yo el pobre sifón.
Sé qué haces ahora la Magdalena Que anda cimentando que te engañado No digas eso, no vale la pena Qué me desarma de rui y malvado Sé que mi cariño No te interesa porque me le ha dicho Más de una vez No haga la otaria Qué se te manya ese amor proprio que padeces.
Edgardo Donato Letra: Juan Bautista Abad Reyes
Traduction libre et indications
J’ai gagné haut la main, pardonne-moi, petite. Si lui te laissa en plan, je fus le premier. Tu as réveillé l’indien qui était endormi et l’indien, c’est clair, tu l’as révélé (El indio, le sentiment intérieur, différent chez lui et chez elle). Comme moi, j’étais bon, cette faille me brisa et ce fut le commencement de ma perte. Si finalement j’assume avec tant de discussions, tu le fais assurément et moi, suis le pauvre mec (sifón = grand nez, mais je ne suis pas sûr d’entendre bien sifón).
Je sais que tu fais maintenant la Madeleine (la pleureuse) Qui va, cimentant le fait que je t’ai trompée. (Lagos chante « cimentando », mais on pourrait dire aussi « sementando », semant) Ne dis pas ça, ça n’en vaut pas la peine Ce qui me désarme de colère et de mauvaiseté C’est que je sais que mon amour ne t’intéresse pas, parce que tu me l’as dit plus d’une fois. Ne fais pas l’andouille. Que tu te manges cet amour propre dont tu souffres.
On se demande à la fin, s’il a vraiment gagné ou s’il joue à l’indifférent ou au vainqueur factice pour surmonter sa peine.
Juan Bautista Abad Reyes (1892-1965)
On doit à Juan Bautista Abad Reyes les paroles de quelques tangos, dont celui du jour. Son parcours est intéressant et j’ai donc décidé de vous en dire deux mots. Il est né et mort en Argentine, mais est devenu citoyen et même député uruguayen entre les deux. En 1919, il a gagné un concours d’œuvres théâtrales organisé par le journal La Noche (La Nuit) de Montevidéo et il travailla 20 ans comme rédacteur en chef du journal El Día (Le Jour), également de Montevideo… Il a écrit les paroles de tangos, chansons, rancheras, pasodobles et autres et composé quelques titres. En voici un court extrait.
C = Compositeur / A = Auteur (parolier) / Compo. = Date probable de composition / Première interprétation, en italique. Date de la création publique, mais a priori, sans enregistrement / Premier enregistrement, plus ancien enregistrement existant (pour le moment).
C
A
Compo.
Titre
Premières interprétations et enregistrements
X
1926
Como luces de Bengala
1926-04-07 Rosita Quiroga
X
1926
Musiquita
1926 Rosita Quiroga/1926-09-14 Típica Víctor
X
1928
Caña amarga
1928-05-26 Alberto Vila
X
1928
Te fuiste ja… ja…
1928 Alberto Vila
X
1928
Arco iris
1928-09-03 Francisco Canaro
X
1929
Alma cuyana
1929-05-29 Alberto Gómez; Augusto « Tito » Vila
X
1929
Falló la paica
1929 Alberto Gómez
X
1930
Caminito del olvido
1930-01-21 Luis Petrucelli
X
1930
El idolo roto
1930 Azucena Maizani
X
1930c
Envidias
X
1930
Goya (pasodoble)
1930 Libertad Lamarque
X
X
1930
Mentiras (tonada salteña)
1930-11 Libertad Lamarque/1931-01-10 Edgardo Donato con Luis Díaz
X
1930
No seas malo
1930 Azucena Maizani
X
1930c
Noviecita de otros tiempos
X
1930
Remigio (ranchera)
1930 Orquesta Tipica Ricardo L. Brignolo
X
1930
Ya sé tú historia, pebeta
1930 Azucena Maizani
X
X
1931
Sinverguenza alabancioso
1931-09-07 Orquesta Adolfo Carabelli con Mercedes Simone
X
1934
Confidencia
1934-04-11 Orquesta Típica Victor C Hugo Gutiérrez
X
1950
Paisaje
1950-12-14 Roberto Carlés /1951-08-09 Osvaldo Fresedo con Armando Garrido
X
1951
Ternura Muchacho
1951 Lorenzo Barbero Y Su Orquesta De La Argentinidad
X
¿ ?
Mirame bien a los ojos
En dehors de cela, il est surtout connu pour ses créations radiophoniques, il travaillera en effet dans diverses radios où il proposera des chroniques ou des œuvres théâtro-radiophoniques.
Philosophie de Juan Bautista Abad Reyes
Sa philosophie pour les paroles de ses tangos est la suivante :
“Yo no vitupero el malevaje en el tango, ni el léxico arrabalero. Al contrario, lo estimo como expresión de color local y lo encuentro lleno de atractivos dramáticos en manos de los verdaderos poetas. Lo peligroso es pensar en arrabalero, concebir las obras en lunfardo”.
Revista Femenil, 1930
Traduction de la philosophie de Juan Bautista Abad Reyes
Je ne vilipende pas la «malveillance» dans le tango, ni le lexique des faubourgs. Au contraire, je les estime comme une expression de la couleur locale et je les trouve pleins d’attraits dramatiques entre les mains de vrais poètes. Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo.
Sur ces bonnes paroles, je vous dis, à demain les amis !
Deux Bahienses sont à l’origine de notre tango du jour. Un pour la composition et l’autre pour l’interprétation. Pour être précis, un seul des compositeurs, Armando Lacava est de Bahía Blanca. Juan Pomati est né pour sa part en Italie, à Milan. Quoi qu’il en soit, Di Sarli a enregistré ce tango, tout juste composé.
Les pianistes bahienses et les autres…
La mise en avant des pianistes de Bahía Blanca ne devrait pas faire passer à l’arrière-plan la contribution de Juan Pomati, le bandonéoniste qui a co-composé avec Lacava. Il était en effet un copiste très recherché à une époque où il n’existait pas de photocopieuses et a de son côté composé un certain nombre de titres dont une bonne part co-signée avec Tití Rossi dont il était un des bandonéonistes de l’orchestre. Impossible d’avoir une photo de lui, ce récent arrivée d’Italie est resté trop discret.
En revanche, j’ai une photo de l’auteur des paroles, Carlos Waiss.
Extrait musical
Dès les premières notes, le piano de Di Sarli fait merveille. Il marque le tempo et donne un parfait contrepoint aux violons qui se balancent au-dessus. Tout s’enchaîne, s’harmonise. La voix de Durán lance les paroles avec un rubato qui donnera de l’élan au danseur, un balancement qui dynamisera la créativité de l’improvisation. Le tango se termine avec un tutti incluant la voix de Durán et qui se perd dans le silence.
Paroles
Un tango más, un gorrión de barrio viejo llega moliendo su cruel desilusión. Rodando van los recuerdos de mi vida, mi vida gris que no tiene ya canción. Dónde estarán los que fueron compañeros, mi amor primero de un claro anochecer, y ese silbido llamando de la esquina hacia el calor de aquel viejo café.
Quién sabe dónde está lo que perdí, loco de afán. Del tiempo que pasó sólo quedó un tango más. Tan sólo un tango más que trae fracaso de no ser, cansancio de mi andar. La vida que al rodar, sólo dejó, un tango y nada más.
Un tango más, un gorrión de barrio viejo tiembla en la sombra doliente del ayer. Un tango más, y el juguete de la luna vuelve a mentir en el triste anochecer. Mi juventud la quemé en la cruz viajera en la quimera de andar, siempre de andar. Buscan mis ansias calor de primavera y sólo hay un tango y nada más.
Armando Lacava ; Juan Pomati Letra: Carlos Waiss
Durán chante ce qui est en gras et termine en chantant de nouveau ce qui est en bleu.
Julio Martel chante également ce qui est en gras, mais il reprend ce qui est en rouge, puis ce qui est en bleu pour terminer. Aucun des deux ne chante le dernier couplet.
Eduardo Borda chante en plus de Julio Martel, la fin du dernier couplet (ce qui est en vert).
Traduction libre et indications
Un tango de plus, un moineau du vieux quartier arrive, ruminant sa cruelle désillusion (un gorrión en plus d’être un moineau est un profiteur, un pique-assiette). Les souvenirs de ma vie, ma vie grise qui n’a plus de chanson. Où seront ceux qui étaient des compagnons, mon premier amour d’une soirée claire, et ce sifflement invitant depuis l’angle de la rue à la chaleur de ce vieux café. Qui sait où est ce que j’ai perdu, fou d’impatience. Du temps qui s’est écoulé, il ne restait plus qu’un tango. Juste un tango de plus qui apporte l’échec de ne pas être, la fatigue de ma marche. La vie qui en roulant n’a laissé qu’un tango et rien de plus. Un tango de plus, un moineau du vieux quartier tremble dans l’ombre souffrante d’hier. Un tango de plus, et le jouet de la lune recommence à mentir dans le triste crépuscule. J’ai brûlé ma jeunesse sur la croix de voyage dans la chimère de la marche, toujours de la marche. Ils cherchent mon désir de chaleur printanière et il n’y a qu’un tango et rien de plus.
Autres versions
Pas beaucoup d’enregistrement pour ce thème, mais il faut dire que la merveille de Di Sarli et Durán ne laissait pas beaucoup d’autres options aux autres orchestres.
De Angelis enregistre le titre 12 jours après Di Sarli. Ce n’est pas vilain et relativement dansant, mais sans doute pas aussi satisfaisant que la version de Di Sarli avec Durán.
Cette version tardive date d’une époque où le tango de danse n’avait pas encore complètement retrouvé sa place. La jolie voix chaude de Borda donne plaisir à écouter ce titre, mais les danseurs n’y trouveront pas leur compte.
Comme pour Borda, je n’irai pas proposer cela à des danseurs.
On pourrait continuer avec des tangos avec « nada más » dans le titre, il y en a près d’une vingtaine avec au moins un enregistrement… Mais ce sera pour une autre fois.
Si on ne doit se souvenir que d’une composition de Mario Melfi, c’est sans conteste de Poema. Mais si on doit se souvenir de deux, alors, Remembranza, notre tango du jour est assurément dans la liste. Ce qui en revanche est curieux est que l’on associe très peu ces deux titres, très semblables. Mais peut-être qu’il y a une ou plusieurs solutions…
Tandas mixtes
Hier, dans un groupe de DJ, une question très étrange a été posée. Combien de tandas mixtes peuvent être passées dans une milonga ? J’avoue que j’ai relu deux fois la question pour voir de quoi il s’agissait. Il arrive en effet, que l’on mélange dans la même tanda, des orchestres différents. C’est assez fréquent pour les milongas et les valses et je le fais parfois, par exemple pour associer des enregistrements de Carabelli avec son propre orchestre et de la Típica Victor, dirigée par lui. Je le fais également quand il y a un titre orphelin, qui n’a pas de tango compatible par le même orchestre et qu’un autre orchestre à quelque chose qui peut bien se combiner avec. L’étrangeté de la question vient de « combien de tandas mixtes »… Je n’ai pas répondu au groupe, mais ma réponse aurait pu être, le DJ fait ce qu’il veut dans la mesure où les danseurs sont contents. Faire de bonnes tandas mixtes est difficile, faire 100 % de tandas mixtes serait un défi très difficile à relever… Poema est associé à l’enregistrement de Canaro et Maida de 1935. Remembranza a plusieurs points d’accroche. Notre enregistrement du jour avec Pugliese et Maciel est sans doute le plus connu. 21 ans séparent ces deux enregistrements, un écart encore plus grand existe entre les styles des orchestres, ce qui rend bien évidemment ces deux enregistrements totalement incompatibles dans une même tanda. Cependant, la structure des morceaux est tout à fait compatible, on trouve même des extraits de phrases musicales comparables entre les deux œuvres. Remembranza aurait été enregistré par Canaro et Maida, ou Poema par Pugliese et Maciel et on aurait deux piliers solides pour une tanda. Ce rêve existe cependant. Je vous le présenterai en fin d’article…
Extrait musical
Paroles
Cómo son largas las semanas cuando no estás cerca de mí no sé qué fuerzas sobrehumanas me dan valor lejos de ti. Muerta la luz de mi esperanza soy como un náufrago en el mar, sé que me pierdo en lontananza mas no me puedo resignar. ¡Ah ¡qué triste es recordar después de tanto amar, esa dicha que pasó… Flor de una ilusión nuestra pasión se marchitó. ¡Ah ¡olvida mi desdén, retorna dulce bien, a nuestro amor, y volverá a florecer nuestro querer como aquella flor. En nuestro cuarto tibio y rosa todo quedó como otra vez y en cada adorno, en cada cosa te sigo viendo como ayer. Tu foto sobre la mesita que es credencial de mi dolor, y aquella hortensia ya marchita que fue el cantar de nuestro amor.
Mario Melfi Letra : Mario Battistella
Autres versions
Les versions françaises
Je pense vous surprendre en vous indiquant que les deux premiers enregistrements de ce titre ont été chantés en français. En effet, Melfi et Battistella étaient à Paris à l’époque. Mario Melfi a même fait l’essentiel de sa carrière en France où il est mort en 1970. Le titre en français est Ressouvenance, un terme aujourd’hui tombé en désuétude… C’est donc Mario Melfi qui ouvre le bal des versions avec un enregistrement de 1934, chanté, donc en français, par Marcel Véran et appelé donc Ressouvenance et pas Remembranza.
C’est le plus ancien enregistrement, de plus, réalisé par l’auteur de la musique, Mario Melfi. En ce qui concerne les paroles en français, on se rend compte qu’elles sont proches de celles de Battistella. On peut donc penser que Battistella est bien l’auteur original, puisqu’il était à Paris et que Robert Chamfleury et Henry Lemarchand ont adapté (avec plus de talent que moi) les paroles en français. Vous pourrez en trouver la transcription après le chapitre autres versions.
Avec cet enregistrement, j’arrête la liste des versions « françaises » (même si la dernière n’est pas chantée). Et je vous propose maintenant les versions « Argentines ».
Les versions argentines
Après les versions françaises avec orchestres, les guitares de Héctor Palacios ne font pas tout à fait le poids. Cependant, ce titre est compatible avec ce type de version intime et si le résultat n’a rien à faire en milonga, il est plutôt agréable à écouter.
Une jolie version, dans le style de Malerba et Medina qui a sa sonorité particulière.
Si les versions précédentes avec orchestre, y compris les versions françaises étaient harmonieuses, je trouve que celle-ci souffre d’un manque de cohérence entre la voix de Ribó et l’orchestre de Ricardo Tanturi. Le talent des deux n’est pas en cause, Osvaldo Ribó avec un orchestre plus présent aurait donné une très belle version et inversement.
La voix travaillée de Maciel n’a peut-être pas trouvé l’orchestre idéal pour sa mise en valeur. On sent Gobbi un peu réservé, là encore, le résultat ne me convînt pas totalement.
Encore une version qui ne va pas provoquer des ondes d’enthousiasme. De plus, elle n’est pas destinée à la danse, mais c’est intéressant de temps à autre de présenter un de ces deux-cent d’orchestres qui ont œuvré à l’âge d’or et qui n’ont pas eu droit à la reconnaissance de la postérité.
On arrive dans des versions un peu plus travaillées. On remarquera l’introduction très particulière de cette version de De Angelis.
Mais attendez la suite, les choses sérieuses commencent.
Les essais de voix plus travaillées entendus précédemment trouvent un meilleur terrain avec l’orchestre de Pugliese. Le mariage de la voix de Jorge Maciel avec l’orchestre est bien plus abouti dans cette version que dans celle de Gobbi, 8 ans plus tôt.
J’aurais présenté les choses à l’envers, Susy Leiva accompagnée par l’orchestre de Juan Canaro. C’est une version à écouter, la voix de Susy Leiva est expressive et a de l’émotion. Mais bon, revenons à nos piliers.
Avec Jorge Valdez, D’Arienzo a un peu mis de côté le tango de danse pour suivre la mode de l’époque qui était plus radiophonique ou télévisuelle que dansante. D’Arienzo interprète le titre dans ses concerts, comme ici à Montevideo en 1968.
On revient avec Jorge Valdez qui gagne la palme du chanteur qui a le plus enregistré Remembranza, encore une émission de télévision.
Paroles de la version chantée en français par Guy Berry, Marcel Véran, Jean Clément et autres chanteurs français
Combien est longue une journée Quand tu n’es pas auprès de moi. Comment ai-je pu deux années Vivre sans entendre ta voix ? Je n’ai pour consoler ma peine Que les doux rêves du passé, Car ni les jours ni les semaines N’ont jamais pu les effacer… Ah !… Qu’il est troublant, chéri(e), D’évoquer, comme on prie, Ce bonheur, hélas trop court. Rien n’a pu ternir Le souvenir de ces beaux jours. Ah !… Pardonne à ma folie. Reviens je t’en supplie À notre amour. Rien ne pourra me griser Que tes baisers, Comme aux anciens jours. Dans notre chambre tiède et rose, Tout est resté comme autrefois. Et chaque objet et chaque chose Ne me semble attendre que toi. Ton portrait sur la cheminée Semble sourire à mon espoir. Dans un livre, une fleur fanée Rappelle nos serments d’un soir…
Mario Melfi Letra : Mario Battistella (adapté en français par Robert Chamfleury et Henry Lemarchand)
Remembranza et Poema unis dans une tanda idéale
Nous avons vu en début d’article qu’il n’y avait pas d’enregistrement compatible de ces deux titres à l’âge d’or du tango. C’est une grande frustration pour les DJ et sans doute les danseurs. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, car les Pesenti ont enregistré Poema et Ressouvenance, mais ce ne sont sans doute pas des versions suffisantes pour les danseurs avancés. Je vous laisse en juger.
Je rajoute cette version de Poema par le frère de Auguste Jean, René Pesenti. Elle est compatible et présente l’avantage d’être chantée par un homme (Alberto), ce qui peut être préféré par certains qui n’aiment pas trop les mélanges dans une tanda.
Si vous avez estimé que ces versions n’étaient pas à la hauteur, il nous faut chercher ailleurs. Je pense que l’orchestre qui va nous donner ce plaisir est la Romantica Milonguera. Il a enregistré les deux titres dans des versions compatibles et de belle qualité, presque équivalentes à la version de Canaro et Maida. Je vous présente ces deux enregistrements en vidéo. Une belle façon de terminer cette anecdote du jour, non ?
Merci à la Romantica Milonguera et à demain, les amis !
Encore un portrait de femme dans un tango. Celle-ci se prénommait Rosalinda. Cette valse relativement rare, bien que sympathique est interprétée par Donato et chantée par Juan Alessio. Ce chanteur n’a enregistré qu’avec Donato et sur une période très brève, un mois entre juin et juillet 1935. Il est donc probable que vous ne le connaissiez pas. Je vous propose donc cette petite rencontre avec un chanteur de qualité.
Juan Alessio
Juan Alessio est difficile à cerner, car il est resté discret. Par ailleurs, il ne semble avoir enregistré qu’avec Donato et seulement les cinq titres que voici :
El día que me quieras 1935-06-13 (Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera)
Dios lo sabe 1935-06-13 (Antonio Polito)
Rosalinda 1935-07-03 (Edgardo Donato Letra: Maximo José Orsi)
Picaflor 1935-07-03 (Edgardo Donato Letra: Maximo José Orsi, les mêmes auteurs que notre valse du jour).
Hola!… Qué tal?… 1935-07-17 (Osvaldo Donato Letra: Sandalio C. Gómez)
L’autre difficulté est qu’il n’a enregistré qu’une seule valse et que cette dernière est assez différente des valses les plus appréciées de Donato. De 1930 à 1936, il y a des valses compatibles, mais faire une tanda avec ce type de valse risque de ne pas plaire. Comme DJ, il se peut donc que je ne passe jamais cette valse, sauf pour une occasion particulière, comme l’anniversaire d’une Rosalinde ou d’une Rosalinda… Je continuerais ensuite avec les valses les plus appréciées de Donato.
En toute fin d’article, je vous proposerai une autre option 😉
Extrait musical
Comme vous pouvez le constater, c’est une valse particulièrement lente. Elle peut donc être difficile à danser, notamment pour les danseurs débutants. Les plus avancés pourront capter les petits ornements pour varier la danse, mais sans les élans habituels de la valse, il faudra faire preuve d’un bon sens de l’équilibre et bien respecter les axes pour en tirer tout le plaisir possible. Là encore, rendez-vous en fin d’article pour un joker.
Paroles
Je n’ai pas trouvé les paroles de Maximo José Orsi, je retranscris donc uniquement ce que chante Juan Alessio, tout du moins ce que j’ai cru entendre.
En mi vida sos la linda Tu carita feliz En tus ojos hay fulgores Con aurora de ilusión Junto a ti Rosalinda El amor sembrando pasa Como el beso de los vientos Y entre el sol se devolvió
Edgardo Donato Letra : Máxi
Autres versions
Il y a une seule valse enregistrée avec ce titre.
Mais il y a aussi une ranchera du même titre, mais avec des auteurs différents. On notera que la valse de Donato est à la limite de la ranchera.
Máximo José Orsi
L’auteur des paroles, Máximo José Orsi, était acteur et parolier. Il est indirectement et contre son gré, à l’origine du succès de Piana, Milonga sentimental. En effet, Orsi demanda à Sebastián Piana une musique pour une des chansons d’un spectacle de Arturo De Bassi où il était acteur. Le résultat plut à De Bassi qui lui commanda un autre titre, ce fut Milonga sentimental.
Qui était Rosalinda ?
Il est difficile de dire qui était la Rosalinda, car ce prénom d’origine germanique est très répandu en Amérique du Sud au point qu’une revue mensuelle argentine des années 30 à 50 portait ce nom. C’était une édition de J. Hays Bell & Cia.
Le premier numéro de cette revue pour la femme et le foyer est paru en 1931, preuve que le prénom était à la mode à l’époque où Donato écrivit sa valse.
Par ailleurs, différents films portent ce titre, par exemple :
Rosalinda (1914) de Ricardo de Baños et Alberto Marro (Espagne)
Rosalinda (1941) de Lamberto V. Avellana (Philippines)
Rosalinda (1945) de Rolando Aguilar (Mexique)
C’est également le titre de télénovelas (les feuilletons à l’eau de rose), la plus récente étant de 2009 (Philippines) et la plus connue, celle de 1999 (Mexique) avec la chanson de Thalía. En résumé, vous pouvez imaginer la Rosalinda que vous voulez, de la guerrière germanique avec des étincelles dans les yeux, jusqu’à la plus mièvre des héroïnes de télénovelas.
La petite surprise
Comme DJ, on a le privilège de pouvoir modifier la musique. C’est l’avantage d’utiliser un logiciel spécifique et pas iTunes ou autre logiciel grand public pour la diffusion. Comme un orchestre avant de commencer jouer, le DJ peut décider du tempo de la musique. Il ne dit pas 1 – 2 et 1 2 3 comme les musiciens, mais il peut ajuster le rythme, par exemple pour varier l’ordre des morceaux dans une tanda, voire en cours de route (avec un logiciel performant et bien maîtrisé). J’avoue recourir souvent à cet artifice qui me permet de coller toujours le plus possible aux capacités et/ou envies des danseurs présents. Donc, cette valse, sans doute trop lente pour de nombreuses occasions peut se voir offrir une chance en lui donnant un peu d’élan. Je vous propose un résultat à comparer à la version enregistrée. Sur quelle version préféreriez-vous danser dans une milonga ordinaire ?
Bien sûr, l’exercice va faire râler les ronchonchons et c’est tant mieux. Le DJ a pour but de donner du plaisir aux danseurs. La milonga n’est pas un musée, mais un lieu de divertissement. Que la musique soit un peu plus rapide, un peu plus lente, un peu plus aiguë ou grave, cela ne va rien changer.
Oui, mais le bandonéon de untel était accordé à 430 Hz, jusqu’en septembre et en octobre à 440 Hz. Tu ne peux donc pas passer les deux dans la même tanda, dit le Ronchonchon.
Tu es capable d’entendre la différence ? Demande le DJ, amusé.
J’ai l’oreille absolue, réplique le Ronchonchon.
Je te plains, dit le DJ compréhensif. Alors, tu as sans doute remarqué que j’ai passé la deuxième prise du 16 juillet 1952 et pas l’habituelle. Le bandonéon de Xyzxyz a eu un problème et il a emprunté celui d’un collègue accordé en 440 Hz.
Oui, bien sûr, j’avais remarqué qu’il y avait quelque chose de bizarre.
Ben, en fait, il n’a pas de seconde version et j’ai passé la version de TangoTunes (ou TTT) qui est au bon diapason, dit le DJ, mort de rire.
Je pourrai continuer, ce petit conte avec toutes ces anecdotes de « spécialistes », mais j’avoue que je m’occupe plus des danseurs que de ces DJ jaloux. Alors, dans la milonga, chers danseurs, prenez votre bonne humeur, affichez votre plus beau sourire et laissez-vous porter par la musique. Imaginez que vous êtes en plein âge d’or du tango et qu’un orchestre sur scène vous présente ses nouveautés, essaye de nouveaux arrangements, joue un titre à la mode plutôt connu par un autre orchestre. Aujourd’hui, la diversité des expériences et limitée par ce qui a été enregistré, un petit bout d’iceberg, tout le reste s’étant perdu faute d’avoir été enregistré et ne sera jamais retrouvé.
Des orchestres contemporains essayent de faire revivre des titres oubliés, de trouver de nouveaux arrangements. Tout cela devrait raviver le plaisir de la découverte chez les danseurs. Donc, si un DJ dans mon genre vous fait de petites surprises, prenez-le bien, c’est un jeu, le tango n’est pas une langue morte. Asinus asinum non fricat.
Ricardo González Alfiletegaray Letra: Antonio Polito (A. Timarni)
Les femmes de Rosario ont la réputation d’être jolies. Plusieurs tangos vont dans ce sens, mais les Rosarinas ne sont pas les seules dont la beauté est vantée. Dans le cas présent, Ricardo González a composé son titre en pensant à une personne en particulier, une femme de Rosario, bien sûr. Je vous donnerai son nom en fin d’article.
Ricardo González était bandonéoniste et il fut le professeur du Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas.
Extrait musical
Paroles
Je n’ai pas trouvé d’enregistrement chanté de ce tango, mais il existe bien des paroles associées et qui sont parfaitement en accord avec le thème. Alors, les voici.
Mujeres de tradición Nacidas en la Argentina, Ninguna de corazón Como era ‘la rosarina’. La barra, feliz con su amor No supo nunca de sinsabores, Fue siempre gentil y brindó Ternura suave, como una flor.
Cuando iba a los bailongos Se destacaba por su pinta, En el tango demostró, ser sin rival Nadie la pudo igualar. Rosarina de mi vida Dulce recuerdo vos dejaste, Es por eso que jamás Te olvidarán, hasta morir.
Negrito Querés café. No, mama Que me hace mal. Entonces Lo qué querés Careta pa’ carnaval…
Ricardo González Alfiletegaray Letra : Antonio Polito (A. Timarni)
Traduction libre et indications
Des femmes de tradition nées en Argentine, aucune n’est de cœur comme l’était « la Rosarina». La bande, heureuse de son amour, n’a jamais connu les ennuis, elle était toujours gentille et offrait une tendresse douce, comme une fleur. Quand elle allait au bal, elle se distinguait par son allure, dans le tango, elle démontrait être sans rivale, personne ne pouvait l’égaler. Rosarina de ma vie, tu as laissé de doux souvenirs, c’est pour cela qu’ils ne t’oublieront jamais, jusqu’à la mort.
Negrito, veux-tu du café ? Non, maman, ça me fait mal. Alors, que veux-tu ? Un masque pour carnaval…
Le texte qui n’est pas en gras est assez étrange. Il rappelle certaines apostrophes que lançaient les orchestres, voire les clients de la salle. On se souvient d’avoir évoqué cela au sujet de El Monito avec un dialogue semblable dans les versions de Julio De Caro. Negrito, petit noir, n’est pas forcément l’expression d’un racisme, le terme s’adressant à des personnes mates de peau, pas nécessairement à des personnes noires. On connaît Mercedes Sossa qui était surnommée La Negra. Quand au masque de Carnaval, c’est encore une occasion d’évoquer comment les carnavals rythmaient la carrière des musiciens. Ce texte additionnel semble assez curieux pour un tango dédié à une femme.
Autres versions
Le tango aurait été écrit en 1912 et le premier enregistrement serait de 1915, mais il semble introuvable. Je signale donc que Félix Camerano l’aurait enregistré en 1915 avec son orchestre. Ce n’est pas du tout impossible, vu qu’il était ami avec l’auteur de la musique depuis 1898, époque où il faisait avec lui un duo guitare et bandonéon. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce disque dans mon grenier.
La rosarina 1928-12-15 — Alberto Diana Lavalle. Alberto Diana Lavalle, nous donne une version à la guitare, sans chanson. En fait, je n’ai pas trouvé d’enregistrement avec les paroles de Antonio Polito. Peut-être que cette chanson était interprétée sous cette forme lors de sa création.
C’est la première version orchestrale dont on a une trace sonore.
La rosarina 1936-12-19 — Roberto Firpo y su Cuarteto Típico. Roberto Firpo enregistrera trois fois le titre, dans des versions somme toute assez proches. Était-ce un intérêt pour le thème ou pour la dame ? Je n’en sais rien… Cette version est assez rapide et tonique, peut-être un peu brouillonne.
Les petits silences et les ornementations de Biagi sont bien présents dans ce titre typique de cette époque de D’Arienzo. La musique est assez joueuse, voire un peu sautillante. Bien dansable, avec quelques petites surprises et un joli contraste entre les lignes ondulantes des violons et le reste de l’orchestre plus percusif.
Pour une fois, Canaro n’arrive pas rapidement sur le titre. Canaro était pourtant proche de Ricardo González, puisque ce dernier lui avait dédicacé son premier tango El fulero et qu’il avait travaillé comme bandonéoniste dans son orchestre en France. Il donne cet enregistrement avec son quintette. Après la version de D’Arienzo, cela peut sembler un peu trop calme. Il y a cependant de beaux traits musicaux, mais peut-être que les danseurs peuvent se dispenser de cette interprétation.
Le retour de Firpo sur ce titre. Huit ans plus tard, il y a beaucoup de similitudes entre les versions. Le rythme est très légèrement plus lent. L’orchestre est un peu mieux synchronisé, ce qui facilitera la tâche des danseurs qui devront gérer ce titre qui hésite entre la milonga et le tango, mais qui a pour lui d’être joueur.
Encore Firpo, cinq ans plus tard. Cette version diffère des premières par un tempo beaucoup plus lent. La dédicataire s’est peut-être assagie avec l’âge. Le tango de Firpo, c’est certain.
Une version sympathique à deux pianos. Villasboas hésite aussi souvent entre les rythmes de milonga et de tango. Disons que cette version est pour le concert, mais qu’elle est sympathique à écouter.
Comme Firpo, Villasboas retourne au titre, cette fois avec son orchestre. Le tempo est un plus lent que dans la version à deux pianos. Les similitudes avec Firpo sont toujours marquées. Ce ne sera sans doute pas le titre le plus apprécié de la milonga, mais une fois de temps en temps, avec des danseurs moyennement portés sur la milonga, cela peut faire l’affaire.
Mais qui était La rosarina ?
Il est assez facile de découvrir que la dédicataire, ou pour le moins l’inspiratrice s’appelait Zulema Díaz. Venue voir sa sœur, selon les versions dans un spectacle à Acayucho (environ 300 km de Buenos Aires), dans un club nommé Alegria, par suite d’une soi-disant erreur d’un cocher. Quoi qu’il en soit, elle est tombée sous le regard de Ricardo González qui dirigeait le spectacle et qui a décidé de lui écrire un tango. Selon le journaliste Julián Porteño, cela se serait passé en 1912. Porteño indique que la femme était très belle et qu’en plus elle dansait, ce qui fait que Ricardo González (surnommé Mochila) l’a intégrée à la revue où elle était arrivée, par erreur, ou pour voir sa sœur.
Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que sa sœur, la danseuse de la revue menée par González s’appelait María E. Díaz et que les deux sœurs devaient être un peu dévergondées, car le 29 juillet 1947, elles se sont fait exclure du Club Social et Sportif Villa Malcolm, pour y avoir dansé de façon non conforme à ce qui était attendu dans l’établissement. En fait, la façon jugée inconvenante de danser était d’avoir le visage trop près de celui du partenaire. Ce club Villa Malcom était donc assez peu libéral et même Anibal Troilo en avait fait les frais. Il avait été renvoyé le 25 juillet 1942, car le 17 juillet, certains de ses musiciens ne se seraient pas pliés totalement à l’étiquette de l’établissement et qu’il aurait fait venir des gens qui n’étaient pas dans le style de l’établissement. Lucio Demare l’avait remplacé, comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres.
Ricardo González est parti pour la France dans les années 20. Il y a travaillé notamment pour Francisco Canaro qui avait insisté pour le faire revenir en France dont il était parti peu de temps auparavant. Si Ricardo González avait fait une autre conquête, une danseuse prénommée Bernadette, lors de son séjour en France, on ne sait pas s’il a continué à rêver de la belle Rosarina. Tout ce qu’on sait, c’est qu’à son retour de France, il s’est retiré du tango et qu’on en n’a plus entendu parler. J’aime à imaginer que c’est pour filer l’amour parfait avec Zulema.
Voilà, j’arrive au terme de ce petit parcours au sujet d’un tango dédié à une apparition qui a enflammé l’imagination d’un bandonéoniste qui en a fait un tango.
En effet, je ne crois pas que les paroles tristes de notre tango du jour soient reliées à cette histoire, puisque les sœurs ont été exclues en 1947, soit 35 ans après la rencontre et donc bien longtemps après que les paroles ont été écrites.
La valse d’aujourd’hui, Corazón de oro, créée par Francisco Canaro est un immense succès, mais la version du jour va sans doute vous étonner. Si elle ne vous plait pas, je me rattraperai avec les nombreuses versions de Canaro. Mais comme je sais que vous avez un cœur en or, vous me pardonnerez de vous infliger une version de Alfredo De Angelis, bien étrange.
Extrait musical
L’introduction est réduite en étant jouée plus rapidement (les descentes chromatiques sont jouées en croches et pas en noires, donc deux fois plus rapidement. Ce qui vous surprendra rapidement, ce sont les sonorités, au piano de De Angelis, aux superbes violons, aux bandonéons virtuoses, s’ajoute un orgue électronique, à partir de 45 secondes. Celui chante la mélodie, puis les autres se mélangent de nouveau. Le résultat manque un peu de clarté et je ne suis pas convaincu qu’il soit totalement apprécié par les danseurs qui risquent de regretter les versions de Canaro que vous allez pouvoir apprécier à la suite de cet article.
La partition demande trois pages, contre deux généralement à cause de la très longue introduction, vraiment très longue dans certaines versions, même si ce n’est pas le cas pour notre valse du jour par De Angelis qui ne fait « que » 15 secondes.
Paroles
Con su amor mi madre me enseñó a reír y soñar, y con besos me alentó a sufrir sin llorar… En mi pecho nunca tengo hiel, en el alma, canta la ilusión, y es mi vida alegre cascabel. ¡Con oro se forjó mi corazón!… Siempre he sido noble en el amor, el placer, la amistad; mi cariño no causó dolor, mi querer fue verdad… Cuando siento el filo de un puñal que me clava a veces la traición, no enmudece el pájaro ideal, ¡porque yo tengo de oro el corazón!…
Entre amor florecí y el dolor huyó de mí. Sé curar mi aflicción sin llorar, ¡tengo de oro el corazón!…
¡Los ruiseñores de mi alegría van por mi vida cantando a coro y en las campanas del alma mía resuena el oro del corazón!…
Yo pagué la negra ingratitud con gentil compasión, y jamás dejó mi juventud de entonar su canción… Al sentir el alma enardecer y apurar con ansia mi pasión, no me da dolores el placer, ¡pues tengo de oro puro el corazón!… Entre risas pasa mi vivir, siempre amé, no sé odiar, y convierto en trinos mi sufrir porque sé perdonar… Mi existencia quiero embellecer, pues al ver que muere una ilusión, otras bellas siento renacer, ¡mi madre me hizo de oro el corazón!…
Francisco Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco
Traduction libre
Avec son amour, ma mère m’a appris à rire et à rêver, et avec des baisers, elle m’a encouragé à souffrir sans pleurer… Dans mon cœur je n’ai jamais de fiel, dans mon âme l’illusion chante, et ma vie est un joyeux carillon (cascabel = grelot, j’ai un peu interprété et surtout, il ne faut pas prendre cascabel pour une de ses significations en lunfardo). Mon cœur s’est forgé avec de l’or… J’ai toujours été noble en amour, en plaisir, en amitié ; mon affection ne causait pas de douleur, mon amour était vrai… Quand je sens le tranchant d’un poignard qui me transperce parfois de trahison, l’oiseau idéal ne se tait pas, car mon cœur est fait d’or… entouré d’amour, je fleurissais et la douleur me fuyait. Je sais guérir mon affliction sans pleurer, j’ai un cœur en or… Les rossignols de ma joie traversent ma vie en chantant en chœur et dans les cloches de mon âme résonne l’or du cœur… J’ai payé l’ingratitude noire avec une douce compassion, et ma jeunesse n’a jamais cessé de chanter sa chanson… Quand je sens mon âme enflammer et animer avec ardeur ma passion, le plaisir ne me cause pas de douleur, car mon cœur est fait d’or pur… Entre les rires ma vie passe, j’ai toujours aimé, je ne sais pas haïr, et je transforme ma souffrance en trilles parce que je sais pardonner… Je veux embellir mon existence, car quand je vois qu’une illusion (un sentiment amoureux) meurt, j’en sens d’autres, belles, renaître, ma mère a fait mon cœur en or…
Autres versions
Corazón de Oro par Canaro
La composition est de Canaro et c’est donc lui qui se taille la part du lion des enregistrements. Je vous propose de commencer par lui et de revenir ensuite avec des enregistrements intermédiaires d’autres orchestres.
Une introduction qui prend son temps, très lente. La valse ne commence qu’après 50 secondes, ce qui est beaucoup pour la patience des danseurs d’aujourd’hui. On peut éventuellement la placer en début de tanda, ou couper l’introduction. Les violons émettent des miaulements étonnants. Bien que d’une durée respectable (près de 5 minutes), cette valse n’est pas monotone et pourra satisfaire les danseurs. Elle est très rarement passée en milonga. Il faut dire qu’elle a plein de copines du même Canaro qui sont intéressantes. Jetons-y un œil.
L’introduction est relativement longue, mais plus rapide que pour la version de mai de la même année. De plus, elle tourne un peu, annonçant plus la valse qui va suivre. Elle est plus rapide et Charlo, intervient pour chanter le refrain à près de deux minutes. C’est une version qui tourne bien et qui donc a toute sa place en milonga.
C’est déjà le troisième enregistrement de cette valse par Canaro. L’introduction est du type long, mais moins lente que dans la première version de 1928. Le ralentissement de la fin est sympathique.
L’introduction avec ses 25 secondes peut être laissée. Elle laisse immédiatement la place à la voix magnifique de Ada Falcón. Ce n’est pas une version de danse, mais elle est si jolie que je pense qu’une bonne partie des danseurs pardonneront aux DJ qui la passera en milonga. Pour ma part, j’adore.
Décidément Canaro enchaîne les enregistrements de sa valse. J’ai l’impression que c’est la version qui passe le plus souvent en milonga. Elle démarre sans longue introduction et le rythme est bien marqué. L’équilibre entre les bandonéons avec les violons en contrepoint est magnifique. C’est donc logiquement que les danseurs l’apprécient d’autant que certains passages plus énergiques réveillent l’attention. La flûte et la trompette bouchée, qui rappellent que Canaro donne aussi dans le jazz donne une sonorité originale à cette version qui n’est pas monotone malgré sa durée respectable de 3:13 minutes. Sa fin dynamique permet de l’envisager en fin de tanda.
Canaro a laissé quelques années de côté sa valse pour la ressortir dans une version remaniée. C’est la version qui servira de modèle à Lalo Schifrin pour la musique du film Tango de Carlos Saura. La présence de chœur chantant la mélodie sans paroles est aussi une originalité, également reprise par Lalo Schifrin. Cette version bénéficie aussi de la fin tonique qui en fait une bonne candidate de fin de tanda.
La dernière version enregistrée par Canaro, trois ans avant sa mort. Cet enregistrement a été effectué au Japon. Les Japonais sont passionnés de tango et le succès des tournées des artistes argentins en témoigne. Canaro renoue avec l’introduction longue et lente de la première version qui atteint 50 secondes. Le résultat est encore une valse qui dépasse les 4 minutes, ce qui peut pousser les DJ à couper l’introduction, d’autant plus qu’elle n’est pas dansante. C’est très joli, mais peut-être pas la version la plus touchante pour les danseurs. Comme dans la version de la décennie précédente le chœur apporte sa note d’originalité, mais c’est sans doute la fin qui est le plus remarquable, après un passage extrêmement lent, une fin, explosive. En milonga, ça passe, ou ça casse. Soit les danseurs adorent, soit ils s’arrêtent de danser avant la fin. Il faut donc bien juger de son public avant de passer cette version.
On continue avec le Quinteto Pirincho qui a prolongé l’héritage de Canaro après sa mort avec deux enregistrements.
Cette version, souvent étiquetée Canaro, car il s’agit du Quinteto Pirincho a été enregistré 14 ans après la mort de Canaro… C’est Oscar Bassil (bandonéoniste) qui dirigeait le Quinteto à cette époque.
Autre version du Pirincho, dans la version lente. Cette fois dirigée par Antonio D’Alessandro.
Contrairement à Bassil, D’Alessandro reprend la tradition de l’introduction lente qui dure dans le cas présent près de 40 secondes. Les premiers temps de la valse sont très accentués par moments ce qui peut paraître manquer de subtilité. Cette version me semble moins aboutie que celle de Bassil et le chœur a une voix que je trouve horrible, voire presque lugubre. Certainement pas ma version préférée si je souhaite faire plaisir aux danseurs, ce qui est en général mon objectif premier…
Corazón de oro par d’autres orchestres
Passons à d’autres orchestres maintenant.
Encore une version de Cambareri à une vitesse de fou furieux. C’est plus de l’essorage de linge que de la valse à une telle vitesse. Je me demande ce qu’il avait dans la tête pour donner des interprétations à une telle vitesse. On est aux antipodes de Canaro qui était plutôt calme, voire très calme dans toutes ses versions.
Une version calme, bien dansante, sans doute entendue trop rarement en milonga. Il faut dire qu’avec le choix que propose Canaro, on peut hésiter à sortir des sentiers battus. Les contrepoints du piano sont particulièrement originaux. J’aime beaucoup et en général, les danseurs aussi (c’est la moindre des choses pour un DJ que de passer des choses qui donnent envie de danser…).
Une version intéressante, destructurée et avec des artistes virtuoses, que ce soit le violon de Francini ou le piano de Angel Scichetti. J’avoue que je n’irai pas la proposer en milonga, mais cette version vaut tout de même une écoute attentive.
Non, Cambareri ne s’est pas calmé, ou alors, très peu. Cette version est quasiment aussi rapide que celle de 1950.
Une version plutôt orientée musique classique, mais pas inintéressante.
La voix chaleureuse de Nelly Omar donne une version originale de cette valse. Il y a peu de versions chantées, il est donc intéressant d’en avoir une de plus, même si ce n’est pas pour danser. On notera qu’elle utilise de façon personnelle les paroles, mais après tout, pourquoi pas.
Je vous propose de terminer avec cette version, on pourrait sinon continuer à se perdre dans les versions pendant des heures, tant ce titre a été enregistré.
Canaro et De Angelis
Un des derniers disques de De Angelis s’appelle Bodas de Oro con el Tango. Le livre de mémoires de Canaro est également sous-titré Mis Bodas de Oro con el Tango. J’ai trouvé amusante cette coïncidence.
Alfredo De Angelis a enregistré 17 titres de Canaro. Notre valse du jour n’est pas sur ce disque, mais sur un disque intitulé Al colorado de Banfield (1985), le colorado (le rouquin), c’est De Angelis, qui était fan du club de football de Banfield. Il a d’ailleurs écrit un tango « El Taladro », El Taladro étant le surnom du club de Banfield.
L’album s’appelle Al Colorado de Banfield à cause du tango composé par Ernesto Baffa et Roberto Pérez Prechi en l’honneur de De Angelis. Il a été publié en 1985, mais il comporte des enregistrements de 1980 (comme notre valse du jour), jusqu’à 1985. C’est son dernier disque.
Canaro et De Angelis ont leurs partisans et leurs opposants. Aucun des deux n’a pu entrer dans le saint des saints des 4 piliers, réservé à Pugliese, Troilo, D’Arienzo et Di Sarli, mais ils ont créé tous les deux suffisamment de titres intéressants pour avoir une bonne place dans le panthéon du tango et tant pis pour les ronchonchons qui n’aiment pas.
Que ce soit dans les bals musettes de France, dans les milongas du Monde entier ou dans des lieux plus étonnants, cette superbe valse a fait tourner des danseurs et des têtes. Généralement, on dit que c’est une valse péruvienne, mais cela peut faire hurler les Argentins, car les papas de cette merveille sont tous Argentins.
Une valse bien née
La musique est de Ángel Cabral (Ángel Amato). Ce guitariste est né en 1911 à Buenos Aires. Très jeune, il jouait dans des trios de guitares. À l’époque de l’écriture de Que nadie sepa mi sufrir, le trio était composé de Ángel Cabral, Juan José Riverol (né à Buenos Aires et fils du guitariste de Carlos Gardel) et Alfredo Lucero Palacios (né à Rosario, Argentine). Il était ami de Enrique Dizeo (né à Buenos Aires), l’auteur des paroles, avec José Riverol, trois fanatiques des courses de chevaux et tous les trois nés à Buenos Aires. L’auteur de la musique et des paroles est Ángel Cabral. Enrique Dizeo aurait joué un rôle secondaire d’améliorations du texte de Cabral. Ce thème aurait écrit vers 1936 (d’aucuns disent 1927) et interprété en 1936 par Hugo Del Carril (né à Buenos Aires). Certains affirment que Hugo Del Carril aurait enregistré cette valse, mais cela semble faux ou pour le moins il n’existe pas d’enregistrement déclaré, ni de film dans lequel il aurait interprété ce titre. Par ailleurs, si la date de 1927 était vraie, ce serait le premier titre de Cabral en solo. Le plus ancien titre enregistré datant de 1930 et était une collaboration, La Brava, une ranchera composée avec Hérmes Romulo Peressini. Dans les années 1940, il écrit tous les autres titres avec la participation de ses collègues guitaristes du trio. Il s’agit de corridos et de milongas. La première ranchera de 1930 n’est peut-être pas de lui, mais de Martín Valentín Cabral, auteur de nombreuses rancheras. Le fait que sur la partition de Que nadie sepa mi sufrir, il y ait la photo des trois guitaristes de l’époque, et pas du trio des années 30, me semble devoir confirmé que le titre date plutôt de la fin des années 40 ou du début des années 50. Si quelqu’un pouvait sortir une véritable preuve que Hugo Del Carril a chanté le titre en 1936, ce serait intéressant.
Quoi qu’il en soit, on voit donc que toutes les personnes ayant participé de près ou de loin à ce titre sont Argentines. Alors, pourquoi dire que c’est une valse péruvienne ? En fait, le terme de valse péruvienne désignait un rythme de valse plutôt lent que d’ailleurs Cabral a utilisé pour la plupart de ses valses des années 50 et 60. Je pense qu’il souhaitait surfer sur le succès de Que nadie sepa mi sufrir qui a connu son véritable succès dans ces années, plus que dans les années 20 ou 30 si les sources plus ou moins fantaisistes faisant remonter la création à cette époque sont exactes. Cette valse « péruvienne » a donc connu beaucoup de succès, mais en attendant, je vous propose d’écouter une version enregistrée il y a exactement 69 ans. C’est une des meilleures versions, mais plusieurs se battent pour le podium et ça va être une véritable course pour savoir qui sera le premier. Mais comme les auteurs sont turfistes, les courses, ils connaissent.
Extrait musical
En photo, les membres du trio de guitariste dont était membre Cabral à l’époque de l’écriture de cette valse (dans mon hypothèse qu’elle date des alentours de 1950).
Paroles
No te asombres si te digo lo que fuiste Una ingrata con mi pobre corazón Porque el fuego de tus lindos ojos negros Alumbraron el camino de otro amor Porque el fuego de tus lindos ojos negros Alumbraron el camino de otro amor Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste? Que no puedo conformarme sin poderte contemplar Ya que pagaste mal, mi cariño tan sincero Lo que conseguirás, que no te nombre nunca más Amor de mis amores, si dejaste de quererme No hay cuidado, que la gente de eso no se enterará ¿Qué gano con decir que una mujer cambió mi suerte? Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir Y pensar que te adoraba ciegamente Que a tu lado como nunca me sentí Y por esas cosas raras de la vida Sin el beso de tu boca, yo me vi Y por esas cosas raras de la vida Sin el beso de tu boca, yo me vi Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste? Que no puedo conformarme sin poderte contemplar Ya que pagaste mal, mi cariño tan sincero Lo que conseguirás, que no te nombre nunca más Amor de mis amores, si dejaste de quererme No hay cuidado, que la gente de eso no se enterará ¿Qué gano con decir que una mujer cambió mi suerte? Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir
Ángel Cabral Letra : Enrique Dizeo
Traduction libre
Ne t’étonne pas si je te dis combien tu as été ingrate avec mon pauvre cœur. Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a illuminé le chemin d’un autre amour. Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a éclairé le chemin d’un autre amour Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ? Que je ne peux pas être satisfait sans pouvoir te contempler puisque tu as mal payé, mon affection si sincère. Ce que tu obtiendras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cesses de m’aimer. Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en rendront pas compte. Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ? Ils se moqueront de moi, personne ne connaîtra ma souffrance et ils penseront que je t’ai adoré aveuglément, qu’à tes côtés comme si jamais je ne l’avais ressenti. Et à cause de ces choses étranges de la vie sans le baiser de ta bouche, je me suis vu. Et pour ces choses étranges de la vie, sans le baiser de ta bouche, je me suis vu Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ? Que je ne puis être satisfait sans pouvoir te contempler puisque tu as mal payé, mon affection si sincère. Ce que tu obtiendras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cesses de m’aimer. Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en rendront pas compte. Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ? Ils se moqueront de moi, personne ne connaîtra ma souffrance.
Autres versions
Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alberto Castillo — Orq Dir Ángel Condercuri. Certains attribuent à Jorge Dragone la Direction de l’orchestre. C’est à mon avis une erreur, car Dragone dirigeait l’orchestre de Ledesma et les premiers enregistrements sont de 1957. Castillo, après avoir chanté pour l’orchestre de Tanturi jusqu’en 1943 a monté son orchestre, dirigé par Emilio Balcarce de fin 1943 à août 1944, puis par Enrique Alessio. En 1948, après un bref passage par l’orchestre de Troilo, Castillo confie la direction de son orchestre à Ángel Condercuri et César Zagnoli, puis en 1949 à Eduardo Rovira. En 1951 Ángel Condercuri, revient, seul à la direction de l’orchestre jusqu’en 1959. Signalons toutefois quelques enregistrements par Raúl Bianchi sur la période, donc si on peut avoir un doute sur Condercuri, c’est du côté de Bianchi qu’il faudrait regarder, pas du côté de Dragone. Dans les années 60 et 70, Osvaldo Requena et Condercuri vont diriger à tour de rôle l’orchestre. Aucune mention de Jorge Dragone dans la littérature sérieuse sur la question. J’ai même trouvé un CD où l’orchestre était mentionné comme étant celui de Tanturi… Mais il reste quelque chose de très important à signaler sur cette interprétation. Ce serait celle qu’aurait entendu Edith Piaf et qui en aurait fait La foule avec les paroles de Michel Rivgauche.
Moins de deux mois après Castillo, Alfredo De Angelis donne sa version avec Carlos Dante. C’est une très belle version qui souffre seulement du mépris de certains pour De Angelis et de ce que ce titre met en avant les sonorités criollas ce qui fait dire avec dédain à certains que c’est du folklore et pas du tango.
Si j’étais un DJ taquin, je mettrais cette version dans une milonga (si, au fait, je suis un DJ taquin, je pourrais le faire en Europe…). Le célesta donne le ton, on est dans quelque chose d’original. La guitare joue une très belle partition accompagnée par la contrebasse qui donne la base. Il y aurait un accordéon, mais il est tellement discret qu’on ne le remarque pas.
C’est notre valse du jour. Le rythme est plus posé que dans les versions de De Angelis et Castillo, on est ainsi plus proche de ce qu’est censée être une valse péruvienne. Le duo Alfredo Del Rio et Tito Lando fonctionne parfaitement. Même si Gobbi n’est pas en odeur de sainteté dans toutes les milongas, c’est une version qui pourrait faire le bonheur des danseurs. Pour moi, c’est une très belle réalisation.
Une version chanson, sympa, sauf pour la danse. Une introduction originale annonce aussi une orchestration différente.
Voilà la version que vous attendiez, celle d’Edith Piaf… Ici, vous avez en prime les paroles affichées en espagnol.
On remarque l’introduction qui diffère un peu des autres versions (en fait, presque toutes les introductions ont des variantes).
Paroles de La foule d’Edith Piaf (écrites par Michel Rivgauche)
Paroles de La foule Je revois la ville en fête et en délire Suffoquant sous le soleil et sous la joie Et j’entends dans la musique les cris, les rires Qui éclatent et rebondissent autour de moi Et perdue parmi ces gens qui me bousculent Étourdie, désemparée, je reste là Quand soudain, je me retourne, il se recule Et la foule vient me jeter entre ses bras Emportés par la foule qui nous traîne Nous entraîne Écrasés l’un contre l’autre Nous ne formons qu’un seul corps Et le flot sans effort Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre Et nous laisse tous deux Épanouis, enivrés et heureux Entraînés par la foule qui s’élance Et qui danse Une folle farandole Nos deux mains restent soudées Et parfois soulevés Nos deux corps enlacés s’envolent Et retombent tous deux Épanouis, enivrés et heureux Et la joie éclaboussée par son sourire Me transperce et rejaillit au fond de moi Mais soudain je pousse un cri parmi les rires Quand la foule vient l’arracher d’entre mes bras Emportés par la foule qui nous traîne Nous entraîne Nous éloigne l’un de l’autre Je lutte et je me débats Mais le son de ma voix S’étouffe dans les rires des autres Et je crie de douleur, de fureur et de rage Et je pleure Entraînée par la foule qui s’élance Et qui danse Une folle farandole Je suis emportée au loin Et je crispe mes poings, maudissant la foule qui me vole L’homme qu’elle m’avait donné Et que je n’ai jamais retrouvé
Paroles de Michel Rivgauche
Je vous propose d’arrêter là. J’avais sélectionné une quarantaine de versions, y compris dans d’autres rythmes, ce sera pour une autre fois et terminer avec Piaf, c’est tout de même une belle envolée, non ?
Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich; Francisco Brancatti
Mandria, encore un grand tango, adoré par les danseurs. Si ce sont les versions de D’Arienzo qui sont les plus connues, il y a d’autres versions intéressantes et que je vous propose ici. Attention, on entre dans l’univers hostiles des gauchos, mandrias, s’abstenir.
Extrait musical
Paroles
Tome mi poncho… No se aflija… ¡Si hasta el cuchillo se lo presto! Cite, que en la cancha que usté elija he de dir y en fija no pondré mal gesto.
Yo con el cabo ‘e mi rebenque tengo ‘e sobra pa’ cobrarme… Nunca he sido un maula, ¡se lo juro! y en ningún apuro me sabré achicar.
Por la mujer, creamé, no lo busqué… Es la acción que le viché al varón que en mi rancho cobijé… Es su maldad la que hoy me hace sufrir : Pa’ matar o pa’ morir vine a pelear y el hombre ha de cumplir.
Pa’ los sotretas de su laya tengo güen brazo y estoy listo… Tome… Abaraje si es de agaya, que el varón que taya debe estar previsto. Esta es mi marca y me asujeto. ¡Pa’ qué pelear a un hombre mandria ! Váyase con ella, la cobarde… Dígale que es tarde pero me cobré.
Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich ; Francisco Brancatti
Traduction libre et indications
Prenez mon poncho… Ne vous affligez pas… Et jusqu’au couteau, je vous le prête ! Racontez, que dans le lieu (terrain pour le duel, se dit aussi du terrain de foot) que vous choisissez, il faut dire et assurément (fija en lunfardo, chose sûre), je n’aurai pas de mauvais geste. Moi, avec la tête de mon fouet j’ai largement pour me couvrir (protéger)…
Je n’ai jamais été un lâche, je vous le jure ! Et sans aucune urgence je saurais me faire petit. Pour la femme, croyez-moi, je ne l’ai pas cherché… C’est l’action que j’ai vue de l’homme que j’ai hébergé dans mon ranch… C’est sa méchanceté qui aujourd’hui me fait souffrir : Pour tuer ou pour mourir, je suis venu me battre et l’homme doit s’y conformer. Pour un malotru de ce type, j’ai un bon bras et je suis prêt… Prenez… Abattu s’il est fait de galle, (agaya = agalla = excroissance qui se forme sur un arbre à cause de la piqûre d’un insecte) que le mec qui a parlé doit être prévenu. C’est ma devise et je m’y tiens. Pourquoi combattre un homme pleutre ! Allez avec elle, la lâche… Dites-lui qu’il est tard, mais que j’ai été payé.
J’ai quelques doutes sur l’interprétation, est-ce qu’au final il a mis une raclée avec son fouet au type qui était allé avec sa femme et qu’il chasse les deux, ou qu’il ne prend pas la peine de s’attaquer au pleutre (mandria) et qu’il le chasse avec la femme infidèle.
Autres versions
Mandria 1927-03-17 — Rosita Quiroga con guitarras. Les prestations de Rosita, l’artiste à la mode remportèrent beaucoup de succès au théâtre et à la radio, ce qui lança le titre comment en témoignent les autres enregistrements réalisés dans les deux mois qui suivirent. Dans cet enregistrement, elle est accompagnée de trois guitaristes. Sa voix, marquée de souffrance l’avait fait surnommée, la toujours blessé (La eterna herida) ou la muse pauvre (La musa mistonga), car elle était un produit des faubourgs dont elle avait la diction et la gouaille. En 1927, elle était au fait de sa gloire et l’année précédente, Antonio Polito et Celedonio Flores pour les paroles, lui avaient écrit un tango La musa mistonga.
Une Jolie version, assez lente et bien dansable.
La version de Fresedo a des points communs avec celle de Firpo.
Encore une version assez proche, un tempo plus marqué, mais bien sûr, la grande différence est le refrain chanté par Agustín Irusta.
Avec Canaro se terminent les enregistrements de la première vague. Quatre en deux mois, c’est un beau succès pour le titre, mais attendez la suite…
Après une pause de douze ans, une nouvelle version de notre titre du jour. C’est sans doute la version la plus célèbre. Contrairement aux versions de la décennie précédente on est face à un titre énergique, brillant, qui donne envie de danser.
Une version chantée avec une voix un peu recherchée. Pas forcément la version préférée des danseurs.
Trois ans plus tard, Bustos enregistre le thème avec D’Arienzo qui lui est aussi avec sa deuxième version, la première étant de 18 ans plus ancienne, avec Echagüe. Il est intéressant de comparer la version de Del Piano avec celle de D’Arienzo, elles sont proches en date et c’est le même chanteur. Del Piano a laissé plus de liberté à Bustos et même si D’Arienzo laisse Bustos chanter toutes les paroles, il reste dans le cadre de la danse, ce qui n’est aps toujours le cas d’autres orchestre de l’époque qui augmentent aussi fortement la part chantée des tangos.
El rebenque
On a déjà parlé de l’armement des gauchos, notamment du facón (couteau) et du poncho (enroulé autour du bras en protection).
L’arme d’aujourd’hui est le rebenque. C’est une sorte de cravache ou de fouet court. D’un côté, il y a la poignée (cabo) et de l’autre, la queue.
Feliciano Brunelli (Feliciano Juan Brunelli) Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)
L’illustration ne va pas spécialement vous aider à trouver le thème de cette milonga. C’est une milonga et la fleur, pourrait être la danseuse. Mais, l’expression « de mi flor » a un autre sens qui semble plus adapté à cette milonga qui dispose de deux versions de paroles. Écoutons et voyons cela.
Extrait musical
Paroles de la version chantée par Juan Carlos Casas
Con revuelos de percales las mozas la bailaron en las floridas tardes del viejo Montserrat.
“Venga, vea este corte” pregonaba algún taura al mandarse un redoble sobre el piso de tablas.
Dedicando a la reunión como una flor, su compadrada, retador en la intención de deslumbrar con sus hazañas Lindos tiempos aquellos, del fandango ligero al compás de un milongón que para más, puede mi flor.
Feliciano Brunelli Letra: Carlos Bahr
Traduction libre de la version chantée par Juan Carlos Casas
Avec des envolées de percale (calicot, étoffe légère et bon marché), les belles filles la dansaient dans les après-midi fleuris du vieux Montserrat. « Venez, voyez ce corte » proclama un des tauras (caïd, personnage « important ») en envoyant un martèlement sur le parquet. Dédiant à la réunion comme une fleur, sa compagne, provocateur dans l’intention d’éblouir par ses exploits. Ce sont de beaux moments, du fandango léger au rythme d’un milongón que pour plus, peut ma fleur.
Autres versions
Cela va aller assez vite, il n’y a que deux enregistrements, réalisés à moins de six mois d’intervalle.
Paroles de la version chantée par Héctor Farrel
La florearon las guitarras Trenzando bordoneos, En las tenidas bravas Por el noventa y dos.
Repicando tacones Con redoble compadre, Desde el sud hasta el norte Se jugó en un alarde. Fue la flor del arrabal Para el ojal de los cantores, Y en la voz del mayoral Por la ciudad, bordó primores.
Fue canción de vereda Y patrón de trastienda, Porque tuvo un corazón Que entreveró, rencor y amor.
Feliciano Brunelli Letra: Carlos Bahr
Traduction libre de la version chantée par Héctor Farrel
Les guitares l’ont fleurie de bordoneos tressés (jeu sur les trois cordes graves de la guitare), dans les lieux vaillants pour une quatre-vingt-douze.
Claquant des talons en roulement de tambour joint, du sud au nord, il se jouait en fanfaronnade. C’était la fleur des faubourgs pour la boutonnière des chanteurs, et dans la voix du mayoral (celui qui faisait payer le billet dans le tramway) à travers la ville, il brodait des motifs de première.
C’était une chanson du trottoir et un motif d’arrière-boutique, parce qu’il avait un cœur qui s’entremêlait, ressentiment et amour.
Pourquoi ce titre ?
De mi flor signifie quelque chose d’excellent. En français, on parle de « fleur de l’âge ». Vous avez compris que le narrateur, dans chacune des versions, est un fanfaron qui se vante de danser comme un ____________ (complétez avec le terme de votre choix).
Milonga et milongón
Je rajouterai un titre très proche Milongón de mi flor composé par José Vázquez Vigo et interprété par Francisco Canaro, la même année.
Un milongón, c’est à la fois un style de milonga d’origine uruguayenne que Canaro a essayé de lancer, sans grand succès, mais c’est aussi un bal populaire ; un désordre bruyant voire une bagarre. Je vous laisse danser ces trois milongas et vous dit, à demain les amis, depuis ma ville chérie, Buenos Aires.
Cristino Tapia (musique et paroles), arrangements de Roberto Pepe
Peut-être que certains se sont demandé d’où venait ce nom étrange. La Yumba, Beba, Zum (de Piazzolla) et maintenant Tupungatina (de Tapia) sont dans le lexique étonnant des œuvres jouées par Pugliese. Je pourrais vous dire que ça vient de la petite localité de Tupungato, du département de Tupungato, célèbre pour son volcan du même nom. La Tupugatina est une habitante de ce lieu. Ce serait donc une banale chanson en l’honneur d’une femme, mais vous vous en doutez, il y a une surprise que nous découvrirons en fin d’article.
Extrait musical
Paroles
Ya me voy para los campos que añoro a buscar yerba de olvido y dejarte, a ver si con esta ausencia pudiera en relación a otro tiempo olvidarte, a ver si con esta ausencia pudiera en relación a otro tiempo olvidarte.
He vivido tolerando martirios, y jamás pienso mostrarme cobarde, arrastrando una cadena tan fuerte hasta que mi triste vida, se acabe, arrastrando una cadena tan fuerte hasta que mi triste vida, se acabe.
Cuando le he enseñado al tiempo mis penas no hay mal que por bien no venga, aunque escarche cuando no haya tierra, ni agua, ni cielo se acabarán mis tormentos cobardes, cuando no haya tierra, ni agua, ni cielo se acabarán mis tormentos cobardes.
Cristino Tapia (musique et paroles), arrangements de Roberto Pepe
Traduction libre et indications
Je m’en vais par les champs qui me manquaient pour chercher l’herbe de l’oubli et te laisser, pour voir si avec cette absence je pourrais par rapport à un autre temps, t’oublier, pour voir si avec cette absence je pourrais par rapport à un autre temps, t’oublier. J’ai vécu en tolérant des martyres, et je n’ai jamais eu l’intention de me montrer lâche, en traînant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève, en traînant une chaîne si forte jusqu’à ce que ma triste vie s’achève. Quand j’ai appris au temps, mes peines, il n’y a pas de mal qui ne vienne pour le bien, même s’il gèle, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâches tourments finiront, quand il n’y aura plus de terre, plus d’eau, plus de ciel, mes lâches tourments finiront. (L’auteur est des Andes et donc il peut évoquer le froid de l’hiver, avec le gel, la neige et le brouillard qui fait perdre les repères, la terre, l’eau et le ciel).
Autres versions
Je vous avais promis une surprise, la voici. Il s’agit de la version originale de ce titre qui était à l’origine une zamba (danse traditionnelle argentine qui se danse avec des mouchoirs. Voir l’anecdote sur la 7 de april).
L’enregistrement est tardif, mais il restitue la composition originale dont on n’a pas d’enregistrement d’époque. C’est donc la première surprise, que Pugliese, s’intéresse à une zamba.
Ce titre n’est pas celui du jour, mais il permet d’entendre chanter le Dúo Tapia-Almada.
On peut faire la relation de style avec le Dúo Tapia-Almada.
Parmi les informations que l’on peut tirer de cette partition :
Elle est dédicacée par Cristino Tapia à une disciple de Elisa Orellana nommée Carmen D. de Gramajo. Je n’ai pas d’information sur cette dernière, mais Elisa Orellana est sa femme, avec qui il fera par la suite un duo, comme il l’a fait avec Francisco Almada (ils sont en photo sur la couverture), auparavant avec son frère José María, puis par la suite avec Cartos, Llanes, et enfin sa femme avec qui il a enregistré plus d’une centaine d’albums de 1925 à 1930.
On voit que le Duo de Gardel avec José Razzano interprétant ce titre a obtenu un grand succès à Buenos Aires.
Il est indiqué « Tonada » qui est une forme de chanson et non plus Zamba. Gardel était passé par là. Ce dernier a enregistré une vingtaine de titres de Tapia. C’était donc une collaboration régulière.
Puis le thème semble avoir été oublié du domaine du tango. Il a continué à vivre sa vie chez les chanteurs de folklore, sous forme de tonada ou de zamba. En 1952, Pugliese enregistre le titre, à sa sauce, ou plutôt à la sauce d’un de ses bandonéonistes, Roberto Pepe. À sa mort, le 29 novembre 1955, son collègue Esteban Enrique Gilardi dédiera un tango qui sera enregistré le 20 mars 1956 par Pugliese.
L’hommage rendu par Gilardi à son collègue récemment disparu. Bien sûr, ce n’est pas le thème du jour. Cela permet de rappeler que les musiciens de Pugliese étaient généralement aussi arrangeurs, voire compositeurs et qu’ils formaient un groupe assez solidaire autour de leur chef. Écoutons maintenant la magie de Pepe qui transforma une zamba/tonada en un chef-d’œuvre du tango.
Le petit frère de notre tango du jour, né la même année, moins de cinq mois plus tard, quasi des jumeaux. Le petit frère est un peu plus long, près de quatre minutes contre un peu plus de trois minutes trente pour la première version.
S’il ne semble pas y avoir d’enregistrements notables du titre par la suite, les chanteurs de folklore continuent de l’utiliser comme en témoigne cette superbe version de Jorge Cafrune.
Une magnifique interprétation de ce grand du folklore argentin. C’est une zamba, mais pas si évidente à danser de par l’interprétation particulière.
Voici une version hors du temps qui pourrait rappeler les polyphonies corses…
Et pour terminer, on retourne avec un orchestre de tango, Solo Tango qui nous propose une version énergique et dansable. C’est, bien sûr, sur une base des arrangements de Roberto Pepe.
Encore une milonga qui fait se jeter les danseurs sur la piste. Pourtant, elle a différentes personnalités selon les orchestres qui l’interprètent. Je vous invite à découvrir certains de ses visages. Le premier enregistrement est celui de Canaro, c’est notre tango milonga du jour. Elle fête ses 87 ans et exprime la nostalgie de la ville qui change.
Extrait musical
Paroles
Oigo tu voz engarzada en los acordes de una Iírica guitarra… Sos milonga de otros tiempos… Yo te vi crecer prendida en las polleras de un bailongo guapo y rompedor como jamás ha de volver.
Nadie, tal vez, comprendió mejor las penas y el sentir de mi barriada… Sin embargo te olvidaron y en el callejón tan sólo una guitarra te recuerda, criolla como vos, y en su gemir tiembla mi ser.
Vuelvo cansado de todo y en mi corazón lloran los años… Mi vida busca tan sólo la tranquilidad del viejo barrio… Y encuentro todo cambiado menos tu canción, milonga mía… El progreso ha destrozado toda la emoción de mi arrabal.
Quiero olvidar y tus notas van llenando de tristeza el alma mía… He cruzado tantas veces ese callejón, llevando entre los labios un silbido alegre y tu cantar emborrachando el corazón.
Era feliz entregado a las caricias de la única sincera que acunó una primavera que no floreció… Milonga, ya no puedo continuar… El llanto me venció… Quiero olvidar… y pienso más.
Pedro Laurenz José María Contursi (hijo)
Traduction libre et indications
J’entends ta voix enlacée dans les accords d’une guitare lyrique… Tu es une milonga d’un autre temps… Je t’ai vu grandir accrochée aux jupes dans des bals déchaînés (destructeurs) comme il n’en reviendra jamais. Personne, peut-être, ne comprenait mieux les chagrins et les sentiments de mon taudis… Cependant, ils t’ont oublié et dans la ruelle seule une guitare se souvient de toi, criolla comme toi, et dans ses gémissements mon être tremble. Je reviens fatigué de tout et dans mon cœur les années pleurent… Ma vie ne cherche que la tranquillité du vieux quartier… Et je trouve que tout a changé sauf ta chanson, ma milonga… Le progrès a détruit toute l’excitation de mon faubourg. J’ai envie d’oublier et tes notes remplissent mon âme de tristesse… J’ai traversé cette ruelle tant de fois, portant aux lèvres un sifflement joyeux et ton chant qui enivrait mon cœur. C’était heureux de s’abandonner aux caresses de la seule sincère qui berçait un printemps qui ne fleurissait pas… Milonga, je ne peux plus continuer… Les pleurs m’ont submergé… Je veux oublier… Et je pense encore plus.
Autres versions
C’est notre milonga du jour. Canaro a été le premier à enregistrer le titre de Laurenz. Comme généralement à cette époque, le rythme est plutôt lent, presque canyengue.
Laurenz arrive après Canaro pour donner sa version. Le rythme est bien plus rapide et Hector Farel chante quelques mots (ce qui est en gras dans les paroles, rappelant ainsi que Contursi, fils, a créé des paroles pour cette milonga.
Sept ans plus tard, Laurenz revoit sa copie, purement instrumentale. Le rythme est encore plus soutenu.
En 1968, Laurenz a réduit la voilure et c’est son quintette qui interprète le titre. Le rythme est plus lent, mais ce qui frappe, c’est la légèreté de la musique. Le quintette ne rivalise pas avec l’orchestre, le résultat me semble un peu anecdotique, charmant, mais sans plus…
Deux ans plus tard, D’Arienzo balance toute la sauce avec cette milonga énervée qui ravira les danseurs les plus énergiques et achèvera les autres.
Fidèle à son vice, Cambareri nous libre une version en excès de vitesse. Je suis à peu près sûr que lui et ses musiciens mettent de la boisson énergisante dans leur café. Même les danseurs les plus énergiques regarderont les notes passer sans essayer de les attraper. Quand c’est trop, c’est trop, d’autant plus que cela manque un peu de clarté.
Cette version a le mérite de nous présenter les paroles de Contursi, fils.
Une belle version, bien énergique, dans l’esprit de D’Arienzo.
Une version légère, qui démarre comme un train à vapeur, puis qui trouve son rythme. Intéressant, mais est-ce suffisant pour les danseurs, pas sûr.
Milonga de mis Amores par Roxana Fontán accompagnée à la flûte par Ravind Sangha et un guitariste…
Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)
Mi serenata est un superbe tango chanson, écrit par Edgardo Donato. Il l’a enregistré à deux reprises, les deux fois avec des duos (et il ne sera pas le seul). Je vous propose aujourd’hui la seconde version, moins connue que celle réalisée 12 ans plus tôt. C’est le soir, laissez-vous bercer par cette sérénade et soyez sympas, répondez aux chanteurs, pas comme la pimbêche de ce tango.
Les rues de Buenos Aires et des alentours regorgeaient d’âmes seules et de musiciens, chanteurs, toujours prêts à pousser la chansonnette, notamment pour conquérir une belle. La sérénade, favorisée par les nuits généralement clémentes de la région, faisait donc flores. Le tango témoigne de cet engouement, avec au moins une trentaine de titres contenant Serenata. Ce sont majoritairement des tangos et des valses, mais en dehors de notre univers tanguero, il pouvait s’agir aussi de habaneras ou boléros. Le cérémonial de la sérénade passait par la chanson sous le balcon, de l’autre côté de la clôture, comme dans la version d’aujourd’hui, par fois sur le balcon, comme dans Serenata que nous avons déjà évoqué… Normalement, la femme devait allumer une lumière pour signaler qu’elle était à l’écoute et si tout se passait bien, le chanteur pouvait espérer aller un peu plus loin, c’est-à-dire, selon les cas, grimper au balcon de façon acrobatique, sauter la barrière, ou recevoir l’accueil suspicieux du père de la belle.
Extrait musical
La voix grave de Almada et la plus aigüe de Podestá forment un assez bel ensemble.
Vous remarquerez qu’il est indiqué « Tango canción » (tango chanson). Il est écrit également que les palabras (paroles) sont de Juan C. Thorry, que la musique est de Edgardo Donato et que c’est une création de Romeo Gavio. Cela nous indique certainement qu’avant de l’enregistrer, il l’a chanté sur une des scènes de Buenos Aires. La partition est dédicacée par Donato à José Lectoure et Ismaël Pace. Comme il se peut que vous ne connaissiez pas ces deux individus, voici leur photo et leur CV.
Je suis sûr que vous n’aviez pas deviné qui étaient réellement les dédicataires… Le Luna Park est une immense salle de spectacle de Buenos Aires, on se souvient que Canaro l’a utilisée pour les carnavals à partir de 1936, voir par exemple Después del carnaval 1941-06-19 Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est aussi une salle où des combats de boxe sont donnés, tout aussi violents que les meetings politiques qui s’y déroulent encore aujourd’hui. On peut s’étonner de la dédicace. Ils étaient amis de Donato, mais le thème de ce tango ne semble pas totalement adapté aux personnages. On les imagine difficilement grattant une guitare sous un balcon, mais qui sait ?
Paroles
Niña de mi corazón brindarte quiero un cantar que sea el reflejo fiel de cariño sin par, niña de mi ilusión.
A tu reja llegué una estrella guiñó y aquel día forjé mi primera ilusión. Serenata que allí para ti improvisó mi amor, tu promesa de amor, tu mirada, un clavel, dieron premio a mi canción.
Hoy que ya el tiempo pasó, vine a tu reja a cantar, silencio fue el responder a este triste dolor que tu ausencia dejó.
Edgardo Donato Letra: Juan Carlos Thorry (José Antonio Torrontegui)
Traduction libre et indications
Fille de mon cœur, je veux t’offrir une chanson qui soit le reflet fidèle d’une affection sans pareille, fille de mon sentiment amoureux (ilusión, n’est pas une illusion…). À ta clôture, une étoile venue faire un clin d’œil, et ce jour-là, j’ai forgé mes premiers sentiments. Une sérénade que là, pour toi, j’ai improvisé mon amour, ta promesse d’amour, ton regard, un œillet, ont donné un prix (récompense) à ma chanson. Aujourd’hui que ce temps est déjà passé, je suis venu à ta clôture pour chanter, le silence a été la réponse à cette triste douleur que ton absence a laissée.
Autres versions
C’est la première version, enregistrée par l’auteur, avec le duo gagnant Lita Morales et Romeo Gavioli. Qui d’autre que Roméo pouvait lancer la sérénade à Juliette, pardon, à Lita ? N’oublions pas qu’ils étaient un couple discret comme nous l’avons évoqué lors de notre anecdote sur El adios. C’est sans doute la version préférée de la plupart des danseurs et elle le mérite.
Il s’appelle aussi Donato, mais c’est son prénom et le résultat n’est pas forcément convaincant.
Et pour terminer, une belle version de la Romantica Milonguera en video. C’est de 2017, donc logiquement après la version de El Cachivache, mais je trouve plus sympa de terminer ainsi. C’est de nouveau un duo, homme femme, comme la première version de 1940 par Donato. La boucle est fermée.
Le bateau à voiles, el bajel et ses compagnons plus tardifs à charbon, ont été les instruments de la découverte des Amériques par les Européens. Notre tango du jour lui rend hommage. C’est un tango plutôt rare, écrit par deux des frères De Caro. Si les deux sont nés à Buenos Aires, leurs parents José De Caro et Mariana Ricciardi sont nés en Italie et donc venus en bateau. Mais peut-être ne savez-vous pas qu’on vous mène en bateau quand on vous vante les qualités de compositeur et de novateur de Julio De Caro. Nous allons lever le voile et hisser les voiles pour nous lancer à a découverte de notre tango du jour.
Ce week-end, j’ai animé une milonga organisée par un capitaine de bateau. Je lui dédie cette anecdote. Michel, c’est pour toi et pour Delphine, que vous puissiez voguer, comme les pionniers à la rencontre des merveilles que recèlent la mer et les terres lointaines au compas y al compás de un tango.
Au premier plan à gauche, Émilio de Caro au violon, Armando Blasco, bandonéon, Vincent Sciarretta, Contrebasse, Francisco De Caro, piano; Julio De Caro, violin à Cornet et Pedro Laurenz au bandonéon. Emilio est le plus jeune et Francisco le plus âgé des trois frères présents dans le sexteto. Julio avec son violon à cornet domine l’orchestre
Extrait musical
Ce n’est assurément pas un tango de danse. Il est d’ailleurs annoncé comme tango de salon. Contrairement aux tangos de danse où la structure est claire, par exemple du type A+B, ou A+A+B ou autre, ici, on est devant un déploiement musical comme on en trouve en musique classique. Pour des danseurs, il manque le repère de la première annonce du thème, puis celle de la reprise. Ici, le développement est continu et donc il est impossible de deviner ce qui va suivre, sauf à connaître déjà l’œuvre. C’est une des caractéristiques qui permet de montrer que la part de Francisco et bien plus grande que celle de son petit frère dans l’affaire, ce dernier étant plus traditionnel, comme nous le verrons ci-dessous, par exemple dans le tango 1937 qui est de conception « normale ». Entrée musicale, chanteur qui reprend le thème avec le refrain…
Autres versions
L’orchestre Sans Souci sort de sa zone de confort qui est de jouer dans le style de Miguel Caló. Le résultat fait que c’est le seul tango de notre sélection qui soit à peu près dansable. On notera en fin de musique, le petit chapelet de notes qui est la signature de Miguel Caló, mais que l’on avait également dans l’enregistrement de Maderna…
Une version tirant fortement du côté de la musique classique. Mais c’est une tendance de beaucoup de musiciens que de tirer vers le classique qu’ils trouvent parfois plus intéressant à jouer que les arrangements plus sommaires du tango de bal.
Julio ou Francisco ?
Si le prénom de Julio a été retenu dans les histoires de tango, c’est qu’il était, comme Canaro, un entrepreneur, un homme d’affaires qui savait faire marcher sa boutique et se mettre en avant. Son frère Francisco, aîné d’un an, n’avait pas ce talent et est resté toute sa vie au second plan, malgré ses qualités exceptionnelles de pianiste et compositeur. Il a failli créer un sexteto avec Clausi, mais le projet n’a pas abouti, justement, par manque de capacité entrepreneuriale. Nous évoquerons en fin d’article un autre sexteto dont il est à l’origine, sans lui avoir donné son prénom. En tango comme ailleurs, ce n’est pas tout que de bien faire, encore faut-il le faire savoir. C’est dommage, mais ceux qui tirent les marrons du feu ne sont pas toujours ceux qui les mangent. Julio, était donc un homme avec un caractère plutôt fort et il savait mener sa barque, ou son bajel dans le cas présent. Il a su utiliser les talents de son grand frère pour faire marcher sa boutique. Francisco est mort pauvre et Pedro Laurenz qui, comme Francisco a beaucoup donné à Julio, a aussi connu une fin économiquement difficile. Julio a signé ou cosigné des titres avec Maffia, Francisco (son frère) et Laurenz, sans toujours faire la part des participations respectives, qui pouvaient être nulles dans certains cas, malgré son nom en vedette. Par exemple ; El arranque, Boedo ou Tierra querida sont signés par Julio Caro alors qu’ils sont de Pedro Laurenz qui n’est même pas mentionné.
Sur cette image tirée de la couverture d’une partition de La revancha de Pedro Laurenz on trouve l’équipe de compositeurs associée à Julio De Caro :
Emilio De Caro, le petit frère qui a composé une dizaine de titres joués par l’orchestre de Julio.
Francisco De Caro, le grand frère qui est probablement le compositeur principal de l’orchestre de Julio, que ce soit sous son nom, en collaboration de Julio ou comme compositeur « caché ».
Pedro Maffia, qui « donna » quelques titres à Julio quand il travaillait pour le sexteto
Pedro Laurenz, qui fut également un fournisseur de titres pour l’orchestre.
Je pourrais rajouter Ruperto Leopoldo Thompson (le contrebassiste) qui a donné Catita enregistré par l’orchestre de Julio de Caro en 1932. Contrairement aux compositions des frères de Julio, de Maffia et de Laurenz, c’est un tango traditionnel, pas du tout novateur.
Quelques indices proposés à l’écoute
Avancer que Julio De Caro n’est pas forcément la tête pensante de l’évolution decarienne, mérite tout de même quelques preuves. Je vous propose de le faire en musique. Voici quelques titres interprétés, quand ils existent, par l’orchestre de Julio de Caro pour ne pas fausser la comparaison… Vous en reconnaîtrez certains qui ont eu des versions prestigieuses, notamment par Pugliese.
Tangos écrits par Julio de Caro seul :
Après l’annonce, le thème qui sera repris ensuite par le chanteur, Pedro Lauga. Une composition classique de tango.
Le tango est encore composé de façon très traditionnelle, sans les innovations que son frère apporte, comme dans Flores negras que vous pourrez entendre ci-dessous.
Je vous laisse méditer sur l’intérêt de ces enregistrements.
Attention, pour ces titres, comme pour les suivants, il ne s’agit pas de musique de danse. Ce n’est donc pas l’aune de la dansabilité qu’il faut les apprécier, mais plutôt sur leur apport à l’évolution du genre musical, ce qui permet de voir que l’apport de Julio dans ce sens n’est peut-être pas aussi important que ce qu’il est convenu de considérer.
Tangos cosignés avec Francisco De Caro (en réalité écrits par Francisco)
Si on considère que c’est un enregistrement de 1928, on mesure bien la modernité de cette composition. Pugliese l’enregistrera en 1944.
Tangos écrits seulement par Francisco De Caro
On pensera à la magnifique version de Osvaldo Fresedo (celle de 1961, bien sûr, pas celle de 1937 écrite par Tibor Barczy (T. Baresi) avec des paroles de Tibor Barczy et Roberto Zerrillo et qu’a si merveilleusement interprété Roberto Ray. La version de 1961 n’est pas pour la danse, c’est plutôt une œuvre « symphonique » et qui s’inscrit dans la lignée de Francisco De Caro, objet de mon article. Merci à Fred, TDJ, qui m’incite à donner cette précision que j’aurais dû faire, d’autant plus que l’univers de De Caro est souvent moins connu, voire méprisé par les danseurs.
S’il fallait une seule preuve du talent de Francisco, je convoquerai à la barre ce titre. On peut entendre comment commence le titre, avec ces élans des cordes que l’on retrouvera chez Pugliese bien plus tard, tout comme les sols de pianos de Francisco seront ressuscités par Pugliese en son temps. La contrebasse de Thompson marque le compas, mais avec des éclipses, tout comme le fera Pugliese dans ces alternances de passages rythmées et d’autres glissés. Si vous faites attention, vous pourrez distinguer la différence entre le violon d’Emilio et celui de son grand frère Julio qui utilise encore le cornet de l’époque acoustique. Cette différence de sonorité permet d’attribuer avec certitude les traits plus virtuoses à Emilio. Même si on n’est pas vraiment dans la danse, ce titre pourra curieusement plaire aux amateurs des tangos de Pugliese des années 50, ce qui démontre l’avancée de Francisco par rapport à ses contemporains. Par rapport à notre tango du jour, il reste un peu de la structure traditionnelle, mais avec de telles variations que cela rendrait la tâche des danseurs très compliquée s’ils leur prenaient l’envie de le danser en improvisation. Cette magnifique mélodie fait partie de la bande-son du film La puta y la ballena (2004). De Angelis, et Fresedo en ont des versions intéressantes et fort différentes. Celle de De Angelis est même tout à fait dansante.
Je rajoute un enregistrement de qualité très moyenne, mais qui est un excellent témoignage de l’admiration d’Osvaldo Pugliese pour Francisco De Caro.
Encore une version enregistrée à la radio et avec un public enrhumé.
Si on compare avec une composition de Julio, même plus tardive, comme Viña del mar (1936), on voit bien qui est le novateur des deux.
Tangos cosignés par Francisco De Caro et Pedro Laurenz
Tangos écrits par Pedro Laurenz et signés Julio De Caro
Sur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’étaiSur les disques, c’est le nom de l’orchestre qui prime. S’il c’était appelé Hermanos De Caro ou tout simplement De Caro, peut-être que la contribution majeure de Francisco De Caro serait plus connue aujourd’hui. Sur le disque, seul le nom de Julio De Caro apparaît pour la composition, alors que c’est une œuvre de Pedro Laurenz. On comprend qu’à un moment ce dernier ait également quitté l’orchestre.
Tango cosigné avec Pedro Laurenz (avec apports de Laurenz majoritaires, voire totaux)
Tangos cosignés avec Pedro Maffia (en réalité écrits par Maffia)
Quinteto Los Virtuosos (Francisco De Caro (piano), Pedro Maffia et Ciriaco Ortiz (bandonéon), Julio De Caro et Elvino Vardaro (violon)
Pas de version enregistrée par Julio de Caro.
Tangos co-écrits avec Maffia et Laurenz mais signés par Julio de Caro
On pensera aux versions de Troilo ou Pugliese pour se rendre compte de la modernité de la composition de Maffia et Laurenz. L’enregistrement acoustique rend toutefois difficile l’appréciation de la subtilité de la composition.
Le violoniste Manlio Francia composa deux tangos qui furent joués par l’orchestre de Julio De Carro, Fantasias (1929) et Pasionaria (1927).
Mais alors, pourquoi on parle de Julio et pas de Francisco ?
J’ai évoqué la personnalité forte de Julio. En fait, l’orchestre initial a été formé par Francisco qui a demandé à ses deux frères de se joindre à son sexteto, en décembre 1923. Le succès aidant, l’orchestre a obtenu différents contrats permettant à l’orchestre de grossir, notamment pour le carnaval (oui, encore le carnaval) jusqu’à devenir une composition monstrueuse d’une vingtaine de musiciens. Ceci explique que le sexteto est généralement appelé orquesta típica, même si ce terme est généralement réservé aux compositions ayant plus d’instrumentistes (bandonéonistes et violonistes). Au départ, cet orchestre monté par Francisco n’ayant pas de nom, il s’annonçait juste « sous la direction de Julio De Caro. Mais un jour, dans une publicité du club Vogue ou se produisait l’orchestre, l’orchestre était annoncé comme l’orchestre « Julio De Caro. Cela n’a pas plut à Maffia et Petrucelli qui décidèrent alors d’abandonner l’orchestre ne supportant plus le caractère, fort, de Julio et sa volonté de dominer. Ceux qui connaissent les Daltons penseront sans doute à la personnalité de Joe Dalton pour la comparer à celle de Julio De Caro.
Plus tard, Gabriel Clausi et Pedro Laurenz quitteront l’orchestre à cause du caractère de Julio. Ces derniers ont gardé des attaches avec Francisco et lorsque Osvaldo Pugliese s’est chargé de faire passer à la postérité l’héritage des frères De Caro, c’est à Francisco qu’il se référait. Donc, ce qui était clair à l’époque, est un peu tombé dans l’oubli, notamment à cause des disques qui portent uniquement le nom de Julio De Caro, puisque tous les orchestres étaient à son nom, ce dernier ayant toujours refusé le partage, Maffia-De Caro ou De Caro-Laurenz, même pas en rêve pour lui.
Cette photo est en général étiquetée comme étant l’orchestre de Julio De Caro en route pour l’Europe en mars 1931. Cependant on reconnaît Thompson, mort en août 1925. La photo est donc à dater entre 1924 et cette date si c’est l’orchestre De Caro. Je propose de placer cette photo sur un bateau se rendant en Uruguay ou qui en revient. Julio de Caro avait, à diverses reprises, travaillé en Uruguay, avec Eduardo Arolas, Enrique Delfino et Minotto Di Cicco (dans l’orchestre duquel Francisco était pianiste). Comme Thomson était avec Juan Carlos Cobián en 1923 et auparavant avec Osvaldo Fresedo, cela confirme que cette photo est au plus tôt de décembre 1923. Lorsque Francisco du monter son orchestre (qui prit le prénom de son frère), il fit appel outre à ses frères, Emilio et Julio, à Thompson, Luis Petrucelli (bandonéon) puis Pedro Láurenz en septembre 1924 Pedro Maffia (bandonéon) remplacé en 1926 par Armando Blasco et Alfredo Citro (violon). Il y a peu de photos des artistes en 1924 et les portraits que j’ai trouvés ne permettent pas de garantir les noms des autres personnes présentes. Quoi qu’il en soit, je termine cette anecdote avec une photo prise sur un bateau, même si ce n’est probablement pas un bajel…
Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José María Tagini
La gayola, je suis sûr que certains ont l’habitude de l’apprécier par Rodriguez et Moreno. Mon célèbre esprit de contradiction et la date du jour fait que je vous propose une version moins connue, mais tout à fait intéressante. Elle a été enregistrée deux semaines plus tard par Francisco Lomuto et Fernando Díaz.
Extrait musical
Le staccato initial de l’orchestre donne le ton. C’est une version énergique. Cependant, elle alterne avec des passages plus doux. C’est une interprétation en contraste, sans monotonie et qui reste dansable de bout en bout.
Paroles
¡No te asustes ni me huyas !… No he venido pa’ vengarme si mañana, justamente, yo me voy pa’ no volver… He venido a despedirme y el gustazo quiero darme de mirarte frente a frente y en tus ojos contemplarme, silenciosa, largamente, como me miraba ayer…
He venido pa’que juntos recordemos el pasado como dos buenos amigos que hace rato no se ven; a acordarme de aquel tiempo en que yo era un hombre honrado y el cariño de mi madre era un poncho que había echado sobre mi alma noble y buena contra el frío del desdén.
Una noche fue la muerte quien vistió mi alma de duelo a mi buena (tierna) madrecita la llamó a su lado Dios… Y en mis sueños parecía que la pobre, desde el cielo, me decía que eras buena, que confiara siempre en vos.
Pero me jugaste sucio y, sediento de venganza… mi cuchillo en un mal rato envainé en un corazón… y, más tarde, ya sereno, muerta mi única esperanza, unas lágrimas rebeldes(amargas)las sequé en un bodegón.
Me encerraron muchos años en la sórdida gayola y una tarde me libraron… pa’ mi bien…o pa’ mi mal… Fui sin rumbo por las calles y rodé como una bola; Por la gracia de un mendrugo, ¡cuántas veces hice cola! las auroras me encontraron largo a largo en un umbral.
Hoy ya no me queda nada; ni un refugio… ¡Estoy tan pobre! Solamente vine a verte pa’ dejarte mi perdón… Te lo juro; estoy contento que la dicha a vos te sobre… Voy a trabajar muy lejos…a juntar algunos cobres pa’ que no me falten flores cuando esté dentro ‘el cajón.
Rafael Eulogio Tuegols Letra: Armando José MaríaTagini
Fernando Díaz chante tout ce qui est en gras. Armando Moreno chante ce qui est en bleu. (Entre parenthèses, des variantes des paroles). Gardel chante encore d’autres variantes que je ne reproduis pas ici.
Traduction libre et indications
N’aie pas peur et ne me fuis pas… Je ne suis pas venu me venger si demain, justement, je pars pour ne plus revenir… Je suis venu te dire au revoir et je veux me donner le plaisir de te regarder face à face et dans tes yeux me contempler, en silence, pendant un long moment, comme tu me regardais autrefois (ayer est hier, ou le passé, comme ici)… Je suis venu pour qu’ensemble nous puissions nous souvenir du passé comme deux bons amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps ; de me souvenir de cette époque où j’étais un homme honnête et où l’affection de ma mère était un poncho que j’avais jeté sur ma noble et bonne âme contre le froid du dédain. Une nuit, c’est la mort qui a revêtu mon âme de deuil, ma tendre petite mère l’a appelée à ses côtés, Dieu… Et dans mes rêves, il me semblait que la pauvre créature, du ciel, me disait que tu étais bonne, que je devais toujours te faire confiance. Mais tu m’as joué salement et, assoiffé de vengeance… mon couteau dans un mauvais moment, je l’ai fourré dans un cœur… Et, plus tard, déjà serein, mon seul espoir mort, j’ai séché quelques larmes amères dans un bodegón (restaurant populaire). Ils m’ont enfermé pendant de nombreuses années dans la sordide geôle et une après-midi ils m’ont libéré… pour mon bien… ou pour mon mal… J’errais sans but dans les rues et roulais comme une balle ; par la grâce d’un quignon de pain, combien de fois j’ai fait la queue ! Les aurores me trouvèrent bien souvent sur un pas de porte. Aujourd’hui, il ne me reste rien ; pas un refuge… Je suis si pauvre ! Je suis seulement venu te voir que pour te laisser mon pardon… Je te jure ; je suis heureux que le bonheur te sourie… Je vais travailler très loin… pour récolter quelques piécettes (cobres, pièces de menue monnaie en cuivre) afin de ne pas manquer de fleurs quand je serai dans le cercueil.
Autres versions
Et on termine par quatre versions à écouter.
Peu de temps après, Julio Sosa se détachera de l’orchestre de Pontier pour faire carrière solo et il se rapprochera de l’orchestre de Federico qui l’accompagnera jusqu’à sa mort.
Il est intéressant d’écouter deux versions, une à la guitare et l’autre avec un orchestre.
On termine par Julio Sosa en vidéo. Moins d’un an plus tard, il trouvait la mort dans un accident de la route, juste après avoir chanté ce titre avec l’orchestre de Leopoldo Federico. En effet, c’était sa « cumparsita ». Il terminait toujours ses prestations par La gayola. Esto es mi homenaje al Varón del tango.
La gayola, la geôle, la prison. Remarquez le numéro sur la porte… Cela vous rappelle un autre tango ?
Juan José Visciglio Letra : Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias
Pensalo bien, pense-le bien, ce titre est quasi indissociable de la version du jour par Juan D’Arienzo et Alberto Echagüe. Nous nous ferons donc un plaisir d’écouter ce titre qui fête aujourd’hui ses 86 ans, sans une ride. Il faut dire qu’il est bien né avec le trio D’Arienzo, Biagi et Echagüe.
Pour ce qui est de la participation de Rodolfo Biagi à la réalisation de ce chef-d’œuvre, c’était juste, car c’est le tout dernier enregistrement de Biagi avec D’Arienzo. Pour être précis, c’est l’avant-dernier, car le même jour, D’Arienzo enregistre Champagne tango qui porte le numéro de matrice suivant (12 364 contre 12 363 pour Pensalo bien). Les enregistrements suivants se feront avec Juan Polito, D’Arienzo ayant mis à la porte Biagi, car il ne voulait pas deux vedettes dans son orchestre.
Extrait musical
Le début staccato des bandonéons, suivi de tous les instruments en appui, lance le titre. Pas d’introduction, nous sommes directement dans le dur de la danse. C’est du D’Arienzo efficace. Des phrases des violons adoucissent et contrastent ce marquage appuyé du rythme. Le thème principal apparaît à 30 secondes. L’ensemble de l’orchestre le joue avec des contrepoints du piano. À 1:25, Echagüe reprend le thème avec sa voix ferme. Il ne chante que 25 secondes… Heureusement qu’il y a eu deux prises de ce titre le même jour, cela lui a permis de chanter 50 secondes…. À partir de 1:51, les bandonéons explosent la cadence en passant à des staccatos en doubles croches. La vitesse n’a pas changé, mais l’impression de vitesse, si. C’est simple, efficace, dansant. Du bon tango de danse, le fait que son succès ne se démente pas 86 ans plus tard le prouve. Tant qu’il y aura des danseurs pour sauter sur la piste aux premières notes de ce thème, le tango vivra.
Paroles
No te pido explicaciones No me gustan las escenas, ¿Decís que vas a dejarme? Andá, qué le voy a hacer. Si es cierto que has de marcharte Me causará mucha pena, Mas prefiero esa franqueza A un innoble proceder. No me explico por qué causa Decidiste dar tal paso, Si ayer mismo me juraste: “Sos el dueño de mi amor.” ¿Te ha cansado la pobreza ? ¿Ya no me quieres, acaso? O encontraste quien te quiera Con más cariño y fervor.
Pensalo bien Antes de dar ese paso, Que tal vez mañana acaso No puedas retroceder. Pensalo bien, Ya que tanto te he querido, Y lo has echado al olvido Tal vez por otro querer.
Te agradezco los momentos Más felices de mi vida, Yo sé que vos me trajiste La luz en mi soledad. Ya ciego corrí a tu encuentro A descansar en tus brazos, Y mis noches angustiosas Con tu paz, las borré. Es por eso que te imploro De rodillas : « No te vayas. » Más que nunca yo preciso Las caricias de tu amor. Escuchame… te suplico Por mi viejita querida, ¡No te vayas!, Acordate Que vos juraste por Dios.
Juan José Visciglio Letra: Nolo López ; Julio Alberto Cantuarias
Echagüe ne chante que ce qui est gras. 25 secondes qui restent dans l’oreille, une merveille.
Traduction libre
Je ne te demande pas d’explications, je n’aime pas les scènes. Tu dis que tu vas me quitter ? Va. Qu’est-ce que je vais faire ? S’il est vrai que tu dois partir, cela me causera beaucoup de chagrin. Mais je préfère cette franchise à un ignoble procédé. Je ne comprends pas pourquoi vous avez décidé de franchir un tel pas, si hier tu me jurais : « Tu es le propriétaire de mon amour. » La pauvreté t’a fatiguée ? Tu ne m’aimes plus, peut-être ? Ou tu as rencontré quelqu’un qui t’aime avec plus d’affection et de ferveur.
Réfléchi bien avant de franchir ce pas, que peut-être demain tu ne pourras pas revenir en arrière. Pense-le bien. Puisque je t’ai tant aimée et que tu l’as jeté à l’oubli, peut-être pour un autre amour.
Je te remercie pour les moments les plus heureux de ma vie. Je sais que tu m’as apporté de la lumière dans ma solitude. Alors aveugle, j’ai couru à ta rencontre pour me reposer dans tes bras. Et mes nuits angoissées, avec ta paix, je les avais effacées. C’est pourquoi je t’implore à genoux : « Ne t’en va pas. » Plus que jamais j’ai besoin des caresses de ton amour. Écoute-moi… Je t’en supplie pour ma chère mère. Ne pars pas ! Rappelle-toi que tu as juré par Dieu.
Autres versions
Il existe trois tangos portant le titre Pensalo Bien, mais un seul enregistrement nous restitue la création de Juan José Visciglio, Nolo López et Julio Alberto Cantuarias à l’époque de l’âge d’or du tango de danse. On ne s’en plaint pas, c’est notre tango du jour. Bien sûr, des orchestres contemporains se sont depuis lancés sur ce titre, je vous en propose deux.
Mais auparavant, je vais vous présenter les « faux » Pensalo bien.
Les « faux » Pensalo bien
Évidemment, ils ne sont pas faux. Ils ont juste le même titre et n’ont pas connu le même succès que notre tango du jour.
Pensalo bien composé par Edgardo Donato
Cette version instrumentale a été composée par Edgardo Donato. Dès les premières secondes, on se rend compte que ce titre n’a rien à voir et comme il est instrumental, personne ne pourra penser qu’il a le même titre que notre tango du jour.
Pensalo bien composé par Alberto Calvera avec des paroles de Enrique López
C’est la version étiquetée par erreur dans la partition publiée par Charles Gorczynski. On remarquera tout de suite que cette version n’a rien à voir avec la partition présentée qui est bien celle de la version de Juan José Visciglio (notre tango du jour).
Comme bien souvent, Canaro enregistre une version de danse et une version chanson. Cette dernière avec Ada Falcón.
30 ans plus tard, Salamanca propose cette version qui, je le reconnais, aurait pu ne pas faire partie de ma sélection…
Le « vrai » Pensalo bien
Pensalo Bien — Sexteto Milonguero con Javier di Ciriaco. Ce sexteto, aujourd’hui disparu, avait proposé des versions personnelles des grands succès du tango. Ici, Pensalo Bien, chanté par son leader, Javier Di Ciriaco. L’orchestre est un peu léger, ce n’est qu’un sexteto et de la part de cet orchestre, on pourrait attendre une version un peu plus énergique, mais c’est sympathique tout de même.
Pour terminer, une version un peu « cabotine » de Fernando Serrano…
C’est dansable et si tout comme la version du Sexteto Milonguero, ça ne peut pas faire oublier l’interprétation de D’Arienzo et Echagüe, c’est tout à fait recevable danse une milonga. L’avantage de cette vidéo, c’est qu’elle montre les deux instrumentistes (pianiste et bandonéoniste) à l’œuvre.
Voici le type même du tango qui rendait fou Jorge Luis Borges. Du sentimental à haute dose, pour lui qui ne voyait dans le tango que des affaires de compadritos, des histoires d’hommes virils dans les zones interlopes des bas quartiers de Buenos Aires. Il vouait une haine féroce à Gardel, l’accusant d’avoir dénaturé le tango en le rendant niais. Mais comme le mal est fait, plongeons-nous avec délice, ou horreur, dans la guimauve du sentimentalisme.
Extrait musical
Paroles
C’est le genre de tango où les Argentins s’exclament « ¡Que letra, por Dios! »
Cada vez que te tengo en mis brazos, que miro tus ojos, que escucho tu voz, y que pienso en mi vida en pedazos el pago de todo lo que hago por vos, me pregunto: ¿por qué no termino con tanta amargura, con tanto dolor?… Si a tu lado no tengo destino… ¿Por qué no me arranco del pecho este amor?
¿Por qué… sí mentís una vez, sí mentís otra vez y volvés a mentir?…
¿Por qué… yo te vuelvo a abrazar, yo te vuelvo a besar aunque me hagas sufrir?
Yo sé que es tu amor una herida, que es la cruz de mi vida, y mi perdición…
¿Por qué me atormento por vos y mi angustia por vos es peor cada vez?…
¿Y por qué, con el alma en pedazos, me abrazo a tus brazos, si no me querés ?
Yo no puedo vivir como vivo… Lo sé, lo comprendo con toda razón, sí a tu lado tan sólo recibo la amarga caricia de tu compasión…
Sin embargo… ¿Por qué yo no grito que es toda mentira, mentira tu amor y por qué de tu amor necesito, sí en él sólo encuentro martirio y dolor?
Luciano Leocata Letra: Abel Mariano Aznar
Traduction libre et indications
Chaque fois que je te tiens dans mes bras, que je regarde tes yeux, que j’écoute ta voix, et que je pense à ma vie en miettes, au prix de tout ce que je fais pour toi, je me demande : Pourquoi je n’arrête pas avec tant d’amertume, avec tant de douleur ?… Si à tes côtés, je n’ai pas d’avenir… Pourquoi est-ce que je n’arrache pas cet amour de ma poitrine ? Pourquoi… si vous mentez une fois, si vous mentez encore recommencez à mentir ?… (là, on passe au vouvoiement, ce qui n’est pas habituel en Argentine. Est-ce une façon de prendre ses distances ?). Pourquoi… Je te reprends dans mes bras, je t’embrasse à nouveau bien que tu me fasses souffrir ? Je sais que ton amour est une blessure, qu’il est la croix de ma vie, et ma perte… Pourquoi est-ce que je me tourmente pour toi et que mon angoisse pour toi est pire chaque fois ?… Et pourquoi, avec mon âme en morceaux, je me serre dans tes bras, si tu ne m’aimes pas ? Je ne peux pas vivre comme je vis… je le sais, je le comprends avec toute ma raison, si je ne reçois à tes côtés que l’amère caresse de ta compassion… Cependant… Pourquoi je ne crie pas que tout est mensonge, mensonge ton amour et pourquoi ai-je besoin de ton amour, si je n’y trouve que le martyre et la douleur ?
Autres versions
L’année de la sortie de ce titre, en 1956 le succès fut immense et tous les orchestres ayant une fibre sentimentale, ou pas, ont essayé de l’enregistrer. Pas moins de 11 enregistrements en cette année 1956, sans doute un record pour un titre. Prenez votre mouchoir, on retourne en 1956, année romantique.
C’est peut-être la première version, car il travailla étroitement avec Leocata à partir de cette époque. On trouve également son portrait sur la partition éditée par Julio Korn.
Jorge Casal est aussi un bon candidat pour être le premier, pour les mêmes raisons que Pacheco, sauf la photo sur la partition.
Et un enregistrement qui a raté la fenêtre en arrivant l’année suivante…
Par la suite, d’autres orchestres ont enregistré, mais je vous propose pour terminer et les encourager Los Caballeros del Tango qui est un orchestre de jeunes Colombiens. La chanteuse est Nathalie Giraldo (Nagica).
Cela fait plaisir de voir que la génération Z continue de s’intéresser au tango. Attendons qu’ils prennent un peu d’assurance pour qu’ils assurent la relève.
Histoire de « Y »
Non, je ne vais pas vous parler de la génération Y, celle qui a succédé aux X, V Baby-boomers, mais plutôt de la lettre Y qui précède le titre de ce tango. Y en espagnol, c’est et. En voici l’histoire, telle qu’on la raconte généralement dans le petit monde du tango.
La SADAIC est l’organisme qui enregistre les morceaux de musique en Argentine et qui distribue les droits d’auteurs en fonction des mérites respectifs de chacun des auteurs (je sais, c’est purement théorique ; —). Donc, quand Luciano Leocota a voulu déposer la musique du tango « Volvemos a querernos » le 13 mai 1948, il n’a pas pu le faire, car ce titre était déjà pris. J’ai voulu savoir quel était ce Volvemos a querernos initial. J’ai donc consulté le registre de la SADAIC et il y a bien deux musiques avec un titre proche. Mais la surprise est à venir :
Sous le numéro 333294, on trouve une œuvre enregistrée en 1988, soit 40 ans après la soi-disant date de collision des titres.
Registrada el 01/12/1988 T | VOLVAMOS A QUERERNOS OTRA SANCHEZ NESTOR FERNANDO / BELLATO MARIA GABRIELA
On notera que le titre est VolvAmos a querernos et pas VolvEmos a querernos. Mais il y a une deuxième surprise lorsque l’on vérifie l’enregistrement du tango déposé par Leocota et Aznar :
4772 | ISWC T0370051196 Registrada el 13/05/1948 T | Y VOLVEMOS A QUERERNOS (C’est le titre que nous connaissons) S | VOLVAMOS A QUERERNOS (Avec VolvAmos), le sous-titre apporte une autre variante. S | CHANTER LEOCATA AZNAR S | Y VOLVAMOS A QUERERNOS LEOCATA AZ AZNAR MARIANO ABEL LEOCATA LUCIANO
Il se peut donc que ce titre ait été enregistré ailleurs qu’en Argentine et je me suis tourné vers Leo Marini, un chanteur Argentin parti en 1950 à Cuba, Che. Justement, celui-ci a enregistré un boléro nommé « Volvamos a querernos ». Je le propose donc comme candidat pour la collision. Cependant, j’ai un autre candidat… Il s’agit de Y no te voy a llorar.
1200 | ISWC T0370013629 Registrada el 16/03/1948 T | NO TE VOY A LLORAR CALO MIGUEL/NIEVAS ROBERTO HIGINIO
L’intrus est dans ce cas une composition de Miguel Calo déposée en mars.
# 28897 | ISWC T0370310761 Registrada el 31/08/1953 T | Y NO TE VOY A LLORAR S | NO TE VOY A LLORAR AZNAR MARIANO ABEL LEOCATA LUCIANO
Ce dépôt est postérieur à celui de Y Volvemos a querernos, et il n’est donc sans doute pas le premier. Je ne suis pas certain d’avoir trouvé le « gêneur », ni même si cette histoire est vraie. ET vous allez me faire remarquer que je parle d’un tango différent et vous avez tout à fait raison. Je reviens donc au Y. Si Y Volvemos a querernos est le premier de la série des compositions de Leocata à être précédé d’un Y, beaucoup de ses compositions (environ 1/3) subiront le même sort. C’est devenu sa marque de fabrique.
Œuvres avec enregistrement disponible
Y volvemos a querernos 1949 (déposé à la SADAIC le 13 mai 1948)
Y mientes todavía 1950 (Déposé à la SADAIC le 23 octobre 1950)
Y no te voy a llorar 1953 (déposé à la SADAIC le 16 mars 1948) avec la collision de noms avec un titre de Miguel Calo).
Y todavía te quiero 1956 (notre titre du jour, déposé à la SADAIC le 18 janvier 1956). Il y a 22 thèmes avec un titre similaire, voire exactement le même. La règle de ne pas avoir deux œuvres du même nom semble avoir sauté… Le plus ancien semble être notre tango, car si plusieurs enregistrements ne sont pas datés, celui-ci a le numéro le plus petit.
Y te tengo que esperar 1957 (déposé à la SADAIC le 8 mars 1957)
Œuvres probablement sans enregistrement disponible.
Y a mi me gusta el tango (déposé à la SADAIC le 19 mai 1981)
Y deshojando el tiempo (déposé à la SADAIC le 13/03/1992)
Y el invierno queda atrás (déposé à la SADAIC le 8 juillet 2003)
Y esperando tu regreso (déposé à la SADAIC le 20 octobre 2005)
Y estás desesperado (déposé à la SADAIC le 6 novembre 1978)
Y este es el amor (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1995)
Y fue en aquel mes de mayo (déposé à la SADAIC le 18 mars 1998)
Y fue tan solo por amor (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
Y fue un sueño imposible (déposé à la SADAIC le 6 avril 1976)
Y hoy vuelvo a revivir (déposé à la SADAIC le 17 novembre 1989)
Y la quise con locura (déposé à la SADAIC le 17 septembre 1981)
Y la vida sigue igual (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y le canto a mi ciudad (déposé à la SADAIC le 8 avril 1991)
Y mentira fue tu amor (déposé à la SADAIC le 6 mai 1971)
Y no fue sin querer (déposé à la SADAIC le 22 mai 1989)
Y no me cuentes tu tristeza (déposé à la SADAIC le 1er août 1984)
Y no pudieron separarnos. Ce titre mentionné par Anamaria Blasseti n’est pas dans le listing de la SADAIC. J’ai vérifié les œuvres déposées par le co-auteur mentionné, Félix Arena (Rosario), la seule œuvre avec Y est Y mentira fue tu amor de 1971 et aucune autre de ses productions a un titre approchant.
Y no puedo vivir sin vos (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y no te creo (déposé à la SADAIC le 17 mai 1955)
Y para qué seguir fingiendo (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1993)
Y pretendes que empecemos otra vez (déposé à la SADAIC le 24 février 1982)
Y quiero estar a tu lado (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y quiero que vuelvas a mí (déposé à la SADAIC le 14 mars 1990)
Y rogaré por vos (déposé à la SADAIC le 6 février 1975)
Y te acordás que fue una tarde (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y te deje partir (déposé à la SADAIC le 19 avril 2005)
Y todo es mentira (déposé à la SADAIC le31 janvier 1958)
Y uniremos nuestro amor (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y vivamos nuestro carnaval (déposé à la SADAIC le 15 décembre 1980)
Y vuelvo a ser felix (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Y yo tenía quince años (déposé à la SADAIC le 27 mai 2002)
Cela fait une belle liste. À ma connaissance, seuls les titres où j’ai indiqué la date ont été enregistrés (j’ai mentionné la date du plus ancien enregistrement connu).
On considère parfois, que les premières versions sont les meilleures et que par la suite, les enregistrements suivants vont en déclinant. Come toute généralisation hâtive, c’est discutable. Dans le cas de Di Sarli, même si on se place dans le rôle du danseur, cette théorie n’est pas forcément pertinente. Il y a une évolution, mais toutes les versions, si différentes soient-elles, ont de l’intérêt. Voyons cela.
Extrait musical
C’est la quatrième version proposée par Di Sarli au disque. Nous verrons l’évolution en fin d’article avec l’écoute des trois premières versions.
Paroles
Les versions de Di Sarli sont toutes instrumentales, mais il y a des paroles, que voici :
El barrio duerme y sueña al arrullo de un triste tango llorón; en el silencio tiembla la voz milonguera de un mozo cantor. La última esperanza flota en su canción, en su canción maleva y en el canto dulce eleva toda la dulzura de su humilde amor.
Linda pebeta de mis sueños, en este tango llorón mi amor mistongo va cantando su milonga de dolor, y entre el rezongo de los fuelles y el canyengue de mi voz, ilusionado y tembloroso vibra humilde el corazón.
Sos la paica más linda del pobre arrabal, sos la musa maleva de mi inspiración; y en los tangos del Pibe de La Paternal sos el alma criolla que llora de amor. Sin berretines mi musa mistonguera chamuya en verso su dolor; tu almita loca, sencilla y milonguera ha enloquecido mi pobre corazón.
El barrio duerme y sueña al arrullo del triste tango llorón; en el silencio tiembla la voz milonguera del mozo cantor; la última esperanza flota en su canción, en su canción maleva y el viento que pasa lleva toda la dulzura de su corazón.
Carlos Di Sarli Letra: Enrique Carrera Sotelo
Traduction libre et indications
Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur. La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva (en lunfardo, c’est l’apocope de malévolo au féminin. La chanson est donc mal intentionnée, mauvaise, par son sens, pas par manque de qualité) et dans la douce chanson, il élève toute la douceur de son humble amour. Belle poupée de mes rêves, dans ce tango larmoyant mon amour triste chante sa milonga de douleur, et entre le grognement des bandonéons et le canyengue de ma voix, amoureux et tremblant, le cœur vibre humblement. Tu es la plus jolie fille (la paica est la compagne d’un compadrito et par extension, l’amante ou tout simplement la compagne) des faubourgs pauvres, tu es la muse malveillante de mon inspiration ; et dans les tangos du Pibe de La Paternal (surnom d’Osvaldo Fresedo, ce qui explique qu’il fut le premier à l’enregistrer…) vous êtes l’âme criolla (de tradition argentine) qui pleure d’amour. Sans repos (el berretín peut être le loisir comme dans Los tres berretines, une idée fixe, un caprice), ma triste muse exprime en vers, sa douleur ; ta petite âme folle, simple et milonguera a rendu fou mon pauvre cœur. Le quartier dort et rêve au roucoulement d’un triste tango larmoyant ; dans le silence tremble la voix milonguera d’un charmant chanteur. La dernière espérance flotte dans sa chanson, dans sa chanson maleva et le vent qui passe emporte toute la douceur de son cœur.
Autres versions
Il ne faut pas juger trop sévérement cette version, elle est de 1928 et donc dans le jus de son époque. Disons juste qu’elle n’est pas de la meilleure période de Fresedo. Manque de chance, il le réenregistrera en fin de carrière, une autre version qui n’est pas dans sa meilleure période… On doit cependant mettre à son crédit un tempo assez lent, comme celui des Di Sarli des années 50, mais le pesant canyengue, détruit toute la joliesse du titre. Une version pour des piétineurs qui ne seraient pas gênés par la voix de Famá.
Remarquez l’alternance de voix de gorge et de tête.
C’est la dernière version chantée. Les enregistrements suivants seront instrumentaux. Le style un peu trop vieillot manque sans doute de charme pour nos milongas modernes, même si dans l’interprétation, l’écriture de Di Sarli est reconnaissable. N’oublions pas qu’à cette époque, Di Sarli jouait avec son sexteto dans un style semblable.
Un tempo un peu soutenu, peut-être trop pour le thème. Mais comme c’est une version instrumentale, les danseurs ne sont pas supposés savoir que c’est triste… 128BPM
Milonguero viejo 1944-07-11 – Orquesta Carlos Di Sarli. Quatre ans après, Di Sarli corrige le tir avec un rythme plus calme. 122 BPM, mais quand on dans l’oreille, les versions des années 50, on pourra le trouver un tout petit peu trop rapide. On notera qu’au début, Di Sarli a ajoutée une montée de gamme pour introduire le thème. La version de 1940 et celles des autres orchestres qui n’ont pas adopté cet ajout paraissent plus abruptes dans la mise en œuvre.
Di Sarli ralenti encore le tempo. La musique sonne plus majestueuse. Je trouve que cela convient mieux au thème du vieux milonguero, même si c’est un enregistrement instrumental. 115 BPM. Comme j’ai placé un sondage à la fin de l’article, je ne vais pas écrire que c’est ma version préférée pour ne pas vous influencer.
L’ordre chronologique des enregistrements place cet enregistrements au milieu des versions de Di Sarli. La comparaison n’est pas à l’avantage de Demare.
C’est notre tango du jour. Il est à la vitesse que la version de 1951, 115 BPM. Avec la version de 1951, peut-être encore meilleure, cette version prouve que l’adage de plus c’est vieux, mieux c’est ne fonctionne pas. Les versions de 1950, pour ce titre, surpassent largement celles des années 40.
Entrée directe sans introduction au piano. Les variations imprévisibles, rendent le titre indansable.
La version la plus courte. Elle fait partie du disque de Argentino Galván que je vous ai présenté en deux fois et dont j’ai promis une étude de la pochette, un jour…
Vous étiez prévenu, même si Fresedo a enregistré deux fois, Milonguero viejo, aucune de ses versions ne soulèvera d’enthousiasme. Pour un titre qui le cite, il aurait pu s’appliquer et enregistrer avec Ray ou Ruiz, une belle version.
Entrée direct dans le thème, sans l’introduction de piano. En revanche, le tempo est lent, comme les derniers enregistrements de Di Sarli. Pour la danse il manque peut êre un peu de tonus et l’orchestre n’est pas assez incisif, les danseurs risquent de s’endormir.
Avec un tempo irrégulier de près de 150BPM, ne me semble pas très en phase avec les paroles, chantées avec une alternance de voix de gorge et de tête, un peu comme le faisait Corsini. Si les guitaristes sont Javier Amoretti, Nacho Cedrún et Martín Creixell et le contrebassiste Popo Gómez, je ne sais pas qui chante, peut-être les guitaristes.
Pour cette dernière version, je vous propose leur partition en PDF. Comme vous avez pu l’entendre, c’est un arrangement à partir de Di Sarli. Ils ont également conservé l’ajout du piano en introduction des versions de 1944 et ultérieures de Di Sarli.
José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)
Emportée par la foule, la célèbre chanson d’Edith Piaf pourrait être la sœur de notre tango du jour. Les deux nous comptent un amour éphémère, séparé par la foule dans le cas d’Edith et par le cortège de Carnaval dans celui de Ricardo Ruiz. Le carnaval était au vingtième siècle un événement pour les orchestres de tango.
Extrait musical
Paroles
Se fueron las horas de algarabía que Momo brindara con alegría… Callaron las risas de Colombina… Pierrot agoniza entre serpertinas. Murió carnaval y su cortejo de alegre y loca bullanguería…. Cornetas y gritos se escuchan lejos, vibrando las almas, al recordar…
Recordé que una noche el amor me brindó dos labios plenos de pasión y ardor…. Fue una noche que lloraban los violines un triste vals de promesas olvidadas… mientras la luna plateaba los jardines un beso ardiente en la noche palpitó.
Mas el encanto de aquellas horas, al morir Momo se diluyó. Y con mi dolor a solas lloré la muerte de mi ilusión.
Hoy solo escucho los tristes ecos de aquella alegría y de aquel beso… Mientras en las calles las serpertinas en llamas de fuego se ven quemar! Y entre cenizas carnavalescas aún quedan ardientes mis ilusiones… mi ensueño, el beso y las promesas prendieron la llama, ¡de aquel soñar!…
Mas no fue solo un sueño de amor que brilló; trajo también el placer dolor… Pues la ilusión también dejó su huella triste, al ausentarse entre el cortejo que marchaba… llevándose con su alegre mascarada mi último sueño de amor que allí tejí…
Pues ya soñaba, que fuera eterna la breve dicha, que ayer viví… Y con mi pesar, yo ruego que vuelva pronto otro Carnaval.
José Antonio Amunchástegui Keen (Paroles et musique)
Traduction libre et indications
Les heures de vacarme où le Roi Momo trinquait avec joie sont révolues. (La algarabía, c’est le bruit que l’on entend entre les morceaux dans les milongas de Buenos Aires, quand les gens parlent tous en même temps, c’est le brouhaha. Le Roi Momo était la figure emblématique du carnaval, inspiré du Dieu Momos ou Momus des Grecs anciens, repris par les Romains dans leurs saturnales. Le carnaval a été diffusé en Amérique du Sud, avec le succès que l’on sait, notamment en Colombie et au Brésil. En Argentine, et Uruguay, le carnaval est également un élément important de l’année et cela depuis le début du vingtième siècle.)… Les rires de Colombine se sont tus… Pierrot agonise au milieu des serpentins. Carnaval est mort (Le Roi Momo, comme le Bonhomme Carnaval en France, termine généralement assez mal, noyé, brûlé…) et son cortège de bruit joyeux et fou tintamarre (bullanguería est un synonyme de algarabía)… Des cornets (comme ceux du tranvia, tramway) et des cris se font entendre au loin, faisant frissonner les âmes au souvenir… Je me suis souvenu qu’une nuit l’amour m’a donné deux lèvres pleines de passion et d’ardeur… C’était une nuit où les violons pleuraient, une triste valse de promesses oubliées… Alors que la lune argentait les jardins, un baiser ardent dans la nuit palpitait. Mais le charme de ces heures, où Momo mourut, se dilua. Et avec ma seule douleur, j’ai pleuré la mort de mon illusion (illusion est comme toujours un sentiment d’amour). Aujourd’hui, je n’entends que les tristes échos de cette joie et de ce baiser… Alors que dans les rues, on voit brûler les serpentins en flammes de feu et parmi les cendres carnavalesques, mes illusions brûlent encore… Mon rêve, le baiser et les promesses ont allumé la flamme de ce rêve… Mais ce n’était pas seulement un rêve d’amour qui brillait, il apportait aussi du plaisir et de la douleur. Puis, l’illusion a aussi laissé son empreinte triste, lorsqu’elle s’est éclipsée entre le cortège en marche… emportant avec sa joyeuse mascarade mon dernier rêve d’amour que j’y ai tissé… Enfin, j’avais déjà rêvé que ce bref bonheur que j’ai vécu hier serait éternel… Et avec mon regret, je prie pour que revienne bientôt un autre carnaval.
Carnaval
Quand on pense, Amérique du Sud et Carnaval, c’est bien sûr Rio de Janeiro qui a la vedette. Mais en fait, les colons européens ont apporté le carnaval dans toute l’Amérique du Sud et l’Argentine et l’Uruguay l’ont également adopté, au début du vingtième siècle. Les percussions de la murga font un fond sonore puissant, mais la danse étant au programme, les orchestres sont mobilisés et plusieurs orchestres se sont formés pour ces occasions, de façon éphémère ou plus durable. Hier, nous avons vu l’orchestre Firpo-Canaro qui avait animé le carnaval à Rosario, il y en a beaucoup d’autres, comme Polito-D’Arienzo pour le carnaval de 1929 ou le Greco-Canaro pour les carnavals de 1914 – 1915. On se souviendra aussi de Alfredo Bigeschi qui écrivit son premier tango pour le carnaval de la Boca.
La bande « Juventud Bar Oriente » est née à la fin de 1952 (comme en témoigne son étendard). Elle représentait son quartier. Cette bande s’était organisée en club social et avait son siège près de la bombonera, le stade de Boca Junior.
Un film que nous avons déjà évoqué Carnaval de Antaño (1940), présente des images reconstituant le carnaval de 1912.
Dans ses mémoires, Canaro cite ses différentes prestations pour des carnavals, de Rosario à Montevideo en passant par Buenos Aires. L’apothéose est sans doute constituée par les bals géants qu’il animait au Luna Park.
Autres versions
Avec un autre Ruiz qui n’est pas le frère du premier. En effet, les deux frères de Floreal s’appellaient, Fraternidad et Libertario. Voilà ce que c’est que d’avoir un père anarchiste…
Hector Pacheco l’enregistre avec son orchestre. C’est bien sûr une version à écouter. On notera que le titre est ; Después de carnaval et non pas Después del carnaval comme dans toutes les autres versions.
Fresedo nous propose une version très différente où les bandonéons staccatos contrastent avec les violons legatos. Ce Fresedo tardif comporte cependant des fioritures qui n’ont pas bien vieilli et l’on se contentera, pour nos milongas, de la version de 1941.
En 1986, José Basso enregistre de nouveau ce titre avec Eduardo Borda y Quique Ojeda. Je vous propose ici une version télévisée.
On n’est pas dans la danse, mais en 1986, c’était à peine le début du renouveau du tango dansé à Buenos Aires.
Deux versions par Di Paulo
Pour nous réconcilier avec la danse, une version contemporaine, par le Sexteto Cristal.
Ce sexteto a le mérite de ressortir des titres un peu oubliés malgré leur qualité. Il garde les arrangements d’origine, ici, ceux de Fresedo avec Ruiz. Le résultat est donc tout à fait dansable, bien plus que les derniers titres de ma petite liste…