Sueño de muñeca 1935-05-03 – Orquesta Juan Canaro con Alejandro Fernández (Rafael Vicente Cisca)

Letra:

Ce titre sympathique, connu par les frères Canaro, a quelques particularités qui peuvent faire hésiter un DJ de le passer en . Voyons si ces scrupules sont justifiés. Nous allons traiter en parallèle les deux enregistrements, celui de Juan et celui de Francisco, tous les deux de 1935.

Tout d’abord, la version de Juan. C’est lui l’auteur de la musique et il l’a enregistré un 3 mai, date anniversaire de cet article.

Version de Juan Canaro

Sueño de muñeca 1935-05-03 – Orquesta Juan Canaro con Alejandro Fernández (Rafael Vicente Cisca).

On est frappé par la très longue introduction, comme si l’on se préparait au sommeil et presque à une minute, le rêve démarre, s’exprimant sur un mode mineur. On remarque quelques petits sursauts qui évoquent la (ou la mazurka).
L’orchestration est assez simple et la voix de Alejandro Fernández ressort bien au-dessus des instruments.

Version de

Francisco a donc enregistré sa version une semaine avant son frère.

À l’époque, les deux frères n’étaient plus aussi proches, Juan avait quitté l’orchestre de Francisco depuis cinq ans.
L’introduction est encore longue avec 40 secondes. Un faux départ à 30 secondes prépare les à la «  ». C’est une petite fantaisie proposée par Francisco.
On remarque tout de suite que l’orchestration est beaucoup plus poussée chez Francisco. Les instruments, plus nombreux, sont diversifiés et différenciés. Même si on n’échappe pas au marquage pesant des temps évoquant la mazurka ou la ranchera, les dialogues entre les instruments apportent une note de variété qui enlève la monotonie.
En général, cette version sera préférée à celle de Juan, même si elle accentue encore plus le caractère de la ranchera.

Paroles

En el jardín de la ilusión
Dormida vi bajo el rosal,
A la mujer de tentación
Que presintió mi madrigal.

Tenía los cabellos de oro y sol
Un cuerpo de muñeca escultural,
Mejillas con colores de arrebol
Diosa y flor virginal.

Por verla y admirarla me acerqué
Y el hombre más dichoso me sentí,
Pues viendo que soñaba la escuché
Y al soñar, decía así:

Tú serás mi dulce amor
El príncipe que soñé,
Te brindo mi candor
Y sólo para ti seré.
Ven mis ansias a calmar
Y en pago de tu amor,
En mí, mis besos lograrás
Con pasión,
Te adora hasta morir
Mi amante .
Juan Canaro Letra: Jesús Fernández Blanco

libre

Dans le jardin de l’illusion, j’ai vu, endormi au pied du rosier, la femme de la tentation qu’avait imaginée mon madrigal.

Elle avait des cheveux d’or et de soleil, un corps de poupée sculpturale, des joues avec des couleurs de coucher de soleil (arrebol est un mot poétique désignant la couleur des nuages éclairés par le soleil couchant), déesse et fleur virginale.
Pour la voir et l’admirer, je me suis approché et je me suis senti l’homme le plus heureux. Puis, voyant qu’elle rêvait, je l’ai écoutée et, dans son rêve, elle parlait ainsi :
Tu seras mon doux amour, le prince dont j’ai rêvé, je t’offre ma candeur et je serai seulement à toi.
Viens calmer mes désirs et, en retour de ton amour, en moi, tu obtiendras mes baisers, avec passion. Je t’adore à mourir, mon cœur aimant.

Les angoisses du DJ

Les deux versions provoquent les angoisses du DJ pour deux raisons.

Première angoisse des DJ, une introduction très longue

La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes.

La version de Juan totalise 55 secondes d’introduction et celle de Francisco 40 secondes. C’est long, très long, surtout quand on fait des tandas de trois titres…

De si longues introductions sont donc assez difficiles à utiliser. Le DJ devrait prévenir les danseurs et leur indiquer la durée de l’introduction. C’est d’autant plus important que ces introductions ne permettent pas de deviner le style des musiques. En annonçant à l’avance une valse, pour un premier titre de tanda, cela laisse le temps aux danseurs de bien inviter.

Cependant, dans beaucoup de cas et toujours quand ce type de titre est placé au milieu d’une tanda, on coupera l’introduction. Pour la version de Francisco, on pourra garder le faux départ, comme un élément de jeu avec les danseurs.

Les DJ bavards peuvent profiter de ces introductions généreuses pour donner des indications. Les autres pourront assister au désarroi des danseurs qui ne savent sur quel pied ils vont devoir danser…

Seconde angoisse des DJ, un style hésitant

Vous l’aurez remarqué, les deux versions, même si elles ont bien un rythme à trois temps, présentent des petits bonds suivis de courtes pauses, typiques de la ranchera ou de la mazurka.

Cet élément n’est pas très propice à la valse, car il casse la dynamique.

Le DJ devra donc juger, en fonction des compétences des danseurs, si cela va être apprécié ou honni par les danseurs.

La quasi-totalité des bons danseurs est incapable de réaliser une valse agréable sur une ranchera très marquée. En revanche, les danseurs plus moyens pourront s’en accommoder plus facilement, car ils sont moins concernés par le respect de la musique.

Dans le cas de ces « valses », les accents de ranchera ne sont pas trop marqués et on pourra tenter de les passer. Cependant, il y a tant de valses parfaites pour cela que ce n’est pas forcément pertinent de prendre des risques.

À vous de juger.

À bientôt, les amis !

Ils ont détruit la maison de Pichuco !

Même si Pichuco considérait que sa véritable maison était celle de la rue Soler au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Antonio Cabrera qu’il est né, le 11 juillet 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Soler qu’à la mort du père de Troilo, en 1922.
Cette maison a connu divers usages au du temps, comme en témoignent quelques photos historiques.
Si j’ai décidé d’en parler aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’être détruite pour un projet immobilier.

La maison natale de

La maison natale de Pichuco, rue José Antonio Cabrera 2937

Aníbal Carmelo Troilo, le père, et Felisa Bagnolo, la mère, louèrent cette maison, par suite du drame de la mort de Concepción, celle qui aurait dû être la grande sœur du bandoneón mayor de .

Les parents et Marcos, l’aîné, déménagèrent donc dans la maison de la rue Cabrera où naquit le petit Pichuco.

Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retourna alors dans la maison familiale de la rue Soler, celle qu’a donc le mieux connue Aníbal et qui en disait :

« Yo nací en una casa de Cabrera 2937, pero mi casa fue la de Soler 3280 ».

Je suis né dans une maison de Cabrera 2937, mais ma maison fut celle de Soler 3280.

Maison natale de Troilo à différentes époques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une ), 2024, une des dernières photos avec le bâtiment debout. Celui à sa gauche a déjà été remplacé. 2025, pendant la destruction de la semaine du 21 au 25 avril.
La plaque posée en 2008 déclarant la maison comme site d’intérêt culturel. Cela n’a pas empêché sa destruction…

La maison de Soler 3280

C’est la maison familiale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichuco considère comme la sienne.

La maison de la rue Soler au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juillet 1976 pour l’anniversaire de la naissance, l’année suivant la mort de Pichuco.

La fausse maison de Aníbal Troilo

Au 2540 rue Carlos Calvo, il y a eu « La Casa de Aníbal Troilo”. Cet établissement de spectacle n’a pas de rapport direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâtiment a été réutilisé par , l’auteur de Café la Humedad, chanson qui a donné le nom à son établissement.

Attention, le Café de la Humedad de la rue Carlos Calvo n’est pas le café original. En effet, celui-ci était, comme le dit la chanson, à l’angle de Gaona y Boyaca.

L’emplacement original du Café la Humedad, à l’angle de Gaona y Boyaca.

Les paroles de la chanson de Cacho Castaña

Humedad, llovizna y
Mi aliento empaña el vidrio azul del viejo bar
No me pregunten si hace mucho que la espero
Un café que ya está frío y hace varios ceniceros

Aunque sé que nunca llega
Siempre que llueve voy corriendo hasta el café
Y solo cuento con la compañía de un gato
Que al cordón de mi zapato lo destroza con placer

Café La Humedad, billar y reunión
Sábado con trampas, qué linda función
Yo solamente necesito agradecerte
La enseñanza de tus noches
Que me alejan de la muerte

Café La Humedad, billar y reunión
Sábado con trampas, qué linda función
Eternamente te agradezco las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Soledad, soledad de soltería
Son treinta abriles ya cansados de soñar
Por eso vuelvo hasta la esquina del boliche
A buscar la barra eterna de Gaona y Boyaca

Ya son pocos los amigos que me quedan
Vamos, muchachos, esta noche a recordar
Una por una las hazañas de otros tiempos
Y el del boliche que llamamos La Humedad

Café La Humedad, billar y reunión
Sábado con trampas, qué linda función
Yo solamente necesito agradecerte
La enseñanza de tus noches
Que me alejan de la muerte

Café La Humedad, billar y reunión
Sábado con trampas, qué linda función
Eternamente te agradezco las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Cacho Castaña

libre

L’humidité, la bruine et le froid
Mon haleine embue les vitres bleues du vieux bar
Ne me demandez pas si je l’attends depuis longtemps
Un café déjà froid et ça fait plusieurs cendriers.
Bien que je sache qu’elle ne vient jamais.
Quand il pleut, je cours au café.
Et je n’ai que la compagnie d’un chat.
Qui détruit le lacet de ma chaussure avec plaisir
Café La Humedad, et rencontre
Samedi avec des tromperies, quel beau programme
J’ai juste besoin de te remercier
L’enseignement de tes nuits
Qui me tiennent à l’écart de la mort
Café La Humedad, billard et rencontre
samedi avec des pièges, quel beau spectacle
Éternellement, je te remercie pour les poèmes
Que l’école de tes nuits
A enseigné à mes jours
Solitude, solitude du célibataire
C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver
C’est pourquoi je retourne à l’angle du dancing
Pour chercher l’éternelle bande de Gaona et Boyaca
Il ne me reste que peu d’amis
Allons-y, les gars, ce soir, pour nous remémorer
Un à un les exploits d’autrefois
Et le souvenir du dancing que nous appelons La Humedad.
Café La Humedad, billard et rencontre
Samedi avec des tromperies, quel beau programme
J’ai juste besoin de te remercier
L’enseignement de tes nuits
Qui me tiennent à l’écart de la mort
Café La Humedad, billard et rencontre
samedi avec des pièges, quel beau spectacle
Éternellement, je te remercie pour les poèmes
Que l’école de tes nuits
A enseigné à mes jours.

Cacho Castaña

Je vous propose de terminer sur la chanson de Cacho Castaña, chanté par lui-même dans son établissement, Café la Humedad.

Café la Humedad, chanté dans le théâtre Café la Humedad par son propriétaire et auteur, Cacho Castaña.

La canción de los pescadores de perlas 1968-08-30 y 1971 – Orquesta Florindo Sassone

. Florindo Sassone, Othmar Klose et Rudi Luksch (adaptation en tango)

Beaucoup de tangos sont inspirés de musiques européennes. Les valses, notamment, mais pas seulement. Ces titres sont adaptés et deviennent de « vrais tangos », mais ce n’est pas toujours le cas.
En France, certains de tango apprécient des titres un peu étranges, des titres qui n’ont jamais été écrits pour cette danse. On appelle généralement cela le « tango alternatif ».
Un des titres les plus connus dans le genre est la reprise d’un opéra du XIXe siècle effectuée par Florindo Sassone. Le fait qu’un chef d’orchestre de tango reprenne un titre n’en fait pas un tango de danse. Cela reste donc de l’alternatif. Je vous laisse en juger avec los pescadores de perlas, les pêcheurs de perles, de Bizet et Sassone…

Écoutes

Tout d’abord, voyons l’original composé par Bizet. Je vous propose une version par un orchestre et un chanteur français, celle du ténor Roberto Alagna avec l’orchestre de Paris, qui est dirigé par Michel Plasson. Cette interprétation a été enregistrée le 9 juillet 2009 au Bassin de Neptune du château de Versailles. Ce soir-là, il chantera trois œuvres de Bizet, dont un extrait de Carmen, même si ce n’est pas la célèbre habanera qui a tant à voir avec un des rythmes de base du tango et de la milonga. Vous pouvez voir le concert en entier avec cette vidéo…
https://youtu.be/Jx5CNgsw3S0. Ne vous fiez pas à la prise de son un peu médiocre du début, par la suite, cela devient excellent. Pour aller directement au but, je vous propose ici l’extrait, sublime où Alagna va à la pêche aux perles d’émotion en interprétant notre titre du jour.

Roberto Alagna et l’orchestre de Paris dirigé par Michel Plasson dans Les Pêcheurs de Perles de Georges Bizet. L’air de Nadir « Je crois entendre encore ».

Deux mots de l’opéra de Bizet

Les pêcheurs de perles est le premier opéra composé par Bizet, âgé de 25 ans, en 1863). L’intrigue est simpliste.
L’opéra se passe sur l’île de Ceylan, où deux amis d’enfance, Zurga et Nadir, évoquent leur passion de jeunesse pour une prêtresse de Candi nommé Leïla.
Pour ne pas nuire à leur amitié, ils avaient renoncé à leur amour, surtout Zurga, car Nadir avait secrètement revu Leïla.
Zurga était mécontent, mais, finalement, il décide de sauver les deux amants en mettant le feu au village.
L’air célèbre qui a été repris par Sassone est celui de Nadir, au moment où il reconnaît la voix de Leïla. En voici les paroles :

Je crois entendre encore,
Caché sous les palmiers,
Sa voix tendre et sonore
Comme un chant de ramier !
Ô nuit enchanteresse !
Divin ravissement !
Ô souvenir charmant !
Folle ivresse ! Doux rêve !
Aux clartés des étoiles,
Je crois encore la voir,
Entrouvrir ses longs voiles
Aux vents tièdes du soir !
Ô nuit enchanteresse !
Divin ravissement !
Ô souvenir charmant !
Folle ivresse ! Doux rêve !

Avant de passer aux versions de Florindo Sassone, une version par Alfredo Kraus, un ténor espagnol qui chante en Italien… La scène provient du film « Gayarre » de 1959 réalisé par Domingo Viladomat Pancorbo. Ce film est un hommage à un autre ténor espagnol, mais du XIXe siècle, Julián Gayarre (1844-1890).
La vie, ou plutôt la mort de ce chanteur, est liée à notre titre du jour, puisqu’en décembre 1889, Gayarre chanta Los pescadores de perlas malgré une bronchopneumonie (provoquée par l’épidémie de grippe russe qui fit 500 000 morts).
Lors de l’exécution, qui fut aussi la sienne, sa voix se cassa sur une note aigüe et il s’évanouit. Les effets conjugués de la maladie et de la dépression causée par son échec artistique l’emportèrent peu après, le 2 janvier 1890 ; il avait seulement 45 ans. Cette était suffisante pour en faire un mythe. D’ailleurs trois films furent consacrés à sa vie, dont voici un extrait du second, « Gayarre » où Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles.

Alfredo Kraus interprète le rôle de Gayarre chantant la chanson « je crois entendre encore » tiré des pêcheurs de perles dans le film Gayarre.

Sassone pouvait donc connaître cette œuvre, par les deux premiers films, « El Canto del Ruiseñor » de 1932 et « Gayarre » de 1959 (le troisième, Romanza final est de 1986) ou tout simplement, car bizet fut un compositeur influent et que Les pêcheurs de Perles est son deuxième plus gros derrière Carmen.

J’en viens enfin aux versions de Sassone

1968-08-30 – Orquesta Florindo Sassone.

C’est une version “adaptée” en tango. Je vous laisse juger de la dansabilité. Certains adorent.
Dès le début la harpe apporte une ambiance particulière, peut-être l’ondoiement des vagues, que ponctue le vibraphone. L’orchestre majestueux accompagné par des basses profondes qui marquent la marche alterne les expressions suaves et d’autres plus autoritaires. On est dans du Sasonne typique de cette période, comme on l’a vu dans d’autres anecdotes, comme dans Félicia du même Sassone. https://dj-byc.com/felicia-1966-03-11-orquesta-florindo-sassone/
La présence d’un rythme relativement régulier, souligné par les bandonéons, peut inspirer certains danseurs de tango. Pour d’autres, cela pourrait trop rappeler le rythme régulier du tango musette et au contraire les gêner.

Cet aspect musette est sans doute le fait d’Othmar Klose et Rudi Luksch qui sont intervenus dans l’orchestration. Luksch était accordéoniste et Klose était un des compositeurs d’Adalbert Lutter (tango allemand).

C’est cependant un titre qui peut intéresser certains danseurs de spectacle par sa variation d’expressivité.

La canción de los pescadores de perlas 1971 – Orquesta Florindo Sassone.

Trois ans plus tard, Sassone enregistre une version assez différente et sans doute encore plus éloignée de la danse. Là encore, elle pourrait trouver des amateurs…
Cette version démarre plus suavement. La harpe est moins expressive et les violons ont pris plus de présence. La contrebasse et le violoncelle sont bien présents et donnent le rythme. Cependant, cette version est peut-être plus lisse et moins expressive. Quitte à proposer une musique originale, je jouerai, plutôt le jeu de la première version, même si elle risque d’inciter certains danseurs à dépasser les limites généralement admises en tango social.

Cette version est souvent datée de 1974, mais l’enregistrement est bien de 1971 et a été réalisé à , dans les studios ION. Los Estudios ION qui existent toujours ont été des pionniers pour les nouveaux talents et notamment ceux du Rock nacional à partir des années 60. Le fait que Sassone enregistre chez eux pourrait être interprété comme une indication que ce titre et l’évolution de Sassone s’étaient un peu éloigné du tango « traditionnel », mais tout autant que les maisons d’éditions traditionnelles s’étaient éloignées du tango. Balle au centre.

Comparaison des versions de 1968 et 1971. On voit rapidement que la version de 1968, à gauche est marquée par des nuances bien plus fortes. Elle a plus de contraste. L’autre est plus plate. Elle relève plus du genre « musique d’ascenseur » que son aînée.

Le DJ de tango est-il un chercheur de perles ?

Le DJ est au service des danseurs et doit donc leur proposer des musiques qui leur donnent envie de danser. Cependant, il a également la responsabilité de conserver et faire vivre un patrimoine.
Je prendrai la comparaison avec un conservateur de musée d’art pour me faire mieux comprendre.
Le conservateur de musée comme son nom l’indique (au moins en français ou italien et un peu moins en espagnol ou en anglais où il se nomme respectivement curador et curator) est censé conserver les œuvres dont il a la responsabilité. Il les étudie, il les fait restaurer quand elles ont des soucis, il fait des publications et des expositions pour les mettre en valeur. Il enrichit également les collections de son institution par des acquisitions ou la réception de dons.
Son travail consiste principalement à faire connaître le patrimoine et à le faire vivre sans lui porter préjudice en le préservant pour les générations futures.
Le DJ fait de même. Il recherche des œuvres, les restaure (pas toujours avec talent) et les mets en valeur en les faisant écouter dans les milongas.
Parfois, certains décident de jouer avec le patrimoine en passant des disques d’époque. Cela n’a aucun intérêt d’un point de vue de la qualité du son et c’est très risqué pour les disques, notamment les 78 tours qui deviennent rares et qui sont très fragiles. Si on veut vraiment faire du show, il est préférable de faire presser des disques noirs et de les passer à la place des originaux.
Bon, à force d’enfiler les idées comme des perles, j’ai perdu le fil de ma canne à pêcher les nouveautés. Le DJ de tango, comme le conservateur de musée avec ses visiteurs, a le devoir de renouveler l’intérêt des danseurs en leur proposant des choses nouvelles, ou pour le moins méconnues et intéressantes.
Évidemment, cela n’est pas très facile dans la mesure où trouver des titres originaux demande un peu de travail et notamment un goût assez sûr pour définir si une œuvre est bonne pour la danse, et dans quelles conditions.
Enfin, ce n’est pas si difficile si on fait sauter la limite qui est de rester dans le genre tango. C’est la brèche dans laquelle se sont engouffré un très fort pourcentage de DJ, encouragés par des danseurs insuffisamment formés pour se rendre compte de la supercherie.
C’est comme si un conservateur de musée d’art se mettait à afficher uniquement des œuvres sans intention artistique au détriment des œuvres ayant une valeur artistique probante.
Je pense par exemple à ces productions en série que l’on trouve dans les magasins de souvenir du monde entier, ces chromos dégoulinants de couleurs ou ces « statues » en plastique ou résine. Sous prétexte que c’est facile d’abord, on pourrait espérer voir des visiteurs aussi nombreux que sur les stands des bords de plage des stations balnéaires populaires.
Revenons au DJ de tango. Le parallèle est de passer des musiques de variété, des musiques appréciées par le plus grand monde, des produits marketing matraqués par les radios et les télévisions, ou des musiques de film et qui, à force d’êtres omniprésentes, sont donc devenues familières, voire constitutive des goûts des auditeurs.
Je n’écris pas qu’il faut rejeter toutes les musiques, mais qu’avant de les faire entrer dans le répertoire du tango, il faut sérieusement les étudier.
C’est assez facile pour les valses, car le Poum Tchi Tchi du rythme à trois temps avec le premier temps marqué est suffisamment porteur pour ne pas déstabiliser les danseurs. Bien sûr, les puristes seront outrés, mais c’est plus une (op)position de principe qu’une véritable indignation.
Pour les autres rythmes, c’est moins évident. Les zambas ou les boléros dansés en tango, c’est malheureusement trop courant. Pareil pour les chamames, foxtrots et autres rythmes qui sont bougés en forme de milonga. Avec ces exemples, je suis resté dans ce qu’on peut entendre dans certaines milongas habituelles, mais, bien sûr, d’autres vont beaucoup plus loin avec des musiques n’ayant absolument aucun rapport avec l’Amérique du Sud et les rythmes qui y étaient pratiqués.
Pour ma part, je cherche des perles, mais je les cherche dans des enregistrements perdus, oubliés, masqués par des versions plus connues et devenues uniques, car peu de collègues font l’effort de puiser dans des versions moins faciles d’accès.
Vous aurez sans doute remarqué, si vous êtes un fidèle de mes anecdotes de tango, que je propose de nombreuses versions. Souvent avec un petit commentaire qui explique pourquoi je ne passerais pas en milonga cette version, ou au contraire, pourquoi je trouve que c’est injustement laissé de côté.
Le DJ est donc, à sa façon un pêcheur de perles, mais son travail ne vaut que s’il est partagé et respectueux des particularités du tango, cette culture, riche en perles.
Bon, je rentre dans ma coquille pour me protéger des réactions que cette anecdote risque de provoquer…

Ces réactions n’ont pas manqué, quelques réponses ici…

Tango ou pas tango ?

Une réaction de Jean-Philippe Kbcoo m’incite à développer un peu ce point.

« Les pêcheurs de perles » classés en alternatif !!!! Wouhaaa ! Quelle brillantissime audace ! Sur la dansabilité, je le trouve nettement plus interprétable qu’un bon Gardel, pourtant classé dans les tangos purs et durs, non ? En tout cas, de cet article à la phylogénétique très inattendue 🙂

Il est souvent assez difficile de faire comprendre ce qui fait la dansabilité d’une musique de tango.
J’ai fait un petit article sur le sujet il y a quelques années : https://dj-byc.com/les-styles-du-tango/
Il est fort possible qu’aujourd’hui, je n’écrirai pas la même chose. Cependant, Gardel n’a jamais été considéré comme étant destiné à la danse. Le tango a divers aspects et là encore, pour simplifier, il y a le tango à écouter et le tango à danser.
Les deux relèvent de la culture Tango, mais si les frontières semblent floues aujourd’hui, elles étaient parfaitement claires à l’époque. C’était inscrit sur les disques…
Gardel, pour y revenir, avait sur ses disques la mention :
“Carlos Gardel con acomp. de guitarras” ou “con la orquesta Canaro”, par exemple.
Les tangos de danse étaient indiqués :
“Orquesta Juan Canaro con Ernesto Famá”
Dans le cas de Gardel, qui ne faisait pas de tangos de danse, on n’a, bien sûr, pas cette mention. Cependant, pour reprendre Famá et Canaro, il y a eu aussi des enregistrements destinés à l’écoute et, dans ce cas, ils étaient notés :
“Ernesto Famá con acomp. de Francisco Canaro”.
Dans le cas des enregistrements de Sassone, ils sont tardifs et ces distinctions n’étaient plus de rigueur.
Toutefois, le fait qu’ils aient été arrangés par des compositeurs de musette ou de tango allemand, Othmar Klose et Rudi Luksch, ce qui est très net dans la version de 1968, fait que ce n’est pas du tango argentin au sens strict, même si le tango musette est l’héritier des bébés tangos laissés par les Argentins comme les Gobi ou les Canaro en France.
Je confirme donc qu’au sens strict, ces enregistrements de Sassone ne relèvent pas du répertoire traditionnel du tango et qu’ils peuvent donc être considérés comme alternatifs, car pas acceptés par les danseurs traditionnels.
Bien sûr, en Europe, où la culture tango a évolué de façon différente, on pourrait placer la limite à un autre endroit. La version de 1968 n’est pas du pur musette et peut donc être plus facilement assimilée. Celle de 1971 cependant, est dans une tout autre dimension et ne présente aucun intérêt pour la danse de tango.
On notera d’ailleurs que, sur le disque de 1971 réédité en CD en 1998, il y a la mention « Tango international » et que les titres sont classés en deux catégories :
« Tangos europeos et norteamericanos » et « Melodias japonesas ».

Le CD de 1998 reprenant les enregistrements de 1971 est très clair sur le fait que ce n’est pas du tango argentin.

Cette mention de « Tango international » est à mettre en parallèle avec d’autres disques destinés à un public étranger et étiquetés « Tango for export ». C’est à mon avis un élément qui classe vraiment ce titre hors du champ du tango classique.
Cela ne signifie pas que c’est de la mauvaise musique ou que l’on ne peut pas la danser. Certains sont capables de danser sur n’importe quoi, mais cette musique ne porte pas cette danse si particulière qu’est le tango argentin.

Cela n’empêche pas de la passer en milonga, en connaissance de cause et, car cela fait plaisir à certains danseurs. Il ne faut jamais dire jamais…

Une suggestion d’une collègue, Roselyne Deberdt

Merci à Roselyne pour cette proposition qui permet de mettre en avant une autre version française.

Les pêcheurs de perles 1936 – Tino Rossi Accompagné par l’Orchestre de Marcel Cariven. Disque Columbia France (label rouge) BF-31. Numéro de matrice CL5975-1.

Sur la face B du disque, La berceuse de Jocelyn. Jocelyn est un opéra du compositeur français Benjamin Godard, créé en 1888 avec un livret d’Armand Sylvestre et Victor Capoul. Il est inspiré du roman en vers éponyme de Lamartine. Cependant, même si la voix de Tino est merveilleuse, ce thème n’a pas sa place en milonga, malgré ses airs de de « Petit Papa Noël« …
N’oublions pas que Tino Rossi a chanté plusieurs tangos, dont le , mais aussi :

  • C’est à Capri
  • C’était un musicien
  • Écris-Moi
  • Le tango bleu
  • Le tango des jours heureux
  • Tango de Marilou

Et le merveilleux, Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ?, que je rajoute pour le plaisir ici :

Vous, qu’avez-vous fait de mon amour ? 1933-11-09 – Tino Rossi Accomp. Miguel Orlando et son .

Le Bagdad était à Paris au 168, rue du Faubourg Saint-Honoré. Miguel Orlando était un bandonéoniste argentin, importé par Francisco et grand-oncle de notre ami DJ de Buenos Aires, Mario Orlando… Le monde est petit, non ?

El paladín 1945-03-20 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Vous connaissez ce titre, bien qu’il ait été peu enregistré. Mais peut-être vous êtes-vous demandé qui était ce paladin, car ce terme désignait les Pairs de l’empereur Charlemagne, un millénaire plus tôt.
El paladín est un tango d’Agustín Bardi et ne semble pas avoir de paroles. Il est donc assez difficile de savoir qui était évoqué dans ce titre. Voici trois hypothèses.

Trois paladines possibles

On pourrait remonter un siècle plus tôt, à l’époque ou Martín Miguel de Güemes, accompagné de ses gauchos, était un des héros de l’Argentine pour ses actions dans l’indépendance du pays. En de l’article, je vous propose un portrait imaginaire de ce héros réalisé près d’un siècle plus tard par Manuel Prieto. Blessé d’une balle, il refusa les soins pour rester fidèle à sa cause et mourut onze jours plus tard, âgé de 36 ans. Son épouse, âgée de 25 ans, se serait laissé mourir de chagrin. Cette , hautement romantique, a pu inspirer Bardi. Cela expliquerait une musique plutôt et calme, peut-être du point de vue de la jeune épouse qui se laisse mourir de faim.

El paladín, partition pour piano. On voit manifestement un orateur, peut-être un avocat ou un politique.

La dernière possibilité est la de la partition. En effet, elle est dédicacée par Bardi à son ami Guillermo Fisher. Ce dernier est un des fondateurs de la Sociedad Nacional de Autores, Compositores y Editores de Música ce qui deviendra la , la société des auteurs et compositeurs argentins. Cependant, je n’ai pas plus obtenu de renseignements sur cette personne.

Extrait musical

Partition et El paladín. On remarque sur la couverture un orateur, politique, avocat, défenseur de la création de la société des auteurs ? Dans ce cas, il pourrait s’agir de Guillermo Fischer…
El paladín 1945-03-20 – Orquesta .

Autres versions

El paladín 1929-07-11 – Sexteto .

Cette version semble avoir été enregistrée au moins quatre fois et deux des enregistrements de cette journée, les matrices 44645-2 et 44645-4 ont été publiées en disque 78 tours, sous le même numéro de disque 47138 (Face B). Vous allez sans doute trouver cette version assez sympathique.

El paladín 1941-12-11 – Orquesta Carlos Di Sarli.

La reprise, 12 ans plus tard par Di Sarli. Cette version est relativement proche, mais plus liée.

El paladín 1945-03-20 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

C’est notre version du jour. Avec Pugliese, si le début semble assez semblable, on remarquera un jeu des violons dans les légatos sensiblement différent.

Les femmes et le tango

8 mars, journée internationale (des droits) des femmes

Le 8 mars est la journée internationale (des droits) des femmes. Il me semble d’actualité, d’aborder la question des femmes dans le tango. Il faudrait plus qu’un article, qu’un livre et sans doute une véritable encyclopédie pour traiter ce sujet, aussi, je vous propose uniquement quelques petites indications qui rappellent que le tango est aussi une de femmes.

« We can do it » (on peut le faire). Affiche de propagande de la société Westinghouse Electric pour motiver les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.

Cette affiche rappelle, malgré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes travailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur manufacture le 8 mars 1908. Ce sont les propres propriétaires de cette usine, la Cotton Textile Factory, qui ont mis le feu pour régler le problème avec leurs employées qui réclamaient de meilleurs salaires et conditions de vie avec le slogan « du pain et des roses »…

Du pain et des roses, un slogan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du textile le 8 mars 1908 à .

On se souvient en Argentine de faits semblables, lors de la semaine tragique de janvier 1919 où des centaines d’ouvriers furent assassinés, faits qui se renouvèleront deux ans plus tard en Patagonie où plus de 1000 ouvriers grévistes ont été tués.
Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traitement entre les sexes, ce qui est un autre type de lutte, mais qui rencontre, notamment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une opposition farouche du gouvernement.

Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…

Las mujeres y el amor () 1934-08-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray.

Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduardo Vetere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me semblait bien se prêter à notre thème du jour).

Les origines du tango et les femmes

Je passerai sous silence les affirmations disant que le tango se dansait initialement entre hommes, car, si, on a quelques photos montrant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pratiquer l’art de la danse.
Le tango a diverses origines. Parmi celles-ci, le monde du spectacle, de la scène, du moins pour ses particularités musicales. Dans les spectacles qui étaient joués dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, il y avait des femmes sur scène. Elles chantaient, dansaient. Elles étaient actrices. Les thèmes de ces spectacles étaient les mêmes qu’en Europe et souvent inspirés par les productions du Vieux Continent. Elles étaient destinées à ceux qui pouvaient payer, et donc à une certaine élite. Je ferai le parallèle avec Carmen de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour montrer à quoi pouvait ressembler une des productions de l’époque. Des histoires, souvent sentimentales, des figurants et différents tableaux qui se succédaient. La plupart du temps, ces spectacles relèvent du genre « vaudeville ». Les femmes, comme Carmen, étaient souvent les héroïnes et a minima, elles étaient indispensables et présentes. Au vingtième siècle, lorsque le tango a mûri, on retrouve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aussi dans le cinéma. Je pense que vous aurez remarqué à la lecture de mes anecdotes qu’une part importante des tangos provient de films et de pièces de théâtre.
Une autre origine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de compagnie féminine. Dans ce monde dur, où les couteaux sortaient facilement, où on travaillait dans des usines, aux abattoirs ou aux travaux agricoles et notamment l’élevage, les femmes étaient rares et convoitées. Cela donnait lieu à des bagarres et on se souvient que le tango canyengue évoquait par ses passes des figures de combat au couteau. Les hommes qui avaient la possibilité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les compagnons qui regardaient, cherchant à se mettre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tangos, dans des figures audacieuses et combatives, comme les fentes. La pénurie de femmes, malgré les importations à grande échelle de grisettes françaises et de pauvres hères d’autres parties de l’Europe, fait que c’est dans les bordels qu’il était le plus facile de les aborder. Dans ces maisons, closes, il y avait une partie de spectacle, de décorum et la danse pouvait être un moyen de . Il suffisait de payer une petite somme, comme on l’a vu, par exemple pour . Dans cet univers, le tango tournait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabaretier qui favorisait les activités pour que les clients de sa pulperia passe du temps et consomme.
Une dernière origine du tango, notamment en Uruguay est l’immigration (forcée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affranchis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont développé un art musical et chorégraphique pour exprimer leur peine et enjoliver leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dansaient et chantaient. Elles étaient cependant absentes comme instrumentiste, les tambours du candombe étaient plutôt frappés par des hommes, mais ce n’est pas une particularité de la branche noire du tango.

Les femmes comme source d’inspiration

Si on décidait de se priver des tangos parlant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beaucoup. Que ces dernières soient une étoile inaccessible, une traitresse infidèle, une compagne aimante, une femme de passage entrevue et perdue ou une mère. En effet, le thème de la mère est fortement présent dans le tango. Même les mauvais garnements, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.

Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro (Agustín Bardi Letra : José de la Vega).

Je vous propose une version chantée par une femme, la maîtresse malheureuse de Francisco Canaro, Ada Falcón.

Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspiratrices, car vous le retrouverez dans la plupart de mes anecdotes de tango.

Les femmes danseuses

Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me semble important de les mentionner, car, comme je l’indiquais au début de cet article, c’est aussi pour approcher les femmes que les hommes se convertissent en danseurs…

Carmencita Calderón et Benito Bianquet () dansent El Entrerriano de , dans le film « Tango » (1933) de Luis Moglia Barth.

Les femmes et la musique

La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la composition ou à la direction d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus discrets, comme violonistes dans un orchestre, ou, plus sûrement, elles jouaient du piano familial. Le manque de femmes dans la composition et la direction d’orchestre n’est donc pas un phénomène propre au tango. C’est plutôt un travers de la société patriarcale ou la femme reste à la maison et développe une culture artistique destinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de maison.
Cependant, quelques femmes ont su dominer le tabou et se faire un nom dans ce domaine.

Les femmes musiciennes

Aujourd’hui, on trouve des orchestres de femmes, mais il faut reconnaître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tango.
Francisca Bernardo, plus connue sous son pseudonyme de Paquita Bernardo, est la pionnière des bandonéonistes femmes.

Paquita Bernardo (1900-1925) , première femme connue pour jouer du bandonéon, un instrument réservé aux hommes auparavant.

Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laisser une marque profonde dans l’histoire du tango, car elle n’a pas enregistré de disque. Cependant on connaît ses talents de compositrice à travers quelques œuvres qui nous sont parvenues comme Floreal, un titre enregistré en 1923 par Juan Carlos Cobián.

Floreal 1923-08-14 — Orquesta Juan Carlos Cobián.

L’enregistrement acoustique ne rend pas vraiment justice à la compositrice. C’est un autre inconvénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement électrique…

Je vous propose également deux autres de ses compositions enregistrées par Carlos Gardel, malheureusement encore, toujours à l’ère de l’enregistrement acoustique.

La enmascarada 1924 – Carlos Gardel con acomp. de , (guitarras), avec des paroles de Francisco García Jiménez.
Soñando 1925 — Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras), avec des paroles de .

Mais d’autres femmes furent compositrices.

Les femmes compositrices

L’exemple de musique composée par une femme le plus célèbre est sans doute la merveilleuse valse, « Desde el alma » composée par Rosa Clotilde Mele Luciano, connue comme Rosita Melo. Cette pianiste uruguayenne a une page officielle où vous pourrez trouver de nombreux éléments.

Rosita Melo, compositrice de Desde el Alma.
Desde el alma (Valse) 1947-10-22 — Orquesta Francisco Canaro con Nelly Omar.

Je vous propose une des plus belles versions, chantée par l’incroyable Nelly Omar (qui vécut 102 ans).

Là encore, c’est une courte citation et une femme un peu particulière va me permettre de faire la transition avec les auteures de paroles de tango. Il s’agit de María Luisa Garnelli.

Les femmes auteures

María Luisa Garnelli est à la fois compositrice et auteure. J’ai parlé d’elle au sujet d’une de ses compositions, La naranja nacio verde.

María Luisa Garnelli, alias Luis Mario et Mario Castro.

Retenons qu’elle a pris divers pseudonymes masculins, comme Luis Mario ou Mario Castro, ce qui lui permit d’écrire des paroles de tango en lunfardo, sans que sa famille bourgeoise le sache… Elle fut également journaliste et correspondante de guerre…
Je vous propose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El malevo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une version chantée par une femme, Rosita Quiroga.

El malevo 1928 — Rosita Quiroga con guitarras.

Si vous souhaitez en connaître plus sur sa trajectoire particulière, vous pouvez consulter une biographie écrite par Nélida Beatriz Cirigliano dans Buenos Aires Historia.

Les femmes chanteuses

Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tango, mais je vous propose une petite galerie de photos. Elle est très loin d’être exhaustive, mais je vous encourage à découvrir celles que vous pourriez ne pas connaître.
Je vous propose d’écouter une version de la cumparsita par Mercedes Simone pour nous quitter en musique en regardant quelques portraits de chanteuses de tango.

La cumparsita (Si supieras) 1966 — Mercedes Simone accompagnée par l’orchestre d’Emilio Brameri.

Dédicace

Je dédicace cette anecdote à Victoria, ma femme, à ma fille, à ma mère et à mes grand-mères, mais aussi à Thierry qui m’a proposé de faire une anecdote sur ce sujet. Il est aussi le correcteur de mes anecdotes.
À bientôt, les amis !

La vida es corta 1941-02-19 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Letra:

Francisco Gorrindo a écrit les paroles de nombreux tangos et pas des moindres, comme Ansiedad, La bruja, Mala suerte ou . Notre rappelle que la vie est courte et Tanturi et Castillo nous invitent à suivre ce conseil, d’une fort belle manière. Alors, les amis, carpe diem!

Extrait musical

1941-02-19 – Orquesta Ricardo Tanturi con .
Édition anglaise de La vida es Corta. Schellac 78 tours.

Le titre commence par quatre notes montantes de la gamme de La mineur ; Sol-la-si-do données principalement par les deux bandonéons de Tanturi (Emilio Aguirre et Francisco Ferraro), mais aussi par le piano de Tanturi lui-même, qui rajoute une ponctuation à la fin de ce court motif. Toute la partie A sera du même principe avec les quatre notes tantôt au piano ou au bandonéon avec des petits motifs des autres instruments, y compris des deux violons (Antonio Arcieri et José Pibetti).

Puisque j’ai cité cinq des musiciens du sexteto de Tanturi (Los Indios), il convient de rajouter le contrebassiste (Raúl Méndez) qui aide à marquer le rythme pour les danseurs, mais le piano de Tanturi qui marque chaque temps participe aussi de cette conservation du rythme, même quand les violons joueront leurs grandes et belles phrases legato.
Pendant les parties chantées par Alberto Castillo, les instruments seront majoritairement rythmiques, ce qui est très habituel chez Tanturi, dont on considère que (presque) tous les enregistrements sont dansables. L’écoute de ce morceau, et la reconnaissance de cette particularité, qu’il partage dans une certaine mesure avec D’Arienzo, nous fait comprendre l’intérêt des danseurs pour cet orchestre, sans doute un peu plus pauvre d’un point de vue musical que d’autres de la même époque. C’est du tango de danse, efficace, avec un rythme soutenu et dynamique.
Les liaisons et les appoggiatures de Castillo ne perturbent pas ce rythme marqué, sans doute même, au contraire, elles le rendent moins sec. D’ailleurs, dans ses tangos instrumentaux, Castillo les fait réaliser par ses violonistes, ce qui fait que le style de Tanturi soit si reconnaissable.
La dernière particularité de Tanturi est de retarder le tout dernier accord. On reste en suspension, comme souvent chez Rodriguez, mais là, vient finalement l’accord final, libérateur qui permet aux danseurs de relâcher l’abrazo après quelques fractions de secondes de tension finale.

Paroles

A ver muchachos, quiero alegría,
quiero aturdirme, para no pensar.
La vida es corta y hay que vivirla,
dejando a un lado la realidad.
Hay que olvidarse del sacrificio,
que tanto cuesta ser, tener el pan.
Y en estas noches de farra y risa,
ponerle al alma nuevo disfraz.

La vida es corta y hay que vivirla,
en el mañana no hay que confiar.
Si hoy la mentira se llama sueño,
tal vez mañana sea la verdad.
La vida es corta y hay que vivirla,
feliz al lado de una mujer,
que, aunque nos mienta, frente a sus ojos,
razón de sobra hay para querer.Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo

Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo

libre

Voyez les gars, je veux de la joie, je veux être étourdi pour ne pas penser.
La vie est courte et il faut la vivre, en laissant la réalité de côté.
Il faut oublier le sacrifice, que c’est si dur d’avoir du pain.
Et dans ces nuits de réjouissance (danse, musique) et de rires, se déguiser l’âme.

La vie est courte et il faut la vivre, il ne faut pas faire confiance à demain.
Si aujourd’hui le mensonge s’appelle rêve, peut-être que demain ce sera la vérité.
La vie est courte et il faut la vivre, heureux aux côtés d’une femme, qui même si elle nous ment à la face (sous les yeux), il y a plein de raisons d’aimer.

Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo

Il dévoile à ses compagnons de fiesta, sa philosophie de la vie, philosophie que de nombreux tangueros dans le monde ont adoptée…

Autres versions

La vida es corta 1941-02-19 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo. C’est notre tango du jour.

S’il n’y a pas d’autres versions enregistrées de ce titre , il y a en revanche de nombreux enregistrements de Castillo avec Tanturi réalisés sur quelques années, de janvier 1941 à mai 1943. Une belle tanda de et une autre de (avec variantes possibles) et une trentaine de tangos que nous entendons souvent en milonga. En revanche, La vida es corta est le seul titre à avoir été conçu par Tanturi et Gorrindo.
Je vous propose d’écouter un des premiers de Francisco Gorrindo, Las cuarenta, un titre chanté par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth et qui est sorti le 23 octobre 1940.

Las cuarenta par Hugo Del Carril dans le film Confesión dirigé par Luis José Moglia Barth (1940).

À bientôt, les amis !

La cumparsita 1933-02-14 – Orquesta Francisco Canaro

Gerardo Hernán Matos Rodríguez; () Letra :  ; Enrique Pedro Maroni

J’ai présenté, dans une autre anecdote, de D’Arienzo de 1951. J’ai environ 800 enregistrements de la cumparsita et il n’est pas question de faire une anecdote pour chacune d’elles.
Je vous propose aujourd’hui d’écouter l’ensemble des versions de Canaro et en particulier celle qui fête ce jour son 92e anniversaire.
Je vous invite à vous reporter à l’anecdote sur La cumparsita 1951-09-12 – Orquesta Juan D’Arienzo pour avoir les différentes paroles et des détails sur l’histoire de ce titre.

Extrait musical

La cumparsita 1933-02-14 – Orquesta Francisco Canaro.
La joyeuse troupe des amis de Gerardo Hernán Matos Rodríguez défile sur la couverture de droite. Ils sont cités en haut de la partition. À droite Gerardo Hernán Matos Rodríguez devant sa partition chez un éditeur de partitions. On notera que les joyeux fêtards sont remplacés par une femme masquée. Le masque peut évoquer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aussi évoquer une voilette de deuil, celui qu’évoque Gerardo Hernán Matos Rodríguez dans sa version des paroles.

Les cumparsitas de Canaro

La cumparsita 1927-02-17 – Orquesta Francisco Canaro.

Comme on peut s’y attendre avec Canaro, surtout en cette année, il s’agit d’une version bien avec de très beaux passages. À partir de 27 s des petits motifs de flûte rendent cet plus léger. Puis, le violoncelle enchaîne un très beau solo, accompagné par les violons en pizzicati. Le chant du violon pour terminer les 30 dernières secondes est également sublime.

La cumparsita 1929-04-17 – Orquesta Francisco Canaro.

On reste dans un rythme assez lent, mais très appuyé et les fioritures de la flûte sont désormais effectuées par le bandonéon qui, à un joli solo à partir d’une minute. Même durant le solo de violon, le bandonéon virtuose continue en arrière-plan. Il faut sans doute attribuer cela a l’arrivée de Federico Scorticati et Ciriaco Ortiz dans l’orchestre.

La cumparsita 1933-02-14 – Orquesta Francisco Canaro. C’est notre .

On retrouve le bandonéon virtuose de la version de 1929, avec les mêmes bandonéonistes et un résultat très, très proche.

La cumparsita (Si supieras) 1951-11-29 – Orquesta Francisco Canaro con Mario Alonso.

Cette version est assez tonique et brillante avec un tempo bien marqué. On notera que les fioritures sont aussi exécutées partiellement au piano et pas seulement au bandonéon et le retour de la flûte. La jolie voix, profonde de Mario Alonso apporte un final original, presque à la Caló…

La cumparsita (Si supieras) (en vivo) 1954-10-04 – Orquesta con María de la Fuente.

C’est une version du frère de Canaro, Juan mais je la trouve intéressante à connaître, même si ce n’est pas une version de danse. Elle a été enregistrée au , pays passionné par cette musique, comme nous le verrons avec les enregistrements de Francisco. C’est une des versions intégralement chantées (et parlée 😉 María de la Fuente chante les paroles de Contursi et Maroni que vous pouvez retrouver dans cette autre anecdote.

La cumparsita 1955-01-31 – Quinteto dir. Francisco Canaro.

Là, les musiciens semblent pressés d’arriver à la fin du morceau. Ce n’est pas vilain, mais cela donne une idée de précipitation. Je ne proposerais sans doute pas cela en bal.

La cumparsita 1959-04-29 – dir. Francisco Canaro.

Avec cette version, Canaro, corrige le tir et l’impression de précipitation a disparu. Il y a tellement de versions de la cumparsita que ce ne sera pas ma préférée, mais bon en première tanda, elle peut faire l’affaire, car elle permet de rester avec le Pirincho et de mettre des tangos sympathiques pour terminer la tanda. Cependant, ces versions me semblent moins surprenantes et riches que les premières.

La cumparsita (en vivo) 1961-12-01 – Orquesta Francisco Canaro.

Encore un enregistrement au Japon, avec les applaudissements à la fin. Là, Canaro s’approche du style martelé de D’Arienzo. Là encore le bandonéon vibrant chatouille les oreilles. Comme c’est un enregistrement public au théâtre Koma de Tokio, il y a une émotion que n’ont pas toujours les enregistrements de studio.

La cumparsita 1961-12-26 – Orquesta Francisco Canaro.

On termine avec un dernier enregistrement au Japon, cette fois, au studio Kojimachi de Tokio. Il est intéressant de comparer avec la version également enregistrée à Tokio 25 jours plus tôt. Elle me semble moins « habitée ». Le violon est plus discret et le bandonéon un peu moins lumineux. Le rythme est marqué de façon un peu plus discrète, avec un piano plus présent. J’aurais donc tendance à privilégier la version live…

Canaro mourra trois ans plus tard sans enregistrer d’autre comparsita, mais il est intéressant de voir son évolution sur 34 années.
À bientôt, les amis !

El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz

Raúl Brujis Letra: Ramón C. Acevedo

J’espère que vous me pardonnerez cette petite facétie. « El día que me quieras » (Le jour où tu m’aimeras) ; vous connaissez tous ce titre pour l’avoir entendu par Gardel, que ce soit sur disque, ou dans le film du même nom. La version que je vous propose est bien plus rare et antérieure de cinq ans à celle de Gardel. En fait, j’ai saisi l’occasion de l’anniversaire de l’ de ce titre, il y a exactement 95 ans, pour évoquer cet orchestre un peu moins connu. Mais rassurez-vous, vous aurez droit au titre de Gardel et Le Pera, également, ainsi qu’à d’autres tangos du même titre…

Extrait musical

El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.

L’introduction est plutôt jolie et élégante. Le violon de Cayetano Puglisi domine en chantant les autres instruments plus percussifs et qui marquent le rythme, puis il cède la place à Roberto Díaz qui chante à son tour un court passage. Comme nous le verrons, ce titre est assez différent de celui de Gardel qui est bien plus connu. Le thème est cependant le même.
On notera quelques passages agités des bandonéons de Federico Scorticati et Pascual Storti en double-croche qui font le contrepoint avec les violons de Cayetano Puglisi et Mauricio Mise plus suaves. Pour une musique de 1930, c’est assez bien orchestré. Cayetano Puglisi, cet excellent violoniste qui a intégré les plus fameux orchestres, comme ceux de Firpo, Canaro D’Arienzo et Maffia a également eu son propre sexteto avec lequel il a enregistré une quinzaine de titres en 1929 et 1930. Je n’ai pas cité son frère José, à la contrebasse, ni Armando Federico au piano.
J’aime bien et dans une milonga où les seraient amateurs de thèmes un peu vieillots, cet enregistrement pourrait intégrer une tanda.

Paroles de Ramón C. Acevedo

Yo quisiera tenerte entre mis brazos
Y besarte en tu boca sin igual,
Yo quisiera prodigarte mil abrazos
Mujer esquiva de rostro angelical.

Tu sonrisa altanera y orgullosa
Tu mirada quisiera doblegar,
Y que aun, negándome besara
Con un beso, sublime y sin final.
Raúl Brujis L : Ramón C. Acevedo

Traduction des paroles de Ramón C. Acevedo

J’aimerais te tenir dans mes bras et t’embrasser sur ta bouche sans pareille,
Je voudrais te prodiguer mille abrazos, femme insaisissable au visage angélique.

Ton regard souhaiterait faire céder ton sourire hautain et fier, et aussi, même si tu me le niais, m’embrasser, avec un baiser sublime et sans fin.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, alors je vous propose d’écouter quelques enregistrements du tango de même titre, mais écrit 4 ans plus tard par Carlos Gardel et Alfredo le Pera pour le film de la Paramount… El día que me quieras. Nous écouterons aussi d’autres thèmes ayant le même titre.
Tout d’abord, réécoutons le , qui est le plus ancien titre…

El día que me quieras 1930-02-07 – Orquesta Cayetano Puglisi con Roberto Díaz.

C’est notre tango du jour et le seul enregistrement de la composition de Raúl Brujis.

Version 2, de et Miguel Gómez Bao

El día que me quieras 1930-11-05 Orquesta Ricardo Luis Brignolo con .

Quelques mois après, Brignolo enregistre un tango composé par Víctor Pedro Donato avec des paroles de Miguel Gómez Bao. Ce titre est bien moins moderne que notre tango du jour. Il ressort encore d’un style très marqué.

Paroles de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

El boliche del Turco no tendrá ni un cohete,
el piberío del hueco los hará estallar,
la cantina del “Beppo” abrirá los espiches
y todo el “Grevanaje” en curda dormirá.
La farra, el capuchino tomará el chocolate,
ese día yo banco con mi felicidad
y la orquesta de Chicho, pelandruna y mistonga
hará un tango canyengue con la marcha nupcial.

A tu hermano el tarasca compraremos botines,
al zambullo una faja de esas pa’ adelgazar,
y al menor, al checato, dos docenas de anteojos
y una jaula con trampa pa’ que vaya a cazar,
a tu vieja diez cajas de pastillas de menta,
a tu viejo toscanos para reventar,
y el globo luminoso que tiene la botica
a tu hermana la tuerta como ojo de cristal.

El bañao de la esquina será un lago encantado
y las ranas cantantes en la noche un jazz-band,
de la esquina el Pasaje Barolo,
la cancel‘e tu casa, la escala celestial.
El día que me quieras, pebeta de mi barrio,
toditas mis ternuras pa’vos sólo serán,
aunque llore a escondidas mi viejecita santa
que al extrañar mis besos tendrá unas canas más.
Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

Traduction de la version de Víctor Pedro Donato et Miguel Gómez Bao

Le bazar (les pulperias faisaient office de bar, vendaient de tout et pourvoyaient des distractions, comme les jeux de boules, ou la danse) du Turc n’aura plus de fusées (feux d’artificee, les Argentins sont des fanatiques des activités pyrotechniques), les gamins du terrain vague les auront fait exploser,
la cantine du« Beppo » (Beppo est un prénom d’origine italienne dérivé de Joseph) ouvrira les robinets (des tonneaux de vin, bien sûr) et tous les « Grevanaje » (je pense qu’il faut rapprocher cela de Grebano qui signifie idiot, rustre), ivres, dormiront.
La fête, le cappuccino boira le chocolat, ce jour-là, je reste avec mon bonheur et l’orchestre de Chicho (je ne l’ai pas identifié), paresseux et triste jouera un tango canyengue avec la marche nuptiale.

Pour ton frère, El Tarasca , nous achèterons les bottes, au gros (zambulo, à la panse proéminente) une de ces ceintures pour perdre du poids (la faja est la ceinture qu’utilisent les gauchos. Elles sont souvent décorées de pièces de monnaie. Dans le cas présent, il peut s’agir de ceintures de toiles, également utilisées par les gauchos), et au plus jeune, le vérificateur, deux douzaines de paires de lunettes et une cage avec un piège pour qu’il puisse aller à la chasse. À ta vieille (mère), dix boîtes de bonbons à la menthe, à ton vieux (père) des cigares à éclater (faut-il y voir des cigares de farces et attrapes qui explosent quand on les fume ?), et le globe lumineux qu’a l’apothicaire pour ta sœur borgne, comme œil de verre.

Le marécage du coin sera un lac enchanté et les grenouilles chanteuses de la nuit, un groupe de jazz. La boîte aux lettres de l’angle sera le passage Barolo (plus que passage, on dirait aujourd’hui le Palais, un des hauts bâtiments luxueux du centre-ville de Buenos Aires), la porte d’entrée de ta maison (porte intérieure séparant l’entrée de la maison, sorte de sas), l’échelle céleste.
Le jour où tu m’aimeras, petite (terme affectueux) de mon quartier, toutes mes tendresses seront pour toi seule, même si, de façon cachée, je verserai quelques larmes pour ma sainte petite mère qui, manquant de mes baisers, aura encore quelques cheveux blancs de plus.

Version 3, la plus célèbre, celle de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

El día que me quieras 1935-03-19 – Carlos Gardel con acomp. de la orquesta dir. por Terig Tucci.

Paroles de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Acaricia mi ensueño
el suave murmullo de tu suspirar,
¡como ríe la vida
si tus ojos negros me quieren mirar!
Y si es mío el amparo
de tu risa leve que es como un cantar,
ella aquieta mi herida,
¡todo, todo se olvida!

El día que me quieras
la rosa que engalana
se vestirá de fiesta
con su mejor color.
Al viento las campanas
dirán que ya eres mía
y locas las fontanas
me contarán tu amor.
La noche que me quieras
desde el azul del cielo,
las estrellas celosas
nos mirarán pasar
y un rayo misterioso
hará nido en tu pelo,
luciérnaga curiosa
que verá…¡que eres mi consuelo!

Recitado:
El día que me quieras
no habrá más que armonías,
será clara la aurora
y alegre el manantial.
Traerá quieta la brisa
rumor de melodías
y nos darán las fuentes
su canto de cristal.
El día que me quieras
endulzará sus cuerdas
el pájaro cantor,
florecerá la vida,
no existirá el dolor…

La noche que me quieras
desde el azul del cielo,
las estrellas celosas
nos mirarán pasar
y un rayo misterioso
hará nido en tu pelo,
luciérnaga curiosa
que verá… ¡que eres mi consuelo!

Carlos Gardel Letra: Alfredo Le Pera

Traduction de la version de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera

Ma rêverie caresse le doux murmure de ton soupir,
Comme la vie rirait si tes yeux noirs voulaient me regarder !
Comme si était mien l’abri de ton rire léger qui est comme une chanson,
Elle calme ma blessure, tout, tout est oublié !

Le jour où tu m’aimeras, la rose qui orne s’habillera de fête, avec sa plus belle couleur.
Au vent, les cloches diront que tu es déjà à moi, et folles, les fontaines me conteront ton amour.
La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !

Récité :
Le jour où tu m’aimeras, il n’y aura plus que des harmonies,
L’aube sera claire et la source joyeuse.
La brise apportera le calme, le murmure des mélodies, et les fontaines nous donneront leur chant de cristal.
Le jour où tu m’aimeras, l’oiseau chanteur adoucira ses cordes,
La vie fleurira, la douleur n’existera pas…

La nuit où tu m’aimeras depuis le bleu du ciel,
Les étoiles jalouses nous regarderont passer et un mystérieux éclair se nichera dans tes cheveux,
curieuse luciole qui verra… que tu es ma consolation !

Extrait du film El día que me quieras de John Reinhardt (1934)

« El día que me quieras », dúo final Carlos Gardel y Rosita Moreno du film du même nom de 1934 dirigé par John Reinhardt. Dans ce film, Carlos Gardel chante également Sol tropical, Sus ojos se cerraron, Guitarra, guitarra mía, Volver et Suerte negra avec Lusiardo et Peluffo.

Autres versions du thème composé par Gardel

Il existe des dizaines d’enregistrements, y compris en musique classique ou de variété. Je vous propose donc une courte sélection, principalement pour l’écoute.

El día que me quieras 1948-05-11 – Orquesta Florindo Sassone con Jorge Casal.

Une version chantée par Jorge Casal qui ne démérite pas face aux interprétations de Gardel.

El día que me quieras 1955-06-30 – Orquesta Francisco Canaro con Juan Carlos Rolón.

Une version pour faire pleurer les ménagères nées après 1905…

El día que me quieras 1968 – Orquesta Típica Atilio Stampone.

Stampone, bien qu’il s’agisse d’une version instrumentale, n’a pas destiné cet enregistrement aux danseurs.

El día que me quieras 1972 – Trio .

Encore une version instrumentale, mais fort intéressant à défaut d’être pour la danse par le trio Hugo Diaz… Si vous n’entendez pas l’harmonica, c’est que ce trio est celui du bandonéoniste uruguayen, Hugo Díaz, à ne pas confondre avec Victor Hugo Díaz qui est le magicien de l’harmonica, qui lui est argentin (Santiago del Estero) et sans doute bien plus connu…

El día que me quieras 1977-06-14 – Orquesta .

Une version sans doute surprenante, essentiellement construite autour de solos de violon et piano.

El día que me quieras 1978 – María Amelia Baltar.

Une version expressive par la compagne de Piazzolla.

El día que me quieras 1979 – y su Orquesta Especial para Baile.

Bien que l’orchestre affirme être de danse, je ne suis pas convaincu que cela plaira aux danseurs de tango, mais peut-être aux amateurs de slow et boléros (dans le sens argentin qui qualifie des musiques romantiques au rythme flou et pas nécessairement de vrais boléros).

El día que me quieras 1997 – Enrique Chia con Libertad Lamarque.

Une introduction à la Mozart (Flûte enchantée) et s’élève la magnifique voix de Libertad Lamarque. C’est bien sûr une chanson et pas un tango de danse, mais c’est joli, n’est-ce pas ?

Avec cette belle version, je propose d’arrêter là, et je vous dis, à bientôt, les amis !

Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Manuel Jovés Letra:

Qui n’a pas été ému par la voix de Roberto Rufino chantant Patotero sentimental ? Mais savez-vous que cet suit de presque 20 ans un succès phénoménal qui obligeait Ignacio Corsini à rechanter cet air souvent plus de cinq fois à la suite. Je vous invite à vous plonger dans l’histoire de ce patotero, émouvant par ses regrets et par là-même découvrir un peu plus cet univers des cabarets, repaire des patoteros.

Je publie cet article le 26 janvier qui est la date anniversaire de la version de Di Sarli avec Mario Pomar et pas celle que je mets en avant, avec Roberto Rufino. Je triche donc un petit peu, on pourra toujours en reparler un 6 juin…

Patoteros, apaches, youth gangs…

Un patotero est le membre d’une patota, un groupe de jeunes enclins à la violence et à la délinquance. Ce phénomène de bandes de jeunes est sans doute une des conséquences de la révolution industrielle qui a jeté des générations de paysans dans les villes. Si les parents y travaillaient, les jeunes qui voyaient les conditions méprisables de vie de leurs parents trouvaient refuge dans des activités, plus ou moins lucratives à défaut d’être honnêtes.
Si à , les Apaches (bandes de jeunes délinquants surnommées ainsi par le journaliste Henri Fouquier en référence à la brutalité de leurs crimes qui rappelaient les romans de Fenimore Cooper colportant des idées colonialistes sur la violence des Indiens américains) étaient particulièrement violents, à Buenos Aires, les patoteros étaient un peu moins craints par la population. Pour juger de la différence, on peut s’intéresser à leurs danses, vraiment très différentes.
Pour les Argentins, je ne vous propose pas de vidéo, il vous suffit d’imaginer un tango canyengue accentuant l’aspect « canaille », les fentes et autres passes (figures) inspirées du combat au couteau.

Un bal en 1900. Peut-être du tango.

Pour le côté parisien, la danse des apaches est une danse qui alterne des moments violents et des moments plus sensuels. C’est une dramatisation des relations entre femmes et hommes. Cette danse perdurera en France jusque dans les années 60. On retrouvera ses figures, reprises dans d’autres danses comme le lindy-hop, le rock acrobatique, le tango de show, voire le tango de danse sportive.

Trois présentations de chaloupée en 1904, 1910 et 1935. Cette danse présente des chorégraphies brutales, d’apparence machiste, même si les femmes peuvent y être également agressives. On considère que c’est une mise en scène des relations tumultueuses entre une prostituée et son souteneur. Quand on imagine le nombre de femmes « volées » à Paris et mise au travail comme prostituées en Argentine, on comprend mieux ce phénomène, fait d’alternance de moments de tensions extrêmes et de moments de passion amoureuse.

Extrait musical

Partition de patotero sentimental. Trois couvertures. Avec Manuel Jovés et Ignacio Corsini à gauche et sur la couverture de droite, Lorenzo Barbero qui l’a enregistrée en 1950 avec le chanteur Osvaldo Brizuela.
Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.

Le patotero s’avance avec des pas bien marqués qui alternent avec de longs glissandos des violons.
Rufino commence à chanter, en respectant le rythme initial. Sa voix est expressive et il ne sombre pas dans le pathos que peuvent présenter d’autres chanteurs. Cette sensibilité associée à la pression constante de l’orchestre fait que les danseurs trouveront leur compte dans cette version idéale pour la danse. Le plaisir des oreilles et des jambes.
Nous verrons que cet équilibre qui semble si simple et naturel dans cette version a du mal à se retrouver dans les nombreux autres enregistrements du titre, du moins dans les versions de danse, celles pour l’écoute entre dans une autre catégorie. Par exemple, le même Di Sarli, avec l’excellent Mario Pomar fait un autre enregistrement en 1954 et il est difficile d’y trouver la même dansabilité, même si bien sûr de nombreux danseurs tomberont sous le charme de cette autre version (qui est la vraie version du jour, puisqu’enregistrée un 26 janvier).

Roberto Rufino. À gauche à Mar del Plata en 1970 et à droite à Radio Belgrano en 1944.

Paroles

Patotero, rey del bailongo
Patotero sentimental
Escondés bajo tu risa
Muchas ganas de llorar
Ya los años se van pasando
Y en mi pecho, no entra un querer
En mi vida tuve muchas, muchas minas
Pero nunca una mujer
Cuando tengo dos copas de más
En mi pecho comienza a surgir
El recuerdo de aquella fiel mujer
Que me quiso de verdad y que ingrato abandoné
De su amor, me burlé sin mirar
Que pudiera sentirlo
Sin pensar que los años al correr
Iban crueles a amargar, a este rey del cabaret
Pobrecita, cómo lloraba
Cuando ciego la eche a rodar
La patota me miraba, y
No es de hombre el aflojar
Patotero, rey del bailongo
Siempre de ella te acordarás
Hoy reís, pero en tu risa
Solo hay ganas de llorar
Manuel Jovés Letra: Manuel Romero

Traduction libre des paroles

Patotero, roi du bal
Patotero sentimental
Tu caches sous ton rire beaucoup d’envies de pleurer.
Et les années passent et, dans ma poitrine, aucun amour n’entre.
Dans ma vie, j’ai eu beaucoup, beaucoup de poulettes (chéries), mais jamais une femme.
Quand j’ai deux verres de trop, dans ma poitrine commence à resurgir le souvenir de cette femme fidèle qui m’aimait vraiment et que j’ai abandonnée ingratement.
De son amour, je me moquais sans voir que je pourrais le ressentir plus tard, sans penser que les années, à mesure qu’elles s’écoulaient, étaient cruelles à aigrir ce roi du cabaret.
Pauvre petite, comme elle pleurait quand aveugle j’ai commencé à la larguer.
La bande (patota) m’observait, et ce n’est pas à un homme de se relâcher (se laisser attendrir).
Patotero, roi du bal, toujours, tu te souviendras d’elle.
Aujourd’hui tu ris, mais, dans ton rire, il n’y a que l’envie de pleurer.

Autres versions

El patotero sentimental 1922-03-29 – Ignacio Corsini con Orquesta Roberto Firpo.

C’est Corsini qui a créé le titre. Nous verrons cela en fin d’article. Ce fut son premier grand succès, ce tango a lancé sa carrière.

Ignacio Corsini en 1922

La même année, Carlos Gardel décide d’enregistrer le titre. Cette vidéo de Sinfonia Maleva permet de suivre les paroles chantées par Carlos Gardel.

El patotero sentimental 1922 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras)
Submergé d’émotion Raul (Hugo Del Carril) chante Patotero sentimental quand il comprend qu’il va perdre elisa. dans le film La vida est une tango (1939)
Patotero sentimental 1941-06-06 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre (faux) tango du jour.
Patotero sentimental 1949-11-25 – Orquesta José Basso con Oscar Ferrari.

La voix un peu acide de Ferrari ne sert pas aussi bien le thème que celle de Rufino ou de Corsini. D’un point de vue de la danse, les manières de Ferrari rendent cet enregistrement peu propice à la danse. C’est un peu dommage, car l’orchestre fait un assez joli travail.

Patotero sentimental 1950-12-28 – Lorenzo Barbero y su orquesta de la argentinidad con Osvaldo Brizuela.

Une Jolie version qui ne détrônera pas celle de Di Sarli et Rufino, mais qui se laisse écouter et qui a obtenu un certain succès à son époque, comme en témoigne la partition présentée au début de cet article.

Patotero sentimental 1952-10-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco.

Dans la veine des tangos à écouter il y a cette version. La voix précieuse de Pacheco est-elle réellement adaptée au rôle d’un patotero, même converti ? On a du mal à croire à cette histoire, d’autant plus que Fresedo multiplie ses fioritures, tout aussi peu propices à la danse que celles de Florindo Sasonne de la même époque.

Patotero sentimental 1954-01-26 – Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

J’adore Mario Pomar et son interprétation ne souffre d’aucune critique. C’est juste que le choix un peu moins tonique rend, à mon sens, le titre un peu moins agréable à danser que la version avec Rufino enregistrée 13 ans plus tôt. C’est cette version qui a été enregistrée un 26 janvier et qui devrait donc officiellement être le tango du jour.

Patotero sentimental 1974 – Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri.

J’ai parlé des bruitages de Sassone à propos de la version de 1952 de Fresedo, je pense que vous remarquerez que Sassone ne les propose pas dans cet enregistrement. C’est assez logique, car ces bruitages sont le témoignage d’une époque et qu’ils furent abandonnés par la suite. Vous noterez toutefois les moments où Sassone quelques années plus tôt aurait abusé de ces effets. Si Sassone n’est pas un pourvoyeur de tango de danse, il faut reconnaître qu’avec l’interprétation inspirée de Macri, le résultat est plutôt sympa, même si à mon avis, il ne devrait pas franchir la porte de la (en tous cas pas trop souvent 😉

Patotero sentimental 1974 – Hugo Díaz.

L’harmonica d’Hugo Díaz, une voix à lui tout seul. L’ambiance jazzy donnée par le piano et la guitare ne satisfera cependant pas les danseurs qui réserveront le titre pour une écoute au coin du feu.

Patotero sentimental 1974c – con .

Le bandonéon expressif de Leopoldo Federico nous offre un duo avec Carlos Gari dont la voix puissante contraste avec tous les instruments. C’est une belle interprétation, pleine d’émotion. L’opposition, voix et instruments du début s’apaise progressivement pour nous offrir un paysage sonore parfaitement cohérent. Moi, j’aime bien, mais bien sûr, ça reste entre mon ordinateur et moi, cela ne passera pas sur les haut-parleurs de la milonga.

Patotero sentimental 1991-03 – Carlos García solo de piano.

Le piano sait souvent être expressif. Je vous laisse juger si Carlos García a su suffisamment faire parler son instrument…

Patotero sentimental 2005 – con Omar de Luca (ou Dario Paz ou Fabian Vidarte…). Je ne suis pas sûr de qui chante.
Patotero sentimental 2006 – Aureliano Tango Club C .

Une version très différente mais pas inintéressante. Vous pouvez jeter un œil à leur site, celui d’Aureliano Marin, arrangeur, directeur et contrebassiste du trio en plus d’en être le chanteur.

Patotero sentimental 2011 – Orquesta Típica Gente de Tango con Héctor Morano.

On termine ici, avec une version plus traditionnelle.

Origine de ce tango

Comme nous l’avons vu à de nombreuses reprises, les tangos qui animent nos milongas ont souvent été créés pour des revues musicales, des pièces de théâtre ou des films. Celui-ci ne fait pas exception. Il était une des scènes de la pièce « El bailarín del cabaret » (le danseur de cabaret) qui fut lancée le 12 mai 1922 au théâtre Apolo par la compagnie de Cesar Ratti, et qui eut un succès immense, notamment pour l’interprétation par Ignacio Corsini de notre tango du jour.
Les spectateurs bissaient de nombreuses fois ce titre que Corsini chantait, appuyé sur le dossier d’une chaise et avec le genou droit sur l’assise. On connait ce détail par Osvaldo Sosa Cordero dans « Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925 » qui nous apprend également que 800 disques de ce titre ont été gravés en 1922 et comme nous l’avons vu, Gardel s’est aussi emparé du phénomène, la même année.

Osvaldo Sosa Cordero; Historia de las varietés en Buenos Aires 1900-1925. À gauche, édition originale de 1978 et à droite, la réédition de 1999.

Il me semble intéressant de voir comment s’articulaient ces variétés.

El bailarín del cabaret – Couverture de la 4ème édition (19 août 1922 et déjà 319 représentations successives)… À droite, l’extrait du livret avec les paroles du tango chanté par Ignacio Corsini.

Dans la pièce de Manuel Romero, El bailarín del cabaret, où se trouve cette pièce, il y a 4 tableaux. L’apparition de ce tango est dans le troisième.
La scène se passe dans un cabaret luxueux et tous dansent un foxtrot joué par l’orchestre dirigé par Félix Scolatti Almeyda, sauf Maria qui est triste à sa table et une famille qui découvre cet univers.
Je vous reproduis ici un dialogue savoureux où un jeune homme (Troncoso) souhaite inviter la fille de la famille de visiteurs (Cayetana) et qui se termine par l’introduction de notre tango, Patotero sentimental.

Dialogues liminaires au tango Patotero sentimental

TRONCOSO.- Buenas noches. ¿ Me acompaña ese tango señorita?
CAYETANA.-Yo no me comando sola. Pídale permiso a me papá.
D. GAETANO.-E iñudole, cabayere. Me nena non « bala ».
TRONCOSO.-¿Cómo es eso? ¿Acaso usted. no sabe que toda mujer que entra aquí está obligada a bailar?
D. GAETANO.-Ma nun. diga.
TRONCOSO.–Si, señor, sino va a haber tiros.
CAYETANA.-Papá, vamo in casa. (Troncoso saca un revólver.)
D. GAETANO.-Boeno … boeno .. . que « bale » pero no me lamprete mucho. (Bailan ridiculamente.)
CATALINA.-Gaetano; roa mire como le hace co la pierna.
D. GAETANO.-(Parándolo.) ¡Ah! ¡No covencito, eso no, pe la madonna!
Me hija non he una melunguera cualunque. E osté, non debe hacerle cosquiyite inta la gamba, Sabe?
TRONCOSO.-¿Dónde le he hecho cosquillas?
D. GAETANO.-¿E me lo pregunta todavía? ¡Chancho!
TRONCOSO.-¡Salí de ahí otario!(Le da un bife,y lo sacan a bofetadas
hasta la calle, madre e hija van detras, la orquesta ataca un paso doble. Tumulto, risas y todos bailan.) ¿ Vamos a bailar, Marta?
MARTA.-No: dejame, no quiero bailar hoy.
TRONCOSO.-¿ Qué te pasa?
MARTA.-Nada. Dejame.
TRONCOSO.-¿Pero qué tenés vos esta noche?
MARTA.-Nada. Se van a reir si lo digo.
PANCHITO.-Dejala; algún metejón nuevo.
MARTA.-No, nada de eso, les juro.
MARGOT.-A ver, decimelo ami. Yo soy tu amiga .
M-ARTA.-¡Es qué! … Pero no, es ridículo.
MARGOT.-Deci … .
MARTA.-Pero no se rían. He dejado a mi nene en casa con cuarenta
grados de fiebre y se me va a morir y yo no quiero que se me muera. (Llorando.)
LA BEBA.-¡Já, já, já! Dejate de sentimentalismos.
TRONCOSO.-¡Qué desgraciada! (Todos rien.)
LORENA.-¿Por qué se ríen de ella?
TRONCOSO.-A vos que te pasa? De un tiempo a esta parte el mozo se ha puesto muy sentimental.
LA BEBA.-En cuanto toma dos copas se pone imposible.
LORENA.-Para ustedes no hay nada respetable en la vida …
TRONCOSO.-Pero hermano! Vos, el rey de los patateros, hablando asi! . . .
LORENA.-¿ Y qué? ¿Acaso un patatero no puede tener alma? Si ustedes supieran …

Traduction des dialogues

TRONCOSO.- Bonsoir. M’accompagneriez-vous pour ce tango, mademoiselle ?
CAYETANA : Je ne me commande pas. Demandez la permission à mon père.
D. GAETANO.- C’est inutile jeune-homme. Ma fille ne « danse » pas.
(Les guillemets soulignent l’opinion que le père a de ces danses de cabaret).
TRONCOSO.- Comment cela se fait-il ? Vraiment? Ne savez-vous pas que chaque femme qui entre ici est obligée de danser ?
D. GAETANO.-Mais nul me l’a dit.
TRONCOSO.–Oui, monsieur, sinon il y aura des coups de feu.
CAYETANA.-Papa, rentrons à la maison. (Troncoso sort un revolver.)
D. GAETANO.-Bien … Bien .. . qu’ils « dansent » cette « danse » mais ne la serrez pas trop. (Ils dansent ridiculement.)
CATALINA.-Gaetano ; Roa, regarde comment il fait avec sa jambe.
D. GAETANO.- (L’arrêtant.) Ah ! Non jeune homme, pas ça, par la Madone !
Ma fille n’est pas une melunguera (milonguera, le père ne connait pas bien et déforme le mot) quelconque. Et il ne faut pas chatouiller la jambe, vous savez ?
TRONCOSO : Où l’ai-je chatouillée ?
D. GAETANO : Et vous me demandez en plus ? Cochon!
TRONCOSO : Sors d’ici, otario !
(Otario, cave, naïf, idiot) (Il le gifle, et ils le sortent avec des baffes) jusqu’à la rue. La mère et la fille se glissent derrière, l’orchestre attaque un paso doble. Tumulte, rires et tout le monde danse.) On va danser, Marta ?
MARTHA : Non, laisse-moi, je ne veux pas danser aujourd’hui.
TRONCOSO : Que t’arrive-t-il ?
MARTA.-Rien, laisse-moi.
TRONCOSO : Mais qu’as-tu ce soir ?
MARTA : Rien, ils vont rire si je le dis.
PANCHITO : Laisse-la ; quelque chose d’une nouvelle amourette.
MARTA : Non, rien de tel, je vous jure.
MARGOT : Eh bien, dis-le-moi. Je suis ton amie.
MARTA.-C’est que ! … Mais non, c’est ridicule.
MARGOT.-Parle… .
MARTA : Mais ne riez pas. J’ai laissé mon bébé à la maison avec quarante degrés de fièvre et il va mourir et je ne veux pas qu’il meure. (En pleurs.)
LA BEBA.-Ah-Ah-Ah Arrête avec la sentimentalité.
TRONCOSO : Quelle malchance ! (Tout le monde rit.)
LORENA.-Pourquoi vous moquez-vous d’elle ?
TRONCOSO : Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Depuis quelque temps, le monsieur (beau jeune-homme) est devenu très sentimental.
LE BÉBÉ : Dès qu’il boit deux verres il devient impossible.
LORENA.-Pour vous, il n’y a rien de respectable dans la vie…
TRONCOSO : Mais frère ! Toi, le roi des patateros, tu parles ainsi !…
LORENA : Et alors ? Un patatero ne peut-il pas avoir une âme ? Si vous saviez…

Et là, Ignacio Corsini retourne une chaise, pose un genou sur l’assise et s’appuie au dossier avant d’entamer cette chanson qu’il reprendra de nombreuses fois à la demande des spectateurs.
Lors d’une représentation, le chef de la troupe, Cesar Ratti, a essayé d’interdire les bis multiples. Finalement, il a dû céder devant la pression du public et il y a eu cinq bis.
Voilà, vous en savez sans doute un peu plus sur l’histoire de ce tango et du lien entre notre musique favorite, les cabarets, théâtres et autres lieux de spectacle du début du vingtième siècle.

À bientôt, les amis !

De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas

Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra:

Même si Pedro Laurenz et Juan Carlos Casas ont enregistré dix tangos, la plupart du temps, dans les milongas, seuls quatre de ces titres sont diffusés par les DJ. Ces titres le méritent, mais cela occulte les autres enregistrements qui peuvent permettre de faire des tandas plus intéressantes. En effet, les titres habituels sont tellement proches qu’on a l’impression de danser plusieurs fois le même titre.

Extrait musical

Partition de Puro puapo, version Laurenz et Meaños.
De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas.

Deux accords au piano d’Héctor Grané, puis l’appel qui fait se souvenir que Laurenz était bandonéoniste (ici, accompagné au bandonéon par Ángel Domínguez et Rolando Gavioli). Avec le complément de la contrebasse de Alberto Celenza, le rythme très marqué des bandonéons et du piano se continue. Il faut attendre presque une minute pour que les violons s’expriment de façon plus audible et encore, pour quelques secondes. À 1:25 un très beau motif du violoniste Mauricio Mise annonce l’intervention de Juan Carlos Casas qui débute à 1:45. La voix parfaitement déliée s’intègre dans le phrasé agressif des bandonéons qui, lorsque Casas termine le seul refrain, reprennent jusqu’au final le rythme puissant.

Paroles

Entre cortes y quebradas,
suave rezongué en tu oído
todo mi verbo florido
que te dijo mi querer.
Vos mostraste en tu sonrisa
toda tu coquetería,
y yo, vencida mi hombría…
Yo que siempre supe vencer.

Pa’ conseguir tu cariño
quiero jugarme la vida
al naipe que me ha gustado…
No es la primera partida
en que mi resto he jugado…
Y si al final copo y gano,
—taura soy en la postura—
hay un facón, brava mano,
coraje y bravura
pa’ hacerme valer.

Lo que yo quiero lo tengo,
y eso por taura y por guapo…
Basta que en un brazo el trapo
tenga y en otro el facón…
Si no bastan mis hazañas
pongo mi coraje a prueba.
¡Nadie ventaja me lleva
cuando está en juego tu amor!
Pedro Laurenz (Pedro Blanco) Letra: Manuel Andrés Meaños

Juan Carlos Casas ne chante que le refrain (en gras).

Traduction libre

Entre cortes y quebradas (figures de tango archaïques),
J’ai doucement grommelé dans ton oreille
Tout mon verbe fleuri
Que t’a dit mon amour.
Tu as montré avec ton sourire
Toute ta coquetterie (séduction)
et moi, ma virilité vaincue…
Moi qui avais toujours su vaincre.
Pour obtenir ton affection
Je veux risquer ma vie
à la carte qui m’a plu…
Ce n’est pas la première partie
dans lequel j’ai joué mon repos…
Et si à la fin je bois et gagne,
—taura (Caïd), je suis dans la posture —
il y a un couteau, main vive (courageuse, prompte à tirer le couteau),
Courage et bravoure
pour me faire valoir.
Ce que je veux, je l’ai
Et cela par taura et par beau (parce que je suis un caïd et beau)…
Il suffit que, dans un bras il y ait le chiffon (étoffe pour protéger. Les gauchos utilisaient leur poncho enroulé sur le bras comme protection)
et dans l’autre, le couteau…
Si mes exploits ne suffisent pas
Je mets mon courage à l’épreuve.
Personne n’a l’avantage sur moi
Quand est en jeu ton amour !

Autres versions

De puro guapo 1935-07-24 – Orquesta Francisco Canaro con .

On est tellement habitués à entendre la version de Laurenz et Casas, que cette version pesante de Canaro semble d’une antiquité insupportable. De fait, il semble peu intéressant de substituer cet enregistrement à notre tango du jour. Bien sûr, les amateurs de seront sans doute d’un avis contraire et c’est bien. J’aime la diversité des opinions.

De puro guapo 1935-11-26 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Enregistré seulement quatre mois plus tard, la version de Lomuto se dégage un peu plus de la gangue de la vieille garde que la version de Canaro. Quelques libertés des instruments allègent également cet enregistrement. La sonorité est plus proche de celle que produira trois ans plus tard Laurenz.

De puro guapo 1940-01-25 – Orquesta Pedro Laurenz con Juan Carlos Casas. C’est notre tango du jour.

Les enregistrements suivants seront instrumentaux et chercheront à proposer de nouvelles directions dans l’interprétation de l’œuvre. Je vous invite à juger de la diversité.

De puro guapo 1966 – Leopoldo Federico y Roberto Grela.

Grela que nous avons entendu tant de fois en duo avec Troilo est ici avec Leopoldo Federico. Le bandonéon de ce dernier et la guitare de Grela nous livrent un titre très intéressant à écouter, foisonnant de créativité.

De puro guapo 1967-11-29 – Orquesta .

La version de Troilo est assez majestueuse. Elle n’est clairement pas destinée à la danse, même si je connais certains qui me contrediront.

De puro guapo 1968 – Pedro Laurenz con su Quinteto.

Près de 30 ans plus tard, Laurenz remet son titre en jeu. Cette version un peu sautillante ne me convainc pas, mais pas du tout. On a l’impression que les musiciens s’endorment, malgré la présence de la guitare électrique…
Le quintette était formé de Pedro Laurenz (bandonéon), Eduardo Walczak (violon), Rubén Ruiz (guitare électrique), José Colángelo (piano) et Luis Pereyra qui a remplacé le bandonéon par la contrebasse.

De puro guapo 1969-09-18 – Orquesta Juan D’Arienzo.

On réveille tout le monde avec cette version de D’Arienzo. Si on reconnaît des éléments de D’Arienzo, cet enregistrement tardif manque sans doute de la puissance que peuvent manifester d’autres titres de la même époque. Les efforts de D’Arienzo pour produire un son plus « moderne » dénaturent son style et là encore, je ne défendrai pas ce titre pour constituer une tanda, même si cela reste dansable.

De puro guapo 1972-11-10 – Orquesta .

Après les recherches de Troilo, cette version marque une autre étape dans la recherche d’une harmonie particulière. Autant les mêmes efforts chez D’Arienzo tombaient à plat, autant le résultat de Pugliese apporte un suspens musical qui rend l’œuvre passionnante à écouter. Là encore, ce n’est pas un titre à danser, mais à écouter avec une attention soutenue pour profiter de tous ces instants subtils.

De puro guapo 1996 – Quinteto Real.

Puisqu’on a décidé de s’éloigner, au fil du temps du tango de danse, cette version du Quinteto Real s’essaye à une synthèse entre les recherches de Pugliese et l’orchestration de Laurenz. Le résultat, au regard des deux modèles opposés a du mal à convaincre, ou pour le moins à me convaincre.

De puro guapo 2002 – La Furca.

La Furca essaye de maintenir la dragée haute. Il est curieux de voir que cette œuvre qui a suscité la merveilleuse version de Laurenz Casas a eu peu de descendance à la hauteur.
Je vous propose de terminer ce tour du tango « De Puro Guapo » avec une petite surprise.

Un Puro guapo peut en cacher un autre

Il arrive souvent qu’on demande au DJ un morceau spécifique. C’est généralement le cas pour les démonstrations de danseurs, mais aussi pour les danseurs usuels de la . Souvent (lire, tout le temps), ils sont décomposés quand je leur dis, mais quelle version ? Suit une petite écoute au casque, jusqu’à ce qu’ils trouvent la version souhaitée.
À ce sujet, j’ai eu, en quelques occasions, des danseurs qui m’ont chanté le titre qu’ils voulaient pour leur démo. Là encore, trouver le titre est généralement assez facile, mais quand il y a trente versions, il faut faire preuve de perspicacité.
Parfois, la difficulté vient de ce qu’un orchestre a enregistré deux tangos du même titre, mais différents. C’est par exemple le cas avec De puro guapo qui existe aussi dans une version écrite par (Rafael Yorio) avec des paroles de Juan Carlos Fernández Díaz.
Ce tango a été enregistré par plusieurs orchestres qui ont aussi enregistré la version de Laurenz, par exemple, Francisco Canaro. Mais on se rendra bien vite compte que ce n’est pas le même. Imaginez le désarroi du couple de danseurs en démonstration si le DJ met le mauvais tango. Le DJ doit savoir poser les bonnes questions et faire écouter le titre aux danseurs , si possible, et les danseurs devraient s’assurer de la version qu’ils souhaitent utiliser en donnant l’orchestre, l’éventuel chanteur et la date d’enregistrement afin d’éviter tout risque et ambiguïté. Enfin, presque tous les risques, car nous avons vu qu’un orchestre comme celui de Canaro pouvait enregistrer le même jour avec le même chanteur, le même titre, un en version de danse et un en version d’écoute…

La couverture de la version de Iriarte et Meaños. Je vous passe les paroles du tango, comme on peut s’en douter en voyant cette illustration, l’ est tragique, plus que celle de Laurenz à laquelle elle peut tout de même répondre…
De puro guapo 1927-11-16 – Orquesta Francisco Canaro.

On retrouve le canyengue cher à Canaro. Cette version instrumentale nous dispense de la noirceur des paroles. On remarque que le titre n’a rien à voir avec celui écrit par Laurenz.

De puro guapo 1928-01-14 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, (guitarras).

Gardel avec ses guitaristes nous présente cette chanson tragique.

De puro guapo V2 1928-02-02 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ernesto Famá.

Deux semaines après Gardel, Fresedo enregistre le titre dans une version destinée à la danse. Tout au moins la danse de l’époque…

De puro guapo 1972-12-13 – Roberto Goyeneche con y su Orquesta Típica.

Goyeneche nous donne une très belle interprétation de ce titre. Bien sûr, une chanson, bien jolie à écouter et chargée d’émotion.

Comme la version de Laurenz, la version de Iriarte a donné lieu à des interprétations très variées, mais elle n’aura sans doute pas les honneurs du bal, comme la version que Laurenz a enregistrés avec Casas et qui nous ravit à chaque fois.

Bon, laissons les puros guapos à leurs vantardises et méfaits et je vous dis, à bientôt, les amis !

No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce

“No te cases” (ne te marie pas), c’est le conseil donné par ce tango composé par Donato avec des paroles de Carlos Pesce. Ceux qui nous connaissent savent que nous n’allons pas suivre cette directive. Cependant, les complexités de l’administration argentine font que nous avons failli baisser les bras aujourd’hui même, juste avant de recevoir enfin l’information que notre mariage était confirmé après deux mois de bagarre et deux reports de date.

Extrait musical

Disque Victor 38092. No te cases est sur la face A.
No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Le motif sympathique des bandonéons ouvre ce titre. Il sonne comme une comptine enfantine. Se succèdent ensuite des successions de passages ordonnés et d’autres plus troublés, comme s’il y avait un contradictoire pesant le pour et le contre.
À 59 secondes commence la chanson. Lagos chante le refrain avec quelques répliques parlées par un intervenant non identifié qui joue le rôle du futur marié.
Est-ce Donato ? Ce n’est pas impossible. Canaro effectue souvent, ce type d’interventions.

Paroles

¡No te cases! ¿A qué valor ?
Seguí nomás así, que sos un gran señor.
¡No te cases! ¿Que vas hacer? ¡que peligrá! Ya vas a entrar
¡Mírame a mí que bien! ¡Quien lo dirá!
Gordo y feliz como un sultán Pobre de vos
¿Casarme yo? ¡Ja Ja! Si estoy muy bien así E sí…
Sin complicarme con la existencia
Si es llegar a fin de mes.
Edgardo Donato Letra: Carlos Pesce

En rouge, les répliques de l’intéressé.

Traduction libre

Ne te marie pas ! À quelle valeur ?
Continue comme ça, tu es un grand seigneur.
Ne te marie pas ! Que vas-tu faire ? Quel danger ! Tu vas comprendre.
Regarde-moi, comme c’est bon ! Qui le dira !
Gros et heureux comme un sultan, Pauvre de toi
Me marier, moi ? Ha ha ! Si je suis très bien ainsi. Et si…
Sans me compliquer l’existence
Si c’est un plaisir de joindre les deux bouts. (arriver à la fin du mois)

Le futur marié qui intervient en réponse, pense que son copain va finalement se marier, même s’il donne le conseil contraire.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enregistrement de ce titre, mais…

Liborio no te cases 1931-04-10 – Orquesta con Charlo.

Un foxtrot adressé à un certain Liborio qui lui donne les mêmes conseils. Rappelons, pour la xxxxx fois, que Canaro avait aussi un orchestre de jazz et que les bals de l’époque étaient mixtes, tango et jazz.
Le Liborio en question pourrait être Argentino Liborio Galván (18 ans au moment de cet enregistrement, ou le compositeur moins connu, Augusto Liborio Fistolera Mallié (32 ans au moment de cet enregistrement). Il peut s’agir également d’un tout autre Liberio, amis ou pas des auteurs, et (musique), Alfredo Enrique Bertonasco et Domingo L. Martignone (paroles). Le L. de Martignone est pour « Luis », pas Liborio…

No te cases 1937-01-23 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. C’est notre .
Ya lo sabés… (No te casés) 1941-07-01 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor y coro.

Encore Canaro, qui ne voulait pas vraiment se marier avec , ou plutôt, qui craignait de divorcer de la Française, sa terrible épouse… On peut donc imaginer qu’il se lance le conseil, avec un peu de retard à travers cette jolie composée par son frère Rafael Canaro et avec des paroles d’Aristeo Salgueiro.

17 février 2025

Ce n’est pas un événement dans l’histoire du tango, mais, ce jour, Victoria et moi nous marierons à (Boedo). Si ça vous dit de nous faire un coucou, au Sede Comunal 5 ou en visio…
Ce bâtiment est le premier de ce type à Buenos Aires. Il marque une volonté de redonner une empreinte verte à la ville.

Le Sede comunal 5 (boedo) avec son mur végétalisé. À droite, la structure des anciens entrepôts Tata a été conservée et utilisée pour fournir de l’ombre dans le parc.
La terrasse végétalisée et le système de collecte de l’eau pour l’arrosage du parc adjacent.
L’entrée du Sede comunal 5 et le parc.

Notre lieu de mariage est un petit coin de verdure dans la grande ville, à deux pas de notre maison (deux pas ou plutôt 200 mètres).
Et pour les curieux d’histoire, ce lieu charmant est le fruit de la lutte des habitants pour obtenir un espace vert à la place des anciens entrepôts de la compagnie Tata.

Les anciens locaux de Tata (années 1980). C’est vraiment plus sympa maintenant.
Les habitants manifestant pour obtenir la place et faire obstacle aux projets industriels pour ce lieu. Ici, ils sont avenue Boedo, à l’angle de Independencia.

Nous ne suivrons donc pas les conseils de nos précieux aînés…

À bientôt les amis !

Lors de notre dernier passage en France pour le festival Niort Tango (10/2024). Ici, à La Rochelle.

La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio

Barcelata Letra: Ernesto Cortázar

La Shunca est la cadette d’une famille. C’est également une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse planer un petit sous-entendu. Entrons dans la valse et laissons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous mener assez loin des rives de l’Argentine.

Qui est la Shunca ?

Comme nous l’avons vu, la Shunca est la cadette de la famille. Ce terme est d’origine zapotèque, c’est-à-dire d’un peuple d’Amérique centrale et plus précisément du (région de Mexico), bien loin de l’Argentine. Cela pourrait paraître étonnant, mais vous vous souviendrez que nous avons souvent mis en valeur les liens entre le Mexique et l’Argentine dans d’autres anecdotes et que les musiciens voyageaient beaucoup, pour enregistrer dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur carrière.
Les deux auteurs, Lorenzo Barcelata et Ernesto Cortázar, sont mexicains. Par ailleurs, on connaît l’engouement des Mexicains pour la valse jouée par les mariachis et que même Luis Mariano chanta avec son titre, « La valse mexicaine ». Vous avez donc l’origine de l’arrivée de la Shunca dans le répertoire du tango argentin. Nous avons d’autres exemples, comme la Zandunga. Nous verrons que ce n’est pas un hasard…

Extrait musical

La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio.

La valse est instaurée dès le début avec un rythme soutenu, alternant des passages légatos et staccatos. À 42s arrivent l’air principal. À 1:05 Romeo Gavioli commence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Horacio Lagos se lance à son tour pour former un trio avec les deux autres chanteurs. Comme souvent, la fin tonique est constituée de doubles-croches qui donnent une impression de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.

Des duos et trios à gogo

Donato a aimé utiliser des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs identifiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio.
Trios Horacio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavioli :
Estrellita mía, La Shunca, Luna, Volverás….pero cuándo (valses)
Sinfonía de arrabal (tango).
Trios+ Horacio Lagos, Lita Morales avec chœur :
Mañana será la mía (valse).
No se haga mala sangre (polka).
Trio+ Félix Gutiérrez, Luis Díaz avec chœur :
La Novena (tango)
Duos Horacio Lagos, Lita Morales :
Carnaval de mi barrio, Chapaleando barro, Sinsabor, Sombra gaucha (tangos)
Duos Romeo Gavioli, Lita Morales :
Mi serenata, Yo te amo (tangos).
Duos Gavioli, Horacio Lagos :
Amando en , Lonjazos (tangos)
Noches correntinas (valse)
Repique del , Sentir del corazón (milongas).
Duos Antonio Maida, Randona (Armando Julio Piovani) :
Amores viejos, Quien más… quien menos…, Riachuelo, Ruego, Una luz en tus ojos (tangos).
Duos Horacio Lagos, Randona (Armando Julio Piovani) :
Si tú supieras, Te gané de mano (tangos).
Cara negra, (milongas)
Duos Hugo del Carril et Randona (Armando Julio Piovani) :
Rosa, poneme una ventosa (tango)
Mi morena (paso doble)
Duo Daniel Adamo et Jorge Denis :
El lecherito (milonga)
Duo avec :
Madre Patria (paso doble)
Duo Roberto Morel y :
T.B.C. (tango)
Duo+ Antonio Maida avec chœur :
Sandía calada (ranchera)
Duo+ avec chœur :
Mamá (tango)
Duos+ Félix Gutiérrez avec chœur :
La novena, Que Haces! Que Haces! (tango)
Duos+ Horacio Lagos avec chœur :
Hacete cartel, Hay que acomodarse (tangos)
Virgencita (valse)
Pierrot apasionado (marche brésilienne)
Duo+ avec chœur :
Hola!… Qué tal?… (tango)
Duo+ Lita Morales avec chœur :
Triqui-trá (tango)
Duos Luis Díaz avec chœur :
Chau chau, Severino, El once glorioso, Felicitame hermano (tangos)
Candombiando (maxixe)
Ma qui fu (tarentelle)
Ño Agenor (ranchera)

C’est un beau record.

Paroles

La luna se ve de noche,
El sol al amanecer,
Hay quienes por ver la luna
Otra cosita no quieren ver.

Me dicen que soy bonita,
Quién sabe porque será,
Si alguno tiene la culpa
Que le pregunten a mi papá.

Shunca para acá, Shunca para allá,
¡Ay!, las olas que vienen y van,
Shunca para acá, Shunca para allá,
¡Ay!, cariño me vas a matar.
Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar

Traduction libre et indications

La lune se voit la nuit,
Le soleil à l’aube,
Il y a certains qui voient la lune
Une autre petite chose, ils ne veulent pas la voir.

Ils me disent que je suis jolie
Qui sait pourquoi c’est le cas,
Si quelqu’un en a la faute
Demandez-le à mon papa. (J’imagine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shunca)

Shunca par ci, Shunca par-là,
Oh, les vagues qui vont et viennent,
Shunca par ici, Shunca par-là,
Oh, chéri, tu vas me tuer.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre argentin de ce titre, je vous propose donc de compléter avec des versions mexicaines…

La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.
La Shunca 1938 – Las Hermanas Padilla con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shunca par Las Hermanas Padilla avec Los Costeños. On notera la mention “Canción Tehuana” et le nom de Lorenzo Barcelata.
La Shunca 1998 – Marimba Hermanos Moreno García. C’est une version récente, mexicaine.

Shunca et Zandunga, hasard ?

Ben, non. La Zandunga est un air espagnol originaire d’Andalousie (jaleo andaluz) qui est devenu l’hymne de l’Isthme de Tehuantepec que nous avons déjà évoqué à propos de Tehuana.

En 1937, le réalisateur Fernando de Fuentes réalisa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante La Shunca.
La Zandunga a été arrangée par divers auteurs comme Lorenzo Barcelata et Max Urban (pour le film), Andres Gutierrez, A. Del Valle, Guillermo Posadas ou Máximo Ramó Ortiz.
La Shunca attribuée à Lorenzo Barcelata et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.

La zandunga 1939-03-30 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.

Dans ces extraits du film La Zandunga, vous pourrez entendre premièrement, La Shunca, puis voir danser la Zandunga. J’ai ajouté le générique du début où vous pourrez de nouveau entendre la Zandunga.

3 extraits de la Zandunga 1937 du réalisateur Fernando de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante la Shunca.

Je pense que vous avez découvert le chemin emprunté par ce titre. Lorenzo Barcelata a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la diffusion du film et des disques, l’air est arrivé en Argentine où Donato a décidé de l’enregistrer. Voici donc, un autre exemple de pont, ici entre le Mexique et l’Argentine.

À bientôt les amis !

Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz

Aníbal Troilo Letra:

Impossible que vous ne connaissiez pas Barrio de tango immortalisé par Aníbal Troilo et . Cependant, vous connaissez peut-être moins cette très intéressante version par Miguel Caló et . D’ailleurs, il y a quelques ponts curieux entre ces deux directeurs d’orchestre.

Extrait musical

Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz.

Paroles

Un pedazo de barrio, allá en Pompeya,
durmiéndose al costado del terraplén.
Un farol balanceando en la barrera
y el misterio de adiós que siembra el tren.
Un ladrido de perros a la luna.
El amor escondido en un portón.
Y los sapos redoblando en la laguna
y a lo lejos la voz del bandoneón.

Barrio de tango, luna y misterio,
calles lejanas, ¡cómo estarán!
Viejos amigos que hoy ni ,
¡qué se habrán hecho, dónde estarán!
Barrio de tango, qué fue de aquella,
Juana, la rubia, que tanto amé.
¡Sabrá que sufro, pensando en ella,
desde la tarde que la dejé!
Barrio de tango, luna y misterio,
¡desde el recuerdo te vuelvo a ver!

Un coro de silbidos allá en la esquina.
El codillo llenando el almacén.
Y el dramón de la pálida vecina
que ya nunca salió a mirar el tren.
Así evoco tus noches, barrio ‘e tango,
con las chatas entrando al corralón
y la luna chapaleando sobre el fango
y a lo lejos la voz del bandoneón.
Aníbal Troilo Letra: Homero Manzi

libre et indications

Un morceau de quartier, là-bas à Pompeya (quartier au sud de Buenos Aires), dormant sur le côté du talus (sans doute le terre-plein du chemin de fer qui coupe le quartier, voir plan en fin d’article).
Une lanterne qui se balance sur la barrière et le mystère d’un adieu que le train sème.
Un aboiement de chiens à la lune.
L’amour caché dans une porte cochère.
Et les crapauds redoublant dans le lac et au loin la voix du bandonéon.
Quartier du tango, lune et mystère, rues lointaines, comment seront-elles !
De vieux amis dont je ne me souviens même pas aujourd’hui, qu’ont-ils fait, où sont-ils !
Quartier de Tango, qu’est-il arrivé à celle-là, Juana, la blonde, que j’ai tant aimée.
Elle saura que je souffre, en pensant à elle, depuis l’après-midi où je l’ai quittée !
Quartier de tango, lune et mystère, depuis le souvenir, je te revois !
Un chœur de sifflements là-bas au coin de la rue.
Le codillo (articulation, coude, voire jeu de cartes) remplissant l’entrepôt (ou le magasin). Cette phrase est donc incertaine, au moins pour moi…
Et le drame de la pâle voisine qui n’est plus jamais sortie pour regarder le train.
C’est ainsi que j’évoque tes nuits, barrio de tango, avec les charrettes entrant dans le dépôt et la lune éclaboussant au-dessus de la boue et au loin la voix du bandonéon.

Autres versions

Barrio de tango 1942-12-14 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.
Francesco Fiorentino et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1942-12-30 – Orquesta .
Ángel D’Agostino et Ángel Vargas
Barrio de tango 1943-01-19 – Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. C’est notre .
Jorge Ortiz et Miguel Caló
Barrio de tango 1964-02-03 – Orquesta Aníbal Troilo con Nelly Vázquez.
Nelly Vázquez et Aníbal Troilo
Barrio de tango 1971 – Cuarteto Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Une capture à la radio, la qualité n’est pas au top, mais l’interprétation est intéressante.

Barrio de tango 1971-05-06 – Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche.

Les mêmes, enfin, pas tout à fait, car au lieu du cuarteto, c’est ici, l’orchestre de Troilo qui accompagne Goyeneche.

Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Te acordás… Polaco ? Disque et photo

Pompeya, barrio de tango

Ou plutôt “Nueva Pompeya”, l’ancienne ayant eu des petits problèmes avec le Vésuve est un quartier du sud de Buenos Aires bordant le .

En jaune, Nueva Pompeya. On remarque la belle courbe et sa contrecourbe verte qui correspond au talus du chemin de fer, talus évoqué dans les paroles.
Pompeya, lors des inondations de 1912 et aujourd’hui. On remarque la voie ferrée sur son talus. Des entrepôts et usines au premier plan et au nord-est de la voie ferrée, quelques habitations.
Les touristes qui restent à Recoletta ou Palermo ne voient pas forcément la misère qui est toujours présente en Argentine. Sur la photo de gauche, la limite Barracas et Nueva Pompeya. On remarquera la présence de rails, ceux qui étaient utilisés pour le train des ordures. À droite, une habitation constituée de latas (bidons d’huile ou de pétrole lampant), ancêtre des logements actuels qui sont également créés à partir de matériaux de récupération comme on peut le voir sur la photo de gauche.

Je termine notre parcours dans un barrio de tango. Un parcours rapide et qui ne sera jamais dans les programmes des guides touristiques. C’est pourtant là un des berceaux du tango. Je vous invite à consulter mon anecdote sur le Barrio de las latas pour en savoir plus.

Un des ponts entre Aníbal Troilo et Miguel Caló

Aujourd’hui, je vais juste vous parler d’un petit pont, celui qui lie certains enregistrements de Troilo avec ceux de Caló.
Je m’amuse parfois à « tromper » les danseurs en leur proposant une fausse tanda de Caló qui est en fait 100 % Troilo. Je commence par un titre très proche de Caló et je dévie, ensuite, plus ou moins vers du pur Troilo. C’est un des avantages des tandas de quatre de pouvoir faire des transitions plus subtiles. Voici quelques titres enregistrés par Troilo qui peuvent, pour des oreilles peu averties, paraître proches de Caló. J’imagine que mes lecteurs qui sont des spécialistes ne vont pas adhérer à ces similitudes, mais je vous assure que l’illusion fonctionne assez bien comme j’ai pu le constater des dizaines de fois, notamment l’année du centenaire de Troilo où je passais beaucoup notre gordo favorito.
no le hagas caso
Lejos de Buenos Aires
Tristezas de la calle Corrientes

Después
Margarita Gauthier
Cada día te extraño mas
Fruta amarga
De barro
Gime el viento
La noche que te fuiste
Orquestas de mi ciudad
Il y a également des similitudes dans le choix des musiques, mais la plupart sont interprétées avec un style propre qui ne prête pas à confusion. Il y a aussi quelques Caló tardifs qui pourraient passer pour des Troilo de la décennie précédente.
On en reparlera…

À bientôt, les amis !

Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta Ricardo Malerba

Francisco Gullo ()

La superbe de artista, écrite par Pascual de Gullo va nous permettre de découvrir un peu l’univers de Malerba, mais aussi de faire un peu de technique de DJ, sur la construction des tandas et sur d’autres aspects, comme la balance.

Extrait musical

Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta .

Les bandonéons incisifs lancent le titre. Le piano assure les transitions, puis les violons se joignent pour lancer leurs phrases en legato.
Le piano a ensuite de beaux passages et, le reste du temps, il assure le Poum-Tchi-Tchi de la valse (marquage des trois temps en accentuant le premier).
Cette description pourrait tout à fait s’appliquer à l’orchestre de D’Arienzo. Nous sommes assez loin du Malerba, qui peut parfois être un peu mièvre.
C’est donc une très belle version que l’on entend rarement. Je vous dirai pourquoi en fin d’article.

Autres versions

Corazón de artista 1935-04-16 – Orquesta .

Cette version est assez différente des deux autres versions que je vous présente dans cette anecdote. Elle est beaucoup plus coulée, lisse. Elle tourne bien et ne fera pas rougir le DJ qui la passera en milonga.

Corazón de artista 1936-11-27 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Que D’Arienzo nous offre une version dynamique n’étonnera personne. Les violons et bandonéons à l’unisson cisaillent la musique, puis les violons lissent le tout dans de longues phrases suaves. Le piano de Biagi réalise les enchaînements avec une confiance qui commence à se voir.
L’accélération finale, une fois de plus, réalisée par la subdivision des temps en doubles-croches, permet de terminer dans une valse enthousiaste, sans avoir à modifier le tempo.

Corazón de artista 1943-01-18 – Orquesta Ricardo Malerba. C’est notre valse du jour.

Pourquoi entend-on peu cette valse par Malerba en milonga ?

Est-ce à cause de l’auteur ?

De Gullo est l’auteur principalement de valses. Certaines sont très connues, comme Lágrimas y sonrisas, et notre valse du jour.

Quelques couvertures de partitions de valses de Pascual De Gullo.

Je vous propose ici de vous présenter des versions plus rares.

Amorosa 1930-09-17 – Orquesta Juan Guido.

Cet admirable orchestre est curieusement négligé. On peut le comprendre pour les tangos qui sont de la vieille garde, mais moins pour les valses. Celle-ci n’est pas le meilleur exemple, mais Guido a enregistré des perles que je propose parfois en milonga. J’ai même failli le faire à Buenos Aires, cette semaine, j’étais en train de préparer la tanda et j’ai changé d’avis au dernier moment au vu de l’ambiance de la piste.

Lágrimas y sonrisas 1934-10-20 – Orquesta Adolfo Pocholo Pérez.

Dommage qu’elle ne puisse pas aller dans la même tanda que Corazón de artista 1935 du même Pocholo. Il faut dire que Corazón de artista est plutôt plus tonique que la vingtaine de valses enregistrées par Pocholo.

Sueño de virgen 1943-12-30 – dir. Francisco Canaro.

Je pense donc, qu’on ne peut pas reporter la faute sur l’auteur qui nous a proposé de belles valses, même si, en dehors de ses deux gros succè, elles ont été assez peu enregistrées. Peut-être qu’un orchestre contemporain serait bien inspiré de fouiller dans ce répertoire au lieu de ressortir toujours les dix mêmes titres.

Est-ce à cause de Malerba ?

Pour pouvoir créer une tanda cohérente, il faut trois ou quatre titres. Pour les valses, on limite assez souvent le nombre à trois titres.
Donc, il nous faut trouver deux ou trois valses de Malerba qui puissent aller avec notre valse du jour. Comme il a enregistré en tout 4 valses, voyons si cela peut faire une tanda.

Il a enregistré deux valses avec :

Aristocracia 1956-06-01 – Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.
Quejas de Montmartre 1956-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Alberto Sánchez.

Cette valse magnifique a été composée par Georges van Parys avec des paroles de Jean Renoir qui a utilisé ce titre pour son film de 1954. Le titre original de la valse est « La Complainte de la Butte ». On le connait par de nombreux chanteurs, dont bien sûr, , qui l’a lancé, puis toujours en 1955, par André Claveau, Patachou et Marcel Mouloudji.

La complainte de la butte dans le film French Cancan de Jean Renoir (1954). Musique de Georges Van Parys et paroles de Jean-Renoir. En deuxième partie, la doublure-voix de Anna Amendola, Cora Vaucaire (La Dame blanche) sur scène en 1956.

Ce sont donc deux valses intéressantes, mais qui ne vont pas ensemble et encore moins avec Corazón de artista. Pas de piste de tanda de ce côté. Continuons de chercher…

La dernière valse en stock a été enregistrée avec le chanteur vedette de Malerba, Orlando Medina. Est-ce enfin une piste intéressante ? Écoutons.

Cuando florezcan las rosas 1943-06-10 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina (Ricardo Malerba – Dante Smurra Julio Jorge Nelson).

Je pense que nous sommes d’accord, encore une fois, cette valse est à part, et absolument pas compatible avec notre valse du jour.

En résumé, il est impossible de faire une tanda à partir de la valse Corazón de artista dans la version de Malerba.

Conseil aux orchestres contemporains et aux organisateurs

Je ne sais pas bien pourquoi, mais très peu d’orchestres contemporains enregistrent un nombre suffisant de valses ou de milongas pour pouvoir faire des tandas et quand ils le font, ce n’est pas toujours génial à rassembler dans une tanda. Bien souvent, si un DJ faisait la même programmation que certains orchestres, il se recevrait des tomates.
Le problème est que les orchestres sont souvent composés de pièces rapportées et qu’ils répètent peu ensemble. Il n’est qu’à voir sur les festivals comment se passe la balance. Cette opération est censée permettre à l’ingénieur du son d’équilibrer les instruments et les retours des musiciens.
Pour bien faire les choses, on adapte à chaque instrument le ou les microphones convenables (généralement indiqués dans la fiche technique de l’orchestre). Une fois raccordés à la console de mixage, on prépare la place des différents instruments. Il ne suffit pas de régler leurs volumes respectifs, il faut également « sculpter » leur bande de fréquence afin que le mixage soit harmonieux. Sinon, on fait une course à la puissance, sur les mêmes fréquences et la musique est totalement déséquilibrée.
Quand un chanteur intervient, par exemple, un ténor, il faut que sa bande de fréquence (130 à 550 Hz) soit dégagée. Si le compositeur a bien géré les choses, il évitera de mettre un second instrument dans cette gamme de fréquences au même moment. Mais, ce n’est pas toujours le cas et vous avez certainement en tête des enregistrements où l’ingénieur du son a baissé exagérément le volume pour dégager la voix, mais cela est fait en enlevant la base musicale dont se servent les . Dans les prestations en direct, les musiciens vont demander au sonorisateur d’augmenter leur volume, car ils ne s’entendent pas alors que cela vient souvent d’un mauvais réglage des fréquences et d’un mauvais équilibre des retours.
Dans un orchestre sans amplification, les musiciens ont leur place si le compositeur et/ou l’arrangeur ont bien effectué leur travail. Le chef gère juste le volume des instruments pour faire ressortir une voix plus que les autres, ou pas.
Vous êtes très familiers de ce phénomène et c’est facile à constater en écoutant le même titre par différents orchestres. Même s’ils utilisent les mêmes arrangements, dans certaines versions, un instrument est au premier plan et pour un autre orchestre, c’est un autre instrument qui est mis en valeur.
Un mauvais réglage des retours ou de la balance fait que de nombreuses prestations sont désastreuses pour le public. Les instrumentistes ne s’entendant pas bien, jouent plus fort, voire pousse la voix pour les chanteurs, les cordes frottées jouent faux, ce qui est parfois recherché, mais pas toujours.
Bon, j’ai un peu dérapé de mon sujet. Comme DJ, il est fréquent de n’avoir que 30 secondes pour faire la balance, alors que ce serait utile de pouvoir étudier correctement la salle auparavant et d’équilibrer l’égalisation en conséquence. Combien de fois, la balance de l’orchestre prend trois heures en devenant de fait une répétition et qu’au final, le véritable travail de balance n’a pas été correctement effectué. Parfois, la balance continue alors que le public est déjà dans la salle, car ils ont passé l’heure.
A minima, ce serait sympa de la part des organisateurs de faire respecter les horaires. Comme DJ, j’ai besoin de 5 minutes et, quand il y a un orchestre, c’est presque impossible de les avoir. Parois, il n’est même pas possible de tester mes tranches sur la console, car l’ingénieur du son est pris par l’orchestre. Il n’est pas non plus possible de balancer du bruit rose au volume correct quand il y a déjà le public dans la salle.
Contrairement à ce que certains pensent, le travail de DJ est assez complexe, car il faut équilibrer des musiques de sources variées. Pouvoir faire une balance de qualité, c’est l’assurance que les danseurs auront un bon son sur la piste. C’est d’autant plus important quand le DJ est loin de la piste ou n’a pas de retour. S’il sort un son correct à son emplacement, cela risque de ne pas être bon pour la piste. Un retour bien réglé permet de limiter ce problème, à condition qu’il soit bien réglé et, pour bien le régler, il faut avoir les 5 minutes de préparation…

Faut-il renoncer à utiliser cette valse ?

Ma réponse est non, bien sûr. Pour cela, nous avons une tolérance qui consiste à pouvoir composer une tanda mixte, c’est-à-dire à partir de plusieurs orchestres. C’est assez rare avec les tangos, mais, beaucoup plus courant pour les milongas et les valses. Pour les milongas, cela reste assez compliqué, car il y a différents styles et que, même avec le même orchestre et la même année, on peut avoir des milongas qui ne vont pas bien ensemble. Cela demande donc un peu de réflexion au DJ. Pour les valses, c’est en revanche beaucoup plus facile. Il suffit d’associer des titres au rythme comparable, de même caractère et à la sonorité proche. Nous avons vu que la valse de Malerba avait des accents qui rappelaient D’Arienzo. Il semble donc évident que chercher à compléter une tanda de valse de D’Arienzo avec ce titre peut être une excellente idée. En tout cas, c’est la direction que j’emprunte. Il y a bien sûr d’autres possibilités. Vous pouvez donner votre avis dans les commentaires.

À bientôt les amis !

El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo

Le dix-neuvième siècle a vu le développement du ferroviaire et du cinéma. On se souvent que l’un des premier films, (film n° 653 de Louis Lumière), a été tourné durant l’été 1895 et présenté au public le 25 janvier 1896. Mon grand-père, né quatre ans après les faits, me contait que les spectateurs furent pris de panique. L’œuvre d’aujourd’hui est à sa manière, une glorification des deux nouveautés. Le chemin de fer argentin, le plus développé d’Amérique du Sud, et le cinéma où les orchestres proposaient la musique manquant aux films de l’époque…

L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (film n° 653 de Louis Lumière) – Musique el Espiante 1932-01-17 Osvaldo Fresedo.

L’espiante peut désigner en lunfardo une arnaque ou le départ, par exemple, pour mettre fin à une relation me tomo el espiante. Dans le cas présent, vous allez le comprendre à l’écoute, il s’agit d’un train, que nous allons prendre ensemble. En voiture !

Extrait musical

Partitions de El espiante. On notera que l’on ne voit pas de train. Peut-être que le couple se fait l’espiante en sortant d’une ennuyeuse…
El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto.

Tout commence par la cloche suivie par le sifflet du chef de gare. Le souffle bruyant des pistons aide au démarrage du train. Le voyage se déroule ensuite les sons d’imitation et ceux de l’orchestre se mélangeant. Le bruit de la vapeur suit le train sur une bonne partie du trajet.
À 1:00 et 2:00, en entend l’annonce de la voiture-restaurant.
Le trajet se fait par des successions de montées et descentes, et la musique poursuit son parcours, jusqu’au final où les passagers s’interpellent et où le train s’arrête dans l’annonce de la gare,
Ce titre est sans doute à classer dans la rubrique des tangos ludiques et à réserver aux amateurs de canyengue, mais d’autres passagers, pardon, danseurs peuvent le danser avec entrain.

Autres versions

Même si c’est une composition de Fresedo, le plus ancien enregistrement disponible est par . Ce n’est pas très étonnant, c’est le grand orchestre du moment et Firpo aime bien les titres aux sons réalistes.
On pensera par exemple à où il introduit des chants d’oiseaux joués au violon. Mais il a sans doute un attachement au train, également, puisqu’il écrira le tango qui évoque également le même train, celui de Rosario…

El rápido 1931-08-27 – Orquesta Roberto Firpo con coreado.

Ce titre est signalé comme tango humoristique et est donc de la même veine que celui de Fresedo. Il est ponctué de voix de « passagers ». Comme la version de Fresedo de 1932 (notre , l’annonce finale est également « Rosario ».

On peut imaginer que Firpo répond à son compère. L’espiante et El rápido désignent également les trains. On notera qu’à l’époque, il fallait seulement trois heures pour rallier Retiro (gare de Buenos Aires) à Rosario, soit presque trois fois moins que maintenant…
Firpo avait déjà enregistré ce titre en 1927 et je rappelle que Biagi a aussi enregistré, El rápido ainsi que Rodriguez, Piazzolla, Villasboas et Varella.
Revenons maintenant aux espiantes, on prendra le rapide une autre fois…

El espiante 1916 – Sexteto Roberto Firpo. Il s’agit d’un enregistrement acoustique.

Pas de bruitage de train, ce que les musiciens de l’époque auraient pu produire sans problème, car ils le faisaient pour le cinéma qui était muet à l’époque. J’imagine que cet ajout de bruitages s’est fait au fur et à mesure des concerts. Firpo n’est pas hostile à cela, bien au contraire si on écoute ce qu’il a fait dans El rápido de 1931.

El espiante 1927-12-01 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

Si le caractère du train qui alterne les montées poussives et les descentes de pente précipitées est bien présent, les bruitages ne sont pas encore à l’ordre du jour. Il faudra peut-être attendre le délire de Firpo en 1931 avec El rápido, pour que cela devienne une habitude chez Fresedo également. Même si on n’est pas fan du canyengue, il faut reconnaître à cette œuvre, de belles trouvailles musicales, que Fresedo exploitera tout au long de sa carrière comme ses fameuses descentes et chutes.

El espiante 1932-01-17 – Orquesta Osvaldo Fresedo con canto (Rosario). C’est notre tango du jour.
El espiante 1933-03-16 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

On pourrait confondre cette version avec la précédente, mais elle se distingue principalement de son aînée par l’absence des paroles finales et une fin différente. On notera aussi une accentuation moindre du caractère ferroviaire de cet enregistrement. Il y a tout de même le sifflet et la cloche au début, des sons de pistons (souffles à la voix) et le sifflet à environ 1:00, 2:10 et 2:30. Et un dernier souffle des pistons termine l’œuvre.

El espiante 1939-07-07 – Orquesta .

Julio De Caro n’allait pas laisser ses copains s’amuser avec la musique du train sans participer. Lui aussi aime proposer des musiques descriptives. On notera que son train est plus un rapide qu’un espiante. Cette version très joueuse est sans doute dansable par les danseurs allergiques au canyengue, car elle est vraiment très sympa et le train qui n’a rien de poussif devrait les entraîner jusqu’à Rosario (ou ailleurs) sans problème.

El espiante 1954-11-25 – Orquesta .

À part un semblant de cloche, au début, les bruitages ferroviaires sont absents de cette version. L’arrivée en gare se fait avec un bandonéon nerveux, peut-être celui de Varela. En effet, en 1954, Varela est venu grossir les rangs de son orchestre comme bandonéoniste en plus de Antonio Marchese et Alberto San Miguel. Trois autres bandonéonistes s’adjoindront à l’orchestre à cette époque : Luis Pinotti, Salvador Alonso et Eduardo Otero. Le freinage final se fait au violon.

El espiante 1955-12-29 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

En 1955, Fresedo remet sur les rails son espiante. On retrouve dans cette version la cloche, le sifflet et la trompe du train. Cependant la musique va vers plus de joliesse. Le train semble traverser de beaux paysages, même si par moment, le rythme retrouve la respiration des pistons.

El espiante 1974 – Orquesta Héctor Varela.

Comme dans la version de 1954, le caractère ferroviaire sous forme de bruitages est absent, mais on reste tout de même dans l’ambiance avec la musique qui évoque irrésistiblement le déplacement d’un train. L’arrivée est ici, entièrement réalisée par le bandonéon nerveux qui ne laisse pas la place au violon, comme en 1954. Varela privilégie son instrument…

El espiante 1979-11-06 – Orquesta Osvaldo Fresedo.

En 1979, Fresedo fait partir son train avec un sifflet initial et lui fera émettre ses célèbres coups de trompes, mais on sent qu’il file comme le vent, au moins dans certains passages qui alternent avec des passages plus poussifs, rappelant le train des débuts. Comme en 1955 et sans doute encore plus, le train semble traverser d’élégants paysages. Le résultat décevra sans doute les amateurs du « vieux » Fresedo, mais ravira ceux qui aiment Sassone ou Varela. Le titre se termine par un jingle au vibraphone.

Et pour terminer notre voyage, prenons deux trains tirés par des locomotives à vapeur « Pacific 231 ». 231 pour 2 roues à l’avant (directrices), Trois grandes roues motrices et 1 dernière roue à l’arrière pour l’équilibre. 2-3-1 (4-6-2) si on envisage les deux côtés de la locomotive. La musique est celle d’Arthur Honegger, qui, comme Firpo et Fresedo, était fan des trains.

Pacific 231 1931- Mijaíl Tsekhanovsky – Arthur Honegger (film russe).

Ce court métrage magnifique fait le parallèle entre les mécanismes de la locomotive et le jeu des instruments, l’utilisation des surimpressions et des fondus enchaînés fait que la bête humaine (nom d’un film de Jean Renoir en 1938 ayant pour thème le chemin de fer à vapeur) et l’orchestre se mélangent.

Pacific 231 1949 – Jean Mitry – Arthur Honegger (film français).

L’esthétique du film de Jean Mitry est bien différente. De belles images de trains accompagnent la musique. C’est certainement beaucoup moins créatif que le film de Tsekhanovsky, mais intéressant tout de même, ne serait-ce que par l’aspect documentaire qui fait revivre ses monstres se nourrissant de charbon.

Terminus, tout le monde descend !
À bientôt, les amis !

Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz

Julio De Caro; Letra:

Je suis sûr que vous avez déjà été interpellés par ce titre qui commence par des rires, voire par des sifflements. La version du jour est réalisée par un des deux auteurs, le bandonéoniste Pedro Laurenz, qui à l’époque de la composition, était dans l’orchestre de l’autre compositeur, Julio de Caro. Nous verrons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extraordinaire modernité.
Mala junta peut se traduire par mauvaise rencontre. Vous serez peut-être étonné de voir qu’elle est la mauvaise rencontre évoquée par Magaldi…

Extrait musical

Partitions de Mala junta. Elles sont dédicacées « Al distinguido y apreciado Señor Don Luis Gondra y familia ». Première des 26 pages de la partition complète et début de la partie finale avec la mise en valeur du bandonéon. Partition réalisée par Lucas Alcides Caceres.
Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz.

Les versions de Pugliese sont bien plus connues, mais vous reconnaîtrez tout de suite le titre malgré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exactement, c’est l’orchestre qui reproduit le thème de l’éclat de rire, instrumentalement. Le rythme est bien marqué, même s’il comporte quelques syncopes en fantaisie.
On notera que Laurenz fait également l’impasse sur les sifflements. Dans son de 1968, avec son quinteto, il omettra également ces deux éléments. On pourrait donc imaginer que ces rires et sifflements sont des fantaisies de De Caro. C’est d’autant plus probable si on se souvient que, dans , il utilise les sifflements, les rires et même des phrases humoristiques.
Si quelques dissonances rappellent les compositions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas troubler les moins familiers de ces sonorités.
Les phrases sont lancées et se terminent souvent comme jetées, précipitées. Le piano coupe ces accélérations par ses ponctuations. La musique semble se remettre en place et on recommence jusqu’à la dernière partie où le bandonéon de Laurenz s’en donne à cœur joie. Rappelez-vous que, dans la partition, toute cette partie est en doubles-croches, ce qui permet de donner une impression de , sans modifier le rythme.

Disque Odeón 7644 Face A avec Mala junta interprété par Pedro Laurenz.

Don Luis Gondra

Luis Gondra a deux époques et une caricature dans la Revue Caras y Caretas de 1923, qui rappelle qu’il était également avocat.

La dédicace de ce tango a été effectuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un militant, écrivain et politique. Il fait partie des survivants du massacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipólito Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blanca ont été attaqués à balles et baïonnettes par des forces loyales au gouvernement de Manuel Quintana.
Il est mort le 10 février 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tango du jour. Il est l’auteur de différents ouvrages, principalement d’histoire politique, comme des ouvrages sur Belgrano ou des cours d’économie, car il était professeur de cette matière.

Un ouvrage à la gloire de Belgrano, un cours d’économie politique et sociale et un livre sur les idées économiques de Belgrano. Cela donne le profil du dédicataire de ce tango.

Paroles, deux versions

Même si notre tango du jour est instrumental, il y a des paroles, celles enregistrées par Magaldi, qui dénoncent le tango comme la cause de la perdition et celles que l’on trouve habituellement dans les recueils de paroles de tango. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de version enregistrée des paroles « canoniques ».
Je commence donc par la version de Magaldi et donnerait ensuite la version « standard ».

Paroles chantées par Magaldi

Por tu mala junta te perdieron, Nena,
Y causaste a tus pobres viejos, pena,
Que a pesar de todos los consejos,
Un mal día te engrupieron
Y el gotán te encadenó…

¡Ay! ¿Dónde estás, Nenita de mirada seductora?
Tan plena de poesía, cual diosa del amor…
Nunca, jamás veré la Sultanita que en otrora
Con sus mimos disipaba mi dolor.

Recitado:
Guardo de ti recuerdo sin igual
Pues fuiste para mí toda la vida.
Mi corazón sufrió la desilusión
Del desprecio a su querer que era su ideal.

Y con la herida
Que tú me has hecho,
Mi fe has desecho
Y serás mi perdición.

Todo está sombrío y muy triste, alma,
Y nos falta, desde que te has ido, calma,
El vivir la dicha ya ha perdido
Porque con tu mal viniste
A enlutar mi corazón.

¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala consejera
que, obrando con falsía, buscó tu perdición?
Mientras que aquí está la madrecita que te espera
Para darte su amorosa bendición.

Recitado:
Dulce deidad, que fue para mi bien
Un sueño de placer nunca sentido,
Yo no pensé que ése, mi gran querer,
Lo perdiera así nomás, siendo mi Edén.

¿Dónde te has ido
mi noviecita?
Tu madrecita
Siempre cree que has de volver.
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version de Magaldi

À cause de ta mauvaise rencontre, ils t’ont perdu, Bébé,
Et tu as causé à tes pauvres parents, de la peine,
Que malgré tous les conseils, un mauvais jour, ils t-on trompés (dit des mensonges) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tango…).
Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séducteur ?
Tellement pleine de poésie, comme une déesse de l’amour…
Je ne verrai jamais, jamais la sultane qui, une fois, avec ses câlins, a dissipé ma douleur.
Récitatif:
Je garde un souvenir inégalé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie.
Mon cœur a souffert de la déception du mépris pour son amour, qui était son idéal.
Et avec la blessure que tu m’as faite,
Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte.
Tout est lugubre et très triste, âme, et nous manquons, depuis que tu es partie, le calme, la vie du bonheur s’est déjà perdue, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur.
Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mauvais conseiller qui, agissant faussement, a cherché ta perte ?
Alors qu’ici se trouve la petite mère qui t’attend pour te donner sa bénédiction aimante.
Récitatif:
Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressenti,
Je ne pensais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden.
Où es-tu allée, ma petite fiancée?
Ta petite mère pense toujours que tu vas revenir.

Paroles de la version standard

Por tu mala junta te perdiste, nena
y nos causa tu extravío, llantos, ¡pena!…
De un vivir risueño te han hablado
y al final… ¡te has olvidado
de tu vieja y de mi amor!…
En la fiebre loca de mentidas galas
se quemaron tus divinas, ¡níveas alas!…
En tu afán de lujos y de orgías
recubriste de agonías
¡a mi vida y a tu hogar!…

Fuiste el ángel de mis horas de bohemia,
el bien de mi esperanza,
tierno sueño encantador;
y no puedo sofocar mis neurastenias
cuando pienso en la mudanza
¡de tu cruel amor!…

(recitado)
¡Pobre de mí… que a cuestas con mi gran cruz
rodando he de marchar por mi oscura senda;
¡sin el calor de aquella fulgente luz
que tu mirar dispersó en mi corazón!

(canto)
Sueños de gloria
que truncos quedaron
y herido me dejaron
entre brumas de dolor…

Por tu mala junta te perdiste, nena,
y nos causa tu extravío llantos, ¡pena!…
Por seguir tus necias ambiciones
mis doradas ilusiones
¡para siempre las perdí!…
Una santa madre delirante clama
y con ella mi cariño, ruega, ¡llama!…
El perdón te espera con un beso
sí nos traes con tu regreso
¡la alegría de vivir!…

Tus recuerdos se amontonan en mi mente,
tu imagen me obsesiona,
te contemplo en mi ansiedad;
y te nombro suspirando tristemente,
pero en vano… ¡no reacciona
tu alma sin piedad!…

Y como el cisne
que muere cantando
así se irá esfumando
¡mi doliente juventud!…
Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version standard

À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin…
On t’a parlé d’une vie souriante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour…
Dans la fièvre folle, des parures mensongères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses…
Dans ton avidité de luxe et d’orgies, tu as couvert d’agonies (amertumes, douleurs, chagrins) ma vie et ta maison…
Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve tendre et enchanteur ;
et je ne puis étouffer ma neurasthénie quand je pense au changement de ton amour cruel…
(récitatif)
Pauvre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sentier ;
Sans la chaleur de cette lumière éclatante que ton regard a dispersée dans mon cœur !
(chant)
Des rêves de gloire qui resteront tronqués et me laissèrent blessé dans des brouillards de douleur…
À cause de ta mauvaise rencontre, tu t’es perdue, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du chagrin…
Pour suivre tes folles ambitions, mes illusions dorées, pour toujours, je les ai perdues…
Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affection, supplie, appelle…
Le pardon t’attend avec un baiser si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre…
Tes s’accumulent dans mon esprit, ton image m’obsède, je te contemple dans mon angoisse ;
Et je te nomme en soupirant tristement, mais en vain… ton âme sans pitié ne réagit pas…
Et comme le qui meurt en chantant ainsi s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…

On voit les différences entre les deux versions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Magaldi ait adapté les paroles à son goût. C’est un petit mystère, mais cela me semble très marginal dans la mesure où l’intérêt principal de cette composition est dans la musique.

Autres versions

Mala junta 1927-09-13 – Orquesta Julio De Caro.

Cette version permet de retrouver les deux compositeurs avec Julio de Caro au violon (son violon à cornet) et Pedro Laurenz au bandonéon. Ce dernier avait intégré l’orchestre de De Caro en 1924 en remplacement de Luis Petrucelli.
On notera, après les rires, le début sifflé. Cette version, la plus ancienne enregistrée en notre possession, a déjà tous les éléments de modernité que l’on attribuera deux ou trois décennies plus tard à qui se considérait comme l’humble héritier de De Caro.
Voici la composition du sexteto pour cet enregistrement :

  • Pedro Laurenz et au bandonéon.
  • Francisco De Caro au piano.
  • Julio De Caro et Alfredo Citro au violon.
  • Enrique Krauss à la contrebasse.
Disque Victor de la version enregistrée par De Caro en 1927.
Mala junta 1928-06-18 – Agustín Magaldi con orquesta.

Comme nous l’avons vu, Magaldi chante des paroles différentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enregistrement destiné à l’écoute, à la limite de la pièce de théâtre.

Mala junta 1928-12 – Orquesta Típica Brodman-Alfaro. Original Columbia L 1349-1 Matrice D 19172.

Le titre commence avec les sifflets, mais sans les rires. Cette version comporte un passage avec une scie musicale. Finalement, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que captivant.

À gauche, le disque officiel édité par la Columbia en 1929 (enregistrement de décembre 1928). À droite, un disque pirate du même enregistrement réalisé dans le courant de 1929.

Quelqu’un a-t-il réussi à se procurer la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ?
La moins bonne qualité de la copie pirate peut aussi laisser penser qu’elle a été réalisée à partir d’un disque édité. Bien sûr, il est difficile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la version pirate, pour vérifier que cela vient de la fabrication et pas de l’usure du disque.

Mala Junta 1928-12 – Orquesta Tipica Brodman Alfaro. Copie pirate d’Omnia (Disque X27251 – Matrice N300028).

Même enregistrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 – Matrice N300028). La qualité est sensiblement plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque original ou tout simplement de l’usure plus importante de ce disque ? Petit rappel. Les disques sont réalisés à partir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directement gravée par la pression acoustique (pour les premiers enregistrements) et par le déplacement d’un burin soumis aux vibrations obtenues par voie électrique (microphone à charbon, par exemple). Cette cire servait à réaliser un contretype, la matrice qui servait ensuite à réaliser les disques par pressage. Sans cette matrice, il faut partir d’un disque déjà pressé, ce qui engendre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression originale, mais cela peut également ajouter les défauts du disque s’il a été utilisé auparavant. La copie pirate est donc obligatoirement de moins bonne qualité dans ce cas, d’autant plus que le matériau du disque peut également être choisi de moins bonne qualité, ce qui engendrera plus de bruit de fond, mais ce qui permettra de réduire le prix de fabrication de cette arnaque.
On notera que, de nos jours, les éditeurs partent souvent de disques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traitements numériques supposés de redonner une jeunesse à leurs produits. Le résultat est souvent monstrueux et se détecte par la mention « remastered » sur le disque. Malheureusement, cela tend à devenir la norme dans les milongas, malgré les sonorités horribles que ces traitements mal exécutés produisent.

Mala junta 1938-07-11 – Orquesta Típica Bernardo Alemany.

Le principal intérêt de cette version est qu’elle ouvre une seconde période d’enregistrements, une décennie plus tard. On peut cependant ne pas être emballé par le résultat, sans doute trop confus.

Mala junta 1938-11-16 – Orquesta Julio De Caro.

De Caro réenregistre sa création, cette fois, les rires et les sifflements sont reportés à la seconde partie. Cela permet de mettre en valeur la composition musicale assez complexe. Cette complexité même qui fera que ce titre, malgré sa beauté, aura du mal à rendre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.

Mala junta 1943-08-27- Orquesta Osvaldo Pugliese.

Contrairement à son modèle, Pugliese a conservé les rires en début d’œuvre, mais a également supprimé les sifflements qui n’interviendront que dans la seconde partie. L’interprétation est d’une grande régularité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pourra trouver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière partie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des bandonéons excités survolés par le violon tranquille. Au crédit de cet enregistrement, on pourra indiquer qu’il est dansable et que la fin énergique pourra faire oublier un début manquant un peu d’expression.

Mala junta 1947-01-16 – Orquesta Pedro Laurenz. C’est notre tango du Jour.
Mala junta 1949-10-10 – Orquesta Julio De Caro.

De Caro, après la version de Pugliese et celle de Laurenz, son coauteur, enregistre une version différente. Comme pour celle de 1938, il ne conserve pas les rires et sifflets initiaux. C’est encore plus abouti musicalement, mais toujours plus pour l’écoute que pour la danse. Conservons cela en tête pour découvrir, la réponse de Pugliese…

Mala junta 1952-11-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Toujours les rires, sans sifflements au début de cet enregistrement et dans la seconde partie, ce sont les sifflements qui remplacent les rires. L’affirmation de la Yumba dans l’interprétation et la structure de cette orchestration nous propose un Pugliese bien formé et « typique » qui devrait plaire à beaucoup de danseurs, car l’improvisation y est facilitée, même si la richesse peut rendre difficile la tâche à des danseurs peu expérimentés.

La version de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala junta est la première plage de la face A du disque LDS 103.
Mala junta 1957-09-02 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Disons-le clairement, j’ai un peu honte de vous présenter cette version après celle de Pugliese. Cette version sautillante ne me semble pas adaptée au thème. Je ne tenterai donc pas de la proposer en milonga. Je ne verrai donc jamais les danseurs transformés en petits duendes (lutins) gambadants comme je l’imagine à l’écoute.

Mala junta 1968 – Pedro Laurenz con su Quinteto.

Pedro Laurenz enregistre une dernière version de sa création. Il y a de jolis passages, mais je ne suis pas pour ma part très convaincu du résultat.
On a l’impression que les instruments jouent chacun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Attention, je ne parle pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensemble, mais du lancement de traits juxtaposés et superposés qui semblent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de certains, c’est sûr que cela posera des difficultés aux danseurs qui souhaitent danser la musique et pas seulement faire des pas sur la musique.

Je vous propose de terminer avec Pugliese, qui est incontestablement celui qui a le plus concouru à faire connaitre ce titre. Je vous propose une vidéo réalisée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la carrière du maître qui rappelle que ses fans criaient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finalement, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…

Mala junta – Osvaldo Pugliese – Teatro Colón 1985.

Il y a d’autres versions, y compris par Pugliese, notamment réalisées au cours de différents voyages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la version de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour version tant novatrice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la version intéressante de Laurenz, qui constitue notre tango du jour.

À bientôt, les amis !

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo) / Letra: Ángel Villoldo / Juan Carlos Marambio Catán / Enrique Santos Discépolo.

Comme tous les tangos célèbres, El choclo a son lot de légendes. Je vous propose de faire un petit tour où nous verrons au moins quatre versions des paroles accréditant certaines de ces légendes. Ce titre importé par Villoldo en France y aurait remplacé l’hymne argentin (par ailleurs magnifique), car il était plus connu des orchestres français de l’époque que l’hymne officiel argentin Oid mortales du compositeur espagnol : Blas Parera i Moret avec des paroles de Vicente López y Planes (écrivain et homme politique argentin). Voyons donc l’histoire de cet hymne de substitution.

Qui a écrit El choclo ?

Le violoniste, danseur (avec sa compagne La Paulina) et compositeur Casimiro Alcorta pourrait avoir écrit la musique de El choclo en 1898. Ce fils d’esclaves noirs, mort à 73 ans dans la misère à Buenos Aires, serait, selon certains, l’auteur de nombreux tangos de la période comme Concha sucia (1884) que Francisco Canaro arrangea sous le titre Cara sucia, nettement plus élégant, mais aussi La yapa, Entrada prohibida et sans doute pas mal d’autres. À l’époque, ces musiques n’étaient pas écrites et elles appartenaient donc à ceux qui les jouaient, puis à ceux qui les éditèrent…
L’absence d’écriture empêche de savoir si, Ángel Villoldo a « emprunté » cette musique…
En 1903, Villoldo demande à son ami chef d’un orchestre classique, José Luis Roncallo, de jouer avec son orchestre cette composition dans un restaurant chic, La Americana. Celui-ci refusa, car le patron du restaurant considérait le tango comme de la musique vulgaire (ce en quoi il est difficile de lui donner tort si on considère ce qui se faisait à l’époque). Pour éviter cela, Villoldo publia la partition le 3 novembre 1903 en indiquant qu’il s’agissait d’une danse criolla… Ce subterfuge permit de jouer le tango dans ce restaurant. Ce fut un tel succès, que l’œuvre était jouée tous les jours et que Villoldo est allé l’enregistrer à Paris, en compagnie de Alfredo Gobbi et de sa femme, Flora Rodriguez.
Par la suite, des centaines de versions ont été publiées. Celle du jour est assez intéressante. On la doit à Francisco Canaro avec . L’ est du 15 janvier 1948.

Extrait musical

Diverses partitions de El choclo. On remarquera à gauche (5ème édition), la dédicace à Roncallo qui lancera le titre.
El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas.

On remarque tout de suite le rythme rapide. Arenas chante également rapidement, de façon saccadée et il ne se contente pas de l’habituel refrain. Il chante l’intégralité des paroles écrites l’année précédente pour Libertad Lamarque.
Ce fait est généralement caractéristique des tangos à écouter. Cependant, malgré les facéties de cet enregistrement, il me semble que l’on pourrait envisager de le proposer dans un moment délirant, une sorte de catharsis, pour toutes ces heures passées à danser sur des versions plus sages. On notera les clochettes qui donnent une légèreté, en contraste à la voix très appuyée d’Arenas.

Paroles (version de Enrique Santos Discépolo)

Ici, les paroles de la version du jour, mais reportez-vous en fin d’article pour d’autres versions…

Con este tango que es burlón y compadrito
se ató dos alas la ambición de mi suburbio;
con este tango nació el tango, y como un grito
salió del sórdido barrial buscando el cielo;
conjuro extraño de un amor hecho cadencia
que abrió caminos sin más ley que la esperanza,
mezcla de rabia, de dolor, de fe, de ausencia
llorando en la inocencia de un ritmo juguetón.

Por tu milagro de notas agoreras
nacieron, sin pensarlo, las paicas y las grelas,
luna de charcos, canyengue en las caderas
y un ansia fiera en la manera de querer…

Al evocarte, tango querido,
siento que tiemblan las baldosas de un bailongo
y oigo el rezongo de mi pasado…
Hoy, que no tengo más a mi madre,
siento que llega en punta ‘e pie para besarme
cuando tu canto nace al son de un bandoneón.

Carancanfunfa se hizo al mar con tu bandera
y en un pernó mezcló a París con Puente Alsina.
Triste compadre del gavión y de la mina
y hasta comadre del bacán y la pebeta.
Por vos shusheta, cana, reo y mishiadura
se hicieron voces al nacer con tu destino…
¡Misa de faldas, querosén, tajo y cuchillo,
que ardió en los conventillos y ardió en mi .
Enrique Santos Discépolo

Traduction libre et indications de la version de Enrique Santos Discépolo

Avec ce tango moqueur et compadrito, l’ambition de ma banlieue s’est attaché deux ailes ;
Avec ce tango naquit, le tango, et, comme un cri, il sortit du quartier sordide en cherchant le ciel.
Un étrange sort d’amour fait cadence qui ouvrait des chemins sans autre loi que l’espoir, un mélange de rage, de douleur, de foi, d’absence pleurant dans l’innocence d’un rythme joueur.
Par ton miracle des notes prophétiques, les paicas et les grelas ( paicas et grelas sont les chéries des compadritos) sont nées, sans y penser, une lune de (ou de flaque d’eau), de canyengue sur les hanches et un désir farouche dans la façon d’aimer…
Quand je t’évoque, cher tango, je sens les dalles d’un dancing trembler et j’entends le murmure de mon passé…
Aujourd’hui, alors que je n’ai plus ma mère, j’ai l’impression qu’elle vient sur la pointe des pieds pour m’embrasser quand ton chant naît au son d’un bandonéon.
Carancanfunfa (danseur habile, on retrouve ce mot dans divers titres, comme les milongas Carán-Can-Fú de l’orchestre avec Jorge Cardozo, ou Caráncanfún de Francisco Canaro avec Carlos Roldán) a pris la mer avec ton drapeau et en un éclair a mêlé Paris au pont Alsina (pont sur le Riachuelo à la Boca).
Triste compadre du gabion (mecs) et de la mina (femme) et jusqu’à la marraine du bacán (riche) et de la pebeta (gamine).
Pour toi, l’élégant, prison, accusations et misère ont parlé à la naissance avec ton destin…
Une messe de jupes, de kérosène (pétrole lampant pour l’éclairage), de lames et de couteaux, qui brûlait dans les conventillos (habitas collectifs populaires et surpeuplés) et brûlait dans mon cœur.

Un épi peut en cacher un autre…

On a beaucoup glosé sur l’origine du nom de ce tango.
Tout d’abord, la plus évidente et celle que Villoldo a affirmé le plus souvent était que c’était lié à la plante comestible. Les origines très modestes des Villoldo peuvent expliquer cette dédicace. Le nord de la Province de Buenos Aires ainsi que la Pampa sont encore aujourd’hui des zones de production importante de maïs et cette plante a aidé à sustenter les pauvres. On peut même considérer que certains aiment réellement manger du maïs. En faveur de cette hypothèse, les paroles de la version chantée par lui-même, mais nous verrons que ce n’est pas si simple quand nous allons aborder les paroles…
Il s’agirait également, d’un tango à la charge d’un petit malfrat de son quartier et qui avait les cheveux blonds. C’est du moins la version donnée par , la sœur de Ángel et que rapporte Juan Carlos Marambio Catán dans une lettre écrite en 1966 à Juan Bautista Devoto. On notera que les paroles de Juan Carlos Marambio Catán confortent justement cette version.
Lorsque Libertad Lamarque doit enregistrer ce tango en 1947 pour le film « Gran Casino » de Luis Buñuel, elle fait modifier les paroles par Enrique Santos Discépolo pour lui enlever le côté violent de la seconde version et douteuse de celles de Villoldo.
Villoldo n’était pas un enfant de chœur et je pense que vous avez tous entendu parler de la dernière acception. Par la forme phallique de l’épi de maïs, il est tentant de faire ce rapprochement. N’oublions pas que les débuts du tango n’étaient pas pour les plus prudes et cette connotation sexuelle était, assurément, dans l’esprit de bien des auditeurs. Le lunfardo et certains textes de tangos aiment à jouer sur les mots. Vous vous souvenez sans doute de « El chino Pantaleón » où, sous couvert de parler musique et tango, on parlait en fait de bagarre…
Rajoutons que, comme le tango était une musique appréciée dans les bordels, il est plus que probable que le double sens ait été encouragé.
Faut-il alors rejeter le témoignage de la sœur de Villoldo ? Pas forcément, il y avait peut-être une tête d’épi dans leur entourage, mais on peut aussi supposer que, même si Irène était analphabète, elle avait la notion de la bienséance et qu’elle se devait de diffuser une version soft, version que son frère a peut-être réellement encouragée pour protéger sa sœurette.
Retenons de cela qu’au fur et à mesure que le tango a gagné ses lettres de noblesse, les poètes se sont évertués à écrire de belles paroles et pas seulement à cause des périodes de censure de certains gouvernements. Tout simplement, car le tango entrant dans le « beau monde », il devait présenter un visage plus acceptable.
Les textes ont changé, n’en déplaise à Jorge Borges, et avec eux, l’ambiance du tango.

Autres versions

Tout comme pour la Cumparsita, il n’est pas pensable de présenter toutes les versions de ce tango. Je vous propose donc une sélection très restreinte sur deux critères :
• Historique, pour connaître les différentes époques de ce thème.
• Intérêt de l’interprétation, notamment pour danser, mais aussi pour écouter.
Il ne semble pas y avoir d’enregistrement disponible de la version de 1903, si ce n’est celle de Villoldo enregistrée en 1910 avec les mêmes paroles présumées.
Mais auparavant, priorité à la datation, une version un peu différente et avec un autre type de paroles. Il s’agit d’une version dialoguée (voire criée…) sur la musique de El Choclo. Le titre en est Cariño puro, mais vous retrouverez sans problème notre .

Cariño puro (diálogo y tango) 1907 – Los Gobbi con Los Campos.

Ce titre a été enregistré en 1907 sur un disque en carton de la compagnie Marconi. Si la qualité d’origine était bonne, ce matériau n’a pas résisté au temps et au poids des aiguilles de phonographes de l’époque. Heureusement, cette version a été réédité en disque shellac par la Columbia et vous pouvez donc entendre cette curiosité… La forme dialoguée rappelle que les musiciens faisaient beaucoup de revues et de pièces de théâtre.

À gauche, disque en carton recouvert d’acétate (procédé Marconi). Ces disques étaient de bonne qualité, mais trop fragiles. À droite, le même enregistrement en version shellac.

Paroles de Cariño puro des Gobbi

Ay mi china que tengo mucho que hablarte,
de una cosa que a vos no te va a gustar
Largá el rollo que escucho y explicate
Lo que pases no es tontera,
pues te juro que te digo la verdad.
dame un beso no me vengas con chanela (2)
dejate de tonteras, no me hagas esperar.
Decí ya sé que la otra noche
vos con un gavilán
son cuentos que te han hecho
án.
No me faltes mirá que no hay macanas
yo no vengo con ganas mi china de farrear
Pues entonces no me vengas con cuento
y escuchame un momento que te voy a explicar.
No te enojes que yo te diré lo cierto
y verás que me vas a perdonar
Pues entonces
Te diré la purísima verdad
Vamos china ya que voy a hacer las paces
a tomar un carrindango pa pasear
Y mirar de Palermo
Yo te quiero mi chinita no hagas caso
Que muy lejos querer
el esquinazo
ni golpe ni porrazo…
Ángel Villoldo

Traduction de Cariño puro des Gobbi

  • Oh, ma chérie, que j’ai beaucoup à te parler,
    D’une chose qui ne va pas te plaire
    Avoue (lâcher le rouleau) que je t’écoute et explique-toi
    Ce que tu traverses n’est pas une bêtise,
  • – Eh bien, je te jure que je te dis la vérité.
    Donne-moi un baiser Ne viens pas à moi en parlementant
  • – Arrête les bêtises, ne me fais pas attendre.
    J’ai déjà dit que je savais pour l’autre soir
    Toi avec un épervier (homme rapide en affaires)
  • – Ce sont des histoires qui t’ont été faites
    un.
    Ne détourne pas le regard, n’y a pas d’arnaque.
  • – Je ne viens pas, ma chérie, avec l’envie de rigoler.
    Aussi, ne me raconte pas d’histoires
  • – et écoute-moi un instant et, car je vais te l’expliquer.
    Ne te fâche pas, je vais te dire ce qui est sûr
    Et tu verras que tu vas me pardonner
    Puis, ensuite
    Je vais te dire la pure vérité
  • – Allez, ma chérie, car je vais faire la paix
    En prenant une voiture pour une promenade
    Et regarder Palermo
    Je t’aime ma petite chérie, ne fais pas attention
    Car je veux arrondir les angles
    ni coup ni bagarre…

On voit que ces paroles sont plutôt mignonnes, autour des tourments d’un couple, interprétés par Alfredo Gobbi et sa femme, Flora Rodriguez. Dommage que la technique où le goût de l’époque fasse tant crier, cela n’est pas bien accepté par nos oreilles modernes.

El choclo 1910 – Ángel Gregorio Villoldo con guitarra.

Cette version présente les paroles supposées originales et qui parlent effectivement du maïs. C’est donc cette version qui peut faire pencher la balance entre la plante et le sexe masculin. Voyons ce qu’il en est.

Paroles de Villoldo

De un grano nace la planta
que más tarde nos da el choclo
por eso de la garganta
dijo que estaba humilloso.
Y yo como no soy otro
más que un tanguero de fama
murmuro con alborozo
está muy de la banana.

Hay choclos que tienen
las espigas de oro
que son las que adoro
con tierna pasión,
cuando trabajando
llenito de abrojos
estoy con rastrojos
como humilde peón.

De lavada enrubia
en largas guedejas
contemplo parejas
sí es como crecer,
con esos bigotes
que la tierra virgen
al noble paisano
le suele ofrecer.

A veces el choclo
asa en los fogones
calma las pasiones
y dichas de amor,
cuando algún paisano
lo está cocinando
y otro está cebando
un buen cimarrón.

Luego que la humita
está preparada,
bajo la enramada
se oye un pericón,
y junto al alero,
de un rancho deshecho
surge de algún pecho
la alegre canción.
Ángel Villoldo

Traduction des paroles de Ángel Villoldo

D’un grain naît la plante qui nous donnera plus tard du maïs
C’est pourquoi, de la gorge (agréable au goût) je dis qu’il avait été humilié (calomnié).
Et comme je ne suis autre qu’un tanguero célèbre, je murmure de joie, il est bien de la banane (du meilleur, la banane étant également un des surnoms du sexe de l’homme).
Il y a des épis qui ont des grains d’or, ce sont ceux que j’adore avec une tendre passion, quand je les travaille plein de chardons, je suis avec du chaume comme un humble ouvrier.
De l’innocence blonde aux longues mèches, je contemple les plantes (similaires, spécimens…) si c’est comme grandir, avec ces moustaches que la terre vierge offre habituellement au noble paysan. (Un double sens n’est pas impossible, la terre cultivée n’a pas de raison particulière d’être considérée comme vierge).
Parfois, les épis de maïs sur les feux calment les passions et les joies de l’amour (les feux, sont les cuisinières, poêles. Qu’ils calment la faim, cela peut se concevoir, mais les passions et les joies de l’amour, cela procède sans doute d’un double sens marqué), quand un paysan le cuisine et qu’un autre appâte un bon cimarron (esclave noir, ou animal sauvage, mais il doit s’agir ici plutôt d’une victime d’arnaque, peut-être qu’un peu de viande avec le maïs fait un bon repas).
Une fois que la humita (ragoût de maïs) est prête, sous la tonnelle, un pericón (pericón nacional, danse traditionnelle) se fait entendre, et à côté des avant-toits, d’un ranch brisé, le chant joyeux surgit d’une poitrine (on peut imaginer différentes choses à propos du chant qui surgit d’une poitrine, mais c’est un peu difficile de s’imaginer que cela puisse être provoqué par la préparation d’une humita, aussi talentueux que soit le cuisinier…

Je vous laisse vous faire votre opinion, mais il me semble difficile d’exclure un double sens de ces paroles.

El choclo 1913 – Orquesta Típica Porteña dir. Eduardo Arolas.

Cette version instrumentale permet de faire une pause dans les paroles.

El choclo 1929-08-27 – Orquesta Típica Victor.

Une version instrumentale par la Típica Víctor dirigée par Carabelli. Un titre pour les amateurs du genre, mais un peu pesant pour les autres danseurs.

El choclo 1937-07-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Sans doute une des versions les plus adaptées aux danseurs, avec les ornementations de Biagi au piano et le bel équilibre des instruments, principalement tous au service du rythme et donc de la danse, avec notamment l’accélération (simulée) finale.

El choclo 1937-11-15 – Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Cette version n’apporte pas grand-chose, mais je l’indique pour marquer le contraste avec notre version du jour, enregistrée par Canaro 11 ans plus tard.

El choclo 1940-09-29 – Roberto Firpo y su Cuarteto Típico.

Une version légère. Le doublement des notes, caractéristiques de cette œuvre, a ici une sonorité particulière, on dirait presque un bégaiement. En opposition, des passages aux violons chantants donnent du contraste. Le résultat me semble cependant un peu confus, précipité et pas destiné à donner le plus de plaisir aux danseurs.

El choclo 1941-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.

On retrouve une version chantée. Les paroles sont celles de Juan Carlos Marambio Catán, ou plus exactement le tout début des paroles avec la fin du couplet avec une variante.
Je vous propose ici, les paroles complètes de Catán, pour en garder le souvenir et aussi, car la partie qui n’est pas chantée par Vargas parle de ce fameux type aux cheveux couleur de maïs…

Paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieja milonga que en mis horas de tristeza
traes a mi mente tu cariñoso,
encadenándome a tus notas dulcemente
siento que el alma se me encoje poco a poco.
Recuerdo triste de un pasado que en mi vida,
dejó una página de sangre escrita a mano,
y que he llevado como cruz en mi martirio
aunque su carga infame me llene de dolor.

Fue aquella noche
que todavía me aterra.
Cuando ella era mía
jugó con mi pasión.
Y en duelo a muerte
con quien robó mi vida,
mi daga gaucha
partió su corazón.
Y me llamaban
el choclo compañero;
tallé en los entreveros
seguro y fajador.
Pero una china
envenenó mi vida
y hoy lloro a solas
con mi trágico dolor.

Si alguna vuelta le toca por la vida,
en una mina poner su corazón;
recuerde siempre
que una ilusión perdida
no vuelve nunca
a dar su flor.

Besos mentidos, engaños y amarguras
rodando siempre la pena y el dolor,
y cuando un hombre entrega su ternura
cerca del lecho
lo acecha la traición.

Hoy que los años han blanqueado ya mis sienes
y que en mi pecho sólo anida la tristeza,
como una luz que me ilumina en el sendero
llegan tus notas de melódica belleza.
Tango querido, viejo choclo que me embarga
con las de tus notas tan sentidas;
quiero morir abajo del arrullo de tus quejas
cantando mis querellas, llorando mi dolor.
Juan Carlos Marambio Catán

Traduction libre des paroles de Juan Carlos Marambio Catán

Vieille milonga. À mes heures de tristesse, tu me rappelles ton souvenir affectueux,
En m’enchaînant doucement à tes notes, je sens mon âme se rétrécir peu à peu.
Souvenir triste d’un passé qui, dans ma vie, a laissé une page de sang écrite à la main, et que j’ai porté comme une croix dans mon martyre, même si son infâme fardeau me remplit de douleur.
C’est cette nuit-là qui, encore, me terrifie.
Quand elle était à moi, elle jouait avec ma passion.
Et dans un duel à mort avec celui qui m’a volé la vie, mon poignard gaucho lui a brisé le cœur.
Et ils m’appelaient le compagnon maïs (choclo);
J’ai taillé dans les mêlées, sûr et résistant.
Mais une femme chérie a empoisonné ma vie et, aujourd’hui, je pleure tout seul avec ma douleur tragique.
S’il vous prend dans la vie de mettre votre cœur dans une chérie ; rappelez-vous toujours qu’une illusion perdue ne redonne plus jamais sa fleur.
Des baisers mensongers, trompeurs et amers roulent toujours le chagrin et la douleur, et quand un homme donne sa tendresse, près du lit, la trahison le traque.
Aujourd’hui que les années ont déjà blanchi mes tempes et que, dans ma poitrine seule se niche la tristesse, comme une lumière qui m’éclaire sur le chemin où arrivent tes notes de beauté mélodique.
Tango chéri, vieux choclo qui m’accable des caresses de tes notes si sincères ;
Je veux mourir sous la berceuse de tes plaintes, chantant mes peines, pleurant ma douleur.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

El choclo 1947 – Libertad Lamarque, dans le film Gran casino de Luis Buñuel.

Dans cet extrait Libertad Lamarque interprète le titre avec les paroles écrites pour elle par Discepolo. On comprend qu’elle ne voulait pas prendre le rôle de l’assassin et que les paroles adaptées sont plus convenables à une dame…
Les paroles de Enrique Santos Discépolo seront réutilisées ensuite, notamment par Canaro pour notre tango du jour.

El choclo 1948-01-15 – Orquesta Francisco Canaro con Alberto Arenas. C’est notre tango du jour.

Comme vous vous en doutez, je pourrai vous présenter des centaines de versions de ce titre, mais cela n’a pas grand intérêt. J’ai donc choisi de vous proposer pour terminer une version très différente…

Kiss of Fire 1955 – Louis Armstrong.

En 1952, Lester Allan et Robert Hill ont adapté et sérieusement modifié la partition, mais on reconnaît parfaitement la composition originale.

Je vous propose de nous quitter là-dessus, une autre preuve de l’universalité du tango.
À bientôt, les amis.

En guise de , on pourrait mettre Pop Corn, non ?

PS : si vous avez des versions de El choclo que vous adorez, n’hésitez pas à les indiquer dans les commentaires, je rajouterais les plus demandées.

El chino Pantaleón 1942-01-13 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Francisco Canaro (paroles et musique)

Le prénom Pantaleón est bien connu dans le domaine du tango à cause de Piazzolla qui l’avait en second prénom. Chino ,me fait penser au génial Chino Laborde, que je vais d’ailleurs aller écouter avec La Mucha Tango jeudi à Nuevo Chique. En combinant les deux, on obtient notre titre du jour, écrit par Francisco Canaro. Cette « milonga » fait partie de ces titres à la limite du lunfardo qui jouent sur les mots, mélangeant tango et castagne.

Extrait musical

El chino Pantaleón 1942-01-13 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán.
Disque Odeón 55157. El Chino Pantaleón est sur la face A et Y… No la puedo olvidar, sur la face B.

Le rythme de cette composition est un peu atypique et il rend difficile de la classer, milongua tangueanda, milonga . Ce n’est peut-être pas de tout premier choix pour le bal…
La voix de Carlos Roldán est sympa.
On notera la fin abrupte, très originale, comme si la musique avait été mise KO.

Paroles

Caballeros milongueros,
la milonga está formada
y el que cope la parada
que se juegue todo entero,
si es que tiene compañero,
la guitarra bien templada
pa’ aguantar cualquier trenzada
con razón o sin razón,
cara a cara, frente a frente,
a corazón.

Era el Chino Pantaleón
milonguero y cachafaz,
que al sonar de un bandoneón
viboreaba en su compás.
Era un taura pa’ copar
y de ley como el mejor;
si lo entraban a apurar
era capaz de cantar
« La violeta » o « Trovador ».

Caballeros milongueros,
vayan saliendo a la cancha
porque el que hace la « patancha »
es señal que le da el cuero;
siempre el que pega primero
lleva la mayor ventaja;
no le ponen la mortaja
al que tira sin errar;
no es de vivo, compañero,
el dejarse madrugar.
Francisco Canaro (paroles et musique)

Traduction libre et indications

Messieurs les milongueros (dans le sens de bagarreurs), l’affaire est formée (milonga a ici le sens d’affaire douteuse, désordre) et celui qui prend position doit tout jouer, s’il a un partenaire (un partenaire. Cela confirme que l’on est plus dans le domaine de la rixe que celui de la danse).
La guitare (peut aussi faire allusion à l’argent) bien accordée pour résister à toute bagarre avec raison ou sans raison,
Face à face, front à front, cœur à cœur.
C’était le Chino Pantaleón milonguero et insolent (cachafaz comme était surnommé Ovidio José Bianquet, qui travailla avec Canaro pour ses revues musicales), qui, lorsque sonnait un bandonéon (Bandonéon n’est pas ici l’instrument, mais l’action de gêner l’autre en faisant du bruit), vibrait à son rythme.
Il était un taura (généreux) à boire et de ley (loyal, véritable comme dans milonguero de ley) comme le meilleur ;
s’ils le cherchaient (se jetaient sur lui, l’obligeaient), il pouvait chanter « La violeta » (tango de avec des paroles de Nicolás Olivari, chanté par Maida et Gardel, puis, par Troilo avec Casal puis Goyeneche) ou « Trovador » ( de Carlos Alcaraz avec des paroles de Carlos Pesce). Je pense que ces titres sont plutôt donnés pour indiquer que le type a du répondant dans la bagarre.
Messieurs les milongueros, sortez sur le terrain, car celui qui fait le « patancha » (pata ancha, la grosse patte, le courageux) est un signe que le cuir lui donne ;
Celui qui frappe le premier a toujours le meilleur avantage ;
Ils ne mettent pas le linceul à celui qui tire sans se perdre (perdre de temps, sans errer) ;
Il n’est pas vivant, camarade, de se laisser devancer (madrugar peut signifier, devancer, gagner du temps, attaquer le premier).
On voit que les paroles riches de lunfardo, jouent sur les mots. Avec le vocabulaire de la milonga, on parle bel et bien de bagarre.

Autres versions

Notre premier titre est un fox-trot, qui n’a que seul point commun, le prénom Pantaleón…

Pantaleón 1930-05-28 (Fox-trot) – Orquesta Francisco Canaro con Charlo. ( Letra: ).
El chino Pantaleón 1942-01-13 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est notre milonga du jour.
El chino Pantaleón 1942-06-17 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz.

Parfois, Lomuto fait des choses plus intéressantes que Canaro. C’est sans doute le cas de cet enregistrement que je trouve plus sympa à danser. On remarquera, dès le début, une utilisation différente des instruments, ce ne sont pas les mêmes éléments qui sont mis en valeur. En ce qui concerne la voix, on peut préférer Roldán à Díaz, mais je trouve que cette milonga est relativement joueuse et qu’elle pourrait trouver sa place dans une milonga. Sa fin est en revanche plus classique avec les deux accords finaux, habituels.

El chino Pantaleón 1953-03-25 – Orquesta Francisco Canaro con y Mario Alonso.

Canaro reprend sa composition pour l’enregistrer en duo. On pourrait presque dire en trio, tant le piano qui s’amuse est présent. C’est toujours Mariano Mores, mais il a pris plus de place dans l’orchestre qu’à son arrivée en 1940.
La version ne se prête pas plus et peut-être moins encore à la danse que la version de 1942, notamment à cause de ses dialogues et des pauses dans la musique.

Qui est Pantaleón ?

Je n’ai pas d’autre version de cette milonga en stock. Cependant, il reste un autre titre parlant d’un Pantaleón et ce prénom est accompagné d’un nom de famille, Lucero.
Écoutons ce titre.

1979 – Ricardo Daniel Pereyra (« Chiqui »). (Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores)

Ce titre composé au début du vingtième siècle par Fausto Frontera avec des paroles de Celedonio Flores a été enregistré par Chiqui en 1979. Il ne semble pas y avoir d’autres versions enregistrées.

Ricardo Daniel Pereyra (« Chiqui »). Avec Roberto Goyeneche sur la photo de gauche.

Paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Yo soy Pantaleón Lucero
de profesión mayoral,
cumplo cuarenta en enero
aunque algunos me dan más.
Nací por el Barrio Norte
y me crié por el sur,
tal vez no tenga dinero,
pero me sobra salud.

Si me quieren, también quiero
si no me quieren, también,
soy querendón y sincero
porque soy hombre de fe.
Amigo que sale malo
yo lo olvido y terminó,
pero no puedo olvidarla
a la que a mí me olvidó.

Yo soy Pantaleón Lucero
no sé si recordarán,
decidor y refranero
y criollo a carta cabal.
Matear amargo es mi vicio
mi desdicha, enamorar,
qué alegría, cantar siempre
así las penas se van.

(Coda)
Yo soy Pantaleón Lucero,
pa’ lo que guste mandar.
Fausto Frontera Letra: Celedonio Flores

Traduction libre des paroles de Yo Soy Pantaleón Lucero

Je suis Pantaleón Lucero, mayoral (préposé aux billets du Tramway) de profession,
J’aurai quarante ans en janvier, bien que certains m’en donnent plus.
Je suis né dans le Barrio Norte et j’ai grandi dans le sud. Peut-être que je n’ai pas d’argent, mais j’ai beaucoup de santé.
S’ils m’aiment, j’aime aussi. S’ils ne m’aiment pas, également. Je suis aimant et sincère parce que je suis un homme de foi.
L’ami qui devient mauvais, je l’oublie et c’est fini, mais je ne peux pas oublier celle qui m’a oublié.
Je suis Pantaleón Lucero, je ne sais pas si vous vous en souvenez, un décideur et un diseur et un créole absolument (l’expression a carta cabal signifie, pleinement).
Boire le mate amer est mon vice, ma misère, tomber amoureux, quelle joie, toujours chanter, ainsi les chagrins s’en vont.
(Coda)
Je suis Pantaleón Lucero, pour tout ce que vous souhaitez demander.

En savons-nous plus sur Pantaleón ?

Nous avons maintenant trois portraits d’un Pantaleón.

  • • Celui du Fox-trot, dont les paroles ne nous révèlent guère que son prénom.
  • • Un bagarreur, celui de notre milonga du jour.
  • • Un mayoral de tramway dont nous avons évoqué la profession au sujet de l’anecdote sur Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. Celui-ci semble pacifique.

S’il est difficile de savoir si les deux Pantaleón de Canaro correspondent au même personnage. En revanche, il est peu probable que le mayoral, qui semble un être paisible soit le même que celui de la milonga de Canaro.
Je propose donc de laisser la question en suspens et en compensation, une petite remarque.
Le chanteur Enrique Martínez, le petit frère de Mariano Mores, le pianiste de Canaro, avait choisi comme nom de scène, Enrique Lucero. Mais je pense que c’est plus en référence à Vénus (Lucero del alba, l’étoile de l’aube), qu’en l’honneur d’un distributeur de billets dans un tramway…
De nos jours, le terme chino est plutôt réservé aux Chinois.
Cependant, en lunfardo, la china est la chérie, et, dans une moindre mesure chino est également utilisable pour chéri.
Le terme « chino » définit également des métisses d’Indiens et de Noirs. Cela expliquerait le choix d’une musique proche du pour ce titre.
Je fais donc l’hypothèse que El chino Pantaleón est un personnage sombre de peau, bagarreur, un des nombreux compadritos qui hantaient les faubourgs de .

À bientôt les amis !

Amor, amor vení 1941-01-09 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor

Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)

Cette jolie valse est une des premières que je mettais régulièrement à mes débuts de DJ de tango. Je m’en souviens, car la correspondance des prénoms, du nom et du titre m’avait frappé. Deux Francisco, Amor et Canaro et L’Amor de et le double amor du titre, répété 6 fois dans les paroles et auquel il faut rajouter un amo. L’autre point, plus objectif, qui fait que j’aimais bien ce titre, est qu’il est essentiellement en mode majeur, d’un rythme soutenu et qu’il évite la monotonie en variant les instruments et que Francisco Amor a une belle voix.

Extrait musical

Amor, amor vení 1941-01-09 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.

On note dès le début le rythme bien accentué, typique de Canaro. Certains diront un peu lourd, mais cela plait aux Européens qui se sont habitués à ce fait, comme en témoigne l’évolution du tango en Europe, où la batterie rythme les bals de village même pour les tangos.
On notera que le piano marque tous les temps à l’aide d’accords. On le remarque moins sur les premiers temps, justement à cause de l’utilisation appuyée de la contrebasse d’ Krauss sur les premiers temps, mais aussi des autres instruments et notamment des violons, du violoncelle et des bandonéons, qui évolueront durant toute la durée entre des parties rythmiques et des passages mélodiques, en alternance afin que le rythme ne se perde pas et que ce soit confortable pour les .
Le piano se libère progressivement de cet ostinato en lâchant quelques fioritures en fin de phrase. Le piano est tenu par Mariano Mores qui remplaça qui était dans l’orchestre de Canaro depuis 1928 et dont la maladie l’a obligé à abandonner la carrière.
À 21 s se remarque la clarinette qui rappelle qu’avant les bandonéons, les flûtes faisaient partie des instruments du tango et que Canaro a également un orchestre de jazz. On retrouvera également la clarinette en contrepoint du chanteur un peu plus tard.
À 28 s, commence la partie B qui se distingue par des allers-retours entre l’orchestre et le piano. À 56 s, Francisco Amor commence à chanter avec les violons en contre-chant et les ponctuations du piano, la contrebasse continuant d’aider les danseurs en marquant les premiers temps. Les bandonéons s’occupant de marquer tous les temps, comme le faisait le piano au début.
Je pense qu’en l’ayant écoutée attentivement, vous comprendrez pourquoi je trouve que c’est une merveille, simple et élégante.

Paroles

Amor, amor vení
No me hagas más penar,
Que mi vida está en peligro
Siempre que no tardes más.

Amor, amor vení
Ya no puedo repetir,
Porque me falta el aliento
Y fuerzas para vivir.

Caminito del colegio
Que de ahí te conocí,
Me mirabas como a un hombre
Y mi amor fue para ti.

Tengo veinte y tú también
Y mi amor también creció,
No sé si me comprendiste
Y por eso te amo yo.
Mariano Ramiro Ochoa Induráin (paroles et musique)

libre

Amour, amour vient (amour = chérie)
Ne m’inflige pas plus de chagrin, car ma vie est toujours en danger, aussi, ne tarde pas davantage.
Amour, amour vient
Je ne peux plus le répéter, parce que me font défaut le souffle et les forces pour vivre.
Sur le chemin de l’école où je t’ai rencontrée, tu m’as regardé comme un homme et mon amour fut pour toi.
J’ai vingt ans, et toi aussi, et mon amour a également grandi, je ne sais pas si tu m’as compris, et c’est pourquoi, moi, je t’aime.

Bredouille

Difficile de trouver des éléments sur cette valse. Son auteur est inconnu. On ne lui doit aucun autre titre et la SADAIC ne dispose d’aucune donnée dans son enregistrement correspondant, #195 009, pas même le nom du compositeur et parolier, Mariano Ramiro Ochoa Induráin.
Du côté des deux Francisco, l’horizon s’éclaircit. Je ne vais pas vous parler de Canaro, mais vous dire quelques mots de Amor.
S’il a commencé dans l’orchestre de , ce natif de Bahia Bianca, comme Di Sarli, n’a enregistré qu’avec Canaro.
Son image a toutefois été enregistré dans divers films comme :
Viento norte 1937 de où il tient le rôle du soldat chanteur… Musique et chansons de et P. Rubbione.

Francisco Amor en Viento norte 1937. Un film de Mario Soffici. Dans cet extrait, Francisco Amor chante deux chansons et on peut voir à la fin un Gato et un Malambo interprété par les soldats.

Pampa y cielo 1938 de Raúl Gurruchaga dans lequel il chante notamment « No te cases » (ne te marie pas).

No te cases 1937 (Vals) – Francisco Amor con la Orquesta de Francisco Canaro

Mandinga en la sierra 1939 de Isidoro Navarro.
Napoleón 1941 de Luis César Amadori.
canta 1947 de Antonio Solano. Comme le titre peut le suggérer, plusieurs chanteurs sont à l’affiche et en plus de Francisco Amor, citons, Azucena Maizani, . On peut aussi y écouter Oscar Aleman, l’orchestre le plus en vogue lors de la décadence du tango au profit du jazz.

Autres versions

Les Francisco ont enregistré ensemble une vingtaine de valses. Cependant, il n’y a pas de version enregistrée de cette valse par un autre orchestre. Je vous propose donc de terminer en la réécoutant.

Amor, amor vení 1941-01-09 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.

Je vous laisse avec les 76 mots chantés par Amor, qui dira son nom de famille (il s’appelait réellement Amor et même Iglesias Amor, c’est-à-dire « Église Amour »…) six fois.

Sur ces bonnes… paroles, je vous dis à bientôt, les amis !

Sueño imaginado 1932-01-05 – Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz

Letra: Francisco Brancatti

C’est sympa de faire des rêves, mais parfois le retour à la réalité est terrible. C’est ce qui arrive au héros de cette magnifique valse, sans doute un peu trop rare dans les milongas. Ciriaco Ortiz, à la tête de l’orchestre Los Provincianos, l’a enregistrée, il y a exactement 93 ans…

Sueño imaginado 1932-01-05 – Orquesta Típica Los Provincianos con . Dir. Ciriaco Ortiz.

Dès le début on remarque que le titre est conçu sous forme de questions-réponses. L’orchestre lance une question et un soliste donne la réponse.
Si les violons avec sont majoritairement les solistes, les bandonéons, dont celui de Ciriaco Ortiz et peut-être celui du jeune Aníbal Troilo ont également leurs réparties. Pour les , ces dialogues sont très intéressants, car cela leur permet de varier l’improvisation. La répétitivité de la structure permet de préparer une « réponse » au cas où les premiers dialogues auraient été loupés dans l’improvisation.
Pour les danseurs moins avancés, les premiers temps de chaque mesure sont marqués par la contrebasse de . C’est le Poum du Poum-Tchi-Tchi de la valse (Temps fort-Temps faible-Temps faible). On n’entend pas vraiment le piano, en revanche, on a l’impression qu’une caisse claire sonne les temps faibles.
C’est donc une valse facile pour les danseurs qui ont besoin d’un repère temporel bien marqué.
À 1:58, Carlos Lafuente chante le refrain. Sa voix peut un peu surprendre, mais, comme l’intervention est courte, cela ne devrait pas trop perturber les danseurs. On remarquera que l’orchestre fait la place au chanteur en l’accompagnant en sourdine par un discret Poum-Tchi-Tchi, ce qui permet aux danseurs de garder le rythme.
On remarquera la complexité modale de l’œuvre, avec de nombreux changements de , ce qui peut parfois donner une impression de dissonance si on reste sur l’élan de la tonalité précédente.

Il est difficile d’authentifier les instrumentistes de l’orchestre, car les orchestres de la Victor étaient à géométrie variable. Comme ces orchestres se limitaient aux enregistrements, ils se construisaient à chaque session avec des musiciens de premier plan, disponibles.
On considère généralement que les principaux musiciens de Los Provincianos dirigés par Ciriaco Ortiz étaient :
Ciriaco Ortiz, Aníbal Troilo, Horacio Gollino (bandonéonistes)
Carabelli (pianiste)
Elvino Vardaro, Manuel Núñez, Antonio Rossi (violonistes)
Manfredo Liberatore (contrebassiste)

Un des orchestres de la Victor

Cette photo généralement légendée comme étant de Los Provincianos, sans doute à cause de la présence de Ciriaco Ortiz. Cependant, Mercedes Simone n’est pas intervenue dans cet orchestre. Il me semble donc qu’il faut plutôt considérer que c’est une composition mixte, notamment avec l’orchestre Típica Victor de Carabelli dont Ciriaco Ortiz était également membre. On notera la présence du jeune Aníbal Troilo. Sur la droite, le violoniste qui est à l’origine de la première scission de l’orchestre de D’Agostino. Il réclamait 17 pesos, pour lui et les autres membres de l’orchestre, au lieu des 15 pesos qui étaient octroyés pour les enregistrements, et D’Agostino a viré tout l’orchestre, Vargas compris. Celui-ci est revenu un peu plus tard, mais la magie fut un peu brisée.
Je propose pour cette photo, la date du 13 août 1931, car c’est celle qui permet de réunir le plus de protagonistes. Mercedes Simone a enregistré ce jour Circo criollo avec la Tipica Victor (Carabelli). Sur cette photo, il manque Carabelli et, Lesende, qui n’a jamais enregistré avec la Victor est plutôt un intrus. En effet, il enregistrait à l’époque avec deux compagnies concurrentes de la Victor, la Brunswick (avec la Orquesta Típica Brunswick) et avec la Columbia (avec l’orchestre de Antonio Bonavena).
Horacio Gollino est généralement indiqué comme ayant fait partie des premiers bandonéonistes de Los Provincianos. Il était né le 5 février 1911, il aurait donc eu quasi 20 ans, ce qui semble correspondre à l’âge du troisième bandonéoniste de la photo.
José María Otero, qui est toujours très bien documenté, indique que ce serait en fait Toto (Juan Miguel Rodríguez). Si on observe la photo suivante, représentant l’orchestre de Troilo en 1941, il semblerait que l’on puisse valider l’hypothèse de Toto.

De gauche à droite, en bas : David Díaz, Toto (Juan Miguel Rodríguez), Anibal Troilo, Eduardo Marino et . À l’arrière : Pedro Sapochnik, Orlando Goñi, Francisco Fiorentino, Kicho Díaz et Astor Piazzolla (qui fit le forcing auprès de Troilo pour remplacer Toto qui était malade). Hugo Baralis a appuyé sa candidature…

Cependant, selon Toto Tango qui est également une source de haute qualité, Toto serait né en 1919. Il aurait donc eu 12 ans si ma datation de la photo est bonne, ce qui semble tout de même un peu jeune et ne correspond pas à l’image. Si on regarde l’âge probable des différents musiciens de la première photo, la date de 1931 est fort plausible ; Troilo fait vraiment jeune (il est né en 1914 et aurait donc 17 ans), sur la seconde, il a 27 ans, il semble difficile de considérer qu’il y a beaucoup moins de 10 ans entre les photos.
Je propose donc d’identifier Horacio Gollino sur cette photo, ce qui nous permettra d’avoir enfin un visage à mettre sur ce musicien de grande qualité, qui termina sa vie en donnant des cours de musique sans pouvoir pratiquer le bandonéon à cause de la paralysie d’un de ses bras.

Paroles

Que sueño aquel tan hondo y cruel
Me vi en la gloria de tu pecho amante
Y a al instante todo se acabo
Fue mi Sueño imaginado
Nada más que un soplo de placer
Que se fumó y una ilusión hecha canción que se apagó
Cieto Minocchio Letra: Francisco Brancatti

libre

Quel rêve si profond et cruel.
Je me suis vu dans la gloire de ta poitrine aimante et, instantanément, tout fut terminé.
C’était mon rêve imaginé,
rien de plus qu’un souffle de plaisir
qui partit en fumée et une illusion faite chanson qui s’éteignait.

Autres versions…

Il n’y a pas d’autre version enregistrée de cette valse, même si le titre a inspiré de nombreux auteurs de tous types de musique. Je vous propose donc de terminer en réécoutant cette valse.

Sueño imaginado 1932-01-05 – Orquesta Típica Los Provincianos con Carlos Lafuente. Dir. Ciriaco Ortiz. C’est notre valse du jour.

À bientôt, les amis. Faîtes de beaux rêves qui se réaliseront.

Mentías (vals) 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo

Letra: Alfredo Navarrine

J’ai reçu ce matin un message d’un organisateur de milonga me demandant quelle valse proposer pour un anniversaire, avec la contrainte que ce soit une valse du mois de janvier vu que l’anniversaire était aujourd’hui. J’ai proposé cette valse, Mentías, pour deux raisons. La première est que c’est une valse qui correspond bien à l’occasion et la seconde est que sa date d’enregistrement coïncide avec la date de naissance de la danseuse à fêter. Je te dédicace donc, Martine de Saint-Pierre (La Réunion), cette valse, en te souhaitant un excellent anniversaire.

Extrait musical

Disque RCA Victor (38 138 face B) de Mentías… Le numéro de matrice 93549 est indiqué à gauche de l’axe. Sur la face A (38 138-A) il y a , enregistré juste avant, le même jour, avec le numéro de matrice 93548-1.
Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Cette valse commence sur un rythme rapide, avec une introduction au piano par Rodolfo Biagi, qui proposera de nombreuses ponctuations et transitions légères (comme la première à 13s).
Durant toute la première partie (jusqu’à 28s), tous les instruments sont au service du rythme.
Ensuite, les bandonéons s’individualisent pour la partie B et ensuite cèdent le pas aux magnifiques violons.
À 1:50, la variation apporte une impression de vitesse, sans toutefois changer le tempo, simplement, comme le fait presque systématiquement D’Arienzo, en subdivisant les temps en employant des double-croches au lieu de croches.
Le rythme rapide, mais sans exagération et la fin somme toute tranquille, laisse la place à des titres plus énergiques pour terminer la tanda dans une explosion.
Ce titre est un bon premier titre, ce qui renforce ma conviction qu’il peut faire l’affaire pour un anniversaire.

Paroles

Mis ojos te grabaron en mi mente
Bajaste de la mente al ,
La flor del corazón se abrió en latidos
¡Latidos que acunaron nuestro amor!
Amor que florecía con tus besos
Tus besos encubrían la traición,
Traición que me valió la cruz del llanto
¡Y el llanto por mis ojos te arrojó!

¡Mentías…!
Con caricias… estudiadas…
¡Cinismo…!
Del cariño desleal…
Jurabas
Por tu dios y por tu madre…
¡Mira si no es criminal!
Los seres
Que han matado y se redimen,
Merecen el olvido y el perdón…
Cien vidas
No podrán borrar tu crimen
¡Asesinar la ilusión!

Y ahora que mi vida está vacía
Anclada en un silencio sin dolor,
Golpea el aldabón de tu recuerdo
Las puertas de mi pobre corazón…
Ya es tarde para unir idilios rotos
Miremos cara a cara la verdad,
No vuelvas a rondar por mi cariño
¡Que el sueño que se fue no torna más!
Juan Carlos Casaretto Letra: Alfredo Navarrine

Traduction libre des paroles

Mes yeux t’ont gravé dans mon esprit, tu es descendue de l’esprit au cœur, la fleur du cœur s’est ouverte en palpitant.
Des battements de cœur qui ont bercé notre amour !
L’amour qui s’est épanoui avec tes baisers. Tes baisers ont couvert la trahison, la trahison qui m’a valu la croix des pleurs.
Et les larmes à travers mes yeux t’ont rejetée !

Mensonges…!
Avec des caresses… Étudiées…
Cynisme…!
D’affection déloyale…
Tu as juré par ton dieu et par ta mère…
Vois si ce n’est pas criminel !
Les êtres qui ont tué et se sont rachetés méritent l’oubli et le pardon…
Cent vies ne pourront pas effacer ton crime
Tuer l’illusion !

Et maintenant que ma vie est vide, ancrée dans un silence indolore, le heurtoir de ton souvenir frappe les portes de mon pauvre cœur…
Il est trop tard pour unir des idylles brisées. Regardons la vérité face à face, ne reviens pas à chercher mon amour.
Car le rêve qui est parti ne revient pas !

On notera que les paroles sont très moyennement adaptées à une fête d’anniversaire. Cependant, cela ne dérange pas, car elles ne sont pas enregistrées et la musique les dément totalement.

Juan Carlos Casaretto y Alfredo Navarrine

Le compositeur de cette valse, Juan Carlos Casaretto n’est connu que pour un seul autre titre, un tango, Chiclana y (avec , encore plus inconnu). Il en existe un enregistrement tardif par Enrique Rodriguez et Roberto Flores, mais ce n’est pas pour la danse.
Alfredo Navarrine (Pigmeo), en revanche, est à la tête d’une riche production. Avec son frère, Julio Plácido Navarrine, il a fourni bon nombre de titres de tango.

Des frères Alfredo et Julio Navarrine :

  • Alaridos 1942
  • Juana 1958
  • Mil novecientos treinta y siete 1937 (plus José Domingo Pécora)
  • Lechuza 1928
  • Oiga amigo 1933
  • Sos de Chiclana 1947 (plus Rafael Rossa)
  • Trilla e recuerdos

De Julio Navarrine :

  • A la luz del candil 1927
  • Barcos amarrados
  • Catorce primaveras
  • El anillito de plata
  • El vinacho Milonga
  • La piba de los jazmines
  • Oiga amigo
  • Oro muerto (Jirón porteño) 1926
  • Por qué no has venido 1926
  • Qué quieren yo soy así Milonga
  • Trago amargo 1925

De Alfredo Navarrine :

  • Agüita e luna
  • Ayer y hoy 1939
  • Bandoneones en la noche
  • Barrio reo 1927
  • Brindis de olvido 1945
  • Canción del reloj
  • Canto estrellero 1943
  • Cielito del porteño 1950
  • Como una flor 1947
  • Con licencia 1955
  • Corazón en sombras 1943
  • Curiosa
  • Desvíos
  • Escarmiento 1940
  • Escúcheme, gringo amigo 1944
  • Esmeralda
  • Estampa rea 1953
  • Este amor 1938
  • 1955
  • Fea 1925
  • Gajito de cedrón 1973 Canción criolla
  • Galleguita 1925
  • He perdido un beso 1940
  • Humildad 1938
  • La condición 1946
  • La Federal
  • Latido porteño
  • Luna pampa 1951
  • Mentías 1941 (Notre valse du jour)
  • Milonga de un argentino 1972
  • No nos veremos más 1939
  • Noche de plata 1930 (Vals)
  • Nocturno inútil 1941
  • Ojos en el corazón 1945
  • Ojos tristes 1939
  • Pajarada 1945
  • Qué linda es la vida
  • Rancheriando
  • Resignación
  • Ronda de sueños 1944
  • Rosas negras 1942
  • Sangre porteña 1946
  • Sé hombre
  • Señor Juez 1941
  • Señuelo 1977
  • Serenidad 1946
  • Tamal 1975
  • Tango lindo
  • Tango para un mal amor 1948
  • Tata Dios 1931
  • Torcacita
  • Tucumana (Zamba)
  • Tucumano 1961
  • Vidalita
  • Yo era un corazón 1939
  • Yunque 1953

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version de notre valse du jour, Il est assez curieux de voir la frilosité des orchestres contemporains pour enregistrer des valses. Ils nous donnent des dizaines de versions de quelques tangos, mais très peu de valses ou de milongas.
Si cette valse n’a pas été enregistrée par la suite, nous avons un tango du même titre composé par Juan de Dios Filiberto avec des paroles de .
Je vous propose deux enregistrements de celui-ci et on terminera par la valse du jour.

Mentías 1923 – Carlos Gardel con acomp. de Guillermo Barbieri, José Ricardo (guitarras).

Un enregistrement acoustique. Bien sûr on réserve cela pour l’écoute et pas pour le bal.

Mentías 1927-10-20 – Orquesta Roberto Firpo.

Une jolie version. C’est assez léger et pas trop marqué en canyengue intense… Cela reste cependant un peu monotone, mais le joli violon de Cayetano Puglisi, délicieusement larmoyant, fait pardonner cela.

Mentías 1937-04-01 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Mentías 1937-04-01 (vals) – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre valse du jour. On termine avec énergie.

La tradition de la valse d’anniversaire

Il est des traditions dont on ne connaît pas vraiment l’origine. La valse d’anniversaire dans les milongas en fait sans doute partie. Il se peut aussi que ce soit une ignorance de ma part.
Voici ce qui me semble à peu près vérifiable.

La valse des mariés

Un peu partout dans le monde, les nouveaux mariés ouvrent le bal, par une valse, ce qui assure à certains professeurs de danse une petite rente. Ils mettent en scène une petite chorégraphie, les mariés l’apprennent par cœur et le jour de la noce, ils émerveillent les invités et la famille, soigneusement anesthésiés au préalable par la richesse du repas et des alcools servis.

La valse des 15 ans

Plus spécifiquement en Amérique latine, il y a la tradition des 15 ans des jeunes filles/femmes.
Cette cérémonie, peut-être issue des cultures précolombiennes, perdure de nos jours avec des formes, souvent très élaborées. Il existe des boutiques de robes spéciales pour les 15 ans, des maîtres de cérémonie et des vidéastes spécialisés.
Ce sont des fêtes fort coûteuses et les familles s’endettent bien plus pour les quinze ans que pour le mariage.
Cette tradition évolue, mais en général, la jeune femme est présentée par le père (ou parrain) et effectue avec lui une valse, puis, les amis d’enfance, éventuels prétendants et autres, dansent avec la quinceañera (jeune femme de 15 ans). Voir l’article de Wikipédia pour des éléments plus concrets.
En Europe, chez les puissants, on peut trouver une cérémonie parallèle, le bal des débutantes.

La valse d’anniversaire des tangueros

Vous avez reconnu l’organisation de la valse d’anniversaire telle qu’elle se pratique dans les milongas.
À ce sujet, il existe plusieurs façons de faire et beaucoup d’organisateurs ne souhaitent pas qu’on « perde » du temps à cette manifestation. D’autres, comme celui qui m’a commandé la valse ce matin, marquent plus d’attention pour cette tradition.
En Argentine, les amis tangueros fêtent l’anniversaire à la milonga. Ils réservent une table et c’est une des occasions où il est autorisé d’apporter de la nourriture de l’extérieur. En général, un gâteau qui ferait tomber en syncope un nutritionniste, il n’y a jamais trop de crème et de sucre. Le «  » local, qui lui est celui vendu dans la milonga, participe à la fête, ainsi que souvent, des déguisements et autres fantaisies.
En Europe, cela se fait moins, on pense que le temps pris pour fêter l’anniversaire est du temps perdu pour les . C’est un peu vrai, mais c’est aussi oublier la dimension sociale du tango. Nous sommes une communauté et c’est important de la renforcer par des marques d’amitié. Le tango n’est pas un club de gym où on fait son entraînement avec des écouteurs sur les oreilles. On parle, on chante et on partage.
Comme DJ, il est important d’aider à trouver l’équilibre. Si l’organisateur refuse que l’on fête un anniversaire, je me contente d’une dédicace avant la tanda de valse. Libre aux danseurs qui le souhaitent d’organiser un moment convivial.
Lorsque c’est l’organisateur qui le demande, il y a plusieurs possibilités. Parfois, tous les danseurs/danseuses veulent danser avec la personne qui fête son anniversaire. Dans ce cas, il se forme une immense file et ils refuseront d’aller danser avec quelqu’un d’autre tant qu’ils n’auront pas réussi à partager quelques secondes de valse. Parfois, cela dure toute la tanda.
Cela peut être effectivement frustrant pour ceux qui ne danseront pas avec la personne dont c’est l’anniversaire (les femmes, si c’est une femme qui fête son anniversaire, ou les hommes dans le cas contraire). Cela risque de faire baisser l’énergie dans le bal et à moins que l’ambiance soit très amicale, je pense que cette organisation est à éviter.
Plus intéressante est la mise en place d’un double parcours. On invite le héros de soirée à se placer au centre de la piste et les partenaires intéressés s’alignent. Les autres danseurs peuvent les entourer en dansant autour. Je trouve cela assez sympathique et cela ne frustre ni les stakhanovistes du bal ni les amis qui souhaitent partager quelques secondes de danse avec la personne qui fête son anniversaire.
Il me semble qu’il est intéressant de proposer cette organisation, ce que peut faire le DJ avec l’accord de l’organisateur, ou l’organisateur, de son propre chef. Pour bien mettre en valeur l’anniversaire, on peut réserver une partie du premier thème au seul anniversaire et remplir progressivement la piste. S’il y a beaucoup de prétendants, cela peut impliquer de réserver tout le premier titre de la tanda à la personne qui fête son anniversaire.
Comme DJ qui aime proposer des valses, je propose, en plus de la valse d’anniversaire, une tanda complète. Cela permet aux danseurs qui ont participé au manège de danser avec un autre partenaire. La tanda fera donc au moins quatre valses, voire cinq, si je suis sur un régime de tandas de 4 et que le premier titre a été entièrement utilisé pour souhaiter l’anniversaire.
Les danseurs qui vont inviter la personne dont c’est l’anniversaire ne doivent pas hésiter à faire un peu de spectacle. Pas dans la façon de danser (ils doivent au contraire, être aux petits soins pour le partenaire), mais dans la manière de prendre son tour (ou de le donner). Cela apporte une distraction à ceux qui ne participent pas.
Dans mon ancien profil Facebook, malheureusement fermé pour d’obscures raisons, j’avais réalisé une vidéo en direct où les danseurs qui s’étaient mis en file indienne se sont mis à se balancer en rythme d’un pied sur l’autre. Ce fut un superbe moment, tous les hommes de l’événement se balançant d’une même cadence, dans l’attente de partager quelques secondes de bal.

Mentías. L’ n’est pas exactement fidèle au texte, mais plutôt à la musique et surtout, elle évoque l’utilisation que j’en propose, une valse d’anniversaire.

Heureux anniversaire Martine !

À bientôt les amis !

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Letra:

, , un moment clef pour les orchestres de tango. À cette occasion, des orchestres se regroupaient pour proposer des orchestres immenses et des milliers de danseurs « tanguaient » sur les pistes plus ou moins improvisées, dans les rues, , comme le . Mais , c’était bien plus que le seul tango. C’était un moment de libération dans une vie souvent difficile et parfois, l’occasion de rencontres, comme celle que nous narre ce tango de Di Sarli.

Extrait musical

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino.
Partition de piano de Otra vez carnaval de Di Sarli et Jiménez.

Paroles

En los ojos llevaba la noche
y el amor en la boca…
Carnaval en su coche
la paseaba triunfal.
Serpentina de mágico vuelo
fue su amor de una noche;
serpentina que luego arrastró mi dolor
enredada en las ruedas de un coche
cuando el corso en la sombra quedó…

Otra vez, Carnaval,
en tu noche me cita
la misma bonita
y audaz mascarita…
Otra vez, Carnaval,
otra vez, como ayer,
sus locos amores
le vuelvo a creer.
Y acaso la llore
mañana otra vez…

Fugitivas se irán en la aurora
la ventura y la risa…
¡Tendrán todas mis horas
una gris soledad!
En mis labios habrá la ceniza
de su nuevo desaire;
y despojos del sueño tan sólo serán,
un perfume rondando en el aire
y en el suelo un pequeño antifaz…
Carlos Di Sarli Letra: Francisco García Jiménez

Traduction libre

Dans ses yeux, elle portait la nuit et l’amour à la bouche…
Carnaval dans son char la faisait défiler triomphalement.
Un serpentin de vol magique fut son amour d’une nuit ;
serpentin qui ensuite traîna ma douleur empêtrée dans les roues d’une voiture lorsque le char dans l’ombre s’immobilisa…

Encore une fois, Carnaval, dans ta nuit, me donna rendez-vous, la même belle et audacieuse, masquée…
Encore une fois, Carnaval, encore une fois, comme hier, ses amours folles, je reviens à les croire.
Et peut-être que je la pleurerai demain, encore une fois…

Les fugitives s’en iront dans l’aurore, la fortune et les rires…
Toutes mes heures auront une solitude grise !
Sur mes lèvres resteront les cendres de son nouveau camouflet ;
et les restes du rêve ne seront plus qu’un parfum planant dans l’air et sur le sol un petit masque…

Autres versions

Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1942-01-03 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est notre .
Otra vez carnaval (Noche de carnaval) 1947-01-14 – Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán. Cinq ans plus tard, nouveau chanteur. Di Sarli réenregistre sa composition.
Otra vez carnaval 1981-08-12 – Roberto Goyeneche con Orquesta Típica Porteña. Une version à écouter.

Carnaval

Les festivités de Carnaval se sont vues à plusieurs reprises interdites en Argentine. Il faut dire qu’au XIXe siècle, cela donnait souvent lieu à des débordements.
Il s’agissait de manifestations plutôt spontanées jusqu’au dix-neuvième siècle, elles furent interdites ou limitées à certains lieux, notamment dans le cadre de la limitation des populations d’origine africaines.

1869, l’état autorise le carnaval et l’organise

C’est Sarmiento, de retour d’un voyage en Italie où il avait assisté aux festivités de Carnaval, qui les a rétablies officiellement en 1869 sous la forme du défilé.

Défilé en 1931, 1940 et de nos jours (Gualeguaychú, province de Entre Ríos).

Tango et carnaval

Les orchestres étaient mis à contribution et, durant les décennies tango, les orchestres de tango faisaient danser plusieurs milliers de couples. Pas seulement à , mais aussi à Montevideo et , notamment.

Affiches de carnavals. 1917 Firpo et Canaro – 1940 Eddie Kay (Jazz), Canaro, Fresedo et D’Arienzo (voir le petit jeu en fin d’article). Ensuite, Di Sarli et enfin une affiche de 1950 avec Troilo et De Angelis.

Exemple de règlement mis en place durant la dictature militaire (Cordoba, 1976/02/23)

La plus récente prohibition fut partielle. C’était pendant la dernière dictature du vingtième siècle. Le Carnaval n’avait pas été aboli, mais deux conditions avaient été posées :
“Se prohíbe el uso de disfraces que atenten contra la moral y la decencia públicas: uniformes militares, policiales, vestiduras sacerdotales y los que ridiculicen a las autoridades del Estado u otras naciones.
-Está permitido de 9 a 19, jugar con agua en buenas condiciones de higiene, globitos y pomos.”
« L’utilisation de costumes qui violent la moralité publique et la décence est interdite : uniformes militaires, uniformes de police, vêtements sacerdotaux et ceux qui ridiculisent les autorités de l’État ou d’autres nations. (On notera que la lecture peut être à double niveau et que l’on pourrait y considérer les vêtements militaires et sacerdotaux comme indécents…)
-Il est permis de 9 h à 19 h de jouer avec l’eau dans de bonnes conditions d’hygiène, les ballons et les pommeaux. » (Les jeux d’eau sont en effet courants, il faut dire que l’époque du carnaval correspond au plein été en Argentine).

Les jeux avec l’eau sont restés permis pendant la dictature.

Cependant, durant la Dictature, il n’y a pas eu de Carnaval proprement dit, pas de défilés et de grandes fêtes populaires.

La fin de la dictature et le retour du Carnaval

Lorsque Alfonsin fut élu en 1983, il mit en œuvre son programme « Avec la démocratie on mange, on se soigne et on s’éduque ». L’année suivante, le carnaval de nouveau libéré a pris une saveur particulière et, peu à peu, les tentatives de coup d’État se sont espacées et la démocratie s’est implantée pour une quarantaine d’années.

Le carnaval de 1984 est important, car il fête le retour de la démocratie et, par la même, le retour du Carnaval sous sa forme habituelle.

En 2023, le congrès portait des banderoles 40 ans de démocratie, en souvenir de cette époque.

Le gouvernement précédent avait fait placer deux banderoles, de part et d’autre de l’entrée des députés au Congrès (Congreso). J’ai pris cette photo, peu de temps après le changement de gouvernement. Une des banderoles avait disparu. On remarquera une scène étonnante, ce livreur qui dort sur la chaussée (emplacement réservé aux voitures officielles). Il ne reste bien sûr plus de banderole aujourd’hui et les indigents sont priés de dormir hors de la ville. Les matelas de fortune et les maigres possessions de ces personnes sont brûlés. Cela semble fonctionner, on rencontre beaucoup moins de personnes dormant dehors maintenant. Mais il suffit de franchir les limites de la ville pour constater que ce n’est pas une amélioration de la situation des plus pauvres, mais un simple « nettoyage ».

Petit jeu (très facile)

Observez cette affiche et attribuez à chaque chef d’orchestre son ou ses chanteurs…

Affiche de la Radio El Mundo de Buenos Aires pour le Carnaval de 1940.
À gauche les orchestres et à droite les chanteurs…

Réponse au petit jeu

J’imagine que vous n’avez pas trop eu de difficulté pour ce qui est de raccorder les orchestres avec leurs chanteurs de tango.
Il restait ensuite deux noms, Eddie Kay et Rudy Green, qu’il semble donc logique d’associer, car ils sont moins connus.
Eddie Kay, pianiste né en Italie et qui est passé auparavant par les États-Unis pour sa formation musicale avant de retourner en Italie, puis de s’installer en Argentine.
Étant donné son passé en Amérique du Nord, il est tentant d’en faire un musicien de jazz. On n’aurait pas tort, mais sa rencontre avec Gardel, qui se transforma en amitié, a fait qu’il a élargi ses horizons et a également composé des tangos. Cependant, en ce qui concerne l’affiche de notre jeu, il intervenait bien comme orchestre de jazz (Foxtrots, valses et danses importées d’Amérique du Nord). Son groupe Alabama Jazz, a un nom qui marque bien les ambitions de cet orchestre, tout comme le pseudonyme Eddie Kay car son nom véritable était Edmundo Tulli, ce qui fait nettement moins, jazzman.
Il reste Rudy Green. Là, je n’ai pas trouvé trace du bonhomme. Il y a bien un Rudy Green, mais celui-ci était noir et avait commencé sa carrière en 1946 à Nashville alors qu’il avait 14 ans. Il s’agit donc forcément d’un autre Rudy Green, le type sur l’affiche n’a pas une tête de gamin noir de 8 ans…
Je ne sais donc pas si ce chanteur était associé à Eddie Kay, mais, par son nom ou pseudonyme, on peut penser qu’il gravitait également autour du Jazz. Peut-être qu’un jour la lumière se fera sur ce point et alors, je vous en aviserai.

Les réponses. Le lien entre Eddie Kay et Rudy Green est une hypothèse, fort probable, mais sans garantie…

Un petit cadeau

J’ai monté quelques images fixes et animées de Carnaval. Cela vous permettra de vous faire une idée du phénomène.

Quelques images de Carnaval de 1889 à nos jours.

À bientôt, les amis !

De mi arrabal 1942-01-02 (Milonga) – Orquesta Roberto Firpo

Letra:

Pour le , je cherchai un titre enregistré un 2 janvier. Il y a du choix, notamment chez Pugliese, qui a effectué en 1947 et 1958 des sessions d’ ce jour de l’année. Mais ces titres sont peu dansants et un peu trop intellectuels pour démarrer l’année en douceur. J’aurais pu vous proposer le magnifique Criolla Linda de Lomuto ou des titres de Donato, qui enregistra également à deux reprises un 2 janvier (1931 et 1953). Finalement, mon choix s’est porté sur une dynamique par Firpo. Voici donc De mi arrabal pour bien commencer l’année, avec le sourire.

Extrait musical

De mi arrabal 1942-01-02 – Orquesta Roberto Firpo.
Édition en CD de notre tango du jour (plage 12). version un peu accélérée par rapport à l’enregistrement original sur disque 78 tours. D’ailleurs, la version de 1949, un ½ ton plus aigüe a peut-être aussi subi le même traitement. Cette version est intermédiaire…

Comme c’est habituel chez Firpo, le mode mineur est bien présent, mais associé à un rythme relativement soutenu qui chasse la mélancolie que peut provoquer le mode utilisé. C’est de plus une de ses compositions, il avait donc toute liberté pour utiliser ce mode…
Les descentes chromatiques sautillantes qui apparaissent dès le début sous-tendent toute l’œuvre composée de montées et descentes.
Les descentes se terminent par une ponctuation à la tierce, bien marquée pour indiquer que le mouvement descendant est terminé. Cela peut guider les , notamment, car ce motif est repris plusieurs fois. À chacun d’imaginer comment, avec sa(son) partenaire, matérialiser ce motif.
À 16 s commencent des accents puissants. Trois, puis un plus espacé. C’est le jeu de l’orchestre avec les danseurs qui attendent le quatrième accent et qui vont le recevoir, atténué et retardé. La milonga, c’est fait pour jouer, avec le partenaire, mais aussi avec l’orchestre. C’est d’ailleurs une dimension perdue à cause des enregistrements figés. Les danseurs peuvent se routiner sur des versions trop connues.
Le DJ peut toutefois proposer une version moins courante, voire faire d’autres « trucs » que je n’avouerais que sous la torture ou les chatouilles.
À 29 s, la partie lisa de la milonga permet de marcher, de décongestionner la circulation dans le bal et d’offrir aux danseurs un temps de dissipation de la tension.
À 34 s, les violons nous proposent un motif charmant qui refait monter la tension. On remonte les étages dégringolés au début.
Les danseurs savent alors que vont suivre d’autres cascades et ils vont pouvoir se préparer à reprendre la partie A et ses fantaisies rythmiques.
Mais Firpo fait durer le plaisir. Ce sont maintenant les bandonéons qui reprennent la lente ascension hésitante.
Et une fois remonté totalement la pente, Firpo nous renvoi dans sa fameuse descente à 1:09, mais cela ne dure pas, les violons nous prennent dans leur filet et on reste dans les hauteurs. À 1:18, nouvelle tentative de descente en cascade, là encore avortée par l’intervention des violons. Mais on sent au fond le rythme et des descentes discrètes. Firpo rappelle aux danseurs étourdis qu’ils doivent se préparer…
Pour réveiller les moins attentifs, les grosses ponctuations d’archets reprennent à 1:26, suivies d’un passage plus déstructuré comme pour montrer la lutte des différentes tendances de la milonga. À 1:44, la partie lisa semble reprendre le dessus avec un peu de recharge. À 1:59, l’orchestre semble s’étrangler, les danseurs sont alors en alerte maximale et à 2:01, le torrent des descentes reprend enfin jusqu’au final.
On peut s’imaginer un traveling dans les faubourgs, suivant un jeune homme alerte qui nous guide au rythme de ses rencontres et qui nous présente les points d’intérêt de son quartier.
En l’absence de paroles, on peut imaginer ce que l’on veut, c’est la force de la musique.
Admettons que j’ai un peu déliré sur ce coup-là. Pardon.
On notera le bandonéon de Juan Cambareri, d’une totale maîtrise, mais qui échappe aux délires virtuoses dont cet artiste est capable. Firpo qui l’a embauché alors qu’il n’avait que 16 ans, a su le maintenir dans le cadre souhaité.

Paroles

Bien que Vicente Planelles Del Campo ait écrit des paroles, elles ne semblent pas nous être parvenues.
Voici une petite liste de ses pour des tangos ou d’autres rythmes (indiqués entre parenthèses). La date est celle d’écriture probable.

A carta cabal 1938 (Tango)

  • A carta cabal 1938 (Tango)
  • Ave sin rumbo 1932 (Tango)
  • Ay, Josefina (Foxtrot)
  • Con el fulgor de tu mirar (Vals)
  • Cuando pueda besar 1938 (Vals)
  • De mi arrabal (Milonga)
  • (Tango) – Une des versions. Voir l’anecdote à ce sujet.
  • En el de la noche (Vals)
  • Honda tristeza 1931 (Tango)
  • La loba 1952 (Tango)
  • Pobre negrito – Flor de Montserrat (Milonga)
  • Poderoso 1931 (Pasodoble)
  • Raúl (Foxtrot)
  • Titina ()

Cela ne nous aide pas à savoir vraiment à savoir ce que Firpo pensait de son faubourg. Il était né à Flores qui a l’époque de sa naissance pouvait ressembler à cela.

Aspect possible du quartier de Firpo lors de sa naissance…
Mais la venue du train et la construction de différents monuments comme des églises ont donné un aspect différent à ce faubourg qui était, très rural avant de se charger des populations qui ne pouvaient pas vivre en centre-ville.
C’est la vision que j’en propose, enjolivée par le souvenir.

Autres versions

De mi arrabal 1942-01-02 – Orquesta Roberto Firpo. C’est notre milonga du jour.
De mi arrabal 1949-05-18 – Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto.

Sur un rythme plus rapide et avec un orchestre réduit à quatre instruments, Firpo redonne, sept ans plus tard une nouvelle version.

De mi arrabal 1969 – Miguel Villasboas y su Sexteto Típico.

Villasboas nous a habitués à ses reprises de Firpo. De mi arrabal n’a pas échappé à cette habitude et c’est tant mieux, car ce titre convient parfaitement à cet orchestre uruguayen qui sait fournir une sonorité propre. Villasboas, comme Firpo était pianiste, cela rajoute une proximité, ainsi le fait que les deux étaient proches de la branche uruguayenne du tango.
C’est une version très joueuse et qui a son propre intérêt à côté des versions de Firpo. On peut juste remarquer le côté un peu plus répétitif, mais, dans le cas de la milonga, ce n’est pas forcément gênant, car cela conforte les danseurs.

De mi arrabal. Disque Odeón. Le titre qui a donné son nom à l’album est le sixième de la face B.

Cela nous fait trois versions passables en bal. De quoi varier les plaisirs.

À bientôt les amis !

Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri

A. Riobal ( Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio ; Héctor Serrao ; Rodolfo Genaro Serrao)

¡Feliz año nuevo! Il est minuit à , c’est l’année nouvelle qui commence. Les fusées de feu d’artifice pétaradent et illuminent le ciel de Buenos Aires. Ici, pas de majestueux feux d’artifice élaborés par des artificiers professionnels. Ce sont les Argentins qui se chargent du spectacle en fonction de leurs moyens financiers et de leurs capacités. Notre musique du jour n’est pas un tango, mais est chantée par un de ses chanteurs, Alberto Castillo, qui en est également un des auteurs.

Riobal y los Halcones

Quelques mots sur les auteurs de ce titre.

Riobal

Riobal, alias Alberto Castillo, alias…, alias…, alias…, alias…

Riobal est un des pseudonymes de Alberto Castillo, ou plutôt de Alberto Salvador De Lucca, puisque que Castillo est également un destiné à faire plus espagnol, ce qui était courant pour les chanteurs de tango.
Les orchestres avaient besoin d’un chanteur italien et d’un chanteur espagnol pour satisfaire les deux principales communautés portègnes. Peu importe qu’ils soient réellement originaires de ces pays. D’ailleurs ses premiers pseudonymes ont été Alberto Dual et Carlos Duval
Cette foison de pseudonymes était également destinée à tromper la vigilance paternelle.
Pour son père, il était étudiant en médecine et, effectivement, il devait être médecin gynécologue.
Un jour, en écoutant son fils à la radio, il s’exclama, « il chante très bien, il a une voix semblable à celle de Albertito », et pour cause…
Cependant, a pris le dessus et Alberto a rejoint l’orchestre d’un dentiste, celui de Ricardo Tanturi, avant de terminer sa dernière année… Il n’était donc pas à proprement parler gynécologue, comme on le lit en général dans ses biographies.

Trío Los Halcones

Ce trio a chanté avec Miguel Caló, mais leur spécialité était plutôt le boléro et autres musiques traditionnelles ou folkloriques. Ils ont collaboré avec Castillo pour l’écriture de la musique et des paroles de ce titre. Il ne semble pas y avoir d’enregistrement de Año nuevo par ce trio.

Trío Los Halcones.

Extrait musical

Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri.
Partition de saxophone ténor de Año nuevo.

Ángel Condercuri ou  ?

Año nuevo a été enregistré le 31 janvier 1956. Je n’ai pas respecté le choix d’un thème enregistré le jour de l’anecdote, pour vous proposer un air gai et de circonstance. Nous sommes donc en 1956 et Alberto Castillo a son orchestre dirigé par un chef. Selon les sources, il y a un doute sur le chef qui tenait la baguette le jour de l’enregistrement.

  • Gabriel Valiente dans son Enciclopedia del Tango indique que l’orchestre de Castillo est dirigé par Ángel Condercuri de 1951 à 1954 puis de nouveau à partir de 1959 et par Jorge Dragone de 1955 à 1958. Ce travail est une somme, mais il y a de nombreuses imprécisions et un certain nombre d’erreurs. C’est une bonne source, mais qui demande à être vérifiée.
  • Tango.info indique que Condercuri dirige l’orchestre de Castillo pour l’enregistrement de Año nuevo. https://tango.info/fra/track/T0370371359
  • Todo Tango, qui est le site de référence incontournable propose une entrevue avec Jorge Dragone dans laquelle celui-ci indique qu’il était dans l’orchestre de Condercuri à cette époque. https://www.todotango.com/historias/cronica/238/Dragone-Un-eterno-viajero/ Par conséquent, s’il est le pianiste de l’orchestre, il n’en est pas le directeur. En 1957, donc l’année suivante, il indique avoir son propre orchestre en alternance pour lequel il recourt à la voix de . Même s’il est envisageable que, pour une séance d’enregistrement particulière, Condercuri ait laissé la direction à son pianiste, cela mériterait d’être documenté.
  • Tango-DJ.AT, qui est en général bien renseigné et qui corrige les erreurs quand on les signale, ce qui n’est pas le cas de tous (référence à d’autres sites qui ne prennent même pas la peine de vérifier, ou qui te disent que c’est ainsi et qui corrigent ensuite, en douce…), indique que c’est Condercuri.
    https://tango-dj.at/database/index.htm
    https://tango-dj.at/database/index.htm?titlesearch=ano+nuevo&genresearch=marcha (pour ceux qui sont abonnés).

La solution serait d’avoir le catalogue ou le disque d’origine, malheureusement, je n’ai pas trouvé le catalogue de Odeón correspondant et les CD ne sont pas précis sur la question (soit ils n’indiquent rien, soit ils mettent les deux noms, sans préciser à quels titres, cela se rapporte). Quant aux disques d’origine, ils indiquent juste Alberto Castillo y su Orquesta.
Bernhard Gehberger, le créateur du site , confirme avec les mêmes arguments. Il m’a même rappelé que certains enregistrements étaient donnés avec à la direction. Cependant, cela ne semble concerner que la période 1953-1955. En 1956, Bianchi était à . On notera toutefois, que Bianchi était pianiste, comme Dragone. Serait-ce une habitude chez Condercuri de laisser ses pianistes diriger ?
En attendant d’en savoir plus, je conserve Ángel Condercuri comme Directeur de l’orchestre de Castillo pour cet enregistrement.

Paroles

Il y a différentes variantes, mais qui ne changent pas le sens. Vous aurez la version du film en fin d’article avec les paroles en sous-titrage.

Año nuevo
Vida nueva
Más alegres los días serán
Año nuevo
Vida nueva
Con salud y con prosperidad

Entre pitos y matracas entre música y sonrisa
El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más,
Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos
Entre todos cantaremos, llenos de felicidad
Vamos todos a cantar

Año nuevo
Vida nueva
Nuestras penas dejemos atrás
Año nuevo
Vida nueva
Con salud y con prosperidad

Año nuevo
Vida nueva
Mas alegre los días serán
Sin problema, sin tristeza
Y un feliz año nuevo vendrá…

Entre pitos y matracas entre música y sonrisa
El reloj ya nos avisa que ha llegado un año más
Las mujeres y los hombres, un besito nos daremos
Entre todos cantaremos, llenos de felicidad
Vamos todos a cantar

Año nuevo
Vida nueva
Más alegres los días serán
Año nuevo
Vida nueva
Con salud y con prosperidad

Año nuevo
Vida nueva
Nuestras penas dejemos atrás
Sin problema, sin tristeza
Y un feliz año nuevo vendrá
Y un feliz año nuevo vendrá
Y un feliz año nuevo vendrá
Y un feliz año nuevo vendrá…

A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio; Héctor Serrao; Rodolfo Genaro Serrao)

libre des paroles

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus heureux
Nouvel An
Nouvelle vie
Avec la santé et la prospérité

Entre sifflets et crécelles
Entre musique et sourire
L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur
Nous allons tous chanter

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus heureux
Nouvel An
Nouvelle vie
Avec la santé et la prospérité

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus joyeux
Sans problème et sans tristesse
Et un Nouvel An heureux viendra

Entre sifflets et crécelles
Entre musique et sourire
L’horloge nous avertit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un baiser nous nous donnerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bonheur
Nous allons tous chanter

Pito y matraca (sifflet et crécelle)

Nouvel An
Nouvelle vie
Les jours seront plus heureux
Nouvel An
Nouvelle vie
Avec la santé et la prospérité

Nouvel An
Nouvelle vie
Nous laisserons nos peines derrière
Sans problème et sans tristesse
Et un Nouvel An heureux viendra
Et un Nouvel An heureux viendra
Et un Nouvel An heureux viendra
Et un Nouvel An heureux viendra…

Autres versions

Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri. C’est notre thème du jour.
Año Nuevo 1965 – Billo’s Caracas Boys. C’est la version qui est sans doute la plus connue, elle est jouée pour le Nouvel An dans la plupart des pays d’Amérique du Sud et pas seulement au Vénézuéla, leur pays.

Pour terminer en vidéo, je vous propose de voir et écouter Alberto Castillo dans le film « Música, alegría y amor » dirigé par Enrique Carreras.
La scène a été enregistrée en 1955, cependant, le film sortira après le disque, le 9 mai 1956.
J’ai indiqué les paroles pour vous permettre de suivre…

Año nuevo dans le film Música, alegría y amor. Dans cet extrait, en plus de Alberto Castillo, on remarque Beatriz Taibo, Ubaldo Martínez et Tito Gómez. Il y a aussi une courte apparition de Leonor Rinaldi et Francisco Álvarez, les personnes âgées.

Alberto Castillo, qui tient le rôle principal (Alberto Morán) est un jeune homme bohème qui rêve de devenir peintre, mais qui finalement aura du succès comme chanteur (Raúl Manrupe & María Alejandra Portela – Un Diccionario de Films Argentinos 1995, page 401). Ce film contient beaucoup de chansons par Castillo, dont notre titre du jour.

L’intrigue du film serait tirée de Loute, une comédie française (vaudeville) en quatre actes de Pierre Veber dont l’intrigue tourne autour de Dupont, un homme qui mène une vie de débauche sous l’influence de son « ami » Castillon. Dupont décide de se marier avec Renée, une jeune femme de bonne famille, mais il est rapidement rattrapé par son passé tumultueux. Loute, une ancienne maîtresse de Dupont, réapparaît et cause des complications. Les malentendus et les quiproquos s’enchaînent, notamment avec l’arrivée de Francolin, un cousin de Dupont, qui cherche à se venger de lui. Finalement, après de nombreux rebondissements, les personnages tentent de se réconcilier et de trouver un équilibre entre leurs vies passées et présentes. Le lien entre la pièce et le film réalisé par Enrique Carreras sur un scénario de Enrique Santés Morello me semble un peu distendu, d’autant plus que la pièce a eu son heure de gloire plus de 50 ans avant la réalisation du film. Cela témoigne tout de même de la francophilie qui était encore vive à l’époque.
Disons que la base du synopsis a été de faire une comédie musicale pour mettre en avant Alberto Castillo

L’affiche du film réalisée par le caricaturiste argentin Narciso González Bayón. On y reconnaît Alberto Castillo et Amelita Vargas. À la table, de gauche à droite, Francisco Álvarez, Leonor Rinaldi, Gerardo Chiarella et Ubaldo Martinez. La taille démesurée de Castillo montre bien que c’était lui la vedette du film…

Voilà de quoi bien débuter l’année, en chanson.

De camino al 2025

Je souhaite une merveilleuse année,
la santé et le bonheur,
à tous les humains de la Terre,
tous.

Adiós 1926-12-31 (vals) – Orquesta Roberto Firpo

Pedro Láurenz (Pedro Blanco) Letra:

Adiós 2024. Cette année se termine aujourd’hui et 2025 pointe son nez. C’est sans doute l’occasion de se faire des promesses de meilleure année. Pour passer le cap, rien de mieux qu’une instrumentale qui chasse tous les soucis et fait fleurir le bonheur sur les lèvres et dans le cœur des . Cette valse, enregistrée le 31 décembre 1926 par , est une des premières enregistrées avec les capacités de l’ électrique (qui fête son siècle d’existence) et on sent qu’elle commence à se libérer des contraintes de l’. Que 2025 soit la nouvelle génération qui surpasse l’ancienne sur la route du bonheur.

Adiós 1926-12-31 – Orquesta Roberto Firpo
Pedro Laurens avec son bandonéon, la partition de Adiós et José De Grandis.

Le rythme est soutenu et les danseurs pourront utiliser leur réserve d’énergie pour aller jusqu’au bout de la valse. La monotonie que pourrait engendrer la reprise des parties sans réelles variations et en n’étant qu’instrumentale n’est pas vraiment présente, car on se laisse prendre par le mouvement et, lorsqu’arrive la fin, on aurait bien aimé que cela dure un peu plus.

Roberto Firpo

Cette version instrumentale, la seule enregistrée, malgré l’utilisation du mode mineur sur les 2/3 de sa durée, n’engendre pas la mélancolie. On ne se rendra pas compte de la tristesse sous-jacente à l’, tristesse dévoilée par les paroles du poète (violoniste et compositeur), José Pedro De Grandis.
Ce thème convient assez bien à Firpo, qui a souvent un curieux mélange de tristesse et d’énergie dans ses interprétations.

Paroles

Las blancas flores que en ti he depositado
Fueron un símbolo de fe que puse en ti,
Y me alejé tristón
Dudando si al volver
Sería dueño de tu .
Mas esas flores de pena han marchitado
Al ver lo pronto que te olvidaste de mí,
Y al ver su pena yo
También dolor sentí
Por ser tan cruel esta desilusión.

Fue la plácida luna
Testigo de los besos,
Y dulces embelesos
Que a tu lado gocé;
Mis labios fervorosos,
Tu nombre, han bendecido
Tu nombre tan querido
Que no olvidaré.
Olvidas que fijaste
Tus ojos en mis ojos,
Dijiste con sonrojos:
“Me acordaré de vos”;
No quise despedirme
Te dije: “hasta luego”,
Y ahora cuando llego
Recibo tu adiós.

Si al recordarme besas esas flores que te he dado
No te asombre si vuelven a revivir,
Porque en ellas mi corazón he dejado
Que implorante, tus besos ha de pedir.

Pedro Láurenz (Pedro Blanco) Letra: José Pedro De Grandis

libre des paroles

Les fleurs blanches que j’ai déposées en toi étaient un symbole de la foi que j’ai placée en toi,
Et je me suis éloigné, triste, doutant qu’à mon retour je sois le propriétaire de ton cœur.
Mais, ces fleurs de chagrin se sont fanées quand j’ai vu comme tu m’as vite oublié, et quand j’ai vu leur chagrin, j’ai aussi ressenti de la douleur parce que cette déception était si cruelle.
La lune placide a été témoin des baisers et des doux ravissements dont j’ai joui à tes côtés ;
Mes lèvres ferventes ont tant béni ton prénom, ton prénom si cher que je ne l’oublierai pas.
Tu oublies que tu as fixé tes yeux dans mes yeux, tu as dit en rougissant :
« Je me souviendrai de toi » ;
Je ne voulais pas te dire au revoir, je t’ai dit : « à plus tard »,
Et maintenant, quand j’arrive, je reçois ton adieu.
Si, lorsque tu te souviens de moi, tu embrasses ces fleurs que je t’ai données, ne t’étonne pas si elles reviennent à la vie, car, en elles, mon cœur a déposé en implorant que tes baisers soient demandés.

À l’année prochaine, les amis !

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo « Lalo » Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Buscándote est un des thèmes les plus émouvants du tango. Par la qualité de la musique et des paroles de Eduardo « Lalo » Scalise El poeta del piano, mais aussi par la simplicité et la rondeur de l’interprétation par Fresedo et Ruiz, pour notre tango du jour. Nous allons en profiter pour regarder de plus prêt comment fonctionne une partition.

Extrait musical

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz
Première page de la partition retranscrite par Lucas Cáceres.

Cette première page présente les quatre premières mesures. On voit les différents instruments. T (ténor, Ricardo Ruiz, dans cet enregistrement), puis 4 violons, 4 bandonéons, un piano et une contrebasse.
À l’armure, il y a deux dièses, nous sommes en Si mineur. Un mode nostalgique, voire triste. Dans la première mesure, on remarque qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deuxième mesure commence avec la seconde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la contrebasse commence à marquer tous les temps (4 par mesure) en commençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mouvement de bascule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suivante et ainsi de suite sur environ la moitié des mesures de la partition. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des éléments de la mélodie.
On remarquera que les bandonéons et violons qui débutent aussi à la deuxième mesure commencent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez discret, mais vous n’aurez pas de peine à repérer ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des violons y met fin, pour commencer à énoncer la première partie (A).

La partition du ténor avec la photo de Ricardo Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La partition a été proposée également par Lucas Cáceres.

Ici, c’est la partition du ténor (Ricardo Ruiz dans notre cas) qui ne commence à chanter qu’à partir de la mesure 43 (en levée de la 44).
On se souvient que le début de la partition était en Ré mineur, après un passage en Fa mineur, Ruiz commence à chanter en Fa majeur. La présence de dièses sur 4 des Sols et un Do, font basculer certains passages en Ré mineur).

Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les lettres à droite.

Une petite aide pour vous aider à vous repérer dans les tonalités. Le nombre de dièses ou bémols à la clef donne la dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Souvent, il y a beaucoup de changements de tonalités et des altérations (Dièses, ou Bémols) ponctuelles qui rendent difficile de décider la tonalité exacte utilisée. Mais ce n’est pas si important, ce qui l’est, c’est uniquement de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sensibilité de la musique, donc l’écoute est suffisante.
Maintenant que vous êtes au point, je vous propose de suivre la partition durant l’écoute, grâce au travail remarquable de Lucas Cáceres.

Partition animée de Buscándote, une vidéo réalisée par Lucas Cáceres.

Vous remarquerez qu’il y a toutes les parties, et qu’il y a donc beaucoup de changements de pages. Dans un orchestre, chaque instrument n’a que sa partie et si cela vous intéresse, vous pouvez vous les obtenir en vous abonnant à son Patreon.
Assez parlé de la musique, intéressons-nous aux paroles, maintenant.

Paroles

Vagar con el cansancio de mi eterno andar
tristeza amarga de la soledad
ansias enormes de llegar.
sabrás que por la vida fui buscándote
que mis ensueños sin querer vencí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esperanza de encontrarte a ti
largos caminos hilvané
leguas y leguas recorrí por ti
después que entre tus brazos pueda descansar
si lo prefieres volveré a marchar
por mi camino de ayer
sabrás que por la vida fui buscándote
que mis ensueños sin querer rompí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esperanza de encontrarte a ti
largos caminos hilvané
leguas y leguas recorrí por ti
después que entre tus brazos pueda descansar
si lo prefieres volveré a marchar
por mi camino de ayer.
Eduardo « Lalo » Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Traduction libre

Errer avec la fatigue de ma marche éternelle, l’amère tristesse de la solitude, l’énorme désir d’arriver.
Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver.
Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.
Tu sauras qu’à travers la vie je t’ai cherchée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croisement je les ai laissés. Ma marche précipitée dans l’espoir de te trouver.
J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai parcourues pour vous.
Après que je pourrai me reposer dans tes bras, si tu préfères, je retournerai à marcher par mon chemin d’hier.

Autres versions

Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Fresedo et Ruiz. Cependant, la passion européenne pour Fresedo fait que beaucoup d’orchestre du 21e siècle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des fortunes diverses.

Buscándote 1941-12-30 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz. C’est notre tango du jour, le mètre étalon, la référence absolue.
Buscándote 2000-06-01 – Klaus Johns.

Une version instrumentale avec un parti pris de tempo particulièrement lent. C’est probablement à classer au rayon des étrangetés, mais certainement pas à proposer au bal.

Buscándote 2012 – Sexteto Milonguero con .

On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notamment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciriaco, pendant une quinzaine d’années.

Buscándote 2012 – Solo Tango Orquesta.

Cet orchestre russe a également son public. Ils proposent, ici, une version instrumentale.

Buscándote 2013 – Ariel Ardit y Orquesta Típica.

L’incroyable solo de violon qui ouvre cette version peut surprendre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien marqué par les bandonéons et toujours dominé par les cordes et ce superbe violon, fait que c’est certainement une version « chair de poule » pour beaucoup. La belle voix, puissante et chaude d’Ariel Ardit termine de faire de cette version remarquable. Pour la danse, les arrastres d’Ariel peuvent gêner certains danseurs et le rythme rapide peut faire que l’on préfère d’autres versions. Je pense qu’en Europe cette interprétation aurait des amateurs.

Buscándote 2013 – con Rubén Peloni.

Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette version tranquille peut paraître un peu faible, mais il faut la comparer à notre étalon, la version de Fresedo et Ruiz, pour voir que c’est une belle réalisation, intime et bien accordée au thème de la chanson.

Buscándote 2014 (En vivo) – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

Une version avec public qui permet de se souvenir de l’ambiance que mettait cet orchestre. C’était à (Argentine) lors de l’Encuentro Tanguero del Interior (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nombreuses fois, c’est vraiment dommage qu’il n’existe plus.

Buscándote 2015 – Cuarteto SolTango.

Ce cuarteto, avec beaucoup moins d’instruments s’approche de la version de Fresedo. Une belle performance. Le solo de violon qui remplace la voix de Ricardo Ruiz, bien que bien chantant, est sans doute ce qui peut faire baisser la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la principale raison, est que certains DJ mettent des chansons tango au lieu de véritables tangos chantés de danse.

Buscándote 2015 – Orquesta La 2X4 Rosarina con .

Retour à une version chantée. La voix de Martín Piñol pourrait bénéficier d’un orchestre plus accompli. La prise de son mériterait d’être meilleure également. Le résultat ne risque pas de détrôner, la version de Fresedo qui en est clairement le modèle.

Buscándote 2015-07-09 – Esquina Sur con Diego Di .

Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Fresedo. Cet enregistrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Martino, s’élance légère et fluide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Fresedo et Ruiz restent en tête.

Buscándote 2016-03-01 – El Cachivache Quinteto.

El Cachivache signe une version plus personnelle, qui n’est pas qu’une simple imitation de Fresedo et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instruments comme la guitare électrique peut donner des boutons à des milongueros sclérosés. C’est une version instrumentale, mais la diversité des variations fait que ce n’est pas monotone. L’entrée avec une gamme de do majeur descendent suivie d’une gamme ascendante est très originale. Le final est également intéressant, c’est une version qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aussi à Angela C. car il y a une bonne proportion de mode majeur dans cette version, contrairement à la version de Fresedo qui est majoritairement en mode mineur 😉

Buscándote 2016-12 – Orquesta con Roberto Minondi.

Avec la Romántica Milonguera on revient à un registre plus classique, même si cet orchestre a su créer son propre son. Ici, c’est Roberto Minondi qui nous ravit.

Buscándote 2019 – Cuarteto Mulenga. Cette version présente l’intérêt de voir les instrumentistes opérer. Mais ce titre est aussi sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réalisée au Bodegon (restaurant) El Destino, à (Province de Buenos Aires).

Buscándote 2021-03 Orquesta Típica .

Un début original, qui peut faire douter durant les 30 premières secondes qu’on écoute Buscándote. On notera la descente de piano, très originale durant ce début. Le reste de l’orchestration renouvelle également l’œuvre, qui est comme décomposée, déstructurée au profit de solos qui se superposent. C’est presque un ensemble de citations de l’œuvre originale, plus qu’une interprétation au sens habituel. La fin ne dissipera pas cette impression.

Je te cherche, pas à pas

Comme DJ, je m’intéresse à savoir comment les danseurs vont pouvoir interpréter la musique que je propose.
J’ai trouvé cette petite pépite, réalisée par Juana García y Julio Robles. Elle montre les temps et contretemps.

Cliquez sur le lien pour consulter la vidéo. https://youtu.be/RjNY9pnNUoA

Poser les pieds en rythme est la toute première étape du danseur de tango et, même si certains ne s’y résolvent pas, il me semble qu’il faut aller beaucoup plus loin, le tango étant une danse d’improvisation. On tirera cependant de cette vidéo un élément très intéressant, la séparation entre les différentes parties. Savoir les repérer permet d’adapter la danse en changeant le style pour chaque partie.
Il faut aussi savoir distinguer la phrase musicale, afin que le couple se retrouve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine transition ou enchaînement de phrases. Certains comptent de 1 à 8, mais c’est beaucoup plus agréable de se laisser porter par la structure de la musique.
Je déconseille donc le comptage, sauf pour des chorégraphies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tango social qui nous intéresse ici, car je trouve dommage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à entendre la musique.
Il me semble qu’il est amplement préférable de travailler son « instinct », car, rapidement, le corps saura quand la musique va changer et, inconsciemment, il va se préparer, ce qui vous permettra de danser l’esprit totalement libre, en vous laissant porter.
Ce même instinct sert au DJ pour identifier les musiques plus dansables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suivent. Il a donc la responsabilité d’ouvrir la voie et de leur proposer des chemins dont les difficultés sont adaptées.

À bientôt, les amis, de me suivre.

À bientôt, les amis, merci de me suivre.

La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra:

Pourquoi une femme noire tenant un bongo sur plan de surfeurs hawaïens ? Comme vous vous en doutez, j’ai une explication. Alors partons à la découverte de la Rumbita , un curieux mariage qui a fêté ses noces de chêne et qui continue de faire bouger les danseurs d’aujourd’hui.

Extrait musical

La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré.

Comme l’indique le titre, on reconnaît rapidement un rythme de rumba. J’écris « un » rythme de rumba, car il y a en a des dizaines. Historiquement, la rumba est originaire de Cuba où elle a été mêlée avec diverses danses, notamment d’origine africaine. Cela se reconnaît par la complexité des rythmes qui sont loin des rythmes codifiés en Europe. Il n’est qu’à demander à un danseur européen moyen de faire sonner le clave de la salsa en rythme, pour voir à quel point c’est hors de sa culture.
N’étant pas moi-même un spécialiste de la rumba, j’ai essayé de déterminer le type de rumba utilisée dans cette composition. Parmi la centaine de possibilités, je trouve que la rumba yambu (une des trois principales rumbas cubaines) est un assez bon candidat.

La rumbita candombe de D’Arienzo et Mauré que j’ai mixé avec un rythme de rumba yambu.

Bien sûr, la version de D’Arienzo est un peu particulière et il a mis en avant le plaisir des danseurs de en prenant plus de libertés par rapport au rythme original que les autres interprétations. On notera, par exemple, une cadence bien plus rapide.

Le Général assistant à une manifestation de candombe vers 1838 assistant à une manifestation de candombe vers 1838.

De Rosas avait une trentaine d’esclaves, mais il était plutôt sympa avec eux et les esclaves qui avaient fui le Brésil le considéraient comme un libérateur. On voit qu’il a un homme noir sur le siège à son côté, ce qui doit probablement témoigner de sa proximité. On remarquera les tambours du candombe. Le peintre, Martín Boneo s’est représenté avec son épouse, debout à l’arrière de De Rosas. La fille du couple (Manuelita) est en rouge au côté de l’homme noir assis.

Paroles de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Les différentes versions disposent de paroles légèrement différentes. Celles de l’enregistrement de D’Arienzo et Mauré sont les plus divergentes par rapport aux paroles originales. J’indiquerai, en fin d’article, les paroles originales et donnerai quelques indications pour les autres versions.

Presten todos atención
Que ya empezó
Y a virutear esta milonga
Que el rey negro bautizo

No es su cuna el arrabal
Negro y cumbe

Por eso es que
Todos le dicen
La milonga candombe

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

A bailar a cantar
A seguir sin parar

Ae ae ae ae
Ae ae ae ae

Que se va y se fue
La milonga candombe.

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella

Traduction libre de la version de Juan D’Arienzo et Héctor Mauré

Prêtez tous attention.
Ça a déjà commencé et pour virutear (référence à la viruta et l’usure du plancher) cette milonga que le roi noir a baptisée.
Ce n’est pas son berceau les faubourgs
Noir et cumbe (esclaves noirs ayant fui et vivant libres)
C’est pourquoi tous l’appellent la milonga candombe
Ae ae ae ae
À danser, à chanter
À continuer sans s’arrêter,
Ae ae ae ae
Car elle s’en va et est partie
La milonga candombe.

Autres versions

Je commence par les auteurs de la musique, Osvaldo Novarro et Tito Luar.

La rumbita candombe 1942-06-02 – Hawaiian Serenaders con Osvaldo Novarro.

Les Hawaiian Serenaders est un groupe argentin, malgré ce que pourrait laisser penser son nom. Il fut actif durant une vingtaine d’années après sa création en 1940 par le chanteur Osvaldo Novarro (Héctor Villanueva) associé à Tito Luar (Raúl Fortunato) (Directeur d’orchestre, tromboniste et violoniste) et auteurs de la musique de notre titre du jour.
Les deux hommes étaient d’origine vénézuélienne, pas l’ombre d’un Hawaïen dans l’.

À l’origine du groupe Hawaiian serenaders, un groupe de musique hawaïenne mené par Osvaldo Novarro dans les années 30.

À ce sujet, il est amusant de noter qu’il y a eu un autre groupe nommé The Hawaiian Serenaders, mais qu’ils étaient Grecs et étaient dirigés par Felix Mendelssohn (probablement un pseudonyme…). Je ne résiste pas à la tentation de vous présenter une de mes 600 cumparsitas par ces Grecs « hawaïens »…

La cumparsita 1941 – .

Les sonorités sont beaucoup plus hawaïennes que pour le groupe argentin…

La rumbita candombe 1942-12-29 – Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré. C’est notre titre du jour.
La rumbita candombe 1943-06-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo con .

Oscar Serpa et surtout l’interprétation magnifique de Fresedo fait que cette version peut très bien être proposée en bal, même si peu de DJ s’y risquent.

La negrita candombe (La rumbita candombe) 1943-07-16 – Orquesta con .

La version de Canaro est sans doute celle qui est la plus connue. Son rythme assez calme respecte mieux, que la version de D’Arienzo, le rythme de la rumba. Comme il en a l’habitude et grâce à ses percussionnistes de son orchestre de jazz, Canaro peut proposer une introduction au tambour et une orchestration un peu différente.

Paroles de la version originale

Presten todos atención
Que va a empezar,
Esta será la nueva danza
Que tendremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
El cabaré
Por eso es que la llamamos
La rumbita candombe.

(Estribillo)
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
A bailar, a cantar
A seguir sin parar,
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (coro)
Ya se va, ya se fue
La rumbita candombe.

El autor de su compás
Es un bongó,
Que se enamorado de una milonga
Un domingo se casó
Y es por eso que al vibrar,
Sentimental su ritmo es
Mezcla de rumba
Y candombe federal.
Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella

Traduction libre des paroles de la version originale

Prêtez tous attention.
Ça va commencer,
Ce sera la nouvelle danse que nous devrons danser…
Son berceau était l’illusion, le cabaret, c’est pour ça qu’on l’appelle, la rumbita candombe.

(Refrain)
Ae, ae, ae, ae
Ae, ae, ae, ae (chœur)
À danser, à chanter
À continuer sans s’arrêter,
Ae, ae, ae, ae (chœur)
Déjà elle s’en va, déjà elle est partie
La rumbita candombe.

L’auteur de son rythme est un bongo, qui est tombé amoureux d’une milonga.
Un dimanche, il s’est marié et c’est pourquoi, lorsqu’il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.

Paroles de la version de Canaro et Roldán

Presten todos atención
Que va a empezar,
Esta será la nueva danza
Que tendremos que bailar…
Fue su cuna la ilusión
Que le dio fe,
Por eso es que la llamamos
La negrita candombe.

Así, así, así, así
Así, así, así, así (coro)
A bailar, a cantar
A seguir sin parar,
Así, así, así, así (coro)
Ya se va, ya se fue
La negrita candombe.

El autor de su compás
Es un bongó,
Que al arribar a la Argentina
De una criolla se prendó…
Y es por eso que al vibrar,
Sentimental su ritmo es
Mezcla de rumba
Y candombe federal.

Osvaldo Novarro; Tito Luar (Raúl Fortunato) Letra: Mario Battistella (y?)

Traduction libre de la version de Canaro et Roldán

C’est pourquoi nous l’appelons
La negrita candombe.
(La rumbita est passée de la musique, petite rumba à une negrita, petite femme noire).
Comme ceci, comme cela, comme cela
(contrairement aux autres versions, Roldán chante « así » et pas « ae »).
Comme ceci, comme ça, comme ça
Danser, chanter
Pour continuer sans s’arrêter,
Comme ceci, comme ça, comme ça
Déjà elle s’en va, déjà elle est partie
La negrita candombe.
L’auteur de son rythme est un bongo, qui à son arrivée en Argentine, d’une créole, est tombé amoureux…
(la localisation en Argentine et la mention d’une créole ancrent la chanson. Canaro était Uruguayen de naissance et les esclaves étaient en grande partie originaires du Brésil, et bien sûr d’Afrique avant).
Et c’est pourquoi, quand il vibre, sentimental, son rythme est un mélange de rumba et de candombe fédéral.

Quelques éléments sur la milonga candombe

Même si le propos de Osvaldo Novarro et Tito Luar était de créer un nouveau rythme à base de rumba en le mixant avec des rythmes de candombe, cette expérimentation qui n’a pas donné d’autres musiques est contemporaine de l’apparition de la milonga candombe.
En effet, on attribue à Sebastián Piana la mise en forme de la milonga candombe.
Sa première milonga candombe est Pena mulata (écrite en 1940).

Pena mulata 1941-02-18 – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino (Sebastián Piana Letra: Homero Manzi).

C’est le plus ancien enregistrement de milonga candombe. Amis DJ, si vous avez une milonga candombe d’avant 1940, c’est sûrement un candombe ou un autre rythme… Ce n’est pas interdit de le passer, mais prenez vos précautions pour ne pas mettre en difficulté les danseurs qui sont souvent moins à l’aise avec les milongas candombe et qui peuvent être totalement perdus avec des candombes.

Aleluya 1943-12-15 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán (Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo).

Et une version par Piana lui-même :

Aleluya 1944 – Sebastián Piana con Jorge Demare.

Une version brute, un peu rugueuse, mais qui fait bien sentir les origines de l’inspiration de Piana.

Les titres apparentés au candombe, composés par Sebastián Piana

• Juan Manuel 1934 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Milonga federal)
• Pena mulata 1940 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Marcha candombe)
• Carnavalera 1941 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Milonga candombe)
• Papá Baltasar 1942 – Sebastián Piana Letra: Homero Manzi (Milonga candombe)
• Aleluya 1944 – Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo (Milonga negra)
• Ahí viene el negro Raúl 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (Tango candombe)
• Calabú 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (Canción de cuna candombe)
• El vendedor de velas 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe pregón)
• Huevitos de olor 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe pregón)
• La aceituna del negro 1973 – Sebastián Piana – Letra: León Benarós (candombe pregón)
• La criada de misia Jovita 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• La mulecona 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Lorenzo Barcala 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Marychambá -1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Matando hormigas 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe pregón)
• Soldao, pelo colorao 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Tomá pa’ shuca 1973 – Sebastián Piana Letra: León Benarós (candombe)
• Carumbaié – Sebastián Piana Letra: Julián Centeya (Milonga candombe)
• Jacinto retinto – Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Carnelli (Milonga candombe)
• Pastelera – Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo (Milonga negra)
• Se casa el negrito – Sebastián Piana Letra: Maria Luisa Carnelli (Milonga candombe)

Pour terminer, un peu de théorie musicale du candombe avec les jeux des tambours.
Pour la partie candombe, c’est un peu plus facile, car nous sommes plus accoutumés à ces rythmes.
Le candombe utilise trois types de tambours :
Tambor chico
https://youtu.be/p2CL5-Ok4SI
Tambor repique
https://www.youtube.com/watch?v=VwxzY1fgrUw&t=96s

https://youtu.be/K77E_k0S_q8
Les trois tambours jouant ensemble :

Les trois types de tambours du candombe, de gauche à droite : Tambor repique, tambor chico, tambor piano et un autre tambor chico.

Et les surfeurs ?

Ah oui, j’allais oublier. Mais vous avez sans doute deviné.
La femme noire, c’est la negrita de Canaro, le tambor chico qu’elle tient dans les mains, c’est le candombe et les surfeurs et l’exocet, c’est une partie d’une affiche de 1940 pour Hawaï.

Une affiche publicitaire pour Hawaï de la Pan American Airways.

Le surf à Hawaï semble être une très vieille activité, comme en témoigne James Cook en 1779.

Duke Kahanamoku en 1910.

À l’époque, les îles s’appelaient Îles Sandwich, nom qu’avait donné Cook en l’honneur de John Montagu de Sandwich, l’inventeur du sandwich. Attention, il ne faut pas les confondre avec les Îles Sandwich du Sud, revendiquées, comme les Îles Malouines, par l’Argentine…

Le dernier état des USA (Hawaï) dans l’hémisphère Nord et les Îles Sandwich du Sud, revendiquées par l’Argentine.

À bientôt les amis !

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale

Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco

En Italie, il y a une dizaine d’années, il y a eu un intérêt marqué pour notre tango du jour, (fantôme) par Roberto Firpo. Comme vous allez l’entendre, cette œuvre mérite en effet l’écoute par son originalité. Mais attention, il y a fantôme et fantôme et un fantôme peut en cacher un autre.

Extrait musical

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale.

Dès les premières notes, malgré le mode mineur employé, on note l’énergie dans la musique.
On peut donc s’imaginer que l’on parle d’un fantôme au sens de personne vaniteuse et présomptueuse, d’un fanfaron.
Écoutez donc le début avec cette idée. La partie A est tonique, en staccato. J’imagine tout à fait un fanfaron gambader dans les rues de Buenos Aires. À 28″ commence la partie B qui dévoile régulièrement un mode majeur, le fanfaron épanoui semble se réjouir, profiter de sa suffisance.
Lorsque la partie A revient, elle est jouée en legato mais toujours avec le rythme pressant et bien marqué qui pousse à danser de façon tonique. On notera la virtuosité de Juan Cambareri, le mage du bandonéon qui réalise un solo époustouflant.

Les musiciens du cuarteto « Los de Antes » de Roberto Firpo. De gauche à droite, Juan Cambareri (bandonéon), Fernando Porcelli (contrebasse), Roberto Firpo (piano) et José Fernández (violon).

Le ténor, Alberto Diale, intervient à 1:25 pour une intervention de moins de 30 secondes, ce qui n’est pas gênant, car il me semble qu’il n’apporte pas une plus-value extraordinaire à l’interprétation. Cependant, comme il énonce les paroles écrites par José Roberto De Prisco, on est bien obligé de comprendre que l’on ne parle plus d’un fanfaron, même si la dernière partie avec ses envolées venteuses peut faire penser à une baudruche qui se dégonfle.
Avec le sens des paroles, on peut imaginer que ce sont les fantômes que l’on chasse avec son allégresse, allégresse exprimée par les passages en mode majeur qui s’intercalent entre les passages en mode mineur.
Je suis sûr que vous imaginez les fantômes qui volètent dans tous les sens à l’écoute de la dernière partie. On se souvient que Firpo a écrit plusieurs titres avec des sons réalistes, comme El amanecer et ses oiseaux merveilleux, (le train rapide), (feu d’artifice) ou La carcajada (l’éclat de rire). Cette composition l’a donc certainement intéressé pour la possibilité d’imiter les fantômes volants. N’oublions pas que les musiciens avant les années 30 intervenaient beaucoup pour faire la musique dans les cinémas, les films étant muets, ils étaient virtuoses pour faire les bruitages.

Paroles de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Y si al verme, tú lo vieras,
Que te muerde la conciencia,
No los temas.
Los fantasmas de tu pena están en ti.

Yo soy vida, vida entera.
Que cantando su alegría,
Va siguiendo su camino,
De venturas. Que no dejan,
Que se acerquen los fantasmas terrorosos de otro ayer.
Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco

Traduction libre de Fantasma de Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Et si, quand tu me vois, tu le voyais qui te mord la conscience, ne les crains pas, les fantômes de ton chagrin sont en toi.
Je suis une vie, une vie entière.
Que chantant sa joie, il poursuit son chemin d’aventures. Qu’ils ne laissent pas s’approcher les fantômes terrifiants d’un autre hier.

Mario Maurano et José Roberto De Prisco

Quelques mots sur les auteurs, qui sont peu, voire très peu connus.

Mario Maurano (1905 à Rio de Janeiro, Brésil -1974)

Mario Maurano était pianiste, arrangeur, directeur d’orchestre et compositeur.

Il semble abonné aux fantômes, car il a écrit la musique du film Fantasmas en Buenos Aires dirigé par et qui est sorti le 8 juillet 1942. Peut-être qu’on lui a confié la composition de la musique du film à cause de notre tango du jour.
Cependant, l’ n’a rien à voir avec le tango et la musique du film, non plus. La présence de Discépolo, n’implique pas forcément que ce soit un film de tango… Vous pouvez voir le film ici… https://youtu.be/xtFdlXh4Vpc

L’affiche du film Fantasmas en Buenos Aires, dirigé par Enrique Discepolo et qui est sorti en 1942. Zulli Moreno est l’héroïne et prétendue fantôme. Pepa Arias, la victime d’une arnaque.

Parmi ses compositions, en plus de la musique de ce film, on peut citer :

  • • Canción de navidad (Chanson) (Mario Maurano Letra: Luis César Amadori)
  • • Cuatro campanadas (Mario Maurano Letra: – Manuel Juan García Ferrari)
  • • El embrujo de tu violín (Mario Maurano Letra: Armando Tagini – Armando José María Tagini)
  • • Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
  • • Por la señal de la cruz (Mario Maurano; Pedro Vescina Letra:Antonio Pomponio)
  • • Riendo (Alfredo Malerba; Mario Maurano; Rodolfo Sciammarella, musique et paroles)
  • • Un amor (Mario Maurano; Alfredo Antonio Malerba Letra: Luis Rubistein)
  • • Una vez en la vida (Valse) (Ricardo Malerba; Mario Maurano Letra: (Homero Nicolás Manzione Prestera)

José Roberto De Prisco

Je n’ai pas grand-chose à dire de l’auteur des paroles, si ce n’est qu’il a écrit les paroles ou composé la musique de quelques titres en plus de Fantasma.

  • • Che, no hay derecho (Arturo César Senez Letra: José de Prisco) – Enregistré par Firpo.
  • • Desamor (Alberto Gambino y Jose De Prisco)
  • • Fantasma (Mario Maurano Letra: José Roberto De Prisco)
  • • Negrito () (Alberto Soifer Letra: José De Prisco)
  • • Vacilación (Antonio Molina, José Roberto De Prisco Letra: )
Deux couvertures de partition d’œuvres de José De Prisco.

Autres versions

Notre tango du jour semble orphelin en ce qui concerne les enregistrements, mais il y a un autre fantôme qui rôde, composé par Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino – Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo (Ovidio Cátulo González Castillo).

Fantasma 1939-12-28 – Orquesta Roberto Firpo con Alberto Diale. C’est notre tango du jour.

Intéressons-nous maintenant au fantôme de Delfy et Cátulo Castillo.

Paroles de Fantasma de Cátulo Castillo

Regresa tu fantasma cada noche,
Tus ojos son los mismos y tu voz,
Tu voz que va rodando entre sus goznes
La vieja cantinela del adiós.
Qué pálida y qué triste resucita
Vestida de recuerdos, tu canción,
Se aferra a esta tristeza con que gritas
Llamando, en la distancia, al corazón.

Fantasma… de mi vida ya vacía
Por la gris melancolía…
Fantasma… de tu ausencia, sin remedio
En la copa de misterio…
Fantasma… de tu voz que es una sombra
Regresando sin cesar,
¡Cada noche, cada hora!
Tanta sed abrasadora…
A esta sed abrasadora… de olvidar.

Ya no tienes las pupilas bonitas
Se apagaron como una oración,
Tus manos, también ya marchitas
No guardaron mi canción.
Sombras que acompañan tu reproche
Me nublan, para siempre, el corazón…
Olvidos que se encienden en la noche
Agotan en alcohol, mi desesperación.

Enrique Delfino (Enrique Pedro Delfino – Delfy) avec des paroles de Cátulo Castillo – (Ovidio Cátulo González Castillo)

Traduction libre de la version de Cátulo Castillo

Ton fantôme revient chaque nuit, tes yeux sont les mêmes et ta voix, ta voix qui roule entre ses gonds (Les goznes sont les charnières, gonds… mais aussi des propositions énoncées sans justification, ce qui semble être l’acception à considérer ici), le vieux refrain d’au revoir.
Que de pâleur et tristesse ton chant ressuscite, vêtu de souvenirs, s’accrochant à cette tristesse avec laquelle tu cries, appelant au loin, le cœur.
Fantôme… de ma vie déjà vide par une mélancolie grise…
Fantôme… de ton absence, désespéré dans la coupe du mystère…
Fantôme… de ta voix, qui est une ombre qui revient sans cesse,
chaque soir, chaque heure !
Tant de soif brûlante…
À cette soif brûlante… d’oublier.
Déjà, tu n’as plus les pupilles jolies, elles se sont éteintes comme une prière.
Tes mains, également déjà desséchées, n’ont pas gardé ma chanson.
Les ombres qui accompagnent ton reproche embrument pour toujours le cœur…
Les oublis qui s’allument dans la nuit s’épuisent dans l’alcool, mon désespoir.

Ce thème de Delfy et Cátulo Castillo a été enregistré plusieurs fois et notamment dans les versions suivantes.

Fantasma 1944-10-24 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte.

L’interprétation semble en phase avec les paroles. Si c’est cohérent d’un point de vue stylistique, le résultat me semble moins adapté au bal que notre tango du jour.

Fantasma 1944-12-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Oscar Serpa.

Oscar Serpa n’est pas un chanteur pour la danse et il le confirme dans cet .

Fantasma 2013 – Orquesta Típica Sans Souci con Walter Chino Laborde.

L’orchestre Sans Souci s’est donné comme mission de perpétuer le style de Miguel Calo. Ce n’est donc pas un hasard si vous trouvez un air de famille entre les deux enregistrements.

Arthur le fantôme par Cezard

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta Francisco Lomuto

Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des circonstances dans la vie qui peuvent être tristes, voire désespérantes. Aimer de façon silencieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la situation décrite dans ce tango qui, au-delà des malheurs du narrateur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sentent pas du tout condamnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs partenaires.

Histoire de S.O.S.

Enrique Santos Discépolo a écrit ce tango en 1929 pour une pièce de théâtre. Il portait alors le titre de « En un cepo », que l’on pourrait interpréter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dollar est sous Cepo en Argentine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici comment Discepolo décrit son intention lorsqu’il a écrit ce titre.

Discepolo parle de son intention en écrivant ce tango.

« Comment j’ai écrit « Condena »

J’ai voulu dépeindre la situation d’un homme pauvre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambitionnant tout. J’ai voulu placer cet homme face au monde, regardant passer la vie qui passe, les plaisirs qui le troublent, et il se tord dans l’impuissance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en costume élimé, avec un visage déformé, avec une démarche craintive qui voit passer une femme enveloppée de soies bruissantes et qui se mord en pensant qu’elle appartiendra à n’importe qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’insolence et qui ne pourra jamais être pour lui.
Et j’ai ressenti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Luttant contre l’impuissance, l’envie et l’échec. Et cette douleur énorme et concentrée de l’homme enchaîné dans son triste destin, face au bonheur qui passe sans le toucher, c’est ce que j’ai voulu transmettre bien et profondément ; torturé, mais sans pleurer. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Discepolo ressort ce tango, sans nom particulier. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent donné par Canaro pour l’occasion sauva le projet de voyage de Discepolo et de sa compagne Tania et, lorsque Canaro demanda le titre du tango à Discepolo, celui-ci lui répondit qu’il pouvait mettre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été utilisé, comme dans le disque de Lomuto, car, l’achat de Canaro a sauvé Discepolo.
En revanche, en 1937, Canaro a utilisé le nom « Condena » et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Maida. On associe désormais les deux titres.
En 1937, toujours, Discepolo participe au film « Melodías Porteñas » où la chanteuse Amanda Lesdesma chante deux fois le titre, comme vous pourrez le voir et l’entendre dans cet article.

Extrait musical

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta Francisco Lomuto.
Disque Victor de Condena par Francisco Lomuto On remarque que le disque porte la mention S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Condena.

Les pas lourds de la condamnation démarrent le titre, suivi de passages legato en contraste.
À 32s commence la partie B avec les superbes bandonéons de Martín Darré, Américo Fígola, Luis Zinkes et Miguel Jurado qui venait de remplacer le frère de Francisco qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce passage, le rythme est marqué de façon très originale avec le premier temps un peu sourd et grave (contrebasse de Hamlet Greco et percussions de Desio Cilotta) et les trois suivants plus forts, exprimés notamment par les bandonéons en staccato.
Comme pour la première partie, le contraste des legatos termine cette partie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la partie A qui présente un passage piano, ce qui rompt la monotonie et qui semble annoncer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui apparaît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de violon enchanteur et particulièrement grave (utilisation d’un alto ?) magnifie l’interprétation. Il est réalisé par Leopoldo Schiffrin (Leo), qui avait intégré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le premier violon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui partait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le compositeur qui a notamment fait la musique du film de Carlos Saura « Tango ».
Le rythme à quatre temps avec le premier temps faible et grave est repris et donne une expression originale supplémentaire à ce passage.
La variation finale, permet de mettre en valeur les instruments à vent de l’orchestre.
Cette variation est annoncée par un long pont à la changeante de 2:02 à 2:10 où apparaissent le saxophone et la clarinette de Carmelo Aguila et Primo Staderi. Il est impossible de savoir qui jouait tel ou tel instrument lors de cet enregistrement, car les deux jouaient du saxo et de la clarinette.
À 2:28, on remarquera, après un trait de piano (Oscar Napolitano), une courte envolée de la clarinette qui précède les deux accords terminaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué destino brutal
me condena al horror
de este infierno en que estoy…
Castigao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fracaso de un ansia de amor.
Condenao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nunca serás,
nunca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siempre y morir.

He arrastrao llorando
la esperanza de olvidar,
enfangando mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podido
No, olvidar…
Hoy como ayer
ciego y brutal me abraso
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bestial
de este drama sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infernal…
Que me has dao tu amistad
y él me brinda su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hirió de este amor
que no puedo apagar?
¿Quién me empuja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra : Enrique Santos Discépolo

Traduction libre

Je voudrais savoir quel sort brutal me condamne à l’horreur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souffre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Condamné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos signifie tu es. Il est utilisé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que parler, ce soit ne plus te voir, c’est te perdre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleurant l’espoir d’oublier, en embrouillant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capable d’oublier…
Aujourd’hui, comme hier, aveugle et brutal, je brûle de te désirer.
Et le pire, le bestial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infernal…
Que tu m’as donné ton amitié et lui m’a donné sa foi, et que personne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas éteindre ?
Qui me pousse à tuer la raison comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?

Autres versions

Les versions de Canaro sont sans doute les plus diffusées, mais notre tango du jour prouve qu’il y a des alternatives, certaines pour la danse, d’autre pour l’écoute et certaines, pour l’oubli…

Condena (S.O.S.) 1934-11-16 – Orquesta Francisco Canaro.

On trouve des similitudes, comme souvent, entre la version de Lomuto et celle de Canaro. La clarinette est encore plus présente et brillante. Canaro a fait appel pour cet enregistrement à des musiciens de son ensemble de jazz.
La très originale variation de Lomuto n’existe pas dans cette version de Canaro et une certaine monotonie peut donc se dégager de cette version. Cela ne dérangera pas forcément les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des éléments qui a conduit Canaro à réenregistrer le titre en 1937, avec Roberto Maida.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Amanda Lesdesma chante deux fois Condena

Amanda Lesdesma chante deux fois Condena dans le film “Melodías Porteñas” réalisé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scénario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique Santos Discépolo.
Les rôles principaux sont tenus par Contreras, Enrique Santos Discépolo et Amanda Ledesma.
Un autre intérêt du film est que Enrique Santos Discépolo, auteur de la musique et des paroles est également acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Condena 1937 – Amanda Lesdesma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Montage des deux interprétations dans le film.
Condena (S.O.S.) 1937-11-05 – Amanda Lesdesma y su Trío Típico.

Une jolie version qui profite de son dans le film “Melodías Porteñas”.

Condena (S.O.S.) 1937-11-08 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida.

L’intervention de Maida casse la monotonie du titre. C’est à mon sens une meilleure version si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette version reste tout à fait tonique et incisive, un délice pour les danseurs qui marquent les pas ou qui aiment le canyengue.

Condena (S.O.S.) 1937-12-26 – Orquesta Francisco Lomuto. C’est notre tango du jour.
Condena (S.O.S.) 1937-12-29 – Tania acomp. de Orquesta Enrique Discépolo.

Un des intérêts de cet enregistrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa compagne.
L’introduction du violon marque que l’on entre dans un univers différent des versions de Canaro et Lomuto. C’est une version pour l’écoute et on aurait tort de se priver de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà rencontrée, cette chanteuse espagnole, car c’est elle qui a importé en Argentine « Fumando espero » avec le Conjunto .

Tania et Discepolo
Condena (S.O.S.) 1954 – con acomp. de Orquesta Juan Sánchez Gorio.

La voix de ténor de Héctor Mauré est un peu plus lourde dans cet enregistrement. C’est pour l’écoute et chanté avec sentiment.

Condena (S.O.S.) 1969 – Alberto Marino con orquesta.

J’ai évoqué des versions à oublier. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « surjouée »…

Condena (S.O.S.) 2013-11-30 – con .

Hyperion et l’ami Rubén font de belles versions pour la danse. On remarquera la fin, assez originale.

Condena (S.O.S.) 2015 – Sexteto con Guillermo Rozenthuler.

Une des spécialités du Sexteto Cristal est de ressortir les gros succès des encuentros milongueros. Cette copie de la version de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut convenir à certains danseurs qui apprécieront la meilleure qualité de l’enregistrement. En presque un siècle, de gros progrès ont été faits de ce côté…

Pour terminer, toujours avec le Sexteto Cristal, un enregistrement vidéo de Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47.

Condena durant le festival Tangoneón à Héraklion, Crète le 16 juillet 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sexteto Cristal pourront entendre le concert en entier…
À vous de danser et à bientôt les amis.

Misa criolla y Navidad nuestra – Ariel Ramírez, Los Fronterizos y la Cantoría de la Basílica del Socorro

Ariel Ramírez Letra:

N’ayant pas de tango enregistré un 25 décembre, je vous propose de nous intéresser à une des compositions les plus célèbres d’Argentine, la Misa criolla.
On parle de Misa criolla, mais en le faisant on risque d’occulter la face B du disque qui comporte une autre composition d’Ariel Ramírez et Felix Luna, Navidad nuestra. C’est cette œuvre qui est de circonstance en ce 25 décembre 2024, 60 ans après sa création.
Ce fut mon premier disque, offert par ma marraine, j’ai donc une affection particulière pour ces deux œuvres.

Misa criolla et Navidad nuestra – Extraits musicaux

Ariel Ramírez s’est inspiré de rythmes traditionnels de son pays (mais pas que) pour composer les cinq œuvres qui composent la Misa criolla (Face A) et les six qui constituent Navidad nuestra (Face B).
J’ai ajouté quelques éléments sonores en illustration. Ils ne sont pas précédés de la lettre A ou B qui sont réservées aux faces A et B du disque d’origine.

À gauche, le disque sorti en Argentine en 1965. cette couverture restera la même pour les éditions argentines ultérieures. Au centre, une édition française. Elle utilise l’illustration de la première édition (1964) et qui a été éditée en Nouvelle-Zélande. Mon disque portait cette illustration et pas celle de l’édition argentine, postérieure d’un an.

Misa criolla

A1: Misa Criolla – Kyrie – Vidala-Baguala La vidala et la baguala sont deux expressions chantées du Nord-Ouest de l’Argentine accompagnées d’une caja.
Une caja qui accompagne le chant de la Videla et de la baguala.
Baguala Con mi caja cantar quiro.

On reconnaît la caja qui est frappée sur un rythme ternaire, mais seulement sur deux des trois temps, créant ainsi un temps de silence dans la percussion.
Cela donne une dimension majestueuse à la musique. Ariel Ramírez utilise ce rythme de façon partielle. On l’entend par exemple dans le premier chœur, dans les silences du chant.

A2: Misa Criolla – Gloria – Carnavalito-Yaravi.

Pour créer un thème en contraste, Ariel Ramírez utilise deux rythmes différents, également du Nord-Ouest. Le carnavalito allègre et enjoué et le yaravi, plus calme, très calme, fait de longues phrases. Le yaravi est triste, car utilisé dans les rites funéraires. Il s’oppose donc au carnavalito, qui est une danse de groupe festive. Vous reconnaîtrez facilement les deux rythmes à l’écoute.

A3: Misa Criolla – Credo – Trunca.

Vous reconnaîtrez facilement le rythme de la chacarera. Ici, une chacarera simple à 8 compases. Même si elle est trunca, vous pourriez la danser, la trunca est juste une différenciation d’accentuation des temps. Ariel Ramírez, cependant, ne respecte pas la pause intermédiaire, il préfère donner une continuité à l’œuvre.

A4: Misa Criolla – Sanctus – Carnaval Cochabambino.

Encore un rythme correspondant à une danse festive, même si Ariel Ramírez y intercale des passages d’inspiration plus religieuse. On notera que cette forme de carnaval n’est pas argentine, mais bolivienne.

A5: Misa Criolla – Agnus Dei – Estilo Pampeano.

Le Estilo n’est pas exactement un rythme particulier, car il mélange plusieurs genres. C’est une expression de la pampa argentine. Après le motif du départ en introduction, on remarque une inspiration du Yaravi. Le clavecin d’Ariel Ramírez apporte une légèreté dans les transitions.

Navidad nuestra

Commence ici la face B et une autre œuvre, consacrée à la naissance de Jésus, de l’annonciation à la fuite en Égypte.

B1: Navidad Nuestra – La Anunciación – Chamame.

Le chamame, cette danse joyeuse et festive, jouée à l’accordéon, est typique de la province de . Certains danseurs européens s’évertuent à danser en

Partition de La Anunciación, premier thème de la Navidad nuestra.
– Renato Borghetti. Oui, c’est un chamamé, pas une milonga…
B2: Navidad Nuestra – La Peregrinación – .

La huella est une danse associant des tours, des voltes et des zapateos, ce qui rappellera un peu la chacarera ou le gato.
La Peregrinación raconte la quête par Jose et Maria (Joseph et Marie) d’un endroit pour la naissance de Jésus. Ils sont dans la pampa gelée, au milieu des chardons et orties. Je vous donne en prime la merveilleuse version de la Negra (Mercedes Sosa).

La Peregrinación – Mercedes Sosa.
B3: Navidad Nuestra – El Nacimiento – Vidala Catamarquena.

On retrouve le rythme calme de la vidala pour annoncer la naissance.
Je vous propose les paroles ci-dessous.

B4: Navidad Nuestra – Los Pastores – Chaya Riojana.

Là, il ne s’agit pas d’une musique traditionnelle, mais d’une fête qui a lieu à la Rioja. La Chaya est une belle Indienne qui tombe amoureuse d’un jeune homme coureur de jupons. Celui-ci ignore la belle qui ira s’exiler dans les montagnes. Pris de remords, il décide de la retrouver et, finalement, il rentre à la Rioja, se saoule et brûle vif dans un poêle. Tous les ans, la fête célèbre l’extinction du jeune homme en feu avec les larmes de Chaya.
Aujourd’hui, cette ancienne fête est plutôt un festival de folklore où se succèdent différents orchestres.

B5: Navidad Nuestra – Los Reyes Magos – Takirari.

Le Takirari est une danse bolivienne qui a des parentés avec le carnavalito. Les danseurs sautent, se donnent le coude et tournent en ronde. C’est donc une musique joyeuse et vive.

B6: Navidad Nuestra – La Huida – .

Encore une vidala qui imprime son rythme triste. On sent les pas lourds de l’âne qui mène Marie et Jésus en Égypte. La musique se termine par un decrescendo qui pourrait simuler l’éloignement de la fuite.

Voilà, ici se termine notre tour de la Misa criolla et de la Navida nuestra. On voit que, contrairement à ce qui est généralement affirmé, seuls quelques rythmes du folklore argentin sont présentés et que deux thèmes sont d’inspiration bolivienne.

À propos des paroles

En Argentine, qui n’est pas un pays laïque, la religion est importante. Je devrais dire les religions, car, si le catholicisme des Espagnols est important, il me semble que les évangélistes sont bien plus présents si on en juge par le nombre d’églises évangélistes. Les autres religions monothéistes sont également bien représentées dans ce pays qui a accueilli en masse les juifs chassés d’Europe et les nazis. Cette œuvre a d’ailleurs été écrite à la suite du témoignage de deux sœurs allemandes rencontrées à Würzburg et qui lui ont conté les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.
On note aussi en Argentine diverses religions, ou plutôt cultes, comme celui du Gauchito Gil, de Difunta Correa ou tout simplement de footballeurs comme Maradona.
Les paroles de Felix Luna ont été écrites à partir de textes liturgiques révisés par Antonio Osvaldo Catena, Alejandro Mayol et Jesús Gabriel Segade, trois prêtres, dont le dernier était aussi le directeur de la Cantoria de la Basílica del Socorro qui a enregistré la première version avec Ariel Ramírez.
À ce sujet, ce chœur, le deuxième plus ancien d’Argentine, est en péril à la suite de la perte de son financement. La culture n’est plus à la mode en Argentine. Leur dernier concert a eu lieu il y a une dizaine de jours pour les 60 ans de la Misa criolla. Ils recherchent un sponsor. Si vous avez des pistes, vous pouvez écrire à panella.giovanni85@gmail.com.

La troupe de la Missa criolla a fait une tournée en Europe en 1967. L’affiche du dernier concert de la Cantoria de la Basílica del Socorro pour les 60 ans de l’œuvre.

Paroles (Navidad Nuestra – El Nacimiento – Vidala Catamarquena)

Noche anunciada, noche de amor
Dios ha nacido, pétalo y flor
Todo es silencio y serenidad
Paz a los hombres, es Navidad

En el pesebre mi Redentor
Es mensajero de paz y amor
Cuando sonríe se hace la luz
Y en sus bracitos crece una cruz

(Ángeles canten sobre el portal)
Dios ha nacido, es Navidad

Esta es la noche que prometió
Dios a los hombres y ya llegó
Es Nochebuena, no hay que dormir
Dios ha nacido, Dios está aquí
Ariel Ramírez Letra: Felix Luna

libre de Navidad Nuestra – El Nacimiento – Vidala Catamarquena

Nuit annoncée, nuit d’amour.
Dieu est né, pétale et fleur.
Tout n’est que silence et sérénité.
Paix aux hommes, c’est Noël
Dans la crèche, mon Rédempteur est un messager de paix et d’amour.
Quand il sourit, il y a de la lumière et une croix pousse dans ses bras.
(Les anges chantent au-dessus de la porte), Dieu est né, c’est Noël
C’est la nuit que Dieu a promise aux hommes et elle est déjà arrivée.
C’est la veille de Noël, il ne faut pas dormir, Dieu est né, Dieu est là.

À propos de la première version de la Misa criolla et de Navidad nuestra

Il y a de très nombreuses versions de la Misa criolla et de Navidad nuestra. Je vous propose uniquement de mieux connaître la version initiale, celle qui a été enregistrée en 1964.

L’orchestre

Ariel Ramírez: Direction générale, piano et clavecin.
Jaime Torres: charango.
Luis Amaya, Juancito el Peregrino et José Medina: guitare criolla.
Raúl Barboza: accordéon pour le chamame «La anunciación».
Alfredo Remus: contrebasse
Domingo Cura: percussions.
Chango Farías Gómez: bombo et accessoires de percussion.

Les chanteurs

Les quatre chanteurs de (Gerardo López, Eduardo Madeo, César Isella et Juan Carlos Moreno): chanteurs solistes.
Cantoría de la Basílica del Socorro: chœur
Jesús Gabriel Segade: directeur de la Cantoría.

De gauche à droite. La Negra (Mercedes Sosa, qui a beaucoup travaillé avec Ariel Ramírez), Felix Luna (auteur des paroles) et Ariel Ramírez (compositeur) au piano et en portrait à droite.

À bientôt les amis. Je vous souhaite de joyeuses fêtes et un monde de paix où tous les humains pourront chanter et danser pour oublier leurs tristesses et exprimer leurs joies.

PS : Gérard Cardonnet a fait le commentaire suivant et je trouve cela très intéressant :

« Excellent, Bernardo. Mais s’agissant de messe, quand on parle de compositeurs argentins, comment ne pas citer la « Misa a Buenos Aires », dite Misatango, de Martin Palmeri. https://www.choeurdesabbesses.fr/…/la-misatango-de…/ »
Voilà, maintenant, c’est écrit.

Et comme de bien entendu, j’en rajoute une petite couche avec la réponse :

« Gérard, comme tu l’as remarqué, c’était plutôt Navidad nuestra qui était d’actualité, Noël étant lié à la naissance. J’ai d’ailleurs mis en avant El nacimiento en en mentionnant les paroles.
Pour ce qui est de la Misatango, elle fait clairement référence à Piazzolla. Mon propos était de changer l’éclairage sur l’Argentine pour parler des musiques traditionnelles. C’est promis, un de ces jours je mettrais les pieds dans le Piazzolla.
La Misatango est une œuvre superbe. Tu la cites avec beaucoup de raison.
J’aurais aussi pu parler de tangos de saison avec quelques titres qui évoquent les fêtes de fin d’année comme :
Pour Noël
Nochebuena
Bendita nochebuena
Feliz nochebuena
El vals de nochebuena
Navidad
Feliz Navidad
Navidad de los morenos
Candombe en Navidad
Pour le Jour de l’an

Pour les Rois mages (6 janvier)
Noche de reyes
Un regalo de reyes
6 de enero (6 janvier, jour des Rois mages).
Papa Baltasar »

Sin un adiós 1931-12-24 – Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez

Letra:

Je ne veux pas vous faire passer un amer Noël, mais, curieusement, les tangos enregistrés le 24 décembre ne sont pas d’une grande gaieté. J’ai choisi un des moins désespérants, que Donato et Ibáñez enregistrèrent la veille de Noël 1931.

Extrait musical

Sin un adiós 1931-12-24 – Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.

Ce titre est assez original à cause du solo de piano de son frère, Osvaldo. Le jeu est un peu jazzy. Vous pouvez l’entendre à partir de 35 secondes. C’est la partie B.
À 1’10 » la reprise de la partie A est presque un soulagement de retrouver une orchestration plus habituelle, pour les danseurs.
La reprise de la partie B sera effectuée par Teófilo Ibáñez, qui restera accompagné par tout l’orchestre, marquant le rythme.
Je reviens sur ce surprenant solo de piano. Est-ce que Edgardo a voulu faire une fleur à son frère en cette veille de Noël ? Seize ans plus tard, Osvaldo créera son propre orchestre en embarquant les musiciens de son frère, dont il avait quitté le poste de pianiste l’année précédente. Osvaldo (pianiste) et Ascanio (violoncelliste) sont plus discrets que leur frère Edgardo (violoniste). Ce solo de piano permet de mettre Osvaldo en lumière, une trentaine de secondes.

Paroles

Errante voy sin fe y sin esperanza
Buscando alivio a mi dolor
Con su visión se pierde en lontananza
Y muerta está, en mi alma, la ilusión.

Ya no volveré a verla más, ni alcanzan
Todas mis cuitas y mi pasión
Se marchó y llorando su tardanza
Aún está mi pobre corazón.
J. Navarrete Letra: Francisco Antonio Lío

Traduction libre

Errant, je vais sans foi et sans espoir, cherchant un soulagement à ma douleur.
Avec sa vision qui se perd dans le lointain et morte est dans mon âme, l’illusion (sentiment amoureux).
Je ne la reverrai jamais, et tous mes désirs et ma passion n’y arriveront pas.
Elle est partie et pleurant son retard, toujours est mon pauvre cœur.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre version de ce thème, même si le titre a été utilisé à de très nombreuses reprises, en tango et dans d’autres rythmes, mais ce sont des créations d’autres auteurs.
Je vous propose donc un parcours musical autour des titres enregistrés par Donato et dans lesquels il y a le mot « adiós« .

1936-10-07 – Orquesta Edgardo Donato con .

Sur le disque, il est indiqué que c’est un . Je n’en suis pas totalement convaincu. Quoi qu’il en soit, Horacio Lagos chante le refrain composé et écrit par Rafael Hernández en l’honneur de Gardel, mort en 1935.

1929-09-19 – Orquesta .

Les amateurs de vieux tangos apprécient l’association de Edgardo Donato et Roberto Zerrillo. Comme c’est Noël, je leur offre cet enregistrement…

1938-04-02 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos.

Je n’étais pas très enthousiaste avec les autres titres proposés, mais là, on est devant un chef-d’œuvre. Alors, quoi de mieux pour vous dire à bientôt, les amis, et Joyeux Noël !

Sin un adiós. Petit délire de saison (même s’il fait trente degrés à ). Espérons que le Père Noël retrouvera sa Mère Noël et qu’il vous déposera plein de cadeaux mérités au pied de votre arbolito de navidad.

Tehuana 1939-12-23 – Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati

Depuis quelques années, les valses de l’orchestre Típica Victor ont les faveurs des danseurs, notamment en Europe. Il faut dire qu’elles sont magnifiques et que, comme tous les enregistrements de cet orchestre, elles sont destinées à la danse. Vous vous demandez peut-être ce que vient faire dans la couverture d’un article sur une argentine, vous aurez la réponse 😉

Extrait musical

Tehuana 1939-12-23 – Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.

La superbe introduction nous invite à découvrir un air en do mineur. Enfin, en l’absence de la partition, il est difficile de savoir quelle est la , car si la version la plus courante est en Do# mineur et dure 3’03 », ma version qui est en Do mineur dure 3’15 ».
La tonalité plus grave est causée par une rotation moins rapide du disque. Ou plutôt, ce sont, à mon avis, les versions courantes qui sont plus rapides et à mon goût trop rapide.
J’ai fait la demande de la partition auprès du CENEDIM (Centro Nacional de Investigación, Documentación e Información Musical Carlos Chávez), je mettrai à jour si j’ai une réponse positive.
Cette tendance à accélérer la musique pour la rendre plus brillante n’est pas gênante en soi et en milonga, il m’arrive très souvent de changer la vitesse pour adapter le titre au besoin du moment en milonga. Par exemple, si je vois que les danseurs ont envie de danser sur un rythme rapide, je peux légèrement accélérer la valse et arriver à la durée de la version de 3’03 » éditée par Le Club de tango dans son CD Orquesta Típica Victor Vol. 21 (1939-1941).
Cette version n’est pas d’une qualité optimale et je pense donc préférable d’utiliser un enregistrement depuis le disque original 38862 (78 tours) édité par la Victor (on s’en doute, vu que c’est son orchestre). Sur ce disque, la face B comporte un paso doble Amoríos composé par Alex Schneider, ce qui permet de rappeler la polyvalence des orchestres et la plus grande diversité des danses pratiquées dans les bals de l’époque.
Après cette (très) longue digression, revenons à notre valse.
La première partie, tout comme l’introduction, est en mode mineur.
À 43″ on remarque le pont qui permet d’assurer la transition avec la seconde partie, qui, elle, est en majoritairement mode majeur, tout au moins à partir d’une minute.
Le fait que le titre soit sans partie chantée (Alfonso Esparza Oteo avait écrit des paroles) peut donner une impression de monotonie, cependant, les jolis ornements du bandonéon, notamment dans la seconde partie (à partir de 2’11 ») font qu’on se laisse porter, un peu en transe, sans avoir l’impression de danser la même chose. Le final ralentit le rythme, pour que les danseurs puissent sortir de l’hypnose, sans danger.

Que vient faire Frida Kahlo dans cette  ?

Frida Kahlo (peintre et modèle), à gauche et 2 femmes, à droite, en costume de Tehuana.

Comme vous le savez, Frida Kahlo est une peintre mexicaine avec une vie singulière, voire semi-tragique. Elle était d’origine Tehuana, une province du sud du Mexique. Elle s’est représentée avec ce costume traditionnel et notamment El resplandor, la coiffe que portent également les deux femmes sur la photo de droite. On remarquera sur son front le terrible , dont elle venait de divorcer (1940), mais qui reste dans ses pensées.

Frida Kahlo devant son autoportrait terminé (donc après 1943) et à droite, un médaillon où elle porte le resplandor (1948).

Tehuana, le nom de notre valse du jour vient donc du Mexique. Alfonso Esparza Oteo, le compositeur et l’auteur des paroles, est également Mexicain.
Cette valse aurait pu rester purement mexicaine si Freddy Scorticati et la Típica Victor ne l’avaient pas enregistrée. Il se peut aussi que d’autres orchestres argentins l’aient jouée sans l’enregistrer.
La Tehuana n’étant probablement pas Frida Kahlo, j’ai essayé diverses pistes pour l’identifier. Ce n’est pas sa femme, qu’il a rencontrée en 1925 et épousée en 1926, car celle-ci était originaire de Arandas (Jalisco) et donc pas de la région de l’Isthme de Tehuantepec.

À gauche Blanca Torres Portillo à 17 ans, un an avant de rencontrer Alfonso Esparza Oteo. À droite, les jeunes époux en 1926. Blanca a 17 ans et Alfonso, 32. Ils auront 9 enfants.

Tehuana date de la décennie suivant son mariage et comme il était heureux en ménage, contrairement à Frida, il est peu probable que le titre suggère une liaison de cette époque.

Peut-être qu’ une des quatre femmes qui entourent Alfonso et Blanca, sa femme a inspiré Tehuana. Mais sans la tenue traditionnelle, c’est impossible à vérifier 😉

Si on consulte son catalogue, certaines femmes sont évoquées et il se peut donc que Tehuana soit une ancienne compagne, ou tout simplement un thème qui chante son pays, comme beaucoup de ses compositions.

Autres versions

Alfonso Esparza Oteo a composé environ 150 œuvres. Quelques-unes sont sorties du domaine de la musique mexicaine pour intégrer le répertoire argentin. C’est le cas de notre valse du jour et de quelques autres que je vous propose d’écouter.

Tehuana 1939-12-23 – Orquesta Típica Victor dirigé par Freddy Scorticati.

C’est notre valse du jour et bien qu’elle soit magnifique, elle ne semble pas avoir inspiré d’autres orchestres.

Carta de amor (Alfonso Esparza Oteo letra: Gustavo Ruiz Hoyos)

Carta de amor 1930-06-03 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo.
Carta de amor 1930-06-13 – Charlo con acomp. de Francisco Canaro.

Cette version enregistrée seulement 10 jours après la première, par les mêmes, est une habitude chez Canaro. Il enregistre une version pour le bal et une version pour l’écoute.

Ce titre est un des gros succès, de Alfonso Esparza Oteo comme en témoignent divers enregistrements en tango, mais aussi sous d’autres formes…

Partition de Dime que sí (Alfonso Esparza Oteo, letra: Alfonso Espriu Herrera)
Dime que sí 1938-11-04 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Un rythme enjoué et entraînant. La voix de Jorge Omar, s’inscrit parfaitement dans le rythme. Je trouve que c’est une belle réalisation qui devrait pouvoir intéresser les danseurs, même si cette version est peu connue. Remarquez son final un peu théâtral, digne de la bande sonore d’un film…

Dime que sí 1938-11-29 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.

Dime que sí 1938-11-29 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor. Canaro enregistre un autre titre de Alfonso Esparza Oteo. Contrairement à Lomuto, Canaro a choisi un tempo très lent. Je ne suis pas convaincu que ce soit parfait pour le bal et la voix de Francisco Amor, ne me semble pas au mieux. Il y a tant de valses plus efficaces, qu’il ne me semble pas utile de prendre des risques avec cette version.

Dime que sí 1938-12-30 – Juan Arvizu con orquesta.

Juan Arvizu est également d’origine mexicaine, ce qui l’a sans doute incité à enregistrer cette valse écrite par son compatriote. Il a également enregistré la Zandunga, cette valse traditionnelle originaire de Tehuantepec (tout comme Canaro). Pour parler de cette interprétation, elle ne manque pas d’enthousiasme mais est peut-être un peu trop brouillonne pour les danseurs.

Dime que sí 1939-08-14 (Avant) – Pedro Vargas con orquesta de .

Un enregistrement réalisé à Mexico, sans doute au début de 1939 (imprécision sur la date à cause d’une erreur dans les registres de la Victor). Le ténor Pedro Vargas est également Mexicain.
Il réenregistrera le titre 39 ans plus tard, toujours à Mexico…

Dime Que Sí (en vivo) 1978 · Pedro Vargas con Orquesta Sinfónica del Estado de México. Concierto en vivo en el Palacio de Bellas Artes – 50 Aniversario 1928 -1978 – Arrangements de Pocho Pérez
Dime que sí 2024 – Mariachi Imperial Azteca – Orquesta Sinfónica de Aguascalientes.

Aguascalientes est la ville de Alfonso Esparza Oteo. On s’est bien éloigné de la valse argentine. L’action de mémoire de sa ville natale n’est sans doute pas étrangère à la permanence du succès des œuvres de ce compositeur qui était en train de jouer une de ses œuvres, « Limoncito », quand José de León Tora, un caricaturiste, s’est approché du général Álvaro Obregón, président du Mexique qu’il a abattu de nombreuses balles de pistolet.
Alfonso et son orchestre ont continué de jouer l’œuvre, sans se rendre compte de ce qui s’était passé, ou, s’ils s’en sont rendu compte, ils sont restés drôlement professionnels…

La ville mexicaine de Aguascalientes (eaux chaudes) est fière de son compositeur et divers monuments le célèbrent dans la ville et une rue porte son nom.

Pour terminer cette petite série, une curiosité, une version par un orchestre symphonique avec un joli duo, soprano et ténor.
En fait, ce n’est pas si rare, cette valse est souvent jouée en concert de musique classique et notamment sous forme piano plus chant.

Dime que sí 2014-11-15 – Verónica De Larrea (soprano) y , Orchestre symphonique de l’Université Frédéric Chopin de Varsovie.

À bientôt, les amis, en espérant que les problèmes d’attaque du site de cette semaine ne vont pas se reproduire.

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Julio Carrasco

de Julio Carrasco est l’élément central d’une trilogie de trois tangos. Flor de tango (1945), De floreo (1950) et (1954). De floreo peut avoir différentes significations allant d’un bavardage inutile ou léger, par exemple, un piropo (compliment à une femme que l’on cherche à conquérir) à une danse parfaitement maîtrisée. Pour ma part, j’ai choisi une autre acception, celle du musicien épanoui qui domine son instrument. Il n’est qu’à écouter le solo de violon de Enrique Camerano pour se conforter dans cette idée.

Extrait musical

De floreo. Partition, Disque Odeon 30610B (matrice 17601), pochette et disque vinyle 4334 de EMI. De floreo est le sixième et dernier titre de la face A, mais aussi le nom de l’album, ce qui témoigne de son .
De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Les bandonéons lancent un rythme très marqué, lié par quelques glissandos des violons. Puis à 0 h 35 les violons prennent le dessus dans le staccato avec de légers motifs de piano de Pugliese.
Comme il est habituel à cette époque pour Pugliese, l’œuvre est construite par des touches successives en legato et staccato. Cette organisation semble indiquer aux quoi faire. Encore faut-il que les danseurs soient attentifs aux changements d’expression, car une écoute trop légère ferait manquer les transitions et danser à contrecourant. C’est ce qui peut rendre certains titres de Pugliese si passionnants, mais parfois difficiles à danser. Contrairement à ce qui est généralement exprimé, je ne pense pas que Pugliese soit à réserver aux excellents danseurs.
Certains y voient une musique romantique et tranquille, à danser avec une personne de cœur. D’autres se déchaînent dans des envolées incompréhensibles, pensant révolutionner l’art de la danse et laisser un public ébloui à la limite de l’évanouissement devant tant de génie.
Entre ces deux extrêmes, il y a les danseurs qui écoutent la musique et qui savent adapter leur danse aux évolutions de la musique, tout en respectant les autres danseurs.
Il n’y a donc pas besoin d’être un excellent danseur, seulement un excellent auditeur.
Bien sûr, ceux qui peuvent être les deux existent, mais dans un beau bal, avec des danseurs qui dansent en musique, il y a une vibration particulière sur la piste durant les tandas de Pugliese.
À 1:40 commence le passage que l’on ne peut pas louper et danser mal, le sublime solo de violon de Enrique Camerano qui se dilue ensuite dans les accords nerveux des bandonéons, puis des autres instruments.
Le thème du solo de violon ressurgit ensuite jusqu’au final et l’interprétation se termine par les deux accords traditionnels chez beaucoup d’orchestres, dont celui de Pugliese.

Détail du revers de la pochette du disque 33 tours De floreo édité par EMI sous le numéro 4334.

Autres versions

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.
De floreo 2004 – de Roberto Álvarez.

On retrouvera bien sûr des accents de Pugliese dans cette version de Color Tango. Son créateur, Roberto Álvarez, était l’un des arrangeurs de Pugliese (même si dans son orchestre, la plupart des musiciens étaient aussi arrangeurs). J’en profite pour rappeler qu’il y a eu deux et même trois orchestres Color Tango, tous héritiers de Pugliese. L’orchestre originel « Color Tango » créé par Roberto Álvarez (bandonéoniste de Pugliese), Amílcar Tolosa (violoniste de Pugliese) et Fernando Rodríguez (contrebassiste de Pugliese).
À la suite d’un désaccord, l’orchestre se scinda en deux parties égales et Roberto Álvarez et Amílcar Tolosa dirigèrent chacun un orchestre « Color Tango ». Comme les deux orchestres avaient les mêmes droits à porter ce nom, ce fut un peu compliqué, mais un accord a été trouvé et les deux orchestres ont coexisté avec le nom de leur directeur accolé. et Color Tango de Amílcar Tolosa.
À ce sujet, une petite remarque. Les orchestres ne restent pas tous immuables et au fil du temps, des musiciens sont remplacés. Aujourd’hui, la situation est encore plus marquée. Les orchestres voyageant à travers le monde, ils ont souvent recours à des musiciens différents suivant les lieux de la tournée ou suivant les engagements déjà pris avec un autre orchestre par un instrumentiste. La séparation de l’orchestre avec le même nom n’est donc pas si surprenante, mais c’est bien que le nom les différencie, même si la plupart des éditions restent vagues sur le sujet. Un Color Tango peut en cacher un autre.

Voici une version en vidéo par Martin Klett & Ensemble.

De floreo 2019c – Martin Klett & Ensemble

La trilogie de Julio Carrasco

Comme indiqué ci-dessus, De floreo fait partie d’une trilogie composée par Julio Carrasco.
Voici les trois titres à l’écoute. Je pense qu’il est intéressant de noter l’évolution et les similitudes sur la décennie de cette trilogie.

Flor de tango 1945-08-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

La musique est sans doute un peu trop déstructurée pour les danseurs d’aujourd’hui. L’alternance des légatos et staccatos, par exemple, peut surprendre. On est dans l’héritage de De Caro, cet orchestre qu’admirait Pugliese. Cela rend donc l’œuvre plus difficile à danser pour les danseurs contemporains qui sont moins habitués à l’improvisation, car dansant sur des enregistrements connus par cœur.
À l’âge d’or, les danseurs découvraient « en direct » les nouveautés et ils devaient donc être plus attentifs à la musique.
En résumé, je ne passerai ce titre en qu’avec des danseurs bien familiarisés avec cette façon de danser, d’autant plus que le mode mineur adopté peut donner une pincée de tristesse qui pourrait s’ajouter aux hésitations provoquées par les surprises (richesses) de la musique et faire que le moment ne soit pas aussi agréable que possible.
On notera toutefois la beauté de la musique avec le beau solo de violon à 1:30 et la variation virtuose des bandonéons en final.

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est notre tango du jour.

Pour rester dans la dansabilité. On remarquera que la présence d’un rythme bien marqué au début inspire la confiance des danseurs. Les phrases musicales sont plus claires et les transitions de danse plus faciles à prévoir. Certains motifs peuvent susciter de belles improvisations ou a minima des fioritures élégantes, permettant ainsi de danser de floreo…
Et le solo de violon devrait faire fondre les danseurs à coup sûr et donc participer au succès de la danse.

Mi lamento 1954-03-17 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Mi lamento démarre avec une rythmique appuyée qui sécurise les danseurs, mais, par la suite, on retrouve des éléments d’insécurité, comme avec Flor de tango dont il partage la de Fa # mineur. Certains passages comme à 1:35, sans doute un peu trop calmes, peuvent enlever un peu d’énergie aux danseurs. Cela n’empêche pas de le passer, mais il convient de bien juger de l’atmosphère du bal pour le passer à bon escient en étant prêt à relancer la machine si l’on sent que les danseurs ne suivent pas cette proposition.

Comme dans les deux œuvres précédentes, on retrouve le solo de violon à 1:50. Après tout Julio Carrasco et il est donc logique qu’il mette en valeur son instrument. Là encore, c’est Enrique Camerano qui interprète en sa qualité de premier violon le solo qui sera évoqué jusqu’à la fin, comme pour De floreo et contrairement à Flor de tango, où il est effacé par les bandonéons à la fin.
La réputation de Julio Carrasco aurait pu lui ouvrir la carrière de premier violon dans l’orchestre de Pugliese, mais celui-ci a décliné l’invitation lors du départ de l’orchestre de Enrique Camerano.
Cette évolution va donc d’une musique très decaréenne (de De Caro) a une musique au rythme plus appuyé, plus facile à danser. Les solos de violons sont tous les trois intéressants, mais celui de De floreo a sans doute ma préférence et comme il est sur le titre le plus dansable des trois, je passerai De floreo en priorité.

Et s’il fallait faire une tanda avec De floreo

Je propose cet exercice qui consiste à faire une tanda de Pugliese un peu moins consensuelle. Dans une milonga courte, je ne m’y risquerai sans doute pas et je resterai avec la vingtaine de titres validés par les danseurs. Mais admettons que je sois en présence de danseurs curieux, n’ayant pas peur de se mettre en « danger ».
Dans cette tanda, je ne passerai probablement pas deux des titres de la trilogie, sauf si je vois que l’accueil est très bon et seulement pour des tandas de quatre titres et pas de trois comme cela se fait de plus en plus (difficile de passer un de ces titres en premier et en dernier, il en faut donc a minima un avant et un après).
Pour donner un peu de variété à la tanda en gardant un esprit un peu decaréen, je pourrais proposer.

1) 1948-07-14 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Une composition de De Caro, assez connue et qui peut donc rassurer en premier thème.

2) De floreo en deuxième, car pas suffisamment connu pour bien faire lever les danseurs. Ce titre servira d’aiguillage. Si je vois qu’il est parfaitement adopté, je pourrai envisager de passer Mi lamento en 3e titre. Si je sens que c’est passable, sans plus, je reviendrais à un peu plus facile avec, par exemple :

3) Bien milonga 1951-07-31 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pas trop difficile à danser et avec un beau solo de violon pour rester dans l’esprit de De floreo.

4) La cachila 1952-11-24 – Orquesta Osvaldo Pugliese.

Avec des passages très « yumba ». Ce titre très connu, plus facile à danser, pourrait terminer la tanda.

Si je vois qu’il faut raccrocher les wagons, je pourrais passer à en troisième titre de la tanda, qui est plus rassurant pour les danseurs et qui comporte de magnifiques solos de bandonéon et de violoncelle.

3) alternative selon la réception de De floreo. Canaro en París 1949-11-28 – Orquesta Osvaldo Pugliese

Le 4e titre pourra être un titre « phare de Pugliese », même si cela nuit un peu à l’harmonie de la tanda. Sinon, La Cachila pourra faire l’affaire.

Si je vois que Boedo ne passe pas très bien (tous les danseurs ne sont pas sur la piste), j’activerai l’aiguillage plus tôt et je basculerai vers les grands standards, en ne passant donc pas De floreo et autres.
Passer une tanda de Pugliese avec des titres peu connus donne des sueurs froides au DJ. Pour cette raison, il est indispensable, lorsque l’on ne connaît pas le public, d’être prêt à tout changer à la volée et c’est un bon exemple de l’impossibilité de faire des playlists à l’avance, sauf si on est DJ résident et que l’on passe la musique toutes les semaines dans le même lieu, car, dans ce cas, on apprivoise les danseurs en formant leur goût. C’est d’ailleurs une responsabilité du DJ résident, car à routiner les danseurs sur un style de musique, on risque de les éloigner de la communauté tanguera. Par exemple, dans certaines milongas, le DJ résident met beaucoup de tango alternatif ou des titres peu typiques. Les danseurs s’y habituent et ont ensuite du mal à aller dans des milongas « normales ». Ouvrir les oreilles et les horizons, c’est bien, mais il ne faut pas oublier le cœur du tango.
À bientôt les amis !

De floreo 1950-03-29 – Orquesta Osvaldo Pugliese – L’écoute des tourbillons de musique qui entrent dans les oreilles.

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos

Ricardo Tanturi Letra: Enrique Cadícamo

On disait de Aníbal Troilo qu’il savait faire pleurer son bandonéon, mais ce caractère est souvent attribué à cet instrument, bien qu’il dispose d’un répertoire d’interprétation bien plus vaste qui va de la colère la plus noire à la joie la plus légère. Cette partition de Tanturi avec des paroles de Cadícamo explore le côté triste de l’instrument, ce que sait rendre avec une rare émotion, Enrique Campos au chant. Un magnifique tango, sans doute trop méconnu.
La vedette de cette anecdote sera le bandonéon et ses sentiments.

Extrait musical

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos.

Le mode de sol mineur annonce la tristesse du morceau. Il continuera durant toute l’œuvre, sans passage en mode majeur, ce qui donne mieux l’idée de l’oppression subie par le narrateur.
L’orchestre de Tanturi, à l’époque de cet enregistrement, comportait quatre bandonéonistes : Francisco Ferraro, Raúl Iglesias, Héctor Gondre et Juan Saettone.

Paroles

Ven a bailar, que quiero hablarte,
aparte de tus amigas.
Quiero que escuches mi fracaso
y que en mis brazos el tango sigas.
Después de un año vuelvo a hallarte
y al verte me pongo triste,
porque esta noche he de contarte
que por perderte sufro de amor.

Quien sufre por amor
comprende este dolor,
este dolor que nos embarga.
Quien sufre por amor
comprenderá el dolor
que viene a herir
como una daga.
Te tuve y te perdí
y yo qué soy sin ti.
Quien sufre por amor
comprenderá mejor
por qué solloza el bandoneón.

Con su gemir de corazones
los bandoneones lloran su pena,
igual que yo sollozan ellos,
porque en sus notas hay amores
y por amores hoy sufro yo.
Ricardo Tanturi Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre et indications

Viens danser, je veux te parler, à part de tes amis.
Je veux que tu entendes mon échec et que, dans mes bras, tu continues .
Au bout d’un an, je te retrouve, et, quand je te vois, je suis triste, car ce soir, je dois te dire que de t’avoir perdue, je souffre d’amour.
Celui qui souffre par amour comprend cette douleur, cette douleur qui nous submerge.
Celui qui souffre par amour comprendra la douleur qui vient blesser comme un poignard.
Je t’avais et je t’ai perdue et moi, que suis-je sans toi.
Celui qui souffre par amour comprendra mieux pourquoi le bandonéon sanglote.
Avec leurs gémissements de cœur, les bandonéons pleurent leur chagrin, comme moi, ils sanglotent, parce que, dans leurs notes il y a des amours et, pour les amours, aujourd’hui je souffre.

Bandonéons sentimentaux

Il est intéressant de voir que parmi les instruments du tango, c’est le bandonéon qui se partage la vedette en ce qui concerne les titres où il est présent. Voici quelques statistiques pour le tango (pas ou ).
Le piano, cet instrument majeur, n’est cité que dans une dizaine de titres.
Le violon, cet autre instrument essentiel n’atteint qu’à peine le double du piano.
La guitare, instrument des premiers temps, héritier des payadores, fait à peine mieux que le violon.
Le bandonéon se taille la part du tigre (hommage au Tigre du bandonéon, Eduardo Arolas). J’ai recensé plus de 80 titres mentionnant son nom (bandó, bandoneón, fuelle ou fueye). J’aurais pu rajouter des milongas et des poèmes à sa gloire, mais avec les titres que j’ai oubliés, on pourrait bien atteindre les 100, soit 10 fois plus que pour le piano…
Si on entre dans le détail des paroles, la suprématie du bandonéon est encore plus forte, mais contentons-nous de lister les titres où le bandonéon est mentionné.

  • A la sombra del fueye
  • A mi hermano fueyero
  • A seguirla bandoneón
  • Alegre bandoneón
  • Alma del bandoneón
  • Aníbal Bandoneón (Aníbal Troilo en symbiose avec son instrument)
  • Arrullos de bandoneón
  • Bandó (composé et interprété par au bandonéon)
  • Bandoneón (au moins 4 tangos différents portent ce nom)
  • Bandoneón amigo
  • Bandoneón arrabalero
  • Bandoneón cadenero
  • Bandoneón campañero
  • Bandoneón de fuego
  • Bandoneón de mi ciudad
  • Bandoneón de mis amores
  • Bandoneón fuiste testigo
  • Bandoneón, guitarra y bajo (petite apparition de la contrebasse, dans un trio de Piazzolla, un autre géant du bandonéon)
  • Bandoneón milonguero (composé par le bandonéoniste Ernesto Baffa)
  • Buénas noches che bandonéon (par le bandonéoniste Juan José Mosalini)
  • Bandoneón…para vos
  • Bandoneón, por qué llorás? (une référence explicite aux pleurs du bandonéon)
  • Bandoneón solo (du bandonéoniste Rodolfo Nerone)
  • Bandoneón trasnochado (du bandonéoniste Alberto San Miguel)
  • Calla bandoneón (Carlos Lazzari et Oscar Rubens pour les paroles demandent au bandonéon de se taire, à cause de sa tristesse).
  • Candencia de Bandoneón de Astor Piazzolla (c’est un solo de bandonéon exécuté par son auteur, Mauricio Jost, un des bandonéonistes du Sexteto Milonguero)
  • Che bandoneón (por el bandoneón mayor de Buenos Aires, Aníbal Troilo)
  • Compañero bandoneón
  • Con letra de bandoneón
  • Concerto para bandoneón y orquesta (Piazzolla)
  • Concierto Para Bandoneón (encore Piazzolla)
  • Cuando llora el bandoneón
  • Cuando talla un bandoneón (un titre d’un fameux bandonéoniste, Armando Pontier)
  • La danza del fueye (du bandonéoniste Raúl Miguel Garello, un titre jeu de mot évoquant la composition de Manuel de Falla, La danza del fuego ?)
  • De mi bandoneón (par le bandonéoniste )
  • Este bandoneón (d’Ernesto Rossi, encore un bandonéoniste)
  • Este bandoneón sentimental
  • Firuletear de bandoneón
  • Fuelle azul (par le bandonéoniste Domingo Federico)
  • Fuelle querido
  • Fueye…! (Fuelle)
  • Fueye amigo (Fuelle amigo)
  • Fueye querido
  • El hombre del bandoneón
  • Igual que un bandoneón (interprété par les mêmes que notre tango du jour et également en mode mineur intégral, ré mineur. On pourrait être tenté d’en faire une tanda. Pour ma part j’évite de composer les tandas avec des titres un peu trop tristes à la suite).
  • Más allá bandoneón (composé par deux bandonéonistes Ernesto Baffa et Raúl Miguel Garello, on n’est jamais si bien servi que par soi-même)
  • Mientras quede un solo fuelle (Mientras quede un solo fueye)
  • Mi bandoneon y yo (Crecimos juntos) (de Rubén Juárez, chanteur et… bandonéoniste)
  • Mi fuelle rezonga
  • Mi loco bandoneón (par Piazzolla…)
  • Mi viejo bandoneón
  • Mientras gime el bandoneón (encore une fois, Enrique Cadícamo, l’auteur des paroles du tango d’aujourd’hui, fait résonner la tristesse du bandonéon. Dans ce tango, il est également le compositeur).
  • No la llores bandoneón (Deux des compositeurs sont bandonéonistes Jorge Caldara et Alberto Caracciolo. Víctor Lamanna est plutôt parolier, mais le titre est signé des trois, que ce soit pour les paroles et la musique).
  • Mientras rezonga un fuelle
  • Mistongo bandoneón (dans les paroles, El fueye revient au début des vers du couplet :
  • Fuelle… que viniste de tan lejos. / Fuelle… que te hiciste tan, tan nuestro. / Fuelle… santo, endiablado y siniestro, / vos que haces dormir al cielo / abrazado del infierno. / Fuelle… vos… mistongo bandoneón.
  • Música de bandoneón
  • Nocturnal bandoneón
  • Notas de bandoneón (avec Cadícamo aux paroles…)
  • Nuestro bandoneón
  • Pa’ que te oigan bandoneón
  • Pamentos del bandoneón
  • Perdoname fuelle querido
  • Perfume de bandoneón (de Luis Stazo, un autre grand du bandonéon)
  • le canta a su bandoneón (En hommage, bien sûr à Pichuco, Aníbal Troilo)
  • Quejas de bandoneón (le gros de Juan De Dios Filiberto qui reprend le thème de la plainte du bandonéon)
  • Se lo conté al bandoneón
  • Sollozo de bandoneón (notre tango du jour)
  • Solo de bandoneón (musique et paroles de Cadícamo qui a décidément un faible pour cet instrument)
  • Son cosas del bandoneón (Enrique Rodríguez, l’auteur était également bandonéoniste…)
  • Suite Punta del Este for Bandoneón Solo, Instrumental Ensemble and String Orchestra: Coral (encore un truc de Piazzolla mettant en valeur le bandonéon, donc, lui…)
  • Susurro de bandoneón (, encore un fameux bandonéoniste, associé à D’Arienzo, mais qui parle ici de murmure, chose qu’il ne devait pas souvent avoir l’occasion de faire avec El Rey del compás).
  • Te llamaremos bandoneón
  • Tocá el bandoneón, Pedrito! (encore un titre composé par le bandonéoniste Raúl Miguel Garello)
  • Tres movimientos concertantes para bandoneón y orquesta (Daniel Binelli, le compositeur était également… Oui, vous avez trouvé ! Bandonéoniste).
  • Un sueño bandoneón (une autre composition du bandonéoniste Domingo Federico)
  • Un fueye en París (Leopoldo Federico, cet attachant bandonéoniste et chef d’orchestre a composé ce titre).
  • La voz del bandoneón (La voix du bandonéon) (par José Lucchesi qui était accordéoniste. Un clin d’œil au cousin, donc).
  • Yo soy el bandoneón (De Piazzolla)
  • Yo te adoro bandoneón

Autres versions

Comme il n’était pas question de vous présenter la centaine de titres mentionnant le bandonéon, je vous propose de terminer avec le seul enregistrement de ce titre, notre tango du jour.

Sollozo de bandoneón 1943-12-16 – Orquesta Ricardo Tanturi con Enrique Campos. C’est notre tango du jour.

Bonus

Un groupe Facebook sur le bandonéon. J’ai utilisé leur photo de page pour mon de couverture.
Le livre de Gabriel Merlino, Una Arqueología del bandoneón
La version papier est à commander à charlas.concierto@gmail.com.
Les versions électroniques se trouvent ici.
à Gérard Cardonnet, de m’avoir fait penser à signaler ce livre.
À bientôt les amis !

Un bandoneón (fueye, fuelle).

Adiós, Coco 1972-12-14 – Orquesta Juan D’Arienzo

Carlos Ángel Lázzari

Adiós, Coco est un au revoir, ou plutôt un adieu à Rafael D’Agostino, le neveu de Ángel D’Agostino qui était pianiste, compositeur, auteur et journaliste spécialisé dans les spectacles (notamment au journal La Razón à l’Editorial Anahi et à Radio Colonia). Par son oncle et ses activités, il était membre de la grande famille du tango et sa mort tragique dans un accident de la route a secoué la communauté, comme en témoigne ce tango composé par Lázzari, bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre de D’Arienzo et l’enregistrement par l’orchestre de ce dernier, un mois seulement, après la mort de Coco. Maintenant, il me reste à vous expliquer pourquoi un dinosaure conduit une voiture…

Extrait musical

Adiós, Coco 1972-12-14 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Adiós, Coco s’inscrit dans la lignée des tangos tardifs enregistrés par D’Arienzo. La puissance est énorme. Les violons virtuoses et les longs breaks rendent ce style reconnaissable immédiatement. Le piano de Juan Polito est en ponctuation permanente et bien sûr, les bandonéons (instrument du compositeur, Carlos Ángel Lázzari) et la contrebasse assurent la base rythmique que reprennent les autres instruments.
Dans cette version, quelques solos de violons font taire le martellement du rythme, une pointe de romantisme en l’honneur de Coco.
Cet orchestre tardif de D’Arienzo, le dernier de sa carrière était composé de la façon suivante :
Carlos Lázzari (bandonéoniste et arrangeur de l’orchestre. C’est lui qui reprendra la direction à la mort de D’Arienzo et qui enregistrera des titres du même type de dynamisme avec las solistas de D’Arienzo (les solistes de D’Arienzo, orchestre créé en 1973 avec l’autorisation de D’Arienzo). Voyons donc ces autres solistes :
, et Aldo Junnissi (bandonéonistes de D’Arienzo, comme Lázzari de 1950 à 1975).

Juan D’Arienzo dans une attitude typique, anime ses bandonénistes. De gauche à droite, Enrique Alessio, Carlos Lázzari, celui de droite me semble être Aldo Junnissi plus que Felipe Ricciardi, mais je ne garantis rien… Les quatre bandonéonistes de D’Arienzo sont restés les mêmes de 1950 à 1975. Cette photo semble dater de la décennie précédente, probablement les années 60.

Juan Polito (pianiste de l’orchestre de D’Arienzo en 1929, 1938-1939, 1957-1975)
Cayetano Puglisi, Blas Pensato, Jaime Ferrer et Clemente Arnaiz (violonistes de D’Arienzo depuis 1940. Cette longévité explique la merveille des violons de D’Arienzo qui était lui-même violoniste).
(contre-bassiste de D’Arienzo depuis 1950).

, mais je pense intéressant de présenter les chanteurs de l’époque :
Osvaldo Ramos (ténor). C’est le père de Pablo Ramos qui dirige l’orchestre Los Herederos del Compás que vous pourrez entendre et voir dans ce titre en fin d’article.
Alberto Echagüe et (barytons)
Mercedes Serrano (mezzo-soprano).

Rafael D’Agostino (Coco)

Son oncle, Ángel D’Agostino, est bien plus connu et j’ai eu à diverses reprises l’honneur de présenter certaines de ses interprétations. Je vous propose un petit éclairage sur le neveu, Coco, objet de cet hommage.
L’histoire commence entre Juan D’Arienzo et Ángel D’Agostino, les D’ du tango. D’Arienzo violoniste et D’Agostino pianiste sont amis depuis l’adolescence.
Lorsqu’en 1928 naquit Rafael, ce dernier est entré dans le cercle d’amitié des deux hommes qui l’ont accompagné dans son entrée dans la carrière musicale.
Malgré ses capacités de pianiste, Rafael s’est dirigé vers le journalisme, notamment de spectacle. Il fut utilisateur dans ses chroniques de surnoms pour les artistes. Cette mode a été initiée par Felix Laiño, le sous-directeur du journal La Razón. Coco s’est expliqué sur cette coutume, par exemple en parlant de Tita Merello :

« Nadie puede negar que Tita Merello es lastimera; todos los días se queja de su miseria, sus años y su mala suerte, Estos apodos nacen de sus propios defectos y virtudes. »

(Personne ne peut nier que Tita Merello est pitoyable ; chaque jour elle se plaint de sa misère, de son âge et de sa malchance. Ces surnoms naissent de leurs propres défauts et vertus.)

On attribue un certain nombre d’œuvres à Coco :
Pasión milonguera
Vida bohemia
(avec Ricardo García)
Paica alegre
Mis flores negras
(Pas le passillo colombiano arrangé en valse que chanta Gardel)
Noches de Cabaret
(pas celui d’Héctor Varela avec Rodolfo Lesica)
Mi covacha

On voit que ces œuvres sont peu connues et celles qui le sont portent le nom d’autres auteurs. Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin. On lui attribue également El Plesiosauro. Voyons un peu de ce côté…

El Plesiosauro

Ce sympathique animal marin, un dinosaure, aime faire des farces. En Écosse, il s’appelle Nessi et hante le Loch Ness. En Argentine, on l’appelle par son nom scientifique, El Plesiosauro, mais il porte aussi le nom de , car il serait apparu au Lac Nahuel Huapi (Bariloche) ou à un autre lac bien plus au sud, el lago Epuyén.
Contrairement à son cousin d’Écosse, ce dernier s’est offert le luxe d’écrire une lettre que publia le journal La Nación, en mars 1922, dont voici les termes :
“El objetivo de mi carta es persuadirlos de que me dejen en paz, ya que soy un monstruo discreto y desinteresado”
« L’objet de ma lettre est de vous persuader de me laisser en paix, car je suis un monstre discret et désintéressé. »
Je pense que vous commencez à penser à un canular, voici l’histoire :
La première mention de cet animal date de 1910 et c’est la publication en 1922 de cette « vision » par George Garret qui donna l’idée à un Nord Américain nommé d’annoncer la présence de cet animal.
Cela arriva aux oreilles du Docteur Clemente Onelli, directeur du Zoo de Buenos Aires, qui aurait bien aimé le mettre dans ses collections. Il envoya des fonds à Martín Sheffield et organisa une expédition.
À son arrivée, Martín Sheffield avait disparu avec l’argent et vous vous en doutez, la quête de El Nahuelito s’est avérée vaine, malgré les descriptions qu’en ont faites les prétendus témoins.
La bête aurait un long cou, la taille d’une et serait carnivore. Certains scientifiques y voyaient la description d’un plésiosaure, d’où le nom le plus courant à l’époque et d’autres d’un ichtyosaure. Des photos auraient été réalisées, mais où sont-elles ?

L’affaire du Plésiosaure à Bariloche. De gauche à droite. Martin Shieffeld, l’aventurier d’Amérique du Nord. Il a quitté les lieux avec l’argent et n’a pas fait partie de l’expédition. Docteur Clemente Onelli, le directeur du Zoo et organisateur de l’expédition. Sur la photo centrale : Alberto Merkle, un taxidermiste allemand qui aurait pu conserver El Nahuelito si ses collègues l’avaient abattu comme prévu. Emilio Frey, un , ami de Clemente Onelli qui est à droite de lui sur la photo centrale Santiago Andueza et José Cinaghi, les chasseurs. La photo de droite représente une reconstitution du Plésiosaure à Bariloche.

Le Plésiosaure a suscité des passions, des rires et plusieurs musiques ont exploité le filon.
Parmi celles-ci, la partition attribuée à Rafael D’Agostino.

La partition attribuée à Rafael D’Agostino du Plesiosauro. Elle serait de 1922. On remarque la dédicace à Clemente Onelli, le Directeur de l’expédition, et à un Manuel Garcia que je n’ai pas identifié. Est-il de la famille de Ricardo García avec qui il a composé Vida Bohémia ?

Tous les auteurs qui parlent de ce tango mentionnent sans hésitation Coco, Rafael D’Agostino comme le compositeur du Plesiosauro.
Le fait qui m’intrigue est que la partition serait datée de 1922, ce qui est logique vu que c’est l’époque des faits. Ce qui est moins logique, c’est que Rafael D’Agostino est né en 1928 (il avait 40 ans en 1968 selon une interview, et 44 à a sa mort en 1972). Un prodige comme Mozart peut écrire une œuvre à six ans, mais pas six ans avant sa naissance…
Il faut donc soit considérer que la partition n’est pas de 1922, soit que c’est d’un autre Rafael D’Agostino.
Le fait que Coco soit un plaisantin pourrait laisser penser qu’il aurait réalisé un faux. Dans le sens de cette hypothèse, je mettrai la réalisation assez sommaire de la couverture de la partition.
Ce qui ne fait pas de doute, c’est l’expédition à Bariloche de Onelli, les documents sont suffisamment précis sur la question et ce scientifique n’aurait pas mis en jeu sa réputation pour un canular.
Le fait qu’il soit cité sur la partition est un peu plus étonnant. En effet, comme il est rentré bredouille, il est peu probable qu’il ait apprécié l’attention. Avoir un tango dédicacé à son nom et qui rappelle un échec n’est sans doute pas des plus réjouissant. Cela me conforte dans l’idée du faux que j’attribuerai à Rafael D’Agostino, un drôle de coco (« drôle de coco » en français peut signifier un farceur, quelqu’un d’un peu original).
Son comparse, l’auteur des paroles, serait Amílcar Morbidelli, un « poète » dont on n’a pas vraiment de traces. Est-ce aussi un élément de la blague ? Nous verrons que les paroles peuvent renforcer cette impression.
L’orchestre Sciammarella tango a produit la seule version enregistrée de cette œuvre.

El Plesiosauro 2023 – Sciammarella tango.

Sciammarella aurait retrouvé la partition et exécuté l’œuvre. Est-ce une composition originale de cet orchestre ou réellement une œuvre écrite en 1922, ou un canular tardif de Coco ?
Le site très sérieux et extrêmement bien documenté Todo Tango cite l’œuvre, donne Rafael D’Agostino comme compositeur et Amílcar Morbidelli comme auteur des paroles.
https://www.todotango.com/musica/tema/6341/El-plesiosauro/
Cet élément peut faire pencher la balance du côté de l’œuvre authentique, dont voici les paroles.

Paroles de El Plesiosauro

Yo soy un pobre animal buscado
por los ingratos y sin conciencia.
Porque soy raro y también lo soy curioso
(según dice la gente allí).

Dejemen solo aquí, gozando
en la soledad de este lago
¿Qué es lo que haréis con sacarme si es en vano
llevarme vivo de este lugar ?

¿No saben los señores
que esto no es coger flores?
Pretenden aquí cazarme y llevar
como si nada fuera.

¡Maldito! No me nombres.
Nada te debo Onelli.
Deja que yo viva con igual prerrogativas
como tú vives allí.
Rafael D’Agostino Letra: Amílcar Morbidelli

Traduction libre et indications

Je suis un pauvre animal recherché par les ingrats et sans conscience.
Parce que je suis bizarre et que je suis aussi curieux (selon ce que disent les gens de là-bas).
Laissez-moi seul ici, profitant de la solitude de ce lac
Que ferez-vous de me sortir, si c’est en vain que vous voulez m’enlever vivant d’ici ? (Les membres de l’expédition sont armés et deux chasseurs y participent. La présence d’une grande seringue dans l’équipement est parfois mentionnée, mais mise en doute. Ils pensaient tuer le « monstre » et l’empailler « d’où la présence d’un empailleur dans l’expédition.
Ces messieurs ne savent-ils pas qu’il ne s’agit pas de cueillir des fleurs ?
Ils ont l’intention de me traquer et de m’emmener comme si de rien n’était.
Maudit ! Ne me nommez pas.
Je ne te dois rien, Onelli.
Laissez-moi, que je vive avec les mêmes prérogatives que vous là-bas.

On voit que l’auteur a pris la parole pour el Nahuelito. À moins que ce soit lui, puisqu’il avait déjà publié une lettre dans le journal La Nación.
On remarquera que, si la couverture dédicace l’œuvre à Onelli, le texte n’est pas du tout à sa gloire. Cela me fait encore hésiter. Un auteur aurait-il dédicacé un tango où il traite de maudit son dédicataire ? Cela me semble bien étrange.
Si on tient compte que le Plésiosaure est un dinosaure qui vit dans l’eau, on pourrait penser à un poisson d’avril, coutume qui consiste à raconter un truc incroyable que l’on retrouve dans quelques pays d’Europe et dans le Monde, mais pas en Argentine.
On pourrait aussi voir dans cette histoire un rappel de la colonisation… Ces Indiens et gauchos que l’on a déplacés et massacrés sans ménagement pour conquérir leur territoire.

Autres versions de Adiós, Coco

Adiós, Coco 1972-12-14 – Orquesta Juan D’Arienzo. C’est notre tango du jour.

Du fait qu’il s’agit d’un tango tardif, il n’a pas eu le temps d’entrer dans le répertoire des orchestres. Une exception toutefois, Los Herederos del Compás, l’orchestre animé par Pablo Ramos, le fils de l’ancien chanteur de D’Arienzo, Osvaldo Ramos, et qui travaille ardemment à entretenir le souvenir de son père et de la Orquesta Del Rey del Compás.
Cet orchestre joue régulièrement le thème, et je l’ai donc écouté par eux à diverses reprises avec des évolutions intéressantes.

2021 – Pablo Ramos & Los Herederos del Compás. C’est la version du disque “Que siga el encuentro de 2021”.

Mais je pense que vous serez content de voir l’une de leurs prestations. C’était l’an passé, le 8 avril 2023, à la huitième édition du festival de La Plata.

Adiós Coco 2023-04-08 – Pablo Ramos & Los Herederos del Compás, en La Plata Baila Tango (8va edición).

Avec cette vidéo, je pense que l’on peut dire Adiós Coco, au revoir, les amis. Soyez prudent sur les routes, un dinosaure pourrait traverser sans crier gare !

Sentir del corazón 1940-12-13 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Romeo Gavio

Benito R. Atella (musique et paroles)

Ceux qui me connaissent comme DJ, savent que, quand les le peuvent, j’aime passer des milongas dynamiques et joueuses. est l’une de ces milongas qui peuvent faire naître des sourires aux lèvres. Pourtant, l’ qu’elle conte n’est pas si allègre.

Extrait musical

Sentir del 1940-12-13 – Orquesta Edgardo Donato con y Romeo Gavio.

Donato a aimé avoir des duos, voire des trios de chanteurs. Cette milonga exploite parfaitement le Duo Lagos et Gavioli. L’ensemble est mené avec allégresse jusqu’au final qui se termine de façon ferme, presque abrupte, ajoutant au plaisir des danseurs qui peuvent la savourer jusqu’à la dernière note.

Paroles

Milonga de mi Argentina
de aquel tiempo colonial
Desnuda está la divina
musiquita de arrabal

Y que en las noches de farra
más de un
también volcó en su guitarra
tu canción sentimental.

Si fuiste por tus compases
Milonga sentimental
Trenzáronse grandes ases
de mi típico arrabal
Burlonita y compadrona
el paisano en su canción
Entona con voz dulzona
el sentir del corazón
Benito R. Atella

Traduction libre des paroles

Milonga de mon Argentine, de cette époque coloniale. Nue est la divine petite musique des faubourgs.
Et que, dans les soirs de fête, plus d’un fédéral a également versé dans sa guitare, ta chanson sentimentale.
Si tu fus par tes rythmes, milonga sentimentale, tressant les grands as de mon faubourg typique, moqueuse et compagnonne, le paysan dans sa chanson, entonne de sa voix douce, le sentiment du cœur.

Autres versions

Petite moisson pour cette belle milonga. La version de Donato qui est celle du jour et deux enregistrements par , l’Uruguayen.

Sentir del corazón 1940-12-13 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Romeo Gavio. C’est notre milonga du jour.
El sentir del corazón 1960 – Miguel Villasboas y su Quinteto Bravo del 900.

Cette version instrumentale est sympathique, mais peut-être un peu trop calme pour les amateurs de milonga, ou pas, car elle comporte des petites subtilités qui peuvent donner matière à jeu. On notera que son titre a été complété par le déterminant « El » (Le).

El sentir del corazón 1998 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Une autre version instrumentale de Villasboas (avec également le El au début du titre), un peu plus tranquille que celle de Donato et qui peut être servie aux danseurs.

Vous avez donc le choix de trois versions avec des caractères légèrement différents, mais toutes sont acceptables, au moins dans certaines milongas où il y a des danseurs de milongas.

Gauchos federales y gauchos matreros

L’indication du temps colonial et la mention du gaucho federal, évoquent l’histoire de (livres de ). Ce gaucho enrôlé de force dans la guerre de conquête contre les Indiens (gaucho federal) et qui, méprisé par les militaires, finit par déserter et se transformer en gaucho matrero (hors-la-loi), lorsqu’il se rend compte que son ranch et sa famille ne sont plus.
Il se rend chez les Indiens et revient en territoire colonisé (La vuelta de Martin Fierro).

Auguste Monvoisin. Un Gaucho federal, un des « soldats » de Rosas pour sa campagne de colonisation contre les Indiens 1842.

Le gaucho federal était tout le jour à cheval, même si cette peinture de Raymond Auguste Monvoisin, un peintre français, le montre plutôt à la mode orientaliste. Sans le mate, on pourrait penser que la scène se passe en Afrique du Nord…
Il porte la chemise de laine rouge, habituelle chez ces soldats.

Gabriel Biessy. La mort du gaucho Matrero de Gabriel Biessy 1886.

Les gauchos rebelles sont chassés par les autorités et certains terminent mal, comme, Juan Moreira. La peinture de Gabriel Biessy, un autre peintre français, dévoile la mort d’un des autres gauchos hors-la-loi.
Ces gauchos, même si leurs mœurs étaient assez rudes n’étaient pas à proprement parler des brigands, mais des cavaliers arrachés à leur ranch pour aller en guerre et qui se sont rebellé contre ce qu’on leur faisait faire. Martin Fierro, le gaucho emblématique de l’œuvre de José Hernández est devenu un symbole de la construction de l’Argentine qui s’est construite en supprimant ceux qui l’occupaient avant, les peuples premiers (Indiens) et les gauchos, qui auraient volontiers continué de vivre de la même façon sans être obligés d’aller tuer des Indiens.
Pardon, les amis, d’avoir mis un peu de tristesse. La prochaine fois que vous danserez cette milonga, peut-être offrirez-vous un peu de vos pensées à tous ces êtres détruits par les guerres.
À bientôt !

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Letra: Mario Soto.

Ceux qui ont traversé les provinces de Entre-Rios et ont sans doute remarqué au bord des nationales 12 et 14 les nombreuses pancartes annonçant que l’on pouvait trouver du « yacaré » à l’escabèche. Le yacaré est le nom du crocodile local et l’escabèche (esacabeche) est la sauce qui accommode ce saurien et dont sont friands les entrerianos et corientinos. Mais, notre ne vante pas un plat typique, ni même l’animal du même nom. Il nous parle d’un jockey fameux, Elías Antúnez, surnommé El Yacaré, car il est justement originaire de Corrientes.

Elías Antúnez, El Yacaré.

Chevaux et tango

De nombreux tangos font référence aux courses de chevaux.
Carlos Gardel fut l’un des promoteurs du genre, par exemple en chantant Leguisamo solo, Por una cabeza.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite à consulter l’excellent Todo Tango sur le sujet

L’hippodrome de Palermo.

Extrait musical

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta con .

Aujourd’hui, pas de partition, mais les accords pour les guitaristes sur .net :

Paroles

Es domingo, Palermo resplandece de sol,
cada pingo en la arena llevará una ilusión.
En las cintas los puros alineados están
y a la voz de “¡!” da salida un afán.
En el medio del lote, conteniendo su acción,
hay un jockey que aguarda con serena atención,
ya se apresta a la carga… griterío infernal.
Emoción que desborda en un bravo final.

¡Arriba viejo Yacaré!
Explota el grito atronador.
Todos castigan con rigor,
pero no hay nada que hacer,
en el disco ya está Antúnez.
Sabés sacar un perdedor,
ganar un Premio Nacional…
Muñeca brava y al final
el tope del marcador
siempre es tu meta triunfal.

Un artista en las riendas, con coraje de león,
tenés toda la clase que consagra a un campeón.
Dominando la pista con certera visual
el camino del disco vos sabés encontrar.
Las tribunas admiran tu pericia y tesón
y se rinde a tu arte con intensa emoción.
Se enronquecen gargantas en un loco estallar,
cuando a taco y a lonja empezás a cargar.
Alfredo Attadía Letra: Mario Soto

libre des paroles

C’est dimanche, Palermo resplendit de soleil, chaque cheval (pingo) sur le sable (de la piste) portera un espoir.
Sur les bandes, les cigares sont alignés et la voix de « ¡Largaron ! » (on entend dans Largaron de Carlos Cubría et Juan Navarro connue par l’ de De Angelis, la cloche et le « largaron » qui annoncent le départ des chevaux) laisse place à l’empressement.
Au milieu du peloton, contenant son action, il y a un jockey qui attend avec une attention sereine, déjà, il se prépare à la charge… brouhaha infernal.
Une émotion qui déborde dans un bravo final (ou un final vaillant).
Courage, le vieux Yacaré !
Le cri tonitruant explose.
Tous cravachent vigoureusement (punissent), mais il n’y a rien à faire, Antúnez (El Yacaré) est déjà au poste d’arrivée.
Tu sais faire sortir un perdant, qu’il gagne un Prix national…
Muñeca brava (poignet vaillant, mais une Muñeca brava est aussi une femme, comme dans le tango de Enrique Cadícamo) et, à la fin, le haut du tableau de résultat est toujours ton but, triomphal.
Un artiste aux rênes, avec le courage d’un lion, vous avez toute la classe qui consacre un champion.
Dominant la piste avec une vision précise, tu sais trouver le chemin du poste d’arrivée.
Les tribunes admirent ton savoir-faire et ta ténacité et rendent à ton art avec une émotion intense.
Les gorges s’enrouent dans une explosion folle, lorsque vous commencez à charger avec les talons et la cravache.

Autres versions

El Yacaré 1941-12-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.
El Yacaré 1951 – Alfredo Attadía con Armando Moreno.

Dix ans après D’Agostino et Vargas, Attadía donne sa version de sa composition. On notera toutefois qu’il est difficile de détacher cet enregistrement de celui des deux anges. Cette proximité peut se comprendre. Attadía a composé un certain nombre des succès de D’Agostino et notamment, composé en commun avec D’Agostino. Le résultat est agréable à écouter et même dansable.

Armando Moreno et Alfredo Attadía (El Bandoneón de Oro).
El Yacaré 2009 – Sexteto Milonguero con Javier Di Ciriaco.

On regrette la disparition de cet orchestre qui valait surtout par la voix et les interprétations extraordinaires de Javier Di Ciriaco. Une version dans le style de cet orchestre, plutôt intéressante et dansable.

À bientôt les amis !

Rancho alegre 1941-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro (Corrido)

(Música y letra).

Les bals « tango » de l’âge d’or comportaient du tango, sous ses trois formes, mais aussi du « jazz » et d’autres danses, plus ou moins traditionnelles. Notre musique du jour est Argentine (voire uruguayenne si on se réfère aux origines de Canaro), mais le rythme (un corrido), les paroles et l’inspiration sont mexicains.

J’utilise parfois ce titre pour « chauffer » la salle avant la . Le corrido se danse en principe en couple, c’est une forme qui rappelle la polka, mais aussi le pasodoble. Les Argentins le dansent surtout en marche, tout comme ils font avec le pasodoble, d’ailleurs…

Extrait musical

1941-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con y coro.
Partition et couvertures de Rancho alegre de Felipe Bermejo Araujo. On notera la présence de partitions brésiliennes. Le corrido est bien sorti du et pas seulement pour les pays hispanophones, comme l’Argentine.

Le rancho alegre (ranch joyeux) est vraiment joyeux et je suis sûr que cette musique vous donne envie de bouger.

Paroles

Y soy del mero Rancho Alegre (Yo soy charro mexicano)
Un ranchero de verdad, compadre
Jálese, pariente
Pa’ la gente del rancho, pa’ la gente de pueblo

Soy del mero Rancho Alegre
Un ranchero de verdad
Que trabaja
De labriero, mayordomo y caporal

Mi querencia es este rancho
Donde vivo tan feliz
Escondido entre montaña
De color azul anís

Rancho Alegre
Mi nidito
Mi nidito perfumado y de jasmín
Donde guardo
Mi amorcito
Que tiene ojos de lucero y capulín

En mi rancho
Tengo todo
Animales, agua y sol
Y una tierra brillante y buena
Que trabajo con ardor

Cuando acabo mis labores
Ya que se ha metido el sol
A la luz de las estrellas
Canto alegre mi canción

Rancho Alegre
Mi nidito
Mi nidito perfumado y de jasmín
Donde guardo
Mi amorcito
Que tiene ojos de lucero y capulín

Solo falta
Una cosa
Que muy pronto, yo tendré
Como estoy recién casado
Adivínenme lo que es

Ha de ser un chilpallate
Grande y fuerte a no dudar
Que también será labriero
Mayordomo y caporal

Rancho Alegre
Mi nidito
Mi nidito perfumado y de jasmín

Donde guardo
Mi amorcito
Que tiene ojos de lucero y capulín
Felipe Bermejo Araujo

Carlos Roldán chante seulement ce qui est en gras.

En rouge, la version originale mexicaine qui parle de charro (cowboy, ).

libre des paroles

Et je suis du simple Rancho Alegre (ranch joyeux) un vrai éleveur, compadre bien « tiré » (C’est quelque chose de positif, bon compagnon), parent pour les gens du ranch, pour les gens du village.
Je suis du simple Rancho Alegre, un vrai éleveur qui travaille comme agriculteur, majordome et contremaître.
Mon amour c’est ce ranch où je vis si heureux, caché dans les montagnes bleu anis

Refrain
Rancho Alegre
Mon petit nid
Mon petit nid parfumé et de jasmin où je garde ma petite chérie qui a les yeux d’une étoile et de cerise (les capulines sont de petites cerises de couleur noir rougeâtre. On les appelle aussi, cerises mexicaines).

Sur mon ranch j’ai tout, des animaux, de l’eau et du soleil et une terre brillante et bonne que je travaille avec ardeur
Quand je finis mes travaux parce que le soleil s’est couché. À la lumière des étoiles, je chante joyeusement ma chanson.
Il ne manque qu’une seule chose, que très bientôt j’aurai, car, je viens de me marier. Devinez ce que c’est.
Il doit être un gamin grand et fort (chilpallate est une expression mexicaine) sans aucun doute qu’il sera aussi un fermier, majordome et contremaître.

Autres versions

Le thème est tout de même assez rare en Argentine. Outre cette version de Canaro, on peut citer les chanteurs de l’aube qui ont fait un disque aux sonorités mexicaines. Je vous propose aussi une version mexicaine avec un jeu intéressant de l’ (oui, le Mexique utilise de plus gros pianos à bretelles).

Rancho alegre 1941-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y coro. C’est notre musique du jour.
Rancho alegre 1976 – .
Rancho alegre 2020 – .

À bientôt les amis !

😉
Maldonado, el Tranvia.

Maldonado 1943-12-09 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Mastra (Música y letra).

Cette milonga alerte, très alerte, cache cependant une nostalgie, celle du quartier de Palermo avec son tramway, ses allumeurs de réverbères et ses veilleurs de nuit. La prochaine fois que vous vous lancerez dans cette milonga endiablée, vous vous souviendrez peut-être de l’évolution de ce quartier et de sa rivière, aujourd’hui domptée.

Extrait musical

Maldonado 1943-12-09 – Orquesta con .
Partition de Maldonado. On peut remarquer que Di Sarli et Laurens sont cités, ainsi que le nom complet de Mastra (Mastracusa).

Paroles

Les voy a recordar el tiempo pasado
cuando Palermo fue Maldonado
y yo en la gran Nacional
trabajé de mayoral.
Y voy a recodar algunos detalles
que sucedían siempre en la calle,
cuando con su cadenero
al tranvía algún carrero
quería pasar.

Dale que dale, dale más ligero
a ver quién sube el repecho primero
y orgulloso el
lo pasaba al percherón.
Dale que dale, dale más ligero
y atrás dejaban al pobre carrero
repitiendo al mayoral
si le sobra deme un real.

Yo soy del Buenos Aires de ayer, compañero,
cuando en las tardes el farolero
con su escalera apurado
la sección iba a alumbrar.
Después con su pregón familiar el sereno
marcaba hora tras hora el tiempo
luego el boletín cantado
dando así por terminado
un día más.

Dale que dale, dale más ligero
total ahora ya no está el carrero
ni el bromista conductor
ni el sereno y su pregón.
Dale que dale, dale más ligero
total tampoco existe el farolero
dale y dale sin parar
hasta que me hagas llorar.
Alberto Mastra (Música y letra)

Traduction libre des paroles

Je vais vous l’évoquer le temps d’antan où Palermo était Maldonado (El Maldonado était l’un des d’eau de Buenos Aires) et où je travaillais comme mayoral (préposé de tramway vendant les billets) à la Gran Nacional (compagnie de tramways passée à l’électrique en 1905 en remplacement de la traction animale que l’on appelait motor de sangre, moteur de sang).
Et je vais rappeler quelques détails qui se passaient toujours dans la rue, lorsqu’avec son cheval de tête un conducteur de charrette voulait dépasser le tramway.
Envoie ce qu’il envoie (encouragement, en matière d’équitation ont dit envoyer, j’ai donc choisi cette traduction), envoie plus rapidement, voyons qui grimpe la pente le premier et fièrement le conducteur (du tramway) double le percheron.
Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, et ils ont laissé le pauvre conducteur de charrette derrière eux, répétant au mayoral s’il en reste, donne-moi un réal (monnaie en usage à l’époque espagnole et qui a été frappée en Argentine de 1813 à 1815 et qui n’était bien sûr plus d’usage au début du 20e siècle).
Je suis du Buenos Aires d’hier, compagnon, quand, en soirée, l’allumeur de réverbères, pressé, avec son échelle, allait éclairer la section.
Puis, avec sa proclamation familière, le veilleur de nuit (personne qui assurait la vigilance de nuit) marquait le temps, heure après heure, puis, avec son bulletin chanté, mettait ainsi fin à une autre journée.
Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, résultat, maintenant il n’y a plus le conducteur de charrette, ni le conducteur farceur, ni le veilleur et sa proclamation.
Envoie ce qu’il envoie, envoie plus rapidement, il n’y a pas plus d’allumeurs de réverbères, envoie, envoie sans arrêt jusqu’à ce que tu me fasses pleurer.

Autres versions

Notre est une milonga qui fut enregistrée aussi par Di Sarli avec Rufino. Mais d’autres tangos ont également été composés et enregistrés. Je vous en propose quatre, interprétés par six orchestres, mais il y en a d’autres et même des musiques sur d’autres rythmes. Mais attention, ces dernières font référence à d’autres lieux que la rivière Maldonado et le quartier de Buenos Aires.

Maldonado, milonga de Alberto Mastra

Laurenz a enregistré ce titre pour Odeón le jeudi 9 décembre. La semaine d’après, le vendredi 17, La Victor enregistre le titre avec Di Sarli.
Ce sont les deux seuls enregistrements « historiques » de cette superbe milonga.
On notera que Pedro Laurenz et Di Sarli mettent en avant leur instrument personnel, respectivement le bandonéon pour Laurenz et le piano pour Di Sarli.

Maldonado 1943-12-09 – Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá. C’est notre milonga du jour.
Maldonado 1943-12-17 – Orquesta con Roberto Rufino.

Maldonado, tango par un auteur inconnu

El maldonado 1914 – Rondalla Gaucho Relampago dir. . Un , plutôt sympa. On aurait presque envie de le faire découvrir en milonga. J’ai écrit presque 😉

Tango de Luis Nicolás Visca Letra: Luis Rubistein

Maldonado 1928-02-07 – Orquesta con Ernesto Famá
Maldonado 1928-02-23 – Orquesta Roberto Firpo con Teófilo Ibáñez
Maldonado 1928-03-13 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo

Tango de Raúl Joaquín de los Hoyos Letra: Alberto Vacarezza

Maldonado 1929-12-10 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo

Maldonado et le tranvia

Maldonado n’a rien à voir avec une chaîne de fastfoods américains, vous l’avez compris. C’était le nom d’un des cours d’eau de Buenos Aires. Celui-ci se jette dans le Rio de la Plata à Palermo, ce qui a valu ce nom au quartier du XVIIIe au début du XIXe siècle. On notera que les paroles évoquent un temps où Palermo s’appelait Maldonado. Au sens strict, c’était au début du XIXe siècle. Mais, comme elles parlent de réverbères, de Tranvia, c’est sans doute d’une époque postérieure qu’il est question.
En effet, les premiers Tranvia ont été mis en place en 1863.

Premier tranvia de Buenos Aires à moteur de sang (hippomobile) en 1863.

La milonga nous compte une course entre un tranvia et une charrette tirée par un percheron.
Il n’est pas sûr que deux chevaux attelés à un tranvia soient capables de distancer une charrette. Je pense donc, que le texte fait référence à une époque encore postérieure, à partir de 1905, date à laquelle la compagnie Gran Nacional (citée dans les paroles) est passée à la traction électrique.

Un tranvia de la compagnie La Capital. Ce tramway date environ d’après 1906, car il porte un numéro.

L’année 1905 a vu l’arrivée des premiers tramways électriques et 1906 a inauguré la numérotation des lignes, ce qui a simplifié la tâche des voyageurs… Sur la photo, le tranvia porte le numéro 45, c’était donc un des équipements de la ligne 45 qui était exploitée par La Capital. La compagnie Gran Nacional citée dans la milonga portait des numéros de 61 à 80.
Dans la milonga, il semble logique de penser que la course s’effectue entre une charrette hippomobile et un tranvia électrique qui affirme facilement sa supériorité dans les montées.

El arroyo Maldonado

En ce qui concerne la rivière qui avait donné son nom au quartier (El arroyo Maldonado), vous aurez du mal à la trouver, car elle est désormais souterraine. La dernière fois qu’elle a fait parler d’elle, c’était en 2010 et j’en ai été témoin, elle a causé d’importantes inondations à Palermo. Depuis, des travaux ont été entrepris pour éviter ces problèmes.

En 1890, la rivière Maldonado était presque à sec. On voit au fond le pont de l’avenue Sante Fe.
Aujourd’hui, au même endroit, le souvenir de la rivière est porté par des inscriptions sur les passages piétons…

À bientôt les amis !

Offrir des informations aux danseurs

S’il est courant de communiquer des informations au micro aux danseurs, dans la pratique, ils n’entendent pas toujours et il est souvent utile de répéter l’information de façon visuelle. Cet article fait le point sur mon parcours de DJ donneur d’informations et de VJ (Video Jockey).

Comme DJ, j’ai toujours souhaité donner aux danseurs des informations sur ce qu’ils dansaient.
Il y a un quart de siècle, je diffusais sur Internet, la liste des morceaux que j’avais passée durant la milonga.
À la fin des années 2000, je suis passé à l’iPad et j’affichais le nom de l’orchestre. Je suis aussi passé à l’annonce au micro en luttant contre ma timidité.
Dans les années 2010, je suis passé au vidéoprojecteur et à la projection de films mixés en direct. J’utilise toujours cette stratégie avec le logiciel Resolume Arena.
Le seul inconvénient pour moi est que, comme je crée les tandas en direct, je ne peux pas m’appuyer sur une liste de titres comme le font la plupart des DJ qui utilisent des Playlists. Cela m’interdit donc d’afficher le nom du morceau en cours de diffusion, car il me faudrait saisir en direct toutes les informations, ce qui est évidemment impossible. Comme je ne fais pas de playlist, tout mon temps de DJ est occupé par la préparation de la tanda suivante.
J’avais bien essayé différents systèmes, mais tous nécessitaient de faire des playlists à l’avance et d’utiliser ou équivalent.

Un grand merci, donc aux développeurs de Beam (https://www.facebook.com/beamtheprojecthttps://bitbucket.org/beam-project/main/downloads/) qui permettent désormais d’afficher en direct le morceau qui passe à partir d’un véritable logiciel de DJ.
Je remercie aussi le collègue et ami, Fred Alart-Tangodj qui m’a donné des informations essentielles pour me lancer dans ce projet.
Parmi les logiciels DJ compatibles avec Beam, il y a , un des trois que j’utilise…
Le logiciel Beam est paramétrable de façon intelligente. On peut choisir les informations que l’on affiche. Pour ma part, j’ai rajouté les compositeurs, ce que peu de collègues peuvent faire, car, bien sûr, il faut avoir saisi ces données pour chaque musique pour qu’elles puissent s’afficher.

Les données de base

Les données que j’ai choisi d’afficher dans ma configuration de Beam.

De haut en bas :

Titre précédent. Souvent, quand on danse, on ne pense pas toujours à regarder le titre du morceau. Afficher le morceau précédent permet d’avoir un joker. Il me semble également que c’est intéressant pour montrer la structure de la tanda. En revanche, je n’affiche pas le morceau suivant, car je place les morceaux au fur et à mesure et cela perturbe le logiciel qui n’a rien à se mettre sous la dent…
Nom de l’orchestre. J’ai choisi de le mettre en grand, car c’est l’information principale, à mon avis. Tous les danseurs doivent pouvoir savoir, s’ils le souhaitent, sur quel orchestre ils dansent. Bien sûr, les milongueros avertis n’ont pas besoin de cette information, mais d’autres informations vont venir les contenter.
Titre de la musique et date d’. Avoir le titre est utile au plus grand nom et même à certains connaisseurs. J’espère que cela va limiter le nombre de shazameurs. Je préfère nettement que les collègues viennent me demander le titre. Avec ce dispositif, ils l’auront, mais ceux qui veulent venir me parler restent bien sûr les bienvenus. Pour ce qui est de la date, cela me semble important également. La preuve, j’ai la date d’enregistrement de la très grande majorité de mes morceaux. Cette application va me permettre de profiter de cet investissement…
Style de la musique. Je pouvais me passer de donner cette information. J’en profite cependant pour faire remarquer qu’au lieu de « Tango », il est indiqué A Tango. C’est que je classe la musique de tango avec un A avant, pour qu’ils s’affichent en premier. En effet, je ne passe pas que du tango, j’anime aussi en tropical et autres danses (DJ, pas de tango dans ce cas).
Compositeur. J’ai mis « Compositor », mais, bien sûr, c’est compositeur et parolier quand il y a les deux. Je trouve intéressant de savoir qui a écrit une musique et les paroles. Parfois, je compose des tandas de musiques écrites par le même compositeur ou des compositeurs de la même lignée. Mais il y a tellement d’autres possibilités que c’est finalement assez rare. J’associe, en priorité, des musiques dont l’interprétation est comparable, mais aussi sur des thèmes proches, et ce sont souvent ces critères qui font que l’on se retrouve avec des titres du même compositeur ou auteur.
Tanda. Si 1/4 s’affiche, c’est que c’est le premier titre d’une tanda de 4 titres. Dans mon cas, l’information ne sera pas toujours fiable quand au nombre de titres, car il faut avoir mis une cortina pour que cela soit calculé par l’application. Par moment, je mets six ou sept titres et je choisis en fonction des réactions de la salle, ou, je mets les titres un à un. Cependant, le premier chiffre indique le numéro. Donc, si vous voyez 1, c’est qu’il va y avoir après 2 (tanda de 3) ou 3 (tanda de 4) autres morceaux.
Bernardo. Ben, oui, c’est bien de faire savoir qui passe la musique, non ?

Des informations plus sophistiquées

Beam permet d’afficher différents fonds de page en fonction des mots clefs (tags) présents dans le morceau. Par exemple, je peux mettre un fond de page spécial D’Arienzo, pour une tanda de D’Arienzo. Il me suffit de récupérer la variable « Artist » et de déclencher l’affichage d’un fond de page avec une photo de D’Arienzo.

Lorsque Beam voit « D’Arienzo » dans le champ « Artiste », il peut afficher un fond de page avec une photo de D’Arienzo.

Cela oblige cependant à préparer un fond de page par orchestre. Ce n’est pas très compliqué, mais je travaille actuellement sur une autre voie, qui est de récupérer ce que je fais comme VJ en mélangeant des des orchestres et des animations au rythme de la musique pour les associer avec les données affichées automatiquement par Beam.

Beam permet aussi d’associer une image à un titre. Je me suis amusé à le faire, mais c’est bien sûr impossible quand on dispose de 6000 titres utilisés en milonga. On reconnaîtra ici l’illustration de l’anecdote de tango sur .

Système actuel

Équipement DJ

Pour la musique, j’utilise un Macbook Pro plus classique avec 16 Go de RAM et 2 To de disque dur.

On remarquera que, même si ce MacBook Pro peut fonctionner sous macOS Sequoia, je le maintiens sous Mojave, quand un système fonctionne, il est délicat de l’actualiser. Un de DJ ne devrait pas avoir le droit de tomber en panne…

Il se pose la question du renouvellement de cet ordinateur. J’ai des Mac M en test, mais ils ne me conviennent pas. De plus, les Macs ont la mémoire et le disque SSD soudés. On est donc limité en taille. Un disque de 2 To, c’est vraiment trop petit pour de la musique et utiliser un disque externe, c’est très risqué en cas de débranchement accidentel, sans compter le risque de vol de ce disque, comme cela m’est arrivé avec un « collègue » indélicat qui a trouvé intéressant de me voler mon disque SSD de secours de 4 To rempli de musique retouchée.

Logiciels DJ utilisés :

J’utilise iTunes pour classer la musique. C’est en grande partie pour lui que je reste en Mojave, car les systèmes d’exploitation ultérieurs l’ont remplacé par « Music », qui est vraiment bien moins performant pour trouver de la musique à la volée. iTunes est en fait une base de données avec un moteur de recherche, mais il dispose surtout de fonctions de requêtes qui permettent d’avoir une musique parfaitement organisée et facile à trouver. On peut me demander n’importe quel titre et je le trouve en quelques secondes. C’est important quand des danseurs qui font un bis dans leur démo me demandent un titre à la volée, mais aussi, tout simplement pour pouvoir armer ses tandas en direct en trouvant ce qui va ensemble très facilement.

iTunes est un super logiciel de base de données musicale.

Dans iTunes, je peux choisir un genre, un artiste et trier par date pour avoir tous les titres de cet artiste pour la même période et le même rythme. On notera à gauche, les engrenages qui sont des requêtes, c’est-à-dire des recherches qui donnent une liste toujours à jour de fichiers répondants à certains critères. Par exemple, les valses chantées ayant 5 étoiles. Je peux aussi trier par les commentaires, ce qui offre des possibilités infinies.
Je sélectionne les morceaux à passer dans iTunes et je les glisse dans Mixxx.

Mixxx est un des trois logiciels de DJ que j’utilise le plus. Sa compatibilité avec Beam, va me le rendre encore plus important… Ici, le dernier titre d’une tanda de Canaro.

Mixxx est un excellent logiciel de DJ qui permet de modifier la et la des morceaux, de répéter des passages

Équipement VJ

J’utilise un PC avec un processeur Intel i9 et 64 Go de RAM et 8 To de disque dur SSD.

Pour la vidéo, il faut un ordinateur très, très puissant…

Logiciels VJ utilisés :

Beam permet l’affichage automatique de différents tags des morceaux.

Toujours sur le MAC, Beam permet d’afficher les données souhaitées, comme nous l’avons vu ci-dessus. Ici, l’affichage du dernier Canaro de la tanda. Comme il y a un morceau identifié comme Cortina ensuite (voir la copie d’écran de MIXXX), le logiciel indique « Tanda 4/4 ».
La tanda de Canaro est terminée, c’est la cortina. La prochaine tanda est annoncée automatiquement s’il y a déjà un titre après la cortina au moment où elle démarre. Dans mon cas, ce n’est pas toujours le cas, car la cortina sert aussi à prévoir la suite… Dans ce cas, la prochaine tanda ne sera pas affichée.

Cependant Beam est un peu limité. Pour afficher des vidéos et les mixer, il faut un logiciel plus complet. C’est le rôle de Resolume Arena, un logiciel professionnel pour VJ (Video Jockey).

Actuellement, j’utilise Resolume Arena, un logiciel magnifique permettant de mixer en direct une dizaine de vidéos, animations,

Resolume Arena est un excellent logiciel pour VJ qui permet de diffuser plusieurs vidéos, de les superposer, de définir des transparences, des vitesses, des synchronisations avec la musique, des animations, du texte (qui peut être animé)… Son seul défaut est qu’il ne permet pas de récupérer le titre des morceaux joués automatiquement, ce qui limite aux choix déjà mis en place dans le logiciel, par exemple, le nom de l’orchestre et des vidéos et photos de celui-ci que l’on peut associer à des animations et on peut mixer le tout en direct.
Associé à un contrôleur Midi, c’est cependant relativement simple à mettre en œuvre, mais pas du tout automatique.

L’avenir espéré, futurs développements

Faire communiquer le Mac avec le PC pour récupérer l’affichage de Beam dans Resolume Arena

La musique étant sur un ordinateur (MacBook) et la vidéo sur un autre (PC Windows), il se pose la question de la communication entre les deux. Pour l’instant, je n’utilise que la synchronisation de la musique afin que les animations, et notamment les lettres des noms d’orchestres se déplacent en rythme avec la musique.
La prochaine étape est donc d’arriver à récupérer l’image produite par Beam sur le Mac pour l’afficher comme une vidéo dans un des canaux de Resolume Arena. Ce n’est pas totalement gagné, les deux systèmes n’étant pas totalement compatibles. J’envisage d’utiliser Syphon sur le Mac et SPOUT sur le PC, ou peut-être NDI, à moins que je reprenne ce que j’utilisais pendant la pandémie pour mes milongas virtuelles, OBS.
Mon idée est de récupérer l’affichage ou a minima seulement le titre du morceau que je pourrai incruster dans le montage vidéo réalisé en direct. Peut-être que je structurerai cela avec des cadres pour que l’information soit plus claire.

Et la gestion de la lumière ?

Quand on est DJ, il faut parfois penser à augmenter la luminosité pendant les cortinas pour que les danseurs puissent faire la mirada plus facilement. Pour ma part, je suis plutôt partisan d’une lumière continue, comme on le fait à Buenos Aires, mais en Europe, certains organisateurs estiment que l’on doit avoir une lumière atténuée pendant les tandas. Il me faut donc leur donner satisfaction, même si je suis sûr que c’est une très mauvaise idée.
Ceux qui ont suivi mes milongas virtuelles durant la pandémie ont peut-être remarqué que j’utilisais des systèmes lumineux (lyres et lasers, par exemple). Ces matériels sont commandés en DMX, un protocole spécialisé dans la gestion des effets lumineux. On peut donc imaginer que l’éclairage se règle en fonction de la musique.
Beam et Resolume le permettent. Il suffit d’associer un troisième ordinateur pour gérer la partie lumière, ce que je faisais pendant la pandémie, avec même un quatrième pour la diffusion de la vidéo…
Tout cela fonctionne chez moi, mais, pour le faire en milonga, il faut trouver un système portable et avec un réseau fiable, ainsi qu’un équipement DMX. En résumé, il me faudrait animer des milongas dans des boîtes de nuit qui disposent d’un équipement moins sommaire que les milongas habituelles.
En résumé, je vais sans doute me contenter d’utiliser Beam lorsque j’aurai des possibilités de projection et seulement dans les très gros événements, je déploierai le système complet.

Pour écouter un peu de musique, retournez sur l’anecdote « Entre dos fuegos« .

À bientôt, les amis !

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce

Letra:

L’excellent fileteador porteño, Gustavo Ferrari, alors que je passais ce titre dans une m’a indiqué que ce titre était l’hymne des fileteadores (peintres décorateurs, spécialistes des filets décoratifs typiques de ). Comme j’adore ce tango, je le passe assez souvent, mais pas forcément dans la version du jour, celle d’ Castillo qui était également un fan de ce tango comme nous le verrons.
J’imagine que vous avez dans l’oreille l’enregistrement des deux anges, D’Agostino et Vargas. Mais, comme l’anecdote d’avant-hier était avec ces deux interprètes, il faut laisser de la place aux autres.
C’est d’autant plus important que Vargas et D’Agostino semble s’être emparé du titre, laissant peu de place à d’autres enregistrements. Pourtant, plusieurs sont intéressants.
À noter que, sur certains disques, on trouve Manoblanca, en un seul mot. J’ai unifié la présentation en Mano Blanca, mais les deux orthographes existent

Extrait musical

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce.

Bien que ce soit un titre plutôt destiné à l’écoute, puisque le disque mentionne que Alberto Castillo est accompagné par son orchestre dirigé par Emilio Balcarce. Cependant cet enregistrement reste tout à fait présentable dans une milonga et c’est même presque étonnant que l’on ne l’entende quasiment jamais.

Partition de Mano Blanca. Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi et l’angle de rue où se trouve le « musée Manoblanca ».

Paroles

Dónde vas carrerito del este
castigando tu yunta de ruanos,
y mostrando en la chata celeste
las dos iniciales pintadas a mano.

Reluciendo la estrella de bronce
claveteada en la suela de cuero,
dónde vas carrerito del Once,
cruzando ligero las calles del Sur.

¡Porteñito!… ¡Manoblanca!…
Vamos ¡fuerza, que viene barranca!
¡Manoblanca!… ¡Porteñito!
¡Fuerza! ¡vamos, que falta un poquito!

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!…
Ahora sigan parejo otra vez,
que esta noche me esperan sus ojos
en la Avenida Centenera y Tabaré.

Dónde vas carrerito porteño
con tu chata flamante y coqueta,
con los ojos cerrados de sueño
y un gajo de ruda detrás de la oreja.

El orgullo de ser bien querido
se adivina en tu estrella de bronce,
carrerito del barrio del Once
que vuelves trotando para el corralón.

¡Bueno! ¡bueno!… ¡Ya salimos!…
Ahora sigan parejo otra vez
mientras sueño en los ojos aquellos
de la Avenida Centenera y Tabaré.
Arturo De Bassi Letra: Homero Manzi

libre des paroles

Où vas-tu petit meneur (conducteur de chariot hippomobile) de l’est en punissant ton attelage de rouans (chevaux de couleur rouanne), et en montrant sur la charrette bleue les deux initiales peintes à la main.
Elle brille l’étoile de bronze clouée sur le harnais de cuir. Où vas-tu, petit meneur de Once, en traversant rapidement (légèrement, peut-être à vide), les rues du Sud.
Porteñito… Manoblanca… (Ce sont les noms des deux chevaux)
Allons, force, un fossé arrive !
Manoblanca… Porteñito !
Force ! Allons, il reste peu à faire !
Bien ! Bien !… Nous voilà sortis (de l’ornière, fossé)…
Maintenant, continuez ensemble à nouveau, car ce soir, ses yeux m’attendent sur l’Avenida Centenera et Tabaré. (l’angle de ces deux avenues marque “La esquina del herrero, barro y pampa » que le même Homero Manzi mentionne dans son tango « Sur ».
Où vas-tu, petit meneur portègne avec ta charrette flamboyante et coquette, avec les yeux fermés de sommeil (ou rêve) et un brin de rue (le gajo de ruda est une plante qui est censée éloigner le mal) derrière l’oreille.
La fierté d’être bien aimé se devine dans ton étoile de bronze, petit meneur du quartier de Once, car tu reviens en trottant au corralón (hangar, garage).
Bien ! Bien !… Nous voilà sortis.
Maintenant, ils continuent en couple (chevaux en harmonie) de nouveau pendant que je rêve à ces yeux de l’Avenida Centenera et de Tabaré.

Les fileteados

Les fileteados son une expression artistique typique de Buenos Aires. Elle est apparue en premier sur les chariots et s’est étendue jusqu’à aujourd’hui dans tous les domaines.

Un chariot hippomobile décoré de fileteados. Cette charrette comporte des ridelles, ce que n’avait peut-être pas celle de la chanson qui est une simple chata (fond plat et qui avait sans doute quatre roues).
Un véhicule de quatre saisons richement décoré de fileteados. La chata de la chanson devait plutôt avoir 4 roues, mais l’idée est là…

Je vous invite à regarder l’article de Wikipédia sur le sujet si vraiment vous ne connaissez pas…
https://es.wikipedia.org/wiki/Fileteado

Autres versions

Les deux premiers enregistrements, par Canaro, sont bien de a composition Arturo de Bassi, mais elles avaient été publiées à l’époque sous le titre El romántico fulero. Cette musique était une petite pièce à l’intérieur d’un tableau intitulé Románticos fuleros, lui-même inclus dans le spectacle Copamos la banca. Les paroles apportées par Homero Manzi 15 ans plus tard, à la demande de Bassi, ont donné une autre dimension à l’œuvre et lui ont permis de passer à la postérité.

El romántico fulero 1924 – Orquesta Francisco Canaro.

C’est un , donc, d’une qualité sonore un peu compliquée, mais on reconnaît parfaitement le thème du tango du jour.

El romántico fulero 1926-09 – Azucena Maizani con acomp. de Francisco Canaro.

Le même Canaro enregistre, cette fois en enregistrement électrique le titre avec des paroles de Carlos Schaefer Gallo.

Paroles de Carlos Schaefer Gallo

Manyeme que’l bacán no la embroca,
parleme que’l boton no la juna
y en la noche que pinta la luna
la punga de un beso le tiró en la boca.
Aquí estoy en la calle desierta
como un gil pa’ mirar su hermosura
campaneando que me abra la puerta
pa’ darle a escondidas un beso de amor.

Se lo juro que no hablo al cohete
y que le pongo pa’usté cacho e cielo
un cotorro que ni Marcelo
lo tiene puesto con más firulete.
Si usté quiere la pianto ahora
si usté lo quiere digamelo,
será mi piba mi nena la aurora,
en esta sombra que’n el alma cayó.

Le pondré garçonnière a la gurda
y tendrá vuaturé limusine,
y la noche que nos cache curda
veremos al chorro Tom Mix en el cine.
Berretín que me das esperanza
metejón que proteje la noche,
piantaremos en auto o en coche
como unos punguistas que fanan amor.
Carlos Schaefer Gallo

Honnêtement, ces paroles en lunfardo pour un divertissement populaire d’entrée de gamme ne méritent pas vraiment de passer à la postérité. Je ne vous en donnerai donc pas la traduction. On notera toutefois que le texte fait référence au président de l’époque, Marcelo Torcuato de Alvear et à Tom Mix, un héros de western… L’auteur n’a reculé devant rien pour recueillir l’assentiment du public.

Mano Blanca 1943-12-07 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Emilio Balcarce. C’est notre tango du jour.
Mano Blanca 1944-03-09 – Orquesta Ángel D’Agostino con .

C’est la version de référence, une merveille absolue. Magnifique piano et voix des deux anges.

Mano Blanca 1960 – Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. y arr. por Osvaldo Requena.

Cette version, très différente de celle que Castillo a enregistrée en 1944, est clairement une chanson. Pas question de la passer en bal. Il me semble que Castillo surjoue un peu le titre, mais on peut apprécier.

Mano Blanca 1976 – José Canet con .

Toujours la belle association entre la guitare de José Canet et la voix de Nelly Omar.

Mano Blanca c2010 – Miguel Ángel Báccola.

Une version en chanson que j’ai trouvée dans ma collection, sans savoir d’où j’avais acheté ce disque.

Mano Blanca 2013, Juan Carlos « Tata » Cedrón.

J’ai un petit faible pour « Tata » que j’ai connu adolescent (moi, pas lui). Cet enregistrement en studio montre qu’il a toujours dans les veines. Cette vidéo vient de l’excellente chaine culturelle argentine « encuentro ».
À bientôt, les amis, je monte sur mon petit chariot et je pars sur les rues du Sud, au rythme de mes petits chevaux rouans.

Armenonville 1929-12-06 Orquesta Juan Maglio Pacho

Juan Félix Maglio « Pacho » Letra: José Fernández

Les cabarets sont les premiers lieux « présentables » du tango naissant. L’ est l’un de ces cabarets, celui dont s’échappe Zorro Gris. Juan Félix Maglio crée ce tango pour ses amis, les créateurs de ce salon. du jour est son second enregistrement du titre. Allons visiter ce haut lieu du tango naissant.

Extrait musical

Armenonville1929-12-06 Orquesta Juan Maglio Pacho.

L’œuvre commence par trois accords mineurs descendants. Je suis sûr que ces trois accords plaintifs vous évoquent un autre tango, écrit par Juan Carlos Rodríguez. Je vous dirai lequel en fin d’article… Vous pourrez, en attendant, écouter les variations sur ce motif dans les différentes versions proposées où il apparaît à plusieurs reprises.

Autres versions

Armenonville 1912 – Cuarteto Juan Maglio “Pacho”.

Dans l’année suivant l’inauguration du cabaret, Maglio enregistre l’œuvre, le troisième tango qu’il a composé. Ici, c’est la petite formation, en cuarteto. La composition est jolie et élégante, mais la façon d’interpréter de l’époque rend un résultat un peu monotone, car les instruments jouent à l’unisson et chaque partie est rejouée de façon très similaire.

Armenonville1929-12-06 Orquesta Juan Maglio Pacho. C’est notre tango du jour.

Dix-sept ans plus tard, Maglio procède à un nouvel enregistrement. On mesurera entre les deux versions les progrès de l’enregistrement, qui est désormais électrique et plus acoustique. Maintenant, Maglio est à la tête d’un orchestre typique, plus complet. Ces deux avancées permettent une musique plus riche, des orchestrations plus complexes. Les instruments s’individualisent et jouent quelques traits en soliste, ce qui ne se trouvait pas à l’époque précédente.

Armenonville 1942-09-09 – Los Ases dir. Juan Carlos Cambón.

Cet enregistrement au rythme plus soutenu est sans doute un peu confus pour le proposer en bal, mais il est joli. On sent que la tentation d’en faire une milonga n’est pas loin. Le piano de Juan Carlos Cambón est très présent et anime joliment ce titre qui se termine de façon allègre avec de jolis traits des différents instruments.

Armenonville 1958 y Panchito Cao.

La clarinette de Panchito Cao est la vedette de cette version. Elle domine tout le titre. Le rythme de milonga est mieux marqué et l’on peut donc proposer cette version aux danseurs de milonga. La sonorité simple avec notamment la guitare en instrument rythmique évoque d’origine de ce tango.

Armenonville 1970-08-21- Orquesta .

D’Arienzo est le seul directeur de grand orchestre à avoir enregistré cette œuvre. On est en face d’un D’Arienzo tardif typique. L’énergie est présente, mais est-ce suffisant pour en faire un titre phare pour les bals. Assurément non. On notera que D’Arienzo a fait le choix de revenir au rythme du tango. En résumé, un résultat très intéressant, mais pas forcément adapté au bal.

Armenonville 1974-02-15 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Les orchestres uruguayens ont été friands de rythmes hésitant entre tango et milonga. On pourrait classer cette interprétation comme un rapide ou une milonga lente. En dehors de la difficulté de classer ce tango, on pourra toutefois apprécier son côté joueur et il pourrait convaincre les danseurs de se lancer sur la piste. On notera que, si Villasboas inclut les trois accords descendants, il les fait précéder par une anacrouse.

Armenonville 2004 – Cuarteto Armenonville.

Ce cuarteto a pris le nom de ce tango, ou du cabaret, il était donc logique qu’il l’enregistre.

Les Armenonvilles

Le bandonéoniste Juan Maglio a créé son tango « Armenonville » pour évoquer le cabaret de ses amis, les anciens serveurs de l’hôtel Vignolles, Carlos Bonifacio Diego Lanzavechia et . Ces derniers ont donc ouvert ce prestigieux établissement en 1911.
Cependant, il n’existe pas un Armenonville, mais trois que je vais numéroter de 0 à 2.

Armenonville « 0 »

Armenonville « 0 », c’est le pavillon d’Armenonville qui existe toujours est situé dans le Bois de Boulogne à Paris.

Le pavillon d’Armenonville « 0 » est situé dans le Bois de Boulogne. Cette photo réalisée vers 1859 est attribuée à Charles-François Bossu dit Charles Marville. On remarquera l’architecture particulière du bâtiment avec ses ornementations en bois.

Il ne faut cependant pas se tromper en voyant cette architecture « champêtre », l’intérieur est luxueux, comme en témoigne cette huile sur toile d’Henri Gervex, exécutée en 1905, soit 6 ans avant l’ouverture de l’Armenonville de Buenos Aires.

Armenonville le soir du Grand -Prix – Henri Gervex 1905.

On notera que cette qui représente l’Armenonville parisien est souvent reproduite pour témoigner de l’Armenonville de Buenos Aires… Mais ce n’est pas la seule erreur faite dans l’iconographie des Armenonvilles, comme nous allons le voir.

Arnemonville 1

Mon propos étant portègne, j’ai numéroté 0, l’Armenonville de Paris, pour ne pas changer la numérotation habituelle des édifices de Buenos Aires.

Sur la couverture de la partition, on peut voir l’ancien Armenonville, celui que Maglio a glorifié.

Comme on peut le voir sur la couverture de la partition, le pavillon Armenonville est dans un parc. On ne voit pas bien son architecture sur cette illustration, en revanche, on dispose de quelques photos.

Armenonville 1. On considère que le modèle est l’Armenonville de Paris. On remarquera toutefois que la ressemblance est assez lointaine, mais l’inspiration et le nom témoignent de la volonté de mettre en avant le côté « chic » français.

L’architecture a quelques similitudes avec le « modèle » parisien et il est donc convenu de considérer que c’est une inspiration directe. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, tout ce qui est français est « chic », le tango bénéficiera de cette étiquette peu après.

Sur cette image, on peut voir qu’il devait être sympathique de prendre un rafraîchissement dans ce cadre.
Comme on le voit sur la couverture de la partition, les bâtiments sont entourés d’un parc, parc propice à diverses activités que la morale parfois réprouve. Mais, dans la journée, c’est un lieu de promenade tout à fait agréable.

Si Armenonville 0, le modèle parisien a désormais trois siècles (300 ans), l’Armenonville 1 n’a duré que 14 ans. Édifié en 1911, il a été rasé en 1925.

Emplacement de l’Armenonville 1. C’est maintenant la Plaza Republica de Chile. Image Google maps.

Cependant, on voit souvent des représentations de l’Armenonville avec une salle immense et un aspect bien plus imposant que ce pavillon de chasse. L’erreur vient de ce qu’un autre Armenonville a été construit…

Armenonville 2

Cette illustration montre la magnificence du site dont il ne reste rien…

L’illustration de couverture de l’article représente l’intérieur de la salle de l’Armenonville 2. J’ai donc un peu triché pour cette anecdote en ne montrant pas l’Armenonville qui a servi d’inspiration à Maglio.
L’Armenonville 2, comme vous pouvez en juger est d’une toute autre ampleur que ses aînés. On reconnaît son architecture Arts déco et il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se représenter la splendeur du lieu, même si lui aussi n’a pas survécu bien longtemps.
Cet édifice a été conçu par l’architecte Valentín M. Brodsky en 1927.

Valentín M. Brodsky en 1919, médaille d’or de son école d’architecture. Sa signature sur un immeuble situé à l’angle de Scalabrini Ortiz (la rue qui s’appelait à l’époque Canning et où se trouvait l’Armenonville 2) et Córdoba.

Même s’il n’a pas grand-chose à voir avec le tango, je vous présente la photo de Valentín M. Brodsky, car il fut un élève très apprécié de son école d’architecture où il a obtenu divers prix, dont la médaille d’or, mais surtout l’appréciation de ses collègues et professeurs, comme élève brillant et aimable. Peu de temps après son diplôme, il se voit confier la réalisation de l’Armenonville 2, cet immense projet qui fera la démonstration de son talent.

Sur cette iconographie, on peut lire que le Dancing « Armenonville » a été construit en 70 jours ouvrables. Cela renforce notre estime pour son jeune architecte.

Comme on peut le lire sur ce document, l’Armenonville 2 était situé rue Canning au 3533 (en fait, les propriétaires de l’ancien Armenonville avaient acheté une demie manzana (bloc) et donc le bâtiment avait de l’espace. Il a été construit en 70 jours ouvrables.

Armenonville 2
Armenonville 2
Armenonville 2 (intérieur)
Entrée de « Les Ambassadeurs », le nouveau nom de l’Armenonville 2.
Un prospectus de « Les Ambassadeurs ». On peut y voir qu’il est indiqué 3000 couverts…
Une affiche de l’Armenonville 2

En 1960, le bâtiment fut acheté et utilisé pour la chaine de télévision Canal 9 qui l’utilisa un an, car le bâtiment brûla en 1961.

Le repère rouge de cette carte Google indique l’emplacement de l’Armenonville 2 dont il ne reste plus rien.

Voilà, les trois Armenonvilles bien différenciés et vous pourrez, comme-moi, bondir quand vous verrez ces articles ou vidéos mélangeant tout.
Un dernier point à préciser, les emplacements relatifs de Armenonville 1 et Armenonville 2. En fait, les deux étaient proches, mais pas situés exactement au même endroit comme on le lit parfois (souvent).
Lorsque la ville a fait fermer l’Armenonville 1, les propriétaires ont acheté le terrain d’Armenonville 2 situé un peu plus à l’Ouest et fait construire rapidement le nouveau bâtiment.

Emplacements relatifs sur une carte Google maps qui permet de voir que les deux Armenonvilles n’étaient pas sur le même terrain.

Les trois accords du début

Voici la réponse à la petite devinette du début de l’article. Les trois accords mineurs se retrouvent dans un autre titre, postérieur. La composition de Maglio a donc été « copiée », à moins qu’il s’agisse d’une inspiration commune.

Les trois premiers accords, en rouge, vert puis bleu, sont semblables dans ces deux titres.

Le tango qui reprend cet artifice, c’est (plainte indienne) de Juan Rodriguez. On retrouve le mode mineur, les deux accords constitués de noires (en rouge et vert dans mon illustration) et le troisième de blanches (en bleu).
Queja indiana permit à Juan Rodriguez d’obtenir un prix offert par Disco Nacional del Palace Theatre (qui était au 757, rue Corrientes).
Il se peut que Juan Rodriguez se soit inspiré de la composition de Juan Maglio, Maglio ayant composé ce titre cinq ans avant la première composition de Rodriguez.
Pour terminer, voici la composition de Juan Rodriguez interprétée par .

Queja indiana 1927-10-13 – Orquesta Roberto Firpo (Juan Carlos Rodríguez).

Juan Miguel Velich écrira des paroles que l’on peut entendre, par exemple dans la version de Biagi avec Andrés Falgás, la plus connue.

À bientôt les amis !

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

La nostalgie et l’orgueil pour la pauvreté de da jeunesse est un thème fréquent dans le tango. « Yo soy de Parque Patricios » est de cette veine…
Je vous invite à faire quelques pas dans la boue, les souvenirs et un passé à la fois lointain et tant proche, que les deux anges, D’Agostino et Vargas nous évoquent de si belle façon.
Nous découvrirons l’origine du nom et verrons quelques images de ce quartier qui a toujours un charme certain et que je peux voir de mon balcon.

Extrait musical

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas.
Partition de Yo soy de Parque Patricios de Victor Felice et Carlos Lucero.

Quelques notes de piano, égrenées, comme jetées au hasard, démarrent le titre. L’orchestre reprend d’un rythme bien marqué avec des alternances de piano, des passages puissants et d’autres plus rêveurs chantés par les violons.
Un peu avant la moitié du titre, Ángel Vargas commence à chanter, presque a capela. Il annonce qu’il est de ce quartier et qu’il y est né.
La séance de nostalgie démarre, ponctuée de variations marquées par l’orchestre, tantôt marchant et rythmique, tantôt glissant et suave.
Comme toujours chez ce « couple » des anges, une parfaite réalisation, à la fois dansante, prenante et d’une grande simplicité dans l’expression des sentiments.
En l’écoutant, on pense aux autres titres comme Tres esquinas qui, si le début est constitué de longs glissandos des violons, procèdent de la même construction par opposition.
On remarquera dans les deux titres, comme dans de nombreux autres, de cette association qui enregistra près d’une centaine de titres (93 ?), ces petites échappées musicales qui libèrent la pression de la voix de Vargas, ces petites notes qui s’échappent au piano, violon ou bandonéon et qui montent légèrement dans un parcours sinueux et rapide.

Paroles

Yo soy de Parque Patricios
he nacido en ese barrio,
con sus chatas, con su barro…
En la humildad de sus calles
con cercos de madreselvas
aprendí a enfrentar la vida…
En aquellos lindos tiempos
del percal y agua florida,
con guitarras en sus noches
y organitos en sus tardes.
Yo soy de Parque Patricios
vieja barriada de ayer…

Barrio mío… tiempo viejo…
Farol, chata, luna llena,
viejas rejas, trenzas negras
y un suspiro en un balcón…
Mayorales… cuarteadores…
muchachadas de mis horas,
hoy retornan al recuerdo
que me quema el .

Hoy todo, todo ha cambiado
en el barrio, caras nuevas
y yo estoy avejentado…

(Mil nostalgias en el alma)
Mis cabellos flor de nieve
y en el alma mil nostalgias
soy una sombra que vive…
Recordando aquellos tiempos
que su ausencia me revive,
de mi cita en cinco esquinas…
y de aquellos ojos claros.
Yo soy de Parque Patricios
evocación de mi ayer…

Victor Felice Letra: Carlos Lucero

Vargas change ce qui est en gras. La phrase en rouge remplace la plus grande partie du dernier couplet. Elle n’est pas dans le texte original de Carlos Lucero.

Traduction libre

Je suis de Parque Patricios, je suis né dans ce quartier, avec ses chariots, avec sa boue…
Dans l’humilité de ses rues aux haies de chèvrefeuille, j’ai appris à affronter la vie…
En ces beaux temps de percale et d’eau de Cologne (agua florida), avec des guitares dans leurs nuits et des organitos (orgues ambulants) dans leurs après-midis.
Je viens de Parque Patricios, vieux quartier d’hier…
Mon quartier… le bon vieux temps…
Réverbère, chariots, pleine lune, vieux bars, tresses noires et un soupir sur un balcon…
Les mayorales (préposé aux billets du tramway)… cuarteadores (cavaliers aidant à sortir de la boue les chariots embourbés)… Les bandes de mes heures, aujourd’hui, elles reviennent à la mémoire qui me brûle le cœur.
Aujourd’hui, tout, tout a changé dans le quartier, de nouveaux visages et je suis vieux…
Mes cheveux, fleur de neige et dans mon âme mille nostalgies, je suis une ombre qui vit…
Me souvenir de ces moments que son absence ravive, de mon rendez-vous aux cinq angles (de rues)… et de ces yeux clairs.
(Ce passage n’est pas chanté par Vargas qui fait donc l’impasse sur l’ d’amour perdue).
Je suis de Parque Patricios évocation de mon passé…

Autres versions

La version de Vargas et D’Agostino n’a pas d’enregistrement par d’autres orchestres, mais le quartier de Parque Patricios a suscité des nostalgies et plusieurs titres en témoignent.

Yo soy de Parque Patricios 1944-12-05 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.

Voici quelques titres qui parlent du quartier :

Parque Patricios de

Parque Patricios 1928-09-12 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (Antonio Oscar Arona (Música y letra)

Paroles de la version de Oscar Arona

Cada esquina de este barrio es un recuerdo
de lo mágica y risueña adolescencia;
cada calle que descubre mi presencia,
me está hablando de las cosas del ayer…
¡Viejo barrio! … Yo que vengo del asfalto
te prefiero con tus calles empedradas
y el hechizo de tus noches estrelladas
que en el centro no se sabe comprender.

¡Parque Patricios!…
Calles queridas
hondas heridas
vengo a curar…

Sonreís de mañanita
por los labios de las mozas
que en bandadas rumorosas
van camino al taller;
sos romántico en las puertas
y en las ventanas con rejas
en el dulce atardecer;
que se adornan de parejas
te ponés triste y sombrío
cuando algún muchacho bueno
traga en el veneno
que destila la traición
y llorás amargamente
cuando en una musiquita
el alma de
cruzó el barrio en que nació.

¡Viejo Parque!… Yo no sé qué airada racha
me alejó de aquella novia dulce y buena
que ahuyentaba de mi lado toda pena
con lo magia incomparable de su amor…
Otros barrios marchitaron sus ensueños…
¡Otros ojos y otras bocas me engañaron
el tesoro de ilusiones me robaron
hoy mi vida, encadenado está al dolor!…

Oscar Arona

Traduction libre de la version de Oscar Arona

Chaque recoin de ce quartier est un rappel de l’adolescence magique et souriante ;
Chaque rue que découvre ma présence me parle des choses d’hier…
Vieux quartier… Moi, qui viens de l’asphalte, je vous préfère avec vos rues pavées et le charme de vos nuits étoilées qu’au centre-ville, ils ne peuvent pas comprendre.
Parque Patricios…
Chères rues, blessures profondes, je viens guérir…
Tu souris dès l’aube sur les lèvres des filles qui, en troupeaux bruyants, se rendent à l’atelier ;
Tu es romantique dans les portes et dans les fenêtres avec des barreaux dans le doux coucher de soleil ; qui se parent de couples. Tu deviens triste et sombre quand un bon garçon avale en silence le poison que la trahison distille et tu pleures amèrement quand, dans une petite musique, l’âme de Milonguita a traversé le quartier où elle est née.
Vieux parc (Parque Patricios)… Je ne sais pas quelle trainée de colère m’a éloigné de cette douce et bonne petite amie qui avait chassé tout chagrin de mon côté avec la magie incomparable de son amour…
D’autres quartiers ont flétri ses rêves…
D’autres yeux et d’autres bouches m’ont trompé, ils m’ont volé le trésor des illusions, ma vie, enchaîné, c’est la douleur…

Barrio Patricio de Juan Pecci

Barrio Patricio 1934 – Orchestre Argentin Eduardo Bianco (Juan Pecci).

Honnêtement, je ne suis pas certain que ce tango ait pour thème le même quartier, en l’absence de paroles. Cependant, Juan Pecci est né dans le Sud du quartier San Cristobal à deux cuadras du quartier de Parque Patricios, l’attribution est donc probable. Pecci était violoniste de Bianco avec qui il avait fait une tournée en Europe.

Barrio porteño (Parque Patricios) de et Héctor Romualdo Demattei)

Barrio porteño (Parque Patricios) 1942-08-07 – Osvaldo Fresedo Y Oscar Serpa
(Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Demattei).

Fresedo est plutôt de la Paternal, un quartier situé bien plus au Nord, mais il enregistre également ce tango sur Parque Patricios.
Après le départ de Ricardo Ruiz, l’orchestre de Fresedo semble avoir cherché sa voie et sa voix. Je ne suis pas sûr qu’Oscar Serpa soit le meilleur choix pour le tango de danse, mais l’assemblage n’est pas mauvais si on tient en compte que l’orchestration de Fresedo est également renouvelée et sans doute bien moins propice à la danse que ses prestations de la décennie précédente. Il a voulu innover, mais cela lui a sans doute fait perdre un peu de son âme et la décennie suivante et accélèrera cet éloignement du tango de danse. Fresedo avait la réputation d’être un peu élitiste, disons qu’il s’est adapté à un public plus « raffiné », mais moins versé sur le collé-serré des milongueros.

Paroles de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Perdoná barrio porteño
Que al correr tu vista tanto,
Voy vencido por la vida
Y en angustias sé soñar.
Vuelvo atrás y tú en mis sienes
Marcarás las asechanzas,
De esta noche tormentosa
De mi loco caminar.

Han pasado muchos años
Y es amargura infinita,
La que traigo dentro del pecho
Desangrado el corazón.
Apagada para siempre
De su cielo, mi estrellita,
El regreso es un sollozo
Y una profunda emoción.

Mi acento ya no tiene
Tus tauras expresiones,
Con que cantaba al barrio
En horas del ayer.
Por eso mi guitarra
Silencia su armonía,
En esta noche ingrata
De mi triste volver.

Ernesto Natividad de la Cruz Letra: Héctor Romualdo Dematte

Traduction libre de la version de Ernesto Natividad de la Cruz et Héctor Romualdo Demattei

Pardonne-moi quartier portègne (de Buenos Aires) de courir autant à ta vue, je vais vaincu par la vie et dans l’angoisse je sais rêver.
Je reviens et toi, dans mes tempes, tu marqueras les pièges, de cette nuit d’orage, de ma folle marche.
De nombreuses années ont passé et c’est une amertume infinie, celle que je porte dans ma poitrine saignant mon cœur.
Éteinte à jamais de son ciel, ma petite étoile, le retour est un sanglot et une émotion profonde.
Mon accent n’a plus tes expressions bravaches, avec lesquelles je chantais au quartier aux heures d’hier.
C’est pourquoi ma guitare fait taire son harmonie, en cette nuit ingrate de mon triste retour.

Parque Patricios de et Francisco Laino (Milonga)

Cette géniale milonga est une star des bals. Deux versions se partagent la vedette, celle de Canaro avec Famá et celle, contemporaine de l’autre Francisco, Lomuto avec Díaz. Pour ma part, je n’arrive pas à les départager, les deux portent parfaitement l’improvisation en milonga, comportent des cuivres pour une sonorité originale et si on n’est sans doute un peu plus accoutumés à la voix de Famá, celle de Díaz ne démérite pas.

Parque Patricios 1940-10-03 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra).
Parque Patricios 1941-06-27 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz (Antonio Radicci y Francisco Laino, Música y letra)

Paroles de la version en milonga de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mi viejo Parque Patricios
querido rincón porteño,
barriada de mis ensueños
refugio de mi niñez.
El progreso te ha cambiado
con su rara arquitectura,
llevándose la hermosura
de tu bondad y sencillez.
Cuántas noches de alegría
al son de una ,
en tus casitas de lata
se vio encender el farol.
Y al sonar de las vigüelas
el taita de ronco acento,
hilvanaba su lamento
sintiéndose payador (trovador en la versión de Famá).

Antonio Radicci Letra: Francisco Laino

Traduction libre de la version de Antonio Radicci et Francisco Laino

Mon vieux Parque Patricios, cher recoin de Buenos Aires, quartier de mes rêves, refuge de mon enfance.
Le progrès t’a changé avec son architecture étrange, t’enlevant la beauté de la bonté et de ta simplicité.
Combien de nuits de joie au son d’une sérénade, dans tes petites maisons de tôle se voyait allumer la lanterne.
Et au son des vigüelas [sortes de guitares] le taita [caïd] avec un accent rauque, tissait sa complainte en se sentant payador.

Viejo Parque Patricios de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Viejo Parque Patricios 1952 – Orquesta Puglia-Pedroza (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia).

Une version plutôt jolie, mais qui ne devrait pas satisfaire les danseurs. Contentons-nous de l’écouter. On pourra s’intéresser à la jolie prestation au bandoneón de Edgardo Pedroza.

Viejo Parque Patricios 1955-04-15 – Gerónimo Bongioni y su Auténtico Cuarteto « Los Ases » (Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia)

La version proposée par Bongioni est bien différente de celle de Pugli et Pedroza. On y retrouvera une inspiration de Firpo et des Uruguayens comme Racciatti et Villasboas). Même si c’est très joueur, à la limite de la milonga, le résultat est sans doute assez difficile à danser par la plupart des danseurs.

Paroles de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

Bien que les deux enregistrements soient instrumentaux, il y a des paroles qui ne semblent cependant pas avoir été gravées. Les voici tout de même.

Por los corrales de ayer
Mis años yo pasé,
Barrio florido
Yo fui el primero
Que te canté.
En Alcorta y Labardén,
Caseros y Arena,
Bordé mi nido de amor.
Y en una cuadrera
Supe ser buen ganador,
El Pibe, El Chueco y El Inglés
Por una mujer,
Se trenzaron en más de una vez
Con este cantor.

Porteño soy
De las tres esquinas,
Pinta cantora
Para un querer.
Nací en el Parque Patricios
Sobre los viejos corrales de ayer.
Porteño soy
De las tres esquinas,
Y en mi juventud florida
El lecherito del arrabal,
Y como también
Un bailarín sin rival.
Santos Bazilotti Letra: Antonio Macchia

Traduction libre de la version de Santos Bazilotti et Antonio Macchia

À travers les corrales d’hier. Mes années j’ai passé. Quartier fleuri, j’ai été le premier qui t’a chanté.
À Alcorta et Labardén, Caseros et Arena, j’ai brodé mon nid d’amour.
Et dans une course de chevaux (peut-être aussi écurie), j’ai su être un bon gagnant. El Pibe, El Chueco et El Inglés, pour une femme, ils se sont crêpés plus d’une fois avec ce chanteur (l’auteur du texte).
Je suis Porteño, des Tres Esquinas, L’allure chantante pour un amour.
Je suis né à Parque Patricios sur les anciens corrales d’hier.
Porteño je suis, des Tres esquinas, et, dans ma jeunesse fleurie, le petit laitier des faubourgs, et aussi bien, un danseur sans rival.

Parque Patricios de et Maura Sebastián

Et pour terminer avec les versions, Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián. C’est une composition de Martina Iñíguez et de Mateo Villalba. C’est une version légère, doucement valsée et chantée avec des paroles différentes.

Parque Patricio 2008 (Valse) par le Cuarteto de MateoVillalba avec la voix de Maura Sebastián


El Parque de los Patricios

Ce quartier porte le nom d’un parc créé en 1902 par un paysagiste français, Charles Thays.
Né à Paris en 1849, cet architecte, naturaliste, paysagiste, urbaniste, écrivain et journaliste français a déroulé l’essentiel de sa carrière en Argentine, notamment en dessinant et aménageant la plupart des espaces verts de Buenos Aires, mais aussi d’autres lieux d’Amérique du Sud. Il fut à l’origine du second parc naturel argentin, celui d’Iguazú, et il participa également à l’amélioration de la culture industrielle de mate (germination), cet arbuste qui fait que l’Uruguay et l’Argentine ne seraient pas pareils sans lui.

Le Parque Patricios tel qu’il a été créé à l’origine. Dessin de 1902.

Mais avant le parc, cette zone avait une tout autre destination. Nous en avons parlé à diverses reprises. C’étaient les abattoirs et la décharge d’ordures.
Beaucoup y voient le berceau du tango, voire de Buenos Aires. En fait, tout le territoire actuel de la « Comuna 4 » constitue le Sud (Sur), zone particulièrement propice à la nostalgie et notamment chez D’Agostino et Vargas, qui ont produit plusieurs titres évoquant les quartiers de cette commune.
Le nom de Parque Patricios ou Parque de los Patricios a été donné au parc par l’Intendant Bulrich en l’honneur des Patricios, ce prestigieux bataillon de l’armée argentine.

Les Patricios continuent aujourd’hui à animer la vie argentine, même si leur dernier engagement a été pour les Malouines. À droite, l’uniforme au début du régiment (1806-1807). À l’extrême droite, un officier.
La commune 4 de Buenos Aires, correspond sensiblement au Sur « mythique » avec les quartiers très populaires de Parque Patricios, Nueva Pompeya, Barracas et La Boca. On pourrait rajouter la zone inférieure de Boedo qui appartient à la commune 5, cette zone chère à Homero Manzi.

Cette zone a été chantée dans de nombreux tangos dont nous avons déjà parlé comme :
Del barrio de las latas
Mano blanca
Tres Esquinas
El cuarteador de Barracas
En lo de Laura
Sur
La tablada

Voici à quoi ressemblait le quartier de Parque Patricios au début du 20e siècle. On comprend son surnom de barrio de las latas évoqué dans le tango dont nous avons déjà parlé.

Mais outre cet habitat particulièrement pauvre, la zone était également une immense décharge à ciel ouvert, où, toute la journée, on brûlait les détritus de Buenos Aires.
Les ordures étaient transportées avec un petit train à voie métrique « El tren de la basura », le train des ordures.

Un mural reproduisant le parcours du train des ordures rue Oruro 1400.
El tren de la basura.

L’autre spécialité de la zone était les abattoirs, Los Corrales, qui à la suite de la construction de nouveaux abattoirs à Abasto, sont devenus Los Corrales Viejos…

Corrales viejos matadero. Voir l’anecdote sur La tablada pour en savoir plus.

À bientôt les amis !

Deux détails du mural du train des ordures de la rue Oruro. On remarquera que de véritables « détritus » ont été utilisés, mais avec une intention artistique évidente.

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan Larenza Letra: Lito Bayardo

Ceux qui aiment les milongas dynamiques se ruent en général sur la piste aux premières notes de Milonga querida interprétés par D’Arienzo et Echagüe et ils ont bien raison. Malgré un rythme qui semble soutenu, cette milonga aide les danseurs à s’amuser, ce qui n’est pas autant le cas avec ces milongas que l’on met trop souvent en pensant que les danseurs ne sont pas au niveau… Au contraire, il faut ce type de milonga pour les faire progresser et danser avec joie. Le n’est pas de la milonga…

Extrait musical

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con Echagüe.

Le piano incisif de Juan Polito qui venait de reprendre la main (je devrais dire les deux mains, puisqu’il s’agit de piano) après l’exclusion de Rodolfo Biagi de l’orchestre. Deux accords posent le tempo et le piano lance la milonga immédiatement. Des passages traspies (staccato) alternent avec des passages lisses (legato), ce qui permet aux danseurs, à la fois de varier les improvisations et de se reposer un peu, ou pour le moins de prendre leur marque dans le flot de la milonga pour s’intégrer dans l’harmonie du bal.
La vitesse semble très rapide, mais elle est suffisamment modérée pour pouvoir parfaitement jouer avec la musique.
L’attention est soutenue par l’alternance des parties et quand Echagüe commence à chanter, il reste totalement dans le rythme, ce rythme cher à D’Arienzo et qu’il ne sacrifiera surtout pas pour une milonga.
Les instruments, notamment les cordes et les bandonéons, semblent lancer des piques. Les accords sont brefs, nerveux. On se représente bien D’Arienzo, penché en avant avec l’avant-bras dont le poing est serré, encourageant ses musiciens à donner ces accords, un par un ou par salves nettes dans un staccato très intense, jusqu’aux délivrances des passages liés.
Si vous êtes danseur et intéressé par la musicalité, vous trouverez sans doute pas mal d’inspiration dans cette milonga ponctuée par les fioritures du piano de Polito dans la lignée de Biagi.
La diction de Echagüe, sans doute à son apogée dans cette interprétation, permet de capter les paroles, tout en utilisant la voix comme un instrument rythmique, favorisant la continuité stylistique avec les parties orchestrales.
La fin arrive de façon abrupte, comme si D’Arienzo après avoir lancé les danseurs dans une danse effrénée, voulait les pousser à la faute en les faisant continuer de bouger alors que la musique s’est arrêtée.
Bien sûr, cet est tellement connu que les danseurs ne se laissent pas surprendre, mais on peut imaginer l’ambiance que le titre provoquait lors de ses premières exécutions.

Paroles

No la pintaron los poetas
en sus versos seductores,
ni conocieron su vida
ni el amor de sus amores.
Fue la más linda del barrio
y por linda, codiciada,
y más de cien entreveros
su belleza provocó.

Pero ella bien conocía
quién en silencio la amaba
y a nadie al fin comprendía
pues con ninguno se daba;
por verla sola, muy sola,
mil comentarios se hicieron
y difamaron su nombre
al no conseguir su amor.

Aquel muchacho tan triste,
tan humilde y tan sencillo,
se fue en silencio una noche
del alegre conventillo.
Y aquella piba bonita
por bonita codiciada,
cargó una tarde sus cosas,
y a su barrio no volvió.

Juan Larenza Letra: Lito Bayardo

libre

Les poètes ne l’ont pas peinte dans leurs vers séducteurs ni ne connurent sa vie ni l’amour de ses amours.
C’était la plus belle du quartier et parce qu’elle était belle, convoitée, et plus d’une centaine de bagarres, sa beauté a provoqué.
Mais elle savait bien qui l’aimait en silence, et elle ne comprenait personne à la fin, car à aucun elle se donnait ;
À la voir seule, très seule, mille commentaires se firent et diffamèrent son nom, car ils n’avaient pas obtenu son amour.
Ce garçon, si triste, si humble et si simple, sortit en silence une nuit du joyeux conventillo (logement collectif pauvre).
Et cette jolie fille, convoitée pour sa beauté, une après-midi, a emporté ses affaires, et elle n’est pas revenue dans son quartier.

Autres versions

Milonga querida 1938-11-09 – Orquesta Juan D’Arienzo con . C’est notre milonga du jour.
Milonga querida 1990c – y su Orquesta Típica.

Avec l’Uruguayen Villasboas, on reste dans une dimension joueuse. On reconnaît son style et ses arrangements particuliers. Son piano est sans doute moins présent que celui de Polito, cela laisse plus de clarté pour les violons et bandonéons. On pourra peut être moins apprécier la trop grande régularité qui peuvent engendrer de la monotonie. Je pense qu’écouter cette version après celles de D’Arienzo qui lui est antérieure d’un demi-siècle montre bien la différence d’une musique parfaite pour la danse par rapport à une musique sympathique, mais qui ne porte pas aussi bien.

Et un titre identique, mais totalement différent. C’est une création de Eduardo Pereyra (El Chon) qui est encore dans l’esprit canyengue.

Milonga querida 1931-11-23 – Orquesta Edgardo Donato con Teófilo Ibáñez.


On ne peut pas dire que ce soit vilain, mais sauf pour les amateurs d’encuentros, difficile de résister (dans le sens supporter) à une tanda de ce type…
La fin un peu plus vivante ne sauve pas forcément l’ensemble…

Vous aurez compris que si on me demande « Milonga querida » je proposerai systématiquement la version de D’Arienzo et Echagüe.

Paroles du tango « Milongua querida » de Eduardo Pereyra

Milonguita querendona
Mi más vieja compañera,
Te llevo en el corazón
Como al más fiel de mis amores.

Tu canción es el recuerdo
De mi vida aventurera,
Que me embriaga de dolor
Al recordar aquel tiempo mejor.

Eduardo Pereyra (El Chon) (Paroles et musique)

Traduction libre du texte de Eduardo Pereyra (El Chon)

Petite milonga amoureuse (qui s’énamoure facilement)
Ma plus vieille compagne,
Je te porte dans mon cœur
Comme le plus fidèle de mes amours.


Ta chanson est le souvenir
De ma vie aventureuse,
Qui m’enivre de douleur
Au souvenir de ces temps meilleurs.
Le texte fait sans doute plus penser aux textes des milongas des payadores qu’au rythme allègre qui en reprendra le nom.

Les auteurs

La collaboration entre Juan Larenza et Lito Bayardo a donné la très célèbre zamba, Mama vieja, que De Angelis enregistrera en forme de , comme la magnifique valse Flores del alma (dont les paroles ont été coécrites avec Alfredo Lucero).

Juan Larenza (1911-1980), pianiste et compositeur

Juan Larenza

Les compositions de Larenza ont été enregistrées par de nombreux orchestres, dont De Angelis, D’Arienzo, Aníbal Troilo (avec le fameux Guapeando) et même Di Sarli.
Sa plus célèbre biographie a été écrite ; justement par Lito Bayardo dans son ouvrage « Mis 50 años con la canción argentina »

Le livre de Lito Bayardo50 años con la canción argentina” dans lequel il parle de son ami Juan Larenza. À droite, Larenza est le deuxième en partant de la droite et Bayardo le troisième.

Manuel Juan García Ferrari (1905-1986), plus connu comme Lito Bayardo, guitariste, chanteur, compositeur et parolier

Bayardo a écrit à la fois des textes de tangos et a composé des tangos dont il était également le parolier. Un des plus connus est sans doute Cuatro enregistré, notamment, par Ricardo Tanturi avec , Francisco Canaro avec et Rodolfo Biagi avec Alberto Amor.

Una vez 1946-11-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán

Letra : Cátulo Castillo

Nous avons vu le 9 août un tango du même titre Una vez interprété par la Orquesta Típica Victor dirigée par Mario Maurano avec le chant de Ortega Del Cerro. La version du jour est celle composée par Osvaldo Pugliese et n’a donc rien à voir avec celle de . Je vous propose d’en savoir un peu plus sur cette œuvre romantique et magnifique.

Extrait musical

Una vez 1946-11-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con (Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo).
Partition de Una vez de Osvaldo Pugliese et Cátulo Castillo. Alfredo Gobbi est en photo avec son violon en haut à gauche et en bas à droite, le sourire de Mariano Mores.

Un premier appel est lancé par les bandonéons, qui est repris par les cordes et le piano. Rapidement, les cordes passent en pizzicati et Morán lance sa voix charmeuse et caressante. On retrouve donc un peu le principe de la version de Marcucci avec la voix en contrepoint avec les cordes. L’harmonie est cependant plus travaillée, avec un enchevêtrement des parties plus complexe. Le soliste laisse parfois la place aux instruments qui donnent le motif avec leur voix propre. On notera que Morán chante durant toute la durée du morceau, ce qui n’était pas si courant à l’époque pour les tangos de danse. On pourrait en déduire qu’il était plus conçu pour l’écoute, mais aujourd’hui, les sont tellement habitués à ce type de composition qu’ils seraient bien frustrés si le DJ se les interdisait.

Paroles

Una vez fue su amor que llamó
y después sobre el abismo rodó,
la que amé más que a mí mismo fue.
Luz de su mirada, siempre, siempre helada.
Sabor de , mi amor,
amor que no era nada.
Pequeñez de su burla mordaz,
una vez, sólo en la vida, una vez.

Pudo llamarse Renée
o acaso fuera Manón,
ya no me importa quien fue,
Manón o Renée, si la olvidé…
Muchas llegaron a mí,
pero pasaron igual,
un mal querer me hizo así,
gané en el perder, ya no creí.

Luz lejana y mansa
que ya no me alcanza.
Mi voz gritó ayer,
hoy, amor, sin esperanza.
Una vez, fue su espina tenaz
una vez, sólo en la vida, una vez.
Osvaldo Pugliese Letra : Cátulo Castillo

libre

Une fois, c’était son amour qui m’appelait puis vagabondait au-dessus de l’abîme, celle que j’aimais plus que moi-même.
La lumière de son regard, toujours, toujours glaciale.
Le goût sans goût, mon amour, amour qui n’était rien.
La petitesse de sa moquerie mordante, une fois, seulement dans la vie, une fois.
Elle aurait pu s’appeler Renée ou peut-être que c’était Manón, je m’en moque de qui c’était, Manón ou Renée, si je l’ai oubliée…
Beaucoup sont venues à moi, mais elles sont passés également, un mauvais amour m’a fait comme ça, j’ai gagné en perdant, je n’y croyais plus.
Lumière lointaine et douce qui ne m’atteint plus.
Ma voix a crié hier, aujourd’hui, amour, sans espoir.
Une fois, ce fut son aiguillon tenace une fois, seulement dans la vie, une fois.

Autres versions

Contrairement à la version de Carlos Marcucci, il y a divers enregistrements de ce titre composé par Pugliese avec des paroles de Castillo.

Una vez 1945 – Orquesta Edgardo Donato con Osvaldo Morel.

Un an avant Pugliese, Donato propose son . Si on retrouve la puissance de la composition de l’antimufa, la voix de Morel a un peu de mal à convaincre, malgré son prénom d’Osvaldo. Le résultat n’est pas vilain, mais à mon avis, ce n’est pas trop pertinent pour Donato d’avoir voulu mettre à son répertoire, ce titre qui s’éloigne trop de son style, style qu’il cherchait à moderniser pour rattraper l’évolution.

Una vez 1946-10-31 – Orquesta Osmar Maderna con .

Précédant de peu la version enregistrée par Pugliese, celle de Maderna avec Pedro Dátila est intéressante. Le piano de Maderna est plus décoratif que celui de Pugliese et la voix de Pedro Dátila est expressive, sans doute autant que celle de Morán, si on peut préférer ce dernier, c’est peut-être aussi, car sa voix nous est plus familière. Même si on préfère la version de Pugliese, celle de Maderna est tout à fait dansante, voire plus que celle de l’auteur de la musique.

Una vez 1946-11-08 – Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. C’est notre tango du jour.
Una vez 1964 – Orquesta con Luis Roca.

Salamanca n’a pas la réputation de faire de la musique pour la danse et cet enregistrement ne contredira pas ce fait. Cela n’interdit pas d’aimer cette version et de détester le DJ qui vous la proposerait en bal 😉

Una vez 1968-05-31 – Alberto Morán accompagné par una Orquesta dirigée par Armando Cupo.

Si Cupo a fait quelques enregistrements intéressants et que le chanteur, Morán, est le même que dans la version de Pugliese (24 ans plus tard), il est difficile de s’enthousiasmer pour cette version.

Photos

Le fait que ce soit Mores et Gobbi sur la partition m’a donné l’idée de vous proposer des photos de Pugliese et de Castillo.

Pugliese, Pugliese, Pugliese, lancé par les artistes et techniciens du spectacle pour conjurer le mauvais sort. Pugliese, antimufa…
Castillo, Castillo, Castillo, mais là, cela n’a aucun effet antimufa (anti-poisse).

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 (Fox-Trot) – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico)

Letra: Francisco Antonio Lío

En Europe, il y a une étonnante coutume qui consiste à danser la milonga sur n’importe quel rythme ; Chamame, polka et même fox-trot. Il est probable que cette coutume vient d’une méconnaissance par certains DJ de la variété des orchestres de tango qui pour beaucoup ont enregistrée, outre des tangos (valses et milongas), des titres de Jazz (par exemple des fox-trot). De toute bonne foi, ils ont proposé ces airs, pensant qu’il s’agissait de milongas. Comme les danseurs n’étaient pas très familiers avec le rythme de la milonga, ils ont rebondi sur la proposition et, désormais, c’est devenu une habitude bien ancrée que de danser ces danses dans un simulacre de milonga.
Cela dit, le fox-trot est une superbe musique, ludique et joyeuse, et il serait dommage de s’en passer. Alors, même si vous la dansez en « milonga », le principal est de se faire plaisir.
Le plus connu des fox-trots utilisés comme milonga est sans doute de Rodriguez, notamment la version du 23 mars 1938. Notre fox-trot du jour est moins connu, mais assez sympathique, comme vous allez pouvoir en juger. Je ne dis pas qu’il fera une milonga formidable, mais assurément un excellent fox-trot…

Extrait musical

1931-11-02 (Fox-Trot) – Orquesta Adolfo Carabelli con .

Paroles

Pour une fois, je ne vais pas explorer les paroles, car chaque version est différente et je vais donc présenter seulement quelques extraits.
Pour commencer, le titre d’origine.

Paroles en anglais

You’re Driving Me Crazy (What Did I Do?)

You left me sad and lonely
Why did you leave me lonely
For here’s a heart that’s only
For nobody but you
I’m burning like a flame, dear
Oh, I’ll never be the same, dear
I’ll always place the blame, dear
On nobody but you
Yes, you, you’re driving me crazy
What did I do? What did I do?
My tears for you make everything hazy
Clouding the skies of blue
How true were the friends who were near me
To cheer me, believe me, they knew
But you were the kind who would hurt me
Desert me when I needed you
Yes, you, you’re driving me crazy
What did I do to you
Walter Donaldson

Traduction libre de la version originale en anglais

Tu m’as laissé triste et seul
Pourquoi m’as-tu laissé seul
Car voici un cœur qui n’est
Pour personne d’autre que vous
Je brûle comme une flamme, ma chère
Oh, je ne serai plus jamais le même, ma chère
Je mettrai toujours le blâme, ma chère
Sur personne d’autre que vous
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Mes larmes pour toi rendent tout brumeux
Mettant des nuages dans le ciel bleu
Comme les amis qui étaient près de moi étaient sincères
Pour m’encourager, crois-moi, ils savaient
Mais tu étais du genre à me faire du mal
Tu m’abandonnas quand j’avais besoin de toi
Oui, toi, tu me rends fou
Qu’est-ce que je t’ai fait ?

Quelques extraits des différentes versions en espagnol

Les paroles de Francisco Antonio Lío ont été, comme toujours, utilisées en partie par les orchestres. N’ayant pas trouvé de version imprimée, je vous propose des bribes extraites des différentes versions.

Me vuelves loco nena, con tus caprichos vanos.
Tienes que ser más buena para mi . […]
Bien sabes que te quiero y en cambio tú, querida _ me das dolor. Todo mi afán, es amarte con loco _ con fe y devoción. […]
Loco de tanto adorarte nena, ya estoy por ti. […]
Por ti estoy trastornado y no hay razón para sufrir
Por tu desdén tantas desventuras hay dime que si mi amor el cariño que yo te profeso es dicha y pasión
Mi afán es amarte con loco embeleso y devoción
Loco de tanto adorarte nena ya estoy por ti.

Walter Donaldson Letra: Francisco Antonio Lío

Traduction libre des extraits en espagnol

Tu me rends fou, bébé, avec tes vains caprices.
Tu devrais être plus gentille avec mon cœur.
Tu sais bien que je t’aime et en revanche, toi, chère °°°°°°°°, tu me donnes de la peine.
Tout mon empressement est de t’aimer avec une folle °°°°°°°°, avec foi et dévotion.
Fou de t’adorer autant bébé, je le suis déjà pour toi.
Pour toi je suis dérangé et il n’y a pas de raison de souffrir.
Par ton dédain il y a tant de malheurs dis-moi que si mon amour, l’affection que je professe pour toi est joie et passion.
Mon empressement est de t’aimer avec un fou ravissement et de la dévotion.
Fou de tant t’adorer bébé, je le suis déjà pour toi.

°°°°°°°° indique des mots que je n’ai pas identifiés.

Autres versions

En 1930 Walter Donaldson compose et écrit les paroles de You’re driving me crazy qui sera dansé et interprété par Fred et Adèle Astaire dans la comédie musicale « Smiles ».
Le titre est un succès et est repris par différents artistes. D’abord en anglais, puis, dans d’autres pays, comme l’Argentine. Voici quelques-unes des très nombreuses versions de ce fox-trot qui est connu sous différents noms, traduction plus ou moins approximative de You’re driving me crazy.

Fred et Adele (sa sœur aînée) Astaire dans « Smiles » Photo de Hal Phyfe (1930). C’est en effet dans cette comédie musicale de Florenz Ziegfeld Jr. que le titre est devenu célèbre.
You’re driving me crazy 1930 – .
You’re driving me crazy (What did I do) 1930 – Lee Morse.

What did I do qui est répété trois fois dans la version anglaise est devenu le sous-titre de l’œuvre.

You’re driving me crazy! 1930-12-23 – Louis Armstrong and His Sebastian New Cotton Club Orchestra avec Les Hite’s Orchestra.

L’enregistrement a été réalisé à Los Angeles le 23 décembre 1930 en réunissant l’orchestre de Louis Armstrong et celui de Les Hite. Jugez de la qualité des musiciens qui composent ce grand orchestre de jazz.
Banjo : Bill Perkins
Basse : Joe Bailey
Percussion : Lionel Hampton
Guitare : Bill Perkins
Piano : Jimmie Prince
Direction de l’orchestre et saxophone alto et baryton : Les Hite
Saxophone alto : Marvin Johnson
Saxophone Tenor: Charlie Jones
Trombone : Luther « Sonny » Craven
Trompette : George Orendorf
Trompette : Harold Scott
Trompette et chant : Louis Armstrong

You’re driving me crazy de Luis Armstrong enregistré à Los Angeles, 23 Décembre 1930. Édition anglaise chez Parlophone.

En 1931, le titre qui est un succès en Argentine, est enregistré par différents orchestres, avec des paroles de Francisco Antonio Lío.

Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-02 – Orquesta Adolfo Carabelli con Alberto Gómez (Nico). C’est notre Foxtrot du jour.
Me estas enloqueciendo 1931-11-17 – Osvaldo Fresedo con .
Me vuelves loco (You’re driving me crazy) 1931-11-21 – Orquesta con Charlo.
Me vuelves loco 1931-11-21 – Orquesta Francisco Canaro con Charlo (qui n’est pas mentionné sur le disque…)
Me estás enloqueciendo 1932 – Sexteto Carlos Di Sarli con Mercedes Carné.

Même Di Sarli a enregistré des fox-trots…

Me vuelves loco – Francisco Canaro et Aldo Maietti.

Aldo Maietti est le représentant du tango italien. Il est venu à Buenos Aires et il était ami avec Canaro. Cet enregistrement de 1932 les réunit pour une version instrumentale.

Aldo Maietti surnommé El rey del tango italiano a composé plusieurs centaines de tangos qui ont été interprétés, par exemple, par l’orchestre de Orchestre Piero Trombetta. Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la .

Parmi ses compositions, on peut citer, Alma porteña (à ne pas confondre avec le tango de même nom composé par Vicente Greco avec des paroles de Julián Porteño et encore moins avec la milonga de Antonio Polito avec des paroles de Francisco Laino, Amico tango, Canaria, Lagrimas perdidas et Tristeza en la pampa.

Le jazz

En Argentine, le jazz a rencontré également du succès, même si l’explosion du tango l’a estompé.
Dans les bals, il y avait souvent deux orchestres. Un pour le tango et un pour le jazz. Certains chefs d’orchestre ont décidé de se lancer dans les domaines, comme Carabelli, Canaro, Fresedo, Rodriguez et bien d’autres.

El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944. On voit que, pour presque tous les événements, en plus de l’orchestre de tango (entouré), il y a le nom d’un second orchestre, un orchestre de jazz.

Les années folles ont donné naissance au jazz et au tango, genres qui trouveront leur plein développement dans les années 30-40.
Le fox-trot est une danse de couple. Contrairement au tango, il y a peu d’improvisation et les déplacements sont codifiés. Cela pourrait rendre la danse un peu monotone, mais la musique est si entraînante et joueuse que l’on ne s’ennuie pas en le dansant.
Voici un exemple, un peu atypique, mais d’époque. Il s’agit d’un extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.
C’est un des nombreux témoignages de l’universalité des musiques, en Amérique et Europe.

Extrait du court-métrage suédois Tango-Foxtrot de 1930. On y voit deux danseurs, Brita Appelgren et Mister Alberto, le danser avec la musique de Helge Lindberg et son orchestre (Helge Lindberg’s Polyfonorkester). Le chanteur est Steinar Jøraandstad.

La prochaine fois que vous entendrez un fox-trot dans un bal, peut-être aurez-vous envie de le danser en fox-trot…
À bientôt, les amis.

Les fioritures : une approche de leur compréhension

Par la professeure ( n/a – Buenos Aires, 2024-10-30)

Biographie d’Olga Besio sur Todo Tango

Olga Besio, était professeure, danseuse, chorégraphe et directrice de troupe de danse. Elle nous a quitté le 30 octobre 2024, mais son enseignement laissera des traces, comme on peut en juger par cet article essentiel sur les fioritures.
Je pense que mes stagiaires des de retrouveront des repères…

Texte original d’Olga Besio

“Para hablar de adorno –y como sustento de todo lo que pueda venir – debemos, en primer lugar, hurgar en los orígenes de la esencia y existencia del tango y de la danza.
Es necesario dejar bien claro que la palabra “danza” no tiene solamente una acepción que connota técnica. Muy por el contrario, su sentido más amplio y general refiere a toda forma de danza (en sentido particular) y de baile. Y alude a lo más natural, primitivo, remoto, visceral y hasta animal del ser humano. Y en este sentido es muy anterior, tanto histórica, cronológica, como ontológicamente, a toda concepción técnica.
Si entendemos la danza como un hecho profundamente natural, que nace con el ser humano –y hablamos así de la danza popular, de la cual el tango bailado es quizás nuestro ejemplo más intrínseco-, inmediatamente queda descartado todo lo superfluo.
Entonces, ¿qué es el tango? Lo que ya todos sabemos: un baile de a dos, una profunda comunicación con el otro, y con la música, y.., y.… y “descubrimos” así la idea de diálogo. El diálogo de la pareja de baile, el diálogo con la música, el diálogo de los pies entre sí y con el piso dibujando los famosos “ochos” y mil cosas más – y, si cuadra, el diálogo de los pies y las piernas con el aire, dibujando con precisión boleos de formas claramente definidas, creadas y recreadas cada vez.
Pero ¿en qué consiste el “adorno”, también llamado a veces –posteriormente- “embellecimiento”, “expresividad”…? El adorno consiste, precisamente, en expresar la esencia del tango. De nada sirve hacer adornos mediante procedimientos meramente técnicos, si no se comprende realmente “de qué se trata”. Las piernas de la bailarina (y ATENCIÓN: también las del bailarín) equivalen a una pareja de tango. Se abrazan, se juntan, dialogan, se acarician… técnicamente, esto se logra a partir de un juego de rotaciones de las articulaciones. Pero este juego de rotaciones no debe tomarse como algo fríamente técnico, sino como algo absolutamente natural y lógico, tan natural y tan lógico como cualquier lenguaje. Las piernas “expresan”, “son expresivas”, cuando tienen un lenguaje; no cuando meramente se mueven.
Así, acabamos de derribar varios mitos.

  • Uno, es el de que los adornos son “movimientos que hay que aprender” o “copiar”. De ninguna manera. El aprendizaje técnico es importantísimo, pero no basta. Hay maravillosos bailarines y bailarinas que hacen del adorno una verdadera emoción, pero también vemos, lamentablemente, la mera repetición de movimientos o copias de tal o cual bailarín/a, sin haber entendido realmente su esencia; en estos casos, generalmente el bailarín o bailarina “original” es excelente, y las copias resultan intrascendentes, y a veces hasta desagradables e incluso grotescas.
  • Otro, el de que el adorno es “cuestión de mujeres”. De ninguna manera. Adorno es todo lo que hacen el hombre y/o la mujer sin interferir en la marcación, ni en el paso, figura, secuencia, etc., incluyéndolo con exactitud en la música y sin producir ningún tipo de vibración ni tironeo. Para esto, es absolutamente necesario saber llevar y seguir, y tener muy buen oído musical. (siempre les digo a mis alumnos/as que el compañero/a tiene que enterarse de que su pareja hace adornos, cuando los ve en un video. Esto le pasó a un famoso bailarín, que un día se vio filmado y descubrió lo que hacía su compañera y por qué había tan buenos comentarios acerca de ella).
  • Otro: el de que “para que la mujer adorne, el hombre le tiene que dar tiempo”. Esto vale cuando se trata de una coreografía, que se puede elaborar de común acuerdo o en forma unilateral, o bien por un tercero. Pero en el tango improvisado, está en la inteligencia, en la habilidad, en la “tangueridad” de la mujer, el saber decidir si corresponde, y en caso afirmativo cuándo, cómo y qué adorno o tipo de adorno es el más adecuado según las circunstancias. Por supuesto, si la bailarina tiene poca experiencia no es aconsejable que lo intente en la ; para eso están las clases y las prácticas.
  • Uno más: hablando de oído y musicalidad, algunos bailarines/as (o aprendices) consideran que es suficiente “escuchar el ritmo”. Otros, más avanzados o exquisitos, hablan de “bailar la frase”. Hay que aclarar que esto no basta; es necesario comprender también la melodía y la peculiar expresividad de cada pieza musical, de cada arreglo, de cada versión… Y en este sentido, la musicalidad que necesitan el bailarín y la bailarina va mucho más allá del reconocimiento del “ritmo”, el “compás”, el “tiempo fuerte”, el “débil”, el “contratiempo” y todas esas cosas de las que habitualmente se habla (a veces incluso mezclándolas o confundiéndolas). La musicalidad que aquí se requiere es un verdadero lenguaje que pueda traducir, sobre inventar y volver a crear una y mil veces el sentimiento, la estructura compositiva, la esencia de esta obra en particular que este hombre y esta mujer tienen la dicha de poder bailar aquí y ahora.
    Por último, es necesario mencionar que el adorno no se limita al movimiento, y tampoco se limita a los pies y/o a las piernas –si bien éstos son quizás lo más visible-, sino que es de todo el cuerpo, es una actitud, una quietud, un cerrar los ojos, una pausa, una sucesión de cambios de velocidad y mil cosas más que pueden y muchas veces necesitan trabajarse técnicamente, metodológicamente, pero que en definitiva muestran el amor y la pasión de bailar el tango como cada una, cada uno y cada pareja es capaz de sentirlo.

Olga Besio

libre du texte d’Olga Besio

« Pour parler d’ornement, de fioriture – et comme matière pour tout ce qui peut venir ensuite – nous devons, en premier lieu, nous plonger dans les origines de l’essence et de l’existence du tango et de la danse.
Il est nécessaire de préciser que le mot « danse » n’a pas seulement un sens qui connote de la technique. Bien au contraire, son sens le plus large et le plus général se réfère à toutes les formes d’expression corporelle (dans un sens particulier) et de danse. Et il fait référence aux aspects les plus naturels, primitifs, lointains, viscéraux et même animaux de l’être humain. Et en ce sens, il est beaucoup plus ancien, à la fois historiquement, chronologiquement et ontologiquement, à toute conception technique.
Si nous comprenons la danse comme un fait profondément naturel, qui naît avec l’être humain – et nous parlons de la danse populaire, dont dansé est peut-être notre exemple le plus intrinsèque – tout ce qui est superflu est immédiatement écarté.
Alors, qu’est-ce que le tango ? Ce que nous savons tous déjà : une danse en couple, une communication profonde l’un avec l’autre, et avec la musique, et.., et…. Et c’est ainsi que nous avons « découvert » l’idée de dialogue. Le dialogue du couple de , le dialogue avec la musique, le dialogue des pieds entre eux et avec le sol en dessinant les fameux « huit » et mille autres choses – et, si cela convient, le dialogue des pieds et des jambes avec l’air, dessinant avec précision des boléos de formes clairement définies, créées et recréées à chaque fois.
Mais en quoi consiste « l’ornement » (adorno), aussi parfois appelé – plus tard – « embellissement », « expressivité »… ? L’ornement consiste, précisément, à exprimer l’essence du tango. Il ne sert à rien de faire des fioritures par des procédés purement techniques, si l’on ne comprend pas vraiment « de quoi il s’agit ». Les jambes de la danseuse (et ATTENTION : également celles du danseur) sont équivalentes à un couple de tango. Elles s’étreignent, se retrouvent, dialoguent, se caressent… Techniquement, cela est réalisé à partir d’un jeu de rotations des articulations. Mais ce jeu de rotations ne doit pas être pris comme quelque chose de froidement technique, mais comme quelque chose d’absolument naturel et logique, aussi naturel et aussi logique que n’importe quelle langue. Les jambes « expriment », « sont expressives », quand elles ont un langage ; pas quand elles se contentent de bouger.
Ainsi, nous venons de déboulonner plusieurs mythes :

  • L’un d’entre eux est que les embellissements sont des « mouvements à apprendre » ou à « copier ». En aucune façon. L’apprentissage technique est très important, mais ce n’est pas suffisant. Il y a de merveilleux danseurs et danseuses qui font de l’ornement une véritable émotion, mais on voit aussi, malheureusement, la simple répétition de mouvements ou de copies de tel/telle ou tel/telle danseur/danseuse, sans en avoir vraiment compris l’essence ; dans ces cas-là, le danseur ou la danseuse « original(e) » est généralement excellent(e), et les copies sont inconséquentes, et parfois même désagréables, voire grotesques.
  • Un autre que l’embellissement est « une affaire de femmes ». En aucune façon. La fioriture est tout ce que l’homme et/ou la femme font sans interférer ni avec le guidage ni le pas, figure, séquence, etc., en l’incluant avec précision dans la musique et sans produire aucun type de vibration ou de traction. Pour cela, il faut absolument savoir proposer et suivre, et avoir une très bonne oreille musicale. (Je dis toujours à mes élèves que le danseur/danseuse doit découvrir que sa/son partenaire fait des fioritures, quand il les voit dans une vidéo. C’est ce qui est arrivé à un danseur célèbre qui, un jour, s’est vu filmé et a découvert ce que faisait sa compagne et pourquoi il y avait tant de bons commentaires à son sujet).
  • Un autre : que « pour que la femme s’exprime dans la fioriture, l’homme doit lui donner du temps ». C’est vrai lorsqu’il s’agit d’une chorégraphie, qui peut être élaborée d’un commun accord ou unilatéralement, ou avec un tiers. Mais dans le tango improvisé, c’est dans l’intelligence, dans l’habileté, dans la « tanguerité » (ndt : l’attitude tanguera) de la femme, de savoir décider si c’est approprié, et, si oui, quand, comment et quelle fioriture ou type de fioriture est le plus approprié selon les circonstances. Bien sûr, si la danseuse a peu d’expérience, il ne lui est pas conseillé de s’essayer dans la milonga ; pour cela, il y a les cours et les pratiques.
  • Encore un : en parlant d’écoute et de musicalité, certains danseurs/danseuses (ou apprentis) considèrent qu’il suffit d’« écouter le rythme ». D’autres, plus avancés ou mûrs, parlent de « danser la phrase ». Il convient de préciser que cela ne suffit pas ; Il faut aussi comprendre la mélodie et l’expressivité particulière de chaque morceau de musique, de chaque arrangement, de chaque version… Et en ce sens, la musicalité dont le danseur a besoin va bien au-delà de la reconnaissance du « rythme », du « tempo », du « temps fort », du « faible », du « contretemps » et de toutes ces choses dont on parle habituellement (parfois même en les mélangeant ou en les confondant). La musicalité qui est requise ici est un véritable langage qui peut traduire, inventer et recréer mille fois le sentiment, la structure de la composition, l’essence de cette œuvre en particulier que cet homme et cette femme ont la joie de pouvoir danser ici et maintenant.
    Pour terminer, il faut mentionner que la fioriture ne se limite pas au mouvement, ni aux pieds et/ou aux jambes – bien que ceux-ci soient peut-être les plus visibles – mais qu’elle concerne tout le corps, c’est une attitude, une tranquillité, une fermeture des yeux, une pause, une succession de changements de et mille autres choses qui peuvent et doivent souvent être travaillées techniquement, méthodiquement, mais qui montrent en définitive l’amour et la passion de danser le tango tel que chacune, chacun et chaque couple est capable de le ressentir.
Olga Besio, d’après une photo de https://demilongas.com.

Symboles musicaux et danse de tango

Très peu de de tango lisent la musique, mais les compositions de tango comportent des éléments qui influent sur la danse.
J’ai recensé quelques éléments courants dans les partitions et mis en face l’effet que cela pourrait produire pour la danse.
Cet élément est un extrait du chapitre 4 du de pour danseurs de tango.

Quelques motifs musicaux à repérer

La musique n’est pas une succession de notes de valeur égale. Nous avons vu que le mode pouvait être majeur, mineur, que les rythmes pouvaient être très différents, qu’il y avait des moments de pause, de ralentissement, des moments plus intenses, plus forts et d’autres plus calmes, plus doux.
Les compositeurs écrivent des indications pour les interprètes afin qu’ils respectent l’esprit de la musique en sortant d’une notation musicale qui est d’ordre mathématique plus qu’artistique.

La première indication est celle du tempo, la vitesse. Cela concerne totalement les musiciens mais pas vraiment les danseurs qui doivent suivre le tempo imposé par la musique. Cependant, comme nous l’avons vu, les danseurs peuvent évoluer en interprétant le rythme, sur les temps, deux fois plus vite, deux fois plus lentement, en faisant des pauses. C’est en général la richesse de la composition musicale des tangos qui permet la variété. Les danseurs peuvent passer d’un instrument à l’autre, par exemple.
Sur la partition, on peut trouver :
largo (« large »), lento (« lent »), adagio (« tranquille »), moderato (« modéré »), allegro (« allègre »), presto (« pressé »). Si la musique est lente, il serait assez mal venu quel les danseurs dansent à toute vitesse et tout autant peu compréhensible s’ils se mettaient à faire les tortues sur une déchaînée.
Sur la partition, on trouve parfois la mention rall pour rallentendo (« en ralentissant »), voire plus rarement ritard pour ritardando (« en retardant »).
Pour ces dernières indications, le couple de danseurs ne le sait pas, mais il doit être attentif à la musique et accompagner le ralentissement en adaptant ses mouvements.
Le cas extrême est le break où la musique s’arrête totalement.

Lorsque deux personnes parlent, elles adaptent différents niveaux sonores. Elles peuvent exprimer des sentiments en variant la voix, par exemple pour marquer la surprise, la colère, l’interrogation… Imaginez comme il serait ennuyeux de voir une pièce de théâtre avec les acteurs qui parleraient avec une voix monocorde sans expression.
En musique, c’est pareil. Pour éviter la monotonie, les musiciens mettent des nuances. Ils augmentent ou baissent le volume sur des parties plus ou moins grandes, voire sur des notes isolées.
pp pianissimo (« tout doux, presque silencieux »), p piano (« avec un volume modéré »), mp mezzo piano (« moyennement doux ») ; mf mezzo forte (« moyennement fort »), f forte (« fort »), ff voir fff fortissimo (« très fort voire très fort ».
Les danseurs ne font pas beaucoup de bruit, mais si la musique est piano ou pianissimo, il serait mal venu de faire de bruyants claquement de talon. La danse sera plus souple et moins percutante. À l’inverse, une musique plus forte peut laisser libre court à des fantaisies plus bruyantes de la part des danseurs, comme des frappés de pieds.
Notez qu’il existe aussi le crescendo et le decrescendo qui sont respectivement une montée du volume et une baisse de volume. Ces indications peuvent aussi donner lieu à interprétation.
ATTENTION, un decrescendo, éventuellement accompagné d’un ralentissement, sert souvent pour annoncer une nouvelle partie, ou le début de la partie chantée. C’est donc une aide pour l’improvisation.
Parfois, le crescendo est suivi immédiatement d’un decrescendo. On appelle cela un soufflet, mais si c’est relativement court, cela peut être facilement interprété, la partie la plus forte étant le point culminant de la figure.
Ces nuances s’appliquent parfois à une seule note. On parle alors d’accent. La note en question est surmontée du signe « > ».
Parfois, le fait de rajouter une altération (dièse ou bémol) à une note lui donne une couleur particulière. Les danseurs qui l’auront remarqué pourront la mettre en valeur.

Les symboles de la musique et la danse

Jamás retornarás 1942-10-09 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón

Miguel Caló ; Osmar Héctor Maderna (paroles et musique)

On a déjà vu des tangos dont le thème était l’abandon. Ici, c’est la femme qui est partie, probablement pour acheter des cigarettes et qui n’est jamais revenue. Miguel Caló avec son chanteur fétiche, est sans doute l’orchestre qu’il fallait pour mettre en ondes sonores cette composition de Miguel Caló et Osmar Maderna.

Extrait musical

1942-10-09 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón
Partition de Jamás retornarás de Miguel Caló et Osmar Héctor Maderna (paroles et musique). La partition est dédicacée par Maderna et Calo à leur ami Quinteiro Assi (je n’ai pas trouvé qui c’était…).

Le violon commence en dessinant une longue phrase rejoint par le piano en contraste avec des accords plaqués. Le titre est construit de cette façon par une alternance de passages legato et d’autres staccato et piqués. La voix de Raúl Berón est accompagnée par le piano qui martèle un rythme très marqué. C’est une des particularités de l’orchestre de Miguel Caló, une base rythmique puissante et une mélodie autonome qui la survole. On comparera à ce que font D’Arienzo ou Biagi à la même époque, chez eux, la mélodie est sacrifiée au rythme et ne s’en distingue pas.

Paroles

Cuando dijo adiós, quise llorar…
Luego sin su amor, quise gritar…
Todos los ensueños que albergó mi
(toda mi ilusión),
cayeron a pedazos.
Pronto volveré, dijo al partir.
Loco la esperé… ¡Pobre de mí!
Y hoy, que tanto tiempo ha transcurrido sin volver,
siento que he perdido su querer.

Jamás retornarás…
lo dice el alma mía,
y en esta soledad
te nombro noche y día.
¿Por qué, por qué te fuiste de mi lado
y tan cruel has destrozado
mi corazón?
Jamás retornarás…
lo dice el alma mía
y, aunque muriendo está,
te espera sin cesar.

Cuánto le imploré: vuelve, mi amor…
Cuánto la besé, ¡con qué fervor!
Algo me decía que jamás iba a volver,
que el anochecer
en mi alma se anidaba.
Pronto volveré, dijo al partir.
Mucho la esperé… ¡Pobre de mí!
Y hoy, que al fin comprendo
la penosa y cruel verdad,
siento que la vida se me va.
Miguel Caló ; Osmar Héctor Maderna

libre

Quand elle m’a dit au revoir, j’avais envie de pleurer…
Puis, sans son amour, j’ai eu envie de crier…
Tous les rêves que mon cœur nourrissait (toutes mes illusions) tombèrent en miettes.
Je serai bientôt de retour, a-t-elle dit en partant.
Fou, je l’ai attendue… Pauvre de moi !
Et aujourd’hui, alors que tant de temps s’est écoulé sans retour, je sens que j’ai perdu son amour.
Tu ne reviendras jamais…
Mon âme le dit, et dans cette solitude je te nomme nuit et jour.
Pourquoi, pourquoi es-tu partie d’à mon côté et si cruellement, tu as brisé mon cœur ?
Tu ne reviendras jamais…
Mon âme le dit, et bien qu’elle soit mourante, elle t’attend sans cesse.
Combien je l’ai imploré : reviens, mon amour…
Combien je l’ai embrassée, avec quelle ferveur !
Quelque chose me disait qu’elle ne reviendrait jamais, que le crépuscule se nichait dans mon âme.
Je serai bientôt de retour, a-t-elle dit en partant.
Je l’ai beaucoup attendue… Pauvre de moi !
Et aujourd’hui, quand je comprends enfin la douloureuse et cruelle vérité, je sens que la vie m’échappe.

Autres versions

Jamás retornarás 1942-10-09 – Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón. C’est notre tango du jour.
Jamás retornarás 1943-06-28 – Orquesta con Oscar Serpa.

On entend tout de suite la différence de style d’avec Miguel Caló. L’orchestre joue ensemble, sans l’opposition entre le rythme et la mélodie. Cela rend sans doute la musique moins agréable à danser pour les danseurs qui aiment avoir un rythme bien présent. Honnêtement, il me semble facile de comprendre pourquoi c’est la version de Miguel Caló qui est passée à la postérité.

Jamás retornarás 2013 – Orquesta Típica Sans Souci con .

Jamás retornarás 2013 – Orquesta Típica Sans Souci con Walter « Chino » Laborde.

La Típica Sans Souci s’est fait une spécialité de à la manière de. Ce titre est extrait d’un disque nommé Ac​ú​stico y Monoaural. Même si on peut le trouver en numérique, il a été réalisé en analogique et en mono (comme les disques 78 tours de l’âge d’or). Sans Souci s’est clairement inspiré de la version de Caló, jusqu’au petit chapelet de notes final. Cette similitude de la musique rend étrange la voix d’el Chino Laborde, un immense chanteur, mais qui me semble bien moins pertinent sur cette orchestration que Raúl Berón.

Le disque de Sans Souci est une volonté de rappeler les techniques d’enregistrement de l’âge d’or.
Jamás retornarás 2013-12-05 – Orquesta Típica con .

Vous allez certainement être surpris. En effet, si le titre est le même, il s’agit d’une composition de Luigi Coviello, directeur, arrangeur et contrebassiste de l’orchestre. Vous me pardonnerez cette facétie, j’espère.
Malgré cet ajout illégitime, la récolte est assez maigre.
Peut-être qu’un orchestre contemporain se lancera dans l’aventure. Il y a quelques prémices, sans doute pas totalement convaincants.

Jamás Retornarás 2015-09-18 – Sergio Veloso Con y Rudi Flores (guitarras).

Une version en chanson.

Jamás retornarás 2019-07-20 – .

Une version instrumentale, pas vilaine, mais on s’est habitué à la version de Caló et Berón. C’est cependant une assez bonne direction et il me semble que l’on pourrait bien voir apparaître une nouvelle version dans les années à venir.

C’est fini, comme je dis en fin des milongas en France. À bientôt les amis.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli

Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Shusheta ou sa variante shushetín désigne un dandy, un jeune homme élégant, avec une nuance qui peut aussi qualifier un mouchard. Les Dictateurs de la Décennie infâme ne s’y sont pas trompés et l’histoire des paroles en témoigne. Ce portrait de ce shusheta, peint crûment par Cadícamo sur la musique de Cobián n’est pas si flatteur.

Extrait musical

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli
Partition de Shusheta « Gran tango de salón para piano ».

Paroles usuelles (1938)

Le tango a été écrit en 1920 et était donc instrumental, jusqu’à ce que Cadícamo accède à la demande de son ami de lui écrire des paroles pour ce titre. Il le fit en 1934, mais la version habituelle est celle déposée à la en 1938.

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, galera y bastón…

Dicen que fue, allá por su juventud,
un gran Don Juan del Buenos Aires de ayer.
Engalanó la puerta (las fiestas) del Jockey Club
y en el ojal siempre llevaba un clavel.

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, chambergo (galera) y bastón.

Apellido distinguido,
gran señor en las reuniones,
por las damas suspiraba
y conquistaba
sus corazones.
Y en las tardes de Palermo
en su coche se paseaba
y en procura de un encuentro
iba el porteño
conquistador.

Ah, tiempos del Petit Salón…
Cuánta locura juvenil…
Ah, tiempo de la
sección Champán Tango
del « Armenonville ».

Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emoción…
Hoy sólo quedan
de tu

Toda la calle Florida lo vio
con sus polainas, galera y bastón.
Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Vargas ne chante pas ce qui est en bleu. Cette partie des paroles est peut-être un peu plus faible et de toute façon, cela aurait été trop long pour un tango de danse.
En gras les mots chantés par Vargas à la place de ceux de Cadícamo.

libre des paroles usuelles et indications

Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne… (Polainas, c’est aussi contrariété, revers, déception, Galera, c’est aussi la prison ou la boîte à gâteau des fils de bonne famille. On peut donc avoir deux lectures des paroles, ce que confirme la version, originale, plus noire. Précisons toutefois que la partition déposée à la SADAIC indique chambergo, chapeau. Ce serait donc Vargas qui aurait adapté les paroles).
On dit qu’il était, dans sa jeunesse, un grand Don Juan du Buenos Aires d’antan.
Il décorait la porte (Vargas chante les fêtes) du Jockey Club et portait toujours un œillet à la boutonnière.
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne.
Un nom de famille distingué, un grand seigneur dans les réunions, il soupirait pour les dames et conquérait leurs cœurs.
Et les après-midi de Palermo, il se promenait dans sa voiture à la recherche d’un rendez-vous, ainsi allait le porteño conquérant.
Ah, l’époque du Petit Salón… (Deux tangos s’appellent Petit Salón, dont un de Villodo [mort en 1919]. L’autre est de Vicente Demarco né en 1912 et qui n’a sans doute pas connu le Petit Salón).

Combien de folie juvénile…
Ah, c’est l’heure du Tango de l’Armenonville.
Tout s’est passé comme un instant fugace et plein d’émotion…
Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs de ton cœur…
Toute la rue Florida l’a vu avec ses guêtres, son chapeau et sa canne

Premières paroles (1934)

Ces paroles n’ont semble-t-il jamais été éditées. Selon Juan Ángel Russo, Cadícamo les aurait écrites en 1934.
Cette version n’a été enregistrée que par Osvaldo Ribó accompagné à la guitare par .
On notera qu’elles mentionnent shusheta, ce que ne fait pas la version de 1938 :

Pobre shusheta, tu triunfo de ayer
hoy es la causa de tu padecer…
Te has apagao como se apaga un candil
y de shacao sólo te queda el perfil,
hoy la vejez el armazón te ha aflojao
y parecés un bandoneón desinflao.
Pobre shusheta, tu triunfo de ayer
hoy es la causa de tu padecer.

Yo me acuerdo cuando entonces,
al influjo de tus guiyes,
te mimaban las minusas,
las más papusas
de Armenonville.
Con tu smoking reluciente
y tu pinta de alto rango,
eras rey bailando el tango
tenías patente de gigoló.

Madam Giorget te supo dar
su gran amor de gigolet,
la Ñata Inés te hizo soñar…
¡y te empeñó la vuaturé !
Y te acordás cuando a Renée
le regalaste un reló
y al otro día
la fulería
se paró.
Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo

Traduction libre de la première version de 1934

Pauvre shusheta (un shusheta est un jeune vêtu à la mode en , voire un « petit maître »), ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de tes souffrances…
Tu t’es éteint comme s’éteint une chandelle et de shacao (je n’ai pas trouvé la référence) il ne te reste que le profil, aujourd’hui la vieillesse t’a relâché le squelette et tu ressembles à un bandonéon dégonflé.
Pauvre shusheta, ton triomphe d’hier est aujourd’hui la cause de ta souffrance.
Je me souviens qu’alors, sous l’influence de tes guiyes (gilles, copains ?), tu étais choyé par les minusas (les filles), les plus papusas (poupées, filles) d’Armenonville.
Avec ton smoking brillant et ton look de haut rang, tu étais le roi en dansant le tango, tu tenais un brevet de gigolo.
Madame Giorget a su vous donner son grand amour de gigolette, Ñata Inés vous a fait rêver… (le salon de Ñata Inés était un établissement de Santiago, au Chili, apprécié par Pablo Neruda) et a mis ta décapotable (vuaturé est une voiture avec capote rabattable à deux portes. Prononciation à la française.) en gage !
Et tu te souviens quand tu as offert une montre à Renée (sans doute une Française…) et que le lendemain les choses se sont arrêtées.

Dans El misterio de la Ñata Inés, Luis Sánchez Latorre dans le journal chilien Las Últimas Noticias du 15 juillet 2006, s’interroge sur ce qu’était réellement la Ñata Inés. Sans doute un établissement mixte pouvant aller de la scène à la prostitution, comme les établissements de ce type en Argentine.

D’Agostino et la censure

Vous l’aurez compris, le terme Shusheta qui peut qualifier un « mouchard » a fait que le tango a été censuré et qu’il a dû changer de nom.
En effet, pour éviter la censure, D’Agostino a demandé à Cadícamo une version expurgée que je vous propose ci-dessous.
On notera toutefois que la version chantée en 1945 par Vargas prend les paroles habituelles, celles de 1938, mais débarrassée du titre polémique au profit du plus neutre El aristócrata. C’est la raison pour laquelle, les versions d’avant 1944 (la censure a commencé à s’exercer en 1943) s’appellent Shusheta et les postérieures El aristócrata. Aujourd’hui, on donne souvent les deux titres, ensemble ou indifféremment. On trouve aussi parfois El elegante.

Paroles de El aristócrata, version validée par la censure en 1944

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Hoy quien te ve…
en falsa escuadra y chacao,
tomando sol con un nietito a tu lao.
Vos, que una vez rompiste un cabaré,
hoy, retirao… ni amor, ni guerra querés.

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Te apodaban el shusheta
por lo bien que te vestías.
Peleador y calavera
a tu manera te divertías…
Y hecho un dandy, medio en copas,
en los altos del Casino
la patota te aclamaba
sí milongueabas un buen gotán.

Ah, tiempo del Petit Salón,
cuánta locura juvenil…
Ah, tiempo aquel de la Sección
Champán-Tango de Armenonvil.
Todo pasó como un fugaz
instante lleno de emoción.
Hoy solo quedan
recuerdos en tu corazón.

Toda la calle Florida te vio
con tus polainas, galera y bastón.

Traduction libre de la version de 1944

Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
Aujourd’hui, qui te voit…
Avec une pochette factice et chacao (???), prenant le soleil avec un petit-fils à tes côtés.
Toi, qui as autrefois dévasté un cabaret, tu prends aujourd’hui ta retraite… Tu ne veux ni amour ni guerre.
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.
On te surnommait le shusheta à cause de la façon dont tu t’habillais.
Bagarreur et crâneur, à ta manière, tu t’es amusé…
Et fait un dandy, les coupes à moitié bues, depuis les hauteurs (galeries) du Casino, la bande t’encouragerait si tu milonguéais un bon gotan (Tango en verlan).
Ah, cette époque du Petit Salon, que de folie juvénile…
Ah, cette époque de la section Champagne-Tango de l’Armenonville.
Tout est passé comme un instant fugace et plein d’émotion.
Aujourd’hui, il ne reste que des souvenirs dans ton cœur.
Toute la rue Florida t’a vu avec tes guêtres, ton chapeau et ta canne.

Autres versions

Shusheta 1923-03-27 – Orquesta Juan Carlos Cobián.

Le premier enregistrement, par le compositeur, Juan Carlos Cobián. C’est bien sûr une version instrumentale, puisque les paroles n’ont été écrites que onze ans plus tard.

Shusheta (El aristócrata) 1940-10-08 – Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre .
El aristócrata (El Shusheta) 1945-04-05 – Orquesta .

Cette version, sans doute la plus connue, utilise les paroles non censurées de 1938. Le titre a été modifié pour éviter la censure. Il est vrai qu’en dehors de Shusheta qui pouvait irriter un censeur très suspicieux, le texte n’était pas si subversif. J’imagine que D’Agostino qui avait envie d’enregistrer le titre avec Vargas a demandé les paroles censurées, puis y a renoncé, peut-être en ayant acquis la certitude que la censure n’interdirait pas ce titre. Vargas a apporté de très légères modifications au texte, mais sans que cela soit pour des raisons de censure, ces modifications étant anodines.

Shusheta 1951-05-30 – Horacio Salgán y su Orquesta Típica.

Une version étonnante, pour l’auditeur, mais encore plus pour le danseur qui pourrait bien se venger d’un DJ qui la diffuserait en milonga. Je n’ai pas dit qu’il fallait jeter cet enregistrement, juste le réserver pour l’écoute.

El aristócrata (Shusheta) 1952 – Juan Polito y su Orquesta Típica.

L’ancien complice de D’Arienzo a ses débuts et de nouveau, quand il a remplacé Biaggi qui venait de se faire virer, propose une version nerveuse et ma foi sympathique de Shusheta. La rythmique pourrait déconcentrer des danseurs très habitués à d’autres versions, mais on peut s’amuser, lorsque l’on connaît un peu le titre avec les facéties de Polito au piano. On se souvient que quand il avait remplacé Biagi, il avait continué les fioritures de son prédécesseur. Là, ces ornementations sont bien personnelles et ne doivent rien à Biagi.

Shusheta (El aristócrata) 1957-08-30 – Ángel Vargas y su Orquesta dirigida por Edelmiro « Toto » D’Amario.

Vargas fait cavalier seul, sans D’Agostino. Je vous conseille de vous souvenir plutôt de la version de 1945.

Shusheta (El Elegante) 1970 – Osvaldo Pugliese con cuerdas arreglos de .

Une version destinée à l’écoute, au concert.

Shusheta 2019-08-28 ou 29 – Sexteto Cristal.

Je vous propose d’arrêter là, il existe bien d’autres versions, mais rien qui puisse faire oublier les merveilleuses versions de D’Agostino et Vargas et celle de Di Sarli.