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Condena (S.O.S.) 1937-12-26 — Orquesta Francisco Lomuto

Enrique Santos Discépolo; Francisco Pracánico Letra: Enrique Santos Discépolo

Il est des cir­con­stances dans la vie qui peu­vent être tristes, voire dés­espérantes. Aimer de façon silen­cieuse en étant enchaîné par les liens de l’amitié est la sit­u­a­tion décrite dans ce tan­go qui, au-delà des mal­heurs du nar­ra­teur, fait éclore un large sourire aux danseurs d’encuentros européens. Eux, ne sen­tent pas du tout con­damnés et incités à lancer des S.O.S. dans les bras de leurs parte­naires.

Histoire de S.O.S.

Enrique San­tos Dis­cépo­lo a écrit ce tan­go en 1929 pour une pièce de théâtre. Il por­tait alors le titre de “En un cepo”, que l’on pour­rait inter­préter comme en prison, à l’isolement, dans un piège, voire au pilori (de nos jours, même le Dol­lar est sous Cepo en Argen­tine). Un truc pas bien joyeux en fait.
Voici com­ment Dis­ce­po­lo décrit son inten­tion lorsqu’il a écrit ce titre.

Dis­ce­po­lo par­le de son inten­tion en écrivant ce tan­go.

« Com­ment j’ai écrit “Con­de­na”

J’ai voulu dépein­dre la sit­u­a­tion d’un homme pau­vre, déchu, sans ressources, n’ayant rien et ambi­tion­nant tout. J’ai voulu plac­er cet homme face au monde, regar­dant pass­er la vie qui passe, les plaisirs qui le trou­blent, et il se tord dans l’im­puis­sance de voir qu’ils ne sont pas pour lui. J’ai vu tant de fois dans la rue l’homme en cos­tume élimé, avec un vis­age défor­mé, avec une démarche crain­tive qui voit pass­er une femme envelop­pée de soies bruis­santes et qui se mord en pen­sant qu’elle appar­tien­dra à n’im­porte qui d’autre, sauf à lui. Et la voiture qui passe qui brille d’in­so­lence et qui ne pour­ra jamais être pour lui.
Et j’ai ressen­ti la douleur de cet homme qui est comme « pris au piège ». Lut­tant con­tre l’im­puis­sance, l’en­vie et l’échec. Et cette douleur énorme et con­cen­trée de l’homme enchaîné dans son triste des­tin, face au bon­heur qui passe sans le touch­er, c’est ce que j’ai voulu trans­met­tre bien et pro­fondé­ment ; tor­turé, mais sans pleur­er. »

En 1931, à la tête de son orchestre, Dis­ce­po­lo ressort ce tan­go, sans nom par­ti­c­uli­er. Canaro le veut pour l’enregistrer, ce qu’il fera en 1934. L’argent don­né par Canaro pour l’occasion sau­va le pro­jet de voy­age de Dis­ce­po­lo et de sa com­pagne Tania et, lorsque Canaro deman­da le titre du tan­go à Dis­ce­po­lo, celui-ci lui répon­dit qu’il pou­vait met­tre le titre qu’il voulait.
S.O.S. a été util­isé, comme dans le disque de Lomu­to, car, l’achat de Canaro a sauvé Dis­ce­po­lo.
En revanche, en 1937, Canaro a util­isé le nom “Con­de­na” et pas S.O.S. pour l’enregistrement avec Mai­da. On asso­cie désor­mais les deux titres.
En 1937, tou­jours, Dis­ce­po­lo par­ticipe au film “Melodías Porteñas” où la chanteuse Aman­da Les­des­ma chante deux fois le titre, comme vous pour­rez le voir et l’entendre dans cet arti­cle.

Extrait musical

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to.
Disque Vic­tor de Con­de­na par Fran­cis­co Lomu­to On remar­que que le disque porte la men­tion S.O.S. comme pour Canaro en 1934, mais pas en 1937 ou Canaro a pris le titre de Con­de­na.

Les pas lourds de la con­damna­tion démar­rent le titre, suivi de pas­sages lega­to en con­traste.
À 32s com­mence la par­tie B avec les superbes ban­donéons de Martín Dar­ré, Améri­co Fígo­la, Luis Zinkes et Miguel Jura­do qui venait de rem­plac­er Víc­tor Lomu­to le frère de Fran­cis­co qui était retourné en France (en 1934, il avait épousé Yvonne, une Française dont il eut un fils).
Dans ce pas­sage, le rythme est mar­qué de façon très orig­i­nale avec le pre­mier temps un peu sourd et grave (con­tre­basse de Ham­let Gre­co et per­cus­sions de Desio Cilot­ta) et les trois suiv­ants plus forts, exprimés notam­ment par les ban­donéons en stac­ca­to.
Comme pour la pre­mière par­tie, le con­traste des legatos ter­mine cette par­tie A.
Un pont de 55s à 1′ relance la par­tie A qui présente un pas­sage piano, ce qui rompt la monot­o­nie et qui sem­ble annon­cer quelque chose.
Ce quelque chose, c’est peut-être l’impression de tohu-bohu qui appa­raît à 1:19 et qui s’apaise à 1:24. Enfin, à 1:33, un solo de vio­lon enchanteur et par­ti­c­ulière­ment grave (util­i­sa­tion d’un alto ?) mag­ni­fie l’interprétation. Il est réal­isé par Leopol­do Schiffrin (Leo), qui avait inté­gré l’orchestre dès 1928 et qui en sera le pre­mier vio­lon jusqu’en 1947, date où il se sépara de l’orchestre qui par­tait en tournée en Espagne. L’un de ses fils est le com­pos­i­teur Lalo Schiffrin (Boris Clau­dio Schifrin) qui a notam­ment fait la musique du film de Car­los Saura « Tan­go ».
Le rythme à qua­tre temps avec le pre­mier temps faible et grave est repris et donne une expres­sion orig­i­nale sup­plé­men­taire à ce pas­sage.
La vari­a­tion finale, per­met de met­tre en valeur les instru­ments à vent de l’orchestre.
Cette vari­a­tion est annon­cée par un long pont à la tonal­ité changeante de 2:02 à 2:10 où appa­rais­sent le sax­o­phone et la clar­inette de Carme­lo Aguila et Pri­mo Staderi. Il est impos­si­ble de savoir qui jouait tel ou tel instru­ment lors de cet enreg­istrement, car les deux jouaient du saxo et de la clar­inette.
À 2:28, on remar­quera, après un trait de piano (Oscar Napoli­tano), une courte envolée de la clar­inette qui précède les deux accords ter­minaux.

Paroles

Yo quisiera saber
qué des­ti­no bru­tal
me con­de­na al hor­ror
de este infier­no en que estoy…
Cas­ti­gao como un vil,
pa’ que sufra en mi error
el fra­ca­so de un ansia de amor.
Con­de­nao al dolor
de saber pa’ mi mal
que vos nun­ca serás,
nun­ca… no para mí.
Que sos de otro… y que hablar,
es no verte ya más,
es perderte pa’ siem­pre y morir.

He arras­trao llo­ran­do
la esper­an­za de olvi­dar,
enfan­gan­do mi alma
en cien amores, sin piedad.
Sueño inútil. No he podi­do
No, olvi­dar…
Hoy como ayer
ciego y bru­tal me abra­so
en ansias por vos.

Y lo peor, lo bes­tial
de este dra­ma sin fin
es que vos ni sabés
de mi amor infer­nal…
Que me has dao tu amis­tad
y él me brin­da su fe,
y ninguno sospecha mi mal…
¿Quién me hir­ió de este amor
que no puedo apa­gar?
¿Quién me empu­ja a matar la razón
como un vil?
¿Son tus ojos quizás?
¿O es tu voz quien me ató?…
¿O en tu andar se entremece mi amor?
Enrique San­tos Dis­cépo­lo; Fran­cis­co Pracáni­co Letra : Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Je voudrais savoir quel sort bru­tal me con­damne à l’hor­reur de cet enfer dans lequel je suis…
Punis comme un vil, pour que je souf­fre dans mon erreur de l’échec d’un désir d’amour.
Con­damné à la douleur de savoir pour mon mal que toi tu ne seras jamais, jamais… pour moi.
Que tu sois à un autre
(sos sig­ni­fie tu es. Il est util­isé en jeu de mot pour S.O.S.)… et que par­ler, ce soit ne plus te voir, c’est te per­dre à jamais et mourir.
Je me suis traîné, pleu­rant l’e­spoir d’ou­bli­er, en embrouil­lant mon âme dans cent amours, sans pitié.
Rêve inutile. Je n’ai pas été capa­ble d’oublier…
Aujour­d’hui, comme hier, aveu­gle et bru­tal, je brûle de te désir­er.
Et le pire, le bes­tial de ce drame sans fin, c’est que tu ne sais pas mon amour infer­nal…
Que tu m’as don­né ton ami­tié et lui m’a don­né sa foi, et que per­son­ne ne soupçonne mon mal…
Qui m’a blessé de cet amour que je ne peux pas étein­dre ?
Qui me pousse à tuer la rai­son comme un vil ?
Ce sont tes yeux, peut-être ?
Ou est-ce ta voix qui m’a attaché ?…
Ou, dans ta démarche s’immisce mon amour ?

Autres versions

Les ver­sions de Canaro sont sans doute les plus dif­fusées, mais notre tan­go du jour prou­ve qu’il y a des alter­na­tives, cer­taines pour la danse, d’autre pour l’écoute et cer­taines, pour l’oubli…

Con­de­na (S.O.S.) 1934-11-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

On trou­ve des simil­i­tudes, comme sou­vent, entre la ver­sion de Lomu­to et celle de Canaro. La clar­inette est encore plus présente et bril­lante. Canaro a fait appel pour cet enreg­istrement à des musi­ciens de son ensem­ble de jazz.
La très orig­i­nale vari­a­tion de Lomu­to n’existe pas dans cette ver­sion de Canaro et une cer­taine monot­o­nie peut donc se dégager de cette ver­sion. Cela ne dérangera pas for­cé­ment les danseurs qui n’utilisent que la cadence, mais ce petit manque est peut-être un des élé­ments qui a con­duit Canaro à réen­reg­istr­er le titre en 1937, avec Rober­to Mai­da.

Affiche du film “Melodías Porteñas” (1937) dans lequel Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na

Aman­da Les­des­ma chante deux fois Con­de­na dans le film “Melodías Porteñas” réal­isé en 1937 par Luis Moglia Barth sur un scé­nario de de René Garzón, Luis Moglia Barth et Enrique San­tos Dis­cépo­lo.
Les rôles prin­ci­paux sont tenus par Rosi­ta Con­tr­eras, Enrique San­tos Dis­cépo­lo et Aman­da Ledes­ma.
Un autre intérêt du film est que Enrique San­tos Dis­cépo­lo, auteur de la musique et des paroles est égale­ment acteur dans le film, comme on peut le voir dans ces extraits…

Con­de­na 1937 — Aman­da Les­des­ma dans le film Melodías Porteñas de Luis Moglia Barth. Mon­tage des deux inter­pré­ta­tions dans le film.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-05 — Aman­da Les­des­ma y su Trío Típi­co.

Une jolie ver­sion qui prof­ite de son suc­cès dans le film “Melodías Porteñas”.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-11-08 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

L’intervention de Mai­da casse la monot­o­nie du titre. C’est à mon sens une meilleure ver­sion si on doit choisir Canaro pour le bal. Cette ver­sion reste tout à fait tonique et inci­sive, un délice pour les danseurs qui mar­quent les pas ou qui aiment le canyengue.

Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-26 — Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to. C’est notre tan­go du jour.
Con­de­na (S.O.S.) 1937-12-29 — Tania acomp. de Orques­ta Enrique Dis­cépo­lo.

Un des intérêts de cet enreg­istrement est qu’il est de l’auteur de la musique et des paroles et que Tania était sa com­pagne.
L’introduction du vio­lon mar­que que l’on entre dans un univers dif­férent des ver­sions de Canaro et Lomu­to. C’est une ver­sion pour l’écoute et on aurait tort de se priv­er de la belle voix de Tania. Nous l’avons déjà ren­con­trée, cette chanteuse espag­nole, car c’est elle qui a importé en Argen­tine « Fuman­do espero » avec le Con­jun­to The Mex­i­cans.

Tania et Dis­ce­po­lo
Con­de­na (S.O.S.) 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de Orques­ta Juan Sánchez Gorio.

La voix de ténor de Héc­tor Mau­ré est un peu plus lourde dans cet enreg­istrement. C’est pour l’écoute et chan­té avec sen­ti­ment.

Con­de­na (S.O.S.) 1969 — Alber­to Mari­no con orques­ta.

J’ai évo­qué des ver­sions à oubli­er. Peut-être est-ce pour celle-ci, un peu « sur­jouée »…

Con­de­na (S.O.S.) 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Hype­r­i­on et l’ami Rubén font de belles ver­sions pour la danse. On remar­quera la fin, assez orig­i­nale.

Con­de­na (S.O.S.) 2015 — Sex­te­to Cristal con Guiller­mo Rozen­thuler.

Une des spé­cial­ités du Sex­te­to Cristal est de ressor­tir les gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Cette copie de la ver­sion de Canaro, est un peu moins « sèche », plus ronde et peut con­venir à cer­tains danseurs qui apprécieront la meilleure qual­ité de l’enregistrement. En presque un siè­cle, de gros pro­grès ont été faits de ce côté…

Pour ter­min­er, tou­jours avec le Sex­te­to Cristal, un enreg­istrement vidéo de Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47.

Con­de­na durant le fes­ti­val Tan­goneón à Hérak­lion, Crète le 16 juil­let 2022. Ce titre est à 24:47

Les fans du Sex­te­to Cristal pour­ront enten­dre le con­cert en entier…
À vous de danser et à bien­tôt les amis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tango

1908 ou 1916 José Luis Padula Letra : 1916 ou 1919 Ricardo M. Llanes 1930 — 1931 Eugenio Cárdenas 1931 Lito Bayardo (Manuel Juan García Ferrari)

Le 9 juil­let pour les Argentins, c’est le 4 juil­let des Éta­suniens d’Amérique, le 14 juil­let des Français, c’est la fête nationale de l’Argentine. Elle com­mé­more l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne. José Luis Padu­la était assez bien placé pour écrire ce titre, puisque la sig­na­ture de la Déc­la­ra­tion d’indépendance a été effec­tuée à San Miguel de Tucumán, son lieu natal, le 9 juil­let 1816.

Padu­la pré­tend avoir écrit ce tan­go en 1908, à l’âge de 15 ans, sans titre par­ti­c­uli­er et qu’il a décidé de le dédi­er au 9 juil­let dont on allait fêter le cen­te­naire en 1916.
Dif­fi­cile de véri­fi­er ses dires. Ce qu’on peut en revanche affirmer c’est que Rober­to Fir­po l’a enreg­istrée en 1916 et qu’on y entend les cris de joie (étranges) des sig­nataires (argentins) du traité.

Sig­na­ture de la déc­la­ra­tion d’indépendance au Con­gre­so de Tucumán (San Miguel de Tucumán) le 9 juil­let 1816. Aquarelle de Anto­nio Gonzáles Moreno (1941).
José Luis Padu­la 1893 – 1945. Il a débuté en jouant de l’har­mon­i­ca et de la gui­tare dès son plus jeune âge (son père était mort quand il avait 12 ans et a donc trou­vé cette activ­ité pour gag­n­er sa vie). L’image de gauche est une illus­tra­tion, ce n’est pas Padu­la. Au cen­tre, Padu­la vers 1931 sur une par­ti­tion de 9 de Julio avec les paroles de Lito Bayardo et à droite une pho­to peu avant sa mort, vers 1940.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de 9 de Julio. L’évocation de l’indépendance est man­i­feste sur les deux cou­ver­tures. On notera sur celle de droite la men­tion de Car­de­nas pour les paroles.
Autre exem­ple de par­ti­tion avec un agran­disse­ment de la dédi­cace au procu­rador tit­u­lar Señor Ger­va­sio Rodriguez. Il n’y a pas de men­tion de paroli­er sur ces paroles.
9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tan­go.

Dès les pre­mières notes, on note la tru­cu­lence du tuba et l’ambiance fes­tive que crée cet instru­ment. J’ai choisi cette ver­sion pour fêter le 9 juil­let, car il n’existait pas d’enregistrement intéres­sant du 9 juil­let. C’est que c’est un jour férié et les orchestres devaient plutôt ani­mer la fête plutôt que d’enregistrer. L’autre rai­son est que le tuba est asso­cié à la fan­fare, au défilé et que donc, il me sem­blait adap­té à l’occasion. Et la dernière rai­son et d’encourager cet orchestre créé en 1967 et qui s’est don­né pour mis­sion de retrou­ver la joie des ver­sions du début du vingtième siè­cle. Je trou­ve qu’il y répond par­faite­ment et vous pou­vez lui don­ner un coup de pouce en achetant pour un prix mod­ique ses albums sur Band­camp.

Paroles

Vous avez sans doute remar­qué que j’avais indiqué plusieurs paroliers. C’est qu’il y a en fait qua­tre ver­sions. C’est beau­coup pour un titre qui a surtout été enreg­istré de façon instru­men­tale… C’est en fait un phénomène assez courant pour les titres les plus célèbres, dif­férents auteurs ajoutent des paroles pour être inscrits et touch­er les droits afférents. Dans le cas présent, les héri­tiers de Padu­la ont fait un procès, preuve que les his­toires de sous exis­tent aus­si dans le monde du tan­go. En effet, avec trois auteurs de paroles au lieu d’un, la part de la redis­tri­b­u­tion aux héri­tiers de Padu­la était d’autant dimin­uée.
Je vous pro­pose de retrou­ver les paroles en fin d’article pour abor­der main­tenant les 29 ver­sions. La musique avant tout… Ceux qui sont intéressés pour­ront suiv­re les paroles des rares ver­sions chan­tées avec la tran­scrip­tion cor­re­spon­dante en la trou­vant à la fin.

Autres versions

9 de Julio (Nueve de Julio) 1916 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

On y entend les cris de joie des sig­nataires, des espèces de roucoule­ments que je trou­ve étranges, mais bon, c’était peut-être la façon de man­i­fester sa joie à l’époque. L’interprétation de la musique, mal­gré son antiq­ui­té, est par­ti­c­ulière­ment réussie et on ne ressent pas vrai­ment l’impression de monot­o­nie des très vieux enreg­istrements. On entend un peu de cuiv­res, cuiv­res qui sont totale­ment à l’honneur dans notre tan­go du jour avec La Tuba Tan­go.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1927-06-03 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Encore Fir­po qui nous livre une autre belle ver­sion anci­enne une décen­nie après la précé­dente. L’enregistrement élec­trique améliore sen­si­ble­ment le con­fort d’écoute.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1928-10-11 — Guiller­mo Bar­bi­eri, José María Aguilar, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Vous aurez recon­nu les gui­taristes de Gardel. Cet enreg­istrement a été réal­isé à Paris en 1928. C’est un plaisir d’entendre les gui­taristes sans la voix de leur « maître ». Cela per­met de con­stater la qual­ité de leur jeu.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1929-12-04 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Je trou­ve cette ver­sion un peu pesante mal­gré les beaux accents du piano de Luis Ric­cardi. C’est un titre à réserv­er aux ama­teurs de canyengue, tout au moins les deux tiers, la dernière vari­a­tion plus allè­gre voit les ban­donéons s’illuminer. J’aurais préféré que tout le titre soit à l’aune de sa fin. Mais bon, Canaro a décidé de le jouer ain­si…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1930-04-04 — Orques­ta Luis Petru­cel­li.

Le décès à seule­ment 38 ans de Luis Petru­cel­li l’a cer­taine­ment privé de la renom­mée qu’il méri­tait. Il était un excel­lent ban­donéon­iste, mais aus­si, comme en témoigne cet enreg­istrement, un excel­lent chef d’orchestre. Je pré­cise toute­fois qu’il n’a pas enreg­istré après 1931 et qu’il est décédé en 1941. Ces dernières 10 années furent con­sacrées à sa car­rière de ban­donéon­iste, notam­ment pour Frese­do.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

Mag­a­l­di n’appréciant pas les paroles de Euge­nio Cár­de­nas fit réalis­er une ver­sion par Lito Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1931-08-15 — Orques­ta Típi­ca Colum­bia con Ernesto Famá.

Famá chante le pre­mier cou­plet de Bayardo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1935-12-31 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

C’est une des ver­sions les plus con­nues, véri­ta­ble star des milon­gas. L’impression d’accélération con­tin­ue est sans doute une des clefs de son suc­cès.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1939-07-04 – Char­lo (accordéon et gui­tare).

Je ne sais pas d’où vient cet ovni. Je l’avais dans ma musique, extrait d’un CD Colec­ción para enten­di­dos – Época de oro vol. 6 (1926–1939). Char­lo était pianiste en plus d’être chanteur (et acteur). Tout comme les gui­taristes de Gardel qui ont enreg­istré 9 de Julio sous le nom de Gardel (voir ci-dessus l’enregistrement du 11 octo­bre 1928), il se peut qu’il s’agisse de la même chose. Le même jour, Char­lo enreg­is­trait comme chanteur avec ses gui­taristes Diva­gan­do, No hay tier­ra como la mía, Sola­mente tú et un autre titre accordéon et gui­tare sans chant, la valse Año­ran­do mi tier­ra.
On trou­ve d’autres titres sous la men­tion Char­lo avec accordéon et gui­tare. La cumpar­si­ta et Recuer­dos de mi infan­cia le 12 sep­tem­bre 1939, Pin­ta bra­va, Don Juan, Ausen­cia et La pol­ca del ren­gui­to le 8 novem­bre 1940. Il faut donc cer­taine­ment en con­clure que Char­lo jouait aus­si de l’accordéon. Pour le prou­ver, je verserai au dossier, une ver­sion éton­nante de La cumpar­si­ta qu’il a enreg­istrée en duo avec Sabi­na Olmos avec un accordéon soliste, prob­a­ble­ment lui…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1948 — Orques­ta Héc­tor Stam­poni.

Une jolie ver­sion avec une mag­nifique vari­a­tion finale. On notera l’annonce, une pra­tique courante à l’époque où un locu­teur annonçait les titres.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-05-15 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

D’Arienzo nous donne une autre ver­sion. Il y a de jolis pas­sages, mais je trou­ve que c’est un peu plus con­fus que la ver­sion de 1935 qui devrait être plus sat­is­faisante pour les danseurs. Ful­vio Sala­man­ca relève l’ensemble avec son piano, piano qui est générale­ment l’épine dor­sale de D’Arienzo.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1950-07-20 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis.

Chez De Ange­lis, le piano est aus­si essen­tiel, mais c’est lui qui en joue, il est donc libre de don­ner son inter­pré­ta­tion mag­nifique, sec­ondé par ses excel­lents vio­lonistes. Pour ceux qui n’aiment pas De Ange­lis, ce titre pour­rait les faire chang­er d’avis.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1957-04-08 — Orques­ta Héc­tor Varela.

Varela nous pro­pose une intro­duc­tion orig­i­nale.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953 — Hora­cio Sal­gán y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion sans doute pas évi­dente à danser.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-03-03 — Ariel Ped­ern­era y su Quin­te­to Típi­co.

Une belle ver­sion, mal­heureuse­ment cette copie a été mas­sacrée par le « col­lec­tion­neur ». J’espère trou­ver un disque pour vous pro­pos­er une ver­sion cor­recte en milon­ga, car ce thème le mérite large­ment.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1953-09-10 — Orques­ta José Sala.

Pour l’écoute, bien sûr, mais des pas­sages très sym­pas

9 de Julio (Nueve de Julio) 1954-05-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Pugliese a mis un peu de temps à enreg­istr­er sa ver­sion du thème. C’est une superbe réal­i­sa­tion, mais qui alterne des pas­sages sans doute trop var­iés pour les danseurs, mais je suis sûr que cer­tains seront ten­tés par l’expérience.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1959 — Luis Macha­co.

Une ver­sion tran­quille et plutôt jolie par un orchestre oublié. Le con­tre­point entre le ban­donéon en stac­ca­to et les vio­lons en lega­to est par­ti­c­ulière­ment réus­si.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1964 — Alber­to Mari­no con la orques­ta de Osval­do Taran­ti­no.

Alber­to Mari­no chante les paroles de Euge­nio Cár­de­nas. Ce n’est bien sûr pas une ver­sion pour la danse.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-06-21 — Orques­ta Florindo Sas­sone.
9 de Julio (Nueve de Julio) 1966-08-03 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion bien con­nue par D’Arien­zo, dans le style sou­vent pro­posé par les orchestres con­tem­po­rains. Spec­tac­u­laire, mais, y‑a-t-il un mais ?

9 de Julio (Nueve de Julio) 1967-08-10 (Ranchera-Per­icón) — Orques­ta Enrique Rodríguez.

Sec­ond OVNI du jour, cette ranchera-Per­icón nacional avec ses flon­flons, bien prop­ice à faire la fête. Peut-être une corti­na pour demain (aujourd’hui pour vous qui lisez, demain pour moi qui écrit).

9 de Julio (Nueve de Julio) 1968 — Cuar­te­to Juan Cam­bareri.

Une ver­sion vir­tu­ose et ent­hou­si­as­mante. Pensez à prévoir des danseurs de rechange après une tan­da de Cam­bareri… Si cela sem­ble lent pour du Cam­bareri, atten­dez la vari­a­tion finale et vous com­pren­drez pourquoi Cam­bareri était nom­mé le mage du ban­donéon.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1970 — Orques­ta Arman­do Pon­tier.

Une ver­sion orig­i­nale, mais pas for­cé­ment indis­pens­able, mal­gré le beau ban­donéon d’Arman­do Pon­tier.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Orques­ta Dona­to Rac­ciat­ti.

Même si la Provin­cia Ori­en­tale tombait en 1916 sous la coupe du Por­tu­gal / Brésil, les Uruguayens sont sen­si­bles à l’é­man­ci­pa­tion d’avec le vieux monde et donc, les orchestres uruguayens ont aus­si pro­posé leurs ver­sions du 9 juil­let.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971 — Paler­mo Trío.

Avec un trio, for­cé­ment, c’est plus léger. Ici, la danse n’est pas au pro­gramme.

9 de Julio (Nueve de Julio) 1971-08-04 — Miguel Vil­las­boas y su Sex­te­to Típi­co.

Dans le style hési­tant de Vil­las­boas entre tan­go et milon­ga qu’af­fec­tion­nent les Uruguayens. Le type de musique qui a fait dire que le tan­go avait été inven­té par un indé­cis…

9 de Julio (Nueve de Julio) 1973-11-29 — Miguel Vil­las­boas y Wásh­ing­ton Quin­tas Moreno (dúo de pianos).

L’autre jour, au sujet de La rosa­ri­na 1975-01-06, un lecteur a dit qu’il avait appré­cié la ver­sion en duo de piano de Vil­las­boas et Wásh­ing­ton. Pour ce lecteur, voici 9 de Julio par les mêmes.

Et il est temps de clore cette longue liste avec notre orchestre du jour et dans deux ver­sions :

9 de Julio (Nueve de Julio) 1991 — Los Tubatan­go.

Cet orchestre orig­i­nal par la présence du tuba et sa volon­té de retrou­ver l’ambiance du tan­go des années 1900 a été créé par Guiller­mo Inchausty. C’est le même orchestre que celui de notre tan­go du jour qui est désor­mais dirigé par Lucas Kohan sous l’appellation La Tuba Tan­go au lieu du nom orig­i­nal de Los Tubatan­go.

9 de Julio (Nueve de Julio) 2009 — La Tuba Tan­go.

C’est notre tan­go du jour. Les musi­ciens en sont : Igna­cio Ris­so (tuba), Matias Rul­lo (ban­donéon), Gon­za­lo Braz (clar­inette) et Lucas Kohan (Direc­tion et gui­tare).

Cette longue liste de 29 titres, mais qui aurait pu être facile­ment deux fois plus longue mon­tre la diver­sité de la pro­duc­tion du tan­go.
En ce qui con­cerne la danse, nous nous sommes habitués à danser sur un ou deux de ces titres, mais je pense que vous aurez remar­qué que d’autres étaient aus­si intéres­sants pour le bal. La ques­tion est surtout de savoir les pro­pos­er au bon moment et aux bons danseurs. C’est toute la richesse et l’intérêt du méti­er de DJ.
Pour moi, un bon DJ n’est pas celui qui met des titres incon­nus et étranges afin de recueil­lir les applaud­isse­ments des néo­phytes, mais celui qui met la bonne musique au bon moment en sachant pren­dre des risques mesurés afin d’aider les danseurs à mag­ni­fi­er leur impro­vi­sa­tion et leur plaisir de danser.

Je reviens main­tenant, comme promis aux qua­tre ver­sions des paroles…

Paroles de Lito Bayardo (1931)

Sin un solo adiós
dejé mi hog­ar cuan­do partí
porque jamás quise sen­tir
un sol­lozar por mí.
Triste amanecer
que nun­ca más he de olvi­dar
hoy para qué remem­o­rar
todo lo que sufrí.

Lejano Nueve de Julio
de una mañana div­ina
mi corazón siem­pre fiel quiso can­tar
y por el mun­do poder pere­gri­nar,
infati­ga­ble vagar de soñador
marchan­do en pos del ide­al con todo amor
has­ta que al fin dejé
mi madre y el quer­er
de la mujer que adoré.

Yo me prometi
lleno de glo­ria regre­sar
para podérsela brindar
a quien yo más amé
y al retornar
triste, ven­ci­do y sin fe
no hal­lé mi amor ni hal­lé mi hog­ar
y con dolor lloré.

Cual vagabun­do car­ga­do de pena
yo lle­vo en el alma la desilusión
y des­de entonces así me con­de­na
la angus­tia infini­ta de mi corazón
¡Qué puedo hac­er si ya mis horas de ale­gría
tam­bién se fueron des­de aquel día
que con las glo­rias de mis tri­un­fos yo soñara,
sueños lejanos de mi loca juven­tud!

José Luis Padu­la Letra: Lito Bayardo (Manuel Juan Gar­cía Fer­rari)

C’est la ver­sion que chante Mag­a­l­di, vu qu’il l’a demandé à Bayardo
Famá, chante égale­ment cette ver­sion, mais seule­ment le pre­mier cou­plet.

Traduction libre des paroles de Lito Bayardo

Sans un seul au revoir, j’ai quit­té ma mai­son quand je suis par­ti parce que je ne voulais jamais ressen­tir un san­glot pour moi.
Une triste aube que je n’oublierai jamais aujourd’hui, pour qu’elle se sou­vi­enne de tout ce que j’ai souf­fert.
Loin­tain 9 juil­let, d’un matin divin, mon cœur tou­jours fidèle a voulu chanter et à tra­vers le monde faire le pèleri­nage,
infati­ga­ble errance d’un rêveur marchant à la pour­suite de l’idéal avec tout l’amour jusqu’à ce qu’enfin je quitte ma mère et l’amour de la femme que j’adorais.
Je me suis promis une fois plein de gloire de revenir pour pou­voir l’offrir à celle que j’aimais le plus et quand je suis revenu triste, vain­cu et sans foi je n’ai pas trou­vé mon amour ni ma mai­son et avec douleur j’ai pleuré.
Comme un vagabond acca­blé de cha­grin, je porte la décep­tion dans mon âme, et depuis lors, l’angoisse infinie de mon cœur me con­damne.
Que pour­rais-je faire si mes heures de joie sont déjà par­ties depuis ce jour où j’ai rêvé des gloires de mes tri­om­phes, rêves loin­tains de ma folle jeunesse ?

Paroles de Ricardo M. Llanes (1916 ou 1919)

De un con­ven­til­lo mugri­en­to y fulero,
con un can­flinfero
te espi­antaste vos ;
aban­donaste a tus pobres viejos
que siem­pre te daban
con­se­jos de Dios;
aban­donaste a tus pobres her­manos,
¡tus her­man­i­tos,
que te querían!
Aban­donastes el negro laburo
donde gan­abas el pan con hon­or.

Y te espi­antaste una noche
escab­ul­l­i­da en el coche
donde esper­a­ba el bacán;
todo, todo el con­ven­til­lo
por tu espi­ante ha sol­loza­do,
mien­tras que vos te has mez­cla­do
a las far­ras del gotán;
¡a dónde has ido a parar!
pobrecita milonguera
que soñaste con la glo­ria
de ten­er un buen bulín;
pobre pebe­ta inocente
que engrup­i­da por la far­ra,
te metiste con la bar­ra
que vive en el cafetín.

Tal vez mañana, pia­doso,
un hos­pi­tal te dé cama,
cuan­do no brille tu fama
en el salón;
cuan­do en el “yiro” no hagas
más “sport”;
cuan­do se canse el cafi­sio
de tu amor ;
y te espi­ante rechi­fla­do
del bulín;
cuan­do te den el “oli­vo“
los que hoy tan­to te aplau­den
en el gran cafetín.

Entonces, triste con tu deca­den­cia,
per­di­da tu esen­cia,
tu amor, tu cham­pagne ;
sólo el recuer­do quedará en tu vida
de aque­l­la per­di­da
glo­ria del gotán;
y entonces, ¡pobre!, con lágri­mas puras,
tus amar­guras
der­ra­marás;
y sen­tirás en tu noche enfer­miza,
la ingra­ta risa
del primer bacán.

José Luis Padu­la Letra: Ricar­do M. Llanes

Traduction libre des paroles de Ricardo M. Llanes

D’un immeu­ble (le con­ven­til­lo est un sys­tème d’habitation pour les pau­vres où les familles s’entassent dans une pièce desservie par un cor­ri­dor qui a les seules fenêtres sur l’extérieur) sale et vilain, avec un prox­énète, tu t’es enfuie ;
tu as aban­don­né tes pau­vres par­ents qui t’ont tou­jours prodigué des con­seils de Dieu ;
Tu as aban­don­né tes pau­vres frères, tes petits frères, qui t’aimaient !
Tu as aban­don­né le tra­vail noir où tu gag­nais ton pain avec hon­neur.
Et tu t’es enfuie une nuit en te fau­fi­lant dans la voiture où le bacán (homme qui entre­tient une femme) attendait ;
Tout, tout l’immeuble à cause de ta fuite a san­gloté, tan­dis que toi tu t’es mêlée aux fêtes du Gotan (Tan­go) ;
Mais où vas-tu t’arrêter ?
Pau­vre milonguera qui rêvait de la gloire et d’avoir un bon logis ;
Pau­vre fille inno­cente qui, enflée par la fête, s’est aco­quinée avec la bande qui vit dans le café.
Peut-être que demain, pieuse­ment, un hôpi­tal te don­nera un lit, quand ta renom­mée ne brillera pas dans ce salon ;
quand dans le « yiro » (pros­ti­tu­tion) vous ne faites plus de « sport » ;
quand le voy­ou de ton amour se fatigue ;
et tu t’évades folle du logis ;
Quand ils te ren­voient (dar el oli­vo = ren­voy­er en lun­far­do), ceux qui vous applaud­is­sent tant aujourd’hui dans le Grand Cafetín.
Puis, triste avec ta déca­dence, perte de ton essence, de ton amour, de ton cham­pagne ;
Seul le sou­venir de cette perte restera dans ta vie
Gloire du Gotan ;
et alors, pau­vre créa­ture, avec des larmes pures, ton amer­tume tu déverseras ;
Et tu sen­ti­ras dans ta nuit mal­adive, le rire ingrat du pre­mier Bacán.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Mien­tras los clar­ines tocan diana
y el vibrar de las cam­panas
reper­cute en los con­fines,
mil recuer­dos a los pechos
los infla­ma la ale­gría
por la glo­ria de este día
que nun­ca se ha de olvi­dar.
Deja, con su músi­ca, el pam­pero
sobre los patrios aleros
una belleza que encan­ta.
Y al con­juro de sus notas
las campiñas se lev­an­tan
salu­dan­do, rev­er­entes,
al sol de la Lib­er­tad.

Bro­ta, majes­tu­oso, el Him­no
de todo labio argenti­no.
Y las almas trem­u­lantes de emo­ción,
a la Patria sólo saben ben­de­cir
mien­tras los ecos repiten la can­ción
que dos genios han lega­do al por­venir.
Que la her­mosa can­ción
por siem­pre vivirá
al calor del corazón.

Los cam­pos están de fies­ta
y por la flo­res­ta
el sol se der­ra­ma,
y a sus destel­los de mág­i­cas lum­bres,
el llano y la cum­bre
se envuel­ven de lla­mas.
Mien­tras que un criol­lo patri­ar­cal
nar­ra las horas
de las cam­pañas
lib­er­ta­do­ras,
cuan­do los hijos de este sue­lo
amer­i­cano
por jus­ta causa
demostraron
su val­or.

José Luis Padu­la Letra: Euge­nio Cár­de­nas

C’est la ver­sion chan­tée par Alber­to Mari­no en 1964.

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 1 de 1930)

Tan­dis que les clairons son­nent le réveil et que la vibra­tion des cloches résonne aux con­fins,
mille sou­venirs enflam­ment de joie les poitrines pour la gloire de ce jour qui ne sera jamais oublié.
Avec sa musique, le pam­pero laisse sur les patri­otes alliés une beauté qui enchante.
Et sous le charme de ses notes, la cam­pagne se lève avec révérence, au soleil de la Lib­erté.
L’hymne de chaque lèvre argen­tine germe, majestueux.
Et les âmes, trem­blantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tan­dis que les échos répè­tent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chan­son vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Les cam­pagnes sont en fête et le soleil se déverse à tra­vers la forêt, et avec ses éclairs de feux mag­iques, la plaine et le som­met sont envelop­pés de flammes.
Tan­dis qu’un criol­lo patri­ar­cal racon­te les heures des cam­pagnes de libéra­tion, lorsque les enfants de ce sol améri­cain pour une cause juste ont démon­tré leur courage.

Paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Hoy sien­to en mí
el des­per­tar de algo feliz.
Quiero evo­car aquel ayer
que me brindó plac­er,
pues no he de olvi­dar
cuan­do tem­bló mi corazón
al escuchar, con emo­ción,
esta feliz can­ción:

Bro­ta, majes­tu­oso, el Him­no
de todo labio argenti­no.
Y las almas trem­u­lantes de emo­ción,
a la Patria sólo saben ben­de­cir
mien­tras los ecos repiten la can­ción
que dos genios han lega­do al por­venir.
Que la her­mosa can­ción
por siem­pre vivirá
al calor del corazón.

En los ran­chos hay
un revivir de mocedad;
los criol­los ven en su
pasión
todo el amor lle­gar.
Por las huel­las van
llenos de fe y de ilusión,
los gau­chos que oí can­tar
al res­p­lan­dor lunar.

Los cam­pos están de fies­ta
y por la flo­res­ta
el sol se der­ra­ma,
y a sus destel­los de mág­i­cas lum­bres,
el llano y la cum­bre
se envuel­ven de lla­mas.
Mien­tras que un criol­lo patri­ar­cal
nar­ra las horas
de las cam­pañas
lib­er­ta­do­ras,
cuan­do los hijos de este sue­lo
amer­i­cano
por jus­ta causa
demostraron
su val­or.

José Luis Padu­la Letra: Euge­nio Cár­de­nas

Traduction libre des paroles de Eugenio Cárdenas (version 2 de 1931)

Aujourd’hui je sens en moi l’éveil de quelque chose d’heureux.
Je veux évo­quer cet hier qui m’a offert du plaisir, car je ne dois pas oubli­er quand mon cœur a trem­blé quand j’ai enten­du, avec émo­tion, cette chan­son joyeuse :
L’hymne de chaque lèvre argen­tine germe, majestueux.
Et les âmes, trem­blantes d’émotion, ne savent que bénir la Patrie tan­dis que les échos répè­tent le chant que deux génies ont légué à l’avenir.
Que la belle chan­son vivra à jamais dans la chaleur du cœur.
Dans les baraques (mai­son som­maire, pas un ranch…), il y a un regain de jeunesse ;
Les Criol­los voient dans leur pas­sion tout l’amour arriv­er.
Sur les traces (empreintes de pas ou de roues), ils sont pleins de foi et d’illusion, les gau­chos que j’ai enten­dus chanter au clair de lune.
Les cam­pagnes sont en fête et le soleil se déverse à tra­vers la forêt, et avec ses éclairs de feux mag­iques, la plaine et le som­met sont envelop­pés de flammes.
Tan­dis qu’un criol­lo patri­ar­cal racon­te les heures des cam­pagnes de libéra­tion, quand les enfants de ce sol améri­cain pour une juste cause ont démon­tré leur courage.

Vous êtes encore là ? Alors, à demain, les amis !

Después 1944-07-07 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Hugo Gutiérrez Letra : Homero Manzi

Hugo Gutiér­rez et Home­ro Manzi ont réal­isé avec ce tan­go le dif­fi­cile exer­ci­ce de par­ler de la mort avec une émo­tion rarement atteinte dans le tan­go, sans être oppres­sants. La ver­sion de D’Arienzo et Echagüe qui est notre tan­go du jour est peut-être une des moins réussies, mais je tenais à met­tre en avant ce titre qui a à son ser­vice quelques-unes de plus belles inter­pré­ta­tions du réper­toire, de plus avec une grande var­iété. Entrons dans cette pen­sée triste qui se danse.

Extrait musical

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe
À gauche, cou­ver­ture de par­ti­tion Casa Amar­il­la avec un chanteur, Jorge Novoa, oublié ? Par­ti­tion Julio Korn de Después avec en cou­ver­ture Ani­bal Troi­lo.

Paroles

Después …
La luna en san­gre y tu emo­ción,
y el anticipo del final
en un oscuro nubar­rón.
Luego …
irre­me­di­a­ble­mente,
tus ojos tan ausentes
llo­ran­do sin dolor.
Y después…
La noche enorme en el cristal,
y tu fati­ga de vivir
y mi deseo de luchar.
Luego…
tu piel como de nieve,
y en una ausen­cia leve
tu páli­do final.

Todo retor­na del recuer­do:
tu pena y tu silen­cio,
tu angus­tia y tu mis­te­rio.
Todo se abis­ma en el pasa­do:
tu nom­bre repeti­do…
tu duda y tu can­san­cio.
Som­bra más fuerte que la muerte,
gri­to per­di­do en el olvi­do,
paso que vuelve del fra­ca­so
can­ción hecha peda­zos
que aún es can­ción.

Después …
ven­drá el olvi­do o no ven­drá
y men­tiré para reír
y men­tiré para llo­rar.
Tor­pe
fan­tas­ma del pasa­do
bai­lan­do en el tinglado
tal vez para olvi­dar.
Y después,
en el silen­cio de tu voz,
se hará un dolor de soledad
y gri­taré para vivir…
como si huy­era del recuer­do
en arrepen­timien­to
para poder morir.

Hugo Gutiér­rez Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Après…
La lune en sang et ton émo­tion, et l’anticipation de la fin dans un nuage som­bre.
Plus tard… irrémé­di­a­ble­ment, tes yeux si absents pleu­rant sans douleur.
Et après…
L’immense nuit dans le verre, et ta fatigue de vivre et mon envie de me bat­tre.
Plus tard… ta peau comme de la neige, et une absence légère, ta pâleur finale.
Tout me revient de mémoire :
ton cha­grin et ton silence, ton angoisse et ton mys­tère.
Tout s’abîme dans le passé : ton nom répété… ton doute et ta fatigue.
Une ombre plus forte que la mort, un cri per­du dans l’oubli, un pas qui revient de l’échec, une chan­son en miettes qui est encore une chan­son.
Après…
L’oubli vien­dra ou il ne vien­dra pas et je men­ti­rai pour rire
Et je men­ti­rai pour pleur­er.
Un fan­tôme mal­adroit du passé dansant dans le hangar (tinglado a plusieurs sens, allant d’abri, auvent, plus ou moins som­maire à hangar), peut-être pour oubli­er.
Et puis, dans le silence de ta voix, il y aura une douleur de soli­tude et je crierai pour vivre… Comme si je fuyais le sou­venir en repen­tirs pour pou­voir mourir.

Autres versions

Después 1943–1944 — Nel­ly Omar accomp. Gui­tare de José Canet.

Je com­mence par cet enreg­istrement, car Manzi a écrit Después pour elle. Il est daté de 1944, mais curieuse­ment, il est très rarement indiqué, y com­pris dans des sites générale­ment assez com­plets comme tango-dj.at ou El Reco­do. Je l’indique comme étant de 1943–1944, mais sans garantie réelle qu’il soit antérieur à celui de Miguel Caló qui est du tout début de 1944. La voix mer­veilleuse­ment chaude de Nil­da Elvi­ra Vat­tuone alias Nel­ly Omar accom­pa­g­née par la gui­tare de José Canet nous pro­pose une ver­sion fan­tas­tique, mais bien sûr à écouter et pas à danser.

Después 1944-01-10 Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte.

Dès les pre­mières notes, l’ambiance est impres­sion­nante. On pour­rait penser à un film de sus­pens. La mag­nifique voix de Iri­arte, plus rare que celle de Berón, con­vient par­faite­ment au titre. Si vous n’aimez pas avoir des fris­sons et les poils qui se dressent, évitez cette ver­sion pro­posée par Miguel Caló et Raúl Iri­arte très émou­vante.

Después 1944-03-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Avec Troi­lo, on reste avec une très belle ver­sion musi­cale. Le gron­de­ment des ban­donéons me sem­ble moins émou­vant. Il y a une recherche de joliesse dans ce titre qui me sem­ble aller un peu au détri­ment de la danse. Ce ne sera donc pas ma ver­sion préférée pour la milon­ga.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Después 1944-03-15 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no. La voix de Lib­er­tad Lamar­que est très dif­férente de celle de Nel­ly Omar, mais tout aus­si cap­ti­vante. Elle béné­fi­cie en plus d’un orchestre dirigé par Mario Mau­ra­no dont le piano ressort avec beau­coup de justesse (je pré­cise que je par­le de la finesse, de la justesse de l’expression, de l’arrangement et pas du fait que le piano soit bien accordé. Celui que je vise saura que je par­le de lui…).

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.

Después 1944-07-07 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour. Comme tou­jours, la ver­sion de D’Arienzo est bien marchante et dansante. C’est la cinquième ver­sion de l’année 1944, une année qui nous apporte une incroy­able diver­sité pour ce titre. Pour une œuvre de D’Arienzo, on peut la trou­ver un peu bavarde. Echagüe, met beau­coup de pres­sion. Le résul­tat est dans­able, mais il me sem­ble que d’autres titres inter­prétés par D’Arienzo le rem­placeront avan­tageuse­ment dans une tan­da de D’Arienzo et Echagüe, notam­ment ceux de la pre­mière péri­ode. Después est le pre­mier titre enreg­istré par cette com­po­si­tion après cinq années sans enreg­istrement et il me sem­ble que cette asso­ci­a­tion met­tra un peu de temps avant de retrou­ver une har­monie, l’année 1944 n’est pas la meilleure.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro.

Después 1951-03-22 — L’orchestre Argentin Manuel Pizarro. Arrivé en France en 1920 et s’en étant absen­té de 1941 à 1950, Manuel Pizarro y revient et recom­mence à enreg­istr­er. Son Después fait par­tie de ces enreg­istrements français qui prou­vent que la dis­tance entre les deux mon­des n’est pas si grande. Notons que c’est une des rares ver­sions pure­ment instru­men­tales.

Después 1974-05-03 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Rubén Juárez (Pro­gra­ma En Hom­e­na­je a Home­ro Manzi — Con­duc­ción Anto­nio Car­ri­zo).

Cette ver­sion a été enreg­istrée lors d’une émis­sion en pub­lic en hom­mage à Home­ro Manzi décédé exacte­ment 23 ans plus tôt. Il me sem­ble que cette ver­sion Troi­lo - Juárez est plus aboutie que celle de 1944. On aurait aimé l’avoir dans une belle qual­ité sonore.

Después 1974 — Rubén Juárez Accomp. Arman­do Pon­tier.

Le même Rubén Juárez avec l’orchestre du ban­donéon­iste Arman­do Pon­tier. La prise de son est meilleure que dans l’enregistrement précé­dent et elle met donc plus en valeur la voix de Rubén Juárez. On notera qu’il est, tout comme Arman­do Pon­tier, égale­ment ban­donéon­iste. Cepen­dant, dans cette ver­sion, il se « con­tente » de chanter.

Después 1977-05-13 — Rober­to Goyeneche con la Orques­ta Típi­ca Porteña dirigi­da por Raúl Garel­lo.

Le ban­donéon de Raúl Garel­lo annonce la couleur et l’émotion qui va se dégager de cette ver­sion. El Pola­co (Rober­to Goyeneche) donne une ver­sion extrême­ment émou­vante et l’orchestre l’accompagne par­faite­ment dans les ondu­la­tions de la musique. Cette ver­sion fait ressor­tir toute la poésie de Manzi qui fut un grand poète qui déci­da de con­sacr­er sa vie à l’art pop­u­laire et nation­al du tan­go plutôt que de rechercher les hon­neurs qui aurait pu s’attacher à la car­rière de poète qu’il aurait méritée.

Je vous pro­pose d’arrêter avec ce titre très émou­vant et donc de pass­er sous silence les ver­sions de Pugliese avec Abel Cór­do­ba qui sor­tent, à mon avis, du champ du tan­go pour entr­er dans autre chose, sans doute une forme de musique clas­sique mod­erne, mais sans l’émotion que sus­cite générale­ment le tan­go.

Avant de recevoir des coups de bâtons sur la tête pour avoir osé écrire cela, je vous dis au revoir et à demain, les amis.

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orquesta Alfredo Gobbi con Alfredo Del Río y Tito Landó

Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo

Que ce soit dans les bals musettes de France, dans les milon­gas du Monde entier ou dans des lieux plus éton­nants, cette superbe valse a fait tourn­er des danseurs et des têtes.
Générale­ment, on dit que c’est une valse péru­vi­enne, mais cela peut faire hurler les Argentins, car les papas de cette mer­veille sont tous Argentins.

Une valse bien née

La musique est de Ángel Cabral (Ángel Ama­to). Ce gui­tariste est né en 1911 à Buenos Aires. Très jeune, il jouait dans des trios de gui­tares. À l’époque de l’écriture de Que nadie sepa mi sufrir, le trio était com­posé de Ángel Cabral, Juan José Riverol (né à Buenos Aires et fils du gui­tariste de Car­los Gardel) et Alfre­do Lucero Pala­cios (né à Rosario, Argen­tine).
Il était ami de Enrique Dizeo (né à Buenos Aires), l’auteur des paroles, avec José Riverol, trois fana­tiques des cours­es de chevaux et tous les trois nés à Buenos Aires.
L’auteur de la musique et des paroles est Ángel Cabral. Enrique Dizeo aurait joué un rôle sec­ondaire d’améliorations du texte de Cabral.
Ce thème aurait écrit vers 1936 (d’aucuns dis­ent 1927) et inter­prété en 1936 par Hugo Del Car­ril (né à Buenos Aires). Cer­tains affir­ment que Hugo Del Car­ril aurait enreg­istré cette valse, mais cela sem­ble faux ou pour le moins il n’existe pas d’enregistrement déclaré, ni de film dans lequel il aurait inter­prété ce titre.
Par ailleurs, si la date de 1927 était vraie, ce serait le pre­mier titre de Cabral en solo. Le plus ancien titre enreg­istré datant de 1930 et était une col­lab­o­ra­tion, La Bra­va, une ranchera com­posée avec Hérmes Romu­lo Per­essi­ni.
Dans les années 1940, il écrit tous les autres titres avec la par­tic­i­pa­tion de ses col­lègues gui­taristes du trio. Il s’agit de cor­ri­dos et de milon­gas. La pre­mière ranchera de 1930 n’est peut-être pas de lui, mais de Martín Valen­tín Cabral, auteur de nom­breuses rancheras.
Le fait que sur la par­ti­tion de Que nadie sepa mi sufrir, il y ait la pho­to des trois gui­taristes de l’époque, et pas du trio des années 30, me sem­ble devoir con­fir­mé que le titre date plutôt de la fin des années 40 ou du début des années 50. Si quelqu’un pou­vait sor­tir une véri­ta­ble preuve que Hugo Del Car­ril a chan­té le titre en 1936, ce serait intéres­sant.

C’est le trio qui est présen­té sur la par­ti­tion, ce qui m’incite à penser que le titre date plutôt de la fin des années 40, début des années 50.

Quoi qu’il en soit, on voit donc que toutes les per­son­nes ayant par­ticipé de près ou de loin à ce titre sont Argen­tines. Alors, pourquoi dire que c’est une valse péru­vi­enne ?
En fait, le terme de valse péru­vi­enne désig­nait un rythme de valse plutôt lent que d’ailleurs Cabral a util­isé pour la plu­part de ses valses des années 50 et 60. Je pense qu’il souhaitait surfer sur le suc­cès de Que nadie sepa mi sufrir qui a con­nu son véri­ta­ble suc­cès dans ces années, plus que dans les années 20 ou 30 si les sources plus ou moins fan­tai­sistes faisant remon­ter la créa­tion à cette époque sont exactes.
Cette valse « péru­vi­enne » a donc con­nu beau­coup de suc­cès, mais en atten­dant, je vous pro­pose d’écouter une ver­sion enreg­istrée il y a exacte­ment 69 ans. C’est une des meilleures ver­sions, mais plusieurs se bat­tent pour le podi­um et ça va être une véri­ta­ble course pour savoir qui sera le pre­mier. Mais comme les auteurs sont tur­fistes, les cours­es, ils con­nais­sent.

Extrait musical

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orques­ta Alfre­do Gob­bi con Alfre­do Del Río y Tito Landó.
Que nadie sepa mi sufrir. Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo. Édi­tions Julio Korn.

En pho­to, les mem­bres du trio de gui­tariste dont était mem­bre Cabral à l’époque de l’écriture de cette valse (dans mon hypothèse qu’elle date des alen­tours de 1950).

Paroles

No te asom­bres si te digo lo que fuiste
Una ingra­ta con mi pobre corazón
Porque el fuego de tus lin­dos ojos negros
Alum­braron el camino de otro amor
Porque el fuego de tus lin­dos ojos negros
Alum­braron el camino de otro amor
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo con­for­marme sin poderte con­tem­plar
Ya que pagaste mal, mi car­iño tan sin­cero
Lo que con­seguirás, que no te nom­bre nun­ca más
Amor de mis amores, si dejaste de quer­erme
No hay cuida­do, que la gente de eso no se enter­ará
¿Qué gano con decir que una mujer cam­bió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir
Y pen­sar que te adora­ba cie­ga­mente
Que a tu lado como nun­ca me sen­tí
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo con­for­marme sin poderte con­tem­plar
Ya que pagaste mal, mi car­iño tan sin­cero
Lo que con­seguirás, que no te nom­bre nun­ca más
Amor de mis amores, si dejaste de quer­erme
No hay cuida­do, que la gente de eso no se enter­ará
¿Qué gano con decir que una mujer cam­bió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir

Ángel Cabral Letra : Enrique Dizeo

Traduction libre

Ne t’étonne pas si je te dis com­bi­en tu as été ingrate avec mon pau­vre cœur.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a illu­miné le chemin d’un autre amour.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a éclairé le chemin d’un autre amour
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne peux pas être sat­is­fait sans pou­voir te con­tem­pler puisque tu as mal payé, mon affec­tion si sincère.
Ce que tu obtien­dras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cess­es de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en ren­dront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, per­son­ne ne con­naî­tra ma souf­france et ils penseront que je t’ai adoré aveuglé­ment, qu’à tes côtés comme si jamais je ne l’avais ressen­ti.
Et à cause de ces choses étranges de la vie sans le bais­er de ta bouche, je me suis vu.
Et pour ces choses étranges de la vie, sans le bais­er de ta bouche, je me suis vu
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne puis être sat­is­fait sans pou­voir te con­tem­pler puisque tu as mal payé, mon affec­tion si sincère.
Ce que tu obtien­dras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cess­es de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en ren­dront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, per­son­ne ne con­naî­tra ma souf­france.

Autres versions

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo — Orq Dir Ángel Con­der­curi.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo — Orq Dir Ángel Con­der­curi. Cer­tains attribuent à Jorge Drag­one la Direc­tion de l’orchestre. C’est à mon avis une erreur, car Drag­one dirigeait l’orchestre de Ledes­ma et les pre­miers enreg­istrements sont de 1957.
Castil­lo, après avoir chan­té pour l’orchestre de Tan­turi jusqu’en 1943 a mon­té son orchestre, dirigé par Emilio Bal­carce de fin 1943 à août 1944, puis par Enrique Alessio. En 1948, après un bref pas­sage par l’orchestre de Troi­lo, Castil­lo con­fie la direc­tion de son orchestre à Ángel Con­der­curi et César Zag­no­li, puis en 1949 à Eduar­do Rovi­ra. En 1951 Ángel Con­der­curi, revient, seul à la direc­tion de l’orchestre jusqu’en 1959. Sig­nalons toute­fois quelques enreg­istrements par Raúl Bianchi sur la péri­ode, donc si on peut avoir un doute sur Con­der­curi, c’est du côté de Bianchi qu’il faudrait regarder, pas du côté de Drag­one. Dans les années 60 et 70, Osval­do Reque­na et Con­der­curi vont diriger à tour de rôle l’orchestre. Aucune men­tion de Jorge Drag­one dans la lit­téra­ture sérieuse sur la ques­tion. J’ai même trou­vé un CD où l’orchestre était men­tion­né comme étant celui de Tan­turi…
Mais il reste quelque chose de très impor­tant à sig­naler sur cette inter­pré­ta­tion. Ce serait celle qu’aurait enten­du Edith Piaf et qui en aurait fait La foule avec les paroles de Michel Riv­gauche.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-12-18 — Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

Moins de deux mois après Castil­lo, Alfre­do De Ange­lis donne sa ver­sion avec Car­los Dante. C’est une très belle ver­sion qui souf­fre seule­ment du mépris de cer­tains pour De Ange­lis et de ce que ce titre met en avant les sonorités criol­las ce qui fait dire avec dédain à cer­tains que c’est du folk­lore et pas du tan­go.

Que nadie sepa mi sufrir 1954-11-09 — Alber­to Mari­no.

Si j’étais un DJ taquin, je met­trais cette ver­sion dans une milon­ga (si, au fait, je suis un DJ taquin, je pour­rais le faire en Europe…). Le céles­ta donne le ton, on est dans quelque chose d’original. La gui­tare joue une très belle par­ti­tion accom­pa­g­née par la con­tre­basse qui donne la base. Il y aurait un accordéon, mais il est telle­ment dis­cret qu’on ne le remar­que pas.

Le céles­ta, com­ment ça marche ? Par Cather­ine Cournot. Pour tout con­naître sur le céles­ta, cet instru­ment orig­i­nal.
Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Alfre­do Gob­bi Con Alfre­do Del Rio y Tito Lan­do.

C’est notre valse du jour. Le rythme est plus posé que dans les ver­sions de De Ange­lis et Castil­lo, on est ain­si plus proche de ce qu’est cen­sée être une valse péru­vi­enne. Le duo Alfre­do Del Rio et Tito Lan­do fonc­tionne par­faite­ment. Même si Gob­bi n’est pas en odeur de sain­teté dans toutes les milon­gas, c’est une ver­sion qui pour­rait faire le bon­heur des danseurs. Pour moi, c’est une très belle réal­i­sa­tion.

Que nadie sepa mi sufrir 1956 — Agustín Irus­ta.

Une ver­sion chan­son, sym­pa, sauf pour la danse. Une intro­duc­tion orig­i­nale annonce aus­si une orches­tra­tion dif­férente.

Voilà la ver­sion que vous attendiez, celle d’Edith Piaf… Ici, vous avez en prime les paroles affichées en espag­nol.

La foule 1957-02-28 — Edith Piaf (paroles de Michel Riv­gauche).

On remar­que l’introduction qui dif­fère un peu des autres ver­sions (en fait, presque toutes les intro­duc­tions ont des vari­antes).

Paroles de La foule d’Edith Piaf (écrites par Michel Rivgauche)

Paroles de La foule
Je revois la ville en fête et en délire
Suf­fo­quant sous le soleil et sous la joie
Et j’en­tends dans la musique les cris, les rires
Qui écla­tent et rebondis­sent autour de moi
Et per­due par­mi ces gens qui me bous­cu­lent
Étour­die, désem­parée, je reste là
Quand soudain, je me retourne, il se recule
Et la foule vient me jeter entre ses bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l’un con­tre l’autre
Nous ne for­mons qu’un seul corps
Et le flot sans effort
Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
Et nous laisse tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Entraînés par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle faran­dole
Nos deux mains restent soudées
Et par­fois soulevés
Nos deux corps enlacés s’en­v­o­lent
Et retombent tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Et la joie éclaboussée par son sourire
Me transperce et rejail­lit au fond de moi
Mais soudain je pousse un cri par­mi les rires
Quand la foule vient l’ar­racher d’en­tre mes bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Nous éloigne l’un de l’autre
Je lutte et je me débats
Mais le son de ma voix
S’é­touffe dans les rires des autres
Et je crie de douleur, de fureur et de rage
Et je pleure
Entraînée par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle faran­dole
Je suis emportée au loin
Et je crispe mes poings, maud­is­sant la foule qui me vole
L’homme qu’elle m’avait don­né
Et que je n’ai jamais retrou­vé

Paroles de Michel Riv­gauche

Je vous pro­pose d’arrêter là. J’avais sélec­tion­né une quar­an­taine de ver­sions, y com­pris dans d’autres rythmes, ce sera pour une autre fois et ter­min­er avec Piaf, c’est tout de même une belle envolée, non ?

À demain, les amis !

Milonga de mis amores 1937-05-26 — Orquesta Francisco Canaro

Pedro Laurenz Letra : José María Contursi (Hijo)

Encore une milon­ga qui fait se jeter les danseurs sur la piste. Pour­tant, elle a dif­férentes per­son­nal­ités selon les orchestres qui l’interprètent. Je vous invite à décou­vrir cer­tains de ses vis­ages. Le pre­mier enreg­istrement est celui de Canaro, c’est notre tan­go milon­ga du jour. Elle fête ses 87 ans et exprime la nos­tal­gie de la ville qui change.

Extrait musical

Milon­ga de mis amores 1937-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro
Milon­ga de mis amores. Par­ti­tion piano et voix.

Paroles

Oigo tu voz
engarza­da en los acordes de una Iíri­ca gui­tar­ra…
Sos milon­ga de otros tiem­pos… Yo te vi cre­cer
pren­di­da en las polleras de un bai­lon­go guapo y rompe­dor
como jamás ha de volver.

Nadie, tal vez,
com­prendió mejor las penas y el sen­tir de mi bar­ri­a­da…
Sin embar­go te olvi­daron y en el calle­jón
tan sólo una gui­tar­ra te recuer­da, criol­la como vos,
y en su gemir tiem­bla mi ser.

Vuel­vo cansa­do de todo
y en mi corazón llo­ran los años…
Mi vida bus­ca tan sólo
la tran­quil­i­dad del viejo bar­rio…
Y encuen­tro todo cam­bi­a­do menos tu can­ción, milon­ga mía…
El pro­gre­so ha destroza­do toda la emo­ción
de mi arra­bal.

Quiero olvi­dar
y tus notas van llenan­do de tris­teza el alma mía…
He cruza­do tan­tas veces ese calle­jón,
lle­van­do entre los labios un sil­bido ale­gre y tu can­tar
embor­rachan­do el corazón.

Era feliz
entre­ga­do a las cari­cias de la úni­ca sin­cera
que acunó una pri­mav­era que no flo­re­ció…
Milon­ga, ya no puedo con­tin­uar… El llan­to me ven­ció…
Quiero olvi­dar… y pien­so más.

Pedro Lau­renz José María Con­tur­si (hijo)

Traduction libre et indications

J’entends ta voix enlacée dans les accords d’une gui­tare lyrique…
Tu es une milon­ga d’un autre temps… Je t’ai vu grandir accrochée aux jupes dans des bals déchaînés (destruc­teurs) comme il n’en revien­dra jamais.
Per­son­ne, peut-être, ne com­pre­nait mieux les cha­grins et les sen­ti­ments de mon taud­is…
Cepen­dant, ils t’ont oublié et dans la ruelle seule une gui­tare se sou­vient de toi, criol­la comme toi, et dans ses gémisse­ments mon être trem­ble.
Je reviens fatigué de tout et dans mon cœur les années pleurent…
Ma vie ne cherche que la tran­quil­lité du vieux quarti­er…
Et je trou­ve que tout a changé sauf ta chan­son, ma milon­ga…
Le pro­grès a détru­it toute l’excitation de mon faubourg.
J’ai envie d’oublier et tes notes rem­plis­sent mon âme de tristesse…
J’ai tra­ver­sé cette ruelle tant de fois, por­tant aux lèvres un sif­fle­ment joyeux et ton chant qui enivrait mon cœur.
C’était heureux de s’abandonner aux caress­es de la seule sincère qui berçait un print­emps qui ne fleuris­sait pas…
Milon­ga, je ne peux plus con­tin­uer… Les pleurs m’ont sub­mergé…
Je veux oubli­er… Et je pense encore plus.

Autres versions

Milon­ga de mis amores 1937-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro

C’est notre milon­ga du jour. Canaro a été le pre­mier à enreg­istr­er le titre de Lau­renz. Comme générale­ment à cette époque, le rythme est plutôt lent, presque canyengue.

Milon­ga de mis amores 1937-07-14 — Pedro Lau­renz C Hec­tor Farel.

Lau­renz arrive après Canaro pour don­ner sa ver­sion. Le rythme est bien plus rapi­de et Hec­tor Farel chante quelques mots (ce qui est en gras dans les paroles, rap­pelant ain­si que Con­tur­si, fils, a créé des paroles pour cette milon­ga.

Milon­ga de mis amores 1944-01-14 Orques­ta Pedro Lau­renz.

Sept ans plus tard, Lau­renz revoit sa copie, pure­ment instru­men­tale. Le rythme est encore plus soutenu.

Milon­ga de mis amores 1968 — Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

En 1968, Lau­renz a réduit la voil­ure et c’est son quin­tette qui inter­prète le titre. Le rythme est plus lent, mais ce qui frappe, c’est la légèreté de la musique. Le quin­tette ne rivalise pas avec l’orchestre, le résul­tat me sem­ble un peu anec­do­tique, char­mant, mais sans plus…

Milon­ga de mis amores — 1970-12-16 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Deux ans plus tard, D’Arienzo bal­ance toute la sauce avec cette milon­ga énervée qui ravi­ra les danseurs les plus énergiques et achèvera les autres.

Milon­ga de mis amores 1973-05-04 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co.

Fidèle à son vice, Cam­bareri nous libre une ver­sion en excès de vitesse. Je suis à peu près sûr que lui et ses musi­ciens met­tent de la bois­son éner­gisante dans leur café. Même les danseurs les plus énergiques regarderont les notes pass­er sans essay­er de les attrap­er. Quand c’est trop, c’est trop, d’autant plus que cela manque un peu de clarté.

Milon­ga de mis amores 1993-11-08 — Alber­to Mari­no con orques­ta.

Cette ver­sion a le mérite de nous présen­ter les paroles de Con­tur­si, fils.

Milon­ga de mis amores 2005 – Hype­r­i­on.

Une belle ver­sion, bien énergique, dans l’esprit de D’Arienzo.

Milon­ga de mis amores 2011 — Trio Gar­u­fa.

Une ver­sion légère, qui démarre comme un train à vapeur, puis qui trou­ve son rythme. Intéres­sant, mais est-ce suff­isant pour les danseurs, pas sûr.

Milon­ga de mis amores 2013 — Chamuyo — Cuar­te­to de sax­os.

Milon­ga de mis Amores par Rox­ana Fontán accom­pa­g­née à la flûte par Ravind Sang­ha et un gui­tariste…

Cristal 1944-06-07 — Orquesta Aníbal Troilo con Alberto Marino

Mariano Mores Letra : José María Contursi

La musique de Cristal est de celles qui mar­quent les esprits et les cœurs. La force de l’écriture fait que la plu­part des ver­sions con­ser­vent l’ambiance du thème orig­i­nal. Cepen­dant, nous aurons des petites sur­pris­es. Je vous présente, Cristal de Mar­i­ano Mores avec des paroles de Con­tur­si, mais pas que…

Extrait musical

Cristal 1944-06-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Une très jolie descente répétée lance cette ver­sion. Les notes devi­en­nent de plus en plus graves en suiv­ant une gamme mineure. Cela donne une imposante présence au thème. L’introduction se développe, puis après 30 sec­on­des se développe le thème prin­ci­pal. Celui que Alber­to Mari­no chantera à par­tir de 1’20.

Paroles

Ten­go el corazón hecho peda­zos,
rota mi emo­ción en este día…
Noches y más noches sin des­can­so
y esta desazón del alma mía…
¡Cuán­tos, cuán­tos años han pasa­do,
gris­es mis cabel­los y mi vida!
Loco… casi muer­to… destroza­do,
con mi espíritu amar­ra­do
a nues­tra juven­tud.

Más frágil que el cristal
fue mi amor
jun­to a ti…
Cristal tu corazón, tu mirar, tu reír…
Tus sueños y mi voz
y nues­tra timidez
tem­b­lan­do suave­mente en tu bal­cón…
Y aho­ra sólo se
que todo se perdió
la tarde de mi ausen­cia.
Ya nun­ca volveré, lo sé, lo sé bien, ¡nun­ca más!
Tal vez me esper­arás, jun­to a Dios, ¡más allá!

Todo para mí se ha ter­mi­na­do,
todo para mí se tor­na olvi­do.
¡Trág­i­ca enseñan­za me dejaron
esas horas negras que he vivi­do!
¡Cuán­tos, cuán­tos años han pasa­do,
gris­es mis cabel­los y mi vida!
Solo, siem­pre solo y olvi­da­do,
con mi espíritu amar­ra­do
a nues­tra juven­tud…

Mar­i­ano Mores Letra: José María Con­tur­si

Traduction libre

Mon cœur est en morceaux, mon émo­tion est brisée en ce jour…
Des nuits et encore des nuits sans repos et ce malaise de mon âme…
Com­bi­en, com­bi­en d’années se sont écoulées, grison­nant mes cheveux et ma vie !
Fou… presque mort… détru­it, avec mon esprit amar­ré à notre jeunesse.

Plus frag­ile que le verre était mon amour avec toi…
De cristal, ton cœur, ton regard, ton rire…
Tes rêves et ma voix et notre timid­ité trem­blant douce­ment sur ton bal­con…
Et seule­ment main­tenant, je sais que tout a été per­du l’après-midi de mon absence.
Je n’y retourn­erai jamais, je sais, je le sais bien, plus jamais !
Peut-être m’attendrez-vous, à côté de Dieu, au-delà !

Tout pour moi est fini, tout pour moi devient oubli.
Trag­ique enseigne­ment que m’ont lais­sé ces heures som­bres que j’ai vécues !
Com­bi­en, com­bi­en d’années se sont écoulées, grison­nant mes cheveux et ma vie !
Seul, tou­jours seul et oublié, avec mon esprit amar­ré à notre jeunesse…

Autres versions

Cristal 1944-06-03 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán.

Canaro ouvre le bal avec une ver­sion tonique et assez rapi­de. Le début spec­tac­u­laire que nous avons vu dans la ver­sion de Troi­lo est bien présent. On remar­quera la présence de l’Orgue Ham­mond et sa sonorité par­ti­c­ulière, juste avant que chante Car­los Roldán. Ce dernier est par moment accom­pa­g­né par le vibra­phone.

Cristal 1944-06-07 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no. C’est notre tan­go du jour.
Cristal 1944-06-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

Frese­do ne pou­vait pas pass­er à côté de ce thème qui sem­ble avoir été écrit pour lui. La struc­ture est très proche de celles de Canaro et Troi­lo, mais avec sa sonorité. La voix de Ser­pa, plus tran­chante que celle de Ray et Ruiz, donne un car­ac­tère toute­fois un peu dif­férent à cette inter­pré­ta­tion de Frese­do.

Cristal 1957 — Dal­va de Oliveira con acomp. de orques­ta.

L’introduction est rac­cour­cie et Dal­va de Oliveu­ra chante qua­si­ment tout de suite. Vous aurez sans doute remar­qué que cette ver­sion était chan­tée en Por­tu­gais avec quelques vari­antes. Vous trou­verez le texte en fin d’article. L’orchestre peut être celui de Fran­cis­co Canaro, car elle a enreg­istrée en 1957 avec lui, mais ce n’est pas sûr.

Cristal 1957-02-01 — Orques­ta Mar­i­ano Mores con Enrique Lucero.

Mar­i­ano Mores enreg­istre sa créa­tion. Mar­i­ano Mores se passe de sa spec­tac­u­laire intro­duc­tion pour jouer directe­ment son thème prin­ci­pal. Le piano fait le lien entre les dif­férents instru­ments, puis Enrique Lucero entre scène. Lucero a une belle voix, mais manque un peu de présence, asso­cié à un orchestre léger et sans doute trop poussé à des fan­taisies qui fait que cette ver­sion perd un peu de force dra­ma­tique. On ver­ra avec des ver­sions suiv­antes que Mores cor­rig­era le tir, du côté chant, mais pas for­cé­ment du côté orches­tral.

Cristal 1958 — Albert­in­ho For­tu­na com Alexan­dre Gnat­tali e a sua orques­tra.

Là encore, voir en fin d’article le texte en por­tu­gais brésilien.

Cristal 1961 — Astor Piaz­zol­la Y Su Quin­te­to Con Nel­ly Vázquez.

Piaz­zol­la enreg­istre à plusieurs repris­es le titre. Ici, une ver­sion avec Nel­ly Vázquez. On est dans autre chose.

Cristal 1962-04-27 — Orques­ta Arman­do Pon­tier con Héc­tor Dario.

Arman­do Pon­tier nous livre une ver­sion sym­pa­thique, avec un Héc­tor Dario qui lance avec énergie le thème.

Cristal 1965 — Ranko Fuji­sawa. Avec l’orchestre japon­ais de son mari,

Ranko nous prou­ve que le tan­go est vrai­ment inter­na­tion­al. Elle chante avec émo­tion.

Cristal 1978-08-01 — Rober­to Goyeneche con Orques­ta Típi­ca Porteña arr. y dir. Raúl Garel­lo.

Goyeneche a enreg­istré de nom­breuses fois ce titre, y com­pris avec Piaz­zol­la. Voici une de ses ver­sions, je vous en présen­terai une autre en vidéo en fin d’article. On voit que Piaz­zol­la est passé par là, avec quelques petites références dans l’orchestration.

Cristal 1984c — Clau­dia Mores con la Orques­ta de Mar­i­ano Mores.

Mar­i­ano revient à la charge avec Clau­dia, sa belle-fille. En effet, elle était mar­iée à Nico, le fils de Mar­i­ano. On retrou­ve l’orgue Ham­mond de Canaro dans cette ver­sion. Si elle est moins con­nue que son mari, il faut lui recon­naître une jolie voix et une remar­quables expres­siv­ité.

Cristal 1986 — Mar­i­ano Mores y su Orques­ta con Vik­ki Carr.

Une ren­con­tre entre Vik­ki Carr qui a habituelle­ment un réper­toire dif­férent. On notera que l’orchestre est plus sobre que dans d’autres ver­sions, même, si Mores ne peut pas s’empêcher quelques fan­taisies.

Cristal 1994 — Orques­ta Mar­i­ano Mores con Mer­cedes Sosa.

Atten­tion, pure émo­tion quand la Negra se lance dans Cristal. Sa voix si par­ti­c­ulière, habituée au folk­lore s’adapte par­faite­ment à ce thème. Atten­tion, il y a un break (silence) très long, ne perdez pas la fin en coupant trop vite. Avec cette ver­sion, on peut dire que Mores, avec ces trois femmes, a don­né de superbes ver­sions de sa com­po­si­tion, d’un car­ac­tère assez dif­férent de ce qu’ont don­né les autres orchestres, si on excepte Piaz­zol­la et ce qui va suiv­re.

Cristal 1994 — Susana Rinal­di con acomp. de orques­ta.

La même année encore une femme qui donne une superbe ver­sion du thème de Mores. Là, c’est la voix qui est essen­tielle. Une ver­sion étince­lante qui pour­rait rap­pel­er Piaf dans le vibra­to de la voix.

Cristal 1998 — Orques­ta Nés­tor Mar­coni con Adri­ana Varela.

Oui, encore une femme, une voix dif­férente. L’empreinte de Piaz­zol­la est encore présente. Nés­tor Mar­coni pro­pose un par­fait accom­pa­g­ne­ment avec son ban­donéon. Vous le ver­rez de façon encore plus spec­tac­u­laire dans la vidéo en fin d’article.

Cristal 2010c — Aure­liano Tan­go Club. Une intro­duc­tion très orig­i­nale à la con­tre­basse.

On notera aus­si la présence de la bat­terie qui éloigne totale­ment cette ver­sion du tan­go tra­di­tion­nel.

Versions en portugais

Voici le texte des deux ver­sions en por­tu­gais que je vous ai présen­tées.

Paroles

Ten­ho o coração feito em pedaços
Tra­go esfar­ra­pa­da a alma inteira
Noites e mais noites de cansaço
Min­ha vida, em som­bras, pri­sioneira
Quan­tos, quan­tos anos são pas­sa­dos
Meus cabe­los bran­cos, fim da vida
Lou­ca, quase mor­ta, der­ro­ta­da
No crepús­cu­lo apa­ga­do lem­bran­do a juven­tude
Mais frágil que o cristal
Foi o amor, nos­so amor
Cristal, teu coração, teu olhar, teu calor
Car­in­hos juve­nis, jura­men­tos febris
Tro­camos, doce­mente em teu portão
Mais tarde com­preen­di
Que alguém bem jun­to a ti
Man­cha­va a min­ha ausên­cia
Jamais eu voltarei, nun­ca mais, sabes bem
Talvez te esper­arei, jun­to a Deus, mais além

Harol­do Bar­bosa

À propos de la version d’Haroldo Barbosa

Le thème des paroles d’Haroldo Bar­bosa est sem­blable, mais ce n’est pas une sim­ple tra­duc­tion. Si la plu­part des images sont sem­blables, on trou­ve une dif­férence sen­si­ble dans le texte que j’ai repro­duis en gras.
« Plus tard, j’ai réal­isé que quelqu’un juste à côté de toi avait souil­lé mon absence.
 Je ne reviendrai jamais, plus jamais, tu sais. Peut-être que je t’attendrai, avec Dieu, dans l’au-delà ».
Con­traire­ment à la ver­sion de Con­tur­si, on a une cause de la sépa­ra­tion dif­férente et là, c’est lui qui atten­dra auprès de Dieu et non, elle qui atten­dra peut-être.

Roberto Goyeneche et Néstor Marconi, Cristal

Et pour ter­min­er, la vidéo promise de Goyeneche et Mar­coni. Cette vidéo mon­tre par­faite­ment le jeu de Mar­coni. Hier, nous avions Troi­lo à ses tout débuts, là, c’est un autre géant, dans la matu­rité.

Rober­to Goyeneche Nés­tor Mar­coni et Ángel Ridolfi (con­tre­basse) dans Cristal de Mar­i­ano Mores et José María Con­tur­si. Buenos Aires, 1987.

À demain, les amis!

Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Le tan­go du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addi­tion de “uns”. Atten­tion, les huns, par­don, les uns débar­quent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tan­gos du réper­toire, écrit par Mar­i­ano Mores avec des paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo. Pré­parez-vous à l’écoute, mais aus­si à voir, j’ai une sur­prise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán

Paroles

Uno bus­ca lleno de esper­an­zas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cru­el y es mucha
Pero lucha y se desan­gra por la fe que lo empeci­na
Uno va arras­trán­dose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza has­ta enten­der
Que uno se quedó sin corazón
Pre­cio de cas­ti­go que uno entre­ga
Por un beso que no lle­ga
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llo­rar
Tan­ta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Quer­er sin pre­sen­tir
Es posi­ble que a tus ojos que me gri­tan su car­iño
Los cer­rara con mil besos
Sin pen­sar que eran como esos
Otros ojos, los per­ver­sos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mis­mo que perdí
Si olvi­dara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llo­rar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mis­mo que perdí
Si olvi­dara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llo­rar tu amor

Mar­i­ano Mores Letra: Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Cha­cun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cru­elle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède.
Cha­cun rampe par­mi les épines et dans son empresse­ment à don­ner son amour, il souf­fre et se détru­it jusqu’à ce qu’il com­prenne que cha­cun se retrou­ve sans cœur, le prix de la puni­tion que cha­cun donne pour un bais­er qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleur­er tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai don­né.
Si je pou­vais, comme hier, aimer sans crainte, il est pos­si­ble que tes yeux qui me cri­ent leur affec­tion, je les refer­merais de mille bais­ers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les per­vers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai per­du.
Si j’oubliais celle qui l’a détru­it hier et que je pou­vais t’aimer, j’embrasserais ton illu­sion pour pleur­er ton amour.

Autres versions

Comme annon­cé, ce titre a été enreg­istré de très nom­breuses fois. Impos­si­ble de tout vous pro­pos­er, alors, voici une sélec­tion pour vous faire décou­vrir la var­iété et les points com­muns de ces ver­sions en com­mençant par notre tan­go du jour, qui est le pre­mier à avoir été enreg­istré.

Uno 1943-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. C’est notre tan­go du jour.
Uno 1943-05-28 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Deux jours après Canaro, Lib­er­tad Lamar­que enreg­istre le disque.
C’est là qu’on remar­que, une fois de plus, que Canaro est tou­jours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est des­tiné à un film, El fin de la noche, réal­isé par Alber­to de Zavalía. Le tour­nage ne com­mencera qu’en août 1943 et le film ne sor­ti­ra en Argen­tine que le pre­mier novem­bre 1944, car le gou­verne­ment argentin a tardé à don­ner l’autorisation de dif­fu­sion, notam­ment à cause du sujet qui met­tait en cause le gou­verne­ment alle­mand…

Affiche du film El fin de la noche, réal­isé par Alber­to de Zavalía avec Lib­er­tad Lamar­que.

En effet, l’intrigue est totale­ment liée à l’actualité de l’époque, ce qui prou­ve que l’information cir­cu­lait. Lola Morel (Lib­er­tad Lamar­que), une chanteuse Sud-Améri­caine qui vit à Paris a été blo­quée à Paris par la guerre (La plu­part des Argentins avaient quit­té la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notam­ment Rafael qui fut le dernier à quit­ter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passe­ports, elle se voit pro­posé d’espionner la résis­tance.
Ce film con­firme que les Argentins ne se dés­in­téres­saient pas de la sit­u­a­tion en Europe durant la sec­onde guerre mon­di­ale.
Mais la mer­veille, c’est de voir Lib­er­tad Lamar­que chan­tant. C’est une des plus émou­vantes pris­es disponibles, jugez-en.

Lib­er­tad Lamar­que can­ta el tan­go UNO, en la pelícu­la “El fin de la noche”, dirigi­da por Alber­to de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Flo­rence Marly… Pilar, Jorge Vil­lol­do… Caissier du bar et Lib­er­tad Lamar­que… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Dif­fi­cile de revenir sur terre après cette ver­sion, alors autant rester dans les nuages avec Troi­lo et Mari­no.

Uno 1943-06-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no arr. de Astor Piaz­zol­la.

C’est peut-être la ver­sion la plus con­nue. Il faut dire qu’elle est par­faite, à chaque écoute, elle provoque la même émo­tion.

Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orques­ta.

Quelques mois après Lib­er­tad, Tania donne sa ver­sion. À qui va votre préférence ? Tania enreg­istr­era une autre ver­sion avec Dona­to Rac­ciat­ti en 1959.

Avant de pass­er à D’Arienzo, un petit point « tech­nique ». Les dis­ques de l’époque étaient prévus pour être util­isé à 78 tours par minute. C’est une vitesse pré­cise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces dis­ques joués à 78 tours par minute don­nent la bonne resti­tu­tion, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur.
Le résul­tat peut être dif­férent de ce qui a été joué. Par exem­ple, pour paraître plus vir­tu­ose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ain­si, lorsque le disque qui sera pressé à par­tir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapi­de et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on dis­serte longue­ment de la valeur du dia­pa­son, notam­ment du ban­donéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une hor­reur, on ne remar­quera pas d’une milon­ga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son édi­teur a mod­i­fié la vitesse, c’est la déci­sion de l’époque.
En revanche, je suis moins indul­gent sur les réédi­tions des 78 tours en 33 tours. Ces tran­scrip­tions ont don­né lieu à dif­férents abus (pas for­cé­ment tous sur tous les dis­ques) :

  • L’ajout de réver­béra­tion pour don­ner un « effet stéréo », mais qui per­turbe grande­ment la lis­i­bil­ité de la musique, ce qui est dom­mage­able pour la danse égale­ment.
  • La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beau­coup d’éditeurs ont sup­primé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont pro­duit des 33 tours à par­tir de 78 tours usagés. Bia­gi est une des prin­ci­pales vic­times de ce phénomène et Tan­turi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de ter­min­er les morceaux…
  • Le fil­trage de fréquences pour dimin­uer le bruit du disque orig­i­nal. Les moyens de l’époque font que cette sup­pres­sion fil­tre le bruit du disque, mais aus­si la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le change­ment de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musi­ciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut vari­er la vitesse sans touch­er à la tonal­ité, à l’époque, c’était impos­si­ble. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résul­tat est con­va­in­cant et seuls les pos­sesseurs de la fameuse oreille absolue s’en ren­dront compte si cela est fait dans des pro­por­tions raisonnables.

Après ce long pro­pos lim­i­naire, voici enfin la ver­sion de D’Arienzo et Mau­re. En pre­mier, un enreg­istrement à par­tir du 78 tours orig­i­nal. La vitesse est donc celle pro­posée par D’Arienzo et la société Víc­tor.

Uno 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré. Ver­sion tirée du 78 tours de la Víc­tor.

Et main­tenant la ver­sion accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par dif­férents édi­teurs, y com­pris con­tem­po­rains, ce qui prou­ve qu’ils sont par­tis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice orig­i­nale…

Uno 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.

Édi­tion accélérée, sans écouter la pre­mière ver­sion, vous seriez-vous ren­du compte de la dif­férence ? Prob­a­ble­ment, car cela fait pré­cip­ité, notam­ment en com­para­i­son des ver­sions déjà écoutées qui durent par­fois près de 3:30 min­utes, ce qui est excep­tion­nel en tan­go.

Uno 1943-12-01 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

Une ver­sion sans doute moins con­nue, mais que je trou­ve très jolie égale­ment. Dom­mage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milon­ga. Cepen­dant, les événe­ments de plusieurs jours, ou les très longues milon­gas (10 h ou plus), per­me­t­tent ces fan­taisies…

Uno 1944 Alber­to Gómez con Adol­fo Guzmán y su con­jun­to.

Alber­to Gómez com­mence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Pro­gres­sive­ment, ce sou­tien est pro­posé par d’autres instru­ments, mais ce n’est qu’à 58 sec­on­des que l’orchestre prend pro­gres­sive­ment une place plus impor­tante, sans toute­fois per­dre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette ver­sion à écouter sus­cite de la men­tion, mal­gré la voix un peu for­cée de Gómez que l’on sans doute mieux appré­ciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans cer­tains pas­sages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Car­los Acuña.

On change com­plète­ment de style avec Bia­gi. Une ver­sion ryth­mée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pres­sion qui empêche d’entrer com­plète­ment dans le thème. Ce n’est pas une cri­tique de la qual­ité musi­cale, mais je trou­ve que cette fois Bia­gi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui inter­prè­tent la musique. Pour les autres, ils retrou­veront le tem­po bien mar­qué qui leur con­vient pour pos­er leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na con Agustín Irus­ta.

Les sub­til­ités de la chronolo­gie nous offrent ici, une inter­pré­ta­tion à l’opposé de la précé­dente, par Bia­gi. Elle est à class­er dans la lignée Lamar­que, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette ver­sion à celle de l’autre homme de la sélec­tion de tan­go à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un mer­veilleux pianiste pour la musique intime. Vous pour­rez vous en con­va­in­cre en écoutant ses for­mi­da­bles enreg­istrements de tan­go au piano, sur trois épo­ques (1930, 1952–1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exer­ci­ce.

Uno 1951-12-18 — Char­lo y su orques­ta.

Encore une ver­sion à rajouter à la lignée des chan­sons. La qual­ité d’enregistrement des années 50 rend mieux jus­tice à la voix de Char­lo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chan­tait avec Canaro ou Lomu­to. Essayez d’écouter ses enreg­istrements avec orchestre ou gui­tare des années 50 pour vous en ren­dre compte. Cette méta­mor­phose, en grande par­tie causée par la tech­nique, nous faire pren­dre con­science de ce que nous avons per­du en n’étant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal.

Avec Troi­lo et Casal, on revient vers le tan­go de danse. Bien sûr, vous com­par­erez cette ver­sion avec celle de 1943 avec Mari­no. Les deux sont for­mi­da­bles. L’orchestre est éventuelle­ment moins facile à suiv­re pour les danseurs, les DJ réserveront cer­taine­ment cette ver­sion aux meilleurs pra­ti­quants.

Uno 1957-09-25 — Orques­ta Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Arman­do Pon­tier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tan­go de danse est per­due. Cela n’enlève pas de la beauté à cette ver­sion, mais ça nous fait regret­ter que le rock et autres rythmes aient sup­plan­té le tan­go à cette époque en Argen­tine…

Uno 1961-05-18 — Orques­ta José Bas­so.

José Bas­so nous donne une des rares ver­sions qui se prive des paroles de Dis­cépo­lo. Pour ma part, je trou­ve que la voix manque, même si à tour de rôle et les vio­lons chantent plutôt bien et que le piano de José Bas­so ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illu­sions.

Uno 1963 — Argenti­no Ledes­ma y su orques­ta.

De la part de Ledes­ma, on attend une belle ver­sion et on n’est pas déçu.

Uno 1965 — Orques­ta Jorge Cal­dara con Rodol­fo Lesi­ca.

On retrou­ve Cal­dara, cet ancien ban­donéon­iste de Pugliese avec Lesi­ca. Une belle asso­ci­a­tion. L’introduction avec le superbe vio­lon­celle de José Fed­erighi prou­ve s’il en était besoin les qual­ités de ce musi­cien et arrangeur d’une grande mod­estie.
Je vous pro­pose de ter­min­er cette longue liste avec l’auteur Mar­i­ano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.

N’oubliez pas de cli­quer sur ce dernier lien pour con­sul­ter l’album de Mar­i­ano Mores en écoutant une toute dernière ver­sion d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y décou­vrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mar­i­ano, et à demain, les amis !

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Spina (Paroles et musique)

Encore une his­toire qui sent la rose. Il faut dire que quand on s’appelle Spina (épine en ital­ien), la rose est une source d’inspiration naturelle. La ver­sion enreg­istrée par D’Arienzo et Cabral est une des fleurs qui ont éclos aux sons de cette mag­nifique valse, il y a exacte­ment 88 ans.

Extrait musical

Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral.

La valse démarre au quart de tour, comme sur un coup de maniv­elle. On est bien au début de la péri­ode Bia­gi dans l’orchestre de D’Arienzo, mais le piano est bien dis­cret. Tout juste quelques ponc­tu­a­tions comme à 1 : 17 entre deux phras­es chan­tées par Cabral. Le vio­lon, l’instrument de D’Arienzo est plus mis en vedette, en com­pag­nie de la voix un peu aigre de Cabral. La valse qui avait démar­ré sem­ble se lancer à toute vitesse sur la fin. C’est une illu­sion don­née notam­ment par les notes dou­blées du piano. Cette façon de ter­min­er dans l’euphorie est typ­ique des valses de D’Arienzo. On en viendrait à oubli­er totale­ment que les paroles sont un peu tristes. Cepen­dant, Cabral n’en chante qu’un tout petit bout, alors on ne s’en rend pas compte, emporté par la frénésie tour­bil­lon­nante de cette valse.

La par­ti­tion de la valse nous révèle que c’est un vals criol­lo. Ce détail a son impor­tance comme nous le ver­rons avec les autres ver­sions.

Paroles

Han bro­ta­do otra vez los ros­ales
jun­to al muro en el viejo jardín,
donde tu alma sel­ló un jura­men­to,
amor de un momen­to
que hoy lloro su fin.
Tier­no llan­to de amor fuera el tuyo
que en tus ojos divi­nos bebí.
Ojos fal­sos que así me engañaron
al ver que llo­raron los míos por ti.

Mas los años al pasar me hicieron
com­pren­der la triste real­i­dad.
Que tan solo es ilusión,
lo que amamos de ver­dad.
Sin embar­go cuan­do en los ros­ales
rena­cen las flo­res
los viejos amores
con sus madri­gales
tor­nan como entonces a mi corazón.

Cuan­do vuel­van las noches de invier­no
y se cubra de nieve el jardín,
si estás triste sabrás acor­darte
de aquel que al amarte
no supo men­tir.
No es mi can­to un reproche a tu olvi­do,
ni un con­sue­lo te ven­go a pedir,
sólo al ver el ros­al flo­re­ci­do:
el sueño per­di­do lo vuel­vo a vivir.

Vicente Spina (Paroles et musique)

Wal­ter Cabral ne chante que la par­tie en gras

Traduction libre

Les rosiers ont repoussé le long du mur du vieux jardin, où ton âme a scel­lé un ser­ment, l’amour d’un moment qui aujourd’hui a pleuré sa fin.
De ten­dres larmes d’amour étaient tiennes que j’ai bues dans tes yeux divins.
Des yeux faux qui m’ont trompé quand ils ont vu que les miens pleu­raient pour toi.

Mais les années qui ont passé m’ont fait com­pren­dre la triste réal­ité.
Que ce n’est qu’une illu­sion, ce que nous aimons vrai­ment.
Cepen­dant, lorsque sur les rosiers renais­sent les fleurs,
les vieux amours avec leurs madri­gaux revi­en­nent, comme ils le fai­saient alors, dans mon cœur.

Quand les nuits d’hiver revien­dront et que le jardin sera cou­vert de neige, si tu es triste tu sauras te sou­venir de celui qui n’a pas su men­tir quand il t’aimait.
Mon chant n’est pas un reproche à ton oubli ni une con­so­la­tion que je viens te deman­der, seule­ment quand je vois le rosier fleurir : le rêve perd, je le revis.

Autres versions

Tu olvi­do 1932-06-02 — Alber­to Gómez y Augus­to “Tito” Vila con acomp. de gui­tares.

Cette ver­sion est la plus anci­enne. Le duo Gómez et “Tito” Vila chante à la tierce la total­ité des paroles en reprenant le sec­ond cou­plet. On retrou­ve dans cette ver­sion les sonorités du vals criol­lo.

Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est notre valse du jour.
Tu olvi­do 1946-12-19 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó y Rober­to Videla.

Tan­turi aban­donne le principe d’introduction de D’Arienzo et Gómez avec « Tito » Vila. La valse tourne avec énergie. Con­traire­ment à Gómez et « Tito » Vila, le duo est aus­si en dia­logue en plus d’être en phase, à la tierce. La fin est une lente éclo­sion. En résumé, une belle ver­sion, très dif­férente de celle de D’Arienzo, mais tout aus­si géniale à danser.

Tu olvi­do 1951c — Andres Fal­gas Con Orques­ta Rober­to Pansera.

La sonorité de Pansera est un peu légère. Le Duo chante de nou­veau à la tierce. Les voix sont les vedettes de cette ver­sion où l’orchestre est très dis­cret.

Tu olvi­do 1952-04-25 — Orques­ta Eduar­do Del Piano con Mario Bus­tos y Héc­tor De Rosas.

Encore un duo servi par un orchestre, cette fois plus expres­sif, avec un bien piano présent. Des ponc­tu­a­tions de l’orchestre mar­quent les moments de pause des chanteurs. Cette ver­sion sans doute plus rare reste dans­able et peut aider à renou­vel­er le plaisir des oreilles des danseurs. La fin est aus­si en ralen­tisse­ment, l’opposé de D’Arienzo, mais moins ralen­tie que la ver­sion de Tan­turi. Chaque orchestre imprime sa mar­que au titre.

Tu olvi­do 1960 c — Orques­ta Eliseo March­ese con Agustín y Mar­ión Copel­li.

L’orchestre Eliseo March­ese sert l’accompagnement au cou­ple des Copel­li. Ici, femme et homme chantent à la dix­ième (octave plus tierce). Cela se laisse écouter, mais je ne le pro­poserai sans doute pas en milon­ga, mal­gré l’étonnante fin en cas­cade.

Tu olvi­do 1969 — Trio Ciri­a­co Ortiz. Le folk­lore s’inspire et inspire.

Ici, cette ver­sion par le trio de Ciri­a­co Ortiz est claire­ment des­tinée à la danse, mais plutôt dans un mou­ve­ment folk­lorique, voire musette. La ver­sion est sans doute un peu monot­o­ne et rapi­de pour en faire une valse de tan­go argentin.

Tu olvi­do 1981 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Car­los Gari.

Avec cette valse signée par Fed­eri­co, on est l’opposé du folk­lore. Une recherche d’élégance change totale­ment le car­ac­tère de cette valse, qui n’est prob­a­ble­ment plus du tout à pro­pos­er pour la danse. Écou­tons-là donc.

Tu olvi­do 1999-04-05 — Los Vis­con­ti. Encore une ver­sion folk­lorique.

Avec un car­ac­tère évo­quant la ranchera. Les danseurs de folk­lore ont une autre ver­sion à choisir. Le rythme est plus lent que la ver­sion de Ciri­a­co Ortiz. On n’est plus dans le musette.

Tu olvi­do 2002 — Armenonville. Armenonville renoue avec la tra­di­tion de la flûte et de la gui­tare.

Le ban­donéon et le vio­lon sont égale­ment exploités de façon légère, ce que con­firme le chant. Une ver­sion qui se laisse écouter, mais qui ne devrait pas provo­quer de réac­tions pas­sion­nées chez les danseurs…

Pour ter­min­er une ver­sion en vidéo avec les deux Alber­tos, Alber­to Podestá et Alber­to Mari­no. Cette presta­tion a été enreg­istrée en 2011 dans l’émission El Tanga­zo. Les chaînes argen­tines entre­ti­en­nent fidèle­ment la nos­tal­gie en met­tant en valeur notre musique de tan­go.

Alber­to Podes­ta y Alber­to Mari­no en duo, dans l’émission El Tanga­zo, 2011 sur Cron­i­ca TV. Un grand moment.

Tu olvi­do. Quand l’amour ne fait pas son boulot…

La vi llegar 1944-04-19 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte

Enrique Mario Francini Letra Julián Centeya

«La vi lle­gar», je l’ai vue venir, ne racon­te pas l’arrivée espérée d’une femme, même si j’ai choisi dans mes illus­tra­tions de pren­dre le texte au pied de la let­tre, je vais ici don­ner le véri­ta­ble sens aux paroles de ce mag­nifique tan­go dont les paroles de Julián Centeya sont ici toute en finesse, je dirai même que tout le thème est un jeu de mots.

Extrait musical

La vi lle­gar 1944-04-19 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte.

Paroles

La vi lle­gar…
¡Cari­cia de su mano breve!
La vi lle­gar…
¡Alon­dra que azotó la nieve
 !
Tu amor ‑pude decir­le- se funde en el mis­te­rio
de un tan­go acari­ciante que gime por los dos.

Y el ban­doneón
-¡rezon­go amar­go en el olvi­do!-
lloró su voz,
que se que­bró en la den­sa bru­ma.
Y en la deses­per­an­za,
tan cru­el como ningu­na,
la vi par­tir sin la pal­abra del adiós.

Era mi mun­do de ilusión…
Lo supo el corazón,
que aún recuer­da siem­pre su extravío?.
Era mi mun­do de ilusión
y se perdió de mí,
sumán­dome en la som­bra del dolor.
Hay un fan­tas­ma en la noche inter­minable.
Hay un fan­tas­ma que ron­da en mi silen­cio.
Es el recuer­do de su voz,
latir de su can­ción,
la noche de su olvi­do y su ren­cor.

La vi lle­gar…
¡Mur­mul­lo de su paso leve
 !
La vi lle­gar…
¡Auro­ra que bor­ró la nieve!
Per­di­do en la tiniebla, mi paso vac­ilante
la bus­ca en mi ter­ri­ble carni­no de dolor.

Y el ban­doneón
dice su nom­bre en su gemi­do,
con esa voz
que la llamó des­de el olvi­do.
Y en este des­en­can­to bru­tal que me con­de­na
la vi par­tir, sin la pal­abra del adiós…

Enrique Mario Franci­ni Letra: Julián Centeya

Traduction libre et indications

Je l’ai vue venir… (À pren­dre comme « je t’ai vu venir avec tes gros sabots ». Il a dev­iné que quelque chose clochait)
Caresse de sa main furtive ! (Elle l’effleure avec sa main, mais elle n’ose pas le touch­er franche­ment).
Je l’ai vue venir…
Alou­ette qui fou­et­tait la neige ! (La tra­duc­tion est dif­fi­cile. Dis­ons qu’il com­pare la main à une alou­ette qui jet­terait de la neige, du froid sur le cœur de l’homme).
Ton amour, pour­rais-je lui dire, se fond dans le mys­tère d’un tan­go cares­sant qui gémit pour nous deux. (La femme cherche ses mots pour annon­cer la mau­vaise nou­velle).

Et le ban­donéon
— grog­nait amère­ment dans le désamour ! — (Olvi­do est à pren­dre ici dans son sens sec­ond, plus rare, comme la fin de l’affection et pas comme l’oubli).
Sa voix pleu­rait, en se brisant dans la brume épaisse.
Et dans un dés­espoir, plus cru­el qu’aucun autre, ce fut sans un mot d’adieu…

C’était mon monde d’illusions…
Le cœur le savait, lui qui se sou­vient tou­jours de sa perte.
C’était mon monde d’illusion qui fut per­du pour moi, me plongeant dans l’ombre de la douleur.
Il y a un fan­tôme dans la nuit inter­minable.
Il y a un fan­tôme qui rôde dans mon silence.
C’est le sou­venir de sa voix, le bat­te­ment de sa chan­son, la nuit de son désamour et de son ressen­ti­ment.

Je l’ai vue venir…
Le mur­mure de son pas léger !
Je l’ai vue venir…
Aurore qui a envoyé la neige !
Per­du dans les ténèbres, mon pas vac­il­lant la cherche sur mon ter­ri­ble chemin de douleur.

Et le ban­donéon prononce son nom dans son gémisse­ment, de cette voix qui l’appelait depuis le désamour.
Et dans ce désen­chante­ment bru­tal qui me con­damne, je l’ai vue par­tir, sans un mot d’adieu…
Et le ban­donéon prononce son nom dans son gémisse­ment, de cette voix qui invo­quait le désamour.
Et dans ce désen­chante­ment bru­tal qui me con­damne, je l’ai vue par­tir, sans un mot d’adieu…

Je l’ai vue venir

On emploie sou­vent cette expres­sion quand dire que la per­son­ne qui nous par­le ne va pas directe­ment au but, mais que l’on a dev­iné bien avant qu’il le dise où il voulait aller.
Les paroles de ce tan­go alter­nent donc avec « je l’ai vue venir » en prenant la métaphore de l’arrivée avec la neige pour mon­tr­er qu’elle lance un froid et « je l’ai vue par­tir », sans un mot d’adieu. Là, on n’est pas dans le fig­uré, elle est vrai­ment par­tie.

Autres versions

La vi lle­gar 1944-04-19 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte. C’est notre tan­go du jour
La vi lle­gar 1944-06-27 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no.

Con­traire­ment à Caló, Troi­lo ne donne pas la vedette aux vio­lons et dès le début, les ban­donéons les accom­pa­g­nent et les dif­férents solos sont courts et avec un accom­pa­g­ne­ment très présent. Franci­ni est vio­loniste, mais Troi­lo est ban­donéon­iste…

Une ver­sion au ciné­ma extraite du film Los Pérez Gar­cía (1950). Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Alber­to Podestá.

La vi lle­gar 1949–50 — Orques­ta Enrique Mario Franci­ni y Arman­do Pon­tier Con Alber­to Podestá. Extrait du film Los Pérez Gar­cía sor­ti le pre­mier févri­er 1950.

Extrait du film Los Pérez Gar­cía sor­ti le pre­mier févri­er 1950. Comme il n’y a pas de véri­ta­ble enreg­istrement de ce titre par son com­pos­i­teur, on est con­tent de l’avoir dans ce film. Petit gag, Arman­do Pon­tier sem­ble avoir un prob­lème avec son ban­donéon au début de l’in­ter­pré­ta­tion. On peut aus­si voir Enrique Mario Franci­ni au vio­lon, jouant sa com­po­si­tion. On peut juste regret­ter de ne pas avoir un disque de cette presta­tion. Peut-être qu’un jour on retrou­vera les enreg­istrements de stu­dio qui ont été exploités pour le film. Tout est pos­si­ble en Argen­tine. C’est même là que l’on a retrou­vé les par­ties per­dues du chef d’œu­vre de Fritz Lang, Metrop­o­lis.
Met­teur en scène ; Fer­nan­do Bolín y Don Napy, scé­nario Oscar Luis Mas­sa, Anto­nio Cor­ma y Don Napy. Le film est tiré du feuil­leton radio­phonique du même nom et met en scène plus ou moins les mêmes acteurs.

A los ami­gos, La vi lle­gar 1958 — Franci­ni-Pon­tier, Orques­ta Típi­ca — Direc­ción Argenti­no Galván.

C’est le 28e morceau du disque. Bien qu’il y ait deux titres enchaînés, la pièce est courte (1:50). La vi lle­gar qui est le thème le plus intéres­sant notam­ment grâce au vio­lon solo de Franci­ni com­mence à 45 s. Julio Ahu­ma­da (ban­donéon et Jaime Gosis (piano) com­plè­tent l’orchestre. Ci-dessous, la cou­ver­ture du disque.

C’est un 33 tours (long play) qui com­porte 34 titres qui ont la par­tic­u­lar­ité (sauf un), d’être joués par dif­férents orchestres, mais tous dirigés par le même chef, Argenti­no Galván. J’ai pro­posé sur Face­book un jeu sur cette cou­ver­ture, de décou­vrir tous les lieux, et clins d’œil au tan­go qu’elle men­tionne.

La vi lle­gar 1961 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel.

Pour ceux qui aiment la voix pleu­rante de Maciel dans les années 60, ça devrait plaire. J’imagine même que cer­tains le danseraient.

La vi lle­gar 1966 — Octe­to Tibid­abo dir. Atilio Stam­pone.

Seule ver­sion instru­men­tale de ma sélec­tion. Le piano de Stam­pone en fait une ver­sion intéres­sante. J’ai aus­si mis cette ver­sion, car Tibida­do est présent sur la cou­ver­ture du disque de 1960 dirigé par Argenti­no Galván. Le Tibid­abo était un cabaret situé sur Cor­ri­entes au 1244. Il a fonc­tion­né de 1942 à 1955. Aníbal Troi­lo en était un des piliers.

La vi lle­gar 1970-05-07 — Rober­to Goyeneche Orques­ta Típi­ca Porteña dir. y arreg­los Raúl Garel­lo y Osval­do Berlingieri.

Une ver­sion émou­vante et impres­sion­nante. Bien sûr, pas pour la danse, mais elle vaut l’écoute, assuré­ment.

À propos des illustrations

On aura bien com­pris que la neige que j’ai représen­té dans les deux images était « virtuelle ». C’est le froid qu’a lais­sé le désamour.
La pre­mière image est « Je l’ai vue venir ». Ici, au sens pro­pre alors que c’est plutôt fig­uré dans la chan­son.

Elle arrive pour rompre, elle est triste.

Puis, elle est par­tie. Sans parole d’adieu. Là, elle n’a pas de valise. Je trou­vais que cela aurait alour­di cette image que je voulais toute légère. Elle part vers la lumière et lui reste dans l’ombre et le froid. J’avais fait au départ une ombre plus mar­quée en bas qui par­tait de celle de la femme qui part, mais je n’arrivai pas à cadr­er ça dans un for­mat 16/9e. Alors, il n’y a plus d’ombre.
À demain les amis, pour un thème, beau­coup plus glaçant. En effet, la neige d’aujourd’hui était virtuelle, mais demain, je vais jeter un froid.