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Buscándote 1941-12-30 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz

Eduardo “Lalo” Scalise (Eduardo Scalise Regard)

Buscán­dote est un des thèmes les plus émou­vants du tan­go. Par la qual­ité de la musique et des paroles de Eduar­do “Lalo” Scalise El poeta del piano, mais aus­si par la sim­plic­ité et la ron­deur de l’interprétation par Frese­do et Ruiz, pour notre tan­go du jour. Nous allons en prof­iter pour regarder de plus prêt com­ment fonc­tionne une par­ti­tion.

Extrait musical

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz
Pre­mière page de la par­ti­tion retran­scrite par Lucas Cáceres.

Cette pre­mière page présente les qua­tre pre­mières mesures. On voit les dif­férents instru­ments. T (ténor, Ricar­do Ruiz, dans cet enreg­istrement), puis 4 vio­lons, 4 ban­donéons, un piano et une con­tre­basse.
À l’armure, il y a deux diès­es, nous sommes en Si mineur. Un mode nos­tal­gique, voire triste. Dans la pre­mière mesure, on remar­que qu’il y a une seule note, un la à la main gauche du piano. La deux­ième mesure com­mence avec la sec­onde note du piano, un fa# de 4 temps (note ronde). En même temps, la con­tre­basse com­mence à mar­quer tous les temps (4 par mesure) en com­mençant par un Ré, puis un La et elle va effectuer un mou­ve­ment de bas­cule entre deux notes, Do# Fa# à la mesure suiv­ante et ain­si de suite sur env­i­ron la moitié des mesures de la par­ti­tion. Cela porte la marche, chaque temps est indiqué. Libre aux danseurs de les effectuer ou de choisir plutôt de s’aligner sur des élé­ments de la mélodie.
On remar­quera que les ban­donéons et vio­lons qui débu­tent aus­si à la deux­ième mesure com­men­cent par un silence, suivi de trois croches. Ce motif se répète. Il est assez dis­cret, mais vous n’aurez pas de peine à repér­er ce pouf pouf pouf — pouf pouf pouf dans le début de la musique. L’envolée des vio­lons y met fin, pour com­mencer à énon­cer la pre­mière par­tie (A).

La par­ti­tion du ténor avec la pho­to de Ricar­do Ruiz. J’ai rajouté le début des paroles en rouge. La par­ti­tion a été pro­posée égale­ment par Lucas Cáceres.

Ici, c’est la par­ti­tion du ténor (Ricar­do Ruiz dans notre cas) qui ne com­mence à chanter qu’à par­tir de la mesure 43 (en lev­ée de la 44).
On se sou­vient que le début de la par­ti­tion était en Ré mineur, après un pas­sage en Fa mineur, Ruiz com­mence à chanter en Fa majeur. La présence de diès­es sur 4 des Sols et un Do, font bas­culer cer­tains pas­sages en Ré mineur).

Roue des modes, majeurs et mineurs, avec le nom des notes à gauche, et avec les let­tres à droite.

Une petite aide pour vous aider à vous repér­er dans les tonal­ités. Le nom­bre de diès­es ou bémols à la clef donne la tonal­ité dont le mode peut être majeur ou mineur. Pour décider, il faut écouter. Sou­vent, il y a beau­coup de change­ments de tonal­ités et des altéra­tions (Diès­es, ou Bémols) ponctuelles qui ren­dent dif­fi­cile de décider la tonal­ité exacte util­isée. Mais ce n’est pas si impor­tant, ce qui l’est, c’est unique­ment de savoir si c’est majeur ou mineur, pour adapter la danse à la sen­si­bil­ité de la musique, donc l’écoute est suff­isante.
Main­tenant que vous êtes au point, je vous pro­pose de suiv­re la par­ti­tion durant l’écoute, grâce au tra­vail remar­quable de Lucas Cáceres.

Par­ti­tion ani­mée de Buscán­dote, une vidéo réal­isée par Lucas Cáceres.

Vous remar­querez qu’il y a toutes les par­ties, et qu’il y a donc beau­coup de change­ments de pages. Dans un orchestre, chaque instru­ment n’a que sa par­tie et si cela vous intéresse, vous pou­vez vous les obtenir en vous abon­nant à son Patre­on.
Assez par­lé de la musique, intéres­sons-nous aux paroles, main­tenant.

Paroles

Vagar con el can­san­cio de mi eter­no andar
tris­teza amar­ga de la soledad
ansias enormes de lle­gar.
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er vencí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer
sabrás que por la vida fui buscán­dote
que mis ensueños sin quer­er rompí
que en algún cruce los dejé
mi andar apresuré
con la esper­an­za de encon­trarte a ti
lar­gos caminos hil­vané
leguas y leguas recor­rí por ti
después que entre tus bra­zos pue­da des­cansar
si lo pre­fieres volveré a mar­char
por mi camino de ayer.
Eduar­do “Lalo” Scalise (Eduar­do Scalise Regard)

Traduction libre

Errer avec la fatigue de ma marche éter­nelle, l’amère tristesse de la soli­tude, l’énorme désir d’ar­riv­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.
Tu sauras qu’à tra­vers la vie je t’ai cher­chée, que j’ai dépassé mes rêves sans le vouloir, qu’à un croise­ment je les ai lais­sés. Ma marche pré­cip­itée dans l’e­spoir de te trou­ver.
J’ai enchaîné de longues routes, des lieues et des lieues que j’ai par­cou­rues pour vous.
Après que je pour­rai me repos­er dans tes bras, si tu préfères, je retourn­erai à marcher par mon chemin d’hi­er.

Autres versions

Il n’y a pas d’enregistrement de l’âge d’or, autre que celui de Frese­do et Ruiz. Cepen­dant, la pas­sion européenne pour Frese­do fait que beau­coup d’orchestre du 21e siè­cle se sont lancés dans l’enregistrement de ce chef d’œuvre, avec des for­tunes divers­es.

Buscán­dote 1941-12-30 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Ricar­do Ruiz. C’est notre tan­go du jour, le mètre étalon, la référence absolue.
Buscán­dote 2000-06-01 — Klaus Johns.

Une ver­sion instru­men­tale avec un par­ti pris de tem­po par­ti­c­ulière­ment lent. C’est prob­a­ble­ment à class­er au ray­on des étrangetés, mais cer­taine­ment pas à pro­pos­er au bal.

Buscán­dote 2012 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

On ne présente plus cet orchestre qui a fait notre joie, et notam­ment son Directeur, chanteur, Javier Di Ciri­a­co, pen­dant une quin­zaine d’années.

Buscán­dote 2012 — Solo Tan­go Orques­ta.

Cet orchestre russe a égale­ment son pub­lic. Ils pro­posent, ici, une ver­sion instru­men­tale.

Buscán­dote 2013 — Ariel Ardit y Orques­ta Típi­ca.

L’incroyable solo de vio­lon qui ouvre cette ver­sion peut sur­pren­dre. Mais, une fois lancé, avec un rythme bien mar­qué par les ban­donéons et tou­jours dom­iné par les cordes et ce superbe vio­lon, fait que c’est cer­taine­ment une ver­sion « chair de poule » pour beau­coup. La belle voix, puis­sante et chaude d’Ariel Ardit ter­mine de faire de cette ver­sion remar­quable. Pour la danse, les arras­tres d’Ariel peu­vent gên­er cer­tains danseurs et le rythme rapi­de peut faire que l’on préfère d’autres ver­sions. Je pense qu’en Europe cette inter­pré­ta­tion aurait des ama­teurs.

Buscán­dote 2013 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni.

Après l’écoute de l’enregistrement d’Ariel Ardit, cette ver­sion tran­quille peut paraître un peu faible, mais il faut la com­par­er à notre étalon, la ver­sion de Frese­do et Ruiz, pour voir que c’est une belle réal­i­sa­tion, intime et bien accordée au thème de la chan­son.

Buscán­dote 2014 (En vivo) — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Une ver­sion avec pub­lic qui per­met de se sou­venir de l’ambiance que met­tait cet orchestre. C’était à Rosario (Argen­tine) lors de l’Encuentro Tanguero del Inte­ri­or (ETI). J’ai eu la chance de voir et écouter cet orchestre de nom­breuses fois, c’est vrai­ment dom­mage qu’il n’existe plus.

Buscán­dote 2015 — Cuar­te­to SolTan­go.

Ce cuar­te­to, avec beau­coup moins d’instruments s’approche de la ver­sion de Frese­do. Une belle per­for­mance. Le solo de vio­lon qui rem­place la voix de Ricar­do Ruiz, bien que bien chan­tant, est sans doute ce qui peut faire baiss­er la valeur de l’ensemble, sauf pour les danseurs qui n’aiment pas les chanteurs. Si, il y en a, et, à mon avis, la prin­ci­pale rai­son, est que cer­tains DJ met­tent des chan­sons tan­go au lieu de véri­ta­bles tan­gos chan­tés de danse.

Buscán­dote 2015 — Orques­ta La 2X4 Rosa­ri­na con Martín Piñol.

Retour à une ver­sion chan­tée. La voix de Martín Piñol pour­rait béné­fici­er d’un orchestre plus accom­pli. La prise de son mérit­erait d’être meilleure égale­ment. Le résul­tat ne risque pas de détrôn­er, la ver­sion de Frese­do qui en est claire­ment le mod­èle.

Buscán­dote 2015-07-09 — Esquina Sur con Diego Di Mar­ti­no.

Je vous avais bien dit qu’il y avait une folie à notre époque pour Frese­do. Cet enreg­istrement de Esquina Sur en est une autre preuve. La voix de Di Mar­ti­no, s’élance légère et flu­ide par-dessus l’orchestre, ce n’est pas vilain, mais là encore, Frese­do et Ruiz restent en tête.

Buscán­dote 2016-03-01 — El Cachivache Quin­te­to.

El Cachivache signe une ver­sion plus per­son­nelle, qui n’est pas qu’une sim­ple imi­ta­tion de Frese­do et on leur en est gré, même si l’utilisation d’autres instru­ments comme la gui­tare élec­trique peut don­ner des bou­tons à des milongueros sclérosés. C’est une ver­sion instru­men­tale, mais la diver­sité des vari­a­tions fait que ce n’est pas monot­o­ne. L’entrée avec une gamme de do majeur descen­dent suiv­ie d’une gamme ascen­dante est très orig­i­nale. Le final est égale­ment intéres­sant, c’est une ver­sion qui peut faire l’affaire avec des tangueros curieux. Elle devrait plaire aus­si à Angela C. car il y a une bonne pro­por­tion de mode majeur dans cette ver­sion, con­traire­ment à la ver­sion de Frese­do qui est majori­taire­ment en mode mineur 😉

Buscán­dote 2016-12 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Rober­to Minon­di.

Avec la Román­ti­ca Milonguera on revient à un reg­istre plus clas­sique, même si cet orchestre a su créer son pro­pre son. Ici, c’est Rober­to Minon­di qui nous rav­it.

Buscán­dote 2019 — Cuar­te­to Mulen­ga. Cette ver­sion présente l’intérêt de voir les instru­men­tistes opér­er. Mais ce titre est aus­si sur CD. Cliquez sur le lien pour voir la vidéo. https://youtu.be/WHJq2fwE3Fk . Vidéo réal­isée au Bode­gon (restau­rant) El Des­ti­no, à Quilmes (Province de Buenos Aires).

Buscán­dote 2021-03 Orques­ta Típi­ca Andar­ie­ga.

Un début orig­i­nal, qui peut faire douter durant les 30 pre­mières sec­on­des qu’on écoute Buscán­dote. On notera la descente de piano, très orig­i­nale durant ce début. Le reste de l’orchestration renou­velle égale­ment l’œuvre, qui est comme décom­posée, déstruc­turée au prof­it de solos qui se super­posent. C’est presque un ensem­ble de cita­tions de l’œuvre orig­i­nale, plus qu’une inter­pré­ta­tion au sens habituel. La fin ne dis­sipera pas cette impres­sion.

Je te cherche, pas à pas

Comme DJ, je m’intéresse à savoir com­ment les danseurs vont pou­voir inter­préter la musique que je pro­pose.
J’ai trou­vé cette petite pépite, réal­isée par Jua­na Gar­cía y Julio Rob­les. Elle mon­tre les temps et con­tretemps.

Cliquez sur le lien pour con­sul­ter la vidéo. https://youtu.be/RjNY9pnNUoA

Pos­er les pieds en rythme est la toute pre­mière étape du danseur de tan­go et, même si cer­tains ne s’y résol­vent pas, il me sem­ble qu’il faut aller beau­coup plus loin, le tan­go étant une danse d’improvisation. On tir­era cepen­dant de cette vidéo un élé­ment très intéres­sant, la sépa­ra­tion entre les dif­férentes par­ties. Savoir les repér­er per­met d’adapter la danse en changeant le style pour chaque par­tie.
Il faut aus­si savoir dis­tinguer la phrase musi­cale, afin que le cou­ple se retrou­ve dans un état d’attente ou pour le moins cohérent avec la prochaine tran­si­tion ou enchaîne­ment de phras­es. Cer­tains comptent de 1 à 8, mais c’est beau­coup plus agréable de se laiss­er porter par la struc­ture de la musique.
Je décon­seille donc le comp­tage, sauf pour des choré­gra­phies en groupe, ce qui n’est pas du même domaine que le tan­go social qui nous intéresse ici, car je trou­ve dom­mage d’occuper son cerveau dans une tâche qui n’aide pas à enten­dre la musique.
Il me sem­ble qu’il est ample­ment préférable de tra­vailler son « instinct », car, rapi­de­ment, le corps saura quand la musique va chang­er et, incon­sciem­ment, il va se pré­par­er, ce qui vous per­me­t­tra de danser l’esprit totale­ment libre, en vous lais­sant porter.
Ce même instinct sert au DJ pour iden­ti­fi­er les musiques plus dans­ables que d’autres. Le DJ fait marcher ses danseurs et eux le suiv­ent. Il a donc la respon­s­abil­ité d’ouvrir la voie et de leur pro­pos­er des chemins dont les dif­fi­cultés sont adap­tées.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

À bien­tôt, les amis, mer­ci de me suiv­re.

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel D’Agostino y Alfredo Attadía Letra: Enrique Cadícamo

Je suis aux anges de vous par­ler aujourd’hui de Tres Esquinas (trois coins de rue), car ce mer­veilleux tan­go immor­tal­isé par les deux angeli­tos (D’Agostino et Var­gas) par­le à tous les danseurs. C’est une com­po­si­tion de Ángel D’Agosti­no et Alfre­do Attadía, Enrique Cadí­camo lui a don­né ses paroles et son nom. Par­tons en train jusqu’à Tres Esquinas à la décou­verte du berceau de ce tan­go.

Naissance de Tres Esquinas

En 1920, Ángel D’Agosti­no a com­posé ce titre dans une ver­sion som­maire pour une saynète nom­mée « Armenonville » mon­tée par Luis Ara­ta, Leopol­do Simari et José Fran­co. Comme on peut s’en douter, cette pièce par­lait de la vie des pau­vres filles du cabaret Armenonville.
Ángel D’Agosti­no jouait cette com­po­si­tion au piano sous le titre, Pobre Piba (Pau­vre gamine).

Ara­ta-Simari-Fran­co

Une ving­taine d’années plus tard selon la légende (his­toire) D’Agostino fre­donnait le titre que reprit Var­gas à la sor­tie de la salle où ils venaient d’intervenir. Cadí­camo imag­i­na le pre­mier vers « Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas ». Alfre­do Attadía qui était le pre­mier ban­donéon et l’arrangeur de l’orchestre de D’Agostino s’occupa des arrange­ments. Il doit cepen­dant d’avoir son nom à la par­ti­tion par son apport sur le phrasé des ban­donéons, phrasé inspiré par la façon de chanter de Var­gas qui devrait donc à ce dou­ble titre avoir aus­si son nom sur la par­ti­tion 😉

Extrait musical

Com­mençons par écouter cette mer­veille pour se met­tre dans l’humeur prop­ice à notre décou­verte.

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas.
Tres Esquinas. Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo. À gauche, deux cou­ver­tures, puis par­ti­tion et accords gui­tare et disque.

Je pense que vous avez remar­qué ce fameux phrasé dès le début. On y telle­ment habitué main­tenant que l’on pense que cela a tou­jours existé… Lorsque Var­gas chante, le ban­donéon se fait dis­cret, se con­tentant au même titre que les autres instru­ments de mar­quer le rythme et de pro­pos­er quelques orne­ments pour les ponts. On notera le superbe solo de vio­lon de Hol­ga­do Bar­rio après la voix de Var­gas et la reprise du ban­donéon (vers 2:20). Var­gas a le dernier mot et ter­mine le titre.

Je n’ai pas trou­vé d’enregistrement de Pobre piba pour juger de l’apport de Atta­dia, mais il y a fort à pari­er que ce titre éphémère, lié à une pièce qui n’a pas accédé à une gloire intem­porelle n’a pas inspiré les maisons de disque.

Paroles

Yo soy del bar­rio de Tres Esquinas,
viejo balu­arte de un arra­bal
donde flo­re­cen como glic­i­nas
las lin­das pibas de delan­tal.
Donde en la noche tib­ia y ser­e­na
su antiguo aro­ma vuel­ca el malvón
y bajo el cielo de luna llena
duer­men las chatas del cor­ralón.

Soy de ese bar­rio de humilde ran­go,
yo soy el tan­go sen­ti­men­tal.
Soy de ese bar­rio que toma mate
bajo la som­bra que da el par­rral.
En sus ochavas com­padrié de mozo,
tiré la daga por un loco amor,
quemé en los ojos de una mal­e­va
la ardi­ente ceba de mi pasión.

Nada hay más lin­do ni más com­padre
que mi sub­ur­bio mur­mu­rador,
con los chi­men­tos de las comadres
y los piro­pos del Picaflor.
Vie­ja bar­ri­a­da que fue estandarte
de mis arro­jos de juven­tud…
Yo soy del bar­rio que vive aparte
en este siglo de Neo-Lux.

Ángel D’Agosti­no y Alfre­do Attadía Letra: Enrique Cadí­camo

Traduction libre des paroles

Je suis du quarti­er de Tres Esquinas (plus un vil­lage qu’un quarti­er au sens actuel), un ancien bas­tion d’une ban­lieue où les jolies filles en tabli­er fleuris­sent comme des glycines (Il s’ag­it des tra­vailleuses des usines locales).
Où dans la nuit chaude et sere­ine le géra­ni­um déverse son arôme ancien et sous le ciel de la pleine lune dor­ment les logis du cor­ralón (le cor­ralón est un habi­tat col­lec­tif, le pen­dant du con­ven­til­lo, mais à la cam­pagne. Au lieu de don­ner sur un couloir, les pièces qui accueil­lent les familles don­nent sur un bal­con. Au pluriel, cela peut aus­si désign­er le lieu où on par­que le bétail et tout l’attirail de la trac­tion ani­male. Je pense plutôt au loge­ment dans ce cas à cause des géra­ni­ums qui me font plus penser à un habi­tat, même si les cor­ralones étaient proches. Les géra­ni­ums éloignent les mouch­es qui devaient pul­luler à cause de la prox­im­ité du bétail).
Je viens de ce quarti­er de rang mod­este, je suis le tan­go sen­ti­men­tal.
Je suis de ce quarti­er qui boit du maté à l’om­bre de la vigne.
Dans ses ochavas (la ocha­va est la découpe des angles des rues qui au lieu d’être vifs à 90 % présen­tent un petit pan de façade oblique) j’é­tais un jeune homme, j’ai jeté le poignard pour un amour fou, j’ai brûlé dans les yeux d’une mau­vaise l’ap­pât brûlant de ma pas­sion.
Il n’y a rien de plus beau ni de plus com­padre que mon faubourg mur­mu­rant, avec les com­mérages des com­mères et les com­pli­ments du Picaflor (les piro­pos sont des com­pli­ments pour séduire et un picaflor [oiseau-mouche] est un homme qui butine de femme en femme).
Un vieux quarti­er qui fut l’é­ten­dard de mon audace de jeunesse…
Je suis du quarti­er qui vit à part en ce siè­cle de Néo-Lux.

Autres versions

Comme sou­vent, les ver­sions immenses sem­blent intimider les suiveurs et il n’existe pas d’enregistrement remar­quable de l’époque, si on exclut Hugo Del Car­ril à la gui­tare et notre sur­prise du jour, mais patience…

Tres Esquinas 1941-07-24 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas. C’est notre tan­go du jour.
Tres Esquinas 1942-05-07 — Hugo Del Car­ril con gui­tar­ras.

Il me sem­ble dif­fi­cile de s’attacher à cette ver­sion une fois que l’on a décou­vert celle des deux anges. On retrou­ve l’ambiance de Gardel, mais cet enreg­istrement ne sera nor­male­ment jamais pro­posé dans une milon­ga.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co.

Tres Esquinas 2010 — Sex­te­to Milonguero con Javier Di Ciri­a­co. J’ai eu le bon­heur de décou­vrir cet orchestre à ses débuts à Buenos Aires où il met­tait une ambiance de folie. Je l’ai fait venir à Tan­go­postale (Toulouse France) où il a sus­cité un ent­hou­si­asme déli­rant. Il nous reste le disque pour nous sou­venir de ces moments intens­es mag­nifiés par la voix de Javier Di Ciri­a­co.

Le jeune Ariel Ardit relève toute­fois le défi et pro­pose plusieurs ver­sions élec­trisantes de ce titre. Voici un enreg­istrement pub­lic en vidéo datant de 2010.

Ariel Ardit inter­prète Tres Esquinas en 2010.

Ce n’est pas non plus pour la danse (du moins dans sa forme tra­di­tion­nelle), mais c’est une mag­nifique ver­sion avec une grande richesse des con­tre­points. Ariel Ardit donne beau­coup d’expression et l’orchestre n’est pas en reste. On com­prend l’approbation du pub­lic.

SURPRISE : il reste une ver­sion en réserve à décou­vrir à la fin de cette anec­dote, vous ne pou­vez pas vous la per­dre ! Avis pour Thier­ry, mon tal­entueux cor­recteur, ce n’est pas une coquille, mais une for­mu­la­tion calquée sur l’espagnol…

Un petit mot sur Tres Esquinas

Il faut imag­in­er un lieu rel­a­tive­ment rur­al qui com­por­tait des espaces de ter­rains vagues, des usines, des maisons pour les pau­vres (cor­ralones) et des cafés, dont un qui se nom­mait Tres Esquinas du nom de ce quarti­er qui dis­po­sait toute­fois d’une sta­tion fer­rovi­aire du même nom… Voici de quoi vous repér­er. Atten­tion, cette zone n’est pas trop à recom­man­der aux touristes, mais on y organ­ise des peñas mag­nifiques ! Pas des peñas pour touristes dans un café plus ou moins branché, mais des hangars rem­plis de cen­taines de danseurs qui s’éclatent sur des orchestres fab­uleux en dansant, chacar­eras, gatos, zam­bas et une bonne dizaine d’autres titres. Ce qui est le plus sur­prenant est que quand l’orchestre enchaîne deux titres, les danseurs adoptent automa­tique­ment le style de la nou­velle danse en moins de deux sec­on­des. Si vous avez lu mes con­seils pour la chacar­era, vous savez déjà recon­naître celles à 6 et 8 com­pas­es et les dobles, c’est la par­tie fon­due de l’iceberg du folk­lore argentin.

Le café Tres Esquinas est ici cer­clé de rouge.

On voit qu’on est au bord de l’eau (Riachue­lo) qui mar­que la lim­ite sud de la ville de Buenos Aires (Vue Google). Comme on peut le voir, le quarti­er est d’usines, de ter­rains vagues et est main­tenant bor­dé par l’autoroute qui va à La Pla­ta (la cap­i­tale de la Province de Buenos Aires). Le café pro­pre­ment dit n’est plus que l’ombre de lui-même. Notez toute­fois la ocha­va  qui coupe l’angle de l’immeuble et qui mar­que l’entrée de ce qui était ce café his­torique.
La sta­tion de train por­tait aus­si logique­ment le nom du quarti­er.

À gauche la gare de Tres Esquinas vers 1909. À droite, une vue aéri­enne de Google.

Le cer­cle rouge est le café Tres Esquinas. Le cer­cle jaune mar­que la zone où était située la gare de Tres Esquinas détru­ite en 1955. L’autoroute qui a été créée en 1994–1996 a coupé en deux le quarti­er et prob­a­ble­ment mis un peu de désor­dre dans les baraque­ments de latas (voir Del bar­rio de las latas, le berceau du tan­go pour en savoir plus sur ce type de con­struc­tion)

Et pour ter­min­er, un court-métrage recon­sti­tu­ant l’ambiance d’un bar comme celui de Tres Esquinas, réal­isée par Enrique Cadí­camo en 1943.

Voici la vidéo au moment où D’Agostino et Var­gas enta­ment Tres Esquinas, mais je vous recom­mande de voir les 9 min­utes du court-métrage en entier, c’est intéres­sant dès le début et après Tres Esquinas, il y a El cuar­teador de Bar­ra­cas

Court-métrage sur un scé­nario et sous la direc­tion de Enrique Cadí­camo où l’on voit des scènes de café, pit­toresques et l’interprétation de Tres esquinas et de El cuar­teador de Bar­ra­cas par Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas.

À demain, les amis !

Un tango y nada más 1945-07-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Jorge Durán

Armando Lacava ; Juan Pomati Letra: Carlos Waiss

Deux Bahiens­es sont à l’origine de notre tan­go du jour. Un pour la com­po­si­tion et l’autre pour l’interprétation. Pour être pré­cis, un seul des com­pos­i­teurs, Arman­do Laca­va est de Bahía Blan­ca. Juan Pomati est né pour sa part en Ital­ie, à Milan. Quoi qu’il en soit, Di Sar­li a enreg­istré ce tan­go, tout juste com­posé.

Les pianistes bahienses et les autres…

Car­los Di Sar­li et Arman­do Laca­va, les deux pianistes de Bahía Blan­ca.

La mise en avant des pianistes de Bahía Blan­ca ne devrait pas faire pass­er à l’arrière-plan la con­tri­bu­tion de Juan Pomati, le ban­donéon­iste qui a co-com­posé avec Laca­va. Il était en effet un copiste très recher­ché à une époque où il n’existait pas de pho­to­copieuses et a de son côté com­posé un cer­tain nom­bre de titres dont une bonne part co-signée avec Tití Rossi dont il était un des ban­donéon­istes de l’orchestre. Impos­si­ble d’avoir une pho­to de lui, ce récent arrivée d’Italie est resté trop dis­cret.

En revanche, j’ai une pho­to de l’auteur des paroles, Car­los Waiss.

Car­los Waiss

Extrait musical

Un tan­go y nada más 1945-07-05 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Jorge Durán.

Dès les pre­mières notes, le piano de Di Sar­li fait mer­veille. Il mar­que le tem­po et donne un par­fait con­tre­point aux vio­lons qui se bal­an­cent au-dessus. Tout s’enchaîne, s’harmonise. La voix de Durán lance les paroles avec un ruba­to qui don­nera de l’élan au danseur, un bal­ance­ment qui dynamis­era la créa­tiv­ité de l’improvisation.
Le tan­go se ter­mine avec un tut­ti inclu­ant la voix de Durán et qui se perd dans le silence.

Paroles

Un tan­go más, un gor­rión de bar­rio viejo
lle­ga molien­do su cru­el desilusión.
Rodan­do van los recuer­dos de mi vida,
mi vida gris que no tiene ya can­ción.
Dónde estarán los que fueron com­pañeros,
mi amor primero de un claro anochecer,
y ese sil­bido lla­man­do de la esquina
hacia el calor de aquel viejo café.

Quién sabe dónde está
lo que perdí, loco de afán.
Del tiem­po que pasó
sólo quedó un tan­go más.

Tan sólo un tan­go más que trae
fra­ca­so de no ser,
can­san­cio de mi andar.
La vida que al rodar, sólo dejó,
un tan­go y nada más
.

Un tan­go más, un gor­rión de bar­rio viejo
tiem­bla en la som­bra doliente del ayer.
Un tan­go más, y el juguete de la luna
vuelve a men­tir en el triste anochecer.
Mi juven­tud la quemé en la cruz via­jera
en la quimera de andar, siem­pre de andar.
Bus­can mis ansias calor de pri­mav­era
y sólo hay un tan­go y nada más.

Arman­do Laca­va ; Juan Pomati Letra: Car­los Waiss

Durán chante ce qui est en gras et ter­mine en chan­tant de nou­veau ce qui est en bleu.

Julio Mar­tel chante égale­ment ce qui est en gras, mais il reprend ce qui est en rouge, puis ce qui est en bleu pour ter­min­er. Aucun des deux ne chante le dernier cou­plet.

Eduar­do Bor­da chante en plus de Julio Mar­tel, la fin du dernier cou­plet (ce qui est en vert).

Traduction libre et indications

Un tan­go de plus, un moineau du vieux quarti­er arrive, rumi­nant sa cru­elle désil­lu­sion (un gor­rión en plus d’être un moineau est un prof­i­teur, un pique-assi­ette).
Les sou­venirs de ma vie, ma vie grise qui n’a plus de chan­son.
Où seront ceux qui étaient des com­pagnons, mon pre­mier amour d’une soirée claire, et ce sif­fle­ment invi­tant depuis l’angle de la rue à la chaleur de ce vieux café.
Qui sait où est ce que j’ai per­du, fou d’impatience.
Du temps qui s’est écoulé, il ne restait plus qu’un tan­go.
Juste un tan­go de plus qui apporte l’échec de ne pas être, la fatigue de ma marche.
La vie qui en roulant n’a lais­sé qu’un tan­go et rien de plus.
Un tan­go de plus, un moineau du vieux quarti­er trem­ble dans l’ombre souf­frante d’hier.
Un tan­go de plus, et le jou­et de la lune recom­mence à men­tir dans le triste cré­pus­cule.
J’ai brûlé ma jeunesse sur la croix de voy­age dans la chimère de la marche, tou­jours de la marche.
Ils cherchent mon désir de chaleur print­anière et il n’y a qu’un tan­go et rien de plus.

Autres versions

Pas beau­coup d’enregistrement pour ce thème, mais il faut dire que la mer­veille de Di Sar­li et Durán ne lais­sait pas beau­coup d’autres options aux autres orchestres.

Un tan­go y nada más 1945-07-05 — Orques­ta Car­los Di Sar­li con Jorge Durán. C’est notre tan­go du jour.
Un tan­go y nada más 1945-07-17 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Julio Mar­tel.

De Ange­lis enreg­istre le titre 12 jours après Di Sar­li. Ce n’est pas vilain et rel­a­tive­ment dansant, mais sans doute pas aus­si sat­is­faisant que la ver­sion de Di Sar­li avec Durán.

Un tan­go y nada más 1986 — Orques­ta José Bas­so con Eduar­do Bor­da.

Cette ver­sion tar­dive date d’une époque où le tan­go de danse n’avait pas encore com­plète­ment retrou­vé sa place. La jolie voix chaude de Bor­da donne plaisir à écouter ce titre, mais les danseurs n’y trou­veront pas leur compte.

Un tan­go y nada más 2013-11-01 — Ariel Ardit. Ariel Ardit donne sa vision de l’œuvre.

Comme pour Bor­da, je n’irai pas pro­pos­er cela à des danseurs.

On pour­rait con­tin­uer avec des tan­gos avec « nada más » dans le titre, il y en a près d’une ving­taine avec au moins un enreg­istrement… Mais ce sera pour une autre fois.

À demain les amis !