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Ana María y Lilián 1944-05-17 — Orquesta Juan D’Arienzo con Héctor Mauré

Fulvio Salamanca – Nolo López y Héctor Varela – Luis Rafael Caruso

Cer­tains ont dû faire des bonds en voy­ant le titre de l’anecdote du jour. Quoi, un tan­go que je ne con­nais pas ? J’espère qu’ils ne se sont pas cognés au pla­fond. En effet, aujourd’hui, je vais vous par­ler de deux titres enreg­istrés le même jour et par les mêmes artistes. J’ai donc créé cette ami­tié entre Ana María, la noire et Lil­ián la blonde qui dure depuis 80 ans.
Le 17 mai 1944, Juan D’Arienzo enreg­istre qua­tre thèmes très dif­férents, dont trois avec Héc­tor Mau­ré. J’ai choisi deux d’entre eux, car ce sont des por­traits de femmes, des femmes très dif­férentes, mais aux des­tins par­al­lèles.
Vous aurez tout de même droit aux deux autres titres, dont l’un qui va vous faire dress­er les cheveux sur la tête.

Extraits musicaux

Lil­ián 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré (Musique Héc­tor Varela, paroles de Luis Rafael Caru­so).

Lil­ián est un titre sou­vent passé. C’est un D’Arienzo plutôt calme, mais très expres­sif. On notera l’utilisation de Lil­ián en leit­mo­tiv, en évo­ca­tion et son rem­place­ment finale­ment par amor. Comme on le ver­ra avec les paroles, il s’agit ici, espoir de reprise d’une rela­tion d’une nuit.

Ana María 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré (Musique de Ful­vio Sala­man­ca, paroles de Nolo López [Manuel Nor­ber­to López]).

Il s’agit, ici, d’une milon­ga can­dom­bé. Comme nous le ver­rons, les paroles vont égale­ment dans ce sens. C’est presque un pon­cif, lorsque l’on par­le de per­son­nes noires, c’est sou­vent à tra­vers une milon­ga can­dom­bé. C’est une des raisons pour lesquels cer­tains revendiquent une orig­ine noire pour le tan­go, par exem­ple Juan Car­los Cac­eres qui fait des milon­gas can­dombe, même s’il les nomme « tan­go », comme Tan­go negro, Tocá Tangó, Tan­go retan­go, ou Cum­tan­go

Paroles de Ana María

Ana María, la rosa mula­ta
Bajo su bata esconde un dolor,
Nació con luna de pla­ta
Por los Cuar­te­les del sol.

Novia queri­da de aquel tam­borero
Un entr­erri­ano de corazón,
Los dos col­maron sus sueños
Con un romance de amor.

Cuán­tos par­dos se sin­tieron
Pri­sioneros por su amor,
Dos mulatos la quisieron
Pero ella dijo: No.
A sus ojos, un poeta
Le can­tó su madri­gal,
Flo­recía la more­na
Entre rosas de un ros­al.

Ful­vio Sala­man­ca –  Nolo López (Manuel Nor­ber­to López)

Traduction libre de Ana María

Ana Maria, la rose noire (mula­ta désigne des femmes d’origine noire, ou métisse de noirs, con­traire­ment à Negra, qui sig­ni­fie sim­ple­ment à la peau plus som­bre et qui peut témoign­er d’origines des peu­ples pre­miers d’Argentine), cache une douleur sous son peignoir.
Elle est née avec une lune d’argent près de la caserne du Soleil.

Petite amie bien-aimée de ce tam­borero (joueur de tam­bour. On con­naît l’affection des Uruguayens pour les per­cus­sions), un entr­erri­ano (de la province d’Entre Rios) de cœur.
Les deux ont réal­isé leurs rêves avec une romance amoureuse.

Com­bi­en de noirs se sen­taient, pris­on­niers de son amour.
Deux mulâtres l’aimaient, mais elle a dit : « Non ».
Dans ses yeux, un poète lui chan­tait son madri­gal.
La noire fleuris­sait par­mi les ros­es d’un rosier.

Paroles de Lilián

Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
Pasión,
de un romance casu­al…
Esa noche yo esta­ba tan solo
y tú llenaste mi soledad.
Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
No estás.
Esta noche no estás.
Y me sien­to más solo que nun­ca
sin el azul de tus ojos, Lil­ián.

Que tris­teza hay en mi cuar­to.
Que amar­gu­ra en mi inte­ri­or.
He lle­ga­do a amarte tan­to,
que no vivo sin tu amor.
Con el beso siem­pre joven,
mi quer­er te esper­ará
y a la luz de tus can­ciones,
mis ilu­siones revivirán.
Porque hay algo que me dice,
que no olvi­daste, mi amor, Lil­ián…

Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
Amor.
Que hizo triste un adiós,
cuan­do todo era un can­to a la vida,
la mis­ma vida nos sep­a­ró.

Lil­ián,
rubia y dulce, Lil­ián.
Mi amor,
esperán­dote está,
y esperan­do me ven las auro­ras,
sin el azul de tus ojos, Lil­ián.

Héc­tor Varela — Luis Rafael Caru­so

Mau­ré ne chante pas ce qui est en orange.

Traduction libre de Lilián

Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Pas­sion, d’une romance occa­sion­nelle…
Cette nuit-là, j’étais si seul et tu as comblé ma soli­tude.
Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Tu n’es pas là.
Ce soir, tu n’es pas ici.
Et je me sens plus seul que jamais sans le bleu de tes yeux, Lil­ián.

Quelle tristesse il y a dans ma cham­bre !
Quelle amer­tume en moi !
J’en suis venu à t’aimer telle­ment que je ne peux pas vivre sans ton amour.
Avec le bais­er tou­jours jeune, mon amour t’attendra et à la lumière de tes chants, mes illu­sions seront ravivées.
Parce qu’il y a quelque chose qui me dit que tu n’as pas oublié mon amour, Lil­ián…

Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Amour.
Comme fut triste un adieu, alors que tout était un hymne à la vie, la même vie nous sépara.
Lil­ián, blonde et douce, Lil­ián.
Mon amour t’attend, et les aurores me voient atten­dre, sans le bleu de tes yeux, Lil­ián.

Les enregistrements de D’Arienzo du 17 mai 1944

El apache argenti­no 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arienzo (Musique Manuel Gre­go­rio Aróztegui).

C’est un tan­go instru­men­tal. Les Apach­es, sont, en Argen­tine, aus­si, des déli­quants, mem­bres de ban­des sou­vent vio­lentes. Ils n’ont rien de com­mun avec les Indi­ens des USA. D’Arienzo avait étren­né ce tan­go en 1930, lors du car­naval. On repar­lera un jour des car­navals, car ce sont des événe­ments très impor­tants pour les orchestres de tan­go…

Las doce 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré (Musique Juan D’Arienzo, paroles de Nolo López [Manuel Nor­ber­to López]).

Cette musique com­mence par une cita­tion du célèbre chant de Noël Jin­gle bells. On imag­ine quelques flo­cons de neige, un hiv­er qui débute. Bien sûr, Buenos Aires étant dans l’hémisphère sud, les Noëls sont chauds. Je pense que c’est surtout pour apporter une note « enfan­tine » au thème qui com­mence donc très légère­ment. Nous allons avoir avec les paroles que cela se gâte rapi­de­ment :

Paroles de Las doce

Llueve y hace frío
Crudo es el invier­no
Cru­jen los por­tales
Sil­ba el ven­daval

Pasa preg­o­nan­do
El viejo diarero
Car­reras y fobal
La guer­ra mundi­al

Tiem­blan los cristales
De un café noc­turno
Sue­na la pianola
Un boni­to vals

Mien­tras en mí cuar­to
Mi lecho sin man­tas
Me acosa el invier­no
Aumen­ta mi mal

Las doce, medi­anoche
Don Mateo con su coche
Va camino al cor­ralón
Las doce
Y la llu­via
Arrimán­dose a su paso
El per­fume del malvón
Las doce se agi­gan­ta
Y va exten­di­en­do su man­to
En los vidrios de un farol

Juan D’Arienzo Letra : Nolo López (Manuel Nor­ber­to López)

Traduction libre de Las doce (âmes sensibles s’abstenir)

Minu­it (12 heures)

Il pleut et il fait froid. L’hiver est rude. Les por­tails grin­cent. La bise sif­fle. (Rien d’étonnant jusque-là, on s’imagine avec Jin­gle bells que l’on est en hiv­er de l’hémisphère nord).

Passe en annonçant, le vieux vendeur de jour­naux, cours­es et foot­ball (fobal est la forme de Fút­bol en lun­far­do), la guerre mon­di­ale (Là, l’évocation du con­flit mon­di­al jette un autre froid, la fable du tan­go de Noël com­mence à se fendiller. On pense par­fois que l’Argentine était loin de la guerre, en fait, même si elle est restée neu­tre, le sort des familles qui n’avaient pas émi­gré fai­sait que les Argentins se sen­taient con­cernés).

Les fenêtres d’un café de nuit trem­blent, le pianola joue une belle valse (le pianola est un piano qui peut jouer seul des airs à l’aide d’un mécan­isme lisant des cartes per­forées. Nous l’avons déjà évo­qué à pro­pos de Loren­zo. Là, si l’histoire de la guerre nous a échap­pé, on se ras­sure, on s’imagine danser la valse dans le bistro­quet).

Dans ma cham­bre, ma litière sans cou­ver­tures, l’hiver m’assaille, il aug­mente mon mal. (Là, nou­veau coup de froid, le tan­go n’a plus l’air d’un con­te de Noël, tout au plus on pour­rait penser à la petite marchande d’allumettes d’Andersen).

12 heures, minu­it. (12 heures, en fait, 24 h ou 0 h, minu­it, l’heure du crime selon le dic­ton).

Don Mateo (Il existe au moins deux tan­gos nom­més Don Mateo, dont un avec des paroles de José Ponzio, dénonçant un crim­inel ayant tué 6 per­son­nes de sa famille et 2 employés de ferme. Il s’agit en fait d’un notable, pro­prié­taire ter­rien, Mateo Banks. C’était un fils d’émigrés irlandais, qui ayant per­du aux jeux, arnaque sa famille et les tue pour obtenir leur argent. La scène décrite dans ce tan­go doit donc se dérouler le 18 avril 1822, date des faits) avec sa voiture va au cor­ralón (ce terme est poly­sémique, ici, cela peut être un endroit où on entre­pose des matéri­aux de con­struc­tion, un des lieux de ses crimes).

Minu­it et la pluie. S’accroche à ses pas, le par­fum de l’homme mau­vais. (Non seule­ment il tue huit per­son­nes et devient donc le pre­mier ser­i­al killer argentin, mais il essaye de faire accuser un de ses péones, employés de ferme. Il est con­damné à per­pé­tu­ité, mais sort finale­ment de prison. L’ironie de cette his­toire est qu’il se tue en glis­sant sur une savon­nette en se cog­nant la tête sur sa baig­noire. Je vous avais prévenu, l’histoire est ter­ri­ble).
Minu­it s’agrandit et étend son man­teau sur les vit­res d’un lam­padaire. (On a fait mieux en matière de con­te de Noël).


Avec Ironie, D’Arienzo qui a fait chanter l’intégralité de l’histoire à Mau­ré reprend avec le motif de Jin­gle bells, comme s’il ne s’était rien passé qu’une petite chan­son de Noël.
Je crois que ce tan­go est assez rare, sans doute à cause de l’évocation de Mateo Banks. Cepen­dant, si les danseurs n’écoutent pas avec atten­tion les paroles, il doit être util­is­able. C’est un titre qui peut faire un milieu de tan­da sat­is­faisant.
Si vous voulez en savoir plus sur cette his­toire, je vous pro­pose deux sites :
La macabra his­to­ria del estanciero argenti­no que mató a san­gre fría a toda su famil­ia para quedarse con su for­tu­na — Infobae qui vous don­nera des détails sur les faits.
https://web.archive.org/web/20200813025004/https://ana-turon.blogspot.com/2016/05/el-tango-en-la-provincia-de-buenos-aires.html Je vous pro­pose la ver­sion archivée en 2020, car le site a depuis été cor­rompu. Vous y trou­verez notam­ment des textes de tan­go ou chan­sons par­lant du crime.

Et nos deux titres du jour

Pour revenir à des sujets plus sym­pa­thiques, je vous pro­pose de ter­min­er par nos deux titres du jour. D’abord Lil­ián, puis Ana María pour finir dans un rythme plus joueur et nous laver la tête de l’horreur des crimes de Don Mateo.

Lil­ián 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré (Musique Héc­tor Varela, paroles de Luis Rafael Caru­so). Un de nos titres du jour.
Ana María 1944-05-17 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré (Musique de Ful­vio Sala­man­ca, paroles de Nolo López [Manuel Nor­ber­to López]). Un de nos titres du jour.

Ces qua­tre œuvres, fort dif­férentes mon­tr­er la diver­sité dont peu­vent être capa­bles les grands orchestres de l’âge d’or.

À demain les amis !

Ana María y Lil­ián. Deux des­tins de femmes.

Silencio 1933 ‑03–27 — Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi

Le tan­go du jour est Silen­cio, enreg­istré par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expi­a­toire » dévoile une des failles de Car­los Gardel, Enfant de France. Je vous invite à décou­vrir ou redé­cou­vrir ce titre chargé d’émotion et d’histoire.

Une fois n’est pas cou­tume, je vais vous faire voir et écouter une ver­sion dif­férente du tan­go du jour, avant la ver­sion du jour.
Nous sommes en 1932, Car­los Gardel est en France (comme beau­coup de musi­ciens et artistes Argentins à l’époque). Il y tourne qua­tre films et dans le dernier de la série, il chante une chan­son dont on ne peut com­pren­dre la total­ité de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier.

Ce film a été tourné en France, à l’est de Paris, aux Stu­dios de Joinville-le-Pont en octo­bre et novem­bre 1932. Le scé­nario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, égale­ment).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre représen­té dans le film et qui joue la bande-son est la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tan­go de l’âge d’or. On n’en con­naît guère aujourd’hui qu’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment d’enregistrements pour être sig­ni­fi­cat­ifs et sans doute pas beau­coup plus d’une cinquan­taine ayant suff­isam­ment de titres pour faire une tan­da, et cela à la con­di­tion de ne pas être trop exigeant. D’ailleurs, pour cer­tains titres que j’appelle « orphe­lins », je mélange les orchestres pour con­stituer une tan­da com­plète et cohérente. Par exem­ple, la Típi­ca Vic­tor dirigée par Cara­bel­li et l’orchestre de Cara­bel­li. Cela, c’est plus fréquem­ment pour les milon­gas qui sont plutôt défici­taires en nom­bre (moins de 600 milon­gas ont été enreg­istrées entre 1935 et 1955), con­tre presque le dou­ble de valses et qua­tre fois plus de tan­gos. En effet, l’âge d’or du tan­go, c’est à peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse… C’est donc un pat­ri­moine ridicule­ment petit par rap­port à ce qui a été joué et pas enreg­istré.

Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel à droite de l’image. À sa droite, au pre­mier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au pre­mier plan… Car­los Gardel. Les autres sont des per­son­nes de la Para­mount qui a pro­duit le film. La pho­to du cen­tre mon­tre Mateo et Gardel en répéti­tion. À droite, auto­por­trait de Mateo devenu pein­tre…

Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliés. C’est sans doute, car il a fait sa car­rière prin­ci­pale­ment en France et qu’il s’est recy­clé comme pein­tre futur­iste à la fin des années 30.
On lui doit notam­ment l’accompagnement orches­tral de trois films inter­prétés par Gardel durant ses séjours parisiens, Espérame, La casa es seria et Melodía de arra­bal dont est tiré cet extrait. C’est égale­ment le pianiste qui a le plus accom­pa­g­né Car­los Gardel. Donc, si vous enten­dez chanter Gardel avec un accom­pa­g­ne­ment de piano, c’est cer­taine­ment lui…

Extrait musical

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

Cette ver­sion est par­ti­c­ulière­ment émou­vante, avec son chœur de femme et la voix de Gardel. Nous y revien­drons après avoir étudié les paroles.

Les paroles

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme.
La ambi­ción des­cansa.

Mecien­do una cuna,
una madre can­ta
un can­to queri­do
que lle­ga has­ta el alma,
porque en esa cuna,
está su esper­an­za.

Eran cin­co her­manos.
Ella era una san­ta.
Eran cin­co besos
que cada mañana
roz­a­ban muy tier­nos
las hebras de pla­ta
de esa viejecita
de canas muy blan­cas.
Eran cin­co hijos
que al taller march­a­ban.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción tra­ba­ja.

Un clarín se oye.
Peligra la Patria.

Y al gri­to de guer­ra
los hom­bres se matan
cubrien­do de san­gre
los cam­pos de Fran­cia.

Hoy todo ha pasa­do.
Rena­cen las plan­tas.
Un him­no a la vida
los ara­dos can­tan.
Y la viejecita
de canas muy blan­cas
se quedó muy sola,
con cin­co medal­las
que por cin­co héroes
la pre­mió la Patria.

Silen­cio en la noche.
Ya todo está en cal­ma.
El mús­cu­lo duerme,
la ambi­ción des­cansa…

Un coro lejano
de madres que can­tan
mecen en sus cunas,
nuevas esper­an­zas.
Silen­cio en la noche.
Silen­cio en las almas…

Car­los Gardel; Hora­cio G. Pet­torossi Letra: Alfre­do Le Pera ; Hora­cio G. Pet­torossi.

Car­los Gardel et Impe­rio Argenti­na chantent la total­ité du texte. Ernesto Famá ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Le titre com­mence par un son de cla­iron. Le cla­iron jouant sur trois notes, cet air fait immé­di­ate­ment penser à une musique mil­i­taire (le cla­iron ne per­met de jouer facile­ment que 4 notes et trois autres notes ne sont acces­si­bles qu’aux vir­tu­os­es de cet instru­ment, autant dire qu’elles ne sont jamais jouées.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lente­ment, comme dans les son­ner­ies aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dès le début…
Gardel reprend à la suite de la son­ner­ie sur le même Mi. Cela per­met de faire la liai­son entre le cla­iron et sa voix, ce qui n’était pas si évi­dent à con­cevoir. Dans la ver­sion de 1932 c’est une trompette et pas un cla­iron qui lance Sol Sol Do et Gardel com­mence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tes­si­ture. La ver­sion de Canaro est donc à mon sens mieux con­stru­ite de ce point de vue et l’usage du cla­iron est plus per­ti­nent.

Silen­cio mil­i­tar – Día de los muer­tos por la patria. Inter­prété par le rég­i­ment de Grenadiers à cheval « Gen­er­al San Martín », escorte prési­den­tielle de la République argen­tine.

On remar­quera que la son­ner­ie « offi­cielle n’est pas la même, même si elle inclut la même séquence de trois notes. La son­ner­ie aux morts française est assez proche, mais pas iden­tique non plus à celle pro­posée par Canaro. Dis­ons que c’est une son­ner­ie fac­tice des­tinée à don­ner le La. Par­don, le cla­iron ne peut pas jouer de La. Dis­ons qu’il donne le Mi à Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment. L’ambition se repose.
Bal­ançant un berceau, une mère chante une chan­son bien-aimée qui touche l’âme, parce que dans ce berceau, se trou­ve son espoir. (Le chœur de femmes inter­vient sur ce cou­plet).
Ils étaient cinq frères. Elle était une sainte. Il y avait cinq bais­ers qui, chaque matin, effleu­raient très ten­drement les mèch­es argen­tées de cette déjà vieille aux cheveux blan­chis. Il y avait cinq garçons qui sont allés à l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant. Les mus­cles dor­ment, l’ambition tra­vaille. (L’ambition passe du repos au tra­vail. Elle pré­pare le com­bat).
Un cla­iron résonne. La patrie est en dan­ger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, cou­vrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le cla­iron qui résonne).
Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renais­sent. Les char­rues chantent un hymne à la vie. Et la petite vieille aux cheveux très blancs se sent très seule, avec cinq médailles que pour cinq héros lui a décernées la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme main­tenant.
Les mus­cles dor­ment, l’ambition se repose…
Un chœur loin­tain de mères qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nou­veaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les âmes…

Les versions

Silen­cio 1932-11 Car­los Gardel con la Orques­ta típi­ca Argenti­na de Juan Cruz Mateo.

Une ver­sion émou­vante tirée du film « Melodía de arra­bal » de Louis Gas­nier. C’est le même extrait, qu’en début d’article, mais sans la vidéo. Comme déjà indiqué, la son­ner­ie de trompette au début est dif­férente de la son­ner­ie de cla­iron de la ver­sion de Canaro de 1933.

Silen­cio 1933 ‑03–27 — Car­los Gardel con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro y coro de mujeres.

C’est le tan­go du jour. Dans la ver­sion du film, il y a deux petites répons­es de Impe­rio Argenti­na, sa parte­naire dans le film, mais qui n’apparaît pas à l’écran au moment où elle chante. Ici, c’est un chœur féminin qui donne la réponse à Gardel.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín (trompette).

La parte­naire de Car­los Gardel dans le film Melodía de arra­bal, reprend à son compte le titre. C’est égale­ment une superbe ver­sion à écouter. On notera que sur le disque il est écrit Tan­go du film melodía de Arra­bal. En fait, elle n’y chante que deux phras­es en voix off et ce disque n’est donc pas tiré du film (même s’il n’est pas à exclure qu’il ait été enreg­istré en même temps que la bande son du film (octo­bre-novem­bre 1932) et qu’il soit sor­ti en 1933, à l’occasion de la sor­tie du film (5 avril 1933 à Buenos Aires), comme les ver­sions de Canaro, qui était tou­jours à l’affut d’un bon coup financier.

Silen­cio 1933 Impe­rio Argenti­na con acomp. de gui­tar­ras, piano y clarín. Disque de 1933 (à gauche) — Une réédi­tion du même enreg­istrement à droite, preuve du suc­cès.

Une autre « erreur du disque est la men­tion d’un cla­iron. Con­traire­ment à la ver­sion Canaro Gardel, c’est de nou­veau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle débute par Si Si Si Do Ré RéRé Ré Ré Mi Fa, Les notes en rouge sont inac­ces­si­bles à un cla­iron. Cela ne peut donc pas être un cla­iron, d’autant plus que la sonorité n’est pas la bonne.
Le piano appa­rait pour sa part tar­di­ve­ment, à une minute par une petite fior­i­t­ure sur la res­pi­ra­tion de la chanteuse (de esa viejecita DING — DONG de canas muy blan­cas). Après 1 :11, la gui­tare, le piano, puis la trompette se mêlent à la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit enten­dre une man­do­line. Le piano ter­mine élégam­ment en faisant descen­dre la ten­sion par un motif léger ascen­dant puis descen­dant.
J’aime beau­coup le résul­tat, Impe­rio a pris sa revanche sur Gardel en nous four­nissant une ver­sion com­plé­men­taire et tout aus­si belle.

Silen­cio 1933-03-30 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Trois jours après la ver­sion à écouter chan­tée par Gardel, Canaro enreg­istre le thème avec Ernesto Famá. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite par­tie des paroles. Cela en fait un tan­go de danse. La tragédie des paroles est com­pen­sée par des fior­i­t­ures, notam­ment avant la reprise du début du refrain.

Je ne vous pro­pose pas d’autres ver­sions, même s’il y en a env­i­ron deux douzaines, car avec cet échan­til­lon réduit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une ver­sion de danse. La totale, quoi ?
Par­mi les ver­sions que je laisse de côté, des inter­pré­ta­tions de Gardel avec des gui­tares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thème.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rou­vrir le dossier et me fâch­er avec mes amis uruguayens, mais je sig­nale tout de même cette page où je présente les argu­ments en faveur d’une orig­ine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas être remis en ques­tion, c’est que Gardel est venu en France à divers­es repris­es, qu’il a vis­ité sa famille française, notam­ment à Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant né français, il était soumis à mobil­i­sa­tion pour la « Grande Guerre », celle de 1914–1918. Grâce à ses faux papiers uruguayens, il a pu échap­per à l’accusation de déser­tion. Cepen­dant, lors d’un séjour en France, il a vis­ité les cimetières de la Grande Guerre.
On sent que cela le cha­touil­lait. Le tan­go Silen­cio est un peu son expi­a­tion pour avoir échap­pé à la tuerie de 1914–1918. Tuerie et silence, cela m’a évo­qué le grand sculp­teur roman­tique, Auguste Préault, juste­ment auteur de deux œuvres d’une force extrême, Tuerie et Le Silence.

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de par­tir d’une œuvre du sculp­teur français Auguste Préault qui a réal­isé en 1842 cette œuvre pour le mon­u­ment funéraire d’un cer­tain Jacob Rob­lès qui est désor­mais célèbre grâce à cette œuvre au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Il m’a paru logique de l’associer à « Tuerie » du même artiste pour évo­quer la guerre de 1914–1918, même cette œuvre ne relate pas pré­cisé­ment des faits de guerre attestés. Elle se veut plus générique et provo­ca­trice. D’ailleurs cette œuvre n’a été accep­tée au salon offi­ciel de 1839 que pour mon­tr­er ce qu’il ne fal­lait pas faire pour être un grand sculp­teur. Préault réalis­era la com­mande de Rob­lès en 1842, mais son œuvre ne sera exposée au salon qu’en 1849 (après 10 ans de pur­ga­toire et d’interdiction d’exposition).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette époque. Il a été don­né plus tar­di­ve­ment, vers 1867.

Silen­cio. Mon­tage et inter­pré­ta­tion d’après « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste Préault, avec toute mon admi­ra­tion. Ces œuvres por­tent le même mes­sage que Silen­cio.

Voici les deux œuvres et en prime un por­trait de Préault par le pho­tographe Nadar.

Auguste Préault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Mon­u­ment funéraire de Jacob Rob­lès au Père-Lachaise (Paris). Sur le mon­u­ment funéraire, l’inscription en hébreux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayé de vous révéler l’origine de ce tan­go créé par un « déser­teur ».

Une autre explication par Todo Tango

L’excellent site Todo Tan­go donne une autre orig­ine dans un arti­cle « El tan­go “Silen­cio” y un con­tex­to trági­co ».

Gardel grabó el tan­go “Silen­cio” en tres opor­tu­nidades, paran el sel­lo Odeon. Dos con las gui­tar­ras de Domin­go Julio Vivas, Ángel Domin­go Riverol, Guiller­mo Bar­bi­eri y Hora­cio Pet­torossi (cin­co matri­ces, cua­tro del 14 de febrero y la otra, del 13 de mayo de 1933), y una con la orques­ta de Fran­cis­co Canaro. Todas tuvieron el agre­ga­do de un coro femeni­no.

El coro en las graba­ciones con gui­tar­ras, lo inte­graron las hijas de Guiller­mo Bar­bi­eri: María Esther y Adela, (tías de la actriz Car­men Bar­bi­eri). Para la grabación con Canaro, el coro lo for­maron: Blan­ca del Pra­do, Felisa San Martín, Éli­da Medol­la, Cori­na Paler­mo, Emil­ia Pezzi y Sara Delar.

Fue uno de los temas del film Melodía de Arra­bal, real­iza­do en los estu­dios Para­mount de Joinville, Fran­cia, con la direc­ción de Louis Gas­nier (estre­na­do en Buenos Aires, el 5 de abril de 1933, en el Cine Porteño de la calle Cor­ri­entes). Car­los Gardel lo can­ta en la pelícu­la, acom­paña­do por la orques­ta de Juan Cruz Mateo de la que Hora­cio Pet­torossi era miem­bro.

Pres­i­dente Paul DoumerUn ruso blan­co —Pablo Gorguloff–, recién sali­do del man­i­comio y deseoso de lla­mar la aten­ción sobre su mis­er­able des­ti­no, asesinó a tiros a Paul Doumer, pres­i­dente recién elec­to de Fran­cia y la situación de los emi­gra­dos rusos comen­zó a hac­erse insostenible. El crimen fue el 6 de mayo de 1932.

Años atrás, cua­tro de los ocho hijos de la víc­ti­ma, fueron mil­itares y muer­tos durante la Primera Guer­ra Mundi­al (1914–1918): el capitán Marce­lo Doumer, muer­to en com­bate aéreo el 28 de junio de 1918, el capitán René Doumer, muer­to en com­bate aéreo el 26 de abril de 1917, el teniente André Doumer, muer­to delante de su madre Nan­cy el 24 de sep­tiem­bre de 1914, el may­or ayu­dante de médi­co Armand Doumer muer­to el 5 de agos­to de 1922.

La láp­i­da con­mem­o­ra­ti­va de Paul Doumer y sus cua­tro hijos se encuen­tra en La Ferme de Navarin, mon­u­men­to osario donde des­cansan los restos de 10.000 com­bat­ientes, situ­a­do a 45 kilómet­ros al este de Reims, a una trein­te­na de kilómet­ros en el norte de Châlons-en-Cham­pagne en Somepy-Tahure (Marne).

Este due­lo dramáti­co emo­cionó y, muy prob­a­ble­mente, inspiró en 1932, una de las can­ciones más tristes plas­madas por Gardel. Tan­to Alfre­do Le Pera como Pet­torossi imag­i­naron el dolor de la seño­ra Doumer.

La letra de “Silen­cio” sería un hom­e­na­je a la soledad de las madres, mien­tras los sol­da­dos mueren en el cam­po de hon­or.

Paul Doumer fue el 14º pres­i­dente de la Repúbli­ca de Fran­cia, des­de el 13 de junio de 1931 has­ta el 7 de mayo de 1932. En 1896 fue gob­er­nador gen­er­al de Indochi­na, donde con­cibió su estruc­tura colo­nial. Primero fue pres­i­dente del Sena­do y luego de la Repúbli­ca. Le gusta­ba el con­tac­to con el públi­co, lo que fue fatal. En el Hotel Salomon de Roth­schild, en una exposi­ción de escritores, surgió de entre la mul­ti­tud Gorguloff, quien der­ribó al pres­i­dente de tres dis­paros. Fue traslada­do al Hos­pi­tal Beau­jon, donde no fue bien aten­di­do y estu­vo en coma. Murió a la noche sigu­iente, sin cumplir un año de manda­to. Después del funer­al cel­e­bra­do en la cat­e­dral de Notre Dame de París, su mujer se negó a que fuese sepul­ta­do en el Pan­teón y se real­izó en la tum­ba famil­iar. El asesino fue eje­cu­ta­do el 14 de sep­tiem­bre de 1932 en la guil­loti­na.

Famil­ia DoumerBlanche Richel de Doumer, «la viejecita de canas muy blan­cas», que como se obser­va en la foto, tenía pelo rene­gri­do, nació el 8 de junio de 1859 en Sois­sons (Aisne) y fal­l­e­ció el 4 de abril de 1933. Después del crimen de su mari­do, recibió car­tas de pésame de jefes de Esta­dos y de las per­son­al­i­dades más impor­tantes. Luego, desa­pare­ció de la vida públi­ca. La antigua Primera dama, deses­per­a­da, sobre­vive sólo un año a la muerte de su esposo. Fue embesti­da por un coche en abril de 1933.

Con­clusión
Pet­torossi y Le Pera se encon­tra­ban en un país que aún no había cica­triza­do las heri­das de «la gran guer­ra». Muchos france­ses, inclu­i­do un gran ami­go de Gardel, Mar­cel Lattes, solían hablar sobre estas des­gra­cias. Entre ellas, la del asesina­to de Doumer y las de sus hijos muer­tos en com­bate.

Pero el tan­go “Silen­cio” no es una tran­scrip­ción exac­ta de esta trág­i­ca his­to­ria. En real­i­dad, com­pro­bamos que existe una úni­ca tum­ba famil­iar, en con­tra­posi­ción con el rela­to «de las cin­co tum­bas». Los mil­itares muer­tos fueron cua­tro y no cin­co como dice la letra. Asimis­mo, Blanche Richel, tuvo muy poco tiem­po para llo­rar a sus hijos ya que fal­l­e­ció en 1933. Además, la viejecita de canas muy blan­cas tenía pelo rene­gri­do.

Val­orable el vue­lo de los poet­as, que a par­tir de estas viven­cias, escri­bieron uno de los tan­gos más sen­si­bles de la his­to­ria, magis­tral­mente can­ta­do por El Zorzal.

Car­los E. Benítez

Traduction libre de l’article de Todo Tango

Gardel a enreg­istré le tan­go « Silen­cio » à trois repris­es, pour le label Odeon. Deux avec les gui­tares de Domin­go Julio Vivas, Ángel Domin­go Riverol, Guiller­mo Bar­bi­eri et Hora­cio Pet­torossi (cinq matri­ces, qua­tre du 14 févri­er et l’autre, du 13 mai 1933), et une avec l’orchestre de Fran­cis­co Canaro. Toutes avaient l’a­jout d’un chœur féminin.

Le chœur des enreg­istrements avec gui­tares était com­posé des filles de Guiller­mo Bar­bi­eri : María Esther et Adela, (tantes de l’ac­trice Car­men Bar­bi­eri). Pour l’en­reg­istrement avec Canaro, le chœur a été for­mé par : Blan­ca del Pra­do, Felisa San Martín, Éli­da Medol­la, Cori­na Paler­mo, Emil­ia Pezzi et Sara Delar.

Comme nous l’avons vu en intro­duc­tion de cet arti­cle, c’est l’un des thèmes du film Melodía de Arra­bal, réal­isé par Louis Gas­nier aux stu­dios Para­mount de Joinville (présen­té en pre­mière à Buenos Aires, le 5 avril 1933, au Ciné Porteño de la rue Cor­ri­entes). C’est Car­los Gardel qui la chante dans le film, accom­pa­g­né de l’orchestre Juan Cruz Mateo dont Hora­cio Pet­torossi était mem­bre.

Un Russe blanc, Paul Gorguloff, fraîche­ment sor­ti de l’asile et désireux d’at­tir­er l’at­ten­tion sur son sort mis­érable, a abat­tu Paul Doumer, le prési­dent nou­velle­ment élu de la France, et la sit­u­a­tion des émi­grés russ­es a com­mencé à devenir inten­able. Le crime a eu lieu le 6 mai 1932.

Des années aupar­a­vant, qua­tre des huit enfants de la vic­time ont été des sol­dats tués pen­dant la Pre­mière Guerre mon­di­ale (1914–1918) : le cap­i­taine Marce­lo Doumer, tué en com­bat aérien le 28 juin 1918, le cap­i­taine René Doumer, tué en com­bat aérien le 26 avril 1917, le lieu­tenant André Doumer, tué devant sa mère Nan­cy le 24 sep­tem­bre 1914, Le major adjoint Armand Doumer tué le 5 août 1922.

La plaque com­mé­mora­tive de Paul Doumer et de ses qua­tre fils se trou­ve dans La Ferme de Navarin, mon­u­ment ossuaire où reposent les restes de 10 000 com­bat­tants, situé à 45 kilo­mètres à l’est de Reims, à une trentaine de kilo­mètres au nord de Châlons-en-Cham­pagne à Somepy-Tahure (Marne).

Ce deuil dra­ma­tique émut et, très prob­a­ble­ment, inspi­ra en 1932, l’une des chan­sons les plus tristes enreg­istrées par Gardel. Alfre­do Le Pera et Pet­torossi ont tous deux imag­iné la douleur de Mme Doumer.

Les paroles de « Silen­cio » seraient un hom­mage à la soli­tude des mères, tan­dis que les sol­dats meurent sur le champ d’hon­neur.

Paul Doumer fut le 14e prési­dent de la République française, du 13 juin 1931 au 7 mai 1932. En 1896, il était gou­verneur général de l’In­do­chine, où il conçu sa struc­ture colo­niale. Il fut d’abord prési­dent du Sénat puis de la République. Il aimait le con­tact avec le pub­lic, ce qui lui fut fatal. À l’hô­tel Salomon de Roth­schild, lors d’une expo­si­tion d’écrivains, Gorguloff est sor­ti de la foule, et a abat­tu le prési­dent de trois balles. Il a été emmené à l’hôpi­tal Beau­jon, où il n’a pas été bien soigné et tom­ba dans le coma. Il mou­ru la nuit suiv­ante, avant d’avoir accom­pli un an de man­dat. Après les funérailles qui ont eu lieu dans la cathé­drale Notre-Dame de Paris, sa femme a refusé qu’il soit enter­ré au Pan­théon et il fut inhumé dans le tombeau famil­ial. Le meur­tri­er a été guil­lot­iné le 14 sep­tem­bre 1932.

Blanche Richel de Doumer, « la petite vieille aux cheveux gris très blancs », qui, comme on peut le voir sur la pho­to, avait les cheveux noirs, est née le 8 juin 1859 à Sois­sons (Aisne) et est décédée le 4 avril 1933. Après l’as­sas­si­nat de son mari, elle a reçu des let­tres de con­doléances de chefs d’É­tat et des per­son­nal­ités les plus impor­tantes. Puis, il a dis­paru de la vie publique. L’an­ci­enne pre­mière dame, dés­espérée, ne survit qu’un an à la mort de son mari. Elle fut ren­ver­sée par une voiture en avril 1933.

Con­clu­sion
Pet­torossi et Le Pera se trou­vaient dans un pays qui n’avait pas encore cica­trisé les plaies de la « grande guerre ». De nom­breux Français, dont un grand ami de Gardel, Mar­cel Lattes, par­laient de ces mal­heurs. Par­mi eux, celui de l’as­sas­si­nat de Doumer et ceux de ses fils tués au com­bat.

Mais le tan­go « Silen­cio » n’est pas une tran­scrip­tion exacte de cette his­toire trag­ique. En fait, nous voyons qu’il n’y a qu’une seule tombe famil­iale, par oppo­si­tion à l’his­toire des « cinq tombes ». Les sol­dats tués étaient qua­tre et non cinq comme le dis­ent les paroles. De même, Blanche Richel a eu très peu de temps pour faire le deuil de ses enfants depuis sa mort en 1933. De plus, la petite vieille dame aux cheveux gris très blancs avait les cheveux noirs.

L’en­vol des poètes, qui, à par­tir de ces expéri­ences, ont écrit l’un des tan­gos les plus sen­si­bles de l’his­toire, chan­té magis­trale­ment par El Zorzal, est pré­cieuse.

On voit que les petites dif­férences entre la chan­son et l’histoire n’invalident pas les deux hypothès­es. Gardel peut avoir été touché par la douleur de Madame Doumer, tout autant que s’être sen­ti coupable d’avoir déserté.

La vidéo de fin…

Pour une fois, je vais faire plusieurs entors­es au for­mat des anec­dotes du jour en ter­mi­nant par une vidéo au lieu d’une illus­tra­tion que j’aurais réal­isée.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une ini­tia­tive de l’ami Memo Vilte qui voulait ren­dre un hom­mage à la France en chan­tant ce tan­go qui n’est pas dans son réper­toire habituel de folk­lore argentin.

  1. Je ne suis pas l’auteur de cette vidéo. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a réal­isée à l’arrache (c’était totale­ment impromp­tu). Mer­ci à toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extra­or­di­naire, c’est Stel­la Maris, mais vous l’aurez recon­nue. Muchísi­mas Gra­cias Stel­la.
  3. Je suis « danseur » médiocre dans cette vidéo. Vous com­prenez main­tenant pourquoi je préfère être DJ.
  4. La tour Eif­fel s’est mise à scin­tiller pour saluer notre per­for­mance. C’était imprévu, mais on a appré­cié cet hom­mage de la Vieille Dame au tan­go qu’elle a vu naître.