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Poema 1935-06-11 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Antonio Mario Melfi ? Letra : Eduardo Vicente Bianco

Poe­ma par Canaro et Mai­da est le type même du tan­go que l’on ne peut pas facile­ment pro­pos­er dans une autre ver­sion. Amis DJ, si vous ten­tez l’expérience, on vous fait les gros yeux. Pour­tant, il existe d’autres ver­sions qui ne déméri­tent pas. Analysons un peu ce tan­go, qui est, selon un sondage réal­isé il y a une dizaine d’années, le préféré dans le monde. Nous présen­terons égale­ment une enquête pour savoir qui est le com­pos­i­teur de ce chef‑d’œuvre.

Ajout de deux ver­sions le 29 août 2024, une en let­ton et une en arabe
(Cadeau d’An­dré Vagnon de la Bible Tan­go).

Extrait musical

Tout d’abord, on ne se refuse pas d’écouter encore une fois Poe­ma par Canaro. Peut-être plus atten­tive­ment 😉

Par­ti­tion pour piano Poe­ma de Anto­nio Mario Melfi Letra : Eduar­do Vicente Bian­co.
Poe­ma 1935-06-11 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

Paroles

Fue un ensueño de dulce amor,
horas de dicha y de quer­er.
Fue el poe­ma de ayer,
que yo soñé de dora­do col­or.
Vanas quimeras que el corazón
no logrará descifrar jamás.
¡Nido tan fugaz,
fue un sueño de amor,
de ado­ración!…

Cuan­do las flo­res de tu ros­al
vuel­van más bel­las a flo­re­cer,
recor­darás mi quer­er
y has de saber
todo mi inten­so mal…

De aquel poe­ma embria­gador
ya nada que­da entre los dos.
¡Con mi triste adiós
sen­tirás la emo­ción
de mi dolor !…

Anto­nio Mario Melfi Letra : Eduar­do Vicente Bian­co

Traduction libre

Ce fut un rêve de doux amour, des heures de joie et d’amour.
Ce fut le poème d’hier, dont je rêvais en couleur dorée.
Vaines chimères que le cœur ne pour­ra jamais déchiffr­er.
Nid si fugace, ce fut un rêve d’amour, d’adoration…

Lorsque les fleurs de ton rosier refleuriront plus belles, tu te sou­vien­dras de mon amour et tu devras con­naître tout de mon mal intense…

De ce poème enivrant, il ne reste rien entre les deux.
Avec mon triste adieu, vous ressen­tirez l’émotion de ma douleur…

Qui est le compositeur de Poema ?

Vous pensez que la réponse est sim­ple, mais ce n’est pas si cer­tain, car il y a trois hypothès­es.

La version traditionnelle

Anto­nio Mario Melfi pour la musique et Eduar­do Vicente Bian­co pour les paroles.

Par­ti­tions avec attri­bu­tions tra­di­tion­nelles. Par­ti­tion espag­nole avec Bian­co en pho­to. Par­ti­tion française (Gar­zon) avec Bian­co et Melfi en pho­to. Disque Colum­bia Lon­dres écrit en français de Pesen­ti et Nena Sainz. Par­ti­tion Bian­co (avec pho­to de Rosi­ta Mon­tene­gro). Par­ti­tion ital­i­enne, avec en plus le nom du tra­duc­teur U. Berti­ni.

Les par­ti­tions, en général, indiquent les deux noms et les mérites respec­tifs des auteurs. Remar­quez le disque cen­tral. Il sera aus­si, dans une autre édi­tion, dans l’argument pour la vari­ante…

Une variante :

Anto­nio Mario Melfi et Eduar­do Vicente Bian­co en col­lab­o­ra­tion pour les deux.

En faveur de cet argu­ment, Melfi est com­pos­i­teur et a écrit les paroles de cer­tains tan­gos, notam­ment les siens. On peut donc le class­er égale­ment comme paroli­er. Il a com­posé Volve muchacha qui a claire­ment des liens de par­en­té avec Poe­ma.
Bian­co est con­nu comme paroli­er et comme musi­cien. Cer­tains de ces titres peu­vent con­corder avec celui de Poe­ma, styl­is­tique­ment, bien que moins réus­sis. Par exem­ple Corazón (dont il existe qua­tre enreg­istrements par Bian­co de 1929 à 1942). Je ne par­le que de la com­po­si­tion, pas de l’interprétation, Canaro n’ayant pas enreg­istré d’autre tan­go com­posé par Bian­co, on doit com­par­er avec les enreg­istrements de Bian­co.
En faveur de cet argu­ment, on a les dis­ques qui ne dif­féren­cient pas les deux con­tri­bu­tions. En voici quelques exem­ples.

La majorité des dis­ques ne dis­tinguent pas les fonc­tions. À gauche, deux dis­ques Brunswick du même enreg­istrement de Bian­co (1937). Le pre­mier indique les deux noms, sans dif­féren­ti­a­tion et le sec­ond n’indique que Bian­co… Au cen­tre, notre Canaro de référence dans une édi­tion argen­tine. Ensuite, Impe­rio Argenti­no et la men­tion des deux sans dis­tinc­tion de fonc­tion et enfin à l’extrême droite, l’enregistrement de Pesen­ti et Nena Sainz, mais ici, sans le nom de la chanteuse et avec les auteurs sans attri­bu­tion.

On voit donc qu’il est assez courant, que les auteurs ne soient pas pré­cisé­ment crédités. Le détail amu­sant est le disque de Pesen­ti et Nena Sainz qui entre dans les deux caté­gories.

Une version iconoclaste

Dans l’excellent site de référence « Bible tan­go », on peut lire :
« Selon Mar­cel Pasquier, qui ne cite pas sa source et ne s’en sou­vient plus, Melfi aurait acheté la musique à Boris Sar­bek, le véri­ta­ble com­pos­i­teur, pour 50 francs français de l’époque. Et cette mélodie serait un thème tra­di­tion­nel biélorusse. »
50 francs de l’époque, selon le cal­cu­la­teur de l’INSEE (Insti­tut Nation­al de Sta­tis­tiques France), cela cor­re­spondrait à 33,16 euros. Pour référence, un kilo de pain coû­tait 2,15 francs en 1930. En gros, il aurait ven­du sa créa­tion pour la valeur de 15 kilos de pain. Cela peut sem­bler peu, mais sou­venez-vous que pour le prix d’un café, Mario Fer­nan­do Rada aurait écrit les paroles de Ara­ca la cana si on en croit l’anecdote présen­tée dans le film Los tres berretines.
L’affirmation mérite d’être véri­fiée. Boris Sar­bek étant prob­a­ble­ment un homme d’honneur, n’a prob­a­ble­ment pas divul­gué la vente de sa créa­tion qui d’ailleurs n’aurait été qu’une retran­scrip­tion d’un thème tra­di­tion­nel.
Il con­vient donc de s’intéresser à ce com­pos­i­teur pour essay­er d’en savoir plus.
Boris Sar­bek (1897–1966) s’appelait en réal­ité Boris Saar­bekoff et util­i­sait sou­vent le pseu­do­nyme Oswal­do Bercas.
Voyons un peu ses presta­tions dans le domaine de la musique pour voir s’il est un can­di­dat crédi­ble.

Des musiques composées par Sarbek

Par ordre alphabé­tique. En bleu, les élé­ments allant dans le sens de l’hypothèse de Sar­bek, auteur de Poe­ma.
Com­po­si­tions :
Ce soir mon cœur est lourd 1947
Con­cer­to de minu­it, classé comme musique légère
Czardas Diver­ti­men­to 1959
Décep­tion (avec Mario Melfi). C’est donc une preuve que les deux se con­nais­saient suff­isam­ment pour tra­vailler ensem­ble.
El Fan­far­rón 1963
El queño
Furti­va lagri­ma 1962
Gau­cho negro
Inter­mez­zo de tan­go 1952
Je n’ai plus per­son­ne
Le tan­go que l’on danse
Lin­da bruni­ta
Manus­ka
Mon cœur atten­dra 1948
Oro de la sier­ra
Où es-tu mon Espagne ?
Pourquoi je t’aime 1943
Près de toi ma You­ka 1948
Rêvons ensem­ble 1947
Souf­frir pour toi 1947
Tan­go d’amour
Tan­go mau­dit
Ten­drement 1948

Des musiques arrangées par Sarbek

Bacanal 1961
C’est la sam­ba d’amour 1950
Dis-moi je t’aime
Elia 1942
En forêt 1942
Gip­sy fire 1958
Je suis près de vous 1943
Les yeux noirs (chan­son tra­di­tion­nelle russe). Si Poe­ma est une musique biélorusse, cela témoigne de son intérêt pour ce réper­toire.
Med­itación 1963
Nuages
One kiss
Pam­pa lin­da 1956
Puentecito 1959
Rose avril 1947
Tan­go mar­ca­to 1963
Un roi à New York 1957 Il a réal­isé les arrange­ments musi­caux du film Un roi à New York de, et avec Charles Chap­lin (Char­lot). Chap­lin a tout fait dans ce film, l’acteur, le met­teur en scène et il a écrit la musique qu’a arrangée Sar­bek. Ce dernier a aus­si dirigé son grand orchestre pour la musique du film.
Valse minu­it
Vivre avec toi 1950

Sarbek pianiste

Il est inter­venu à la fois dans son orchestre, mais aus­si pour dif­férents groupes comme Tony Mure­na, Gus Viseur (l’accordéoniste), mais, car il était le pianiste de l’orchestre musette Vic­tor.

Melfi récupérateur ?

Je place cela ici, car ce serait un argu­ment si Mefli était cou­tu­mi­er de la récupéra­tion.
Reviens mon amour a été arrangé par Mario Melfi sur l’air de « Tristesse » de Frédéric Chopin.
Il a donc au moins une autre fois util­isé une mélodie dont il n’était pas à l’origine, mais il n’est pas le seul, les exem­ples four­mil­lent dans le domaine du tan­go.
Donc, Melfi n’est pas un récupéra­teur habituel.

Sarbek interprète de Poema

S’il est l’auteur, il est prob­a­ble qu’il ait enreg­istré ce titre. C’est effec­tive­ment le cas.
Un enreg­istrement de Poe­ma signé Boris Sar­bek, ou plus exacte­ment de son pseu­do­nyme Oswal­do Bercas, cir­cule avec la date de 1930. Si c’était vrai, ce serait prob­a­ble­ment une preuve, Sar­bek aurait enreg­istré deux ans avant les autres.
Je vous pro­pose de l’écouter.

Poe­ma — Oswal­do Bercas et son Ensem­ble Tip­ique (sic).

Pensez-vous que cela soit une musique des années 1930 ?
Pour en avoir le cœur net, je vous pro­pose l’autre face du disque qui com­porte une com­po­si­tion de Hora­cio G. Pet­torossi, Angus­tia.

Angus­tia — Oswal­do Bercas et son Ensem­ble Tip­ique (sic).

Voici les pho­tos des deux faces du disque.

Les numéros de matrice sont 2825–1 ACP pour Poe­ma et 2829–1 ACP pour Ausen­cia.

Comme vous avez pu l’entendre et comme le con­fir­ment les numéros de matrice, les deux œuvres sont sim­i­laires et ne peu­vent pas avoir un écart tem­porel de plus de vingt ans.
C’est au moins un argu­ment qui tombe, nous n’avons pas d’enregistrement de 1930 de Sar­bek et encore moins de Poe­ma.

Un argument musical

N’était pas spé­cial­iste de musique biélorusse, je ne pour­rai pas men­er une étude appro­fondie de la ques­tion.
Cepen­dant, vous avez cer­taine­ment noté, vers 1:18 du Poe­ma de Sar­bek, un thème qui n’est pas dans le Poe­ma habituel et qui sonne assez musique slave. Est-ce un extrait du thème de référence que n’aurait pas con­servé Melfi ?
Dans les autres por­tions de Poe­ma, on est telle­ment habitué à l’entendre qu’il n’est pas sûr qu’on puisse encore y trou­ver des orig­ines slaves. Cepen­dant le fait que ce titre sonne un peu dif­férem­ment des autres Canaro con­tem­po­rains pour­rait indi­quer un élé­ment hétérogène. En effet, il n’y a pas de Canaro avec Mai­da qui s’assemble par­faite­ment avec Poe­ma. Canaro a sans doute sauté sur le suc­cès inter­na­tion­al de cette œuvre pour l’enregistrer.
Au sujet d’international, il y a une ver­sion polon­aise que nous enten­drons ci-dessous. Les Polon­ais aurait pu être sen­si­bles à la musique, mais ce n’est pas sûr, car à l’époque ils étaient sous la dom­i­na­tion russe et ils n’en étaient pas par­ti­c­ulière­ment heureux…
J’ai un dernier témoin à faire venir à la barre, la pre­mière ver­sion enreg­istrée par Bian­co, en 1932. Écoutez-bien, vers 1:34, vous recon­naîtrez sans doute un instru­ment étrange. Cet enreg­istrement est le pre­mier de la rubrique « Autres ver­sions » ci-dessous.

Autres versions

La tâche du DJ est vrai­ment dif­fi­cile. Com­ment pro­pos­er des alter­na­tives à ce que la plu­part des danseurs con­sid­èrent comme un chef‑d’œuvre absolu. Si vous êtes un fan de la Joconde, en accepteriez-vous une copie, même si elle est du même Leonar­do Da Vin­ci ? À voir.

Poe­ma 1932 — Orques­ta Eduar­do Bian­co con Manuel Bian­co.

Cette ver­sion com­mence par des cym­bales, puis des vio­lons très ciné­matographiques, puis un ban­donéon qui gazouille. L’introduction dure au total plus d’une minute et le piano annonce comme si on ouvrait le rideau de la scène le morceau. Une fois « digérée » cette éton­nante et longue intro­duc­tion, on entre dans un Poe­ma rel­a­tive­ment clas­sique. Avez-vous iden­ti­fié l’instrument qui appa­raît à 1:23, 1:31, 1:40, 1: 44 et à d’autres repris­es comme 2: 44 avant le chant et en accom­pa­g­ne­ment de celui-ci ?

Vladimir Gar­o­d­kin joue le canon en ré majeur de Johann Pachel­bel. Tien à voir avec le tan­go, mais c’est pour vous faire enten­dre le tsim­baly

Le tsim­baly, pas courant dans le tan­go, pour­rait être un argu­ment pour l’hypothèse de l’origine biélorusse.

Poe­ma 1933 — Impe­rio Argenti­na acomp. de gui­tar­ras, piano y vio­lin.

Le vio­lon domine l’introduction, puis laisse la place à la voix accom­pa­g­née par la gui­tare et quelques ponc­tu­a­tions du piano. Le vio­lon reprend la parole et de très belle manière pour la reprise du thème et Impe­rio Argenti­na reprend la voix jusqu’à la fin. Je suis sûr que vous allez trou­ver cette ver­sion mag­nifique, jusqu’à l’arpège final au vio­lon.

Poe­ma 1933 — Orques­ta Típi­ca Auguste Jean Pesen­ti du Col­iséum de Paris con Nena Sainz.

Une ver­sion plus marchante, moins char­mante. Auguste Jean Pesen­ti a déjà adop­té des codes qui devien­dront les car­ac­téris­tiques du tan­go musette. Je suis moins con­va­in­cu que par l’autre ver­sion fémi­nine d’Imperio Argenti­no. À not­er la par­tie réc­itée, qui était assez fréquente à l’époque, mais que nous accep­tons moins main­tenant.

Poe­ma 1933-12 — Orchestre Argentin Eduar­do Bian­co con Manuel Bian­co.

Une autre ver­sion de Bian­co avec son frère, Manuel. Elle est beau­coup plus proche de la ver­sion de Canaro, en dehors de l’introduction des vio­lons qui jouent un peu en pizzi­cati à la tzi­gane. La con­tre­basse mar­que forte­ment le tem­po, tout en restant musi­cale et en jouant cer­taines phras­es. C’est très dif­férent de la ver­sion de Canaro et Mai­da, mais pas vilain, même si la con­tre­basse sera plus appré­ciée par les danseurs de tan­go musette, qu’argentin.

Comme une chan­son d’amour (Σαν τραγουδάκι ερωτικό) 1933 — Orchestre Par­lophon, dirigé par G. Vital­is, chant Pet­ros Epitropakis (Πέτρος Επιτροπάκης).

Une ver­sion grecque, preuve que le titre s’est rapi­de­ment répan­du. Il y aura même une ver­sion arabe chan­tée par Fay­rouz et l’orchestre de Bian­co enreg­istré en 1951. Mal­heureuse­ment, ce titre n’existe pas dans les quelques dis­ques que j’ai de cette mer­veilleuse chanteuse libanaise.

Poe­ma 1934 — Ste­fan Witas.

Une ver­sion polon­aise qui fait tir­er du côté des orig­ines des pays de l’Est, même si comme je l’ai souligné, les Polon­ais n’étaient pas for­cé­ment rus­sophiles à l’époque.

Poe­ma 1935-06-11 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est notre tan­go du jour.

On notera que Canaro entre directe­ment dans le thème, sans intro­duc­tion.

Poe­ma 1937 — René Pesen­ti et son Orchestre de Tan­go con Alber­to.

Un autre Pesen­ti. Est-ce le frère d’Auguste Jean Pesen­ti ?

Deux autres preuves du suc­cès mon­di­al de Poe­ma que je peux vous pro­pos­er grâce à la gen­til­lesse d’André Vagnon de la Bible Tan­go qui me les a fait par­venir.

Poe­ma 1938 — Orchestre Arpad Tchegledy con Pauls Sakss, en Let­ton. Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poe­ma 1951 (Men Hona Hob­bona mar­ra) — Orques­ta Eduar­do Bian­co con Fairuz (en arabe). Cadeau d’André Vagnon.

(Ajouté le 29 août 2024)

Poe­ma 1954c — Oswal­do Bercas (Boris Sar­bek) et son Ensem­ble Tip­ique (sic).

Oswal­do Bercas est peut-être l’auteur, ou tout au moins le col­lecteur de la musique tra­di­tion­nelle à l’o­rig­ine de Poe­ma. Si cette hypothèse est juste, il est donc intéres­sant de voir ce qu’il en a fait. Nous l’avons déjà écouté, lorsque cer­tains essayaient de faire pass­er cet enreg­istrement pour une réal­i­sa­tion de 1930. À com­par­er à la ver­sion de Melfi enreg­istrée quelques mois plus tard.

Poe­ma 1957 — Mario Melfi.

Qu’il soit l’auteur, pas l’auteur ou coau­teur, ici, Melfi présente sa lec­ture de l’œuvre. C’est une ver­sion très orig­i­nale, mais il faut tenir compte qu’elle est de 1957, il est donc impos­si­ble de la com­par­er aux ver­sions des années 30. Cepen­dant, la com­para­i­son avec la ver­sion à peine antérieure de Sar­bek est per­ti­nente…

Poe­ma (Tan­go insól­i­to impro 22 Un poe­ma román­ti­co by Solo Tan­go Orches­tra).

Avec cet orchestre russe, on est peut-être dans un retour dans cet univers dont est orig­i­naire, ou pas, la musique.
Pour ter­min­er, une autre ver­sion actuelle, par la Roman­ti­ca Milonguera qui a essayé de renou­vel­er, un peu, le thème.

Poe­ma par l’orchestre Roman­ti­ca Milonguera. Chanteuse, Marisol Mar­tinez.

La Roman­ti­ca Milonguera com­mence directe­ment sur le thème, sans l’in­tro­duc­tion, comme Canaro.

À demain, les amis !

Araca la cana 1933-06-06 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Enrique Delfino Letra: Mario Fernando Rada

Voici un des gros suc­cès des encuen­tros milongueros. Mais les danseurs qui se jet­tent sur ce titre ne savent peut-être pas que Troi­lo est le pre­mier à l’avoir enreg­istré, oui, mon­sieur, oui, madame, avant Frese­do… De plus, je peux même vous mon­tr­er le film où il joue ce titre. N’hésitez pas à la ten­ta­tion de voir le jeune Pichu­co à l’œuvre avec son ban­donéon en fin d’article.

L’expression Ara­ca la cana peut sem­bler mys­térieuse. Je vous don­nerai sa sig­ni­fi­ca­tion dans la tra­duc­tion des paroles.
Je vous pro­pose d’écouter main­tenant notre tan­go du jour.

Extrait musical

Ara­ca la cana 1933-06-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray

Paroles

¡Ara­ca la cana!
Ya estoy engriyao…
Un par de ojos negros me han engay­olao.
Oja­zos pro­fun­dos, oscuros y bravos,
tajantes y fieros hieren al mirar,
con bril­los de acero que van a matar.
De miedo al mirar­los el cuor me ha fayao.
¡Ara­ca la cana! ya estoy engriyao.

Yo que anduve entreverao
en mil y una ocasión
y en todas he gua­peao
yo que al bar­do me he jugao
entero el corazón
sin asco ni cuidao.
Como un gil ven­go a ensar­tarme
en esta daga que va a matarme
si es pa’ creer que es cosa’e Dios
que al guapo más capaz
le faye el corazón.

Enrique Delfi­no Letra : Mario Fer­nan­do Rada

Traduction libre et indications

Ara­ca la cana ! (En français, on dirait, 22 ou 22 voilà les flics, la police. C’est un cri d’alarme sig­nalant un dan­ger). Je suis déjà der­rière les bar­reaux (en prison)
Une paire d’yeux noirs m’a empris­on­né. Des yeux pro­fonds, som­bres et féro­ces, vifs et féro­ces, qui blessent quand ont les regarde, avec des éclairs d’acier qui vont tuer.
De peur, en les regar­dant, le cœur m’a man­qué.
Ara­ca la cana ! Je suis déjà engril­lagé. Moi qui ai été impliqué en mille et une occa­sions et dans toutes, j’ai affron­té, moi, qui naturelle­ment ai misé tout mon cœur sans répug­nance ni pré­cau­tion.
Comme un cave (type quel­conque, ne con­nais­sant pas le milieu, la pègre), je viens m’embrocher sur ce poignard qui me tuera si c’est pour croire que c’est la chose de Dieu qu’au plus beau et plus capa­ble, le cœur lui manque (fait défaut).

Autres versions

Nous ver­rons les deux pre­mières ver­sions en fin d’article, car elles sont dans le film Los tres berretines.

Ara­ca la cana 1933-06-06 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray. C’est notre tan­go du jour.
Ara­ca la cana 1933-06-12 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, Domin­go Riverol, Domin­go Julio Vivas, Hora­cio Pet­torossi (gui­tar­ras).

Un tout petit peu après Frese­do, Gardel enreg­istre sa ver­sion.

Ara­ca la cana 1933-06-16 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Canaro n’est jamais en retard quand il s’agit d’enregistrer un suc­cès. Voici donc sa ver­sion. Avec des pas­sages doux et lyriques, pas si fréquents dans cette péri­ode de son orchestre. Peut-être l’influence de Frese­do dont la ver­sion dans le film était sor­tie le mois précé­dent.

Ara­ca la cana 1951 — Edmun­do Rivero con orques­ta dir. por Vic­tor M. Buchi­no.

Une ver­sion qui n’est prob­a­ble­ment pas pour les car­diaques. En effet, le démar­rage de Edmun­do Rivero après une intro­duc­tion longue sur­prend. Bien sûr, ce n’est pas une ver­sion de danse.

Bébé Troilo

Le film annon­cé en début d’article, s’apppelle Los tres berretines. Berretin a plusieurs sens qui vont de caprice, loisir, caprice amoureux à pas­sion… Dans le cas du film, ce sont les trois pas­sions des Portègnes, à savoir, le ciné, le foot­ball et… le tan­go. Pour être pré­cis, dans la pièce de théâtre antérieure, c’était le tan­go, le foot­ball et… la radio. Mais pour faire un film, c’était mieux de met­tre le ciné­ma au cœur de l’action.
C’est le deux­ième film sonore argentin, sor­ti le 19 de mai 1933, soit une semaine après Tan­go que nous avons déjà évo­qué à propo de El Cachafaz et presque un mois avant l’enregistrement de notre tan­go du jour par Frese­do et Ray.
Il a été dirigé par Enrique Telé­ma­co Susi­ni à par­tir d’un scé­nario de Arnal­do Mal­fat­ti et Nicolás de las Llan­deras. L’extrait que je vais vous présen­ter présente le tan­go du jour, inter­prété par un orchestre imag­i­naire, EL Con­jun­to Nacional Foc­cile Marafiot­ti. Vous recon­naîtrez sans mal le jeune ban­donéon­iste, alors âgé de 18 ans, Aníbal Troi­lo. Il s’agit du sec­ond plus ancien enreg­istrement de lui dont nous dis­posons, le plus ancien étant avec Car­los Gardel (La que nun­ca tuvo novio de 1931).
Osval­do Frese­do fai­sait aus­si par­tie de l’équipe du film, il était donc par­faite­ment légitime pour enreg­istr­er ce titre.
L’intrigue du film est autour des pas­sions des enfants d’un quin­cail­li­er. Les affaires de la quin­cail­lerie ne sont pas bril­lantes et le père se dés­espère de voir ses enfants délaiss­er l’entreprise famil­iale pour leurs pas­sions. Nous nous intéres­sons à la par­tie tan­go du film avec un des fils, joué par Luis San­dri­ni qui veut devenir com­pos­i­teur de tan­go.

Extraits du film Los tres berretines

Affiche du film Los tres berretines. Elle annonce que c’est le pre­mier film par­lant, mais c’est en fait le sec­ond, tan­go étant sor­ti la semaine d’avant.

Troi­lo, qui a donc l’honneur, à 18 ans, de jouer dans le sec­ond film sonore argentin appa­raît jouant à la moitié du film qui dure moins d’une heure. Je vous pro­pose plusieurs extraits per­me­t­tant de voir com­ment était com­posé et lancé un tan­go au début de l’âge d’or.
Dans le pre­mier extrait, Aníbal Troi­lo joue avec le vio­loniste Vicente Tagli­a­coz­zo. José María Rizut­ti, le pianiste s’entend, mais ne se voit pas.
Pour cor­riger cette injus­tice, je vous pro­pose un autre extrait où on le voit jouer Ara­ca la cana, ou plutôt ce qui va le devenir, au piano. Il le joue sous la dic­tée sif­flée de Luis San­dri­ni. (qui ressem­ble à Enrique Delfi­no, l’auteur du tan­go du jour).
La nais­sance d’un tan­go, c’est aus­si l’écriture des paroles. Ici, on voit un poète (qui n’est pas joué par Mario Fer­nan­do Rada l’auteur des paroles). La tasse de café au lait devant le poète, c’est le prix payé pour les paroles. La tran­scrip­tion de la musique ayant été payée 5 pesos un peu plus tôt dans le film à José María Rizut­ti qui avait joué sous la dic­tée sif­flée par Luis San­dri­ni dans la scène du piano.
Dès les paroles ter­minées, les musi­ciens et le chanteur (Luis Díaz) se ruent au bal­con réservé aux orchestres. On peut ain­si enten­dre la pre­mière ver­sion de Ara­ca la Cana avec Aníbal Troi­lo (ban­donéon) Vicente Tagli­a­coz­zo (vio­lon) José María Rizut­ti (piano) et Luis Díaz (chant).
Le dernier extrait, c’est l’orchestre de Osval­do Frese­do jouant le titre sur la scène d’un bal et la scène finale du film. Le berretin « tan­go » aura ain­si aidé à sauver l’entreprise famil­iale.

Extraits choi­sis par DJ BYC Bernar­do du film Los tres berretines.