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Una lágrima tuya 1949-05-27 — Orquesta José Basso con Francisco Fiorentino y Ricardo Ruiz

Mariano Mores Letra: Homero Manzi

Nous restons avec Mar­i­ano Mores qui nous avait don­né Uno hier pour une autre mer­veille, Una lágri­ma tuya. Les paroles sont d’Home­ro Manzi, on reste dans le très haut du reg­istre. Comme Uno, ce titre a été créé pour un film, Cor­ri­entes, calle de ensueños. Je pense que vous allez être très sur­pris par ce tan­go, mais est-ce vrai­ment un tan­go?

Fiorentino — Ruiz?

Pour cette œuvre un peu hors norme, José Bas­so s’est adjoint deux chanteurs de pre­mier plan, Fran­cis­co Fiorenti­no et Ricar­do Ruiz.
On est habitué à associ­er Fran­cis­co Fiorenti­no à Troi­lo, mais en 1944, Fiore avait mis les bouts pour créer son pro­pre orchestre dont il con­fia la direc­tion à Astor Piaz­zol­la. Ce dernier par­tant à son tour, Fiorenti­no ira en 1948 chanter pour deux ans avec Bas­so.
De son côté Ricar­do Ruiz est asso­cié à Frese­do. Cepen­dant, il avait quit­té cet orchestre en 1942 et depuis 1947, il tra­vaille avec Bas­so. En 1949, il est donc logique de trou­ver ces deux chanteurs en duo dans l’orchestre de José Bas­so.

Extrait musical

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz.
Avec la pho­to de Mar­i­ano Mores, la par­ti­tion de Una lagri­ma tuya.

Je pense que dès les pre­mières mesures, vous avez été sur­pris par le rythme de cette œuvre. Les con­nais­seurs auront recon­nu le rythme du malam­bo.
Vous con­nais­sez sans doute le malam­bo sans le savoir, car son élé­ment essen­tiel est le zap­ateo, ces jeux de jambes et de pieds que les hommes font durant la chacar­era.
C’est une démon­stra­tion d’agilité, un défi que se lançaient les gau­chos au XIXe siè­cle. C’est devenu aujourd’hui un élé­ment de folk­lore et les groupes de dans­es tra­di­tion­nelles présen­tent cette danse si ent­hou­si­as­mante à pra­ti­quer.
Comme il s’agit d’un défi, les hommes ont un regard sérieux pour ne pas dire « méchant ». Il ne s’agit pas de petites frappes au sol avec un grand sourire comme on peut le voir dans nos milon­gas, ou de petits bat­te­ments de pieds, légers qui sem­blent caress­er le sol.
Il n’y a pas à pro­pre­ment par­ler de choré­gra­phie, chaque « danseur » (je mets danseur entre guillemets, car il s’agit plutôt d’un duel­liste) fait preuve d’imagination et de créa­tiv­ité pour effectuer les fig­ures les plus auda­cieuses. Le gag­nant du duel est celui qui reste, le per­dant part, épuisé ou dégoûté par les capac­ités de son adver­saire.
La chacar­era offre une forme « civil­isée » du malam­bo. Pas ques­tion de se livr­er à des exubérances, il s’agit de con­quérir la femme, pas de lui faire peur. Par ailleurs, la chacar­era est une danse de groupe et un peu d’harmonie dans l’ensemble est de rigueur.

Cette vidéo présente un duel de malam­bo effec­tué par deux ado­les­cents. Vous recon­naîtrez la musique ini­tiale qui est celle de notre « tan­go » du jour. C’est une créa­tion de Canal Encuen­tro, une mer­veilleuse chaîne cul­turelle argen­tine, mal­heureuse­ment men­acée, car la cul­ture n’entre pas dans les pri­or­ités du nou­veau prési­dent argentin, Javier Milei.

Dans la sec­onde par­tie de la musique, on retrou­ve une autre musique tra­di­tion­nelle, la huel­la (à par­tir de 1 h 30). Vous con­nais­sez cer­taine­ment cette musique pop­u­lar­isée par Ariel Ramírez dans sa Misa criol­la.

Pour faire d’une pierre, deux coups, vous pou­vez enten­dre ici une inter­pré­ta­tion de La Pere­gri­nación (huel­la pam­peana) faisant par­tie de la Misa Criol­la. Il s’agit ici d’une danse choré­graphiée par un groupe de danse tra­di­tion­nelle, mais on peut se ren­dre compte qu’il y a des simil­i­tudes avec la chacar­era (vueltas et zap­ateos, par exem­ple).

Avec une référence au malam­bo norteño et à la huel­la pam­peana sureña, Mores évoque le Nord et le Sud de l’Argentine.

Paroles

Una lágri­ma tuya
me moja el alma,
mien­tras rue­da la luna
por la mon­taña.

Yo no sé si has llo­rado
sobre un pañue­lo
nom­brán­dome,
nom­brán­dome,
con descon­sue­lo.

La voz triste y sen­ti­da
de tu can­ción,
des­de otra vida
me dice adiós.

La voz de tu can­ción
que en el tem­blor de las cam­panas
me hace evo­car el cielo azul
de tus mañanas llenas de sol.

Una lágri­ma tuya
me moja el alma
mien­tras gimen
las cuer­das de mi gui­tar­ra.

Ya no can­tan mis labios
jun­to a tu pelo,
dicién­dote,
dicién­dote,
lo que te quiero.

Tal vez con este can­to
puedas saber
que de tu llan­to
no me olvidé,
no me olvidé.

Mar­i­ano Mores Letra: Home­ro Manzi

Traduction libre

Une de tes larmes mouille mon âme, tan­dis que la lune roule sur la mon­tagne.
Je ne sais pas si tu as pleuré sur un mou­choir en me nom­mant, incon­solable.
La voix triste et sincère de ta chan­son, d’une autre vie,
me dit adieu.
La voix de ta chan­son qui dans le trem­ble­ment des cloches me fait évo­quer le ciel bleu de tes mat­inées pleines de soleil.
Une de tes larmes mouille mon âme alors que les cordes de ma gui­tare gémis­sent.
Mes lèvres ne chantent plus, col­lées à tes cheveux, te dis­ant, te dis­ant, com­bi­en je t’aime.
Peut-être qu’avec cette chan­son, tu pour­ras savoir que je n’ai pas oublié tes pleurs, je n’ai pas oublié.

Mariano Mores et le folklore

Ce n’est pas la seule fois où Mar­i­ano Mores fait référence au folk­lore dans ses com­po­si­tions., par exem­ple :
Adiós, pam­pa mía qui incor­pore des rythmes de per­icón nacional et de esti­lo.
El estrellero (cheval qui lève la tête con­tin­uelle­ment, ce qui gêne le cav­a­lier) avec rythme de estil­lo.
Lors de ses tournées inter­na­tionales, il était tou­jours accom­pa­g­né de bal­lets de folk­lore, car, il ne lais­sait jamais de côté les dans­es folk­loriques.

Autres versions

Una lagri­ma tuya 1948 — Orques­ta Juan Deam­brog­gio Bachicha con José Duarte.

Ce titre a été enreg­istré en France et édité par Luis Gar­zon qui a par ailleurs pub­lié sa pro­pre ver­sion dans les années 60 (à écouter plus bas). La date de 1948 sem­ble bien pré­coce. J’ai con­tac­té les édi­tions Luis Gar­zon, si j’obtiens des infor­ma­tions j’adapterai la date, si néces­saire.

Una lágri­ma tuya 1949-03-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Edmun­do Rivero y Aldo Calderón.

Cette ver­sion a con­nu le suc­cès dès son lance­ment sur disque et à la radio. C’est la pre­mière ver­sion avec les paroles défini­tives de Manzi.

Una lágri­ma tuya 1949-05-27 — Orques­ta José Bas­so con Fran­cis­co Fiorenti­no y Ricar­do Ruiz. C’est notre ver­sion du jour.
Una lágri­ma tuya 1949-10-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Mario Alon­so.

Canaro sort sa ver­sion, sans duo, un mois après la sor­tie du film dans lequel il est inter­venu. Pour une fois, il n’est pas dans les pre­miers à avoir enreg­istré (sauf si on tient compte de la ver­sion du film enreg­istrée en août 1948).

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con Hugo Del Car­ril.

Una lágri­ma tuya 1949 — Orques­ta Atilio Bruni con Hugo Del Car­ril. Une ver­sion bien adap­tée au zap­ateo dans sa pre­mière par­tie (malam­bo), avec la belle voix chaude de Del Car­ril. Mar­i­ano Mores aurait aimé que De Car­ril chante dans le film, mais ce fut son frère qui chan­ta.

Una lágri­ma tuya (en vivo con glosas) 1951 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal y Raúl Berón.

La qual­ité de cet enreg­istrement est très mau­vaise, car c’est un enreg­istrement acé­tate, un sup­port peu durable. Il a été réal­isé en pub­lic lors d’un con­cert à San Pablo au Brasil et a été retrans­mis par Radio Ban­deirantes. On peste con­tre ce son effroy­able, mais quelle presta­tion ! On notera l’accent brésilien du présen­ta­teur qui annonce le titre, évo­quant le malam­bo.

Una lágri­ma tuya char­lo 1951-12-18 – Char­lo y su orques­ta.

Une belle ver­sion avec la voix qui domine un orchestre dont l’orchestration est orig­i­nale.

Una lágri­ma tuya 1953 — Cristóbal Her­rero y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y Beat­riz Masel­li.

Una lágri­ma tuya 1953 — Cristóbal Her­rero y su orques­ta típi­ca Buenos Aires con Rodol­fo Díaz y Beat­riz Masel­li. Pas éton­nant que Her­rero enreg­istre ce titre, car il avait été cat­a­logué par Odeon du côté du folk­lore et ils lui fai­saient enreg­istr­er cela plutôt que du tan­go. Il était donc un spé­cial­iste des deux gen­res, mais aurait préféré enreg­istr­er du tan­go. Cet enreg­istrement est donc une revanche, car il a coupé l’introduction en malam­bo. Il n’a gardé que les accords fin­aux, typ­iques du malam­bo. On retrou­ve la marche, mar­quée par le ban­donéon, mais guère plus que les autres ver­sions, celle-ci est adap­tée aux danseurs exigeants. L’autre orig­i­nal­ité du titre est que c’est un duo homme-femme. J’aime bien.

Una lágri­ma tuya (En vivo) 1954-10-04 — Orques­ta Juan Canaro con Héc­tor Insúa.

Le Japon s’est toqué du tan­go et les tournées des orchestres argentins ont été des suc­cès for­mi­da­bles.

Una lágri­ma tuya 1954 — Luis Tue­bols et son Orchestre typ­ique argentin.

Oui, comme je l’ai men­tion­né à divers­es repris­es, l’histoire du tan­go n’est pas qu’en Argen­tine et Uruguay. Luis Tue­bols a con­tin­ué à pro­mou­voir le tan­go en France, notam­ment en enreg­is­trant avec Riv­iera, puis Bar­clay. Cet enreg­istrement fait par­tie des enreg­istrements avec Riv­iera en 78 tours. Il sera réédité en 33 tours en 1956 par Bar­clay.

Una lágri­ma tuya 1957-04-30 – Orques­ta Mar­i­ano Mores con Enrique Lucero.

Voici com­ment Mar­i­ano Mores inter­prète sa créa­tion. On remar­quera la voix pro­fonde de son frère, Enrique Lucero. Ce dernier est celui qui chante dans le film avec Canaro (enreg­istrement du 31 août 1948 au teatro Maipo). Mar­i­ano joue le même thème, mais au piano solo. Vous pour­rez voir cette vidéo à la fin de cet arti­cle.

Una lagri­ma tuya 1959 c — Pri­mo Corchia y su Orques­ta.

Pri­mo Corchia, encore un exem­ple français du tan­go (même s’il est né en Ital­ie, il a fait toute sa car­rière en France).

Una lágri­ma tuya 1961-05-05 — Orques­ta José Bas­so.

Un autre enreg­istrement de José Bas­so, instru­men­tal celui-ci. Il assume par­faite­ment son affil­i­a­tion au folk­lore. Le rythme est plus rapi­de que dans la ver­sion de 1949. J’espère que ce petit coup de pro­jecteur sur ce musi­cien trop sou­vent nég­ligé, José Bas­so vous don­nera envie d’en écouter, voire danser, plus.

Et pour ter­min­er cette liste bien incom­plète, je vous pro­pose deux curiosités :

Una lagri­ma tuya 1961 c— Orchestre Luis Gar­zon.

C’est celui qui aurait pub­lié dès 1948 l’enregistrement de Bachicha. Cette ver­sion est pure­ment musette. Le beau rythme de marche du malam­bo du départ, se com­mue en ryth­mique de tan­go musette, mais pas tout le temps. J’imagine que c’est une des raisons du suc­cès de ce tan­go en France, la marche très mar­quée écrite par Mores s’adapte par­faite­ment au style musette. Le terme musette, vient de l’instrument à vent, de la famille des corne­mus­es, util­isé dans les bals pop­u­laires en France. Con­traire­ment aux instru­ments des Écos­sais, la musette appelée cabrette dans le Mas­sif-Cen­tral se rem­plit à l’aide d’un souf­flet et non pas en souf­flant dans une embouchure. Le joueur de musette peut donc chanter en jouant.

Una lagri­ma tuya y Adiós Pam­pa mía 1994 – Rober­to Gal­lar­do y su gran orques­ta con Beat­riz Suarez Paz y Oscar Lar­ro­ca (hijo).

Deux titres de Mar­i­ano Mores ayant trait au folk­lore, enchaînés, Una lágri­ma tuya et Adiós Pam­pa mía. Le nom du chanteur vous dit cer­taine­ment quelque chose, c’est le fils du chanteur des mêmes nom et prénom qui chan­ta si bien, par exem­ple avec De Ange­lis.
Encore un petit mot sur le film pour lequel Mores a écrit ce thème.

Corrientes, calle de ensueños, le film

Cor­ri­entes, calle de ensueños est un film de Román Viñoly Bar­reto sur un scé­nario de Luis Saslavsky sor­ti le 29 sep­tem­bre 1949.

Une pub­lic­ité pour le film Cor­ri­entes, calle de ensueños. Cette rue a une his­toire et je dois la con­ter.

Home­ro Manzi, peu de temps avant sa mort, regret­tait de ne pas avoir tra­vail­lé en col­lab­o­ra­tion avec Mar­i­ano Mores. Oscar Del Pri­ore et Irene Amuchástegui racon­tent dans Cien tan­gos fun­da­men­tales (Mar­i­ano Mores a d’ailleurs écrit le pro­logue de ce livre…) que Mores de vis­ite chez Manzi, joue ce thème au piano et peu après, Manzi fait savoir à Mores qu’il a des paroles à lui pro­pos­er pour sa musique. En réal­ité, les paroles défini­tives évolueront, jusqu’à la ver­sion que don­nera Canaro avec Alon­so en 1949, quelque temps avant le lance­ment du film.
Canaro était bien placé pour con­naître cette œuvre, puisqu’il l’interprète, juste­ment à la fin du film, mais ce n’est pas cet extrait que je vais vous présen­ter. Par­mi les acteurs, Mar­i­ano Mores, lui-même, dans son pre­mier rôle au ciné­ma. Dans cet extrait du début du film, il joue le titre au piano. De quoi bien ter­min­er cette chronique.

Mar­i­ano Mores joue Una lágri­ma tuya au piano au début du film Cor­ri­entes, calle de ensueños

Tu melodía 1945-05-25 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz / Tu melodía 1944-12-27 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal

Alberto Suárez Villanueva Letra: Oscar Rubens (Oscar Rubistein)

Tu melodía est un superbe titre que deux orchestres ont enregistré à 5 mois d’intervalle. Je vous invite donc à écouter non pas une, mais deux versions. Je pense que certains auront une surprise en comparant les deux titres… Puis nous nous lancerons dans un sujet polémique, la SACEM à propos des paroles en français de ce tango.

Extraits musicaux

Si c’est aujourd’hui l’anniversaire de la ver­sion de Bia­gi qui fête ses 79 ans, je vous pro­pose de com­mencer par sa grande sœur enreg­istrée par Domin­go Fed­eri­co, le 27 décem­bre 1944.

Tu melodía 1944-12-27 — Orques­ta Domin­go Fed­eri­co con Car­los Vidal.

Le tan­go par des ban­donéons incisifs puis les vio­lons s’ajoutent, beau­coup plus suaves, et très rapi­de­ment la voix de Car­los Vidal (dès 20 sec­on­des, ce qui est très tôt et excep­tion­nel pour un tan­go de danse). Ensuite, c’est une alter­nance du chanteur et des instru­ments qui repren­nent l’air en solo. C’est donc un tan­go de danse avec une présence par­ti­c­ulière­ment impor­tante du chanteur, ce qui n’était pas fréquent avant que Troi­lo s’en mêle.

Tu melodía 1945-05-25 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Jorge Ortiz.

Je pense que dès les pre­mières sec­on­des vous aurez remar­qué qu’il s’agissait d’une valse. En effet, Bia­gi inter­prète ain­si la com­po­si­tion de Suárez Vil­lanue­va. Là on est moins en présence d’une alter­nance, les vio­lons chantent en har­monie avec Ortiz. Le piano, Bia­gi n’a pas de rai­son de s’en priv­er, car c’est lui le chef, a son solo en plus de ses habituelles ponc­tu­a­tions de 2:03 2:33. Vous remar­querez les notes dou­blées dans la sec­onde par­tie de son solo. Comme avec Fed­eri­co et Vidal, le chanteur va jusqu’aux dernières notes.

Paroles

Tu melodía siem­pre la escu­cho,
Y donde vaya, me per­sigue noche y día…

Buscán­dote, amor, amor
Ansiosa está el alma mía,
Y dónde voy oyen­do estoy,
Tu dulce voz, tu melodía.

Cada lugar que recor­rí
Me habló de ti, de tu emo­ción,
Por eso siem­pre te está bus­can­do
Con­fian­do hal­larte mi corazón.

Tu melodía,
Siem­pre la escu­cho
Y donde vaya
Me per­sigue noche y día.

Tu melodía
Vive en mi alma,

Y al evo­car­la
Me devuelve tu visión.

Alber­to Suárez Vil­lanue­va Letra: Oscar Rubens (Oscar Rubis­tein)

Vidal com­mence par ce qui est en couleur (bleu, rouge). Puis il repart du début et chante tout jusqu’à la fin et reprend même les deux vers en rouge et gras…
Dans le cas de Ortiz on est dans une struc­ture plus clas­sique. La mélodie est présen­tée une fois par les vio­lons avant d’être con­fiée au chant. Ortiz chante tout ce qui est en gras. Il omet donc les deux pre­miers vers.

Traduction libre

Ta mélodie, je l’entends tou­jours, et partout où je vais, elle me hante nuit et jour…
En te cher­chant, amour, amour anx­ieux jusqu’à l’âme, et où que j’aille, j’entends, ta douce voix, ta mélodie.
Chaque endroit que j’ai vis­ité m’a par­lé de toi, de ton émo­tion, c’est pourquoi, tou­jours, je te cherche, en espérant te trou­ver, mon cœur.
Ta mélodie, je l’entends tou­jours et partout où je vais, elle me hante nuit et jour…
Ta mélodie vit dans mon âme, et quand je l’évoque, elle me rend ta vision.

Histoire de droits d’auteurs

Tout d’abord, une autre ver­sion des paroles. Par Framique (Eugénie Mic­sunesco) (1896–1991). Elle était l’épouse de Fran­cis Sal­abert, édi­teur et auteur-com­pos­i­teur de nom­breux titres que l’on peut voir sur le site de la BNF (Bib­lio­thèque Nationale de France) et on la trou­ve donc aus­si sur le site de la BNF avec la liste de ses œuvres. Tu melodía n’est pas dans cette liste, mais on la trou­ve dans celle de son pseu­do­nyme, Framique sur le site de la BNF.
Cette ver­sion a été éditée par son mari, à Paris, en 1948, comme on peut le voir sur la fiche de l’œuvre sur le site de la BNF. Sur la même fiche, on peut trou­ver l’incipit que voilà :

1.1.1 C’est le plus beau des chants d’amour
2.1.1. Bus-can­dote amor amor

Dans le Cat­a­log of copy­right entries Third Series, on trou­ve dans le vol­ume 3, Part 5 A, Num­ber 1 de jan­vi­er à juin 1949 de la Library of Con­gress, la pré­ci­sion de la date, le 10 sep­tem­bre 1948. Dans ce reg­istre est égale­ment con­signé le nom de Suarez Vil­lanue­va en référence à la ver­sion orig­i­nale. On remar­que le copy­right des édi­tions Sal­abert, celles du mari de Framique.

Dans cet extrait du reg­istre des copy­rights, on trou­ve la pré­ci­sion du 10 sep­tem­bre 1948

Il y a donc des paroles français­es de ce tan­go ou valse, écrites par Framique et éditées par son mari. On touche ici du doigt le monde de l’édition musi­cale. Imprimer une par­ti­tion, peut-être une source de revenus non nég­lige­able, cela don­nera des idées au cours du temps, comme nous allons l’évoquer main­tenant à pro­pos de la société des Auteurs, Com­pos­i­teurs et Édi­teurs de musique, la SACEM.

La SACEM et les droits d’auteur

Les organ­isa­teurs de man­i­fes­ta­tion tan­go râlent sou­vent en France à cause des coûts énormes de la SACEM qui grèvent les bud­gets de leurs événe­ments. La SACEM est une société de col­lecte des droits d’auteurs et « avoisi­nants ». Société des Auteurs, Compos­i­teurs et Éditeurs de Musique.
Ce serait un moin­dre mal si l’argent col­lec­té ser­vait réelle­ment aux ayants droit, mais on va voir que c’est un peu moins rose que cela…


Prenons l’exemple de la Cumpar­si­ta.
Ger­ar­do Matos Rodriguez en est con­sid­éré comme l’auteur. Il est mort en 1948. Donc, depuis 2018 (la pro­tec­tion court jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur pour la France), la Cumpar­si­ta est tombée dans le domaine pub­lic. Elle ne devrait donc plus faire l’objet de prélève­ments. Pour éviter cela, la SACEM et les sociétés affil­iées ont inven­té de nou­veaux droits per­me­t­tant aux édi­teurs de con­tin­uer à touch­er des sommes con­séquentes même pour les œuvres tombées dans le domaine pub­lic.

Les « revenus » de la SACEM :

La SACEM ne con­necte pas seule­ment les sommes qui vont per­me­t­tre aux pau­vres com­pos­i­teurs de manger. Cette activ­ité est même mar­ginale et plus qu’insignifiante en vol­ume. Voici le panora­ma de ce que gère la SACEM…

  • La SACEM récupère les droits d’auteurs des com­pos­i­teurs et auteurs de musique, mais aus­si des édi­teurs de musique (le E de SACEM).
  • Elle col­lecte la rémunéra­tion pour copie privée (taxe prélevée sur tous les sup­ports d’enregistrements vierges, même s’ils ne ser­vent pas à la musique (Loi du 3 juil­let 1985, dite Loi Lang).
  • Elle col­lecte pour SESAM, sur les œuvres mul­ti­mé­dias (Société du droit d’auteur dans l’univers mul­ti­mé­dia et inter­net)
  • Elle col­lecte pour SDRM, les droits de repro­duc­tion mécaniques des auteurs, com­pos­i­teurs, édi­teurs, réal­isa­teurs et dou­bleurs, sous-titreurs.
  • La SPRÉ, la rémunéra­tion équitable au prof­it des musi­ciens inter­prètes et des pro­duc­teurs phono­graphiques.

J’ai mis en gras ceux qui rece­vaient la plus grosse part du gâteau, après bien sûr le « prélève­ment » de la SACEM. Il s’agit, vous vous en seriez douté, des édi­teurs et pro­duc­teurs. Rien que pour les droits d’auteur, la clef de répar­ti­tion est en théorie de 25 % pour l(es) auteur(s) 25 % pour le(s) compositeur(s) 50 % pour l(es) éditeur(s).
Donc, quand vous écoutez la Cumpar­si­ta dans une milon­ga, vous pou­vez penser que c’est une musique « libre de droits ».
En fait, non. Les édi­teurs de musique exis­tent tou­jours, les pro­duc­teurs de dis­ques, égale­ment et phénomène intéres­sant de nou­veaux ayants droit se gref­fent sur les œuvres à suc­cès. J’ai com­pilé ci-dessous la liste des ayants droit pour la Cumpar­si­ta que l’on trou­ve dans les reg­istres de la SACEM.
Vous allez y décou­vrir bien plus que les trois auteurs com­muné­ment cités dans le domaine du tan­go, mais surtout, vous allez voir une liste d’éditeurs et de sous-édi­teurs, qui sont donc des ayants droit, juste, car ils ont imprimé, au moins une fois La Cumpar­si­ta et qu’ils l’ont déclaré à la SACEM ou à une société affil­iée.
La SPRÉ étant des­tinée aux inter­prètes, la liste de ces derniers devient très longue. Donc, même si vous jouez une Cumpar­si­ta dans une ver­sion où tous les mem­bres de l’orchestre sont morts avant 1954, il y a des droits à pay­er. N’oublions pas que la SPRÉ n’est pas essen­tielle­ment des­tinée aux musi­ciens, mais aux édi­teurs…
Je vous laisse méditer sur les ayants droit de la SACEM à par­tir de son reg­istre, mais avant, je tiens à vous com­mu­ni­quer une infor­ma­tion.
La SADAIC, l’équivalent argentin de la SACEM, reçoit des sommes for­faitaires de la France, mais rien de par­ti­c­uli­er en matière de tan­go. En effet, cette musique est con­sid­érée comme mar­ginale en ter­mes de droits d’auteurs par la SADAIC et il n’y a pas de reven­di­ca­tion par­ti­c­ulière.
Je pense que vous com­prenez que quand vous déclarez à la SACEM la musique d’un événe­ment, même si le DJ dresse une liste avec le nom des com­pos­i­teurs et que vous la trans­met­tez, cela n’a aucune inci­dence sur les flux entre la France et l’Argentine. Ce n’est pas géré.
L’argent qui reste après que ce soit servi la SACEM, les édi­teurs et les pro­duc­teurs, va aux musi­ciens et aux auteurs, mais vous allez le voir, d’une façon assez étrange.
Si vous êtes une grosse vedette du top 50, vous allez recevoir votre dû et même bien plus, car les sommes qui ne sont pas dis­tribuées sont répar­ties à l’ensemble des auteurs inscrits (à not­er que l’inscription d’un auteur à la SACEM n’est pas oblig­a­toire) La SACEM est une société, pas un organ­isme pub­lic, offi­ciel.
Ain­si, Tartem­pi­on Glinglin, qui s’est inscrit à la SACEM, recevra un petit quelque chose, pro­por­tion­nelle­ment à son statut. Les gros reçoivent beau­coup, les petits, très peu. Pour la France, le plus gros, c’est Jean-Jacques Gold­man. Quand vous organ­isez une milon­ga, vous enrichissez Jean-Jacques Gold­man et des édi­teurs et pro­duc­teurs, mais pas Rodriguez ou ses petits-enfants éventuels.
Mais ce n’est pas la seule sur­prise. Je vous pro­pose de regarder main­tenant le réper­toire de la SACEM pour La Cumpar­si­ta. Cette œuvre étant très con­nue et beau­coup jouée, elle attire la con­voitise de ceux qui vivent des sub­sides de la SACEM.

LE RÉPERTOIRE DE LA SACEM

LA CUMPARSITA

Com­pos­i­teur : ARCH DAVID GWYN, BERNARD DEWAGTERE, Cyprien KATSARIS, GARANCE MICHELE, GERARDO MATOS RODRIGUEZ, Giulio Gd D’AGOSTINO, JEFE E L, PUBLIC DOMAIN, TRAD.

Com­pos­i­teur-Auteur : Augustin CASTELLON CAMPOS, CALANDRELLI JORGE M, DP, GERARDO MATOS RODRIGUEZ, GONZALO FI, Igor OUTKINE, INCONNU COMPOSITEUR AUTEUR, KALETH JAMES PATRICK, MAX BRONCO, Pub­lic DOMAINE, ROGERS MILTON (US 1), Roland Mar­tin ROBERTS, ROSE DAVID D, Sam­my WETSTEIN, TERRANO ANDREA.

Auteur : BEYTELMANN GUSTAVO, CONNER DAVID A, David John HOWELL, Fabi­en PACKO, LLOYD JACK, LOVE GEOFFREY, Marie-Stéphane VAUGIEN, MARONI ENRIQUE PEDRO, Pas­cual CONTURSI, PASERO STEVAN, RUNSWICK DARYL BERNARD, STAZO LUIS ANTONIO.

Arrangeur : ARCH DAVID GWYN, Robert DUGUET.

Inter­prète : Alain MUSICHINI, Andre BROCOLETTI, Armand PAOLI, Arnaud THORETTE, Astor PIAZZOLLA, BARIMAR, BASSO JOSE HIPOLITO, Bernard MARLY, BERTRAND DE KERMADEC, BONAZ FERNAND, BRUNELLI FELICIANO, CAHAN JACQUES, CANARO FRANCISCO, CARLOS RODRIGUEZ LUNA, CARRIL HUGO (DEL), CHABLOZ MARTIN, Char­ly OLEG, Christo­pher FRONTIER, CLEMENT DOUCET, CO FRANCO ERNESTO FRANCIS, CORENZO ALFREDO, Corinne ROUSSELET, CUGAT XAVIER, D ARIENZO JUAN, Daniel COLIN, DELERUE GEORGES, DELPHINE LEMOINE, DI SARLI CARLOS, Eduar­do BIANCO, Eduar­do Oscar ROVIRA, Eric BOUVELLE, Eric CERBELLAUD, Eti­enne LORIN, EVEN JO, Fabi­en PACKO, FABRICE PELUSO, FARRART VINCENT, FEDERICO DOMINGO S, FERNANDEZ JOSE ESTEBAN, FIESCHI JOSE, Franck POURCEL, GARANCE MICHELE, GARCIA DIGNO, GARDEL CARLOS, Georges RABOL, Gilbert DIAS, Hervé DESARBRE, HIRSCHFELDER DAVID, HORNER YVETTE, James GRANGEREAU, Jean HARDUIN, JEAN VILLETORTE, JEROME RICHARD, Joseph PERON, Juan CARRASCO, JULIO IGLESIAS, KAASE CHRISTOPHER, KALLISTE EDITIONS MUSICALES, LANDER MONICA, LAZZARI CARLOS ANGEL, LO MANTOVANI ANNUNZIO PAO, LOMUTO FRANCISCO J, Louis CAMBLOR, Louis CORCHIA, Luis (louis) TUEBOLS, MAGALI PERRIER, MAHJUN JEAN LOUIS, MALANDO DANNY, Mar­cel AZZOLA, MARCEL DUVAL, MARCELLO JOSE, Mario CAVALLERO, Mar­tial COHEN-SOLAL, Mau­rice LARCANCHE, Michel FUGAIN, MICHEL PRUVOST, Michel PRUVOT, MORINO JACQUES, NEUMAN ALBERTO, Olivi­er MANOURY, Olivi­er MARTEL, OMAR KHORCHID, Pas­cal TERRIBLE, Patrick BELLAIZE, PIERRE BOUIX, Pierre PARACHINI, PIZARRO MANUEL, PONSERME JACQUES, Pri­mo CORCHIA, Ramon Alber­to GONZALES, Ray­mond BOISSERIE, RENAUD LINE, RIVERO EDMUNDO, Robert TRABUCCO, Rober­to ALAGNA, ROMERO PEPE, ROSSI TINO, S FRESEDO OSVALDO NICOLA, SCALA TANI, SCHIFRIN LALO, SEMINO ROSSI, SEVILLA LUIS MIGUEL, SONY JO, STEPHANE REBEYROL, Tapio KARI, Thier­ry BONNEFOUS, Thier­ry CAENS, TIRAO CACHO, TONY MURENA PRODUCTIONS, TROILO ANIBAL CARMELO, TROVESI GIANLUIGI, VERCHUREN ANDRE, VINCENT INCHINGOLO, WUNDERLICH KLAUS, Yvan CASSAR.

Réal­isa­teur : Julien BLOCH.

Édi­teur : AUSTRALIAN MUSIC EXAMINATIONS BOARD LTD, BMG RICORDI EX RICORDI G C SPA, CALA TUENT MUSIC, CALANDRELLI MUSIC, CD BABY BETA, D A MUSIC LTD, DAVAL MUSIC COMPANY, GD SEVENTY-EIGHT MUSIC, LA PALMERA EDICIONES INH MATTHIAS MOEBIUS, MORRO MUSIC, NEN MUSIC, PATTERDALE MUSIC LTD, PRIMARY WAVE ROSE, RUECKBANK MUSIKVERLAG MARK CHUNG EK, SCHOTT MUSIC GMBH CO KG, SESAME STREET INC, SHUTTERSTOCK MUSIC CANADA ULC, SONY ATV MILENE MUSIC, SWEET CITY SONGS LTD, TUNECORE DIGITAL MUSIC, ZONE MUSIC PUBLISHING LLP.

Sous Édi­teur : BECAUSE EDITIONS, BMG RIGHTS MANAGEMENT (FRANCE), BUDDE MUSIC FRANCE, DAVID PLATZ MUSIC EDITIONS, EDITIONS DURAND, KOBALT MUSIC PUBLISHING FRANCE, MUSICJAG, PARIGO, PEERMUSIC FRANCE, PREMIERE MUSIC GROUP, RDB CONSEIL RIGHTS MANAGEMENT, SCHOTT MUSIC, SENTRIC MUSIC LIMITED, SONY MUSIC PUBLISHING (FRANCE), ST MUSIC INTERNATIONAL INC, UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING, WARNER CHAPPELL MUSIC FRANCE.

Cela fait beau­coup de per­son­nes que nous n’aurions pas soupçon­nées d’être liées à la Cumpar­si­ta.

Extrait de l’en­trée Cumpar­si­ta dans les reg­istres de la SACEM. En gras ceux qui sont légitimes, plus domaine pub­lic ou incon­nu.

La Cumpar­si­ta tombera réelle­ment dans le domaine pub­lic quand le dernier des petits malins qui a fait inscrire son nom sera mort depuis plus de 70 ans. Mais ras­surez-vous, les maisons d’édition et pro­duc­teurs trou­veront une astuce et cela n’arrivera donc jamais.
De toute façon, la SPRÉ court tou­jours, car il y a tou­jours des musi­ciens qui jouent la Cumpar­si­ta. C’est une tac­tique bien ficelée et la SACEM a encore de beaux jours pour con­tin­uer de prospér­er, car si même des musi­ciens déci­dent de ne pas adhér­er, de pub­li­er de la musique libre de droits, la SACEM vous réclam­era une somme for­faitaire, à moins que vous puissiez prou­ver que vous ne passez que de la musique libre de droits (on a vu que c’était impos­si­ble avec le réper­toire argentin).

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