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Año nuevo 1956-01-31 (Marcha) — Alberto Castillo y su Orquesta Típica dir. por Ángel Condercuri

A. Riobal (Alberto Castillo) ; Trío Los Halcones (Alberto Losavio ; Héctor Serrao ; Rodolfo Genaro Serrao)

¡Feliz año nue­vo! Il est minu­it à Buenos Aires, c’est l’année nou­velle qui com­mence. Les fusées de feu d’artifice péta­radent et illu­mi­nent le ciel de Buenos Aires. Ici, pas de majestueux feux d’artifice élaborés par des arti­ficiers pro­fes­sion­nels. Ce sont les Argentins qui se char­gent du spec­ta­cle en fonc­tion de leurs moyens financiers et de leurs capac­ités. Notre musique du jour n’est pas un tan­go, mais est chan­tée par un de ses chanteurs, Alber­to Castil­lo, qui en est égale­ment un des auteurs.

Riobal y los Halcones

Quelques mots sur les auteurs de ce titre.

Riobal

Riobal, alias Alber­to Castil­lo, alias…, alias…, alias…, alias…

Riobal est un des pseu­do­nymes de Alber­to Castil­lo, ou plutôt de Alber­to Sal­vador De Luc­ca, puisque que Castil­lo est égale­ment un pseu­do­nyme des­tiné à faire plus espag­nol, ce qui était courant pour les chanteurs de tan­go.
Les orchestres avaient besoin d’un chanteur ital­ien et d’un chanteur espag­nol pour sat­is­faire les deux prin­ci­pales com­mu­nautés portègnes. Peu importe qu’ils soient réelle­ment orig­i­naires de ces pays. D’ailleurs ses pre­miers pseu­do­nymes ont été Alber­to Dual et Car­los Duval
Cette foi­son de pseu­do­nymes était égale­ment des­tinée à tromper la vig­i­lance pater­nelle.
Pour son père, il était étu­di­ant en médecine et, effec­tive­ment, il devait être médecin gyné­co­logue.
Un jour, en écoutant son fils à la radio, il s’exclama, « il chante très bien, il a une voix sem­blable à celle de Alber­ti­to », et pour cause…
Cepen­dant, le tan­go a pris le dessus et Alber­to a rejoint l’orchestre d’un den­tiste, celui de Ricar­do Tan­turi, avant de ter­min­er sa dernière année… Il n’était donc pas à pro­pre­ment par­ler gyné­co­logue, comme on le lit en général dans ses biogra­phies.

Trío Los Halcones

Ce trio a chan­té avec Miguel Caló, mais leur spé­cial­ité était plutôt le boléro et autres musiques tra­di­tion­nelles ou folk­loriques. Ils ont col­laboré avec Castil­lo pour l’écriture de la musique et des paroles de ce titre. Il ne sem­ble pas y avoir d’enregistrement de Año nue­vo par ce trio.

Trío Los Hal­cones.

Extrait musical

Año nue­vo 1956-01-31 (Mar­cha) — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Ángel Con­der­curi.
Par­ti­tion de sax­o­phone ténor de Año nue­vo.

Ángel Condercuri ou Jorge Dragone ?

Año nue­vo a été enreg­istré le 31 jan­vi­er 1956. Je n’ai pas respec­té le choix d’un thème enreg­istré le jour de l’anecdote, pour vous pro­pos­er un air gai et de cir­con­stance. Nous sommes donc en 1956 et Alber­to Castil­lo a son orchestre dirigé par un chef. Selon les sources, il y a un doute sur le chef qui tenait la baguette le jour de l’enregistrement.

  • Gabriel Valiente dans son Enci­clo­pe­dia del Tan­go indique que l’orchestre de Castil­lo est dirigé par Ángel Con­der­curi de 1951 à 1954 puis de nou­veau à par­tir de 1959 et par Jorge Drag­one de 1955 à 1958. Ce tra­vail est une somme, mais il y a de nom­breuses impré­ci­sions et un cer­tain nom­bre d’erreurs. C’est une bonne source, mais qui demande à être véri­fiée.
  • Tango.info indique que Con­der­curi dirige l’orchestre de Castil­lo pour l’enregistrement de Año nue­vo. https://tango.info/fra/track/T0370371359
  • Todo Tan­go, qui est le site de référence incon­tourn­able pro­pose une entre­vue avec Jorge Drag­one dans laque­lle celui-ci indique qu’il était dans l’orchestre de Con­der­curi à cette époque. https://www.todotango.com/historias/cronica/238/Dragone-Un-eterno-viajero/ Par con­séquent, s’il est le pianiste de l’orchestre, il n’en est pas le directeur. En 1957, donc l’année suiv­ante, il indique avoir son pro­pre orchestre en alter­nance pour lequel il recourt à la voix de Argenti­no Ledes­ma. Même s’il est envis­age­able que, pour une séance d’enregistrement par­ti­c­ulière, Con­der­curi ait lais­sé la direc­tion à son pianiste, cela mérit­erait d’être doc­u­men­té.
  • Tango-DJ.AT, qui est en général bien ren­seigné et qui cor­rige les erreurs quand on les sig­nale, ce qui n’est pas le cas de tous (référence à d’autres sites qui ne pren­nent même pas la peine de véri­fi­er, ou qui te dis­ent que c’est ain­si et qui cor­ri­gent ensuite, en douce…), indique que c’est Con­der­curi.
    https://tango-dj.at/database/index.htm
    https://tango-dj.at/database/index.htm?titlesearch=ano+nuevo&genresearch=marcha (pour ceux qui sont abon­nés).

La solu­tion serait d’avoir le cat­a­logue ou le disque d’origine, mal­heureuse­ment, je n’ai pas trou­vé le cat­a­logue de Odeón cor­re­spon­dant et les CD ne sont pas pré­cis sur la ques­tion (soit ils n’indiquent rien, soit ils met­tent les deux noms, sans pré­cis­er à quels titres, cela se rap­porte). Quant aux dis­ques d’origine, ils indiquent juste Alber­to Castil­lo y su Orques­ta.
Bern­hard Gehberg­er, le créa­teur du site Tango-DJ.AT, con­firme avec les mêmes argu­ments. Il m’a même rap­pelé que cer­tains enreg­istrements étaient don­nés avec Raúl Bianchi à la direc­tion. Cepen­dant, cela ne sem­ble con­cern­er que la péri­ode 1953–1955. En 1956, Bianchi était à Rosario. On notera toute­fois, que Bianchi était pianiste, comme Drag­one. Serait-ce une habi­tude chez Con­der­curi de laiss­er ses pianistes diriger ?
En atten­dant d’en savoir plus, je con­serve Ángel Con­der­curi comme Directeur de l’orchestre de Castil­lo pour cet enreg­istrement.

Paroles

Il y a dif­férentes vari­antes, mais qui ne changent pas le sens. Vous aurez la ver­sion du film en fin d’article avec les paroles en sous-titrage.

Año nue­vo
Vida nue­va
Más ale­gres los días serán
Año nue­vo
Vida nue­va
Con salud y con pros­peri­dad

Entre pitos y matra­cas entre músi­ca y son­risa
El reloj ya nos avisa que ha lle­ga­do un año más,
Las mujeres y los hom­bres, un besi­to nos dare­mos
Entre todos cantare­mos, llenos de feli­ci­dad
Vamos todos a can­tar

Año nue­vo
Vida nue­va
Nues­tras penas deje­mos atrás
Año nue­vo
Vida nue­va
Con salud y con pros­peri­dad

Año nue­vo
Vida nue­va
Mas ale­gre los días serán
Sin prob­le­ma, sin tris­teza
Y un feliz año nue­vo ven­drá…

Entre pitos y matra­cas entre músi­ca y son­risa
El reloj ya nos avisa que ha lle­ga­do un año más
Las mujeres y los hom­bres, un besi­to nos dare­mos
Entre todos cantare­mos, llenos de feli­ci­dad
Vamos todos a can­tar

Año nue­vo
Vida nue­va
Más ale­gres los días serán
Año nue­vo
Vida nue­va
Con salud y con pros­peri­dad

Año nue­vo
Vida nue­va
Nues­tras penas deje­mos atrás
Sin prob­le­ma, sin tris­teza
Y un feliz año nue­vo ven­drá
Y un feliz año nue­vo ven­drá
Y un feliz año nue­vo ven­drá
Y un feliz año nue­vo ven­drá…

A. Riobal (Alber­to Castil­lo) ; Trío Los Hal­cones (Alber­to Losavio; Héc­tor Ser­rao; Rodol­fo Genaro Ser­rao)

Traduction libre des paroles

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus heureux
Nou­v­el An
Nou­velle vie
Avec la san­té et la prospérité

Entre sif­flets et cré­celles
Entre musique et sourire
L’hor­loge nous aver­tit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un bais­er nous nous don­nerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bon­heur
Nous allons tous chanter

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus heureux
Nou­v­el An
Nou­velle vie
Avec la san­té et la prospérité

Nouv­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus joyeux
Sans prob­lème et sans tristesse
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra

Entre sif­flets et cré­celles
Entre musique et sourire
L’hor­loge nous aver­tit déjà qu’est arrivée une année de plus
Les femmes et les hommes, un bais­er nous nous don­nerons
Entre tous, nous chanterons, pleins de bon­heur
Nous allons tous chanter

Pito y matra­ca (sif­flet et cré­celle)

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Les jours seront plus heureux
Nou­v­el An
Nou­velle vie
Avec la san­té et la prospérité

Nou­v­el An
Nou­velle vie
Nous lais­serons nos peines der­rière
Sans prob­lème et sans tristesse
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra
Et un Nou­v­el An heureux vien­dra…

Autres versions

Año nue­vo 1956-01-31 (Mar­cha) — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dir. por Ángel Con­der­curi. C’est notre thème du jour.
Año Nue­vo 1965 — Billo’s Cara­cas Boys. C’est la ver­sion qui est sans doute la plus con­nue, elle est jouée pour le Nou­v­el An dans la plu­part des pays d’Amérique du Sud et pas seule­ment au Vénézuéla, leur pays.

Pour ter­min­er en vidéo, je vous pro­pose de voir et écouter Alber­to Castil­lo dans le film “Músi­ca, ale­gría y amor” dirigé par Enrique Car­reras.
La scène a été enreg­istrée en 1955, cepen­dant, le film sor­ti­ra après le disque, le 9 mai 1956.
J’ai indiqué les paroles pour vous per­me­t­tre de suiv­re…

Año nue­vo dans le film Músi­ca, ale­gría y amor. Dans cet extrait, en plus de Alber­to Castil­lo, on remar­que Beat­riz Tai­bo, Ubal­do Martínez et Tito Gómez. Il y a aus­si une courte appari­tion de Leonor Rinal­di et Fran­cis­co Álvarez, les per­son­nes âgées.

Alber­to Castil­lo, qui tient le rôle prin­ci­pal (Alber­to Morán) est un jeune homme bohème qui rêve de devenir pein­tre, mais qui finale­ment aura du suc­cès comme chanteur (Raúl Man­rupe & María Ale­jan­dra Portela — Un Dic­cionario de Films Argenti­nos 1995, page 401). Ce film con­tient beau­coup de chan­sons par Castil­lo, dont notre titre du jour.

L’intrigue du film serait tirée de Loute, une comédie française (vaude­ville) en qua­tre actes de Pierre Veber dont l’in­trigue tourne autour de Dupont, un homme qui mène une vie de débauche sous l’in­flu­ence de son « ami » Castil­lon. Dupont décide de se mari­er avec Renée, une jeune femme de bonne famille, mais il est rapi­de­ment rat­trapé par son passé tumultueux. Loute, une anci­enne maîtresse de Dupont, réap­pa­raît et cause des com­pli­ca­tions. Les malen­ten­dus et les quipro­qu­os s’en­chaî­nent, notam­ment avec l’ar­rivée de Fran­col­in, un cousin de Dupont, qui cherche à se venger de lui. Finale­ment, après de nom­breux rebondisse­ments, les per­son­nages ten­tent de se réc­on­cili­er et de trou­ver un équili­bre entre leurs vies passées et présentes. Le lien entre la pièce et le film réal­isé par Enrique Car­reras sur un scé­nario de Enrique San­tés Morel­lo me sem­ble un peu dis­ten­du, d’autant plus que la pièce a eu son heure de gloire plus de 50 ans avant la réal­i­sa­tion du film. Cela témoigne tout de même de la fran­cophilie qui était encore vive à l’époque.
Dis­ons que la base du syn­op­sis a été de faire une comédie musi­cale pour met­tre en avant Alber­to Castil­lo

L’af­fiche du film réal­isée par le car­i­ca­tur­iste argentin Nar­ciso González Bayón. On y recon­naît Alber­to Castil­lo et Ameli­ta Var­gas. À la table, de gauche à droite, Fran­cis­co Álvarez, Leonor Rinal­di, Ger­ar­do Chiarel­la et Ubal­do Mar­tinez. La taille démesurée de Castil­lo mon­tre bien que c’était lui la vedette du film…

Voilà de quoi bien débuter l’année, en chan­son.

De camino al 2025

Je souhaite une merveilleuse année,
la santé et le bonheur,
à tous les humains de la Terre,
tous.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orquesta Pedro Laurenz con Alberto Podestá

Roberto Firpo Letra: Juan Andrés Caruso

La con­nex­ion du monde du tan­go avec le théâtre, puis le ciné­ma a tou­jours été naturelle. Le tan­go du jour, Alma de bohemio est un par­fait exem­ple de ce phénomène. Il a été créé pour le théâtre et a été repris à au moins deux repris­es par le ciné­ma. Devenu le morceau de choix de notre chanteur du jour, il réson­nera ensuite sur les grandes scènes où Alber­to Podestá l’offrait à son pub­lic. Je suis sûr que cer­tains ver­sions vont vous éton­ner, et pas qu’un peu…

Extrait musical

Alma de bohemio. Rober­to Fir­po Letra:Juan Andrés Caru­so. Par­ti­tion et à droite réédi­tion de 1966 de notre tan­go du jour sur un disque 33 tours.

À gauche, la par­ti­tion dédi­cacée à l’acteur Flo­ren­cio Par­ravici­ni qui jouait la pièce dont Alma de bohemio était le titre final. L’œuvre a été étren­née en 1914 au Teatro Argenti­no de Buenos Aires. On notera que la cou­ver­ture de la par­ti­tion porte la men­tion Tan­go de concier­to. Les auteurs ont donc conçu ce tan­go comme une pièce à écouter, ce qui est logique, vu son usage. On notera que ce même tan­go a été réu­til­isé au ciné­ma à au moins deux repris­es, en 1933 et en 1944, nous en par­lerons plus bas.
À droite, la réédi­tion en disque microsil­lon de 1966 de notre tan­go du jour. Alma de bohemio est le pre­mier titre de la face A et a don­né son nom à l’album.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá.

Paroles

Pere­gri­no y soñador,
can­tar
quiero mi fan­tasía
y la loca poesía
que hay en mi corazón,
y lleno de amor y de ale­gría,
vol­caré mi can­ción.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Si es que vivo lo que sueño,
yo sueño todo lo que can­to,
por eso mi encan­to
es el amor.
Mi pobre alma de bohemio
quiere acari­ciar
y como una flor
per­fumar.

Y en mis noches de dolor,
a hablar
me voy con las estrel­las
y las cosas más bel­las,
despier­to he de soñar,
porque le con­fío a ellas
toda mi sed de amar.

Siem­pre sen­tí
la dulce ilusión,
de estar vivien­do
mi pasión.

Yo bus­co en los ojos celestes
y rene­gri­das cabelleras,
pasiones sin­ceras,
dulce emo­ción.
Y en mi triste vida errante
llena de ilusión,
quiero dar todo
mi corazón.

Rober­to Fir­po Letra: Juan Andrés Caru­so

Traduction libre

Pèlerin et rêveur, je veux chanter ma fan­taisie et la folle poésie qui est dans mon cœur, et plein d’amour et de joie, je déverserai ma chan­son.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Si je vis ce dont je rêve, je rêve tout ce que je chante, c’est pourquoi mon charme c’est l’amour.
Ma pau­vre âme de bohème veut caress­er et par­fumer comme une fleur.
Et dans mes nuits de douleur, je vais par­ler avec les étoiles et les choses les plus belles, il faut rêver éveil­lé, car je leur con­fie toute ma soif d’amour.
J’ai tou­jours ressen­ti la douce sen­sa­tion de vivre ma pas­sion.
Je recherche dans les yeux bleus (couleur du ciel et du dra­peau argentin) et les chevelures noir obscur des pas­sions sincères, une douce émo­tion.
Et dans ma triste vie errante et pleine d’illusions, je veux don­ner tout mon cœur.

Autres versions

Alma de bohemio 1914 — Orques­ta Argenti­na Rober­to Fir­po.

Le tan­go, tel qu’il était joué dans la pièce orig­i­nale, par Fir­po, c’est-à-dire sans parole. Ces dernières n’ont été écrites par Caru­so qu’une dizaine d’années plus tard.

Alma de bohemio 1925-12-16 — Orques­ta Julio De Caro.

Là où il y a de la recherche d’originalité, De Caro s’y intéresse.

Alma de bohemio 1925 — Igna­cio Corsi­ni.

La plus anci­enne ver­sion chan­tée avec les paroles de Caru­so. Il est assez logique que Corsi­ni soit le pre­mier à l’avoir chan­té, car il était à la fois proche de Fir­po avec qui il a enreg­istré Patotero sen­ti­men­tal en 1922 et de Caru­so dont il a enreg­istré de nom­breux titres. Il était donc à la croisée des chemins pour enreg­istr­er le pre­mier.

Séance d’enregistrement d’Ignacio Corsi­ni (debout) avec, de gauche à droite, ses gui­taristes Rosendo Pesoa, Enrique Maciel et Arman­do Pagés. La pho­to date prob­a­ble­ment des années 30, elle est donc moins anci­enne que l’enregistrement présen­té.
Alma de bohemio 1927-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Une belle ver­sion instru­men­tale, rel­a­tive­ment éton­nante pour l’époque.

Alma de bohemio 1927-05-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion typ­ique de Canaro. On ver­ra qu’il l’enregistrera à d’autres repris­es.

Alma de bohemio 1927-07-26 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Treize ans plus tard, Rober­to Fir­po redonne vie à son titre, tou­jours de façon instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-05-18 — Orques­ta Típi­ca Vic­tor.

Deux ans plus tard, la Típi­ca Vic­tor, dirigée par Adol­fo Cara­bel­li donne sa pro­pre ver­sion égale­ment instru­men­tale.

Alma de bohemio 1929-09-19 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Ada Fal­cón avec sa voix d’une grande pureté en donne une ver­sion mag­nifique accom­pa­g­née par son cher Canaro. On notera les notes tenues, un temps impres­sion­nant, plus que ce qu’en avait don­né Corsi­ni. Dis­ons que Fal­cón lancera la course à la note tenue le plus longtemps pos­si­ble.

Le suc­cès de Corsi­ni avec les paroles de Caru­so va per­me­t­tre au titre de retourn­er dans le spec­ta­cle avec le pre­mier film par­lant argentin, Tan­go réal­isé par Luis Moglia Barth et sor­ti en 1933.

1933 Tan­go – Alma de Bohemio par Alber­to Gómez dans le film de Luis Moglia Barth, Tan­go sor­ti le 27 avril 1933.

Alber­to Gómez suiv­ra donc égale­ment les traces de Fal­cón avec de belles notes tenues.

Alma de bohemio 1930-09-05 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Fran­cis­co Canaro reste sur la voie du tan­go de concier­to avec une ver­sion très éton­nante et qui fait l’impasse sur les notes très longue­ment tenues. Je pense qu’il faut associ­er cette inter­pré­ta­tion aux recherch­es de Canaro en direc­tion du tan­go fan­ta­sia ou sym­phonique. Pour moi, il n’est pas ques­tion de pro­pos­er cela à des danseurs, mais je trou­ve cette œuvre cap­ti­vante et je suis con­tent de vous la faire décou­vrir (enfin, à ceux qui ne con­nais­saient pas).

Alma de bohemio 1935-01-23 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Le Trío Ciri­a­co Ortiz offre lui aus­si une ver­sion très sophis­tiquée et sur­prenante de l’œuvre. C’est bien sûr plus léger que ce qu’a fait Canaro cinq ans plus tôt, mais c’est un trio, pas une grosse machine comme celle de Canaro.

Alma de bohemio 1939-03-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Teó­fi­lo Ibáñez.

On peut au moins apporter au crédit de Bia­gi qu’il a essayé de faire la pre­mière ver­sion de danse. Cette ver­sion est à l’opposé de tout ce qu’on a enten­du. Le rythme soutenu et martelé est presque car­i­cat­ur­al. J’ai du mal à con­sid­ér­er cela comme joli et même si c’est éventuelle­ment dans­able, ce n’est pas la ver­sion que je passerais en milon­ga.

Alma de bohemio 1943-07-15 — Orques­ta Pedro Lau­renz con Alber­to Podestá. C’est notre tan­go du jour.

Avec cette ver­sion mise au point par Pedro Lau­renz, un immense chef d’orchestre ayant trop peu enreg­istré à mon goût, on a une bonne syn­thèse d’une ver­sion pour la danse et à écouter. Alber­to Podestá gagne claire­ment le con­cours de la note tenue la plus longue. Il sur­passe Fal­cón, Gómez et en 1949, Castil­lo ne fera pas mieux…

Alma de bohemio 1946-11-13 — Orques­ta Franci­ni-Pon­tier con Alber­to Podestá.

Alber­to Podestá s’attaque à son record de la note tenue la plus longue et je crois qu’il l’a bat­tu avec cette ver­sion. Cela con­stitue une alter­na­tive avec la ver­sion de Lau­renz.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó.

Alma de bohemio 1947-04-02 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó. Avec cet enreg­istrement, Osval­do Ribó prou­ve qu’il ne manque pas d’air, lui non plus…

Alma de bohemio 1947-05-21 — Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Tiens, une ver­sion instru­men­tale. Fir­po ten­terait-il de tem­pér­er les ardeurs des chanteurs gon­flés ?

Alma de bohemio 1947-06-10 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Tino Gar­cía.

La ten­ta­tive de Fir­po ne sem­ble pas avoir réus­si, Tino Gar­cía explose les comp­teurs avec cette ver­sion servie par le tem­po mod­éré de D’Agostino.

Voici Alber­to Castil­lo, pour la sec­onde ver­sion ciné­matographique de Alma de Bohemio, dans un film qui porte le nom de ce tan­go.

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait, à par­tir de 3 min­utes) dans le film réal­isé par Julio Saraceni (1949)

Alber­to Castil­lo chante Alma de bohemio (dans la sec­onde par­tie de cet extrait) dans le film réal­isé par Julio Saraceni à par­tir d’un scé­nario de Rodol­fo Sci­ammarel­la et Car­los A. Petit. Le film est sor­ti le 24 août 1949. L’orchestre est dirigé par Eduar­do Rovi­ra ou Ángel Con­der­curi… L’enregistrement a été réal­isé le 6 mai 1949.
Castil­lo ne dépasse pas Podestá dans le con­cours de la note tenue la plus longue, mais il se débrouille bien dans cet exer­ci­ce.

Fidel Pin­tos (à gauche) et Alber­to Castil­lo dans le film de Julio Saraceni Alma de bohemio (1949).
Alma de bohemio 1951-07-17 — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to Típi­co con Alber­to Casares.

Alber­to Casares fait dur­er de façon mod­érée les notes, l’originalité prin­ci­pale de cette ver­sion est l’orchestration déli­rante de Cam­bareri, avec ses traits vir­tu­os­es et d’autres élé­ments qui don­nent le sourire, à l’écoute, pour la danse, cela reste à prou­ver… Sig­nalons qu’une ver­sion avec le chanteur Hec­tor Berar­di cir­cule. Berar­di a en effet rem­placé Casares à par­tir de 1955, mais cette ver­sion est un faux. C’est celle de Casares dont on a sup­primé les pre­mières notes de l’introduction. Les édi­teurs ne recu­lent devant aucune manœu­vre pour ven­dre deux fois la même chose…

Alma de bohemio 1958-12-10 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Une ver­sion bien dif­férente et qui mar­que la maîtrise créa­tive de Pugliese. Sou­venons-nous tout de même que d’autres orchestres, y com­pris Canaro s’étaient ori­en­tés vers des ver­sions sophis­tiquées.

Alma de bohemio 1958 — Argenti­no Galván.

La ver­sion la plus courte (37 sec­on­des), extraite du disque de Argenti­no Galván que je vous ai déjà présen­té His­to­ria de la orques­ta tipi­ca.

Alma de bohemio 1959-04-29 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

À la tête de son Quin­te­to Pir­in­cho, Fran­cis­co Canaro, donne une nou­velle ver­sion de l’œuvre. Rien qu’avec ses ver­sions on croise une grande diver­sité d’interprétations. De la ver­sion de 1927, canyengue, l’émouvante ver­sion avec Ada Fal­cón, celle de 1930, éton­nam­ment mod­erne et finale­ment celle-ci, légère et rel­a­tive­ment dansante. Il y a du choix chez Mon­sieur Canaro.

Alma de bohemio 1965-12-10 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Nel­ly Vázquez.

Nel­ly Vázquez prou­ve que les femmes ont aus­si du cof­fre. L’orchestre d’Aníbal Troi­lo est ici au ser­vice de la chanteuse, il ne pro­pose pas une ver­sion révo­lu­tion­naire qui aurait nuit à l’écoute de Nel­ly Vázquez. Cette inté­gra­tion fait que c’est une ver­sion superbe, à écouter les yeux fer­més.

Alma de bohemio 1967 — Astor Piaz­zol­la y su Orques­ta.

Piaz­zol­la pro­pose sans doute la ver­sion la plus éton­nante. Le chœur de voix féminines sera sans doute une sur­prise pour beau­coup. L’atmosphère inquiète avec les grands coups de cordes tran­chants, moins, car ils font par­tie du vocab­u­laire usuel d’Astor. Le thème orig­i­nal est trans­fig­uré, la plu­part du temps dif­fi­cile à retrou­ver, mais ce n’est pas un prob­lème, car il n’a servi que de pré­texte à Piaz­zol­la pour illu­min­er les nou­velles voies qu’il ouvrait dans le tan­go.

Il y a bien d’autres enreg­istrements, mais aucun ne me sem­blait pour­voir lut­ter con­tre cette ver­sion de Piaz­zol­la, aucun, peut-être pas, et je vous pro­pose de revenir à notre con­cours de la note tenue la plus longue et je pense que c’est un chanteur d’Opéra, un des plus grands chanteurs d’opéra du vingtième siè­cle, Plá­ci­do Domin­go qui nous l’offre. Écoutez comme, tran­quille­ment, il explose tous les comp­teurs avec une facil­ité appar­ente incroy­able.

Alma de bohemio 1981 — Plá­ci­do Domin­go — dir. y arr. Rober­to Pansera.

Impres­sion­nant, non ?

Vous en rede­man­dez, alors, je vous pro­pose une ver­sion un peu plus tar­dive (1987) où, en plus, il joue l’accompagnement au piano. Il défini­tive­ment meilleur chanteur que pianiste, mais quel artiste.

Alma de Bohemio 1987 — Plá­ci­do Domin­go (piano) — Avery Fish­er Hall (New York)

À demain, les amis !

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orquesta Alfredo Gobbi con Alfredo Del Río y Tito Landó

Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo

Que ce soit dans les bals musettes de France, dans les milon­gas du Monde entier ou dans des lieux plus éton­nants, cette superbe valse a fait tourn­er des danseurs et des têtes.
Générale­ment, on dit que c’est une valse péru­vi­enne, mais cela peut faire hurler les Argentins, car les papas de cette mer­veille sont tous Argentins.

Une valse bien née

La musique est de Ángel Cabral (Ángel Ama­to). Ce gui­tariste est né en 1911 à Buenos Aires. Très jeune, il jouait dans des trios de gui­tares. À l’époque de l’écriture de Que nadie sepa mi sufrir, le trio était com­posé de Ángel Cabral, Juan José Riverol (né à Buenos Aires et fils du gui­tariste de Car­los Gardel) et Alfre­do Lucero Pala­cios (né à Rosario, Argen­tine).
Il était ami de Enrique Dizeo (né à Buenos Aires), l’auteur des paroles, avec José Riverol, trois fana­tiques des cours­es de chevaux et tous les trois nés à Buenos Aires.
L’auteur de la musique et des paroles est Ángel Cabral. Enrique Dizeo aurait joué un rôle sec­ondaire d’améliorations du texte de Cabral.
Ce thème aurait écrit vers 1936 (d’aucuns dis­ent 1927) et inter­prété en 1936 par Hugo Del Car­ril (né à Buenos Aires). Cer­tains affir­ment que Hugo Del Car­ril aurait enreg­istré cette valse, mais cela sem­ble faux ou pour le moins il n’existe pas d’enregistrement déclaré, ni de film dans lequel il aurait inter­prété ce titre.
Par ailleurs, si la date de 1927 était vraie, ce serait le pre­mier titre de Cabral en solo. Le plus ancien titre enreg­istré datant de 1930 et était une col­lab­o­ra­tion, La Bra­va, une ranchera com­posée avec Hérmes Romu­lo Per­essi­ni.
Dans les années 1940, il écrit tous les autres titres avec la par­tic­i­pa­tion de ses col­lègues gui­taristes du trio. Il s’agit de cor­ri­dos et de milon­gas. La pre­mière ranchera de 1930 n’est peut-être pas de lui, mais de Martín Valen­tín Cabral, auteur de nom­breuses rancheras.
Le fait que sur la par­ti­tion de Que nadie sepa mi sufrir, il y ait la pho­to des trois gui­taristes de l’époque, et pas du trio des années 30, me sem­ble devoir con­fir­mé que le titre date plutôt de la fin des années 40 ou du début des années 50. Si quelqu’un pou­vait sor­tir une véri­ta­ble preuve que Hugo Del Car­ril a chan­té le titre en 1936, ce serait intéres­sant.

C’est le trio qui est présen­té sur la par­ti­tion, ce qui m’incite à penser que le titre date plutôt de la fin des années 40, début des années 50.

Quoi qu’il en soit, on voit donc que toutes les per­son­nes ayant par­ticipé de près ou de loin à ce titre sont Argen­tines. Alors, pourquoi dire que c’est une valse péru­vi­enne ?
En fait, le terme de valse péru­vi­enne désig­nait un rythme de valse plutôt lent que d’ailleurs Cabral a util­isé pour la plu­part de ses valses des années 50 et 60. Je pense qu’il souhaitait surfer sur le suc­cès de Que nadie sepa mi sufrir qui a con­nu son véri­ta­ble suc­cès dans ces années, plus que dans les années 20 ou 30 si les sources plus ou moins fan­tai­sistes faisant remon­ter la créa­tion à cette époque sont exactes.
Cette valse « péru­vi­enne » a donc con­nu beau­coup de suc­cès, mais en atten­dant, je vous pro­pose d’écouter une ver­sion enreg­istrée il y a exacte­ment 69 ans. C’est une des meilleures ver­sions, mais plusieurs se bat­tent pour le podi­um et ça va être une véri­ta­ble course pour savoir qui sera le pre­mier. Mais comme les auteurs sont tur­fistes, les cours­es, ils con­nais­sent.

Extrait musical

Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Orques­ta Alfre­do Gob­bi con Alfre­do Del Río y Tito Landó.
Que nadie sepa mi sufrir. Ángel Cabral Letra: Enrique Dizeo. Édi­tions Julio Korn.

En pho­to, les mem­bres du trio de gui­tariste dont était mem­bre Cabral à l’époque de l’écriture de cette valse (dans mon hypothèse qu’elle date des alen­tours de 1950).

Paroles

No te asom­bres si te digo lo que fuiste
Una ingra­ta con mi pobre corazón
Porque el fuego de tus lin­dos ojos negros
Alum­braron el camino de otro amor
Porque el fuego de tus lin­dos ojos negros
Alum­braron el camino de otro amor
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo con­for­marme sin poderte con­tem­plar
Ya que pagaste mal, mi car­iño tan sin­cero
Lo que con­seguirás, que no te nom­bre nun­ca más
Amor de mis amores, si dejaste de quer­erme
No hay cuida­do, que la gente de eso no se enter­ará
¿Qué gano con decir que una mujer cam­bió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir
Y pen­sar que te adora­ba cie­ga­mente
Que a tu lado como nun­ca me sen­tí
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Y por esas cosas raras de la vida
Sin el beso de tu boca, yo me vi
Amor de mis amores, reina mía, ¿qué me hiciste?
Que no puedo con­for­marme sin poderte con­tem­plar
Ya que pagaste mal, mi car­iño tan sin­cero
Lo que con­seguirás, que no te nom­bre nun­ca más
Amor de mis amores, si dejaste de quer­erme
No hay cuida­do, que la gente de eso no se enter­ará
¿Qué gano con decir que una mujer cam­bió mi suerte?
Se burlarán de mí, que nadie sepa mi sufrir

Ángel Cabral Letra : Enrique Dizeo

Traduction libre

Ne t’étonne pas si je te dis com­bi­en tu as été ingrate avec mon pau­vre cœur.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a illu­miné le chemin d’un autre amour.
Parce que le feu de tes beaux yeux noirs a éclairé le chemin d’un autre amour
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne peux pas être sat­is­fait sans pou­voir te con­tem­pler puisque tu as mal payé, mon affec­tion si sincère.
Ce que tu obtien­dras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cess­es de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en ren­dront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, per­son­ne ne con­naî­tra ma souf­france et ils penseront que je t’ai adoré aveuglé­ment, qu’à tes côtés comme si jamais je ne l’avais ressen­ti.
Et à cause de ces choses étranges de la vie sans le bais­er de ta bouche, je me suis vu.
Et pour ces choses étranges de la vie, sans le bais­er de ta bouche, je me suis vu
Amour de mes amours, ma reine, que m’as-tu fait ?
Que je ne puis être sat­is­fait sans pou­voir te con­tem­pler puisque tu as mal payé, mon affec­tion si sincère.
Ce que tu obtien­dras, c’est que je ne t’appellerai plus jamais amour de mes amours, si tu cess­es de m’aimer.
Ne t’inquiète pas, les gens ne s’en ren­dront pas compte.
Qu’est-ce que je gagne à dire qu’une femme a changé ma chance ?
Ils se moqueront de moi, per­son­ne ne con­naî­tra ma souf­france.

Autres versions

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo — Orq Dir Ángel Con­der­curi.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo — Orq Dir Ángel Con­der­curi. Cer­tains attribuent à Jorge Drag­one la Direc­tion de l’orchestre. C’est à mon avis une erreur, car Drag­one dirigeait l’orchestre de Ledes­ma et les pre­miers enreg­istrements sont de 1957.
Castil­lo, après avoir chan­té pour l’orchestre de Tan­turi jusqu’en 1943 a mon­té son orchestre, dirigé par Emilio Bal­carce de fin 1943 à août 1944, puis par Enrique Alessio. En 1948, après un bref pas­sage par l’orchestre de Troi­lo, Castil­lo con­fie la direc­tion de son orchestre à Ángel Con­der­curi et César Zag­no­li, puis en 1949 à Eduar­do Rovi­ra. En 1951 Ángel Con­der­curi, revient, seul à la direc­tion de l’orchestre jusqu’en 1959. Sig­nalons toute­fois quelques enreg­istrements par Raúl Bianchi sur la péri­ode, donc si on peut avoir un doute sur Con­der­curi, c’est du côté de Bianchi qu’il faudrait regarder, pas du côté de Drag­one. Dans les années 60 et 70, Osval­do Reque­na et Con­der­curi vont diriger à tour de rôle l’orchestre. Aucune men­tion de Jorge Drag­one dans la lit­téra­ture sérieuse sur la ques­tion. J’ai même trou­vé un CD où l’orchestre était men­tion­né comme étant celui de Tan­turi…
Mais il reste quelque chose de très impor­tant à sig­naler sur cette inter­pré­ta­tion. Ce serait celle qu’aurait enten­du Edith Piaf et qui en aurait fait La foule avec les paroles de Michel Riv­gauche.

Que nadie sepa mi sufrir 1953-12-18 — Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

Moins de deux mois après Castil­lo, Alfre­do De Ange­lis donne sa ver­sion avec Car­los Dante. C’est une très belle ver­sion qui souf­fre seule­ment du mépris de cer­tains pour De Ange­lis et de ce que ce titre met en avant les sonorités criol­las ce qui fait dire avec dédain à cer­tains que c’est du folk­lore et pas du tan­go.

Que nadie sepa mi sufrir 1954-11-09 — Alber­to Mari­no.

Si j’étais un DJ taquin, je met­trais cette ver­sion dans une milon­ga (si, au fait, je suis un DJ taquin, je pour­rais le faire en Europe…). Le céles­ta donne le ton, on est dans quelque chose d’original. La gui­tare joue une très belle par­ti­tion accom­pa­g­née par la con­tre­basse qui donne la base. Il y aurait un accordéon, mais il est telle­ment dis­cret qu’on ne le remar­que pas.

Le céles­ta, com­ment ça marche ? Par Cather­ine Cournot. Pour tout con­naître sur le céles­ta, cet instru­ment orig­i­nal.
Que nadie sepa mi sufrir 1955-06-30 — Alfre­do Gob­bi Con Alfre­do Del Rio y Tito Lan­do.

C’est notre valse du jour. Le rythme est plus posé que dans les ver­sions de De Ange­lis et Castil­lo, on est ain­si plus proche de ce qu’est cen­sée être une valse péru­vi­enne. Le duo Alfre­do Del Rio et Tito Lan­do fonc­tionne par­faite­ment. Même si Gob­bi n’est pas en odeur de sain­teté dans toutes les milon­gas, c’est une ver­sion qui pour­rait faire le bon­heur des danseurs. Pour moi, c’est une très belle réal­i­sa­tion.

Que nadie sepa mi sufrir 1956 — Agustín Irus­ta.

Une ver­sion chan­son, sym­pa, sauf pour la danse. Une intro­duc­tion orig­i­nale annonce aus­si une orches­tra­tion dif­férente.

Voilà la ver­sion que vous attendiez, celle d’Edith Piaf… Ici, vous avez en prime les paroles affichées en espag­nol.

La foule 1957-02-28 — Edith Piaf (paroles de Michel Riv­gauche).

On remar­que l’introduction qui dif­fère un peu des autres ver­sions (en fait, presque toutes les intro­duc­tions ont des vari­antes).

Paroles de La foule d’Edith Piaf (écrites par Michel Rivgauche)

Paroles de La foule
Je revois la ville en fête et en délire
Suf­fo­quant sous le soleil et sous la joie
Et j’en­tends dans la musique les cris, les rires
Qui écla­tent et rebondis­sent autour de moi
Et per­due par­mi ces gens qui me bous­cu­lent
Étour­die, désem­parée, je reste là
Quand soudain, je me retourne, il se recule
Et la foule vient me jeter entre ses bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l’un con­tre l’autre
Nous ne for­mons qu’un seul corps
Et le flot sans effort
Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
Et nous laisse tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Entraînés par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle faran­dole
Nos deux mains restent soudées
Et par­fois soulevés
Nos deux corps enlacés s’en­v­o­lent
Et retombent tous deux
Épanouis, enivrés et heureux
Et la joie éclaboussée par son sourire
Me transperce et rejail­lit au fond de moi
Mais soudain je pousse un cri par­mi les rires
Quand la foule vient l’ar­racher d’en­tre mes bras
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Nous éloigne l’un de l’autre
Je lutte et je me débats
Mais le son de ma voix
S’é­touffe dans les rires des autres
Et je crie de douleur, de fureur et de rage
Et je pleure
Entraînée par la foule qui s’élance
Et qui danse
Une folle faran­dole
Je suis emportée au loin
Et je crispe mes poings, maud­is­sant la foule qui me vole
L’homme qu’elle m’avait don­né
Et que je n’ai jamais retrou­vé

Paroles de Michel Riv­gauche

Je vous pro­pose d’arrêter là. J’avais sélec­tion­né une quar­an­taine de ver­sions, y com­pris dans d’autres rythmes, ce sera pour une autre fois et ter­min­er avec Piaf, c’est tout de même une belle envolée, non ?

À demain, les amis !

Les styles du tango

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944.

Il sem­ble que tout a été dit sur les styles de tan­go. Je vous pro­pose cepen­dant un petit point, vu essen­tielle­ment sur l’aspect du tan­go de danse.

Ce qu’il con­vient de pren­dre en compte, c’est que les péri­odes générale­ment admis­es sont en fait toutes rel­a­tives.

Les orchestres ont, selon les cas, con­tin­ué un style qui leur réus­sis­sait au-delà d’autres orchestres et a con­trario, d’autres ont innové bien avant les autres, voire, sont revenus en arrière, remet­tant en avant des élé­ments dis­parus depuis plusieurs décen­nies.

On peut donc avoir deux enreg­istrements con­tem­po­rains appar­tenant à des courants forts dif­férents. C’est par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble à par­tir des années 50, où la baisse de la pra­tique de danse a incité les orchestres à dévelop­per de nou­veaux hori­zons, sou­vent en réchauf­fant des plats plus anciens.

Les origines (avant le tango)

Il ne s’agit pas ici de tranch­er dans un des nom­breux débats entre spé­cial­istes des orig­ines. Du strict point de vue de la danse, les pre­miers tan­gos sont proche du style habanero et par con­séquent, c’est plus du côté des habaneras qu’il con­vient de trou­ver la forme de danse.

La habanera

Vous con­nais­sez ce rythme. DaaaTa­daTaDaaa

Pour ceux qui ne sont pas lecteurs de la musique, les bar­res rouges (croches pointées) cor­re­spon­dent à 3 unités tem­porelles rel­a­tives (dou­ble croche), les bar­res bleues à une unité tem­porelle (dou­ble croche) et les bar­res vertes à deux unités tem­porelles (croche). Les bar­res sont donc pro­por­tion­nelles à la durée des notes. Au début de la portée, il y a l’indication 2/4. Cela sig­ni­fie qu’il y a deux noires par mesure (espace entre deux bar­res ver­ti­cales). Les croches valent la moitié d’une noire en durée et les dou­bles croches la moitié d’une croche. Voilà, vous con­nais­sez la lec­ture du rythme en musique (ou pas…).
Rythme de la habanera au piano. retrou­vez le DaaaTa­daTaDaaa…

La habanera porte ce nom, car c’est une resti­tu­tion d’un rythme cubain. L’inventeur du genre est Sebastián de Iradier qui a com­posé El arregli­to (le petit arrange­ment) où il joue avec ce rythme. En voici un extrait et je suis sûr que cela va vous rap­pel­er quelque chose.

Axiv­il Criol­lo — El Arregli­to — Com­pos­i­teur Sebastián de Iradier vers 1840.

Avez-vous trou­vé ?

Oui, vous avez trou­vé. Ce cher Georges Bizet a piqué la musique de Sebastián de Iradier.

Tere­sa Bergan­za chante la Habanera de Car­men de Bizet (le copieur 😉

Ce rythme, très présent dans les pre­miers tan­gos, est devenu plus dis­cret, sauf pour les milon­gas qui l’ont large­ment exploité.

Dans la milon­ga criol­la (ici par l’orchestre de Fran­cis­co Canaro 1936-10-06), on recon­nait par­faite­ment le rythme de la habanera qui a été accélérée et est dev­enue une des pier­res de con­struc­tion des milon­gas.

Lorsque le tan­go de danse a per­du de son élan, les orchestres sont revenus à ces formes tra­di­tion­nelles, au point que les com­pos­i­teurs l’on réin­tro­duit très large­ment.

Autres apports

En par­al­lèle, des formes chan­tées, notam­ment par les payadors et des dans­es, tra­di­tion­nelles, voire trib­ales, ont influ­encé ces prémices, don­nant une grande richesse à ce qui devien­dra le tan­go, notam­ment à tra­vers ses trois formes dan­sées, le tan­go, la milon­ga et la valse.

Les payadors

On lit par­fois que Gardel était un payador. Cepen­dant, même s’il était ami de José Bet­tinot­ti, il n’a pas été directe­ment l’un de ces chanteurs qui s’ac­com­pa­g­naient à la gui­tare en impro­visant. Cepen­dant, l’influence des payadors est indé­ni­able pour le tan­go, comme vous pou­vez en juger. Par cet extrait, qui avec ses relents d’ha­banera pour­rait s’ap­procher d’une milon­ga lente ou d’un canyengue.

José Bet­tinot­ti, El cabrero cir­ca 1913

Exemple d’influence africaine

Par­mi les sources, on met en avant des orig­ines africaines. Même si l’Ar­gen­tine n’a pas été une terre d’esclavage très mar­quée, con­traire­ment à beau­coup d’autres payés du con­ti­nent améri­cain, il y a eu une com­mu­nauté d’o­rig­ine africaine rel­a­tive­ment impor­tante au XIXe siè­cle. Celle-ci s’est atténuée par l’émi­gra­tion, les mariages avec des pop­u­la­tions d’autre orig­ines et quelques faits guer­ri­ers où ils ont servi de chair à canon.

Même si l’Ar­gen­tine a absorbé des élé­ments, c’est plutôt la province de l’Est, l’U­ruguay qui a le plus été influ­encé par ces musiques, notam­ment les per­cus­sions.

Can­dombe solo para Uruguayos — Hugo Fat­toru­so — “Cam­i­nan­do” , Toma de Sonido Dario Ribeiro

Le can­dombe et la milon­ga can­dombe se retrou­vent à la mode dans les années 50, bien avant que Juan Car­los Cacéres relance la mode.

Siga el baile 1953-10-28 — Alber­to Castil­lo y su Orques­ta Típi­ca dirigé par Ángel Con­der­curi.

La dénom­i­na­tion “tan­go” est sou­vent asso­ciée à la défor­ma­tion de “tam­bo” et désig­nait des lieux ou la com­mu­nauté noire dan­sait. Il faut voir un juge­ment négatif par la bonne société blanche. Le terme est devenu syn­onyme de bam­boche, de débauche, ou pour le moins de moeurs légères. La musique des faubourgs, même si elle n’é­tait pas issue des Africains a hérité de ce voca­ble péjo­ratif, lorsque le tan­go s’est dévelop­pé dans les bor­dels et autres lieux choquants pour la bonne société.

Les origines européennes

L’im­mi­gra­tion européenne a apporté sa musique. Pour el vals, même criol­lo, on est très proche de la valse et des artistes comme Canaro ont même adop­té des valses vien­nois­es.

Pour la milon­ga, c”est un peu moins évi­dent de retrou­ver des sources européennes, si ce n’est que la mode de la habanera en Europe et les échanges dans le monde lati­noaméri­cain ont favorisé sa dif­fu­sion. La habanera sym­bol­i­sait le marin pour l’Eu­rope. La milon­ga, on devrait même écrire les milon­gas sont une sal­sa, un mélange d’in­flu­ences.

Les débuts du tan­go dans les faubourgs et les milieux inter­lopes ont con­duit celui-ci à des formes assez pop­u­laires, voire out­rées que le canyengue d’aujourd’hui a du mal à retraduire en total­ité.

La naissance européenne

Dis­ons-le, tout bon­nement, ce tan­go d’avant le tan­go n’est pas au sens strict du tan­go. À cela se rajoute que les rares enreg­istrements de l’époque ont été réal­isés par voie acous­tique et qu’ils ne sont donc pas du tout adap­tés à nos oreilles con­tem­po­raines.

Voir les pro­grès de l’en­reg­istrement pour plus d’in­for­ma­tions sur l’en­reg­istrement acous­tique.

Vu les lieux où le tan­go était joué et mal­gré la fréquen­ta­tion par des ninos bien (jeunes hommes de bonne famille), le tan­go ne s’est pas fait une place impor­tante en Argen­tine avant d’ac­quérir ses let­tres de noblesse en Europe et notam­ment en France.
Il y a une théorie dif­férente qui se base sur un film réal­isé en 1900 à Buenos Aires par Eugene Py. Le prob­lème est que si Py a bien réalise un film, on ne l’a pas retrou­vé. Un film est con­sid­éré par cer­tains comme le film de Py qui aurait été retrou­vé.

Dans ce film, on voit deux danseurs dans un décor pra­ti­quer une forme de tan­go. Ce film est par­fois qual­i­fié de pre­mier film de tan­go qui cor­re­spondrait à un film enreg­istré en 1900 par Eugène Py. La qual­ité de l’im­age, le vête­ment de la femme, le style de danse font plutôt dater ce film des années 1920. Les par­ti­sans de l’at­tri­bu­tion à Eugène Py indique que le film orig­i­nal a été réal­isé en extérieur, sur la ter­rasse de l’en­tre­prise Casa Lep­age À Buenos Aires. On peut voir qu’i­ci, il s’ag­it d’un décor qui peut avoir été placé en extérieur pour faire croire a un intérieur. Cela sem­ble un peu exagéré pour ce type de film. En admet­tant que ce soit le cas, les danseurs seraient des gens de la haute société. Aus­si, pourquoi servi­raient-ils de fig­u­rants ? Il est plus sim­ple d’imag­in­er que ce sont des danseurs qui jouent un rôle. Donc, si ce film est de 1900 (ce dont je doute), il peut s’a­gir de danseurs fig­u­rants. Si le film est de 1920, il peut s’a­gir de per­son­nes plus for­tunées qui présen­tent leurs per­for­mances de danse. Je pro­pose donc de rester sur les témoignages écrits et nom­breux et de ne pas suiv­re l’hy­pothèse qui ferait de ce film la preuve que le tan­go était dan­sé dans la haute société dès 1900.

Le style du tango, avant le tango… (Prototango)

Avant 1926, date des pre­miers enreg­istrements élec­triques, pas d’enregistrements util­is­ables en danse.

Argañaraz — Orques­ta Típi­ca Criol­la Alfre­do Gob­bi (1913)

Comme vous pou­vez vous en ren­dre compte, le style som­maire et monot­o­ne de la musique est ren­for­cé par l’obligation de jouer de façon assez forte et peu nuancée pour que le pavil­lon puisse graver le sup­port d’enregistrement. On retrou­ve cepen­dant cer­tains élé­ments « Canyengue » que l’on con­naît par les enreg­istrements élec­triques.

Je vous pro­pose à titre d’exemple, Zor­ro gris un enreg­istrement élec­trique de 1927 par Fran­cis­co Canaro.

Zor­ro gris 1927-08-22, Fran­cis­co Canaro (enreg­istrement élec­trique).

La vieille garde (Guardia vieja)

Gob­bi et Canaro, dans la pre­mière par­tie de leur car­rière, sont des représen­tants de ce que l’on a nom­mé la vieille garde. On ne peut pas réduire cela au canyengue, car dès les années 20 des rythmes dif­férents avaient vu le jour. Se détachant pro­gres­sive­ment du style clau­di­cant du canyengue, les orchestres aban­don­nent la habanera, accélèrent le rythme. Des titres en canyengue devi­en­nent des milon­gas, comme par exem­ple : Milon­ga de mis amores, ici dans la ver­sion de Canaro en 1937 et qui a encore des accents de canyengue :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-05-26, Fran­cis­co Canaro

con­traire­ment à la ver­sion de la même année par Pedro Lau­renz :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1937-07-14, Pedro Lau­renz can­ta Héc­tor Far­rel

Ou celle du même de 1944 :

Extrait de Milon­ga de mis amores 1944-01-14, Pedro Lau­renz

Des orchestres anciens évolu­ent, comme Di Sar­li ou d’Arien­zo, notam­ment à l’ar­rivée de Bia­gi dans l’orchestre et on arrive à la grande péri­ode du tan­go, l’âge d’or.

L’âge d’or (Edad de oro)

C’est la péri­ode con­sid­érée comme la plus adap­tée au tan­go de danse. C’est logique, car à l’époque, le tan­go était une danse à la mode et chaque semaine, plusieurs orchestres se pro­dui­saient.

El Mun­do du dimanche 1er octo­bre de 1944. En rouge, les 4 piliers se pro­duisent le même jour (Hoy). En bleu des orchestres de sec­ond plan, tout à fait dans­ables et en vert, des orchestres un peu moins per­ti­nents pour la danse.

On voit l’énorme choix qui s’adressait aux danseurs. Les musi­ciens jouaient ensem­ble plusieurs fois par semaine et il y avait un cli­mat d’émulation pour ne pas dire de com­péti­tion entre les orchestres.

On remar­quera qu’en face de cha­cun des orchestres de tan­go, il y a un orchestre de « Jazz ». En effet, les bals de l’époque jouaient des gen­res var­iés et les orchestres se spé­cial­i­saient.

Cer­tains comme Canaro avaient deux orchestres, ce qui lui per­me­t­tait d’assurer les deux aspects de la soirée. D’ailleurs, Canaro utilise des cuiv­res dans son orchestre de tan­go, il jouait donc de la lim­ite entre les deux for­ma­tions. Vous avez pu écouter cela dans l’ex­trait de Milon­ga de mis amores, ci-dessus.

Chaque orchestre se dis­tin­guait par un style pro­pre. Cer­tains étaient plus intel­lectuels, comme Pugliese ou De Caro, d’autres plus joueurs, comme Rodriguez ou D’Arienzo, d’autres plus roman­tiques, comme Di Sar­li ou Frese­do et d’autres plus urbains, comme Troi­lo.

Aujourd’hui, dans les milon­gas, le DJ s’arrange pour pro­pos­er ces qua­tre ori­en­ta­tions pour éviter la monot­o­nie et con­tenter les dif­férentes sen­si­bil­ités des danseurs.

Même si la pro­duc­tion de l’époque est essen­tielle­ment tournée vers la danse, il y a égale­ment une pro­duc­tion pour l’écoute.

Sur les dis­ques de l’époque, il est facile de faire la dif­férence, notam­ment pour les tan­gos avec chanteur. En effet, un tan­go à danser est indiqué : Nom de l’orchestre can­ta ou estri­bil­lo can­ta­do por Nom du chanteur. Un tan­go à écouter est indiqué Nom du chanteur y su orques­ta dirigi­do por ou con (avec) Nom de l’orchestre.

Nous n’entrerons pas dans les détails en ce qui con­cerne les styles des orchestres de l’âge d’or, cela fait l’objet d’un de mes cycles de cours/conférence (mini 3 h, voire 6 h). Il con­vient seule­ment de savoir recon­naître le tan­go de danse et de savoir appréci­er les dif­férences de style entre les orchestres.

Pour les DJ, il est impor­tant de tenir compte de l’évolution des styles du même orchestre. Il est sou­vent moins grave de mélanger deux orchestres enreg­istrés à la même époque que de mélanger deux enreg­istrements d’époques styl­is­tique­ment dif­férentes du même orchestre.

Tango Nuevo

C’est celui ini­tié par De Caro, repris ensuite par Troi­lo, Pugliese et Piaz­zol­la, par exem­ple. Il est encore très vivant, notam­ment chez les orchestres de con­cert.

À not­er que Pugliese et Troi­lo sont bien sûr des piliers du tan­go de bal et que leurs incur­sions nuevos, pas tou­jours pour la danse, ne doivent pas mas­quer leur impor­tance dans le bal tra­di­tion­nel.

N’oublions pas que Pugliese a aus­si bien enreg­istré du canyengue, que du tan­go clas­sique avant de faire du Nue­vo… Curieuse­ment, le tan­go dit nue­vo reprend sou­vent des motifs les plus anciens, notam­ment la habanera des tout pre­miers titres du XIXe siè­cle.

Tango Electronico

Style Gotan Project. Il se car­ac­térise prin­ci­pale­ment par une bat­terie et l’utilisation d’instruments élec­tron­iques. Curieuse­ment, il est par­fois assez proche, d’un point de vue ryth­mique, du tan­go musette qui est l’évolution européenne et notam­ment fran­co-ital­i­enne, du tan­go du début du XXe siè­cle.

Comme DJ, j’évite et en tout cas je n’en abuse pas, car cette musique est très répéti­tive et ne con­vient pas aux danseurs avancés. Cepen­dant, il faut recon­naître que cette musique a fait venir de nou­veaux adeptes au tan­go.

Tango alternatif (neotango)

Le tan­go alter­natif con­siste à danser avec des repères « tan­go » sur des musiques qui ne sont absol­u­ment pas conçues comme telles.

Par exem­ple, la Cole­giala de Ramirez est un tan­go alter­natif, puisqu’on le danse en “milon­ga” alors que c’est un fox-trot.

Cer­tains DJ européens pla­cent des zam­bas que les danseurs dansent en tan­go. Quel dom­mage quand on sait la beauté de la danse.

N’oublions pas la dynamique « néotan­go » qui con­siste à danser sur toute musique, chan­son, de tout style et de toute époque. Cela ouvre des hori­zons immenses, car la très grande majorité de la musique actuelle est à 4 temps et per­met donc de marcher sur les temps.

Ce qui manque sou­vent à cette musique, c’est le sup­port à l’improvisation. On peut lui recon­naître une forme de créa­tiv­ité dans la mesure où elle per­met / oblige de sor­tir des repères et donc d’in­nover. Mais est-t-il vrai­ment pos­si­ble d’in­nover en tan­go ? C’est un autre débat.

Pourquoi l’âge d’or est bien adapté à la danse

Si on étudie un tan­go de l’âge d’or, on y décou­vri­ra plusieurs qual­ités favorisant la danse :

  • La musique a plusieurs plans sonores. On peut choisir de danser sur un instru­ment (dont le chanteur), puis pass­er à un autre. On peut aus­si choisir de danser unique­ment la mar­ca­tion (tem­po). Les instru­ments se répon­dent. On peut ain­si se répar­tir les rôles avec les parte­naires en recon­sti­tu­ant le dia­logue en le dansant.
  • La musique se répète plusieurs fois, mais avec des vari­a­tions. Cela per­met de décou­vrir le tan­go au cas où il ne serait pas con­nu et la sec­onde fois, l’oreille est plus famil­ière et l’improvisation est plus con­fort­able. Cette reprise est en général dif­férente de la pre­mière expo­si­tion, mais reste tout à fait com­pa­ra­ble. Par exem­ple, la pre­mière fois le thème est joué au vio­lon ou au ban­donéon et la sec­onde fois, c’est le rôle du chanteur ou d’un autre instru­ment. Si c’est le même instru­ment, il y aura de légères dif­férences dans l’orchestration qui ren­dra l’écoute moins monot­o­ne.
  • Les change­ments de rythme, phras­es, par­ties, sont annon­cés. Un danseur musi­cien ou exer­cé sait recon­naître les par­ties et peut « devin­er » ce qui va suiv­re, ce qui lui per­met d’improviser plus facile­ment sans dérouter sa parte­naire. Je devrais plutôt met­tre cela au pluriel, car les deux mem­bres du cou­ple par­ticipent à l’improvisation. Si la per­son­ne guidée a envie d’appuyer, de mar­quer un élé­ment qui va arriv­er, elle a le temps d’alerter le guideur pour qu’il lui laisse un espace. Les musiques alter­na­tives ou des musiques d’inspiration pus clas­siques, comme cer­taines com­po­si­tions de Piaz­zol­la » pro­posent sou­vent des sur­pris­es qui font qu’elles ne per­me­t­tent pas de devin­er la suite, ou au con­traire, sont telle­ment répéti­tives, que quand revient le même thème de façon iden­tique et mécanique, les danseurs n’ont pas de nou­velles idées et finis­sent par tomber dans une rou­tine. Évidem­ment, les danseurs qui n’écoutent pas la musique et qui se con­tentent de dérouler des choré­gra­phies ne ver­ront pas de dif­férences entre les dif­férents types de tan­go. Ceci explique le suc­cès des pra­tiques neotan­go auprès des débu­tants, même si ces bals ont aus­si du suc­cès auprès de danseurs plus affir­més. En revanche, on ne fera jamais danser, même sous la men­ace, un Portègne sur ce type de musique, en tout cas, en tan­go…

Ne faut-il danser que sur des tangos de l’âge d’or ?

Non, bien sûr que non. Les canyengues et la vieille garde com­por­tent des titres sub­limes et très amu­sants ou intéres­sants à danser. Cer­tains danseurs sont prêts à danser plusieurs heures d’af­filée sur ces rythmes. Cepen­dant, un DJ qui passerait ce genre de musique de façon un peu soutenue à Buenos Aires se ferait écharp­er…

Quelques musiques mod­ernes don­nent des idées agréables à danser. Pour ma part, je pro­pose sou­vent une tan­da de valses « orig­i­nales ». Le rythme à trois temps de la valse reste le même que pour les tan­gos tra­di­tion­nels et le besoin d’improvisation est moins impor­tant, car il s’agit surtout de… tourn­er.

Même si les danseurs avancés aiment moins danser sur les d’Arienzo des années 50 ou postérieures, ils n’y rechig­nent pas tou­jours et l’énergie de ces musiques plaît à de très nom­breux danseurs. C’est donc un domaine à pro­pos­er aux danseurs. D’ailleurs, les orchestres qui font à la manière de du d’Arienzo sont par­ti­c­ulière­ment nom­breux. C’est bien le signe que c’est tou­jours dans l’air du temps.

Pour ter­min­er, je pré­cise que je suis DJ et que par con­séquent, mon tra­vail est de ren­dre les danseurs heureux. J’adapte donc la musique à leur sen­si­bil­ité.

Pour un DJ rési­dent, en revanche, il est impor­tant d’ouvrir les oreilles des habitués. Dans cer­tains endroits, le DJ met tou­jours le même type de musique, pas for­cé­ment de la meilleure qual­ité pour la danse. Le prob­lème est qu’il habitue les danseurs à ce type de musique et que quand ces derniers vont aller dans un autre endroit, ils vont être déroutés par la musique.

L’innovation, c’est bien, mais il me sem­ble qu’il faut tou­jours garder un fond de cul­ture « authen­tique » pour que le tan­go reste du tan­go.