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Prisionero 1943-08-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Alberto Amor

Julio Carressons Letra: Carlos Bahr (Carlos Andrés Bahr)

Au sujet de cette valse bien sym­pa­thique, avec une intro­duc­tion un peu plus longue que la moyenne, je pen­sais faire un petit encart sur le dia­pa­son, jus­ti­fié par le change­ment effec­tué à cette époque par Bia­gi. À cause des réac­tions sur le sujet, je vais me con­cen­tr­er sur le dia­pa­son pour cette anec­dote. Nous voilà prêts à accorder nos vio­lons…

Extrait musical et autre version

Je vous donne ici, les deux prin­ci­paux enreg­istrements de cette valse. Celui de Bia­gi qui précède de quelques mois, celui de D’Arienzo.

Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Alber­to Amor

D’un point de vue tech­nique, cet enreg­istrement est sans doute le dernier enreg­istré avec le dia­pa­son à 435Hz. Par la suite, l’orchestre de Bia­gi s’accordera à 440Hz.
Pour l’enregistrement de D’Arienzo, c’est 20 jours après le pre­mier enreg­istrement en 440Hz par Bia­gi. D’Arienzo a‑t-il changé en même temps, avant, après ? Si c’est impor­tant pour vous, vous avez la réponse… Sinon, écou­tons plutôt les dif­férences styl­is­tiques entre les deux ver­sions, c’est plus pas­sion­nant à mon goût.

Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré.

On remar­que tout de suite que D’Arienzo a sauté la longue intro­duc­tion de Bia­gi. C’est clas­sique chez D’Arienzo qui aime bien ren­tr­er directe­ment dans le feu de la danse.
Le rythme est en revanche plus lent. Mal­gré l’absence des 21 sec­on­des d’introduction de la ver­sion de Bia­gi, la ver­sion de D’Arienzo fait 6 sec­on­des de plus. S’il avait joué au même rythme que Bia­gi, sa ver­sion aurait total­isé 21 sec­on­des de moins. Ce sont donc 27 sec­on­des de dif­férence, c’est beau­coup et beau­coup plus que le pas­sage de 435 à 440 Hz dans la dif­férence de sen­sa­tion 😉

Petit jeu

Je me suis « amusé » à trafi­quer les deux enreg­istrements de la façon suiv­ante :

  • J’ai enlevé l’introduction de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-08-24 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Alber­to Amor (SIN INTRO)
  • J’ai accéléré la ver­sion de D’Arienzo pour la met­tre au même rythme que celle de Bia­gi.
Pri­sionero 1943-12-27 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Héc­tor Mau­ré (ACCÉLÉRÉE)

Vous pou­vez donc com­par­er les deux ver­sions à la même cadence. C’est bien sûr un petit sac­rilège, car D’Arienzo a volon­taire­ment enreg­istré une ver­sion plus lente, mais cela me sem­ble intéres­sant pour bien sen­tir les dif­férences d’orchestrations sur la même par­ti­tion.

  • Et comme je ne suis pas avare de fan­taisies, je vous pro­pose main­tenant une ver­sion mixte com­prenant la ver­sion de Bia­gi sans l’introduction dans le canal de gauche et la ver­sion de D’Arienzo accélérée dans le canal de droite. On remar­quera que le mélange n’est pas si déton­nant. Pour bien saisir, il est préférable d’écouter sur un sys­tème stéréo, voire au casque.
Pri­sionero. Com­para­i­son des deux ver­sions à la même vitesse et syn­chro­nisées.

Pri­sionero. Ver­sion de Bia­gi sans intro­duc­tion, dans le canal de gauche. Ver­sion de D’Arienzo accélérée, dans le canal de droite.

Si vous avez appré­cié le petit jeu, vous pou­vez avoir un autre par­ti­c­uli­er dans le dernier chapitre de cette anec­dote, sur les dia­pa­sons. Un truc qui régale cer­tains spé­cial­istes, ce que je ne suis pas.

Paroles

Libre es el vien­to
Que doma la dis­tan­cia,
Baja a los valles
Y sube a las mon­tañas.
Libre es el agua
Que se despeña y can­ta,
Y el pájaro fugaz
Que surge de ver
Una azul inmen­si­dad…

Libre es el potro
Que al vien­to la mele­na,
Huele a las flo­res
Que es mata en la pradera.
Libre es el cón­dor
Señor de su cimera,
Yo que no sé olvi­dar
Escla­vo de un dolor
No ten­go lib­er­tad…

Loco y cau­ti­vo
Car­ga­do de cade­nas,
Mi oscu­ra cár­cel
Me mata entre sus rejas.
Soy pri­sionero
De incur­able pena,
Pre­so al recuer­do
De mi per­di­do bien.

Nada me pri­va
De andar por donde quiero,
Pero no puedo
Librarme del dolor.
Y pese a todo
Soy pri­sionero,
De los recuer­dos
Que guar­da el corazón.
Julio Car­res­sons Letra: Car­los Bahr (Car­los Andrés Bahr)

Traduction libre

Libre est le vent qui dompte la dis­tance, descend dans les val­lées et grav­it les mon­tagnes.
Libre est l’eau qui tombe et chante, et l’oiseau fugace qui émerge de la vue d’une immen­sité bleue…
Libre est le poulain qui dans le vent a sa crinière, sent les fleurs qui poussent dans le pré (mata est une plante de faible hau­teur, arbuste ou plus petit. J’ai traduit par pouss­er, mais il y a peut-être mieux à faire…).
Libre est le con­dor, seigneur de son som­met, moi qui ne sais pas oubli­er, esclave d’une douleur, je n’ai pas de lib­erté…
Fou et cap­tif, chargé de chaînes, ma prison som­bre me tue der­rière les bar­reaux. (Mata, s’écrit de la même façon, mais ici, c’est le verbe tuer. C’est un dis­cret jeu de mots).
Je suis pris­on­nier d’un cha­grin incur­able, empris­on­né dans la mémoire de mon bien per­du.
Rien ne m’empêche de marcher où je veux, mais je n’ar­rive pas à me libér­er de la douleur.
Et mal­gré tout, je suis pris­on­nier des sou­venirs que le cœur garde.

Mettons-nous au diapason…

Le dia­pa­son est la fréquence de référence qui per­met que tous les musi­ciens d’un orchestre jouent de façon har­monieuse.
Vous avez en tête les séances d’accordage qui précè­dent une presta­tion.
Le principe est sim­ple. On prend pour référence l’instrument le moins accord­able rapi­de­ment, par exem­ple le piano qui est accordé avant le con­cert, car avec près de 250 cordes à régler, l’opération prend du temps.
En l’absence de piano, les orchestres clas­siques se calent sur le haut­bois, celui du « pre­mier haut­bois ». Ensuite, ses voisins, les autres instru­ments à vent, s’accordent sur lui, puis c’est le tour des cordes.
Je vous pro­pose cette superbe vidéo qui met en scène le principe. On remar­quera que c’est bien le haut­bois qui y donne le La3.

Instal­la­tion inter­ac­tive “Sous-ensem­ble” de Thier­ry Fournier — Enreg­istrement de l’ac­cord pour chaque instru­ment.

La note de référence doit pou­voir être jouée par tous les instru­ments. Dans les con­certs où il y a des instru­ments anciens, on est par­fois obligé d’accorder plus grave pour éviter d’avoir une ten­sion exagérée des cordes sur des instru­ments frag­iles.
En général, cela est défi­ni à l’avance et on accorde le piano en con­séquence avant le con­cert.
La note de référence est générale­ment un La, le La3 (situé entre la deux­ième et la troisième ligne de la portée en clef de sol). Au piano, c’est celui qui tombe naturelle­ment sous la main droite, vers le milieu du clavier. Sur les vio­lons et altos, c’est la sec­onde corde, corde dont la cheville de réglage est en haut à droite en regar­dant le vio­lon de face. Les musi­ciens jouent donc cette corde à vide, jusqu’à ce qu’elle résonne comme la note de référence émise. Les autres cordes sont accordées par l’instrumentiste lui-même par com­para­i­son avec la corde de référence. Mais vous avez sans doute regardé la vidéo précé­dente et vous savez tout cela.
Dans le cas du tan­go, le piano est générale­ment la base, mais quand c’est pos­si­ble, on se cale sur le ban­donéon qui n’est pas accord­able pour régler le piano.
En effet, la note de référence, si c’est en principe tou­jours le La3, n’a pas la même hau­teur selon les épo­ques et les régions.

Le débat sur le diapason musical uniforme au dix-neuvième siècle

Je vous pro­pose trois élé­ments pour juger du débat qui ani­me tou­jours les musi­ciens d’aujourd’hui… C’est un exem­ple français, mais à voca­tion large­ment européenne par les élé­ments traités et l’accueil fait aux deman­des de la com­mis­sion ayant établi le rap­port.

  • Un rap­port étab­lis­sant des con­seils pour l’établissement d’un dia­pa­son musi­cal uni­forme.

Les mem­bres de la com­mis­sion étaient :
Jules Bernard Joseph Pel­leti­er, con­seiller d’É­tat, secré­taire général du min­istère d’É­tat, prési­dent de la com­mis­sion ;
Jacques Fro­men­tal Halévy, mem­bre de l’Institut, secré­taire per­pétuel de l’A­cadémie des beaux-arts, rap­por­teur de la com­mis­sion ;
Daniel-François-Esprit Auber, mem­bre de l’Institut, directeur du Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hec­tor Berlioz, mem­bre de l’In­sti­tut ;
Man­suete César Despretz, mem­bre de l’In­sti­tut, pro­fesseur de physique à la Fac­ulté des sci­ences.
Camille Doucet, chef de la divi­sion des théâtres au min­istère d’É­tat ;
Jules Antoine Lis­sajous, pro­fesseur de physique au lycée Saint-Louis, mem­bre du con­seil de la Société d’en­cour­age­ment pour l’in­dus­trie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’or­gan­i­sa­tion des musiques mil­i­taires ;
Désiré-Guil­laume-Édouard Mon­nais, com­mis­saire impér­i­al près les théâtres lyriques et le Con­ser­va­toire ;
Gia­co­mo Meyer­beer, com­pos­i­teur alle­mand, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1871 ;
Gioachi­no Rossi­ni, Com­pos­i­teur ital­ien, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1872 ;
Ambroise Thomas, com­pos­i­teur français et mem­bre de l’In­sti­tut.

  • Le décret met­tant en place ce dia­pa­son uni­forme.
  • Les cri­tiques con­tre le dia­pa­son uni­forme…

On voit donc que l’histoire est un éter­nel recom­mence­ment et que les pinail­lages actuels n’en sont que la con­ti­nu­ité…

Vous pou­vez accéder à l’ensemble des textes, ici (12 pages)

Pour les plus pressés, voici un extrait sous forme de tableaux qui vous per­me­t­tront de con­stater la var­iété des dia­pa­sons, leur évo­lu­tion et donc la néces­sité de met­tre de l’ordre et notam­ment de frein­er le mou­ve­ment vers un dia­pa­son plus aigu.
Les valeurs indiquées dans ce tableau sont en « vibra­tions ». Il faut donc divis­er par deux pour avoir la fréquence en Hertz. Ain­si, le dia­pa­son de Paris indiqué 896 cor­re­spond à 448 Hz.

Tableau des dia­pa­sons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du dia­pa­son au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rap­port présen­té à S. Exc. Le min­istre d’État par la com­mis­sion chargée d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme (Arrêté du 17 juil­let 1858) — Paris, le 1er févri­er 1859.

Compléments sur le diapason

Si vous n’avez pas con­sulté le doc­u­ment de 12 pages, il est encore temps de vous y référ­er, il est juste au-dessus des tableaux… Vous pou­vez le charg­er en PDF pour le lire plus facile­ment.

Si vous voulez enten­dre la dif­férence entre le dia­pa­son à 435 Hz et celui à 440 Hz, je vous pro­pose cette vidéo.

Dia­pa­son 435 Hz et 440 Hz.

Sur l’histoire du dia­pa­son, cet arti­cle sig­nalé par l’ami Jean Lebrun.

https://www.radiofrance.fr/francemusique/accord-et-desaccord-la-guerre-du-la-6695782

Sur la ques­tion du dia­pa­son et de la vitesse en tan­go, je vous pro­pose ce court arti­cle que j’avais écrit.

Et un arti­cle bien plus com­plet, mais en anglais de Michael Lav­oc­ah sig­nalé par Angela.

Sur la question du choix du diapason au dix-neuvième siècle

Choisir le bon dia­pa­son quand on restau­re des dis­ques anciens peut avoir son util­ité. Cepen­dant, c’est une véri­ta­ble jun­gle et aujour­d’hui encore, les DJ, édi­teurs de musique et même les musi­ciens con­tin­u­ent de se quereller au sujet de ce fameux dia­pa­son.
Pour vous amuser, je vous pro­pose d’en­tr­er dans un débat qui a eu lieu en 1859…

Pour vous faciliter la lec­ture, vous pou­vez aus­si télécharg­er le texte inté­gral au for­mat PDF (en fin de cet arti­cle).

Entrons dans le débat…

Je vous pro­pose trois élé­ments pour juger du débat qui ani­me tou­jours les musi­ciens d’aujourd’hui… C’est un exem­ple français, mais à voca­tion large­ment européenne par les élé­ments traités et l’accueil fait aux deman­des de la com­mis­sion ayant établi le rap­port.

  1. Un rap­port étab­lis­sant des con­seils pour l’établissement d’un dia­pa­son musi­cal uni­forme.
  2. Le décret met­tant en place ce dia­pa­son uni­forme.
  3. Les cri­tiques con­tre le dia­pa­son uni­forme…

Rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme

Paris, le 1er févri­er 1859

Mon­sieur le min­istre,

Vous avez chargé une com­mis­sion « de rechercher les moyens d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme, de déter­min­er un étalon sonore, qui puisse servir de type invari­able, et d’indiquer les mesures à pren­dre pour en assur­er l’adoption et la con­ser­va­tion.

Votre arrêté était fondé sur ces con­sid­éra­tions :

« Que l’élévation tou­jours crois­sante du dia­pa­son présente des incon­vénients dont l’art musi­cal, les com­pos­i­teurs de musique, les artistes et les fab­ri­cants d’instruments ont égale­ment à souf­frir ; et que la dif­férence qui existe entre les dia­pa­sons des divers pays, des divers étab­lisse­ments musi­caux et des divers­es maisons de fac­ture est une source con­stante d’embarras pour la musique d’ensemble, et de dif­fi­cultés dans les rela­tions com­mer­ciales. »

La com­mis­sion a ter­miné son tra­vail. Elle vous doit compte de ses opéra­tions, de la marche qu’elle a suiv­ie ; elle soumet à l’appréciation de Votre Excel­lence le résul­tat auquel elle est arrivée.

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Cette com­mis­sion était com­posée de :

Jules Bernard Joseph Pel­leti­er, con­seiller d’État, secré­taire général du min­istère d’État, prési­dent de la com­mis­sion ;
Jacques Fro­men­tal Halévy, mem­bre de l’Institut, secré­taire per­pétuel de l’Académie des beaux-arts, rap­por­teur de la com­mis­sion ;
Daniel-François-Esprit Auber, mem­bre de l’Institut, directeur du Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hec­tor Berlioz, mem­bre de l’Institut ;
César-Man­suète Despretz, mem­bre de l’Institut, pro­fesseur de physique à la Fac­ulté des sci­ences.
Camille Doucet, chef de la divi­sion des théâtres au min­istère d’État ;
Jules Antoine Lis­sajous, pro­fesseur de physique au lycée Saint-Louis, mem­bre du con­seil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques mil­i­taires ;
Désiré-Guil­laume-Édouard Mon­nais, com­mis­saire impér­i­al près les théâtres lyriques et le Con­ser­va­toire ;
Gia­co­mo Meyer­beer, com­pos­i­teur alle­mand, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1871 ;
Gioachi­no Rossi­ni, Com­pos­i­teur ital­ien, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1872 ;
Ambroise Thomas, com­pos­i­teur français et mem­bre de l’Institut.
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I

Il est cer­tain que dans le cours d’un siè­cle, le dia­pa­son s’est élevé par une pro­gres­sion con­stante. Si l’étude des par­ti­tions de Gluck ne suff­i­sait pas à démon­tr­er, par la manière dont les voies sont dis­posées, que ces chefs‑d’œuvre ont été écrits sous l’influence d’un dia­pa­son beau­coup moins élevé que le nôtre, le témoignage des orgues con­tem­po­raines en fourni­rait une preuve irré­cus­able. La com­mis­sion a voulu d’abord se ren­dre compte de ce fait sin­guli­er, et de même qu’un médecin pru­dent s’efforce de remon­ter aux sources du mal ayant d’essayer de le guérir, elle a voulu rechercher, ou au moins exam­in­er les caus­es qui avaient pu amen­er l’exhaussement du dia­pa­son. On pos­sède les élé­ments néces­saires pour éval­uer cet exhausse­ment. Les orgues dont nous avons par­lé accusent une dif­férence d’un ton au-dessous du dia­pa­son actuel. Mais ce dia­pa­son si mod­éré ne suff­i­sait pas à la pru­dence de l’Opéra de cette époque : Rousseau, dans son dic­tio­n­naire de musique (arti­cle Ton), dit que le ton de l’Opéra à Paris était plus bas que le ton de chapelle. Par con­séquent, le dia­pa­son, ou plutôt le ton de l’Opéra était, au temps de Rousseau, de plus d’un ton inférieur au dia­pa­son d’aujourd’hui.

Cepen­dant les chanteurs de ce temps, au rap­port de beau­coup d’écrivains, forçaient leur voix. Soit défaut d’études, soit défaut de goût, soit désir de plaire au pub­lic, ils cri­aient. Ces chanteurs, qui trou­vaient moyen de crier si fort avec un dia­pa­son si bas, n’avaient aucun intérêt à deman­der un ton plus élevé, qui aurait exigé de plus grands efforts ; et, en général, à nulle époque, dans aucun pays, aujourd’hui comme alors, jamais le chanteur, qu’il chante bien ou mal, n’a d’intérêt à ren­con­tr­er un dia­pa­son élevé, qui altère sa voix, aug­mente sa fatigue, et abrège sa car­rière théâ­trale. Les chanteurs sont donc hors de cause, et l’élévation du dia­pa­son ne peut leur être attribuée.

Les com­pos­i­teurs, quoi qu’aient pu dire ou penser des per­son­nes qui n’ont pas des choses de la musique, une idée bien nette, ont un intérêt tout con­traire à l’élévation du dia­pa­son. Trop élevé, il les gêne. Plus le dia­pa­son est haut, et plus tôt le chanteur arrive aux lim­ites de sa voix dans les cordes aiguës ; le développe­ment de la phrase mélodique est donc entravé plutôt que sec­ondé. Le com­pos­i­teur a dans sa tête, dans son imag­i­na­tion, on peut dire dans son cœur, le type naturel des voix. La phrase qu’il écrit lui est dic­tée par un chanteur que lui seul entend, et ce chanteur chante tou­jours bien. Sa voix, sou­ple, pure, intel­li­gente et juste, est fixée d’après un dia­pa­son mod­éré et vrai qui habite l’oreille du com­pos­i­teur. Le com­pos­i­teur a donc tout avan­tage à se mou­voir dans une gamme com­mode aux voix, qui le laisse plus libre, plus maître des effets qu’il veut pro­duire, et sec­onde ain­si son inspi­ra­tion. Et d’ailleurs, quel moyen pos­sède-t-il d’élever le dia­pa­son ? Fab­rique-t-il, fait-il fab­ri­quer ces petits instru­ments per­fides, ces bous­soles qui égar­ent ? Est-ce lui qui vient don­ner le la aux orchestres et nous n’avons jamais appris ou enten­du dire qu’un mae­stro, mécon­tent de la trop grande réserve d’un dia­pa­son, en ait fait fab­ri­quer un à sa con­ve­nance, un dia­pa­son per­son­nel, à l’effet d’élever le ton d’un orchestre tout entier. Il ren­con­tr­erait mille résis­tances, mille impos­si­bil­ités. Non, le com­pos­i­teur ne crée pas le dia­pa­son, il le subit. On ne peut donc non plus l’accuser d’avoir excité la marche ascen­sion­nelle de la tonal­ité.

Remar­quons que cette marche ascen­sion­nelle, en même temps qu’elle a été con­stante, a été générale ; qu’elle ne s’est pas bornée à la France ; que les Alpes, les Pyrénées, l’Océan n’y ont pas fait obsta­cle. Il ne faut donc pas, comme nous l’avons enten­du faire, en accuser spé­ciale­ment la France, qu’on charge assez volon­tiers des méfaits qui se pro­duisent de temps à autre dans le monde musi­cal. Notre pays n’a eu que sa part dans cette grande inva­sion du dia­pa­son mon­tant, et s’il était com­plice du mal, il en était en même temps vic­time. Les caus­es de cette inva­sion, qui agis­saient partout avec suite, ensem­ble, per­sévérance, on pour­rait dire avec prémédi­ta­tion, ne sauraient être ni acci­den­telles, ni par­ti­c­ulières à un pays. Elles devaient tenir à un principe déter­mi­nant, à un intérêt. En ver­tu d’un axiome bien con­nu, il faut donc rechercher ceux qui avaient un intérêt évi­dent à surélever ain­si le la qu’e­spéraient nous léguer nos ancêtres. Ceux qui fab­riquent ou font fab­ri­quer les dia­pa­sons, voilà les auteurs, les maîtres de la sit­u­a­tion. Ce sont les fac­teurs d’in­stru­ments, et on com­prend qu’ils ont à élever le dia­pa­son, un intérêt légitime et hon­or­able. Plus le ton sera élevé, plus le son sera bril­lant. Le fac­teur ne fab­ri­quera donc pas tou­jours ses instru­ments d’après le dia­pa­son ; il fera quelque­fois son dia­pa­son d’après l’in­stru­ment qu’il aura jugé sonore et écla­tant. Car il se pas­sionne pour la sonorité, qui est la fin de son œuvre, et il cherche sans cesse à aug­menter la force, la pureté, la trans­parence de voix qu’il sait créer. Le bois qu’il façonne, le métal qu’il forge, obéis­sant aux lois de la réso­nance, pren­dront des tim­bres intel­li­gents, qu’un· artiste habile, et quelque­fois inspiré, ani­mera bien­tôt de son archet, de son souf­fle, de son doigté, léger, sou­ple ou puis­sant. L’in­stru­men­tiste et le fac­teur sont donc deux alliés, leurs intérêts se com­bi­nent et se sou­ti­en­nent. Intro­duits à l’orchestre, ils le domi­nent, ils y règ­nent, et l’en­traî­nent facile­ment vers les hau­teurs où ils se plaisent. En effet, l’orchestre est à eux, ou plutôt ils sont l’orchestre, et c’est l’in­stru­men­tiste qui, en don­nant le ton, règle, sans le vouloir, les études, les efforts, les des­tinées du chanteur.

La grande sonorité acquise aux instru­ments à vent trou­va bien­tôt une appli­ca­tion directe, et en reçut un essor plus grand encore. La musique, qui se prête à tout et prend partout sa place, marche avec les rég­i­ments ; elle chante aux sol­dats ces airs qui les ani­ment et leur rap­pel­lent la patrie. Il faut alors qu’elle résonne haut et ferme, et que sa voix reten­tisse au loin. Les corps de musique mil­i­taire, s’emparant du dia­pa­son pour l’élever encore, propagèrent dans toute l’Eu­rope le mou­ve­ment qui l’en­traî­nait sans cesse.

Mais aujour­d’hui la musique mil­i­taire pour­rait, sans rien crain­dre, descen­dre quelque peu de ce dia­pa­son qu’elle a surex­cité. Sa fierté n’en souf­frirait pas, ses fan­fares ne seraient ni moins mar­tiales, ni moins écla­tantes. Le grand nom­bre d’in­stru­ments de cuiv­re dont elle dis­pose main­tenant lui ont don­né plus de corps, plus de fer­meté, et un relief à la fois solide et bril­lant qui lui man­quait autre­fois. Espérons d’ailleurs que de nou­veaux pro­grès dans la fac­ture affranchi­ront bien­tôt cer­tains instru­ments d’en­trav­es regret­ta­bles, et leur ouvriront l’ac­cès des rich­es tonal­ités qui leur sont inter­dites. L’honor­able général qui représente dans la com­mis­sion l’or­gan­i­sa­tion des corps de musique sec­on­derait de tous ses efforts cette amélio­ra­tion désir­able, ce pro­grès véri­ta­ble, qui apporterait aux orchestres mil­i­taires des ressources nou­velles, et vari­erait l’é­clat de leur sonorité.

Nous croyons avoir établi, mon­sieur le min­istre, que l’élé­va­tion du dia­pa­son est due aux efforts de l’in­dus­trie et de l’exé­cu­tion instru­men­tales ; que ni les com­pos­i­teurs ni les chanteurs n’y ont par­ticipé en rien. La musique religieuse, la musique dra­ma­tique ont subi le mou­ve­ment sans pou­voir s’en défendre, ou sans chercher à s’y dérober. On pour­rait donc, dans une cer­taine mesure, abaiss­er le dia­pa­son, avec la cer­ti­tude de servir les véri­ta­bles, les plus grands intérêts de l’art.

II

Nous avions l’as­sur­ance que ce fait de l’élé­va­tion tou­jours crois­sante du dia­pa­son ne s’é­tait pas pro­duit en France seule­ment, que le monde musi­cal tout entier avait subi cet entraîne­ment, mais il fal­lait en acquérir des preuves authen­tiques ; il fal­lait aus­si savoir dans quelle mesure, à quels degrés dif­férents s’é­tait fait sen­tir cette influ­ence dans les divers pays, dans les cen­tres prin­ci­paux. Nous avons donc pen­sé, mon­sieur le min­istre, que, pour men­er à bonne fin l’é­tude que votre Excel­lence nous avait con­fiée, il fal­lait com­mencer par nous ren­seign­er au dehors et autour de nous, inter­roger les chefs des étab­lisse­ments impor­tants en France et à l’é­tranger, pren­dre con­nais­sance de l’é­tat général du dia­pa­son, faire en un mot une sorte d’en­quête. Cette con­duite nous était d’ailleurs tracée par l’ar­rêté même qui nous institue, dans lequel vous sig­nalez avec juste rai­son « la dif­férence qui existe entre les dia­pa­sons des divers pays comme une source con­stante d’embarras. »

Nous nous sommes donc adressés sous vos aus­pices, et par l’or­gane de notre prési­dent, partout où il y a l’opéra, un grand étab­lisse­ment musi­cal, dans les villes où l’art est cul­tivé avec amour, avec suc­cès, pra­tiqué avec éclat, et qu’on peut nom­mer les cap­i­tales de la musique, deman­dant qu’on voulût bien nous ren­seign­er sur la marche du ton, nous envoy­er les dia­pa­sons en usage aujour­d’hui, et d’an­ciens dia­pa­sons, s’il était pos­si­ble, pour en mesur­er exacte­ment l’é­cart. En même temps, nous deman­dions aux hommes éclairés à qui nous nous adres­sions de_ nous faire con­naître leur opin­ion, sur l’é­tat actuel du dia­pa­son, et leurs dis­po­si­tions favor­ables ou con­traires à un abaisse­ment. à une mod­éra­tion dans le ton. La musique est un art d’ensem­ble, une sorte de langue uni­verselle. Toutes les nation­al­ités dis­parais­sent devant l’écri­t­ure musi­cale, puisqu’une nota­tion unique suf­fit à tous les peu­ples, puisque des signes, partout les mêmes, représen­tent les sons qui dessi­nent la mélodie ou se groupent en accords, les rythmes qui mesurent le temps, les nuances qui col­orent la pen­sée ; le silence même s’écrit dans cet alpha­bet prévoy­ant. N’est-il pas désir­able qu’un dia­pa­son uni­forme et désor­mais invari­able vienne ajouter un lien suprême à celte com­mu­nauté intel­li­gente, et qu’un la, tou­jours le même, réson­nant sur toute la sur­face du globe avec les mêmes vibra­tions, facilite les rela­tions musi­cales et les rende plus har­monieuses encore ?

C’est dans ce sens que nous avons écrit en Alle­magne, en Angleterre, en Bel­gique, en Hol­lande, en Ital­ie, jusqu’en Amérique, et nos cor­re­spon­dants nous ont envoyé des répons­es con­scien­cieuses, des ren­seigne­ments utiles, des sou­venirs intéres­sants. Quelques-uns nous adres­saient d’an­ciens dia­pa­sons âgés d’un demi-siè­cle, aujour­d’hui dépassés ; d’autres des dia­pa­sons con­tem­po­rains, var­iés dans leur into­na­tion. Tous, recon­nais­sant et repous­sant l’ex­agéra­tion actuelle, nous envoy­aient leur cor­diale adhé­sion. Trois d’en­tre eux, nos com­pa­tri­otes 1, tout en partageant l’opin­ion générale, deman­dent, il est vrai, qu’on fixe le dia­pa­son à l’é­tat actuel de celui de Paris, mais c’est pour l’ar­rêter dans sa pro­gres­sion ascen­dante, et eu faire un obsta­cle à de nou­veaux envahisse­ments : obsta­cle impuis­sant, à notre avis, qui pro­tège le mal, l’op­pose à lui-même, et le con­sacre au lieu de le détru­ire. Les autres sont unanimes à désir­er un dia­pa­son moins élevé, uni­forme, inaltérable, véri­ta­ble dia­pa­son inter­na­tion­al, autour duquel viendraient se ral­li­er, dans un accord invari­able, chanteurs, instru­men­tistes, fac­teurs de tous les pays. La plu­part de nos cor­re­spon­dants étrangers joignent à leur appro­ba­tion l’éloge de l’ini­tia­tive : » Je vous dois des remer­ciements, nous écrit-on, pour la cause impor­tante que vous avez entre­pris de plaider : il est bien temps d’ar­rêter les dérè­gle­ments aux­quels on se laisse emporter. »

  • J’adopte la somme entière de vos sages réflex­ions, nous dit un autre maître de chapelle des plus dis­tin­gués, en espérant que toute l’Eu­rope applaudi­ra vive­ment à la com­mis­sion insti­tuée par S. Exc. Je min­istre d’É­tat, à l’ef­fet d’établir un dia­pa­son uni­forme. La grande élé­va­tion du dia­pa­son détru­it et efface l’ef­fet et le car­ac­tère de la musique anci­enne, des chefs-d’œu­vre de Mozart, Gluck, Beethoven.
  • Je ne doute pas, écrit-on encore, que la com­mis­sion ne réus­sisse dans celle ques­tion impor­tante. Ce sera un nou­veau ser­vice ren­du par votre nation à l’art et au com­merce.
  • L’élé­va­tion pro­gres­sive du dia­pa­son, dit un autre de nos hon­or­ables cor­re­spon­dants, est non seule­ment préju­di­cia­ble à la voix humaine, mais aus­si à tous les instru­ments. Ce sont surtout les instru­ments à cordes qui ont beau­coup per­du pour le son, depuis que l’on est obligé, à cause de cette élé­va­tion, d’employer des cordes très-minces, les cordes fortes ne pou­vant résis­ter à cette ten­sion exagérée de là, ce ton, qui au lieu de se rap­procher de la voix humaine, s’en éloigne de plus en plus. »
  • Fix­er le dia­pa­son une fois pour toutes, dit un cinquième, ce serait met­tre fin à bien des doutes, à une mul­ti­tude d’in­con­vénients et même de caprices. Je vous témoigne le vif intérêt que nous por­tons dans toute l’Alle­magne musi­cale à l’exé­cu­tion de votre pro­jet.
  • Vous avez bien dit, écrit-on encore, que l’Eu­rope entière est intéressée aux recherch­es des moyens d’établir un dia­pa­son uni­forme. Le monde musi­cal a sen­ti depuis longtemps la néces­sité urgente d’une réforme, et il remer­cie la France d’avoir pris l’ini­tia­tive. M. Drou­et, maître de chapelle du grand-duc de Saxe-Cobourg-Gotha, nous a envoyé trois dia­pa­sons d’époque et d’élé­va­tion dif­férentes, et une note intéres­sante : Enfin nous avons reçu de deux hommes très com­pé­tents, M. W Wieprecht, directeur de la musique mil­i­taire de Prusse, à Berlin, et M. le doc­teur Furke des mémoires où la matière est traitée avec une véri­ta­ble con­nais­sance de cause. Les auteurs s’as­so­cient entière­ment à la pen­sée qui a insti­tué la com­mis­sion.

Ces nom­breuses adhé­sions, émanées d’au­torités si con­sid­érables, nous don­nent l’as­sur­ance qu’une propo­si­tion d’abaisse­ment dans le dia­pa­son sera bien accueil­lie dans toute l’Alle­magne. Il faut d’ailleurs rap­pel­er ici que déjà, en 1834, des musi­ciens alle­mands réu­nis à Stuttgart avaient exprimé le vœu d’un affaib­lisse­ment du dia­pa­son, et recom­mandé l’adop­tion d’un la plus sen­si­ble­ment plus bas que notre la actuel. Certes, il y aura d’abord des dif­fi­cultés qui naîtront surtout de la divi­sion de l’Alle­magne en un si grand nom­bre d’É­tats dif­férents. C’est une opin­ion qui nous a été exprimée ; mais il y a lieu de penser qu’après quelques oscil­la­tions, un type invari­able et com­mun s’établi­ra dans ce pays, qui pèse d’un grand poids dans les des­tinées de l’art musi­cal.

Nous n’avons encore reçu d’I­tal­ie qu’une seule let­tre. Elle est de M. Coc­cia, directeur de l’a­cadémie phil­har­monique de Turin, maître de chapelle de la cathé­drale de Novare. M. Coc­cia a bien voulu nous adress­er le dia­pa­son usité à Turin, un peu plus bas que celui de Paris, et le plus doux (il più mite), dit M. Coc­cia, qu’il ait ren­con­tré jusqu’à présent. Il en recom­mande l’adop­tion. M. Coc­cia est donc aus­si de l’avis d’un adoucisse­ment dans le ton, et c’est d’un bon augure pour l’opin­ion de l’I­tal­ie, dont il faut tenir grand compte.

Nous avons reçu de Lon­dres une com­mu­ni­ca­tion de MM. Broad­wood, célèbres fac­teurs de pianos. Ils ont eu l’oblig­eance de nous adress­er trois dia­pa­sons, employés tous les trois dans leur étab­lisse­ment, cha­cun d’eux affec­té à un ser­vice spé­cial.

Le pre­mier, plus bas d’un grand quart de ton que le dia­pa­son de Paris, était, il y a vingt-cinq ou trente ans, celui de la Société phil­har­monique de Lon­dres. Il a été judi­cieuse­ment con­servé par MM. Broad­wood comme plus con­ven­able aux voix, et ils accor­dent, d’après le ton extrême­ment mod­éré qu’il four­nit, les pianos des­tinés à l’ac­com­pa­g­ne­ment des con­certs vocaux. Le sec­ond, beau­coup plus haut, puisqu’il est plus élevé que le nôtre, est celui d’après lequel MM. Broad­wood accor­dent, en général, leurs pianos, parce qu’il est à peu près con­forme à l’ac­cord des har­mo­ni­ums, des flûtes, etc. : c’est le dia­pa­son des instru­men­tistes. Enfin le troisième, encore plus élevé, est celui dont se sert aujour­d’hui la Société phil­har­monique. Cette extrême lib­erté du dia­pa­son doit avoir ses incon­vénients, et peut bien faire courir quelques hasards à la justesse absolue. Aus­si MM. Broad­wood font-ils des vœux « pour la réus­site de nos recherch­es, si intéres­santes et si impor­tantes pour tout le monde musi­cal.

M. Ben­der, directeur de la musique du roi des Belges et du rég­i­ment des guides, voudrait deux dia­pa­sons, à la dis­tance d’un demi-ton : le plus élevé, à l’usage des musiques mil­i­taires ; l’autre, des­tiné aux théâtres. M. Ben­der pra­tique son sys­tème ; le dia­pa­son de la musique des guides n’est pas applic­a­ble à la musique vocale. C’est le plus élevé de tous ceux que nous avons reçus.

M. Daus­soigne-Méhul, directeur du Con­ser­va­toire roy­al de Liège, n’adresse pas de dia­pa­son, celui qu’il emploie étant sem­blable à celui de Paris. Il est un des trois cor­re­spon­dants qui con­clu­ent à l’adop­tion défini­tive de ce dia­pa­son, comme lim­ite extrême, comme sauve­g­arde, et ne fut-ce, dit M. Daus­soigne Méhul, que pour arrêter ses dis­po­si­tions ascen­dantes.

M. Lubeck, directeur du Con­ser­va­toire roy­al de La Haye, en nous envoy­ant son dia­pa­son, un peu moins élevé que le nôtre, nous assure de son adhé­sion et de son con­cours. Vous voyez, mon­sieur le min­istre, com­bi­en de sym­pa­thies et d’ap­pro­ba­tions ren­con­tre voire désir de l’étab­lisse­ment d’un dia­pa­son uni­forme.

Nous avions écrit en Amérique. New York n’a pas encore répon­du. M. E. Prévost, chef d’orchestre de l’Opéra-Français de La Nou­velle-Orléans, nous a adressé une let­tre d’ad­hé­sion, et un dia­pa­son qui ne nous est pas par­venu.

Nous avons reçu de quelques-unes des grandes villes de France, où la musique est en hon­neur, des ren­seigne­ments com­mu­niqués par des artistes dis­tin­gués.

Le dia­pa­son qui nous a été envoyé par M. Vic­tor Mag­nien, directeur de l’A­cadémie impéri­ale de musique de Lille est, après celui de M. Ben­der et après ceux de Lon­dres, le plus élevé des dia­pa­sons qu’on nous a adressés. Il est plus haut par con­séquent que celui de Paris. Sans doute il a subi, par un procédé de bon voisi­nage, l’in­flu­ence de la musique des guides de Brux­elles. Aus­si· M. Mag­nien se ral­lie-t-il avec empresse­ment à la demande d’un dia­pa­son plus mod­éré.

M. Méz­erai, chef d’orchestre du grand théâtre de Bor­deaux, nous a com­mu­niqué son dia­pa­son, moins élevé que celui de Paris. M. Méz­erai avait d’abord adop­té celui-ci, mais, nous dit-il, il fatiguait trop les chanteurs.

Le dia­pa­son de Lyon est celui de Paris, celui de Mar­seille est très peu plus bas. M. Georges Hainl, chef d’orchestre de Lyon, croit qu’il faut main­tenir le dia­pa­son de Paris, mal­gré son élé­va­tion, dans la crainte d’af­faib­lir l’é­clat de l’orchestre. M. Aug. Morel, directeur de l’É­cole com­mu­nale de Mar­seille, incline vers cet avis. Ces deux artistes for­ment, avec M. D. Méhul, le groupe que nous avons men­tion­né, pro­posant l’é­tat actuel comme terme défini­tif.

Toulouse nous a adressé deux dia­pa­sons : celui du théâtre, moins élevé que le nôtre, presque sem­blable à celui de Bor­deaux, et le dia­pa­son de l’É­cole de musique, plus bas d’en­v­i­ron un quart de ton ; dif­férence remar­quable, qu’il importe d’au­tant plus de con­stater, que Toulouse· est une de ces villes à l’in­stinct musi­cal, où le chant est pop­u­laire, où l’har­monie abonde, et qui, de tout temps, a fourni à nos théâtres des artistes à la voix mélodieuse et sonore.

Le dia­pa­son de l’É­cole de Toulouse est, avec celui du théâtre grand-ducal de Carl­sruhe (sic), dont il ne dif­fère que de qua­tre vibra­tions, le plus bas de tous les dia­pa­sons qui nous ont été com­mu­niqués. Celui de la musique des guides de Brux­elles, qui compte neuf cent onze vibra­tions par sec­onde, est, à l’aigu, le terme extrême de ces dia­pa­sons ; celui de Carl­sruhe, qui ne fait que huit cent soix­ante-dix vibra­tions, en est le terme au grave. Entre cet écart, qui n’est pas beau­coup moin­dre d’un demi-ton, se meu­vent les dia­pa­sons en usage aujour­d’hui, et, par con­séquent, les orchestres, les corps de musique, les ensem­bles de voix dont ils sont la règle et la loi, et dont ils résu­ment pour ain­si dire l’ex­pres­sion.

Ain­si la France compte à ses deux extrémités un des dia­pa­sons les plus élevés, celui de Lille, un des dia­pa­sons les plus graves, celui de l’É­cole de Toulouse. On peut suiv­re sur la carte la route que suit en France le dia­pa­son ; il s’élève et s’abaisse avec la lat­i­tude. De Paris à Lille, il monte ; il descend de Paris à Toulouse. Nous voyons le nord soumis évidem­ment au con­tact, à la pré­dom­i­nance de l’art instru­men­tal, tan­dis que le midi reste fidèle aux con­ve­nances et deux bonnes tra­di­tions des études vocales.

Nous vous avons présen­té, mon­sieur le min­istre, le résumé fidèle des infor­ma­tions qui nous ont été trans­mis­es : nous vous avons fait con­naître les impres­sions que nous en avons reçues. En présence des opin­ions presque unanimes exprimées pour une mod­éra­tion dans le ton, et des opin­ions unanimes pour l’adop­tion d’un dia­pa­son uni­forme, c’est-à-dire pour un niv­elle­ment général du dia­pa­son, libre­ment con­sen­ti ; en présence des dif­férences remar­quables qui exis­tent entre les divers dia­pa­sons que nous avons pu com­par­er, dif­férences mesurées avec toute la pré­ci­sion de la sci­ence en nom­bre de vibra­tions, el con­signées dans un des tableaux annexés à ce rap­port, la com­mis­sion, après avoir dis­cuté, a adop­té en principe, et à l’u­na­nim­ité des voix ; les deux propo­si­tions suiv­antes :

Il est désir­able que le dia­pa­son soit abais­sé.

Il est désir­able que le dia­pa­son abais­sé soit adop­té générale­ment comme régu­la­teur invari­able.

III

Il restait à déter­min­er la quan­tité dont le dia­pa­son pour­rait être abais­sé, en lui ménageant les meilleures chances prob­a­bles d’une adop­tion générale comme régu­la­teur invari­able.

Il était évi­dent que le plus grand abaisse­ment pos­si­ble était d’un demi-ton, qu’un écart plus con­sid­érable n’é­tait ni prat­i­ca­ble ni néces­saire ; et sur ce point, la com­mis­sion se mon­trait unanime. Mais le demi-ton ren­con­tra des adver­saires, et trois sys­tèmes se trou­vèrent en présence : abaisse­ment d’un demi-ton, abaisse­ment d’un quart de ton, abaisse­ment moin­dre que ce dernier.

Un seul mem­bre pro­po­sait l’abaisse­ment moin­dre que le quart de ton. Craig­nant surtout de voir les rela­tions com­mer­ciales trou­blées, il pro­po­sait un abaisse­ment très mod­éré, et qui devait tout au plus, dans sa plus grande ampli­tude, attein­dre un demi-quart de ton.

La ques­tion des rela­tions com­mer­ciales est assez impor­tante pour qu’on s’y arrête un instant. D’ailleurs, mon­sieur le min­istre, en nous insti­tu­ant, vous l’avez sig­nalée à notre atten­tion.

Par­mi les doc­u­ments qui nous ont été remis, fig­ure une let­tre signée de nos prin­ci­paux, de nos plus célèbres fac­teurs d’in­stru­ments de tout genre. Dans cette let­tre, adressée à Votre Excel­lence, sont exposés tous les embar­ras résul­tants de l’élé­va­tion tou­jours crois­sante du dia­pa­son et de la dif­férence des dia­pa­sons. On vous demande de met­tre un terme à ces embar­ras en étab­lis­sant un sys­tème uni­forme de dia­pa­son. “Il appar­tient à Votre Excel­lence, dis­ent les sig­nataires, de faire cess­er cette sorte d’a­n­ar­chie, et de ren­dre au monde musi­cal un ser­vice aus­si impor­tant que celui ren­du autre­fois au monde indus­triel par la créa­tion d’un sys­tème uni­forme de mesures.” La com­mis­sion prend en haute con­sid­éra­tion les intérêts de notre grande fab­ri­ca­tion d’in­stru­ments, c’est une des richess­es de la France, une indus­trie intel­li­gente dans ses pro­duits, heureuse dans ses résul­tats. Les hommes habiles qui la diri­gent et l’ont élevée au pre­mier rang ne peu­vent douter de notre sol­lic­i­tude ; ils savent que nous sommes amis de celte indus­trie qui four­nit à quelques-uns des mem­bres de la com­mis­sion de pré­cieux et char­mants aux­il­i­aires. Mais si, par­mi ces maîtres fac­teurs qui ont si bien sig­nalé à Votre Excel­lence “les embar­ras” résul­tant de la diver­gence et de l’élé­va­tion tou­jours crois­sante, » quelques-uns, comme il nous a été dit, craig­nent main­tenant « les embar­ras » résul­tant des mesures qu’on veut pren­dre pour les con­tenter, que faudrait-il faire ? Puisqu’ils ont demandé, avec tout le monde musi­cal, un dia­pa­son uni­forme, com­ment le choix d’un dia­pa­son, des­tiné dans nos espérances et dans les leurs à devenir· uni­forme, peut-il trou­bler « les rela­tions com­mer­ciales » déjà trou­blées, à leur avis, par la diver­gence des dia­pa­sons ? L’étab­lisse­ment d’un dia­pa­son uni­forme implique néces­saire­ment le choix d’un dia­pa­son, d’un seul. Or, nous avons reçu, enten­du, com­paré, mesuré, vingt-cinq dia­pa­sons dif­férents, tous en activ­ité, tous usités aujour­d’hui. De tant de la, lequel choisir ? Le nôtre apparem­ment.

Mais pourquoi ? De ces vingt-cinq dia­pa­sons, aucun ne demande à mon­ter, beau­coup aspirent à descen­dre, et quinze sont plus bas que celui de Paris. De quel droit diri­ons-nous à ces quinze dia­pa­sons, mon­tez jusqu’à nous ? N’est-ce pas alors que les rela­tions com­mer­ciales cour­raient grand risque d’être trou­blées ! N’est-il pas plus logique, plus raisonnable, plus sage, dans l’in­térêt de la grande con­cil­i­a­tion, que nous voulions ten­ter, de descen­dre vers cette majorité, et n’est-ce pas ain­si que nous avons la plus grande chance d’être écoutés des artistes étrangers dont nous avons réclamé le con­cours, et que nous remer­cions ici d’avoir répon­du à notre appel avec tant de cor­dial­ité et de sym­pa­thie ?

Pour don­ner à l’in­dus­trie instru­men­tale un témoignage de sa sol­lic­i­tude, la com­mis­sion con­vo­qua les prin­ci­paux fac­teurs, ceux qui avaient obtenu les pre­mières récom­pens­es à l’Ex­po­si­tion uni­verselle de 1855, c’est-à-dire ceux mêmes qui avaient écrit à Votre Excel­lence, et ce n’est qu’après avoir con­féré avec eux et plusieurs de nos chefs d’orchestre, que la com­mis­sion délibéra sur la quan­tité dont pour­rait être abais­sé le dia­pa­son.

Dans cette dis­cus­sion, l’abaisse­ment du quart de ton a réu­ni la grande majorité des suf­frages ; appor­tant une mod­éra­tion sen­si­ble aux études et aux travaux des chanteurs, sans jeter une trop grande per­tur­ba­tion dans les habi­tudes, il s’insin­uerait pour ain­si dire incog­ni­to en présence du pub­lic ; il rendrait plus facile l’exé­cu­tion des anciens chefs‑d’œuvre ; il nous ramèn­erait au dia­pa­son employé il y a env­i­ron trente ans, époque de la pro­duc­tion d’ou­vrages restés pour la plu­part au réper­toire, lesquels se retrou­veraient dans leurs con­di­tions pre­mières de com­po­si­tion et de représen­ta­tion. Il serait plus facile­ment accep­té à l’é­tranger que l’abaisse­ment du demi-ton. Ain­si amendé, le dia­pa­son se rap­procherait beau­coup du dia­pa­son élu, en 1834 à Stuttgart. Il avait déjà pour lui l’a­van­tage d’une pra­tique restreinte, il est vrai, mais dont on peut appréci­er les résul­tats.

La com­mis­sion a donc l’hon­neur de pro­pos­er à Votre Excel­lence d’in­stituer un dia­pa­son uni­forme pour tous les étab­lisse­ments musi­caux de France ; et de décider que ce dia­pa­son, don­nant le la, sera fixé à 870 vibra­tions par sec­onde.

Quant aux mesures à pren­dre pour assur­er l’adop­tion et la con­ser­va­tion du nou­veau dia­pa­son, la com­mis­sion a pen­sé, mon­sieur le min­istre, qu’il con­viendrait :

  1. Qu’un dia­pa­son type, exé­cu­tant 870 vibra­tions par sec­onde à la tem­péra­ture de 15 degrés centi­grades, fût con­stru­it sous la direc­tion d’hommes com­pé­tents, désignés par Votre Excel­lence.
  2. Que Votre Excel­lence déter­minât, pour Paris et les départe­ments, une époque à par­tir de laque­lle le nou­veau dia­pa­son deviendrait oblig­a­toire.
  3. Que l’é­tat des dia­pa­sons et instru­ments dans tous les théâtres, écoles et autres étab­lisse­ments musi­caux, fût con­stam­ment soumis à des véri­fi­ca­tions admin­is­tra­tives.

Nous espérons que vous voudrez bien, mon­sieur le min­istre, dans l’in­térêt de l’u­nité du dia­pa­son, pour com­pléter autant que pos­si­ble l’ensem­ble de ces mesures, inter­venir auprès de S. Exc. le min­istre de la guerre, pour l’adop­tion du dia­pa­son ain­si amendé dans les rég­i­ments ; auprès de S. Exc. le min­istre du Com­merce pour qu’à l’avenir, aux expo­si­tions de l’in­dus­trie, les instru­ments de musique con­formes à ce dia­pa­son soient seuls admis à con­courir pour les récom­pens­es ; nous sol­lici­tons aus­si l’in­ter­ven­tion de Votre Excel­lence pour qu’il soit seul autorisé et employé dans toutes les écoles com­mu­nales de la France où l’on enseigne la musique.

Enfin, la com­mis­sion vous demande encore, mon­sieur le min­istre, de vouloir bien inter­venir auprès de S. Exc. le min­istre de l’Instruction publique et des Cultes, pour qu’à l’avenir les orgues, dont il ordon­nera la con­struc­tion ou la répa­ra­tion, soient mis­es au ton du nou­veau dia­pa­son.

Telles sont, mon­sieur le min­istre, les mesures qui parais­sent néces­saires à la com­mis­sion pour assur­er et con­solid­er le suc­cès du change­ment que l’adop­tion d’un dia­pa­son uni­forme intro­duirait dans nos mœurs musi­cales. L’or­dre et la régu­lar­ité s’établi­raient où règ­nent par­fois le hasard, le caprice ou l’insouciance ; l’é­tude du chant s’ac­com­pli­rait dans des con­di­tions plus favor­ables ; la voix humaine, dont l’am­bi­tion serait moins excitée, serait soumise à de moins rudes épreuves. L’in­dus­trie des instru­ments, en s’as­so­ciant à ces mesures, trou­verait peut-être le moyen de per­fec­tion­ner encore ses pro­duits déjà si recher­chés. Il n’est pas indigne du Gou­verne­ment d’une grande nation de s’oc­cu­per de ces ques­tions qui peu­vent paraître futiles, mais qui ont leur impor­tance réelle. L’art n’est pas indif­férent aux soins qu’on a de lui ; il a besoin qu’on l’aime pour fruc­ti­fi­er, s’é­ten­dre, élever les cœurs et les esprits. Tout le monde sait avec quel amour, avec quelle inquié­tude ardente et rigoureuse les Grecs, qu’an­i­mait un sen­ti­ment de l’art si vif et si pro­fond, veil­laient au main­tien des lois de leur musique. En se préoc­cu­pant des dan­gers que peut faire courir à l’art musi­cal l’amour exces­sif de la sonorité, en cher­chant à établir une règle, une mesure, un principe, Votre Excel­lence a don­né une preuve nou­velle de l’in­térêt éclairé qu’elle porte aux beaux-arts. Les amis de la musique vous remer­cient, mon­sieur le min­istre, ceux qui lui ont don­né leur vie entière, et ceux qui lui don­nent leurs loisirs ; ceux qui par­lent la langue har­monieuse des sons, et ceux qui en com­pren­nent les beautés.

Nous avons l’hon­neur d’être avec respect,

Mon­sieur le min­istre,

De Votre Excel­lence

Les très hum­bles et très dévoués servi­teurs.

J. PELLETIER, prési­dent ; F. HALÉVY, rap­por­teur ; AUBER, BERLIOZ, DESPRETZ, CAMILLE DOUCET, LISSAJOUS, GÉNÉRAL MELLINET, MEYERBEER, Ed. MONNAIS, ROSSINI, AMBROISE THOMASTABLEAUX ANNEXÉS AU RAPPORT.

Tableau des dia­pa­sons en Europe en 1858 et tableau de l’élévation du dia­pa­son au cours du temps (tableau de droite). Extrait du rap­port présen­té à S. Exc. Le min­istre d’État par la com­mis­sion chargée d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme (Arrêté du 17 juil­let 1858) — Paris, le 1er févri­er 1859.

Arrêté du 16 février 1859

Vu l’ar­rêté en date du 17 juil­let 1858 qui a insti­tué une com­mis­sion chargée de rechercher les moyens d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme, de déter­min­er un étalon sonore qui puisse servir de type invari­able, et d’indi­quer les mesures à pren­dre pour en assur­er l’adop­tion et la con­ser­va­tion ;

Vu le rap­port de la com­mis­sion en date du 1er févri­er 1859,

Arrête :

Art. 1er. Il est insti­tué un dia­pa­son uni­forme pour tous les étab­lisse­ments musi­caux de France, théâtres impéri­aux el autres de Paris et des départe­ments, con­ser­va­toires, écoles, suc­cur­sales et con­certs publics autorisés par l’É­tat.

Art. 2. Ce dia­pa­son, don­nant le la adop­té pour l’ac­cord des instru­ments, est fixé à huit cent soix­ante-dix vibra­tions par sec­onde ; il pren­dra le titre de dia­pa­son nor­mal.

Art. 3. L’é­talon pro­to­type du dia­pa­son nor­mal sera déposé au Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion.

Art. 4. Tous les étab­lisse­ments musi­caux autorisés par l’É­tat devront être pourvus d’un dia­pa­son véri­fié et poinçon­né, con­forme à l’é­talon pro­to­type.

Art. 5. Le dia­pa­son nor­mal sera mis en vigueur à Paris le 1er juil­let prochain, et le 1er décem­bre suiv­ant dans les départe­ments.

À par­tir de ces épo­ques, ne seront admis dans les étab­lisse­ments musi­caux ci-dessus men­tion­nés que les instru­ments au dia­pa­son nor­mal, véri­fiés et poinçon­nés.

Art. 6. L’é­tat des dia­pa­sons et des instru­ments sera régulière­ment soumis à des véri­fi­ca­tions admin­is­tra­tives.

Art. 7. Le présent arrêté sera déposé au secré­tari­at général, pour être noti­fié à qui de droit.

Paris, le 16 févri­er 1859

ACHILLE FOULD.

Les critiques du rapport et de l’arrêté…

Le rap­port et l’ar­rêté min­istériel précé­dents, lui ordonne l’étab­lisse­ment d’un dia­pa­son mod­èle pour tous les théâtres et les étab­lisse­ments, lyriques de Paris et de la France, ont soulevé de nom­breuses récla­ma­tions. Les con­struc­teurs d’orgues, les fab­ri­cants d’instruments, les artistes qui se voient for­cés de renou­vel­er la flûte, le bas­son, le haut­bois, etc., etc., dont ils se ser­vent depuis longtemps ont fait aux con­clu­sions pra­tiques con­tenues dans le rap­port de la com­mis­sion de telles objec­tions, que l’ar­rêté min­istériel n’a pas encore reçu d’exé­cu­tion dans aucun théâtre de Paris. Un écrivain laborieux et très-ver­sé dans les matières qui touchent à la fab­ri­ca­tion des orgues et des autres instru­ments, M. Adrien de La Fage a pub­lié un opus­cule intéres­sant sous le titre de l’u­nité tonale, où il exam­ine, tant au point de vue his­torique que sous le rap­port prat­i­ca­ble de nos jours, les idées qui ont déter­miné la com­mis­sion à s’ar­rêter au nom­bre de 870 vibra­tions par sec­onde pour le dia­pa­son nor­mal de la France.

Il ne paraît pas, dit M. de La Fage, que les peu­ples anciens qui nous sont le mieux con­nus n’ont jamais songé à établir un son fixe qui servit de régu­la­teur aux voix et aux instru­ments. Les plus anci­ennes opéra­tions rel­a­tives au cal­cul des sons sont celles qu’on attribue à Pythagore qui vivait cinq cents ans avant l’ère vul­gaire. Il sem­ble résul­ter des recherch­es qu’on a faites dans l’his­toire des Chi­nois qu’ils ont été les pre­miers à pos­séder un sys­tème musi­cal d’une cer­taine régu­lar­ité. C’est sous le règne de l’empereur Hoang-ti, 2600 avant Jésus-Christ, qu’au­rait eu lieu la grande réforme de la musique chi­noise, sous la direc­tion d’un min­istre tout-puis­sant, Ling-lun. Au moyen âge, les idées exactes étaient trop rares pour que l’on s’oc­cupât d’une opéra­tion aus­si déli­cate que la fix­a­tion d’un son régu­la­teur. Les instru­ments s’ac­cor­daient à peu près au hasard et c’est à peine si l’on sait quelle était la dimen­sion des gros tuyaux des prin­ci­pales orgues de l’Eu­rope. Il faut arriv­er jusqu’aux pre­mières années du dix-sep­tième siè­cle, pour trou­ver quelques ren­seigne­ments pré­cis sur l’ob­jet qui nous occupe.

En effet, c’est en 1615 que Salomon de Caus pub­lia le pre­mier ouvrage qui ait été écrit sur la con­struc­tion des orgues ; mais c’est au P, Mersenne, dit M. de La Fage, que l’on doit la fix­a­tion exacte d’un son mod­èle et régu­la­teur. Le P. Mersenne, qui était un très savant homme, avait par­faite­ment con­science de l’u­til­ité de son opéra­tion, car il dit : « Tous les musi­ciens du monde fer­ont chanter une même pièce de musique selon l’in­ten­tion du com­pos­i­teur, c’est-à-dire, au ton qu’il veut qu’elle se chante, pourvu qu’il con­naisse la nature du son. » Le P. Mersenne, remar­que M. de La Fage, ne peut s’empêcher d’ad­mir­er son idée, car il ajoute : « Celte propo­si­tion est l’une des plus belles de la musique pra­tique, car si l’on envoy­ait une pièce de musique de Paris à Con­stan­tino­ple, en Perse, en Chine, encore que ceux qui enten­dent les notes et qui savent la com­po­si­tion ordi­naire le puis­sent faire chanter en gar­dant la mesure, néan­moins ils ne peu­vent savoir à quel ton chaque par­tie doit com­mencer, etc. » Ain­si donc, comme l’ob­serve fort judi­cieuse­ment M. de La Fage, le principe de la fix­a­tion sci­en­tifique d’un son mod­èle aurait pu être appliqué dès la pre­mière moitié du dix-sep­tième siè­cle ; mais le besoin ne s’en fit pas sen­tir, parce que la musique vocale était ren­fer­mée alors dans une por­tion assez restreinte de l’échelle sonore.

L’in­ven­tion du dia­pa­son tel que nous le con­nais­sons de nos jours, dit M. de La Fage, est due à un ser­gent-trompette de la mai­son royale d’An­gleterre, nom­mé John Shore. Il étu­dia la trompette avec tant de per­sévérance qu’il était par­venu à en tir­er des sons aus­si doux que ceux du haut­bois. John Shore fai­sait par­tie de la bande des trompettes roy­aux depuis 1711. À l’en­trée de Georges 1er, en 1741, il rem­plis­sait les fonc­tions de ser­gent, mon­tant, à la tête de sa petite troupe, un cheval riche­ment caparaçon­né. Le 8 août 1715, le per­son­nel de la chapelle ayant été aug­men­té, il y fut admis en qual­ité de luthiste. Il avait tou­jours avec lui le dia­pa­son dont il était inven­teur ; il s’en ser­vait pour accorder son luth. Le dia­pa­son eut dès lors la forme qu’il a main­tenant, et il se nom­mait en anglais tun­ing-fork, c’est-à-dire, fourchette d’ac­cord. Il fut adop­té par toute l’An­gleterre, d’où il se propagea en Ital­ie sous le nom de corista. (La corista vient en fait de cho­riste, un autre type de dia­pa­son con­sti­tué d’un sif­flet avec un pis­ton per­me­t­tant de faire vari­er la fréquence de référence.)  Il fut admis en France sous le nom grec de dia­pa­son. La dif­férence des dia­pa­sons admis dans les divers pays de l’Eu­rope était sou­vent très con­sid­érable…

M. de La Fage a pu con­stater qu’on ren­con­trait en Ital­ie deux dia­pa­sons qui offraient l’énorme dif­férence d’une tierce majeure. Le dia­pa­son de la Lom­bardie et de l’É­tat véni­tien était plus haut, et celui de Rome plus bas. À cette même époque, le dia­pa­son en usage à Paris était plus haut que celui de Rome et de la Lom­bardie.

D’après l’opin­ion de M. de La Fage, qui dif­fère de celle émise par la com­mis­sion, ce seraient les instru­ments à cordes qui seraient la cause de l’as­cen­sion tou­jours crois­sante du dia­pa­son. Je pense, dit l’au­teur de la brochure que nous analysons, que c’est la facil­ité qu’ont les instru­ments à cordes de mod­i­fi­er leur accord et de l’a­van­tage qu’ils trou­vent à le hauss­er, qu’est résulté l’as­cen­sion pro­gres­sive du dia­pa­son. C’est dire que je ne partage pas en ceci l’opin­ion de M. Lis­sajous, qui croit que ce résul­tat a été pro­duit par les instru­ments à vent. Chaque fois qu’un artiste nou­veau en rem­place un ancien dans un orchestre, dit M. Lis­sajous, il sub­stitue un instru­ment plus récent qui influe, pour sa part, sur le mou­ve­ment ascen­sion­nel du ton d’orchestre. Cet effet, insen­si­ble d’un jour à l’autre, se traduit, au bout d’un cer­tain temps, par une dif­férence notable.

Que ce soient les instru­ments à cordes ou les instru­ments à vent qui sont la cause de cette élé­va­tion où est arrivé le dia­pa­son mod­erne, ce qu’il fal­lait avant tout, c’est d’en arrêter l’as­cen­sion. II est évi­dent, comme le dit M. de La Fage, que ce ne sont pas les chanteurs qui ont con­tribué à l’élé­va­tion tou­jours pro­gres­sive du dia­pa­son dont ils sont les pre­mières vic­times. L’au­teur ajoute : « Si tant de voix per­dent aujour­d’hui prompte­ment leur fraîcheur prim­i­tive, ce n’est pas au dia­pa­son qu’il faut s’en pren­dre, mais aux com­pos­i­teurs, qui sont les maîtres d’écrire dans la véri­ta­ble éten­due de chaque voix. »

Qui les force à plac­er le cen­tre vocal dans la par­tie la plus élevée de l’échelle ? Non, ajoute M. de La Fage, ce n’est pas l’élé­va­tion du dia­pa­son qui empêche les voix de se pro­duire, et qui altère celles qui se pro­duisent ; ce sont les mau­vais maîtres de chant, les mau­vais com­pos­i­teurs ; c’est eux qu’il faut accuser, c’est eux qu’il faut pour­suiv­re ; et qu’on se hâte, car bien­tôt il faudrait accuser et pour­suiv­re tout le monde ; toutes ces choses réu­nies peu­vent avoir con­tribué au mal dont on se plaint ; l’essen­tiel, c’est d’y porter remède.

Dans le dix-neu­vième arti­cle de sa brochure, M. de La Fage donne l’analyse d’un instru­ment curieux de

M. Lis­sajous pour faire appréci­er à l’œil le nom­bre de vibra­tions que pro­duit la ten­sion d’une corde. Le but que se pro­pose l’au­teur, dit-il, est d’im­pos­er une méth­ode optique pro­pre à l’é­tude des mou­ve­ments vibra­toires. Cette méth­ode, fondée sur la per­sis­tance des sen­sa­tions usuelles et sur la com­po­si­tion de deux ou plusieurs mou­ve­ments vibra­toires simul­tanés,

per­met d’é­tudi­er, sans le sec­ours de l’or­eille, toute espèce de mou­ve­ments vibra­toires, et, par suite, toute espèce de sons. « Quoique M. Lis­sajous n’ait pas encore dévelop­pé expéri­men­tale­ment toutes les con­séquences de cette méth­ode, il pense qu’elle présen­tera une util­ité réelle pour la fab­ri­ca­tion des instru­ments de musique… M. de La Fage ter­mine sa brochure par des con­clu­sions qui sem­blent con­traires aux principes émis dans le rap­port de la com­mis­sion, et il serait d’avis qu’on eût fixé un dia­pa­son, mais en lais­sant à cha­cun la lib­erté de s’y con­former. Nous ne sauri­ons partager cette manière de voir, et nous pen­sons qu’après de vaines résis­tances de la part de cer­tains fab­ri­cants d’in­stru­ments, on se soumet­tra au dia­pa­son légal, et que l’ar­rêté min­istériel aura sa pleine et salu­taire exé­cu­tion.

Les ques­tions d’éru­di­tion, d’in­ves­ti­ga­tion et d’u­til­ité pra­tique sont à l’or­dre du jour, et vien­nent, de plus en plus, sol­liciter l’at­ten­tion de la cri­tique. Nous avons sous les yeux une réponse de M. Vin­cent, mem­bre de l’In­sti­tut, au mémoire de M. Fétis sur l’ex­is­tence de l’har­monie simul­tanée des sons de la musique des Grecs, dont nous avons par­lé dans le chapitre six­ième de ce vol­ume. Le titre de la brochure de M. Vin­cent qui vient de paraître tout récem­ment est : Réponse à M. Pétis et réfu­ta­tion de son mémoire· sur cette ques­tion : Les Grecs et les Romains ont-ils con­nu l’har­monie simul­tanée des sons ? Sans entr­er dans le fond du débat, nous sommes heureux de recon­naître que les con­clu­sions, qui ressor­tent du tra­vail très-ser­ré et très-savant de M. Vin­cent, sont con­formes à celles que nous avons émis­es en exam­i­nant le mémoire de M. Fétis. M. Vin­cent dit avec une haute rai­son (page 50 de sa brochure) : « Il est cer­tain que les tierces, quoiqu’elles ne fussent pas pris­es théorique­ment pour des con­so­nances, étaient con­sid­érées comme telles dans la pra­tique des artistes. » À la bonne heure, donc, voilà de la sci­ence qui ne con­tred­it pas le sens com­mun. M. Vin­cent ajoute un· peu après : « Or, dans les beaux-arts, les règles ne s’étab­lis­sent pas a pri­ori : c’est la pra­tique qui les dicte, la théorie ne fait que les enreg­istr­er. » Page 63, nous lisons encore ce pas­sage con­clu­ant : a Com­ment en défini­tive con­naître toutes les ressources d’un sys­tème d’har­monie pra­tiqué suiv­ant des règles que nous ignorons com­plète­ment, et qui étaient cer­taine­ment très dif­férentes des nôtres ? que ces règles fussent infin­i­ment moins com­plex­es et moins savantes que celles de nos jours, c’est un fait incon­testable ; mais cela ne suf­fit pas pour se refuser à recon­naître ici l’ex­is­tence d’une cer­taine har­monie, quelle qu’elle fût… Pour appuy­er celle idée fort juste, M. Vin­cent ajoute, page 6 : Quand on a vu de rus­tiques mon­tag­nards, qui n’avaient cer­taine­ment reçu les leçons d’au­cun Con­ser­va­toire, ameuter tout Paris sur les places publiques, rien qu’avec un chalumeau et une corne­muse, on a peine à con­cevoir que des hommes intel­li­gents per­sis­tent à dénier à un peu­ple splen­dide­ment doué pour tout le reste, jusqu’aux plus sim­ples élé­ments d’un art qui pos­sède, plus que tout autre, la puis­sance d’é­mou­voir cer­taines organ­i­sa­tions priv­ilégiées. En résumé, que récla­m­ons-nous ? la con­nais­sance des procédés, des finess­es, des déli­cat­esses de la sci­ence mod­erne ? Nulle­ment : que l’on nous accorde un sim­ple duo soutenu par un ou deux pédales, voilà toutes nos pré­ten­tions… Tout cela nous paraît trop raisonnable, trop fondé sur la nature des choses pour que M. Fétis n’en recon­naisse pas la vérité. La brochure de M. Vin­cent, écrite avec une extrême vivac­ité de paroles, est suiv­ie de quelques planch­es qui la ren­dent d’au­tant plus curieuse à con­sul­ter.

Le siè­cle que nous tra­ver­sons, et qui a déjà fourni plus de la moitié de sa car­rière peut se divis­er en deux épo­ques dont cha­cune sem­ble des­tinée à rem­plir une tâche dif­férente. La pre­mière qui com­mence à la Révo­lu­tion française a été une péri­ode de mou­ve­ment, de spon­tanéité et de créa­tion dans toutes les direc­tions de la pen­sée, dans tous les faits soumis à la volon­té de l’homme. La péri­ode qui va s’ac­com­plis­sant sous nos yeux paraît devoir être, au con­traire, une époque d’in­ves­ti­ga­tion, d’é­tudes et d’ap­pré­ci­a­tion his­torique. La musique a large­ment par­ticipé au mou­ve­ment créa­teur de la pre­mière époque, car elle a pro­duit Beethoven, Rossi­ni, Weber et tout un monde d’idées nou­velles. Il faut nous résign­er main­tenant à partager le sort com­mun, à étudi­er le passé, à en pénétr­er l’e­sprit jusqu’à ce que Dieu nous envoie un de ces révéla­teurs inspirés qui changent le cours des choses et vien­nent inau­gur­er, dans l’art, un nou­v­el idéal.

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Uno 1943-05-26 – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán

Mariano Mores Letra: Enrique Santos Discépolo

Le tan­go du jour s’appelle UNO, (un), mais vous aurez le droit à une belle addi­tion de “uns”. Atten­tion, les huns, par­don, les uns débar­quent 1+1+1+1+1+…= un des plus beaux tan­gos du réper­toire, écrit par Mar­i­ano Mores avec des paroles de Enrique San­tos Dis­cépo­lo. Pré­parez-vous à l’écoute, mais aus­si à voir, j’ai une sur­prise pour vous…

Extrait musical

Uno 1943-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán

Paroles

Uno bus­ca lleno de esper­an­zas
El camino que los sueños prometieron a sus ansias
Sabe que la lucha es cru­el y es mucha
Pero lucha y se desan­gra por la fe que lo empeci­na
Uno va arras­trán­dose entre espinas
Y en su afán de dar su amor
Sufre y se destroza has­ta enten­der
Que uno se quedó sin corazón
Pre­cio de cas­ti­go que uno entre­ga
Por un beso que no lle­ga
O un amor que lo engañó
Vacío ya de amar y de llo­rar
Tan­ta traición
Si yo tuviera el corazón
El corazón que dí
Si yo pudiera, como ayer
Quer­er sin pre­sen­tir
Es posi­ble que a tus ojos que me gri­tan su car­iño
Los cer­rara con mil besos
Sin pen­sar que eran como esos
Otros ojos, los per­ver­sos
Los que hundieron mi vivir
Si yo tuviera el corazón
El mis­mo que perdí
Si olvi­dara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llo­rar tu amor
Si yo tuviera el corazón
El mis­mo que perdí
Si olvi­dara a la que ayer lo destrozó
Y pudiera amarte
Me abrazaría a tu ilusión
Para llo­rar tu amor

Mar­i­ano Mores Letra: Enrique San­tos Dis­cépo­lo

Traduction libre

Cha­cun cherche, plein d’espoir, le chemin que les rêves ont promis à ses désirs.Chacun sait que la lutte est cru­elle et qu’elle est grande, mais il se bat et saigne pour la foi qui l’obsède.
Cha­cun rampe par­mi les épines et dans son empresse­ment à don­ner son amour, il souf­fre et se détru­it jusqu’à ce qu’il com­prenne que cha­cun se retrou­ve sans cœur, le prix de la puni­tion que cha­cun donne pour un bais­er qui ne vient pas, ou un amour qui l’a trompé.
Vide d’aimer et de pleur­er tant de trahisons.
Si j’avais le cœur, le cœur que j’ai don­né.
Si je pou­vais, comme hier, aimer sans crainte, il est pos­si­ble que tes yeux qui me cri­ent leur affec­tion, je les refer­merais de mille bais­ers, sans penser qu’ils sont comme ces autres yeux, les per­vers, ceux qui ont coulé ma vie.
Si j’avais le cœur, le même que j’ai per­du.
Si j’oubliais celle qui l’a détru­it hier et que je pou­vais t’aimer, j’embrasserais ton illu­sion pour pleur­er ton amour.

Autres versions

Comme annon­cé, ce titre a été enreg­istré de très nom­breuses fois. Impos­si­ble de tout vous pro­pos­er, alors, voici une sélec­tion pour vous faire décou­vrir la var­iété et les points com­muns de ces ver­sions en com­mençant par notre tan­go du jour, qui est le pre­mier à avoir été enreg­istré.

Uno 1943-05-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. C’est notre tan­go du jour.
Uno 1943-05-28 — Lib­er­tad Lamar­que con orques­ta dirigi­da por Mario Mau­ra­no.

Deux jours après Canaro, Lib­er­tad Lamar­que enreg­istre le disque.
C’est là qu’on remar­que, une fois de plus, que Canaro est tou­jours au fait de l’actualité. En effet, ce titre est des­tiné à un film, El fin de la noche, réal­isé par Alber­to de Zavalía. Le tour­nage ne com­mencera qu’en août 1943 et le film ne sor­ti­ra en Argen­tine que le pre­mier novem­bre 1944, car le gou­verne­ment argentin a tardé à don­ner l’autorisation de dif­fu­sion, notam­ment à cause du sujet qui met­tait en cause le gou­verne­ment alle­mand…

Affiche du film El fin de la noche, réal­isé par Alber­to de Zavalía avec Lib­er­tad Lamar­que.

En effet, l’intrigue est totale­ment liée à l’actualité de l’époque, ce qui prou­ve que l’information cir­cu­lait. Lola Morel (Lib­er­tad Lamar­que), une chanteuse Sud-Améri­caine qui vit à Paris a été blo­quée à Paris par la guerre (La plu­part des Argentins avaient quit­té la France en 1939, tout comme les frères Canaro et notam­ment Rafael qui fut le dernier à quit­ter la France). Elle souhaite revenir en Amérique du Sud avec sa fille. Pour obtenir des passe­ports, elle se voit pro­posé d’espionner la résis­tance.
Ce film con­firme que les Argentins ne se dés­in­téres­saient pas de la sit­u­a­tion en Europe durant la sec­onde guerre mon­di­ale.
Mais la mer­veille, c’est de voir Lib­er­tad Lamar­que chan­tant. C’est une des plus émou­vantes pris­es disponibles, jugez-en.

Lib­er­tad Lamar­que can­ta el tan­go UNO, en la pelícu­la “El fin de la noche”, dirigi­da por Alber­to de Zavalía. On voit dans cet extrait, par ordre d’apparition : Flo­rence Marly… Pilar, Jorge Vil­lol­do… Caissier du bar et Lib­er­tad Lamar­que… Lola Morel qui chante UNO. Cette scène a lieu à 1h08 du début du film.

Dif­fi­cile de revenir sur terre après cette ver­sion, alors autant rester dans les nuages avec Troi­lo et Mari­no.

Uno 1943-06-30 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Alber­to Mari­no arr. de Astor Piaz­zol­la.

C’est peut-être la ver­sion la plus con­nue. Il faut dire qu’elle est par­faite, à chaque écoute, elle provoque la même émo­tion.

Uno 1943-10-27 — Tania acomp. de Orques­ta.

Quelques mois après Lib­er­tad, Tania donne sa ver­sion. À qui va votre préférence ? Tania enreg­istr­era une autre ver­sion avec Dona­to Rac­ciat­ti en 1959.

Avant de pass­er à D’Arienzo, un petit point « tech­nique ». Les dis­ques de l’époque étaient prévus pour être util­isé à 78 tours par minute. C’est une vitesse pré­cise. Ce n’est pas 77 ou 79 tours.
Donc, ces dis­ques joués à 78 tours par minute don­nent la bonne resti­tu­tion, celle qui a été décidée par l’orchestre et l’éditeur.
Le résul­tat peut être dif­férent de ce qui a été joué. Par exem­ple, pour paraître plus vir­tu­ose, on peut graver la matrice à une vitesse plus lente. Ain­si, lorsque le disque qui sera pressé à par­tir d’elle sera joué à 78 tours, le son sera plus rapi­de et plus aigu.
Dans des groupes de DJ qui n’ont sans doute que cela à faire, on dis­serte longue­ment de la valeur du dia­pa­son, notam­ment du ban­donéon et de la vitesse exacte de jeu d’une musique. À moins d’avoir une oreille absolue, ce qui est une hor­reur, on ne remar­quera pas d’une milon­ga sur l’autre qu’un titre est joué un tout petit peu plus aigu ou grave. Pour moi, l’important est donc d’avoir la bonne vitesse des 78 tours et c’est tout. Si d’Arienzo ou son édi­teur a mod­i­fié la vitesse, c’est la déci­sion de l’époque.
En revanche, je suis moins indul­gent sur les réédi­tions des 78 tours en 33 tours. Ces tran­scrip­tions ont don­né lieu à dif­férents abus (pas for­cé­ment tous sur tous les dis­ques) :

  • L’ajout de réver­béra­tion pour don­ner un « effet stéréo », mais qui per­turbe grande­ment la lis­i­bil­ité de la musique, ce qui est dom­mage­able pour la danse égale­ment.
  • La coupure de l’introduction ou des notes finales. Le bruit étant jugé gênant pour un disque « neuf », beau­coup d’éditeurs ont sup­primé les notes finales faibles, lorsqu’ils ont pro­duit des 33 tours à par­tir de 78 tours usagés. Bia­gi est une des prin­ci­pales vic­times de ce phénomène et Tan­turi, le moins touché. Cela tient, bien sûr, à leur façon de ter­min­er les morceaux…
  • Le fil­trage de fréquences pour dimin­uer le bruit du disque orig­i­nal. Les moyens de l’époque font que cette sup­pres­sion fil­tre le bruit du disque, mais aus­si la musique qui est dans la même gamme de fréquences.
  • Le change­ment de vitesse. Si le disque tourne plus vite, on a l’impression que les musi­ciens jouent plus vite. Si aujourd’hui on peut vari­er la vitesse sans touch­er à la tonal­ité, à l’époque, c’était impos­si­ble. Un disque accéléré est donc plus aigu. Ce n’est pas gênant en soi, si le résul­tat est con­va­in­cant et seuls les pos­sesseurs de la fameuse oreille absolue s’en ren­dront compte si cela est fait dans des pro­por­tions raisonnables.

Après ce long pro­pos lim­i­naire, voici enfin la ver­sion de D’Arienzo et Mau­re. En pre­mier, un enreg­istrement à par­tir du 78 tours orig­i­nal. La vitesse est donc celle pro­posée par D’Arienzo et la société Víc­tor.

Uno 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré. Ver­sion tirée du 78 tours de la Víc­tor.

Et main­tenant la ver­sion accélérée éditée en 33 tours et reprise depuis par dif­férents édi­teurs, y com­pris con­tem­po­rains, ce qui prou­ve qu’ils sont par­tis du 33 tours et pas du 78 tours, ou mieux de la matrice orig­i­nale…

Uno 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Héc­tor Mau­ré.

Édi­tion accélérée, sans écouter la pre­mière ver­sion, vous seriez-vous ren­du compte de la dif­férence ? Prob­a­ble­ment, car cela fait pré­cip­ité, notam­ment en com­para­i­son des ver­sions déjà écoutées qui durent par­fois près de 3:30 min­utes, ce qui est excep­tion­nel en tan­go.

Uno 1943-12-01 — Orques­ta Osval­do Frese­do con Oscar Ser­pa.

Une ver­sion sans doute moins con­nue, mais que je trou­ve très jolie égale­ment. Dom­mage que l’on ne passe pas en général le même titre dans une milon­ga. Cepen­dant, les événe­ments de plusieurs jours, ou les très longues milon­gas (10 h ou plus), per­me­t­tent ces fan­taisies…

Uno 1944 Alber­to Gómez con Adol­fo Guzmán y su con­jun­to.

Alber­to Gómez com­mence a capela tout au plus soutenu par quelques accords au piano. Pro­gres­sive­ment, ce sou­tien est pro­posé par d’autres instru­ments, mais ce n’est qu’à 58 sec­on­des que l’orchestre prend pro­gres­sive­ment une place plus impor­tante, sans toute­fois per­dre de vue qu’il n’est que l’accompagnement du chanteur. Cette ver­sion à écouter sus­cite de la men­tion, mal­gré la voix un peu for­cée de Gómez que l’on sans doute mieux appré­ciée, moins appuyée, comme il sait le faire dans cer­tains pas­sages de ce thème.

Uno 1944-04-11 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi con Car­los Acuña.

On change com­plète­ment de style avec Bia­gi. Une ver­sion ryth­mée, un peu pressée. Même pour la danse, on sent une pres­sion qui empêche d’entrer com­plète­ment dans le thème. Ce n’est pas une cri­tique de la qual­ité musi­cale, mais je trou­ve que cette fois Bia­gi est passé un peu à côté de la danse, du moins pour les danseurs qui inter­prè­tent la musique. Pour les autres, ils retrou­veront le tem­po bien mar­qué qui leur con­vient pour pos­er leurs patounes en rythme.

Uno 1946 — Trío Argenti­no (Irus­ta, Fuga­zot, Demare) y su Orques­ta Típi­ca Argenti­na con Agustín Irus­ta.

Les sub­til­ités de la chronolo­gie nous offrent ici, une inter­pré­ta­tion à l’opposé de la précé­dente, par Bia­gi. Elle est à class­er dans la lignée Lamar­que, Tania et Gómez. Je pense que vous préférez cette ver­sion à celle de l’autre homme de la sélec­tion de tan­go à écouter. Ici, il s’agit presque d’un duo avec le piano de Lucio Demare. Ce dernier est un mer­veilleux pianiste pour la musique intime. Vous pour­rez vous en con­va­in­cre en écoutant ses for­mi­da­bles enreg­istrements de tan­go au piano, sur trois épo­ques (1930, 1952–1953 et 1968). C’est le seul grand à s’être livré à cet exer­ci­ce.

Uno 1951-12-18 — Char­lo y su orques­ta.

Encore une ver­sion à rajouter à la lignée des chan­sons. La qual­ité d’enregistrement des années 50 rend mieux jus­tice à la voix de Char­lo que ceux de 1925. On a même du mal à être sûr que c’est la même voix quand il chan­tait avec Canaro ou Lomu­to. Essayez d’écouter ses enreg­istrements avec orchestre ou gui­tare des années 50 pour vous en ren­dre compte. Cette méta­mor­phose, en grande par­tie causée par la tech­nique, nous faire pren­dre con­science de ce que nous avons per­du en n’étant pas dans la salle dans les années 20.

Uno 1952 — Orques­ta Aníbal Troi­lo con Jorge Casal.

Avec Troi­lo et Casal, on revient vers le tan­go de danse. Bien sûr, vous com­par­erez cette ver­sion avec celle de 1943 avec Mari­no. Les deux sont for­mi­da­bles. L’orchestre est éventuelle­ment moins facile à suiv­re pour les danseurs, les DJ réserveront cer­taine­ment cette ver­sion aux meilleurs pra­ti­quants.

Uno 1957-09-25 — Orques­ta Arman­do Pon­tier con Julio Sosa.

Avec Julio Sosa et l’orchestre Arman­do Pon­tier, nous sommes plus avancés dans les années 50 et l’importance de faire du tan­go de danse est per­due. Cela n’enlève pas de la beauté à cette ver­sion, mais ça nous fait regret­ter que le rock et autres rythmes aient sup­plan­té le tan­go à cette époque en Argen­tine…

Uno 1961-05-18 — Orques­ta José Bas­so.

José Bas­so nous donne une des rares ver­sions qui se prive des paroles de Dis­cépo­lo. Pour ma part, je trou­ve que la voix manque, même si à tour de rôle et les vio­lons chantent plutôt bien et que le piano de José Bas­so ne démérite pas. On reste dans l’attente de la voix et c’est un beau final qui nous coupe les illu­sions.

Uno 1963 — Argenti­no Ledes­ma y su orques­ta.

De la part de Ledes­ma, on attend une belle ver­sion et on n’est pas déçu.

Uno 1965 — Orques­ta Jorge Cal­dara con Rodol­fo Lesi­ca.

On retrou­ve Cal­dara, cet ancien ban­donéon­iste de Pugliese avec Lesi­ca. Une belle asso­ci­a­tion. L’introduction avec le superbe vio­lon­celle de José Fed­erighi prou­ve s’il en était besoin les qual­ités de ce musi­cien et arrangeur d’une grande mod­estie.
Je vous pro­pose de ter­min­er cette longue liste avec l’auteur Mar­i­ano Mores et son petit-fils, Gabriel Mores.

N’oubliez pas de cli­quer sur ce dernier lien pour con­sul­ter l’album de Mar­i­ano Mores en écoutant une toute dernière ver­sion d’Uno, même si c’est loin d’être la meilleure. Vous y décou­vrez la vie de cet artiste qui est resté sur scène jusqu’à l’âge de 94 ans, après 80 années d’activité. Sans doute un des records de longévité.

https://es.moresproject.com/mariano-mores

Au revoir, Mar­i­ano, et à demain, les amis !

Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 (Valse) — Orquesta Rodolfo Biagi

Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)

Hier, avec Valsecito ami­go, nous étions en présence d’une mer­veilleuse valse. Aujourd’hui, une autre valse, Lágri­mas y son­risas qui va nous per­me­t­tre de par­ler (un tout petit peu) de théorie musi­cale. Je vous emporte dans le tour­bil­lon de cette mer­veilleuse valse rénovée par Rodol­fo Bia­gi.

Extrait musical

Pour suiv­re la suite, il est impor­tant de vous met­tre la musique dans l’oreille dès à présent.
Voici donc la valse du jour. Elle a été com­posée en 1913 (il y a donc 111 ans), mais cette ver­sion a été enreg­istrée le 23 mars 1941, il y a exacte­ment 83 ans par Bia­gi.

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi. C’est la valse du jour.

Vous avez peut-être perçu un change­ment d’ambiance à l’écoute en fonc­tion des pas­sages. Mais pour bien com­pren­dre ce qui s’y passe, il faut faire un peu de théorie.

Lire une partition. La théorie musicale pour les débutants

Par­don à mes lecteurs musi­ciens, mais pour mieux faire com­pren­dre aux non-spé­cial­istes, je dois faire un topo lim­i­naire très basique. Vous pou­vez le sauter. Ceux qui ne sont pas tout à fait débu­tants pour se rac­crocher aux étapes suiv­antes avant d’aller au cœur du sujet (au chapitre inti­t­ulé, Vous êtes ren­voyés…) La vul­gar­i­sa­tion, ce n’est pas de met­tre des bar­reaux en haut de l’échelle, c’est de met­tre des bar­reaux cor­recte­ment espacés du bas au haut de l’échelle. Dix­it un de mes pro­fesseurs à l’École du Lou­vre, il y a bien longtemps.

La hauteur d’une note

La portée est un ensem­ble de cinq lignes hor­i­zon­tales qui per­met d’indiquer la hau­teur d’un son.
Plus un son est aigu et plus il représen­té haut sur la portée. Si le son est plus aigu ou grave que les lignes de la portée, on rajoute un petit bout de ligne avec la note (voir ci-dessous, pour le pre­mier DO, à gauche).

Par la suite, j’utiliserai la nota­tion avec le nom des notes (Do à Si) et pas les let­tres A à G.

Les altérations

Pour mar­quer les sub­til­ités de la musique, on a besoin de « crans » inter­mé­di­aires à ces 8 étages. Pour cela on utilise les diès­es et les bémols.
Le dièse aug­mente d’un demi-ton la note qu’il précède. Le bémol baisse la note qu’il précède d’un demi-ton. Prenons l’exemple de la note Sol :

On peut donc mon­ter ou descen­dre une note, au choix. Si on aug­mente la note la plus grave et qu’on baisse la plus aiguë, on obtient le même son.

Une vidéo qui vous mon­tre un peu le principe du clavier du piano. https://youtu.be/WKuR6dwX6QE

Voici ce que donne la représen­ta­tion sur une portée de l’air bien con­nu de Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob).

Représen­ta­tion de la chan­son Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) sur une portée.

On peut donc raison­ner en demi-tons, puisque chaque touche du piano (blanche et noire) est séparée de sa voi­sine d’un demi-ton.
Revenons à Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) qui peut être écrit ain­si :
Do Ré Mi Do Do Ré Mi Do Mi Fa Sol
Entre le Mi et le Fa, il n’y a qu’un demi-ton. On peut donc obtenir la même mélodie, un peu plus grave ou aigue, en décalant le jeu. Par exem­ple Sol La Si Sol Sol La Si Sol Si Do Ré. Main­tenant, le demi-ton est entre le Si et le Do.
On peut égale­ment jouer en inclu­ant les touch­es noires, par exem­ple en com­mençant par Fa# Sol# La# et ain­si de suite.
Cela peut aider pour jouer avec des instru­ments qui ont une tes­si­ture étroite (qui ne peu­vent jouer que des notes sur une éten­due restreinte d’une ou deux octaves, comme une flûte à bec). On change la note de référence pour l’adapter aux pos­si­bil­ités de l’instrument avec lequel on joue. Cela s’appelle la trans­po­si­tion. On fait aus­si cela pour les chanteurs. Par exem­ple, si c’est une femme sopra­no qui chante ou un homme bary­ton, il fau­dra que l’orchestre s’adapte à la tes­si­ture du chanteur.
Avec les instru­ments à cordes, on peut chang­er la ten­sion pour mod­i­fi­er l’accord de l’instrument. Pour d’autres comme le ban­donéon, c’est impos­si­ble. Il faut donc accorder tous les instru­ments pour qu’ils soient com­pat­i­bles avec cet instru­ment. L’amusant est que selon les régions et les épo­ques le « dia­pa­son » a changé et que cer­tains se crêpent le chignon pour ce type de détail… Mais, cela devient un dis­cours de « spé­cial­iste » et n’a aucun intérêt pour la danse. Abor­dons donc d’abord le niveau trois, l’esprit tran­quille.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau trois, les modes

Il ne faudrait pas penser que toutes ces sub­til­ités ont été créées pour pal­li­er des prob­lèmes tech­niques.
Les altéra­tions (diès­es et bémols) ont été inven­tées pour chang­er la tonal­ité (la couleur, les teintes, pour faire une com­para­i­son avec la pein­ture).
Selon la dis­po­si­tion de ces altéra­tions, l’ambiance du morceau va chang­er.
Le plus sim­ple est d’écouter un morceau bien con­nu et de voir com­ment son ambiance change si on mod­i­fie la posi­tion des demi-tons.
Je reprends Frère Jacques (Broth­er John / Lego Diego / Fra’ Mar­ti­no / Brud­er Jakob) pour que ce soit bien clair.

Frère Jacques au piano en Do majeur. C’est la ver­sion habituelle.
Frère Jacques au piano en Do mineur.

La tonal­ité de la musique est bien dif­férente. Le mi de la ver­sion habituelle est devenu un mi bémol. Il est un demi-ton plus bas. Cela suf­fit à chang­er la façon dont on perçoit la musique. Elle sem­ble plus triste. Ce mode par­ti­c­uli­er est appelé mode mineur par oppo­si­tion au mode majeur plus gai que l’on est habitué à enten­dre pour ce titre.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau quatre, l’armature et les changements de mode

On par­le tou­jours du mode et pas de la mode ves­ti­men­taire, hein ?
On a vu que le change­ment de mode don­nait une couleur par­ti­c­ulière à la musique. Pour éviter d’avoir à écrire chaque dièse ou bémol à la clef, on a décidé de met­tre en début de par­ti­tion, tous les diès­es ou bémols à utilis­er. Pour être pré­cis, c’est soit des diès­es, soit des bémols et l’ordre en est pré­cis, on n’écrit pas n’importe quoi à l’armature (cette par­tie de la par­ti­tion).
Cette arma­ture indique la tonal­ité d’un morceau. Par exem­ple, il peut être en Do majeur, c’est une des tonal­ités les plus sim­ples. Au piano il se joue unique­ment avec les touch­es blanch­es. La plu­part des chan­sons enfan­tines sont dans cette tonal­ité, car elles sont sou­vent jouées sur des instru­ments rudi­men­taires qui ne per­me­t­tent pas les demi-tons.
Dans Lágri­mas y son­risas, le mode change en cours de route.

On remar­quera à l’armature au tout début, trois bémols (Si b, Mi b, La b). Cela indique que tous les Si, tous les Mi et tous les La seront altérés (joués un demi-ton plus bas), sauf indi­ca­tion con­traire.
Con­traire­ment au dièse ou au bémol isolé, ces altéra­tions placées en début de par­ti­tion influ­ent sur toute la musique. Dans le cas de cette valse, on peut dire qu’elle com­mence en Do mineur donc un mode nos­tal­gique, triste. Je n’entre pas dans les détails, ce serait trop long à expos­er ici.
On remar­quera sur la sec­onde page de la par­ti­tion, à l’endroit du change­ment de couleur, trois signes placés sur les lignes des Si, Mi et La (les lignes des notes qui sont altérées. Ces signes qui ressem­blent un peu aux diès­es sont des bécar­res. Leur fonc­tion est d’annuler les altéra­tions sur les notes con­sid­érées. Ici, comme c’est au début d’une par­tie, c’est val­able pour tout ce qui suit. Tous les Si, tous les Mi et tous les La seront désor­mais ordi­naires [ni plus graves ni plus aigus].

Le bécarre peut aus­si être placé devant une seule note, comme un dièse ou un bémol. Dans ce cas, il ne mod­i­fie que la note qui va être jouée et pas les suiv­antes qui garderont l’altération [dièse ou bémol] appliquée à la clef dans l’armure.
Cela sem­ble un peu com­pliqué, mais une fois qu’on a com­pris, c’est pra­tique.

Vous êtes renvoyés…

Je reviens à la par­ti­tion de Lágri­mas y son­risas. On a observé qu’au début elle était en Do mineur [3 bémols], puis que dans la par­tie de couleur ambre, elle était en mode majeur [ici Do majeur].
Cela veut dire que le début est plutôt triste et la par­tie de couleur ambre, plus gaie.
Cela s’entend assez claire­ment à l’écoute si on arrive à pass­er par-dessus deux dif­fi­cultés.
La pre­mière est que les par­ti­tions sont écrites à l’économie. Lorsque l’on rejoue le même pas­sage, on en l’écrit pas, on utilise des sys­tèmes de ren­voi. Par exem­ple, à la fin, on voit D. C. qui sig­ni­fie Da Capo [en tête] et qui indique au musi­cien qu’il doit main­tenant recom­mencer du début. D’autres ren­vois plus dis­crets sont les dou­bles bar­res ver­ti­cales.

La sec­onde dif­fi­culté est qu’il y a des altéra­tions ou des bécar­res sur des notes isolées. On voit dans l’illustration précé­dente, des bécar­res sur les trois « Si » de la pre­mière mesure entière de cet extrait.
C’est-à-dire que la tonal­ité a en fait changé avant l’arrivée des bécar­res. C’est tout sim­ple­ment que le com­pos­i­teur, Pas­cual de Gul­lo dans le cas présent, pré­pare l’oreille de l’auditeur pour le nou­veau mode à venir. C’est ici très dis­cret, c’est plus mar­qué à d’autres endroits. On remar­quera la même chose dans d’autres mesures avec la présence de bécar­res ou diès­es isolés. Je sig­nale ces change­ments dans la sec­onde écoute, ci-dessous.
Ce sont ces sub­til­ités qui font l’harmonie de la musique. Imag­inez que vous passiez directe­ment de Frère Jacques en mode majeur à sa ver­sion en mode mineur, sans pré­pa­ra­tion…
La plu­part des morceaux con­ti­en­nent des change­ments de tonal­ité, moins sou­vent des change­ments de mode comme ici.

Nouvelle écoute de la valse du jour

Main­tenant que vous êtes au courant, je vous pro­pose d’écouter de nou­veau et d’essayer de détecter ces change­ments de mode qui font pass­er du triste des larmes [Lágri­mas] au gai des sourires [Son­risas].

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

0 : 00 Mineur
0 : 18 Un peu de majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
0 : 26 Mineur
0 : 51 Majeur
1 : 17 Mineur
1 : 31 Un peu de Majeur [altéra­tions avec des diès­es pour chang­er la tonal­ité et le mode de façon très tem­po­raire]
1 : 44 Mineur jusqu’à la fin, mais les fior­i­t­ures au piano de Bia­gi, tem­pèrent l’idée de tristesse, même s’il y a un léger ralen­tisse­ment final.

Les paroles

Mal­heureuse­ment, on n’a pas de ver­sion enreg­istrée avec les paroles de Fran­cis­co Gul­lo. On ne pour­ra donc pas enten­dre com­ment s’articulent les pas­sages tristes ou gais, avec les paroles cor­re­spon­dantes. J’indique donc les paroles pour votre référence, même si vous avez peu de chance de les enten­dre inter­prétées, un jour.

Inmen­so es el pesar que tu ausen­cia me ha cau­sa­do,
Mi corazón des­gar­ra­do san­gra de tan­to llo­rar,
Ya no puedo vivir sin tus dul­ces son­risas
Lágri­mas cru­en­tas der­ramo sabi­en­do que te perdí…

Tus son­risas, mág­i­cas de encan­to son
Embe­le­so de mis lágri­mas de amor,
Me acari­cian con su divi­no rubor
Soñán­dolas, vana ilusión, con­sue­lo mi corazón…

Porque te ama­ba de veras
For­ja­ba quimeras con loca ansiedad,
Y en tus her­mosas son­risas
Quedó pri­sion­era mi feli­ci­dad…

Hoy que el recuer­do se ahon­da en la mente
Quisiera verte una vez más,
Para con­fi­arte en secre­to, alma mía
Que mi amor, no te olvi­do jamás…

Bésame con pasión tu boca me mur­mura­ba,
No te ator­mentes, que nada de ti me sep­a­rará,
Siem­pre te nom­brarán mis lágri­mas sen­ti­das
Por tus son­risas fin­gi­das, estoy enfer­mo de amor…

Pas­cual De Gul­lo Letra : Fran­cis­co Gul­lo (Pas­cual De Gul­lo)

Traduction libre et indications

Immense est le cha­grin que m’a causé ton absence. Mon cœur déchiré saigne de tant pleur­er.
Je ne peux plus vivre sans tes doux sourires. Des larmes sanglantes que j’ai ver­sées en sachant que je t’ai per­due…
Tes sourires sont mag­iques de charme, embel­lis­sant mes larmes d’amour. Ils me caressent de leur divine rougeur. En rêver, vaine illu­sion, con­sole mon cœur…
Parce que je t’aimais vrai­ment ; j’ai forgé des chimères avec une folle anx­iété et dans tes beaux sourires, mon bon­heur était empris­on­né…
Aujourd’hui, que le sou­venir s’engloutit dans l’esprit, j’aimerais te voir une fois de plus [voir le sub­lime tan­go « Quiero verte una vez más » de Mario Canaro avec des paroles de José María Con­tur­si, sur le même thème].
Pour te con­fi­er secrète­ment, mon âme, que mon amour ne t’oubliera jamais
Embrasse-moi pas­sion­né­ment, me mur­mu­ra ta bouche, ne te tour­mente pas, car rien ne me sépar­era de toi. Tou­jours mes larmes sincères te nom­meront. À cause de tes sourires feints, je suis malade d’amour…
Les paroles sont plutôt jolies et sen­si­bles. La chute finale avec les sourires feints ouvre dif­férents hori­zons que je vous laisse explor­er ; —)

Les versions

Lágri­mas y son­risas 1913 — Eduar­do Aro­las y su Orques­ta Típi­ca.

Un enreg­istrement acous­tique, donc un peu sévère pour nos oreilles mod­ernes, mais qui laisse tout de même remar­quer la qual­ité de l’interprétation. Cepen­dant, le manque de vari­a­tions peut laiss­er paraître le titre un peu monot­o­ne.

Lágri­mas y son­risas 1914 — Quin­te­to Criol­lo Tano Genaro Espósi­to.

L’année suiv­ante, Tano Genaro l’interprète avec son Quin­te­to Criol­lo. À mon avis, on peut se pass­er facile­ment de cette ver­sion, plutôt ennuyeuse.

Lágri­mas y son­risas 1932-12-05 — Trío Ciri­a­co Ortiz.

Bien que de 1932, cette ver­sion à deux gui­tares et un ban­donéon, peut se danser, mais elle ne devrait pas sus­citer des ent­hou­si­asmes débor­dants. Les gui­tares de Ramón Andrés Menén­dez y Vicente Spina (le com­pos­i­teur de Loco tur­bión) font leur tra­vail, mais le ban­donéon de Ciri­a­co Ortiz est un peu paresseux.

Lágri­mas y son­risas 1934-10-20 — Orques­ta Adol­fo Pocho­lo Pérez.

On monte un peu en énergie et la dif­férence entre les par­ties tristes (mineure) et gaies (majeures) est bien sen­si­ble.

Lágri­mas y son­risas 1936-09-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Une ver­sion clas­sique. Bia­gi se remar­que au piano par quelques élé­ments légers. Dans la par­tie gaie, il accom­pa­gne de façon légère les pizzi­cati des vio­lons. Le final à la D’Arienzo sug­gère une accéléra­tion et la valse nous entraîne puis­sam­ment jusqu’aux dernières notes.
Il est un peu dom­mage de ne pas en avoir un enreg­istrement de 1938, car c’est cette valse qui a poussé D’Arienzo à vir­er Bia­gi, car il deve­nait de plus en plus la vedette de l’orchestre. En effet, à la suite d’une inter­pré­ta­tion bril­lante de cette valse, Bia­gi se leva pour saluer le pub­lic qui applaud­is­sait à tout rompre. D’Arienzo s’est alors dirigé vers lui pour lui sig­ni­fi­er à voix basse qu’il était viré ; “¡Soy la úni­ca estrel­la de esta orquesta…estás des­pe­di­do!». Je suis la seule vedette (étoile) de cet orchestre, tu es viré !

Lágri­mas y son­risas 1941-03-26 — Orques­ta Rodol­fo Bia­gi.

C’est la valse du jour. Là, Bia­gi a son pro­pre orchestre. Il peut se lâch­er com­plète­ment au piano pour nous pro­pos­er cette ver­sion bril­lante. Les expi­ra­tions hale­tantes des ban­donéons, les glis­san­dos des vio­lons et les accents énergiques du piano don­nent une grande var­iété à cette inter­pré­ta­tion. La fin n’a pas l’impression d’accélération que pos­sède la ver­sion de D’Arienzo, mais les motifs des 30 dernières sec­on­des démon­trent la vir­tu­osité de Bia­gi au piano.

Lágri­mas y son­risas 1974-04-26 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis

Je ter­min­erai avec un autre pianiste, De Ange­lis qui pro­pose une ver­sion bien dif­férente et tar­dive de cette très belle valse où on retrou­ve le même jeu que dans les 30 dernières sec­on­des de la ver­sion de Bia­gi, mais plus tôt. On peut con­sid­ér­er que c’est un hom­mage, une cita­tion. Cela per­met à De Ange­lis de retrou­ver l’accélération finale qui avait été gom­mée dans la ver­sion de Bia­gi.