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Mala junta 1947-01-16 — Orquesta Pedro Laurenz

Julio De Caro; Pedro Laurenz Letra: Juan Miguel Velich

Je suis sûr que vous avez déjà été inter­pel­lés par ce titre qui com­mence par des rires, voire par des sif­fle­ments. La ver­sion du jour est réal­isée par un des deux auteurs, le ban­donéon­iste Pedro Lau­renz, qui à l’époque de la com­po­si­tion, était dans l’orchestre de l’autre com­pos­i­teur, Julio de Caro. Nous ver­rons que, dès 1927, cette œuvre est d’une extra­or­di­naire moder­nité.
Mala jun­ta peut se traduire par mau­vaise ren­con­tre. Vous serez peut-être éton­né de voir qu’elle est la mau­vaise ren­con­tre évo­quée par Mag­a­l­di…

Extrait musical

Par­ti­tions de Mala jun­ta. Elles sont dédi­cacées “Al dis­tin­gui­do y apre­ci­a­do Señor Don Luis Gondra y famil­ia”. Pre­mière des 26 pages de la par­ti­tion com­plète et début de la par­tie finale avec la mise en valeur du ban­donéon. Par­ti­tion réal­isée par Lucas Alcides Cac­eres.
Mala jun­ta 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz.

Les ver­sions de Pugliese sont bien plus con­nues, mais vous recon­naîtrez tout de suite le titre mal­gré l’absence des éclats de rire du début, ou plus exacte­ment, c’est l’orchestre qui repro­duit le thème de l’éclat de rire, instru­men­tale­ment. Le rythme est bien mar­qué, même s’il com­porte quelques syn­copes en fan­taisie.
On notera que Lau­renz fait égale­ment l’impasse sur les sif­fle­ments. Dans son enreg­istrement de 1968, avec son quin­te­to, il omet­tra égale­ment ces deux élé­ments. On pour­rait donc imag­in­er que ces rires et sif­fle­ments sont des fan­taisies de De Caro. C’est d’autant plus prob­a­ble si on se sou­vient que, dans El moni­to, il utilise les sif­fle­ments, les rires et même des phras­es humoris­tiques.
Si quelques dis­so­nances rap­pel­lent les com­po­si­tions decaréennes (de De Caro), elles ne devraient pas trou­bler les danseurs moins fam­i­liers de ces sonorités.
Les phras­es sont lancées et se ter­mi­nent sou­vent comme jetées, pré­cip­itées. Le piano coupe ces accéléra­tions par ses ponc­tu­a­tions. La musique sem­ble se remet­tre en place et on recom­mence jusqu’à la dernière par­tie où le ban­donéon de Lau­renz s’en donne à cœur joie. Rap­pelez-vous que, dans la par­ti­tion, toute cette par­tie est en dou­bles-croches, ce qui per­met de don­ner une impres­sion de vitesse, sans mod­i­fi­er le rythme.

Disque Odeón 7644 Face A avec Mala jun­ta inter­prété par Pedro Lau­renz.

Don Luis Gondra

Luis Gondra a deux épo­ques et une car­i­ca­ture dans la Revue Caras y Care­tas de 1923, qui rap­pelle qu’il était égale­ment avo­cat.

La dédi­cace de ce tan­go a été effec­tuée à Luis Gondra (Luis Roque Gondra), un mil­i­tant, écrivain et poli­tique. Il fait par­tie des sur­vivants du mas­sacre de Pirovano où 200 hommes venus prêter main-forte à Hipól­i­to Yrigoyen en prenant le train à Bahia Blan­ca ont été attaqués à balles et baïon­nettes par des forces loyales au gou­verne­ment de Manuel Quin­tana.
Il est mort le 10 févri­er 1947, soit moins d’un mois après l’enregistrement de notre tan­go du jour. Il est l’auteur de dif­férents ouvrages, prin­ci­pale­ment d’histoire poli­tique, comme des ouvrages sur Bel­gra­no ou des cours d’économie, car il était pro­fesseur de cette matière.

Un ouvrage à la gloire de Bel­gra­no, un cours d’é­conomie poli­tique et sociale et un livre sur les idées économiques de Bel­gra­no. Cela donne le pro­fil du dédi­cataire de ce tan­go.

Paroles, deux versions

Même si notre tan­go du jour est instru­men­tal, il y a des paroles, celles enreg­istrées par Mag­a­l­di, qui dénon­cent le tan­go comme la cause de la perdi­tion et celles que l’on trou­ve habituelle­ment dans les recueils de paroles de tan­go. Ce qui est curieux est qu’il n’y a pas de ver­sion enreg­istrée des paroles « canon­iques ».
Je com­mence donc par la ver­sion de Mag­a­l­di et don­nerait ensuite la ver­sion « stan­dard ».

Paroles chantées par Magaldi

Por tu mala jun­ta te perdieron, Nena,
Y causaste a tus pobres viejos, pena,
Que a pesar de todos los con­se­jos,
Un mal día te engrupieron
Y el gotán te enca­denó…

¡Ay! ¿Dónde estás, Neni­ta de mira­da seduc­to­ra?
Tan ple­na de poesía, cual diosa del amor…
Nun­ca, jamás veré la Sul­tani­ta que en otro­ra
Con sus mimos disi­pa­ba mi dolor.

Recita­do:
Guar­do de ti recuer­do sin igual
Pues fuiste para mí toda la vida.
Mi corazón sufrió la desilusión
Del des­pre­cio a su quer­er que era su ide­al.

Y con la heri­da
Que tú me has hecho,
Mi fe has dese­cho
Y serás mi perdi­ción.

Todo está som­brío y muy triste, alma,
Y nos fal­ta, des­de que te has ido, cal­ma,
El vivir la dicha ya ha per­di­do
Porque con tu mal vin­iste
A enlu­tar mi corazón.

¿Por qué, mi amor, seguiste a esa mala con­se­jera
que, obran­do con fal­sía, buscó tu perdi­ción?
Mien­tras que aquí está la madrecita que te espera
Para darte su amorosa ben­di­ción.

Recita­do:
Dulce dei­dad, que fue para mi bien
Un sueño de plac­er nun­ca sen­ti­do,
Yo no pen­sé que ése, mi gran quer­er,
Lo perdiera así nomás, sien­do mi Edén.

¿Dónde te has ido
mi noviecita?
Tu madrecita
Siem­pre cree que has de volver.
Julio De Caro; Pedro Lau­renz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version de Magaldi

À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, ils t’ont per­du, Bébé,
Et tu as causé à tes pau­vres par­ents, de la peine,
Que mal­gré tous les con­seils, un mau­vais jour, ils t‑on trompés (dit des men­songes) et le gotan t’a enchaîné… (Et voilà le grand coupable, le tan­go…).
Hélas! Où es-tu, petite fille au regard séduc­teur ?
Telle­ment pleine de poésie, comme une déesse de l’amour…
Je ne ver­rai jamais, jamais la sul­tane qui, une fois, avec ses câlins, a dis­sipé ma douleur.
Réc­i­tatif:
Je garde un sou­venir iné­galé de toi parce que tu as été pour moi toute ma vie.
Mon cœur a souf­fert de la décep­tion du mépris pour son amour, qui était son idéal.
Et avec la blessure que tu m’as faite,
Tu as rejeté ma foi et tu seras ma perte.
Tout est lugubre et très triste, âme, et nous man­quons, depuis que tu es par­tie, le calme, la vie du bon­heur s’est déjà per­due, car avec ton mal tu es venue endeuiller mon cœur.
Pourquoi, mon amour, as-tu suivi ce mau­vais con­seiller qui, agis­sant fausse­ment, a cher­ché ta perte ?
Alors qu’i­ci se trou­ve la petite mère qui t’attend pour te don­ner sa béné­dic­tion aimante.
Réc­i­tatif:
Douce divinité, qui était pour mon bien un rêve de plaisir jamais ressen­ti,
Je ne pen­sais pas que cela, mon grand amour, je le perdrai, étant mon Eden.
Où es-tu allée, ma petite fiancée?
Ta petite mère pense tou­jours que tu vas revenir.

Paroles de la version standard

Por tu mala jun­ta te perdiste, nena
y nos causa tu extravío, llan­tos, ¡pena!…
De un vivir risueño te han habla­do
y al final… ¡te has olvi­da­do
de tu vie­ja y de mi amor!…
En la fiebre loca de men­ti­das galas
se que­maron tus div­inas, ¡níveas alas!…
En tu afán de lujos y de orgías
recubriste de agonías
¡a mi vida y a tu hog­ar!…

Fuiste el ángel de mis horas de bohemia,
el bien de mi esper­an­za,
tier­no sueño encan­ta­dor;
y no puedo sofo­car mis neuras­te­nias
cuan­do pien­so en la mudan­za
¡de tu cru­el amor!…

(recita­do)
¡Pobre de mí… que a cues­tas con mi gran cruz
rodan­do he de mar­char por mi oscu­ra sen­da;
¡sin el calor de aque­l­la ful­gente luz
que tu mirar dis­per­só en mi corazón!

(can­to)
Sueños de glo­ria
que trun­cos quedaron
y heri­do me dejaron
entre bru­mas de dolor…

Por tu mala jun­ta te perdiste, nena,
y nos causa tu extravío llan­tos, ¡pena!…
Por seguir tus necias ambi­ciones
mis doradas ilu­siones
¡para siem­pre las perdí!…
Una san­ta madre deli­rante cla­ma
y con ella mi car­iño, rue­ga, ¡lla­ma!…
El perdón te espera con un beso
sí nos traes con tu regre­so
¡la ale­gría de vivir!…

Tus recuer­dos se amon­to­nan en mi mente,
tu ima­gen me obse­siona,
te con­tem­p­lo en mi ansiedad;
y te nom­bro sus­pi­ran­do tris­te­mente,
pero en vano… ¡no reac­ciona
tu alma sin piedad!…

Y como el cisne
que muere can­tan­do
así se irá esfu­man­do
¡mi doliente juven­tud!…
Julio De Caro; Pedro Lau­renz Letra: Juan Miguel Velich

Traduction libre des paroles de la version standard

À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, tu t’es per­due, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du cha­grin…
On t’a par­lé d’une vie souri­ante et à la fin… tu as oublié ta mère et mon amour…
Dans la fièvre folle, des parures men­songères se brûlèrent tes ailes divines et neigeuses…
Dans ton avid­ité de luxe et d’orgies, tu as cou­vert d’ag­o­nies (amer­tumes, douleurs, cha­grins) ma vie et ta mai­son…
Tu étais l’ange de mes heures de bohème, le bien de mon espérance, le rêve ten­dre et enchanteur ;
et je ne puis étouf­fer ma neurasthénie quand je pense au change­ment de ton amour cru­el…
(réc­i­tatif)
Pau­vre de moi… que sur mes épaules, avec ma grande croix, errant, je dois marcher le long de mon obscur sen­tier ;
Sans la chaleur de cette lumière écla­tante que ton regard a dis­per­sée dans mon cœur !
(chant)
Des rêves de gloire qui res­teront tron­qués et me lais­sèrent blessé dans des brouil­lards de douleur…
À cause de ta mau­vaise ren­con­tre, tu t’es per­due, bébé et ta perte nous cause, des larmes, du cha­grin…
Pour suiv­re tes folles ambi­tions, mes illu­sions dorées, pour tou­jours, je les ai per­dues…
Une sainte mère en délire crie et, avec elle, mon affec­tion, sup­plie, appelle…
Le par­don t’at­tend avec un bais­er si tu nous ramènes avec ton retour, la joie de vivre…
Tes sou­venirs s’ac­cu­mu­lent dans mon esprit, ton image m’ob­sède, je te con­tem­ple dans mon angoisse ;
Et je te nomme en soupi­rant tris­te­ment, mais en vain… ton âme sans pitié ne réag­it pas…
Et comme le cygne qui meurt en chan­tant ain­si s’évanouira, ma douloureuse jeunesse…

On voit les dif­férences entre les deux ver­sions des paroles. Il se peut que les deux soient de Juan Miguel Velich, à moins que Mag­a­l­di ait adap­té les paroles à son goût. C’est un petit mys­tère, mais cela me sem­ble très mar­gin­al dans la mesure où l’intérêt prin­ci­pal de cette com­po­si­tion est dans la musique.

Autres versions

Mala jun­ta 1927-09-13 — Orques­ta Julio De Caro.

Cette ver­sion per­met de retrou­ver les deux com­pos­i­teurs avec Julio de Caro au vio­lon (son vio­lon à cor­net) et Pedro Lau­renz au ban­donéon. Ce dernier avait inté­gré l’orchestre de De Caro en 1924 en rem­place­ment de Luis Petru­cel­li.
On notera, après les rires, le début sif­flé. Cette ver­sion, la plus anci­enne enreg­istrée en notre pos­ses­sion, a déjà tous les élé­ments de moder­nité que l’on attribuera deux ou trois décen­nies plus tard à Osval­do Pugliese qui se con­sid­érait comme l’humble héri­ti­er de De Caro.
Voici la com­po­si­tion du sex­te­to pour cet enreg­istrement :

  • Pedro Lau­renz et Arman­do Blas­co au ban­donéon.
  • Fran­cis­co De Caro au piano.
  • Julio De Caro et Alfre­do Cit­ro au vio­lon.
  • Enrique Krauss à la con­tre­basse.
Disque Vic­tor de la ver­sion enreg­istrée par De Caro en 1927.
Mala jun­ta 1928-06-18 — Agustín Mag­a­l­di con orques­ta.

Comme nous l’avons vu, Mag­a­l­di chante des paroles dif­férentes, mais l’histoire est la même. C’est bien sûr un enreg­istrement des­tiné à l’écoute, à la lim­ite de la pièce de théâtre.

Mala jun­ta 1928-12 — Orques­ta Típi­ca Brod­man-Alfaro. Orig­i­nal Colum­bia L 1349–1 Matrice D 19172.

Le titre com­mence avec les sif­flets, mais sans les rires. Cette ver­sion com­porte un pas­sage avec une scie musi­cale. Finale­ment, ce n’est pas vilain, mais sans doute plus curieux que cap­ti­vant.

À gauche, le disque offi­ciel édité par la Colum­bia en 1929 (enreg­istrement de décem­bre 1928). À droite, un disque pirate du même enreg­istrement réal­isé dans le courant de 1929.

Quelqu’un a‑t-il réus­si à se pro­cur­er la matrice D 19172 et à en faire une copie sous le numéro de matrice bidon N300028 ?
La moins bonne qual­ité de la copie pirate peut aus­si laiss­er penser qu’elle a été réal­isée à par­tir d’un disque édité. Bien sûr, il est dif­fi­cile de juger, car il faudrait plusieurs copies de la ver­sion pirate, pour véri­fi­er que cela vient de la fab­ri­ca­tion et pas de l’usure du disque.

Mala Jun­ta 1928-12 — Orques­ta Tipi­ca Brod­man Alfaro. Copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028).

Même enreg­istrement, mais ici, la copie pirate d’Omnia (Disque X27251 — Matrice N300028). La qual­ité est sen­si­ble­ment plus faible, est-ce le fait de la copie d’un disque orig­i­nal ou tout sim­ple­ment de l’usure plus impor­tante de ce disque ? Petit rap­pel. Les dis­ques sont réal­isés à par­tir d’une matrice, elle-même issue de l’enregistrement sur une galette de cire. La cire était directe­ment gravée par la pres­sion acous­tique (pour les pre­miers enreg­istrements) et par le déplace­ment d’un burin soumis aux vibra­tions obtenues par voie élec­trique (micro­phone à char­bon, par exem­ple). Cette cire ser­vait à réalis­er un con­tre­type, la matrice qui ser­vait ensuite à réalis­er les dis­ques par pres­sage. Sans cette matrice, il faut par­tir d’un disque déjà pressé, ce qui engen­dre à la fois la perte de détails qui avaient été déjà atténués à cause de l’impression orig­i­nale, mais cela peut égale­ment ajouter les défauts du disque s’il a été util­isé aupar­a­vant. La copie pirate est donc oblig­a­toire­ment de moins bonne qual­ité dans ce cas, d’autant plus que le matéri­au du disque peut égale­ment être choisi de moins bonne qual­ité, ce qui engen­dr­era plus de bruit de fond, mais ce qui per­me­t­tra de réduire le prix de fab­ri­ca­tion de cette arnaque.
On notera que, de nos jours, les édi­teurs par­tent sou­vent de dis­ques qui sont eux-mêmes des copies et qu’ils ajoutent des traite­ments numériques sup­posés de redonner une jeunesse à leurs pro­duits. Le résul­tat est sou­vent mon­strueux et se détecte par la men­tion « remas­tered » sur le disque. Mal­heureuse­ment, cela tend à devenir la norme dans les milon­gas, mal­gré les sonorités hor­ri­bles que ces traite­ments mal exé­cutés pro­duisent.

Mala jun­ta 1938-07-11 — Orques­ta Típi­ca Bernar­do Ale­many.

Le prin­ci­pal intérêt de cette ver­sion est qu’elle ouvre une sec­onde péri­ode d’enregistrements, une décen­nie plus tard. On peut cepen­dant ne pas être embal­lé par le résul­tat, sans doute trop con­fus.

Mala jun­ta 1938-11-16 — Orques­ta Julio De Caro.

De Caro réen­reg­istre sa créa­tion, cette fois, les rires et les sif­fle­ments sont reportés à la sec­onde par­tie. Cela per­met de met­tre en valeur la com­po­si­tion musi­cale assez com­plexe. Cette com­plex­ité même qui fera que ce titre, mal­gré sa beauté, aura du mal à ren­dre les danseurs heureux. On le réservera donc à l’écoute.

Mala jun­ta 1943–08-27- Orques­ta Osval­do Pugliese.

Con­traire­ment à son mod­èle, Pugliese a con­servé les rires en début d’œuvre, mais a égale­ment sup­primé les sif­fle­ments qui n’interviendront que dans la sec­onde par­tie. L’interprétation est d’une grande régu­lar­ité et avant le solo du dernier tiers de l’œuvre, on pour­ra trou­ver que l’interprétation manque d’originalité, ce n’est en effet que dans la dernière par­tie que Pugliese déchaîne son orchestre avec des ban­donéons excités sur­volés par le vio­lon tran­quille. Au crédit de cet enreg­istrement, on pour­ra indi­quer qu’il est dans­able et que la fin énergique pour­ra faire oubli­er un début man­quant un peu d’expression.

Mala jun­ta 1947-01-16 — Orques­ta Pedro Lau­renz. C’est notre tan­go du Jour.
Mala jun­ta 1949-10-10 — Orques­ta Julio De Caro.

De Caro, après la ver­sion de Pugliese et celle de Lau­renz, son coau­teur, enreg­istre une ver­sion dif­férente. Comme pour celle de 1938, il ne con­serve pas les rires et sif­flets ini­ti­aux. C’est encore plus abouti musi­cale­ment, mais tou­jours plus pour l’écoute que pour la danse. Conser­vons cela en tête pour décou­vrir, la réponse de Pugliese…

Mala jun­ta 1952-11-29 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

Tou­jours les rires, sans sif­fle­ments au début de cet enreg­istrement et dans la sec­onde par­tie, ce sont les sif­fle­ments qui rem­pla­cent les rires. L’affirmation de la Yum­ba dans l’interprétation et la struc­ture de cette orches­tra­tion nous pro­pose un Pugliese bien for­mé et « typ­ique » qui devrait plaire à beau­coup de danseurs, car l’improvisation y est facil­itée, même si la richesse peut ren­dre dif­fi­cile la tâche à des danseurs peu expéri­men­tés.

La ver­sion de 1952 a été éditée en disque 33 tours. Mala jun­ta est la pre­mière plage de la face A du disque LDS 103.
Mala jun­ta 1957-09-02 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Dis­ons-le claire­ment, j’ai un peu honte de vous présen­ter cette ver­sion après celle de Pugliese. Cette ver­sion sautil­lante ne me sem­ble pas adap­tée au thème. Je ne ten­terai donc pas de la pro­pos­er en milon­ga. Je ne ver­rai donc jamais les danseurs trans­for­més en petits duen­des (lutins) gam­badants comme je l’imagine à l’écoute.

Mala jun­ta 1968 — Pedro Lau­renz con su Quin­te­to.

Pedro Lau­renz enreg­istre une dernière ver­sion de sa créa­tion. Il y a de jolis pas­sages, mais je ne suis pas pour ma part très con­va­in­cu du résul­tat.
On a l’impression que les instru­ments jouent cha­cun dans leur coin, sans trop s’occuper de ce que font les autres. Atten­tion, je ne par­le pas d’instrumentistes médiocres qui ne jouent pas ensem­ble, mais du lance­ment de traits jux­ta­posés et super­posés qui sem­blent être lâchés sans cohérence. Si cela peut plaire à l’oreille de cer­tains, c’est sûr que cela posera des dif­fi­cultés aux danseurs qui souhait­ent danser la musique et pas seule­ment faire des pas sur la musique.

Je vous pro­pose de ter­min­er avec Pugliese, qui est incon­testable­ment celui qui a le plus con­cou­ru à faire con­naitre ce titre. Je vous pro­pose une vidéo réal­isée au théâtre Colón de Buenos Aires, point d’orgue de la car­rière du maître qui rap­pelle que ses fans cri­aient « Al Colón » quand ils l’écoutaient. Finale­ment, Pugliese est arrivé au Colón et cette vidéo en témoigne…

Mala jun­ta — Osval­do Pugliese — Teatro Colón 1985.

Il y a d’autres ver­sions, y com­pris par Pugliese, notam­ment réal­isées au cours de dif­férents voy­ages, mais je pense que l’essentiel est dit et, pour ma part, je reste sur la ver­sion de 1952 pour la danse, tout en ayant un faible pour ver­sion tant nova­trice (pour l’époque) de 1927 de De Caro et la ver­sion intéres­sante de Lau­renz, qui con­stitue notre tan­go du jour.

À bien­tôt, les amis !

Fruta prohibida 1930-08-05 — Orquesta Típica Brunswick dirigée par Juan Polito

B. Nortoni

Fru­ta, Fru­to, qui se frotte à ces deux mots, peut être éton­né. En fait, les deux ter­mes sont inter­change­ables en Argen­tine, sauf peut-être pour les botanistes. Dans la vie courante, on peut aller dans un mer­ca­do de fru­tos pour acheter des fru­tas ou l’inverse. Quoiqu’il en soit, vous vous deman­dez peut-être en quoi une scie peut avoir un rap­port avec un fruit défendu. Je vais vous le faire enten­dre, avec ce vieux tan­go, bien canyengue.

Extrait musical

Fru­ta pro­hibi­da 1930-08-05 — Orques­ta Típi­ca Brunswick dir. Juan Poli­to.

Pas besoin de l’écouter en entier pour iden­ti­fi­er qu’il cor­re­spond à ce que l’on appelle main­tenant le style canyengue. Un style que cer­tains con­tin­u­ent de pra­ti­quer, même à Buenos Aires, où on ne passe en général pas ce type de musique. Les afi­ciona­dos le font sur un Canaro ou un Lomu­to un peu plan-plan, par exem­ple, mais qui n’est pas du canyengue pur et dur comme on peut en enten­dre en Europe.
Vous remar­quez les sonorités un peu étranges de la scie musi­cale (ser­ru­cho) de 1:05 à 1:37. Je vous en dirai plus sur cet instru­ment en fin d’article.
Je ne sais pas qui en joue. Peut-être le frère de Juan Poli­to, Sal­vador. Il est vio­loniste (et paroli­er). Il est envis­age­able de réduire le pupitre des vio­lons pour y plac­er la scie musi­cale qui joue 30 sec­on­des.

Un peu plus d’incertitudes sur ce tango

Ce tan­go com­posé par B. Nor­toni est prob­a­ble­ment le seul de ce com­pos­i­teur qui nous soit par­venu sous forme de disque.
En revanche, j’ai trou­vé un tan­go du même titre, pub­lié à Madrid en 1927, mais attribué à d’autres auteurs.

La men­tion du tan­go Fru­ta pro­bibi­da dans le jour­nal espag­nol “El Debate” du 13 novem­bre 1927. En bas à gauche, la cou­ver­ture de la par­ti­tion.

Dans le jour­nal El Debate daté du 13 novem­bre 1927, on trou­ve la men­tion d’un tan­go de Enrique Bregel (1893–1981) et Samuel Her­rera (?-1985) appelé Fru­ta pro­hibi­da.
J’ai trou­vé la cou­ver­ture de la par­ti­tion sur laque­lle il y a une femme, peut être le fruit défendu ? Les paroles de Manuel Fei­joó (1904–1938) et Vin­cente Moro (?-1947) pour­raient nous aider à en savoir plus.
Pour savoir si la musique est la même que celle du tan­go attribué à B. Nor­toni, il faudrait pou­voir trou­ver un enreg­istrement ou la par­ti­tion. Je n’ai pas trou­vé d’enregistrement et mal­heureuse­ment, la par­ti­tion n’est pas con­sultable depuis Buenos Aires, seule­ment sur les ordi­na­teurs de la Bib­lio­thèque Nationale Espag­nole à Madrid.
“Esta obra es de acce­so restringi­do. Puede acced­er a ella en orde­nadores especí­fi­cos de las insta­la­ciones de la BNE / Restrict­ed access to this doc­u­ment. It is only avail­able on spe­cif­ic com­put­ers at BNE facil­i­ties.”
Ce ne serait pas la pre­mière fois qu’une œuvre espag­nole se retrou­ve sous la ban­nière argen­tine. B. Nor­toni a‑t-il signé trois ans plus tard, un tan­go écrit en Espagne ? Est-ce sim­ple­ment une coïn­ci­dence. Dif­fi­cile de le con­firmer sans accès à la par­ti­tion. Si quelqu’un de Madrid peut aller à la BNE pour obtenir cette par­ti­tion…

Une scie musicale

En français, une scie désigne égale­ment une œuvre un peu répéti­tive et peu ent­hou­si­as­mante. Mais la scie musi­cale est un instru­ment de musique.

À gauche, Mar­lene Diet­rich jouant da la scie musi­cale pour les sol­dats améri­cains. Dominique Pinon, à droite, joue de la scie musi­cale dans le film de Caro et Jeunet « Del­i­catessen » (1991). Au cen­tre, une scie musi­cale française de 1930.

La scie musi­cale est un instru­ment idio­phone, c’est-à-dire que le son est pro­duit par le matéri­au de l’instrument. L’instrument ressem­ble à une scie égoïne, sans les dents et avec une poignée plus grande, car elle est des­tinée à être main­tenue entre les cuiss­es. L’autre extrémité est main­tenue entre le pouce et l’index ou mieux main­tenue par une manette de flex­ion qui per­met de main­tenir la tor­sion de la lame avec moins d’effort.
On utilise un archet (de vio­lon, alto ou autre) pour met­tre en réso­nance la lame métallique.
Fran­cis­co Canaro a décou­vert cet instru­ment en France et a payé des cours à son petit frère, Rafael, pour qu’il com­plète la liste de ses instru­ments (con­tre­basse et gui­tare) par la scie musi­cale que les Argentins appel­lent ser­ru­cho (scie).
D’autres orchestres que ceux des Canaro l’ont util­isée, comme José Maria Luc­ch­esi, Eduar­do Bian­co et Bachicha (Juan Bautista Deam­bro­gio) et bien sûr, la Típi­ca Brunswick.

Autres versions

Il n’y a pas d’autres ver­sions, alors je vous pro­pose d’autres titres avec ser­ru­cho, par ordre chronologique…

El ser­ru­cho 1924 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Mal­gré le nom de l’œuvre, la scie musi­cale n’est pas mise en valeur. Elle est présente, mais n’a pas de par­tie en solo.

La sulami­ta 1924 (Shim­my) — Jazz Band Fran­cis­co Canaro.

Dans son Jazz Band, Canaro a aus­si inté­gré la scie musi­cale. Comme pour El ser­ru­cho, la présence est tout de même dis­crète.

Tai­ta 1926-11 — Orques­ta Bian­co-Bachicha.

On note l’arrivée de la scie musi­cale dès le début (6 sec­on­des).

Qua­si­mo­do 1928-01 — Orchestre Sud-Améri­cain José Maria Luc­ch­esi.

Un titre très orig­i­nal, La scie musi­cale entre en scène avec puis­sance à 1:06.

La cumpar­si­ta 1928-01-28 — Orques­ta Bian­co-Bachicha.

La scie musi­cale entre en scène à 2:09.

Fru­ta pro­hibi­da 1930-08-05 — Orques­ta Típi­ca Brunswick dir. Juan Poli­to. C’est notre tan­go du jour.
La cumpar­si­ta 1930-08-05 — Orques­ta Típi­ca Brunswick dir. Juan Poli­to.

Une cumpar­si­ta enreg­istrée le même jour que Fru­ta pro­hibi­da par Juan Poli­to et la Típi­ca Brunswick. Il faut pass­er l’impressionnante et très longue intro­duc­tion (1:15) pour entr­er dans l’œuvre. La scie musi­cale n’entre en fonc­tion qu’à 2:14 pour un bref solo.

Voilà, vous saurez main­tenant repér­er cet instru­ment orig­i­nal. Vous pou­vez aus­si vous reporter à l’anecdote du 24 avril 2024 sur Dan­zarín 1963–04-25pour d’autres infor­ma­tions sur des instru­ments plus rares.
À demain, les amis !

Danzarín 1963-04-25 — Orquesta Aníbal Troilo arr. de Julián Plaza

Julián Plaza

On me demande par­fois ce tan­go en dis­ant, ce tan­go de Piaz­zol­la, ou de Pugliese. Ben, il est en fait de Plaza et c’est De Ange­lis qui l’a inter­prété pour la pre­mière fois et c’est Troi­lo qui l’a ren­du célèbre. Analysons ce chef d’œuvre qui annonce un tour­nant impor­tant dans le micro­cosme tan­go à la fin des années 50.

On date sou­vent l’apparition du tan­go nue­vo de Piaz­zol­la et des années 60. Mais comme tou­jours, c’est bien plus com­pliqué que cela.
Dans les années 30, Fran­cis­co Canaro était déjà à la recherche de nou­veaux styles de tan­go, mais en fait, les prin­ci­paux orchestres ont cher­ché à innover en ajoutant des instru­ments et en en enl­e­vant d’autres. La flûte a été rem­placée par le ban­donéon, le piano a fait son appari­tion, la harpe a été rem­placée par la gui­tare, puis est rev­enue et repar­tie, puis des instru­ments plus ou moins étranges comme la scie musi­cale (ser­ru­cho) par­fois rem­placée par le therem­ine qui donne un son très proche bien que pure­ment élec­tron­ique. Par­mi les joueurs de scie musi­cale, on pour­rait citer Rafael Canaro ou Juan Cal­darel­la.

On entend la scie musi­cale dans la Cumpar­si­ta de Rober­to Fir­po en 1916 et dans de nom­breuses com­po­si­tions. Les sons un peu étranges et planants ne datent pas d’aujourd’hui…
 Pour le therem­ine, voici un exem­ple de jeu sur une pièce clas­sique, le cygne de Saint-Saëns.

Dans les années 40, Canaro, tou­jours lui, fut un des pre­miers à utilis­er l’Orgue Ham­mond. Un instru­ment élec­tromé­canique, pro­duisant des sons à l’aide de roues phoniques. Le principe en est sim­ple. Une roue por­tant des aimants tourne. Elle déclenche un micro­phone élec­tro­mag­né­tique lors de sa rota­tion (du même type que ceux des gui­tares élec­triques). Si un aimant passe devant le micro­phone 100 fois par sec­onde, un son de 100 Hz est émis. Il y a plusieurs roues dont le nom­bre d’aimants est dif­férent. Avec le dou­ble d’aiment, à vitesse de rota­tion égale, le son est deux fois plus aigu.
En faisant vari­er la vitesse de rota­tion, on change la hau­teur du son de façon con­tin­ue.
On peut enten­dre l’orgue Ham­mond dans Cristal (1944–06-03) de Fran­cis­co Canaro (à par­tir de 1 minute, ou dans Gar­ras (1945–03-15) à par­tir de 32 sec­on­des. Si vous écoutez ces titres, écoutez-les en entier pour prof­iter de la jolie inter­pré­ta­tion du chanteur, Car­los Roldán.

Gar­ras 1945-03-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Car­los Roldán. Finale­ment, je vous pro­pose gar­ras, peut-être moins con­nu que Cristal que je vous invite à écouter de votre côté pour repér­er les cloches, autre instru­ment orig­i­nal…

Piaz­zol­la intro­duit la gui­tare élec­trique qui utilise donc les mêmes micro­phones que l’orgue Ham­mond, une décen­nie plus tard. C’est un nou­v­el instru­ment, mais il est loin d’être le pre­mier à l’avoir fait.
J’arrête là la liste des inno­va­tions, il y en a trop. C’était juste pour vous démon­tr­er que les nou­veautés en tan­go, c’est vieux. Sinon, on serait tou­jours au tan­go des Gob­bi et autres joyeusetés.

Extrait musical

Voici enfin le titre que vous souhaitez écouter… C’est égale­ment une inno­va­tion, dans l’orchestration et le ren­du de la musique. C’est égale­ment un tan­go nou­veau, une marche dans l’évolution du tan­go.
Plaza l’a écrit pour la danse, dis­ons pour la danse de scène. Il souhaitait inclure dans sa com­po­si­tion des motifs per­me­t­tant de pra­ti­quer toutes les fig­ures pos­si­bles pour un dan­zarín, un excel­lent danseur.

Dan­zarín 1963-04-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo arr. de Julián Plaza.

Vous aurez noté qu’il y a ajouté arr. de Julián Plaza pour arrange­ment de Julián Plaza. Même s’il est l’auteur du titre, il l’a retra­vail­lé pour Troi­lo. Nous ver­rons cepen­dant la lim­ite de cette inter­ven­tion un peu plus loin dans cette anec­dote…
N’oublions pas que c’est De Ange­lis qui l’a joué en pre­mier, en 1956, mais sans l’enregistrer. Cela peut sem­bler éton­nant. Il est cer­tain que le résul­tat devait être très dif­férent de celui du pre­mier enreg­istrement par Troi­lo en 1958. Sans doute pour aller plus loin, Troi­lo a demandé à Plaza de revoir sa par­ti­tion pour l’adapter encore plus à son orchestre.

Autres versions

Il y a des cen­taines d’enregistrements de Dan­zarin. Faute de pou­voir pro­duire la ver­sion de De Ange­lis, je vais me con­tenter des deux enreg­istrements de Troi­lo. En effet, la très grande majorité des enreg­istrements postérieurs ont pris la ver­sion de Troi­lo comme mod­èle et elles n’apportent donc pas grand-chose à l’histoire. La grande époque du tan­go est ter­minée, les orchestres cherchent à per­dur­er, en pro­posant de nou­velles pistes pour l’écoute et les nou­veaux orchestres restent dans les pas des aînés.

Dan­zarín 1958-12-15 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.
Dan­zarín 1963-04-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo arr. de Julián Plaza. C’est notre tan­go du jour.

La sonorité est très dif­férente entre les deux enreg­istrements.
Pour com­pren­dre ce qui se passe, regar­dons l’analyse du spec­tre :

La stéréo de la ver­sion de 1963 donne une impres­sion d’espace. Les instru­ments sont aus­si séparés spa­tiale­ment. Cela ne change pas grand-chose pour la danse, car dans une milon­ga on est obligé de lim­iter la stéréo pour que la répar­ti­tion soit cor­recte dans toute la salle. En revanche, pour l’écoute, c’est plus agréable.
La pre­mière util­i­sa­tion de la stéréo­phonie date de 1881 et c’est une inven­tion du papa de l’avion, Clé­ment Ader qui a eu l’idée de dif­fuser le son de l’opéra Gar­nier de Paris à l’aide d’un réseau de câbles élec­triques reliés d’un côté à deux micro­phones et de l’autre à deux écou­teurs (un par oreille, donc en stéréo). Il a appelé cela le théâtro­phone.
En 1931, Alan Blum­lein, va plus loin en pro­posant un procédé d’enregistrement et de relec­ture sur piste unique qui sera qua­si­ment iden­tique à celui qui sera mis en œuvre à la fin des années 50.
Pour la musique, Dis­ney en 1940 a fait du mul­ti­p­iste pour son film musi­cal Fan­ta­sia. Mal­heureuse­ment, les salles ne se sont pas équipées et le son du ciné­ma est resté glob­ale­ment mono­phonique jusque dans les années 60.
Pour revenir au disque, c’est à par­tir de 1958 que la stéréo­phonie est apparue.
Cela implique que tout le tan­go de l’âge d’or est pure­ment mono­phonique.
Troi­lo qui a un peu souf­fert d’éditeurs médiocres au début de sa car­rière cherche à refaire son enreg­istrement avec le nou­veau procédé et c’est le résul­tat que l’on peut enten­dre dans la ver­sion de 1963. Mal­heureuse­ment, pour des ques­tions de taille de fichi­er, il m’est impos­si­ble de vous le faire écouter ici en entier [mon fichi­er orig­i­nal fait 71 Mo]. Voici donc un court extrait, de plus réduit en MP3 (ce que cer­tains DJ con­sid­èrent comme un for­mat accept­able en milon­ga…).

Dan­zarín 1963-04-25 — Orques­ta Aníbal Troi­lo

Dans ce court extrait, on entend tout de même l’effet stéréo qui est bien mar­qué :
0 s : les vio­lons débu­tent à gauche,
3 s : le piano attaque plutôt au cen­tre et les ban­donéons se rajoutent à droite comme un écho du piano.
15 s : le piano monte des arpèges, les aigus sont plus à droite. Il est donc enreg­istré avec deux micro­phones en stéréo.
19 s : tous les pupitres jouent en même temps, emplis­sant tout l’espace sonore de gauche à droite.
34 s : les ban­donéons et les vio­lons sont des deux côtés. Le piano est plus au cen­tre.
49 s : les instru­ments retrou­vent leur latéral­ité, les vio­lons plus à gauche et les ban­donéons plus à droite. Si vous avez le disque, essayez de l’écouter dans de bonnes con­di­tions, la qual­ité sonore en vaut la peine.

Différences entre les deux versions

L’histoire de la stéréo est réglée. Voyons s’il y a d’autres élé­ments que l’on peut déduire des audio­grammes.

Glob­ale­ment le spec­tre est bien rem­pli dans les deux cas (par­tie inférieure en rouge). Il y a des fréquences jusqu’à env­i­ron 20 kHz, on est en présence de deux enreg­istrements de qual­ité. En 1958, comme on est en mono, les deux canaux sont absol­u­ment iden­tiques. À droite, on remar­que que le canal de droite (situé en bas) présente des « trous » alors que le gauche est plein. C’est ce qu’on a enten­du dans le court extrait en stéréo, les vio­lons com­men­cent à gauche (donc en haut), puis le piano au cen­tre et enfin les ban­donéons à droite (donc en bas). À la moitié du morceau, cet effet est encore plus mar­qué.

On con­state que si la ver­sion de 1963 est glob­ale­ment plus lente, ce n’est pas vrai partout. La ver­sion de 1958, allongée devrait coïn­cider avec celles de 1963 pour la « pause » cen­trale. Ce n’est pas le cas, elle arrive plus tard.
Le début est plus rapi­de dans la ver­sion de 1958, mais quand on cale les deux morceaux à la même durée, tout est fort sem­blable jusqu’à 40 sec­on­des, puis la ver­sion de 63 est plus rapi­de. Elle prend de l’avance. À 1 : 15, la ver­sion de 1958 3 sec­on­des de retard.
La « pause » cen­trale arrive à 1 : 42 dans la ver­sion de 1963 et à 1 : 50, les deux sont de nou­veau syn­chro­nisés pour le solo de vio­lon­celle. La ver­sion de 1963 avait accéléré, puis avant la pause, beau­coup ralen­ti, ce qui a per­mis à la fin de la pause de resyn­chro­nis­er le vio­lon­celle. Je rap­pelle que c’est en temps relatif, car j’ai aug­men­té le temps de la ver­sion de 1958 afin qu’elle représente 100 % de la durée de celle de 1963.
À 2 : 28, la ver­sion de 1963 accélère de nou­veau, devançant celle de 1958, exacte­ment comme elle l’avait fait lors de la pre­mière fois. Ain­si, le solo de vio­lon­celle est de nou­veau syn­chro­nisé à 1 : 54 et ain­si de suite.

Attention, expérience sensorielle perturbante

Quand je musi­calise, j’écoute tou­jours la musique qui passe sur la piste, mais je pré­pare aus­si la tan­da suiv­ante et je cherche une corti­na con­ven­able. Ceci fait que j’ai sou­vent deux, voire trois musiques en même temps à l’écoute dans le casque et en direct.
Je vais vous pro­pos­er une ver­sion sim­pli­fiée de cela en vous présen­tant un morceau con­sti­tué à gauche de la ver­sion de 1958 et à droite, de la ver­sion de 1963. Ce sera plus sim­ple si vous pou­vez l’écouter au casque, ou a min­i­ma avec un équipement stéréo bien équili­bré.
Cela va vous per­me­t­tre de con­stater tout ce que j’indiquais ci-dessus avec vos oreilles, à vous…

Dan­zarin Gauche 1958 Droite 1963 Troi­lo.

Si vous n’avez pas la tête à l’envers à la fin de l’écoute, vous pour­riez être DJ ; -)

Vous aurez remar­qué, sans doute, qu’il n’y a pas de dif­férence notable dans l’orches­tra­tion. Je ne com­prends donc pas pourquoi on rajoute sur ce titre qu’il a béné­fi­cié des arrange­ments de Plaza. Peut-être que c’é­tait le cas aus­si de la ver­sion de 1958. Comme on n’a pas d’en­reg­istrement de De Ange­lis, il est impos­si­ble de faire la dif­férence.

NB : Cette dernière archive sonore n’est pas un essai de tan­go nue­vo…