Le plus ancien enregistrement connu

Phono­graphe Edi­son 1877 Il enreg­is­trait sur un cylin­dre détain Il ser­vait aus­si à la repro­duc­tion

Je pense que vous êtes nom­breux à penser que les pre­miers enreg­istrements sonores datent env­i­ron de 1877, avec l’invention d’Edison et Marie qui a un petit agneau.

En effet, si le Phono­graphe d’Edison est prob­a­ble­ment le plus ancien à avoir dif­fusé un son enreg­istré, deux inven­tions français­es antérieures l’ont précédé.

La pre­mière et la plus anci­enne est celle d’Édouard-Léon Scott de Mar­t­inville qui per­me­t­tait de voir le son grâce à son Pho­nau­to­graphe.

La demande de brevet a été déposée le 25 mars 1857 sous la référence 1 BB 31470.

Le Phonautographe d’Édouard-Léon Scott de Martinville

Pho­nau­to­graphe dÉ­douard Léon Scott de Mar­t­inville fab­riqué par Rudolph Kœnig

Édouard-Léon Scott de Mar­t­inville (1817–1879) a réal­isé les pre­mières cap­tures de son dès 1853, soit 24 ans plus tôt qu’Edison. Mais alors, pourquoi ne lui donne-t-on pas la palme du pre­mier enreg­istreur ?

Pour le com­pren­dre, il faut étudi­er le fonc­tion­nement de l’engin.

Dessin du pho­nau­to­graphe joint au dossier de brevet de Scott de Mar­t­inville ver­sion de 1859 Insti­tut Nation­al de la Pro­priété Indus­trielle INPI

Un pavil­lon canalise les sons entrants. Ce sys­tème était courant, car le cor­net acous­tique util­isé par les per­son­nes ayant une baisse de l’audition util­i­sait déjà ce principe depuis plusieurs siè­cles.

Anto­nias Nuck 16501692 Cor­net en forme de cor de chas­se équipé dune poignée

Cepen­dant, con­traire­ment aux procédés ultérieurs d’Edison, le sys­tème de Scott de Mar­t­inville enreg­istre la dévi­a­tion d’un fais­ceau lumineux sur une feuille de papi­er sen­si­ble à la lumière.

Pho­nau­to­gramme réal­isé par Scott de Mar­t­inville en 1859

Le catalogue de Rudolph Kœnig

Rudolph Kœnig, fab­ri­cant de matériel de lab­o­ra­toire, obtient un accord d’exclusivité pour la fab­ri­ca­tion des Pho­nau­to­graphes à par­tir de 1859. Voici com­ment il décrit ce matériel dans son cat­a­logue. Tout d’abord, dans la pré­face :
« Dans le présent cat­a­logue, j’ai ajouté aux instru­ments d’acoustique réu­nis dans la dernière édi­tion du Cat­a­logue de M. Mar­loye, de 1851, et aujourd’hui partout adop­tés dans les cab­i­nets de physique, un nom­bre assez con­sid­érable d’appareils nou­veaux.
Une par­tie de ces appareils sont devenus, dans l’état actuel de la sci­ence, presque indis­pens­ables pour l’étude de l’acoustique ; les autres offrent encore assez d’intérêt pour fig­ur­er dans les cours et les col­lec­tions, d’instruments de physique. Je crois devoir attir­er par­ti­c­ulière­ment l’attention des savants sur l’appareil de pho­nau­to­gra­phie (fix­a­tion graphique du son) reposant sur les brevets de M. L. Scott, et dont je suis le seul con­struc­teur, parce que cet instru­ment ne per­met pas seule­ment de répéter une longue série d’expériences très-intéres­santes, mais qu’il donne aus­si le moyen de faire un grand nom­bre de recherch­es sci­en­tifiques qui jusqu’à présent étaient restées absol­u­ment inabor­d­ables. »

Puis vient la descrip­tion de l’équipement :

48. Pho­nau­to­graphe de M. t. Scott. 500 »

49. Le même, avec cylin­dre et porte-mem­brane en bois. 400 »
Par les trois moyens sur lesquels s’appuient les brevets de M. L. Scott, c’est-à-dire : 1° l’emploi d’un style sou­ple et tout à fait léger ; 2° l’application de ce style sur une mem­brane placée à l’extrémité d’un con­duit ou récep­teur du son, et 3° la fix­a­tion des fig­ures obtenues sur un papi­er ou tis­su revê­tu d’une couche d’un noir de lampe spé­cial, il devient pos­si­ble d’obtenir avec cet appareil non seule­ment le tracé de tous les mou­ve­ments vibra­toires des corps solides d’une manière beau­coup plus facile et com­plète, et sur une éten­due beau­coup plus grande qu’avec les deux instru­ments des Nos 46 et 47, mais on peut aus­si imprimer directe­ment tous les mou­ve­ments qui s’accomplissent dans l’air ou dans d’autres flu­ides, et c’est par là surtout que l’appareil ouvre un champ nou­veau et vaste à des recherch­es de ce genre.
Dans le prospec­tus ci-joint de M. Scott, on trou­ve encore des détails sur cet instru­ment et l’énumération d’une série d’expériences qui nous ont déjà réus­si au point de pou­voir être répétées sans dif­fi­culté par tout le monde, car le maniement de l’appareil est ren­du exces­sive­ment facile par la manière dont il est dis­posé.

50. Col­lec­tion d’épreuves de tout genre obtenues par l’appareil précé­dent.

Extrait du cat­a­logue de Rudolph Kœnig 1859 — Page de cou­ver­ture et fas­ci­cule sur le Pho­nau­to­graphe.
Pho­nau­to­gramme des vibra­tions sonores émis­es par des tuyaux dorgue Rudolph Kœnig 1862

Ce principe de l’enregistrement optique est viable, car il a été util­isé pen­dant des décen­nies pour le ciné­ma, notam­ment pour les grands clas­siques hol­ly­woo­d­i­ens qui util­i­saient le son optique (procédé Movi­etone).

Ce qui man­quait à l’époque de Scott de Mar­t­inville, c’était le sys­tème de lec­ture de ce que l’on avait enreg­istré.

L’invention de Charles Cros

Il man­quait donc la par­tie de repro­duc­tion du son enreg­istré avec le Pho­nau­to­graphe. Charles Hort­en­sius Émile Cros a eu l’idée vers 1876 de graver par gravure chim­ique des tracés réal­isés avec un Pho­nau­to­graphe. Les gravures obtenues devaient per­me­t­tre d’être repro­duite en faisant se déplac­er une aigu­ille reliée à une mem­brane con­nec­tée à un pavil­lon.

Allant plus loin dans sa logique, il con­sid­ère l’idée de graver directe­ment, sans pass­er par l’étape optique. Il dépose alors le 18 octo­bre 1876, un doc­u­ment décrivant « un procédé d’enregistrement et de repro­duc­tion des phénomènes perçus par l’ouïe ». Ce doc­u­ment est finale­ment enreg­istré par l’Académie des sci­ences le 30 avril 1877 et ouvert le 8 décem­bre, à la demande de Charles Cros, soit deux jours après l’enregistrement d’Edison (Mary has a lit­tle lamb) et plus d’une semaine avant la demande de brevet d’Edison.

Son appareil qu’il a nom­mé Paléo­phone est con­sti­tué d’une mem­brane vibrante dotée en son cen­tre d’une pointe qui repose sur un « disque ani­mé d’un dou­ble mou­ve­ment de rota­tion et de pro­gres­sion rec­tiligne » (c’est le principe des platines à bras tan­gen­tiel pour dis­ques vinyles).

Paléo­phone de Charles Cros Il nest pas sûr que ce matériel ait été fab­riqué même si lab­bé Lenoir a essayé sans suc­cès de le réalis­er

Dans le dis­posi­tif décrit par Charles Cros, le son de la voix fait vibr­er la mem­brane qui elle-même ani­me l’aiguille qui trace un sil­lon sur le disque. Lorsque l’aiguille par­court le sil­lon pro­duit, elle trans­met une vibra­tion à la mem­brane qui repro­duit le son du départ.

Le petit doute sur la via­bil­ité de la solu­tion par rap­port à celle d’Edi­son, c’est l’u­til­i­sa­tion de la feuille d’é­tain ou cuiv­re mince qui n’est pas claire­ment men­tion­née dans le brevet, mais dans des écrits antérieurs, non-déposés.

Con­traire­ment au Pho­nau­to­graphe, le procédé est réversible. Il enreg­istre et restitue les sons.

Edison est-il inventeur ou copieur ?

Si on en croit les « on-dit », l’idée qu’Edison se serait appro­prié l’idée de Scott de Mar­t­inville et celle de Cros ne serait pas si éton­nante, si on se sou­vient qu’on l’accuse d’avoir égale­ment volé les idées :

  • de la lampe à incan­des­cence à Humphry Davy
  • de la chaise élec­trique à Harold P. Brown
  • de la caméra à William Dick­son
  • du négatif sur papi­er ciré à Gus­tave Le Gray
  • de l’utilisation des rayons X (flu­o­ro­scope) à Wil­helm Rönt­gen

Je ne me lancerai pas dans le débat, c’est un peu comme Gardel qui, bien que né en France, est revendiqué par les Uruguayens. L’enregistrement sonore est né en France et Edi­son qui était par­faite­ment doc­u­men­té a eu plusieurs mois pour avoir con­nais­sance du procédé imag­iné par Charles Cros, d’autant plus que ce dernier a été pub­lié par l’abbé Lenoir dans la Semaine du Clergé et que donc Edi­son avait tous les élé­ments sous la main. Le Pho­nau­to­graphe de Scott de Mar­t­inville et la descrip­tion du dis­posi­tif de Charles Cros.

Adden­dum 2016 : Un arti­cle de la porte ouverte reprend avec des détails cette his­toire. Les curieux pour­ront s’y reporter

Récem­ment, First­Sound a essayé de don­ner la parole aux enreg­istrements de Scott Mar­t­inville. L’idée a été de trans­former les tracés en sons.

Je n’entrerai pas dans le détail des deux méth­odes employées, mais vous pour­rez avoir des pré­ci­sions dans le site de First­Sound.

Sur ce site, vous pour­rez égale­ment enten­dre divers enreg­istrements resti­tués, comme « Au clair de la Lune » (dans deux ver­sions de 1860).

Par­mi les enreg­istrements resti­tués, j’attire votre atten­tion sur « Dia­pa­son at 435 Hz – at sequen­tial stages of restora­tion (1859 Pho­nau­to­gram) [#33] ». On peut y écouter suc­ces­sive­ment dif­férents états de restau­ra­tion du sig­nal, le dernier étant digne d’un enreg­istrement mod­erne. Cepen­dant, il y a plusieurs biais dans leur resti­tu­tion.

La pre­mière est que ce serait l’enregistrement d’un dia­pa­son à 435 Hz. Pour ma part, je pense qu’il s’agit plutôt du dia­pa­son à 512 Hz dans la mesure où dans son cat­a­logue, Rudolph Kœnig vend sur la même page que le Pho­nau­to­graphe, un dia­pa­son à 512 Hz (Ut). Ce serait assez curieux qu’il utilise un autre matériel que celui qu’il vend pour son enreg­istrement…

C’est d’autant plus embê­tant que cela dis­crédite un peu les resti­tu­tions. Ils sont par­tis de ce qu’ils voulaient obtenir pour faire « par­ler » l’enregistrement. On se fiera donc plutôt au début du fichi­er sonore en imag­i­nant que Rudolph Kœnig a enreg­istré un son plus aigu que celui qu’ils restituent.

Pour les autres enreg­istrements, comme « Au clair de la Lune », il faut espér­er que la part d’interprétation n’est pas exagérée.

Quoi qu’il en soit, avec un siè­cle et demi de retard, les enreg­istrements de Scott de Mar­t­inville par­lent et même chantent.

Mer­ci à First­Sound pour cet exploit et Mon­sieur Edi­son, arrêtez de piquer les idées des autres.

Dans un autre arti­cle, nous évo­quons l’histoire des enreg­istrements de tan­go, domaine qui nous intéresse par­ti­c­ulière­ment. Vous le trou­verez au bout de ce lien.

Quelques trésors du National Recording Preservation Board de la Library of Congress

https://www.loc.gov/programs/national-recording-preservation-board/recording-registry/complete-national-recording-registry-listing/

Nom du « tré­sor »AuteurDate d’enregistrement
Pho­nau­to­gramsEdouard-Leon Stott de Mar­t­inville1853–1861 (cir­ca)
The 1888 Lon­don cylin­der record­ings of Colonel George GouraudGeorge Gouraud1888
Edi­son Talk­ing Doll cylin­der (Novem­ber 1888)n/a1888
The Lord’s PrayerEmile Berlin­er 
Twin­kle Twin­kle Lit­tle StarEmile Berlin­er 
Around the World on the Phono­graphThomas Edi­son1888–1889
Fifth Reg­i­ment MarchThomas Edi­son1888–1889
Pat­ti­son WaltzThomas Edi­son1888–1889

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