Sur la question du choix du diapason au dix-neuvième siècle

Choisir le bon dia­pa­son quand on restau­re des dis­ques anciens peut avoir son util­ité. Cepen­dant, c’est une véri­ta­ble jun­gle et aujour­d’hui encore, les DJ, édi­teurs de musique et même les musi­ciens con­tin­u­ent de se quereller au sujet de ce fameux dia­pa­son.
Pour vous amuser, je vous pro­pose d’en­tr­er dans un débat qui a eu lieu en 1859…

Pour vous faciliter la lec­ture, vous pou­vez aus­si télécharg­er le texte inté­gral au for­mat PDF (en fin de cet arti­cle).

Entrons dans le débat…

Je vous pro­pose trois élé­ments pour juger du débat qui ani­me tou­jours les musi­ciens d’aujourd’hui… C’est un exem­ple français, mais à voca­tion large­ment européenne par les élé­ments traités et l’accueil fait aux deman­des de la com­mis­sion ayant établi le rap­port.

  1. Un rap­port étab­lis­sant des con­seils pour l’établissement d’un dia­pa­son musi­cal uni­forme.
  2. Le décret met­tant en place ce dia­pa­son uni­forme.
  3. Les cri­tiques con­tre le dia­pa­son uni­forme…

Rapport présenté à S. Exc. Le ministre d’État par la commission chargée d’établir en France un diapason musical uniforme

Paris, le 1er févri­er 1859

Mon­sieur le min­istre,

Vous avez chargé une com­mis­sion « de rechercher les moyens d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme, de déter­min­er un étalon sonore, qui puisse servir de type invari­able, et d’indiquer les mesures à pren­dre pour en assur­er l’adoption et la con­ser­va­tion.

Votre arrêté était fondé sur ces con­sid­éra­tions :

« Que l’élévation tou­jours crois­sante du dia­pa­son présente des incon­vénients dont l’art musi­cal, les com­pos­i­teurs de musique, les artistes et les fab­ri­cants d’instruments ont égale­ment à souf­frir ; et que la dif­férence qui existe entre les dia­pa­sons des divers pays, des divers étab­lisse­ments musi­caux et des divers­es maisons de fac­ture est une source con­stante d’embarras pour la musique d’ensemble, et de dif­fi­cultés dans les rela­tions com­mer­ciales. »

La com­mis­sion a ter­miné son tra­vail. Elle vous doit compte de ses opéra­tions, de la marche qu’elle a suiv­ie ; elle soumet à l’appréciation de Votre Excel­lence le résul­tat auquel elle est arrivée.

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Cette com­mis­sion était com­posée de :

Jules Bernard Joseph Pel­leti­er, con­seiller d’État, secré­taire général du min­istère d’État, prési­dent de la com­mis­sion ;
Jacques Fro­men­tal Halévy, mem­bre de l’Institut, secré­taire per­pétuel de l’Académie des beaux-arts, rap­por­teur de la com­mis­sion ;
Daniel-François-Esprit Auber, mem­bre de l’Institut, directeur du Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion (et qui a sa rue qui donne sur l’Opéra de Paris) ;
Louis Hec­tor Berlioz, mem­bre de l’Institut ;
César-Man­suète Despretz, mem­bre de l’Institut, pro­fesseur de physique à la Fac­ulté des sci­ences.
Camille Doucet, chef de la divi­sion des théâtres au min­istère d’État ;
Jules Antoine Lis­sajous, pro­fesseur de physique au lycée Saint-Louis, mem­bre du con­seil de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale ;
Le Général Émile Mellinet, chargé de l’organisation des musiques mil­i­taires ;
Désiré-Guil­laume-Édouard Mon­nais, com­mis­saire impér­i­al près les théâtres lyriques et le Con­ser­va­toire ;
Gia­co­mo Meyer­beer, com­pos­i­teur alle­mand, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1871 ;
Gioachi­no Rossi­ni, Com­pos­i­teur ital­ien, mais vivant à Paris où il mour­ra en 1872 ;
Ambroise Thomas, com­pos­i­teur français et mem­bre de l’Institut.
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I

Il est cer­tain que dans le cours d’un siè­cle, le dia­pa­son s’est élevé par une pro­gres­sion con­stante. Si l’étude des par­ti­tions de Gluck ne suff­i­sait pas à démon­tr­er, par la manière dont les voies sont dis­posées, que ces chefs‑d’œuvre ont été écrits sous l’influence d’un dia­pa­son beau­coup moins élevé que le nôtre, le témoignage des orgues con­tem­po­raines en fourni­rait une preuve irré­cus­able. La com­mis­sion a voulu d’abord se ren­dre compte de ce fait sin­guli­er, et de même qu’un médecin pru­dent s’efforce de remon­ter aux sources du mal ayant d’essayer de le guérir, elle a voulu rechercher, ou au moins exam­in­er les caus­es qui avaient pu amen­er l’exhaussement du dia­pa­son. On pos­sède les élé­ments néces­saires pour éval­uer cet exhausse­ment. Les orgues dont nous avons par­lé accusent une dif­férence d’un ton au-dessous du dia­pa­son actuel. Mais ce dia­pa­son si mod­éré ne suff­i­sait pas à la pru­dence de l’Opéra de cette époque : Rousseau, dans son dic­tio­n­naire de musique (arti­cle Ton), dit que le ton de l’Opéra à Paris était plus bas que le ton de chapelle. Par con­séquent, le dia­pa­son, ou plutôt le ton de l’Opéra était, au temps de Rousseau, de plus d’un ton inférieur au dia­pa­son d’aujourd’hui.

Cepen­dant les chanteurs de ce temps, au rap­port de beau­coup d’écrivains, forçaient leur voix. Soit défaut d’études, soit défaut de goût, soit désir de plaire au pub­lic, ils cri­aient. Ces chanteurs, qui trou­vaient moyen de crier si fort avec un dia­pa­son si bas, n’avaient aucun intérêt à deman­der un ton plus élevé, qui aurait exigé de plus grands efforts ; et, en général, à nulle époque, dans aucun pays, aujourd’hui comme alors, jamais le chanteur, qu’il chante bien ou mal, n’a d’intérêt à ren­con­tr­er un dia­pa­son élevé, qui altère sa voix, aug­mente sa fatigue, et abrège sa car­rière théâ­trale. Les chanteurs sont donc hors de cause, et l’élévation du dia­pa­son ne peut leur être attribuée.

Les com­pos­i­teurs, quoi qu’aient pu dire ou penser des per­son­nes qui n’ont pas des choses de la musique, une idée bien nette, ont un intérêt tout con­traire à l’élévation du dia­pa­son. Trop élevé, il les gêne. Plus le dia­pa­son est haut, et plus tôt le chanteur arrive aux lim­ites de sa voix dans les cordes aiguës ; le développe­ment de la phrase mélodique est donc entravé plutôt que sec­ondé. Le com­pos­i­teur a dans sa tête, dans son imag­i­na­tion, on peut dire dans son cœur, le type naturel des voix. La phrase qu’il écrit lui est dic­tée par un chanteur que lui seul entend, et ce chanteur chante tou­jours bien. Sa voix, sou­ple, pure, intel­li­gente et juste, est fixée d’après un dia­pa­son mod­éré et vrai qui habite l’oreille du com­pos­i­teur. Le com­pos­i­teur a donc tout avan­tage à se mou­voir dans une gamme com­mode aux voix, qui le laisse plus libre, plus maître des effets qu’il veut pro­duire, et sec­onde ain­si son inspi­ra­tion. Et d’ailleurs, quel moyen pos­sède-t-il d’élever le dia­pa­son ? Fab­rique-t-il, fait-il fab­ri­quer ces petits instru­ments per­fides, ces bous­soles qui égar­ent ? Est-ce lui qui vient don­ner le la aux orchestres et nous n’avons jamais appris ou enten­du dire qu’un mae­stro, mécon­tent de la trop grande réserve d’un dia­pa­son, en ait fait fab­ri­quer un à sa con­ve­nance, un dia­pa­son per­son­nel, à l’effet d’élever le ton d’un orchestre tout entier. Il ren­con­tr­erait mille résis­tances, mille impos­si­bil­ités. Non, le com­pos­i­teur ne crée pas le dia­pa­son, il le subit. On ne peut donc non plus l’accuser d’avoir excité la marche ascen­sion­nelle de la tonal­ité.

Remar­quons que cette marche ascen­sion­nelle, en même temps qu’elle a été con­stante, a été générale ; qu’elle ne s’est pas bornée à la France ; que les Alpes, les Pyrénées, l’Océan n’y ont pas fait obsta­cle. Il ne faut donc pas, comme nous l’avons enten­du faire, en accuser spé­ciale­ment la France, qu’on charge assez volon­tiers des méfaits qui se pro­duisent de temps à autre dans le monde musi­cal. Notre pays n’a eu que sa part dans cette grande inva­sion du dia­pa­son mon­tant, et s’il était com­plice du mal, il en était en même temps vic­time. Les caus­es de cette inva­sion, qui agis­saient partout avec suite, ensem­ble, per­sévérance, on pour­rait dire avec prémédi­ta­tion, ne sauraient être ni acci­den­telles, ni par­ti­c­ulières à un pays. Elles devaient tenir à un principe déter­mi­nant, à un intérêt. En ver­tu d’un axiome bien con­nu, il faut donc rechercher ceux qui avaient un intérêt évi­dent à surélever ain­si le la qu’e­spéraient nous léguer nos ancêtres. Ceux qui fab­riquent ou font fab­ri­quer les dia­pa­sons, voilà les auteurs, les maîtres de la sit­u­a­tion. Ce sont les fac­teurs d’in­stru­ments, et on com­prend qu’ils ont à élever le dia­pa­son, un intérêt légitime et hon­or­able. Plus le ton sera élevé, plus le son sera bril­lant. Le fac­teur ne fab­ri­quera donc pas tou­jours ses instru­ments d’après le dia­pa­son ; il fera quelque­fois son dia­pa­son d’après l’in­stru­ment qu’il aura jugé sonore et écla­tant. Car il se pas­sionne pour la sonorité, qui est la fin de son œuvre, et il cherche sans cesse à aug­menter la force, la pureté, la trans­parence de voix qu’il sait créer. Le bois qu’il façonne, le métal qu’il forge, obéis­sant aux lois de la réso­nance, pren­dront des tim­bres intel­li­gents, qu’un· artiste habile, et quelque­fois inspiré, ani­mera bien­tôt de son archet, de son souf­fle, de son doigté, léger, sou­ple ou puis­sant. L’in­stru­men­tiste et le fac­teur sont donc deux alliés, leurs intérêts se com­bi­nent et se sou­ti­en­nent. Intro­duits à l’orchestre, ils le domi­nent, ils y règ­nent, et l’en­traî­nent facile­ment vers les hau­teurs où ils se plaisent. En effet, l’orchestre est à eux, ou plutôt ils sont l’orchestre, et c’est l’in­stru­men­tiste qui, en don­nant le ton, règle, sans le vouloir, les études, les efforts, les des­tinées du chanteur.

La grande sonorité acquise aux instru­ments à vent trou­va bien­tôt une appli­ca­tion directe, et en reçut un essor plus grand encore. La musique, qui se prête à tout et prend partout sa place, marche avec les rég­i­ments ; elle chante aux sol­dats ces airs qui les ani­ment et leur rap­pel­lent la patrie. Il faut alors qu’elle résonne haut et ferme, et que sa voix reten­tisse au loin. Les corps de musique mil­i­taire, s’emparant du dia­pa­son pour l’élever encore, propagèrent dans toute l’Eu­rope le mou­ve­ment qui l’en­traî­nait sans cesse.

Mais aujour­d’hui la musique mil­i­taire pour­rait, sans rien crain­dre, descen­dre quelque peu de ce dia­pa­son qu’elle a surex­cité. Sa fierté n’en souf­frirait pas, ses fan­fares ne seraient ni moins mar­tiales, ni moins écla­tantes. Le grand nom­bre d’in­stru­ments de cuiv­re dont elle dis­pose main­tenant lui ont don­né plus de corps, plus de fer­meté, et un relief à la fois solide et bril­lant qui lui man­quait autre­fois. Espérons d’ailleurs que de nou­veaux pro­grès dans la fac­ture affranchi­ront bien­tôt cer­tains instru­ments d’en­trav­es regret­ta­bles, et leur ouvriront l’ac­cès des rich­es tonal­ités qui leur sont inter­dites. L’honor­able général qui représente dans la com­mis­sion l’or­gan­i­sa­tion des corps de musique sec­on­derait de tous ses efforts cette amélio­ra­tion désir­able, ce pro­grès véri­ta­ble, qui apporterait aux orchestres mil­i­taires des ressources nou­velles, et vari­erait l’é­clat de leur sonorité.

Nous croyons avoir établi, mon­sieur le min­istre, que l’élé­va­tion du dia­pa­son est due aux efforts de l’in­dus­trie et de l’exé­cu­tion instru­men­tales ; que ni les com­pos­i­teurs ni les chanteurs n’y ont par­ticipé en rien. La musique religieuse, la musique dra­ma­tique ont subi le mou­ve­ment sans pou­voir s’en défendre, ou sans chercher à s’y dérober. On pour­rait donc, dans une cer­taine mesure, abaiss­er le dia­pa­son, avec la cer­ti­tude de servir les véri­ta­bles, les plus grands intérêts de l’art.

II

Nous avions l’as­sur­ance que ce fait de l’élé­va­tion tou­jours crois­sante du dia­pa­son ne s’é­tait pas pro­duit en France seule­ment, que le monde musi­cal tout entier avait subi cet entraîne­ment, mais il fal­lait en acquérir des preuves authen­tiques ; il fal­lait aus­si savoir dans quelle mesure, à quels degrés dif­férents s’é­tait fait sen­tir cette influ­ence dans les divers pays, dans les cen­tres prin­ci­paux. Nous avons donc pen­sé, mon­sieur le min­istre, que, pour men­er à bonne fin l’é­tude que votre Excel­lence nous avait con­fiée, il fal­lait com­mencer par nous ren­seign­er au dehors et autour de nous, inter­roger les chefs des étab­lisse­ments impor­tants en France et à l’é­tranger, pren­dre con­nais­sance de l’é­tat général du dia­pa­son, faire en un mot une sorte d’en­quête. Cette con­duite nous était d’ailleurs tracée par l’ar­rêté même qui nous institue, dans lequel vous sig­nalez avec juste rai­son « la dif­férence qui existe entre les dia­pa­sons des divers pays comme une source con­stante d’embarras. »

Nous nous sommes donc adressés sous vos aus­pices, et par l’or­gane de notre prési­dent, partout où il y a l’opéra, un grand étab­lisse­ment musi­cal, dans les villes où l’art est cul­tivé avec amour, avec suc­cès, pra­tiqué avec éclat, et qu’on peut nom­mer les cap­i­tales de la musique, deman­dant qu’on voulût bien nous ren­seign­er sur la marche du ton, nous envoy­er les dia­pa­sons en usage aujour­d’hui, et d’an­ciens dia­pa­sons, s’il était pos­si­ble, pour en mesur­er exacte­ment l’é­cart. En même temps, nous deman­dions aux hommes éclairés à qui nous nous adres­sions de_ nous faire con­naître leur opin­ion, sur l’é­tat actuel du dia­pa­son, et leurs dis­po­si­tions favor­ables ou con­traires à un abaisse­ment. à une mod­éra­tion dans le ton. La musique est un art d’ensem­ble, une sorte de langue uni­verselle. Toutes les nation­al­ités dis­parais­sent devant l’écri­t­ure musi­cale, puisqu’une nota­tion unique suf­fit à tous les peu­ples, puisque des signes, partout les mêmes, représen­tent les sons qui dessi­nent la mélodie ou se groupent en accords, les rythmes qui mesurent le temps, les nuances qui col­orent la pen­sée ; le silence même s’écrit dans cet alpha­bet prévoy­ant. N’est-il pas désir­able qu’un dia­pa­son uni­forme et désor­mais invari­able vienne ajouter un lien suprême à celte com­mu­nauté intel­li­gente, et qu’un la, tou­jours le même, réson­nant sur toute la sur­face du globe avec les mêmes vibra­tions, facilite les rela­tions musi­cales et les rende plus har­monieuses encore ?

C’est dans ce sens que nous avons écrit en Alle­magne, en Angleterre, en Bel­gique, en Hol­lande, en Ital­ie, jusqu’en Amérique, et nos cor­re­spon­dants nous ont envoyé des répons­es con­scien­cieuses, des ren­seigne­ments utiles, des sou­venirs intéres­sants. Quelques-uns nous adres­saient d’an­ciens dia­pa­sons âgés d’un demi-siè­cle, aujour­d’hui dépassés ; d’autres des dia­pa­sons con­tem­po­rains, var­iés dans leur into­na­tion. Tous, recon­nais­sant et repous­sant l’ex­agéra­tion actuelle, nous envoy­aient leur cor­diale adhé­sion. Trois d’en­tre eux, nos com­pa­tri­otes 1, tout en partageant l’opin­ion générale, deman­dent, il est vrai, qu’on fixe le dia­pa­son à l’é­tat actuel de celui de Paris, mais c’est pour l’ar­rêter dans sa pro­gres­sion ascen­dante, et eu faire un obsta­cle à de nou­veaux envahisse­ments : obsta­cle impuis­sant, à notre avis, qui pro­tège le mal, l’op­pose à lui-même, et le con­sacre au lieu de le détru­ire. Les autres sont unanimes à désir­er un dia­pa­son moins élevé, uni­forme, inaltérable, véri­ta­ble dia­pa­son inter­na­tion­al, autour duquel viendraient se ral­li­er, dans un accord invari­able, chanteurs, instru­men­tistes, fac­teurs de tous les pays. La plu­part de nos cor­re­spon­dants étrangers joignent à leur appro­ba­tion l’éloge de l’ini­tia­tive : » Je vous dois des remer­ciements, nous écrit-on, pour la cause impor­tante que vous avez entre­pris de plaider : il est bien temps d’ar­rêter les dérè­gle­ments aux­quels on se laisse emporter. »

  • J’adopte la somme entière de vos sages réflex­ions, nous dit un autre maître de chapelle des plus dis­tin­gués, en espérant que toute l’Eu­rope applaudi­ra vive­ment à la com­mis­sion insti­tuée par S. Exc. Je min­istre d’É­tat, à l’ef­fet d’établir un dia­pa­son uni­forme. La grande élé­va­tion du dia­pa­son détru­it et efface l’ef­fet et le car­ac­tère de la musique anci­enne, des chefs-d’œu­vre de Mozart, Gluck, Beethoven.
  • Je ne doute pas, écrit-on encore, que la com­mis­sion ne réus­sisse dans celle ques­tion impor­tante. Ce sera un nou­veau ser­vice ren­du par votre nation à l’art et au com­merce.
  • L’élé­va­tion pro­gres­sive du dia­pa­son, dit un autre de nos hon­or­ables cor­re­spon­dants, est non seule­ment préju­di­cia­ble à la voix humaine, mais aus­si à tous les instru­ments. Ce sont surtout les instru­ments à cordes qui ont beau­coup per­du pour le son, depuis que l’on est obligé, à cause de cette élé­va­tion, d’employer des cordes très-minces, les cordes fortes ne pou­vant résis­ter à cette ten­sion exagérée de là, ce ton, qui au lieu de se rap­procher de la voix humaine, s’en éloigne de plus en plus. »
  • Fix­er le dia­pa­son une fois pour toutes, dit un cinquième, ce serait met­tre fin à bien des doutes, à une mul­ti­tude d’in­con­vénients et même de caprices. Je vous témoigne le vif intérêt que nous por­tons dans toute l’Alle­magne musi­cale à l’exé­cu­tion de votre pro­jet.
  • Vous avez bien dit, écrit-on encore, que l’Eu­rope entière est intéressée aux recherch­es des moyens d’établir un dia­pa­son uni­forme. Le monde musi­cal a sen­ti depuis longtemps la néces­sité urgente d’une réforme, et il remer­cie la France d’avoir pris l’ini­tia­tive. M. Drou­et, maître de chapelle du grand-duc de Saxe-Cobourg-Gotha, nous a envoyé trois dia­pa­sons d’époque et d’élé­va­tion dif­férentes, et une note intéres­sante : Enfin nous avons reçu de deux hommes très com­pé­tents, M. W Wieprecht, directeur de la musique mil­i­taire de Prusse, à Berlin, et M. le doc­teur Furke des mémoires où la matière est traitée avec une véri­ta­ble con­nais­sance de cause. Les auteurs s’as­so­cient entière­ment à la pen­sée qui a insti­tué la com­mis­sion.

Ces nom­breuses adhé­sions, émanées d’au­torités si con­sid­érables, nous don­nent l’as­sur­ance qu’une propo­si­tion d’abaisse­ment dans le dia­pa­son sera bien accueil­lie dans toute l’Alle­magne. Il faut d’ailleurs rap­pel­er ici que déjà, en 1834, des musi­ciens alle­mands réu­nis à Stuttgart avaient exprimé le vœu d’un affaib­lisse­ment du dia­pa­son, et recom­mandé l’adop­tion d’un la plus sen­si­ble­ment plus bas que notre la actuel. Certes, il y aura d’abord des dif­fi­cultés qui naîtront surtout de la divi­sion de l’Alle­magne en un si grand nom­bre d’É­tats dif­férents. C’est une opin­ion qui nous a été exprimée ; mais il y a lieu de penser qu’après quelques oscil­la­tions, un type invari­able et com­mun s’établi­ra dans ce pays, qui pèse d’un grand poids dans les des­tinées de l’art musi­cal.

Nous n’avons encore reçu d’I­tal­ie qu’une seule let­tre. Elle est de M. Coc­cia, directeur de l’a­cadémie phil­har­monique de Turin, maître de chapelle de la cathé­drale de Novare. M. Coc­cia a bien voulu nous adress­er le dia­pa­son usité à Turin, un peu plus bas que celui de Paris, et le plus doux (il più mite), dit M. Coc­cia, qu’il ait ren­con­tré jusqu’à présent. Il en recom­mande l’adop­tion. M. Coc­cia est donc aus­si de l’avis d’un adoucisse­ment dans le ton, et c’est d’un bon augure pour l’opin­ion de l’I­tal­ie, dont il faut tenir grand compte.

Nous avons reçu de Lon­dres une com­mu­ni­ca­tion de MM. Broad­wood, célèbres fac­teurs de pianos. Ils ont eu l’oblig­eance de nous adress­er trois dia­pa­sons, employés tous les trois dans leur étab­lisse­ment, cha­cun d’eux affec­té à un ser­vice spé­cial.

Le pre­mier, plus bas d’un grand quart de ton que le dia­pa­son de Paris, était, il y a vingt-cinq ou trente ans, celui de la Société phil­har­monique de Lon­dres. Il a été judi­cieuse­ment con­servé par MM. Broad­wood comme plus con­ven­able aux voix, et ils accor­dent, d’après le ton extrême­ment mod­éré qu’il four­nit, les pianos des­tinés à l’ac­com­pa­g­ne­ment des con­certs vocaux. Le sec­ond, beau­coup plus haut, puisqu’il est plus élevé que le nôtre, est celui d’après lequel MM. Broad­wood accor­dent, en général, leurs pianos, parce qu’il est à peu près con­forme à l’ac­cord des har­mo­ni­ums, des flûtes, etc. : c’est le dia­pa­son des instru­men­tistes. Enfin le troisième, encore plus élevé, est celui dont se sert aujour­d’hui la Société phil­har­monique. Cette extrême lib­erté du dia­pa­son doit avoir ses incon­vénients, et peut bien faire courir quelques hasards à la justesse absolue. Aus­si MM. Broad­wood font-ils des vœux « pour la réus­site de nos recherch­es, si intéres­santes et si impor­tantes pour tout le monde musi­cal.

M. Ben­der, directeur de la musique du roi des Belges et du rég­i­ment des guides, voudrait deux dia­pa­sons, à la dis­tance d’un demi-ton : le plus élevé, à l’usage des musiques mil­i­taires ; l’autre, des­tiné aux théâtres. M. Ben­der pra­tique son sys­tème ; le dia­pa­son de la musique des guides n’est pas applic­a­ble à la musique vocale. C’est le plus élevé de tous ceux que nous avons reçus.

M. Daus­soigne-Méhul, directeur du Con­ser­va­toire roy­al de Liège, n’adresse pas de dia­pa­son, celui qu’il emploie étant sem­blable à celui de Paris. Il est un des trois cor­re­spon­dants qui con­clu­ent à l’adop­tion défini­tive de ce dia­pa­son, comme lim­ite extrême, comme sauve­g­arde, et ne fut-ce, dit M. Daus­soigne Méhul, que pour arrêter ses dis­po­si­tions ascen­dantes.

M. Lubeck, directeur du Con­ser­va­toire roy­al de La Haye, en nous envoy­ant son dia­pa­son, un peu moins élevé que le nôtre, nous assure de son adhé­sion et de son con­cours. Vous voyez, mon­sieur le min­istre, com­bi­en de sym­pa­thies et d’ap­pro­ba­tions ren­con­tre voire désir de l’étab­lisse­ment d’un dia­pa­son uni­forme.

Nous avions écrit en Amérique. New York n’a pas encore répon­du. M. E. Prévost, chef d’orchestre de l’Opéra-Français de La Nou­velle-Orléans, nous a adressé une let­tre d’ad­hé­sion, et un dia­pa­son qui ne nous est pas par­venu.

Nous avons reçu de quelques-unes des grandes villes de France, où la musique est en hon­neur, des ren­seigne­ments com­mu­niqués par des artistes dis­tin­gués.

Le dia­pa­son qui nous a été envoyé par M. Vic­tor Mag­nien, directeur de l’A­cadémie impéri­ale de musique de Lille est, après celui de M. Ben­der et après ceux de Lon­dres, le plus élevé des dia­pa­sons qu’on nous a adressés. Il est plus haut par con­séquent que celui de Paris. Sans doute il a subi, par un procédé de bon voisi­nage, l’in­flu­ence de la musique des guides de Brux­elles. Aus­si· M. Mag­nien se ral­lie-t-il avec empresse­ment à la demande d’un dia­pa­son plus mod­éré.

M. Méz­erai, chef d’orchestre du grand théâtre de Bor­deaux, nous a com­mu­niqué son dia­pa­son, moins élevé que celui de Paris. M. Méz­erai avait d’abord adop­té celui-ci, mais, nous dit-il, il fatiguait trop les chanteurs.

Le dia­pa­son de Lyon est celui de Paris, celui de Mar­seille est très peu plus bas. M. Georges Hainl, chef d’orchestre de Lyon, croit qu’il faut main­tenir le dia­pa­son de Paris, mal­gré son élé­va­tion, dans la crainte d’af­faib­lir l’é­clat de l’orchestre. M. Aug. Morel, directeur de l’É­cole com­mu­nale de Mar­seille, incline vers cet avis. Ces deux artistes for­ment, avec M. D. Méhul, le groupe que nous avons men­tion­né, pro­posant l’é­tat actuel comme terme défini­tif.

Toulouse nous a adressé deux dia­pa­sons : celui du théâtre, moins élevé que le nôtre, presque sem­blable à celui de Bor­deaux, et le dia­pa­son de l’É­cole de musique, plus bas d’en­v­i­ron un quart de ton ; dif­férence remar­quable, qu’il importe d’au­tant plus de con­stater, que Toulouse· est une de ces villes à l’in­stinct musi­cal, où le chant est pop­u­laire, où l’har­monie abonde, et qui, de tout temps, a fourni à nos théâtres des artistes à la voix mélodieuse et sonore.

Le dia­pa­son de l’É­cole de Toulouse est, avec celui du théâtre grand-ducal de Carl­sruhe (sic), dont il ne dif­fère que de qua­tre vibra­tions, le plus bas de tous les dia­pa­sons qui nous ont été com­mu­niqués. Celui de la musique des guides de Brux­elles, qui compte neuf cent onze vibra­tions par sec­onde, est, à l’aigu, le terme extrême de ces dia­pa­sons ; celui de Carl­sruhe, qui ne fait que huit cent soix­ante-dix vibra­tions, en est le terme au grave. Entre cet écart, qui n’est pas beau­coup moin­dre d’un demi-ton, se meu­vent les dia­pa­sons en usage aujour­d’hui, et, par con­séquent, les orchestres, les corps de musique, les ensem­bles de voix dont ils sont la règle et la loi, et dont ils résu­ment pour ain­si dire l’ex­pres­sion.

Ain­si la France compte à ses deux extrémités un des dia­pa­sons les plus élevés, celui de Lille, un des dia­pa­sons les plus graves, celui de l’É­cole de Toulouse. On peut suiv­re sur la carte la route que suit en France le dia­pa­son ; il s’élève et s’abaisse avec la lat­i­tude. De Paris à Lille, il monte ; il descend de Paris à Toulouse. Nous voyons le nord soumis évidem­ment au con­tact, à la pré­dom­i­nance de l’art instru­men­tal, tan­dis que le midi reste fidèle aux con­ve­nances et deux bonnes tra­di­tions des études vocales.

Nous vous avons présen­té, mon­sieur le min­istre, le résumé fidèle des infor­ma­tions qui nous ont été trans­mis­es : nous vous avons fait con­naître les impres­sions que nous en avons reçues. En présence des opin­ions presque unanimes exprimées pour une mod­éra­tion dans le ton, et des opin­ions unanimes pour l’adop­tion d’un dia­pa­son uni­forme, c’est-à-dire pour un niv­elle­ment général du dia­pa­son, libre­ment con­sen­ti ; en présence des dif­férences remar­quables qui exis­tent entre les divers dia­pa­sons que nous avons pu com­par­er, dif­férences mesurées avec toute la pré­ci­sion de la sci­ence en nom­bre de vibra­tions, el con­signées dans un des tableaux annexés à ce rap­port, la com­mis­sion, après avoir dis­cuté, a adop­té en principe, et à l’u­na­nim­ité des voix ; les deux propo­si­tions suiv­antes :

Il est désir­able que le dia­pa­son soit abais­sé.

Il est désir­able que le dia­pa­son abais­sé soit adop­té générale­ment comme régu­la­teur invari­able.

III

Il restait à déter­min­er la quan­tité dont le dia­pa­son pour­rait être abais­sé, en lui ménageant les meilleures chances prob­a­bles d’une adop­tion générale comme régu­la­teur invari­able.

Il était évi­dent que le plus grand abaisse­ment pos­si­ble était d’un demi-ton, qu’un écart plus con­sid­érable n’é­tait ni prat­i­ca­ble ni néces­saire ; et sur ce point, la com­mis­sion se mon­trait unanime. Mais le demi-ton ren­con­tra des adver­saires, et trois sys­tèmes se trou­vèrent en présence : abaisse­ment d’un demi-ton, abaisse­ment d’un quart de ton, abaisse­ment moin­dre que ce dernier.

Un seul mem­bre pro­po­sait l’abaisse­ment moin­dre que le quart de ton. Craig­nant surtout de voir les rela­tions com­mer­ciales trou­blées, il pro­po­sait un abaisse­ment très mod­éré, et qui devait tout au plus, dans sa plus grande ampli­tude, attein­dre un demi-quart de ton.

La ques­tion des rela­tions com­mer­ciales est assez impor­tante pour qu’on s’y arrête un instant. D’ailleurs, mon­sieur le min­istre, en nous insti­tu­ant, vous l’avez sig­nalée à notre atten­tion.

Par­mi les doc­u­ments qui nous ont été remis, fig­ure une let­tre signée de nos prin­ci­paux, de nos plus célèbres fac­teurs d’in­stru­ments de tout genre. Dans cette let­tre, adressée à Votre Excel­lence, sont exposés tous les embar­ras résul­tants de l’élé­va­tion tou­jours crois­sante du dia­pa­son et de la dif­férence des dia­pa­sons. On vous demande de met­tre un terme à ces embar­ras en étab­lis­sant un sys­tème uni­forme de dia­pa­son. “Il appar­tient à Votre Excel­lence, dis­ent les sig­nataires, de faire cess­er cette sorte d’a­n­ar­chie, et de ren­dre au monde musi­cal un ser­vice aus­si impor­tant que celui ren­du autre­fois au monde indus­triel par la créa­tion d’un sys­tème uni­forme de mesures.” La com­mis­sion prend en haute con­sid­éra­tion les intérêts de notre grande fab­ri­ca­tion d’in­stru­ments, c’est une des richess­es de la France, une indus­trie intel­li­gente dans ses pro­duits, heureuse dans ses résul­tats. Les hommes habiles qui la diri­gent et l’ont élevée au pre­mier rang ne peu­vent douter de notre sol­lic­i­tude ; ils savent que nous sommes amis de celte indus­trie qui four­nit à quelques-uns des mem­bres de la com­mis­sion de pré­cieux et char­mants aux­il­i­aires. Mais si, par­mi ces maîtres fac­teurs qui ont si bien sig­nalé à Votre Excel­lence “les embar­ras” résul­tant de la diver­gence et de l’élé­va­tion tou­jours crois­sante, » quelques-uns, comme il nous a été dit, craig­nent main­tenant « les embar­ras » résul­tant des mesures qu’on veut pren­dre pour les con­tenter, que faudrait-il faire ? Puisqu’ils ont demandé, avec tout le monde musi­cal, un dia­pa­son uni­forme, com­ment le choix d’un dia­pa­son, des­tiné dans nos espérances et dans les leurs à devenir· uni­forme, peut-il trou­bler « les rela­tions com­mer­ciales » déjà trou­blées, à leur avis, par la diver­gence des dia­pa­sons ? L’étab­lisse­ment d’un dia­pa­son uni­forme implique néces­saire­ment le choix d’un dia­pa­son, d’un seul. Or, nous avons reçu, enten­du, com­paré, mesuré, vingt-cinq dia­pa­sons dif­férents, tous en activ­ité, tous usités aujour­d’hui. De tant de la, lequel choisir ? Le nôtre apparem­ment.

Mais pourquoi ? De ces vingt-cinq dia­pa­sons, aucun ne demande à mon­ter, beau­coup aspirent à descen­dre, et quinze sont plus bas que celui de Paris. De quel droit diri­ons-nous à ces quinze dia­pa­sons, mon­tez jusqu’à nous ? N’est-ce pas alors que les rela­tions com­mer­ciales cour­raient grand risque d’être trou­blées ! N’est-il pas plus logique, plus raisonnable, plus sage, dans l’in­térêt de la grande con­cil­i­a­tion, que nous voulions ten­ter, de descen­dre vers cette majorité, et n’est-ce pas ain­si que nous avons la plus grande chance d’être écoutés des artistes étrangers dont nous avons réclamé le con­cours, et que nous remer­cions ici d’avoir répon­du à notre appel avec tant de cor­dial­ité et de sym­pa­thie ?

Pour don­ner à l’in­dus­trie instru­men­tale un témoignage de sa sol­lic­i­tude, la com­mis­sion con­vo­qua les prin­ci­paux fac­teurs, ceux qui avaient obtenu les pre­mières récom­pens­es à l’Ex­po­si­tion uni­verselle de 1855, c’est-à-dire ceux mêmes qui avaient écrit à Votre Excel­lence, et ce n’est qu’après avoir con­féré avec eux et plusieurs de nos chefs d’orchestre, que la com­mis­sion délibéra sur la quan­tité dont pour­rait être abais­sé le dia­pa­son.

Dans cette dis­cus­sion, l’abaisse­ment du quart de ton a réu­ni la grande majorité des suf­frages ; appor­tant une mod­éra­tion sen­si­ble aux études et aux travaux des chanteurs, sans jeter une trop grande per­tur­ba­tion dans les habi­tudes, il s’insin­uerait pour ain­si dire incog­ni­to en présence du pub­lic ; il rendrait plus facile l’exé­cu­tion des anciens chefs‑d’œuvre ; il nous ramèn­erait au dia­pa­son employé il y a env­i­ron trente ans, époque de la pro­duc­tion d’ou­vrages restés pour la plu­part au réper­toire, lesquels se retrou­veraient dans leurs con­di­tions pre­mières de com­po­si­tion et de représen­ta­tion. Il serait plus facile­ment accep­té à l’é­tranger que l’abaisse­ment du demi-ton. Ain­si amendé, le dia­pa­son se rap­procherait beau­coup du dia­pa­son élu, en 1834 à Stuttgart. Il avait déjà pour lui l’a­van­tage d’une pra­tique restreinte, il est vrai, mais dont on peut appréci­er les résul­tats.

La com­mis­sion a donc l’hon­neur de pro­pos­er à Votre Excel­lence d’in­stituer un dia­pa­son uni­forme pour tous les étab­lisse­ments musi­caux de France ; et de décider que ce dia­pa­son, don­nant le la, sera fixé à 870 vibra­tions par sec­onde.

Quant aux mesures à pren­dre pour assur­er l’adop­tion et la con­ser­va­tion du nou­veau dia­pa­son, la com­mis­sion a pen­sé, mon­sieur le min­istre, qu’il con­viendrait :

  1. Qu’un dia­pa­son type, exé­cu­tant 870 vibra­tions par sec­onde à la tem­péra­ture de 15 degrés centi­grades, fût con­stru­it sous la direc­tion d’hommes com­pé­tents, désignés par Votre Excel­lence.
  2. Que Votre Excel­lence déter­minât, pour Paris et les départe­ments, une époque à par­tir de laque­lle le nou­veau dia­pa­son deviendrait oblig­a­toire.
  3. Que l’é­tat des dia­pa­sons et instru­ments dans tous les théâtres, écoles et autres étab­lisse­ments musi­caux, fût con­stam­ment soumis à des véri­fi­ca­tions admin­is­tra­tives.

Nous espérons que vous voudrez bien, mon­sieur le min­istre, dans l’in­térêt de l’u­nité du dia­pa­son, pour com­pléter autant que pos­si­ble l’ensem­ble de ces mesures, inter­venir auprès de S. Exc. le min­istre de la guerre, pour l’adop­tion du dia­pa­son ain­si amendé dans les rég­i­ments ; auprès de S. Exc. le min­istre du Com­merce pour qu’à l’avenir, aux expo­si­tions de l’in­dus­trie, les instru­ments de musique con­formes à ce dia­pa­son soient seuls admis à con­courir pour les récom­pens­es ; nous sol­lici­tons aus­si l’in­ter­ven­tion de Votre Excel­lence pour qu’il soit seul autorisé et employé dans toutes les écoles com­mu­nales de la France où l’on enseigne la musique.

Enfin, la com­mis­sion vous demande encore, mon­sieur le min­istre, de vouloir bien inter­venir auprès de S. Exc. le min­istre de l’Instruction publique et des Cultes, pour qu’à l’avenir les orgues, dont il ordon­nera la con­struc­tion ou la répa­ra­tion, soient mis­es au ton du nou­veau dia­pa­son.

Telles sont, mon­sieur le min­istre, les mesures qui parais­sent néces­saires à la com­mis­sion pour assur­er et con­solid­er le suc­cès du change­ment que l’adop­tion d’un dia­pa­son uni­forme intro­duirait dans nos mœurs musi­cales. L’or­dre et la régu­lar­ité s’établi­raient où règ­nent par­fois le hasard, le caprice ou l’insouciance ; l’é­tude du chant s’ac­com­pli­rait dans des con­di­tions plus favor­ables ; la voix humaine, dont l’am­bi­tion serait moins excitée, serait soumise à de moins rudes épreuves. L’in­dus­trie des instru­ments, en s’as­so­ciant à ces mesures, trou­verait peut-être le moyen de per­fec­tion­ner encore ses pro­duits déjà si recher­chés. Il n’est pas indigne du Gou­verne­ment d’une grande nation de s’oc­cu­per de ces ques­tions qui peu­vent paraître futiles, mais qui ont leur impor­tance réelle. L’art n’est pas indif­férent aux soins qu’on a de lui ; il a besoin qu’on l’aime pour fruc­ti­fi­er, s’é­ten­dre, élever les cœurs et les esprits. Tout le monde sait avec quel amour, avec quelle inquié­tude ardente et rigoureuse les Grecs, qu’an­i­mait un sen­ti­ment de l’art si vif et si pro­fond, veil­laient au main­tien des lois de leur musique. En se préoc­cu­pant des dan­gers que peut faire courir à l’art musi­cal l’amour exces­sif de la sonorité, en cher­chant à établir une règle, une mesure, un principe, Votre Excel­lence a don­né une preuve nou­velle de l’in­térêt éclairé qu’elle porte aux beaux-arts. Les amis de la musique vous remer­cient, mon­sieur le min­istre, ceux qui lui ont don­né leur vie entière, et ceux qui lui don­nent leurs loisirs ; ceux qui par­lent la langue har­monieuse des sons, et ceux qui en com­pren­nent les beautés.

Nous avons l’hon­neur d’être avec respect,

Mon­sieur le min­istre,

De Votre Excel­lence

Les très hum­bles et très dévoués servi­teurs.

J. PELLETIER, prési­dent ; F. HALÉVY, rap­por­teur ; AUBER, BERLIOZ, DESPRETZ, CAMILLE DOUCET, LISSAJOUS, GÉNÉRAL MELLINET, MEYERBEER, Ed. MONNAIS, ROSSINI, AMBROISE THOMASTABLEAUX ANNEXÉS AU RAPPORT.

Tableau des dia­pa­sons en Europe en 1858 et tableau de lélévation du dia­pa­son au cours du temps tableau de droite Extrait du rap­port présen­té à S Exc Le min­istre dÉtat par la com­mis­sion chargée détablir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme Arrêté du 17 juil­let 1858 Paris le 1er févri­er 1859

Arrêté du 16 février 1859

Vu l’ar­rêté en date du 17 juil­let 1858 qui a insti­tué une com­mis­sion chargée de rechercher les moyens d’établir en France un dia­pa­son musi­cal uni­forme, de déter­min­er un étalon sonore qui puisse servir de type invari­able, et d’indi­quer les mesures à pren­dre pour en assur­er l’adop­tion et la con­ser­va­tion ;

Vu le rap­port de la com­mis­sion en date du 1er févri­er 1859,

Arrête :

Art. 1er. Il est insti­tué un dia­pa­son uni­forme pour tous les étab­lisse­ments musi­caux de France, théâtres impéri­aux el autres de Paris et des départe­ments, con­ser­va­toires, écoles, suc­cur­sales et con­certs publics autorisés par l’É­tat.

Art. 2. Ce dia­pa­son, don­nant le la adop­té pour l’ac­cord des instru­ments, est fixé à huit cent soix­ante-dix vibra­tions par sec­onde ; il pren­dra le titre de dia­pa­son nor­mal.

Art. 3. L’é­talon pro­to­type du dia­pa­son nor­mal sera déposé au Con­ser­va­toire impér­i­al de musique et de décla­ma­tion.

Art. 4. Tous les étab­lisse­ments musi­caux autorisés par l’É­tat devront être pourvus d’un dia­pa­son véri­fié et poinçon­né, con­forme à l’é­talon pro­to­type.

Art. 5. Le dia­pa­son nor­mal sera mis en vigueur à Paris le 1er juil­let prochain, et le 1er décem­bre suiv­ant dans les départe­ments.

À par­tir de ces épo­ques, ne seront admis dans les étab­lisse­ments musi­caux ci-dessus men­tion­nés que les instru­ments au dia­pa­son nor­mal, véri­fiés et poinçon­nés.

Art. 6. L’é­tat des dia­pa­sons et des instru­ments sera régulière­ment soumis à des véri­fi­ca­tions admin­is­tra­tives.

Art. 7. Le présent arrêté sera déposé au secré­tari­at général, pour être noti­fié à qui de droit.

Paris, le 16 févri­er 1859

ACHILLE FOULD.

Les critiques du rapport et de l’arrêté…

Le rap­port et l’ar­rêté min­istériel précé­dents, lui ordonne l’étab­lisse­ment d’un dia­pa­son mod­èle pour tous les théâtres et les étab­lisse­ments, lyriques de Paris et de la France, ont soulevé de nom­breuses récla­ma­tions. Les con­struc­teurs d’orgues, les fab­ri­cants d’instruments, les artistes qui se voient for­cés de renou­vel­er la flûte, le bas­son, le haut­bois, etc., etc., dont ils se ser­vent depuis longtemps ont fait aux con­clu­sions pra­tiques con­tenues dans le rap­port de la com­mis­sion de telles objec­tions, que l’ar­rêté min­istériel n’a pas encore reçu d’exé­cu­tion dans aucun théâtre de Paris. Un écrivain laborieux et très-ver­sé dans les matières qui touchent à la fab­ri­ca­tion des orgues et des autres instru­ments, M. Adrien de La Fage a pub­lié un opus­cule intéres­sant sous le titre de l’u­nité tonale, où il exam­ine, tant au point de vue his­torique que sous le rap­port prat­i­ca­ble de nos jours, les idées qui ont déter­miné la com­mis­sion à s’ar­rêter au nom­bre de 870 vibra­tions par sec­onde pour le dia­pa­son nor­mal de la France.

Il ne paraît pas, dit M. de La Fage, que les peu­ples anciens qui nous sont le mieux con­nus n’ont jamais songé à établir un son fixe qui servit de régu­la­teur aux voix et aux instru­ments. Les plus anci­ennes opéra­tions rel­a­tives au cal­cul des sons sont celles qu’on attribue à Pythagore qui vivait cinq cents ans avant l’ère vul­gaire. Il sem­ble résul­ter des recherch­es qu’on a faites dans l’his­toire des Chi­nois qu’ils ont été les pre­miers à pos­séder un sys­tème musi­cal d’une cer­taine régu­lar­ité. C’est sous le règne de l’empereur Hoang-ti, 2600 avant Jésus-Christ, qu’au­rait eu lieu la grande réforme de la musique chi­noise, sous la direc­tion d’un min­istre tout-puis­sant, Ling-lun. Au moyen âge, les idées exactes étaient trop rares pour que l’on s’oc­cupât d’une opéra­tion aus­si déli­cate que la fix­a­tion d’un son régu­la­teur. Les instru­ments s’ac­cor­daient à peu près au hasard et c’est à peine si l’on sait quelle était la dimen­sion des gros tuyaux des prin­ci­pales orgues de l’Eu­rope. Il faut arriv­er jusqu’aux pre­mières années du dix-sep­tième siè­cle, pour trou­ver quelques ren­seigne­ments pré­cis sur l’ob­jet qui nous occupe.

En effet, c’est en 1615 que Salomon de Caus pub­lia le pre­mier ouvrage qui ait été écrit sur la con­struc­tion des orgues ; mais c’est au P, Mersenne, dit M. de La Fage, que l’on doit la fix­a­tion exacte d’un son mod­èle et régu­la­teur. Le P. Mersenne, qui était un très savant homme, avait par­faite­ment con­science de l’u­til­ité de son opéra­tion, car il dit : « Tous les musi­ciens du monde fer­ont chanter une même pièce de musique selon l’in­ten­tion du com­pos­i­teur, c’est-à-dire, au ton qu’il veut qu’elle se chante, pourvu qu’il con­naisse la nature du son. » Le P. Mersenne, remar­que M. de La Fage, ne peut s’empêcher d’ad­mir­er son idée, car il ajoute : « Celte propo­si­tion est l’une des plus belles de la musique pra­tique, car si l’on envoy­ait une pièce de musique de Paris à Con­stan­tino­ple, en Perse, en Chine, encore que ceux qui enten­dent les notes et qui savent la com­po­si­tion ordi­naire le puis­sent faire chanter en gar­dant la mesure, néan­moins ils ne peu­vent savoir à quel ton chaque par­tie doit com­mencer, etc. » Ain­si donc, comme l’ob­serve fort judi­cieuse­ment M. de La Fage, le principe de la fix­a­tion sci­en­tifique d’un son mod­èle aurait pu être appliqué dès la pre­mière moitié du dix-sep­tième siè­cle ; mais le besoin ne s’en fit pas sen­tir, parce que la musique vocale était ren­fer­mée alors dans une por­tion assez restreinte de l’échelle sonore.

L’in­ven­tion du dia­pa­son tel que nous le con­nais­sons de nos jours, dit M. de La Fage, est due à un ser­gent-trompette de la mai­son royale d’An­gleterre, nom­mé John Shore. Il étu­dia la trompette avec tant de per­sévérance qu’il était par­venu à en tir­er des sons aus­si doux que ceux du haut­bois. John Shore fai­sait par­tie de la bande des trompettes roy­aux depuis 1711. À l’en­trée de Georges 1er, en 1741, il rem­plis­sait les fonc­tions de ser­gent, mon­tant, à la tête de sa petite troupe, un cheval riche­ment caparaçon­né. Le 8 août 1715, le per­son­nel de la chapelle ayant été aug­men­té, il y fut admis en qual­ité de luthiste. Il avait tou­jours avec lui le dia­pa­son dont il était inven­teur ; il s’en ser­vait pour accorder son luth. Le dia­pa­son eut dès lors la forme qu’il a main­tenant, et il se nom­mait en anglais tun­ing-fork, c’est-à-dire, fourchette d’ac­cord. Il fut adop­té par toute l’An­gleterre, d’où il se propagea en Ital­ie sous le nom de corista. (La corista vient en fait de cho­riste, un autre type de dia­pa­son con­sti­tué d’un sif­flet avec un pis­ton per­me­t­tant de faire vari­er la fréquence de référence.)  Il fut admis en France sous le nom grec de dia­pa­son. La dif­férence des dia­pa­sons admis dans les divers pays de l’Eu­rope était sou­vent très con­sid­érable…

M. de La Fage a pu con­stater qu’on ren­con­trait en Ital­ie deux dia­pa­sons qui offraient l’énorme dif­férence d’une tierce majeure. Le dia­pa­son de la Lom­bardie et de l’É­tat véni­tien était plus haut, et celui de Rome plus bas. À cette même époque, le dia­pa­son en usage à Paris était plus haut que celui de Rome et de la Lom­bardie.

D’après l’opin­ion de M. de La Fage, qui dif­fère de celle émise par la com­mis­sion, ce seraient les instru­ments à cordes qui seraient la cause de l’as­cen­sion tou­jours crois­sante du dia­pa­son. Je pense, dit l’au­teur de la brochure que nous analysons, que c’est la facil­ité qu’ont les instru­ments à cordes de mod­i­fi­er leur accord et de l’a­van­tage qu’ils trou­vent à le hauss­er, qu’est résulté l’as­cen­sion pro­gres­sive du dia­pa­son. C’est dire que je ne partage pas en ceci l’opin­ion de M. Lis­sajous, qui croit que ce résul­tat a été pro­duit par les instru­ments à vent. Chaque fois qu’un artiste nou­veau en rem­place un ancien dans un orchestre, dit M. Lis­sajous, il sub­stitue un instru­ment plus récent qui influe, pour sa part, sur le mou­ve­ment ascen­sion­nel du ton d’orchestre. Cet effet, insen­si­ble d’un jour à l’autre, se traduit, au bout d’un cer­tain temps, par une dif­férence notable.

Que ce soient les instru­ments à cordes ou les instru­ments à vent qui sont la cause de cette élé­va­tion où est arrivé le dia­pa­son mod­erne, ce qu’il fal­lait avant tout, c’est d’en arrêter l’as­cen­sion. II est évi­dent, comme le dit M. de La Fage, que ce ne sont pas les chanteurs qui ont con­tribué à l’élé­va­tion tou­jours pro­gres­sive du dia­pa­son dont ils sont les pre­mières vic­times. L’au­teur ajoute : « Si tant de voix per­dent aujour­d’hui prompte­ment leur fraîcheur prim­i­tive, ce n’est pas au dia­pa­son qu’il faut s’en pren­dre, mais aux com­pos­i­teurs, qui sont les maîtres d’écrire dans la véri­ta­ble éten­due de chaque voix. »

Qui les force à plac­er le cen­tre vocal dans la par­tie la plus élevée de l’échelle ? Non, ajoute M. de La Fage, ce n’est pas l’élé­va­tion du dia­pa­son qui empêche les voix de se pro­duire, et qui altère celles qui se pro­duisent ; ce sont les mau­vais maîtres de chant, les mau­vais com­pos­i­teurs ; c’est eux qu’il faut accuser, c’est eux qu’il faut pour­suiv­re ; et qu’on se hâte, car bien­tôt il faudrait accuser et pour­suiv­re tout le monde ; toutes ces choses réu­nies peu­vent avoir con­tribué au mal dont on se plaint ; l’essen­tiel, c’est d’y porter remède.

Dans le dix-neu­vième arti­cle de sa brochure, M. de La Fage donne l’analyse d’un instru­ment curieux de

M. Lis­sajous pour faire appréci­er à l’œil le nom­bre de vibra­tions que pro­duit la ten­sion d’une corde. Le but que se pro­pose l’au­teur, dit-il, est d’im­pos­er une méth­ode optique pro­pre à l’é­tude des mou­ve­ments vibra­toires. Cette méth­ode, fondée sur la per­sis­tance des sen­sa­tions usuelles et sur la com­po­si­tion de deux ou plusieurs mou­ve­ments vibra­toires simul­tanés,

per­met d’é­tudi­er, sans le sec­ours de l’or­eille, toute espèce de mou­ve­ments vibra­toires, et, par suite, toute espèce de sons. « Quoique M. Lis­sajous n’ait pas encore dévelop­pé expéri­men­tale­ment toutes les con­séquences de cette méth­ode, il pense qu’elle présen­tera une util­ité réelle pour la fab­ri­ca­tion des instru­ments de musique… M. de La Fage ter­mine sa brochure par des con­clu­sions qui sem­blent con­traires aux principes émis dans le rap­port de la com­mis­sion, et il serait d’avis qu’on eût fixé un dia­pa­son, mais en lais­sant à cha­cun la lib­erté de s’y con­former. Nous ne sauri­ons partager cette manière de voir, et nous pen­sons qu’après de vaines résis­tances de la part de cer­tains fab­ri­cants d’in­stru­ments, on se soumet­tra au dia­pa­son légal, et que l’ar­rêté min­istériel aura sa pleine et salu­taire exé­cu­tion.

Les ques­tions d’éru­di­tion, d’in­ves­ti­ga­tion et d’u­til­ité pra­tique sont à l’or­dre du jour, et vien­nent, de plus en plus, sol­liciter l’at­ten­tion de la cri­tique. Nous avons sous les yeux une réponse de M. Vin­cent, mem­bre de l’In­sti­tut, au mémoire de M. Fétis sur l’ex­is­tence de l’har­monie simul­tanée des sons de la musique des Grecs, dont nous avons par­lé dans le chapitre six­ième de ce vol­ume. Le titre de la brochure de M. Vin­cent qui vient de paraître tout récem­ment est : Réponse à M. Pétis et réfu­ta­tion de son mémoire· sur cette ques­tion : Les Grecs et les Romains ont-ils con­nu l’har­monie simul­tanée des sons ? Sans entr­er dans le fond du débat, nous sommes heureux de recon­naître que les con­clu­sions, qui ressor­tent du tra­vail très-ser­ré et très-savant de M. Vin­cent, sont con­formes à celles que nous avons émis­es en exam­i­nant le mémoire de M. Fétis. M. Vin­cent dit avec une haute rai­son (page 50 de sa brochure) : « Il est cer­tain que les tierces, quoiqu’elles ne fussent pas pris­es théorique­ment pour des con­so­nances, étaient con­sid­érées comme telles dans la pra­tique des artistes. » À la bonne heure, donc, voilà de la sci­ence qui ne con­tred­it pas le sens com­mun. M. Vin­cent ajoute un· peu après : « Or, dans les beaux-arts, les règles ne s’étab­lis­sent pas a pri­ori : c’est la pra­tique qui les dicte, la théorie ne fait que les enreg­istr­er. » Page 63, nous lisons encore ce pas­sage con­clu­ant : a Com­ment en défini­tive con­naître toutes les ressources d’un sys­tème d’har­monie pra­tiqué suiv­ant des règles que nous ignorons com­plète­ment, et qui étaient cer­taine­ment très dif­férentes des nôtres ? que ces règles fussent infin­i­ment moins com­plex­es et moins savantes que celles de nos jours, c’est un fait incon­testable ; mais cela ne suf­fit pas pour se refuser à recon­naître ici l’ex­is­tence d’une cer­taine har­monie, quelle qu’elle fût… Pour appuy­er celle idée fort juste, M. Vin­cent ajoute, page 6 : Quand on a vu de rus­tiques mon­tag­nards, qui n’avaient cer­taine­ment reçu les leçons d’au­cun Con­ser­va­toire, ameuter tout Paris sur les places publiques, rien qu’avec un chalumeau et une corne­muse, on a peine à con­cevoir que des hommes intel­li­gents per­sis­tent à dénier à un peu­ple splen­dide­ment doué pour tout le reste, jusqu’aux plus sim­ples élé­ments d’un art qui pos­sède, plus que tout autre, la puis­sance d’é­mou­voir cer­taines organ­i­sa­tions priv­ilégiées. En résumé, que récla­m­ons-nous ? la con­nais­sance des procédés, des finess­es, des déli­cat­esses de la sci­ence mod­erne ? Nulle­ment : que l’on nous accorde un sim­ple duo soutenu par un ou deux pédales, voilà toutes nos pré­ten­tions… Tout cela nous paraît trop raisonnable, trop fondé sur la nature des choses pour que M. Fétis n’en recon­naisse pas la vérité. La brochure de M. Vin­cent, écrite avec une extrême vivac­ité de paroles, est suiv­ie de quelques planch­es qui la ren­dent d’au­tant plus curieuse à con­sul­ter.

Le siè­cle que nous tra­ver­sons, et qui a déjà fourni plus de la moitié de sa car­rière peut se divis­er en deux épo­ques dont cha­cune sem­ble des­tinée à rem­plir une tâche dif­férente. La pre­mière qui com­mence à la Révo­lu­tion française a été une péri­ode de mou­ve­ment, de spon­tanéité et de créa­tion dans toutes les direc­tions de la pen­sée, dans tous les faits soumis à la volon­té de l’homme. La péri­ode qui va s’ac­com­plis­sant sous nos yeux paraît devoir être, au con­traire, une époque d’in­ves­ti­ga­tion, d’é­tudes et d’ap­pré­ci­a­tion his­torique. La musique a large­ment par­ticipé au mou­ve­ment créa­teur de la pre­mière époque, car elle a pro­duit Beethoven, Rossi­ni, Weber et tout un monde d’idées nou­velles. Il faut nous résign­er main­tenant à partager le sort com­mun, à étudi­er le passé, à en pénétr­er l’e­sprit jusqu’à ce que Dieu nous envoie un de ces révéla­teurs inspirés qui changent le cours des choses et vien­nent inau­gur­er, dans l’art, un nou­v­el idéal.

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