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Nada más 1938-07-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Juan D’Arienzo ; Luis Rubistein Letra : Luis Rubistein

Nous avons vu il y a peu Un tan­go y nada más où j’évo­quais l’ex­is­tence d’une ving­taine de tan­go con­tenant Nada más dans le titre. Celui-ci est le numéro 1… De plus, hier, j’ai été un peu dur avec D’Arien­zo et Echagüe et je leur devais une revanche. Avec ce titre, ils mar­quent des points, beau­coup de points.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano éditée par de Nada más.
Nada más 1938-07-08 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Alber­to Echagüe.

La musique se déroule en par­ties s’op­posant, de pas­sages martelés (ban­donéons et piano) et d’autres ondoy­ants (vio­lons). La voix de Echagüe se lance, pour un court pas­sage, le refrain, en totale har­monie avec la musique qui con­tin­ue en arrière-plan et reprend la main sur la même cadence et organ­i­sa­tion jusqu’à la fin. Une ver­sion pour danseurs. On notera que les petites accen­tu­a­tions du piano sont un peu plus dis­crètes que dans les dernières ver­sions avec Bia­gi au piano. Juan Poli­to est en train de trou­ver ses mar­ques pour suc­céder aux mains sor­cières de Rodol­fo Bia­gi.

Paroles

No quiero nada, nada más
que no me dejes, frente a frente, con la vida.
Me moriré si me dejás
por qué sin vos no he de saber vivir.

Y no te pido más que eso,
que no me dejes sucumbir,
te lo supli­co por Dios
no me quites el calor
de tu car­iño y tus besos,
que, si me fal­ta la luz
de tu mirar, que es mi sol,
será mi vida una cruz.

Cuán­ta nieve habrá en mi vida
sin el fuego de tus ojos!
Y mi alma, ya per­di­da,
san­gran­do por la heri­da,
se dejará morir,
y en la cruz de mis anh­e­los
llenaré de bru­mas mi alma,
morirá el azul del cielo,
sobre mi desvelo
vién­dote par­tir.

No quiero nada, nada más
que la men­ti­ra de tu amor, como limosna.
¿Qué voy a hac­er si me dejás
con el vacío de mi decep­ción?
No te vayas te lo ruego,
no destro­ces mi ,
si no lo hacés por amor
hace­lo por com­pasión
pero por Dios no me dejés
jamás te molestaré,
seré una som­bra a tus pies,
tira­da en algún rincón.

Juan D’Arien­zo ; Luis Rubis­tein Letra: Luis Rubis­tein

Echagüe ne chante que le refrain (en gras).
Rober­to Mai­da chante ce qui est en bleu.
Ada Fal­cón chante tout et ter­mine en reprenant le refrain (en gras).

Traduction libre

Je ne veux rien, rien de plus que tu ne me laiss­es pas face à face avec la vie.
Je mour­rai si tu me quittes, car sans toi je ne saurai pas vivre.
Et je ne te demande rien de plus, que de ne pas me laiss­er suc­comber, je te sup­plie pour l’amour de Dieu, de ne pas m’en­lever la chaleur de ton affec­tion et de tes bais­ers, car s’il me manque la lumière de ton regard, qui est mon soleil, ma vie serait une croix.
Com­bi­en de neige il y aurait dans ma vie sans le feu de tes yeux !
Et mon âme, déjà per­due, saig­nant de la blessure, se lais­sera mourir, et sur la croix de mes désirs je rem­pli­rai mon âme de brouil­lards, le bleu du ciel mour­ra, sur mon insom­nie en te regar­dant par­tir.
Je ne veux rien, rien de plus que le men­songe de ton amour, comme une aumône.
Que vais-je faire si tu me laiss­es avec le vide de ma décep­tion ?
Ne t’en va pas (on pense à « Ne me quittes pas de Jacques Brel), je t’en sup­plie, ne détru­is pas mon cœur, si tu ne le fais pas par amour, fais-le par com­pas­sion, mais par Dieu, ne me quitte pas (et voilà, nous sommes avec Jacques Brel). Jamais, je ne te dérangerai, je serai une ombre à tes pieds, couché dans un coin.

Paroles de la première version dédiée à Alfredo Callejas []

Une pre­mière ver­sion de la musique a été asso­ciée à des paroles, égale­ment de Rubin­stein à la gloire de Alfre­do Calle­jas surnom­mé « El  » qui était un jock­ey fameux de l’hip­po­drome de Paler­mo (Buenos Aires). Son fils égale­ment prénom­mé Alfre­do a repris sa car­rière comme entraîneur et quit­ta l’Ar­gen­tine en 1977 pour aller s’oc­cu­per des chevaux de son com­pa­tri­ote Robert Pérez à (USA). Le petit fils d’Al­fre­do et fils d’Al­fre­do, Bernar­do a suivi le même chemin et a un éle­vage de chevaux à Bel­mont (USA).
Les paroles évo­quent Bland­engues. Il me sem­ble qu’il s’ag­it d’un lieu situé à Bar­ra­cas, dans le Sud de Buenos Aires, peut-être où vivait ce jock­ey et entraîneur.
Le nom est égale­ment celui d’un rég­i­ment argentin créé au 18e siè­cle et dis­sous au 19e (notons qu’un rég­i­ment de ce nom existe tou­jours en Uruguay). Il est donc peu prob­a­ble que Alfre­do soit réelle­ment un mem­bre de Bland­engues. je pro­pose plutôt d’y voir un hom­mage his­torique, ce jock­ey rejoignant les illus­tres défenseurs de la patrie (con­tre les peu­ples pre­miers), ou tout sim­ple­ment son lieu d’o­rig­ine, le Sud de Buenos Aires étant un lieu par­ti­c­ulière­ment prop­ice aux exploits équestres et au tan­go, d’au­tant plus qu’il y avait à l’époque de grands espaces prop­ices à ces exer­ci­ces. Aujour­d’hui encore, un grand parc sub­siste, El par­que Leonar­do Pereyra.

Sos de Bland­engues el mejor
Y no hay quién ten­ga tu muñe­ca pa’ tal­lar,
Ni se conoce un cuidador
Con más car­pe­ta pa’ poder ganar.

Y de Bland­engues sos el mago
Que ha con­quis­ta­do más hala­gos,
“Tigre” Calle­jas, no hay qué hac­er­le
Se impone tu muñe­ca de gran “com­pos­i­tor”.

Juan D’Arien­zo ; Luis Rubis­tein Letra : Luis Rubis­tein

Traduction libre de la première version dédiée à Alfredo Callejas [Callejas solo (A Alfredo Callejas)]

Tu es de Bland­engues le meilleur et il n’y a per­son­ne qui a ton poignet pour domin­er (tal­lar n’est pas à pren­dre dans le sens de tailler, mais de domin­er, c’est du lun­far­do), ni aucun soigneur con­nu avec plus d’ha­bileté (car­pe­ta en lun­far­do) pour pou­voir gag­n­er.
Et de Bland­engues vous êtes le magi­cien qui a con­quis le plus d’éloges, « Tigre » Calle­jas, il n’y a rien à faire, votre tal­ent (muñe­ca en lun­far­do = habileté) de grand « com­pos­i­teur » s’im­pose (un com­pos­i­tor en lun­far­do est un pré­para­teur de chevaux de course).

Autres versions

Calle­jas solo (A Alfre­do Calle­jas) 1928 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con .

D’Arien­zo et Rubin­stein avaient déjà util­isé cette même musique sous le titre Calle­jas solo. Vous recon­naîtrez sans peine l’air, même si l’in­ter­pré­ta­tion est extrême­ment dif­férente. Heureuse­ment que Car­los Dante chante très peu, car sa voix n’est pas des plus agréable dans cet .

Calle­jas solo 1930 — Orques­ta .

Même si cette ver­sion instru­men­tale a été pub­liée sous le titre de Calle­jas Solo, la douceur de son inter­pré­ta­tion sem­ble plus adap­tée aux nou­velles paroles, celle de Nada más. La ver­sion française serait donc un précurseur des futures ver­sions.

Nada más 1938-07-08 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Alber­to Echagüe. C’est notre tan­go du jour.
Nada más 1938-08-22 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

On remar­que tout de suite que l’in­ter­pré­ta­tion de Canaro est plus suave. Mai­da chante d’une voix cares­sante. On est aux antipodes de la ver­sion de D’Arien­zo. Deux ambiances pour deux moments dis­tincts de la milon­ga. Les deux sont par­faits pour la danse.

Nada más 1938-09-28 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Un mois plus tard, Canaro enreg­istre avec sa chérie, Ada Fal­cón une ver­sion à écouter. C’est absol­u­ment clair. L’orchestre intro­duit directe­ment le chant, puis par la suite ne sert que de ponc­tu­a­tion. Ada chante qua­si­ment a capel­la. C’est une ver­sion très éton­nante, mais pas­sion­nante.

Nada más 1958-07-10 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Jorge Valdez.

Je suis sûr qu’au­cun danseur n’échang­era la ver­sion de D’Arien­zo avec Echagüe avec celle inter­prétée par Jorge Valdez. On a la guimauve, sans l’é­mo­tion d’A­da Fal­cón.

Nada más 1971-12-20 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con .

Treize ans plus tard, D’Arien­zo enreg­istre sa troisième ver­sion du titre avec Mer­cedes Ser­ra­no. Il l’en­reg­istr­era même deux fois avec elle. Je trou­ve que la ver­sion avec Mer­cedes Ser­ra­no en 1971 est bien plus intéres­sante que celle avec Jorge Valdez.

Pour ter­min­er la liste des ver­sions, je vous pro­pose un autre enreg­istrement, par les mêmes. Il s’ag­it d’une ver­sion enreg­istrée dans l’émis­sion El Tan­go del Mil­lón en 1971 (ou 1975 selon les sources). La vidéo a été col­orisée par qui effectue un tra­vail for­mi­da­ble, à la fois avec son orchestre Los Herederos del Com­pás et pour faire revivre cet orchestre dont son père était l’un des chanteurs qui rem­plaça, à mon avis très effi­cace­ment, Jorge Valdez.

Juan D’Arien­zo con Mer­cedes Ser­ra­no. 1971 ou 1975.

Et Jacques Brel, dans l’affaire ?

La pho­to de cou­ver­ture a sans doute éton­né cer­tains, je vous dois une expli­ca­tion, que vous avez peut-être déjà dev­inée en prenant con­nais­sance des paroles.
Ce n’est pas à cause de ses dents de cheval que j’ai choisi une image de Jacques Brel, même si cela pou­vait être une référence au jock­ey Calle­jas, mais à cause des paroles de sa chan­son immortelle « Ne me quitte pas ».

Nada más. Jacques Brel, ne me quitte pas.

En effet, elle se ter­mine par :

« Laisse-moi devenir
L’om­bre de ton ombre
L’om­bre de ta main
L’om­bre de ton chien
 »

Jacques Brel, fin de Ne me quitte pas.

Ce qui résonne un peu comme la fin des paroles de Rubin­stein :

“jamás te molestaré,
seré una som­bra a tus pies,
tira­da en algún rincón.”

Luis Rubis­tein, fin des paroles de Nada más.

L’idée d’être l’om­bre de l’autre est une image intri­g­ante, peut-être même inquié­tante. Aimer serait devenir un non-être, une réplique som­bre et fidèle de l’être aimé, un oubli de soi total. Je vous laisse méditer sur la ques­tion. Je ramasserai les copies dans deux heures. N’ou­bliez pas d’écrire votre nom en haut de la feuille, mais aupar­a­vant, délectez-vous de la chan­son de Jacques Brel.

Ne me quitte pas, Jacques Brel

« Il n’est de grand amour qu’à l’om­bre d’un grand rêve ».

Edmond Ros­tand (Cyra­no de Berg­er­ac)

À demain, les amis !