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Les trottoirs de Buenos Aires sont couverts de dalles (baldosas) qui ne sont pas toujours bien ajustées. Lorsqu’il pleut, le malheureux qui pose le pied sur l’une d’elles se retrouvera trempé par un jet d’éclaboussures. Notre milonga du jour évoque ce phénomène qui n’empêche pas les milongueros de braver la pluie pour aller danser.

Baldosa floja 1967-10-31 — Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri

Florindo Sassone; Julio Boccazzi Letra: Dante Gilardoni

Les trot­toirs de Buenos Aires sont cou­verts de dalles (bal­dosas) qui ne sont pas tou­jours bien ajustées. Lorsqu’il pleut, le mal­heureux qui pose le pied sur l’une d’elles se retrou­vera trem­pé par un jet d’éclaboussures. Notre milon­ga du jour évoque ce phénomène qui n’empêche pas les milongueros de braver la pluie pour aller danser.

Je dédi­cace cette anec­dote à l’ami Chris­t­ian, qui sait si bien par­ler des sur­pris­es des trot­toirs de Buenos Aires.

Extrait musical

Baldosa floja 1967-10-31 - Orquesta Florindo Sassone con Oscar Macri. La version du jour n’est pas la plus connue que vous retrouverez à la suite, mais elle est intéressante, car d’un caractère un peu différent de ce qu’on entend habituellement et qu’elle est enregistrée par l’auteur de la musique, Florindo Sassone.
On notera tout de suite le caractère marqué du candombe qui est atténué, voire inexistant dans les autres versions. La voix originale de Macri manque par moment d’un peu de mordant pour la milonga, mais, dans l’ensemble, il me semble que cette version voulue par le compositeur devrait être plus connue.
Par­ti­tion de Bal­dosa flo­ja de Florindo Sas­sone; Julio Boc­cazzi Letra: Dante Gilar­doni.
Bal­dosa flo­ja 1967-10-31 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Oscar Macri.

La ver­sion du jour n’est pas la plus con­nue que vous retrou­verez à la suite, mais elle est intéres­sante, car d’un car­ac­tère un peu dif­férent de ce qu’on entend habituelle­ment et qu’elle est enreg­istrée par l’auteur de la musique, Florindo Sas­sone.
On notera tout de suite le car­ac­tère mar­qué du can­dombe qui est atténué, voire inex­is­tant dans les autres ver­sions. La voix orig­i­nale de Macri manque par moment d’un peu de mor­dant pour la milon­ga, mais, dans l’ensemble, il me sem­ble que cette ver­sion voulue par le com­pos­i­teur devrait être plus con­nue.

Paroles

Yo lle­vo el baile en la san­gre
y cump­lo con mi des­ti­no,
mi vida está en la milon­ga
y he de seguir por ese camino.
No soy con­stante en amores
por eso tan solo estoy,
mi car­ta me la he juga­do
y si he per­di­do, pago y me voy.

Rebelde soy para el lazo
ni sus cade­nas me echó el amor,
yo soy gor­rión via­jero
y el mun­do entero fue mi ambi­ción.
Igual que bal­dosa flo­ja
salpi­co si alguien me pone el pie,
no sé… quer­er,
mi amor… se fue,
yo iré… bai­lan­do
mien­tras las tabas
me den con que…

Si a veces algu­na pena
me lle­ga a mojar los ojos
y sur­gen des­de el olvi­do
aque­l­los labios siem­pre tan rojos,
me afir­mo el cham­ber­go claro
y agar­ro p’al cabaré,
mi vida es una milon­ga
y sé que bai­lan­do yo moriré.

Igual que bal­dosa flo­ja
salpi­co si alguien me pone el pie.
Florindo Sas­sone; Julio Boc­cazzi Letra: Dante Gilar­doni

Traduction libre

J’ai la danse dans mon sang et j’ac­com­plis mon des­tin,
Ma vie est dans la milon­ga et je dois con­tin­uer sur cette voie.
Je ne suis pas tou­jours amoureux, c’est pour ça que je suis si seul, J’ai joué ma carte et si j’ai per­du, je paie et je pars.
Je suis un rebelle con­tre le lien et l’amour ne m’a pas enchaîné,
Je suis un moineau voyageur et le monde entier était mon ambi­tion.
Comme une dalle bran­lante, j’éclabousse si quelqu’un me met le pied dessus, (La bal­dosa est la dalle, le car­relage qui cou­vre les trot­toirs de Buenos Aires. Cer­taines sont mal fixées et quand il a plu, lorsqu’on marche dessus, elles pro­jet­tent l’eau qui est en dessous et inonde le mal­adroit).
Je ne sais pas… aimer, mon amour… elle est par­tie, j’i­rai… Danser tant que les jambes me don­nent ce que…
Si par­fois quelque peine me mouille les yeux et que sur­gis­sent de l’oubli ces lèvres tou­jours si rouges,
J’ajuste mon cham­ber­go (cha­peau de gau­cho) clair et je prends pour le cabaret,
ma vie est une milon­ga et je sais qu’en dansant, je mour­rai.
Comme une dalle bran­lante, j’é­clabousse si quelqu’un me met le pied dessus.

Autres versions

Bal­dosa flo­ja 1957-11-14 — Argenti­no Ledes­ma y su orques­ta Dir. Jorge Drag­one.

C’est le plus ancien enreg­istrement du titre en ma pos­ses­sion. Si la mer­veilleuse voix de ténor de Ledes­ma n’est pas for­cé­ment la plus adap­tée à l’interprétation de ce titre, l’orchestre a des arrange­ments qui valent l’écoute.

Bal­dosa flo­ja 1958-07-03 — Juan D’Arien­zo con Jorge Valdez y Mario Bus­tos.

Cette ver­sion est une des plus célèbres, sans doute à cause du beau duo entre Valdez et Bus­tos. À mon goût, cette ver­sion n’est pas for­cé­ment plus géniale à danser que les autres. On l’entend cepen­dant régulière­ment, c’est qu’elle doit con­venir.

Bal­dosa flo­ja 1960-11-28 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alfre­do Belusi y Jorge Maciel.

Le début lancé par le piano de Pugliese est très orig­i­nal. C’est sans doute la ver­sion avec l’orchestration la plus aboutie. Le duo est assez joli et si le résul­tat d’ensemble est superbe, les change­ments de rythmes et les sur­pris­es peu­vent ren­dre la tâche des danseurs com­pliquée. Comme DJ j’hésiterais avant de pass­er ce titre, mais il faut savoir pren­dre des risques…

Bal­dosa flo­ja 1965 — Orques­ta Reliquias Porteñas.

Cet orchestre pro­pose une ver­sion instru­men­tale avec une bonne ryth­mique. La flûte et le vibra­phone rem­pla­cent les voix, ce qui donne une ver­sion fraîche et orig­i­nale qui pour­rait plaire aux danseurs curieux.

Bal­dosa flo­ja 1967-10-31 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Oscar Macri.

C’est notre ver­sion du jour et, comme vous pou­vez main­tenant le con­stater, elle est assez dif­férente des autres ver­sions.

Bal­dosa flo­ja 1980 — Luciano Leo­ca­ta C Rober­to Chalean.

La réver­béra­tion est à mon sens très gênante et invalide sans doute cet enreg­istrement, sauf peut-être pour les nos­tal­giques de l’acoustique de Sun­der­land.

Bal­dosa flo­ja 1983 — Rodol­fo Lemos — Dir Pas­tor Cores.

Si on tient compte que cette milon­ga n’est pas une des plus évi­dentes à danser, cette ver­sion n’est pas désagréable et on peut se laiss­er ten­ter.

Bal­dosa flo­ja 1997 — La Chi­cana Con Dolores Sola.

Une ver­sion légère où la flûte le dis­pute à la voix de Dolores Sola.

Bal­dosa flo­ja 2003 — Los Man­cifes­ta C Car­los Teje­da y Raúl O. Verón.

Los Man­cifes­ta pro­posent générale­ment des ver­sions énergiques, ce qui est le cas ici. Peut-être que l’interprétation est un peu rapi­de, mais c’est bien d’avoir de la var­iété pour répon­dre aux dif­férentes con­di­tions de la milon­ga.

Bal­dosa Flo­ja 2005-10 — Orques­ta Matos Rodríguez con Ricar­do Oliv­era y Daniel Cortéz.

Il sera sans doute dif­fi­cile de ven­dre cette ver­sion comme milon­ga dans­able. Con­tentons-nous de la con­sid­ér­er comme une curiosité.

Bal­dosa flo­ja 2010 — Ras­ca­cie­los C Black Rodriguez Mendez y Héc­tor Limon Gar­cia.

Cette ver­sion n’atteint peut-être pas les som­mets des derniers étages, mais elle est sym­pa­thique. Cette ver­sion fait par­tie de leurs titres dans­ables, ce qui est moins le cas d’autres titres, notam­ment ceux qu’ils ont écrits et qui sont des­tinés à l’écoute ou à un autre type de tan­go.

Bal­dosa flo­ja 2014 — La Tru­ca (San Luis, Argenti­na) Voix: Fer­nan­da Rivero / Gui­tares: Emil­iano Rivero y Alcides Alcón / Per­cus­sions: Nahuel Rivero / Con­tre­basse: Toni Funes

Bal­dosa flo­ja 2017 — Los Tan­turi con Rubén Peloni. Encore une facette de l’ami Rubén.

Histoires de Baldosas

Ceux qui sont habitués à voir des trot­toirs rel­a­tive­ment uni­formes ont peut-être été sur­pris de voir qu’à Buenos Aires, les trot­toirs sont dif­férents lorsque l’on passe d’une façade à une autre.

En effet, à Buenos Aires (CABA), la con­struc­tion, l’en­tre­tien et la répa­ra­tion des trot­toirs incombent en pre­mier lieu au pro­prié­taire de l’immeuble qui est en face de cette par­tie de voirie, con­for­mé­ment à la loi 5902.

Cepen­dant, si les dom­mages sont causés par des travaux de réseaux (élec­tric­ité, gaz, eau) ou par des racines d’ar­bres, la respon­s­abil­ité en incombe à la munic­i­pal­ité (GCBA).

Ces deux phras­es expliquent à peu près ce qui se passe.

Cer­tains soignent les abor­ds de leur lieu avec de belles dalles et d’autres, plus nég­li­gents, lais­sent le trot­toir à l’abandon ou le « répar­ent » avec les moyens du bord.

D’autres, vic­times de travaux à répéti­tion, se lassent de réclamer au 147 (numéro de télé­phone dédié) la remise en état de leur pré­cieux trot­toir. Il faut dire que ces « remis­es en état » sont sou­vent nég­ligées et c’est une des prin­ci­pales caus­es de dalle bran­lante, bal­dosa flo­ja.

Principe de la dalle branlante (baldosa floja). Lorsque le pied appuie sur une dalle qui n'a pas de support, celle-ci oscille. Si la cavité est remplie d'eau, une gerbe en sort et asperge le malchanceux.
Principe de la dalle bran­lante (bal­dosa flo­ja). Lorsque le pied appuie sur une dalle qui n’a pas de sup­port, celle-ci oscille. Si la cav­ité est rem­plie d’eau, une gerbe en sort et asperge le malchanceux.

Limite entre deux immeubles

Env­i­ron tous les 10 m, il y a un nou­v­el immeu­ble et, donc, un nou­veau trot­toir. Même si deux pro­prié­taires ont choisi le même motif pour les dalles, ces dernières ne seront pas for­cé­ment alignées et la jonc­tion entre les deux par­celles est générale­ment bien mar­quée.

Exemple de jonctions entre immeubles. De gauche à droite et de bas en haut pour chaque image : (1) Grandes dalles rectangulaires et béton brut. On notera une partie endommagée à la suite de l’adjonction de plaques du service des eaux (AYSA) (2) Dalle à petits carrés et grandes dalles qui pourraient bien être branlantes, là encore par la faute de l’AYSA (3) Dalles à petits carrés et décor rayonnant. L’intervention du service des eaux qui a sans doute cassé les plaques rouges originales a causé le remplacement par des dalles de même type, mais grises (4) Ici, les deux propriétaires ont choisi les mêmes dalles avec petits carrés, mais celles-ci ne sont pas alignées et l’un des propriétaires a décidé de les peindre en noir, comme sa façade. Celle du voisin est aussi noire, mais il n’a pas peint son trottoir.
Exem­ple de jonc­tions entre immeubles. De gauche à droite et de bas en haut pour chaque image : (1) Grandes dalles rec­tan­gu­laires et béton brut. On notera une par­tie endom­magée à la suite de l’adjonction de plaques du ser­vice des eaux (AYSA) (2) Dalle à petits car­rés et grandes dalles qui pour­raient bien être bran­lantes, là encore par la faute de l’AYSA (3) Dalles à petits car­rés et décor ray­on­nant. L’intervention du ser­vice des eaux qui a sans doute cassé les plaques rouges orig­i­nales a causé le rem­place­ment par des dalles de même type, mais gris­es (4) Ici, les deux pro­prié­taires ont choisi les mêmes dalles avec petits car­rés, mais celles-ci ne sont pas alignées et l’un des pro­prié­taires a décidé de les pein­dre en noir, comme sa façade. Celle du voisin est aus­si noire, mais il n’a pas peint son trot­toir.
Quelques exemples de dalles (x4). Ici, les modèles « fleur de lys », Adoqui circular et Octogonal. Le modèle le plus courant est celui à petits carrés.
Quelques exem­ples de dalles (x4). Ici, les mod­èles « fleur de lys », Ado­qui cir­cu­lar et Octog­o­nal. Le mod­èle le plus courant est celui à petits car­rés.
Deux cas particuliers. Les dalles peintes devant le musée Quinquela Martin à la Boca et un nouveau type d'aménagement que la ville met en place dans certains quartiers (microcentre et avenues). Le trottoir se retrouve nettement élargi. À certains endroits, c’est pour y placer des arbres à d’autres pour sécuriser les arrêts de bus ou les poubelles qui occupent souvent une des voies de circulation, ce qui peut être une surprise pour un conducteur inattentif. Ces aménagements ne relèvent plus des riverains.
Deux cas par­ti­c­uliers. Les dalles peintes devant le musée Quin­quela Martín à la Boca et un nou­veau type d’amé­nage­ment que la ville met en place dans cer­tains quartiers (micro­cen­tre et avenues). Le trot­toir se retrou­ve net­te­ment élar­gi. À cer­tains endroits, c’est pour y plac­er des arbres à d’autres pour sécuris­er les arrêts de bus ou les poubelles qui occu­pent sou­vent une des voies de cir­cu­la­tion, ce qui peut être une sur­prise pour un con­duc­teur inat­ten­tif. Ces amé­nage­ments ne relèvent plus des riverains.
Les pièges peuvent aussi être pour les piétons. Ici, pour aménager les angles de rues, on demande aux piétons de s'engager sur une avenue, protégé par des blocs de plastique ou un simple rubalise tendu entre des plots. À droite, le résultat avec un autre piège pour ceux qui ont un chariot, une poussette ou un fauteuil roulant. Le passage zébré mène au trottoir haut. Pour profiter du bateau plus bas, il faut aller dans l’angle, très près de l’avenue et donc sortir du passage protégé.
Les pièges peu­vent aus­si être pour les pié­tons. Ici, pour amé­nag­er les angles de rues, on demande aux pié­tons de s’en­gager sur une avenue, pro­tégé par des blocs de plas­tique ou un sim­ple rubalise ten­du entre des plots. À droite, le résul­tat avec un autre piège pour ceux qui ont un char­i­ot, une pous­sette ou un fau­teuil roulant. Le pas­sage zébré mène au trot­toir haut. Pour prof­iter du bateau plus bas, il faut aller dans l’angle, très près de l’avenue et donc sor­tir du pas­sage pro­tégé.

Voilà, les amis. J’espère que cette bal­dosa flo­ja vous aura intéressés et qu’elle ne vous fera pas trébuch­er en la dansant.

Mandria 1957-06-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Mario Bustos

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich; Francisco Brancatti

Man­dria, encore un grand tan­go, adoré par les danseurs. Si ce sont les ver­sions de D’Arienzo qui sont les plus con­nues, il y a d’autres ver­sions intéres­santes et que je vous pro­pose ici. Atten­tion, on entre dans l’univers hos­tiles des gau­chos, man­drias, s’abstenir.

Extrait musical

Man­dria 1957-06-29 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Mario Bus­tos
Par­ti­tion de Man­dria. On voit le com­bat avec les reben­ques.

Paroles

Tome mi pon­cho… No se afli­ja…
¡Si has­ta el cuchil­lo se lo presto!
Cite, que en la can­cha que usté eli­ja
he de dir y en fija
no pon­dré mal gesto.

Yo con el cabo ‘e mi rebenque
ten­go ‘e sobra pa’ cobrarme…
Nun­ca he sido un maula, ¡se lo juro!
y en ningún apuro
me sabré achicar.

Por la mujer,
creamé, no lo busqué…
Es la acción
que le viché
al varón
que en mi ran­cho cobi­jé…
Es su mal­dad
la que hoy me hace sufrir :
Pa’ matar
o pa’ morir
vine a pelear
y el hom­bre ha de cumplir.

Pa’ los sotre­tas de su laya
ten­go güen bra­zo y estoy lis­to…
Tome… Abara­je si es de agaya,
que el varón que taya
debe estar pre­vis­to.
Esta es mi mar­ca y me asu­je­to.
¡Pa’ qué pelear a un hom­bre man­dria !
Váyase con ella, la cobarde…
Dígale que es tarde
pero me cobré.

Juan Rodríguez Letra: Juan Miguel Velich ; Fran­cis­co Bran­cat­ti

Traduction libre et indications

Prenez mon pon­cho… Ne vous affligez pas…
Et jusqu’au couteau, je vous le prête !
Racon­tez, que dans le lieu (ter­rain pour le duel, se dit aus­si du ter­rain de foot) que vous choi­sis­sez, il faut dire et assuré­ment (fija en lun­far­do, chose sûre), je n’aurai pas de mau­vais geste.
Moi, avec la tête de mon fou­et j’ai large­ment pour me cou­vrir (pro­téger)…

Cabo de rebenque (tête de fou­et de gau­cho). On voit la drag­onne qui per­met de le tenir fer­me­ment au poignet et la boule de métal qui devait don­ner de forts mots de tête quand elle entrait en con­tact avec le crâne de l’adversaire…

Je n’ai jamais été un lâche, je vous le jure !
Et sans aucune urgence je saurais me faire petit.
Pour la femme, croyez-moi, je ne l’ai pas cher­ché…
C’est l’action que j’ai vue de l’homme que j’ai hébergé dans mon ranch…
C’est sa méchanceté qui aujourd’hui me fait souf­frir :
Pour tuer ou pour mourir, je suis venu me bat­tre et l’homme doit s’y con­former.
Pour un mal­otru de ce type, j’ai un bon bras et je suis prêt…
Prenez… Abat­tu s’il est fait de galle, (agaya = agal­la = excrois­sance qui se forme sur un arbre à cause de la piqûre d’un insecte) que le mec qui a par­lé doit être prévenu.
C’est ma devise et je m’y tiens.
Pourquoi com­bat­tre un homme pleu­tre !
Allez avec elle, la lâche…
Dites-lui qu’il est tard, mais que j’ai été payé.

J’ai quelques doutes sur l’interprétation, est-ce qu’au final il a mis une raclée avec son fou­et au type qui était allé avec sa femme et qu’il chas­se les deux, ou qu’il ne prend pas la peine de s’attaquer au pleu­tre (man­dria) et qu’il le chas­se avec la femme infidèle.

Autres versions

Man­dria 1927-03-17 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras.

Man­dria 1927-03-17 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras. Les presta­tions de Rosi­ta, l’artiste à la mode rem­portèrent beau­coup de suc­cès au théâtre et à la radio, ce qui lança le titre com­ment en témoignent les autres enreg­istrements réal­isés dans les deux mois qui suivirent. Dans cet enreg­istrement, elle est accom­pa­g­née de trois gui­taristes. Sa voix, mar­quée de souf­france l’avait fait surnom­mée, la tou­jours blessé (La eter­na heri­da) ou la muse pau­vre (La musa mis­ton­ga), car elle était un pro­duit des faubourgs dont elle avait la dic­tion et la gouaille. En 1927, elle était au fait de sa gloire et l’année précé­dente, Anto­nio Poli­to et Cele­do­nio Flo­res pour les paroles, lui avaient écrit un tan­go La musa mis­ton­ga.

Rosi­ta Quiroga, La musa mis­ton­ga
Man­dría 1927-03-25 — Orques­ta Rober­to Fir­po.

Une Jolie ver­sion, assez lente et bien dans­able.

Man­dría 1927-05-10 – Orques­ta Osval­do Frese­do

La ver­sion de Frese­do a des points com­muns avec celle de Fir­po.

Man­dria 1927-05-19 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta

Encore une ver­sion assez proche, un tem­po plus mar­qué, mais bien sûr, la grande dif­férence est le refrain chan­té par Agustín Irus­ta.

Avec Canaro se ter­mi­nent les enreg­istrements de la pre­mière vague. Qua­tre en deux mois, c’est un beau suc­cès pour le titre, mais atten­dez la suite…

Man­dria 1939-08-09 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe.

Après une pause de douze ans, une nou­velle ver­sion de notre titre du jour. C’est sans doute la ver­sion la plus célèbre. Con­traire­ment aux ver­sions de la décen­nie précé­dente on est face à un titre énergique, bril­lant, qui donne envie de danser.

Man­dria 1954-04-22 — Orques­ta Eduar­do Del Piano con Mario Bus­tos.

Une ver­sion chan­tée avec une voix un peu recher­chée. Pas for­cé­ment la ver­sion préférée des danseurs.

Man­dria 1957-06-29 – Orques­ta Juan D’Arienzo con Mario Bus­tos. C’est notre tan­go du jour.

Trois ans plus tard, Bus­tos enreg­istre le thème avec D’Arienzo qui lui est aus­si avec sa deux­ième ver­sion, la pre­mière étant de 18 ans plus anci­enne, avec Echagüe.
Il est intéres­sant de com­par­er la ver­sion de Del Piano avec celle de D’Arienzo, elles sont proches en date et c’est le même chanteur. Del Piano a lais­sé plus de lib­erté à Bus­tos et même si D’Arienzo laisse Bus­tos chanter toutes les paroles, il reste dans le cadre de la danse, ce qui n’est aps tou­jours le cas d’autres orchestre de l’époque qui aug­mentent aus­si forte­ment la part chan­tée des tan­gos.

Man­dria 1970 — Orques­ta Juan Cam­bareri con Héc­tor Berar­di.
Man­dria 1980c — Los Man­cifes­ta con Car­los Teje­da.
Man­dria 2022 — El Cachivache Quin­te­to.

El rebenque

On a déjà par­lé de l’armement des gau­chos, notam­ment du facón (couteau) et du pon­cho (enroulé autour du bras en pro­tec­tion).

L’arme d’aujourd’hui est le rebenque. C’est une sorte de cravache ou de fou­et court. D’un côté, il y a la poignée (cabo) et de l’autre, la queue.

À gauche, un rebenque entier avec au pre­mier plan el cabo en métal. La tenue du rebenque avec la drag­onne au poignet. Com­bat au rebenque selon une illus­tra­tion de Moli­na. Le pon­cho enroulé sur le bras sert à se pro­téger. Rebenque et facón, deux armes red­outa­bles, dessins de Mario Lopez Osornio Ici, il tient le rebenque par la queue. On imag­ine donc le résul­tat de la fappe du cabo sur l’adversaire. Dans le com­bat, le rebenque sert égale­ment à désarmer l’adversaire de son couteau.

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Spina (Paroles et musique)

Encore une his­toire qui sent la rose. Il faut dire que quand on s’appelle Spina (épine en ital­ien), la rose est une source d’inspiration naturelle. La ver­sion enreg­istrée par D’Arienzo et Cabral est une des fleurs qui ont éclos aux sons de cette mag­nifique valse, il y a exacte­ment 88 ans.

Extrait musical

Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral.

La valse démarre au quart de tour, comme sur un coup de maniv­elle. On est bien au début de la péri­ode Bia­gi dans l’orchestre de D’Arienzo, mais le piano est bien dis­cret. Tout juste quelques ponc­tu­a­tions comme à 1 : 17 entre deux phras­es chan­tées par Cabral. Le vio­lon, l’instrument de D’Arienzo est plus mis en vedette, en com­pag­nie de la voix un peu aigre de Cabral. La valse qui avait démar­ré sem­ble se lancer à toute vitesse sur la fin. C’est une illu­sion don­née notam­ment par les notes dou­blées du piano. Cette façon de ter­min­er dans l’euphorie est typ­ique des valses de D’Arienzo. On en viendrait à oubli­er totale­ment que les paroles sont un peu tristes. Cepen­dant, Cabral n’en chante qu’un tout petit bout, alors on ne s’en rend pas compte, emporté par la frénésie tour­bil­lon­nante de cette valse.

La par­ti­tion de la valse nous révèle que c’est un vals criol­lo. Ce détail a son impor­tance comme nous le ver­rons avec les autres ver­sions.

Paroles

Han bro­ta­do otra vez los ros­ales
jun­to al muro en el viejo jardín,
donde tu alma sel­ló un jura­men­to,
amor de un momen­to
que hoy lloro su fin.
Tier­no llan­to de amor fuera el tuyo
que en tus ojos divi­nos bebí.
Ojos fal­sos que así me engañaron
al ver que llo­raron los míos por ti.

Mas los años al pasar me hicieron
com­pren­der la triste real­i­dad.
Que tan solo es ilusión,
lo que amamos de ver­dad.
Sin embar­go cuan­do en los ros­ales
rena­cen las flo­res
los viejos amores
con sus madri­gales
tor­nan como entonces a mi corazón.

Cuan­do vuel­van las noches de invier­no
y se cubra de nieve el jardín,
si estás triste sabrás acor­darte
de aquel que al amarte
no supo men­tir.
No es mi can­to un reproche a tu olvi­do,
ni un con­sue­lo te ven­go a pedir,
sólo al ver el ros­al flo­re­ci­do:
el sueño per­di­do lo vuel­vo a vivir.

Vicente Spina (Paroles et musique)

Wal­ter Cabral ne chante que la par­tie en gras

Traduction libre

Les rosiers ont repoussé le long du mur du vieux jardin, où ton âme a scel­lé un ser­ment, l’amour d’un moment qui aujourd’hui a pleuré sa fin.
De ten­dres larmes d’amour étaient tiennes que j’ai bues dans tes yeux divins.
Des yeux faux qui m’ont trompé quand ils ont vu que les miens pleu­raient pour toi.

Mais les années qui ont passé m’ont fait com­pren­dre la triste réal­ité.
Que ce n’est qu’une illu­sion, ce que nous aimons vrai­ment.
Cepen­dant, lorsque sur les rosiers renais­sent les fleurs,
les vieux amours avec leurs madri­gaux revi­en­nent, comme ils le fai­saient alors, dans mon cœur.

Quand les nuits d’hiver revien­dront et que le jardin sera cou­vert de neige, si tu es triste tu sauras te sou­venir de celui qui n’a pas su men­tir quand il t’aimait.
Mon chant n’est pas un reproche à ton oubli ni une con­so­la­tion que je viens te deman­der, seule­ment quand je vois le rosier fleurir : le rêve perd, je le revis.

Autres versions

Tu olvi­do 1932-06-02 — Alber­to Gómez y Augus­to “Tito” Vila con acomp. de gui­tares.

Cette ver­sion est la plus anci­enne. Le duo Gómez et “Tito” Vila chante à la tierce la total­ité des paroles en reprenant le sec­ond cou­plet. On retrou­ve dans cette ver­sion les sonorités du vals criol­lo.

Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est notre valse du jour.
Tu olvi­do 1946-12-19 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó y Rober­to Videla.

Tan­turi aban­donne le principe d’introduction de D’Arienzo et Gómez avec « Tito » Vila. La valse tourne avec énergie. Con­traire­ment à Gómez et « Tito » Vila, le duo est aus­si en dia­logue en plus d’être en phase, à la tierce. La fin est une lente éclo­sion. En résumé, une belle ver­sion, très dif­férente de celle de D’Arienzo, mais tout aus­si géniale à danser.

Tu olvi­do 1951c — Andres Fal­gas Con Orques­ta Rober­to Pansera.

La sonorité de Pansera est un peu légère. Le Duo chante de nou­veau à la tierce. Les voix sont les vedettes de cette ver­sion où l’orchestre est très dis­cret.

Tu olvi­do 1952-04-25 — Orques­ta Eduar­do Del Piano con Mario Bus­tos y Héc­tor De Rosas.

Encore un duo servi par un orchestre, cette fois plus expres­sif, avec un bien piano présent. Des ponc­tu­a­tions de l’orchestre mar­quent les moments de pause des chanteurs. Cette ver­sion sans doute plus rare reste dans­able et peut aider à renou­vel­er le plaisir des oreilles des danseurs. La fin est aus­si en ralen­tisse­ment, l’opposé de D’Arienzo, mais moins ralen­tie que la ver­sion de Tan­turi. Chaque orchestre imprime sa mar­que au titre.

Tu olvi­do 1960 c — Orques­ta Eliseo March­ese con Agustín y Mar­ión Copel­li.

L’orchestre Eliseo March­ese sert l’accompagnement au cou­ple des Copel­li. Ici, femme et homme chantent à la dix­ième (octave plus tierce). Cela se laisse écouter, mais je ne le pro­poserai sans doute pas en milon­ga, mal­gré l’étonnante fin en cas­cade.

Tu olvi­do 1969 — Trio Ciri­a­co Ortiz. Le folk­lore s’inspire et inspire.

Ici, cette ver­sion par le trio de Ciri­a­co Ortiz est claire­ment des­tinée à la danse, mais plutôt dans un mou­ve­ment folk­lorique, voire musette. La ver­sion est sans doute un peu monot­o­ne et rapi­de pour en faire une valse de tan­go argentin.

Tu olvi­do 1981 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Car­los Gari.

Avec cette valse signée par Fed­eri­co, on est l’opposé du folk­lore. Une recherche d’élégance change totale­ment le car­ac­tère de cette valse, qui n’est prob­a­ble­ment plus du tout à pro­pos­er pour la danse. Écou­tons-là donc.

Tu olvi­do 1999-04-05 — Los Vis­con­ti. Encore une ver­sion folk­lorique.

Avec un car­ac­tère évo­quant la ranchera. Les danseurs de folk­lore ont une autre ver­sion à choisir. Le rythme est plus lent que la ver­sion de Ciri­a­co Ortiz. On n’est plus dans le musette.

Tu olvi­do 2002 — Armenonville. Armenonville renoue avec la tra­di­tion de la flûte et de la gui­tare.

Le ban­donéon et le vio­lon sont égale­ment exploités de façon légère, ce que con­firme le chant. Une ver­sion qui se laisse écouter, mais qui ne devrait pas provo­quer de réac­tions pas­sion­nées chez les danseurs…

Pour ter­min­er une ver­sion en vidéo avec les deux Alber­tos, Alber­to Podestá et Alber­to Mari­no. Cette presta­tion a été enreg­istrée en 2011 dans l’émission El Tanga­zo. Les chaînes argen­tines entre­ti­en­nent fidèle­ment la nos­tal­gie en met­tant en valeur notre musique de tan­go.

Alber­to Podes­ta y Alber­to Mari­no en duo, dans l’émission El Tanga­zo, 2011 sur Cron­i­ca TV. Un grand moment.

Tu olvi­do. Quand l’amour ne fait pas son boulot…

La última copa 1943-04-29 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Francisco Canaro Letra : Juan Andrés Caruso

Ceux qui fréquentent les milon­gas portègnes ont sans doute été éton­nés de voir la quan­tité de bouteilles de cham­pagne qui peu­plent les tables. Ce breuvage a même des tan­gos à son nom. Toutes les bois­sons ne peu­vent pas en dire autant. La últi­ma copa, le dernier verre, n’est donc pas le dernier pour tout le monde. Voyons ce que nous con­te ce tan­go.

Il y a champagne et champagne

L’Argentine est un grand pays de viti­cul­ture et de vin. Elle pro­pose des vins somptueux, curieuse­ment presque tous nom­més du nom du raisin qui les com­posent. On va pren­dre un Mer­lot, un Caber­net, une Syrah, un Chardon­nay…
Le cham­pagne que l’on trou­ve sur les tables des milon­gas n’a de cham­pagne que le nom, tout comme le Roque­fort. Il est pro­duit sur place, notam­ment à Men­doza et en Patag­o­nie.
Pro­gres­sive­ment, sous la pres­sion des vitic­ul­teurs français, le nom change pour laiss­er appa­raître « méth­ode cham­p­enoise » ou autre indi­ca­tion lais­sant penser que c’est du Cham­pagne, sans le dire vrai­ment. J’imagine que les vitic­ul­teurs français de Cham­pagne ne tien­nent pas en grande estime ces vins, bien que cer­tains se vendent en Argen­tine bien plus cher que les « vrais » cham­pagnes de super­marché français. Cepen­dant, dans les milon­gas, c’est bien un mousseux stan­dard qui vous sera servi comme cham­pagne.
Revenons à notre últi­ma copa. Je vous pro­pose de l’écouter… dans une ving­taine de ver­sions…

Extrait musical

La últi­ma copa 1943-04-29 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo.

C’est une ver­sion bien ryth­mée, avec une accen­tu­a­tion forte des temps. Tan­turi est con­sid­éré comme un orchestre facile à danser. Pour cette rai­son, on le ren­con­tre sou­vent dans les encuen­tros. Ici, c’est la voix de Castil­lo qui déclame les paroles, tout au moins les deux pre­miers cou­plets et deux fois le refrain. Le chant com­mence à 1 minute, après la présen­ta­tion par les ban­donéons et les vio­lons du thème, le vio­lon tra­vail­lant surtout en ponc­tu­a­tion. À 2 : 05 Castil­lo laisse la place à l’orchestre, puis reprend le refrain pour ter­min­er, juste avant les deux tra­di­tion­nels accords de Tan­turi (accord sur dom­i­nante, temps de silence, accord sur tonique, tardif).

Les paroles

Eche, ami­go, nomás, écheme y llene
Has­ta el bor­de la copa de cham­pagne
Que esta noche de far­ra y de ale­gría
El dolor que hay en mi alma quiero ahog­ar

Es la últi­ma far­ra de mi vida
De mi vida, mucha­chos, que se va
Mejor dicho, se ha ido tras de aque­l­la
Que no supo mi amor nun­ca apre­ciar

Yo la quise, mucha­chos y la quiero
Y jamás yo la podré olvi­dar
Yo me embor­ra­cho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más cham­pagne
Que todo mi dolor bebi­en­do lo he de ahog­ar
Y si la ven, ami­gos, dígan­le
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Y brindemos, nomás, la últi­ma copa
Que, tal vez, tam­bién ella aho­ra estará
Ofre­cien­do en algún brindis su boca
Y otra boca, feliz, la besará

Eche ami­go, nomás, écheme y llene
Has­ta el bor­de la copa de cham­pagne
Que mi vida se ha ido tras de aque­l­la
Que no supo mi amor nun­ca apre­ciar

Yo la quise, mucha­chos, y la quiero
Y jamás yo la podré olvi­dar
Yo me embor­ra­cho por ella
¿Y ella, quién sabe qué hará?

Eche, mozo, más cham­pagne
Que todo mi dolor bebi­en­do lo he de ahog­ar
Y si la ven, ami­gos, dígan­le
Que ha sido por su amor que mi vida ya se fue

Fran­cis­co Canaro Letra: Juan Andrés Caru­so

Castil­lo chante ce qui est en gras.

Traduction libre

Verse, mon ami, sans façon, verse et rem­plis à ras bord la coupe de cham­pagne, car en cette nuit de réjouis­sances et de joie, je veux noy­er la douleur qui est dans mon âme.
C’est la dernière fête de ma vie, de ma vie, les gars, qui s’en va… Ou plutôt, elle est par­tie avec celle que mon amour n’a jamais su appréci­er.

Je l’ai aimée, les gars, et je l’aime, et jamais je ne pour­rai l’oublier, je vais m’enivrer pour elle et qui sait ce qu’elle fera.
Verse, mozo (garçon, serveur) plus de cham­pagne, que toute ma peine, en le buvant, je la noierai ; et si vous la voyez, les gars, dites-lui que c’est pour son amour que ma vie s’en est allée.

Et trin­quons sans façon, le dernier verre, que peut-être, elle aus­si, en ce moment, lors d’un toast, elle offrira sa bouche et une autre bouche heureuse l’embrassera.
Verse, mon ami, sans façon, verse et rem­plis à ras bord la coupe de cham­pagne, car ma vie s’en est allée après celle que mon amour n’a jamais su appréci­er.

Pour ceux qui dis­ent que le tan­go racon­te des his­toires de cocus, ce texte, triste, il est vrai, par­le plutôt d’un repen­tir, repen­tir de ne pas avoir porté d’intérêt à une femme qui l’aimait, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. En par­al­lèle de la détresse « théâ­trale » du con­teur, il y a eu aupar­a­vant la tristesse de la femme nég­ligée.
Le cham­pagne est le témoin de l’amitié, de la fête, mais aus­si de la tristesse. C’est un com­pagnon sup­plé­men­taire qui a arrosé les tangueros depuis plus d’un siè­cle, depuis, pour le moins, que le tan­go s’est énivré du breuvage français dans les étab­lisse­ments parisiens au début du vingtième siè­cle.
Canaro est le com­pos­i­teur de la musique. Caru­so et Canaro furent amis, lorsque Caru­so fut de retour d’exil, vers 1910. Caru­so a eu une vie plutôt triste et courte (mort à 40 ans). Il a écrit ce joli texte, plein d’émotion, tout comme Mi noche triste et plus de 80 autres thèmes dont beau­coup ont été joués par Canaro.

Les versions

Canaro a été le pre­mier à avoir enreg­istré le titre et il l’a fait à de nom­breuses repris­es. C’est lui qui com­mence la liste des ver­sions.

La últi­ma copa 1926 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

La plus anci­enne ver­sion enreg­istrée, par Canaro, sans les paroles de son ami Caru­so. Le son est médiocre, aus­si vous n’entendrez pas ce titre en milon­ga. Mais ras­surez-vous, Canaro a mis le paquet et vous avez d’autres ver­sions de son cru… Je pense que l’enregistrement est plutôt de 1925, voire antérieur.

La últi­ma copa 1927-03-23 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Agustín Irus­ta.

Irus­ta, l’année suiv­ante chante les paroles de Caru­so. C’est la pre­mière ver­sion chan­tée et l’enregistrement élec­trique rend le titre plus agréable à écouter.

La últi­ma copa 1927-06-14 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras).

Une ver­sion en chan­son. On la com­par­era avec celle d’Héctor Mau­ré de 1954.

La últi­ma copa 1931-04-22 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Canaro nous offre avec sa chérie, une ver­sion chan­son du thème.

La últi­ma copa 1931-05-13 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Char­lo.

Une ver­sion de danse, chan­tée par Char­lo, chanteur de estri­bil­lo.

La últi­ma copa 1943-04-29 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Alber­to Castil­lo. C’est le tan­go du jour.
La últi­ma copa 1948-01-15 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Alber­to Are­nas.

Une très belle ver­sion, mais pas for­cé­ment par­faite pour la danse. Les danseurs pour­raient toute­fois par­don­ner cela au DJ, car elle est superbe.

La últi­ma copa 1948 — Orques­ta Luis Rafael Caru­so con Julio Sosa. Valse.

Une ver­sion orig­i­nale en valse. Sosa avait gag­né un prix en Uruguay qui con­sis­tait à enreg­istr­er des dis­ques. Le son n’est pas par­fait, mais cette ver­sion orig­i­nale mérite l’écoute, voire la danse.

La últi­ma copa 1953-10-06 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Alber­to Morán.

Comme sou­vent, la ren­con­tre Pugliese et Morán, donne un tan­go un peu déli­cat à danser. Cer­tains appré­cient la voix, il en faut pour tous les goûts.

La últi­ma copa 1954 — Héc­tor Mau­ré con acomp. de gui­tar­ras.

Mau­ré reprend la tra­di­tion gardéli­enne. Le résul­tat est à com­par­er avec celui de son mod­èle.

La últi­ma copa 1956-09-25 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Guiller­mo Rico (Coral).

Une ver­sion dans­able avec en prime la voix de Coral, sans doute assez rare dans les milon­gas.

La últi­ma copa 1957-05-20 — Dal­va de Oliveira con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Avec ce sep­tième enreg­istrement, Canaro a fait le tour. Ici une ver­sion à écouter par Dal­va de Oliveira, à com­par­er avec celle d’Ada Fal­cón enreg­istrée 26 ans plus tôt.

La últi­ma copa 1958-04-17 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Juan Car­los Godoy.

Un De Ange­lis et Godoy clas­sique. Bien dans­able, enreg­istré par l’orchestre des cale­si­tas.

La últi­ma copa 1965 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl del Mar y glosas de Héc­tor Gagliar­di.

Une ver­sion sans doute plus pour l’écoute que pour la danse, mais intéres­sante

La últi­ma copa 1966-03-11 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Mario Bus­tos.

L’orchestre sert bien la voix de Bus­tos. Je ne pro­poserai pas pour la danse, mais c’est intéres­sant.

La últi­ma copa 1968-10-18 — Sex­te­to Tan­go con Jorge Maciel.

Le Sex­te­to Tan­go héri­ti­er de Pugliese donne sa ver­sion sans renier son mod­èle. Voir N… N…. Une ver­sion pour l’écoute avec une belle intro, une car­ac­téris­tique de cet orchestre.

La últi­ma copa 1974 — Orques­ta Florindo Sas­sone con Oscar Macri.

Une voix de ténor bien dif­férente de celle de Mario Bus­tos. Je pense cette ver­sion moins intéres­sante que la précé­dente de Sas­sone.

La últi­ma copa 1987 — Los Solis­tas de D’Arienzo dir. par Car­los Laz­zari con Wal­ter Gutiér­rez.

Sou­vent présen­té comme étant un enreg­istrement de D’Arienzo, c’est en fait un enreg­istrement réal­isé par ses solistes dirigés par Laz­zari, qui était un de ses ban­donéon­istes et arrangeur, 11 après la mort du chef his­torique. Une ver­sion tonique, mais plus dans le style chan­son que tan­go chan­té. Cepen­dant, elle est dans­able, même si ce titre ne porte vrai­ment l’improvisation.

La últi­ma copa 2003 — Orques­ta Man­cifes­ta con Miguel Ángel Her­rera.

Cet orchestre a com­mencé sa car­rière à la fin de la vague Tan­go (1953). On lui doit cepen­dant des enreg­istrements intéres­sants, comme celui-ci. Le disque est de 2003, l’enregistrement peut être antérieur. Cet orchestre, rarement passé en milon­ga, mérit­erait d’être plus enten­du, même s’il n’est pas à la hau­teur des plus grands orchestres. N’oublions pas que cer­tains danseurs aiment être sur­pris par des ver­sions incon­nues.