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El engobbiao 1957-06-18 Orquesta Alfredo Gobbi

Eduardo Rovira

Ne cherchez pas dans le dic­tio­n­naire le mot Engob­biao, vous ne le trou­verez pas. C’est une créa­tion de Eduar­do Rovi­ra en l’honneur de… Si, vous allez trou­ver ; G — O — B — B — I. Bra­vo !
Il y a trois
Gob­bi fameux dans l’histoire du tan­go, Flo­ra, Alfre­do et Alfre­do. Oui, deux Alfre­do. Essayons d’y voir plus clair.

Extrait musical

Tout d’abord écou­tons ce titre sur­prenant que Rovi­ra écrira en l’honneur du chef de l’orchestre où il était ban­donéon­iste.

El engob­biao 1957-06-18 Orques­ta Alfre­do Gob­bi
Par­ti­tion de El eng­gob­iao

Les Gobbi

Nous avons déjà évo­qué et à plusieurs repris­es les Gob­bi, mari et femme, pio­nniers du tan­go et indis­cutable­ment prop­a­ga­teur du genre en France après l’avoir fait en Argen­tine.
Flo­ra, la femme et Alfre­do, donc, le mari ont plusieurs enreg­istrements, par­mi les plus anciens qui nous soient par­venus. Les pau­vres, la tech­nique d’enregistrement de l’époque n’a pas ren­du jus­tice à la qual­ité de leurs inter­pré­ta­tions, oblig­és qu’ils étaient plus à crier qu’à chanter pour que quelque chose se grave sur le disque.

El criol­lo fal­si­fi­ca­do (Los criol­los) 1906 – Dúo Los Gob­bi (Flo­ra et Alfre­do Gob­bi).

Vous aurez recon­nu ce thème que l’on con­naît désor­mais sous le titre El porteñi­to.

Le troisième Gob­bi, se prénom­mant aus­si Alfre­do et voici son état-civ­il com­plet : Alfre­do Julio Floro Gob­bi.
Le Gob­bi du début de siè­cle s’appelait au com­plet : Alfre­do Euse­bio Gob­bi Chi­a­pa­pi­etra. On a donc l’habitude de l’appeler Alfre­do Euse­bio Gob­bi pour le dis­tinguer, bien inutile­ment, de Alfre­do Julio Gob­bi. Les deux sig­naient Alfre­do Gob­bi et per­son­ne ne peut con­fon­dre une com­po­si­tion ou une inter­pré­ta­tion de l’un avec celle de l’autre… Pour en finir avec les noms, pré­cisons que la femme de Gob­bi (je ne vous dit pas lequel) s’appelait Flo­ra Rodríguez de Gob­bi et était d’origine chili­enne.
En fait, je vous ai présen­té toute la famille, le père, Alfre­do, la mère, Flo­ra et le fis­ton, encore Alfre­do, né à Paris en 1912. Sig­nalons que son par­rain était Ángel Vil­lol­do. Le pau­vre avait donc de grandes chances de tomber dans le tan­go, d’autant plus qu’en 1913, il était instal­lé à Buenos Aires. Ce point de chute des Gob­bi est bien sûr dic­té par le tan­go, car la mère était chili­enne et le père uruguayen. D’ailleurs, le petit Gob­bi appren­dra le piano (qui sera aus­si son dernier instru­ment à la fin triste de sa vie), puis le vio­lon et dès l’âge de 13 ans il jouera dans un trio avec ses amis, Orlan­do Goñi (pianiste) et Domin­go Triguero (ban­donéon­iste).
À la mort de son ami Orlan­do Goñi, en 1945, Alfre­do écrira A Orlan­do Goñi, dont nous avons son enreg­istrement en 1949.

A Orlan­do Goñi 1949-03-24 — Orques­ta Alfre­do Gob­bi.

L’hommage de Gob­bi à son ami Goñi. C’est un de ses titres les plus con­nus et que l’on entend par­fois en milon­ga.
Troi­lo et Pugliese qui étaient dans le même cer­cle l’enregistrèrent égale­ment.

Alfre­do Gob­bi, le vio­lon roman­tique et le pianiste en fin de vie, à droite

Si Alfre­do Gob­bi a com­mencé l’étude du piano à 6 ans, c’est comme vio­loniste prodi­ge qu’il a fait sa car­rière. À la fin de sa courte vie, il est retourné au piano pour jouer dans des bars de nuit afin de gag­n­er sa pitance. Quelle triste fin pour cet artiste, ami­cal et généreux comme en témoignent les hom­mages après sa mort, en 1965 à seule­ment 53 ans.
Ses amis, cher­chèrent à récupér­er son vio­lon auprès de son logeur qui le gar­dait en gage pour les loy­ers en retard. Lorsqu’ils demandèrent à Troi­lo de par­ticiper, celui-ci s’exclama, « mais pourquoi ne m’avez-vous pas demandé en pre­mier ? » Troi­lo avait d’ailleurs dédi­cacé son tan­go Milonguero triste à son ami.

Ani­bal Troi­lo joue Milonguero triste, sa com­po­si­tion dédi­cacée à son ami Alfre­do Gob­bi avec son cuar­te­to. Les mem­bres du quar­tette sont José Colán­ge­lo au piano, Ani­bal Troi­lo au ban­donéon, Aníbal Arias à la gui­tare et Rafael Del Bag­no à la con­tre­basse.
Un disque posthume de Alfre­do Gob­bi nom­mé Milonguero triste (mais ne com­por­tant pas ce titre que Alfre­do Gob­bi n’a pas enreg­istré. Troi­lo l’a enreg­istré moins de cinq mois avant la mort de son ami.

Il con­vient de rajouter à la liste des dédi­caces à Alfre­do Gob­bi, Alfre­de­an­do enreg­istré en 1987 par Pugliese et qui a été com­posé par le ban­donéon­iste Nés­tor Mar­coni.

Alfre­de­an­do 1987-12-12 Orques­ta Osval­do Pugliese

De Rovira à Piazzolla

Eduar­do Rovi­ra était ban­donéon­iste dans l’orchestre de Alfre­do Gob­bi. Il lui a dédié deux thèmes. Notre tan­go du jour, Engob­biao et A Don Alfre­do Gob­bi qui ter­min­era notre par­cours des avant-gardes autour de Gob­bi.

Eduar­do Rovi­ra
El engob­biao 1957-06-18 Orques­ta Alfre­do Gob­bi. C’est notre tan­go du jour.

On notera l’étonnante moder­nité de ce titre.
L’année d’après, Rovi­ra pro­duit cette ver­sion éton­nante de Febril avec l’orchestre du pianiste Osval­do Manzi dont il est mem­bre, comme ban­donéon­iste.

Febril 1958-12-18 — Orques­ta Osval­do Manzi. Com­po­si­tion de Eduar­do Rovi­ra.

On peut con­stater comme en un an, Rovi­ra est allé encore plus loin.

A don Alfre­do Gob­bi 1968 – Eduar­do Rovi­ra y su agru­pación de tan­go mod­er­no.

On est à l’arrivée de l’évolution de Rovi­ra. Dif­fi­cile d’y voir du tan­go, mal­gré un début en habanera et des accents de folk­lore. L’évocation de son ami, décédé en 1965, Alfre­do Gob­bi se fait par un pas­sage vir­tu­ose au vio­lon, mêlé à son ban­donéon qui aura le dernier mot dans un curieux halète­ment final.
Vous avez sans doute remar­qué la présence, dès les pre­mières notes, d’une gui­tare élec­trique. C’est celle de Sal­vador Druck­er.

Le disque Son­i­co de Eduar­do Rovi­ra y su agru­pación de tan­go mod­er­no

La bande de copains, Gob­bi, Rovi­ra, Goñi, s’était adjoint à d’autres nova­teurs, comme Troi­lo et Pugliese (voir par exem­ple Patéti­co de Jorge Cal­dara qui avait fait entr­er la musique nova­trice de Rovi­ra dans l’orchestre de Pugliese), mais aus­si, Astor Pan­talón Piaz­zol­la. Ce dernier écrira égale­ment un hom­mage à Gob­bi, un por­trait dont voici une de ses inter­pré­ta­tions.

Retra­to de Alfre­do Gob­bi 1970 — Astor Piaz­zol­la y su Quin­te­to.

Le quin­tette de Piaz­zol­la était com­posé de Astor Piaz­zol­la (ban­donéon), Osval­do Manzi (piano), Anto­nio Agri (vio­lon), Kicho Díaz (con­tre­basse) et Cacho Tirao (gui­tare élec­trique). Oui, comme Rovi­ra, Piaz­zol­la utilise la gui­tare élec­trique dans son orchestre.
Cet autre hom­mage à Gob­bi, par Piaz­zol­la, après Rovi­ra est sans doute une autre expli­ca­tion du fait que les danseurs ne sont pas fans (euphémisme) de Gob­bi. Sa musique a évolué et en fait très peu de ses titres sont réelle­ment pour la danse. Sans détester les danseurs comme se plai­sait à le faire savoir Piaz­zol­la, il avait d’autres préoc­cu­pa­tions, tout comme ses com­pagnons et le fidèle Rovi­ra, le nova­teur.
Gob­bi n’écrivit pas un tan­go pour Rovi­ra, mais Fer­nan­do Romano joua un hom­e­na­je a Eduar­do Rovi­ra.

Hom­e­na­je a Eduar­do Rovi­ra – Pájaro del alma, Melood­í­ka, Mefis­to com­pra almas, La casa de las chi­nas, Pasos en la noche – Orques­ta Fer­nan­do Romano.

Il s’agit d’une suite avec dif­férentes musiques jouées par l’orchestre de Eduar­do Rovi­ra enchaînées, par exem­ple le mag­nifique Pasos en la noche, une suite de bal­let com­posée par Fer­nan­do Guib­ert.

Pasos en la Noche 1962 — Eduar­do Rovi­ra (Fer­nan­do Guib­ert com­pos­i­teur)

Vous l’avez remar­qué, on n’est pas dans le tan­go, mais ces témoignages per­me­t­tent de ren­dre un peu de sa place à Rovi­ra, éclip­sé, pas for­cé­ment avec per­ti­nence par Piaz­zol­la. Les deux ont leur place au pan­théon de la musique d’inspiration tanguera de la fin du vingtième siè­cle.

Autres versions

El engob­biao 1957-06-18 Orques­ta Alfre­do Gob­bi. C’est notre tan­go du jour.
El engob­biao 1993 — Sex­te­to Tan­go. Une ver­sion très dif­férente, enreg­istrée par les anciens musi­ciens de Pugliese.

Voilà, les amis. C’est tout pour aujourd’hui. Si vous n’aimez pas Gob­bi comme musi­cien pour la danse, vous devriez l’aimer comme homme et nova­teur, lui qui était le Milonguero triste.

Pata ancha 1957-05-13 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Mario Demarco

Pata ancha en lun­far­do sig­ni­fie courage, mais en espag­nol courant, cela peut aus­si sig­ni­fi­er gros pied. Pugliese fut un lut­teur. Il lut­ta avec acharne­ment pour défendre ses idées poli­tiques et paya le prix en effec­tu­ant de nom­breux séjours en prison. Pata ancha a été enreg­istré par Odéon, lors d’une de ses «absences». Sur le piano, un œil­let ou une rose rouge évo­quaient le maître absent.

Extrait musical et histoire de prisons

Pata ancha 1957-05-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

San pugliese étant empris­on­né dans le cadre de la « operación car­de­nal ».
Les détenus après un séjour à la Pen­i­ten­cia­ria Nacional ont été trans­férés dans un bateau nom­mé « Paris ». C’est la rai­son pour laque­lle Agosti a appelé son arti­cle dans les Cuader­nos de Cul­tura (Cahiers de la Cul­ture) Med­ita­ciones des­de el “París” Médi­ta­tions depuis le Paris.
C’est le pianiste Osval­do Manzi qui le rem­plaça, comme ce fut le cas pour d’autres enreg­istrements comme La novia del sub­ur­bio enreg­istré le même jour que Pata ancha (1957–05-13), Yun­ta de oro et No me hablen de ella (1957–10-25), Cora­zone­an­do et Gente ami­ga (1958–01-02), La bor­dona et Qué pin­tu­ri­ta (1958–08-06). Il y a cer­taine­ment eu d’autres enreg­istrements dans ce cas, Pugliese ayant fait l’objet de nom­breux empris­on­nements ou inter­dic­tions de jouer.

Dans le jour­nal com­mu­niste « La Hora » du 18 décem­bre 1948, l’annonce de l’interdiction de trois artistes, Osval­do Pugliese, Atahul­pa Yupan­qui et Ken Hamil­ton. C’est neuf ans avant l’enregistrement de Pata ancha, sous Per­on, qui fera égale­ment empris­on­ner Pugliese à Devo­to en 1955. Cela explique les appari­tions en pointil­lé de Pugliese.

Il reste un petit mot à dire sur le com­pos­i­teur. Il s’agit de Mario Demar­co, celui qui a rem­placé Jorge Cal­dara au ban­donéon quand Cal­dara, sur la pres­sion de sa femme, a quit­té l’orchestre pour faire une virée au Japon. On peut com­pren­dre les inquié­tudes de sa femme vu les mul­ti­ples empris­on­nements du leader de l’orchestre…

Pata ancha

Hac­er pata ancha (faire le gros pied), c’est résis­ter brave­ment. Ce terme était util­isé en escrime créole, le com­bat au couteau des gau­chos argentins.

Com­bat au facón et à la dague de gau­chos. On remar­que le pon­cho qui ser­vait à se pro­téger. Le pon­cho est l’accessoire pri­mor­dial de tout gau­cho. Pho­to mise en scène par Frank G. Car­pen­ter (1855–1924). Pub­lic domain (Library of Con­gress).

Sarmien­to a fustigé cette cou­tume des gau­chos dans son Facun­do Quiroga, pour mar­quer l’absence de « civil­i­sa­tion » de cette pop­u­la­tion fière, mais plutôt mar­ginale, une cri­tique à peine déguisée à De Rosas.
On l’appelle par­fois, la esgri­ma criol­la (escrime créole). Elle s’est dévelop­pée durant la guerre d’indépendance argen­tine (1810).
Si vous voulez en savoir plus sur cette lutte qui est encore pra­tiquée, notam­ment dans les ban­des de délin­quants d’aujourd’hui, vous pou­vez con­sul­ter ce site…

Les facones, ces couteaux red­outa­bles qui peu­plent les paroles de tan­go, mais qui étaient plutôt les attrib­uts des gau­chos.

Les facones sont des couteaux red­outa­bles. S’ils sont évo­qués dans les tan­gos à pro­pos de per­son­nages un peu fan­farons, ils étaient util­isés par les gau­chos dans des com­bats au sang, voire par­fois à mort.
Les facones du tan­go étaient plus sou­vent des couteaux courts, plus faciles à dis­simuler et un adage argentin dit, « ne sors pas le couteau si tu ne comptes pas l’utiliser ».
Pugliese à sa façon a fait preuve d’un grand courage pour défendre ses idées. Il est resté ferme et a fait la pata ancha et que ce soit Osval­do Manzi qui effectue le solo de piano à 1 : 20 n’est pas très impor­tant dans un orchestre où chaque musi­cien était un mem­bre à parts égales. Con­traire­ment à d’autres orchestres dont le chef était un tyran, dans l’orchestre de Pugliese, il s’agissait d’une ges­tion col­lec­tive, d’une com­mu­nauté, ce qui explique la fidél­ité de plu­part de ses musi­ciens qui étaient d’ailleurs payés en fonc­tion de leurs inter­ven­tions, sur les mêmes bases que Pugliese lui-même, ce qui aurait été impens­able pour Canaro…
Si Demar­co et Cal­dara ont quit­té l’orchestre, c’était dans les deux cas en rai­son de leurs femmes ; crain­tive pour l’avenir de son mari à cause des idées de Pugliese pour Cal­dara et pour rai­son de mal­adie dans le cas de Demar­co, sa femme était malade et il a donc décidé de ne pas faire la tournée en Russie avec l’orchestre.

Autres versions

Pata ancha 1957-05-13 — Orques­ta Osval­do Pugliese.

C’est notre tan­go du jour. La yum­ba est par­ti­c­ulière­ment forte dans cette inter­pré­ta­tion. Peut-être que les musi­ciens souhaitaient évo­quer leur leader absent. On sait par ailleurs que quand Pugliese était « empêché » au dernier moment, en plus de la rose ou de l’œillet sur le piano, les musi­ciens mar­quaient forte­ment le rythme au pied pour que la yum­ba habite la représen­ta­tion.
Je me force un peu pour vous pro­pos­er d’autres ver­sions, faute d’une ver­sion avec Pugliese au piano.

Pata ancha 1997 — Col­or tan­go de Rober­to Álvarez.

Cet enreg­istrement a été effec­tué au « Estu­dio 24 » de Buenos Aires. Rober­to Álvarez à la mort de Pugliese a repris la suite du maître. D’aucuns lui reprochent d’avoir util­isé les arrange­ments de Pugliese pour son orchestre, Col­or tan­go. En fait, de nom­breux orchestres ont fait de même à la dis­pari­tion de leur leader, comme los Solis­tas de D’Arienzo, le Quin­te­to Pir­in­cho (Canaro) ou le Con­junc­to Don Rodol­fo. Écou­tons donc le résul­tat, sans arrière-pen­sée.

Pata ancha 2000 — Orques­ta Escuela de Tan­go Dir. Emilio Bal­carce.

Une ver­sion aux accents de Pugliese.

Et pour ter­min­er, Pata ancha par Tan­go Bar­do a écouter, voire à acheter sur Band­Camp
https://tangobardo.bandcamp.com/track/pata-ancha
Une ver­sion moins proche de Pugliese.

La rose sur le clavier du piano quand San Osval­do ne pou­vait pas venir (inter­dic­tion ou prison).