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Remembranza 1956-07-04 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel

Mario Melfi Letra: Mario Battistella

Si on ne doit se sou­venir que d’une com­po­si­tion de Mario Melfi, c’est sans con­teste de Poe­ma. Mais si on doit se sou­venir de deux, alors, Remem­bran­za, notre tan­go du jour est assuré­ment dans la liste. Ce qui en revanche est curieux est que l’on asso­cie très peu ces deux titres, très sem­blables. Mais peut-être qu’il y a une ou plusieurs solu­tions…

Tandas mixtes

Hier, dans un groupe de DJ, une ques­tion très étrange a été posée. Com­bi­en de tan­das mixtes peu­vent être passées dans une milon­ga ?
J’avoue que j’ai relu deux fois la ques­tion pour voir de quoi il s’agissait. Il arrive en effet, que l’on mélange dans la même tan­da, des orchestres dif­férents. C’est assez fréquent pour les milon­gas et les valses et je le fais par­fois, par exem­ple pour associ­er des enreg­istrements de Cara­bel­li avec son pro­pre orchestre et de la Típi­ca Vic­tor, dirigée par lui. Je le fais égale­ment quand il y a un titre orphe­lin, qui n’a pas de tan­go com­pat­i­ble par le même orchestre et qu’un autre orchestre à quelque chose qui peut bien se com­bin­er avec. L’étrangeté de la ques­tion vient de « com­bi­en de tan­das mixtes »…
Je n’ai pas répon­du au groupe, mais ma réponse aurait pu être, le DJ fait ce qu’il veut dans la mesure où les danseurs sont con­tents. Faire de bonnes tan­das mixtes est dif­fi­cile, faire 100 % de tan­das mixtes serait un défi très dif­fi­cile à relever…
Poe­ma est asso­cié à l’enregistrement de Canaro et Mai­da de 1935. Remem­bran­za a plusieurs points d’accroche. Notre enreg­istrement du jour avec Pugliese et Maciel est sans doute le plus con­nu. 21 ans sépar­ent ces deux enreg­istrements, un écart encore plus grand existe entre les styles des orchestres, ce qui rend bien évidem­ment ces deux enreg­istrements totale­ment incom­pat­i­bles dans une même tan­da.
Cepen­dant, la struc­ture des morceaux est tout à fait com­pat­i­ble, on trou­ve même des extraits de phras­es musi­cales com­pa­ra­bles entre les deux œuvres. Remem­bran­za aurait été enreg­istré par Canaro et Mai­da, ou Poe­ma par Pugliese et Maciel et on aurait deux piliers solides pour une tan­da.
Ce rêve existe cepen­dant. Je vous le présen­terai en fin d’article…

Extrait musical

Remem­bran­za 1956-07-04 – Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel
Par­ti­tion argen­tine de Remem­bran­za.

Paroles

Cómo son largas las sem­anas
cuan­do no estás cer­ca de mí
no sé qué fuerzas sobre­hu­manas
me dan val­or lejos de ti.
Muer­ta la luz de mi esper­an­za
soy como un náufra­go en el mar,
sé que me pier­do en lon­tanan­za
mas no me puedo res­ig­nar.
¡Ah
¡qué triste es recor­dar
después de tan­to amar,
esa dicha que pasó…
Flor de una ilusión
nues­tra pasión se mar­chitó.
¡Ah
¡olvi­da mi des­dén,
retor­na dulce bien,
a nue­stro amor,
y volverá a flo­re­cer
nue­stro quer­er
como aque­l­la flor.
En nue­stro cuar­to tibio y rosa
todo quedó como otra vez
y en cada adorno, en cada cosa
te sigo vien­do como ayer.
Tu foto sobre la mesi­ta
que es cre­den­cial de mi dolor,
y aque­l­la hort­en­sia ya mar­chi­ta
que fue el can­tar de nue­stro amor.

Mario Melfi Letra : Mario Bat­tis­tel­la

Autres versions

Les versions françaises

Je pense vous sur­pren­dre en vous indi­quant que les deux pre­miers enreg­istrements de ce titre ont été chan­tés en français. En effet, Melfi et Bat­tis­tel­la étaient à Paris à l’époque. Mario Melfi a même fait l’essentiel de sa car­rière en France où il est mort en 1970. Le titre en français est Ressou­ve­nance, un terme aujourd’hui tombé en désué­tude…
C’est donc Mario Melfi qui ouvre le bal des ver­sions avec un enreg­istrement de 1934, chan­té, donc en français, par Mar­cel Véran et appelé donc Ressou­ve­nance et pas Remem­bran­za.

Ressou­ve­nance 1934 — Mario Melfi Chant Mar­cel Véran (en français). Paroles de Robert Cham­fleury et Hen­ry Lemarc­hand.

C’est le plus ancien enreg­istrement, de plus, réal­isé par l’auteur de la musique, Mario Melfi. En ce qui con­cerne les paroles en français, on se rend compte qu’elles sont proches de celles de Bat­tis­tel­la. On peut donc penser que Bat­tis­tel­la est bien l’auteur orig­i­nal, puisqu’il était à Paris et que Robert Cham­fleury et Hen­ry Lemarc­hand ont adap­té (avec plus de tal­ent que moi) les paroles en français. Vous pour­rez en trou­ver la tran­scrip­tion après le chapitre autres ver­sions.

Ressou­ve­nance 1934 — Auguste Jean Pesen­ti et son Orchestre Tan­go Chant Guy Berry (en français).

Mer­ci à mon col­lègue Michael Sat­tler qui m’a fourni une meilleure ver­sion de ce titre. Si c’est le sec­ond enreg­istrement, il sem­blerait que Guy Berry fut le pre­mier à chanter le titre.

Cou­ver­ture de la par­ti­tion de 1934. On voit que Berry a créé le tan­go et les paroliers sont unique­ment les deux français. On notera égale­ment que Melfi est crédité de son suc­cès de Poe­ma.
Ressou­ve­nance 1934-12-13 — Orlan­do et son orchestre Chant Jean Clé­ment (en français).
Remem­bran­za 1944 — Ramón Men­diz­a­bal. Remem­bran­za a été gravé sur la face B du disque, la face A étant réservée à Obses­sion.

Avec cet enreg­istrement, j’arrête la liste des ver­sions « français­es » (même si la dernière n’est pas chan­tée). Et je vous pro­pose main­tenant les ver­sions « Argen­tines ».

Les versions argentines

Remem­bran­za 1937-05-11 — Héc­tor Pala­cios con gui­tar­ras.

Après les ver­sions français­es avec orchestres, les gui­tares de Héc­tor Pala­cios ne font pas tout à fait le poids. Cepen­dant, ce titre est com­pat­i­ble avec ce type de ver­sion intime et si le résul­tat n’a rien à faire en milon­ga, il est plutôt agréable à écouter.

Remem­bran­za 1943-02-12 — Orques­ta Ricar­do Maler­ba con Orlan­do Med­i­na.

Une jolie ver­sion, dans le style de Maler­ba et Med­i­na qui a sa sonorité par­ti­c­ulière.

Remem­bran­za 1947-05-09 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó.

Si les ver­sions précé­dentes avec orchestre, y com­pris les ver­sions français­es étaient har­monieuses, je trou­ve que celle-ci souf­fre d’un manque de cohérence entre la voix de Ribó et l’orchestre de Ricar­do Tan­turi. Le tal­ent des deux n’est pas en cause, Osval­do Ribó avec un orchestre plus présent aurait don­né une très belle ver­sion et inverse­ment.

Remem­bran­za 1948-09-08 — Orques­ta Alfre­do Gob­bi con Jorge Maciel.

La voix tra­vail­lée de Maciel n’a peut-être pas trou­vé l’orchestre idéal pour sa mise en valeur. On sent Gob­bi un peu réservé, là encore, le résul­tat ne me con­vînt pas totale­ment.

Remem­bran­za 1952-05-23 — Loren­zo Bar­bero y su orques­ta típi­ca con Car­los del Monte.

Encore une ver­sion qui ne va pas provo­quer des ondes d’enthousiasme. De plus, elle n’est pas des­tinée à la danse, mais c’est intéres­sant de temps à autre de présen­ter un de ces deux-cent d’orchestres qui ont œuvré à l’âge d’or et qui n’ont pas eu droit à la recon­nais­sance de la postérité.

Remem­bran­za 1954-12-28 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Car­los Dante.

On arrive dans des ver­sions un peu plus tra­vail­lées. On remar­quera l’introduction très par­ti­c­ulière de cette ver­sion de De Ange­lis.

Mais atten­dez la suite, les choses sérieuses com­men­cent.

Remem­bran­za 1956-07-04 — Orques­ta Osval­do Pugliese con Jorge Maciel. C’est notre tan­go du jour.

Les essais de voix plus tra­vail­lées enten­dus précédem­ment trou­vent un meilleur ter­rain avec l’orchestre de Pugliese. Le mariage de la voix de Jorge Maciel avec l’orchestre est bien plus abouti dans cette ver­sion que dans celle de Gob­bi, 8 ans plus tôt.

Remem­bran­za 1963 — Orques­ta Juan Canaro con Susy Lei­va.

J’aurais présen­té les choses à l’envers, Susy Lei­va accom­pa­g­née par l’orchestre de Juan Canaro. C’est une ver­sion à écouter, la voix de Susy Lei­va est expres­sive et a de l’émotion. Mais bon, revenons à nos piliers.

Remem­bran­zas 1964-09-25 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez.

Avec Jorge Valdez, D’Arienzo a un peu mis de côté le tan­go de danse pour suiv­re la mode de l’époque qui était plus radio­phonique ou télévi­suelle que dansante.
D’Arienzo inter­prète le titre dans ses con­certs, comme ici à Mon­te­v­ideo en 1968.

Remem­bran­zas 1968 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Osval­do Ramos. Cet enreg­istrement a été réal­isé à Mon­te­v­ideo (Uruguay).

On revient avec Jorge Valdez qui gagne la palme du chanteur qui a le plus enreg­istré Remem­bran­za, encore une émis­sion de télévi­sion.

Jorge Valdez en Grandes Val­ores (une émis­sion des années 70).

Paroles de la version chantée en français par Guy Berry, Marcel Véran, Jean Clément et autres chanteurs français

Com­bi­en est longue une journée
Quand tu n’es pas auprès de moi.
Com­ment ai-je pu deux années
Vivre sans enten­dre ta voix ?
Je n’ai pour con­sol­er ma peine
Que les doux rêves du passé,
Car ni les jours ni les semaines
N’ont jamais pu les effac­er…
Ah !… Qu’il est trou­blant, chéri(e),
D’évoquer, comme on prie,
Ce bon­heur, hélas trop court.
Rien n’a pu ternir
Le sou­venir de ces beaux jours.
Ah !… Par­donne à ma folie.
Reviens je t’en sup­plie
À notre amour.
Rien ne pour­ra me gris­er
Que tes bais­ers,
Comme aux anciens jours.
Dans notre cham­bre tiède et rose,
Tout est resté comme autre­fois.
Et chaque objet et chaque chose
Ne me sem­ble atten­dre que toi.
Ton por­trait sur la chem­inée
Sem­ble sourire à mon espoir.
Dans un livre, une fleur fanée
Rap­pelle nos ser­ments d’un soir…

Mario Melfi Letra : Mario Bat­tis­tel­la (adap­té en français par Robert Cham­fleury et Hen­ry Lemarc­hand)

Remembranza et Poema unis dans une tanda idéale

Nous avons vu en début d’article qu’il n’y avait pas d’enregistrement com­pat­i­ble de ces deux titres à l’âge d’or du tan­go. C’est une grande frus­tra­tion pour les DJ et sans doute les danseurs.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai, car les Pesen­ti ont enreg­istré Poe­ma et Ressou­ve­nance, mais ce ne sont sans doute pas des ver­sions suff­isantes pour les danseurs avancés. Je vous laisse en juger.

Poe­ma 1933 – Orques­ta Típi­ca Auguste Jean Pesen­ti du Col­iséum de Paris con Nena Sainz.
Ressou­ve­nance 1934 — Auguste Jean Pesen­ti et son Orchestre Tan­go Chant Guy Berry (en français).
Poe­ma 1937 – René Pesen­ti et son Orchestre de Tan­go con Alber­to.

Je rajoute cette ver­sion de Poe­ma par le frère de Auguste Jean, René Pesen­ti. Elle est com­pat­i­ble et présente l’avantage d’être chan­tée par un homme (Alber­to), ce qui peut être préféré par cer­tains qui n’aiment pas trop les mélanges dans une tan­da.

Si vous avez estimé que ces ver­sions n’étaient pas à la hau­teur, il nous faut chercher ailleurs. Je pense que l’orchestre qui va nous don­ner ce plaisir est la Roman­ti­ca Milonguera. Il a enreg­istré les deux titres dans des ver­sions com­pat­i­bles et de belle qual­ité, presque équiv­a­lentes à la ver­sion de Canaro et Mai­da.
Je vous présente ces deux enreg­istrements en vidéo. Une belle façon de ter­min­er cette anec­dote du jour, non ?

Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera — Poe­ma
Orques­ta Roman­ti­ca Milonguera — Remem­bran­za

Mer­ci à la Roman­ti­ca Milonguera et à demain, les amis !

El once (A divertirse) 1953-05-20 – Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo) Letra : Emilio Fresedo (Emilio Augusto Oscar Fresedo)

Vous savez tous que « El once », en espag­nol, sig­ni­fie le 11. Mais peut-être ne con­nais­sez-vous pas la rai­son de ce nom. Ceux qui con­nais­sent Buenos Aires, pour­ront penser à la place Once de Sep­tiem­bre 1852 que l’on appelle sim­ple­ment Once. On lit par­fois que c’est le numéro 11 dans une course de chevaux, voire le 11 au foot­ball. Je pense que vous avez com­pris que j’allais vous pro­pos­er une autre expli­ca­tion…

El once

S’il existe des tan­gos sur le quarti­er de Once (Bar­rio Once), ses habi­tants (Muñe­ca del Once), le train de onze heures (El tren de las once), la messe de onze heures (Misa de once), une adresse (Callao 11), ou une équipe de foot­ball (El once glo­rioso) qui célèbre l’équipe d’Uruguay qui a gag­né la pre­mière coupe du Monde en 1930.

À gauche, les cap­i­taines d’Argentine et Uruguay se salu­ent avant la finale. À droite, après la vic­toire de l’Uruguay, les jour­naux argentins se déchaî­nent, accu­sant les Uruguayens d’avoir été bru­taux…

Car­los Enrique (musique) et Luis César Amadori (paroles), écrivent El once glo­rioso en l’honneur de l’équipe gag­nante. Les paroles sont dignes des chants des inchas (sup­port­ers) d’aujourd’hui :

Ra ! Ra ! Ra !
Le foot­ball uruguayen !
Ra ! Ra ! Ra !
Le Cham­pi­onnat du monde !

Une autre piste peut se trou­ver dans les cours­es. Leguisamo avait un cheval nom­mé Once, je vous invite à con­sul­ter l’excellent blog de José María Otero pour en savoir plus
Mais, ce n’est tou­jours pas la bonne expli­ca­tion.
Une pre­mière indi­ca­tion est le sous-titre « a diver­tirse » (pour s’amuser). Cela cor­re­spond peu aux dif­férents thèmes évo­qués ci-dessus. Cela incite à creuser dans une autre direc­tion.
Nous allons donc inter­roger la musique du jour, puis les paroles pour voir si nous pou­vons en savoir plus.

Extrait musical

El once (A diver­tirse) 1953-05-20 – Orques­ta Osval­do Frese­do.

On a l’impression d’une balade. Tout est tran­quille. Dif­fi­cile d’avoir une indi­ca­tion utile pour résoudre notre énigme. Heureuse­ment, si notre ver­sion est instru­men­tale, Emilio Frese­do, le frère de Osval­do a écrit des paroles.

Paroles

No deje que sus penas
se vayan al vien­to
porque serán aje­nas
al que oye lo cier­to.
No espere que una mano
le aflo­je el dolor,
sólo le dirán pobre
y después se acabó.
Por eso me divier­to,
no quiero sen­tir­las,
no quiero oír lamen­tos
que amar­guen la vida;
pre­fiero que se pier­dan
y llegue el olvi­do
que todo reme­dia,
que es lo mejor.

Si bus­ca con­sue­lo no vaya a llo­rar,
apren­da a ser fuerte y mate el pesar.
Son­ría lle­van­do a su boca el licor,
que baile su almi­ta esperan­do un amor.
El humo de un puro, la luz del lugar,
las notas que vagan le harán olvi­dar.
Quién sabe a su lado los que irán así
con los cora­zones para diver­tir.

A diver­tirse todos
rompi­en­do el silen­cio
para can­tar en coro
siquiera un momen­to.
Recuer­den que en la vida
si algo hay de val­or
es de aquel que lle­va
pasán­dola mejor.
Ale­gre su mira­da
no piense en lo malo,
no deje que su cara
se arrugue tem­pra­no.
Deje que todo cor­ra,
no apure sus años
que a nadie le impor­ta
lo que sin­tió.

Osval­do Frese­do (Osval­do Nicolás Frese­do) Letra : Emilio Frese­do (Emilio Augus­to Oscar Frese­do)

En gras le refrain que chantent Teó­fi­lo Ibáñez et Rober­to Ray.

Traduction libre

Ne laisse pas tes cha­grins s’envoler au vent, car ils seront étrangers à celui qui entend la vérité.
N’attends pas qu’une main soulage la douleur ; ils te diront seule­ment, le pau­vre, et puis c’est tout.
C’est pour cela que je m’amuse, je ne veux pas les sen­tir, je ne veux pas enten­dre des lamen­ta­tions qui aigris­sent la vie ; je préfère qu’ils se per­dent
et qu’arrive l’oubli qui remédie à tout, c’est le mieux.
Si tu cherch­es du récon­fort, ne pleures pas, apprends à être fort et tuer le cha­grin.
Sourire en por­tant la liqueur à ta bouche, laisse ton âme danser en atten­dant l’amour.
La fumée d’un joint (puro est sans doute mis pour por­ro, cig­a­rette de mar­i­jua­na, à moins que ce soit un cig­a­re), la lumière du lieu, les notes vagabon­des te fer­ont oubli­er.
Qui sait, à ton côté, ceux qui iront ain­si avec à cœur de s’amuser.
Amu­sons-nous tous, en rompant le silence pour chanter en chœur, ne serait-ce qu’un instant.
N’oublie pas que dans la vie, si quelque chose a de la valeur, c’est d’avoir passé le meilleur moment.
Rends joyeux ton regard, ne pense pas au mal, ne laisse pas ton vis­age se froiss­er pré­maturé­ment.
Laisse tout couler, ne pré­cip­ite pas tes années parce que per­son­ne ne se soucie de ce que tu ressens.

C’est donc une invi­ta­tion à oubli­er ses prob­lèmes en faisant la fête. C’est assez proche du Amusez-vous immor­tal­isé par Hen­ri Garat (1933) et Albert Pré­jean (1934)
Je vous le pro­poserai en fin d’article. Ça n’a rien à voir avec notre pro­pos, mais c’est eupho­risant 😉

Autres versions par Fresedo

Bien sûr, pour un titre aus­si célèbre, il y a for­cé­ment énor­mé­ment d’autres ver­sions.
Je vous pro­pose dans un pre­mier temps d’écouter les ver­sions de l’auteur, Frese­do. Ce dernier devait être fier de lui, car il a enreg­istré à de nom­breuses repris­es.

El once 1924 – Sex­te­to Osval­do Frese­do

Mer­ci à mes col­lègues Cami­lo Gat­i­ca et Gab­bo Frese­do (quand Gab­bo vient au sec­ours d’Osval­do et Emilio…) qui m’ont fourni cet enreg­istrement qui me man­quait).
Remar­quez les superbes solos de vio­lon notam­ment à 1:05,1:52, 2:24 et 2:56. Cette ver­sion est assez allè­gre. Notez bien ce point, il nous servi­ra à déter­min­er l’usage de ce titre et donc son nom.

El once (A diver­tirse) 1927 – Sex­te­to Osval­do Frese­do.

Je trou­ve intéres­sant de com­par­er cette ver­sion avec celle de 1924. Pour moi représente un recul. Le rythme est beau­coup plus lent, pesant. C’est un exem­ple du « retour à l’ordre » des années 20, dont Canaro est un des moteurs. Vous pour­rez le con­stater dans sa ver­sion de 1925 ci-dessous.

El once (A diver­tirse) 1931-11-14 – Orques­ta Osval­do Frese­do con Teó­fi­lo Ibáñez.

Osval­do a fini par enreg­istr­er les paroles de son frère, Emilio (Gardel l’avait fait en 1925). On reste dans le tem­po anémique de 1927. On a du mal à voir com­ment cette ver­sion, comme la précé­dente, d’ailleurs peut appel­er à se diver­tir… Il est vrai qu’il ne chante que le refrain qui n’est pas la par­tie la plus allè­gre du titre.

El once (A diver­tirse) 1935-04-05 – Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray.

Cette fois, Frese­do retrou­ve une ver­sion un peu plus dynamique qui peut mieux cor­re­spon­dre à l’idée du diver­tisse­ment. On pour­rait presque voir des per­son­nes gam­bad­er.
C’est un des pre­miers enreg­istrements où l’on remar­que la propen­sion de Frese­do à rajouter des bruits bizarres qui devien­dront sa mar­que de fab­rique dans ses dernières années, même si Sas­sone fait la même chose.

El once 1945-11-13 – Osval­do Frese­do.

Frese­do va encore plus loin que dans la ver­sion de 1935 dans l’ajout de bruits. C’est dans­able, mais pas totale­ment sat­is­faisant à mon goût.

El once (A diver­tirse) 1953-05-20 – Orques­ta Osval­do Frese­do.

C’est notre tan­go du jour. Comme déjà évo­qué, on pense à une prom­e­nade. Les bruits sont un peu plus fon­dus dans la musique. Mais on ne peut pas dire que c’est un tan­go de danse fab­uleux. Je trou­ve que ça manque un peu de fête. On retrou­ve quelques gross­es chutes qui ont fait la notoriété de Frese­do dans les années 1930. Frese­do se sou­vient peut-être un peu trop de ses orig­ines de la haute société pour une musique de danse qui se veut sou­vent plus pop­u­laire.

El Once (A diver­tirse) 1979-10-30 – Orques­ta Osval­do Frese­do.

En 1979, Frese­do enreg­istre pour la sep­tième fois son titre fétiche. On y retrou­ve presque tous ses élé­ments, comme les bruits bizarres, de jolis pas­sages de vio­lon, une élé­gance aris­to­cra­tique, man­quent seule­ment les gross­es chutes. Cela reste tran­quille, dans­able une après-midi chaude juste avant de pren­dre le thé, avec la pointe d’ennui « chic » qui con­vient.

Pourquoi « El once »

Il est impos­si­ble de devin­er la rai­son du titre à par­tir des ver­sions de Frese­do, sauf peut-être avec celle de 1924. Je vais donc vous don­ner l’explication.
Les internes en médecine de Buenos Aires ont décidé en 1914 de faire un bal des­tiné à se diver­tir. Musique, alcool, femmes com­préhen­sives, le cock­tail par­fait pour ces jeunes gens qui devaient beau­coup étudi­er et devaient donc avoir besoin de relâch­er la pres­sion.
Si on regarde les paroles sous ce jour, on com­prend mieux.
Reste à expli­quer pourquoi El once (le 11). L’explication est sim­ple. Le pre­mier événe­ment a eu lieu en 1914 et ensuite, chaque année, un autre a été mis en place. Celui de 1924 est donc le… onz­ième (je vois que vous êtes forts en cal­cul). Les frères Frese­do ont donc nom­mé ce tan­go, le 11 ; El once.
De 1914 à 1923 inclus, c’était Canaro qui offi­ci­ait à cette occa­sion. Les frères Frese­do fêtaient donc aus­si leur entrée dans cette man­i­fes­ta­tion dont la pre­mière a eu lieu au « Palais de glace » un lieu qu’un tan­go de ce nom des années 40 évoque avec des paroles et une musique d’Enrique Domin­go Cadí­camo.
Vous trou­verez quelques pré­ci­sions sur cette his­toire dans un arti­cle d’Isaac Otero.

Autres versions

El Once (A diver­tirse) 1925 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

L’année précé­dente, Frese­do a gril­lé la place à Canaro qui ani­mait ce bal depuis 10 ans. Canaro enreg­istre tout ce qu’il peut, alors, mal­gré sans doute une petite décep­tion, il enreg­istre aus­si El once, lui qui a fait de uno a diez (1 à 10)

El once (A diver­tirse) 1925 – Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tares).

Le petit Français 😉 donne sa ver­sion avec toutes les paroles de Emilio, con­traire­ment à Ibáñez et Ray qui ne chan­taient que le refrain.

El once (A diver­tirse) 1943-01-13 – José Gar­cía y su Orques­ta Los Zor­ros Gris­es.

Et les Zor­ros sont arrivés ! C’est une ver­sion entraî­nante, avec plusieurs pas­sages orig­in­aux. Un petit flo­rilège des « trucs » qu’on peut faire pour jouer un tan­go. Le résul­tat n’a rien de monot­o­ne et est suff­isam­ment fes­tif pour con­va­in­cre des internes décidés à faire la fête. C’est sans doute une ver­sion qui mérit­erait de pass­er plus sou­vent en milon­ga, même si quelques ron­chons pour­raient trou­ver que ce n’est pas un tan­go con­ven­able. J’ai envie de leur dire d’écouter les con­seils de ce tan­go et de se diver­tir. Le tan­go est après tout une pen­sée allè­gre qui peut se danser.

El once (A diver­tirse) 1946-10-21 – Rober­to Fir­po y su Nue­vo Cuar­te­to.

Cette ver­sion par­ti­c­ulière­ment gaie est sans doute une de celles qui con­viendraient le mieux à une fête d’internes. On retrou­ve les sautille­ments chers à Fir­po. Elle trou­vera sans doute encore plus de ron­chons que la précé­dente, mais je réa­gi­rai de la même façon.

El once (A diver­tirse) 1946-12-05 – Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Avec cette ver­sion, on retrou­ve la maîtrise de Di Sar­li qui nous pro­pose une ver­sion élé­gante, par­faite pour la danse. C’est sûr que là, il n’y aura pas de ron­chons. Alors, pourquoi s’en priv­er ?

El once (A diver­tirse) 1951-10-23 – Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Je préfère la ver­sion de 1946, mais cette inter­pré­ta­tion est égale­ment par­faite pour la danse. Elle aura toute sa place dans une tan­da de cette époque.

El once (A diver­tirse) 1951 – Oswal­do Bercas et son orchestre.

De son vrai nom, Boris Saar­be­coof a tra­vail­lé en France et a pro­duit quelques titres intéres­sants. On a des enreg­istrements de sa part de 1938 à 1956. C’est un des 200 orchestres de l’âge d’or dont on ne par­le plus beau­coup aujourd’hui. Il a égale­ment pro­duit de la musique clas­sique.

El once (A diver­tirse) 1952-11-14 – orques­ta Alfre­do De Ange­lis.

C’est sans doute une des ver­sions que l’on entend le plus. Son entrain et sa fin tonique per­me­t­tent de bien ter­min­er une tan­da instru­men­tale de De Ange­lis.

El once (A diver­tirse) 1954-11-16 – Orques­ta Car­los Di Sar­li.

On retrou­ve Di Sar­li avec des vio­lons sub­limes, notam­ment à 1:42. Je préfère cette ver­sion à celle de 1951. Je la passerai donc assez volon­tiers, comme celle de 1946 qui est ma chou­choute.

El once (A diver­tirse) 1955-10-25 – Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Fran­cis­co Canaro qui n’est pas ran­cu­nier (???) enreg­istre de nou­veau le titre des Frese­do avec son quin­te­to Pir­in­cho. C’est une ver­sion bien ryth­mée avec de beaux pas­sages, comme le solo de ban­donéon à 1:02. Une ver­sion guillerette qui pour­ra servir dans une milon­ga un peu informelle où les danseurs ont envie de se diver­tir (celles où il n’y a pas de ron­chons).

El once (A diver­tirse) 1956-10-30 – Orques­ta Enrique Rodríguez.

Un Rodríguez tardif qui reste léger et qui sera appré­cié par les fans de cet orchestre.

El once (A diver­tirse) 1958 – Argenti­no Galván.

Je cite cette ver­sion ultra­courte, car je l’ai évo­quée dans His­to­ria de la orques­ta típi­ca — Face 1. Pas ques­tion de la plac­er dans une tan­da, bien sûr à cause de sa durée réduite à 33 sec­on­des…

El once (A diver­tirse) 1960c — Juan Cam­bareri y su Cuar­te­to de Ayer.

Juan Cam­bareri, le mage du ban­donéon (El Mago del Ban­doneón) four­nit la plu­part des temps des ver­sions vir­tu­os­es, sou­vent trop rapi­des pour être géniales à danser, mais dans le cas présent, je trou­ve le résul­tat très réus­si. On notera égale­ment que d’autres instru­men­tistes sont vir­tu­os­es dans son orchestre. C’est une ver­sion à faire péter de rage les ron­chons…
Un grand mer­ci à Michael Sat­tler qui m’a fourni une meilleure ver­sion que celle que j’avais (disque 33 tours en mau­vais état).

El once (A diver­tirse) 1965-07-28 – Orques­ta Enrique Mora.

Une ver­sion intéres­sante, mais qui ne boule­verse pas le paysage de tout ce que nous avons déjà évo­qué.

El once (A diver­tirse) 1966-08-03 – Orques­ta Juan D’Arienzo.

Finale­ment D’Arienzo se décide à enreg­istr­er ce titre qui man­quait à son réper­toire. J’adore le jeu de la con­tre­basse de Vic­to­rio Vir­gili­to.

Amusez-vous ! 1934 — W. Heymans — Sacha Guitry — Albert Willemetz

Ce titre fai­sait par­tie de l’opérette de Sacha Gui­t­ry, Flo­restan Ier prince de Mona­co.
Le titre a été créé par Hen­ri Garat.

Amusez-vous 1933 — Hen­ri Garat

L’année suiv­ante, Albert Pré­jean l’enregistre à son tour. C’est la ver­sion la plus con­nue.

Amusez-vous 1934 — Albert Pré­jean.

Et c’est sur cette musique entraî­nante que se ter­mine l’anecdote du jour. À mes amis ron­chons qui ont envie de dire que ce n’est pas du tan­go, je répondrai que c’est une corti­na et qu’il faut pren­dre la vie par le bon bout.

Les paroles de Amusez-vous

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tra­cas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tra­cas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Pour que la vie soit tou­jours belle
Ha, que j’aimerais un quo­ti­di­en
Qui n’annoncerait qu’de bonnes nou­velles
Et vous dirait que tout va bien
Pour ne mon­tr­er qu’les avan­tages
Au lieu d’apprendre les décès
On apprendrait les héritages
C’est la même chose et c’est plus gai
Pour rem­plac­er les jour­naux tristes
Que ça serait con­so­la­teur
De lancer un jour­nal opti­miste
Qui dirait à tous ses lecteurs :

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie entre nous est si brève
Amusez-vous, comme des fous
La vie est si courte, après tout.
Car l’on n’est pas ici
Pour se faire du souci
On n’est pas ici-bas
Pour se faire du tra­cas.
Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

Amusez-vous, foutez-vous d’tout
La vie passera comme un rêve
Faites les cent coups, dépensez tout
Prenez la vie par le bon bout.
Et zou

W. Hey­mans — Sacha Gui­t­ry — Albert Willemetz
Amusez-vous, comme des fous.