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La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio

Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar

La Shunca est la cadette d’une famille. C’est également une parole affectueuse pour la fiancée. Cette valse enjouée, avec des paroles de Ernesto Cortázar, laisse planer un petit sous-entendu. Entrons dans la valse et laissons-nous bercer par les vagues de la musique qui vont nous mener assez loin des rives de l’Argentine.

Qui est la Shunca ?

Comme nous l’avons vu, la Shunca est la cadette de la famille. Ce terme est d’origine zapotèque, c’est-à-dire d’un peuple d’Amérique centrale et plus précisément du Mexique (région de Mexico), bien loin de l’Argentine. Cela pourrait paraître étonnant, mais vous vous souviendrez que nous avons souvent mis en valeur les liens entre le Mexique et l’Argentine dans d’autres anecdotes et que les musiciens voyageaient beaucoup, pour enregistrer dans des pays mieux équipés, ou pour assoir leur carrière.
Les deux auteurs, Lorenzo Barcelata et Ernesto Cortázar, sont mexicains. Par ailleurs, on connaît l’engouement des Mexicains pour la valse jouée par les mariachis et que même Luis Mariano chanta avec son titre, « La valse mexicaine ». Vous avez donc l’origine de l’arrivée de la Shunca dans le répertoire du tango argentin. Nous avons d’autres exemples, comme la Zandunga. Nous verrons que ce n’est pas un hasard…

Extrait musical

La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio.

La valse est instaurée dès le début avec un rythme soutenu, alternant des passages légatos et staccatos. À 42s arrivent l’air principal. À 1:05 Romeo Gavioli commence à chanter. À 1 :41, c’est le tour de Lita Morales, puis Horacio Lagos se lance à son tour pour former un trio avec les deux autres chanteurs. Comme souvent, la fin tonique est constituée de doubles-croches qui donnent une impression de vitesse, même si le rythme est le même qu’au début.

Des duos et trios à gogo

Donato a aimé utiliser des duos et trios de chanteurs, sans doute plus que d’autres orchestres. J’ai indiqué duo+ et trio+ quand il y avait deux ou trois chanteurs identifiés et un chœur. Le (+) est car il y a plus que le duo ou le trio.
Trios Horacio Lagos, Lita Morales, Romeo Gavioli :
Estrellita mía, La Shunca, Luna, Volverás….pero cuándo (valses)
Sinfonía de arrabal (tango).
Trios+ Horacio Lagos, Lita Morales avec chœur :
Mañana será la mía (valse).
No se haga mala sangre (polka).
Trio+ Félix Gutiérrez, Luis Díaz avec chœur :
La Novena (tango)
Duos Horacio Lagos, Lita Morales :
Carnaval de mi barrio, Chapaleando barro, Sinsabor, Sombra gaucha (tangos)
Duos Romeo Gavioli, Lita Morales :
Mi serenata, Yo te amo (tangos).
Duos Gavioli, Horacio Lagos :
Amando en silencio, Lonjazos (tangos)
Noches correntinas (valse)
Repique del corazón, Sentir del corazón (milongas).
Duos Antonio Maida, Randona (Armando Julio Piovani) :
Amores viejos, Quien más… quien menos…, Riachuelo, Ruego, Una luz en tus ojos (tangos).
Duos Horacio Lagos, Randona (Armando Julio Piovani) :
Si tú supieras, Te gané de mano (tangos).
Cara negra, Sacale punta (milongas)
Duos Hugo del Carril et Randona (Armando Julio Piovani) :
Rosa, poneme una ventosa (tango)
Mi morena (paso doble)
Duo Daniel Adamo et Jorge Denis :
El lecherito (milonga)
Duo avec Teófilo Ibáñez :
Madre Patria (paso doble)
Duo Roberto Morel y Raúl Ángeló :
T.B.C. (tango)
Duo+ Antonio Maida avec chœur :
Sandía calada (ranchera)
Duo+ Carlos Viván avec chœur :
Mamá (tango)
Duos+ Félix Gutiérrez avec chœur :
La novena, Que Haces! Que Haces! (tango)
Duos+ Horacio Lagos avec chœur :
Hacete cartel, Hay que acomodarse (tangos)
Virgencita (valse)
Pierrot apasionado (marche brésilienne)
Duo+ Juan Alessio avec chœur :
Hola!… Qué tal?… (tango)
Duo+ Lita Morales avec chœur :
Triqui-trá (tango)
Duos Luis Díaz avec chœur :
Chau chau, Severino, El once glorioso, Felicitame hermano (tangos)
Candombiando (maxixe)
Ma qui fu (tarentelle)
Ño Agenor (ranchera)

C’est un beau record.

Paroles

La luna se ve de noche,
El sol al amanecer,
Hay quienes por ver la luna
Otra cosita no quieren ver.

Me dicen que soy bonita,
Quién sabe porque será,
Si alguno tiene la culpa
Que le pregunten a mi papá.

Shunca para acá, Shunca para allá,
¡Ay!, las olas que vienen y van,
Shunca para acá, Shunca para allá,
¡Ay!, cariño me vas a matar.
Lorenzo Barcelata Letra: Ernesto Cortázar

Traduction libre et indications

La lune se voit la nuit,
Le soleil à l’aube,
Il y a certains qui voient la lune
Une autre petite chose, ils ne veulent pas la voir.

Ils me disent que je suis jolie
Qui sait pourquoi c’est le cas,
Si quelqu’un en a la faute
Demandez-le à mon papa. (J’imagine que le père n’est pas si beau et qu’il faut chercher ailleurs les gènes de beauté de la Shunca)

Shunca par ci, Shunca par-là,
Oh, les vagues qui vont et viennent,
Shunca par ici, Shunca par-là,
Oh, chéri, tu vas me tuer.

Autres versions

Il n’y a pas d’autre enregistrement argentin de ce titre, je vous propose donc de compléter avec des versions mexicaines…

La Shunca 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos, Lita Morales y Romeo Gavio. C’est notre valse du jour.
La Shunca 1938 – Las Hermanas Padilla con Los Costeños.
Disque Vocalion 9101 de La Shunca par Las Hermanas Padilla avec Los Costeños. On notera la mention “Canción Tehuana” et le nom de Lorenzo Barcelata.
La Shunca 1998 – Marimba Hermanos Moreno García. C’est une version récente, mexicaine.

Shunca et Zandunga, hasard ?

Ben, non. La Zandunga est un air espagnol originaire d’Andalousie (jaleo andaluz) qui est devenu l’hymne de l’Isthme de Tehuantepec que nous avons déjà évoqué à propos de Tehuana.

En 1937, le réalisateur Fernando de Fuentes réalisa un film de ce titre avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante La Shunca.
La Zandunga a été arrangée par divers auteurs comme Lorenzo Barcelata et Max Urban (pour le film), Andres Gutierrez, A. Del Valle, Guillermo Posadas ou Máximo Ramó Ortiz.
La Shunca attribuée à Lorenzo Barcelata et les autres titres sont indiqués au générique du film comme « inspirés » d’airs de la région.

La zandunga 1939-03-30 – Orquesta Francisco Canaro con Francisco Amor.

Dans ces extraits du film La Zandunga, vous pourrez entendre premièrement, La Shunca, puis voir danser la Zandunga. J’ai ajouté le générique du début où vous pourrez de nouveau entendre la Zandunga.

3 extraits de la Zandunga 1937 du réalisateur Fernando de Fuentes avec Lupe Vélez dans le rôle principal. Elle y chante la Shunca.

Je pense que vous avez découvert le chemin emprunté par ce titre. Lorenzo Barcelata a arrangé des airs de son pays pour un film et avec la diffusion du film et des disques, l’air est arrivé en Argentine où Donato a décidé de l’enregistrer. Voici donc, un autre exemple de pont, ici entre le Mexique et l’Argentine.

À bientôt les amis !

Te gané de mano 1938-07-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona

Edgardo Donato Letra: Juan Bautista Abad Reyes

Je t’ai gagné, je t’ai battu haut la main ou « Te gané de mano » comme il est dit dans ce tango exprime la joie de quelqu’un qui a gagné. C’est une expression utilisée par les joueurs de cartes. Mais est-ce si sûr qu’il a vraiment gagné cet homme triomphant ? J’ai retranscrit, avec un peu de difficulté, les paroles chantées par Horacio Lagos et accessoirement, Randona. Je vous laisse découvrir le dernier mot de cette histoire.

Extrait musical

Te gané de mano 1938-07-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani).

La musique démarre, assurée, comme quelqu’un qui marche en confiance. Par moment, la musique est presque sautillante, assurément on parle d’un vainqueur.
C’est alors que la voix d’Horacio Lagos lance avec force des paroles qui ne respirent pas tellement la joie. Que se passe-t-il ?
C’est alors que Randona (Armando Julio Piovani), fait son entrée et en duo avec Horacio Lagos nous raconte la fin de l’histoire. Je vous laisse découvrir les paroles, telles qu’elles sont chantées dans cette version. N’ayant pas trouvé de version originale, et ce titre n’ayant pas été enregistré par d’autres orchestres, il s’agit de la retranscription de ce que chantent Lagos et Randona. Il y a peut-être et même sûrement d’autres couplets, mais ils restent à découvrir. Ceux qui restent nos en disent toutefois suffisamment, les voici.

Paroles (retranscription aussi peu maladroite que possible)

Te gané de mano
Perdóname nena
Si él te dijo planto
Primero fui yo.
Despertaste al indio
Que estaba dormido
Y el indio está claro, se te reveló
Como yo era bueno
Me cristó un disenso
Y ese fue el comienzo de mi perdición
Si al final ya asumo con tanta discuta
Vos lo haces segura
Y yo el pobre sifón.

Sé qué haces ahora la Magdalena
Que anda cimentando que te engañado
No digas eso, no vale la pena
Qué me desarma de rui y malvado
Sé que mi cariño
No te interesa porque me le ha dicho
Más de una vez
No haga la otaria
Qué se te manya ese amor proprio que padeces.

Edgardo Donato Letra: Juan Bautista Abad Reyes

Traduction libre et indications

J’ai gagné haut la main, pardonne-moi, petite.
Si lui te laissa en plan, je fus le premier.
Tu as réveillé l’indien qui était endormi et l’indien, c’est clair, tu l’as révélé (El indio, le sentiment intérieur, différent chez lui et chez elle).
Comme moi, j’étais bon, cette faille me brisa et ce fut le commencement de ma perte.
Si finalement j’assume avec tant de discussions, tu le fais assurément et moi, suis le pauvre mec (sifón = grand nez, mais je ne suis pas sûr d’entendre bien sifón).

Je sais que tu fais maintenant la Madeleine (la pleureuse)
Qui va, cimentant le fait que je t’ai trompée. (Lagos chante « cimentando », mais on pourrait dire aussi « sementando », semant)
Ne dis pas ça, ça n’en vaut pas la peine
Ce qui me désarme de colère et de mauvaiseté
C’est que je sais que mon amour ne t’intéresse pas, parce que tu me l’as dit plus d’une fois.
Ne fais pas l’andouille.
Que tu te manges cet amour propre dont tu souffres.

On se demande à la fin, s’il a vraiment gagné ou s’il joue à l’indifférent ou au vainqueur factice pour surmonter sa peine.

Juan Bautista Abad Reyes (1892-1965)

On doit à Juan Bautista Abad Reyes les paroles de quelques tangos, dont celui du jour.
Son parcours est intéressant et j’ai donc décidé de vous en dire deux mots.
Il est né et mort en Argentine, mais est devenu citoyen et même député uruguayen entre les deux.
En 1919, il a gagné un concours d’œuvres théâtrales organisé par le journal La Noche (La Nuit) de Montevidéo et il travailla 20 ans comme rédacteur en chef du journal El Día (Le Jour), également de Montevideo…
Il a écrit les paroles de tangos, chansons, rancheras, pasodobles et autres et composé quelques titres. En voici un court extrait.

C = Compositeur / A = Auteur (parolier) / Compo. = Date probable de composition / Première interprétation, en italique. Date de la création publique, mais a priori, sans enregistrement / Premier enregistrement, plus ancien enregistrement existant (pour le moment).
CACompo.TitrePremières interprétations et enregistrements
 X1926Como luces de Bengala1926-04-07 Rosita Quiroga
X 1926Musiquita1926 Rosita Quiroga/1926-09-14 Típica Víctor
 X1928Caña amarga1928-05-26 Alberto Vila
 X1928Te fuiste ja… ja…1928 Alberto Vila
 X1928Arco iris1928-09-03 Francisco Canaro
 X1929Alma cuyana1929-05-29 Alberto Gómez; Augusto « Tito » Vila
 X1929Falló la paica1929 Alberto Gómez
 X1930Caminito del olvido1930-01-21 Luis Petrucelli
 X1930El idolo roto1930 Azucena Maizani
 X1930cEnvidias 
 X1930Goya (pasodoble)1930 Libertad Lamarque
XX1930Mentiras (tonada salteña)1930-11 Libertad Lamarque/1931-01-10 Edgardo Donato con Luis Díaz
 X1930No seas malo1930 Azucena Maizani
 X1930cNoviecita de otros tiempos 
 X1930Remigio (ranchera)1930 Orquesta Tipica Ricardo L. Brignolo
 X1930Ya sé tú historia, pebeta1930 Azucena Maizani
XX1931Sinverguenza alabancioso1931-09-07 Orquesta Adolfo Carabelli con Mercedes Simone
 X1934Confidencia1934-04-11 Orquesta Típica Victor C Hugo Gutiérrez
 X1950Paisaje1950-12-14 Roberto Carlés /1951-08-09 Osvaldo Fresedo con Armando Garrido
 X1951Ternura Muchacho1951 Lorenzo Barbero Y Su Orquesta De La Argentinidad
 X¿ ?Mirame bien a los ojos 

En dehors de cela, il est surtout connu pour ses créations radiophoniques, il travaillera en effet dans diverses radios où il proposera des chroniques ou des œuvres théâtro-radiophoniques.

Philosophie de Juan Bautista Abad Reyes

Sa philosophie pour les paroles de ses tangos est la suivante :

“Yo no vitupero el malevaje en el tango, ni el léxico arrabalero. Al contrario, lo estimo como expresión de color local y lo encuentro lleno de atractivos dramáticos en manos de los verdaderos poetas. Lo peligroso es pensar en arrabalero, concebir las obras en lunfardo”.

Revista Femenil, 1930
Revista Femenil, 1930.

Traduction de la philosophie de Juan Bautista Abad Reyes

Je ne vilipende pas la «malveillance» dans le tango, ni le lexique des faubourgs. Au contraire, je les estime comme une expression de la couleur locale et je les trouve pleins d’attraits dramatiques entre les mains de vrais poètes. Le risque est de penser en faubourien et de concevoir les œuvres en lunfardo.

Sur ces bonnes paroles, je vous dis, à demain les amis !