El Ingeniero 1945-02-20 – Carlos di Sarli (Tango)

Orquesta Carlos Di Sarli

Ale­jan­dro Jun­nis­si (1930) Letra: Juan Manuel Guer­rera (2020)

Le tan­go du jour, El Inge­niero, est indu­bitable­ment asso­cié à Car­los Di Sar­li. C’est assez logique, car il est le seul à l’avoir enreg­istré à la belle époque du tan­go. Il a enreg­istré le titre à trois repris­es. En 1945, le 20 févri­er, le 22 juil­let 1952 et le 31 jan­vi­er 1955.
Le titre est assez clair et pour une fois, il ne s’agit pas d’un surnom, d’un mot d’argot (lun­far­do), mais bien de la fonc­tion, du méti­er d’ingénieur.
L’auteur de la musique, Ale­jan­dro Jun­nis­si, dédi­cace sa com­po­si­tion « a todos los inge­nieros egre­sa­dos de las uni­ver­si­dades argenti­nas » (À tous les ingénieurs diplômés des uni­ver­sités argen­tines). On retrou­ve dans cette dédi­cace, la fierté d’un âge d’or de l’Argentine, le début du vingtième siè­cle.
Cet âge d’or se dévoile dans l’architecture, mais aus­si par les créa­tions indus­trielles. À la fin des années 20, l’Argentine était con­sid­érée comme un impor­tant pays indus­triel.

L’ingénieur

Un des héros dis­crets de ce suc­cès est l’ingénieur que l’Argentine célèbre deux fois en juin, le 6 juin avec el Día del Inge­niero et indi­recte­ment le 16 juin avec el Día de la Inge­niería Argenti­na.
La pre­mière date est en sou­venir du pre­mier ingénieur civ­il d’Argentine, Luis Augus­to Huer­go, diplômé le 6 juin 1870.
Rien ne prou­ve que celui qui a inspiré Jun­nis­si soit Huer­go. Dis­ons que c’est le méti­er qui est illus­tré ici.

Un pays à bonne école

Les efforts con­sen­tis en matière d’éducation par l’Argentine qui devait accueil­lir et « argen­tinis­er » des mil­lions de migrants don­naient leurs fruits et bien­tôt l’Argentine dis­po­sait de nom­breuses uni­ver­sités, qui aujourd’hui encore restent pres­tigieuses.

Citons les Inge­nierías de Cór­do­ba y de La Pla­ta ou l’Escuela de Inge­nieros de Minas de San Juan.

Les pays étrangers, notam­ment européens, ont égale­ment investi en Argen­tine. Par exem­ple, lÉcole Cen­trale des Arts et Man­u­fac­tures de Paris qui a ouvert une école d’ingénieurs à Buenos Aires.

Ces nou­veaux ingénieurs ont per­mis le développe­ment du pays, des ponts, du chemin de fer, de l’architecture et la décou­verte de pét­role a accen­tué le développe­ment indus­triel du pays.

Les montagnes russes

L’essor indus­triel a été soutenu par une immi­gra­tion extrême­ment forte. La main‑d’œuvre était abon­dante et déjà con­cen­trée dans les villes, car les cam­pagnes apparte­naient à quelques pro­prié­taires ter­riens et n’offraient que peu de débouchés aux nou­veaux arrivants.
Cette con­cen­tra­tion explique aus­si les prob­lèmes poli­tiques récur­rents de l’Argentine, prob­lèmes don­nant lieu à des crises graves et des émeutes.
À peine écrit ce tan­go, en 1930 que, la même année, en sep­tem­bre, les mil­i­taires pre­naient le pou­voir en des­ti­tu­ant Hipól­i­to Yrigoyen. Ce prési­dent au dou­ble vis­age a assumé deux fois la prési­dence. Dou­ble vis­age, car il prône une Argen­tine aux mains des ouvri­ers, mais com­man­dite une répres­sion sanglante con­tre des grévistes, réal­isant par la même le pre­mier pogrom d’Amérique du Sud (Semaine trag­ique, du 7 au 14 jan­vi­er 1919).
Ceux qui suiv­ent l’actualité de l’Argentine con­stateront que les événe­ments actuels rap­pel­lent ceux des années passées, 2001, 1976, 1930, et autres.
Bon, j’ai un peu oublié mon ingénieur dans tout cela. Revenons donc à la musique.
Lorsqu’Alejandro Jun­nis­si écrit sa musique, l’Argentine est encore dans une péri­ode rel­a­tive­ment opti­miste, mal­gré les con­tre­coups de la crise de 1929.

L’ingénieur mérite son tan­go ; le voici.

Extrait musical

El Inge­niero 1945-02-20 — Car­los di Sar­li

La ver­sion est plus sèche, les vio­lons moins lyriques que dans les ver­sions des années 50. Même si Di Sar­li a con­tin­ué dans les années 50 à pro­pos­er du tan­go de danse, on sent dans cette évo­lu­tion la tran­si­tion que d’autres orchestres ont opéré de façon plus dras­tique.
Le Di Sar­li des années 50 est sou­vent le plus util­isé dans les milon­gas, car il tranche plus avec les autres orchestres de référence, les qua­tre piliers par son aspect plus roman­tique. Cela per­met de don­ner du con­traste à la milon­ga.
Vous pour­rez les enten­dre en fin d’ar­ti­cle.

Les paroles

Vous m’attendiez au tour­nant. Toutes les ver­sions enreg­istrées par de grands orchestres de tan­go sont instru­men­tales. Cepen­dant, il existe au moins une ver­sion des paroles que je repro­duis ici. Je n’imagine pas très bien le résul­tat, tant on est habitué à l’entendre avec les vio­lons de Di Sar­li.
D’une façon plus générale, de nom­breux tan­gos sont sans paroles, d’autres ont changé de paroles au cours du temps et cer­tains textes de tan­go n’ont pas encore trou­vé leurs musiques. Il reste du pain sur la planche pour les auteurs et com­pos­i­teurs…
Celui qui a écrit les paroles est Juan Manuel Guer­rera. Sa créa­tion est récente, 2020, soit 90 ans après la musique. Si vous enreg­istrez une ver­sion d’El Inge­niero avec les paroles, je vous promets de la plac­er ici et si elle est dans­able, je la dif­fuserai en milon­ga…

Y allá va el inge­niero
Por las calles del dolor
Cam­i­na solo
Llo­ran­do
Se va der­rum­ban­do
Es pura des­o­lación
Tan­to quiere
Olvi­dar
Que ha vivi­do sin quer­erlo para los demás
Que ha deja­do sus pasiones demasi­a­do atrás
Que ha olvi­da­do entre sus cuen­tas ani­marse a más
Tan­to quiere
Aban­donar
Un des­ti­no que sabe a nada
El que eligió
Y no cam­bió
Y allá va el inge­niero
Hun­di­do en la frus­tración
Su penar sue­na a nos­tal­gia
Con dejos de ban­doneón
Y allá va el inge­niero
Con su arte en un cajón
Aho­ra no jue­ga, no apues­ta
Sus miedos no enfrenta
Y gana su perdi­ción
“Soy un cobarde”
Se dice tarde
Y vuelve a reflex­ionar:
“No es bue­na elec­ción, la res­i­gnación
Renun­ciar a un sueño, es como morir
Sin res­olu­ción, no hay real­ización,
Sin un ide­al, tan triste es vivir”
Y encuen­tra en lo que siente
Respues­tas que su mente
Bus­ca­ba des­de siem­pre
Con cien­tí­fi­ca obsesión
Y allá va el inge­niero
Se le muere el corazón
Acom­pañan los vio­lines
Su dramáti­ca can­ción
Y allá va el inge­niero
Se desan­gra en su razón
Pierde su tiem­po, pen­san­do
En vez de arries­gan­do
Y entier­ra su vocación
Tan­to quiere
Regre­sar
A un pasa­do irre­me­di­a­ble que ha queda­do atrás
A un pre­sente esper­an­za­do que no volverá
A un futuro imag­i­na­do que ya no será
Tan­to quiere
Escapar
De su vida equiv­o­ca­da
La que él mis­mo eligió
Y, sin val­or, jamás cam­bió

Ale­jan­dro Jun­nis­si (1930) Letra: Juan Manuel Guer­rera (2020)

Autres enregistrements

Sig­nalons que le même jour, le 20 févri­er 1945, Di Sar­li enreg­istr­era avec Jorge Durán, Porteño y bailarín, un tan­go com­posé par Car­los Di Sar­li avec des paroles d’Héctor Mar­có. Ce titre enreg­istré sur la matrice 80553–1 sera pub­lié sur le même disque 60–0639, sur la face A et el Inge­niero, sur la face B. Ce dernier a été enreg­istré sur la matrice 80554–1.

Porteño y bailarín 1945-02-20 Car­los Di Sar­li con Jorge Durán (Car­los Di Sar­li Letra: Héc­tor Mar­có)

Les prin­ci­paux enreg­istrements d’El Inge­niero sont ceux de Di Sar­li. Il faut dire qu’il a mis la barre très haute et qu’il était dif­fi­cile de pro­pos­er des ver­sions sur­pas­sant les trois enreg­istrements du maître de Bahia Blan­ca.

El Inge­niero, 1945-02-20 — Car­los Di Sar­li
El Inge­niero 1952-07-22 — Car­los Di Sar­li
El Inge­niero 1955-01-31 — Car­los Di Sar­li

Pour ter­min­er, un enreg­istrement du 21e siè­cle. J’aime bien. Cepen­dant, il est peu prob­a­ble que je le pro­pose en milon­ga, car le manque de fran­chise dans la mar­ca­cion fait que les ver­sions orig­i­nales sont à mon avis préférables pour danser.

El Inge­nier­ro — Orques­ta Típi­ca de la Guardia Vie­ja 2002

Sources

José María Otero ; Ale­jan­dro Jun­nis­si ; Tan­gos al bar­do
https://tangosalbardo.blogspot.com/2016/08/alejandro-junnissi.html

Juan Manuel Guer­rera ; Letra para el tan­go ‘El inge­niero’
https://jmguerrera.medium.com/letra-para-el-tango-el-ingeniero-b8beb02152b8

Les autres sources con­sultées con­cer­nent surtout le développe­ment indus­triel de l’Argentine et son his­toire.

D’après les doc­u­ments de Chris­t­ian de Pescara ; Pio­nnier de l’aviation > Les Héli­cop­tères du mar­quis Pat­eras-Pescara (1890–1966) ; lat­i­tud-argenti­na
https://www.latitud-argentina.com/blog/pionnier-aviation-helicopteres-marquis-pateras-pescara

Bernar­do Kosacoff y Daniel Azpi­azu; La indus­tria argenti­na, desar­rol­lo y cam­bios estruc­turales
https://repositorio.cepal.org/server/api/core/bitstreams/fc7cb237-a9cd-4627–8634-b1e2d8d5502c/content#:~:text=La%20industrialización%20de%20la%20Argentina,industrial%20en%20ei%20escenario%20latinoamericano.

Peyrú Pablo y Ver­na Etcheber Rober­to;  La indus­tria y la Argenti­na; Mono­grafias
https://www.monografias.com/trabajos14/industarg/industarg

Juan Pablo Pekarek ; Engi­neers, between being archi­tects and entre­pre­neurs Con­struc­teurs from the École Cen­trale de Paris in Buenos Aires, 1890–1920
http://portal.amelica.org/ameli/journal/219/2193563002/

Sylvie Sure­da-Cagliani ; Chapitre II. Panora­ma de l’histoire de l’Argentine de 1930 à 1974 in Vic­times et bour­reaux dans le théâtre de Grisel­da Gam­baro ; Press­es uni­ver­si­taires de Per­pig­nan
http://books.openedition.org/pupvd/32217

Felipe Pigna ; Argen­tine — La Semaine trag­ique (7–14 jan­vi­er 1919) ; Alter­in­fos
https://www.alterinfos.org/spip.php?article6016

Décen­nie infâme ; Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cennie_inf%C3%A2me

Andrés H. Reg­giani, Hernán González Bol­lo ; Déna­tal­ité, «crise de la race» et poli­tiques démo­graphiques en Argen­tine (1920–1940) ; Vingtième Siè­cle. Revue d’histoire 2007/3 (n° 95), pages 29 à 44

El Ingien­ero

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