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Viviré con tu recuerdo 1942-08-04 — Ada Falcón con acomp. de Roberto Garza

Francisco Canaro Letra: Ivo Pelay

Notre tan­go du jour est une chan­son sur un rythme de valse. Ce n’est donc pas un enreg­istrement pour la danse, mais l’histoire qui la sous-tend vaut d’être con­tée. C’est une his­toire d’amour et ici, c’est la réponse de la bergère au berg­er.
Mais ras­surez-vous, il y a aus­si de belles ver­sions de danse au pro­gramme…

Fran­cis­co Canaro et Ada Fal­cón

Extrait musical

Viviré con tu recuer­do 1942-08-04 — Ada Fal­cón con acomp. de Rober­to Garza.

Paroles

Recor­daré de tu pasión la inmen­si­dad.
Recor­daré la ima­gen fiel que me adoró.
Evo­caré de tu mirar la suavi­dad
y soñaré que aquel ayer no se ale­jó.

Recor­daré la noche azul en que te vi
en el jardín pri­mav­er­al de la ilusión.
Recor­daré que hoy, al par­tir, me estremecí
cuan­do miré las rosas de mi amor tem­b­lan­do en tu bal­cón.

El recuer­do de tus ojos,
tus son­risas y tus besos,
han de ser en mi camino
bril­lan­tísi­mo ful­gor.
Si me ale­jan de tu lado
viviré con tu recuer­do.
Viviré acari­cian­do tu nom­bre
entre vagos rumores y ensueños.
Viviré de las horas pasadas
mi sub­lime nov­ela de amor.

Recor­daré de tu quer­er la inmen­si­dad,
recor­daré de tu besar la ensoñación,
y al evo­car de tu reír la clar­i­dad
me cubrirá un velo gris de desazón.

Recor­daré que suave luz te ilu­minó
cuan­do besé, ebrio de amor, tu boca en flor.
Recor­daré el madri­gal que te brindó
mi inspiración, al ver tu her­mosa faz teñi­da de rubor.
Fran­cis­co Canaro Letra: Ivo Pelay

Traduction libre

Je me sou­viendrai de l’im­men­sité de ta pas­sion.
Je me sou­viendrai de l’im­age fidèle qui m’ado­rait.
J’évo­querai de ton regard la douceur et je rêverai que cet hier n’a pas dis­paru.
Je me sou­viendrai de la nuit bleue quand je t’ai vu dans le jardin print­anier de l’il­lu­sion.
Je me sou­viendrai qu’au­jour­d’hui, en par­tant, j’ai fris­son­né en regar­dant les ros­es de mon amour trem­bler sur ton bal­con.
Le sou­venir de tes yeux, tes sourires et tes bais­ers doivent être un éclat des plus bril­lants sur mon chemin.
S’ils m’emportent loin de toi, je vivrai avec ton sou­venir.
Je vivrai en cares­sant ton nom au milieu de vagues rumeurs et de rêves.
Je vivrai des heures passées, mon sub­lime roman d’amour.
Je me sou­viendrai de l’im­men­sité de ton amour, je me sou­viendrai du rêve de ton bais­er, et quand j’évo­querai la clarté de ton rire, il me cou­vri­ra d’un voile gris de malaise.
Je me sou­viendrai de la douce lumière qui t’il­lu­mi­nait quand j’embrassais, ivre d’amour, ta bouche en fleurs.
Je me sou­viendrai du madri­gal que t’a don­né mon inspi­ra­tion, quand j’ai vu ton beau vis­age tein­té de rougisse­ment.

Une histoire

Main­tenant que vous avez pris con­nais­sance des paroles, vous com­pren­drez pourquoi cette valse n’est pas aus­si entraî­nante que d’autres. On peut se deman­der ce qui se passe, si l’être aimé est mourant ou mort, si la sépa­ra­tion est défini­tive par la volon­té de l’un des deux.
Pour répon­dre à cela, il con­vient d’entrer dans la vie de Fran­cis­co Canaro et Ada Fal­cón.
Aída Elsa Ada Fal­cone avait deux demi-sœurs, elles aus­si chanteuses, Aman­da, et Adhel­ma.

Aman­da, Adhel­ma et Ada Fal­cón. Elles ont au moins en com­mun de lever le regard…

Amanda Falcón (1901–1998)

Aman­da qui n’a pas enreg­istré a eu un début de car­rière intéres­sant, faisant notam­ment par­tie de la Com­pañía Argenti­na de Grandes Espec­tácu­los de Ivo Pelay (l’auteur des paroles de notre valse du jour). Elle a joué égale­ment avec Gardel, même si l’accueil de la cri­tique ne fut pas à la hau­teur de ses espérances. Sa car­rière sem­ble s’être arrêtée en 1934 et on la retrou­ve à Hol­ly­wood, mais apparem­ment sans événe­ment majeur dans sa vie artis­tique.

Adhelma Falcón (1902–1987),

Je vous pro­pose de décou­vrir Adhel­ma avec l’un de ses enreg­istrements :

Cor­tan­do camino 1930 — Adhel­ma Fal­cón con gui­tar­ras

Adhel­ma prou­ve par cet enreg­istrement qu’elle avait une voix qui pou­vait rivalis­er avec celle de sa demi-sœur. Elle était en plus com­positrice et auteure, de quoi lui assur­er la gloire, mais cela a été pour la petite Ada, la plus jeune des trois. Elle a arrêté sa car­rière en 1946, peu après Ada.
En 1989 Ada a accusé son aînée de s’être fait pass­er pour elle dans des tournées et de sign­er des auto­graphes en son nom. Cinquante ans après les faits sup­posés, on peut s’étonner de cette révéla­tion.
Cela con­firme toute­fois la qual­ité de chanteuse d’Adhel­ma et sa beauté. En 1934, elle a devancé Ada dans un con­cours organ­isé par la revue Sin­tonía. Le but de ce con­cours était d’élire la plus belle Miss Radio (ce qui peut sem­bler éton­nant vu qu’à la radio on ne voit pas les vis­ages… La gag­nante fut Lib­er­tad Lamar­que, mais Adhel­ma a obtenu beau­coup plus de voix (votes) que Ada.
Peut-être que ces points expliquent la brouille entre les deux femmes, mais une autre his­toire court selon laque­lle Canaro aurait été infidèle à Ada avec Adhel­ma

Ada Falcón

Ada est née elle-même d’une infidél­ité de sa mère avec un estanciero de Junín… Elle est donc la demi-sœur de Aman­da et Adhel­ma.
Elle a suivi le chemin des deux aînées, mais sem­ble-t-il avec plus de suc­cès. Cela tient peut-être dans le fait que Ada a ren­con­tré Canaro. Et c’est cette ren­con­tre qui mar­quera la vie des deux.

Ada y Francisco

La romance entre Canaro et Ada est bien con­nue. Ada qui a com­mencé à tra­vailler très jeune et après un pas­sage dans l’orchestre de Frese­do et le trio de Delfi­no avec qui elle a enreg­istré jusqu’au 20 juil­let 1929 et 4 jours plus tard, elle enreg­is­trait avec Canaro.
La majorité des titres sont men­tion­nés comme étant de Ada Fal­cón accom­pa­g­née par Fran­cis­co Canaro. Elle était la vedette. Par ailleurs, beau­coup des titres qu’elle a chan­tés ont été com­posés par Canaro avec des thèmes pou­vant coïn­cider avec leur his­toire d’amour. Le plus célèbre et le pre­mier est Yo no sé qué me han hecho tus ojos.

Yo no sé qué me han hecho tus ojos 1930-09-17 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro.

Paroles et musiques de Fran­cis­co Canaro. Une déc­la­ra­tion d’amour à Ada.
Cette his­toire eu comme fin le refus de Canaro de divorcer de La France­sa, son épouse. Dans ses mémoires, Canaro le con­te de façon un peu dif­férente, Ada aurait répon­du à un appel de Dieu, pas tout à fait sincère le Fran­cis­co.
La réal­ité sem­ble plus prosaïque. Les avo­cats de Canaro auraient affir­mé qu’il aurait dû don­ner la moitié de ses biens à sa femme en cas de divorce, ce à quoi, étant né pau­vre, il s’est refusé.
Le refus fut sans doute très mal pris par Ada qui avait son car­ac­tère, mais le point final fut soit l’histoire avec sa demi-sœur Adhel­ma con­tée ci-dessus, soit le fait que La France­sa soit venue dans la loge et sur­prenant Ada sur les genoux de Fran­cis­co aurait men­acé de les tuer avec le pis­to­let qu’elle avait apporté.
Quoi qu’il en soit, cela a mis fin à leur rela­tion pro­fes­sion­nelle, mais leur amour est resté en fil­igrane. Ain­si, leur dernière séance d’enregistrement a eu lieu le 28 sep­tem­bre 1938 et les deux derniers thèmes ont été Nada más et No mien­tas, (Plus jamais et Ne mens pas).
Qua­tre ans plus tard, Fran­cis­co Canaro enreg­istre la valse Viviré con tu recuer­do avec Eduar­do Adrián.
Au bout de qua­tre mois, Ada don­nera sa réponse en enreg­is­trant pour la dernière fois de sa vie, la même valse, Viviré con tu recuer­do (Je vivrai avec ton sou­venir) et Corazón enca­de­na­do (cœur enchaîné), un autre thème com­posé par Canaro et qui peut être con­sid­éré comme une autre preuve de l’amour d’Ada pour Fran­cis­co. Ce dernier enreg­istrement est un adieu, un adieu à Canaro, mais aus­si à la vie sécu­laire, puisqu’elle se reti­ra dans un cou­vent.
Pour clore cette his­toire, je vous pro­pose la fin du doc­u­men­taire sur Ada Fal­cón, de Lore­na Muñoz et Ser­gio WolfYo no sé qué me han hecho tus ojos” (Argenti­na — 2003).

20 sec­on­des d’é­mo­tion quand le jour­nal­iste demande à Ada Fal­cón qui fut son grand amour et qu’elle répon­dit en pleu­rant, je ne me sou­viens pas. Allí se le pre­gun­tó quién había sido su gran amor”, “No recuer­do”.

Autres versions

Il n’y a que trois enreg­istrements val­ables de ce thème et les trois impliquent au moins un des pro­tag­o­nistes de la chan­son.
J’ai d’autres ver­sions, mais elles sont suff­isam­ment moches pour que je ne vous les pro­pose pas. Je ne voulais pas gâch­er cette his­toire d’amour avec des ver­sions moyennes.

Viviré con tu recuer­do 1942-04-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Eduar­do Adrián.

C’est le pre­mier enreg­istrement du thème de Canaro par Canaro. C’est claire­ment un mes­sage adressé à Ada avec l’aide de son com­plice, Ivo Pelay, qui était égale­ment un proche des sœurs Fal­cón.

Viviré con tu recuer­do 1942-08-04 — Ada Fal­cón con acomp. de Rober­to Garza.

Viviré con tu recuer­do 1942-08-04 — Ada Fal­cón con acomp. de Rober­to Garza. La réponse de la bergère, Ada, au berg­er Fran­cis­co.
Rober­to Garza (José Gar­cía López), le ban­donéon­iste qui accom­pa­gne avec ses musi­ciens Ada Fal­cón n’est pas un chef habituel. Il a réal­isé entre 1941, quelques enreg­istrements en accom­pa­g­ne­ment de Mer­cedes Simone et enreg­istré deux titres avec Igna­cio Corsi­ni. Le dou­ble enreg­istrement du 4 août 1942 est donc motivé par le besoin d’Ada de répon­dre à Fran­cis­co. Ce sont ses adieux à Canaro et au monde.

Viviré con tu recuer­do 1954-11-17 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro.

Viviré con tu recuer­do 1954-11-17 — Quin­te­to Pir­in­cho dir. Fran­cis­co Canaro. Douze ans plus tard, Canaro, à la tête de son Quin­te­to Pir­in­cho enreg­istre une ver­sion instru­men­tale, comme un écho, comme pour dire à Ada, je pense tou­jours à toi.

À propos des « éditeurs » de disques

J’ai une col­lec­tion musi­cale plutôt riche (plus de 100 000 titres, pas seule­ment de tan­go), mais je fais de la veille, notam­ment pour décou­vrir des ver­sions par de nou­veaux orchestres. J’ai donc jeté un œil à Spo­ti­fy, un ser­vice de musique grand pub­lic, d’une grande médi­ocrité, car il ne véri­fie pas les élé­ments qu’ils pub­lient. Curieuse­ment beau­coup de DJ de tan­go l’utilisent, par­fois même en direct…
Je ne par­le pas de la qual­ité sonore pro­posée par la plate­forme, elle est tech­nique­ment suff­isante pour pass­er de la musique de tan­go anci­enne, mais de la qual­ité des ver­sions qu’ils dif­fusent, s’approvisionnant auprès d’éditeurs peu scrupuleux, voire cra­puleux. Ces derniers pro­posent des ver­sions très mal numérisées et sou­vent hor­ri­ble­ment retouchées, voire tron­quées.

Presque toutes les men­tions sont fauss­es. Une seule est com­plète et juste.

Voici une copie d’écran de Spo­ti­fy. Le seul enreg­istrement cor­recte­ment indiqué est notre tan­go du jour. Les autres sont soit incom­plets (men­tion de l’orchestre sans le chanteur, men­tion du chanteur sans l’orchestre), soit car­ré­ment faux, comme une ver­sion de Mer­cedes Simone qui est en fait celle de Ada Fal­cón passée un peu plus vite. 90 % d’erreur, ce n’est pas très hon­or­able.
Non seule­ment c’est une preuve de médi­ocrité, mais en plus, c’est ne rien com­pren­dre à l’histoire. Indi­quer que Ada Fal­cón a enreg­istré avec Canaro en 1942, c’est mécon­naître l’histoire et ne pas regarder les éti­quettes des dis­ques.
Les édi­teurs se con­tentent de piquer des musiques dans leur fonds, sans se souci­er de la qual­ité, de l’exactitude de ce qu’ils pub­lient. Ils pren­nent n’importe quel CD, réal­isé d’après n’importe quel disque vinyle ayant mas­sacré le disque 78 tours d’origine, en rajoutant une couche de destruc­tion avec le Remas­ter­i­za­do”.
C’est tout sim­ple­ment scan­daleux. Quand je pense que les édi­teurs de musique se goin­frent sur le dos des organ­isa­teurs d’événements en ayant détourné la rai­son d’être de la SACEM, ce qui est un comble quand on pense que Canaro était un des précurseurs des droits d’auteurs en Argen­tine avec la créa­tion de la SADAIC.

Fran­cis­co Canaro et Ada Fal­cón

Voilà, on se quitte avec la pho­to de nos deux amoureux trag­iques.

À demain, les amis !