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Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe

Pintín Castellanos (Horacio Antonio Castellanos Alves) Letra: Francisco García Jiménez

Un chap­ar­rón est une averse, une pluie soudaine, de forte inten­sité, mais de courte durée. Cette milon­ga joue sur les mots, un chap­ar­rón étant en même temps une dis­pute. Je vous invite donc aujourd’hui, pour la milon­ga du jour à décou­vrir ce thème mag­nifique­ment inter­prété par Juan d’Arienzo et Alber­to Echagüe.

La musique présente l’histoire que les paroles con­fir­ment ensuite.
On entend au départ les nuages noirs de l’averse qui se pré­pare.
L’atmosphère s’échauffe, comme les esprits. L’homme se com­pare à une mouche d’orage.
La marche devient en pointil­lé à cause de la dis­cus­sion (dis­pute) du cou­ple. On imag­ine qu’ils font trois pas, s’arrêtent et repren­nent à tour de rôle. Cette « activ­ité » est par­ti­c­ulière­ment bien adap­tée à une milon­ga.
Puis vient l’averse, « con agua y expli­ca­ciones, era doble el chap­ar­rón » (avec de l’eau et des expli­ca­tions, l’averse était dou­ble). C’est la par­tie cen­trale. La ten­sion qui était mon­tée dans la pre­mière par­tie est en train d’exploser.
Puis, à la toute fin, la réc­on­cil­i­a­tion et l’envie de repren­dre ensem­ble.
« ¡Qué rico el olor a trébol y la rec­on­cil­iación… Da ganas de andar de nue­vo, seria vos y serio yo! »
(Comme est bonne l’odeur du trèfle, et la réc­on­cil­i­a­tion. Ça donne envie d’avancer de nou­veau). Sérieuse toi et Sérieux moi. Cet élé­ment rythme la milon­ga en étant men­tion­né trois fois. Qua­tre fois dans les paroles orig­i­nales, mais Echagüe ne chante pas la total­ité des paroles écrites par Fran­cis­co Gar­cía Jiménez.

Pintín?

Pin­tín Castel­lanos (Hora­cio Anto­nio Castel­lanos Alves) est l’auteur de cette milon­ga. Les paroles sont de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez. Pin­tín Castel­lanos, un surnom qui me fait penser à Tintin, est né à Mon­te­v­ideo. C’est un com­pos­i­teur majeur avec env­i­ron 200 de thèmes dont la moitié ont été enreg­istrés. Il a égale­ment écrit les paroles d’un bon nom­bre de ses com­po­si­tions. Il était pianiste et fut égale­ment directeur d’orchestre.

1 Pitin à gauche et à droite, Tintin dansant le tan­go (illus­tra­tion tirée de l’ouvrage « Nous-Tintin » pub­lié en 1987 et présen­tant 36 cou­ver­tures imag­i­naires de Tintin

Il a été décrit comme un homme élé­gant et d’allure vir­ile, sportif et amoureux de la musique.
Voici com­ment il se racon­te : «Crecí con­sus­tan­ci­a­do con el ambi­ente orillero… cuan­do repi­quete­a­ban las lon­jas de los negros can­domberos en los parch­es de sus tam­bores.
Las melodías pop­u­lares nacieron con­mi­go y con ellas con­vi­vo hace muchos años… »

« J’ai gran­di dans l’ambiance des rivages (du Rio de la Pla­ta)… quand vibraient les lon­jas (paume des mains) des can­domberos noirs sur les parch­es (ban­deau de cuir masquant les gou­jons et le cer­clage supérieur) de leurs tam­bours. Les mélodies pop­u­laires sont nées avec moi et j’ai vécu avec elles pen­dant de nom­breuses années… »

Pourquoi ce surnom, de Pin­tín Castel­lanos ? Je ne sais pas. El pin­to peut être l’Espagnol, Castel­lanos, une inspi­ra­tion de la Castille ? Ce serait donc une dou­ble évo­ca­tion de l’Espagne pour cet Uru­gayen. Pin­tín pour­rait aus­si se référ­er à son élé­gance. Bref, je ne sais pas, alors, aidez-moi si vous avez une piste.

Ses compositions

Avec une cen­taine de titres enreg­istrés, vous avez oblig­a­toire­ment enten­du plusieurs de ces com­po­si­tions. Pour rester dans la milon­ga, j’évoquerai la puñal­a­da. Un jour qu’il la jouait, il a été con­traint d’accélérer, ce qui l’a trans­for­mé en milon­ga. C’est sous cette forme que D’Arienzo l’a enreg­istrée le 27 avril 1937 alors que le 12 juin de la même année, Canaro l’enregistrait encore comme un tan­go.

Il a écrit de nom­breuses autres milon­gas, comme, A puño limpio, El potro, El tem­blor, La endi­a­bla­da ou Meta fier­ro que l’on con­nait dans des ver­sions géniales par D’Arienzo. Il faudrait rajouter aus­si quelques milon­gas can­dombe, comme Bronce, Can­dombe ori­en­tal ou Can­dombe rio­platense.
Je ne par­le pas ici de d’Arienzo et Echagüe, j’aurais de nom­breuses autres occa­sions de le faire…

Extrait musical

Chap­ar­rón 1946-08-26 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe

Paroles

Las nubes eran de plo­mo
y era el aire de fogón.
Andábamos, no sé cómo…
¡seria vos y serio yo!
Venía un olor caliente
de la ruda y el cedrón.
Y esta­ba como la gente
de antipáti­co un moscón.

La boca se rese­ca­ba,
estaque­a­da en mal humor.
Aque­l­lo no lo arregla­ba
nada más que un chap­ar­rón.
Tor­men­ta de trote y car­ga
jinete­an­do un nubar­rón.
Tor­men­ta de caras largas:
seria vos y serio yo.

Ver­a­no de mosca y tier­ra;
seco el río y el por­rón.
Ver­a­no de sol en guer­ra
¡filo de hacha sin perdón!
Amores que se empaca­ban
(seria vos y serio yo).

Asun­tos que se empe­ora­ban
por tar­dar el chap­ar­rón…
Andábamos a tirones
cuan­do el cielo se abrió en dos…
Con agua y expli­ca­ciones
era doble el chap­ar­rón.
¡Qué rico el olor a trébol
y la rec­on­cil­iación…
Da ganas de andar de nue­vo
seria vos y serio yo!

Pin­tín Castel­lanos (Hora­cio Anto­nio Castel­lanos Alves) Letra : Fran­cis­co Gar­cía Jiménez

Echagüe ne chante que les par­ties en italique (début et fin).

Traduction libre

Les nuages étaient de plomb, et c’é­tait l’air d’un four (poêle).
Nous mar­chions, je ne sais pas com­ment…
Sérieuse, toi et sérieux, moi !
Il y avait une odeur chaude de rue offic­i­nale (plante à odeur forte util­isée en médecine et ayant la répu­ta­tion d’éloigner les indésir­ables) et de verveine cit­ron­née.
Et il y avait comme les gens antipathiques une grosse mouche.
La bouche se desséchait, piquée de mau­vaise humeur.
Rien de plus qu’une averse ne pour­rait arranger cela.
Tem­pête de trot et charge chevauchant un nuage d’or­age.
Tem­pête de vis­ages longs :
Sérieuse, toi et sérieux, moi.
Été de mouche et de terre ; la riv­ière à sec ain­si que la bouteille (por­rón, bouteille de terre cuite émail­lée qui sert pour la bois­son et acces­soire­ment de bouil­lotte…).
Été de soleil en guerre, fil de hache sans par­don !
Des amours qui s’emballèrent (Sérieuse, toi et sérieux, moi).
Des prob­lèmes qui ont été aggravés par le retard de l’a­verse…
Nous étions en train de nous tir­er à hue et à dia quand le ciel s’est ouvert en deux…
Avec de l’eau et des expli­ca­tions, l’a­verse a été dou­ble.
Comme est déli­cieuse l’odeur du trèfle et de la réc­on­cil­i­a­tion…
Ça donne envie de marcher à nou­veau Sérieuse, toi et sérieux, moi !

Les enregistrements de chaparrón

Cet enreg­istrement par d’Arienzo et Echagüe est le seul…
Il existe bien un tan­go du même nom, com­posé par Car­los Waiss, mais qui n’a rien à voir, si ce n’est le titre. Le voici :

Chap­ar­rón 1957 — Nina Miran­da con la Orques­ta de Gra­ciano Gomez

Autres titres enregistrés un 26 février

D’Arienzo a enreg­istré le même jour : Fue­gos arti­fi­ciales 1941-02-26. Un tan­go instru­men­tal com­posé par Rober­to Fir­po et Eduar­do Aro­las. Comme beau­coup de com­po­si­tions de fuer­go, c’est une illus­tra­tion sonore, ici de fue­gos arti­fi­ciales (feux d’artifice).
J’ai hésité pour le tan­go du jour. Ce sera peut-être pour l’an prochain à moins que je le men­tionne à l’occasion d’une autre inter­pré­ta­tion, car con­traire­ment à Chap­ar­rón, Fue­gos arti­fi­ciales a été enreg­istré à divers­es repris­es.

Fin de l’averse, después de la llu­via el buen tiem­po (après la pluie, le beau temps). Le temps de la réc­on­cil­i­a­tion.

1 ¡Qué rico el olor a trébol y la rec­on­cil­iación… Da ganas de andar de nue­vo seria vos y serio yo!…

Loco turbión 1946-03-15 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte y Roberto Arrieta

Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)

J’ai tou­jours adoré Loco tur­bión et me suis demandé pourquoi seule­ment Caló l’avait enreg­istré. C’est sans doute que cette ver­sion est par­faite. Je vous invite donc à savour­er ce tan­go du jour, enreg­istré il y a 78 ans.

Loco tur­bión, dès le titre, on est en appétit. Loco, fou et tur­bión, averse vio­lente, mais aus­si choses emportées dans un « tour­bil­lon ».
Si on ne prête pas atten­tion aux paroles, on peut imag­in­er le pas­sage de l’averse. Au début, une marche, puis la mon­tée de la ten­sion, des mou­ve­ments con­tra­dic­toires, comme le vent qui agite les arbres à l’approche de la tour­mente. L’averse pour­rait être le puis­sant duo d’Iriarte et Arri­eta, puis le soleil réap­pa­raît à la toute fin, jusqu’à la chute des deux dernières gouttes d’eau.

Extrait musical

Loco tur­bión 1946-03-15 — Orques­ta Miguel Caló con Raúl Iri­arte y Rober­to Arri­eta

L’exposition sem­ble faire référence à un temps passé, comme quelqu’un qui se sou­vient. Le pas­sage en mineur aux alen­tours de 0:30 et qui trou­ve son apogée dans le solo de vio­lon à par­tir de 0:40.
Rober­to Arri­eta com­mence à chanter à 1:00. À 1:30 Raúl Iri­arte rem­place Arri­eta, puis à 1:37 ils chantent en duo, avec une émo­tion intense, qui se détend, puis Arri­eta prend le relais, seul et ain­si de suite, jusqu’au final en duo jusqu’à la fin et les deux gouttes de pluie qui closent le tan­go.
La musique sem­ble effectuer des aller et retour, comme pour mar­quer les hési­ta­tions. Les instru­ments, puis les chanteurs sem­blent apporter leur pierre à la con­struc­tion musi­cale, jusqu’à ce qu’ils se com­bi­nent dans le final en étant sur la « même longueur d’onde ». Les paroles con­fir­ment cette impres­sion.

Les paroles

Les paroles ren­for­cent l’idée de tour­bil­lon, de dia­logue, d’hésitation. Les chanteurs se répon­dent avant de s’accorder (à la quinte) et de dévelop­per un des mag­nifiques duos dont nous rav­it le tan­go.

Ten­go miedo de encon­trar­la
Y de nue­vo recor­dar­la…
Y achicar el corazón.
Ten­go miedo que en sus ojos,
Al mirar estos despo­jos
Yo adi­vine com­pasión.
En mis días fue un dolor,
En mis sueños, fue un ren­cor,
Y en mi vida no hizo más que mal…
Me tor­tu­ra este recuer­do
Que me acosa y me per­sigue
En mis noches sin final.

En la fragua de espan­tos del sufrir,
Ella puso entre brasas mi ilusión.

Me ha enseña­do a morir,
Porque ya no es vivir,
Escuchan­do en las som­bras su reír.
Y esa voz que me nom­bra sin cesar,
Que me muerde en las noches con su mal,
¡Es un loco tur­bión!…
Una gar­ra bru­tal,
Que me estru­ja el corazón.

Yo me hun­do en la locu­ra
De un tur­bión, al recor­dar­la
Y quer­erla con pasión.
Y el pen­sar en olvi­dar­la,
Es camino que con­duce
¡A la deses­peración!
Es tor­men­to sin final
El fra­ca­so de olvi­dar,
¡Y es ple­garia que no escucha Dios!
Es tor­tu­ra inter­minable
El recuer­do de sus ojos
Y el arrul­lo de su voz.

Vicente Spina Letra : Rober­to Miró (Rober­to Daniel Miró)

Les par­ties chan­tées par Rober­to Arri­eta seul, sont en rouge.
Celles qui sont chan­tées par Raúl Iri­arte seul sont en bleu.
Lorsque les deux chantent en duo, c’est en gras.
Au final, ils repren­nent en duo le refrain à par­tir de Y esa voz que me nom­bra sin cesar, qui était chan­té par Iri­arte seul la pre­mière fois.
Le dernier cou­plet n’est pas chan­té. C’est la par­tie où il souhaite l’oublier.

La météo du tango

Plusieurs tan­gos par­lent d’averses soudaines et vio­lentes, que ce soit de façon objec­tive, comme el aguacero ou de façon fig­urée, comme Tor­men­ta.
El aguacero de Cátu­lo Castil­lo Letra : José González Castil­lo (Juan de León).
Chap­ar­rón 1946-08-26 (Milon­ga) Orques­ta Juan D’Arienzo con Alber­to Echagüe, nous en repar­lerons le 26 août à l’occasion de l’anniversaire de cet enreg­istrement.
Llu­via au moins une quar­an­taine de tan­gos par­lent de pluie (llu­via), tou­jours au sens pro­pre ou fig­uré.
Pour rester dans les aléas cli­ma­tiques, le vent a aus­si sa voix, par exem­ple dans les tan­gos suiv­ants.
Cuan­do bron­ca el tem­po­ral de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Mar­sili, que nous avons évo­qué à pro­pos de la ver­sion de Di Sar­li de 1929.
Tor­men­ta d’Enrique San­tos Dis­cépo­lo, mais il y a d’autres tan­gos inclu­ant tor­men­ta (Anto­nio Bonave­na, P. Mon­tanel­li, José De Cic­co, José Luis Padu­la) qui par­lent de tor­men­ta, au réel comme au fig­uré.
Huracán, une incroy­able com­po­si­tion de Dona­to d’une puis­sance titanesque.
Ven­taval, plusieurs tan­gos de ce nom, comme Ven­taval de Rodol­fo Sci­ammarel­la par Mer­cedes Simone dans le film de 1939, qui se passe à Paris (le titre a pour fond d’écran, le Pan­théon), mais qui est argentin, ou cru­en­to ven­daval de Miguel Mar­ti­no et Jac­in­to Alí (MyL).

Les illustrations

Pour les illus­tra­tions, je suis par­ti de deux pistes. L’idée de tour­bil­lon pour la pre­mière, tour­bil­lon que m’évoque le mot tur­bión, et la musique qui sem­ble cir­culer d’un côté à l’autre, rebondis­sant d’un instru­ment à l’autre, d’un chanteur à l’autre et l’idée de la femme per­due, inac­ces­si­ble, qui s’en va.
En résumé, n’arrivant pas à choisir, je vous pro­pose les qua­tre images. N’hésitez pas à indi­quer en com­men­taire celle qui vous plaît le plus, peut-être que je chang­erai la pho­to de cou­ver­ture en fonc­tion de vos avis.

L’image de couverture

Je souhaitais garder l’ambiguïté entre l’averse, le tour­bil­lon et la belle. J’ai hésité entre deux styles, un abstrait à la Arcim­bol­do, ou les fleurs et nuages col­orés rem­pla­cent les légumes et un autre, plus « orageux ». J’ai finale­ment opté pour la femme fleur tour­bil­lon­nante, mais comme j’aime bien les autres aus­si, je vous présente le lot.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

Ten­go miedo de encon­trar­la y de nue­vo recor­dar­la.…
J’ai peur de la ren­con­tr­er et d’à nou­veau me sou­venir d’elle.

L’image de fin

En général, je souhaite pro­pos­er une image d’un style dif­férent pour l’image de fin. C’est donc la ver­sion orageuse qui clô­ture l’article, mais j’aime bien aus­si celle de la belle qui s’évapore dans les nuées tour­bil­lon­nantes.

Es tor­tu­ra inter­minable el recuer­do de sus ojos y el arrul­lo de su voz. C’est une tor­ture inter­minable, le sou­venir de ses yeux et le roucoule­ment de sa voix.

Le regard de la belle qui s’éloigne au milieu des éclairs, sem­blant tenir dans sa main la foudre, du coup de foudre qu’elle a volé avant de rejoin­dre l’Olympe. Elle est dev­enue inac­ces­si­ble, divine et cru­elle.