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La cumparsita 1951-09-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Gerardo Hernán Matos Rodríguez; (Roberto Firpo) Letra : Pascual Contursi ; Enrique Pedro Maroni ; Gerardo Hernán Matos Rodríguez

S’il est un air que vous avez for­cé­ment enten­du, c’est à coup sûr La cumpar­si­ta. En effet, ce thème com­mence toutes les milon­gas tra­di­tion­nelles et ter­mine la plu­part des milon­gas dans le monde. Il était donc impor­tant de faire une anec­dote sur La cumpar­si­ta, mais c’est là que les dif­fi­cultés com­men­cent. J’ai plus de 800 cumpar­si­tas et il me fal­lait choisir.

Une expres­sion de lun­far­do témoigne du suc­cès de ce thème « más remanya­do que la cumpar­si­ta » (plus con­nu que la cumpar­si­ta…).

Cet air a grand suc­cès a été enreg­istré des cen­taines de fois et tous les orchestres de tan­go l’ont à leur réper­toire. Il me fal­lait donc choisir une ver­sion pour l’anecdote du jour qui soit un peu emblé­ma­tique, car je pou­vais presque trou­ver un enreg­istrement du titre pour chaque jour de l’année.
Cepen­dant, dans cette énorme pro­duc­tion, il faut bien sûr faire du tri. Sup­primer tout ce qui n’est pas du tan­go tra­di­tion­nel et donc élim­in­er les ver­sions en cumbia, rock, tan­go musette, per­cus­sions, a capel­la, valse (même si j’ai plusieurs ver­sions que je passe par­fois) et autres rythmes.
J’ai fait le choix d’un tan­go de danse, ce qui élim­ine une bonne moitié des ver­sions restantes après la pre­mière sélec­tion. Dans les 161 ver­sions restantes, il con­ve­nait de choisir les meilleures. Comme je passe deux cumpar­si­tas dans chaque milon­ga, une au début et une à la fin et que je n’aime pas faire de dou­blons trop rap­prochés, j’ai un peu creusé dans ce stock. Il en restait encore trop pour une anec­dote où je me suis fixé la lim­ite de 30 titres.
La semaine dernière, Thier­ry, mon cor­recteur m’a demandé quelque chose sur la cumpar­si­ta et pour lui faire plaisir, j’ai choisi la pre­mière date ayant une belle ver­sion et c’est donc tombé sur la ver­sion de 1951 de D’Arienzo, une ver­sion enreg­istrée le 12 sep­tem­bre, il y a exacte­ment, 73 ans.
D’Arienzo a joué des mil­liers de fois ce titre et l’a enreg­istré au moins 8 fois. J’ai donc décidé de lim­iter cette anec­dote aux ver­sions de D’Arienzo. Ne pleurez pas et pour ceux qui me suiv­ent durant mon pas­sage en Europe, je promets de ne pas pass­er deux fois la même cumpar­si­ta. Il me reste 11 milon­gas à ani­mer avant de ren­tr­er à Buenos Aires, cela fait 22 cumpar­si­tas dif­férentes. Cer­taines sont sub­limes !

Extrait musical

La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La joyeuse troupe des amis de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez défile sur la cou­ver­ture de droite. Ils sont cités en haut de la par­ti­tion. À droite Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez devant sa par­ti­tion chez un édi­teur de par­ti­tions. On notera que les joyeux fêtards sont rem­placés par une femme masquée. Le masque peut évo­quer le bal, mais le fait qu’il soit noir peut aus­si évo­quer une voi­lette de deuil, celui que décrit Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez dans sa ver­sion des paroles.

Paroles

Cette ver­sion de D’Arienzo est instru­men­tale, mais il l’a enreg­istrée deux fois avec des chanteurs et dans l’immense réper­toire, il en existe plusieurs dizaines de ver­sions chan­tées. Il me sem­blait donc logique de vous don­ner les paroles. J’ai retenu les deux ver­sions prin­ci­pales, celle de Pas­cual Con­tur­si et Enrique Pedro Maroni d’une part et celle de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez qui est l’auteur de l’idée orig­i­nale et donc ici, en plus de paroles.

Paroles de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si supieras,
que aún den­tro de mi alma,
conser­vo aquel car­iño
que tuve para ti…
Quién sabe si supieras
que nun­ca te he olvi­da­do,
volvien­do a tu pasa­do
te acor­darás de mí…

Los ami­gos ya no vienen
ni siquiera a vis­i­tarme,
nadie quiere con­so­larme
en mi aflic­ción…
Des­de el día que te fuiste
sien­to angus­tias en mi pecho,
decí, per­can­ta, ¿qué has hecho
de mi pobre corazón?

Sin embar­go,
yo siem­pre te recuer­do
con el car­iño san­to
que tuve para ti.
Y estás en todas partes,
peda­zo de mi vida,
y aque­l­los ojos que fueron mi ale­gría
los bus­co por todas partes
y no los puedo hal­lar.

Al cotor­ro aban­don­a­do
ya ni el sol de la mañana
aso­ma por la ven­tana
como cuan­do estabas vos,
y aquel per­ri­to com­pañero,
que por tu ausen­cia no comía,
al verme solo el otro día
tam­bién me dejó…
Pas­cual Con­tur­si; Enrique Pedro Maroni

Traduction libre et indications de la version de Pascual Contursi et Enrique Pedro Maroni

Si seule­ment tu savais que, même dans mon âme, je garde cette affec­tion que j’avais pour toi…
Qui sait si tu savais que je ne t’ai jamais oubliée, en revenant à ton passé tu te sou­vien­dras de moi…
Les amis ne vien­nent même plus me ren­dre vis­ite, per­son­ne ne veut me con­sol­er dans mon afflic­tion…
Depuis le jour où tu es par­tie, j’ai ressen­ti de l’an­goisse dans ma poitrine, j’ai dit, ma chérie, qu’as-tu fait de mon pau­vre cœur ?
Cepen­dant, je me sou­viens tou­jours de toi avec la sainte affec­tion que j’avais pour toi.
Et tu es partout, morceau de ma vie, et ces yeux qui étaient ma joie, je les cherche partout et je ne peux pas les trou­ver.
Au per­ro­quet aban­don­né, même le soleil du matin ne se penche pas à la fenêtre comme il le fai­sait lorsque tu étais là, et ce petit chien, com­pagnon, qui à cause de ton absence ne mangeait pas, à me voir seul l’autre jour, lui aus­si m’a quit­té…

Paroles de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa
de mis­e­rias sin fin
des­fi­la,
en torno de aquel ser
enfer­mo,
que pron­to ha de morir
de pena.
Por eso es que en su lecho
sol­loza acon­go­ja­do,
recor­dan­do el pasa­do
que lo hace pade­cer.

Aban­donó a su vieji­ta.
Que quedó desam­para­da.
Y loco de pasión,
ciego de amor,
cor­rió
tras de su ama­da,
que era lin­da, era hechicera,
de lujuria era una flor,
que burló su quer­er
has­ta que se can­só
y por otro lo dejó.

Largo tiem­po
después, cayó al hog­ar
mater­no.
Para poder curar
su enfer­mo
y heri­do corazón.
Y supo
que su vieji­ta san­ta,
la que él había deja­do,
el invier­no pasa­do
de frío se murió

Hoy ya solo aban­don­a­do,
a lo triste de su suerte,
ansioso espera la muerte,
que bien pron­to ha de lle­gar.
Y entre la triste fri­al­dad
que lenta invade el corazón
sin­tió la cru­da sen­sación
de su mal­dad.

Entre som­bras
se le oye res­pi­rar
sufri­ente,
al que antes de morir
son­ríe,
porque una dulce paz le lle­ga.
Sin­tió que des­de el cielo
la madrecita bue­na
mit­i­gan­do sus penas
sus cul­pas per­donó.
Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez

Traduction libre et indications de la version de Gerardo Hernán Matos Rodríguez

La Cumparsa des mis­ères sans fin défile, autour de cet être malade, qui va bien­tôt mourir de cha­grin.
C’est pourquoi, dans son lit, il san­glote d’an­goisse, se rap­pelant le passé qui le fait souf­frir.
Il aban­don­na sa vieille mère.
Qu’il avait lais­sée désem­parée.
Et fou de pas­sion, aveu­gle d’amour, il courait après sa bien-aimée, qui était jolie, qui était sor­cière, avec con­voitise elle était une fleur, qui se moquait de son amour jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée et le quitte pour un autre.
Longtemps plus tard, il est tombé dans la mai­son de sa mère pour pou­voir guérir son cœur malade et blessé.
Et il sut que sa sainte vieille mère, celle qu’il avait quit­tée, était morte l’hiv­er dernier de froid
Aujour­d’hui seul, aban­don­né, à la tristesse de son sort, anx­ieux, il attend la mort, qui ne tardera pas à arriv­er.
Et au sein de la triste froideur qui envahit lente­ment le cœur, il ressen­tait la cru­elle sen­sa­tion brute de sa mau­vaiseté.
Dans l’om­bre, on l’en­tend respir­er avec souf­france, à qui avant de mourir, il sourit, parce qu’une douce paix lui vient.
Il sen­tait que depuis le ciel, la bonne petite mère, atténu­ait ses cha­grins et lui par­don­nait ses péchés.
Aucune de deux ver­sions des paroles est gaie, mais les paroles de la ver­sion de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez vont encore plus loin dans le pathos. Peut-être un peu trop loin…

Autres versions

Je vais me lim­iter aux seules ver­sions enreg­istrées par D’Arienzo pour les présen­ta­tions d’enregistrements. Cela me don­nera l’occasion d’en repar­ler à pro­pos d’autres enreg­istrements par d’autres orchestres…
Voici les 8 ver­sion par D’Arienzo :

La cumpar­si­ta 1928 — Raquel Notar con acomp. de Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta (Si supieras) 1928 — Orques­ta Juan D’Arien­zo con Car­los Dante.
La cumpar­si­ta 1937-12-14 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1943-11-23 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1951-09-12 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. C’est notre ver­sion du jour.
La cumpar­si­ta 1963-12-10 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1971-12-07 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.
La cumpar­si­ta 1972 — Orques­ta Juan D’Arien­zo. Enreg­istrement à la télévi­sion.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez (“Becho”) fait sa publicité

Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez a refusé l’offre de Rober­to Fir­po qui voulait que les deux noms soient sur la par­ti­tion (Fir­po-Matos). Fir­po a fait pass­er la com­po­si­tion orig­i­nale d’une marche com­posée pour une com­parsa (défilé dans un car­naval) à un tan­go. Il a aus­si réal­isé la pre­mière représen­ta­tion, au café La Giral­a­da de Mon­te­v­ideo. C’est la rai­son pour laque­lle j’ai rajouté Fir­po en vert dans le sous-titre…

Le Café la Giral­da en 1918. C’est là qu’a été lancée la Cumpar­si­ta, inter­prétée par Rober­to Fir­po.

Cette presta­tion de Fir­po est sig­nalée sur le café La Giral­da par trois plaques com­mé­mora­tives. Elle est asso­ciée à la com­po­si­tion de Matos.

Les plaques com­mé­mora­tives sur le mur du café La Giral­da.
La cumpar­si­ta, un film de Anto­nio Mom­plet sor­ti le 28 août 1947. Ver­sion inté­grale !

La cumpar­si­ta est un film sor­ti le 28 août 1947. Il est à la gloire de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, sur une idée de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez et avec des musiques de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, par­mi lesquelles :

  • La cumpar­si­ta
  • Che, papusa, (avec Cadicamo)
  • El ros­al (Avec Romero)
  • San Tel­mo
  • Mocosi­ta.

D’autres auteurs, il y a égale­ment

  • El choclo (Vil­lol­do et Catan)
  • El tai­ta del arra­bal (Romero)
  • El entr­erri­ano (Men­diz­a­bal)
  • Vea, Vea (Rober­to Fir­po et Car­los Waiss)
  • Gar­u­fa (Col­la­zo, Fontaina et Soli­no)
  • Apache argenti­no (Gar­cia et Brameri)

Donc, qua­si­ment la moitié de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez.
Le film est dirigé par Anto­nio Mom­plet avec Nel­ly Darén, Aída Alber­ti, José Olar­ra et l’incontournable Hugo del Car­ril

Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez, étu­di­ant en archi­tec­ture et com­pos­i­teur…

Vous voulez en savoir plus ?

Il existe une mul­ti­tude de faits, his­toires, légen­des, fan­tasmes autour de La cumpar­si­ta. C’est un mon­u­ment auquel il faut beau­coup de tra­vail pour y met­tre un peu d’ordre. Cepen­dant, je vous con­seille l’article de Wikipé­dia qui lui est con­sacré, il est excel­lent :
Mer­ci à Thier­ry qui me l’a indiqué.

https://es.wikipedia.org/wiki/La_cumparsita

et bien sûr, l’article de Todo Tan­go qui sert de base à la plu­part des autres pub­li­ca­tions…

https://www.todotango.com/historias/cronica/90/La-cumparsita

La cumpar­si­ta. La joyeuse bande d’étudiants, défi­lant sur la musique de marche, se trans­forme en une marée de lourds spec­tres avec les paroles de La cumpar­si­ta et notam­ment celles de Ger­ar­do Hernán Matos Rodríguez.

Vous avez peut-être été éton­nés de l’image de cou­ver­ture. Elle évoque une des par­ti­tions, dédi­cacée à ses amis. Mais les paroles, tristes, voire trag­iques m’ont incitées à trou­bler la fête en don­nant des allures de spec­tres aux fêtards.

Invierno 1937-08-19 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Horacio Gemignani Pettorossi Letra: Enrique Domingo Cadícamo

Invier­no est sans doute un des tan­gos préférés des danseurs qui aiment Canaro. Avec un nom pareil, on se doute qu’on va par­ler de froid, d’hiver, en somme, mais avez-vous fait atten­tion aux émou­vantes paroles de Cadí­camo ? Je vous offre en prime le texte com­plet de Cadí­camo. Prenez votre man­teau et votre écharpe et entrons au cœur de l’hiver.

Extrait musical

Invier­no 1937-08-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da
Disque et par­ti­tion de Invier­no

Il n’est pas sûr, qu’il soit néces­saire de décrire cet enreg­istrement tant il est con­nu. On notera l’in­ter­ven­tion des instru­ments à vent (cuiv­res) typ­iques de Canaro. Le rythme est appuyé, comme un celui d’un homme marchant dans une neige épaisse.
La voix de Mai­da, sur­v­ole l’orchestre qui atténue ses pas lourds pour laiss­er la place au chanteur. C’est du Canaro typ­ique et effi­cace. D’ailleurs, les orchestres con­tem­po­rains qui repren­dront le titre s’in­spireront assez forte­ment de cette ver­sion pour faire leurs pro­pres ver­sions. Nous en ver­rons quelques-unes en fin d’ar­ti­cle.

Paroles

Des­de aquel bal­cón
Baja una can­ción,
Que es como un jirón
De una esper­an­za…
Su inten­ción es la deses­per­an­za cru­el
Que me arrin­cona más
En esta soledad.
Des­de aquel bal­cón
Rue­da una can­ción,
Que en la noche negra
Dice así:

Volvió…
El invier­no con su blan­co ajuar,
Ya la escar­cha comen­zó a bril­lar
En mi vida sin amor.
Pro­fun­do pade­cer
Que me hace com­pren­der,
Que hal­larse solo, es un hor­ror.

Y al ver…
Cómo soplan en mi corazón,
Vien­tos fríos de des­o­lación
Quiero llo­rar.
Porque mi alma lle­va
Bru­mas de un invier­no,
Que hoy no puedo disi­par…

En aquel bal­cón
Cesa la can­ción,
Pero igual la escuchan mis oídos
Y es que por el eco persegui­do estoy.
Y todo su dolor
Embar­ga el corazón.
Para qué quer­ré
Esta vida yo,
Cuan­do no me que­da juven­tud…
Hora­cio Gemignani Pet­torossi Letra: Enrique Domin­go Cadí­camo

Rober­to Mai­da chante unique­ment ce qui est en gras, c’est-à-dire le texte annon­cé comme étant la chan­son écoutée par le nar­ra­teur.

Traduction libre

Depuis ce bal­con, une chan­son descend, qui est comme un lam­beau d’e­spoir…
Son sujet est le dés­espoir cru­el qui m’en­fonce davan­tage dans cette soli­tude.
Depuis ce bal­con roule une chan­son qui, dans la nuit noire, dit ceci :
Il est revenu…
L’hiv­er avec ses atours blancs,
Déjà le givre a com­mencé à briller dans ma vie sans amour.
Une souf­france pro­fonde qui me fait com­pren­dre qu’être seul, c’est une hor­reur.
Et quand je vois…
Comme ils souf­flent dans mon cœur, les vents froids de la déso­la­tion, j’ai envie de pleur­er.
Parce que mon âme porte les brumes d’un hiv­er, qu’au­jour­d’hui je ne peux pas dis­siper…

Sur ce bal­con, la chan­son s’ar­rête, mais mes oreilles l’en­ten­dent encore, car l’é­cho me pour­suit.
Et toute sa douleur paral­yse le cœur.
Pourquoi, moi, voudrais-je cette vie, alors que je n’ai plus de jeunesse…

Autres versions

Je serai ten­té de dire qu’il n’y a pas d’autre ver­sion, mais ce ne serait pas sym­pa­thique pour les orchestres con­tem­po­rains qui ont remis le titre à la mode.
Je sig­nale tout de même qu’il existe au moins deux autres tan­gos qui s’appellent Invier­no, com­posés par Arturo Bet­toni avec des paroles de Ramón Abel­lá (Rafael Jorge Abel­lá) pour le pre­mier et Eduar­do Bian­co avec Arau­jo (paroles et musique) pour le sec­ond.
Je vous pro­pose seule­ment ici, les ver­sions issues de Hora­cio Gemignani Pet­torossi et Enrique Domin­go Cadí­camo.

Invier­no 1937-08-19 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est notre tan­go du jour.
Invier­no 2013-11-30 — Hype­r­i­on Ensem­ble con Rubén Peloni
Invier­no 2015 — Cuar­te­to Mulen­ga con Max­i­m­il­iano Agüero
Invier­no 2015 — Orques­ta Típi­ca Mis­te­riosa con Car­los Rossi
Invier­no 2015c — Solo Tan­go Orques­ta
Invier­no 2017-10 — Orques­ta Román­ti­ca Milonguera con Marisol Martínez y Rober­to Minon­di.

 Une orches­tra­tion orig­i­nale et un duo, homme femme, com­ment résis­ter à cette ver­sion ?

Invier­no 2018 — Orques­ta Típi­ca Mis­te­riosa con Eliana Sosa

De nou­veau la Mis­te­riosa dans une autre ver­sion, cette fois chan­tée par une femme, Eliana Sosa. Mer­ci à Thier­ry, mon, tal­entueux cor­recteur qui détecte les coquille et a remar­qué que j’avais mis deux fois la même ver­sion de Invier­no par la Típi­ca Mis­te­riosa. Main­tenant, vous avez bien ici Eliana Sosa qui a égale­ment enreg­istré avec Juan Pablo Gal­lar­do et a réal­isé deux dis­ques, Sin­er­gia tanguera et De donde ven­go (dans lequel elle chante égale­ment ses pro­pres com­po­si­tions).

Et pour ter­min­er en vidéo, un enreg­istrement de 2017 du Cuar­te­to Mulen­ga à la milon­ga Parakul­tur­al.

Frío 1938-07-26 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Joaquín Mauricio Mora Letra: José María Contursi

Sans doute influ­encé par la tem­péra­ture polaire de ces derniers jours à Buenos Aires, j’ai choisi Frío (Froid) pour l’anecdote du jour. Cette ver­sion mag­nifique et presque orphe­line a été enreg­istrée par Canaro et Mai­da il y a exacte­ment 83 ans… Cet enreg­istrement par­le d’un froid interne, mais il a été enreg­istré en hiv­er, comme l’a été l’année précé­dente Invier­no (l’hiver) par les mêmes… Je vous invite à grelot­ter.

Un petit mot sur Joaquín Mauricio Mora (1905–1979)

Cer­tains tal­ents passent un peu dans l’oubli, tout comme ce mag­nifique tan­go du jour et je suis con­tent de les rap­pel­er à notre sou­venir.
Joaquín Mora est né en 1905 en Uruguay, d’une mère de ce pays et d’un père argentin. Il fit de sérieuses études musi­cales au point de devenir pro­fesseur de piano et il se toqua pour le ban­donéon qui bien qu’aussi un instru­ment à touch­es exige une dex­térité dif­férente. Avec cet instru­ment qu’il apprit de façon auto­di­dacte, il jouera dans de nom­breux orchestres, par exem­ple avec Azu­ce­na Maizani et le Trio Irus­ta-Fuga­zot-Demare en Europe et il fut l’un des ban­donéon­istes de Miguel Caló.

Por­traits de Joaquin Mora. En haut dans l’orchestre de Miguel Calo en 1935, en bas avec les musi­ciens de son orchestre en 1936. À droite, avec son orchestre en Uruguay

Il tour­na égale­ment en Amérique du Sud, et joua même avec la Sono­ra Matancera (en 1949).

Cartes de musi­cien de Mora : Colom­bie — Man­agua au Nicaragua — Medel­lín (Colom­bie).

Un jour il perdit son ban­donéon et il con­tin­ua comme pianiste…
Mais il fut aus­si un com­pos­i­teur intéres­sant.
Par­mi ses com­po­si­tions, citons celles dont nous avons des enreg­istrements. Une bonne par­tie étant avec des paroles de Con­tur­si :
Al ver­la pasar / Como aque­l­la prince­sa / Escla­vo / Frío / Más allá / Sin esper­an­za (Vals)
Tan­gos sans paroles de Con­tur­si (instru­men­taux ou avec d’autres paroliers) :
Div­ina (marche puis en tan­go) / En las som­bras / Mar­gari­ta Gau­thi­er / Si volviera Jesús / Ushua­ia / Volver a ver­nos / Yo soy aquel mucha­cho

Extrait musical

Frío 1938-07-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da.

Le mode mineur pré­dom­i­nant dans cette musique donne un air de tristesse. Mai­da chante déli­cate­ment, mais en suiv­ant le rythme soutenu de l’orchestre qui ne se calmera que dans les dernières sec­on­des par un ralen­tisse­ment (cal­en­do ou même moren­do).

Paroles

De vrai­ment très belles paroles, mais José María Con­tur­si nous a habitué à ces textes splen­dides et sim­ples.

Por qué seguir penan­do así
Si el sol no bril­la para mí,
En esta noche inacabable, mi quer­er
Se desan­gra lenta­mente por ti.

No sé si el vien­to lle­vará
Mi voz, cansa­da de lla­mar,
Giro la vista, angus­ti­a­do
De ver a mi lado
Som­bras, nada más.

Me ago­b­ia el peso de las penas mías
Anduve tan­to y tan­to, sin lle­gar,
Mi espíritu cansa­do, nece­si­ta
Que­brar sus alas mus­tias y olvi­dar.
Si encon­trara un reparo en el camino
Donde el alma pudiera cobi­jar,
Garúa de recuer­dos y este frío
Este frío mor­tal, mi soledad.

Busqué la paz en la oración
Mi voz, un rezo musitó,
Y en las pal­abras,
Las primeras que aprendí
Y el recuer­do de mi madre, me ahogó.

Joaquín Mauri­cio Mora Letra: José María Con­tur­si

Rober­to Mai­da ne change que ce qui est en gras. Podestá, chante tout et fait même des repris­es…

Traduction libre des paroles

Pourquoi con­tin­uer à pleur­er ain­si si le soleil ne brille pas pour moi, en cette nuit sans fin, mon amour saigne lente­ment pour toi.
Je ne sais pas si le vent portera ma voix, fatiguée d’ap­pel­er, je détourne le regard, angois­sé de voir des ombres à mon côté, rien de plus.
Le poids de mes peines me sub­merge, j’ai tant et tant marché, sans arriv­er, mon esprit fatigué, a besoin de bris­er ses ailes desséchées et d’ou­bli­er.
Si je trou­vais une retraite sur le chemin où l’âme pou­vait s’abrit­er, un crachin (pluie fine) de sou­venirs et ce froid, ce froid mor­tel, ma soli­tude.
Je cher­chais la paix dans la prière, ma voix mur­mu­rait une obsécra­tion, et dans les mots, les pre­miers que j’ap­pris et le sou­venir de ma mère, je me noy­ais.

Ce joli texte et cette exquise musique n’ont pas fait beau­coup d’adeptes. On notera tout de même une ver­sion par Alber­to Podestá avec l’auteur, Joaquín Mora.

Frío 1938-07-26 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Rober­to Mai­da. C’est notre tan­go du jour.
Frío 1960 — Alber­to Podestá Acc. Joaquín Mora y su orques­ta.

On se rend compte avec cette ver­sion de l’écriture nova­trice de Mora que le clas­si­cisme de Canaro avait estom­pée. En fait, c’est presque l’inverse, car la musique de Mora donne des références à la musique clas­sique française de l’époque. Pfffff. Pas facile à expli­quer, tout cela.
C’est à écouter, mais c’est une belle réal­i­sa­tion.

À demain, les amis et mer­ci à ceux qui ont lu jusqu’au bout. Je me suis ren­du compte aujourd’hui que cer­tains ne voy­aient que le chapô et la pho­to sur Face­book, nég­ligeant de cli­quer sur le lien où se trou­ve l’anecdote du jour…

Faîtes pass­er l’in­fo si vous pensez que les anec­dotes peu­vent les intéress­er.

Les anec­dotes de tan­go, c’est un site, pas une pho­to avec trois lignes sur Face­book. Pensez à cli­quer sur le lien…

Maestrita de mis pagos 1955-05-31 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Osvaldo Bazán

Miguel Roberto Abrodos Letra: Eugenio Majul

La valse du jour a été écrite par deux auteurs dont vous con­nais­sez au moins une autre valse, Her­mana par De Ange­lis et Godoy. Maestri­ta de mis pagos est une autre valse, sans doute très rare, mais joli­ment inter­prétée par Gorio et Bazán. Elle mérite donc qu’on s’y arrête, d’autant plus que le texte s’adresse à un per­son­nage peu évo­qué dans le tan­go, la maîtresse… d’école.
En effet, maestri­ta de mis pagos sig­ni­fie, la petite maîtresse (petite mar­que l’affection) de mon vil­lage (l’ex­pres­sion “mis pagos” est surtout util­isé à la cam­pagne).

Extrait musical

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-31 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán.

La valse démarre tout de suite, l’alternance entre le piano et l’orchestre est ravis­sante. À 1 :30 Osval­do Bazán com­mence à chanter et à dire le réc­i­tatif. On notera qu’il ne dit pas le pre­mier réc­i­tatif.

Paroles

Recita­do:
Ya ves… no te olvi­do, maestri­ta lejana
Estás en mis ver­sos y estás en mi voz…
Como cuan­do el lirio de tus blan­cas canas
Per­fumó mi beso, que te dijo adiós…

Tus manos queri­das, cer­cadas aho­ra
Por ese recuer­do tan tibio y fugaz,
Mi pelo acari­cia, ven­cien­do las horas
Maestri­ta sufri­da que no he de ver más.

Qué lejos que­dose tu beso más tier­no
Y esa lagrim­i­ta qué lejos tam­bién,
Esa que llorabas, nerviosa en invier­no
Porque mis ropi­tas no abri­ga­ban bien.

Hoy te evo­co, maestri­ta de mis pagos
Madrecita encaneci­da, estás en mí,
Quién pudiera revivir viejos hala­gos
Bal­buce­an­do una lec­ción muy jun­to a ti.
O sigu­ien­do con su tra­zo un lápiz rojo
Con un sol de un “vis­to bueno” jun­to a él,
Encon­trar tu mano blan­ca ante mis ojos
En un sueño de alb­o­radas y de miel.

Recita­do:
Qué dis­tin­to el mun­do que soñé a tu lado
Sobre el fon­do blan­co de tu delan­tal,
Ron­di­ta del patio, pizarrón ama­do
Cuán­ta nieve el tiem­po, der­ramó en mi mal.

Volver un instante a los días risueños
Sería sin duda, volverte a escuchar,
Cer­ran­do los ojos, maestri­ta, entre sueños
Quizá has­ta te oyera, feliz, dele­trear.

Vería a la humilde y cor­dial cam­pani­ta
Lla­man­do a recreo, que­bra­da su voz,
Los cam­pos lin­deros, sus mil mar­gar­i­tas
Y todo un paisaje, miran­do hacia Dios.

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul

Miguel Rober­to Abro­dos Letra: Euge­nio Majul
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.
Il y a deux réc­i­tat­ifs (indiqués en bleu) et 5 cou­plets.
Osval­do Bazán chante ou dit tout ce qui est en gras.
Dante Ressia chante ou dit, tout et ter­mine en reprenant ce qui est en rouge.

Traduction libre et indications

Euge­nio Majul est avant tout un poète. Cela se remar­que déjà par la con­struc­tion de son texte, en dodéca­syl­labes avec coupe à l’hémistiche pour cer­tains vers, ce qui en fait qua­si­ment des alexan­drins. Les rimes sont en bonne par­tie rich­es. C’est donc un texte très tra­vail­lé, mais aus­si très long. Ce qui fait que la par­tie chan­tée de ces deux ver­sions est très impor­tante en pro­por­tion. Même si on sort de la péri­ode de l’âge d’or de la danse de tan­go, cette valse, notam­ment dans la ver­sion de Gorio, reste dans­able. Intéres­sons-nous main­tenant au texte que mal­heureuse­ment, je ne saurais pas trans­met­tre dans son essence poé­tique.

Petite maîtresse d’école de mon vil­lage

Réc­i­tatif
Là, tu vois… Je ne t’oublie pas, loin­taine maîtresse, tu es dans mes vers et tu es dans ma voix…
Comme quand le lys de tes cheveux blancs a par­fumé mon bais­er, qui t’a dit au revoir…
Vos chères mains, fer­mées main­tenant, de ce sou­venir si chaud et fugace, cares­saient mes cheveux, gag­nant les heures, maîtresse souf­frante que je ne ver­rai plus.
Comme est loin ton bais­er le plus ten­dre et cette petite larme si loin­taine aus­si, celle que tu as pleurée, nerveuse en hiv­er parce que mes vête­ments ne m’abritaient pas bien.
Aujourd’hui je t’évoque, maîtresse de mon vil­lage, petite mère aux cheveux gris, tu es en moi, qui pour­rais raviv­er de vieux encour­age­ments, moi, bal­bu­tiant une leçon tout con­tre toi.
Ou suiv­ant avec son tracé, un cray­on rouge, avec un soleil d’approbation à côté, décou­vrir ta main blanche devant mes yeux dans un rêve d’aube et de miel.
Réc­i­tatif
Comme le monde est dif­férent de ce que je rêvais à ton côté, sur le fond blanc de ton tabli­er, une ronde dans la cour, un tableau noir bien-aimé, com­bi­en de neige le temps a déver­sé sur mon mal.
Revenir un instant aux jours souri­ants serait sans doute, t’écouter de nou­veau, en fer­mant les yeux, petite maîtresse, dans mes rêves peut-être même irais-je jusqu’à t’entendre, heureux, épel­er.
Je ver­rais la petite cloche hum­ble et cor­diale appel­er à la récréa­tion, sa voix brisée, les champs voisins, leurs mille mar­guerites et tout un paysage, regar­dant vers Dieu.
Ce texte est donc une ode funèbre à son enseignante de pri­maire. Le rythme de la valse fait pass­er le mes­sage sans tristesse par­ti­c­ulière.

Autres versions

Cela va aller vite, il n’y a que deux enreg­istrements Notre valse du jour et une ver­sion par un chanteur plus rare, Dante Ressia. Les deux enreg­istrements se sont faits à 12 jours d’écart.

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-19 — Dante Ressia.

Cette valse en chan­son renoue avec la tra­di­tion des payadores, ces chanteurs impro­visa­teurs qui s’accompagnaient à la gui­tare. Pas d’improvisation dans ce cas, puisque le texte est écrit par le poète Euge­nio Majul.

Maestri­ta de mis pagos 1955-05-31 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán. C’est notre valse du jour.

Osval­do Bazán, chante beau­coup, mais cela va bien dans la musique et cette valse est tout à fait dansante. Peut-être à pass­er le 11 sep­tem­bre, jour des Mae­stros et des Maes­tras en Argen­tine. À ce sujet, le terme de mae­stro indique un enseignant d’école pri­maire…

Un petit cadeau pour mieux connaître les auteurs

Je vous pro­pose deux valses écrites par la même équipe, Miguel Rober­to Abro­dos et Euge­nio Majul ; Feliz cumpleaños mamá et Her­mana.

Feliz cumpleaños mamá 1954-11-05 — Orques­ta Juan Sánchez Gorio con Osval­do Bazán.

Même com­pos­i­teur, même paroli­er, même orchestre et même chanteur. Cela ne suf­fit pas pour faire une tan­da, mais pour com­pléter, on pour­ra piocher dans une des dix autres valses de Gorio avec Bazán, avec Luis Men­doza, avec le duo Men­doza- Bazán ou dans les valses instru­men­tales. Par exem­ple, avec A mi madre (à ma mère) pour com­pléter la valse d’anniversaire…

Pour con­tin­uer avec la famille, voici l’autre valse écrite par l’équipe et que vous con­nais­sez for­cé­ment. Il s’agit d’Her­mana (sœur) :

Her­mana 1958-09-26 — Orques­ta Alfre­do De Ange­lis con Juan Car­los Godoy.

Et pour ter­min­er une petite infor­ma­tion. Rober­to Abro­tos avait 8 frères et avec deux d’entre eux (Manuel et José), il a enreg­istré 600 titres de folk­lore, vous les trou­vez sur leurs nom­breux dis­ques (78 tours) sous le nom de Los her­manos Abro­dos.

Si vous voulez en savoir plus sur ces pio­nniers du folk­lore, je vous con­seille cet arti­cle réal­isé à par­tir de repro­duc­tion d’articles tirés de la revue Revista folk­lore.

Et pour les écouter, leur canal YouTube ou une bonne par­tie de leur discogra­phie est pro­posée…

Moli­na Cam­pos, escueli­ta criol­la (petite école de cham­pagne en Argen­tine). Prob­a­ble­ment le type de celle dont par­le la valse, mais avec une maîtresse plus avenante…
Intér­pré­ta­tion de Moli­na Cam­pos, escueli­ta criol­la. J’ai essayé de don­ner une tête plus humaine à la maîtresse…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Sebastián Piana Letra: Homero Manzi

Manzi est le chantre de Buenos Aires. Il nous par­le de son vécu, dans sa ville et des per­son­nages de la vie quo­ti­di­enne à tra­vers ses textes de tan­go comme : Bar­rio de tan­go, El ulti­mo organ­i­to, El pes­cante, Manoblan­ca et bien sûr, Sur. Notre valse du jour, Esquinas porteñas, est de cette veine. Ses esquinas (angles de rues) et ses ruelles sont chargées de l’émotion si fine­ment exprimée par Var­gas.

 On ne présente plus l’association des deux anges, Ángel D’Agostino et Ángel Var­gas. C’est une de ces com­bi­naisons mag­iques qui de 1940 à 1946 nous a pro­posé près d’une cen­taine de mer­veilles enreg­istrées.
Cette asso­ci­a­tion fonc­tionne si bien, qu’il est très rare que l’on pro­pose un D’Agostino avec un autre chanteur ou instru­men­tal. La seule excep­tion, bien sûr, Café Domínguez qui est un casse-tête pour les DJ. Soit on reste cohérent sur le style avec des tan­gos de la même époque et le résul­tat est moyen, soit on fait un bond en changeant de style pour con­tin­uer la tan­da avec un des mer­veilleux titres enreg­istrés avec Var­gas. La plu­part des DJ font ce choix.

Extrait musical

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas.
Esquinas porteñas, Sebastián Piana Letra: Home­ro Manzi

Paroles

Esquina de bar­rio porteño
te pin­tan los muros la luna y el sol.
Te llo­ran las llu­vias de invier­no
en las acuare­las de mi evo­cación.
Trein­ta lunas cono­cen mi heri­da
y cien cal­lecitas nos vieron pasar.
Se cruzaron tu vida y mi vida,
tomaste la sen­da que no vuelve más.

Calles, donde la vida mansa
perdió las esper­an­zas,
la pasión y la fe.
Calles, sí sé que ya está muer­ta,
gol­pe­an­do en cada puer­ta
por qué la bus­caré.
Cal­lecitas, som­breadas de poesía,
nos vieron ir un día
felices los dos.
Com­pañera del sol y las estrel­las,
se fue la tarde aque­l­la
camino de Dios.

Los vien­tos mur­mu­ran mi pena.
Las som­bras me dicen que ya se marchó.
Y escrito en las noches ser­e­nas
encuen­tro su nom­bre como una obsesión.
Esquini­ta de bar­rio porteño,
con muros pin­ta­dos de luna y de sol,
que al llo­rar con tus llu­vias de invier­no
manchás el paisaje de mi evo­cación.

Sebastián Piana Letra : Home­ro Manzi

Fer­nan­do Díaz chante ce qui est en gras et bleu
Ernesto Famá chante tout ce qui est en gras (bleu et noir).
Igna­cio Corsi­ni et Mer­cedes Simone chante tout et reprend ce qui est en gras et bleu.
Ángel Var­gas chante ce qui est en gras et reprend ce qui est en gras et bleu.
Rubén Cané chante tout ce qui est en gras, con­tin­ue avec la pre­mière par­tie du dernier cou­plet (ce qui est souligné) et reprend la fin du pre­mier cou­plet, ce qui est en gras et souligné.

Traduction libre et indications

Angle de rues (esquina, c’est le coin de rue. Je garde esquina pour la suite, car c’est plus joli) d’un quarti­er de Buenos Aires (porteño, du port. Une des rares villes por­tu­aires, dont les habi­tants s’appellent selon cette car­ac­téris­tique, plus que d’après le nom de la ville), la lune et le soleil peignent tes murs.
Les pluies d’hiver te pleurent dans les aquarelles de mon évo­ca­tion.
Trente lunes con­nais­sent ma blessure et cent petites rues nous virent pass­er.
Ta vie et ma vie se sont croisées, tu as pris le chemin qui ne revient jamais.

Rues, où la vie douce per­dait les espérances, la pas­sion et la foi.
Rues, si je sais qu’elle est déjà morte, pourquoi je la chercherais en frap­pant à toutes les portes ?
Les ruelles, ombragées de poésie, nous ont vus un jour, heureux tous les deux.
Com­pagne du soleil et des étoiles, elle est par­tie cette après-midi-là, sur le chemin de Dieu.

Les vents mur­murent ma peine.
Les ombres me dis­ent qu’elle est déjà fanée.
Et j’ai écrit dans les nuits sere­ines, trou­vant son nom comme une obses­sion.
Esquina de bar­rio porteño, aux murs peints par la lune et le soleil, qui, lorsque tu pleures avec tes pluies hiver­nales, tu tach­es le paysage avec mon évo­ca­tion.

Autres versions

Esquinas porteñas 1934-03-23 – Orques­ta Fran­cis­co Lomu­to con Fer­nan­do Díaz.

La plus anci­enne ver­sion enreg­istrée, rel­a­tive­ment lente.

Esquinas porteñas 1934-03-27 – Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Ernesto Famá.

Dans le rythme très lent que Canaro sem­ble affec­tion­ner. On peut remar­quer une belle intro­duc­tion que l’on ne retrou­ve pas dans la ver­sion enreg­istrée par son « jumeau » qua­tre jours plus tôt. L’interprétation a un car­ac­tère un peu ranchera. Cela tourne vrai­ment très tran­quille­ment, un peu pesam­ment.

Esquinas porteñas 1934-04-05 — Igna­cio Corsi­ni con gui­tar­ras de Pagés-Pesoa-Maciel.

Une ver­sion un peu plain­tive où Corsi­ni chante l’intégralité des paroles.

Esquinas porteñas 1934-04-25 — Mer­cedes Simone con orques­ta.

Même si c’est une ver­sion a pri­ori à écouter, cette superbe ver­sion mérite à mon avis d’être dan­sée. Le rythme est beau­coup plus rapi­de. L’orchestre est en retrait pour laiss­er la place à Mer­cedes, mais la struc­ture de la valse est tou­jours per­cep­ti­ble, ce qui facilit­era la danse. On pour­ra en out­re la com­par­er à l’enregistrement de 1966 que je vous pro­pose égale­ment ci-dessous…

Esquinas porteñas 1942-05-22 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Ángel Var­gas. C’est notre valse du jour.

Il fal­lait au moins les deux anges pour rester au niveau de la ver­sion de Mer­cedes Simone. Défi relevé. Là encore le rythme est rapi­de. On retrou­ve la belle sonorité de D’Arienzo qui recherche en plus a être tou­jours effi­cace pour les danseurs, tout du moins dans les années 40.

Esquinas porteñas 1953-02-02 — Orques­ta Ángel D’Agostino con Rubén Cané.

En 1953, D’Agostino essaye de relancer son titre avec le chanteur qui a rem­placé Var­gas, Rubén Cané. Je vous laisse juger du résul­tat. Je trou­ve l’orchestre un peu siru­peux, moins incisif. Cela reste dansant, mais c’est sans doute moins effi­cace pour faire se lancer les danseurs sur la piste.

Esquinas porteñas 1966 — Mer­cedes Simone con acomp. de Emilio Brameri.

La voix de Mer­cedes Simone est plus mûre, mais elle trans­met tou­jours de l’émotion. J’aime bien l’introduction et les tran­si­tions de l’orchestre entre les phras­es chan­tées par Mer­cedes, sont assez orig­i­nales. De la très belle ouvrage de la part de l’orchestre Brameri, encore un orchestre qui n’a pas tout à fait pass­er la porte de la postérité. Brameri était pianiste, vio­loniste, accordéon­iste, com­pos­i­teur et directeur d’orchestre…

Il y a bien sûr d’autres enreg­istrements postérieurs de cette mag­nifique valse, mais je trou­ve bien de ter­min­er avec elle, d’autant plus que la fin un peu spec­tac­u­laire laisse claire­ment appa­raître « FIN », comme au ciné­ma. Et toc…

Esquinas porteñas.

Tu olvido 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo con Walter Cabral

Vicente Spina (Paroles et musique)

Encore une his­toire qui sent la rose. Il faut dire que quand on s’appelle Spina (épine en ital­ien), la rose est une source d’inspiration naturelle. La ver­sion enreg­istrée par D’Arienzo et Cabral est une des fleurs qui ont éclos aux sons de cette mag­nifique valse, il y a exacte­ment 88 ans.

Extrait musical

Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral.

La valse démarre au quart de tour, comme sur un coup de maniv­elle. On est bien au début de la péri­ode Bia­gi dans l’orchestre de D’Arienzo, mais le piano est bien dis­cret. Tout juste quelques ponc­tu­a­tions comme à 1 : 17 entre deux phras­es chan­tées par Cabral. Le vio­lon, l’instrument de D’Arienzo est plus mis en vedette, en com­pag­nie de la voix un peu aigre de Cabral. La valse qui avait démar­ré sem­ble se lancer à toute vitesse sur la fin. C’est une illu­sion don­née notam­ment par les notes dou­blées du piano. Cette façon de ter­min­er dans l’euphorie est typ­ique des valses de D’Arienzo. On en viendrait à oubli­er totale­ment que les paroles sont un peu tristes. Cepen­dant, Cabral n’en chante qu’un tout petit bout, alors on ne s’en rend pas compte, emporté par la frénésie tour­bil­lon­nante de cette valse.

La par­ti­tion de la valse nous révèle que c’est un vals criol­lo. Ce détail a son impor­tance comme nous le ver­rons avec les autres ver­sions.

Paroles

Han bro­ta­do otra vez los ros­ales
jun­to al muro en el viejo jardín,
donde tu alma sel­ló un jura­men­to,
amor de un momen­to
que hoy lloro su fin.
Tier­no llan­to de amor fuera el tuyo
que en tus ojos divi­nos bebí.
Ojos fal­sos que así me engañaron
al ver que llo­raron los míos por ti.

Mas los años al pasar me hicieron
com­pren­der la triste real­i­dad.
Que tan solo es ilusión,
lo que amamos de ver­dad.
Sin embar­go cuan­do en los ros­ales
rena­cen las flo­res
los viejos amores
con sus madri­gales
tor­nan como entonces a mi corazón.

Cuan­do vuel­van las noches de invier­no
y se cubra de nieve el jardín,
si estás triste sabrás acor­darte
de aquel que al amarte
no supo men­tir.
No es mi can­to un reproche a tu olvi­do,
ni un con­sue­lo te ven­go a pedir,
sólo al ver el ros­al flo­re­ci­do:
el sueño per­di­do lo vuel­vo a vivir.

Vicente Spina (Paroles et musique)

Wal­ter Cabral ne chante que la par­tie en gras

Traduction libre

Les rosiers ont repoussé le long du mur du vieux jardin, où ton âme a scel­lé un ser­ment, l’amour d’un moment qui aujourd’hui a pleuré sa fin.
De ten­dres larmes d’amour étaient tiennes que j’ai bues dans tes yeux divins.
Des yeux faux qui m’ont trompé quand ils ont vu que les miens pleu­raient pour toi.

Mais les années qui ont passé m’ont fait com­pren­dre la triste réal­ité.
Que ce n’est qu’une illu­sion, ce que nous aimons vrai­ment.
Cepen­dant, lorsque sur les rosiers renais­sent les fleurs,
les vieux amours avec leurs madri­gaux revi­en­nent, comme ils le fai­saient alors, dans mon cœur.

Quand les nuits d’hiver revien­dront et que le jardin sera cou­vert de neige, si tu es triste tu sauras te sou­venir de celui qui n’a pas su men­tir quand il t’aimait.
Mon chant n’est pas un reproche à ton oubli ni une con­so­la­tion que je viens te deman­der, seule­ment quand je vois le rosier fleurir : le rêve perd, je le revis.

Autres versions

Tu olvi­do 1932-06-02 — Alber­to Gómez y Augus­to “Tito” Vila con acomp. de gui­tares.

Cette ver­sion est la plus anci­enne. Le duo Gómez et “Tito” Vila chante à la tierce la total­ité des paroles en reprenant le sec­ond cou­plet. On retrou­ve dans cette ver­sion les sonorités du vals criol­lo.

Tu olvi­do 1936-05-08 — Orques­ta Juan D’Arienzo con Wal­ter Cabral. C’est notre valse du jour.
Tu olvi­do 1946-12-19 — Orques­ta Ricar­do Tan­turi con Osval­do Ribó y Rober­to Videla.

Tan­turi aban­donne le principe d’introduction de D’Arienzo et Gómez avec « Tito » Vila. La valse tourne avec énergie. Con­traire­ment à Gómez et « Tito » Vila, le duo est aus­si en dia­logue en plus d’être en phase, à la tierce. La fin est une lente éclo­sion. En résumé, une belle ver­sion, très dif­férente de celle de D’Arienzo, mais tout aus­si géniale à danser.

Tu olvi­do 1951c — Andres Fal­gas Con Orques­ta Rober­to Pansera.

La sonorité de Pansera est un peu légère. Le Duo chante de nou­veau à la tierce. Les voix sont les vedettes de cette ver­sion où l’orchestre est très dis­cret.

Tu olvi­do 1952-04-25 — Orques­ta Eduar­do Del Piano con Mario Bus­tos y Héc­tor De Rosas.

Encore un duo servi par un orchestre, cette fois plus expres­sif, avec un bien piano présent. Des ponc­tu­a­tions de l’orchestre mar­quent les moments de pause des chanteurs. Cette ver­sion sans doute plus rare reste dans­able et peut aider à renou­vel­er le plaisir des oreilles des danseurs. La fin est aus­si en ralen­tisse­ment, l’opposé de D’Arienzo, mais moins ralen­tie que la ver­sion de Tan­turi. Chaque orchestre imprime sa mar­que au titre.

Tu olvi­do 1960 c — Orques­ta Eliseo March­ese con Agustín y Mar­ión Copel­li.

L’orchestre Eliseo March­ese sert l’accompagnement au cou­ple des Copel­li. Ici, femme et homme chantent à la dix­ième (octave plus tierce). Cela se laisse écouter, mais je ne le pro­poserai sans doute pas en milon­ga, mal­gré l’étonnante fin en cas­cade.

Tu olvi­do 1969 — Trio Ciri­a­co Ortiz. Le folk­lore s’inspire et inspire.

Ici, cette ver­sion par le trio de Ciri­a­co Ortiz est claire­ment des­tinée à la danse, mais plutôt dans un mou­ve­ment folk­lorique, voire musette. La ver­sion est sans doute un peu monot­o­ne et rapi­de pour en faire une valse de tan­go argentin.

Tu olvi­do 1981 — Orques­ta Leopol­do Fed­eri­co con Car­los Gari.

Avec cette valse signée par Fed­eri­co, on est l’opposé du folk­lore. Une recherche d’élégance change totale­ment le car­ac­tère de cette valse, qui n’est prob­a­ble­ment plus du tout à pro­pos­er pour la danse. Écou­tons-là donc.

Tu olvi­do 1999-04-05 — Los Vis­con­ti. Encore une ver­sion folk­lorique.

Avec un car­ac­tère évo­quant la ranchera. Les danseurs de folk­lore ont une autre ver­sion à choisir. Le rythme est plus lent que la ver­sion de Ciri­a­co Ortiz. On n’est plus dans le musette.

Tu olvi­do 2002 — Armenonville. Armenonville renoue avec la tra­di­tion de la flûte et de la gui­tare.

Le ban­donéon et le vio­lon sont égale­ment exploités de façon légère, ce que con­firme le chant. Une ver­sion qui se laisse écouter, mais qui ne devrait pas provo­quer de réac­tions pas­sion­nées chez les danseurs…

Pour ter­min­er une ver­sion en vidéo avec les deux Alber­tos, Alber­to Podestá et Alber­to Mari­no. Cette presta­tion a été enreg­istrée en 2011 dans l’émission El Tanga­zo. Les chaînes argen­tines entre­ti­en­nent fidèle­ment la nos­tal­gie en met­tant en valeur notre musique de tan­go.

Alber­to Podes­ta y Alber­to Mari­no en duo, dans l’émission El Tanga­zo, 2011 sur Cron­i­ca TV. Un grand moment.

Tu olvi­do. Quand l’amour ne fait pas son boulot…