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Ils ont détruit la maison de Pichuco !

Même si Pichu­co con­sid­érait que sa véri­ta­ble mai­son était celle de la rue Sol­er au 3280, c’est bien au 2937 de la rue José Anto­nio Cabr­era qu’il est né, le 11 juil­let 1914. La mère d’Aníbal n’est retournée rue Sol­er qu’à la mort du père de Troi­lo, en 1922.
Cette mai­son a con­nu divers usages au cours du temps, comme en témoignent quelques pho­tos his­toriques.
Si j’ai décidé d’en par­ler aujourd’hui, c’est qu’elle vient d’être détru­ite pour un pro­jet immo­bili­er.

La maison natale de Aníbal Troilo

La mai­son natale de Pichu­co, rue José Anto­nio Cabr­era 2937

Aníbal Carme­lo Troi­lo, le père, et Felisa Bag­no­lo, la mère, louèrent cette mai­son, par suite du drame de la mort de Con­cep­ción, celle qui aurait dû être la grande sœur du ban­doneón may­or de Buenos Aires.

Les par­ents et Mar­cos, l’aîné, démé­nagèrent donc dans la mai­son de la rue Cabr­era où naquit le petit Pichu­co.

Ils y restèrent peu de temps, car, en 1922, le père mourait à son tour. La mère retour­na alors dans la mai­son famil­iale de la rue Sol­er, celle qu’a donc le mieux con­nue Aníbal et qui en dis­ait :

“Yo nací en una casa de Cabr­era 2937, pero mi casa fue la de Sol­er 3280”.

Je suis né dans une mai­son de Cabr­era 2937, mais ma mai­son fut celle de Sol­er 3280.

Mai­son natale de Troi­lo à dif­férentes épo­ques. Avant 1998, à gauche, vers 2011 (présence d’une milon­ga), 2024, une des dernières pho­tos avec le bâti­ment debout. Celui à sa gauche a déjà été rem­placé. 2025, pen­dant la destruc­tion de la semaine du 21 au 25 avril.
La plaque posée en 2008 déclarant la mai­son comme site d’in­térêt cul­turel. Cela n’a pas empêché sa destruc­tion…

La maison de Soler 3280

C’est la mai­son famil­iale jusqu’en 1914 et après 1922. Celle que Pichu­co con­sid­ère comme la sienne.

La mai­son de la rue Sol­er au 3280. À droite, la plaque posée le 11 juil­let 1976 pour l’an­niver­saire de la nais­sance, l’année suiv­ant la mort de Pichu­co.

La fausse maison de Aníbal Troilo

Au 2540 rue Car­los Cal­vo, il y a eu “La Casa de Aníbal Troi­lo”. Cet étab­lisse­ment de spec­ta­cle n’a pas de rap­port direct avec notre gros, favori. Plus tard, le bâti­ment a été réu­til­isé par Cacho Cas­taña, l’auteur de Café la Humedad, chan­son qui a don­né le nom à son étab­lisse­ment.

Atten­tion, le Café de la Humedad de la rue Car­los Cal­vo n’est pas le café orig­i­nal. En effet, celui-ci était, comme le dit la chan­son, à l’angle de Gaona y Boy­a­ca.

L’emplacement orig­i­nal du Café la Humedad, à l’an­gle de Gaona y Boy­a­ca.

Les paroles de la chanson de Cacho Castaña

Humedad, lloviz­na y frío
Mi alien­to empaña el vidrio azul del viejo bar
No me pre­gun­ten si hace mucho que la espero
Un café que ya está frío y hace var­ios ceniceros

Aunque sé que nun­ca lle­ga
Siem­pre que llueve voy cor­rien­do has­ta el café
Y solo cuen­to con la com­pañía de un gato
Que al cordón de mi zap­a­to lo destroza con plac­er

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Yo sola­mente nece­si­to agrade­certe
La enseñan­za de tus noches
Que me ale­jan de la muerte

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Eter­na­mente te agradez­co las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Soledad, soledad de soltería
Son trein­ta abriles ya cansa­dos de soñar
Por eso vuel­vo has­ta la esquina del boliche
A bus­car la bar­ra eter­na de Gaona y Boy­a­ca

Ya son pocos los ami­gos que me quedan
Vamos, mucha­chos, esta noche a recor­dar
Una por una las haz­a­ñas de otros tiem­pos
Y el recuer­do del boliche que lla­mamos La Humedad

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Yo sola­mente nece­si­to agrade­certe
La enseñan­za de tus noches
Que me ale­jan de la muerte

Café La Humedad, bil­lar y reunión
Sába­do con tram­pas, qué lin­da fun­ción
Eter­na­mente te agradez­co las poesías
Que la escuela de tus noches
Le enseñaron a mis días

Cacho Cas­taña

Traduction libre

L’hu­mid­ité, la bru­ine et le froid
Mon haleine embue les vit­res bleues du vieux bar
Ne me deman­dez pas si je l’at­tends depuis longtemps
Un café déjà froid et ça fait plusieurs cen­dri­ers.
Bien que je sache qu’elle ne vient jamais.
Quand il pleut, je cours au café.
Et je n’ai que la com­pag­nie d’un chat.
Qui détru­it le lacet de ma chaus­sure avec plaisir
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
Same­di avec des tromperies, quel beau pro­gramme
J’ai juste besoin de te remerci­er
L’en­seigne­ment de tes nuits
Qui me tien­nent à l’é­cart de la mort
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
same­di avec des pièges, quel beau spec­ta­cle
Éter­nelle­ment, je te remer­cie pour les poèmes
Que l’é­cole de tes nuits
A enseigné à mes jours
Soli­tude, soli­tude du céli­bataire
C’est trente avrils, déjà fatigué de rêver
C’est pourquoi je retourne à l’angle du danc­ing
Pour chercher l’éter­nelle bande de Gaona et Boy­a­ca
Il ne me reste que peu d’amis
Allons‑y, les gars, ce soir, pour nous remé­mor­er
Un à un les exploits d’autre­fois
Et le sou­venir du danc­ing que nous appelons La Humedad.
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
Same­di avec des tromperies, quel beau pro­gramme
J’ai juste besoin de te remerci­er
L’en­seigne­ment de tes nuits
Qui me tien­nent à l’é­cart de la mort
Café La Humedad, bil­lard et ren­con­tre
same­di avec des pièges, quel beau spec­ta­cle
Éter­nelle­ment, je te remer­cie pour les poèmes
Que l’é­cole de tes nuits
A enseigné à mes jours.

Cacho Cas­taña

Je vous pro­pose de ter­min­er sur la chan­son nos­tal­gique de Cacho Cas­taña, chan­té par lui-même dans son étab­lisse­ment, Café la Humedad.

Café la Humedad, chan­té dans le théâtre Café la Humedad par son pro­prié­taire et auteur, Cacho Cas­taña.

Mano a mano 1987-08-22 – Roberto Goyeneche con la Orquesta de Osvaldo Pugliese

Carlos Gardel, José Razzano Letra: Celedonio Esteban Flores

Hier, en fouil­lant dans les vidéos de La yum­ba, sans doute l’œuvre où on a le plus de vues de Pugliese jouant et dirigeant son orchestre, une vidéo a attiré mon atten­tion. Il s’agit d’un con­cert don­né en 1987 où Rober­to Goyeneche a été accom­pa­g­né par l’orchestre de Osval­do Pugliese. Cette ren­con­tre au som­met entre ces deux idol­es du tan­go a donc été filmée et j’ai pen­sé que je devais vous partager ce morceau d’anthologie qui a été enreg­istré il y a exacte­ment 37 ans, jour pour jour.
Je pour­rai rajouter que les auteurs sont eux aus­si plutôt fameux, puisqu’il s’agit de Car­los Gardel et José Raz­zano pour la com­po­si­tion et Cele­do­nio Este­ban Flo­res pour les paroles.

Mano a mano, Osvaldo Pugliese et Roberto Goyeneche

Par­ti­tion de Mano a mano de Car­los Gardel et José Raz­zano avec des paroles de Cele­do­nio Flo­res.
Mano a mano — Rober­to Goyeneche con Osval­do Pugliese y su orques­ta. Enreg­istrement pub­lic au Teatro Opera de Buenos Aires (Aveni­da Cor­ri­entes 860) le 22 août 1987

Je pense que vous serez d’accord pour dire que cette vidéo est un mon­u­ment d’amitié, de respect et d’émotion. Un très grand moment du tan­go.

Paroles

Rechi­fla­do en mi tris­teza, te evo­co y veo que has sido
en mi pobre vida paria sólo una bue­na mujer.
Tu pres­en­cia de bacana puso calor en mi nido,
fuiste bue­na, con­se­cuente, y yo sé que me has queri­do
cómo no qui­siste a nadie, como no podrás quer­er.

Se dio el juego de remanye cuan­do vos, pobre per­can­ta,
gam­bete­abas la pobreza en la casa de pen­sión.
Hoy sos toda una bacana, la vida te ríe y can­ta,
Los mor­la­cos del otario los jugás a la marchan­ta
como jue­ga el gato maula con el mísero ratón.

Hoy tenés el mate lleno de infe­lices ilu­siones,
te engrupieron los otar­ios, las ami­gas y el gav­ión;
la milon­ga, entre mag­nates, con sus locas tenta­ciones,
donde tri­un­fan y clau­di­can milongueras pre­ten­siones,
se te ha entra­do muy aden­tro en tu pobre corazón.

Nada debo agrade­certe, mano a mano hemos queda­do;
no me impor­ta lo que has hecho, lo que hacés ni lo que harás…
Los favores recibidos creo habérte­los paga­do
y, si algu­na deu­da chi­ca sin quer­er se me ha olvi­da­do,
en la cuen­ta del otario que tenés se la cargás.

Mien­tras tan­to, que tus tri­un­fos, pobres tri­un­fos pasajeros,
sean una larga fila de riquezas y plac­er;
que el bacán que te acá­mala ten­ga pesos duraderos,
que te abrás de las paradas con cafishos milongueros
y que digan los mucha­chos: Es una bue­na mujer.
Y mañana, cuan­do seas desco­la­do mue­ble viejo
y no ten­gas esper­an­zas en tu pobre corazón,
sí pre­cisás una ayu­da, si te hace fal­ta un con­se­jo,
acor­date de este ami­go que ha de jugarse el pelle­jo
pa’ayu­darte en lo que pue­da cuan­do llegue la ocasión.
Car­los Gardel, José Raz­zano Letra: Cele­do­nio Este­ban Flo­res

Traduction libre et indications

Entravé (rechi­fla­do peut sig­ni­fi­er amoureux, ent­hou­si­aste, fou…) dans ma tristesse, je t’évoque et je vois que tu as été dans ma pau­vre vie de paria seule­ment une femme bonne.
Ta présence de femme (mul­ti­tude d’acceptions allant de ten­an­cière de bor­del à con­cu­bine en pas­sant par amante d’un homme riche) a mis de la chaleur dans mon nid, tu étais bonne, con­séquente, et je sais que tu m’as aimé comme tu n’as aimé per­son­ne, comme tu ne pour­ras pas aimer.
Il y avait un jeu de soupçon quand toi, pau­vre femme (amante, con­cu­bine), tu drib­blais (essay­er d’esquiver, comme au foot­ball) la pau­vreté dans la pen­sion.
Aujour­d’hui, tu as une femme établie (prob­a­ble­ment ten­an­cière de mai­son close), la vie rit et chante pour toi, les mor­la­cos (pesos, argent) de l’o­tario (idiot, niais, cave) tu les joues à la marchan­ta (action de jeter des pièces à des per­son­nes pau­vres pour qu’elles se jet­tent dessus en se bat­tant) comme le chat joue avec la mis­érable souris.
Aujour­d’hui, tu as le mate plein d’il­lu­sions mal­heureuses, tu as été gon­flé par les otar­ios, les amis et le chéri (fiancé…) ; La milon­ga, chez les mag­nats, avec ses folles ten­ta­tions, où les milongueras tri­om­phent et chutent, est entrée pro­fondé­ment dans ton pau­vre cœur.
Je n’ai rien que je doive te remerci­er, main dans la main nous sommes restés ; peu importe ce que tu as fait, ce que tu fais ou ce que tu feras…
Je crois t’avoir payé les faveurs que j’ai reçues, et si j’ai oublié par hasard quelque petite dette, tu la charg­eras sur le compte de l’o­tario que tu as.
En atten­dant que tes tri­om­phes, pau­vres tri­om­phes éphémères, soient une longue lignée de richess­es et de plaisirs ; que le bacán (riche), qui t’a dans son lit, ait des pesos durables, que tu t’ouvres des parades avec des prox­énètes milongueros et que les garçons dis­ent : c’est une femme bonne.
Et demain, quand tu seras défraîchie (passée de mode), un vieux meu­ble et que tu n’auras plus d’e­spoir dans ton pau­vre cœur, si tu as besoin d’aide, si tu as besoin de con­seils, sou­viens-toi de cet ami qui ris­quera sa peau pour t’aider de toutes les manières pos­si­bles lorsque l’oc­ca­sion se présen­tera.

Autres versions

Il y a des cen­taines d’autres ver­sions, à com­mencer par celles de Gardel, lui-même, mais aujourd’hui j’avais plutôt envie de vous faire partager la for­mi­da­ble cama­raderie des gens de tan­go.
Ce sera donc pour une autre fois… Je vais à la place vous dire quelques mots sur le chanteur, Rober­to Goyeneche.

Roberto Goyeneche

Goyeneche, le Polon­ais (El Pola­co), arrive un peu après la bataille, puisqu’il ne com­mence sa car­rière qu’en 1944. Il était alors âgé de 18 ans, son retard dans le mou­ve­ment du tan­go est donc plutôt de la faute de ses par­ents 😉
En revanche, il com­pense cela par une dic­tion ferme et un phrasé très par­ti­c­uli­er qui font que l’on tombe oblig­a­toire­ment sous son charme.
Arriv­er tard, n’est pas for­cé­ment une mau­vaise chose dans la mesure où à par­tir des années 50, le tan­go devient surtout une activ­ité de con­cert, plus que de danse. La radio, les dis­ques et la télévi­sion étaient friands de ces chanteurs expres­sifs et Goyeneche a su créer l’engouement dans le pub­lic.
Dans les années 40, un de ses col­lègues de l’orchestre de Hora­cio Sal­gán, le chanteur Ángel Díaz, lui don­na son surnom de Pola­co (Polon­ais).
Son pas­sage dans l’orchestre de Aníbal Troi­lo affer­mit sa gloire nais­sante, mais le fait qu’il donne une vision per­son­nelle des grands titres du réper­toire a égale­ment attiré la sym­pa­thie du pub­lic. Il a su ain­si per­son­nalis­er son réper­toire, en renou­ve­lant des titres qui étaient déjà fameux par d’autres chanteurs.
Par exem­ple, notre tan­go du jour avait été par­ti­c­ulière­ment appré­cié, notam­ment par Car­los Gardel (son auteur), Char­lo, Jorge Omar, Héc­tor Pala­cios, Rober­to Mai­da, Car­los Dante et même Nina Miran­da (en duo avec Rober­to Líster), Car­los Roldán et Julio Sosa, el Varon del tan­go. Il con­ve­nait donc de se démar­quer et Goyeneche sut le faire, faisant sou­vent oubli­er les ver­sions antérieures pour que le pub­lic ne reti­enne que la sienne, celle du chanteur avec la voix de sable, gar­gan­ta con are­na (gorge avec du sable). Cacho Cas­taña a d’ailleurs fait une chan­son hom­mage au Pola­co, Gar­gan­ta con are­na.

Garganta con arena

Je vous pro­pose de ter­min­er avec la chan­son de Cacho Cas­taña en l’honneur de Rober­to Goyeneche. Cacho a com­posé cette chan­son, quelques mois avant la mort de Rober­to. Ce dernier en enten­dant la chan­son fre­donnée dans la loge par Cacho Cas­taña s’est écrié, « Mais je suis encore vivant, che! » et il a demandé à Adri­ana Varela qui était égale­ment présente de l’enregistrer, ce qui fut fait, elle a enreg­istré la chan­son, avant Cacho.
Seize ans plus tard, Cacho et Adri­ana chantent le titre en duo. C’est la vidéo que je vous pro­pose de voir main­tenant.

Gar­gan­ta con are­na, la chan­son de Cacho Cas­taña en l’hon­neur de Rober­to Goyeneche, ici, en 2010 chan­té par Cacho Cas­taña et Adri­ana Varela.

Paroles

Ya ves, el día no amanece
Pola­co Goyeneche, cán­tame un tan­go más
Ya ves, la noche se hace larga
Tu vida tiene un kar­ma: Can­tar, siem­pre can­tar

Tu voz, que al tan­go lo emo­ciona
Dicien­do el pun­to y coma que nadie le can­tó
Tu voz, con duen­des y fan­tas­mas
Res­pi­ra con el asma de un viejo ban­doneón

Can­ta, gar­gan­ta con are­na
Tu voz tiene la pena que Male­na no can­tó
Can­ta, que Juárez te con­de­na
Al las­ti­mar tu pena con su blan­co ban­doneón

Can­ta, la gente está aplau­di­en­do
Y aunque te estés murien­do, no cono­cen tu dolor
Can­ta, que Troi­lo des­de el cielo
Deba­jo de tu almo­ha­da, un ver­so te dejó

Can­tor de un tan­go algo inso­lente
Hiciste que a la gente le duela, le duela tu dolor
Can­tor de un tan­go equi­lib­rista
Más que can­tor, artista con vicios de can­tor

Ya ves, a mí y a Buenos Aires
Nos fal­ta siem­pre el aire cuan­do no está tu voz
A vos, que tan­to me enseñaste
El día que can­taste con­mi­go una can­ción

Can­ta, gar­gan­ta con are­na
Tu voz tiene la pena que Male­na no can­tó
Can­ta, que Juárez te con­de­na
Al las­ti­mar tu pena con su blan­co ban­doneón

Can­ta, la gente está aplau­di­en­do
Y aunque te estés murien­do, no cono­cen tu dolor
Can­ta, que Troi­lo des­de el cielo
Deba­jo de tu almo­ha­da, un ver­so te dejó
Cacho Cas­taña

Traduction libre de Garganta con arena

Tu vois, le jour ne se lève pas.
Pola­co Goyeneche, chante-moi encore un tan­go.
Tu vois, la nuit se fait longue.
Ta vie a du kar­ma : Chante, chante tou­jours
Ta voix, qui émeut le tan­go, dis­ant le point-vir­gule que per­son­ne jamais n’a chan­té.
Ta voix, avec des lutins (duen­des, sorte de gnomes de la mytholo­gie espag­nole et argen­tine) et des fan­tômes, respirez avec l’asthme d’un vieux ban­donéon.

Chante, gorge avec du sable.
Ta voix a le cha­grin que Male­na n’a pas chan­té.
Chante, que Juárez te con­damne en blessant ton cha­grin avec son ban­donéon blanc. (Rubén Juárez était un jeune chanteur de 21 ans de moins que Goyeneche, qui s’accompagnait au ban­donéon, ce qui est très rare. Troi­lo, lui-même, chan­tait par­fois quelques instants, mais jamais une véri­ta­ble par­tie de chanteur. Goyeneche a dit de Juárez : « Dans un an, on par­lera beau­coup de ce gamin ; dans deux ans, il nous coupera la tête à tous.»).
Chante, les gens applaud­is­sent.
Et même si tu te meurs, ils ne con­nais­sent pas ta douleur. Chante, que Troi­lo depuis le ciel, sous ton oreiller, un cou­plet, il t’a lais­sé.

Chanteur d’un tan­go un peu inso­lent, tu as fait que les gens aient mal, que ta douleur fasse mal.
Chanteur d’un tan­go équilib­riste, plus qu’un chanteur, un artiste avec des vices de chanteur.
Tu vois, à moi et à Buenos Aires, nous man­quons tou­jours d’air quand ta voix n’est pas là.
À toi, qui m’as tant appris le jour où tu as chan­té une chan­son avec moi.

Au revoir, les amis, au revoir Mon­sieur Goyeneche.